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Ceci est la compilation d'articles de François Buget pour ses « études sur Nostradamus » datées de l'année 1860, 1861, 1862 et 1863, insérés respectivement les même années, dans le : Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1860 une partie Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1861 quatre parties Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1862 une partie et Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1863 trois parties [les références de localisation des autres articles (1861, 1862, 1863), se trouvent dans le premier article bulletin de l'année 1863 voir PDF concerné] rappel : Il participa à ce « bulletin » durant 4 années successives (1860 à 63) Ces 4 éditions ont été numérisées par Google dont les liens sont donnés par le site du CURA, NOSTRADAMICA de Patrice Guinard ; C'est grâce à ces éditions que j'ai pu faire une reconnaissance optique de caractère (OCR).

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Ceci est la compilation d'articles de François Buget

pour ses « études sur Nostradamus »

datées de l'année 1860, 1861, 1862 et 1863, insérés respectivement les même années, dans le :

Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1860 une partie

Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1861 quatre parties

Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1862 une partie

et Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1863 trois parties

[les références de localisation des autres articles (1861, 1862, 1863), se trouvent dans le premierarticle bulletin de l'année 1863 voir PDF concerné]

rappel : Il participa à ce « bulletin » durant 4 années successives (1860 à 63) Ces 4 éditions ont été numérisées par Google dont les liens sont donnés par le site du CURA, NOSTRADAMICA de Patrice Guinard ; C'est grâce à ces éditions que j'ai pu faire une reconnaissance optique de caractère (OCR).

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Année 1860- (une seule partie)

ÉTUDE sur les PROPHÊTIES DE NOSTRADAMUS.

BIOGRAPHES ET COMMENTATEURS.—OEUVRES ET ADVERSAIRES. — ÉDITIONS DESPROPHÉTIES. — MOYENS DE DISTINGUER CELLES DU XV1° SIÈCLE DE LEURS NOMBREUSES CONTREFAÇONS. — CE QU'ON DOIT PENSER DE L'HOMME ET DE SON OEUVRE.

Les Prophéties de Nostradamus, telles que nous les avons aujourd'hui , se composent des Centuries, des Présages et des Prédictions. Les centuries ou centaines de quatrains se divisent en deux parties. La première en contient sept, précédées d'une préface adressée à César, fils de l'auteur. La seconde commence par une épître au roi, suivie des VIIIè, IXè et Xè centuries, et de fragments de la XIè et de la XIIè. Les Présages sont un recueil de 141 quatrains, portant la

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Année 1860- l 700 BULLETIN DU BIBLIOPHILE . date sous laquelle ils se trouvaient dans l'almanach de Nostradamus de 1555 à 1567. Les Prédictions renferment 58 sixains posthumes, intitulé Centurie onzième dans quelques éditions. Les éditions de Nostradamus sont très-nombreuses. Bien que je n'en possède qu'une trentaine, et que je n'aie pu examiner qu'environ cinquante, j‘ai découvert. en les comparant, certaines falsifications qui méritent d'être signalées, afin que leur absence fasse reconnaître les exemplaires des premières éditions qui peuvent exister encore. Mais, avant de passer à l'examen des éditions, il est bon de jeter un coup d'œil sur les principaux biographes et commentateurs, pour que le lecteur puisse apprécier le témoignage de ces écrivains peu connus, lorsque j'aurai à l'invoquer on à le combattre. Je profiterai de l'occasion pour donner quelques détails sur Nostradamus, et pour réfuter quelques erreurs de ses biographes. BIOGRAPHES ET COMMENTATEURS. Le premier et le plus digne d'attention par son importance, c'est Chavigny. Jean-Aimé de Chavigny, docteur en droit et en théologie, né vers 1524, et maire, en 1548, de la ville de Beaune, sa patrie, écrivait également bien en français et en latin, en vers et en prose. Le poète Jean Dorat, son ancien professeur et son ami, lui ayant communiqué, dit-on, son enthousiasmepour Nostradamus, il se rendit a Salon, et y vécut longtemps dans l'intimité du prophète. Après sa mort , dont il fut témoin en 1566, il entreprit de recueillir, classer et expliquer ses œuvres, dont il comptait pénétrer le sens, grâce aux confidences de l'auteur, à l'habitude de son style, et a diverses prédictions qui lui semblaient d'accord avec les siennes. Le premier fruit de ce travail fut l'ouvrage suivant.

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 1701 La Première face du Janus français, contenant sommairement les troubles, guerres civiles et autres choses mémorables, advenues en la France et ailleurs, dès l'an de salut 1531, jusques à l'an 1589, finde la maison Valésienne. — Extraits et colligée des centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame, jadis conseillier et médecin des rois Henri II, François Il et Charles 1X. — A la fin est adjousté un discours de l'advénement à la couronne de France, du roi très-chrestien à présent régnant : ensemble de sa grandeur et prospérité à venir. — Le tout fait en français et latin pour le contentement de plusieurs, par Jean Aimes de Chavigny, Beaunois, et dédié au roi. A Lyon,par les héritiers de Pierre Roussin, 1591. Avec privilège. Ce volume in-4°, de 336 pages, sans les accessoires, contient : l° Une Épître à Henri IV, où l'auteur lui dit qu'il verra dans cette première face de son Janus l'histoire de ses derniers prédécesseurs et son avènement à la couronne; et lui promet que la seconde, qui est encore sur l'enclume, sera pleine de ses victoires et conquêtes, s'il persévère dans saconversion. 2° Une Vie sommaire de Nostradamus, où il fait le plus grand éloge de sa science, (le sa capacité, deson caractère et de sa religion. Il annonce à la fin qu'il publiera bientôt douze livres de présages en prose du même, et une biographie plus ample, avec une édition des Centuries, contenant la onzième et la douzième. 3° Au lecteur. Après avoir montré par l'histoire que Dieu a suscité des prophètes depuis le commencement du monde pour instruire et améliorer les peuples, il ajoute : « Et de notre temps, que dirons-nous d'un que dix mille personnes. qui respirent encore la vie, ont vu, hanté et fréquenté,ce grand Michel de Nostredame, miracle de notre âge, qui nous a laissé par écrit tant de belles et rares vaticinations, qui avec leurs ailes empennées ont couru tout le monde, et l'ont rempli

XIV‘ série. 109

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Année 1860- 1702 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

d'étonnement et admiration... qui souloit dire avec assurance, J'annonce vérité simplement et sans pompe Et mon présage vrai nullement ne me trompe.

« Qui a prédit toutes nos guerres civiles de point en point, plusieurs années avant qu'elles soient advenues, et si particulièrement et par le menu, qu'aucun de nos historiens ne sauroit faire mieux : voire touché des points qu'ils n'ont sçu ou qu'ils ont dissimulé et passé par connivence. » Exposant, pages 20 et 2l, le plan de son Janus, il dit que la Seconde face s'étendra depuis 1589 jusqu'à 1607, où il espère que les affaires de la religion et de la monarchie, après plusieurs guerres et tempêtes, jouiront d'un meilleur et plus assuré repos.

4° Un Dialogue latin ‘entre lui et Jean Dorat, envoyé à celui- ci un peu avant sa mort, qui. eut lieu en 1588. On y trouve quelques détails sur la faculté prophétique de Nostradamus, et sur les causes de la barbarie et de l'obscurité de son style, sur les difficultés que Chavigny avoit à surmonter, et surses moyens de succès. Quelques biographes attribuent à Dorat un Commentaire français-latin sur lesCenturies de Nostradamus, Lyon, 1594, in-8°. Ce dialogue n'en faisant aucune mention, suffiroit à prouver que ce livre, qu'on ne trouve nulle part, n'a jamais existé.

5° La Première face proprement dite,composée des 141 quatrains formant 1e recueil intitulé Présages, et de 126 autres appartenant aux Centuries, rangés suivant la date des événements auxquels Chavigny les applique, et accompagnés de courtes explications, avec la traduction latine en regard, celle des quatrains en hexamètres. Ces vers latins fort élégants, mais qui éludent presque toujours les difficultés du texte, persuadent au lecteur que le traducteur ne l'entendait guère mieux que lui-même. Les notes explicatives sont ordinairement incomplètes et fréquemment vagues ou arbitraires; et même, ce

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE . l 703 qui est plus fâcheux encore , l'interprète scinde une foule de quatrains, ne prenant que ce qui lui convient et laissant de côté le reste, ou l'appliquant ailleurs a d'autres événements distants de plusieurs années, et n'ayant avec les premiers aucun rapport. Quelquefois aussi il se permet d'altérer le texte pour le plier à ses idées. Enfin, voulant compléter autant que possible l'histoire de son temps, il prétend que Nostradamus traite aussi du passé, et il rapporte plusieurs quatrains à des faits accom- plis lorsqu'ils furent composés. Cette assertion a donné lieu à une plaisante bévue de l'abbé d'Artigny. Oubliant que les dix premières centuries furent composées sous le règne de Henri Il, et ignorant que la date des Présages est celle de l'année où ils parurent, il se figure que de 1534 à 1567 le prophète n'est que simple historien, et il trouve que cette partie du Janus contient des explications si heureuses de plusieurs quatrains, qu'un lecteur peu attentif serait tenté de croire que Nostradamus ait réellement prédit la plupart des événements de ce temps-la; tandis que, passé la mort de l'auteur, le commentateur, absolument dépaysé, a recours aux conjectures, et ne dit plus que des choses vagues et susceptibles de mille interprétations différentes. La vérité, c'est que sur les 267 quatrains expliqués dans le Janus,8 seulement sont appliqués au passé, et qu'avant comme après 1566, les explications sont égalementinsuffisantes, et les applications à l'histoire presque toujours dénuées de vraisemblance. 6° De l'Avénement de Henri I V à la couronne de France, et de sa prospérité future. Dans ce secours, adressé à Alphonse d’Ornano, lieutenant du roi en Dauphiné, Chavigny lui rappelle qu’il lui a prédit, quatre à cinq ans auparavant, la mort de Henri III et le couronnement de Henri IV, qui sembloit alors impossible. Encouragé par le succès, il prouve, par divers passages de Nostradamus, que Paris sera pris en mai ou juin de cette année, après un siège qui coûtera la vie à presque tous les habitants; que le duc de Mayenne sera chassé de

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Année 1860- 1704 BULLETIN DU BLBLIOPHILE.

France, que l'année suivante Henri IV fera la conquête de l'italie, et qu'après s'être emparé de Constantinople, il sera monarque universel. La reddition pacifique de Paris, le 22 mars 1594, avoit démenti une partie de cette prédiction, datée du 19 février, lorsque Chavigny la fit imprimer, puisque le privilège est du 2l juillet. Cela prouve sa bonne foi. Cet échec ne le découragea point. L'impression du Janus achevée, il se mit à chercher tous les passages de Nostradamus qui pouvoientconfirmer une prédiction attribuée à saint Catalde, suivant laquelle un roi, issu de la tige du lis et ressemblant à Henri IV, devoit, jusqu'à l'âge de quarante’ ans, chasser les tyrans de son royaume, conquérir l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie, détruire Florence et Rome, et soumettre à son empire tous les rois chrétiens ; puis, subjuguant les Grecs, les Turcs et les Barbares, régner enfin sur le monde entier. Bien que Henri 1V touche à sa quarante-deuxième année, nul doute, aux yeux de Chavigny, que cette prophétie ne le concerne; et bien qu'il n'ait pas encore soumis la moitié de son royaume, c'est en septembre de l'année suivante que doit commencer l'expédition d'Italie, durant laquelle Mayenne perdra une grande bataille près du Pô et du Tésin. La conjonction de Mars et de Saturne au signe du Lion, sous laquelle le sceptre romain doit être frappé par le coq, ayant eu lieu le l2 juillet 1594, et son influence s'étendant seulement jusqu'au 3 août 1596, c'est d'ici là que la prédiction doit s'accomplir. D'ailleurs les éphémérides de Cyprien Léovice annoncent pour 1595 la dépression de lapuissance romaine. Quant à la ville de Rome, Nostradamus dit qu'elle ne sera pas détruite cette fois,mais seulement pillée. Tout cela, et plusieurs autres conjectures fondées sur des citations en prose de Nostradamus, se trouve longuement développé dans un manuscrit de la bibliothèque d'Aix en Provence, qui renferme, outre la vaticination précédente et son commentaire, daté de septembre 1594, une prédiction de la

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 1705

sibylle tiburtine, d'après laquelle, cent ans auparavant, les astrologues italiens prédisoient à Charles VIII l'empire d'0rient et d'Occident. Mais ce prince étoit petit, valétudinaire, laid et mal conformé, tandis qu'il s'agit ici d'un roi de stature haute, de belle taille, beau à voir, et par tous les linéaments de son corps bien fait et composé. Ce roi sortira de Bohème, et son nom commencera par un E. Toutcela convient parfaitement à Henri IV, car les habitants du Bourbonnois sont issus des Boïens, et l'Hne compte pas, ce n'est qu'un signe d'aspiration. Icelui sera roi des François, des Grecs et des Romains, et délivrera les chrétiens du joug des infidèles. La paix régnera ensuite par l'universelle chrétienté. Le commentaire sur cette prophétie, composé en octobre 1594, renferme aussi plusieurs citations de Nostradamus. Le manuscrit se termine par l'horoscope de Henri IV, contenant le thème céleste desa quarante-deuxième année, dressé par Chavigny, le 2l: décembre suivant. Ce manuscrit in-4, de 132 pages, a reliure blanche aux armes de ce roi, lui fut présenté de la part de l'auteur. Il est écrit de sa main, comme il le dit lui-même dans l'épître dédicatoire qui précède les vaticinations. Mais la signature et la date, qui devoient se trouver à la fin de cette préface, ont disparu avec le dernier feuillet de la première feuille. Chavigny cependant continuoit le cours de ses investigations prophétiques. Il trouva et commentacinq autres vaticinations a l'appui des deux premières, obtenant ainsi le nombre sept, qui lui permit de donner à son œuvre le titre de Pléiades, et à chaque prédiction le nom d'une étoile. Céléno, la troisième, tirée de quelques vers latins d'un auteur incertain, est peu remarquable, aussi bien que la quatrième, Maïa, traduite mot a mot de sept beaux vers latins héroïques de Laurent Miniati. Astérope, la cinquième, présage d'un messer Antonio Torquato, Ferraros, adressée par lui, en 1480, à Mathias, roi de Hongrie et de Bohème, est pleine de détails sur la ruine com-

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Année 1860- 1706 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

plète de l'empire des Turcs, fixée à 1596. Les mahométans et les juifs se font tous baptiser. La sixième, répandue chez les infidèles, annonce que le sultan prendra la pomme rouge, et que, douze ans après, le glaive des chrétiens apparoîtra, et de tous côtés mettra le Turc en fuite. La septième est une longue oraison de saint Hippolyte sur la fin du monde, l'Antechrist et le second avènement. Elle est suivie d'un commentaire de 300 pages, extrait des plus signalés docteursde la sainte Écriture. Chacun sait que non-seulement les grandes choses annoncées par Chavigny ne s'accomplirent point, mais qu'il arriva le contraire. Au lieu d'exterminer les principaux ligueurs et depoursuivre Mayenne jusqu'en Italie, Henri 1V acheta leur soumission en les comblant de faveurs. Au lieu de faire la guerre au pape, il s'efforca d'obtenir de lui l'absolution. Il entreprit contre l'Espagne une guerre qui ne fut pas heureuse; et, la paix faite, il n'eut d'autre ambition que de la maintenir pour réparer les funestes effets des guerres civiles. Que dut penser l'interprète? Comment croire que des témoignages si bien d'accord pussent le tromper? Les événements prédits, bien qu'en retard, ne pouvaient donc manquer de s'accomplir. Il prit longtemps patience; mais lorsqu'il vit qu'il ne restoit plus, jusqu'en 1607, que le temps nécessaire pour les hauts faits qui devoient remplir la Seconde face de son Janus, il voulut donner l'impulsion, et publia ses découvertes prophétiques sous le titre suivant : Les Pléiades du Sr de Chavigny, Beaunois, divisées en VII livres, ou est l'explication des antiques prophéties conférées avec les oracles du célèbre et célébré Nostra-Damus (sic), est traicté du renouvellement des siècles, changement des empires et avancement du nom chrestien. Avec les prouesses, victoires et couronnes promises à notre magnanime prince Henry IIII, roi de France et de Navarre. Dédié à Sa Majesté. A Lyon, chez Pierre Rigaud, 1603, in-8‘ de plus de 640 pages, titre gravé.

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE I707

Dans la première Pléiade, Ghavigny, voulant ménager les princes étrangers, a remplacé certaines phrases de la prédiction par des initiales, et cinquante pages de son commentaire par quelques lignes, où l'on voit qu'il n'avait pas renoncé à la conquête du monde, et qu'il en réservait les détails pour la seconde partie de son Janus. Il prie, du reste, le lecteur de ne pas s'étonner de quelque retard dans les événements, parce Dieu gouverne et modère les temps selon sa volonté. S'il a tant soit peu de patience, il verra tout cela et d'autres choses bien grandes. A la suite d'une seconde édition des Pléiades, qui parut en I606 chez le même libraire, se trouve un Discours parénétique sur les choses turques, où sont insérés quelques présages sur l'horrible éclipse de soleil vue au mois d'octobre 1605. Après y avoir dépeint la misérable condition des chrétiens captifs ou tributaires des Turcs, l'auteur exhorte tous les princes à se liguer contre eux. Ce discours est lui-méme suivi d'un Traité dunouveau comète, contenant une apologie contre ceux qui disent que les comètes ne sont rien et n'ontaucune signification. Ce traité fut composé à l'occasion d'une nouvelle étoile que Chavigny aperçut le 17 octobre 1604, entre Jupiter et Saturne, conjoints dans le signe du Sagittaire, et dont l'éclat, pareil à celui de Jupiter, s'affoiblit graduellement depuis la fin de février jusqu'au 29 juin 1605, jour où l'observateur n'en reconnut plus aucune trace. Un phénomène si extraordinaire, suivi de la grandeéclipse du 12 octobre, devoit annoncer des choses inouîes. La foi de l'interprète fut donc inébranlable jusqu'au dernier jour de sa vie: car, eût-il vécu jusqu'à l'impression de ces deux traités, chose douteuse, puisque les biographes le font mourir vers 1604, nous devons croire du moins qu'il n'existait plus quand la mort de Henri 1V vint confondre ses prédictions, et les couvrit d'un ridicule ineffaçable. La Bibliothèque des auteurs de Bourgogne, de Papillon, publiée en 1742, quatre ans après sa mort, nous apprend que M. Boilaud, médecin de Dijon , possédoit un gros manuscrit

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Année 1860- 1708 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

in-folio dont voici le titre: Recueil de présages prosaïques de M. Nostradamus, etc. 0Euvre qui se peut dire à la vérité les merveilles de notre temps, où se verra à l'œil toute l'histoire de nos troubles et guerres civiles de France, dès le temps même qu'elles. ont commencé, jusqu'à leur entière fin et période, non-seulement; mais aussi plusieurs choses rares et singulières, avenues et à venir en l'état des plus puissants empires, royaumes et principautés qui aujourd'hui lèvent le chef sur la terre : extrait du commentaire d'icelui et réduit en XII livres par J. Aimé de Chavigny, Beaunois. CularonæAllo- brogum, 1589. —— Les Prophéties revues et corrigées avec des réflexions. — La Vie de Nostradamus, etc. Il paroit, d'après ce titre, que le collecteur des présages en prose ne s'étoit pas borné à les réunir, mais les avoit distribués ou commentés de manière a obtenir,- comme dans les deux faces de son Janus, une histoire complète des événements dont il attribuait la prédiction à son auteur favori. Les prophéties en vers étoient sans doute revues , corrigées et annotées au même point de vue. Cela explique comment Chavigny n'a pas fait imprimer ces ouvrages, dont il annonçoit, en 1594 la prochaine publication. ll attendit sans doute que les événements qui lui sembloient imminents eussent confirmé quelques—unes de ses prévisions. Cette précaution nous a privés d'une partie des œuvres de Nostradamus, et de curieux et authentiques renseignements sur sa personne (1). Si ce manuscrit existe encore, son impression seroit d'au- tant plus désirable que Chavigny est presque le seul biographe de Nostradamus, puisque César dit peu de choses de son père dans son Histoire de Provence, et que les autres sont pleins de bévues et d'inexactitudes.

(1) Les Commentaires, cités par quelques biographes comme un ouvrage spécial de Chavigny, ne sont que la partie françoise de la Vie sommaire, du Janus proprement dit, et du Discours sur l'avènement de Henry IV. L'omission de la chronologie en marge des quatrains prouve que l'auteur n'eut aucune part à cette publication.

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. I709

Ètienne Jaubert, médecin d'Amiens., est le premier en date. Ayant trouvé dans les centuries plus de dix-huit cents prédictions accomplies, il en avait exposé les preuves en quatorze volumes, dont sept sur les affaires de France, et les autres sur le reste du mande. Il avait, de plus, en portefeuille deux volumes sur le rétablissement de la foi par les Français en Orient, et sur les guerres des aïeux de l'Antechrist contre leur empire, "dont la capitale sera Jérusalem , sans compter deux autres pour le texte des Centuries, corrigé et expliqué, avec la paraphrase des préfaces. Les prophéties des sibylles,de l'empereur Léon, de Merlin et de Paracelse cauronnoient l'œuvre. Mais de ces dix-neuf volumes, il ne publia que le premier, intitué Èclaircissement des véritables quatrains de maître Michel Nostradamus, docteur et professeur en médecine, etc., 1656, sans nom de lieu ni d'auteur; petit in-12, avec portrait. Il commence par une Apologie de son héros, où il affirme que le diable, ne pouvant connaître d'avance ce qui dépend du libre arbitre, ce n'est pas lui qui inspirait Nostradamus. Puis il raconte sa vie d'après Lacroix du Maine, César et le témoignage de quelques personnes. Il dit, par exemple : « J'ai appris moi-même de ceux qui l'ont conversé qu'il menait une vie digne d'un chrétien, charitable envers les malades qui étoient pauvres, et assidu aux offices divins à l'église des Cordeliers. » Il prétend qu'il fit tant de progrès dans la médecine, à Montpellier, qu'il mérita d'en être nommé professeur(l). Du reste, sauf une prédiction faite en Lorraine, et

(1) Le bibliophile Jacob, dans la notice historique de son édition de Rabelals , Paris, Charpentier, 4850, dit que promu au baccalauréat en 4630, Rabelais commença presque aussitôt les leçons du cours que les nouveaux bacheliers étaient tenus de faire pendant trois mois, et que, plus tard, il paya son tribut de docteur en expliquant les Pronostics d'Hippocrate et en faisant un cours d'anatomie, sans être professeur en titre. Il me semble que de tels cours n'ont jamais pu être obligatoires, parce que leur nombre seul les rendrait Impossibles; et je supposerais plutôt que c'était une faveur accordée aux élèves les plus capables, à ceux qui étaient reçus d'une manière brillante, comme Michel de Notredame, qui, selon Chavigny, «passa au doctorat non sans preuve, louange et admiration de tout le collège.» Cela expliqueroif l'assertion du médecin Jaubert.

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Année 1860- 1710 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

une sur le P. Cotton, l'on n'y trouve presque rien de nouveau. Quant aux œuvres, ne connoissant pas le Janus, il rejette comme suspects les présages et les fragments de la XIè et de la XIIè centurie. Il a vu l'original des sixains, présenté à Henri IV, couvert d'un vélin blanc aux armes de France. Ce manuscrit, appartenant a M. Barbotteau, chanoine d'Amlens, en contient 132 au lieu de 58. Cette différence, le style, et la condamnation aux galères d'un procureur qui avoit rapporté de Paris a Aix ceux qui ont été publies, lui prouvent assez qu'ils ne sont pas de Nostradamus. Dupleix lui attribue le quatrain suivant, dans son Histoire de Henri IV:

Lorsqu'un fourchu appuyé sur deux paux Et l'arc tendu et neuf ciseaux ouverts, Trois paux suivis, le grand roi des crapauds Ses ennemis mettra jus à l'envers.

Cela signifie que lorsqu'un V appuyé sur deux I, soit un M, qui vaut mille, un D, qui vaut cinq cents,et neuf X, qui va- lent quatre-vingt-dix, seront suivis de trois unités, c'est-à- dire en 1593, le roi de France triomphera de ses ennemis. Mais la preuve que ce quatrain est supposé, c'est qu'il est ainsi conçu dans les dernières éditions :

Quand le fourchu sera soutenu de deux paux, Avec six demi-cors et six ciseaux ouverts, Le très-puissant seigneur, héritier des crapauds, Alors subjuguera sous soi tout l'univers.

Ce qui veut dire qu'en 1660 le roi de France deviendra le maître du monde. Enfin, l'on doit aussi rejeter deux quatrains contre Mazarin, qui furent placés après 1e 41è de la VII centurie dans l'édition qui parut en 1649, durant le blocus de Paris. L'auteur attribue les fautes notables qu'il voit dans presque

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. . 1711

tous les quatrains, a ce que les imprimeurs ne les comprenoient pas; et, sous ombre de rétablir le texte, il le modifie arbitrairement pour l'adapter à ses vues. Par exemple, voulant expliquer les deux premiers quatrains de la 1ère centurie, que voici :

Estant assis de nuit, secret estude, Seul, reposé, sur la selle d'airain, Flambe exiguë, sortant de solitude, Fait proférer qui n'est à croire vain.

La verge en main, mise au milieu de Branches, De l'onde il mouille et le limbe et le pied : Vn peur et voix frémissent par les manches, Splendeur divine. Le divin près s'assied.

il défigure ainsi le second :

La verge en main, mise au milieu des branches, De l'onde je mouille et le limbe et le pied : En peur j'écris, frémissänt par les manches...

Il voit, dans les deux premiers vers de ce quatrain, la branche de laurier que l'on plongeait dans l'eau, pour asperger le siège d'airain de la Pythie, lorsqu'elle vouloit rendre ses oracles ; et néanmoins, il traduit platement, en disant que l'auteur prenoit la plume entre ses doigts, la plongeait dans l'encre de son cornet, et écrivait sur son papier d'un bord de la feuille jusqu'à l'autre et depuis lehaut jusqu'en bas. Il ignoroit que c'est une allusion a l'oracle de Branchius, l'un des plus célèbres de l'antiquité, et même à ce passage du traité Des mystères de Jamblique, traduction de Marsile Ficin : «Fœmina in Brancis fatidica, vel sedet in axe, vel mana tenet « virgam ab aliquo deo datam, vel pedes aut limbum tingit in « aquam, vel ex aqua quadam vaporem haurit, et his modis in « impletur splendore divine, deumque nacta vaticinatur. Nam «ex his omnibus fit accommodata Deo, quem extrinsecus ac-

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Année 1860- 1712 BULLETIN DU BIBLIOPHILE. « cipit. » On voit qu'il suffit de remplacer Vn peur, qui n'a point de sens, par Vapeur, pour trouver laverge, l'onde, la vapeur et la splendeur divine, disposées dans la première phrase comme dans le quatrain. La seconde fait comprendre la liaison des deux quatrains. Le premier nous montre comment Nostradamus se préparait à l'inspiration. Il répond à ce que Jamblique avoit dit un peu plus haut du prophète : « Propter sequestrationem a rebus humanis , sincerum se « reddit, aptumque ad Deum suscipiendum. » Le second oppose les pratiques matérielles de l'antiquité pour atteindre au même but. Les explications de 60 quatrains, que l'auteur donne pour accomplis sous les règnes de Henri Il et de François II, ne valent guère mieux que celles du Janus, quoique bien plus développées, et facilitées au besoin par le changement arbitraire du texte (1). Guynaud. — Les Concordances des Prophéties de Nostradamus avec l'histoire, depuis Henri IV jusqu'à Louis le Grand la vie et l'apologie de cet auteur; ensemble quelques essais d'explications sur plusieurs de ses autres prédictions, tant sur le présent que sur l'avenir, par Guynaud. Paris, 1693, in-l2 de plus de 400 pages. Celui-là n'est qu'un charlatan. Il se vante d'avoir frayé le chemin, d'avoir expliqué le premier ce qui semblait inexplicable, et pourtant son livre n'est qu'un plagiat, sauf les vues, les mensonges et les rêveries de son cru. Dans sa Vie de Nostradamus , il cite l'Histoire des guerres civiles de Janus Gallicus comme une de ses principales sources, déguisant

(1) L'exemplaire de la bibliothèque de Carpentras est le seul que je connoisse où les pages 65-88 nesoient pas remplacées par un seul feuillet, afin de supprimer l'opinion , très-favorable à Nostradamus, d'un savant religieux, désigné par ses nombreux ouvrages. Les pages 437-440 ont aussi été changées dans quelques exemplaires , pour retrancher un quatrain appliqué s un M. L'Aisnier dont ce devoit ètre l'horoscope. Ce changement en a exigé trois autres, et quelques vices de rédaction trois autres encore: de sorte que mon exemplaire a huit cartons.

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. l 713

ainsi le nom de Chavigny, afin de pouvoir donner plus loin comme siennes des interprétations tirées du Janus. Si Jaubert, qu'il copie sans le nommer, croit, d'après un livre pseudonyme, que Nostradamus avoit un fils appelé Michel, Guynaud préfère son assertion au témoignage de Chavigny. Plus tard, il le cite comme interprète, mais il feint de ne le connoître que depuis quelques jours. Il s'est imaginé que l'amanach de Nostradamus étoit un petit livre qu'il s'avisa de faire pour sedébarrasser tout d'un coup des cultivateurs qui venoient sans cesse lui demander quels jours ils pourroient semer ou planter à propos. Il se figure aussi qu'il avoit mis au jour, avant 1555, un petit livre de présages sur des choses particulières, qui devoient arriver de 1550 à 1597; mais qu'il n'en reste plus que des lambeaux, dont l'ordre et les dates ont même été complétement changés par le caprice et la mauvaise foi des éditeurs. Il n'y a pas un mot de vrai dans tout cela. Leroux. — La Clef de Nostradamus, isagogé ou introduction au véritable sens des Prophéties de ce fameux auteur, avec la critique touchant les interprétations de ceux qui ont ci-devant écrit sur cette matière : ouvrage très-curieux et même très- utile à toutes les personnes qui veulent lire ou étudier avec progrès ces sortes de prophéties. Par un solitaire. Paris, 1710, in-l2 de 469 pages, sans l'épître a la France et la préface. L'auteur de ce livre, Jean Leroux, ancien curé de Louvicamp, diocèse de Rouen, est d'une rare candeur. Tandis que les autres se contentent de voir le sens en gros,ce qui facilite singulièrement leur tâche, il veut que l'interprète se rende compte de la valeur de chaque mot, et que tout, dans un qua- train, s'accorde parfaitement avec l'histoire. Il prouve que le style de l'oracle n'est barbare qu'en apparence, que c'est une langue à part, dont la nomenclature, la syntaxe et les figures ont leur type dans les auteurs latins, et notamment dans les poètes. Plusieurs quatrains, expliqués avec assez de bonheur, confirment ce système. ' Après les questions de langue viennent des Paradoxes. Le

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Année 1860- 1714 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

style des Présages et des sixains lui suffit pour soutenir avec beaucoup de vraisemblance qu'ils sont de l'auteur des Centuries. Mais, faute de connaître le Janus et les contrefaçons, il se trompe manifestement a d'autres égards. ll se figure que les douze livres de Prédictions en prose colligées par Janus Gallicus sont écrits en latin; et il en voit un fragment dans un passage de l'almanach perpétuel de Rutilio Benincasa, traduit de l'italien en latin, que Mengau a inséré et commenté dans son Système général ou révolution du monde, contenant tout ce qui doit arriver en France la présente année 1652 (l). Partant de quelques fausses assertions de Guynaud , il tombe dans les idéesles plus chimériques sur les moyens de connaître le temps ou chaque prédiction doit s'accomplir; se livrant a son imagination, il crée de petits romans, en groupant divers quatrains sur de légères apparences; et surtout, fasciné par la puissance de Louis XIV, il croit et s'efforce de prouver que c'est à lui que le prophète adresse réellement son épître sous le nom de Henri second, et il trouve quatre fois plus de quatrains accomplis depuis vingt ans que durant les cent trente années précédentes ; enfin, il prédit au grand roi la plus complète victoire sur tous ses ennemis. Il prévoyait aussi d'autres grands événements imminents, tels que la ruine de l'empire des Turcs, et il espéroit publier une expli- cation de tous les quatrains et sixains accomplis; mais la mort l'empêche sans doute de terminer ce curieux travail. J'oubliais que 28 pages sont consacrées à prouver que l'épî- tre à César s'adresse uniquement à l'interprète futur, c'est-h- dire a l'auteur lui-môme, comme il Pineinueen expliquant l'espèce de quatrain suivant, placé entre la VIe et la VIIe cen-

(1) c'est le quatrième de neufs pamphlets de ce charlatan, publiés durant la Fronde et réunis en un vol. ln-a‘ de 450 pages sous ce titre : Les vraies (Jaun- rier de M. Michel Nosttradamus sur les affaires de ce script. A Paris, chez Boucher, i652. Ce radotage est suivi, dans mon exemplaire, de l'Horoscope impérial de Louis XIV Dicudonné. Paris, chez Huart , même année, 16 pages in-8° du menue, diane complément de ce recueil.

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOBHILE. 1715

-turie, qu'il est bon de connaître, parce que ses variantes caractérisent certaines éditions.

Legis cautio contra ineptos criticos. Qui legent hesce versus mature censunto, Prophanum vulgus et inscium ne attrectato, Omnesque astrelogi, blenni, barbari procul sunto Qui aliter faxit, is rite sacer esto.

Cela signifie, dans la pensée de l'oracle : « Que ceux qui liront ces vers les critiquent sans réflexion, car je m'y attends; que le vulgaire profane et ignorant n'y touche pas; que tous les astrologues, les sots et les gens sans latin n'en approchent pas. Que celui qui fera autrement, c’est-à-dire qui voudra les étudier sérieusement, soit sacré selon la coutume, soit ecclésiastique. Les profanes sont les laïques.» Pierre-Joseph de Haitze. -.- La Vie de Nostradamus, par Pierre Joseph. Aix, 1712, petit in-12 de 186pages en gros caractères, sans les préliminaires. Ce biographe dédie son livre à la postérité. Il se vante d'avoir réparé beaucoup d'omissions importantes et fait plusieurs redressements considérables; et il dit que, pour l'honneur de la nation qui a produit un si illustre personnage, il donne l'histoire de sa vie dans toute l'exactitude qui lui a été possible. Mais si on le compare avec les sources, on reconnoit qu'il n'a pas su y puiser avec discernement, et sa manière de les apprécier et de les reproduire donne peu de confiance dans les faits dont on ne connoît pas l'origine. On diroit qu'il n'a lu qu'à la hâte et incomplètement ses autorités. Il fait plusieurs bévues en copiant aveuglément Guynaud; il dit que Chavigny s'est fait connaître sous le nom de Janus Gallicus; il avance, contre lui, que Nostradamus s'établit à Salon avant la peste d'Aix, tandis que ce ne fut que trois ans plus tard. S'il préfère son témoignage à celui de Jaubert au sujet des enfants, et nous apprend que le second fils s'appelait Charles

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Année 1860- 1716 BULLETIN DU BIBLIOPHIILE.

et fut un des meilleurs poëtes provençaux de son temps, il prétend qu'on ignore le nom du troisième,qui se fit capucin, tandis que César, dans son Histoire de Provence, le nomme André. Mais c'est bienpis encore lorsqu'il parle des ouvrages du prophète. Le petit livre sur l'agriculture, inventé par Guynaud, est formellement qualifié d'almanach perpétuel; et il sera cité sous ce nom par les biographes postérieurs. Quant aux présages, aux deux dernières centuries et aux éditions des dix premières, tout ce qu'il dit prouve son ignorance. En un mot, plus on examine ce livre, plus on le trouve mauvais. Voila pourtant l'autorité sur laquelle repose le récit d'Astruc et de presque tous les biographes. Le style est un des côtés les plus foibles de l'auteur. Voulant faire un volume de ce qui demandoit au plus 50 pages, il délaye, grossit de lieux communs et affadit tout ce qu'il touche. Il a recueilli çà et la quelques faits curieux, mais il ne dit pas d'où il les tire. Un ou deux sont puisés dans l'Histoire de Provence de Gaufridi, écrivain digne de confiance. - Tronc de Coudoulet. — Abrégé de la vie de Michel Nostradamus, suivi d'une nouvelle découverte de ses quatrains; par le sieur Palamèdes Tronc de Goudoulet de la ville de Sallon. Aix, Adibert, sansdate, in-4° de l2 pages, sans frontispice. Cette brochure, que je n'ai trouvée qu'à la bibliothèque d'Aix, fut imprimée pour le passage à Salon, le 4 ou le 5 mars 1601, des ducs de Bourgogne et de Berry, qui revenoient d'accompagner Philippe V à la frontière d'Espagne. Les trois premières pages renferment quelques détails biographiques d'après Guynaud ; les quatre suivantes, l'explication de six quatrains que l'auteur a trouvés applicables à la succession d'Espagne et au voyage des princes; le reste, deux chansons et diverses épigrammes, dont voici la dernière:

NOSTRADAMUS AUX PRINCES. Petits-fils de héros, soyez les bien venus. Depuis cent cinquante ans vous me fûtes connus.

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 1717

L'auteur (l) composa dans la suite une biographie beaucoup plus ample, et commenta de nouveaux quatrains, qu'il joignit aux premiers. La preuve en est dans un manuscrit appartenant à M. le comte de Lagoy, d'Aix en Provence, qui a bien; voulu me le faire connaître. C'est un recueil de pièces historiques de la première moitié du siècle passé, parmi lesquelles se trouvent l'abrégé de la vie, conforme à 1a brochure de 1701, et, à la suite, 84 pages, d'une grosse écriture, dont voici le titre: S'ensuit l'abrégé de l'histoire de Michel Nostradamus. On lit en marge : Tirée en 1737. La partie biographique se distingue par quelques faits empruntés aux traditions locales. L'auteur cite, par exemple, deux prédictions, relatives à Henri IV et à Sixte-Quint, qu'il tient de M. Alexandre Paul de Lamanon, gentilhomme de Salon, âgé de quatre-vingt-dix ans, dont chacun admiroit le jugement et la mémoire dans un âge si avancé, homme d’ailleurs digne de foi, qui les tenoit lui-mémé du sieur L'Héraud, ami intime de Nostradamus. Il ajoute : " Je pourrois rapporter plusieurs autres prédictions admirables que l'on sait par tradition ; mais, parce qu'elles pourroient paroître suspectes, quoique j’eusse pour garants des hommes de probité qui les ont apprises de leurspères d'un même caractère, j'aime mieux ne pas les mettre au jour. " Encore un passage : " Voulant faire son testament, il envoya prendre le nommé Roche, notaire de la ville de Sallon, dans les registres duquel je l'ai lu entièrement, et j'en veux mettre ici les principaux articles pour satisfaire la curiosité du lecteur. — Sommaire du testament de Nostradamus.» On y remarque qu'il lègue tous ses livres à celui de ses trois fils, César, Charles et André, qui profitera le plus à l'étude, ainsi que toutes ses lettres missives et ses manuscrits, qui se- (4) Palamède Tronc de Coudoulet, né vers 1660 et mort en 1722, composa en langue provençale uneexcellente comédie en trois actes et en vers, et une foule de noëls , de chansons, et d'autres pièces fugitives pleines. de gaieté et de facilité. ll cultiva aussi avec succès la poésie française, comme le prouvent cette brochure et quelques poëmes inédits. XIV‘ SÉRIE. 110

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Année 1860- l7l8 BULLETIN DU BIBLIOPHILE -ront fermés dans une chambre de sa maison, jusqu'à ce que celui qui méritera de les avoir soit en âge de les prendre. La seconde partie, qui forme plus de la moitié de l'ouvrage, se compose de vingt-deux quatrains commentés, dont les premiers sont ceux de la brochure, expliqués avec quelques différences, et accompagnés de presque toutes les épigrammes. Il y est question de don Carlos, né en i716, et, plus loin, du pape Clément XI, le dernier mort, dont le successeur, Innocent Xlll, élu le 8 mai 1721, mourut le 7 mars 1721i. Enfin l'explication du 8' quatrain est précédée d'une lettre de l'auteur sur François Michel, maréchal ferrant de Salon, qu'il vit, arrivant de Paris, vers la fin du siècle précédent. Tout cela est de Palamède. Mais le 14è quatrain, relatif au concile d’Embrun, tenu en septembre 1727, prouve que son manuscrit a été complété après lui, puisqu'il mourut enmai 1722.

Je dois cette date à l'obligeance de M. le docteur Bossy, ancien maire de Salon et arrière-petit-fils dePalamède, qui, de plus, a bien voulu me communiquer un manuscrit dont la partie biographique se compose de la Vie de Nostradamus de Pierre-Joseph, fondue avec les principaux faits de l'autre, dont je viens de parler. La seconde partie a deux nouveaux quatrains, expliqués d'après César et Guynaud. Elle en avoit probablement encore d'autres, mais la fin manque, dès le vingt et unième quatrain. La fusion des biographies a été probablement faite après la mort de Pierre-Joseph, arrivée en 1736, par le fils de Palamède, mort en 1745 ; et une citation du dernier Moreri; prouve qu'elle a eu lieu avant 1759, date de la dernière édition (1).

1) ll s'agit de la prétendue fln tragique de César, conte supprime dans l'édition de I759, et dont voici l'origine et le développement. L'Histoire universelle d'Agrippa d'Aubigné rapporte qu'au siège du Pouzin, en 1574! il y avoit à l'arméeun jeune Nostradamus, fils de Michel, qui, ayant prédit que la ville seroit brûlée, [ut trouve, comme on la pilloit, mettantle feu partout; et que Saint-Lue lui ayant donné de la baguette dans le ventre, son cheval, fait à cela. lui enfonçant rate d'un’coup de pied, payement de sa méchanceté. Quelques .../

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Année 1860- BULLETIN ou BIBLIOPHILE. 1719

Je suis entré dans ces détails, parce qu'on ignorait jusqu'ici l'origine d'un livre presque entièrement conforme au second manuscrit, et dont voici le titre : La Vie et le Testament de Michel. Nostradamus, etc., Paris, I789, in—12 de 179 pages. Ce volume contient, de plus que le premier manuscrit, cinq quatrains et un sixain, qui se trouvaient probablement dans le second, car les derniers événements qui y sont mentionnés, ont suivi de près la mort d'Antoine Farnèse, duc de Toscane, arrivée an 1731. Un motif pour faire connaître les Sources de ce livre, c'est que l'éditeur dit, à la fin de l'avertissement, qu'il est pris mot à mot dans un manuscrit fait par Edme Chavigny, connu par différents bons ouvrages sous le nom de Janus Gallicus : mauvais moyen d'inspirer la confiance, puisqu'on lit, p. l2 : S'il en fallait croire Jean-Aimé de Chavigny en son Janus françois, etc. Bouys. -— Nouvelles considérations, puisées dans la clairvoyance instinctive de l'homme, sur les oracles, les sibylles et les orophètes, et particulièrement sur Nostradamus, sur ses prédictions concernant : 1° la mort de Charles 1er, roi d'Angleterre; 2° celle du duc de Montmorency, sous Louis XIll; 3° la persécution contre l'Église chrétienne, en 1792; 4° la mort de Louis XVI, celle de la reine et du Dauphin; 5° l'élévation de Na- ioléon Bonaparte à l'empire de France; 6° la longueur de son règne; 7° la paix qu'il ‘doit procurer à tout le continent; 8° sa puissance , qui doit être un jouraussi grande sur mer qu'elle

(suite note) /...écrivains recueillirent cette anecdote, et l'avant-dernière édition de Moréri la mit sur le compte de César. Mais comme on (aperçut qultl étoit mort plus le cinquante ans après, La Monnoye, annulant Lacroix du Haine, attribue l'aventure à un autre fils de Nostradamus, né longtemps avant César. ll falloit que ce fut le Michel de Jaubert et de Guynaud : aussi trouve-t-on dans les dictionnaires historiques actuels un Nostradamus (Michel) dit le jeune, qui voulut faire le prophète comme son père; mais, l'événement n'étant jamais d'accord avec ses prédictions, il devint la fable de toute la province; c'est pourquoi il abandonna ce métier, et se contenta de publier un traité d'astrologie en 1563. Malheureusement pour lui, il ne persiste pas dans cette sage résolution, et voulant réussir au moins une fois, etc.

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Année 1860- 1720 BULLETIN DU BIBLIOPHILE .

l'est actuellement sur terre; 9° enfin la conquête que ce héros doit faire de l'Angleterre, etc. , par Théodore Bouys, ancien professeur à l'École centrale de la Nièvre. Paris, 1806, in-8. Bien que l'auteur se flatte d'avoir prudemment évité les explications forcées et ridicules des autrescommentateurs, ce titre seul prouve qu'il s'est brisé contre le même écueil. Il réussit pourtant quelquefois assez bien, en altérant un peu le texte; mais il avoue qu'il doit presque tout ce qu'il sait àun de ses compatriotes, ancien promoteur de Parchevèché de Paris, qui a fait sur Nostradamus un ouvrage très-considérable et très—intéressant. Il paroît même quîl reproduit mal les confidences de son maître, car celui-ci, mécontent de voir gâter ses idées et publier sans son aveu le fruit de ses veilles, lui dit qu'il n'entend point ce qu'il veut expliquer, et réfute son système de clair- voyance instinctive dans la brochure suivante : Motret. — Essai d'explication de deux quatrains de Nostradamus, à l'occasion du livre de M. Bouys, intitulé, etc. Paris et Nevers, 1806, in-—8° de li et 65 pages. L'explication des quatrains est curieuse, aussi bien que les idées de l'auteur sur le style du prophète. A l'entendre, Nostradamus veut être sérieusement étudié pour être compris, surtout si on entreprend de l'expliquer aux autres; la description des événements majeurs se compose chez lui d'un assez grand nombre de quatrains épars, ayant chacun un sens complet, mais qui demandent à être réunis pour s'éclairer mutuellement; chaque épisode historique est d'un style qui suit des lois différentes, et l'observation générale que le françois de l'auteur est une espèce de caricature du latin, ne suffit point dans tous les cas. — Les quatrains représentent chacun un objet principal, unique, revêtu des circonstances accessoires relatives au temps, au lieu et à la manière. — En supprimant dans sa langue factice presque toutes les liaisons du langage ordinaire, Nostradamus semble avoir quitté la plume pour prendre le pinceau. Cependant la syntaxe latine, dont il. se rapproche tant qu'il peut, parce qu'elle est avare de liaisons, amie des

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Année 1860- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 1721

inversions et des ellipses, fournit assez ordinairement le moyen de construire régulièrement la phrase. Le style, devenu extrêmement concis par cet artifice, est de plus énigmatique, allégorique et figuré. — Ne craignez pas que cela vous jette dans le vague ou dans le vaste domaine de l'imagination, car la syntaxe latine a ses règles, et ses ellipses ont des bornes. D'ailleurs le peintre del'histoire des siècles à venir a des touches si fières, si vigoureuses, si parfaitement originales, qu'il est impossible de les appliquer à d'autres objets qu'à ceux qu'il a voulu représenter. D'autres fois ce sont les noms propres en toutes lettres, ou la moitié de ces noms, ou leur traduction d'une langue dans une autre, ou leur anagramme; les dates des années, des mois et des jours, ou patiemment, ou sous le voile mystérieux et transparent du langage astrologique, qui remettent sur la voie, et ne permettent plus d'en sortir. —- C'est dans cet esprit que Nostradamus veut être lu et expliqué, en observant qu'il parle au fond latin, quelquefois grec, souvent italien, ou le patois de ses personnages,sous l'écorce de son vieux français; et que, pour de très-bonnes raisons qu'il déduit fort au long, il a jeté ses quatrains pèle-mêle. Aussi le premier devoir de l'interprète est de rassembler et de mettre à leur place ces ossements épars du squelette prophétique, pour lui rendre les muscles, la chair, le sang, la vie enfin, dont il semble dépourvu. Voilà certes une belle déclaration de principes, et il est fâcheux que l'ouvrage de l'auteur n'ait pas vu le jour, s'il justifioit ce programme. Je m'arrête ici. Leségards que l'on doit aux vivants m'empêchent de continuer une revue qui seroit d'ailleurs peu fructueuse. Mais, avant de passer aux éditions, jetons un coup d'œil sur les écrits de Nostradamus et de ses adversaires.

F. BUGET. (La suite prochainement.)

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4 parties (A,B,C,D)-Année 1861- ÉTUDES SUR

NOSTRADAMUS(1).

II

Œuvres et Adversaires

S’étant fixé à Salon, en 1549, Michel de Nostredame débuta, comme écrivain, par un Almanach pour l’année 1550, contenant des prédictions, selon l'usage, et signé Nostradamus. L'astrologie était alors en si grand honneur, que ce n'était point déroger : c’étoit même faire preuve de capacité médicale, puisque chaque partie du corps humain étoit sous l'influence d’un signe. Il composa aussi deux livres de recettes qui parurent d’abord en 1552, et se réimprimèrent plusieurs fois sous différents titres. Voici celui de la plus ancienne édition que je connaisse, bibliothèque de l'ArsenaI : Excellent et moult utile opuscule, à touts nécessaire qui désirent avoir cognoissance de plusieurs exquises Receptes, divisé en deux parties.-— La premiere traicte de diverses façons de Fardemens et Senteurs pour illustrer et embellir la face. — La seconde nous monstre la façon et manière, de faire confitures de plusieurs sortes, tant en miel, que succre, et vin cuict, le tout mis par chapitres, comme est fait ample mention en la table. Nouvellement composé par maistre Michel de Nostredame, docteur en Medicine de la ville de Salon de Craux en Pro-

(l) C'est par mégarde qu'on a intitulé la première partie: Étude sur les prophéties de Nostradamus. Je ne vise pas à l'honneur de figurer parmi ses interprètes. Je ne voulais d'abord que donner les caractères des premières éditions des Centuries ; mais à quoi bon, si les œuvres du prophète n'ont aucun sens? Il a donc fallu examiner la vie et les différents écrits de cet homme singulier, pour savoir quel est 1e fond de sa pensée, et si ses prédictions en vers et en prose ne sont dignes que de mépris. Nous allons mettre sous les yeux du lecteur les éléments de la solution que nous essayerons de donner à la fin.

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A -Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 69

- vence, et de nouveau mis en lumiere. ——- A Lyon, par Antoine Volant. M. D. LV. —— In-16 de 228 pages et 11 pour la table Vient d’abord un long Proœme dont voici le début: « Michel de Nostredame medicin au lecteur Benivole salut. -— Apres avoir consumé la plus grand part de mes jeunes ans ô lecteur benivole en la pharmaceutrie, et à la cognoissance et perscrutation des simples par plusieurs terres et pays despuis l’an 1521 jusques en l'an 1529, incessamment courant pour entendre et savoir la source et origine desplantes (sic) et autres simples concernans la de la faculté Iactrice : que aptes avoir voulu imiter la seule ombre de Paulus Aegineta, non quod velim conferre magna minutis; mais tant seulement diray, Nostradami laborem me nosse, qui plurimum terræ peragravit, sextrophæa natus « Gallia. que quand suis esté au bout de mes huict ans accomplis et consumés, me suis trouvé ne pouvoir parfaitement attaindre en ceste summité de la parfaite doctrine, ay fait, comme recite celuy qui estoit culmen linguæ Latinæ, disant : et egressus sylvis viciua coëgi. et vins parachever mon estude jusques à l’heure presente, qui est el trente un an de ma vacation, que tenons mil cinq cens cinquante deux. Et après avoir soigneusement et par frequent - (l) La bibliothèque Mazarine possède une traduction allemande de cet ouvrage par Jérémie Martius, docteur en médecine, Augsbourg, I589, déjà imprimée a même lieu en i772. Le traducteur dit dans sa préface que Nostradamus fit imprimer ce livre, en 1552, seulement pour ses amis intimes. Il ajoute qu'on venoit à lui de toutes parts, comme à un autre Apollon, connaissant toutes choses :dont il peut rendre témoignage, comme beaucoup d’autres personnes dignes de foi, Ainsi, en I568, passant à Montpellier sans vouloir s'y arrêter, Nostradamus y fut retenu quelques jours par une foule de gens qui venoient le consulter, soit pour leur santé, quoiqu'on y trouve en surabondance les plus doctes médecins de la chrétienté, soit dans un autre but; et l'affluence devint enfin si grande, qu'il fut obligé de se cacher, et de faire dire qu'il étoit parti. Ce qu’il prédit à François Ier allant en ltalie, fut trop bien confirmé par la triste captivité de ce prince; et la récente (nechst geschehne) et effroyable défaite des Turcs, bien qu'annoncée d'une manière obscure et figuréc, selon son habitude , prouve également connaissance des choses futures. -— Cette désignation de la bataille de Lépante livrée le 7 octobre 1571, montre que cela fut écrit, pour la première édition, cinq ans après la mort de Nostradamus; et il résulteroit de la prédiction relative au désastre de Pavie qu'il passoit pour un voyant dès sa vingt et unième année.

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A -Année -1861- 70 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

et continuel estudc, veu tous et un chascun les auth tant Grecs, Latins, que Barbares, tournés la plus grand par en langue Latine, et dautres mis en parole peregrine: et entre les autres matieres ayveu ceux qui avoient laissé pa esorit quant à la illustration de la face. » Il m’a semblé que ces détails n'étoient pas sans intérêt. La suite se compose de quelques idées sur l'objet du premier livre, et de longues digressions sur la littérature médicale. le tout dans un style qui ressemble un peu au langage d’un homme ivre. Souvent il perd le fil de son discours, et il commence une nouvelle phrase avant d'avoir fini la premlère, ou bien il en mêle plusieurs, qui forment un vrai galimatias, On dirait les premiers effortsde la pensée pour se dégager du chaos, Voici le morceau de ce genre le mieu a réussi , " J'ai veu quelques receptes concernants le fait intérieur du corps humain, que telle prescription estoit certiorée par plusieurs venant de degré l’un à l'autre, et d'escrire matieres que le personnaige par divers pais a usé, faisan parfaite distinction supputee par symmetrie du temps de l'eage du mal, et la qualité des simples lon peut plus facilement attribuer foy et estude, veu que apres la long estude la dangereuse exercitation, l'experience perilleuse a esté par long-temps consumee à celuy que non pas à tel par moyen d’un parler affecté, dune tres eloqnente phrase, dune grace singuliere à redigerpar escrit, que moyennant la multiplication de sa doctrine, son engin tres subtil auroit mis par escrit tant seulement ce qu’il auroit trouvé inseré par plusieurs et divers autheurs, » Le plus clair, àmes yeux dans cette très-éloquente phrase, « c’est a une grace singuliere à rediger par escrit; » et, tout benivole que je suis, je le soupçonne un peu de vouloir se moquer du lecteur. Chavigny plus benivole encore, dit à Dorat : « Quin milii videtur styli obscuritatem a natura ipsa liabuisse, non arme quæsiisse.Namque etium άνευ νθουσιασμοἔ ύ multa ejusdem vidi quæ natatore Delio ( ut inproverbio est) opus haherent, rudibus atue incompositis sermonibus simillima. » Ce qui

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rend la chose plus curieuse, c’est qu'il dit plus haut : Vray esf que maintenant que la vraye langue Attique est suscitée...; et plus bas: Je auserois affermer ce present siecle regner la vraie langue Attique. Cette préface renferme aussi un échantillon du talent poéiique de l'auteur, son premier essai de versification française, peut-être. Ces: la traduction d’un sixain de Lucilius contre dame Heliodora, qui se lavoit et fardoit sans cesse pour remédier aux progrès de l'âge. Après avoir donnéle texte grec, il ajoute: « Ces vers jadis furent tournez en Latin par Gaspar Ursinus Vellius, consellier à Vienne en Austriche, qui un soir soy pourmenant le long du Dannube la terre se fendit, et tumba et se nya : et pour satisfaire à quelques ans, nonobstant qu’il ne touchast rien à la matiere, nous y voulons inserer le Latin et puis le Francois de nostre traduction :

« Inficis ora dies nunquam tinctura seniles,

« Nunquam rugosas explicitura genas. « Desine jam stibio faciem depingere totam,

« Ne larvam, baud faciem quis putet esse tuam. « Nil reliquum. quæ est hæc dementia : nom neque fucus,

« Nec cerusa Helenen fecerit ex Hecuba. »

Combien que ne soions pas trop exercitez en la poésie Francoise, ce nonobstant avons traduict en Huictain :

HUICTAIN .

Combien que farde ta face enviellie,

N’ayes ja peur qu’on' en oste les tasches. Puisque viellesse ainsi t'assaillie :

Il n'est besoing qu'a mettre tu ne tasches A ton visaige aucun fard que tu scaiches :

Qu'a ton corps puisse donner emblanchiment : Car sublimé, ne ceruse, ne tasche

De rendre vielle, jeune par fardement (1).

(l) Dans l'édition d'olivier de Haray, Paris, 1656, qui se trouve à la bibliothèque de Carpentras, on lit au premier vers, Bien que tu fardes....; au troisième,

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Je reviendrai sur cette épigramme à triple forme, qui es en contradiction manifeste avec la fin, que voici : « Si ledit sublimé est fait comme il est escrit, indubitablement le visaige sera preservé en beauté longuement, et fera deveni Hecuba en Heleine. Toy disant à Dieu de saint Remy en Provencedite Sexlrophæa, ce premier jour d’Avril mil cinq cens cinquante deux, composé à Salon de Craux en Provence. » Le premier livre ne renferme pas uniquement des cosmétiques. Le chapitre VIII donne la composition d’un trochisque odoriférant qui fut un moyen des plus efficace contre la peste d’Aix, en1546, durant laquelle l’auteur fu esleu et stipendié par le senat et peuple pour la conservation de la cité. Tous ceux qui en portoyent à leur bouche estoient preservés. Le chapitre XVIII manque dansplusieurs éditions : le voici, moins une partie de la recette, tel qui est dans celle d’Olivier de Harsy: « Pour composer au vray le poculum amatorium ad Venerem , duquel usoient les anciens au fait d’amour. —La façon pour faire les beuvandes amoureuses que communement les Grecs appelloient philtra, et les Latins poculum amatorium : que quand un personnaige en avoi jeté d’unc bouche enl’autre lon perissoit du mal d’amous, tant que le personnaige qui longuement le tenoit à la bouche, sil ne le jetoit à certaine heure, il mouroit toute effrené, sil ne jouissait du personnaige qu’il pretendoit: et fut premierement inventee par Medee : de semblable comme cestuy cy, en mourut le poëte Lucretius, et ceste bevandc a tant de vertu et d’efficace, que si un homme en avoit un peu à la bouche, et durant qu’il la tient à la bouche en baisant une femme, ou femme luy, et se jetant de cecymeslé avec la salive, e luy en mettant dens la bouche : cela tout soudain lui cause en feu, non point feu, febricitant n’aiant ne soif ne chaud, (suite note 71) t'a assaillie, au quatrième, qu'à mettre aussi tu tasches; au sixième, Qui à ton corps donne blanchissement ; au septième, Par sublimé...; et au dernier, De rajeunir vielle....

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mais le cœur luy brusle d'accomplir l'effect amoureux, et non point en autre, sinon qu’à celuy ou celle qui luy donne le baiser, luy jettant dans la bouche, et l'amour à ces deux demeure tant longuement et inviolable, que 1’ un et l’autre ne peut durer sans estre ensemble : et si on venoit separer l'amour, tel amour quelquefoys par lors que la grand fervente amour estoit convertie en fureur: lors l’on estoit constreint de faire l'amuletum Veneris, que nous disons breu d’amours, avec l'oyseau que nous disons cauda tremula, qui n'apparoist que l'hiver: plusieurs qui usoient de la sainte magie le sçavoient faire : comme fut Diotima, celle qui endotrina Socrates à l'occulte philosophie, et usa au temps des sa jeunesse de ceste beuvande amoureuse, et en sa viellesse en voulant user aux jeunes les venoit plus tost à fasciner ou charmer : mais cestuy-cy qui s’ensuit tientune manifeste vertu, a faire l'attraction de son semblable qui constreint la femme ou pucelle de s'abandonner, et gouster ce que par conjecture artificielle elle vient à imaginer : mais gardes d'en user en maulvaises fins, que ne le tenies guieres dens la bouche, que vous ne l'emplies : car il vous poùrroit prejudicier: mais il fault que vous le portes dens une bien petite fiolle de verre : et quand vous serez pres du personnaige la ou vous le vouldres jetter mettes en lors en la bouche et le lui jettes dedens en la baisant. Le poëte (et la façon de la composition est comme il s’ensuit) Lucretius à son quatriesme livre demonstre en avoir usé, disant : Affligunt amiclæ corpus jungunt que salivas « Oris, et inspirant pressantes dentibus ora. Il me semble qu’il ne sera pas aliene n’estrange à nostre institution, si je viens à descrire comme on les faisoit : et nonobstant qu’aucuns ne trouveront bon que la recepte soit icy inseree, combien vrayement qu’encores par nully que l’on saiche n’a esté encores mise par escrit : nonobstant que par l'oceulte philosophie qui se faisoit par les poisons deffendue du temps de Nerva, Trajanus, Adrianus: comme plus amplement Apuleius philosophe Platonique en l’apologie æïl a fait contre Emylianus et fait quelque umbrageuse

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mention : mais pour ne sortir hors de noz limites nous descrirons la plus principalle façon qu’il se faisoit, que depuis l'invention de Medee alla par toute Thessalie, ou les femme en usoient fort. « Prenes trois pommes de mandragore et les alles cuillir tout incontinent que verres le soleil lever,et les enveloppes dans les feuilles de verbene, et dans la racine de molly herbe, et les laisses jusques à l'endemain matin à la serene : et puis prendres de lapidis magnetici de la partie ou elle refuse le fer, ou la façon se cognoist au quadrant, le poix de six grains, qui soit pulverisé sus le marbre le plus subtilement qui se pourra, l'arrosant quelque peu avec le suc de la pomme de mandragore: puis prendres le sang de sept passereaulx masles seignez par l’esle senestre, d’ambre gris le poix de 57 grains d’orge, musc le poix de sept grains, le dedens de la meilleure canelle qui se pourra trouver le poix de 377 grains d’orge, gyrofle et lignum aloes fin le poix de trois deniers, du pourpre poisson de chascune branche un oieilet qui soit confit et condit en miel, macis le poix de vingt un grain , de calamus odoratus le poix de cinq cents grains, de racine de lyris Illirica.ou esclavonie le poix de sept cents grains , racine apij risus 31 grain, du vin cretique au double du poix du tout, sucre finissime l poix de sept cents grains, qui sont environ plus d'une once. . . Et a d'autres vertus grandes pour resjouyr la personne : mais qu'il fut fait sans le lapis magneticus, que sont incom parables : mais pour avoir vertu et efficace pour la consecration de Venus est necessaire que la pierre y soit : car par la vertu la mandragore fait excitant la vertu de la semence genitale expulsive ostant l'apij risus. Et notes si un personnaige marié ensemble que l'amour de tieulx fut froide, et y eut quelque divorce ensemble moyennant par le default de l'un ou de laultre, mesmes de l'home : qui la plus grand part est attainct de l'imperfectiou que la femme n’apas, un y adjoustaut des feces l'huylle de lambre gris le poids de 31 graiu dissoulu en sang de colombe blanche et mixtioné

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avec un peu de philtre amuleti, que vient à deschasser toute hayne et rancheur, pourveu qui ne fut àfemme effrénee et enragee : qui de sa nature est maligne, car ceci la pourrait pacifier par peu de jours : mais à la fin elle seroit tousjours enclinee à sa mauvaise malignité, mesmes quand elle est procedee de parentz mauvais pleins d’occulte malice : et serait bien possible quequelques uns de l'estude de la philosophie Platonique qui voudront juger cecy pour frivole: mais s’ilz avisent bien toutes les raisons trouveront cecy estre eschappé et issu de l'eschole, æ, æ, que pleut au souverain soleil, qui est la vraye lumiere de Dieu, que nul ne fut si hardy de vouloir entreprendre à le faire, or mis que par contraincte matrimoniale : car pour en user d’amour fraudulente et libidineuse ce seroit mal ûser de son sçavoir.» -- Ce morceau curieux a scandalisé quelques personnes, placées à un autre point de vue que l’auteur. Nous l'examinerons plus tard.

On lit à la fin du chapitre xxv : « Le présent opuscule a esté redigé à la requeste d’une grande princesse. » Et chapitre XXVII : « J’ai suyvy tout le Royaume de France, au moins la plus grand part, et ay hanté et cogneu plusieurs apothi- caires, mais j’ai veu faire des choses tant enormes .... Et en exerçant la faculté de medicine, ou gist ma principale profession, ai cogneu tant d’abus, et entant de diverses citez, que pour n'offenser les oreilles des uns et des autres, je changeray de propos... Si je voulois reciter toutes les villes que j’ay practiqué, ou la medicine se faict bien et mal,nostre livre seroit par trop enorme; donnant toutesfois la palme, tant de sa cité que d’ailleurs à Joseph Turel Lecurin, de la cité d’Aix en Provence, et de present à nostre ville de Salon à François Berard. » Et au chapitre xxx du second livre: « Ici ou je fais ma residence je suis logé (pour la faculté de quoi je fays profession) entre bestes brutes et gens barbares enaemys mortelz de bonnes lettres et de memorable erudition.. » Il ne craint pas, on le voit, de déplaire aux méchants et aux sols; mais il ne blâme qu’en général, tandis qu'il

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cite avec éloges plusieurs médecins et pharmaciens de Savone, Marseille, Arles, Valence , Vienne, Lyon , Montpellier, etc. La préface du second livre est adressée au frère de Michel, maistre Jean de Nostredame, procureur au parlement d’Aix. On y voit que les meilleures confitures viennent de Gênes, de Venise et de Valence en Espagne; mais que, si l'on veut suivre les préceptes de l'auteur, on peut en faire d’aussi belles et bonnes au pays gaulois. Le style des recettes est ordinairement pur, coulant, et parfaitement clair : on comprend sans le moindre effort les nombreux détails qui se présentent à chaque page; tandis que le reste est souvent, comme on l'a vu, confus, obscur, et plein d’affronts au bon sens et à la grammaire. La préface du second livre se termine ainsi : « Doncques seigneurs à qui l’une des facultes de l'art Iatrice est cogneue en moi ne soit donnee coulpe, si à ceux qui n’ont cognoissance de medicine, ne membres aucuns d’icelle, j’ay voulu en nostre langue donner à entendre à plusieurs, qui sont esloignez de ceux qui ignorent totalement la façon de conserver leurs fruictz par composition, que si se treuvent quelques uns desplaisants, le plus grand nombre sera de ceux qui y prendront plaisir. » Ce sont des études de langue, au moins en partie. Il créoit alors la sienne. « Multa etiam adinvenit (ut erat ingeniosus] quæ obscurarent stylum, » dit Chavigny. Le second livre est suivi, dans l’édition d’Antoine Volant, d’un appendice curieux en lui-même, et qui peut jeter quelque lumière sur la pensée de l'auteur. Le voici en entier :

In commendationem celeberrimi medicæ facultatis doc- toris, Dn . MICIIAELIS Nostradami hujusce libelli, candidis Lec- toribus non exiguam commoditatem allaturi, autoris eximii,

HEXASTICHVM. Doctor ave summa dignissime laude Michaël,

Nec studiis desiut præmia magna tuis.

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Hoc reseras parvo quam plurima dogmata libro : Sicque tuus multis proderit ipse labor.

Multa doces debet quæ commendare juventus : Et tua laudabunt scripta legenda senes.

Hermolaus Barbarus envoie salut à Pierre Gara jurecon- sulte et facondissime orateur. ——- Translatée de Latin en François par maistre Michel

Nostradamus.

Le seigneur Trivulce vaillant home en fait de guerre et en temps de paix a espousé femme, une dame Neapolitaine d’une tres noble et honorable famille. Je suis esté invité au convive, mais plus tost au soupper pontificial et somptueux : mais moy aux premieres viandes que furent apporteez, je feuz saoul : et faisois plus du spectateur, que du convive. Je pense qu’il te sera bon et aggreable, 'ou aux posterieurs, si je te veulx descrire les mets, et les viandes, non pas ainsi que Macrobe envers les nostres, ne Atheneus aux Grecz par grandz volumes nous a laissé par escrit: mais tout ainsi qu'un homme occupé, et nou excedant la mesure d’une epistre. Premierement l’on donna l’eau à laver les mains, mais non pas comme devers nous l’on fait tout debout, mais bien elle feut presentée, quand un chascun l'eut assis, et partout eau rose : en apres et tout incontinent feurent apportes le pignolat en tablete et roche fait de succre, eau rose et pignons, et puis apres la tartre et massepan faits de succre, eaue rose et amandes , que nous appelons communement pains Martiens. Le second metz feurent des esparges nouvelles. Le tiers metz c’estoient le cœur, le foye et l’estomach des oyseaux : foyages les appellent nos cuisiniers. Le quatriesme metz la chair de dain rostie. Le cinquiesme les testes des jenisses et veaux boullies avec leurs peaux. Le sixiesme chappons, poulailles, pigeons accompaignez avec langues de bœufz, jambons de truye, le tout bouilly,

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adjousté avec la saulce du lymon : ainsy les cuysiniers Milanoys les appellent, ce que nous cuysiniers Venitiens appellent sermiaque. Le septiesme le Chevreau tout entier rosty, à un chasun dens une assiete d’argent, en forme quadrangulaire, avec le jus qui se fait des cerises amayres, ou comme aucuns aimen mieulx appeller, cerises de laurier, qui se fait en lieu d’un saulse et condiment. Le huictiesme tourterelles, perdrix, faisans, cailles, gryves bequeficz, et de toutes manieres de volataille, mollement et studieusement rosties, les olives Salonnoises, colymbades feurent mises en lieu de condiment. Le neufviesme un coq cuit avec le succre madefié et arroussé avec l’eau rose a un chacun des convivez dens une petite platine d’argent concave , ainsi comme toutes les autres vaisselles. Le dixiesme metz c'estoit un petit cochon tout entier rosty, a un chacun deux sus un petit vaisseauescuelle, ou i y avoit une certeine liqueur à chacune vaisselle. Le unziesme metz c’estoit un paon rosti, et pour son condiment il avoit une saulse blanche, ou plus tost ferruginée qui estoiyt de foyes pistez et d'une precieuse et aromatique composition, adjoustée selon la proportion et simmetrie : les Espagnolz l'appellent Garrouchas. Le douziesme metz c’estoit un monde tortu, et recroquillé, qui estoit fait d’œufz, laict, saulge, farine et succre : nous l'appellons saulgret. Le treziesme metz estoit cartiers de coings confitz av succre, girofle et canelle. Le quatorziesme c’estoient costes de chardons, pignons artichaulz, si vous aimes mieulx. Le quinziesme, apres que les mains feurent lavées, toute sortes de dragées, comme coriandre, fenoil de Florence amandre, anis, giroflat, orengeat, canelat , dragée musquée. Et apres ilz feurent amenes joueurs de farces, et comœ-

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-dies, batteleurs, et joueurs de goubelletz, et faiseurs de soubresaulz, joueurs de bonnes moralitez, chemineurs dessus les chordes : d'autres qui de leur bouche contrefaisoient toutes sortes d’animaulz, de toutes sortes dïnstrumentz à fleutes, joueurs de lucqs, orgues, espinetes, guiternes etpsalterions, harpes. En apres a un chacun metz les torches de cyre blanche faites en parfum et lymnicques demy dorées aloient devant et estoient concavez dedens : ou il y avoit de toutes sortes d’oyseaulx et autres animaulx de quatre piedz: et d’autant de sortes qu’il y avoit de touts oyseaulx et autres animaulx cuictz apportez à table, autant y en avoit il des vifz : une chacune table estoit adaptée avec ses sieges et son buffet: et ceux qui servoient aux privez, estoient privez: les ministres cogneuz aux cogneuz : devant toutes les autres choses, il y avoit un silence tel que nul onques de la secte Pythagorique n'y observa jamais. Dieu soit avec toy, de Milan ce VI de may M. CCCC. LXXXVIII. Michaël Nostradamus Sextrophæanus faciebat Salone litoreæ, 1552. C’est vers le même temps, et apparemment pour s'exercer, qu’il mit en vers françois les hiéroglyphes d’Horus Apollon. Cet ouvrage inédit, qui se trouve à la Bibliothèque impériale (l), se compose de cent qnatre-vingt-deux épigrammes divisées en deux livres, contenant environ deux mille vers de dix syllabes. En voici le titre: 0rus Apollo, fils de Osiris, roi de Ægipte niliacque, des notes hieroglyphiques, livres deux mis en rithme par epigrammes , œuvre de increedible et admirable erudition et antiquité. Vient ensuite un Prologue du translateur à madame la princesse de Navarre,c'est-à-dire à Jeanne d’Albret, qui ne devint reine qu'à la mort de son père, en mai 1555. Cette pièce, de 116 vers, est une collection, dans le goût du temps,

(I) Je dois à l'obligeance de M. Ferdinand Denis, conservateur à la bibliothèque Sainte-Geneviève, la connaissance de ce manuscrit et de plusieurs lettres inédites de César Nostradamus, qui se trouvent aussi à la Bibliothèque impériale.

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A -Année -1861- 80 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

de merveilles attribuées aux plantes et aux animaux, par Pline, Aristote et autres écrivains de Pautiquité. En voic le commencement, le milieu et la fin :

Nature saige mere de sympathie Par faictz contraires ce rend Antipathie

iant trouue lame par sa concorde Et la destruyre apres par sa discorde

Comme il me semble chose bien necessaire Descripre vng peu si se profond mistere

Mesmes les choses passant Lengin humain Ie n’ay traduict ces deux liures en vain Mais pour moustrer a gens laborieux

Que aux bones letres se rendent studieux Des secretz puissent sçauoir lutilite

Qua plusieurs notes comprinse est verite Que quant le docte aura veu mon prologue

Mesmes des cas secretz faict philologue Ont se pourroit quelque peu merueiller Comme nature aduoit peu trauailher

Cas diferentz surpassant sens humain , Que Epaphus mit exare de sa main

Auand de Mempbys trouues les caratheres Car ilz en feurent les premiers inuentayres Donc ie vouldrois scauoir qui est la cause

Que lelephant furieux bouger nause Se Rend souafue par le voir du mouton

Et sefïrayer sil voit en vng quanton Ou bien la voix dung ieusne couchon nai

Plus a de peur quhomme a mort condemne Et le taureau sauluaige se admitigue

Si lon latasche a larbre pourtant figue Et le cbeual puissant se rend a coup Quest eschape de la gueulle du loup

Puys est legier vollant comme arondelle La chair mangee de tout bestail que beelle

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A -Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 81

Qui a estee aux loups faicte ia proye Est sanoureuse mais la laine enuoye Force vermine et poulx vient generer

Le cheual vient soy deteriorer S’il vient marcher ou le loup sonnent passe

Si sus esquilles le loup faisoit sa trasse Il se viendioit subit tout afoyblir

Le regnard eault sachant ce vient munir. Par peur du loup d’esquilles ses cauernes Si le loup vient prenoir par ces luzernes

Lhomme en chemin le vient rendre inbecille Et de sa voix le priue et le debille

Et si le loup plus tost par l'homme est veu l se rend plus debille et plus deceu Le lyon vient safoiblir et fascher

Si sus les feulles dieuze il vient marcher . . . . . (Parlant de Yhyène :) Et si quelqung des mains tenoit sa langue

Seroit equal a mercure d’harangue Et seroit saulue des gros chiens et mastins

Et les rendrait touts barbets et satins Uug aultre cas beaucoup plus infeliee S’on enuironne de lherbe lescreuice

Du pollipode querein sens fayre faille (Il manque ici le 72° vers.)

La souris chaulue que faict son nid en pierre Meurt du perfum faict par le bois de lhyarre

Les voultours meurent par odeurs doignements Le serpent menr sil faict atouchement

Ou si on lni met dessus feulhes de chaisnes Le vent ne nuict pour fort qu’il soit aulx fresnes

Si le serpent par esle de cigoigne Sus est gectee de la plus ne sesloigne

. . . . . . . . Daultres grandz cas que nature a sagaxe Par ceux dÆgypte voions en plaine face.

xvè série 6

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A -Année -1861- 82 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Dieu et son monde son ciel le lieu terrestre - Bestes sauluaiges et princes ont voit estre Et plusieurx aulnes cas asses merveilleux

Mer champs forest et lieux delicieux. .

La troisième note ou épigramme du premier iivre est suivie d'une addition de Nostradamus que voici. Je copie en italiques ce qui est en grandes lettres dans le manuscrit: '

Annotation sus la figure de Isis. , pour la figurer aultrement que n’est soelon les antiquiss. topographie-

Felici Arabiæ repertum. .

Placuît hue ponere 0b rei venustatem quæ a nonnullis traduntut scriptoribus

Osiridis videlicet et Isidis Deorum sepulchra In Nisa Arabiæ site esse, et illhic utrique

dicatam columnam sacris sculptam litteris inque Isidi columna hæc scripta est.

Ego Isis sum Aegtpti regina a Mercurio erudita. quæ ego legibus statui. nullus solvet. ego sum mater Osirldis. ego sum

prima frugum inventrix. ego sum Ori regis mater. ego sum in astro canis refulgens. Inihi ‘Bubasta urbs condita

est. gaude gaude ‘Aegjpte quæ me nutristi .

lsidi cornua iunguntur les anciens adiouxtoient cornes a sa teste comme ung demy croissant les cornes contremont a cause de laspect de la lune que vient apparoir aux premiers iours et ainsi la fault figurer

Interpretation de Iepigramme

Dizain. Ie suis Isis iadiz royne dEgipte Que ce que iai par loix estatue

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A -Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 83

Car a Mercure t'ai este erudite; Nul ne viendra iamais prostituer

Ie suis la mere dOsiridis tue Ie fèuz la prime des fruictz inuenteresse Du roi 0rus ie feus mere et maistresse

le suis a lastre Procyon refulcie Bubast condite en feut par ma noblesse loye en Egipte. Ioye que ma nourrie.

Ce premier livre est suivi de quatre épigrammes traduites d’un très-ancien exemplaire grec des Druides. Le second se termine ainsi : « Fin des hieroglyphes de Orus Apollo niIiaque de Aegypte mises en rithme par epigrammes œuure de admirable consideration et esmerueillable litterature traduict par Michel Nostradamus de Sainct-Remy en Prouence. Puis on lit : Aultres adiouxtez par le translateur, et on trouve dix épigrammes, dont neuf sont traduites de l’édition de Jean Mercier, de1551. En voici quelques-unes, qui donneront une idée suffisante de tout le reste :

Comment ils signifioient la vie future.

signifier voulant mutation Des dorés siecles par vng futur presaige

Des monarchies par transmutation Le denontant par vn document saige

Et Yempire estre au supresme aduantaige Et non durable ni stabille ni ferme

Ils faisaient paingdre comme vng chascung aferme Deux lignes mises en perpendiculayre

Comme de taph indice si conforme Qu’il presaigoit vn grand diuin mistere (l)

(1)Jean Mercier donne en latin, à la fin de son édition grecque-latine d'Horus Apollon sept hiéroglyphes qu'il a recueilli: çà et Ià. Le premier représente une croix, suivie de cette note, que Nostradamus traduit un peu librement; Vitam aut salutam futuram indicantes, gaminas lineas ducebant, quarum transversa altera alteri in perpendiculi modum ductæ supersterneretur. Atque ejus rei nulla illis alia imppetebas ratio, nisi quod hæc divini cujusdam mysterii significatio esset. Mercier ajoute. dans la seconde de ses observations. à la fln du volume, que les Égyp-

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A -Année -1861- 84 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Comment signifioient les deux vertus principales dung Roy.

Le deux vertus principales dung Roy Signifier voulant paignent vng sceptre Vng oieil dessus pouse en bel arroy

Comme vng indice de ses nobles ancestres Vng Roy humain dominateur doibt estre

Par loieil le prince qui tout sort regardant De touts ayme estre homme docte en letres De mal son peuple en le contregardant (1).

Comment ils signifioient le Roy. Signifiant le Roy tel qui doibt estre

Ils faisaient paingdre vue mouche a miel Le Roy qui doibt aduoir dextre et senestre

Le doulx a lune a laultre aiant le fiel De vnray tel Roy est enuoye du ciel

Qui vient aulx bons vser de sa pollice L'esguilhon est par cas potenciel

Quand les mauluais fait piquer par iustice.

Comment ils signifioient la mort ou fin de l'homme. Signifiant la mort ou fin de l'homme Ilz faisaient paingdre du fil vne fuzée Et du filet le bout rompeu tout comme

Si séparé estoit. par diuisee De la quenoille (du fil) indiuisee

Par les trois sœurs toute la vie humaine Le quenoille est. par cloto mise en plaine Lacbesis file qui Puys la vient corrompre La vie de l'homme par aduenture vayne

Atropos vient qui le filet fait rompre.

(suite note 83) -tiens désignaient la vie future par une croix gravée sur la poitrine de Sérapis, et que le Taf de l'ancien alphabet hébraïque avoit la forme d'une croix. Je reviendrai sur ce point remarquable. ' a (I) Ung et Roy, omis d'abord, et ajoutés dans l'entre-ligne, sont de la même écriture, mais d’une encre différente. Cet hiéroglypbe est le second du supplément de Mercier Le suivant a été détaché par Nostradamus du 60' du l" livre, Les abeilles.

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A -Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 85

Comment il appelloient (sic) les dieux infernaulx qu'ils appèlloiênt manes. D. M.

Quant ilz voulaient leurs grand dieux infernaulx signifier paignoient vng visaige

Sens hieulx informe par dessus paingt egaulx Deux hyeulx a part comme ont voit a lymaige Par les deux hieulx ont notait dung bien saige

Les dieux entendre par mesmes document Et par la face sens hieulx estoit passaige Quon le faisait grauer aux testementz (1)

Nous verrons plus loin ce qui résulte de ces divers pas sages pour la connaissance des idées de l'auteur. Il n’y a, du reste, comme on le voit, ni ponctuation, ni orthographe. Le même mat diffère d‘un vers à l'autre. Le style, -à nul autre pareil, et de singuliers principes de versification, font reconnaître aisément l'auteur des Centuries. Enfin certaines corrections semblent prouver que ce volume in-16, de soixante-dix feuillets, est écrit de sa main. Présages et Pronostications. — Chavigny nous apprend qu'établi à Salon, Nostradamus se mit àécrire les Présages et les Centuries, qu’il garda longtemps sans les publier. Il est donc possible que la traduction d’Horus Apollon fût déjà composée en 1551, et qu’il y ait seulement ajouté depuis lesdix épigrammes qui la terminent. Quoi qu’il en soit, il fit paraître, en 1555, la première édition des Centuries, et la même année il inséra des quatrains dans son Almanach, qui, jusque-là, ne s'était probablement distingué des autres que par l’obscurité et l'originalité des prédictions. Ces quatrains, qui sont les quatorze premiers du recueil intitulé Présages, étaient placés, le premier au commencement de l'année, le second en tête d’une épître liminaire particulière (l) Celle épigramme, qui termine le manuscrit, est traduite ode la dernière note de Jean Mercier, que voici : « Manes, hoc est Infcrnos deos, significabant depicta sine oculia facie, ac superne « geminis oculis : oculis deos, ut jam dictum est, intelligentes : facie autem absque oculis, eos qui « apud lnferos sunl atque in lenebris. »

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A -Année -1861- 86 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

à cette armée-là, les douze autres en tête de chaque mois. Dans le premier, sorte de préface poétique, il dit que son âme, saisie de l'esprit divin, prévoit des fléaux, des troubles, des guerres et la mort de plusieurs princes. Dans le second, il annonce que la mer sera en sûreté sous la protection du baron de La Garde, la Provence sous celle du comte de Tende, son gouverneur, et le Languedoc sous le sien , l'heroïq de Vilars. L’épître s'adressoit probablement à eux, ou seulement au comte de Tende, qui « aimoit et estimoit » l'auteur. Les autres quatrains ne semblent différer desCenturies que par une plus grande concision, qui devient telle, dans la suite du recueil, que plusieurs n'offrent que des mots juxtaposés, sans aucune liaison grammaticale. Outre son Almanach proprement dit, Nostradamus publiait une Prognostication, c'est-à-dire des prédictions pour l'année courante. Ces brochures devinrent si rares en peu de temps, que Chavigny n'avoit pu se les procurer toutes, et qu'aujourd’hui on en trouve à peine les titres. En voici un que donne la 4' édition du Manuel du Libraire, de M. Brunet f La grand pronostication nouvelle avec portenteuse prediction pour l'an 1557, composée par maître Michel Nomadamus, docteur en médecine de Salon de Creux en Provence. Paris; Jacques- Kerver, 1557, in-4 de 12 ff., lettres rondes. Morceau écrit en prose(1). Il paroît, d'après quelquesï citations de Chavigñy, que ces prédictions en prose étaient aussi classées par mois; mais i! est difficile de se bien représenter la composition de ces Pronostîcations et celle des Almanachs, tant les renseignements sont rares et imparfaits. Un coup (Fusil vaudrait mieux que toutes les indications. On ignorait même jusqu'ici la source des Présages , parce que Cllavigny ne la désigne que sous le nom vague de prognostics ou de commentaires; mais voici un passage du

(1) Le Registre vert de la mairie de Salon confient une notice fournie par le maire au préfet, où l'on cite un acte notarié du 29 août 1561 , par lequel Nostradamus donne quittance à deux imprimeurs de Lÿon de vingt écus d'or, valant 222 francs d’aujourd‘hui our la vente des Almanachs et Pronosticalions de 1562.

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A -Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 87

Monstre d'abus, composé en I557, qui tranche cette question, et peut répandre quelque lumière sur les autres : « Qui est celuy qui puisse sçavoir que tu entends par ton indigne orné et f'esleu premier, commencement des premiers vers qu'on a recouvert ceste annee de ce tant venerable oracle de Salon? » Or, les deux premiers vers du quatrain de janvier 1557, commencent en effet, dans les Présages, par les mots en italiques. Il continue : « Que nous veux-tu aussi donner à entendre par tous tes autres vers logez de quatre en quatre sur le commencement de chascun mois ? Que vleulentsignifier ces mots desguisez s’ensuivent, contenuz en tes presages, comme au presage de 1anvier: Seront sept qui orneront le nay biparty qui les rendra confus.. Et un peu apres, an presage de Febvrier : Et commencera Deucalion à soi retirer. Qui est il ce Deucalion ? Qui le congnoist ?Tu marques en tes almanachz, au catalogue des jours, les jours prefix que les choses doivent arriver: et qu’il soit vray, que trouve lon plus communement et souvent en iceux, sur tous les jours de l'annee, que ces marques escrites : Bataille navalle, ville assiegee, victoire gallique, retour felice, lamort du grand, heureuse nativité, et une infinité d’autres telles asneries et sotteries. » Adversaires. —— Les premières Centuries ayant paru . mois de mai 1555, « tout incontinent, dit Chavigny, le bruit et renommée en courut par la bouche de noz hommes et des estrangers avec grandissime admiration. De ce bruit et fame empennée esmeu, le tres puissant Henry Il, Roi de France, l'envoya querir pour venir en Cour, l'an de grace 1556, et ayant avec iceluy communiqué de choses grandes, le renvoya avec présents. » César, Histoire de Provence, mpporte qu'arrive à Paris le 15 août, la goutte le retint au lit dix à douze jours, pendant lesquels le roi lni envoya cen écus d’or, et la reine presque autant; et qu'atussitôt hors de ces violentes douleurs, il fut envoyé à Blois pour voir les enfants de France, ce qu’il fit très-heureusement. « Quant aux honneurs despouilles royales joyaux et magnifiques pré-

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A -Année -1861- 88 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

sens qu’il reçut de leurs majestés, des princes et des plus grands de la cour, ajoute-t-il, j’ayme mieux les laisser au bout de ma plume, que de les dire par trop d’exquise vanité, craignant d’en avoir plus dit que ne requiert la modestie. » Il fut nommé conseiller et médecin du roi. Tant de gloire et d’honneurs devoient exciter l'envie, et irriter les incrédules et les protestants, ennemis naturels du prophète. Je dis les protestants, parce que, zélé catholique, il en parloit avec mépris, et ne leur anuonçoit que des revers. Ainsi, en 1552, dix ans avant les guerres civiles, il disoit, chapitre xxx du livre des Confitures : « La nompareille cité de Lyon estoit n’y a gueres pourveue d’un noble personnage d'incomparable sçavoir, qui est Phil. Sarracenus, qui des miens premiers principes, moi ja aagé, l’avois instigué, que j’ay ouy dire qu'il s’est retiré à Villefranche: illi nec invideo : mais il me semble que veu sa doctrine, qu’il ne devoit aller là : car leur regne ne sera gueres durable (1) » Trois ans plus tard, il les traite dïdiots sans testes dans le quatorzième quatrain de la première Centurie, qu’on dut certainement

(1) Que signifie cette phrase! il me semble que l'auteur, profondément catholique, s'étonne que Sarrasin, après avoir adopté ses principes universels, ait pu courber la téte sous le dogme étroit de Calvin. De Haitze l'a compris autrement. Il dit qu'ils eurent, touchant les doctrines médicales, une contestation qui laissa entre eux de la division. Astruc ajoute que ce fut apparemment pendant la maladi contagieuse de I647; ct, de nos jours, dans une biographie de Nostradamus orné de contes faits à plaisir, et d'un portrait qui ne ressemble nullement à ceux dAix et de Salon, peints par César, un mystificateur a tiré de cette donnée un des plus jolis épisodes de son roman. —— Voici encore un exemple de cette manière d’écrire l'histoire. D'Artigny avoit dit: Un médecin, pour charmer les ennuis de sa solitude s’avise de publier des éphémérides, où il parle des temps propres pour l'agriculture... — Pourquoi vivoit-il seul ce médecin? La Biographie universelle de Michand va nous l'apprendre : « ll obtint une réputation que ses confrères ne virent pas sansjalousie. Les tracasseries qu'il essuya de leur part l'obligérent de s'éloigner de l société. Vivant seul avec ses livres, sa tète s'échauffe au point qu'il crut avoir l don de connoitre l'avenir. » Ce conte, recueilli par les biographes suivants, a ét brodé parle mystiiirateur. Ses confrères cherchoient tous les moyens de le perdre Sarrasin fit courir le bruit qu'il s'adonnoit à la magie blanche (sic), et d'autres médecins des environs firent tant, qu'au bout de quelques mois il passoitpour et possédé du diable. Vivement affecté de la lâche trahison de ses anciens amis et de ses collègues, il se retira du monde, ne communique plus avec personne, et les habitants de Salon, d'admirateurs passionnés qu'ils étoient , devinrent ses plus furieux adversaires. — Qu'y a-t-il de réel au fond de tout cela? L'esprit des inventeurs

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A -Année -1861- BULLETIN DU BIBLIUPHILE. 89

leur appliquer avant Chavigny; et dans la suite, pendant la première guerre de religion, sa Pronostication pour 1563 renferma les passages suivants, où l'on voit en outre comme il écrit, lorsque bon lui semble: « Ceux qui ëessayent de destruire la sainte Messe edifiée de Jesus-Christ, s’abusent grandement : et ceux qui le feront ne dureront gueres, ains souhaiteront la restituer et remettre en son pristin estat : et pareillement esteindre, suffoquer et anichiler les autres opinions qu’ils ont, qui resemblent plus à un judaïsme que vray Christianisme. Ce sera le vouloir de Dieu, qui pacifiera le tout apres les grands troubles. —- Je ne voudroy aucunement offenser les oreilles des uns ni des autres, sçachant fort bien qu’il y en a des plus sçavans du monde en toutes sciences; si est ce que par un vray et certain jugement Astrologique, avec la consonance des sacrées escrittures, combien que ceux de la nouvelle religion ayent quelque lumière de raison, qui les vient obfusquer et obnubiler, cela n’est point durable, et ne s'y fault plus abuser. ——Quaut à ce q.u’aucuns disent, que le saint Siege Apostolique ne sera à perpétuité : combien que de tout temps se soyent trouvez des oppugnateurs, et pour le present aussi : s’ils accordent bien les saintes escrittures, ils trouveront qu’il sera à jamais pardurable : c'est à dire, jusques à la consommation du siecle. Je di ceci pour demonstrer à plusieurs devoyez, qu’ils se trouveront non moins trompez etabusez, que les Juifs en attendant leur Messie desja passé, aberrantes utique toto cœlo, totaque via (Janus, épître au roi). » «Et le PER OMNIA sera durable et permanent per omnia secula seculorum (Janus, p. 260). Mais il n’avoit pas seulement contre lui les envieux, les protestants et les sceptiques. Malgré son zèle pour la bonne cause et sa vie exemplaire, il étoit suspect ou en horreur à une foule de catholiques , qui, persuadés qu'il avoit le don de prophétie , l'attribuoient aux inspirations du démon. C'étoit une maladie de ce temps-là, dont beaucoup de gens, instruits et sensés du reste, n’étoient pas exempts, de présumer l'iniluence du diable dans tout phénomène singulier.

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A -Année -1861- 90 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

D'ailleurs, comment Dieu eût-il voulu faire une telle faveur à un homme du commun des fidèles, dont le genre de vie n'avoit rien d'extraordinaire? Un siècle plus tard, Jaubert ëattacbe encore à combattre cette idée; et j’ai trouvé à la bibliothèque Mazarine, dans un fragment d’un almanach de1631, une lettre A nos seigneurs les chancelier et conseillier de sa Majesté, signée Godefiridus Wendelinus Bethasiorunt Parochtus, où ce savant, lié avecGassendi, Peiresc et Naudé, s’exprime dela sorte : « Un grand tas de coquins, sous le prétexte de l'astrologie, font profession de magie. Tel a été, de mémoire des hommes, un certain faiseur d'almanachs, et qui a publié quelques centuries de prédictions, par l'art, comme quelques-uns pensent, L'astrologie; ou bien, comme lui-même confesse au beau commencement, par un secret estude. Aussi m’a tesmoigné le très-docte Mons. Fontaine, professeur de médecine premièrement en Avignon, puis à Aix en Provence, qui l'avoit fréquenté privémeut, qu’il n’étoit rien moins qu'astrologue, mais bien très-grand magicien, et à voirseulement une personne, il lui disoit,‘tu seras cecy, tu seras cela : comme il fit un jour, lorsqu'un pauvre frère mineur passant devant sa maison, il le salua par deux fois: Salve, sancte pater, comme lui prédisant qu’un jour il seroit pape : ce qui arriva despuis. Or le Familier de cet homme-là lui pouvoit bien former telle impression en l'imagination, veu que les mauvais esprits peuvent naturellement comprendre plusieurs choses. Et outre ce, sont exécuteurs des arrêts du ciel; et de la teneur d’iceux sçavent jusques où s’estend leur commission, quelle formalité sera observée en la procédure, quel ordre tenu, et combien durera, quels outils bons, quels mauvais y employez. » L'inquisiteur Micbaëlis, très-versé en pareille matière (l), (t) ll parvint, après de longs efforts, à chasser du corps d'une fille un diable nommé Verrine, qui le mysliioit en feignant de vouloir se convertir, et en tenant les discours les plus orthodoxes, appuyés d'une clairÿoyancc merveilleuse et de tours de force étonnants; assurant menue un jour, pour effrayer tes pécheurs, qùé l'Antechrist étoît né, et qu'if ferait mourir trois des assistants; ce que le bon

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A -Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 91

n'était pas moins hostile à notre héros, car, d’après une pièce du volume 661 du fonds Dupuy, intitulée : De la comparaisnn des prophéties de Nostradanzus avec les prédictions de l'abbé Joachim, il dit, le 25 juillet 1612,; « en son petit couvent du collège de Boissy, » qu’il trouvait dansNostradamus des choses si conformes aux prédictions de Joachim, qu’il devait les avoir puisées dans ses écrits, ou les avoir apprises de quelque savant démon, qui les eût dérobées au même ou à d'autres saints personnages; « disant encore que par les premiers quatrains de Nostradamns il se collige que lorsqu'il escrivoit ses prédictions, il estoit assis dans une chaise d'airain, et tenait son pied sur le bord d'un bassin, et un bâton orné d’herbes et de fleurs en sa main droite, en la mesme posture des oracles anciens qui sont exprimez dans la Mimica dæmonis; et que du dedans de la manche de son bras gauche sortoit une petite voix douce, qui articuloit lesdites prédictions toutes entières; et il ne faisait que les escrire en mesures mots, le plus souvent sans les entendre, pour être ravi en espèce tïenthousiasme. » Mais, dans son Histoire de Provence, publiée en 1694, messire Jean-François de Gaufridi, conseiller au parlement d'Aix, homme grave et religieux, après avoir rappelé cette imputation, presque dans les mêmes termes, sans en nommer l'auteur, ajoute : « Ceuxqui l'ont voulu faire passer pour magicien n’ont pas eu raison de se fonder sur la ma- Père, qui n'en doutait pas le moins du monde, fit consigner dans le procès-ver- bal, cf imprimer ensuite dans’ Îflisfolre admirable d"une pénitente réduite par un Magicien, la faisant sorcière; au pays de Provence, conduite à la Sainte-Baume pour y être exorcisée, l'an 16l0, son: l'authorité du P.Sébasticn Michaelis.... Paris, Chastelain, 1612. in-8. l'ancien amant de cette fille étant poursuivi comme sorcier, le parlement d'Aix écoutoit la lecture de plusieurs dépositions, attestant que le malheureux aîloit au sabbat et en revenoit par sa cheminée , lorsqu'on entend gronder celle de l'appartement, et il en sort un grand homme noir, qui secoue vivement la tète. Belzébuth vient défendre son élève. Tout fuit. Ce seroit donc une des apparitions de ce genre les mieux constatées, sile rapporteur, empêché par sa robe, qui s'accroche au bureau, n'eût adjuré de dire le but de sa visite, le ramoneur qui s'étoit trompé de chemin. (Voir Essais historiques sur le parlement de Provence par M. Cabane, conseiller à là cour royale d'Aix. Paris, 1826, t. I, ‘p. 408.)

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A -Année -1861- 92 BU LLETIN DU BIBLIOPHILE.

-nière dont il s'est décrit lui-même. Car traitant, comme il faisait, ses Centuries d'oracles, ce n'est pas merveille qu'il se soit représenté dans le même état qu'étoient ceux. qui les prononçoient autrefois. Du reste, bien des choses peuvent détruire cette opinion : sa déférence pour l'Église, à laquelle il soumit ses écrits, sa vie très-chrétienne et très-exemplaire, sa mort accompagnée de tousles sacrements, ses funéraill publiques et solennelles, son tombeau qu'on regarde encore avec vénération. » Puisque Wendelin attribue au diable la clairvoyance de Nostradamus, il n'est pas étonnant que Gabriel de Saconay, archidiacre et comte de l'église de Lyon, soit du même avis, dans sa Généalogie et fin des Huguenaux... . Lyon, Benoist Rigault, 1572, in-8. Il dit, feuillets 95 et 96, que les protestants « présentèrent dix mille livres aux maistres massons pour abatre la grande église de Saint-Jean de Lyon : et ne tint leur marché qu'à cinq cens livres; mais principalement à la bonté de Dieu, qui la préserva et plusieurs autres aussi, contre les efforts des portes d'enfer, qui' sont les entreprinses des hérétiques. Je ne puis que je ne récite à ce sujet une chose fort véritable. Deux ans.devan lesdits premiers troubles, Nostradamus estant à Lyon, fu convié à disner en une maison des plus plaisantes et aérées, en bonne compagnie. Après disner, il mit la tête à la fenestre, et demeura quelque temps contemplant ladite ville, laquelle quasi toute il pouvoit descouvrir. Estant lors enqui quelles estoient ses pensées, respondit : « J e contemple cette belle église de Saint-Jean, « la ruine de laquelle est jurée : et n'estoit qu'elle est en la protection « Dieu, à cause du service divin qu'on y célèbre si religieusement, « il n'y demeureroit en bref pierre sur pierre. » Qu'on dise maintenant que Satan n'estoit pas de la partie quand ces menées se brassoyent, puisqu'il en donnoit si bon advertissement à son favori Nostradamus. » C'est, je crois, à ces causes, et non, comme le prétendent La Croix du Maine et Jaubert. aux menteries des alma-

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A -Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 93

-nachs faussement publiés sous son nom, que nous devons attribuer les pamphlets qui parurent bientôt contre lui. Antoine Couillart-Voici le premier, composé des 1555, qui se trouve à la bibliothèque Maztarine :Les prophéties du seigneur du Pavillon le: Lorriz. A Paris,apour Jan Dallier, 1556. In—8 de trente—un feuillets. Le privilége est daté d 4 mai, et Yauteur dit : Donné au Pavillon lez Lorriz l. A Paris, pour de jan Dallier, 1556, Le privilège est daté du 4 mai, et l'auteur dit : Donné au Pavillon lez Lorriz le quart jour de janvier, l'an de grace 1555, c'est-à-dire 56. Il semble qu'il ose à peine attaquer Nostradamus, car i dit, sous le nom de l'imprimeur, qu’il « a desiré en res pondant par grande véhemence aux nouvelles prophetie louer le grand sçavoir du prophete et seulement detester la vanité. Doncque ceux qui ne cognoissent le follastre, le tiendront, comme à la verité il est, homme sçavant en plu- sieurs langues, penseront aussi ce traicté avoir estéfaict pour monstrer que Dieu, sans aultre ayde, regit et gouverne tout la machine, et peut seul, et non pas les hommes, juger de choses futures. » Il engage, plus loin, à ne prendre au criminel tant les propos invectifs qu'aucuns passages tirés d’ailleurs, qu’il dirige à quelque nouveau prophète, qu’il n’a pas voulu nommer. Mais, au lieu des invectives et des citation hostiles qu'il annonce, on netrouve guère que des plaisan- teries, souvent graveleuses, imitées de Rabelais. Ces précautions oratoires devoient avoir un motif, apparemment la crainte de mécontenter le roi et la reine, partisans de l'astrologie; et un but, la publication de l’ouvrage suivant, qui fut probablement ajournée par le voyage d Nostradamus à la cour, et qui n'eut lieu que sous le règne de François II et des Guises : Les contredicfs du seigneur du Pavillon, lez Lorriz, en Gastinois, aux faulses et abbusifues propheties de Nostradamus, et autres astrologues. A Paris, pour Charles L’Angelier, 1560, petit in-8. —— J 'ai seulement parcouru ce livre à la Bibliothèque impériale, parce que je cherchois des renseignements sur les éditions des Centuries, et que je reconnus à-plnsieurs passages qu'il datoît réelle ment de 1555. Je n’y ai vu que des raisonnements, des dé-

A -Année -1861- 94 BULLETIN DU BIBLIOPHILE. -clamations et des injures, point de faits à reccueillir, Couillart ne vise peut-être qu’à se signaler, en attaquant le héros du jour -

F. Buget (La suite prochainement.)

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B-Année -1861- ÉTUDES SUR

NOSTBADAMUS (1).

II OEuvres et Adversaires (Suite).

LE MONSTRE d'abus. — Une diatribe que je n'ai trouvée dans aucune bibliothèque, mais que j’ai, et dont voici le titre exact c'est : LE MONSTRE D’ABUS—— Composé premièrement en Latin par maistre Iean de la dagueniere, docteur en medecine et mathematicien ordinaire des landes d'anniere. - Et despuis traduit et mis en nostre langue Françofse par le More du Vergier, recteur extraordinaire de l‘uniuersité de MatefIon, et protecteur des gondz de la Haioulén.— Marinus Nouetus Nucensis — In Nostradamus. —— Nondum grammaticæ calles primordia, et audes — Vim coeli radio suposuisse tuo. — A Paris, Pour Barbe Regnault, demourant à la rue S. laques, deuant les Mathurins. 1558. Auec priuilege. — Petit in-8 de 20 feuilletsnon chiffrés. Personne, que je sache, n'a essayé d’expliquer ce titre bizarre. Voyons si l'auteur ne nous mettra pas lui-même

(1) Voir l'année I860 , page I699.(2) Lamonnoye, annotant Du Verdier. dit à ce sujet : " Tous ces noms sont supposés, sans en excepter celui de Barbe Regnault. qu'à son ordinaire cependant Lacaille a extrait d'ici pour en grossir son catalogue. " Et M. Brunet, Manuel du libraire, 4' édition, t. lll, p. 530. pense que " le nom de l'auteur est supposé, aussi bien que celui du traducteur, et peut-être même de l'imprimeur. » Mais je trouve dans le Bulletin du Bibliophilie de janvier I860, p. 916, l'annonce d'un volume intitulé : La forme et maniere de la punctuation et accents de la langue française... Paris, Barbe Regnault, 1560, réimpression de deux opuscules d'Étienne Dolet; et, dans le numéro de janvier 1861. page 65. Le cueur de philosophie, translate du latin en français à la requeste de Philippes le Bel, roy de France. Nouvellement imprime à Paris pour François Regnauit, libraire jure de l ‘Université. Il: se vendent à la rue Saint-Jacques, à l'enseigne de l’Élephant, devant les Mathurins. ln-4° goth., sans date. ll parait donc que le pamphlétaire s emprunté le nom d'un libraire existant.

xv série l6

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B-Année -1861- 242 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

sur la voie. D'abord c'est manifestement un protestant. Il parle de la république chrétienne et des excessives richesses des temples; il dit que la foi et crainte de Dieu, éternellement gravée dans le cœur, est le seul et souverain moyen pour jouir de la félicité incompréhensible de la seconde vie, et que c'est par cette seule foi, purement, fidèlement et inviolablement gardée, que la vraie et sûre immortalité nous est promiseet donnée. Voilà bien la démocratie de Calvin, sa prédestination absolue, et la justification sans le culte et les œuvres. Or quelle étoit la position des calvinistes en France vers la fin de 1557, époque où fut composé ce libelle? Henri II, craignant l'influence politique du calvinisme, et se souciant peu de voir les nobles s’emparer, comme en Allemagne, du bien du clergé, en partie à sa disposition par le concordat de 1516 ; excité d'ailleurs par Diane de Poitiers, sa maîtresse, ennemie jurée des novateurs, qui osoient la traiter de Babylonienne, avoit résolu, dès son avénement, d'extirper l'hérésie de son royaume. Différentes causes entravèrent longtemps la persécution; mais la nouvelle secte {organisant rapidement en églises, etune partie des magistrats inclinant à l'indulgence, il pria le pape, en février 1557, d'établir en France l'inquisition de Rome et d'Espagne. Une bulle du 26 avril ayant répondu à ses désirs, un édit royal en ordonna l'enregistrement en juillet. Le clergé seul devait prononcer, et le bras séculier lui obéir aveuglément. Le parlement fit des remontrances. Mais, le 4 septembre, trois à quatre cents protestants, hommes, femmeset enfants, s'étant réunis dans une maison de la rue Saint-Jacques, vis-à-vis le collège du Plessis, furent découverts et cernés par le peuple. La plupart des hommes se frayèrent un passage l'épée à la main; mais le reste fut mené en prison, au milieu des coups et des outrages d'une multitude furieuse. Les supplices commencèrent le 27 , etils continuaient en octobre, malgré des récusations, par injonction du roi, lorsqu'une ambassade de plusieurs cantons suisses, appuyée de lettres du comte Palatin, étant venue le supplier en faveur des prisonniers, le besoin du

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moment l'emporta sur la haine , on cessa de brûler, et l’on se mit à procéder par élargissement. Les auto-da-fé continuèrent pourtant dans les provinces. Les protestants publièrent des apologies pour repousser les abominations qu’on leur imputoit; Leurs ennemis répliquèrent. L'exaltation étoit grande de part et d’autre : elletenoit en partie au désastre de Saint-Quentin, et au rappel de François de Guise, le plus grand ennemi des huguenots, qui fut nommé lieutenant général du royaume, avec un pouvoir absolu, en arrivant d’Italie, le 5 octobre. Il avoit échoué dans cette campagne, et la situation étoit des plus critiques. Donc, plein de confiance dans le triomphe prochain de sa doctrine, et exaspéré du danger de ses partisans, le chef des Saints, le pape de la nouvelle Rome devoit non-seulement les défendre, mais profiter de Yoccasion pour écraser le persécuteur, leDomitien, comme il l'appelle. Les colporteurs qui, de Genève, inondoient la France de brochures distribuées sous le manteau, offroient une arme politique redoutable. Faire mépriser ce monarque inepte, esclave d’une vieille femme et d'insatiables favoris, n’étoit pas chose difficile; mais, dans l'intérêt des victimes, il falloit ménager le tyran, et ne le bafouer que sous un autre nom.Or rsonne ne convenoit mieux à ce but que Nostradamus. En le couvrant de ridicule, on remporteroit‘ une double victoire, puisque son influence étoit funeste à la cause sainte, et que des faveurs et deshonneurs qui tombent sur un indigne déshonorent un souverain. Il étoit bien aisé de faire rire à ses dépens. Voyons comment le pamphlétaire de Jean Calvin, si ce n'est Jean lui-même, a rempli cette tâche. S'adressant au prophète, il lui fait les compliments, un peu diffus, dont voici la substance. — On ne sauroit t’estimer trop, et te combler de trop de dignités, de biens et d'honneurs, si l’événement confirmait tes prédictions, surtout dans ce temps où la guerre est un vrai fléau; parce que les chefs des armées n’entreprendroient jamais rienque le succès ne fût assuré, et que la connaissance de l'avenir se-

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-roit une des principales sources de la prospérité publique et privée. Mais, puisque tesalmanachs, présages, et, toute telle race d’œuvres de semblable étoffe, ne servent qu'àenivrer de mensonges les entendements humains, les rois et les peuples ne te doivent que mépris et moquerie. Chacun sait que tes almanachs, jugements du futur et présages sont si menteurs, qu’on éprouve tous les jours le contraire de ce qu'ils annoncent. Aussi te rémunère-t-on dignement. J'étois à la cour en même temps que toi: il sembloit que tu n’y fusses venu que pour servir de risée à tout le monde. Tu saiscombien de fois tu as failli être mis entre les mains et à la discrétion des pages. Songede combien de passe- temps tu y as servi et sers encore en ton absence, voire à toute la chrétienté. Je ne vois personne qui puisse entendre ce nom sublime de Nostradamus, à la cour ou ailleurs, sans rire. Il peint un fou, d’un seul trait, aux yeux des rois, des princes, des seigneurs et de tous leurs vassaux et sujets. C’est le nom qu’aux théâtres et jeux publics on donne communément au plus sot personnage, et, à la cour, à Thony, qui l’accepte comme lui revenant de droit; celui dont, aux échecs, on a soin de nommer le fou, crainte, si on y manquait, de perdre la partie; celui dont on salue, aux tarots, le mat ou le bagat; dont on baptise, au jeu de cartes, le valet de trèfle ou de carreau; en un mot, celui qui, partout, sert de jouet. Il n’est pas jusqu'aux pages et aux laquais, voire jusqu’aux enfants qui vont à la moutarde, à qui tes papiers n’aient donné ample motif de t’honorer de la sorte. Non- seulement à la cour, où je fais mon séjour ordinaire, mais dans toute la France, on ne te nomme plus que le Monstre d’abus , et les autres nations font de même, chacune dans sa langue : l’Allemaud te nomme Sonne narritIich and water lidsellich, ou fils d'ignorance et pèrede mensonge; l’Italien, Tromba di pazzia ; l'Espagnol, Sacca muelas; le Basque, Astoa; le Gascon, Fat ; et le Provençal, Frascaire, Heteroclit, et souvent Retaillat, terme propre à ceux qui sont issus extraits et descendus des tribus et races de Judée.

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Cesse donc de vouloir nous persuader ces évidentes menteries contenues en tes petits paquets annuels, qui sentent encore leur judaïsme à plein nez. Si la dernière imputation n'était pas un mensonge, elle annoncerait un flair théologique bien subtil. Quant à celle de l'origine, non-seulement elle flétrit celui qui emploie de telles armes, mais elle prouve combien Nostradamus étoit sans reproche, puisqu'on ne rrouve rien de mieux à lui jeter à la face. Au surplus, il n'avait pas à rougir de ses ancêtres (1), et même, selon Pierre Joseph, il se glorifioit d'être issu de la tribu d'Issachar, aimant à citer ce passage des Paralipomènes, liv. I, chap. x11 : De filiis quoque Issachar viri eruditi, quid noverant singula tempora, ad præcipiendum quid facere deberet Israel. Il est même possible que le début du pamphlet soit une allusion à ce passage. Quant aux railleries dont tout le monde accable Nostradamus, c'est évidemment une fiction de son ennemi, destinée à affaiblir l'influence du prophète, en faisant rire la foule à ses dépens. L'auteur exagère trop pour qu'on le prenne au sérieux. La cour est un pays où les gens sont ce qu'il plaît au prince, ou, s'ils ne peuvent l ‘être, tâchentau moins de le paroître. Si Nostradamus eût jamais été l'objet de la risée publique, l'histoire et le langage en auraient conservé le

(l) On ne peut guère douter que son trisaieul paternel ne fût cet Abraham Salomon, deSaint-Maximin, très-savant et renommé en la science de médecine. grand et célèbre philosophe, que le roi René prit à son service, en 1445. et voulut exempter de toute judaïque imposition, distinction la plus honorable que l'on pût accorder à ceux de cette loi : car c'est le seul, entre plusieurs médecins juifs au service de René, que César ait nommé dans son Histoire Je Provence, ou je puise ces détails. C'est son fils ,sans doute, qui changea de nom et de religion, et dont César raconte que Pierre de Nostredame, fameux et docte médecin, bien versé aux langues, bisaïeul de Michel. fut mis. en 1469, au service du duc de Calabre, qui le garda toujours, comme fit aprèslui le bon René. ll avoit choisi pour devise une roue brisée d'argent, dans un champ degueules, avec les mots soli Deo, armoiries conservées par ses descendants. Chavigny ajoute que le bisaïeul maternel de Michel étnit un autre médecin du même roi, nommé Jean de Saint-Remy, qui lui donna , cumme en jouant, un premier goût des sciences célestes. " Ce fut sans doute à Saint-Remy en Provence, où le prophète naquit le 14 décembre I503, de Pierre de Nostredame, notaire au mémc lieu, profession qui n'était pas alors dérogeante à noblesse.

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souvenir. Ainsi la vogue immense de ses prophéties est constatée dans notre langue par l'emploi de Centurie pour Quatrain, qui ne peut avoir d'autre origine que l'ignorance de la foule. Nostradamus étoit sans doute un objet de raillerie pour bien des gens, mais il avoit d'innombrables admirateurs. « Ce seroit chose superflue, dit Chavigny, si je vouloit icy deduire par escrit combien de gens doctes, grands seigneurs et autres arrivoyent à luy de toutes parts et regions comme à un oracle : et ce que S. Hierosme disoit de Tite Live, je le puis affermer de cestuy, que venans en laFrance cerchoyent en icelle autre chose pour voir. » Le plus fameux écrivain d’alors, après lui, Ronsard dit, il est vrai, s'adressant à la France après la conjuration d’Amboise :

Tu te mocques aussi des prophetes que Dieu Choisit en tes enfans, et les fait au milieu De ton sein apparoistre, afin de te predire

Ton malheur à venir, mais tu n’en fais que rire.

Mais il ajoute :

Ou soit que du grand Dieu l'immense eternité Ait de Nostradamus l'enthousiasme excité,

Ou soit que le Demon bon ou mauvais l'agite, Ou soit que de nature il ait l’âme subite,

Et outre le mortel s’eslance jusqu’aux cieux,... Comme un oracle antique il a dès mainte année

Predit la plus grand part de nostre destinée.

Notre pamphlétaire a plus beau jeu en attaquant le style du prophète. Choisissant les ‘phrases les plus étranges de la pronostication de 1557, il en expose une vingtaine à larisée du lecteur. Voici les plus singulières, et les sarcasmes du meilleur aloi. « Tes écrits sont une obscure nuit, qui enfante une infinité de songes. Que désires-tu qu'on entende par les mots qu suivent : Mars et ses marteaux quelques dissimulations qu'ils facent, seront grandement desplaisans de la captivité

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de leur chef. Après, y a bien encores à deviner sur ces beau motz : La sattrapie ne sortira en plain affect; mais le sattrape tient l’opinion qui dit. « Oderint dum « metuant.» Ne voilà t-il pas de beaux termes et graves, et fort bien choisis pour faire entendre sa conception ? Voici encores un beau petit trait des tiens, qui n'est pas de trop mauvaise grâce. Se trouveront plus de voirres cassez que de vaisseaux, combien que l'un ne se pourra garder peu à peu le tort, et celuy qui point n'y pense et casse sans umbre, et sans umbre l'expédition vaine sera vaine. Y a-t-il au monde un seul homme, ayant pris la peine de lire ces élégants et graves mots, qui ne les juge issus dela tête d'un Triboulet à triple marotte ou d’un fou à double rebras? Voici encore un autre propos basti presque de semblable matière : Celui par mer qui apert estre petit rat apparoistra bientost pire que lion, et à l'assiegement sera regretté le grand lion. Je ne me puis assez esbahir comme tu ne meurs de honte de présenter aux hommes ces lourderies, aussi peu entendues de toy que d’eux. Et de ce qui suit, qu’en penserons-nous? Le temps que plusieurs citez seront en rebellion, et vrayment citez, le pasté sera descouvert, ne pour cela sera imposé silence telle que par les pristines nesortira rien en efect. Parmi tant de gens qui ont lu tes écrits, je ne trouve personne qui ait deviné ce que tu veux faire entendre par cela. Il me semble chose bien nouvelle qu’un mathematicien ou astrologue se mesle de la pasticerie. Mais tu veux nous persuader, je pense, que tu n’es pas moins habile en cet art qu’en l’autre. Voici encore, à la suite de ce propos, quelque chose de joly, couché par escript en termes aussi bien ordonnés que familiers et intelligibles. La decoctionz les pavotz sera tel experimentement à la cité par la satrapie tirannisée, que plusieurs pour ne tomber entre les espauges tirannies convertiront leurs mains propres après la vengeance surprinse. N’est-ce rien que cela? Selon moi, c’est quelque chose de friand, et qui importe beaucoup à la santé de la religion chrestienne. Mais qui se flatteroit de l'entendre pourroit bien se vanter aussi d’avoir blanchi un more en le la-

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vant. Que dirons-nous encore de ceci ?’L'esperance des sicones dommagera plus les seclistes qu’il ne les augmentera. Dieu tout puissant, de quelle race de langaige ce rapetasseur de vieux songes nous vient effaroucher les aureilles. Entre autres choses je treuve que tu as bonne grace, et parles certes beaucoup mieux que tu ne sçais, quand tu t’adresses à toute bride a troys de tes calumniateurs, les appellant bestes brunes et ignorantes, pour ce comme tu dis qu'ilz se meslent de vouloir ensuivre ton umbre; vrayment tu n’as pas trop mauvaise cause et raison de les blasonner de la sorte; et en cecy je te veux ayder, car j’estime encores ceux-là pis que bestes bruttes qui s’annusent à vouloir ensuivre l’umbre (l’une trop inutile umbre. Quoy que ce soit tu tasches par tous moyens à leur faire belle peur, les menaçant de les voir sur l‘ issuede ceste année en telle extremité, qu'ilz n'auront pas seulement le loisir de parler .- comme si le fil de leur destinée ne dependoit que de ta main. Mais Dieu seul a qui toute souveraineté apartient, et qui seul sonde et mesure la grandeur des bonnes et mauvaises voluntez, te fera mentir en cela, et gardera bien que son peuple ne t'aura enautre opinion que d’abuseur autheur de mensonge, et de damnable superstition : au moins tant que l'opinion te tiendra de continuer a coucher par escript ses abusions dommageables, pleines de songes et inventions superstitieuses, contraires à la foy et religion chrestienne. Laisse donc je te prie toutes ces sottes façons d’escrire non moins escandaleuses que dommageables, et n’employe plus ton temps a œuvre si ville et tant ennemy de verité : ou si ta deliberation est de ne changer point d'opinion, ains d’estre toujours plus affectionne à nous abrever d’an en an des fumées de ton vagabond et lunatique cerveau: Elforce toy au moins de te rendre autant obligé a la verité, et si aysé à te faire entendre, que tu t'es monstre facile et veritable sur la fin de tes presages, à l'endroit où tu dis en latin. Unus erif omnibus fabula. Car je te puis bien asseurer, que dez l’heure que tu commenças a dessiler ton œil astronomique pourpre-

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-sager et juger du futur, tu ne predis jamais chose qui plus aprochast de la vérité que ceste icy, que chascun trouve fidelement prophetisée de toy mesme, et ne deplaise à l’oracle d'Apolon qui jadis eu Delphe donnoit responce des choses à venir, que de sontemps et tandis qu’il estoit en crédit, il ne donna jamais responce si veritable pour autruy que de nostre temps l’oracle de Salon a prédit et prophetisé de soy mesme. » -- Si tu pensois qu’il n’y eut que cela de répréhensible dans tes écrits, tu te tromperoisfort, car j’en ai laissé pour le moins dix mille fois autant, afin de ne pas tant me souiller dans tes ordures, sur lesquelles tu veux te forger je ne sais quelle immortalité,comme le prouvent deux de tes vers, placés au premier feuillet de tes écrits, qui sont adressés à ceux qui tant de fois t'ont fait mort. Tu t'abuses fort en cela, car ta réputation est déjà plus que morte et ensevelie, incapable d’arriver jamais à la postérité, si ce n'est, d’aventure, pour lui servir de fable et de jouet, comme à nous. Tu ressembles à ce fou qui, ne pouvant s'immortaliser par des actes vertueux et louables, voulut perpétuer son nom par une tache d'infamie, en brûlant le temple d’Éphèse. Je ne vois aucun des autres almanachs qui approche tant soit peu des asneries et batteleries des tiens ni même qui en ait envie. Tu affectes de marcher seul comme le prince de tous les astrologues de notre temps; et tu ne sais pas seulement les rudiments de l’art et science dont tu te mêles. Est-il au pouvoir d’un homme de connoître les événements futurs, soit par le cours des astres, soit par aucune antre science ou expérience; et, pour comble de ridicule, de désigner le lieu et de marquer le jour? Il te faudroit forger des hommes de ton humeur pour le leur faire accroire. -Tu entreprends sur les hauts secrets de Dieu ; tu veux ravir le ciel au Tout-Puissant, seul seigneur d’icelui et de toutes choses. » Avant de finir, il se moque ainsi de Henri II : « Je croy que lorsque tu deliberas lui adresser et offrir tes povres petis traictez et discours du futur, tu cuidois volontiers que ce fut ce cinquiesme Empereur des Babiloniens après le regne de

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Sémiramis appelle Bellochus, de qui on ne trouve rien escript, fors qu'il s'adonnoit et amusoit aux prononstications et almanachz. Mais si ainsi est, tu te trompois du tout : car nostre Roy s'adonne à œuvres trop plus haultes et louables, et dont l'hystoire décrite aletera à jamais la memoire de la postérité. » Quelle sanglante raillerie, dans la bouche d'un calviniste, contre ce fantôme de roi qui, après le désastre dû à l'incapacité de son favori, s'empresse de confier à un autre les rênes de l'État, pour mieux activer lui-même les supplices, bien qu'il n'ose plus y assister, depuis qu'un regard l'a glacé d'épouvante, et l'a poursuivi longtemps nuit et jour! Il conclut en lui disant que, puisqu'il mourroit de faim, sans aucun doute, s'il n'avait d'autre gagne-pain que ses labeurs nocturnes et lunatiques, il le prie , dans l'intérêt pu- blic etdans le sien, de quitter une si étrange façon d'écrire, inouïe jusqu'à ce jour, afin qu'on oublie peu à peu se; fautes passées, le voyant résolu de mieux faire à l'avenir. Mais il ajoute, au lieu d'amen : ΠΡΑΓMΑ ΚΡΕΙΣΣΟΝ ΕΛΠΙΔΟΣ (ce que l'on ne peut espérer). Notre calviniste, homme de cour ou soi-disant tel, est donc un helléniste. Calvin savoit le grec, mais son lieutenant Théodore de Bèze, l'enseignoit à Lausanne d'une manière distinguée. C'étoit d'ailleurs le grand pamphlétaire du parti, celui que Ronsard se plaisoit à provoquer, en 1563, comme un adversaire digne de lui, dans sa Réponse aux injures et calomnies de je ne sais quels prédicantereaux et ministreaux de Genève. Seroit-ce donc l'auteur de la Comédie du pape malade, traduite de vulgaire Arabic en bon Roman et intelligible, par Thrasibule Phenice, et de I'Histoire de la mappe-monde papistique, composée par FrangideIphe Escorche-Messes, et imprimée en la ville de Luce-Nouvelle, par Brifaud Chasse-diables, qui auroit écrit Le monstre d’ abus ? Bèze est un railleur insigne. On lui attribua le distique:

Nostra damus cum verba damus, nam fallere nostrum est, Et cum verba damus, nil nisi nostra damus.

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D’ailleurs, il avoit à se venger du 45è quatrain de la pre- mière centurie, où se trouvent ces deux vers» :

Beste en théâtre dresser le jeu scenique, Par sectes monde confus et schismatique,

dont le premier est ainsi commenté par Chavigny: Il reprend l'ignorance de leurs ministres, et se rit de leurs assemblées : explication si naturelle, qu’elle dut se présenter d’abord aux lecteurs; et que, dans ce siècle d'anagrammes, on dut trouve aussitôt, dans Beste, Bèze, qui d’ailleurs signait Besze. C’est sans doute par discrétion que Chavigny n’a pas indiqué ce jeu de mots. Quoi! des jeux de mots dans la bouche d'un prophète! —Oui, monsieur! Nostradamus. en est plein :.j’en soupçonne même deux autres dans le vers en question. C’étoit la mode alors. Non-seulement on raffoloit de l'anagramme, renouvelée des Grecs; et le Pindare français. Dorat, qui l'avoit popularisée, trouvoit Rose de Pindare dans le nom de son plus illustre élève, Pierre de Ronsard; mais on se gardait bien de s'imposer des règles sévères. Comme on aimoit à rire, on n’étoit pas difficile sur les moyens; on alloit jusqu'au véritable calembour. Pourquoi pas? Cicéron l'avoit bien fait. Mais le bon goût suprême tiroit le jeu de mots du grec ou du latin, trouvant, par exemple, rabie læsus dans Rabelais, vrai triomphe pour ses ennemis; ou bien пάς хείρ, tout main, dans Pasquier, lorsqu’un peintre l'eut représentésans les siennes. Une pareille découverte illustroit son heureux auteur, et faisoiit la joie de tout le monde. Cela posé, voyons si nous ne trouverons pas dans l’histoire de Bèze la clef du titre bizarre que nous voulons expliquer. Né avec les plus heureuses dispositions, Théodore fut confié, dès l'âge de neuf ans , en 1528, à un excellent homme, Melchior Wolmar, savant helléniste et jurisconsulte, qui le traita comme un fils, lui enseigna tout ce qu’il savait, et lui inculqua les opinions de la réforme, dont il fut en France l'un des premiers apôtres. Il ne quitta ce second

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père qu’au bout de sept ans, plein de reconnaissance et de vénération pour lui. Après avoir terminé ses études à l’université d’Orléans, il vécut assez longtemps à Paris dans la dissipation; mais, à la suite d'une maladie grave, ayant renoncé, en 1548, à deux bénéfices, dont il étoit pourvu, il se rendit à Genève, où il épousa une femme qu'il aimoit, et changea de religion. Wolmar, appelé à l'université de Tubingue, par Ulrich, duc de Wurtemberg, qui avoit embrassé la réforme, y occupoit la chaire de jurisprudence. Bèze réunit à lui, et ne le quitta, l'année suivante, que pour enseigner legrec à Lausanne, où il demeura jusqu’à la fondation de l'université de Genève, dont ilfut nommé recteur en 1559. L’un de ses principaux ouvrages, Confessio Christianæ fidei, et ejusdem collatio cum papisticis hæresibus, est précédé d’une épître latine, datée de mars 1560, qui renferme l'abrégé de sa vie , et débute ainsi : Theodorus BezaVezelius Meliori Volmario Rufo, præceptori et parenti plurimum observando, gratiamet pacem a Domino. Pourquoi défigure-t-il ainsi le nom de son maître? et pourquoi la Comédie du pape malade est-elle traduite du vulgaire Arabic en bon Roman et intelligible, par Thrasibule Phenice (l)? Si le Monstre d’abus est aussi de Bèze, la solution de ces problèmes peut nous faciliter celle des autres Thrasybule, chef des bannis athéniens, rentra dans sa patrie à main armée, et y fit triompher la démocratie. Son nom signifie résolution hardie, projet audacieux. Bèze ne vouloit pas rester prudemment en Suisse,comme Calvin mais rentrer en France et y fonder à tout prix la démo- (1) En voici le titre complet : Comedie du pape malade et tirant à la fin. où ses regrets et complaintes sont au vif exprimees, et les entreprises et machinations qu'il fait avec Satan et ses supposts pour maintenir son siege Apostatique, et empécher le cours de l'EvangiIe. sont cathegoriquement descouuertes. Traduit du vulgaire Arabic en bon Roman et intelligible, par Thrasibule Phenice. Avec privilege. A Geneve. MDLXII. Petit in-16 de 72 pages. —— Les personnages de cette boufonnerie en vers sont: Prestrise, le Pape, Moinerie, Satan, l'outrecuidè Philante son valet, l'ambitieux, l'affamé, l'hypocrite, le zélateur, Vérité, l'Église Les premières éditions parurent en I561.

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-cratie religieuse. Sa conduite le prouve assez. — Phénice, en grec et en latin, signifierouge, Phénicien, Carthaginois, et l'oiseau merveilleux qui renaît de sa cendre, emblème naturel du christianisme régénéré, dont le vaillant champion est ennemi juréde Rome, Carthaginois. — Le vulgaire Arabic est le jargon des Bédouins, une langue corrompue, qui diffère autant de l'arabe littéraire que l'italien du latin; c'est, en un mot, celle de la cour de Rome ‘et du pape malade.—Le bon Roman et intelligible, c'est le François, que tous les fidèles comprennent, et que la bonne et véritable Rame préfère au latin. Bien mieux, si l'on décompose Arabic, on obtient un vase de malédiction, vrai symbole du clergé de Babylone; tandis que le pape de Genève et les siens sont des élus, de purs vases d'élection. Wolmar tient de près à Wohlmæhre, bonne nouvelle, Évangile, qui va parfaitement àun mage, un Melchior. Mais fi donc ce n'est pas de l'allemand que l'on tire un jeu de mots. —Latinisons ce nom barbare : nous aurons vol, qui nous offre l'idée de bonne volonté, comme dans Volumnus, de vol et alumnus, dieu tutélaire des nouveau-nés, des nourrissons; puis Marius, chef et représentant du parti démocratique, un second Thrasybule. Wolmar protégé le jeune Marius, son fils, ou plutôt les jeunes Marius, caril eut aussi pour élève Calvin, qui lui dédia l'un de ses ouvrages. Il les protégé par soncré- dit auprès d'Ulrich, et, lui-même, il est de cœur un Marins; mais il vaut mieux que l'ancien, parce que c'est la démocratie religieuse qu'il veut faire triompher : de là Melior pour Melchior. Mais pourquoi ce surnom de Rouge, Rufus ? C'est non- seulement parce qu'il est ennemi de Rome ou Carthaginois, mais parce qu'il est né à Rothweil, hameau rouge, signe manifeste de sa haute prédestination. Marius venant de mas ou mar, Volmarius peut encore signifier bon mâle, charmante allusion pour ces ennemis du célibat religieux. - Vous rougissez, lecteur. Songez que Rabelais vient de mourir, que son livre est dans les mains de tout le monde, et que Bèze est prédestiné à faire des plaisanteries de ce genre; il les pousse

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même quelquefois un peu loin. Mais rassurez-vous: je ne dirai pas tout, je ménagerai nos pudiques oreilles. Passons maintenant au Monstre d'abus. L'anagramme est jolie, parce que, de légers changements de lettres opérant la métamorphose, on découvre aisément la première forme sous la nouvelle. Monstre d'abus est aussi la clef principal de tout le titre. Nousexpliquerons en effet les mots obscurs en y changeant une ou deux lettres, et en les traduisant latin, comme on le fait pour trouver Nostradamus sous Monstre d'abus. Ces ruses de l'auteur pour déguiser pensée sont empruntées de son adversaire inépuisable e ce genre. Les détails dans lesquels nous allons entrer ne seront donc pasun hors-d'œuvre, mais une étude préliminaire, un prélude à celle de Nostradamus. Composé premièrement en latin est une formule de temps-là. Écrire en cette langueétant plus facile, c'est par là que l'on commençoit, puis on se traduisoit en français, quelquefois même on feignoit de s'y être pris de la sorte. Mais je n'admets rien de banal dans ce titre; et le latin , le grec ou l'hébreu, doivent me rendre compte de tout. — Je procède comme si j'expliquois Nostradamus. J'ai mon idée, mon but : composé ne me convient nullement. J'en mine donc les divers sens de compositum, et, laissant ce qui ne me va pas, je m'arrête à combiné, imaginé. Voilà mon affaire. — Latin vientde Latium, qui vient de lateo, ' vient de λħθω, (?)* qui vient de la caverne de Loth. Donc en latin veut dire ici latenter, en secret; car il ne faut pas ébruiter à Genève nos plans de guerre contre la France. A Par maistre Iean de la dagueniere. Jean est le disciple fidèle qui suit son maître jusqu'à la mort, taudis que Pierre le renie et l'abandonne. Maître Jean, c'est Jean Calvin, le chef des saints, des élus, dont Bèze et les autres acceptent les dogmes, font les volontés et justifient les actes : témoin Servet. —La daguenière, c'est Genève (1) Tel qu'il est, ce (l) La petite initiale de daguenière représente la faiblesse de cette Rome nais- * 2è lettre incertaine

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mot n’offre aucun sens. Mais la Daguanière est l’habitation de celui qui dague les ânes; et tag, radical latin, passant, dans ses modifications, de l’idée de contact à cellesde frapper, piquer, même foudroyer, duper, railler, la Taganière est l'asile, la forteresse, d’où l’on frappe, perce, foudroie, couvre de ridicule ces malheureux. ‘Les ânes sont les papistes, et avant tout Henri II, sans compter Nostradamus, qualifié, dans le pamphlet, de docteur .à longues oreilles, de roussin d’Arcadie, de poète à couronner de chardons. Docteur en medecine et matematicien ordinaire des landes d'anniere. La vraie médecine étant celle de l'âme, l'inspiré qui démontre le secret de la vie éternelle, méconnu depuis douze siècles, est certes le docteur en médecine par excellence. — Matematicien, sans h, ne vient pas de ma- themat-icus, mais bien de mate-maticus, mate-fou. En effet, mater, humilier, abattre. et, aux échecs, faire le roi mat, le réduire à l'impuissance, vient du radical mat, qui signifie, comme verbe, rendre vain, faire échouer; comme nom, vanité, folie, fanfaronnade’; et, avec la désinence adjective, un insensé, un fou. — Ordinaire a ici, outre le sens que nous y attachons, celui d'ordinarius, conforme à l'ordre, c'est-à-dire à l’ordre véritable, comme l'élection des "ministres du saint Évangile » à Genève ; tandis que ordination romaine, et les effets qu’on lui attribue, sont une momerie scandaleuse et un mensonge diabolique. —-Les landes d’ annière sont le pays des ânes Le nom d’Asnières, près Paris, et de quelques autres villages, vient de ce que leurs habitants, pour tirer parti d'un sol infertile, multiplioient l'animal patient et robuste, modèle de sobriété. Mais ce seroit trop général. Aussi n’y a-t-il pas Asnières, mais annière. Pourquoi ces deux n.? Pour flétrirdu même coup le tyran et sa Babylonienne. C'est une allusion palpable au

(suite note 254) -sante; et la grande, qui doit la remplacer, sa grandeur future. Les ruses de ce genre sont fréquentes dansNostradamus. (I) La minuscule d'annière figure l'affaiblissement de la puissance des ânes, et spécialement l'absence du premier officier militaire de la couronne, le connétable Anne de Montmorency, fait prisonnier à la bataille de Saint-Laurent.

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nom de celle-ci. Les deux n représentent deux ânes. Or di signifie double : diaule, double flûte; diphthongue, double son. Ainsi, comme le roi et sa maîtresse, double âne et Diane ne font qu'un. Ce n'est pas galant, mais s'ils l'avaient tenue, ils l'auraient pendue ou brûlée vive. Et despuis traduit et mis en nostre langue Françoise par le More du Vergier. Despuis est un mot si grave et si mystérieux que je recule devant ses profondeurs. Chacun sait que la vérité est au fond du puits. Mais l'auteur, parlant au pluriel, veut désigner les différentes sources où il a puisé les vérités admirables contenues dans sa brochure. C'est d'abord ce puits de science nommé Calvin; puis sans doute les conseils de Viret, Farel et autres élus; puis enfin la verve satirique et bouffonne d'où jaillira bientôt la Comédie du pape malade: Je ne dis rien d'une foule d'autres sens.- Traduit me prouve de nouveau que ce libelle n'a pas été composé d'abord en latin, mais en françois. En effet traducere, faire changer de lieu, signifie aussi faire passer d'un état à un autre. C'est précisément ce que Bèze a fait en donnant à l'idée, au projetou au plan de Calvin sa forme actuelle. — Traduit et mis en nostre langue. Rien n'est plus nostradamique que ce pléonasme apparent. C'est une sottise en fiauçois : preuve qu'il faut demander au latin le secret de ces deux mots. Mis venant de missum, envoyé, lâché, lancé, veut dire introduit, colporté, dis- tribue’, semé à pleines mains en France, par les innom- brables émissaires de la propagande calviniste. — En nostre langue françoise, parce que les novateurs préféroient le François au latin, afin de mieux répandre leurs opinions dans les masses. — Par‘ le More du Vergier. Le More, de morus, noir, c'est Wolmar, parce que, des trois mages, Gaspard, Balthazar etMelchior, c'est le dernier qu'on représente comme un nègre. Le Vergier ou verger, c'est Bèze, que Wolmar s'est plu à cultiver, à enrichir de connoissances précieuses, qui portent maintenant des fruits délicieux, comme ce titre. Mais ce n'est pas Wolmar,c'est

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Bèze qui a exécuté le plan de Calvin; il faut donc lire le Vergier du More. Si l’auteur ne l’a pas écrit, c’est que More va mieux comme nom de personne, et verger comme nom de propriété. C'est dire aussi plus énergiquement que ce qu’il a de meilleur et ce qu’il fait de mieux, on le doit à Wolmar. Recteur extraordinaire de l'uniuersité de Mateflon. Il nargue, par ces métaphores, François de Guise, lieutenant général du royaume, et l'université de Paris, ennemie déclarée des novateurs. L'Université de Mateflon est la ligue des prédestinés, dont le général en chef va diriger les efforts contre les infidèles. Félon signifioit non-seulement traître, mais cruel, inhumain. Le félon que les saints veulent mater, anéantir, c'est le Domitien, le Phalaris, Henri II. L’e de félon est supprimé pour rappeler phlox flamme, et phlégeïn, brûler. Messieurs les élus brûloient volontiers les mécréants : Le fer et le feu devoient en purger la terre. Mais le tyran ap- pliquant ce principe aux élus eux-mêmes, Calvin députa Bèze, Farel et Budé vers les cantons protestants, pourréclamer leur intercession en faveur des victimes. Bèze, chef de l’ambassade, dirigeantlattaque aussi bien que la défense, est lieutenant général du pape de Genève, ou recteur extraor- dinaire des Matefélon. Et protecteur des gondz de la Haioulén. Ce dernier mot n’a aucun sens. Mais Hagioulë se compose de hagios, saint, et d’oulé, cicatrice. La papelardise et l'idolâtrieont fait de ce monde un ulcère immense, une plaie hideuse, qui n’est bien cicatrisée que dans la partie de la Suisse françoise où règne le calvinisme le plus pur. Cardo, gond, veut dire aussi ligne tirée vers le nord, et limite. C’est Lausanne, dont le territoire, inondé de lumière, touche le canton de Fribourg et le Valais, plongés dans les ombres de la mort; Lausanne,» où Bèze veille à la pureté de la foi, à l'intégrité de la cicatrice sainte. Il en est le dieu protecteur, comme Carda était la déesse tutélaire des gonds, considérés comme un emblème de l’union conjugale et de la vie de famille, dont le monachisme est le tombeau. Il est naturel que ce protecteur écrive

xvè série. 17

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B-Année -1861- 258 BULLETIN DU BIBLIOPHIILE.

oulén au lien d'ouIé, parce qu’oulèn étant comme le pluriel d’oulé,salut! hagioulén doit signifier Vivent les saints! Cette manière curieuse de modifier un mot pour lui donner un se- cond sens, indépendant de celui de la phrase, mais fortifiant ou complétant l'idée principale, est familière à Nostradamus. Marinus Nouetus Nucensis in Nostradamum. Marinus. c'est Phénice. Comment cela? En cherchant le sens de ce mot, je rencontre Marin de Tyr, ancien géographe, qui me rappelle que Tyr étoit surnommée la Reine des mers, et que les marins par excellence étoient les Phéniciens et les Carthaginois. J ’y vois en outre maritus, allusion au fait capital de la vie de Bèze, sa démission de ses bénéfices, pour tenir sa promesse de mariage à sa maîtresse, et le changement de patrie et de religion qui en fut la suite. Marianus, partisan de Marins, de Calvin, de Wolmar. —- Novetus ne m'offrant aucun sens, j'essaye non vetus, qui va fort bien à maritus : il est amoureux comme le premier jour.Mais c'est une épée à deux tranchants, c'est un reproche amer au papisme, dont les abus l'empêchèrent si longtemps d'épouser la colombe, la Sulamite, la parfaite, qui adore en lui le plus beau des hommes. Novetus m'indique aussi Novatus, diacre de Carthage, qui se rendit à Rome, où il s'unit, en 251, avec Novatien, premier antipape, d'une grande austérité de mœurs et de principes : Bèze et Calvin. — Nucensis. De même que l'a de nuptiæ s'est changé en o dans nopces, on traduiroit Nucensis par de Noce, s'il y avoit une ville de ce nom. Mais comme il n'y en a point, et que madame Bèze se nommoit Denosse, c'est dans ses bras qu'est la vraie patrie du bienheureux prédestiné. Enfin, si nous lisons Lucensis, nous avons un citoyen de Luce-Nouvelle, de la cité radieuse où Frangidelphe Escorche-messes publiera, dans quelques années, son Histoire de la mappemonde papistique(1)Lu-

(l) Frangidelphe ne serolt-il pas une allusion fanfaronne au Monstre d'abus! Je ne vois pas que l'hisroire de la mappemonde assimile personne à un oracle; tandis qu’à propos d'Unus erit omnibus fabula, le Monstre compare " l'oracle de Salon " à celui de Delphes.

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B-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 259

censis veut dire encore épée de lumière. C’est l'ardente polémique de ce bon Théodore, et le rôle qu’il veut jouer en France.

Nomlum grammaticæ calles primordia, et audes Vim cœli radio suposuisse tuo (1)

Ici le pamphlétaire dit tout bas au prophète : « Je sais fort bien que l'inspiration n’est pas fille du rudiment, et je comprends assez ta langue pour admirer ton habileté sous ton masque de folie. Mais nous sommes ennemis, et je te mets des oreilles d’âne devant la foule. a» A Paris, Pour Barbe Regnault, demeurant a la rue S. laques, deuantles Mathurins. Auec priuilege. —- A parihis, par un gaillard qui ne les craint pas. Toujours les ânes. His est le cri déchirant de ce pauvre animal, lorsqu’il veut chanter. - Pour faire la barbe au règne , à ce gouverne ment qui demeure attaché au culte des idoles, et s'obstine à persécuter les élus. Les premiers inquisiteurs en titre, le dominicains, prirent le nom de jacobins, parce que la première maison qu'ils eurent en France étoit située rue Saint Jacques. — Le mal saint Mathurin étant la folie, devan les Mathurins est un sarcasme de huguenot contre des prêtres attachés au collége du Plessis, qui découvrirent et signalèrent au peuple la réunion du 4 septembre, rue Saint-Jacques, en face de ce collège. —7- Avec privilège est une dernière moquerie : « Nos brochures inondent la France à ta barbe, tyran. Notre privilège, à nous, c'est l'inspiration; c'est la loi vivante, la loi privée. » Si je n’ai pas deviné, lecteur, faites-le vous-même : je suis au bout de mon latin. Si Marinus Aïovems Nucensis ne dit pas, de neuf manières, Bèze, je jette ma langue aux chiens. (t) Je ne comprends pas le retranchemcnt d'un p dans suposuisse. Ce n'est pas une faute d'impression, car on en trouve peu dans la brochure, et le titre a du etre l'objet d'un soin tout particulier. Je présume donc que c'est une allusion à quelque chole que j'ignore, et qui, peut-être, s'étoit passé entre l'auteur et Nostradamus.

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VIDEL. -La même année parut la Declaration des abus, ignorances et seditions de Michel Nostradamus, de Salon de Craux en, Prouence, œuure tres-utile et profitable àun chacun. Nouuellement traduit de latin en François. Auec privilege. Imprimé en Auignon par Pierre Roux et Jan Tramblay, In-4 de 44 pages. J'ai lu, à Sainte-Geneviève, ce libelle, dont j'ai copié le passages qui m'ont paru de quelque valeur. L'auteur a le ton d'un cafard et le venin de la vipère. Ecoutons-le : Laurens Videl au lecteur, salut et paix. —— S'il te semble que je prends vengeance de l'injure que contre Dieu et raison Michel Nostramus (sic) m'a fait, sache que c'est pour son grand bien, profit et utilité, mesmes au salut de son ame... Aucune influence que les estoiles nous promettent e viennent à signifier, ne nous peut faire bien ou mal si ce n'es le bon plaisir de Dieu, car c'est celui qui peut detourner tous mouvemens et les faire aller contre leur naturel s'il est so bon plaisir, qu'est chose bien evidente que les astrologiens ne doivent parler ni dire qu'un tel fait viendra pour seur, ainsi que faitce phanatique de Nostradamus qu'en ses folles resveries use continuellement de ces mots infalliblement et pour seur qu'est un blaspheme intolerable; en sorte qu'un chacun se doit essayer à repousser tous ceux qui nous viendront faire entendre telles folles inventions qui ne servent qu'à porter dommage tant au salut de nos ames que dela republicque. Mesmes je prie messieurs les prejats, pasteurse autres qui ont charge en l'Église, y vouloir adviser en don nant ordre que telles resveries qui ne peuvent quetroubler les pauvres consciences debiles ne se viennent ainsi publier car à eux appartient de chasser toutes folles curiosités qui veulent par trop enquerir des mysteres que Dieu seul s'est reservés, et toutes autres vanités, observations, superstitions qui ont esté de long-temps par bonnes raisons defendues en separant le mechant du bon afin qu'avec le temps le tout ne soit corrompu par ces temeraires et ignorans, faisant en sorte que le tout soit à la gloire du nom de Dieu et augmentation

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de la sainte Eglise avec toute paix et concorde... A Dieu, d'Avignon ce 20 novembre 1557. " M. Laurens Videl, à Michel Nostradamus. — La plus grand part, des gens d’aujourd’hui tiennent que tous ceux qui se meslent de predire ou bien de faire prônosticques usent de magie superstition. Tu as montré que tu estois fort galeux et roigneux, comme il appert par tous tes presages de l'an 1557.... qu’a esté la cause de m’adherer à ce que tient le commun, que tu es conduit à l'accointance de sorcellerie des malins esprits par une magie terrestre et prophane, ignorant la naturelle qu’est saincte et apprend à connoistre et à aimer Dieu..... Or si tu en usois, je n’en feus jamais si asseuré que quand tu t'es fasché quand on a parlé à l'encontre, et aussi je te puis bien asseurement dire que de la vraie astrologie, tu entends moins que rien. . .. Certes, si je te voulois reciter toutes tes ignorances, abus et sottises que tu as mis en tes œuvres depuis quatre ou cinq ans en ça, il en faudroit faire un bien grand livre. " Je trouve que tu avois tres bien prophetisé de toi en l'an 1555, au mois de janvier, disant, plusieurs en, contrefèsant prophetes seduiront le peuple; quant à moi, je n'en aicogneu autre faisant du prbphete que toi, et ne sçais si tu serois des prophetes de l’Antichrist qui se doit magnifester au dernier temps.’ Il est vrai que tu as quelque raison en ce que tu dis qu’ils sont un tas de bestes brutes qui te veulent ensuyvre, ou bien ainsi que tu parles ton umbre; et je dis dadvantage que ceux qui voudroient ensuyvre une telle pecore, meriteroient estre tenus plus bestes que tu ne les estimes etqu’on les envoyat au moulin. Mais en ce tu demonstres que tu es hors de sens, car tu dis qu’ils sont trois qui contre raison t’ont calomnie devant les monarques, j’entends bien que tu parles contre ceux qui font des almanachs en disant qu'ils sont privés de toute cognoissauce mathematique. Je te reponds que certainement ils sont bien privés du mecaseph qui apprend abbatou ou bien quelque autre de telle farine car en cela ils n’entendent rien ni

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(ainsi que je pense) n’ont affaire à y entendre, de l'un j’en suis asseuré, et te reponds pour tous les trois qu’ils ont plus oublié aux mathematiques que tu n’en sçauras jamais, car tu as commencé trop tard, et non es entré par la vraie porte; tu dis qu’ils ne sçauroient entrer là où tu prends la doctrine, ils n’ont affaire de telle doctrine, car ilest certain que telle doctrine et observations sont superstitions malefiques et per- nicieuses, combien qu’aux ignorans (comme toi) leur semble qu’elles soient sciences divines. " Un noble et honneste homme digne de foi m’a dit qu’autres fois après avoir eu dîné avec un medecin, tu lui vins dire sa naissance, son nom, son mariage et combien il avoi d’enfans. N’es-tu pas un grand trompeur, de vouloir fair entendre que cela se fait par lastrologie; mais tu as esté bie trompé quand l’on a cogneu que tu n’entends rien en ladite astrologie, laquelle chose est claire et evidente par tout tes œuvres, et t’afortgasté quand tu t’es voulu empescher faire de nativités que ne as sceu par quel boutà commencer, et ce voyant tu les as faites par sort, comme plusieurs qu j’ai veues queles avois faites par la geomantie, car tu y avois mis des figures de ladicte geomantie, comme sont populus amissio albus et semblables ; combien qu’il semble que cela soittout semblable à l'astrologie, il s’en approche tant comme le ciel de la terre, et dernierement je en vis une que tu l’a vois voulu faire selon l'astrologie , laquelle vint entre le mains d’un de mes disciples, lequel après avoir cogneu ton ignorance et bestise la me vint communiquer, là où tu te monstres le plus ignare qu’il n’est possible en trouver un qui te seconde en ignorance.... Certes j‘ai beaucoup veu des nativités que tu t’es volu empescher à les faire, mais jamais tu n’as eu la grace de rencontrer une que tu eusses sceu trouver le vrai point du zodiaque ascendant. Regarde donc quel jugement tu nous peux faire? quand ne sçais entendre le principal point ou faut que soit fait tout jugement.... Tu te voulois par trop faire cognoistre en telouant toi mesme quand tu disois que volois dedier une œuvre à un seigneur

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que l'ire de Jupiter ni Saturne ne la sçauroit abolir : autant en as fait au distichon qu’as desrobé à Ovide quand tu dis : Post mortem nomen vivet in orbe meum. I1 te fallait laisser faire cela à un autre, si tu eusses eu un peu de sagesse.... Au mois de febvrier 1556,. tu disois la maladie du grand trou- blera le regne. Crois-moi, laisse cesresveries qui te font en- tendre tant de mensonges : et ceux qui te conseillerent escrireà l'encontre de moi te veulent grand mal; car je ne t'avois jamais offensé en aucune chose que ce soit, et toutefois tu m'as divulgué avec injures. Et te sembloit que je n'aurais langue à te respondre, car tu me tenois pour mort, voyant que tu avois dit qu'au bout de l'année n'aurions loisir de parler.... Comme quand tu as predict la mort àplusieurs, aucuns en sont morts, d'autres sont en pleine vie; mesme ici en Avignon il ya une femme que tu lui avois dit qu'en tel mois elle seroit morte, et de frayeur elle en feust bien ma- lade. Pourquoi donnes-tu telle frayeur aux gens? Car autant en fis à un prebstre que je cognois, et à plusieurs autres. Toutefois et le prebstre et la femme sonten pleine vie et s'il est le bon plaisir, de Dieu vivront plus que toi.... —D'Avignon, ce jour que tu me menaçois de beaucoup de maux, qu'est le 2l novembre 1557. — Imprimé de l'autorité et permission de monsieur le vicaire general d'Avignon. Une partie de ces accusations est habilement calculée pour nuire à Nostradamus aux yeux de la foule. Celles d'impiété, de magie et d'ignorance en astrologie, nesont pas dignes d'attention; mais il est curieux qu'après lui avoir imputé une clairvoyance surnaturelle, Videl l'accuse aussi de fausses prédictions. Quant a sa vie privée, il lui dit : Tu ne te contentes de boire par toutes les bonnes maisons; mais vas boire par toutes les tavernes et cabarets, comme un bon pion. » C'est le seul reproche qu'il trouve à lui faire : on peut juger de sa valeur dans la bouche d'un tel ennemi. Il prétend, il est vrai, qu'il a conseillé à un malade d'avoir commerce avec une petite femme noire, sans doute une des formes de Satan, son ami; et il lui reproche

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B-Année -1861- 264 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

d'avoir donné, dans le Traité des fardemens, une recette pour inspirer à volonté des désirs invincibles. Videl est probablement ici de bonne foi : il est mystifié, comme nous le verrons plus tard. Je conclus de certains passages que l'auteur enseignoit l'astrologie, et qu'il publioit un almanach, où il avoit parlé contre les prédictions de Nostradamus, sans le nommer, puisqu'il dit qu'il ne l'avoit jamais offensé; mais en le désignant si clairement, que le prophète s'étoit fâché, c'est à- dire avoit risposté vigoureusement. Que dans sa réplique il eût nommé Videl ou non, c'est par elle que celui-ci se prétend divulgué avec injures contre Dieu et raison. Il ajoute : Tu dis qu'ilssont trois qui t'ont calumnie’ devant les monarques : j'entends‘ bien que tu parles contre ceux qui font des almanachs. J'entends bien prouve que c'est une supposition de sa part. De même, bien qu'en s'exprimant ainsi : Tu avais dit qu'au bout de l'année nous n'aurions le loisir de parler, il s'applique ces paroles; elles s'adressent à ces trois qui ont calomnié le prophète, et ces trois ne sont autres que le tas (le bêtes brutes qui veulent ensuivre son ombre. En effet, le Monstre d'abus lui dit : Tu t'adresses à toute bride à trois de tes calumniateurs, les appelant bestes brutes et ignorantes, pour ce qu'ils se mêlent de vouloir ensuivre ton ambre, et tu les menaces de se voir sur l'issue de cette année en telle extremite, qu'ils‘ n'auront pas seulement le loisir de parler. Il est clair aussi que Videl s'applique arbitrairement quelqu'une de ces généralités qui figurent à chaque jour du mois dans Falmanach, lorsqu'il dit en finis- sant : D'Avignon, ce jour que tu me menaçois de beaucoup de maux, qu'est le 2l novembre 1557. Il y avoit peut-être ce jour-là : Malheureux calumniateur. L'auteur du libelle n'auroit donc eu d'autre motif pour l'écrire qu'une jalousie de métier. Il est probable, cependant, que non-seulement il publioit un almanach, mais qu'il étoit médecin, car laplu- part des astrologues l'étoient. Or Nostradamus avoit dit, chapitre xxx du livre Des Confitures: « En l'université d'A-

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vignon sont plusieurs qui font tout le contraire que Christus nous_a commandé, quand il disoit que l'on se preparast tre- sor au ciel, où les larrons ne desrobent point, ne si faict banque faillie. a Et il n'avoit cité avec éloge aucun médecin de cette ville. llpouvoit donc s'être formé là une cabale contre lui. Néanmoins je ne puis admettre quele vicaire gé- néral ait voulu autoriser une pareille diatribe contre un des plus zélés défenseurs de l'Église, dans un moment si critique pour elle; et, en conséquence, je regarde ce libelle comme un pseudonyme, où on a profité d'une querelle d'almanach entre Videl et Nostradamus, pour attaquer le second sous le masque de l'autre, et pourruiner son crédit parmi les siens, en l'accusant d'intimité avec le diable, calomnie la plus ter- rihle de toutes. Je remarque aussi que le pamphlétaire n'é- lève contre lui aucun soupçon d'hérésie, ce qui prouve que son orthodoxie étoit bien notoire, ou que le véritable auteur étoit protestant. D'ailleurs, comment Videl eût-il osé, dans une villeoù Nostradamus étoit si connu, dire qu'il avoit commencé trop tard l'étude des mathématiques? Un mensonge si grossier ne pouvoit réussir que loin de la Provence. Je suppose donc que cette brochure, écrite vers le même temps que le Monstre d'abus,vient de la même source, de Genève, de la propagande calviniste; et je l'attribue à Pierre Viret, ministre à Lausanne, ami de Bèze, dévoué à Calvin, pamphlétaire infatigable, qui alloit souvent dans le Midi, et certainement à Orange, repaire de huguenots, où il put s’informer de Nostradamus. Videl, eût-il été secrètement partisande la réforme, se fût trop exposé, en faisant coïncider son attaque avec l'apparition d'autres libelles, manifestement calvinistes, pour que je puisse admettre qu'il ait fait partie du complot. Mais son nom est bien choisi, puisque, dans Ovide, Laurens est synonyme de Romain, et que Videl ressemble à fidèlé, et diffère peu de Viret. Enfin, monstrare et declarare signifiant tous. deux montrer, faire connoître, déclaration équivaut à montre ou monstre , et si l'auteur n'eût pas voulu cacher l'origine communedes deux pam-

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B-Année -1861- 266 BULLETIN DU BIBLIOPHILE. «

-phlets, il aurait pu dire Monstre des abus, ignorances et séditions.... La monstre signifiait la revue des troupes. Passons à un autre libelle.

- HERCULE LE FBANQOIS. —je n’ai trouvé qu’à la bibliothèque d'Aix, dans un catalogue d’ouvrages sur la Provence ou su les Provençaux, rédigé dans le siècle passé par le savant abbé Dubreuil, le titre suivant : La premiere inuective d seigneur Hercule le François contre Nostradamus. Traduit du latin (par L. u.c. m.). Lyon, Roux, 1557, in—8. C'est sa - doute encore un pseudonyme de Genève. Il est traduit du latin comme les deux autres, publié vers le même temps et l'imprimeur a le même nom que celui de Videl, Roux lïufusyCarthaginois. Je crus d’abord que La première invective en promettoit d'autres du même auteur; mais je suppose maintenant que ce pamphlet est le premier des trois parut ; et considérant qu'invective vient d'invehi, attaquer, traduis ainsi : La première attaque du Seigneur contre Nostradamus. Ce Seigneur est le Dieu des armées, qui a vaincu celles du tyran commandées par ses favoris. Le Seigneur va confondre non-seulement le faux prophète, mais les inventions des hommes, substituées à la pure doctrine de l'Évangile : nostradamus. Hercule le François a aussi plus d’un sens. Et recule le François est une insulte au gouvernement, et particulièrement à François de Guise. Cette première attaque a été mise en notre langue, par qui? Per lucem, par les torrents de lumière qui sont l'apanage des élus. Sans doute : mais qui a reçu de haut le mandat spécial d'illuminer ainsi le monde? Quel est ce phare merveilleux qui apparoît dans la nuit orageuse, pour sauver la France et l'Église ?... O trait de lumière! C’est le sauveur de Genève, lephare des régénérés, le vainqueur de Charlemagne; c’est Farel. Le vainqueur de Charlemagne! Ah! grand Dieu! c’est l'auteur lui-même, l’Hercule françois. Charlemagne créa la nouvelle Babylone, la puissance politique des papes : Farel a fondé la nouvelle Rome, et brisé la statue de ce mécréant. Hercule purgea de monstres l’univers : Farel écrasera tout ce qui offusque le Sei-

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B-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. s 267

-gneur; Farel, effroi des idoles, assommera Guise et Monstradamus. Que dis-je? Monstradamus! J'ai vu ce mot dans Naudé, dans Îjpologie des grands hommes soupçonnés de magie. Son origine n'y est pas indiquée; mais il est sans doute fils d'Hercule, et Naudé l'a vu dans l'Invective. Une idée me vient encore au sujet de nos pamphlétaires. Il seroit plaisant qu'en voulant difamer Nostradamus, ils eussent eux-mêmes fourni la preuve de sa clairvoyance prophétique. Unus erit omnibus fabula, qui se trouve sur la fin des présages de 1557, semble une allusion à ces libelles qui partirent contre lui vers la fin de l'année: car s'il ne devint pas la fable de tout le monde, ils le représentent comme °tel. Ces trois calomniateurs qu'il appelle bêtes brutes et ignorantes, parce qu'ils se mêlent de vouloir ensuivre son ombre, ne seraient-ils pas les trois pamphlétaires? Ils n'ont pas compris qu'ensuivre son ombre ne signifiait pas imiter le prophète, suivre ses traces; mais attaquer (insequi ) la formetrompeuse, le style mystifiant qui dérobe sa pensée aux profanes. Il dit qu'ils se mêlent, parce qu'ils travaillent de concert; et que, sur la fin de l'année, ils n'auront pas le loisir de parler , parce qu'ils seront occupés à écrire contre lui. Ils l'ont calomnié devant les monar ques : or, d'après le Monstre d'abus, son nom est la risée des souverains et des grands de toutes les nations; et Videl, s'adressant aux chefs de l'Église, les prie d'empêcher que ses rêveries superstitieuses ne troublent les consciences débiles. Enfin il traite ses calomniateurs de tas de bêtes brutes et ignorantes. Or tas, de taxis, veut dire ici un groupe qui agit avec ensemble, tactique; et ceux qui le forment sont non-seulement des Brutus, des Brutes, comme on disait alors, des ennemis de l'autorité ; mais encore, tout savants qu'ils sont, des ignorants qui se révoltent contre elle, parce qu'ils ne voient que la surface des choses. Le vrai sens de brutus, au propre et au figuré, c'est lourd, pesant; et les brutes sont le contrairedes oiseaux, symbole de la vie spirituelle aux yeux des sages. Les pamphlétaires sont donc,

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aux yeux du prophète, des brutes; et‘ spécialement Besze, avec tout son esprit, une beste; Videl, un vide d’ aile ; et Guillaume Farel, ce furieux qui ne peut voir les images d grands hommes sans se jeter sur elles pour les anéantir, guillehomme, un faux homme, une brute à face humaine(1) Enfin, pour un voyant, un favori de Lucifer, comme Nostradamus, Calvin, malgré son érudition, sa logique et son talent d'écrivain, n’est ni l’aigle de Jupiter, ni l'oiseau de Minerve, ni un poulet sacré; c’est une chauve-souris, un aveugle, un Midas, plus incapable de l’apprécier, qu’un âne le chant du rossignol. Gonrad Badius.-—Du Verdier cite de lui, dans sa Bibliothèque, Les vertus de nostre maistre Nostradamus, satir imprimée à Genève, par lui-même, en 1562. Il en donne l passage suivant, qui est sans doute un des plus beaux endroits:

J'oublioy de dire en un mot Qu’il rime comme poix en pot: Mais pour un diseur de matines Il couppe mal ses féminines. Ses vers sont faicts à estriviere Fort courts devant et longs derriere, Et sont naiz soubs tel horizon Qu'il n’y a ny sens ny raison : Tellement que ce docte Homere Semble estre fils de sotte mere Qui jadis rimoit en dormant, Ou plustost dormoit en rimant. F. Buget.

(l) On le vit, à Montbéliard, au milieu d'une procession, se jeter sur un pretre, arracher de ses mains la statue de saint Antoine. et la précipiter dans la rivière. - Guillaume vient de Wilhelm, bon protecteur; mais le prophète, citoyen de l'éternité, joue indifféremment avec le son, l'orthographe et l'étymologie. Les langues passent devant lui comme une ombre : il les voit naître et mourir. Elles sont pleines de vertus divines; mais. au point de vue littéraire, ce ce sont pour lui des hochets d'un jour.

(La fin prochainement.)

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C-Année -1861- ÉTUDES SUR

NOSTBADAMUS (1) II

OEUvres et adversaires (Suite)

Prétendus aversaires. --Afin de ne pas laisser trop de questions à résoudre pour la dernière partie de ces études, nous allons examiner, avant de revenir aux œuvres du prophète, ce qu’ont pensé de lui quelques hommes illustres. RABELAIS.-— Un commentateur a vu dans une prédiction en vers énigmatiques que renferme le prologue du cinquième livre de Rabelais, une parodie des prophéties rimées de Nostradamus. Mais les Centuries ne partirent que deux ans après la mort ducuré de Meudon; et c'est de plus , à mon avis, une erreur capitale au sujet du pantagruélisme, dont le triomphe est annoncé dans les vers en question. Loin d'être, comme on se le figure communément, un incrédule, fondateur d’une société d’épicuriens, et aspirant à remplacer le catholicisme par un protestantisme à l'usage du peuple, l'auteur du Pantagruel est un homme plein de foi, profondément sérieux sous sa gaieté folle, un sage, un mage, un vrai Melior; c’est un zélé catholique, organe d’une société philosophique et religieuse composée en partie de membres du haut clergé, et dent les principes , fondés sur les traditions les plus anciennes, étoient contraires à ceux des prétendus réformateurs(2) : ce qui justifie les cardinaux françoiset

(1) Voir l'année 1860, page I699, et l'année 186l, pages 68 et 241. (2) Divers passages de Rabelais me persuadent que cette société avoit pour emblème la rose. La rose est le symbole du silence et de la discrétion : d'où l'expression Dire sous la rose, sous le secret.

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italiens, protecteurs de Rabelais, qui, sans aucun doute apprécioient parfaitement son œuvre. D'accord sur les bases de la religion, les membres de cette société pouvoient différer sur les avantages de l'immense développement qu'avoit pris l'autorité des papes. L’aversion d Rabelais pour les moines, les sorbonistes et les décrétales, représentait donc l'opinion d'une partie de ses confrères. Quant au but de l'écrivain, c'est de propager l doctrine qui pouvoit seule, à ses yeux, produire une amélioration véritable; c'est de montrer que l'expérience et le raisonnement ne peuvent nous suffire, et que la foi et l'inspiration sont nécessaires, même pour les choses temporelles, et pour la conduite ordinaire de la vie. Le Pantagruel a pour objet le développement de ce principe et l'indication voilée du moyen le plus efficace de parvenir à la certitude. Ce moyen, c'est l'usage du pantagruelion, clairement et obscurément préconisé dans les derniers chapitres du livre III (l), où est glorifiée la plante inappréciable qui nous donne le haschich : sans parler de mystères qui terminent le cinquième livre, et de mille passages étranges, qui s'expliquent facilement à ce point de vue et se confirment les uns les autres.— Sauf une modification dans le caractère de Panurge, la plus grande unité règne dans ce merveilleux poëme; et les moyens que l'auteur emploie répondent admirablement à son but. Ceux qui blessent les oreilles pudiques et les goûts délicats, éloignent les esprits timides ou superficiels, et forcent les intrépides, légers a pourchas et hardis à la rencontre, à chercher la cause d'un grossièreté de langage évidemment systématique. En attirant et repoussant le lecteur avec une extrême énergie;

(1) Lisez-les, chers Dipsodes,-et pour vous convaincre de la puissance divine de ce lin sacré de Carpasie, faites-en l'épreuve. Elle ne vous coûtera pas un millième de centime; et, si vous persévérez, ce fil däriane peut vous conduire à la vraie lumière, a la possession du mot panomphée , qui dissipcra tous vos doutes. Buvez à la source magique, buvez frais; et fuyez ce royaume d’utople dont on a pris les folles chimères pour la vraie pensée de l'auteur. in vino writas. Trinquons; Io péan ! Évohé ! Évohé ! Io évohé !

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L'abstracteur de quintessence (1) suit la méthode exotérique léguée par les mystères de l'antiquité à ceux du moyen âge, méthode qu’il a poussée aussi loin que possible, comme son confrère Nostradamus. Ils ont voulu tous deux être choquants, et l'être d’autant plus en apparence, qu’ils seraient au fond plus admirables. Je pourrais changer ces paradoxes en vérités démontrées; mais l'analyse ‘détaillée du chef-d'œuvre d'Alc-ofry-bas m’entraînerait beaucoup trop loin. Je citerai seulement quelques passages qui m'ont conduit à l'examiner sous un nouveau point de vue, et à découvrir que l'auteur a, sur les points fondamentaux, les mêmes idées que Nostradamus, et ne pouvoit, en conséquence, se ranger parmi ses ennemis. Livre IIl, chap. xxx : « J’ai souvent ouï dire que tout homme vieil, décrépit et près de sa fin , facilement divine des cas advenir.... Je ne vous alléguerai exemples antiques de Isaac, de Jacob...., et aultres : seulement vous veulx ramentevoir le docte et preux chevalier Guillaume du Bellay, seigneur jadis de Langey, lequel au mont de Tarare mourut, le dixiesme de janvier, l’an de son age le climactère, et de notre supputatiou l’an 1543, en compte romanique. Les trois et quatre heures avant son décès il employa en paroles vigoureuses, en sens tranquille et serein, nous prédisant ce que depuis part avons vu, part attendons advenir. Combien que pour lors nous semblassent ces prophéties aulcunement abhorrentes et estranges, par ne nous apparoistre cause, ne signe aulcun présent, prognostique de ce qu’il prédisoit. » Ce n’est pas tout : dans le quatrième livre, qui parut en 1552, Rabelais revient deux fois sur le même sujet. D'abord, chapitre XXVI, après avoir dit que, durant leur séjouren ce monde, les grandes âmes sont une source de biens pour ce qui les entoure, et que leur départ amène des troubles dans la nature, et des changements dans les religions et les em-

(I) Les anciens entendoient par quinte essence la substance ethérée, qu’ils regardaient comme un cinquième élément beaucoup plus subtil que l'air, et dont se composoit l'âme de tous les êtres, notamment celle de l'homme.

xv° série 95

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-pires, il ajoute : « Nous en avons naguère vu l'expériençe au décès du preux et docte chevalier Guillaume du Bellay : lequel vivant, France étoit en telle félicité que tout le mond avoit sur elle envie, tout le monde s'y rallioit, tout le monde la redoubtoit, Soudain après son trépas, elle a été en mépris de tout le monde bien longuernent, » Il dit ensuite, chapitre xxvii : « Les cieux « pour déclairer terre et gents terriens n’estre dignes de a présence, compagnie et fruition de telles insignes ames, l'estonnent et espou vantent par prodiges, portentes, monstres, et aultres précédents signes formés contre tout ordre de nature. Ce que vismes plusieurs jours avant le département de celle tant illustre, généreuse et héroïque ame docte et preux chevalier de Langey, duquel vous avez; parlé, - Il m’en soubvient, dit Epistemon, et encores me frissonne et tremble le coeur dedans sa capsule, quand je pense és prodiges tant divers et horrifiques lesquels vismes apertement cinq et six jours avant son départ. Demode que les seigneurs d’Assier, Chemant, Mailly le borgne, Sainet Ayl, Villeneuve la Guyart , maistre Gabriel, médicin de Savillan, Rabelais, Cohuau, Massuau, Majorici , Bullou, Cercu dit Bourguemaistre, François Proust, Ferron, Charles Girard,François Bourré, et tant d'aultres amis, domestiques et serviteurs du défunct, et tant effrayés se regardoient les uns les aultres en silence, sans mot dire de bouche, mais bien touts pensants et prévoyants en leurs entendements que de brief seroit France privée d’un tant parfaiet et nécessaire chevalier à sa gloire et protection, et que les cieulx le répétaient comme à eulx deu par propriété naturelle. » On ne dira pas que ce sont là des contes, Rabelais n’étoit pas homme à plaisanter surla mort de son bienfaiteur; et le frère du défunt, le cardinal Jean du Bellay, connoissoit trop bien les vrais sentiments de son medecin ordinaire, pour qu'il eût oséles démentir en un sujet si grave. Rabelais croyoit donc sincèrement que les mourantspeuvent prophétiser, et que l'avenir est annoncé par

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des prodiges, Mais sa croyance alloit plus loin, comme le prouvent ces paroles de Pantagruel, qui fut l’ exemplaire de toute joyeuse perfection. On délibère si l’on abordera dans l’île de Ganabin, pleine de larrons qui sonnent le tocsin. horrifique. « Je le sens, dit Pantagruel. en mon ame rétraction urgente, comme si fut une voix de loin, ouïe, laquelle me dit que n’y devons descendre, Toutes et quantes fois qu’en mon esprit j’ai tel mouvement senti, je me suis trouvé en heur, refusant et laissant la part (l'endroit) dont il me retiroit: au contraire en heur pareil me suis trouvé, suivant la part qu’il me poussoit; et jamais ne m’en repentis. -— C’est, dit Épistemqn, comme le démon de Socrate, tant célébré entre les académiques. » Pantagruel est donc inspiré comme Socrate. C'est sa religion et sa moralité qui l’ont conduit à ce degré de lumière, Panurge, au contraire, dépourvu de ces qualités, abesoin de recourir au moyen par excellence, pour acquérir la confiance intime, qui estle premier besoin de l’homme, et que tout l’esprit et l'érudition du monde ne peuvent lui donner, GASSENDI.—— Pour un champion du sensualisme comme Gassendi, rien n’est plusodieux qu’un soi-disant inspiré, dont les ennemis eux-mêmes ne pouvant nier la clairvoyance, l'attribuent à une cause surnaturelle. Professeur de philosophie à Aix undemi-siècle seulement après la mort de l'imposteur, il serait donc naturel qu’il eût voulu recueillir tous les témoignages dignes de confiance, pour réfuter l’opinion du professeur Fontaine et les traditions du pays, On concevroit aussi qu’il eut gardé le silence sur Nostradamus. Mais il est singulier que s’étant décidé à le combattre, il faitfait comme pour augmenter sa gloire, par la maladresse et l'avortement de son attaque. En voici les preuves. Dans le Syntagma philosophicum, résumé posthume de ses opinions, après avoir cité quelques fausses prédictions astrologiques, il dit ; « Facturus videor operæ pretium, si heic, veritatis amore, non dissimulem quod de Michaële

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Nostradamo comprovinciali meo dicendum occurrit. Nam de famosis quidem Tetrastichorum Centuriis alias est nobis dicendi Iocus. Attexo solum spécimen ejus, qua utebatur, astrologiæ, juxta quam si falsa prædixit, par est omnino credere donatum alioquin non fuisse speciali afflatu aut genio, quo a falsorum eventuum præclictioñe averteretur. » Il raconte ensuite que Jean-Baptiste Suffren, juge à Salon, lui a montré l'horoscope de son père, de la main de Nostradamus, où ne se trouvent pas les planètes, mais seulement les signes, disposés en maisons à la manière des Chaldéens; le soleil, placéà trente minutes du second degré du Taureau; et la lune, au sixième du Bélier, sans indication de minutes. Quant aux prédictions, assez nombreuses, pas une seule ne s'accomplit, et il arriva même le contraire. Les règles de l'art n'ayant pas été bien suivies, ce résultat n'intéresse que la prescience de Nostradamus. ll s'ensuit qu'elle n'était pas infaillible, s’il a fait l'horoscope sérieusement. Mais en conclure, comme Gassendi, qu'il n'était pas doué d'une inspiration spéciale qui le détournât de prédire faux, c'est aller trop loin; c'est un sophisme grossier, qui ne fait pas honneur à un professeur de logique. En effet, l'astrologie, pas plus que le hasard, ne pouvant faire prévoir une certaine réunion de particularités biographiques, la justesse d'un seul horoscope entre mille prouve qu'en le traçant l'auteur avoit le don de prophétie Mais, au contraire, la fausseté d'une prédiction de ce genre ne prouve nullement qu'on n'ait pas habituellement ce don. Gassendi raconte lui-même, dans sa Vie de Peiresc, que celui-ci rêva qu'un orfèvre lui offroit à Nîmes, pour quatre écus, une pièce d'or de Jules César qu'il désiroit depuis longtemps; et que, passant le lendemain par cette ville, un orfévre, qu'il rencontra, lui offrit en effet cette médaille, et lui en demanda le même prix. L'accomplissement d'une partie de ce rêve auroit pu être un effet du hasard, dit-il; mais sa complète réalisation est une chose merveilleuse. Gassendi auroit bien dû nous apprendre ce que nous de-

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-vons penser de l'horoscope de Charles-Emmanuel, duc de Savoie. Ce document existe probablement encore, et il faut espérer qu'on le publiera. En attendant, voici quelque renseignements à ce sujet. Samuel Guichenon, dans son Histoire généalogique de la royale maison de Savoie, rapporte que, pendant la grossesse de son épouse, le duc Emmanuel-Philibert, désirant savoir si elle accoucheroit d'un fils, envoya Philibert Maréchal, seigneur de Mont-Symon en Bresse, chercher à Salon Nostradamus, qui se rendit à Nice, visita la duchesse en qualité de médecin, et dit quel'enfant s'appelleroit Charles et seroit un jour le plus grand capitaine de son siècle. Plus tard, l'horoscope du jeune prince lui réussit mieux que celui de Suffren, si nous devons en croire le passage suivant d'une lettre de Leboursier, publiée par M. Jules Baux parmi les pièces justificatives de son Histoire de la réunion à la France des provinces de Bresse, Bugey et Gex (Bourg en Bresse, 1852). « Ce grand esprit prophétique de Nostradamus, de sa propre main donna lumière au monde d'une si grande naissance par un horoscope prophétique, rédigé de sa propre main, où l'on peuencore voir aujourd'hui les raretés de ce grand personnage de Nostradamus, et les actions signalées de la vie de ce prince dans le même horoscope. » De Haitze ajoute que selon cette nativité, le prince devoit être blessé grièvemen une certaine année, mais qu'il ne mourroit que lorsqu'un 9 viendroit devant un 7 ; prédictions qui se vérifièrent ainsi Charles-Emmanuel, causant un jour d'astrologie avec l comte de Carignan, se souvint que c'étoit justement l’année où Nostradamus le menaçoit d'une blessure dangereuse, voulant prouver au comte, en lui montrant l'horoscope que ce n'étoit pas une plaisanterie, il fit tomber, dans son empressement, la table sur laquelle il s'appuyait, et se fit la jambe une plaie considérable, dont il fut longtemps in commodé. Dès ce moment, plein de confiance dans la prédiction relative à sa fin, il sefigura qu'il atteindrait 97 année mais il mourut à l'âge de 69 ans et l'on recon-

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C-Année -1861- 390 BULLETIN DU BIBLIOPHILE. -nut alors que 1è 7 venant après un 9, était celui de 70. J’ignore où de Haitze a puisé ces détails; mais il ne les a pas inventés, car il est de bonne foi, et le commencement dè son récit est calqué sur Guichenon. Revenons à Gassendi. Voyons comment il va tenir sà promesse de traiter la question des Centuries. C’est dans sa troisième partie, dans la Morale, qu'il examine ce qu’il faut penser de la divination, ou du pressentiment des choses futures accidentelles. Ayant démontré dans sa Physique la vanité de l'astrologie, il en infère que la fausseté des autres sortes de divination artificielle n’a besoin d'aucune preuve. D'ailleurs tous les faits cités en leur faveur sont des contes ; et comme la raison, même dans la situation de Panurge, nous suffit parfaitement, l'argument tiré de la Providence tombe de lui-même. D’autre part, les inspirations ou prédictions attribuées à des génies sont des fables, et celui de Socrate n'est qu’un artfice ingénieux de ce moraliste pour accréditer ses principes salutaires. On parle d’une faculté divinatrice de notre âme. Mais d’où l'aurait-elle? Faisons-nous partie d'une âme universelle qui, ‘sachant tout ce qui est, puisse en déduire tout ce qui sera? Pas lemoins du monde. Nous ne pouvons donc connaître les choses futures ni par une excitation volontaire, ni en songe, ni par l’effet d’un état morbide. Si quelques prédictions de ce genre se sont réalisées, c’est un pur effet du hasard. Quant à prédire par la connaissance des causes et par leur enchaînement, « id soli Deo, qui condidit disposuitque omnia, concedendum est. » Enfin il attribue les oracles de l'antiquité, non, comme une partie des anciens philosophes, à l'esprit divin qui anime toutes choses; ni, comme saint Augustin, aux démons ou génies aériens; mais, comme Eusèbe, uniquement à la fourberie des prêtres. Il finit ensuite brusquement, sans dire un mot des Centuries. Quelle peut être la cause de ce silence? Rien n'étoit plus facile que de tourner les quatrains en ridicule, puisqu'ils paraissent tellement inintelligible, ou susceptibles d'applications

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arbitraires; que le goût du merveilleux ne sauroit en expliquer suffisamment le succès, et qu’on ne peut le concevoir que par la réputation de l'auteur, fondée sur des faits de clairvoyance habituels, dont chacun pouvoit se convaincre en le visitant. La critique des Centuries, ne résolvant pas la question, eut donc fait peu d'honneur à Gassendi; et d’ailleurs elle eût blessé quelques-uns de ses amis, partisans de Nostradamus. Le docteur Fontaine n'ètoit pas le seul homme digne de foi qui eùt raconté aux contemporains de Gassendi ce qu’il avoit vu et entendu; ni Wendelin le seul homme instruit qui eût ajouté foi aux contemporains du prophète. Ainsi, d'après une lettre de César Nostradamus; à son neveu de Séva, datée du 20 mars 1629, qui se trouve à la Bibliothèque impériale, dans le quatrième volume de la Correspondance de Peiresc, ce grand zélateur des lettres et des sciences vouloit hautement célébrer Michel dans son Histoire des hommes illustres; et nous allons voir ce pensait du prophète un autre ami du philosophe. Telle est, à mes; yeux, la cause du silence de Gassendi et comme il n'ignoroit pas que Nostradamus attribuoit sa haute clairvoyance à l'inspiration divine, qu’il se croyoit une aptitude héréditaire à connaître l'avenir, et que Soli Deo était la devise de sa race, je regarde ce mot, placé dans Pudique phrase’ qui laissêf une porte ouverte à la prophétie, comme l'expression voilée d’une concession faite à quelques personnes, ou de quelque doute sur le fond de 1a question; et sur l'arrêt définitif de la postérité. NAUDÉ.- Dans son Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie, Gabriel Naudé représente Nostradamus comme un ignorant et un charlatan, qu'il ne cite que pour rehausser, par son indignité, le mérite des hommes illustres dont il plaide la cause. A son avis,« les Centuries sont tellement ambiguës, et si diverses, obscures et énigmatiques, que ce n’est point de merveille, si parmi le nombre de mille quatrains, chacun desquels parle toujours de cinq à six choses différentes, et surtout de celles

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qui arrivent le plus ordinairement, on rencontre quelque fois un hémistiche fera mention d'une ville prise en France, ou de la mort d'un grand en Italie, d'une peste en Espagne, d'un monstre, d'un embrasement, d'une victoire, ou de quelque chose semblable, comme si tous ces événements étoient extraordinaires, et que s'ils ne se rencontrent dans un temps, ils ne pussent pas arriver en un autre. Ces prophéties ne ressemblent à rien mieux qu'à ce soulier de Théramènes qui se chaussoit indifféremment par toutes sortes de personnes, ou à cette mesure lesbienne qui étoit de plomb, afin qu'elle pût s'appliquer également sur les figures caves, obliques, rondes et cylindriques, toute l'industrie de cet auteur n'ayant butté à autre dessein qu'àne leur donner un sens clair et intelligible, afin que la postérité y en pût trouver un telqu'il lui plairoit. » — « Toutesfois, comme il est vrai qu'il n'y a pas une cause si désespérée,laquelle ne puisse enfin rencontrer quelque avocat qui la défende, aussi faut-il avouer qu'il y a beaucoup de cerveaux creux, et propres à recevoir toutes sortesde rêveries sans caution, qui ne manquent jamais d'avoir ces Centuries dedans leurs poches, et de les idolâtrer ne plus ne moins‘ que les humanistes font Pétrone, et les politiques Corneille Tacite, leur attribuant plus de vérité qu'à l'Evangile, et la faisant paroître sur tous les événements qui arrivent de jour à autre, tant particuliers qu'ils puissent être, et de petite ou nulle conséquence.... Combien qu'il soit grandement controversé parmi les fauteurs et partisans de la vérité d'icelles par quel moyen leur autheur s'est pu acquérir une si certaine con- naissance des choses futures, les uns soutenant que ç'a été par la pratique de l'astrologie judiciaire, les autres qu'elle lui a été révélée par l'assistance de quelque démon-familier; et les derniers, qu'il ne s'est servi que de la seule puissance que notre âme a de prédire les choses futures lorsqu'elle se retire du gouvernement du corps.... » Naudé prouve ensuite que ni l'astrologie, ni les démons ne peuvent donner la prescience des actions dépendantes de la volonté, et

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que, relativement au pouvoir de prédire qui se manifesteroit chez quelques personnes,« il faut véritablement reconnoître que l'humeur mélancolique peut bien par ses qualités nous rendre plus capables et plus habiles aux sciences, plus prompts à la recherche des causes, plus persévérants à contempler et méditer profondément sur un sujet; qu'elle peut donner quelque mouvement à l'âme, par lequel elle pénètre plus tôt la raison de ce qu'elle recherche; mais il faut nier absolument qu'elle lui puisse donnercette divination naturelle de laquelle elle n'a en soi ni la cause, ni les principes et commencements : aussi n'est-il point croyable que les vieillards aient aucun pouvoir de prédire plus que les autres, si ce n'est par révélation, comme Jacob, ou le pape Pie V, et l'archevêque Angelo Catto, qui surent par révélation, le premier la nouvelle de labataille de Lépanthe, gagnée par les chrétiens, et l'autre celle de la mort du duc de Bourgogne, qu'il annonça au roi Louis XI, à la même heure qu'elle étoit arrivée. » Naudé n'avoit pas vingt-cinq ans lorsqu'il écrivoit ainsi. Il étoit déjà plein d'érudition, mais ses idées n'étaient pas mûres. Elles avoient bien changé , lorsqu'il publia, vingt-quatre ans plus tard, son Jugement de tout ce qui a été imprimé contre lecardinal Mazarin depuis le sixième janvier jusques à la déclaration du premier avril 1649; car on y trouve ce passage : « S (Saint-Ange , libraire). N'est-ce pas chose étrange que Nostradamus ait prédit la mort de ce pauvre prince (Charles I", roi d'Angleterre), par ce vers que j'ai lu assurément dans quelqu'une de ses Centuries: Sénat de Londre à mort son roi mettra. — M. (Mascurat, imprimeur). Il est encore plus étonnant qu'il ait marqué celle du Prince Préfet, ou si tu veux, de l'aîné des Barberins, qui mourut ici l'année passée, par cet autre : A Ponterosse chef Barberin mourra.—— S. Ces deux expériences-là, quand il n'y en auroit jamais eu d'autres, peuvent établir la vérité de l'astrologie judiciaire contre tous ceux qui la méprisent comme vaine et ridicule.—M. Nous voilà bien appointés

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contraires, puisque je tiens pour certain que telles; et semblables expériences sont capables de la détruire entièrement : car la connaissance de ces deux effets si bien eirconstanciés ne pensant venir des astres, il faut qu’elle vienne de quelque autre cause, et de celle-là principalement à laquelle Naudé; en son Judicium de Cardano, prouve fort bien que l'on doit rapporter toutes les sortes de divinations. » C'est dans un volume intitule Hieronymi Cardani Mediolanensis de propria vita liber.... Parisiis, 1643, in-8 que se trouve le Naudæi de Cardano judicium. L'auteur y affirmé que si Cardan, qui à rencontré juste dans la plupart de ses horoscopes, s'est trompé dans quelques autres, c'est parce que la merveilleuse puissance intérieure qui est la source dé la divination, du génie et des grandes actions, l'entraînoit spécialement à pénétrer les secrets de toutes les sciences; et que c'est là ce qui l'empêchoit d'égaler, comme devin, ceux dont la force intime ne tend qu'à la Connaissance de l'avenir, tels que Merlin, Lolhard, Joachim, Savonarole et Nostradamus, ou ces vieillards décrépits, ces vieilles femmes qui radotent et s'enivreni; et ces hommes complètement illettrés qui, chez tous les peuples, annoncent les choses futures avec une justesse qui eût honoré le trépied d’Apollon, et qui n'est point due aux procédés ridicules de l'art divinatoire , mais à la puissance de l'âme(1). Revenons à l'examen des oeuvres du prophète. Exortation aux bonnes études;— On diroit que, non content des violentes attaques dirigées conlre lui, Nostra-

(1) Voici le passage le plus important : « Quoniam vis illa mentis anomala, excedens,rara, quæ factis in hominé se prodlt magnls et admirandis, eo tantum impulit Gardanum, ut scientiarum omnium secreta penetraret, eaque majori felicitate, acriori judicio, præsentiori modo quam quivis alius unquam fecit explicaret, eam ob rem nonpotuit ille, juxta cum aliis, qui solas tantum ab illo mentis impetu rerum futurarum præsentiones recipiunt, de morte filii sui, sui Almari Ranconeti, aliorumve. quemadmodum forsan Nostradamus fecisset, pronuntîare. Nostradanum autem dico, quia nobis exemplo est, atstrologos, quum aliquid certi proferunt; id non artis suæ beneficio consecutos suisse ; sed lllius humoris orgasmo; quem ipsemet Nostradamus divinum appellat, et sibi potissimum faventem fuisse testatur. »

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-damus a voulu justifier l'application que le Monstre d’abus lui avoit faite d’ Unus eritonmibus fabula, en publiant l’ouvrage que nous allons examiner, tant le style en est absurde en apparence; et souvent même en réalité; supposant qu’il avoit traduit cet opuscule de Gallen, qui me sembloit de peu de valeur, afin que l’on' pût trouver le secret de sa langue en comparant le français avec l'original, c'est-à-dire avec la traduction d’Erasme, comme l'indique la préface, je copiai ce livre d’un bout à l’autre, à la bibliothèque Mazarine, la seule où je l'aie rencontré, afin de l'étudier à mon loisir. Mais je ne vis dans cette traduction, souvent presque inintelligible, même avec le secours du latin, qu’une suite d’offenses à la grammaire et au sens commun, de contre-sens faits â plaisir, et omissions qui brisent le fil de la pensée, dans le but évident de révolter le lecteur et de se faire passer pour un fou : le tout précédé de quatre pièces originales non moins étranges, et qui méritent d'être conservées, commeuniques peut-être dans l'histoire littéraire de tous les peuples. Mon désappointement fut tel, que je passai trois ans sans continuer mes recherches. Je me trompois encore; car je reconnus ensuite que ce livre contenoit réellement le secret de l'auteur, et complétoit les preuves qu'on en trouve dans tous ses écrits, si l'on est enfin sur la voie. Les morceaux préliminaires et les premières âges de la traduction, que nous allons donner avec l'analyse et quelques fragments du reste, seront en conséquence une des principales bases de notre jugement sur ce mystérieux écrivain. Paraphrase de C. Galen sus l'exortation de Menodofe, aux estudes des bonnes Arts, mesmemenl Medicine. Traduict de Latin en Francoys, par Michel Nostradamus. A Lyon, chés Antoine du Rosne. 1557 (in-8 de (69 pages, avec cinq gravures dans le texte et une au frontipice).

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De l'estatue de Galen, traduict du grec.

HUICTAIN.

Le temps estoit quant la terre engendra, L’homme mortel, par sa science infuse : Quand l'art iactrice Barbare parfondra, Le grand Galen qui lors estoit confuse. Terre, immortelz nourrissait, quand diffuse Estoit sa fame, et la porte damnable : D’enfer vuydee, par art des mains qu’il vse, Par sa doctrine iactrice tant loüable.

A TRES HAUT, tres illustre, tres magnanime, et tres heroïque seigneur monseigneur le Baron de la Garde, Cheualier de l'ordre du Roy, admiral des mers de Leuant, Michel de Nostredame son tres-humble et obeissant seruiteur, ‘baisant la main dextre de son trident, enuoye salut et felicité. Du premier temps que les lettres commencerent de pulluler, ô tres illustre et tres heroïque seigneur, fut vne coustume, et despuis par plusieurs siecles passez est venu en tel supreme degré de augmentation, et despuis obseruee que ceulx qui par moyen de leurs continuelles vigiles, venoyent mettre en lumiere quelque cas nouueau comprins par le labeur des lettres, qui fut digne d’estre leu : ou bien aussi si quelqu’un par moyen de son industrie venoit à susciter quelque œuure par plusieurs siecles ia passez par l'iniure du temps estaincte, ou presque du tout suffoquee, ilz venoyent longuement à premediter à qui premierement on viendroit à consacrer leurs œuures : tellement qu’ils venoyent à choisir le personnaige et leur desdier, qui en peussent faire ample iugement, ou bien à leurs plus proches amys le consacrer, que tous aussi fussent vnanimes à le deffendre de la calomnie des enuieux, et aussi que par le point principal, par l'esplendeur et renommee de leur nom, donnassent à l'œuure et au faict suscité plus grand credit et reputation, et que par meilleur droit et digne raison puisse

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estre soustenue et viuifié : car il n’y a celui qui tant soit hebeté de sens, qu'il ne confesse que le nom d'immortalité et de loüange sempiternelle, ne doiue estre conseruee au Seigneur et patron, à qui le monument de l’œure (pour exigüe qu'elle soit) a esté consacré, s'il estoit requis, oultre l’enuie de conferer les tres grands faictz aux très infimes. Valere le Grand a consacré son œuure, non moins admirable que memorable, à Tiberius Cæsar, qui succeda apres Auguste, et Plinius voulut consacrer ses diuines œuures à Vaspasien empereur, et Martial à Domitian, puis à Nerua et innumerables aultres, et si oserois testifier, qu’il’ n’est possible qu’on puisse desnier, que les susdictz empereurs ne soient estés beaucoup plus celebres, par moyen de la renommee de ceulx qui ont consacrez telles œuures à leurs magestez, et si ne pouuonsbonnement sçauoir s'il est possible : assauoir mon, si l'on peult donner plus grande celebrité de nom, plus grand honneur, plus grande gloire, ne faire cas plus digne de grande excelence que celle qui se vient proclamer par Festude de bonnes lettres ou par les liures. Combien que si petit opuscule ne requiert si grand, encores ie ne doubtepoint que en ce monde ou tous sommes relegués, se puisse trouuer rien qui soit plus digne ne plus precieulx que les bonnes lettres, et aussi le bien, l'honneur et la gloire que par moyen des disciplines l'homme vient attaindre et poursuiure, rien ne peult estre plus noble par l'uniuers, ne plus honneste, que quant tout est conclud, il n’y a rien en ce monde qui doiue ne aussi se puisse preferer à l'immortalité, que aux vaillants et stamittes capitaines, tant au faict terrestre que maritime est preparé, que reuoluant longuement vostre digne excellence combien par moyen de vostre trident auez conserué, non tant seulement l'uniuerselle classe gauloise : mais aussi combien vous est redeuable la bone maritime des mers de leuant, que les habitantz d’iceulx sont estez des rauisseurs Barbares pirattes deliurez et soustenuz, s’il est requis, ô illustre Seigneur, hors toute assolution adulatrice, combien

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de foys auez esté enuoyé par les tres cbrestiens Roys de France, en ambassade deuers le grand monarque, qui obtient l'empire par la pluspart de l’Europe, par toute I'Asie, et l'Affrique tellement que vostre legation a esté de si felice et heureuse prosperité, que non tant seulement d’homme viuant en l'vniuers, ne aussi de plusieurs siecles passez, n’a escheu à homme viuant d’auoir conduict si innumerable armee de mer, sortie des plus profondes stations, tant d’Affrique que de l’Asie, voler aux pacifiques undes de la mer Mediterranee, et aussi plusieurs et semblables prouesses accomplies par vostre magnanimité, et non moins auez estendu vostre immortelle renommee par vostre tremebonde trident aux Orientales mers : mais auez faict trembler les habitans des vagues du grand Ocean : tant que la renommee en est iusques aux cieulx, que si aux opinions du vieillart Taciturne de l’isle de Samos, prenons signe de foy, auez suscité l’ame iadis du grand Neptune, de ‘qui de droict, o tres heroîque Seigneur, les armes vous appar- tiennent z‘ et tiens par une assurance que ce a esté rostre excelence, qui a paracbeué la propbetie de l'escript de la Sibille, qui n’a guieres a estétrouué les plus profondz abismes de l’Occident, proche des colonnes d'Hercules.

Voluentur saxa litteris et ordine rectis, Cum videas Dccidens et Orientis opes : Ganges indus, tagus, erit mutabile visu, Merces eommutabit suas vterque sibi.

Doncques, ô heroique Seigneur, estant certioré de vostre erudition nauale, foy, probité, et valeureuse magnitude, ay librement prins ceste temeraire audace, vous offrir ce petit opuscule de C. Galen, ia longtemps traduict en langue françoise, intituléle Paraphrase de C. Galen de Pergame, sus l'oraison de Menodote, aussi autbeur grec,qu'il a faict et composé aux estudes des bonnesArtz mesmement Medicine : et com- bien que soit exigüe, mais presque ayant une officine de Vulcan, remplie de tout genre d’artifice, œuure presque dissem-

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-blable aux immesurees labeur; de l'autheur, et entremeslee de plusieurs histoires anticques, et apophthegmes, auecque plusieurs vers, tant heroîques que tragiques. Ay voulu choisir cestuy icy, et ne dis les causes par quoy, la est compri une certaine description de le fortune occasionaire. autrement et au vray descripte que nÏest par lesescripuains du siecle passé, mesmes de ceulx qui premieæement ont iguent la description dÎieelle, que plusieurs. se pourront Specule dedans, comme au parfaict miroër d'experience : auecques la description de l'histoire du grand Milo crotoniales que onques ne se trouua homme plus robuste que luy, que ainsi qu’on lict il empognoit une pomme grande en sa main, et ne trouva, iamais homme en son temps qui la lui sceut arracher de mains , et nonobstant les violances faictes pour l'ouuerturela pomme estoit encores toute saine et entiere : apres en Olympe de pyse il porta sur son doz_ un toreau tout vif par le long de l'estade, qui sont la longueur de six cens piedz d’Hercules d'une seule haleine, puis le deschargeant luy donna un coup de poing entre les deux cornes qu'il le tua, et guieres ne tarda qu’il ne l’eust deuoré : mais vrayment apres auoir racompté les vaillances de ce geant durant son principal soleil leuant, certainement proche de son midy, sa fin fut bien miserable, que apres avoir fendu par la violence de ses mains, mesprisant le iouuenceau qui auecques de coingz venoit à diuiser l’arbre, lui mesmes en feit de diuises pars, et sa premiere forceestant eruptie à la premiere diuision du tronc, volut de rechef emploier ses forces, mais elles estoient ia peries, et se trouua si fort en serré dedans l'union arboree, qu’il ne les peult rauoir, et Ie estant sans les pouuoir arracher, luy mesmes fut faict proy aux loups, qui celle nuict pendant que soleil s’absconsoit miserablement fina ses iours: et plusieurs autres graues et prodigieuses sentences, que vostre digne excelençe en pour donner ample iugement : et ne y aura defiault nullement que seront quelques vns, à qui possible ne pourrait nulement imiter la moindre partie de la translation, qui voul-

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-dront calomnier quelque mot, que possible leur semblera aliené à leurs oreilles : mais l’œuure a esté translatee, selon les exemplaires pour lors que par moy ont esté trouuez que mia esté possible de recourer iouxte ma faculté, e quant aux nombres qui ont esté tornez des poètes Grecz ce ne a point esté sans les deux exemplaires Grecz etLatins et à un d'eulx auons mys nostre surnom, aux lettres superieures. Vous plaira doncques, ô tres illustre, tres heroîque et tres vertueux Seigneur, prendre en gré ce petit et exigüe liuret, par moy traduict, petit et exigüe vrayment : priant à la magnitude et excelence de vostre cesurée liberalité qui vous fera congnoistre la plus que obeissante seruitude que continnellement vous porte, et portera à vostre tremebonde trident, le plus humble et obeissant de voz seruiteurs, toute sa vie. —— De Salon ce 17 de feurier 1557 (58)

Contre les ineptes translateurs.

A monseigneur le commandeur de Beynes.

DIXAIN.

Qui tournés locques, lafnide, et camisynes, Le François n’ayme les noms tant pontilheux : Changeant la langue par telles voix mastines, Non vsitees par chemin patilheux. Vous rauasses en vous termes poilheux, Laisses cela venés à la fontaine : Suiués le droict sentier, et voye plaine, Que Galen puisse {entendre en nostre langue, Nous n’ensuyuons que la commune veyne, Qu’auons Changé par une Attique harangue.

Censura ad lectorem.

Ne putes, amice Lector, hanc Galeni orationem æditan temere : scito, cum iam composuissem, antequam æderen me censores huic opusculo adhibuisse, Manardum ,et Ioannem guilielmos, Antonium torquatum, non minus phiIosophia et eloquio quam genere gallos : Antonium lau-

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-rentium, Rolandum berengarimo, Pychmachelum, et Honoratum castelanum viros latinæ linguæ peritissimos, usum præterea acerrimo Francisci valerrollæ doctissimi atque humanissimi viri iudicio : vsum quoque consilio Ioannis Noslradami fratris viri clarissimi.

M. Nostradamus.

Le baron de la Garde fut sans doute ravi d'entendre un si beau langage, de voir baiser la main de son trident, et d'avoir suscité l’âme du grand Neptune. Le commandeur ne le fut pas moins de sa délicieuse épigramme contre ceux qui tournent locques, lafnideet camisynes. Mais tous deux, alléchés par le certificat latin, s'empressèrent, n'en doutons pas, de savourer le principal chef-d'œuvre. Imitons-les: oublions un moment les beaux vers de la sibylle; laissons là les noms pontilleux, les termes poileux et les voix mastines des traducteurs ineptes : allons à la fontaine; écoutons cette harangue attique, approuvée par tant de juges éminents.

C. Galent de Pergame, apres Hippocrates des Medicins obtenant le principal exortation, aux bonnes Artz mesmement Medicine.

Assauoir mon les Animaulx que communement sont appellez bestes brutes, il ne nousappert pas assés qu'elles soyent expertes totalement de raison : car par aduenture ellesn'ont pas toutes fois aussi celle raison, laquelle s'entend entre nous commune selon la voix, que l'on nomme enonciatiue. Certainement excepté celle que soy prend selon l'ame, laquelle Ion nomme raison capable aux affections: elles ont auecques noms tout commun, nonobstant que les unes plus les autres moins. Mais certes il appert estre trop clair : l'homme en ceste partie anteceler beaucoup plustous les autres animaulx, ou bien de luy, ou pour le regard de la grande et incomprehensible multitude des Artz, que l'homme cestuy animal s'essaye d'apprendre. Car le seul

xvè série 26

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homme est capable de science, et l'art laquelle que ce soi parfaictement la vient entendre. (l). Car certainement tous les aultres animaulx, presque la plus grande part sont ignares aux artz : sinon que tu en vueilles excepter quel quelques vns. Et si art aucune est en eulx, sont plus tost suruenues par nature que par institution. En apres il n'est art aucune aux animaulx, que l'homme ne vienne à mediter. Et quoy l'homme n'ail pas immité les yragnes en l'art de la tissure? et de former en terre (en l'ar que se nomme Plastique) n'a il pas imité l'homme les mouches à miel? et encores qu'il soit animal terrestre, il n'est pas pourtant ignorant à nouër. Et n'est pas destitué des diuinesArtz, venant à imiter l'art de Medicine de Aesculapius et Apollo. En apres aussi semblablement toutes les autres Artz que a Apollo, c'est à sçauoir tirer à l'arc, chanter,diminuer, et quant à ce à une chascune des Muses à peculiere, Ny aussi n'est point ignare en la geometrie que en l'astronomie (2) : mais bien vient à contempler, comme dict Pyndarus, les choses qui sont soubz la terre : et celles qui sont dessus les cieulx. En apres l'industrie l'orne du plus grand bien sur tous, c'est à sçauoir, la philosophie. Doncques pour ces choses icy (nonobstant que à tous les autres animaulx la raison n'yest pas deffaillante) toutes fois l'homme seul est appelle raisonnable, pour ce qu'il vient à preferer en pre excellence tous les autres (quod onmibus antecellat). As-

(l) Nous donnerons en note on entre parenthèses les parties de la version d'Érasme dont la traduction française diffère le plus. Voici le commencement : — Galeni paraphrastæ Menodoti exhortatio ad artium liberalium studia. — An animantia quæ dicuntur bruta, prorsus expertia sint rationis, nondum satis liquet. Fortassis cnim tametsi non habent eam rationem, quæ juxta vocem intelligitur nobiscum communem, quam vocant counciativam, certe eam quæ secundum animam accipitur quam rationem appellant affectuum capacem, habent nobiscum communem omnia, licet alia magis alia minus. Perspicuum sane est hominem hac parte longe cœteris animantibus antecellere, vel ex illo, quod cernimus quanta sit artium multitudo, quas hoc animal tentat discere, vel ex hoc quod solus homo scientnæ capax, quamcunque relit artem percipit. (2) Jam nec a divinis artibus destituitur, imilans et Æsculapii, quæ cadem est Apollinis, medicam artem, ac cæteras item omnes quas habet Apollo, jaculandi, canendi, divinandi : ad hæe quam una quæque musarum habet peculiarem, nec geomelriæ, nec astronomiæ expers.

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C-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 403

sauoir mon donques, si ce n’est bien infame (An non igitur turpissimum est) cela qui nous est commun auecque les dieux mespriser les autres choses, tenir en soigneuse estude: et les Art mesprisees, nous mesmes commettre à fortune : de laquelle l'improbité, les anciens la nous voulant mettre au devant de nos ieulx, premierement par painctures, en apres par statues la nous representant, ce ne leur estoit pas assez de luy donner forme de femme, toutesfois que destoit un assez grand signe de folie : mais ils lui donnarent entre les mains un matz de nauire (clavum), et luy mirent soubzles piedz un fondement ayant la figure de spbere : et en apres la vont priuer de ses ieulx, declairant merueilleusement bien par ceste façon son inconstance (nimirum his omnibus declarantes illius inconstantiam). Doncques tout ainsi comme au nauire vehementement agite par maritime tempeste, tant que la nauire soit en grand danger, et à celle fin que par orages et fluctuations brifée au profond, ne soit submergee , meschantement feroit viendrait commettre le matz au gouuerneur aueuglé. Ie viens à opiner semblable à la vie humaine , que en plusieurs maisons ilz se font beaucoup de plus grans naufrages, que ne prouiennent des scaphes en la mer, ne iugeroit pas droictement, qui soy mesmes en tant de negoces, et partout et de tous costez estans et fermes, se viendroit à commettre à la deesse aueuglee, ne guaires aussi stabile : car elle est tant stupide et tant folle et dehors de sens, que souuentes fois les gens de bien delaissez, desquels il estoit necessaire en auoir raison, vient à locupleter les indignes :mais elle ne faict pas cela constantement, mais affin qu'elle en apres vienne a oster, cequ’elle auoit donné de pareille temerité. En apres une grande tourbe d’hommes sans erudition, suiuant ceste deesse, laquelle ne demeure iamais en un mesme estat, pour la volubilité du fondement ou base ou elle est nuise : lequel la couduict puis ça, puis la, et vient à rauir par trebuchement (rapitque par præcipitia) : et bien souuent en la mer, en apres la mesmes tous ceulx qui la suyvent meu-

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C-Année -1861- 404 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

-rent, mais quoi? elle seule eschappe non lesee et sans dommaige. Cependant que les autres pleurent elle rit, et en vain imploroit son ayde et faueur, voyant desia que ne çane la, n’y a nulle utilité (quum hinc jam nulla sit illis utilitas). Et veritablement ainsi sont les faictz de Fortune.— (Ici est représentée la Fortune, au milieu de la mer, debout sur un pied posé sur une boule, et tenant en ses mains une voile de navire.) — Considere en apres la diuerse forme de Mercure, Seigneur de raison et autheur des artz: laquelle vient à repugner au simulacre de fortune: car il nous fut iadis representé par les anciens. Premierement par painctures, et puis par statues, lequel on painct en forme d’un beau adolescent, n'ayant aucune beauté fardee, ou ornee par artifice de perruque : mais bien tout incontinent vient à reluire en sa face une vertu de couraige (animi virtus) : car il est d’une façon ioyeuse auecques ieulx penetrans, et le fondement la ou il est assis sur toutes les figures, est le plus ferme et n’est point volubile : c’est assauoir par tour quarré des quarres, aux quatre angles, tenant aucunesfois (videlicet undique quatuor angulis nitens tessara). Et le nous representent de ceste figure (Interdum et ipsum deum hac figura repræsentant). — (On voit ici Mercure assis dans un char carré traîné par deux coqs, qu'il semble exciter du bras gauche étendu et de son caducée, qui s'incline un peu de sa main droite en avant.) — Tu verras aussi ses culteurs semblablement estre ioyeulx, comment est celui qu’ils suyuent, et ne se complaignent iamais de luy : comme ont de coustume ceulx qui suyuent fortune ny le laissent iamais, ne ils s'esloignent pas d’auecques luy, mais perpetuellement ils le suiuent et vsent de sa prouidence. Au contraire ceux qui suiuentla fortune on les peut voir inertes et indociles aux disciplines : tousiours desirant conduicts par esperance : et quant la deesse vient à courir ils courent, et quoi? Les vnspres et les autres loin : et les vns aussi dependent de sa main (non nullos autem et ab illius manu pendentes). Entre tous ceux ici tu verras Cresus, celui roi de Lydie, et Polycrates Samien, et par adventure

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C-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIUPHILE. 405

tu te viendras à esmerueiller. Certes de l'autre, et quoy Patrolus à toute son abondanceinuehit l’or, en apres auec ceulx tu verras Cyrus et Prismus et Dionisius, vray es que tu les verras, mais non pas à vn mesme estat, car Policrates est clauelé à la croix, et puis verras Cresus subingué à Cyrus, en apres tu verras Cyrus deiecté des aultres, et verras Priamus contrict et serré et Dionisius en Corinthe (1) que si tu viens à contempler ceux qui la suiuent de loing quand elle court, mais toutesfois ils ne la peuuent pas ensuiure, certainement tu viendrais haïr grandement ce renc : car la ils sont en grand nombre de Orateurs, et plusieurs putains et paillardes, et proditeurs des amys, et la sont auss plusieurs homicides et fossoyeurs de monuments, et plusieurs rapaces, et plus grand nombre de ceux qui n’ont onques pardonné aux dieux, et ceux qui les ont pillé par sacrilege, en apres à l’autre renc tous les modestes et les opifices de Artz, lesquels ne courent ny crient, ne venant à vociferer ne entre eux ne viennent à decerter : mais Dieu est au milieu d'eux et vn chacun compose à son lieu à l’entour de cestuy, et ne veulent point abandonner le lieu que Dieu vn chacun a donné, les vns sont proches de Dieu, l’enuironnant d’un art bien composé : c’est assauoir les geometriens, l'arismetique, le philosophe, le medicin, l'astronome et le grammatique (2) l’autre renc suiuent painctres, plastes ou potiers, escriuains, orfeures, architectes et lapidaire. Apres le troisieme ordre suit contenant toutes les autres ainsi par ordre vne chacune digeste, toutesfois en façon que

(I) Inter hos omnes videbis et Crœsum, illum Lydum, et Polycratem Samium ac fortasse miraberis alteri quidem Pactolum affluxu suo invehentem aurum, alteri vero marinos etiam places subservienles. Cum his rursum et Cyrum videbis et Priamum et Dionysium. Verum paulo post hos eosdem haud eodem in statu conspicies, Polycratem in crucem suffixum, tum Cyro subactum Crœsum. rursus Cyrum ab aliis dejectum : videbis et Priamum constrictum, et Dionysium Corinthi. (2) Cæterum in altero cboro omnes modesli, et artium opifices, neque currunt neque vociferantur. neque inter sese decertant, sed in illorum medio Deus est et circum huncsuo quisque loco compositus, nec ordinem quem cuique dedii Deus deserunt, alii quidam Deo proximi, et hunc ordine composito cingentes. videlicet geometræ, arithmetici, philosophi, medici, astronomi et grammatici.

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C-Année -1861- 406 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

tous au Dieu commun tornent les ieulx. Pareillement aussi obeissent à ses commandemens, certes tu verras ici vne numereuse multitude adherante au Dieu, en apres tu regarderas vn certain quart ordre, par renc elu extraordinaire et tiré à part nonpas semblables à ceux qui accompaignoient Fortune: car le dieu Mercure n’a point accoutumé ici de iuger les tres excellens, par le moyen de ciuille dignité, ne par noblesse de sang, ne par opulente richesse; mais bien qui auroient transigé leur vie auec vertu, et aussi que en leurs artz ils auroient exilé les autres, et aussi qu'ils auraient obei à ses preceptes, et que legitimement viendroient à exerciter les artz, selon leur vacation; et ceux la, il les honnore grandement et les vient à preferer et mettre deuant aux autres, et les a tousiours proches et conioinctz de luy : en cet ordre est Socrates, Homerus, Hippocrates, Platon, et tels semblables studieux, lesquels nousles venons à reuerer par equale dignité auec les dieux, comme certains ministres et assectateurs du dieu : nonobstant que nul des autres ne fut iamais mesprisé du dieu Car il n‘a pas tant seulement cure et sollicitude de ceux qui sont à sa presence, mais aussi il est present de ceux qui nauigent, ne les vient destituer par nauphraige (nec in nauphragio destituit). Aristippus doncques nauigant vne fois, le nauire rompu, il fut ietté par la tempeste au riuaige de Syracuse, premierement il commença de auoir bon couraige, quand il vit sus le sable les lignes de geometrie: car il reputoit à soy-mesmes estre paruenu entre les Grecs et les saiges, et non point entre les hommesBar-

(I) Cælerum videbis et quartum quemdam chorum a cæteris selectum atque extraordinarium, non quales eranl illi qui Forlunam comitabantur. Non enim ex dignitatibus civilibus , neque ex generis claritate, neque ex civitiis consuevit deus hic præstantissimos judicare, sed qui cum virtute vitam agerent, quique in suis artibus excellerent, quique præceptis ipsius obsequerenlur, ac legitime suas exercerent aries, hos et magnifacit, et cæteris anteponit, sibi conjunctissimos habens semper. Hunc, ni fallor, chornm si nosses qualis sit, non solum admirareris verum etiam adorares. In hoc est Socrates, et Homerus, et Hippocrates, et Plato et horum studiosi, quos pari cum diis honore dignamur, tanquam assectatores acministros quosdam dei. Quanquam ne cæterorum quidem quisquam fuit unquan a deo negiectus.

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C-Année -1861- BULLETIN DU BI BLIOPHILE . 407

-bares, et apres qu’il fut arriué à l'vniuersité de Syracuse, ll vint à prononcer ces vers qui s’ensuiuent :

Qui receura par dons tout maintenant Vaguant Oedipus banni et exilé :

De son pays ce iour humainement, Que par nauphrage tout a esté pillé.

Et eust incontinent qui l'allarent voir, et quant ils euren cogneu qu’il estoit, tout incontinent lui allarent itnpartir tout ce qu’il lui estoit necessaire et en apres lui vindrent quelqu vns de son pays de Cyrene, lui vindrent à demander s’il vouloit rien escrire aux siens : « Commandés leur, dict-il, qu'ils viennent à acquerir richesses, lesquelles apres que la nauire est rompue en pieces, qu’ils viennent à nouer auec le possesseur (Jubete, inquit, illos has sibi parare possessiones, quæ navi fracta simul enatant cum possessore). En apres plusieurs miserables, ne faisant autre amas que de richesse (omnla divitiis metientes), si par fortune ils cheent en tel affaires, ils pendent leur or et leur argent au corps, et mettent à l'entour d’eux, et tout ensemble perdent leur vie auecques leur tresor. Dans ce que nous venons de lire, Galien, après avoir montré que ce qui élève l'homme au-dessus des animaux et presque au rang des dieux, c’est la parole et la raison, sa fille, source de tous les arts, et de la philosophie, qui est le plus grand de tous les biens, nous engage à ne pas négliger la culture de nos facultés les plus nobles, et à ne point confier notre destinée à l'aveugle hasard. Pour mieux faire sentir la valeur de ce conseil, il met sous nos yeux l'ingénieux tableau de la Fortune, de Mercure et de leurs adorateurs. La conclusion, c’est que les trésors auxquels nous devon aspirer, sont ceux qui nous restent quand le navire est brisé, c'est-à-dire après la mort. — Cette partie de l'ouvrage, qui en forme à peine le quart, contient l'idée principale. Tout le reste n’en est qu’un développement. L’auteur y montre d’abord la vanité des richesses, de la naissance et de la

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C-Année -1861- 408 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

beauté. On ne doit pas s'en contenter et vivre dans l'oisiveté, si on les possède; mais ilfaut bien se garder aussi de s'appliquer à des choses inutiles ou mauvaises, comme lesexercices athlétiques, dont le vulgaire fait tant de cas. Les athlètes vivent comme des brutes, et leurs continuels excès de fatigue, de nourriture et de sommeil sont directement contraires aux lois de l'hygiène. Les coups qu'ils reçoivent les rendent difformes, et leurs corps tombent en ruine avant l'âge. Enfin leur force n'est bonne ni à la guerre, ni même pour la vie commune, comme le prouve la fin misérable de Milon de Crotone. —On doit préférer les arts libéraux aux mécaniques, parce qu'ils exercent la raison, et qu'ils ne nous abandonnent pas dans la vieillesse. Mais celui quil'emporte sur tous les autres, c'est l'art médical. Le développement de ces idées accessoires n'offre pas à Nostradamus autant d'occasions d'indiquer sa pensée que la première partie; mais il est habile à en faire naître. omissions et les additions, les absurdités et les bizarreries de tout genre attirentl'attention de l'observateur, et le confirment dans ses découvertes; tandis qu'elles dégoûtent le vulgaire ou le font rire du traducteur. Tout est bon à celui-ci pour atteindre ce but. Il fait souvent de ces fautes énormes dont une seule couvre de ridicule un écolier paresseux. Ses phrases regorgent de pléonasmes et de mots parasites, en a lesquels brille surtout venir, employé à ses différents temps comme une sorte d'auxiliaire banal. Parmi ses principaux moyens d'obscurité figurent les fausses conjonctions et la ponctuation de travers, que j'ai soigneusement conservée. On n'en finiroit pas, s'il falloit énumérer toutes ses ruses mystifiantes. Il vaut mieux, je pense , citer encore quelques passages, accompagnés du texte latin : « En apres la vieillesse est grandement molesté , comme par la tempeste que tombesur nous, ne ayant tant seulement besoing d'estre chaulsee et aussi vestue : mais elle aa très grand besoing de auoir habitation commode et duisible, et plusieurs autres choses lesquelles sont innumerables, contre

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C-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 409

celuy exemple de gubernateur beaucoup deuant, comme s'il se failloit preparer contre la tempeste que nous doit suruenir quand ceci est miserable — Le furieux et sot entend l'affaire. » — Senectus porro molesta, veluti tempestas immi- nens, egens non calceamentis solum et vestitu , verum et domicilio commodo aliisque rebus innumeris. Adversushanc, probi gubernatoris exemplo, multo ante, velut in venturam tempestatem oportet præparari, quando miserum est illud. —— Vecors intelligit acta. « Esculapius et Bacchus ou iadis au commencement furent hommes ou dieux, certainement ils ont merités souuerains honneurs. L’un pour nous auoirmonstré l’art de mediciner. L'autre- pour nous auoir apprins la raison de cultiuer les vignes. Et si tune me veulx croire, certes l'authorité du dieu Pythius te viendra à esmouuoir. C’est ce Pythius mesmes qui prononça Socrates, entre tous les hommes estre le plus saige, disant, et parlant à Lycurgus en ceste mode le vint à saluer :

Tu es venu Lycurge, o Roy louable, A mon tres riche et honnorable temple:

A Iupiter aymé et agreable. Et comprins hault sus l'OIimpe si ample. Si tu es Dieu ou homme ie contemple ,

O Roy Lycurge la tienne deité I'espere bien que ton sainct front et temple

Sera faict Dieu plein de diuinité.

« Ce Pythius mesmes en apres a esté veu ne porter guieres moins d’honneur, et auoir heu à Archilocus mort. Car quant celuy qui l’auoit tué voulut entrer dedans son temple, il luy deffendit d'entrer, disant :

Qui en mon temple entrer dedans souhaite N’y entre poinct murtrier du clair Poète. »

Profecto Æsculapius et Bacchus, sive quondam homines fuerunt sive dii ab initio, summos honores promeruerunt,

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C-Année -1861- 410 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

alter ob monstratam artem medendi, alter quod nos docuerit vitium colendarum rationem. Quod si mihi non vis credere, certe Pythii dei te moveat autoritas. Hic est ille et Socratem virorum omnium sapientissimum pronunciavit, et Lycurgum affatus hunc in modum salutat:

Huc advenisti, ad mea ditia templa, Lycurge, Grate Jovi, et cunctis quibus altus habetur Olympus,

Addubito, anne deum te dicam .hominem ne Lycurge, Spero tamen magis esse deum, numenque verendum.

Hic rursus idem videtur honorem haud mediocrem habuisse Archilocho mortuo.Quum enim hujus interemptor vellet illius templum ingredi, vetuit dicens ,

Occisor clari vatis, ne templa subito.

Galien cite deux fois des vers d’Euripide sur les athlètes, dont voici la version latine,et la double traduction de Nostradamus :

Num adversus hostem præliabuntur, manu

Discos ferentes, sive vibrata aspide Pedibus citi hostem snbmovebunt patria? Nullus profecto, vana fiunt omnia hæc, Ubi cominus ferrum micare cœperit.

« Assauoir mon si on viendra prelire, Par Mars ouuert contre ses ennemis,

Par main que plat vient getter et plier, Ou par aspic vibree il sera mis ;

Des pieds legiers la n’y sera commis, Nul sur ma foy pour bien le vray deduire Toutes ses choses sont bien vaines ormis,

Lorsque le fer commencera de luire. »

« Ne viendra lon donner l'aspre bataille , Ou faire guerre comme ennemis, par main :

Sus platz pourtans ne fraperont de taille,

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C-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 411

Tout cela n’est pour fraper que cas vain : Rien pourroit il des pieds l'agil et sain ,

A deschasser ennemis des cités : De tout cela ne sont que vanités ,

A mon aduis nulz seraient excités , Mesmes quant bien tous ces gents ie cognois :

Vain feutz tout quant à la verité , i Ponvoyoit par lors luyre l'harnois.»

« Donques puisque nous auons traicté le souuerain, lequel est entre les biens du corps, et quoi? de la bonne valetude : maintenant passons oultre au reste, affin que non tant seulement l'exercitation athletique ne vient à rien conferer à la beaulté, parquoy aussi plusieurs de ceulx icy, qui sont composez de corps merueilleusement bien , et les gymnastes qui les avient en cure, les saginant oultre mesure, et les inferieurs de chair et de sang, ils les viennent à remettre en diuerse espece de corps, aussi d’une face difforme, et toutallement estrange et sallele vient rendre, même ceux là qu’ils auoient institués à la batterie des poingtz.» -- Posteaquam igitur de eo, quod inter bona corporis summum est, tractavimus, nimirum de bona valetudine, transeamus ad reliqua Jam quod ad formam attinet, sic illis habet res, ut non solum exercitatio athletica nihil conferat ad pulchritudinem, verum etiam multos ex istis optime composito corpore , gymnastae qui eos curandos susceperant, supra modum saginantes et infercientes carnibus et sanguine , in diversam corporis speciem perduxerint, non nullos vero facie quoque prorsus deformi fœdaque reddiderint, eos potissimum, quos ad pancratium aut pugilum certamen instituissent. « Au contraire l’habitude de athletes, sortie iusques à son dernier poinct, les biens du corps, en apres elle est subiect en peril, puis facilement elle est muable au contraire, car elle ne vient à receuoir accession, pour ce qu’elle vient iusque à la summité ou elle est paruenue, et pour cela que elle ne peult concister en vn mesme estat, il ne reste rien sinon

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C-Année -1861- 412 BULLETIN DU BlBLlOPHlLE.

qu’elle se vienne à conuertir en deterieur. » — Contra athletarum ad summum progressa bona corporis habitudo, tum obnoxia periculo est, tum facile in diversum mutabilis. Neque enim recipit accessionem, eo quod ad summum pervenit, tum ex eo quod eodem in statu consistere non potest, nihil restat, nisi ut vergat in deterius. « Certainement, ô enfans, l’espece des hommes à vne certaine communion avec les dieux , cependant qu’il use de raison auec les animaulx, il est mortel. Doncques il est meilleur, affin que les couraiges adiectés à meilleure partie pa communion nous ayons cure de erudition laquelle quand l'aurons attaincte, nous aurons le souuerain bien qu'il appartient aux bons, et si par l'opposite nous ne l'ayons pas attaincte, toutesfois nous n’aurons pas honte de ce nom que nous sommes faictz inferieurs aux bestes brutes ignauissimes. » — Sane genus hominum, o pueri, communionem habet simul cum diis, et cum brutis animantibus. Cum illis quidem, quatenus utitur ratione, cum his vero quatenus est mortale. Satius est igitur, ut animis ad meliorem communionis partem adjectis, curemus eruditionem, quam assequuti, quod est in bonis summum habebimus. Sin eam non fuerimus assequuti , non tamen hoc nomine pudescemus quod brutis ignavissimis simus facti inferiores.

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D-Année -1861- ÉTUDES SUR

NOSTRADAMUS (1). II

Oeuvres et Adversaires (Suite).

Encore Almanahs et Pronostications. — Le tome VIII de la Correspondance de Peiresc, qui se trouve à la bibliothèque d’Aix en Provence, contient la copie d'une lettre latine adressée à Nostradamus, le 15 décembre 1561, par Jean de Rosenberg (Rosembergerus), propriétaire de mine dans le Tyrol, fort considéré de l'empereur et des rois d Pologne et de Bohème. Dans cette lettre, il parle ainsi des Almanachs: « «Quod Ephemeridem anni 1562 , in « qua multa prodigia, multæ calamitates, quæ «Europæ nostræ miserrime imminent, latius explicantur, gallice more tuo «confecisti, Pioque IV pontifici maximo dedicasti; harum cuperem duo vel tria «exemplaria quam primum a te habere, puto enim impressas esse; deinde quantum «pro illis debuero, tibi solvam. Scripsissem Lugdunum ut ibi emerentur, sed cum «sciam tibi plurimos infensos esse, qui tuas Ephemerides, quæ tamen ex diuturna «experientia verissimæ sunt, corrumpunt, et aliter sub tuo nomine imprimi curant, ut «vix a verum exemplar inveniatur, intermisi. Sæpe miratus sum tuas Ephemerides sive Calendaria, cum vidissem te quid uno quoque die futurum esset prædixisse, et ita«evenisse. Quare crede mihi tui similem non esse in tota «Europa. Deus opt. max. «velit te in diuturna sanitate ad sui nominis gloriam conservare !... Multæ , variæ et «periculosæ res

(1) Voir l'année 1860, page 1699, et l'année 1861, page 68, 241 et 383.

xvème série 42

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D-Année -1861- 658 BULLETIN DU BIBLIUPHILE.

«religionis causa in Gallia contingunt, quas tu omnes prædixisti, nec abs te est «magnam hoc sequenti anno sanguinis effusionem in Gallia futuram, quemadmodum«et in Germania præcedentibus annis factum est. » Ce passage est curieux à différents égards. La dédicace de l'almanach de 1562 à Pie IV prouve que Nostradamus avoit dans le haut clergé de puissants protecteurs. Mais, pour comprendre toute la portée de ce fait, il faut connoître l’article 26 de l'ordonnance d’Orléans du 31 janvier 1560 (61), dont voici les termes : « Et parce queceux qui se meslent de prognostiquer les choses à l'advenir, publiant leurs Almanachs et Prognostications , passent les termes d’astrologie, contre l'expres commandement de Dieu, chose qui ne doibt estre tolerée par aucuns princes chrestiens: nous defendons à tous imprimeurs et libraires d’imprimer ou exposer en vente aucuns almanachs et prognostications, que premierement ils n’aient esté visités par l'archevesque ou evesque, ou ceux qu’il commettra : et contre celui qui aura fait ou com- posé ledit almanach sera procedé par nos juges extraordinairement et par punition corporelle. » Cette innovation législative n'était pas dirigée contre Nostradamus, que la reine estimoit fort (1); mais contre des misérables, qui annonçaient des choses alarmantes, pour se faire une réputation, si quelques-unes venoient à s’accomplir. Il n’avoit pas à redouter des poursuites personnelles; mais l'obligation de soumettre ses prédictions annuelles à l'approbation des théologiens, et de s’en tenir aux généralités permises à l'astrologie, valoit presque une interdiction pour un voyant comme lui; et l’article 26 l'eût probablement réduit au silence, si l'approbation du souverain pontife n’eût paralysé la ten-

(I) Il paroit que lorsqu’il lut mandé à Paris par Heuri Il en 1556 , il obtint l'autorisation de lui dédier ses almanachs, car le passage suivant du Monstre d’abus prouve qu’il le fit la même année : « Tes œuvres ne sont que petits traictéz: lesquels encores que soient dediez (eux indignes toutesfois) à la magesté du Roy, sont neantmolns présentés et offertz à toutes gentz, et mesmement su plus vulgaire et commun peuple, ne tendans à autre fin qu'à monstrer et enseigner selon la dispositiondu temps quels jours sont heureux ou mal fortunes. »

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 659

-dance méticuleuse ou la malveillance possible des censeurs. La permission de dédierau pape son almanach de 1562 fut donc une victoire décisive. Rosenberg lui en demande deux ou trois exemplaires, ne voulant pas le faire venir de Lyon , parce que ses ennemis en publient des éditions falsifiées, tellement qu'il est presque impossible de se procurer le véritable. Il avoit pourtant là un homme sûr, qui lui servoit d'intermédiaire pour sa correspondance, et il étoit bien plus simple de faire prendre la bonne édition chez le libraire de l'auteur, que l'on ne pouvoit soupçonner d''infidélité. A quoi donc attribuer un tel excès de précaution? C'est, je présume, que Rosenberg sefigurait n'avoir jamais eu entre les mains un bon exemplaire, parce qu'il ne pouvoit croire que les défauts qui le choquoient dans tous ceux qu'il avoit rencontrés vinssent de l'homme qu'il regardoit comme un prodige de science. Les almanachs de Nostradamus ne répondant point à sa réputation, le public devait les croire falsifiés; etc'est, je pense, ce qui a fait dire à La Croix du Maine que plusieurs avoient publié sous son nom des imitations de ses almanachs et pronostications, pleines de menteries. Antoine Du Verdier, qui faisoit imprimer ses ouvrages à Lyon, ne dit rien de semblable. D'ailleurs, le Monstre d''abus ne voit pas un seul des autres almanachs qui approche tant soit peu de ceux de Nostradamus, ni même qui en ait envie; et Videlne voit que lui qui fasse le prophète. Je crois donc que si, comme il est probable, ses almanachs furent contrefaits, ils ne furent du moins jamais falsifiés , et que personne ne les imita de son vivant. Mais, peu de temps après sa mort, il parut quelques opuscules sous son nom. La Croix du Maine cite, parmi ses œuvres, des Prédictions pour vingt ans, continuant d'an en an jusques en l'année 1583 (88 ?), imprimées à Paris, en 1567, par Guillaume Nyverd. C'est une brochure pseudonyme, sans doute, Nostradamus n'ayant jamais écrit ces pronostications que pour l'année suivante. En voici encore une, que possède la bibliothèque du collège, à Lyon :

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D-Année -1861- 660 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Prophetie ou l'évolution merveilleuse des quatre saisons de l'an, et apparition des grands et horribles signes, comettes, estoiles et tremblement de terre qui pourront advenir depuis l'an prescrit, jusques en l'an de grande mortalité 1568, an de bissexte. Par Mi. Nostradamus. A Lyon, par Michel love, 1567, in-8 , avec permission. C'est une homélie de vingt-six pages, dont le style ne ressemble aucunement à celui du prophète(1). Rosenberg dit encore à Nostradamus que l'expérience journalière prouve la parfaitejustesse de ses Pronostications, et qu'il a souvent admiré comme ses prédictions pour chaque jour étoient confirmées par les événements. Cette bonne opinion, qu'il en a, tient, je pense, à ce qu'il n'est pas difficile en fait d'applications , et à ce qu'il regarde comme altéré tout ce qu'il ne peut concilier avec l'histoire. Ce qui me le fait croire, cen'est pas le Monstre d'abus, affirmant qu'on voit arriver chaque jour le contraire de ce qu'annonce l'Almanach; c'est Chavigny, qui ne cite pas une seule des six mille prédictions quotidiennes imprimées dc 1550 à 1567, qui n'explique peut-être pas un seul quatrain des Almanachs d'une manière satisfaisante, et qui n'a pas été plus heureux dans les passages des Pronostications qu'il a voulu appliquer à l'histoire. Telles étaient mes idées sur cette partie des œuvres nos-

(1) Quant aux prédictions pour quelques années, qu'on donne aux bonnes gens comme venant de Nostradamus, c'est une imposture qui date de loin , car on en trouve à la bibliothèque Sainte-Geneviève l’exemple suivant: Générale: prédictions pour douze ans, commençant en l'année 1683 et finissant en l'année 1694. Contenant les fertilitez ou infirtilitez de: années, et affaires du monde : tirez des conjonctions, oppositions, aspect: et rencontres de: planettes. Tiré des anciens manuscrits de Maistre MICHEL NOSTRADAMUS ; et nouvellement supputé suivant le calcul de Ticho-Brahé, par maistre Jean Petit , Lyonnais. A Troyes, chez Nicolas Oudot, rue Nome-Dame. Deux feuilles in-8 , contenant des prédictions astrologiques pour chaque année, précédées de quelques vers , dont voici un échantillon :

Le Dorfol passera les noirs flots du Colite Pour aller voyager és autres de Pluton. L'orgueilleux Salmonée enfin se précipite, Désirant offenser le pieux Ariston.

Dorfol et Colite, aux yeux de l'auteur, sont des nostradamismes.

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 661

tradamiques, lorsque j’ai acquis l'Almanach de 1 563 annoncé dans le Bulletin du BibIiophile de novembre-décembre 1 860. Je profite de cette bonne fortune, due au zèle obligeant de M. Techener, pour faire connaître la forme et le fond de ces brochures, devenues extrêmement rares depuis longtemps, et que les biographes de Nostradamus ne décrivent point, ou représentent de la manière la plus fausse. Voici letitre de ce petit in-16, de quatre-vingts feuillets non chiffrés : ALMANACH POUR L’AN M.D.LXIII. auec les presages, calculé et expliqué par M. Michel Nostradamus, Docteur en medicine, Astrophile de Salon de Craux en Prouuence. - Dedié au tresill. Seign. et tresexcellent capitaine, le S. FRANCOYS FABRICE de SERBELLON, General pour N. S . Pere aux choses de la guerre, en la côté de Venaiscin.

Quatrain de l'an vniuersel. Le ver sain, sang, mais esmeu, riê d'accord.

Infinis meurdres, captifz, mortz, preuenus, Tât d'eau et peste, peu de tout sonnes cors,

Prins, mortz, fuys, grand deuenir, venus. Imprimé en Auignon, ——- par Pierre Roux.

Ce titre est surmonté de la date en chiflres arabes, 1563, entre une croix de Malte et une étoile. Les deux première lignes et l'avant-dernière sont en rouge. Au verso se trouvent les éclipses de l'année; au recto du second feuillet, le fêtes mobiles et autres indications annuelles, avec Les Caractères des Signes ou désignation des organes qu’ils influencent. Vient ensuite le calendrier, dont chaque mois occupe une page et demie, parce qu’ils ont tous un quatrain, et que la page est de vingt-cinq lignes. En voici un que choisis, parce qu‘on n’y trouve pas, comme dans quelque autres, des abréviations forcées, qui empêchent de comprendre certaines prédictions.

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662 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

NOVEMBRE. Par mort mort mordre, conseil, vol pestifere. L'on n'osera Marins assaillir. Deucalion un dernier troublé faire. Peu de gens ieunes demy mortz tressaillir.

1 d Toussaincts. Gem. 3 Par force pacifique.2 e Les morts Gem. 15 Remercier le temps. 3 f s. Hubert Gem. 28 Lendemein changé 4 g s. Amand Canc. l1 Tretous accord. L'en- 5 a s. Zacharîe Canc. 23 demain changé. Ce 6 b s. Leonard Leo 3 qu’on vouldra. Accord 7 C s. Florence Leo 18 Dq.a11.h.44.m.(bon 8 d Quatre cor. Virgo 1 Malefacla inuenta. Ne 9 e s. Theodore Virgo 13 puisse souuenir. Doux 10 f s. Martin pa. Virgo 25 Royaux. A dignis in- 11 g s. Martin Libra 7 dignis. Remis troubles 12 a Sol en S'agit. Libra 16 Bône iournée. Par ieu 13 b s. Brice Scorp. 1 querelle de mort. Res- 14 C Amô mart. Scorp. l4 suscitation de guerre. 15 d s. ugene Scorp. 27 Pl. a 10. b. 51. m. Pa 16 e s. Euchere Sagit. 11 grand cas. Diuision de 17 f s. Hugues Sagit. 23 prouinces. Accord que 18 g Dedi. s. Pier. Capr. 6 releux. Temps facheux 19 a s. Elisabeth Capr. 20 Qui d’un costé, 20 b s. Emond Aquar. . 5 aultre. Mal. mortelln- 21 C Presen. n. d. Aquar. 20 Enfans miserables. 22 d Cecile vier. Pisc. 4 Pq. 10. h. 42. m. (capti. 23 e s. Clemēt p. Pisc. 17 Par les chemĩs assailly. 24 f s. Grisogon Aries 2 Grandz assemblées. 25 g s. Catherine Aries 16 Pluye, froid, glas. Iterû 26 a Pierre Alex. Taur. 1 Sacrileges biê pugnis 27 b s. Agricole Taur. 14 Vrbis seditio pacata. 28 C l'aduent Taur. 28 malheureuse grimasse 29 d Laduent Gem. 11 PI. a 10. h. 48. mi. 30 e s.André Gem. 24 Desobeissant de re.

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 663

Le nom du mois est en rouge, de même que ceux des principales fêtes et de quelques saints, la lettre dominicale, l'entrée du soleil dans chaque signe, et les images de la pleine lune et du dernier quartier, que nous avons imprimés en italique. Nous avons conservé les fautes d'impression, dont l'une est un disque rouge au lieu d'un noir, le 15; et substitué le nom des signes du zodiaque à leur figure, qui suit le nom des saints. Ces caractères astronomiques et les chiffres les accompagnent désignent le point de l'écliptique où la lune se trouve à midi chaque jour. Les prédictions qui viennent ensuite ne ressemblent à celles des almanachs connus que par quelques indications météorologiques, qui, dans ce mois et en mai, se réduisent à deux , et qui vont jusqu'à cinq en janvier et février. L'almanach de Nostradamus n'est donc pas le type de ceux qui lui ont succédé, comme bien des gens se le figurent. Dieu sur tout. Amen. Ainsi finit le mois de décembre, et la première page du onzième feuillet. Voici la seconde : A magnanime et puissant seigneur le S. François Fabrice de Serbellons , protecteur d'Avignon , par Perrinet Des Aubers.

EPIGRAMME. Dieu fabricant la fabrique du monde, Ha fabriqué vn bon fabricateur Qui iour et nuict fabrique bien, et sonde Tous les dessaings du maling fabriqueur. Fabrice ha nom; d'Auignon protecteur, Sage, et prudent a fabriquer pour nous. O Auignon, fabriqués a l'auteur* De toute paix, qui fabrique pour vous (l)

(1) J'ai corrigé une faute d'impression : *fabriqué as l'auteur. C'est vide de sens, et as jure avec vous. Le poëte exhorte les Avignonrois à préparer des munitions de guerre pour leur défenseur. L'auteur de toute paix est la traduction de Serre-bellon, Enferme-guerre. Bellum se prononçolt bellon. C'était de même chez les anciens. L'élision des finales en m dans les vers latins prouve qu'elles équivaloient à nos voyelles nasales.

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D-Année -1861- 664 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Vient ensuite un quatrain du même à M. Michel damus, docte mathématicien. Une épître italienne à Fabrice de Serbellon occupe les trois feuillets suivants. En voici le le début, qui est un éloge de l'astrologie.

ALLO ILLUSTRISSIMO Signore, il S. Fran. Fa britio de Serbelloni, par sua Santità nelle cose della guerra in Francia Generale. Di nessuna cosa è piu vaga et desiderosa la mente humana, Illustrissimo Signore, che di potere con sua cognitione, e libertà penetrare per tutte le parti di questa universale Macchina, la quale per lo suo mirabile ornamento da Greci Κόσμoç, da Latini Mundus è domandata : Percioche essendo naturalmente gli animi nostri tanto inclinatial volere intendere i secreti della Natura ed i futuri accidenti delle cose, quanto ne mia, ne altrui lingua esprimere sapprebe : ne havendo altro cibo che in tale suo desiderio piu soavemente li pasca e nutrisca, che la concenza della delettabile Astrologia : Chi non vede che nessuna cosa piu grata non potrebbe loro avvenire , ched'havere scienza delle cose superne, e d’intendere onde naschino i venti, onde si generi la pioggia e la grandine onde procedino i lampi ed i tuoni, onde si derìvino i folgori? Chi non sa che cosa piu dolce e gioconda non potrebbe loro essere , che di mirare ne benigni o crudeliaspetti delle fisse ed erranti stelle, i futuri buoni ò maligni successi delle cose? Chi non cognosce quanto altrui soglia aggradare (sendo massimamente l’huomo nato pe contemplare il Cielo) d’ intendere la natura e proprieta della Luna, la velocità di Mercurio, la benignità di Venere, la virtu ed effeti del Sole, l’ impeto e ferocità Marte, la temperanza et bontà di Giove, la frigidezza malignità di Saturno, e brevemente la qualità de gli al corpi sferici, ed influssi celesti?Concluderemo donqu che à ciascuno e grato d’ intendere i futuri avvenimenti

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D-Année -1861- BULLLIIN DU BIBLIOPHILE 665

del Mondo : de quali quantunque non si possa dare alcuna certezza, havendoli riposti Dio nel cuore della sua mente: nondimeno in virtù della sua bontà ineffabile, l’huomosaggio puo, contemplando la natura et lo stato delle seconde cause, prevedere molte cose, le quali à chi non è fondato in questa eccellente arte d'Astrologia, sono ascose ed incognite. Ma s’ alcuno è sotto 'l Sole che si diletti d’intendere e sapere cose magnanime ed alte, non solamente nell’ arte e disciplina militare, nella quale voi sete prestantissimo , ma in ogni sorte di virtù speculativa , voi (Generossimo Signore) à giudicio degl’ huomini savi, vene dilettate sopra ogn’ altro. — De là l'incroyable affection que l’auteur lui porte, et son désir ardent de le servir, dont il lui donne une bìen faible preuve en lui dédiant son almanach. Il le fait aussi pour que l'autorité de son nom le garantisse des morsures de l'envie, et afin de complaire à l'illustre cité d’Avignon, que sa valeur et sa prudence ont préservée de la fureur et des embùches de ses mortels ennemis. Le pape a été visiblement inspiré en confiant la défense de ses sujets à son cousin selon la chair, dont l'habileté, la vigìlance et le courage ont sauvé non-seulement Avignon et le Comtat, mais la Provence, le Languedoc et le Dauphiné : service éminent rendu au souverain pontife, au roi de France et à l'Église universelle. Les hauts faits et la gloire du nouveau Fabricius surpassent ceux de l'ancien; car, avec des Forces inférieures, il a chassé du pays qui lui est confiè les tyrans enragés de la nouvelle secte; et sa cause est infiniment plus grande et plus sainte que celle de l'incorruptible Romain. — Voici la fin : Havete in somma visto, Magnanimo Signore, l’inclinatione e devotìone mia verso le divine qualità vostre. Picciavi donque in guidardone e ricompensa dell’ amor mio, di leggere con lieto et tranquillo animo queste nostre vigilie : e d’ essere tal’ hora ricordevole della servitu ch’ io tengo con voi. In questo mentre io prego il datore di tutti i beni, che vi doni felice e longa vita, non solamente per la conservatione e salutedella nobile ed

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D-Année -1861- 666 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

aventurosa città d’ Avignone, ed altri vostri popoli : ma ancora per terrore e flagello de desperati ed ostinatissimi nostri avversarii, contra i quali Dio parimente vi faccia ottenere l’ intera e sperata vittoria. Di Salone di Craos in Provenza, agli xx. di luglio, 1562 — D. V. S. Illustrissima deditissimo —— M. Nostradamus. Cette pièce est immédiatement suivie, sans titre général de la Prédiction de janvier, qui, avec celles des autres mois, occupe les 66 derniers feuillets. Celles des premiers mois sont très-longues, parce qu’elles sont en partie applicables à toute l'année; cellesdes derniers, très-courtes, parce que l’auteur abrége pour en finir. Ces prédictions se composent, à chaque phase de la lune de son influence sur le temps et sur les choses humaines, suivant le point qu'elle occupe dans le zodiaque, et celui qui se lève en même temps à l’horizon. Puis viennent le conséquences physiques et morales de la situation des planètes dans les maisons, et de leurs différents aspects en elles, et avec le soleil, la lune et certaines étoiles puissantes le tout appuyé de citations latines de Ptolémée, d’Haly er d'Albumazar. Les conjonctions, oppositions, trines, quadrats ou sextils qui ont lìeu sans cesse, produisent un si grand nombre d'événements extraordinaires, inondations, sécheresses, grêles, tempêtes, prodiges, tremblements deterre, pestes, famines, massacres, empoisonnements, crimes et calamités de tout genre, que l’histoire de chaque siècle offre à peine davantage, et qu’évidemment presque tien de tout cela ne peut s’accomplir. L'almanach de Nostradamus est donc à mes yeux une sanglante satire de l'astrologie Mais parmi tant de prédictions réellement astrologiques dont le style est assez clair, malgré ses latinismes, on dirait que l'auteur en a glissé d'autres, vraiment prophétiques, (I) La ville d'Orange avoit été prise d'assaut et ses habitants exterminés, six semaines auparavant, par le comte de Sommerive et Fabricio Serbellonì , à la tête des catholiques provençaux et d'un corps de troupes italiennes.

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 667

se distinguent des premières par leur obscurité et par l'étrangeté du langage (1) Nous allons donner quelques exemples de ces deux manières, et quelques passages curieux, qui ne pourront faire sentir l'extravagance du tout, mais dont le style fera distinguer aisément les pseudonyme des véritables œuvres de Nostradamus (2). Janvier. — Dans ce moys de janvier 1563, sera le premier quart de la lune precedente le premier jour à 19 deg. d’Arìes, qui participe de la mauvaise qualité des jours precedens, avec un peu de temperature de peu de durée : et sera froid, sec, pluvieux, puis temps variable, donnant admiration, cum formidine et pavore de ce peuqui sera demeuré des humains, que par le fleau de Dieu nous est menacé d’une la plusgrande frayeur que peut jamaìs estre advenue au remanant des povres et miserables hommes. Et à l'occasion de l'année precedente, ou Sylla et Marius semblent avoir estéressuscités, adviendront telles frayeurs et troubles, qu’en calculant cecy la plume se vient à retirer, pour ne mettre par escrit ce que les astres presagent advenìr par guerresplus ferines que humaines, par famine, pestilence, subites et repentines invasions. — Et pour ce qu’en ce petit revolu par les dits des plus sages qui ont escrit du jugement astronomique, j'ay collìgé ce que j’ay peu, et calculé les futures avantures de la presente année 1563 et 1564 (combien qu'il me soit comme à demy defendu de ne man fester ce que les astres demonstrent), j’ay rejetté toutesfoìs

(I) Je n'ai rien trouvé d'analogue aux principaux événements de 1563, tels que le siéged’0rléans, la mort du duc de Guise, l'édit d'Amboìse et la prise du Havre. En outre, la pluparl des choses prédites sont d'un caractère entièrement opposé à l'histoire de celleannée et des suivantes , jusqu'à la seconde guerre civile. Je ne vois, non plus , aucun rapport enlre les prédictions mensuelles et les quotidiennes. Celle-ci semblent mise; au hasard, pour ruiner, par Ieur evidente fausselé, la réputation du propbèle et la croyance à l'astrologie. On trouve pourtant, le 27 févrler : Quel exécrable forfait! Or c‘est le lendemain que le due de Guise fut assassiné, puisque, selon les historiens, ce fut le 48, et que le calendrier d‘alors étoit en retard de dix jours. (2) Dans ce volume l'orthographe ne fourmille pus de lettres inutiles, comme dans la. plupart des livres imprimés à cette èpoque. l'introduction du v médìal et du j est le seul changement que j'aie fait.

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D-Année -1861- 668 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

plusieurs choses superflues, n’ayant retenu tant. seulemen que ce qui m’ha semblé plus proche de la verité, et mesm ce que par tant de temps j’ay appreuvé, et par plusieurs fois ay congneu estre veridique aux celestes sìgnìfications. Par quoy je viendray à supplier mon souverain Dieu mon Seigneur omnipotent, qui cum patre et filio sìmul adoratur conglorificatur, qu'il plaise à sa majesté me vouloir inspirer l’esprit de vérité, me conduisant au droit sentier ‘icelle. Parquoy ceux qui par cy devant ne m'ont entendu que In piter seroit iuferieur à Saturne, en cette presente année sera Saturne qui sera dechassé par Jupiter remis à sus, et son plus grand throsne : et ce que n’aura esté fait. sera fait Sed revocare gradum superasque evaderead auras, cela ne se fera jamaìs, pour ce que la toutale mortalité {approche et grandissime : nul refuge n'apparoìstra. Restat adhuc chœlum.—Et entre ces horribles et plus que stupendes avantures, Quis enim talia fando temperet a Iacrymis ? à cette heure qui est une heure droitement apres mynuit le xx de mars 1562 que le present calcul se fait, certainement je suis en deliberatìon de laisser tout. —Or apres avoir beaucoup calculé et de nuit et dejour, je ne me puis persuader autrement que les sìecles de fer ne soyent totalement de retour et que ne sòyons du grand chaos, et de la fin du monde, fin aucune aux choses commencées doit avoir, quia Finis ab origine pendet. O mon souverain Dieu eternel! apres qu j’ay longuement accordé les saìntes escriptures à l'Astrologie judiciaire, je n’ose mettre le centieme de ce que seroit grandement necessaìre. Aussi à fin qu’il ne me soit donné à vice de surpasser les bornes de l’Astrologie , comme faulsement tous m'objectec (sic), je m’en passeray le plus legierement qu’il me sera possible. Seulement cecy : Des plus grans qu s'aimera se gardera, et le tout fera bien besoin. — Ce quadrat sera de tres mauvais effets pour le respect des meslée precedentes par mauvais conseil, et plus meschant advis, qui seront cause de grandes morts et depredations incredìbles. Et seroit bien besoin (si à Dieu estoit agreable) que de tels

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 669

quadrats n’en fut qu’en cent ans un demy; encores seroit ce trop. —Ez plus profondesparties orientales quelque grand de la loi Mahumetique, du tout martial, prince magnanime, la terreur de tout l'Orient, mourra non sans grandissime strage et conflict, et perte d’iceux. Aussi des monarques Chrestiens aux orientaux mourir. ——O Saturne, que tu nous presages de maux si la puissance du grand Dieu n’y met la main! Lon m’objette que je ne fais que presager mal, aussy certainement que mal ne nous est presagé; je ne dis rien de moy, tout vient du mouvement des astres, et celestes calculations justement supputées, mais encores plus des Dieux immortels parpunition. — Aux Occidentaux les pluies seront tellement abondantes, que l'on cuiderale regne de Deucalion estre de retour. —Par toutes les quatre figures celestes exactement erigées sur les quatre parties de l'année, accordant cette cy du printemps avec celle de l’hiver precedent, je treuve quelque famine, mais non universelle; petite abondance de bestail terrestre, et grande de volatiles. — Et devers les parties orientales apparoistra quelque Roy d'estrange nation , mesmes d’estrange loy, lequel presques obtiendra le principal empire de tout l’univers.—Par le circuit de ce quadrat se tournera éveiller quelque brigue demy assoupie de quelque residu, tellement qu’à la parfin l'olivier deviendra le pin, sed non sine papaverum decussione, e cruore multo, tellement que les champs et rues publìques en seront stercorées. Puis sortira l'hydre terrestre et non celeste d’un aultre lìeu pullulant comme du profoud de tartare,et non des montaignes Hyperborées , ou le Soleil ne luit que bien peu : et feront comme le papillon alentour de la chandelle. Et pourceque dans ce quadrat de la Lune y a un quadrat de Mars à Venus different du superieur, signifie preparation à une infinité de ravissemens et mauvaises fornications. --—O la piteuse tragedie qui se prepare, telle qu jamais ne fut veué, ne jamais racontée par aucune des histoires memorables du passé ! Si Dìeu ne nous envoye quel e bon ange pour nous sauver, je ne pense point que ne

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D-Année -1861- 670 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

soyons proches de nos. derniers jours. —— Presques toute l'année ne sera que guerre,estant toujours Mars avec Saturne opposite. Février. — Saturne retrograde et infortuné presage pertes, dommages et detrimens àtoutes substances tant ayant ame, comme n'ayant ame de la nature de Saturne, et ce aux regions subjettes à luy. Icy je voy de choses grandes oultre celles cy, lesquelles n'est besoin de referer. Je voy par celestes figures erigées les contrées, les cités et les personnes, qui seront contraires et ennemìes au Roy, que je ne veux manifester. -— Etpour le seur en l'année 1562, 1563, 1564, et inclusivement jusques à 1567, depuis quele monde est monde, que le grand Char a esté par la puissance divine accompagné: d'une premiere cause et meilleure nature, ne furent jamais, ne aussi est possible avoir jamais esté, n’aussi ne peut advenir de tant grans maux et enormes miseres, que sera en celles la. O Dieu puissant quelles miseres, quelles calamités, et stupende avanturess'approchent. Je n’ignore point qu’il n’ait des personues doctes en nostre Europe qui escrivent, mais ils ne sauroyent decrire la centìéme partie de telles énormités , dignes d’une plus qu'émerveillable admlration d’un si grand nombre de Nerons, de Sylla, de Marius, qui pour vengeance tous ne tendent à aultre fin, qu’à subvertir le monde, et leremplir et souiller de sang humain. —-En ceci j’ay suivi toutes les opinìons des plus anciens Astrologues, entre les Grecs Ptolemée, eutre les Barbares le grand Albumazar, qui entre tous ceux qui ont escript, avecques Haly ont qbtenu le principat : et les ay con joins avec ma longue calculation de long temps observée. Mars. -—— Apres la revolution de cette Lune n'est demonstré qu’une universelle pacification aux faits ecclesiastiques : et plus l'ancienne eglise Romaine ne sentira detriment, que ne soyent passées quatre revolutions de Saturne chacune de plus de trente ans : et ne se parlera que pour aller alencontre de ce nouveau ennemy, qui jusques icy, e: ha plus de troìs ans par diverses voyes ìndirectes essaye d’en-

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 671

-vahir la plus grand part de la Chrestienté : mais en l’esté classe contre classe martialemeut et virilement luy sera obvié : ce nonobstant apportera une grandissime frayeur à toute la nation chrestienne, non sine magno malo, ——— Se feront de courses d'un paîs en aultre, d’une gent à une aultre, tellement que peu au paravant l’on ourra battre et frapper armures au ciel : et verra on aussi en plain jour de grandiss. prodiges et portenteux. Et feront les hommes des songes grandement horribles dont de sept jours apres ne s’en pourront asseurer. Plusieurs de diverse nation et parenté d’un efrené vouloir et contrainte, voyans la mort et le coutteau à la gorge, et que leurs principaux amis les chasseront, s'alieneront et étrangeront de leurs maisons et domicilles, de leurs femmes et enfans , dont la plus part mourront de tristesse, angoisse et melancolie. Avril. -— Si Dieu eternel par sa grace ne nous vient visiter de son immesurée misericorde je ne sçay comme tout en ira. Et si aucun cuide que ce que je dis soit procede d'ailleurs, que du jugement Astronomique, vienne luy mesme a bien ruminer les quatre figures celestes erigées sur l’universelle constitution de l'année : et certainement il verra que ce qu’est dans ce mìen escrit ne sont bayes ou choses inventées à plaisir, mais le tout venant du parfait et infaillible jugement des astres. Cequ’ayant cogneu plusieurs qui au paravant damnoyent ces miens escris, jugulés par laverité palinodiam cecinerunt. Aussi n'entre pas ceci dans testes ignorantes et sourdes. Sed cum larvis non luctandum. —— Le temeraire Phaéton et le miserable Deucalion tous deux seront cause (qui dans cette année icy et la suivante seront de retour) l'un d’une grandissime effusion de sang et pareille conflagration : l'autre qu’une infinité de peuples seront noyés, esteins, et submergés dans l’eau, et la terre leur defaillira.——— Pour les grandes et enormes tueries que seront esté faites, la terre viendra à luxurier, l'air et le ciel sera corrompu : la mer commencera estre demy pleine par diverses naufs et classes tant des Chrestiens que des Barbares : de deux classes une.

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D-Année -1861- 672 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Mai. —— La povre Provence se taira , ne s’osera plaindre, ne faire apparoir ses doleances : son mal procedé sera partim a Mediomatricibus. Les lieux circonvoisins àicelle fondront en chaudes larmes demandans secours à celuy que lon fera assavoir estre cause des effusions sanguinaires : et qui n'aura entendu , sera defendu le faìre entendre à celuy, auquel pour la temerité de son age, la centieme partie du mal ne serarapporté; mais ne sera plus memoire du sexe feminin des extremes parties Britannìques : et par l'advenement du nouveau ennemy seront les promoteurs des pestilens affaìres. La pioche ou le fer du ciel continuel tombé par les jours solsticials estives trembleront tellement que sera un piteux larmoyable advenement. ——— Mercure et Venus demonstrent qu’entre les Roys l’un permettra et fera que les ongles et dents soient extirpés du Lyon, puis le voyant ainsi depouillé de ses naturelles forcesl'assaillira et le vaincra : et ce sera de nuit plus que de jour, et principalement à l’entrée de l'aube, trestous en leurs soleils orientaux. Juìn.— Dans ce mois apparoistra celuy illustre qui s’essayera de reparer les maulx: et tellement sera remonstré que la plus part du monde devoyé se reduira à l'obeïssance de la sainte eglise catholique et apostolìque : en apres sacrosancta Romana ecclesia ordonnera qu'un chacun catholique vivra. Car Saturne et J upiter s'approchent les uns des autres pour reparer ce que trop ìnhumainement aura esté perpetré. Et pourceque l'eclypse qui est dans ce mois ne demonstre ses malins effets jusqu’à 1564 et 1 565 , nous les remettrons à un aultre lieu. — Dìeu et les astres sont tellement courroucés contre nous, que si lon ne desiste des mechantes et iniques entreprises , j’ay bien peur que nous soyons proche de ce grand chaos et fin de ce miserable monde. —— 0 le trist conseil, Roys et princes, d’avoir donné les mains deliées à bestes brutes! Vous en repentirés, et bien tard, vous en plourerés sur voz genoux. Malum consilium consultori passi mum : alors que vous y voudrés remedier, vous ne pourrés , sero sapiunt Phryges. Terrible ennemy viendra et seront

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 673

grandz trahisons. —- La plus part des tristes evenemens qui nous menassent adviendront plus devers la fin de cette an- née 1563, et au commencement de l’an 1564 , qu’en autre temps. Icy l’on aura traité quelque paix, trefve, et accord non accordé qu’à demy, qui se rompra devers la fin de cette année, et commencement de l'autre 1564. Juillet. —Comme la puissance temporelle est signifiée sous le masculin sexe , nempe sub Sole , et le fait de la spiritualité sub Venere : faemineam, inferioremve, et secundariam. potentiam sacræ et religìosæ vindicem æternam esse in brachio seculari necesse est. Dont il est manifeste et nécessaire que toutes les choses de ce monde soyent reduites sous le Roy tout ainsi comme à celuy qui est ordonné de Dieu.— La sempiternelle et à jamais durable monarchie spirituelle n'a esté preservée, confirmée ne defendue que pour le moyen de nos invictiss. monarques gaulois. Parquoy non sans cause et à juste tiltre le Roy de France est appellé TRES CHRESTIEN.Il est bien vray aussi que par les revolutìons du monde de fort profondes années la monarchie temporelle ne peut estre aux Roys Gaulois, mais bien leur regne de grandeamplification à perpetuité. Noachus, le plus sçavant en toutes sciences du monde , voyant l'universelle tyranie occupée injustement par Nembroth, sçavoit par les influxions des astres que le grand Abraham seroit appellé du paîs de Phenice, lequel en icelle regìon instituoit (sic) Melchisedech summum esterni ordinis spìritualis Pontificem, filium suum secundum prinzogenitum. Ipse autem in media Italia fixit aeternae sedis tenzporariae basim pro onmìbus Petri successoribus, qui à jamais seradurable donec, donec, donec. Ne passons plus outre en ces revolutions du monde : mais ce que j’ay trouvé par icelles plaise à un chascun le prendre en bonne part. ——Quant à ce qu’ils disent que le saint siege apostolique ne sera à perpetuité, par cette conjonction et quadrat, et par les anciennes tabIes astronomiques de revolutìon, combien que de tout temps se soyent treuvés des oppugnateurs, et pour le present aussi, s’ils accordent bien

xve série 43

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D-Année -1861- 674 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Ieurs escrittures avecques le parfait jugement de l'Astrologie, il sera à jamais pardurable. Quia christus qui est Abrahami Babylonicii semen, reprobata efus in Syria sancta sede, venit Romam : et eandem sedem summi pontificatus, quam illi dederat qui erat unus ex duadecim, u esse! fratres suos pasturus, Petri successoribus relictam voluit. Et ceci, pour demonstrer à plusieurs dévoyés quîl. se treuveront non moins trompés et abusés, comme les Juìfs en attendant leur Messie deja passé, errantes utrique ato caelo, totaque via (1). Septembre. -—-Plusieurs autres grands choses sont à advenir dans ce mois, que jene veux mettre par escrit, et pour cause : car plusieurs seront treuvés pour exploìtter le forfait contre Parmenon. Dieu y sera. Octobre. -——-Un monarque grand oriental pour soupçon de quelque petit Roy volet tyrannum agere, qui par conjurateurs sera enchaîné, mené, lié et attaché, puis n’en sera plus de memoire, tellement que pour cause de loy et de secte lon verra deuxbeaux chevaux s'entrebattre , et plusieurs autres. Et puis trois et deux entre autres, à qui lon aura levé les renes et la bride, ne les pourront plus reprendre, car celuy qui estoit maistre des chevaux sera dessaisy. —-Pour la prochaine opposition de Mars à Venus est demonstré que quelque grandiss. occasion de dommages, detrimens et incommodités adviendra aux Romains par crainte et fraïeur toutefois ne sera qu’ils nes’en ressentent, Et qu’à Rom entrera presques un damnable Carrafe, ce nonobstant la bonne police et souveraine moderation de la S. de notre St. (l) En parlant des Adversaires, j'ai déjà donné ce passage, avec trois autres de la même année cités dans le Janus. J e le répète ici, parce que Chavigny a supprimé la première phrase latine, et omis ou changé les mots françois qui sont imprimés en caractère italique. Les changements qu'il a faits dans le premier passage sont insigniflants. Ceux du second se bornent à ceci : « ....sçachant for bien qu'en icelle religion y ha des plus sçavans du monde en toute science mais par le jugement de l‘Astrologie judiciaire avecques la consonnance des sacrées escritures, combien qu'ilsaient quelque lumiere de raison, etc. » La comparaison de quelques phrases, cilées deux foie dans le Janus et les Pléiades prouve que Chavigny est coutumier du fait. Mais ses altéralions du texte sont ordinairement sans importance.

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D-Année -1861- BULLETIN DU B1BLIOPHILE. 675

pere le pape Pie 4 du nom, et d’effet non dissemblable au plus Aeneas, si prudemment gouvernera la nacelle de sainct Pietre, que le tout ira bien, mesmes à Rome, ou Haly in revolutianibus mundi les vìent à menacer. Quando enim (inquit) Venus opponitur Marti in aliqua anni revolutione, vel de sextili aspicit, acciclct Romanis grandis occasìo multaram incommoditatum. —-Mars appliqué avec Jupiter d’un quadrat menace les Roys, princes et satrapes : qu'ils se donnent garde depuis le 8du present mois jusqu’à ce que soyeut passés 75 jours. Novembre. —Par un trine aspect de Mars à la Lune, et par un autre de Saturne àMercure, et un quadrat de Jupiter à Venus est signifìé que les rages éfrenées se viendront un peu à mollifier : et. seront reparés les divins simulacres aux temples des Dieux immortels. Et seront proferés aux plus puìssans quelques mots en l'oreille concernans rem Regis Sardanapali : qui sera cause de prompte et repentine intellìgence. -— Les guerres de religion dureront encores fort longuement, et ne s'appaiseront que ne soit passée l'année 1566, lorsque les Princes , Roys et monarques, ensemble nostre S. pere le Pape avec tout son saint college s'assembleront pour bons elÎets : et par ordonnance de concile , là ou sera la lumiere du monde, sera celebrée quelque souveraine solemnité de feste en recordation d’un grand fait, et vìctoire conqnise dìvinement. Mais icy la mort d’aucun troublera. Décembre. --Par les orìentaux se levera une grande armée, que nous menasse quece ne soit le nouvel ennemy, vel novus hostis, qui nous doibt assaillir, et ne sera pou rien comprins le nouvel ennemy pestilentìal. Puis par ce deùx quadrata de Saturne à Mars, et de Mars à Jupiter es sìgnifiée quelque estrange secrette entreprise par Nobiscum Deus de quelque genereux faict qui s'executera avec division de regnes. Ettoutes les haultes menées et entreprinses durant cette pleneur Lunaire, et par les deux sequentes s’executont. Venus et Mars en l'ascendant de l'an 1564 de-

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D-Année -1861- 676 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

monstrent quelque empeschement. Mais les conjonctìons de Saturne avec Iupiter monstrent que l’on ne cessera moins virìlement poursuivre. Ambassades envoyées pour compositer. Ne pour cela de In integraum restìtutione, et Sol matrimo. des pollus. Mais le tout sera combatu absoluement et non ordinaìrement. Faciebat M. Nostradamus, Salonae Petrex Provinciae, die 7 Mai 1562, pro anno 1563. — Impressum Avenionì, cum licentìa magnificorum domìnoru superiorum. Une épigramme sur les misères de la France occupe la dernìère page. En voici la fin :

Mortales estate pii , ætas ultima venit : Credite divinis, credite Nostradamo.

Io. Chevignæi Belnensis. Plusieurs questions se présentent au sujet de ce volume. Antoine Du Verdier dit que Nostradamus a a écrit des almanachs et pronostications chaque année, depuìs 1550 jusqu'à 1567, lesquels almanachs ont été imprìmés à Lyon avec les présages (l) par Jean Brotot et Antoìne Volant, et par Benoit Odo, comme aussi à Paris; » et La Croìx du Maine que Jacques Kerver et autres ont imprimé à Paris ses almanachs et pronosticatìons. Pas un mot d’Avìgnon. Il paroit donc que l’Almanach de Nostradamus ne s’y imprimoit pas habituellement. Mais Lyon fut au pouvoir des protestants depuis la fin d'avril 1562 jusqu'à l'année suivante; et les communications entre la Provence et Paris furent sans dout rares et difficiles dans le même temps. L’auteur fut conséquemment obligé de faire imprimer dans son pays. Vient ensuite la questìon du format. Je crois que le nôtre faìt aussi exception, parce que dans l’ìn-8, lemoìs ne de-

(I) Ces mots : avec les présages, qui sont pareillement dans le titre de notre almanach,ne signifient pas avec les quatrains, puisqu'ils faisoient partie du calendrier; mais avec les prédictions en prose qui, publiées à part, s'intituloient Pronostications. C'est faute de le savoir que, dans le siècle suivant, le collecteur de quatrains mensuels disséminés dans le Janus les a intitulés Présages. Avant de l’avoir compris, je ne pouvois m'expliquer ces mots de Du Verdier, ni certaines expressions du Monstre d’abus et de Chavigny.

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 677

-voit tenir qu'une page, ce qui produit un meìlleur effet; et parce que les abrévìations,souvent forcées, des prédìctions quotidìenues annoucent que ces prédictìons devoient occuper des lignes plus longues. La grand pronostication nouvelle pour 1557, citée dans la quatrième édition du Manuel du libraire, est mème in—4; et les deux tìtres suivants, tirés du catalogue des livres de M. de Selle, Paris, 1761, confirment cette opinion : La grand pronostication nouvelle avecques la declaration ample de MDLIX,composée par Michel Nostradamus, avec les figures de quatre temps sur le. climats 47, 48, 49 et 50. Lyon, Brotot, 1558, in-8. Pronostication nouvelle pour MDLXII , parle mème Lyon, 1561, in-8. —-Il résulte encore de ces mots : avec les figures de quatre temps , que les quatre figures célestes érigées sur l'universelle constitution de l'année c'est-adire le thème céleste des quatre saisons, que Nostradamus, dans la prédictìon d’avril 1563, engage ses critiques à bien rumìner, faìsoient partìe des prédictiou mensuelles. Or notte volume n’en offre aucune trace: ce qui doit tenir à ce que ces gravures, destinées à un plus grand format, n’ont pu trouver place dans cette édition mignonne, qui eut sans doute une soeur jumelle d'une taille ordinaire. Les mémes titres fournìssent encore la preuve que les prédictìons qui suivent le calendrier dans mon exemplaire , se publioient aussi chaque année à part sous le titre de Pronostìcation. Je souhaite que ces observations et les citations de l’an 1563 puissent désormais faire reconnoitre aisément les véritables Almanachs et Pronosticatious, et que les bibliophiles ne soient plus exposés à payer chèrement des production de ce gente, attribuées faussement à Nostradamus. Mais comme l’extrêmerareté des siennes, la solution qu'on rencontre de certaines difficultés des Centuries, etl’espoir d’y faire d'autres découvertes, en comparant plusieurs années, peut donner quelque valeurà des exemplaires privés de

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D-Année -1861- 678 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

leur titre, nous allons rapporter, sous leur date, beaucou de phrases citées dans le Janus, les Pléiades et le manuscrit de la première, afin que si on en trouve quelqu'une dans ce qu'on possède, on sache que c'est vraiment de Nostradamus, et de telle année.Je désignerai simplement par le numéro de la page les phrases tirées du Janus. 1550. —Les corps superieurs menacent grande effusion de sang és deux extremitez de l'Europe, à l'occident et à l'orient et le milieu sera en tres douteuse crainte. Pléiades, p. 75. 1552. —Certes le grain sera cause de grande mutinerie et trouble. 222. 1553. —— Le Neptune second que la Gaule tenoit sera de partie opposite. Les effusions de sang seront en double sorte. 96. — Il faut qu’un nouveau siecle soit renouvellé. 132. Les maladies seront bien autant à craindre que les guerres, foulemens et oppression du peuple par gens sans raison. 134. —Le pays devers l'inferìeure Germanie demi occidentale et septentrionale se mutinera : qui voudra estre à un, qui à un autre. Il sera fort depeuplé et spolié par ceux de leur nation et autre : et s’en fera une effusion de sang telle qu'on marchera au sang humain jusqu’à demi jambe. 164. —— Rome, jadis chef du monde, aura ceste année Jupiter et Mars contraires; et seront plusieurs alentour de la Romanie qui machineront contre la temporalité. Ms. 1554.-—-Ceste année doibt regner une femme, qui plusieurs regnes mettra en trouble.146. — Quelque secte nouvelle pulluler et occuper quelque nation de gens bestiaux. Pl. 82. —Le penultieme du mois (septembre) donnera empechement à l'Aigle à Nice, qui se verra oppressée par l'ombre du Lion....,Tous les adversaires sortìront : de la le Piedmont doibt passer, le fer faucher, mutiler, assieger, saccager ses voisins. Verone, Parme, Viceuce, Bologne seronl oppressées par nations à eux estranges. Un nouveau Hieron à Pise entrera .. La nation Aquitanique doit par trop offenser d'une lesion irreparable, outre les monts Apennins.... La Celtìque region fera nouvelle assemblee et grand exercite se

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 679

doit lever dans ce mois (septembre) pour assieger le grand Pontife. Ms. 1555-La perte de quelques personnages sera irreparable : mesme de celui qui valoir non moins en conseil qu’en tous faits belliques. Themistocles oncques ne fut tant plaint. 124. ——Les cieux et ses images font demonstrance qu'un siecle nouveaude fer et de Saturne est de present. 132 et 238. -——Y arriver le second Maximinus pour eux, pour son pays Sylla le heureux. 162.-——Ce qu’on a deliberé de faire dans une nuit contre les bien endormis. sera d’une grande cruauté. Ils feront par force veiller la plus part deux nuits, et à la tierce le jour synodal fera l'embusche. 0 la malheureuse entreprise pour plusieurs! 204. — En peu d’ans on viendra à preferer le sang martial Troyen, son successeur issu, et chantera lon par l'univers esse sub Francigenis undique Germaniam. 214. — Bonté changée, le tout procedant de celui qui veut perdre un œil, afin que son ennemy soit privé des deux. 236. —-— Le nouveau prince sur grande assemblée de peuple regnera de parfaite équité et droiture. Pl. 8. —— La France vuidée, l'ltalie troublée, la Germanie matinée, I’Espagne à l'escoute, la Turquie en esperance : ex damno alterius utilitas. Pl. 60. —-La cité superbe sera surprise. Le siege du souverain Pontife ne sera sans frayeur. L’entendement de la grand Potestat sera en trouble. Les deux citez, celle de Jupiter et de Mars, trembleront une autre fois. . . . La pluspart de l’Italie occupée : les monarchies troublées de guerre et de famine : plusieurs potestats en facherie. L’Italie indignée : prince estranger révolté : Sylla et Marius arrivez. Sectes en sedition.... Brennus ne fit jamais si grand fraïeur aux Meridionaux , que fera son successeur à la nation Germanique et Italique.... Les faits gothiques et barbares commenceront à se reiterer, non eslongnez de Rome, comprenant l’Italie. . . . Le siege du grand Pontife ne sera sans frayeur. Quelques droits papaux seront ostez à nostre S. Pere eslongné deson regne.... On verra infailliblement la triple couronne estre bien proche. Ms.

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D-Année -1861- 680 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

l556.-——Le crime de celui qui sera surpris par divin decouverte, qui de long temps portoit sur soi dehors caché occult au cœur , sera à sa grande confusion : on n’eust pas cuidé qu’il eust voulu perpetrer tel crime. 122. —Les Alpes par Gaulois superées,le regne mis en Empire , l’Italie surmontée, l’Insubre assiegée, les habitans de la mer Ligustique et Corsique assubjetis et vaincus ; et autres louanges seront au monarque Gaulois conferées : plus amples en Avril et May. Je laisse à mettre plusieurs cas et evenemens sinistres advenir aux regions Italiques, une autre fois subjettes a vrai sang Troyen.... Je trouve qu’un prompt assault sera donné par le grand superstite de Brennus non à Veronne mais à Rome : lequel ne sera sans grand frayeur du siege Papal et des Principaux, estant leur ancienne felicité convertie à l'opposite. Et de ce qu’elle estoit jadis la frayeur et terreur des Gaulois, elle sera estonnée et craintive.... Les astres monstrent un grand conflict se faire au païs d’où jadis sortoient les divinateurs Etrusques. La cité qui jadis interpretoit les monstres, augures et auspices ,aura grand besoin qu'on lui vienne interpreter le monstre qui naistra dedans. Pour la vraie source, cela presage leur totale ruine.... qu'adviendra en la Toscane sera de merveilleuse adventure et y aura certain augure de leur future transmigration : et devers la mer Ligustique et Corsique... . Les deux similitudes egales qui seront adviendra en brief. O infelice! la sienne Hetrusque felicité sera convertie en infelicité.Il adviendra pour le seur sans plus s’eslongner , à la revolution solaire et martiale, et non moins à Rome , Gennes et plus horrible à Gand. Mais la plus part seront suffoquez et esteints pour ne donner occasion à leurs ennemis d'interpretation augurale.... La retention des sacrez et des principaux troublera beaucoup. On n’aura voulu croire celui qui avoit predit. Ms. —Le pin ne se pourra arracher; par mauvaise tempeste de temps branler pourra, choir non. Ms. de la 2° Pléiade. 1557. —— Typhon en plusieurs façons obscur. 100. —-— Août : Quelques sinistres accidens arriveront dans ce mois

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D-Année -1861- BULLETIN DU BlBLlOPHlLE. 681

et le prochain si estranges, que les larmes me viennent aux yeux tenant la plume à la main. Ce sera au circuit de la France, depuis le Lyonnais à Paris. 206. —(J’ai donné précédemment quelques-unes des phrases de cette année, citées par le Monstre d'Abus. Voici les autres :) A la cour royal seront aportées nouvelles du pays du cinquiesme climat. —Celui grand qui de peur et de gravelle cuidoit mourir, faisoit besoin. — Le grand grand sera quelque peu marry du grand grand. — L’esclave fuitif barbare à qui le conseil de Pompée tel ne fust. — La delivrance pour delivrance ne sera à ceux qui sont sunt. -- Celui qui d’ltalie ira en foaue sera plus agreable, placable au Roy des Mesopotamiens. —-Je treuve que le duruvirat ou triumvirat a faire expédition à barbares. —Dieu veille permettre que la tuition melite ne soit abandonnée par les derniers jeunes qui fort pericliteront. —- Les citadins essayeront par intestine conjuration de chasser les Ostracismes volontaires. --- Le pere Dionise qui par icy sera ne sera sans grand avancement. —- Le nouveau Neptune sera en une dubieuse deliberation. 1558. -—Ici se preparent trois principaux fleaux, peste, guerre et famine. Celui qui ne verra telles calamitez, sera non moins heureux, que celuy qui sera occupé du sommeil : tant sera horrible le temps par telles trois verges et fascherie celestes. 134. — Le commun populaire se trouvera tant en arriere, que plusieurs abandonneront femmes, enfans et ter roirs, pour sauver leur vie. On plumera le chapon d’une partie et d'autre. 156. —Seront faites plusieurs pilleries et profanes depredations, plusieurs temples derobez. Qui user: de prudence fera bon guet , car la compagnie est grande. 174. -- Si jamais en fut une autre qui tant longuement ait tenu par superbe et pertinaceopinion, par famine sera rendue. 216. —— Nouvelles seront apportées aux monarquepour recevoir les cités assiegées de longue traite : mais plus tost experimenter la famine Sagontine : et la condition de paix non durable sera parlementée. 216.———— O quelle estrange mutation de temps les astres font apparoir! et

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D-Année -1861- 682 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

telle qu'oncques depuis le regne des Chrestiens n’a esté presque une subite renovationde regne et de siecle. 240. Le glaive de Dieu eternei est luisant par plusieurs famin reiterées , mortalitez, effusions sanguinolentes et sedition populaires. 246. — Par la mer seront de grandes mutations subitement faites, qui seront telles, qu’on affermera fatun sortem ac fortunam consister entre les humains. O quelle variation! attendre jusques à l'extremité, nullement exempte. 246.-——Il viendra ce neantmoins au bout de son princip dessein et totius orbis monarcha. Je ne veux declairer quoi ne qui sera.297 et Pl. 20. -——Innumerables factions se presentent non seulement pour la presente année, mais presques jusques à l’an 1585, lorsque je trouve encores p1us grand tumulte que fut jamais. Se dresseront nouveaux tumultes, esmotions et brigues:et seront commis plusieurs et divers meurtres, et effusions de sang pestiferes et martiales. Pl. 58. -—-La peur (qui ne sera vaine) sera si grande, que des Gaulois aux regnes latins sera composée une nouvelle langue, qui sera dite Gallolatina. Ms. -—- Celui qui desire avoir ce qu’antiquement lui est deu, prendra luy mesme l'expedition pour faire le plus grand voïage : et à son retour sera chanté par triomphe de victoire Gauloise,

Voicy, voicy le grand dominateur De l’Italie et l'unique Domteur

De la cité de Rome, qu’on admire De sur son chef le sceptre de l'empire. Ms.

(Chavigny cite dans le Janus, p. 289, la même phrase, suivie, au lieu du quatrain, decelle-ci, qui venait sans doute après lui dans l'original : ) Hic erit E. L. R. D. E. V. Regiaque imperil nomme sceptra geret. 1559. —— Ceux qui seront employés à donner faveur, secours et aide pour leur Roy, à la departie feront tout le contraire : tellement que sera par eux le monde en grand trouble. 110. ———— Seront. de si subites mutations, que ceux qui seront haut seront bas : et ceux qui seront bas et

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 683

moyens seront hautement elevez. 126. —- Le lion icy (juillet) causera plusieurs et diverses fievres d'inflammation. Sequetur Victoria. Qui pour se monstrer fort affectionné envers son Grand mettra en abandon sa vie. Et dira on, Confossus quatuor vulneribus rediit. 172. —- En mesme temps la fortune se jouera bien de trois presques dans un moment, et tous subjets à un defaillement divers. O que tu es perfide et fragile! 184. -— Seront des plus Grands, qui par plusieurs et diverses factions civiles non tant seulement perdront leurs biens, mais leur vie et honneur ignominieusement et de severe pertinacité. 198. — Venus et Mars proches l'un de l'autre presagent quelque mariage grand, qui se parachevera, lequel tant de temps s'estoit manié. Et à leur conjonction seront joints ensemble plusieurs autres evenemens, qu'il n'est besoin particulariser, pour n'irriter les tavans et gnespes qui sont autour du tom- beau du virulent Archilochus. 202. —Laviduité du second Grand encores ne s'approche : le mal d’iceluy sera au poulmon. 2l8.-—-On passera les mers pour quelque grand maniement et affaire. La mort de quelque grande princesse. 248. —— La conspiration qui sera faite alencontre de quelque Roy, ou homme, fera de grands maux au vulgaire et commun populace : moyennant aucunes secretes conspirations des citez et villes, pour la diversité des ligues, partialitez, sectes et autres civiles factions. 250. — Oncques à vie d'homme vivant du plus long aage ne pourroit avoir en- tendu ni oui ce que dans ce mois sera fait et entendu. La resjonissance d'un costé en sera grande : par opposite, le genoul sur l'eschine sera bien renversé. l'infortune ne s'attaquera plus au fortuné. 254. — Encores se travaillera la belle Venus, parachevée aux calendes de Janvier. 260. -——-Et sera conjointe Flora d'une perpetuelle amour, concorde, foy, union et fidelle aflinitéavec les trois fleurs de lis à une. 262. —-—La serenité durera longuement. Florebit etaurea fornaz et regnabit tempore incerto. 264.-—Et ceux qui sont et seront enchainezpieds et mains en chaînes d'or.

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D-Année -1861- 684. BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Vous qui lisez ceci et vivrez, verrez de grands cas. 297. — Pour les monarchiques factions seront de cas exhorbitans, non pour le fait martial, mais mercurialiste, jovialiste et monarchique. Pl. 58. -—— Apres les doubles tenebres passées, le tout viendra en sa pristine lumiere par confederation pacifiée. P1. 91. —- Devers les mers orientales, par la mer Tyrrhene , parviendra quelque grand prince estrange nation. Pl. 76. — N’estoit la calomnie des meschans, je mettrois icy des cas, qui par ce presage adviendront : et la voix migrate, migrate et Veios, migrate Quirites. — Les yeux qui en fureur se tourneront et vireront comme roue de molinet et seront surpris.... Les plus grands Jovialistes seront contraincts par terre et par mer travailler.— La mort surprendra la plus grande espérance. Ms. 1560. ——- Merveilleux faits de Typhon. 100. --Toutes fois la plupart des inimitiez etquerelles se macheront , on fera du sourd, du muet et de l'aveugle. 124. — Temps bien muable et tel possible que fut de long temps : car les siecles seront tout autres que n’ont esté par le passé. La mutation du temps sera telle et si muable qu’on y perdra son theme. 130 et Pl.36.——-—Pleut à Dieu qu’il m’eust fallu passer outre sans rien dire sur ce mois (octobre)! A la parfin, il le faudra faire: mais ce ne sera sanspleurs, plaintes et grands gemissemens de la prodition qui est icy proche. Que Dieu y veulle remedier! 168. ——Du grand tronc plusieurs branches seront coupès, sed non nisi morte naturali, de tout sexe. 220. —-Se feront de grandes et secrettes conspirations ou Libra ha son quadrangle. 248. ——Quelcun sera apprehendé in cubiculo alieno, que ne sera sans tumulte grand. 254.——-Le siecle d’or commencera à soy renouveller : mais le nombre de cinq n’y sera jusques à la parfin compris. Se repentant que n’aura fait ce, dont l'occasion ne se presentera plus : et se treuvera destitué des Latins. 264. -——-Quelques uns ou plusieurs sævient in statuas. Et premierement ce commenceraen la Germanie, puis es Gaules : qui causera presques en toute la chrestienté une grande mutinerie et populaire sedition con-

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 685

-spirée par aucuns chefs solitaires, qui cuidans esbranler l'arbre, n’en tombera que desfeuilles : puis serpera en Espagne et toute l’Italie.... L’hydre de Hercules pullulera à toutes ses testes. Pl. 82. —— Les Pannons avec la plus grand part de la Germanie se rallieront ensemble pour resister à l'impetuosité des Barbares , Apud Viennam Austriæ: et seront repoussées les virulences barbariques. Aura le resentiment combien le cœurGermanique peut, et à l'advenir pourra. Pl. 193. — Plusieurs frapez du ciel. Et Roma non erit Romæ. Et delaissera on la pluspart des couleurs inaccoustumées. Ms. 1561. —Seront profanes de temples par personnes de diverses sectes et autres de toute perdition. 102. — Quelque Grande bien grande, qui aura le surnom de pie et debou- naire, et l’Androgyn aussi feront quelque grand cas de bien , dont en sera d’eux perpetuelle memoire. 126. —Long temps a que le monde n’a esté purgé ni par famine, conflict, ni mortalité. 132. —- Sera la pestilence si grande aux plus grandes citez, qu'elle fera oublier totalement les seditions esmeues pour la foy et la religion. 134. — Sera l'erreur plus grand qu'auparavant de quelcun bien grand au magistrat. Ses affaires iront au rebours. 166. -—Sinistres et tres mauvais evenemens adviendront par freres, sœurs, parens, amis, petis voyages, foy, non foy, religion feinte et non feinte. Les mains, le coude et les membres proches seront les uns prescrivez, les autres lesez. 204.—Aucuns malins seront submergés et suffoquez totalement. 206.—-Danger est que quelque grand Dame ne meure , et avec elle un sien enfant.... Apparoistra estre conservé et gardé ce que par tant de temps a esté establi. 260. —- Pour le seur quelque sinistre inconvenient adviendra à un monarque des regions de Cancer, qui sera delaissé des siens. Hic finis Priami, hic aderit miserabile fatum. 274.— Tant plus je me viens à profonder és celestes calculations, plus je trouve que ceci sera quelque prodigieuse et calamiteuse renovation de peuple, de secte et dogmatique persuasion. Pl. 36. — Saturne retrograde menace de mort

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D-Année -1861- 686 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

quelque grand monarque des regions«_de Cancer. Pl. 64. —Quelque grand union sefera entre les plus grands tant de la spiritualité que temporalité : et sera ce qu’estoit, etn’en sera rien diminué, plus tost augmenté : le tout esteint comme feu d’espines, quirepullulera mais en vain. Pl. 74. 1562.— Pour le fait de la politique quelque grand sera deposé de la charge dumagistrat : estre accusé sans offense. Ceux qui l’auront autorisé desautorisez. sansdéshonneur. 166. ——Les rois auront des ennemis et adversaires du peuple,Religieux et freres qui preschent la loi. 274. — Presques du tout sortiront nouveauxregnes, ressuscitations de sectes : les personnes ne se congnoistront. Advisez, pauvreschrestiens, le temps est court , la grande conjonction s'approche, les astres ainsi ledemonstrent. Pl. 36. —En lieux infinis de l’Europe seront peurs, craintes, frayeursrepentines et subites esmotions, tellement que les uns se viendront à esmouvoir contreles autres sans cause, raison, ny occasion. Ce seront frayeurs esmues de subitesesmotions irraisonnables. Pl. 42. --Le jeune Gordian par tout l'univers sera exalté etreceu : et celle supreme espérance ne sera frustrée envers les esperans , faisantrenouveller les siecles dores: la plus part de la truculence de Mars sera evanouie. Pl.44. —— Surviendront quelques nouveaux sectistes viendront spargir et semercertaines folles erreurs au peuple, tellement qu’entre plusieurs d’eux, pour la diversitédes sectateurs , naistront grandes guerres, querelles, noises, débats : et en plusieursassemblées le fer commencera tellement à luire , que sera faite grande effusion desang. Pl. 82. — Des cette année le fait ecclesiastique temporisera. . . . Pour lestumultes ecclesiastiques j’ay crainte que ne leur soit osté ce que par la conjonction deSaturne et de Jupiter leur est menacé. Ils feront comme le pellican , qui cuidantesteindre le feu prochain du nid de ses petits, avec ses aisles le vient plus fort àrallumer. Pl. 104. ——On aura tant combattu des effets de Saturne et de Jupiter, qu’àla parfin Jupiter se trouvera inferieur, de long temps n’aura ses preeminences etpuissances abso-

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-lues. Ains seront conférées au Soleil et à Saturne qui seront les souverains dominateurs du monde, aux quels le sceptre ne sera jamais osté. Ms. I564. —Les factions et discordances entre les plus grands seront telles, que l'ordre plebée en sera grandement offensé et plus que grievement lesé : de sorte que plusieursprovinces ne pourront jamais lever la teste : à tout le moins ressentiront fort long temps des truculentes invasions. Pl.59. - Grands tremblemens de terre seront faits, de façon que grandes montagnes seront transferées de lieu en autre. Pl. 75. -—Pour les trop frequentes pluies, ce que sera en terre semé sera gasté : dont sortira une tant grande famine, que jamais ne s’ouyst dire la pareille, dont mourra une infinité de pauvres gens. Pl. 87. —-La multitude rustique sera au plus bas de tout son pouvoir, frustrée de ses esperances, en angoisse, destresse, indigence, défaillance et pauvreté grande de tous biens et de tous vivres. Pl. 88. —-Par accord des princes lorrains est demonstrée pacification, pour laquelle les passages des regions seront totalement ouverts et plus ne se fermeront. On aura tant crié Noël, qu’à la parfin il viendra. Des nouvelles, qui auparavant à chariots et batelées couroyent, ne s’en parlera plus, ni de semblables inventions et menteries, et ne se rapportera rien que de parfaite verité. . Les deux années subsequentes seront beaucoup plus douces et favorables par la grace de Dieu, pour ce que toutes telles incommoditez et afllictions cesseront, avec repos et tranquillité, l’air se presentant bien propice et salubre. Pl. 92. 1565. -—- Plusieurs ayant mené toute leur vie sainte, louable, monastique et de bonne religion, lairront leur premier estat, et apostateront, vagans et courans par le monde et suivans de fort mauvais conseils : et seront les premiers qui s’en repentiront. Pl. 97. 1566. —— Occasion sera offerte aux plus grands princes de s'accroistre sur les Africains et Asiatiques. Pl. 123. Dans son épître à Dorat, Chavigny dit qu’il avoit tous les

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D-Année -1861- 688 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

présages en prose, paucis admodum arceptis. Il lui manquoit probablement ceux de 1551 , dont il ne rapporte aucune phrase. Comme il n'en cite point non plus de 1567 tandis qu’il en donne presque tous les quatrains, l'auteur accablé d'infirmités, ne composa peut-être qu’un almanach sans pronostication , la dernière année. Mais puisque Chavigny emprunte qu’une phrase aux deux années précédentes, son silence n’est qu’un léger indice. Bien que Nostradamus se plaigne , dans la prédiction de janvier 1563, de ne pouvoir exposer librement sa pensée, il me semble que la comparaison des quatrainset des fragments en prose écrits avant 1561 avec ceux des année suivantes, ne prouve pas que l'ordonnance d‘Orléans ai produit un changement sensible dans ses almanachs et pronostications. _ HOROSCOPES.—Dans la lettre de Rosenberg, il est surtout question d'horoscopes. On y voit qu’il a reçu sa nativité et ses révolutions (1) des années 1561, 62, 63, 64 et 65 mais que Nostradamus les refait à la manière des Indiens avec la plus grande exactitude, et que Rosenberg les at-

(1) On ne se contentait pas d'observer la position des astres au moment de la naissance, et de juger quelle influence elle aurait sur toute la vie. On faisait de même pour chaque révolution céleste, supposant que, chaque année, la disposition du ciel aujour et à l'heure de la naissance modifiait l'horoscope général. Ainsi Chavigny mit à lasuite du manuscrit des deux premières Pléiades, qu'il offrit Henrii 1V, né le 23 décembre 1553, la figure du ciel, à Pau, le 23 décembre I594 à 16 heures 47 minutes après midi; et il y joignit cet Avertissement à Sa Majesté " Sire, ayant considéré à part moy les furieuses entreprises, qui dernierement on esté faites sur Vostre Majesté, j'en ay voulu rechercber la cause celeste. Pour ce ay erigé la figure qui est cy apres, devostre revolulion XIJI courant, qui est la présente: et l'ayant conférée avec celle de vostre heureuse nativité, j'ay trouvé la Lune retournée au mesme lieu (peu s'en fault) qu'elle tenoit en icelle nativité, sçavoir la VIIè maison du ciel, avec une opposition deMars, qui est à l'ascendant lieu de la vie, et un quadrat de Saturne jette d'en haut. Dont n'ay esté esbahi de tels attentats , telle constellation y consentant pour ceste année : pour ce sera besoin encores vous garder. Combien qu'à mon jugement toutes telles entreprises seront vaines, si aucunes eschoyent, pour ce que ledit Mars estant ausigne du Scorpion, sien domicile, vous fortifie , garde et favorise, mesme estant regardé de bon œil du meilleur des planetes, Jupiter : et rien ne fait le quadrat de Saturne jetté d'en haut, pour ce qu'il se fait en signes de longues ascensions. et a forcede trine aspect : joint que ledit Saturne estant rétrograde n'a point de vigueur..... " Dieu, d'ailleurs, qui tient en sa main la vie des rois, et qui le destine à de grandes choses, saura bien le réserver de tout mal.

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 689

-tend avec la plus grande impatience. Il a pourtant lieu d'être content des premières, puisque l'événement a déjà confirmé plusieurs des prédictions qu'elles renferment. Il n'a pas encore reçu la nativité de son fils Charles, et il lui tarde bien de la connaître, parce que Nostradamus l'a composée, avec le plus grand soin, de trois manières, d'après la méthode des Indiens, celle des Babyloniens, et la sienne propre. Mais il a enfin celle de Jean, qui est un vrai chef-d'œuvre : «Genituram filii mei Johannis «accepi, et invenio te nullis laboribus aut diligentia in ea perficieuda pepercisse, «eamque u tnm miro artificio confectam esse, ut similem nunquam viderim. » Rosenberg devoit en être bon juge, car il dit qu'il avoit eu la passion de l'astrologie dès son enfance; et, d'après une lettre de son ami Pomeranus, jointe à la sienne, il avoit choyé longtemps chez lui d'excellents astrologues. — Rosenberg parle aussi de l'horoscope de Charles IX, fait par Nostradamus, sans doute à la demande de la reine. Tout cela prouve qu'il savoit composer un horoscope, et ne le traçoit pas toujours en dépit de l'art, comme Videl le lui impute. Mais puisqu'il se jouoit de la grammaire dans ses écrits, il pouvoit bien affecter une grossière ignorance en astrologie. L'astrologie, d'ailleurs, étant la seule forme autorisée sous laquelle la faculté divinatrice put se manifester, et l'observation de ses lois ne pouvant donner que des prédictions fausses, un voyant devoit recourir à la ruse pour faire dire aux astres ce qu'il vouloit. De là, sans doute, les différents systèmes employés par Nostradamus en composant ses horoscopes. L'affectation d'ignorance pouvoit être des plus utiles à cet égard; et il devoit employer volontiers ce moyen pour se moquer de l'astrologie et se venger de ses entraves. Une preuve qu’il ne croyait pas à ses dogmes, fondés sur les mouvements apparents des astres et sur les plus frivoles analogies, c'est qu'il croyoit au mouvement de la terre. Il savoit même qu'il dépend de la force centrifuge et de la gravitation, et que ce seroit un jour

xv‘ SÉRIE. 44

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D-Année -1861- 690 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

l'opinion commune : témoin ce passage de son épître au roi : « Et precedera devant uneclypse solaire le plus obscur et le plus tenebreux , que soit esté depuis la creation du monde jusques à la mort et passion de Jesus Christ, et de là jusques icy; et sera au mois d’octobre que quelque grande translation sera faicte, et telle que l'on cuidera la pesanteur de la terre avoir perdu son naturel mouvement et estre abysmée en perpetuelles tenebres (1). » C'est comme s’il y avoit : la terre estre abysmée; car il sous-entend d’habittude le dernier mot s’accorde avec la suite. L'horoscope de Charles 1X me rappelle que le roi et la reine envoyèrent Nostradamus à Blois, en 1556, pour savoir ce qu'il penserait de l'avenir de leurs enfants, lorsqu’il les auroit vus. Il n'est pas question de nativités. On le consulta non comme astrologue, mais comme prophète. Cette idée qu’on avoit de lui confirme le témoignage de Videl et du docteur Fontaine, et s’accorde avec les récits des biographes. Chavigny, expliquant le quatrain de l’é'pître liminaire de I555, s’exprime ainsi : « De ce vieil comte de Tende nous avons une plaisante histoire dans les presages prosaîques de nostre auteur par moy colligez, livre premier. Retournant de Lyon ceste mesme année pour aller en Provence, se mist sur le Rhosne, advint que le bateau enfonçant, ledit comte tomba dans l'eau jusqu'au menton et en beust son soul. Ce que nostre dit Prognostiqueur lui avoit predit auparavant par ces paroles un peu ambiguës : Nostre gouverneur en buvant sera surpris. » Surpris, signifiant pris sur l'eau, tiré de l'eau , est tout à fait nostradamique. — De même, César Nostradamus, parlant d’une ville de Provence prise par les comtes de Tende et de Crussol , ajoute : « Cette victoire ayant été preditepar celui qui m’a mis au monde, à ces deux seigneurs, lorsqu’il leur dit qu’ils lairroient les arbres pleins

(1) Si la terre pouvoit cesser de graviter vers le soleil, elle seroit lancée par la force centrifuge dans les abîmes de l'espace, et plongée dans une nuit sans fin; et si elle recevait une impulsion qui agrandit son orbite, on pourroit se figurer d'abord que sa déviation vient de l'absence de la pesanteur.

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D-Année -1861- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 691

de fruits inaccoutumés et nouveaux, entendant de force pendus. » Après les contemporains, vient l'auteur de l’Eclaircissement, qui tenoit, dit-il, du P. Joubert, ancien missionnaire en Orient, que M. Cotton, père du confesseur de Henri IV et de Louis XIII, « demandant à Nostradamus ce qui arri veroit à son fils, il lui répondit qu'il serolt un jour religieu et une des lumières de l’ordre qu’il embrasseroit. » Étienne Jaubert dit encore que, se trouvant à Bar-le-Duc, il apprit du maître du château de Faim, nommé Florinville, que Nostradamus y avoit séjourné, et que le grand-père de ce seigneur lui ayant demande ce que deviendraient deux cochons de lait qu’ils aperçurent dans la basse-cour, il repartit: Nous mangerons le noir et le loup mangera le blanc Sur quoi, il fut recommandé secrètement au cuisinier de tuer le blanc et de le servir à souper. Mais, lorsqu’il l’eut mis à la broche, un jeune loup, qu’on vouloit apprivoiser, en mangea une partie; ce qui le força de tuer le noir, et de le servir au lieu de l’autre. Cela fait, le maître dit à Nostradamus Eh bien. monsieur, nous allons manger le cochon blanc, le loup n'y touchera pas. — Je ne le crois pas, répondit-il c'est le noir qui est sur la table. On fit venir le cuisinier qui avoua ce qui s'était passé. —Au même lieu, Nostradamus dit à quelques personnes qu’il y avoit dans la montagne un trésor caché, qu’on ne trouveroit pas en le cherchant mais en creusant pour autre chose.

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1862-1 partie-ÉTUDES sur

NOSTRADAMUS (1). II

Œuvres et Adversaires (Suite).

Préfaces des centuries. — Parmi les nombreuses éditions des Centuries il y en a peu de bonnes, et les exemplaires en sont tellement rares, que nous allons extraire des préfaces ce qui pourra nous éclairer sur les idées et les intentions de l’auteur Ces fragments compléteront nos échantillons des œuvres en prose, et permettront à chacun de vérifier notre jugement. « PRÉFACE de M. Nostradamus à ses propheties. — Ad Cæsarem Nostradamum filium. — Vie et felicité . ——Ton tard advenement, Cesar Nostradame mon fils, m’a faict mettre mon long temps par continuelles vigilations nocturnes referer par escript toy delaisser memoire, apres la corporelle extinction de ton progeniteur, au commun profit des humains, de ce que la divine essence par astronomiques revolutions m'ont donné cognoissance. Et depuis qu’il a pleu au Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle lumiere dans cette terreine plaige, et ne veux dire tes ans qui ne sont encores accompaignez, mais tes mois martiaux incapablesà recevoir dans ton debile entendement ce que je seray contrainct aptes mes jours de finer : veu qu’iln’est possible te laisser par escript, ce que seroit par l'injure du temps obli- (1) Voir l'année 1860, page 1699, et l'année 1861, page: 68, 241, 383 et 657.

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1862- 762 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

-teré : car la parole hereditaire de Pocculte prediction sera dans mon estomacb intercluse : considerant aussi les adventures de l’humain definiment estre incertaines, et que le tout est regi et gouverné par la puissance de Dieu inestimable, nous inspirant non par bacchante fureur ne par lymphatique mouvement, mais par astronomiques assertions : Soli numine divino afflati præsagiunt et spiritu propheetico particularia. Combien que de longtemps par plusieurs fois j’aye predict longtemps auparavant ce que depuis est advenu, et en particulieres regions, attribuant le tout estre faict par la vertu et inspiration divine, et autres felices et sinistres adventures de accelerée promptitude prononcées, que depuis sont advenues par les climats du monde: ayant voulu taire et delaisser pour cause de l'injure, et non tant seulement du temps present, mais aussi de la plus grandepart du futur, de mettre par escript, pour ce que les regnes, sectes et religions feront changes si opposites, voire au respect du present diametralement, que si je venois à reserer ce qu’à l'advenir sera, ceux du regne, secte, religion et foyqtrouveroient si mal accordant à leur fantaisie auriculaire, qu’ils viendroient à damner ce que par les siecles advenir on cognoistra estre veu et apperceu. Considerant aussi la sentence du vray sauveur : Nolite sanctum dare canibus, nec mittatis margaritas ante porcos, ne conculcent pedibus et conversi dirumpant vos. Qui a esté la cause de faire retirer ma langue au populaire et la plume au papier : puis me suis voulu estendre, declarant pour le commun advenement, par obstruses et perplexes sentences les causes futures, mesmes les plus urgentes, et celles que j'ay apperceu, quelque humaine mutation qu’advienne ne scandaliser l'auriculaire fragilité, et le tout escrit sous figure nubileuse, plus que du tout prophetique, combien que, Abscondisti hæc a sapientibus et prudentibus, id est, potentibus et regibus, et enucleasti ea exiguis et tenuibus: et aux prophetes par le moyen de Dieu immortel et des bons anges ont receu l'esprit de vaticination par lequel ils voyent les choses loingtaines, et viennent à prevoir les fu-

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1862- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 763

-turs advenements : car rien ne se peut parachever sans luy....» Viennent ensuite des explications assez longues, mais très obscures, sur la nature et les causes de la clairvoyance prophétique, parmi lesquelles on trouve cette phrase : « Car les œuvres divines, que totalement sont absolues, Dieu les vient parachever : la moyenne qui est au milieu, les anges : la troisiesme, les mauvais. » Je la cite, parce qu’en voici une de la version latine du Traité des Mystères de Jamblique, par Marcile Ficin, qui lui ressemble trop pour que ce soit un effet du hasard : Opera quidam absoluta ducunt dii, media angeli, tertia dæmones. Encore un fragment : « Mais la parfaicte des causes notice ne se peut acquerir sans celle divine inspiration:Veu que toute inspiration prophetique reçoit prenant son principal principe mouvant de Dieu le Createur , puis de l’heur et de nature. Parquoy estant les transes indifferentes, indifferemment produictes, et non produictes le presage partie advient , où a esté predict. Car l'entendement créé intellectuellement ne peut voir occultement, sinon par la voix faicte au lymbe moyennant la exigue flamme en laquelle partie les causes futures se viendront à incliner. Et aussi, mon fils,je te supplie que jamais tu ne veuilles employer ton entendement à telles resveries et vanités qui seichent le corpset mettent à perdition l’ame, donnant trouble au foible sens: mesmes la vanité de la plus qu'execrable magie reprouvée jadis par les sacrées escritures, et par les divins canons, au chef duquel» est excepté le jugement de l'astrologie judicielle : par laquelle, et moyennant inspiration et revelation divine par continuelles supputations, avons nos propheties redigé par escript. Et combien que celle occulte philosophie ne fusse reprouvée, n'ay oncques voulu presenter leurs effrenées persuasions, combien que plusieurs volumes qui ont esté cachez par longs siecles me sont esté manifestez. Mais doubtant ce qui adviendroit, en ay fait aptes la lecture present à Vulcan, que cependant qu’il les venoit à devorer, la flamme leschant l'air rendoit une clarté

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1862- 764 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

insolite, plus claire que naturelle flamme, comme lumiere de feu de clystre fulgurant, illuminant subit la maison, comme si elle fut esté en subite conflagration. Parquoy afin qu’à l'advenir ne fusses abusé, perscrutant la parfaicte transformation tant seline que solaire, et sous terre metaux incorruptibles, et aux ondes occultes, les ay en cendres convertis. Mais quant au jugement qui se vient parachever moyennant le jugement celeste, cela te veux je manifester: parquoy avoir cognoissance des causes futures, rejectant loin les phantastiques imaginations qui adviendront, limitant la particularité des lieux par divine inspiration supernaturelle : accordant aux celestes figures les lieux, et une partie du temps de proprieté occulte par vertu, puissance et faculté divine, en presence de laquelle les trois temps sont comprins par eternité, revolution tenant à la cause passée, presente et future : Quia. omnia sunt nuda et aperta, etc. Parquoy, mon fils, tu peux facilement nonobstant ton tendre cerveau, comprendre que les choses doivent advenir se peuvent prophetiser par les nocturnes et celestes lumieres qui sont naturelles et par l’esprit de prophetie : non que je me veuille attribuer nomination ni effect prophetique , mais par revelée inspiration , comme homme mortel, esloigné non moins de sens au ciel, que des pieds en terre, Possum non ermre, falli, decipi : suis pecheur plus grand que nul de ce monde, subjet à toutes humaines afflictions. Mais estunt surprins parfois la sepmaine lymphatiquant, et par longue calculation rendant les estudes nocturnes de souefve odeur,'j’ay composé livres de propheties, contenant chacuncent quatrains astronomiques de propheties, lesquelles j’ay voulu un peu rabouter obscurement : et sont perpetuelles vaticinations, pour d’icy à l'année 3797 . Que possible fera retirer le front à quelques uns, en voyant si longue extension, et par sous toute la concavité de la lune aura lieu et intelligence : et ce entendant universellement par toute la terre les causes, mon fils. Que si tu vis l’aage naturel et humain, tu verras devers ton climat, au propre ciel de ta nativité les futures adventures prevoir. »

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1862- BULLETIN DU BÏBLIOPHILE. 765

Après une tirade fort ténébreuse sur la faculté prophétique, viennent quelques prédictions, dont l'uneparoît fausse, et l'autre opposée à celle d’une grande perturbation dans le mouvement de la terre. Les voici toutes deux : — « De present que cecy j’escrits avant cent septante sept ans trois mois onze jours, par pestilence, longue famine et guerres, et plus par les inondations, le monde entre cy etce terme prefix, avant et apres par plusieurs fois sera si diminué, et si peu de monde sera, que l’on ne trouvera qui veuille prendre les champs, qui deviendront libres aussi longuement qu’ils sont estez en servitude : et ce quant au visible jugement œleste, qu’encores que nous soyons au septiesme nombre de mille qui paracheve le tout, nous approchant du huictiesme, où est le firmament de la huictiesme sphere, qui est en dimension latitudinaire, où le grand Dieu eternel viendra parachever la revolution : où les images celestes retourneront à se mouvoir; et le mouvement superieur qui nous rend la terre stable et ferme , non inclinabitur in sæculum sæculi : hors mis que son vouloir sera accompli, mais non point autrement. » — Ici, troisièmes éclaircissements ténébreux sur le don de prophétie, et enfin la conclusion, que voici : « Viens à cesteheure entendre, mon fils, que je trouve par mes revolutions, qui sont accordantes à revelée inspiration, que le mortel glaive s’approche de nous maintenant par peste, guerre plus horrible qu’à vie de trois hommes n’a esté, et famine, lequel tombera en terre et y retournera souvent; car les astres s'accordent à la revolution, et aussi a dit : Visitabo in virga ferrea iniquitates eorum, et in verberibus percutianz eos. Car la misericorde de Dieu ne sera point dispergée un temps, mon fils, que la pluspart de mes propheties seront accomplies et viendront estre par accomplissement revolues. Alors par plusieurs fois durant les sinistres tempestes, conteram ergo, dira le Seigneur, et confringam et non miserebor, et mille autres adventures qui adviendront par eaux et continuelles pluies, comme plus à plain j'ay redigé par escript aux miennes autres propheties, qui sont

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1862- 766 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

composées tout au long in soluta oratione, limitant les lieux, temps et le terme prefix que les humains apres venus verront, cognoissant les adventures advenues infailliblement, comme avons noté par les autres, parlans plus clairement, nonobstant que sous nuée seront comprinses les intelligences: sed quando submovenda erit ignorantia, le cas sera plus esclaircy. Faisant. fin, mon fils, pren donc ce don de ton pere Michel Nostradamus, espérant toy déclarer une chacune prophetie des quatrains cy mis. Priant au Dieu immortel qu’il te veuille prester vie longue, en bonne et prospere félicité. —De Salon ce 1 de mars 1555. » Jean Leroux prétend que cette préface, adressée en apparence au fils aîné de l'auteur, l’est en réalité à son interprète futur. Ce n’est peut-être pas une chimère. Car après avoir dit à ce fils, encore au berceau, que sa venue tardive l’a forcé de consacrer de longues veilles à lui dévoiler par écrit les mystères de l’avenir; il ajoute qu’il ne peut lui laisser par écrit ce qui seroit oblitéré par l’injure du temps, car (quare, c'est pourquoi), la parole héréditaire de l ’occulte prédiction. sera intercluse ou renfermée dans ce qu'il appelle son estomac. Or, cela ne peut s'appliquer à César, puisqu son père, en confiant son manuscrit à ses exécuteurs testamentaires, pouvoit compter qu’il lui seroit remis à samajorité. Michel semble parler encore de ces confidences manuscrites, en disant vers la fin de sa préface : Comme plus à plain j'ai rédigé par écrit aux miennes autres prophéties qui sont composées tout au long in soluta oratione, limitant les lieux, le temps et le terme préfix que les humains aprè venus verront; car, dans aucune de ses autres prophétie que nous connoissons, le temps et le lieu des événements ne sont mieux désignés ni l'obscurité moindre que dans les premières Centuries. Enfin, c’est à ce mystérieux écrit et à s destination qu’il paroît faire allusion dans cette phrase : Faisant fin, mon fils, prends donc ce don de ton père Michel Nostradamus , espérant toi déclarer une chacune propheties des quatrains cy mis Mais rien de tout cela n’explique la

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1 862- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 767

contradiction que nous offre le début. Voyons si, dans la préface des trois dernières Centuries , nous trouverons un acheminement à la solution de ce problème. « A L’INVlCT1SSIME , tres puissant et tres Chrestien Henry Roy de France second, Michel Nostradamus, son tres humble et tres obeissantserviteur et subject, victoire et felicité. » — Pour icelle souveraine observation que j'ay eu, ô tres chrestien et tres victorieux Roy, depuis que ma face estant long temps obnubilée se -presente au devant de la deîté de Vostrc Majesté immesurée, depuis en ça j’ay esté perpetuelIement eblouy, ne desistant d’honorer et dignement venerer iceluy jour que premierement devant icelle je me presentay comme à une singuliere Majesté tant humaine. Or cherchant quelque occasion par laquelle je peusse manifester le bon cœur et franc courage, que moyennant iceluy mon pouvoir eusse fait ample extension de connaissance envers Vostre Serenissime Majesté. Or voyant que par effets le declarer ne m’estoit possible, joint avec mon singulier desir de ma tant longue obtenebration et obscurité estre subitement esclaircie et transportée au devant de la face du souverain œil et du premier monarque de l'univers, tellement que j’ai esté en doute longuement à qui je viendrais consacrer ces trois centuries du restant de mes prophéties parachevant la milliade, etapres avoir eu longuement cogité, d’une temeraire audace, ay prins mon adresse envers Vostre Majestém. Voyant vostre splendeur royale accompagnée d'une incomparable humanité..... à un tres prudent, à un tres sage prince j'ay consacré mes nocturnes et prophetiques supputations , composéesplustost d‘un naturel instinct, accompagné d’une fureur poëtique, que par regle de poësie, et la plus part composé et accordé à la calculation astronomique, correspondant aux ans, moys et sepmaines des regions, contrées, et de la plus part des villes et citez de toute l’Europe, comprenant de I’Afrique, et une partie de l’Asie par le changement des regions, qui s'approchent la plus part de tous ces climats, et composé d'une naturelle faction :

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1862- 768 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

respondra quelqu’un qui auroit bien besoin de soy moucher, la rithme estre autant facile, comme l'intelligence du sens est difficile. Et pour ce, ô tres humanissime Roy, la plupart des quatrains prophetiques sont tellement scabrenx, que l’on n’y sanroit donner voye ni moins aucuns interpreter, toutes fois, esperant de laisser par escript les ans, villes, citez, regions où la plus part adviendra, mesmes de l’année 1585, et de l’année 1606, accommençant depuis le temps present, qui est le 14 de mars 1557, et passant outre bien loing jusques à l'advenement, qui sera apres au commencement du septiesme millenaire profondement supputé, tant que mon calcul astronomique et autre sçavoir s’a peu estendre, où les adversaires de Jesus-Cbrist et de son Eglise commenceront plus fort de pulluller, le tout a ‘esté composé et calculé en jours et heures d’election et bien disposées, et -le plusjustement qu’il m'a esté possible. Et le tout, Minerva Iibera et non invita, supputant presque autant des adventures du temps advenir, comme des aages passez, comprenant du present, et de ce que par le cours du temps par toutes regions l’on cognoistra advenir, tout ainsi nommement comme il est escript, n’y meslant rien de superflu, combien que l’on die : Quod de futuris non est determinata omnino veritas. Il est bien vray, Sire, que pour mon naturel instinct qui m’a esté donné par mes avites ne cuidant presager, et adjoutant et accordant iceluy naturel instinct avec ma longue supputation uny, et vuydant l'ame, l'esprit et le courage de toute cure, sollicitude et fascerie par repos e tranquillité de l'esprit. Le tout accordé et presagé l’une partie tripode ænneo. Combien qu’ilssont plusieurs qui m’attribuent ce qu’est autant à moi, comme de ce que n’en est rien, Dieu seul eternel, qui est perscrutateur des humains courages, pie,juste et misericordieux en est le vray juge, auquel je prie qu’il me veuille defendre de la calomnie des meschants, qui voudroient aussi calomnieusement s’enquerir pour quelle cause tous vos antiquissimes progeniteurs roys de Franc ont gueri des escrouelles et des autres nations ont gueri de

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1862- BULLELTIN DU BIBLIOPHILE. 769

la morsure des serpens, les autres ont eu certain instinct de l'art divinatrice et d'autres cas qui seraient longs icy à racompter. Ce nonobstant ceux à qui la malignité de Fesprit malin ne sera comprins par le cours du temps apres la terrenne mienne extinction, plus sera mon escript qu’à mon vivant, cependant, si à ma supputation des aages je faillois ou ne pouvoit estre selon la volonté d'aucuns. Plaira à Vostre plus qu'imperiale Majesté me pardonner, protestant devant Dieu et ses saints que je ne pretends de mettre rien quelconque par escript en la presente espitre, qui soit contre la vraye foi catholique, conferant les calculations astronomiques, jouxte mon sçavoir : car l’espace de temps de nos premiers qui nous ont precedez sont tels, me remettant sous la correction du plus sain jugement, que le premier Homme Adam fut devant Noé environ mille deux cens quarante deux ans, ne computant les temps par la supputation des Gentils, comme a mis par escript Varron; mais tant seulement selon les sacrées escritures, et selon la faiblesse de mon esprit, en mes calculations astronomiques. Apres Noé de luy et de l'universel deluge, vint Abraham environ mille huictante ans, lequel a esté souverain astrologue, selon aucuns, il inventa premier les lettres chaldaîques: apres vint Moyse environ cinq cens quinze ou seize ans, et entre le temps de David et Moyse, ont esté cinq cens septante ans là environ. Puis apres, entre le temps de David et le temps de nostre sauveur et redempteur Jesus-Christ, nay de l’unique vierge, ont esté (selon aucuns Cronographes) mille trois cens cinquante ans : pourra objecter quelqu’un ceste supputation n’estre veritable, pour ce qu’elle differe à celle d'Eusebe. Et depuis le temps de l'humaine redemption jusques à la seduction detestable des Sarrazins sont esté six cens et un an là environ; depuis en ça l’on peut facilement colliger quels temps sont passez, si la mienne supputation n’est bonne et valable par toutes nations, pour ce que le tout a esté calculé par le cours celeste par association (l'esmotion infuse à certaines heures delaissées par l'es-

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1862- 770 BULLETIN DU BIBLIOPHILE . -motion de mes antiques progeniteurs. Mais l’injure du temps, ô serenissime Roy, requiert que tels secrets evenemens ne soient manifestés que par enigmatique sentence, n’ayant qu’un seul sens et unique intelligence, sans y avoir rien mis d'ambiguë, n’amphibologique calculation: mais plus tost sous obnubilée obscurité par une naturelle infusion approchant à la sentence d’un des mille et deux prophetes, qui ont esté depuis la creation du monde jouxte la supputation et chronique punique de Joel: Effundam spiritum meum super omnem carnem, et prophetabunt filii vestri et filiæ vestræ. Mais telle prophetie procedoit de la bouche du Saint Esprit, qui estoit la souveraine puissance eternelle, adjointe avec la celeste à d'aucuns de ce nombre ont predict de grandes et esmerveillables adventures : moy, en cet endroit, je ne m'attribue nullement tel titre. la, à Dieu ne plaise, je confesse bien que le tout vient de Dieu, et lui en rends graces, honneur et louange immortelle, sans y avoir meslé de la divination que provient a fato, mais a Deo, a natura, et la plus part accompagné du mouvement du cours celeste, tellement que voyant comme dans un mirouer ardant, comme par vision obnubilée, les grands evenemens tristes, prodigieux, et calamitenses adventures qui s'approchent...» Je retranche ici une horrifique et stupéfiante masse de prédictions, tellement drues et entremêlées,que personne encore n’a pu se frayer un. chemin dans cette forêt primitive de sept pages. On ne trouve rien de pareil dans aucune littérature. Et pour ce, Sire, que par ce discours je mets presque confusement ces predictions, et quand ce pourra estre et l’advenement d’iceux, pour le denombrement du temps que s’ensuit, qu’il n’est nullement ou bien peu conforme au superieur : lequel, tant par voye astronomique, que par autre, mesme des sacrées escriptures, qui ne peuvent faillir nullement, que si je voulois à un chacun quatrain mettre le denombrement du temps, se pourroit faire : mais à tous ne serait ägreable, ne moins les interpreter, jusques à ce, Sire,

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1862- BULLETIN DU BLBLIOPHILE. 771

que Vostre Majesté m’aye octroyé ample puissance pour ce faire, pour ne donner cause aux calomniateurs de me mordre. Toutes fois, comptans les ans depuis la creation du monde, jusques à la naissance de Noé, sont passez mil cinq cens et six ans, et depuis la naissance de Noé jusques à la parfaicte fabrication de l’Arche, approchant de l'universelle inondation, passerent six cens ans (si les ans estoient solaires ou lunaires, ou de deux mixtion), je tiens ce que les sacrées escritures tiennent qu’estoient solaires. Et à la fin d'iceux six cens ans, Noé entra dans l’Arche pour estre sauvé du deluge : et fut icelui deluge universel sur la terre, et dura un an et deux mois. Et depuis la fin du deluge jusqu'à la nativité d’Abraham, passa le nombre des ans de deux cens nonante cinq. Et depuis la nativité d'Abraham jusques à la nativité d'Isaac passerent cent ans. Et depuis lsaac jusques à Jacob , soixante ans, des l'heure qu’il entra en Egypte jusques à l'issue d'iceluy, passerent cent trente ans. Et depuis l'entrée de Jacob en Egypte jusques à l'issue d’iceluy passerent quatre cens trente ans. Et depuis l’issue d'Egypte jusques à l'edification du temple, faicte par Salomon au quatriesme an de son regne, passerent quatre cens octante, ou quatre-vingts ans. Et depuis l'edification du temple jusques à Jesus-Christ, selon la supputation des hierographes, passerent quatre cens nonante ans. Et ainsi par ceste supputation que j’ay faicte, collige par les sacrées lettres, sont environ quatre mille cent septante trois ans et huict mois, peu ou moins. Or, de Jesus- Christ ença, par la diversité des sectes, je le laisse, e ayant supputé et calculé les presentes propheties, le tout selon l’ordre de la chaisne qui contient sa revolution, le tout par doctrine astronomique, et selon mon naturel instinct, et apres quelque temps et dans iceluy comprenant depuis le temps que Saturne,qui tournera entrer à sept du mois d'avril, jusques au 25 d’aoust, Jupiter à 14 de juin jusques au 7 d’octobre , Mars depuis le 17 d'avril jusque au 22 de juin, Venus depuis le 9 d'avril, jusques au 22 de

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1862- 772 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

may, Mercure depuis le 3 de fevrier, jusques au 24 du dict. En apres du premier de juin jusques au 24 du dict, et du 25 de septembre jusques au 16 d’octobre, Saturne en Capricorne, Jupiter en Aquarius, Mars en Scorpio, Venus en Pisces, Mercure dans un mois en Capricorne, Aquarius et Pisces, la Lune en Aquarius, la teste du Dragon en Libra : la queue à son signe opposite suivant une conjonction d Jupiter à Mercure, avec un quadrin aspect de Mars à Mer cure, et la teste du Dragon sera avec une conjonction du Soleil à Jupiter, l’année sera pacifique sans eclipse, et non du tout, et sera le commencement comprenant ce de ce que durera, et commençant icelle année sera faicte plusgrand persecution à l’Eglise chrestieune, que n’a este faicte en Afrique, et durera ceste icy jusques àl’an mil sept cens no nante deux que l’on cuidera estre une renovation de siecle : apres commencerale peuple romain de se redresser et de chasser quelques obscures tenebres recevant quelque peu de leur pristine clarté, non sans grande division et continue - changemens. Venise en apres en grande force et puissanc levera ses aisles si tres haut, ne distant guère aux forces de l'antique Rome. Et en iceluy temps grandes voiles bysantine associées aux ligustiques par l’appui et puissance aquilonaire donnera quelque empeschement que des deux Cretenses ne leur sera la foy tenue. Les arcs edifiez par les antiques Martiaux s'accompagneront aux ondes de Neptune. En l’Adriatique sera faicte discorde grande, ce que sera uni sera separé, approchera de maison ce que paravant estoit et es grande cité, comprenant le Pempotam, la Mesopotamie de l’Europe à quarante cinq, et autres de quarante un, quarant deux et trente sept. Et dans icelui temps, et en icelles con trees la puissance infernale mettra à l'encontre de l’Eglise d J esus-Christ la puissance des adversaires de sa loy, qui ser le second Antechrist, lequel persecutera icelle Eglise, et son vray vicaire , par le moyen de la puissance des roys temporels, qui seront par leur ignorance seduicts par langues, qu trancheront lus que nul laive entre les mains de l'insensé. »

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Encore trois pages de prédictions, relatives surtout aux persécutions contre l’Eglise. En voici la fin, et le reste de l'Èpître : " En apres l’Antechrist sera le prince infernal, encores par la derniere fois trembleront tous les royaumes de la chrestienté, et aussi des infideles, par l’espace de vingt cinq ans, et feront plus grieves guerres et batailles, et seront villes, citez, chasteaux, et tous autres edifices bruslez, desolez, destruicts, avec grande effusion de sang vestal, mariées et vefves violées, enfans de laict contre les murs des villes allidez et brisez, et tant de maux se commettront par le moyen de Satan, prince infernal, que presque le monde universel se trouvera defaict et desolé : et avant iceux‘ advenemens aucuns oiseaux insolites crieront par l’air, Huy, Huy, et seront apres quelque temps esvanouis. Et apres que tel temps aura duré longuement, sera presque renouvelle un autre siecle de Saturne, et siecle d’or, Dieu le Createur dira entendant l'affliction de son peuple , Satan sera mis et lié dans l'abysme du barathre dans la profonde fosse : et adonc commencera entre Dieu et les hommes une paix universelle, et demeurera lié environ l'espace de mille ans, et tournera en sa plus grande force la puissance ecclesiastique, et puis tourne deslié. » " Que toutes ces figures sont justement adaptées par les divines lettres aux choses celestes visibles, c’est à sçavoir, par Saturne, Jupiter et Mars, et les autres conjoinct, comme plus à plain par aucuns quadrins l'on pourra voir. J'eusse calculé plus profondement et adapté les uns avecques les autres. Mais voyant, ô serenissime Roy, que quelques uns de la censure trouveront difficulté, qui sera cause de retirer ma plume à mon repos nocturne : Multa etiam, o Rex omnium potentissime, præclara et sane in brevi ventura, sed omnia in hac tua epistola innectere non possumus, nec volumus : sed ad intelligenda quædam factu horrida fata, pauca libenda sunt, quamvis tanta sit in omnes tua amplitude et humanitas homines, deosque pietas, ut solus amplissimo et

xvè série. 50

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1862- 774 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

christianissimo Regis nomine, et ad quem summa totius religionis auctoritas deferatur dignus esse videare. Mais tant seulement je vous requiers, ô Roy tres clement, par icelle vostre singuliere et prudente humanité, d'entendre plus tost le desir de mon courage, et le souverain estude que j'ay d'obeir à vostre serenissime Majesté, depuis que mes yeux furent si proches de vostre splendeur solaire, que la grandeur de mon labeur n'attainct ne requiert. De Salon, ce 27 de Juin mil cinq cens cinquante huict. — Faciebat Michaël Nostradamus Salonæ Petreæ Provinciæ. » Ce me frappe d'abord dans cette longue épître, c'est qu'il dit au roi que vu l'extrême obscurité de la plupart de ses quatrains, il espère laisser par écrit les ans, villes, cités et régions où la pluspart adviendra ; ce s'accorde on ne peut mieux avec l'autre préface : puis, dans notre second fragment, qu'il pourroit joindre à ses quatrains le temps de leur accomplissement et leur explication, mais que cela ne plairoit pas à tout le monde, et qu'il ne peut le faire que Sa Majesté ne l'y autorise pleinement, pour empêcher les calomniateurs de le mordre : et enfin, dans sa conclusion, qu'il auroitcalculé plus profondément et coordonné ses quatrains, mais que, prévoyant l'opposition de quelques-uns de la censure, il renonce à le faire. Pourtant, il le dit à César, il a passé sous silence tout ce qui auroit pu révolter l'imagination des lecteurs et pour l'époque même du commun advénement, sur laquelle il a voulu s'étendre, il n'a parlé que d'une manière nubileuse et perplexe des choses les plus essentielles, et de celles qui ne pourront, quoi qu'il arrive, scandaliser l'auriculaire fragilité. Mais ce n'est pas assez : pour que son manuscrit voie le jour, il faut encore la protection de ce monarque puissant et victorieux à qui son éminente sagesse fera déférer la suprêmeautorité dans les choses religieuses. — Ici se présente une nouvelle difficulté. Ce que le prophète ditde ce prince est-il applicable à Henri Il? Oui, lorsqu'il parle du jour où il se présenîa devant lui pour la première fois. Mais sa tant longue obténébration et obscu-

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-rité, qu’il voudroit voir subitement éclaircie, paroît un peu singulière, dix-huit mois après son voyage à la cour. D'ailleurs, suivant les bonnes éditions, il ne s’adresse pas à Henri II, dont on a même cru qu’il avoit prédit la fin prématurée (1), mais à Henri, roi de France, second, c’est-à— direfavorable. Enfin ce n’est pas un homme du caractère et de la portée de Henri II pouvait mériter qu’on lui confiât la plénitude de l'autorité spirituelle. Ce n'est évidemment qu’à un prince d’une haute sagesse, à un grand homme, à un saint, qu'en un péril extrême de l'Église, une autorité si extraordinaire pourroit être conférée. Leroux a donc eu raison de penser que l'invictissime, dont la faveur doit tirer le prophète de sa longue obscurité, n’est pas le vaincu de Saint-Quentin, mais un roiqu’il a choisi entre tous ceux de l'avenir pour lui demander sa protection, parce que ses admirables qualités et son règne incomparable l’on depuis longtemps rempli d’amour et de vénération pour personne. Seulement il a cru mal à propos que ce prince étoit Louis XIV, puisque la fin de son règnene fut pas heureuse, et qu’il ne fut jamais revêtu d’aucune autorité spirituelle; et il s’est pareillementtrompé en se regardant comme l'interprète futur, puisque, malgré ses découvertes sur le style de Nostradamus, il est tombé dans les plus graves erreurs, et n’a pas même compris que c’est un manuscrit de l’auteur des Centuries qui doit servir de base à leur explication. CENTURIES. —— Si, faute des éclaircissements que l'auteur vouloit laisser à son fils, la plupart des quatrains sont tellement scabreux, qu’il y en a même d'inexplicables, il en est d’autres qui ne le sont pas. Les. explications vagues ou arbitraires de Chavigny, et de presque tous les commentateurs,avaient donné tant de force à l’opinion contraire, et Le- (l) Il paroit aussi , comme nous le verrons plus tard, que l'épître au roi ne fut publiée qu'après la mort de Nostradamus . longtemps après celle de Henri Il : ce qui achèvcroit de prouver que les préfaces ne sont adressées que flctivement à ce prince et à César.

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1862- 776 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.. -roux se trompa si manifestement à quelques égards, que ses observations ingénieuses ne furent pas appréciées comme elles le méritaient, et que les applications dénuées de preuves ont continué jusqu'à présent. Motret seul, profitant du travail de Leroux, est entré dans une voie meilleure, et a posé lui-même quelques nouveaux principes, exagér ' peut-être, mais certains. Son commentaire du l8‘ qua train de la ixè centurie prouve aussi que les explications de quelques autres, que Bouys lui emprunta, auraient été bien meilleures sons sa plume. L'étude des éditions, afin de restituer le texte primitif, n'est donc pas irrationnelle dans l'état présent de la question. Mais une chose importante, que Leroux et Motret n'ont pas remarquée, c'est que le style du prophète est composé pour ainsi dire, de deux couches : d'abord d'une phrase paroit souvent absurde, inintelligible, ou vague, banale gauche, et s'appliquant mal aux événements; puis, des m0 pris séparément ou deux à deux, qui offrent à Fobservate étonné des allusions manifestes à quelquescirconstances remarquables des faits principaux. Pour mieux faire com prendre ma pensée, et motiver l'étude des éditions, il suffit d'un exemple.

Cent. I, q. 53. Las ! qu'on verra grand peuple tourmenté Et la loy saincte en totale ruine Par autres loys toute la Chrestienté, Quand d'or, d'argent trouve nouvelle mine.

Tronc de Coudoulet applique ce quatrain au système de Law et à la Régence; mais le peu qu’il en dit ne prouve rien, et l’on peut facilement combattre son opinion. Le système plongea sans doute la France entière dans un état de souffrance inexprimable; mais le premier vers peut s’appliquer à tout grand peuple tourmenté d’une manière quelconque. Sans doute aussi les lois sacrées de la justice ne fu-

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-rent jamais violées plus scandaleusement que chez nous à cette époque; mais la loi sainte signifie avant tout la religion, qui n'étoit pas alors, à beaucoup près, en totale ruine. On diroit qu'il s'agit, dans le troisième vers, d'une révolution sociale ou religieuse chez tous les peuples chrétiens, ce qui n'est pas le moins du monde applicable au temps de la Régence. Enfin, le quatrième, qui doit fixer 'époque de ces événements, est non-seulement vague, en ce qu'on ne voit pas qui est-ce qui trouve cette nouvelle mine, mais formellement contraire au sens qu'on lui prête, puisqu'il est dit que ce seraune mine d'or et d'argent. Donc, au premier coup d'œil, ce quatrain va au système et à la Régence comme le soulier de Théramène. Mais l'apparence est quelquefois trompeuse. Examinons de plus près. C'est au comble de ses revers que Louis XIV fut vraiment grand. Jamais aussi le peuple français ne fut plus grand qu'alors, quand nos soldats, mourants de faim, jetoient leur pain pour assaillir l'ennemi, éblouissant le monde entier, qui pensoit voir l'agonie de la France. Le premier vers, loin d'être vague, exprime donc, on ne peut mieux, les sentiments du prophète et de tous les peuples, à lavue de ces mêmes Français, tombés entre les mains de Law et du régent. Ce grand peuple est tourmenté cette fois par sa Faute. Quelle honteuse décadence! La loi sainte, inviolable dès qu'elle est portée, sancta, fait allusion aux édits contradictoires et spoliateurs rendus chaque jour en faveur du système; et au parlement, organe de la justice, exilé pour s'être opposé à ce brigandage. Le troisième vers touche les relations extérieures. Lois, mis pour alliances , flétrit les honteuses et funestes obligations contractées par Philippe envers l’Angleterre et les autres ennemis de la France. Toute la chrétienté nous représente l'Europe partagée en deux camps, dans l'intérêt particulier du Régent, contraire à celui de l'État : d'un côté la France, avec l'Angleterre, la Hollande et l'Empire; del'autre, I'Espagne, avec la Russie, la Suède et la Turquie. Chrétienté fait ressortir l'alliance du

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1862- 778 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

roi catholique avec les infidèles; comme autres lois, celle de la France avec la maison d’Autriche. Enfin, dans les fabuleuses mines de la Louisiane, qui firent affluer à sa banque tout l’or et l'argent du royaume, Law trouva pour lui-même la réalité, et pour le public la nouvelle, l'apparence, la ruinede la nouvelle mine d’or et d’argent du quatrième vers. C'est déjà quelque chose. Mais si nous examinons les mots séparément ou deux à deux, nous trouvons encore dans ce vers plusieurs allusions positives aux faits et aux personnes. D’or, c’est d'Orléans; d’ argent mine, son ministre des finances, d'Argenson; nouvelle d’ or, la Nouvelle-Orléans, fondée à la fin de la Régence. Enfin le sujet du verbe est facile à trouver, car il le précède immédiatement. C'est gent, abréviation de gentleman, galant homme, honnête homme. Que dis-je? C'est Jean, Jean l’honnête homme, Jean Law. En doutez-vous? True, se prononce trou, signifie vrai, sincère; et ce qui prouve l’ironie, c'est qu’on dit Faire un trou à la lune, et que Jean Trou fit Flandre, comme on sait (1). D’ailleurs, un Jean est un homme dont la femme ou la maîtresse est infidèle, comme la fortune à Jean Law, ce Jean (agite, ce Jean fait tout , Jean tout adroit , qui fut pourtant, comme le public, un Jean des vignes, puisque ses biens immenses furent confisqués, et que rien ne lui resta de toutes ses rapines(2). Mais pourquoi le prophète, qui nomme la Nouvelle-Orléans, ne fait-il pas le même honneur au Mississippi? C'est parce que des milliers de travailleurs furent débarques à trente lieues de ce fleuve, où ils moururent presque tous de misère et de chagrin, et que le reste ne put s'établir enfin sur ses bords qu’après la chute du système. C’est pour cela qu’il donne seulement la première syllabe à l'extrémité du quatrain. -La seconde couche des autres

(1) ll faut donc lire: Quand d'or, d'argent Jean Trou trouve nouvelle mine C'est l'écho de Pythagore, une des lois de l'univers et du style de Nostradamus. (2) ll connoissoit trop bien le Régent pour ignorer que rien d'homme et de sérieux en finances n'étaitpossible avec un maître pareil. Il fut complice de fraudes et des spoliations qu'il ne provoqua pas lui-même.

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vers est également pleine de spécialités. Si Las est le résulta du système et de la régence entière, un cri de douleur c'est aussi le nom du galant homme, que nous prononçon Lass(1), tandis qu’en anglais, où il veut dire loi, il se pro nonce Lâ. C’est ce que désignent le premier mot du quatrain, et le mot loi du second vers. Vient ensuite une allusion à la conspiration de Cellamare, découverte à Duboi par la Fillon, chez laquelle le secrétaire de l'ambassade d’Espagne et ce verrat avoient des habitudes communes Grand peuple annonce le bouleversement de toutes les fortunes, les grands seigneurs ruinés, et les laquais millionnaires : le grand devient peuple, l’homme du peuple grand l'aloi saint me rappelle la valeur légale des monnaies invariable sous un bon gouvernement, et changée cou sur coup, de la manière la plus scandaleuse, pour sou- tenir le système. Un mot n’étant jamais répété sans intention par le prophète, et loys étant l'ancienne orthographe de Louis, Par autres Ioys, allude évidemment à l'énergie du gouvernement sous les deux premiers successeurs de Henri IV, et à sa faiblesse sous Louis XV et Louis XVI. De même, toute suivi de totale, signale la complète opposition entre les tendances du régent et de son époque, etl caractère de Louis XÏV et du grand siècle. La répétition de Loy désigne encore la Louisiane et le fleuve Saint-Louis, synonyme alors de Mississipi. Les rimes étant les mots les plus saillants, méritent une attention particulière. Tourmenté et chrétienté présagent à la fois l'excessive importation de thé qui eut lieu en Angleterre en 1715, L'énorme abaissement de prix qui en résulta, et les fâcheux effets, au point de vue médical, de l'universelle habitude d’une boisson bienfaisante pour quelques personnes, mais nuisible aux tempéraments nerveux et irritables. Aux yeux du prophète, il est honteux pour des chrétiens de se créer des besoins pareils; et il a voulu, par (I) Sans doute parce que le w, dans sa signature, ressemblait à deux s.

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cet exemple, nous prémunir contre la fièvre de cupidité, et l'effrénement industriel et mercantile qui ont fait d'Albion la patrie du spleen et le fléau du genre humain. Mais Volventur Saxa. Aaah !... —Le trisyllabe ruine est l'abrégé du système. Tout Paris en rut se rue rue Quincampoix. Il y en eut même d’étouffés. " N'importe, dit la cupidité; i, i, cours mon ami; vite, à tout prix, du Mississipi! Tafortune est faite. » Arrête, malheureux! La négative est au bout, 1e néant. — Ruine et mine sont le tableau et le dernier mot de la Régence. L’État ruiné par de honteuses prodigalités et les créanciers de l'État par des banqueroutes répétées des milliers de familles honnêtes plongées dans la misère pardes fripons; L'autorité déshonorée; la moralité publique anéantie; la société minée dans ses bases par un monstre d’abus que mine la débauche, mais qui rit devant l'abîme qui parle d'or, qui paye de mine, et qu’on adore pour son affabilité. Après la rime, le premier mot du vers est le plus d’attention. Las, mis en tête du quatrain,répond à la double origine des maux de la France. C’est un gémissement de prophète, d’abord sur les mœurs et les principes du jeune Philippe d’Orléans, œuvre de Satan, son précepteur; puis sur la réaction contre le grand monarque et son siècle. On était las de Louis XIV, las de la triste grandeur de sa vieillesse, las surtout de faire ses volontés. — Par confirme l'importance du mot initial. Tout vient, en efïet, à la mort de Louis XIV, tout part du parlement de Paris. C’est lui qui, annulant le testament royal, investit d'un pouvoir sa bornes le chef des roués, l’homme de France le plus scandaleux, le fanfaron de crimes, l'ambitieux, connu pour tel dont les intérêts sont contraires à ceux de l’État ; ce Philippe qui a juré la perte de la Grèce, ce nouveau Paris né pour la ruine de Troie. Vous en pleurerez sur vos genoux dit le prophète. Sero sapiunt Phryges. — Quand ne permet aucun doute. C’est le centre de la rue Quincampoix, le camp retranché de l’agiotage, le champ de bataille, campus, où

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1862- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 781

la fourberie égorge à toute heure la crédulité. Quand? Combien? Questions de vie ou de mort. Le cours varie sans cesse, et qui ne saisit la chance est perdu. Que de cris étouffés, de hurlements de cœur et de grincements de dents! Sans parler des innombrables cancans. —Il n’y a pas enfin jusqu'àEt, qui ne soit frappant de spécialité. Bravant l’indiganation publique, Dubois, l'infâme Dubois, veutplacer sur sa tête, devant le régent et la cour, la mitre de Fénelon. En vain le prophète lui crie: Eeeehl... Et la loi sainte!... ll ne pâlit ni ne chancelle. Il la HAIT, cette loi. Malheur à lui! L’enfer pousse un cri de joie: le scandale est con- sommé. C’est peu : nous pourrions signaler encore, dans ce quatrain mirifique, une foule d'allusions spéciales, plus concluantes les unes que les autres; et couronner le tout par des considérations esthético-morosophiques sur le parfait accord du style avec le sujet, et de chaque détail avec l'ensemble. Mais à bon entendeur peu de paroles. Passons aux dates: voyons si le prophète n’auroit pas accordé une partie du temps de propriété occulte, c'est-à-dire caché sous des chiffres l'époque des principaux événements de la Régence. I,53, ou 153, donne, avec 1555, date de la préface, 1708; et 1708, avec 5 et 3, 1716; et, avec 5 fois 3, 1723. Et si, laissant la date de la préface et le numéro de la centurie, nous demandons au numéro du quatrain les années du dix-huitième siècle, 5 et 3 représente 1708, 5 fois 3, 1715; 15 et 3, 1718; 15 et 5, 1720; 1.5 et 8, 1723. Or, l'histoire nous offre, en 1708, le début politique du régent, sa conspiration contre le roi d’Espagne, qui pouvoit lui coûter la tête, et qui en fit plus tard l’âme damnée de l'Angleterre; en 1715, la Régence; en 1716, la fondation de la banque de Law, en 1718, l'inauguration du système, et le traité avec l’Empire et l’Angleterre contre l'Espagne; en 1720, la chute du système; et en 1723, la fin de la Régence, la mort de Philippe, digne de sa vie, et la dis-

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1862- 782 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

-parition de Méphistophélès (1). Quel drame que ce quatrain! Cette ébauche d'explication ne peut donner au lecteur qu’une idée bien incomplète du merveilleux style de Nostradamus : car c’est un Protée(104) que cet homme, et c’est lui sans doute,que les voyants antiques ont voulu peindre sous les traits du vieux pasteur des troupeaux de Neptune. Il est aussi des quatrains qui auroient mieux fait sentir combien il importe, avec un pareil écrivain, de posséder le texte primitif; car il défigure quelquefois les mots pour leur donne plusieurssens, et les éditeurs ont rétabli l'orthographe commune, sans se douter du sacrilège.

Sixains. — Il est possible qu’un petit nombre de ceux qui nous sont parvenus aient été plus ou moins altérés dan un but politique, à l'époque de leur publication, après la mort de Henri IV. Nous examinerons plus tard cette question. Mais, tels qu’ils sont, on ne peut y méconnaître le style du prophète. En voici quelques-uns, des plus authentiques , parce qu’ils n’ont aucune ressemblance avec les affaires de ce temps-là.

29. Le griffon se peut apprester Pour à l'ennemy resister Et renforcer bien son armée, Autrement l'Elephant viendra Qui d’un abord le surprendra, Six cens et huict, mer enflammée.

(1) Videl lui-même ne pourrait nier que mine d'or, thé, Loïs: et 3 fois 5, c’est la minorité de Louis XV. Je ne puis, non plus, me défendre de voir dans cinq et trois le résultat suprême de la Régence. la ruine de Troie, la fin de la monarchie Françoise, après trots fils de Henri ll et cinq Bourbons, issus de Francus, fil d’Hector, comme l'attestent les (Ïhronique: de France depuis les Troïens jusqu’à la mort de Charles VII. 1,63 donne même la date précise de cette fin, puisque 53, 35 et 1 font 89, et qu'il est naturel de lire à rebours, quand les choses vont à l'avenant. — Ainsi, les illuminations de l'avenir éclatent sans nombre dan les cris de cet aigle. La lumière jaillit sous son vol fatidique à travers les siècle commesous le char du soleil dans les champs de l'espace.

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1862- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 783

37. Foible et puissant seront en grand discord, Plusieurs mourront avant faire l’accord Foible au puissant vainqueur se fera dire, Le plus puissant au jeune cedera, Et le plus vieux des deux decedera, Lorsque l'un d’eux envahira l’Empire.

38. Par eau, par fer et par grande maladie, Le pourvoyeur à Vhasard de sa vie Sçaura combien vaut le quintal du bois, Six cens et quinze, ou le dix neufiesme On gravera d’un grand Prince cinquiesme L'immortel nom, sur le pied de la croix.

39. Le pourvoyeur du monstre sans pareil, Se fera voir ainsi que le soleil, Montant le long la ligne Méridienne, En poursuivant l'Elephant et le loup, Nul Empereur ne fit jamais tel coup, Et rien plus pis à ce Prince n’advienne.

46. Le pourvoyeur mettra tout en desroutte, Sangsue et loup, en mon dire n’escoutte Quand Mars sera au signe du Mouton Joint à Saturne, et Saturne a la Lune, Alors sera ta plus grande infortune, Le Soleil lors en exaltation.

Ouvrages perdus. —Outre les soixante-quatorze sixains qui n'ont pas été publiés, les almanachs et les pronostications de 1550 à 1567, et les onzième et douzième centuries,

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1862- 784 BULLETIN DU BIBLIOPHILE. dont nous n’avons que treize quatrains, tirés du Janus (l), on trouvera peut-être un jour le manuscrit de l’Histoire de la première guerre de religion en Provence, mentionnée par Chavigny dans son épître à Dorat (Bellum quod nostro tempore in Provincia primum gestum est, conscripsit); et un manuscrit d’épîtres latines sur les nativités, au sujet duquel le quatrième volume de la correspondance de Peiresc, que possède la Bibliothèque impériale, contient quelques renseignements. César Nostradamus écrit à Peiresc , le 4 fé-vrier 1629 : « I'escrirai à mon neueu de Seua de m’enuoyer le tome des epistres latines pour vous estre consacré. » Puis à ce neveu, le 20 mars : « I’ai cherché en vain le liure des Natiuitez, que i’estime que vous ayez, vous suppliant et vous coniurant par le pouuoir que le droit de nature et du sang me donne sur vous, que le plus tost, et le plus fidellement que vous pourrez,- vous le remettiez entre les mains de Monsieur le Conseillerde Peiresc, qui me le fera tenir fidellement, d’aultant qu’en son Histoire des hommes illustres, il y veult haultement celebrer et votre grand pere et moi, qui vous tiens aujourd’hui lieu de pere. » Et, le27 mars, au même : « l'ai apprins le beau mesnage que vous vouliez faire aux despens de l'honneur de votre grand pere du volume des Epistres latines où il y a quelque chose de retranchable et sus- pect que ie ne vouldrois pour tout monbien que votre dessein eut réussi, le liure est entre mes mains et ne pensois point que vous Peussiez, car ie l’ai cherché plus de trois jours. Faictes en votre deuil etsi vous voulez que ie demeure tel que ie vous ay esté iusques icy, n’y pensez iamais, car homme viuant ne le verra. Contentez vous de ceux que vous auez eu. » Et à Peiresc, le même jour : n Ie n’aiiamais receu lettre qui m’ait plus contenté que celle que votre laquais me rendit hier de votre part, bien que tout ce qui part de votre plume soynt des precieux dyamants que ie garde aussi che- rementqu'un thresor : ny de vray nouuelle plus heureuse (1)Dans son Polyhistor, Morhof dit en parlant des centuries incomplètes: Multa in seriniis regiis de iis celari audio.

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1862- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 785 que d’auoir appris que le manuscript des Epistres latines soit tumbé par une si bonne fortune en si dignes mains que les vostres. Ie le vous renuoye donq aveq vne solennelle priere qui ait force d'une honorable coniuration de le garder inviolablement, le traitter et corriger sur les points qui pourraient contenir en eux quelque aigreur, et ne le communiquer à ce Monsieur Valois qui a tant en horreur ce que peut estre il ignore, ny a ame quelconque, car il est mien hereditairement et comme tel ie le vous donne et consigne assurement. Bien vous diray ie que le grand Pic de la Myrande nommé le Phœnix de son age estoyt possedé d’un pareil esprit que le sieur Valois que ie ne connois que par vous. Mais que Pontan, qui estoyt une lumiere en presques toute doctrine du mesme siecle, lui a respondu autant doctement, que passionement il auoit dressé ses plus fortes batteries contre I’ astrologie et ses professeurs. Mon neueu, qui est ignorant et mal conseillé, ne connoit pas comme ie fay d'obligation que l’honneur et le nom de mon pere (qui estoit homme fautier et non pas ange) et les siens et moy singulierement vous aurons, tant que le monde sera monde. Assez de grands personnages ont eu de remarquables défauts; et n’est pas chose prodigieuseni nouuelle que tous les mortels soynt subiects à cette regle vniuerselle et generale soubs le ciel de la lune où toutes choses sont caduques, imparfaites et perissables. Soubs cette condition donques, qu’ame ne le voye au grand iamais, ic le vous renuoye et le vous donne.... » Ce manuscrit n’étoit pas le seul que Nostradamus eût laissé, puisque César dit à son neveu: Contentez-vous de ceux que vous avez eus. On trouve, au surplus, dans la notice du registre vert de la mairie de Salon, cette phrase, qui pourroit conduire à une découverte: « On a ouï dire à un médecin de Salon, qui avoit étudié à Montpellier, que M. Fouquet, ce célèbre disciple de Bordeu,

avoit recouvré quelques manuscrits de Nostradamus, dont il faisoit beaucoup de cas. »

---------- F. Buget.

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3 parties-1863- part A- ÉTUDES SUR

NOSTRADAMUS.

II OEUVRES et Adversaires (Suite).

EFFET DES CENTUBIES.

Voyons d’abord dans quelle position se trouvait l’auteur lorsqu'elles parurent. —L'établissement de Michel de Nostredame à Salon dut plaire aux habitants de cettepetite ville. Ils furent sans doute flattés de posséder ce grand médecin choisi par les cités d’Aix et de Lyon pour combattre le fléau qui les désoloit, se voyant déjà célèbre par tant de récits merveilleux. Mais si la publication de son premier almanach, en 1550, dut ajouter à l'enthousiasme de ses admirateurs, elle dut aussi fournir aux envieux, ennemis de toute supériorité, de nouvelles armes pour le rendre suspect à la populace ignare et superstitieuse En outre, il ne ménageoit peut- être pas assez les préjugés et l'amour-propre de ses nouveaux concitoyens; car, en 1552, dans le XXXIIIe chapitre du livre des Fards, il dit, après avoir donné une recette cosmétique: - Je en voulois user à quelques-unes de ceste terre; mais je puis dire et aussi affermer que je suis logé entre des gens

(l) Voir l'année 1860, p. 1699; l'année 1861, p. 68, 241, 383 et 657; et Pannée 1862, p. 761.(2) « ll avoit prévu, dit Tronc de Coudoulet (1er ms. , p. 841,) qu'on ne mettrait pas son corps dans la terre; car il dit à certains paysans, naturellement incivils et brutaux, qui lui reprochèrent qu’il étoit sorcier et magicien: Allez, méchans pieds poudreux, vous ne me mettrez jamais: les pieds sur la gorge, ni pendant ma vie, ni après ma mort. Cela fut ainsi,

puisqu’on fit sa sépulture dans la muraille, comme nous le dirons dans la suite. xvè série 29

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1863- part A- 450 B ULLETIN DU BIBLIOPHILE.

barbares, ennemis des gens de bien, hormis peu, encore: ignorans aux bonnes lettres. » Nous avons déjà vu qu’il tient à peu près le même langage au xxxe chapitre des Confitures. La cause probable d'une telle imprudence, c'est que ces deux traités ne furent d’abord destinés qu’à ses amis, et que plus tard, lorsqu'ils furent livrés au public, l'auteur oublia de supprimer ces deux phrases. Quoi qu’il en soit, son humanité et sa bienfaisance le firent sans doute aimer du peuple et, bien qu’il fût habituellement sobre de paroles, sa franche gaieté, sa vivacité d’esprit, son admirable mémoire et son éloquence naturelle durent lui attirer l’amitié des hommes les plus distingués du pays. Il en étoit le plus éminent; et une preuve certaine de la considération dont il jouissait, c’est l'inscription d'une fontaine publique, trouvée dernièrement à Salon, qui finit ainsi : M. Nostradanzus -— diis immortaIibus — 0b Salonenses —1553 : comme s’il étoit pour eux un demi-dieu protecteur, un médiateurdevant l'Éternel. Les renseignements sur Michel Nostradamus étant fort rares, nous allons mettre sous les yeux du lecteur, sauf quelques détails inutiles, ce que César dit de son père dans son Histoire de Provence. " L’année cinquante-quatrième commence et suit hideusement par créatures difformes et prodigieuses. Janvier est à peine expiré, qu’on void naistre et souspirer à Senas un enfant monstrueux, ayant deux testes, que l’œil ne pouvoit regarder sans quelque sorte d’horreur : il avoit esté présagé quelque temps auparavant par ceux qui ont cognoissance au concours des choses futures : il fut apporté à mon père, et veu deplusieurs personnes, qui le trouvèrent estrange et de malheureux rencontre. —- Un mois et quinze jours après, en fut apporté un autre du lieu d’Aurons, de contraire espèce, mais de mesme difformité. C’estoit un chevreau blanc et noir, la partie antérieure noire, et celle de derrière aussi blanche que cotton : beste, de vray, merveilleusement hydeuse, n'ayant qu’un seul corps entier, avec deux testes parfaictes et consonantes en un seul col, tout le reste estant de vray et

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 451

parfaict chevreau, hormis qu’il avoit les jambes de derrière de hauteur inusitée et quelque peu monstrueuses. — En ce temps gouvernoit Sallon, en qualité de premier consul, Palamèdes Marc, sieur de Chasteauneuf, gentilhomme des plus splendides et honorables de nostre ville, singulier amy de mon père (ez mains duquel le cbevreau avoit esté remis), qui suyvant son advis et des plus nobles et apparens citoyens, trouva bon de le faire voir au gouverneur de la Province, lequel, avec le baron de la Garde, et le commandeur de Beynes, et plusieurs autres barons et gentilshommes se trouvoit de fortune à Sallon. — Ce qui fut mis en elfect, et le monstre porté le soir mesme, bien veu et considéré avec une telle admiration, qu'il ne fut parlé durant presque tout le soupper que de ces monstres hideux et des malheurs et divisions qu'ilssemblent prognostiquer toujours infailliblement, voire du schisme sanglant et des guerres de religion qui suyvirent peu après : estans tousjours produits contre l’ordre etl'art de nature, non certainement comme causes, mais vrais signes et nonces extraordinaires et certains de choses tristes et funestes." Il va sans dire que Michel s'y trouvoit. Les trois principaux convives étoient pleins de bienveillance pour lui. Le gouverneur de Provence étoit ce comte de Tende qui le consulta peu après sur le voyage où il fut surpris en buvant. Le baron de la Garde et lecommandeur de Beynes étoient de ses amis intimes; car ils n’auroient pu agréer l'épître et le dizain qui précèdent l'opuscule de Galien, s’ils n’avaient eu la clé de ce langage étrange et n’avoient approuvé le but mystérieux de l'auteur. Écoutons maintenant César parlant des Centuries. -— "Il arriva l'an d'après (1555) que Michel de Nostredame me dédie étant dans le bers et met au jour les Centuries qui le rendant immortel me feront suivre les traces et le chemin de vertu que lui avoient frayé ses pères. Au demeurant, plus tost ne sont ces prophéties en cognoissance, quoiqu’en vers obscurs et d'un stile sibyllin (car il ne faut que telles choses

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1863- part A-452 BULLETIN DU BIBLIOPHILE. soient vulgairement prophanées), que le bruit de son nom volle etse fait ouyr partout avec beaucoup plus d’admiration qu’il ne m’est séant de l'escrire. Je diray cela sans plus, que la Royne qui en a le vent mande inoontinent lettres expresses au comte Claude (de Tende) de lui envoyer ce personnage que le roi désire voir. Parquoy au commandement de Sa Majesté, que le gouverneur, qui l'aimoit et estimoit, lui communique, il s'appreste et part de sa maison au cinquante-trois de sa vie, le quatorze de juillet, et se rend aux murs de Paris le quinze du mois d’aoust, jour de l'Assomption Nostre-Dame, luy qui en portoit le nom, allant descendre à l'enseigne deSainct-Michel pour rendre l'auspice heureux entièrement accomply. Monsieur le connestable qui en a le vent, par une excellente faveur le va prendre à son logis et le présente au roi, qui commande de le loger chez le cardinal de Sens : là la goutte qui lesurprend le détient dix ou douze jours, pendant lesquels Sa Majesté lui envoie cent écus d'or dans une bource de velours, et la royne presqnes autant : au moyen de quoy, il n'est plus tost hors de ces violentes douleurs que, par l'exprès commandement du roi, il prend le chemin de Bloys pour voir les enfans de France : ce qu’il fit très heureusement.» Chavigny confirme ce témoignage, et dit positivement que c'est en 1556 que Nostradamns fit le voyage de Paris. Il ajoute que, dans son Bref discours, il ne peut déduire combien de gens doctes, grands seigneurs et autres arrivaient à lui de toutes part; et les prédictions qu’il fit, tant générales que particulières, confirmées par l'événement. « Longum esset si vellem oratione prosequi quæ huic aut illi verissima et valut e sanctuario prædixerit. Superfluum quanta hominum multitudo omnis generis e Germania, Italia, Hispania, Gallia reliqua ad eum ipsum conflueret. » Quelles furent les causes d'un pareil enthousiasme? Sans doute la croyance à l'astrologie dut y entrer pour quelque chose; mais il me semble qu’elle n'eut pas empêché le public de regarder l’auteur de ce fatras barbare et inintelligible

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIOPHILE 453

comme un imposteur ou un fou, si la renommée ne l'eût représenté dès longtemps comme possédant cette merveilleuse clairvoyance dont l'accusent Gabriel de Saconay, le docteur Fontaine et Videl. Si d'ailleurs cette opinion n'eût pas été fondée, l'affluence des visiteurs eût bientôt dissipé l'illusion, et le mépris succédé à l'engouement. C'est donc par la justesse des nombreuses prédictions faites à des particuliers qu'il faut expliquer l'immense succès des Centuries, et la haute réputation de l'auteur jusqu'à sa mort. On attribuait à Nostradamus une si grande connoissance de l'avenir, qu'à chaque événement remarquable on vouloit le trouver dans ses prophéties, et l'on y parvenait souvent, n'étant pas sévère en fait d'applications. Chavigny, dans le Janus, cite un exemple curieux de cette manie. " Aux tournois faits en 1559, dit-il, le comte de Montgomery tua le roi Henri II. Sur quoy fut tant célébré (il m'en souvient) ce présage de l'auteur, qu'il avoit avancé dès 1552 : Certes le grain (entendant d'orge) sera cause de grande mutinerie et trouble. Or, chacun sait qu'on appeloit autrement ce comte le capitaine Lorges. " Un événement si grave et si extraordinaire ne pouvoit manquer de figurer dans les Centuries. On le vit en effet dans le trente-cinquième quatrain de la première, car César dit en son Histoire de Provence : « Infortuné coup de lance qu'un certain personnage excellent semblait avoir montré au doigt à l'un de ses quatrains prophétiques quelques ans auparavant, où il chante ces mesmes vers :

Le lyon jeune le vieil surmontera En champ bellic par singulier duelle, Dans cage d'or les yeux lui crèvera : Deux classes une, puis mourir mort cruelle.

Prophétie à la vérité estrange, où pour la cage d'or se void le timbre royal dépeint au vif. » Il est remarquable que Chavigny, qui se contente des moindres apparences, n'a pas admis ce quatrain dans son

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1863- part A-454 BULLETIN DU BIBLIOPHILE

Janus. Cela prouve bien que Nostredamus regardait comme une méprise l'application qu’on en avoit faite. Mais Jaubert et Guynaud ont pensé qu'en altérant un peu le texte,ils le mettraient d'accord avec l'événement. Leroux a protesté , mais inutilement; car c’est encore aujourd'hui le pont aux ânes des commentateurs. Examinons ce quatrain fameux , délice des croyants et cauchemar des incrédules. Il faut connaître bien peu lestyle du prophète, pour se figurer que lyons : puisse désigner Henri Il et Montgomery;car cette métaphore ne les eùt point caractérisés, puisqu'il y avoit en France beaucoupde guerriers aussi braves qu’eux; et elle ne peut convenir ici qu’à deux chefs qui auront droit à cette qualification par un surnom commun, par leur devise. ou par quelque autre motif spécial. En outre, Montgomery n’étoit pas jeune, ni le roi vieux, mais tous deux dans la force de l'âge : le roi, né le 31 mars 1518, ayant alors quarante-un ans, et Montgomery au moins trente-cinq, vu qu’il fut mis, en 1545, à la tète des troupes envoyées en Écosse par François 1er, et qu’un pareil emploi suppose bien. vingt et un d’âge, ce me semble. — Surmonter signifiant vaincre ou surpasser, surmontera prouveroit seul que ce quatrain n'a rien de commun avec la mort de HenriIl, fut la suite d’une trahison ou d’un. accident, nullement d’une victoire. -- Le tournoi eut lieu dans la rue Saint-Antoine, entre deux barrières qu’on y avoit placées à cet effet. Or, un champ bellic ou champ de bataille est un espace ouvert plus ou moins vaste, c'est-à-dire le contraire d'un champ clos, et surtout d’une lice si étroite. — Par singulier duelle est un de ces pléonasmes apparents que Nostradamus affectionne. Duellum est une vieille forme de bellum, comme duellicus de bellicus. En conséquence, singulier duelle signifie un combat singulier, un combat sérieux, s'entend, et non un passe-temps, un jeu, où il ne s’agissoit que de « bien coucher et briser son bois et de faire une course de droit fil, sans branler ni choquer des genouillères la barrière. » — Une cage est une prison; un

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 455

casque est un abri, une défense. Le casque du roi étoit doré, dit-on; mais assurément il n'était pas d’or. — Le vainqueur crèvera les yeux au vaincu; tandis que l'œil droit de Henri Il fut seul traversé par les éclats du tronçon de lance que tenoit Montgomery.— Classis signifiant une armée de terre, ou une flotte avec les troupes qu'elle porte, deux classes une veut dire que deux armées se réuniront. Ici, Jaubert lit arbitrairementdeux plaies une, et il veut prouver que celle du roi fut réellement double : « De laquelle plaie, étoit une, dit-il, s’en fit une autre, d’autant que le sang de quelques veines, rompues par la secousse violente de la tête, coulant sur le cerveau, y causa un apostume auquel on ne put remédier. » Bouys lit deux casses , et il dit: « Cette cage d’or est le casque du roi, qui seul avoit le droit d’en avoir un d'or pur; et deux casses une, c'est-à-dire que d’une casse, qui vient du mot cassis, casque, il s’en fit deux par la violence du coup. » Par cela on peut juger du reste. —— Puis mourir mort cruelle, étant séparé du troisième vers par deux classes une, signifie que c’est après la réuniondes deux armées que le vainqueur fera mourir son prisonnier d'’une manière cruelle. D’ailleurs puis suffiroit à prouver que la mort cruelle aura lieu plus ou moins longtemps après la perte des yeux, et n’en sera pas la conséquence. Enfin, Henri II ne souffrit pas beaucoup entre sa blessure et sa mort, puisqu’il fut presque toujours en léthargie. Il n’y a donc, à mes yeux, pas un mot dans ce quatrain qui soit applicable à la fin malheureuse de ce prince. Le duc de Savoie, qui avoit épousé Madame Marguerite, sœur du roi, quelques heures avant la mort de celui-ci, vit Nostradamus en allant à Nice trois mois après; et il fut suivi, en décembre, de la duchesse, dont César raconte ainsi la réception : « Les magistrats de nostre ville, pour ne manquer à leur devoir, la reçurent fort décemment sous un dais de damas cramoysy violet, et l'accompagnèrent depuis les portes de la ville jusques au portail du chasteau, par dessous ues arcades dressées d’espace en espace, reves-

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1863- part A-356 (err.p 456) BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

tues de verdoyantes et jeunes branches de buy couronnées d'armoiries, selon que le temps et le lieu permettoyent, où Michel de Nostredame , mon père , qui avoit esté prié des magistrats et principaux nobles de faire l’honneur de la ville, avoit fait poser quelques brèves inscriptions latines, en vers héroïques, entre lesquels furent ceux-ci :

Sanguine Trojano, Trojana creata, Et regina Cypry.

Et si m‘a assuré un gentilhomme qui fut présent à toutes ces choses que ceste princesse l'entretint fort longuement et lui fit beaucoup d’honneur, suivant en cela les traces et les vertus royales du grand François son géniteur.» — Nous avons vu précédemment que le duc pria Nostradamus de visiter la duchesse, à Nice, pendant sagrossesse; et, plus tard, de faire l’horoscope du jeune prince, né le 12 janvier 1 562. Quelque temps après, Charles IX, visitant le royaume, fit, le 17 octobre 1564, son entrée à Salon, décrite ainsi par César : « Anthoine de Cordova , gentilhomme honorable et libéral, qui peu après fut faict chevalier de Sainct-Michel, et Jaques Paul, l’un des plus riches hommes de son temps, lequel pareillement quelques années après fut ennobly, estans en charge de consuls, le receurent à la porte par où il entra, sous un poisle de damas violet et blanc. Ces deux magistrats honorablement accompagnés des plus nobles et apparens bourgeois de la ville, supplièrent bien instamment Michel de Nostredame de vouloir estre avec eux et parler à Sa Majesté aupoinct de la réception, estimans à l'aventure non en vain qu’elle auroit un contentement particulier de le voir; mais il s'en excusa autant gracieusement qu'il put à de Cordova, son singulier et intime amy et à ses compagnons, leur remontrant qu’il desiroit faire son train à part et saluer Sa Majesté hors de la tourbe populaire et de ceste foule d’hommes, estant très bien adverti qu’il seroit requis et demandé, comme il arriva. Ainsi donc que, fort décemment couvert, il attendait \ le cou de rendre cest hommage a son roy voicy que les

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIUPHILE. 457

consuls le monstrèrent à Sa Majesté, à la quelle tout à poinct il fit une très humble et convenable révérence, d'une franche et philosophique liberté prononçant ce vers du poète :

Vir magnus hello, nulli pietate secundus. Suyvant, comme tout hors de soy par un aise extraordinaire de se voir tant humainement accueilli d'un si grand monarque, et comme indigné contre sa propre terre, ces mesmes paroles : 0 ingrata patria, valut Abdera Democrito (1) Comme s’il eut voulu dire : O terre ingrate, je donne quelque nom, voy l'estat que mon roy daigne encore faire de moy! Ce qu’il disoit sans doute assez ouvertement contre le rude et incivil traitement que certains séditieux, mutins, gens de sac et de corde, bouchers sanguinaires et vilains cabans(2) avoient faict à luy, donnoit tant de gloire à son pays. Adonc l'accompagna mon père tousjours costé à costé, avec son bonnet de velours d’une main, et un gros et très beau jonc marin d’Indie emmanché d’argent de l'autre, pour s’appuyer durant le chemin (parce qu’il estoit quelquefois tourmenté de ceste fascheuse douleur de pieds que le vulgaire appelle gouttes), jusques aux portes du chasteau, et encore (l) Selon de Haitze, Charles 1X, reçu à la porte de la ville par les consuls,ne répondit à leurs compliments qu’en demandant à voir Nostradamus, comme pour montrer qu’il n’étoit venu qu'à cette fin ; le docteur s'étant présenté, il lui tendit la main pour le faire approcher davantage, en l'assurant qu’il ne doutait point de son zèle et de son affection; et, lorsqu’il l'entendit se plaindre de sa patrie, il déclara publiquement qu les ennemis de Nostradamus seroient les siens. (3) On lit en marge : " Les cabans qui sont les brassiers, vignerons e antre telle farine d’hommes, l'avoient indignement traitté pour ses moyens et sa bourse. César fait sans doute allusion au tumulte affreux qui eut lieu à Salon, en mai i560. Des bandes de furieux parcoururent la ville pendant cinq jours en criant: Au feu.! au feu ! vivent les cabans, meurent lesluthériens ." et en commettant les plus grands excès. Bien que Nostradamus ne pût être soupçonné d’hérésie, il fut pillé ou du moins rançonné par des malfaiteurs; mais ce désagrément, presque inévitable en pareille circonstance. ne prouve pas qu’il ait jamais eu d'autres sujets de plainte contre les habitants de Salon.

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1863- part A-458 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

dans sa propre chambre, où il entretint fort longuement ce jeune roy, et la reine régente sa mère, qui eurent ceste humaine curiosité de voir toute sa petite famille, jusques à une fille de laict. Et de ce me souvient fort bien, car je fus de . partie. a — Dans son Histoire de Provence, Gaufridi, « exact pour les faits jusqu'au scrupule, " raconte, d'après ses mémoires, qu'en cette occasion Nostradamus ayant examiné particulièrement le duc d'Anjou, à la demande de la reine mère, l'assure qu'il succéderoit à la couronne. Il ajoute que la physionomie du jeune roi de Navarre ayantexcité sa cu riosité, il pria son gouverneur de lui permettre de le voir tout nu, ce qui lui fut accordé. Mais le prince, qui n'avoi pas encore onze ans, et à qui la grande barbe de Nostradamus faisoit peur, vit dans cette demande une ruse de so gouverneur pour lui donner le fouet plus facilement. Cepen dent, rassuré sur ce point, il se laissa déshabiller; et le vieillard, ayant fait ses observations, dit qu'il seroit un jour. roi de France, qu'il essuyeroit bien des traverses, mais qu'il régneroit assez longtemps. — Ruffi, dans son Histoire de Marseille, rapporte que le 6 novembre suivant, Charles IXà son arrivée dans cette ville, fut conduit à la cathédrale; et qu'à la porte, voyant que le roi de Navarre s'arrêtoit et ne vouloit pas entrer, il lui prit en souriant sa toque ornée d pierreries, et la jeta dans l'église pour l'obliger de franchir le pas, comme il arriva. De Haitze ajoute que Nostradamus l'ayant appris, dit publiquement que cela présageoit le retour de ce prince au giron de l’Église. Après avoir vu Aix, Marseille, Toulon et la Sainte-Baume le roi s'arrêta quelque temps à Arles. « Pendant ce séjour, dit César, il fut désireux de voir plus amplement mon père, qu'il envoya querir exprès, auquel, après plusieurs discours, sachant fort bien que le feu roi Henry second, de très héroîque mémoire, son père, en avoit faict cas particulier et l'avoit beaucoup honoré à son voyage de France, il fit despêcher, avec un présent de deux cents escus d'or et de la moitié autant ue la reine lui donna ses patentes de con-

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 459

seiller et médecin ordinaire, aux gages, prérogatives et honneurs accoutumes. » 0 ingrata patria, pris à la lettre, signifieroit que les habitants de Salon tenoient Michel pour un fou, comme l Abdéritains Démocrite. Mais César l'explique autrement. Son père reproche à ses concitoyens de ne l'avoir pas respecté dans leur accès de démence, quand les magistrats étant méconnus et la ville menacée des plus grands malheurs, Palamède Marc, sieur de Châteauneuf, la sauva, en acceptant le consulat que le peuple lui offrit. Ce dernier fait prouve qu cet ami de Nostradamus étoit plus populaire que lui. Mais je ne pourrais supposer que Michel eut plus d’ennemis que de partisans parmi les Salonnois, si, dans son premier ouvrage, il ne les eùt traités de barbares, ennemis mortels des bonnes lettres; et cela même me fait seulement présumer qu'au lieu de les disposer généralement en sa faveur, s grande science avoit pu exciter dès le principe la malveillance d'un assez grand nombre; et que si Paflluence des étrangers, et la faveur des grands et de la cour avaient inspiré d'autres sentiments à quelques-uns d’entre eux, elles avoient changé Paversion des autres en haine véritable (1). Mais tout cela ne doit s’entendre que de la foule ignare, puisque nous le voyons lié d'amitié avec les hommes les plus honorables du pays. Malgré tout ce qui devoit l'enchaîner à Salon, il faisoit de longues excursions, car il avoit promis à Pomeranus le visiter en passant à Bourges, comme on le voit dans la lettre de Rosenberg du 15 décembre 1561 ; et Jaubert apprit à Bar-le-Duc de quelques personnes traitées par Nostrada- (1) Rien ne prouve du reste qu'à Salon, où ou le connaissait le mieux, ses ennemis eux-mêmes n'aient pas estimé son caractère. Je ne comprend donc pas comment la Biographie universelle de Michaud peut dire : " Les faveurs dont il étaitcomblé par tous les princes ne purent lui valoir, d moins pendant sa vie, l'estime des habitants de Salon ; tandis que Chavigny venoit du fond de la Bourgogne recueillir ses oracles, le prophète étoit traité comme un imposteur par ses

confrères et par la plupart d ses compatriotes. " On ne trouve rien de tel dans les sources.

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460 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

-mus, que pendant le séjour qu'il fit, il exhortoit les catholiques à tenir ferme contre les luthériens et à ne pas souffrir qu’ils y entrassent: ce ne peut avoir eu lieu que dans la première guerre civile. Cela prouve qu’il fut plein de vigueur jusque vers la fin de sa vie, car on ne vayageait pas alors commodément « Mais, dit Chavigny, à ce voyage du susdit roi Charles, il passoit soixante ans, et devenant fort caduque et débile pour les maladies qui sauvent Faffligeaient, mesme une arthritis et goutte, attendait constamment son anclimactérique, auquel il décéda, sçavoir le second de juillet 1566. peu devant le soleil levant, passant icelle arthritis en hydropisie, qui au bout de huit jours le suffoqua. Que le temps de son trépas lui fut notoire, mesme le jour, voire l'heure, je le puis tesmoigner avec vérité. Me souvenant trèsbien que su: la fin de juin, ladite année, il avait escrit de sa main, au: Éphémérides de Jean Stadius, ces mats latins : Hic prope mors est, c'est-à-dire, icy proche est ma mort. Et le jour devant qu’il fit escbange de cette vie à l'autre, luy ayant assisté bien longuement, et sur le tard prenant congé de luy jusques au lendemain matin, il me dit ces paroles : «Vous ne me verrez pas en vie au soleil levant. » Nostradamus était fort laborieux. Il travailla, jusqu’au dernier moment, pour ainsi dire, à son almanach de l'année suivante, témoin cette observation de Chavigny sur l'avant dernier quatrain des Présages : « L’auteur escrivant ceci, 1566 et mais de jun, estoit hydropique, dont il mourut peu après " (1) Enfin il donne les détails suivants, en commentant le présage de juin 1567 : «Tout l'heritage d’icelui consistoit en une maison où il habitoit, et en deniers sçavoir en neuf au dix mille escus, qu’il avait acquis à grand travail et peine : laquelle somme il fit apparoir aux eschevins et consuls de sa ville peu avant son decez : je croy, pour plus

(l) D’Artigny, t. III, p. 147, voit dans la quatrain de novembre 1567 la preuve que Nostradamus s’est trompé sur l'époque de sa mort. Il juge sans avoir étudié la question.

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BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 461 grande asseurance, consideré que ses enfants estoient mineurs d’âge. " Il fit son testament le 7 juin. Dans l'extrait ‘en donne Tronc de Coudoulet, il n'est pas question de la maison. Le testateur lègue à sa fille Magdeleine 600 écus d'or; à Aune et Diane, ses autres filles, 500; à sa chère épouse, Anne Ponsarde, 400, avec certains meubles à l’usage de son habitation; à celui. de ses fils qui profitera le plus à l'étude, tous ses livres, ainsi que tous ses manuscrits et lettres qui se trouveront dans sa maison, lesquels il ne veut aucunement être inventoriés ni décrits, mais, enserrés en paquets etbanastes (corbeilles), être mis et serrés dans une chambre, jusqu'à ce que celui qui doit les avoir soit en âge de les prendre. Il lègue ensuite certaines sommes aux PP. de Saint-Pierre de Canon, aux pénitents. blancs, aux PP. de Saint-François et aux pauvres. Il institue de plus ses trois fils, César, Charles et André, ses héritiers universels, les substituant de l’un à l'autre (1). Il déclare encore avoir en argent comptant la somme de 3444 écus et 10 sols, (1) Quant à la destinée des enfants de Nostradamus, qui, selon Jaubert, avoient tous quelque teinture de prophétie, César nous apprend, p. 344, 345 et 812, qu’il étoit marié à Claire de Grignan; que sa sœur Magdeleine avoit épousé un gentilhomme de Barbentane, de la famille des Chanquins, issus de Florence; et que son frère André, las des plaisirs du monde, se fit capucin à Salon, en 1587 . De Haitze rapporte que Charles excella dans la poésie provençale, et se signala dans la profession des armes. Une des sœurs fut la mère de ce neveu de Séva, écuyer, auquel César écrit, en 1629, qu’il lui tient lieu de père; et c'est probablement du mari de la troisième que César dit à Peiresc, dans une lettre du 8 mai 1629 : « Le sieur Isnard, mon beau-frère et votre bien-aimé cousin. » César lui-même, écrivain souvent affecté ou négligé, mais très bon peintre, fut consul de Salon en 1598. Les biographes le font naître en 1555 et mourir en 1629, âgé de 74 ans. Mais, dans une lettre écrite du 1°’ au 25 juillet 1639, ildit à Peiresc : « Ne vous étonnez pas si la mémoire se débilite dans un vieillard de 76 ans. » Donc il naquit avant le 25 juillet 1553, puisque 29 et 47 font 76. Et, comme son père lui dit, le 1er mars 1555, que ses ans ne sont encore accompagnés, c'est-à-dire, qu’il n’a pas encore deux ans accomplis, sa naissance fut postérieure au 1er mars 1553. Quant à sa fin, une lettre de lui, du 23 août 1630, prouve que s’il mourut de la peste à Saint-Remi, la même année, comme l'afffirrme une notice manuscrite de la bibliothèque d’Aix, ce fut à l'age de 77 ans accomplis.

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1863- part A-462 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

dont il a montré les espèces; déclare aussi avoir par obligé ou cédule 1500 écus; et pour l'exécution de son testament, il nomme pour gagers MM. Palamède Marc, sieur de Châteauneuf et Jacques de Suffren, écuyers. Écoutons une dernière fois César nous parlant de son père : " Michel de Nostredame,mis au rang des hommæ illustres, le propre jour de Notre-Dame est mis en terre avec regrets, pompe et suite honorable au vieil et ancien temple des Frères-Mineurs, où a main gauche de l'entrée se void son pourtraict au naturel, et ses armesqui sont de gueules à une roue brisée à huict rayons, composée de deux croix potencées d’argent, escartelé d’or à une teste d’aigle de sable, qu’il tenoit tant de ses ayeulx paternels quematernels, a - ce court épitaphe contre une table de marbre d’environ huict pieds de long, composée de trois quarrés, attaché contre le mur à la manière dîtalie. -— D. M .— Ossa clarissimi Michaelis Nostradami, unius omnium mortalium judicio digni, cujus pene divino calamo totius orbis ex astrorum influxu futuri eventus conscriberentur. — Vixit annos 62, menses 6, dies 17. Obiit Sallonœ 1566. Quietem posteri ne invidete. -— Anna Pontia Gemella conjugi optima V. F. " Chavigny nous apprend, dans sa version latine du Bref discours ou Vie sommaire, que cette épitaphe, imitée d celle de Tite-Live, fut composée par Nostradamus lui-même: Sibi ipse condidit. Elle est suivie, dans le texte français, de son portrait physique et moral que voici : " ll estoit de statue un peu moindre que la médiocre, de corps robuste alègre et vigoureux. Il avoit le front grand et ouvert, le nez droit et esgal, les yeux gris, le regard doux, et en ire comme flamboyant, le visage sévère et riant, de sorte qu’avec la sévérité se voyoit en icelui conjoint une grande humanité : les joues vermeilles, voire jusques à l'extrême sage, la barbe longue et espoisse (barba promissa quam proinde demulce bat), la santé bonne et gaillarde, si nous exceptons la vieillesse et tous les sens aigus et très entiers.Quant à l’esprit,

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 463

il l'avoit vif et bon, comprenant légèrement tout ce qu’il vouloit : le jugement subtil, la mémoire félice et admirable de nature taciturne, pensant beaucoup et parlant peu : discourant très bien en temps et lieu : au reste vigilant, et soubdain, cholère, patient du labeur. Son dormir n'estoit que de quatre à cinq heures : louant et aimant la liberté de langue, joyeux, facétieux, mordant en riant. Il approuvoi les cérémonies de l’Église_ romaine, et tenoit la foy et religion catholique, hors de laquelle il asseuroit n’estre point de salut; et reprenoit grièvement ceux qui, retirez du sein d’icelle, se laissoyent appaster et abreuver de la douceur et liberté des doctrines estrangères et damnables : afiermant que la fin leur en seroit mauvaise et pernicieuse. Je ne veux oublier à dire qu’il s'exerçoit volontiers en jeusnes, oraisons, aumosnes, à la patience : abhorroit le vice et le chastioit sévèrement ; voire me souvient que donnant aux pauvres,envers lesquels il estoit fort libéral et charitable, il avoit ce mot en bouche ordinairement, tiré de l’Escriture sainte : " Faites vous des amis des richessesd’iniquité. " Ces renseignements biographiques, joints à ceux que nou avions déjà, prouvent que si les Centnries eurent beaucoup d'influence sur les dernières années de Michel, son caractère, sa science, et avant tout sa renommée comme voyant, n’en eurent pas moins sur l'accueil fait à un livre si ténébreux et si étrange. Jetons maintenant un coupd’œil général sur l'histoire des Centuries la mort de l'auteur, avant de passer aux éditions. Le premier commentateur qui se présente est Dorat " le sous-prophète, s Dorat, que Chavigny célèbre ainsi dan une brochure de 1570 (1) : « Il interprète si diligemment et (l) L'endrogyn né à Paris: le XXI juillet M. D. LXX. Illustré des vers latins de Jean Dorat, poëte du roi très chrestien, contenant Pinterprétation de ce monstre. Avec la tradition d'iceux en nostre vulgaire françois, dédiée à monseigneur le président de I’Archer. A Lyon, par Michel Jove, i570; in-8 de 24 pages non chiffrées, suivies d’une gravure qui réprésente deux enfants réunis par le bas-ventre, mais dirigés en sens

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1863- part A-464 BULLETIN DU BIBLIOPHILE avec telle dextérité et artifice les songes, visions, prodiges et monstres . de quelconque espèce, et non-seulement cela, mais aussi les oracles et tout ce qu’est prédit et chanté de fureur (en quoy semble la voix et volonté de Dieu estre plus obscure et cachée aux hommes), que l'effect en surpasse toute renommée et louange. " Cet opuscule contient l'Androgyni interpretatio, réimprimée en 1586 dans le tome Ier des OEuvres de Dorat, et sa traduction en alexandrins, par Chavigny Dorat, interprétant le quarante-cinquième quatrain de l seconde centurie, dit que I’Androgyn,ce ne’ biparti qui mou deux religions, à laquelle on travaillait alors, et qui fut con cluele 8 août, ne durera pas jusqu’à la fin de l'année. Sa prédiction fut démentie, puisque la guerre ne recommença qu’au bout de deux ans, par les Matines parisiennes. --Onzeans plus tard, dans un épithalame sur le mariage de Joyeuse, il décrit le théâtre superbe qu'on dressa près du Louvre, en explique les emblèmes, et promet à Henri lII une postérité glorieuse, et les empires d’Orient et d’0ccident après de grandes victoires sur terre et sur mer, par suite desquelles une foule de captifs seront délivrés, et un grand lui sera présenté chargé de chaînes d’or. La vérité de ces prédictions a pour garant l'accomplissement de celles qu" lui a déjà faites, comme on le voit dans quelques vers du premier livre de ses poèmes, et dans Pépigramme suivante :

Si mea præcinuit populis te musa Polonis Regem, cur tibi non præcinet imperium? Irrita non vatum sunt omina : tu modo cura Dignus ut imperio sisque vocante Deo. Tu fortis rex ille, Dei qui numine solo Imperium potiens, Thracia regna domes; Externis ad quem veniet captivus ab oris Auro vinctus, et hinc nomine Victor eris.

contraire. Cette brochure, dont la dédicace, signée J. de Chavigny, est datée : A Lyon ce 19 d'aout i570, se trouve à la bibliothèque de Grenoble

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1863- part A-BULLETlN DU BIBLIOPHIILE. 465

Chavigny, qui s’étend longuement sur tout cela dans la dernière partie du Janus, et qui applique ces belles prédictions à Henri IV, nous apprend que Dorat s’appuyoit surplusieurs quatrains de Nostradamus (l), et sur des anagrammes que voici : Henricus tertius : Vere in te Christus. Henricus tertius Dei gratia rex Francorum et Polonorum: Rex fortis solo Dei nutu Imperator regna Thracum revincet. Henricus Valesius et Lodoica Lotluzrena : Nascitur his de utero corona liliata. La dernière seule lui valut cent écu d’or. — Pour faire de si belles promesses à un prince meprisable et méprisé comme celui-là, il fallait bien du courage et de la foi. Les choses allant de mal en pis, mirent à de cruelles épreuves ces vertus du poète royal; et, lorsque toute illusion lui fut impossible, le pauvre Dorat mourut en 1588, probablement de chagrin, car il est dur d’avoir gâté la cause que l'on vouloit servir, et de passer du rang d'hypophète à celui de rêveur.

Il eut en mourant la consolation de laisser à son disciple chéri le soin de réparer sa défaite. Chavigny lui avoit con- (i) D’Artigny, t. II,p. 310, dit à propos des Centuries : (Jean Dorat les enrichit d’un commentaire, et avec autant de succès, dit Lacroix du Maine, que s'il eût été inspiré par le génie même de Nostradamus. Le P. Niceron assure que cet ouvrage n'est pas venu jusqu’à nous. Je le trouve néanmoins cité par Struvius sous ce titre : Cenluries de Michel Nostradamus, français et latin, par Joannem Auralum, cum commentariis ejtudem. Lugduni, anno i594, in-8. Je ne me fie guère à Struvius parce que d'ordinaireil ne fait que copier les catalogues. » Or, Lacroix du Maine ne parle pas d’un commentaire; il dit seulement: « Tous hommes doctes ne font pas peu d'estime dudit Nostradamus, entre les quels je nommerai M. d’Aurat, poëte du roi, tant estimé de son siècle lequel est si heureux trucheman ou fidèle interprète de ses quatrains qu’il semble que ce soit le génie dudit auteur, et comme sous-prophète appelé des Grecs Hypophitis : » ce qu’il entend sans aucun doute des prédictions en vers sur Henri III, que les événements n’avoient pas encore démenties. Quant aux Centuries en français et en latin, avec commenaire par Dorat, imprimées en i594, à Lyon, comme le Janus, c'est une fiction. Si d'Artigny avoit lu le dialogue entre Chavigny et Dorat, vu que celui-ci ne pensa jamais à une œuvre pareille, et s'il eût conn ses poésies, ou seulement parcouru la dernière partie du Janus, il auroit compris Lacroix du Maine.

XVè série

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1863- part A-466 BULLETIN DU BLBLIOPHILE.

-fié, dans le dialogue qu’il lui avoit adressé peu auparavant son projet d'appliquer plus de trois cents quatrains à l’histoire de 1550 à 1607, sans lui dire toutefois, par délicatesse sans doute , que le Béarnais, bientôt roi de France étoit le véritable empereur universel prédit par Nostradamus, et que la seconde partie de son œuvre seroit consacrée à ses merveilleuses conquêtes. On voit dans ce mêm dialogue, que Chavigny écrivait déjà le commentaire fran çois de la première; et ailleurs, que ce quil'avait décidé à ce travail immense, c’est que les Centuries étoient comprises de bien peu de gens et méprisées des autres pour l'obscurité d’icelles et perplexité des ambages. Je doute que la première face du Janus ait augmenté le nombre de leurs admirateurs, même avant que la mort de Henri IV eût rédui à néant les prédictions de ce livre et celles des Pléiades et je crois qu’en définitive le zèle aveugle de Dorat et deChavigny fit le plus grand tort à la réputation du propbète. Le seizième siècle, devoit finir par un hommage puhlic à la mémoire de César Nostradamus raconte, dans une brochure sur L'entrée de la Boyne en sa ville de Sallon, publi’ en 1602, que Marie de Médicis y étant arrivée au mois de novembre 1600, passa sous un arc de triomphe de buis et d’olivier, orné de peintures, d'inscriptions et de de ° qu’il avoit composées. « L’une des inscriptions commençoi ainsi : Lætare, o Sallona! quia fui vatis clarissimi Tuscis olim cantata oracula nunc aperta et impleta vides. Et tu, o D. Maria, Sallonam tuam orbis luna radiis tuis illustra repara eos muros qui meruere sinu in suo recipers Nostradamum vatem illumsuum , cujus nomen ubique terrarum personat, et qui florentes et felices Franciæ et Florentiæ regios thalamos sibyllino suo carmine decantavit.... —-- Au costé droit estoient ces quatre vers latins :

Nostradami quondam surgunt oracula vatîs Nomme uo Sallo hæc nobilitata manet.

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 467

Carmina Nostradami Tuscis cantata MARIA Enrici thalamis nunc veneranda probat.

— Au costé gauche estoit le quatrain (V. 38), se trouve aux Centuries de feu mon père, desquelles M. de Bremond, sieur de Penefort, conseiller, semble estre le vray génie et l'interprète fatal (1)» Un événement qui auroit pu, ce semble, ranimer la confiance et la curiosité après le désenchantement causé par la mort de Henri 1V, c'est l'apparition des Prédictions pour les ans courans en ce siècle, des sixains dont quelques-uns sont évidemment relatifs à des faits accomplis avant 1610. Mais comme ils parurent à une époque de fraude, dans des éditions falsifiées presque au su de tout le monde, on les crut généralement supposés. D’un autre côté, les Centuries n'avaient eu jusque-là qu'un petit nombre d'éditions, dont les exemplaires avoient disparu en grande partie, comme les almanachs, dans les dévastations des guerres civiles; et les faussaires en fabriquèrent un si grand nombre d’antidatées ou sans date, différentes de titre et de format, que le public, prévenu contre elles par des bruits exagérés, perdit toute confiance dans le texte. Aussi ne parut-il presque rien sur Nostradamus depuis 1611 jusqu’à l'époque de la Fronde. Ses prophéties ne pouvaient manquer de figurer dans les Mazarinades, dont plusieurs, en effet, appliquent aux af- (l) César offrit à la reine quelques pièces de vers de sa façon, dont l‘une fut trouvée délicate et galante ; et une boite d’ivoire de la grandeur d‘un ducaton, dans laquelle il avoit peint les portraits de Leurs Majestés fort nettement et délicatement élaborés. Aucouvercle étaient peintes d‘enluminure les deux fleurs de lis jointes et embrassées, avec huit vers en lettre d’or italienne et foit subtile. La reine lui parla gracieusement et lui offrit sa protection. L'arc de triomphe étoit digne de lui plaire, - voici ce qu'en dit l'auteur : « J’estime bien que ceux qui mesurent bastiment aux lois de la proportion et du petit pied ne le trouveront point monstrueux ni ridicule, et pourroint juger du Lyon par l'ongle, qui est la devise qui est escrite en lettre d'or contre la porte de la maison. A Sallon, ce X décembre année sainte 1600. Claros clara decent. »

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1863- part A-468 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

-faires du moment quelques vers des Centuries. Mais les seules qui le fassent largement sont les pamphlets publiés en 1651 et 52 par Jacques Mengau, professeur ès mathématiques. Il voit dans Nostradamus une foule d'événements imminents et prodigieux. Mazarin va rentrer en France à la tête d'une puissante armée. Après une sanglante défaite, essuyée près d'Étampes, il enlèvera de Saint-Germain le roi et son frère, et les emmènera d'abord à Avignon, puis en Italie; tandis que Condé, séduit par ce fourbe, assiégera de nouveau Paris, le pillera, et en exterminera presque tous les habitants. Le roi d'Espagne surprendra Barcelone au moment où il feindra de conclurela paix. Mais les Turcs et les Barbaresques attaquant l'Espagne de plusieurs côtés, en vain demandera-t-il à traiter avec la France: elle profitera de l'occasion pour le punir, et il sera dépouillé d'un grande partie de ses États. Sa mort sera suivie de celle d pape et de l'empereur ; et Mazarin , devenu pape, couronnera Louis XIV empereur dans la ville de Savone. Les Romains assiégés par les Turcs, qui auront envahi l'Italie, appelleront le nouvel empereur à leur secours. Il vaincra et chassera ces barbares; puis il épousera , en 1656 ou 57 au plus tard, la jeune reine d'Espagne, enchantée de l donner sa main, avec le reste de ses États; et alors, aid de son fidèle Mazarin , il exterminera les Turcs et trembler l'univers. Les Anglais ayant osé faire précédemmentune invasion en Guyenne, qui aura coûté la vie à plu d'un million d'hommes, seront subjugués et demeureron soumis à la France durant trois siècles. Ces rêveries, accompagnées de beaucoup d'autres, reposent non-seulement su cinquante à soixante quatrains ou sixains, mais sur les nativités de Louis XIV et de Mazarin, que l'auteur met sous les yeux du lecteur, et développe gravement, comme on eut pu le faire au seizième siècle. Tout cela, jeté et ressassé. pèle-mêle, forme un radotage assommant, délire suprême de l'astrologie mourante. Malgré l'éclatant démenti que les faits donnèrent à Men-

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 469| -gau, et les bruits de falsifications commises dans les Centuries par les fraudeurs et par les mazarins, plusieurs éditions et commentaires parurent encore sous le règne de Louis XIV. Les récits des prédictions verbales, dont l'écho affaibli ne se trouve plus aujourd'hui qu'à Salon, étoient encore en pleine vigueur. Jaubert l'atteste en 1656. « Toute la France, dit-il, conte diverses aventures prédites par l'auteur; mais ne voulant rien écrire sans en être assuré, je les omets. » Ces récits ne pouvant manquer de s'altérer en passant de bouche en bouche , il en circuloit des variantes qui devoient peu à peu leur donner l'air d'autant de contes, et rendre générale la défiance exprimée par Jaubert. Mais cette influence du temps, funeste à la renommée du prophète, fut compensée par l'abrégé de sa vie, tiré du Janus, qui fut mis dès lors dans la plupart des éditions. Un renseignement curieux sur une des sources de l'opinion qu'on avoit alors de Nostradamus, c'est un passage de l'ÉcIaircissement de Jaubert, où il rapporte qu'un savant religieux, écrivain renommé, soutient qu'après les apôtres et les prophètes canoniques l'auteur des Centuries l'emporte sur tous les autres par la réunion de trois choses , la généralité, le grand nombre et la certitude de ses prédictions. Ce passage nous montre que parmi les catholiques les plus instruits et les plus zélés, il en est qui font le plus grand cas de ses prophéties et les étudient sérieusement. Mais sa suppression dans la plupart des exemplaires prouve qu'il ne veulent pas qu'on le sache. Crainte de jeter les perles devant les pourceaux, ils tiennent la lumière sous le boisseau. C'est probablement l'influence de ces zélateurs du mystère qui empécha Jaubert de publier les dix-huit volumes qu'il avoit encore. Ne serait-ce pas en partie cet excès de prudence nous a conduits où nous sommes. Ce qui nuit le plus à la vérité,n'est-ce pas de rester incon nue? Et le « commun profit des humains » n'est-il pas le but du prophète? Lorsqu'on apprit en 1656 par l'Éclaircissement que le

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1863- part A-470 BULLETIN DU BlBLIOPHILE.

manuscrit des sixains présentés à Henri IV étoit dans au mains d'un ami de Jaubert, Anne d’Autriche dut certainement le réclamer; et ces « prédictions pour les ans courans en ce siècle » durent exciter vivement la curiosité de Louis XIV âgé de dix-huit ans, qui avoit sans doute ouî parler des singulières applications de quelques-unes à sa personne. De là, du moins en partie, le favorable accueil qu'il fit douze ans plus tard au travail d'un des familiers de son frère. C'était au commencement de 1572. Le roi, profondément irrité contre les Hollandois, dont les intrigues l'avaient empêché de conserver les Pays-Bas espagnols , et qui avoient frappé des médailles injurieuses à sa gloire, se préparait . écraser ces républicains hérétiques. Il étoit alors l'idole de la nation. Le sieur du Jant, intendant des armoiries d Monsieur, avoit eu l'heureuse idée de publier les médailles satiriques des Hollandois, peu connues en France, pour exciter l'indignation contre eux; et de les foudroyer d’avance au nom du prophète, pour exalter la confiance publique. Le plan fut naturellement communiqué au prince puis au roi, qui l'approuva; et dans le courant d'avril, après la déclaration de guerre du 6 et avant le départ de Louis, l'auteur lui présenta un premier opuscule, où, après avoir expliqué différentes prédictions de Nostradamus alors a complies, notamment celle de la fin tragique de Montmorency en 1632, il dit, appliquant les quatrains supplémentaires de la huitième centurie à la guerre présente: " Y aura-t-il une consternation pareille à celle de ce petit coin de terre, lorsqu'ils verront approcher de leur pays une si nombreuse armée que celle qui se prépare, et dont le nom seul de la nation est capable de donner de la terreur. " Plus loin, il menace l'empereur et les princes allemands de terribles dangers, s'ils se liguoient avec la Hollande contre l'Angleterre et la France. Or c'est ce que fit l'empereur a mois de juillet. " Pour conclusion, dit l'auteur, Nostradamus ne s'est point déclaré si pleinement ni si ouvertement en toutes ses prédictions que pour exprimer la ruine de ce

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 471

petit coin de terre et la désolation de ces provinces mutinées. Il semble que cette odieuse nation se soit attiré l'ire de Dieu, tant par la profanation qu'elle a faite du vrai culte de sa religion, que parla dernière ingratitude dont elle a usé envers le petit-fils de Henri IV, qui les garantit d l'esclavage et mit à couvert leur honneur, leurs biens et leurs vies; pour reconnoissance de quoi, non contens de lui susciter des ennemis partout où ils ont pu, de lui brasser des ligues pour arrêter les progrès de ses justes armes, il ont bien eu l'insolence de se comparer à des Josués, et de se vanter qu'ils ontarrêté le cours des prospérités du solei de la France; mais ils apprendront assez tôt, et pour le malheur, que s'ils ont attaché des clous à son char de triomphe, la verge de fer lui reste encore entre les main pour châtier leur témérité, et que la Providence se veut ser vir aujourd'hui de son bras victorieux, comme elle fit d l'épée flamboyante du chérubin , pour la punition de ce peuples méconnoissans. » Il donne à la fin les médailles injurieuses des Hollandois, et leur oppose, en adroit courtisan, des contre-médailles adulatrices, qui durent faire 1 joie et l'admiration de la ville et de la cour. — L'âge ou la santé de l'auteur l'empêchèrent de prendre part à cette campagne; car, dans un autre opuscule, qui parut peu de temps après, il gémit de ne pouvoir suivre le roi, et se voi avec douleur, dit-il, réduit à lever les mains au ciel comme Aaron, tandis que l'on combattra dans la plaine. Cette brochure contenoit la suite des médailles satiriques, et les autre insultes du même genre, commises par les Hollandois. Enfin, dans une troisième partie , qui dut paroître en septembre, puisqu'il dit au roi qu'il lui a présenté la première cinq mois auparavant, il cherche à le consoler d'avoir manqué son but, en faisant ainsi son apothéose: « Si entre les monarques romains Jules César a été mis a rang des divinités à cause de sa vertu et magnanimité nous ne devrions pas rendre moins d'hommages à notre auguste monarque Louis XIV Dieu donné à cause de

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1863- part A-472 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

sa grandeur et de ses mérites, qui le rendent incomparable et l'élèvent au-dessus de tous les souverains, et d’ autant plus qu’il est la plus parfaite image de la Divinité, comme dit l’oracle françois. » Mais un trait de génie, un coup de maître, fut de promettre formellement une longue carrière à l’accomplissement de sa vengeance et de tous ses rêves ambitieux. Le prophète lui assure plus de quarante ans encore : que ne fera pas un demi-dieu comme lui! « Du reste, Nostradamus lui annonce une heureuse vie, et dit qu’il régnera longtemps avec tous les honneurs qu'auront jamais eus ses prédécesseurs , qu’il rendra sa gloire mémorable, qu’il sera le premier et le dernier, le principe et la fin. » Que peut-on dire de plus relevé , de plus sublime, de plus brillant, et qui puisse enchérir sur tant de beaux éloges! -Du Jant, mécontent des événements qui avoient si mal justifié ses prédictions, ne fit pas réimprimer ses trois opuscules; mais le public leur avoit fait un si bon accueil que des spéculateurs en publièrent deux éditions l'année suivante, probablement à l'ouverture de la campagne;et qu’en 1691 un libraire de Rouen prit les explications des quatrains et sixains, y joignit celles de quelques autres appliqués à la révolution d'Angleterre, et plaça le tout sous le titre de Remarques curieuses sur les Centuries, à la fin d’une nouvelle édition des Prophéties, qui furent réimprimées plus d’une fois. — Quoique assez mince, la brochure de 1673 n’est pas devenue bien rare , car d’après le catalogue de la Bibliothèque impériale, cet établissement doit et avoir deux exemplaires, et la bibliothèque de l’Arsenal en possède deux autres, dont voici le titre : Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus, qui vraisemblablement se peuvent appliquer au temps présent, et à la guerre entre la France et l'Angleterre contre les Provinces unies. MDCLXXIII. In-12- de 87 pages. —A la page 37 vient ce nouveau titre : Suitte des médailles, inscriptions , emblesmes et peintures injurieuses des Provinces unies. Avec la réponse pour la France 1673. —— Et page 57, celui-ci : Prophétie de Nostrada-

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1863- part A-BULLETIN DU BIBLOPHJLE. 473

- mus sur la longueur des jours et la félicité du règne de Louis XIV; par le chevalier de Jant. 1673. — Chaque titre est suivi d’une épître au roi. La première est signée Le chevalier de Jant ; la seconde, De Jant. La troisième partie finit par la médaille du phénix, que précède ce sixain pour le roi :

La fortune est soumise à mon heureux destin: Un prophète m'annonce, en langage divin, Un règne triomphant, une race féconde, Une gloire immortelle et des honneurs sans fin; Que je serai l’amour de tout le genre humain, Le soleil, le phœnix de tous les rois du monde (1)

(1) Dans ses Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, Charles Nodier, qui avoit un exemplaire de l’autre édition de la même année, dit qu'il est accompagné de la note suivante : « Je vous cnvoye, monsieur, une méchante coppie de mes ouvrages, laquelle, ayant esté imprimée à mon insçu à Rouen, par un libraire qui en a creu faire son profit, ne vous estonnés pas si vous y rencontrés beaucoup de fautes, et je suis fore’ mesmes de vous l'envoyer, n'en ayant plus des premières impressions. Ainsi j’ohéie à vos commandemens comme estant vostre très obéissant serviteur le comte du Jant. — Les vers ne sont point aussi de ma fasse estans une augmentation de quelqu'un qui s’est voulu signaler en poésie. » — Il est évident que les premières impressions sont les trois opuscule publiés en i672; et les vers qui ne sont pas de sa façon, le sixain pou le roi. Quant au titre et au nom de l'auteur, je présume qu’en 1672 le épîtres étaient signées L. C. D. J ., comme le fut en i691 la première conservée en tète des Remarques curieuses et que le chevalier de Jant est une mauvaise traduction de ces initiales, due à l'ignorance des éditeurs.

F. Buget. (la suite prochainement)

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PARTIE 2 du volet II

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1863 partie B- ÉTUDES SUR

NOSTRADAMUS(1).

II

Œuvres et Adversaires (Suite).

EFFET DES CENTURIES.

Un autre exemple de l’esprit de ce temps est une traduction anglaise des Centuries et des Sixains avec commentaire, publiée en 1672 par un médecin françois établi à Londres. Elle a pour titre : The true prophecies or prognostications of Michael Nostradamus , physician to Henry II, Francis II, and Charles 1X, kings 0f France, andone of the best astronomers that ever were. A work full of curiosity and Iearning. Translated and commented by Theophilus de Garencieres, Doctor in Physick colleg. Lond. London, 1672, in-folio de 36 et 522 pages. — La préface presque entière , ainsique la vie et l'apologie de Nostradamus , sont traduites de Jaubert, que l’auteur ne nomme pas. Après l'épître à César, seulement en anglais, viennent les Centuries, dont chaque quatrain est suivi de sa traduction littérale en quatre lignes, suivies elles-mêmes d'observations qui se réduisent parfois à quelques mots, et dont les plus développées sont ordinairement tirées de Jaubert. Garencières trouve si obscure la préface des trois der-

(1) Voir l'année i860, p. 1699; l'année 1861, p. 68, 241. 383 et 657; l'année 1862, p. 761; et l'année 1863, page 449. — Plusieurs fautes s'étant glissées dans l'article précédent, voici quelques rectifications. P. 449, l. 6 : ce voyant... P. 463, l. 33 : la traduction. P. 465. l. 8 : nascetur.... P. 466, l. 19 et 20 : Le seizième siècle devoit finir par un hommage public à la mémoire de Nostradamus. César raconte.... L. 26 et 29 : quai... lustra. Repara.... P. 467, l. 31 : italienne fort subtile.... L. 37: de ma maison.... P. 469, l. 19-21 : religieux pense que, sauf les écrivains sacrés, l'auteur des Centuries l'emporte sur tous les prophètes.... P. 470, l. 7 : seize ans....

XVIè série 33

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1863 partie B- 514 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

-nières Centuries, que, sans les instances du libraire, il ne l'auroit pas traduite. Le texte françois est celui de l'édition de 1649, imprimée à Paris, et datée de Lyon, 1568.Mais il est plein de fautes, parce que l'auteur fut presque toujours absent pendant l'impression; et d'ailleurs il y introduit la plupart des altérations de Jaubert. Il rejette, comme lui, les Présages; mais il donne, traduit et commente les Sixains. Le plus curieux dans ce livre, c'est le commencement de la préface. — Beaucoup d'autres, dit l'auteur, auroient pu s'acquitter de ma tâche mieux, mais non plus aisément que moi, qui dès ma jeunesse ai causé de ces prophéties avec des gens qui s'efforçoient ou avoient la prétention de les entendre. Ce fut d'ailleurs ma première lecture après l’A BC ; car c’étoit l'usage en France, vers I618, de mettre les Centuries entre les mains des enfants pour les accoutumer au vieux langage, et à cause de l'agrément et de la variété des matières : de sorte qu'on les imprimoit alors chaque année, comme les almanachs ou les premiers principes de lecture (1). Depuis ce temps-là, il m'a suffi delire l'histoire, d'observer les événements, et de fréquenter des hommes qui s'adonnoient à l'étude de ces prophéties, quelques-uns jusqu'à en devenir presque fous, pour être à même d'écrire ce volume. En publiant, en 1693, sa Concordance des prophéties de Nostradamus avec l'histoire, le but principal de Guynaud ci-devant gouverneur des pages du roi, fut probablemen d'obtenir quelque faveur de Louis XIV ; car, parmi les vers à la louange de l'auteur, qui précèdent son œuvre, on en trouve d'un autre Guynaud, qui, ne pouvant chanter dignement la célèbre victoire de l'interprète sur tous nos écrivains espère qu'un grand roi le récompensera de ce rare mérite qui le fait estimer des mortels et des dieux. D'ailleurs, ne pouvant (l) « This book was the first after my primer, wherein I did learn to read, it beeing then the custom in France, about the year I618, to initiate Children by that book. so that this book in those days was printed every year like an almanach or a primer for children. »

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1863 partie B- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 5l5

douter que, ses plagiats étant reconnus, ses lauriers seroient bientôt flétris, le profond et « sublime » Gaynaud devait tendre à une plus solide récompense de ses labeurs. Mais, pour l'obtenir, il fallait payer d'audace et flatter le maître. C'est ce qu'il fait dansson Épître à Louis XIV, où il ose lui parler ainsi de ses prétendues explications: "« J'espère que Votre Majesté aura lieu d'en être satisfaite. C'est un travail qui demande du temps pour développer des choses si obscures et une très-grande application d'esprit pour en bien comprendre le sens. — Vous verrez, Sire , dans l'éclaircissement que je donne au public d'une partie des préfaces à cet auteur, que l'heureuse et inespérée naissance de votre auguste personne s'y trouvoit prédite, et qu'ensuite l'hérésie finirait en France par les soins et par la prudence de Votre Majesté. Les naissances de Monseigneur et des jeunes princes messeigneurs les ducs de Bourgogne, d'Anjou et de Berry y sont énoncées d'une manière à ne pas douter quece grand homme n'ait voulu prédire de son temps ce qui est effectivement arrivé dans le nôtre. » Puis, ne sachant pas trouver dans les Centuries ou les Sixains matière à nouvelles flatteries, et ne pouvant s'emparer des brillantes découvertes de Jant, connues du roi, il est réduit à cette pâle réminiscence: " Il ne seroit pas difficile de montrer que ce grand homme a non-seulement prédit à Votre Majesté une longue et heureuse vie, mais encore que le ciel protégera visiblement la force et la justice de sesarmes contre tous ses ennemis. " Et il ajoute seulement que si Nostradamus s'est plus clairement expliqué sur le règne de Louis le Grand que sur les autres , c'est qu'il savoit que ce seroit le plus beau de tous. Quelle décadence de la flatterie l L'esprit humain va toujours d'un extrême à l'autre. Enivrés de quelques découvertes physiques et mathématiques, les disciples de Bacon rirent de la crédulité du passé. Lesiècle de Louis XIV n'était pas écoulé, que le docte et ingénieux Fontenelle porta le dernier coup à l'astrologie en popularisant le système de Copernic et traduisit en Nor-

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1863 partie B- 516 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

mand ce sophisme digne d’un Van-Dale : Il y eut des oracles faux, donc il n’y en eut point de véritables. Que la terre lui soit légère! On reconnaît dans La Clef de Nostradamus, paru en 1710, l'effet de l’Histoire des oracles. Vers le milieu du siècle précédent, Jaubert, dans son apologie du prophète, disoit : « Ce ne fut pas assez aux ongles de la calomnie d’effleurer sa renommée, le faisant passer entre 1es hommes pour quelque sot et idiot de rêveur; ni de l'égratigner sanglamment, le mettant au nombre des faux prophètes; ni de le déchirer et démembrer cruellement, le chargeant de magie noire; mais enfin elle tâcha de l'immoler et sacrifier aux ombres des furies infernales, le déclarant prince des imposteurs, et chef de tous ces infâmes séducteurs que les républiques et états doiventou bannir de leurs terres ou condamner au fagot. » Puis il répondoit aux derniers chefs d’accusation: Plus la calomnie s’élève contre ce grand personnage , plus son raisonnement est foible, comme la fumée, qui se dissipe d’autant plus qu'en monte davantage. " Sa raison est impertinente, clochant d'un pied dans un argument distributif. Il a connu des choses, dit elle, qui ne sont point dans les astres , et il ne lesa point eues de Dieu, donc il les a eues par Satan. Nous recoignons cet argument dansles antres de la médisance par celui-ci : Il a connu des choses qui ne sont point écritesdans les cieux et que Satan ne peut connoître; donc il les a eues de Dieu. —Jean Leroux, auteur de la Clef, a d’autres ennemis à combattre : ce sont les esprits forts, les beaux esprits, le gens du monde, admirateurs de Fontenelle. Il ne l'ignore pas, car il dit qu'après la mort des amis de Nostradamus qui soutenoient sa réputation en racontant nombre de prédictions qu’il avoit faites en particulier, il tomba dans un mépris qui s’est toujours accru et qui est devenu si général que les personnes même les plus habiles et les plus sensées ne sauraient s'empêcher de se moquer, par un espritde préoccupation , des prophéties de ce grand homme, sans

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1863 partie B- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 517

les avoir peut-être jamais lues ni' examinées. " Il se figuroit néanmoins que ses découvertes sur le style de Michel, accompagnées de bonnes explications de plusieursquatrains, feroient enfin rendre justice à « l’oracle de la France; » tandis qu'une fois annoncé dans. le Journal des savants, il ne fut plus question de son livre, et qu’il s’écoula près d'un siècle avant que Motret, son disciple , dît incidemment: « Ce bon curé avoit de l'instruction, et s’étoit livré pendant vingt ans à des recherches sur Nostradamus, la plupart infructueuses , mais qui supposent une critique assez saine etun grand amour de la vérité. » — Cet amour candide est souvent plein de charme. On préfère le langage naïf de l’auteur aux plus belles phrases, et on relit volontiers bien des choses, comme son Épître à la France, dont voici le début et la fin: « Il faut vous avouer, ô ma chère et aimable patrie, que le peu de succès qu’ont eu jusqu'ici tous ceux qui’ ont voulu se mêler de parler ou d’écrire sur les Prophéties de Nostradamus, m’a longtemps imposé silence : sachant bien que c’étoit assez qu’un livre portât le titre ou le nom de cet auteur pour être aussitôt rejeté ou sifflé de presque toutes les personnes d’esprit, de capacité et de mérite... Agréez, s’il vous plaît, ô ma chère France, et, en attendant qu’un autre fasse mieux, recevez, je vous prie, gracieusement ce premier travail d'un de vos plus dévoués et plus fidèles nourrissons, à qui votre fameux Oracle fait croire et espérer plus que jamais de vous voir enfin bientôt triompher de tous vos ennemis, sous la sage et heureuse conduite de l'heureux de Bourbon (1). " — Ou bien (l) Écrite et publiée à l’époque de la plus grande détresse du royaume, la Clef est une œuvre éminemment patriotique. « Les affaires présentes, dit l’auteur, tourneront bien autrement que ne pensent nos frondeurs, fanatiques et trembleurs, àla honte et à la ruine de tous les traîtres et ennemis de la France. a Et afin de soutenir le courage national, il promet plusieurs fois à Louis XIV une pleine et entière victoire sur tous ses ennemis. Ces prédictions durent produire un bon effet politique; mais ensuite leur exagération et la fausseté complète de quelques autres discréditèrent les découvertes del'auteur sur le style de Nostradamus.

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1863 partie B- 518 BULLETJN DU BIBLIOPHJLE.

le commencement du Second Paradoxe: « Ici, ici, messieurs les partisans, amis, lecteurs et interprètes de Nostradamus! Ici aussi, vous autres, ses frondeurs ou critiques! C'est ici, s'il vous plaît, qu'il faut faire attention , ouvrant en même temps les yeux et les oreilles, tant du corps que de l'âme, grands à merveille, pour vous préparer à reconnaître que vous vous êtes tous grandement trompés, quand vous avez cru bonnement que ce que Nostradamus faisoit semblant de dire dans son Épître à Henri II s'adressait véritablement à ce prince. J'ai dépit qu'il faille qu'un petit homme comme moi soit sorti de son village pour venir aujourd'hui se mettre en avant à Paris, afin de vous détromper de vos erreurs sur cet article. » —Ou bien encore, vers la fin de l'ouvrage, après avoir dit qu'il espère dessiller les yeux de tous les critiques et frondeurs de Nostradamus: « Voilà enfin, ô ma chère France, une bonne partie de ce qu'est venu vous dire l'auteur solitaire de cette pièce. Il a quitté tout exprès, pour venir vous le témoigner, son lieu natal de Sommery, et son petit bénéfice de Louvicamp; situés tous deux à une lieue l'un de l'autre, sous le même parallèle, entre les eaux de Forges et Neufchâtel en Normandie... Ce même solitaire auroit encore tout plein de belles choses à dire sur Nostradamus, pour la satisfaction du public, si son premier travail en étoit favorablement accueilli ; mais il espère qu'au moins quelques-unes de ces belles plumes dorées qui savent charmer les plus insensibles voudront bien dorénavant le relever de cette peine : car c'est d'elles principalement qu'il semble qu'on doive attendre et espérer de voir bientôt sortir l'interprète prédit parNostradamus. » — Il avoit sans doute résigné son bénéfice pour s'adonner entièrement à son œuvre , car il est qualifié, dans le privilège, d'ancien curé de Louvicamp. On voit ailleurs qu'il étoit septuagénaire et malade. Sa Clef n'était que le prélude d'un commentaire qu'il préparoit, et qu'il auroit pu mettre au jour avant peu. Mais il avoit des motifs pour en différer la publication. o: Il faut, dit-il, attendre, pour le. bien et l'intérêt de

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1863 partie B- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 519

la France, que le temps et l'occasion de le publier soient venus. » A la postérité, pour la gloire immortelle de la Provence, féconde en grands hommes : laquelle en Michel Nostradamus a donné au monde un de ces génies sublimes, de ces rares personnages dont les connaissances se sont étendues aux événements futurs sur tout le rond de la terre. Pierre-Joseph de Haitze, tout porté à faire tourner le travail de sa plume au lustre de son pays, oflre, dédie et consacre cet ouvrage; satisfaisant son inclination et sa piété pour un sujet si auguste et si respectable. L'an de grâce MDCCXII — Il est fâcheux que le zèle qui brille dans cette dédicace, placée en tête de la Vie de Nostradamus, n'ait pas excité l'auteur à étudier plus sérieusement son sujet. Il donne pourtant et là quelques renseignements utiles. Ainsi il raconte que cette formule usitée dans les épitaphes : Quietem posteri ne invidete, fut prise par quelques personnes pour une défense d'ouvrir le tombeau du prophète; et que cette opinion s'étant répandue, ainsi que le fait des livres et de l'écritoire qui avoient figuré dans ses funérailles, comme c'était l'usage pour un docteur, le vulgaire s'imagina que, prévoyant les troubles qui allaient s'élever en Provence, et voulant s'assurer un lieu de repos, il s'étoit fait renfermer vivant, avec des plumes, de l'encre et des livres, pour continuer ses travaux. Il ajoute que d'autres, moins simples, voyant que, dans son Épître à César, il dit qu'il seroit contraint definerses Prophéties après sa mort, « se sont persuadés que dans le tombeau il avoit repris pour un temps une nouvelle vie, afin d'achever ses prédictions, qu'on y trouvera si on l'ouvre. . . . De là aussi sont venues ces démangeaisons extravagantes qu'on a vues de temps en temps à quelques personnes de vouloir ouvrir ce tombeau. De là ont pris origine ces ridicules proclamations qu'on entend faire aussi de temps en temps des merveilles arrivées à l'ouverture du tombeau de Nostradame. » Cette dernière phrase est une allusion à la pièce suivante, qui se débite encore.

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1863 partie B- 520 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Relation nouvelle et très-curieuse de l'ouverture du tombeau de Nostradamus. — « Quel événement étrange et inopiné! Cent vingt-sept ans (l) se sont écoulés depuis que Nostradamus s'est inhumé tout vivant dans un sépulchre en forme de mausolée qu'il s’éleva chez les révérends pères Cordeliers de Salon en Provence. Il grava en caractères ineffaçables sur la pierre cette sentence aussi épouvantable que nouvelle : Malheur à qui m'ouvrira ! Sentence que les plus hardis n'avaient encore osé violer; mais enfin la curiosité surmonte tout obstacle. On va donner au public un sujet digne de mémoire; ce sont deux misérables condamnés à mort, à qui on accorde leur grâce au prix qu'ils ôteront la pierre. Bientôt les prophéties vont s'accomplir, les violateurs portent leurs mains sur la pierre; mais, par un mouvement soudain, ils sont déconcertés et tombent à la renverse roides morts, car il faut que ses prédictions s'exécutent. On entendit un bruit épouvantable; de suite on vit le prophète Nostradamus sur une chaise de bronze, une plume d'airain à la main, au visage frais et pensif, et un tableau d'ivoire où on lisoit cette sentence : Toi qui me vois, garde-toi de me toucher; car si tu le fais, tu es perdu. On remit la pierre en sa place. La peur inspira la Fuite. Peu de temps après, quel- ques—uns plus hardis étant entrés, on a trouvé cette pierre réduite en poussière. Les magistrats, ayant avec eux le ré-

(1) Cette pièce, citée par M. Ch. Nisard dans son Histoire des livres populaires, est tirée des Curieuses et nouvelles prédictions de Nostradamus pour sept ans depuis l'année 1852 jusqu'à l'année 1858 inclusivement; augmentées de l'ouverture du tombeau de Nostradamus.... Toulouse, in-12 de 43 pages. Je connois deux autres brochures du même genre, dont l'une. contenant des prédictions de 1802 à 1806, porte«deux cent vingt-un ans; " et l'autre, de 1799 à 1805, a un changement analogue. Leurs éditeurs augmentoient à chaque réimpression le temps écoulé depuis i566; tandis que le récit primitif paroît conservé dans la brochure de 1852, puisque 127 et 1566 font 1693, et que cette date s'accorde avec les termes du biographe. J’ai, en conséquence, préféré le texte donné par M. Nisard, qui me semble d'ailleurs plus ancien. — Il est évident que ce conte merveilleux, narquoisement naïf et drolatique, ne fut pas imaginé dans le pays.

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1863 partie B- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 521

-vérend père gardien des Cordeliers et quelques principaux du couvent, ont fait une perquisition exacte : ils ont trouvé quantité de manuscrits en caractère gothique, qui sans doute ne manqueront pas de donner de l'émulation aux savants, qui jusqu'ici ont travaillé avec grand soin à pénétrer les Centuries qu'il nous a laissées, et qui sont assez connues en Europe pour éviter d'en faire un nouveau détail. » — Les Prédictions pour quelques années, où l'on trouve ce conte et des quatrains signés Nostradamus, ont dù contribuer plus que les Centuries à conserver sa mémoire dans le peuple. Les marques d'estime singulière que nos rois avoient données à Michel de Nostredame, et qui avoient contribué à sa réputation, s'étaient renouvelées après sa mort. Bien que son tombeau n'ait rien de remarquable que son portrait et son épitaphe, dit Tronc de Coudoulet, « Louis XIII l'honora de sa visite lorsqu'il vint en Provence, l'an 1622; et Louis le Grand, en l'année 1660, dès qu'il fut arrivé à Salon, prit la peine de descendre à pied du château, suivi de toute sa cour, jusqu'à 'église des PP. mineurs conventuels , pour voir ce même tombeau. » — Mais à la mort de Louis XIV commence le règne de l'incrédulité. Nos rois et nos princes ne visiteront plus la tombe du prophète, et les courtisans ne s'adonneront plus à 'étude de ses œuvres. Près de quatre- vingts ans s'écoulent sans qu'il paroisse en France une édition ni un commentaire de ses Prophéties. Seulement, vers le milieu du siècle, on entend ricanerd'Artigny. Plein de l'esprit de son temps, d'Artigny trouve dans Guynaud, Chavigny etMengau un ample et facile sujet de raillerie. Mais les ayant seulement parcourus à la hâte, il fait, en se moquant d'eux, les plus lourdes bévues. Sans revenir sur celles que nous avons signalées, nous rappellerons seulement que lui, qui traite Chavigny de visionnaire , il trouve son commentaire excellent dans une moitié du Janus et pitoyable dans l'autre, ce qui tient, dit-il, à ce que Nostradamus n'est qu'un simple historien pour les faits accomplis de son vivant. Quant à maître Guynaud, son explication

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1863 partie B- 522 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

du trente-unième sixain, des plus misérables, malgré les changements qu'il a faits au texte, paroît à d'Artigny si concluante, qu'il juge les vers faits après coup et visiblement supposés : nouvelle preuve de son ignorance des faits et de son peu de bon sens. Mais, en outre, Guynaud affirmant sans pudeur que l'homme qui trancha la tête à Montmorency, se nommoit Crocodil, il gobe ce grossier mensonge, et déclare en conséquence qu'il faudrait être bien aveuglé pour douter que ces vers n'aient été fabriqués après l'événement. —— Jusque-là d'Artigny n'est que ridicule; mais il est digne de mépris, calomniant ainsi le prophète : « Un médecin , pour charmer les ennuis de sa solitude, s'avise de publier des éphémérides où il parle des temps propres pour l'agriculture, où il annonce le dérangement des saisons, les maladies épidémiques, la mort des grands, les révolutions d'états, et mille choses semblables qui arrivent journellement dans quelque partie de notre hémisphère. L'événement suit de près la prédiction. Dès lors ilest regardé comme un personnage extraordinaire, à qui l'esprit de Dieu dévoile sans réserve la ruine ou la félicité des empires, et même celle des particuliers. Surpris agréablement qu'on veuille l'ériger en prophète malgré lui, il met à profit l'ignorance et la crédulité publiques. Il abandonne la profession peu honorable de faiseur d'almanachs, et, jetant sur le papier tout ce que son imagination échauffée lui suggère,il en fait un composé monstrueux et ridicule, et le donne au public comme un recueil de prophéties, où tous les secrets que s'est réservés la Providence sont clairement manifestés. Cet ouvrage, qui auroit dû assurer à son auteur la première place parmi les imposteurs ou les visionnaires, met le sceau à la gloire de l'astrologue. Le nom de Nostradamus est porté sur les ailes de la renommée. Ses Centuries sont plus révérées que ne le furent autrefois les oracles des sibylles. Catherine de Médicis, superstitieusepar goût et par politique, engage son époux Henri Il à faire venir à la cour ce grand homme, et ils le consultent sur la destinée de leurs enfants. Nostra-

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1863 partie B- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 523

-damus, comblé d’honneurs et de bienfaits, retourne dans sa patrie, où il publie de nouvelles Centuries, et jouit paisiblement d'une réputation qu'il n'avait ni prévue, ni méritée. » Dans ce passage, d'Artigny fait encore lui-même ce qu'il impute à l'auteur : il profite de l'ignorance et de la crédulité publiques pour débiter ses rêveries. La publication de La Vie et le Testament, en 1789, donna une publicité nouvelle au travail de Pierre-Joseph de Haitze, que l'auteur y a fondu. On trouve dans ce livre quelques nouveaux faits de clairvoyance et quelques bonnes applications de quatrains. Mais, dans l'effervescence des passions politiques, il dut passer presque inaperçu, de même que la violation du tombeau de Nostradamus, qui eut lieu peu de temps après. J'ignoresi les journaux du temps en parlérent; mais j'ai appris à Salon qu'elle fut commise par un détachement de la garde nationale de Marseille, pour vexer les habitants, qui étoient royalistes. Les Marseillais étoient probablement ivres, car l'un d'eux but dans le crane du prophète. Il périt bientôt le premier, si la tradition n'est pas infidèle. Quoi qu'il en soit, les ossements furent dispersés, et chacun en prit ce qu'il voulut. Puis, sous le Consulat ou sous l'Empire, on réunit ce qu'on put retrouver, et on le déposa dans l'église de Saint-Lament. Là, sur une plaque de marbre scellée dans le mur occidental de la chapelle de Notre-Dame, se trouve l'inscription suivante : Reliquiæ Michaelis Nostradami in hoc sacellum translatæ fuerunt post annum MDCCLXXX IX . —-— Epitaphium restitutum mense julio, anna MDCCCXIII.— D. O. M. clarlssimi ossa Michaelis Nostradami, etc. —Les inscriptions sont surmontées des portraits de Michel et de César, incrustés sous verre dans la muraille. On lit dans une bordure ovale qui entoure le buste du père : Clariss. Mich. Nostraclamus regi. consiliari. et medic. annum agens LVIII. Cæsaris Nostradami filii patricit opus. L'espace entre cette légende et les angles du cadre est occupé en haut par les armoiries de Michel, accompagnées de la devise Soli Deo; en bas, par ce distique:

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1863 partie B- 524 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Inter et illustres semper memorande Michael , — Tu Gal/i: sidus, tu decus omne tuis.Le cadre a environ 33 centimètres sur 25. Le portrait du fils est en pied, dans un cadreplus petit. L’un et l’autre sont d'une très-bonne exécution, comme ceux.de la bibliothèque d'Aix. César n'ayant que sept à huit ans quand Michel en avoit cinquante-sept, a fait plus tard ce portrait de son père, d'après un original de 1561. — Revenons à la révolution françoise. Sa marche violente et rapide, et les principaux événements qui la signalèrent, tels que l'abolition des privilèges, la constitution civile du clergé, Pémigration des princeset des nobles, la fuite et la captivité de la famille royale, exaltérent tous les esprits, et en excitèrent plusieurs à chercher dans les Prophéties de Nostradamus la prédiction de faits si extraordinaires. On fut frappé de cette phrase de l’Épître à Henri second : « Commençant icelle année, sera faicte plus. grande persécution à l'eglise chrestienneque n’a esté faic en Afrique, et durera ceste ici jusques à l’an mil sept cent nonante-deux que l'on cuidera estre une rénovation du siecle. » Aussi, au commencement de 1792, un exemplaire d’une édition des Centuries, de Pierre Rigaud, datée de Lyon 1566, fut-il déposé pendant huit jours, à Paris, dans un lieu publiquement indiqué, où chacun put l'examiner. Et comme on vit le voyage de Varennes et ses conséquences, puis la condamnation à mort du roi et de la reine, dans la centurie IX, quatrains 20, 34 et 77, le parti monarchique et religieux fit paroître en 1792 et les années suivantes plusieurs éditions des Centuries. Faute de liberté, les commentaires furent longtemps plus rares. Voici, par ordre de dates, ceux qui sont venus à ma connoissance. Du premier, je ne puis donner que le titre La Révolution française par les prophétiques centuries de

(l) En voici un autre un peu antérieur : Explication d'une prophétie de Nostradamus, dans laquelle il prédit la grande

révolution qui devait arrive en Angleterre et dans les colonies anglaise; de l'Amérique. Londres, 1775 in-8.

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1863 partie B- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 525

Michel Nostradamus, 1790. (Catalogue des livres de M. Villenave, 1849.) Prophéties anciennes et nouvelles, avec des réflexions sur les rapports parfaits qu'elles ont entre elles. In-8 de cinq feuilles, sans nom et sans date, mais écrit en 1791. — L'auteur de cette brochure menaçante a le ton d'un inspiré. « Peuple aveugle, s’écrie-t-il, tu crois toucher au terme de tes maux; mais la désolation de la désolation approche. Malheur à toi, nation pécheresse! Tu as abandonné ton Dieu, tu as trahi ton roi. Écoute-moi : je suis le prophète des prophètes; le voile de l’avenir vient de se déchirer à mes yeux. Éclairé d’une lampe sépulcrale, je vais tracer la sentence de mort prononcée contre le monde entier. » —Suivent trente pages de visions d'Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et autres prophètes hébreux, accompagnées de Réflexions dont voici la fin : « Convaincu de ces vérités, j’ai parcouru des yeux tout ce vaste univers, j’y ai sondé les cœurs, et n’y trouvant qu’erreurs, que trames perfides, qu'infamie, j’aidescendu dans ce sombre caveau, où j’apprête ma tombe pour me séparer à jamais d’un monde pervers sur lequel va s'appesantir le bras du Créateur. » —Il raconte ensuite, « d'après un ouvrage fort répandu, qu’il avoit, en 1781, chez les frères mineurs de Cenzano, un exemplaire des Prophéties de Nostradamus, enrichi par un savant capucin, nommé Palatin le philosophe, d’explications défavorables à l'Église et offensantes pour les princes, qui faisaient tant de bruit depuis deux mois, que le général fit enlever ce livre par un frère visiteur. Outre différentes prédictions accomplies, on voyoit clairement, dans le texte et les notes, ce qui suit : L'Église perdra son autorité , les puissances de l’Est et du Nord s’allieront, la guerre désolera la France et l’Italie, le pape sera dépouillé de ses États et le clergé de tous ses biens. Les ordres monastiques seront supprimés, excepté un seul, qui observera strictement les règles des anciens moines. L’Église tombera dans une affreuse anarchie, parce quel'influence de trois souverains fera nommer en même temps trois papes, un

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1863 partie B- 526 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

Grec, un Allemand et un Italien; mais un moine de l'ordre maintenu sera élu chef légitime du catholicisme, et lui rendra sa pureté et sa simplicité primitives. On fixera un revenu convenable pour le pape et le clergé. Enfin, ce pape angélique enverra dansles quatre parties du monde douze moines, qui ramèneront tous les peuples à la foi catholique, apostolique et romaine, excepté les juifs, dont la conversion est réservée pour la consommation des siècles, Tout cela devoit arriver de 1781 à 1792. — La seconde partie de la brochure se compose de quarante-deux quatrains des Centuries, où l'auteur voit les mêmes prédictions que dans les prophètes. L'émigration va produire d'affreuses calamités. « L'intervalle de 1791 à 1792 doit nous être des plus funestes dit-il. Princes, nobles, clergé, attendez-vous à être les premières victimes de la contre-révolution; » Bientôt le pape ne sera plus à Rome. « Un saint homme dont l'hermitage est situé dans le plusprofond d’une forêt, à trois lieues de ce capitale, où depuis cinquante ans il vit ignoré,m'a assur que c’est au comtat d’Avignon qu’est réservée la possession du saint-siége, et cette opinion est aujourd'hui la plus généralement adoptée. » La translation du siégé papal occasion fera dans les corps planétaires une révolution frappante. Enfin leProphète des prophètes trouve dans Nostradamus les mêmes choses que Palatin le philosophe. ll y voit au la destruction de Paris et de Rome; et il ajoute que, le 26 juin 1734, le frère B., à l'aspect des horreurs qui souilloient Paris, lui annonça ainsi le sort qui l'attendoit : O Paris! ton sein est plein de serpents; les loups y dominent, les lionsy font leur demeure, les tigres y ont leurs retraites aussi bien que les renards; des armées d'aspics y logent e en font le théâtre de leur guerre. Tremble donc, ô mère prostituée; tremble jusqu'au fond des os! Un fouet de fer armé de pointes s'élève déjà dans les airs.... Ta vaste enceinte ne sera plus qu’un vrai cimetière, une vraie ruine. L'enfer dévorera les hommes, les femmes et jusqu'aux petits enfants.... » —- Vient ensuite la Vision de Jean de Roque-

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1863 partie B- BULLETIN BU BIBLIOPHILE. 527

-taillade. Ce frère étant dans les prisons d'Avignon. où ses prédictions contre le clergél'avaient fait renfermer par Innocent IV, l'archevêque de Toulouse, frappé des vérités qu'il avoit annoncées, lui fit demander combien dureroient les guerres qui désoloient la France. Il répondit « qu'elles s’allumeroient de plus en plus, que la terre seroit désolée, le clergé maltraité dépouillé de ses biens; que vers la fin de l'année 1792 il paroîtroit un ange, vicaire de Dieu, qui viendrait réformer le sacerdoce, rappeler les prêtres à la vie des apôtres, et convertir les Sarrasins, les Turcs, les Tartares. Ajoutant que sous son règne, qui seroit de mille ans, l'univers seroit dans une paix profonde; mais qu’avant lui les maux croîtroient dans le monde, que le prince seroit dans le deuil, le roi dans la tristesse, le peuple dans l'abattement jusqu'à son arrivée, qui deviendrait l'époque de la réformation du monde entier. » — De plus, « il a été trouvé sous les décombres de la Bastille une enveloppe en parchemin, portant en forme d’adresse des caractères indéchiffrables. Un cachet couleur de sang y scelloit un petit papier manuscrit ayant pour notice ces mots latins : Præsagium regni Ludovici decimi sexti, anno domini 1792. Mihi translatum in carcere inspiratione divina. Cet écrit, qui m'est parvenu par une circonstance dont je ne puis instruire le public, contenait ce qui suit : Rex sine potestate, regnum interplures, unde nasci debent calamitates infinitæ. Princeps fugitivus inexorabilis, hostis patriæ suæ factus, religio sine cultu, sacerdotes in lacrymis, populus universus in nzærare, sauguis eflhsus supra terram, horrida signa in cælo, mors primi principis ecclesiæ, sanctus sedes (sic) translains, et aliud adhuc quod ad miseram meam posteritatem animus horrescit transmittere; sed postea; regnabunt pax: et religio. Mon âme a frissonné en parcourant ce présage étonnant. Malheureux univers, que tu causes d'angoisses à moncœur ! Je m'arrête un instant ... Ma plume m'abandonne et ma parole expire. . . . » --Il se ranime, et cite encore des prédictions qui s’accordent parfaitement avec les précédentes. Elles sont

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1863 partie B- 528 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

de Mlle Suzette de la Brousse, du Périgord, qui avoit prédit la tenue des États généraux, et les troubles qui naîtroient de cette assemblée; et sur laquelle un religieux, voisin de sa demeure, écrivait : « Il paraît qu'elle est beaucoup désirée à l’Assemblée nationale, car elle m'assure dans ses lettres qu'il ne se passe pas de semaine qu'elle n'en reçoive de M. le marquis de Lafayette et de plusieurs autres personnes recommandables, qui la pressent de s'y rendre. Je ne m'y rendrai, dit-elle, que lorsqu'il sera temps. Je ne doute pas que l'on n'y soit surpris de sa fermeté, de sa force d'esprit, et de son talent pour la parole... » — « Perfide peuple! tremble donc et frémis d'horreur. En 1792, attends à voir réaliser sur toi les révélations des prophètes. Rapproche-les, compare-les, et dis s'il est possible de douter des vérités qu’elles renferment. » — Conclusion : « Adieu, siècle d'iniquité! adieu monde profane! J'entends la voix de ton juge, du Dieu qui m'avoit envoyé. ll me rappelle à lui. Loin que mon cœur soit effrayé de l'horreur de la mort, je soulève ma tombe avec joie, sûr d'y trouver un terme à ma douleur. Songe surtout que ta destruction est proche. . .. Matombe se referme.... Adieu. » Fatum Galliæ revolventis, a decima-septima julii die anni MDCC.XCIX (par erreurpour 1789) usque ad eamdem diem anni M.DCC.X C V Ï ; tam ab Apocalypsis undecimo capite, quam ab aliis prophetiis depromptum. Monasterii (Rouen, Montier-Dumesnil), 1794. — J'emprunte ce titre et les renseignements suivants à un article de M. Duputel, dans le Bulletin du bibliophile, onzième série, p. 557. « Cet opuscule de 54 pages, dont l'auteur est M. Desdonitz de Saint-Mars, fut imprimé à très-petit nombre, et presque tous les exemplaires ont disparu pendant la Terreur. Il est tout en latin, et contient un argument en vers; un avis credentibus in verbum Dei; des extraits de 1’Apocalypse et des prophètes Nahum, Joël et Zacharie; une concordance des calculs de Nostradamus avec ceux de l'Apocalypse ; un preliminare carmen; une ode à Louis XVI, mortuo reputalo in

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1863 partie B- BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 529

solium reascensuro ; et enfin la traduction en vers hexamètres et pentamètres de plusieurs centuries de Nostradamus et d’une prophétie de saint Césaire. » —Le même auteur avoit publié en 1792 une édition des prophéties de Nostradamus, suiviesd'une Notice des principaux événements accomplis, et d’ une interprétation complète de tout ce qui a rapport à la révolution de France et à une autre révolution qui ne peut manquer d’ arriver à Rome. Une partie des exemplaires furent détruits ou mutilés. L’avenir dévoilé, ou concordance des prophéties de Nostradamus avec les événements passés, présents et à venir de la révolution. Suivie d ‘un grand nombre d'autres prédictions qui s’étendent jusqu’à 3797, et d’ événements intéressants prédits par ce prophète, dont l’ accomplissement est prouvé par I’ histoire d ’une manière incontestable. Hambourg, 1800. In-8 de VIII et 116 pages, sans nom d’auteur,ni d'imprimeur; mais l'épître à madame ***est signée Votre affectionnée H. D. — Dans la première partie de son œuvre, Mme H. D. applique cinquante-deux quatrains ou sixains à la révolution française, et finit par une attaque de dix pages contre le premier consul. Dans la seconde, elle voit encore la révolution dans vingt quatrains latins « tirés, dit-elle, de la quatrième face du Janus Gallici, c'est-à-dire de la première du Janus Gallici. » Pourquoi elle préfère le latin de Chavigny aux vers de Nostradamus, c'est ce qu’elle ne dit pas. La troisième partie renferme trois sixains et trente-six quatrains la plupart, français, avec leurs applications au passé, extraites en partie de Leroux, Guynaud et Chavigny. Presque tout cela est sans valeur. Mais l’auteur raconte que sous le règne de la Terreur, quand les morts eux-mêmes n'étaient pas en sûreté dans leurs tombeaux, on ouvrit celui de Nostradamus, et on y trouva, sur une feuille de papier bien conservée , ces quatre vers, intitulés Ma dernière prophétie :

Quand nonante-cinq reviendra, Après six ans de libéra,

xvIè série. 34

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1863 partie B- 530 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

François, d'un grand heur jouira Qui mois de mai fleuri verra.

Cette découverte fut annoncée par un journal. Le quatrain est évidemment de Nostradamus. On y reconnaît sa concision, son tour poétique et la forme de ses vers. Quant à l'époque désignée, il dit lui-même, dans son Epître à Henri II, qu'il peut se tromper dans la supputation des temps. Ici, « il place en 95 ce qui est arrivé un peu plus tôt : il ne compte que six ans de libéra, mais on peut bien en compter huit ou dix depuis les guillotinades, les assassinats, les fusillades et les combats. Mais revenons àson calcul; en ajoutant à 1795 les six années de libéra, l'on comptera 1801 ce sera donc au mois de mai 1801 que le François jouira du bonheur. Ainsi soit-il. » Elle a dit plus haut que ce qui ramèneroit ce bonheur, « dont on auroit grand besoin, » c'est le roi légitime. Je présume donc que cette fable et ce quatrain supposé n'ont jamais paru dans aucun journal, et sont une pure invention de l'auteur, destinée à entretenir les espérances royalistes (l).

(l) D'après les Anecdotes curieuses, citées par l'auteur des Souvenir: prophétiques d'une sibylle, p. 333, un détachementde Marseillais se trouvant a Salon en 1793, le commandant visita l'église des Cordeliers et dit à ses camarades: « Nostradamus a menacé de mort celui qui ouvrirait son tombeau, nous allons voir s'il a dit vrai. » Aussitôt il prend un hache et brise la pierre et le cercueil. Puis le détachement se rend à Marseille; et, comme il y entroit, une émeute éclate, le commandant s'y oppose, il est mis à la lanterne.

F. Buget.

(la suite prochainement)

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PARTIE 3 du volet II 1863 partie C- ÉTUDES

SUR N OSTRADAMUS(1).

II OEuvres et Adversaires (Suite).

EFFET DES CENTURIES.

L’année 1806 fut une époque remarquable dans l'histoire des Centuries. Le Moniteur, le Journal de l’Empire, la Gazette de France (14 août), le Journal de Paris et le Publiciste, rendirent compte de trois nouveaux commentaires: ceux de Bouys et de Motret, que nous connaissons déjà, et Napoléon Ier, empereur des Français, prédit par Nostradamus,ou nouvelle concordance des prophéties de Nostradamus avec l'histoire depuis Henri II jusqu’à Napoléon le Grand, par M. Bellaud, docteur en médecine. Paris, Desenne, 1806. In-12 de 7 à 8 feuilles. — Ils furent bientôt suivis des Réflexions impartiales concernant trois ouvrages qui viennent de paraître en faveur de Nostradamus, par M. Diester, ancien professeur en droit. Paris, Desenne (1806). In-8 de l0 et 36 pages. Examinons-les un instant. Dans ses Nouvelles considérations, puisées dans la clairvoyance instinctive de l'homme, sur les oracles, les sibylles et les prophètes, et particulièrement sur Nostradamus, Théodore Bouys, ancien professeur à l'école centrale de la Nièvre, raconte que son ancien condisciple Motret ayant

(1) Voir l'année 1860, p. 1699; l'année 1861, p. 68, 841, 383 et B37; Pannée 1868, p. 761; et l'année 1863, page: 449 et 513.

XV1e série. 37

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1863 partie C- 578 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

composé un ouvrage sur les prophéties de Nostradamus, en fit lecture à ses amis, et en causa plusieurs fois avec lui. Magnétisant depuis longtemps, et connaissant les merveilles du somnambulisme, Bouys admit aisément la clairvoyance prophétique de Michel de Nostredame. Mais comme il était déiste et Motret catholique, ils ne purent tomber d'accord sur les causes et l'utilité de cette clairvoyance; et Bouys, persuadé qu'elle tient à une faculté naturelle, à un sixième sens, qui devait remédier à la foiblesse de la raison, et dont la perte vient de la dégradation de l'espèce humaine, mais qui pourrait devenir, avec un peu d'art, l'apanage de l'homme civilisé, fit un dernier effort pour inculquer ces grandes vérités à Motret. Il lui écrivit qu'il est absurde, ridicule, et que c'est même un blasphème horrible , de dire que Dieu ait révélé à Nostradamus la mort de Henri II et de Montmorency, sans lui suggérer les moyens de. prévenir leur malheureux sort : car une telle prévision serait inutile au prophète, aux intéressés et à la société. — « Aux yeux de l'homme religieux, réponditMotret, la prophétie prend un caractère moral. Tous les peuples l'ayant avec raison regardée comme une émanation directe de la divinité, elle rend son intervention dans les choses humaines sensible, et son idée présente à ceux qui seraient tentés de l'oublier. Direz-vous que ce fanal, jeté de distance en distance sur la route des générations se succèdent, comme un moyen de les rappeler aux principes conservateurs de tout ordre et de toute moralité, est indigne de celui qui seul embrasse tous les temps dans son éternelle intelligence; ou qu'il est inutile à la grandefamille des hommes réunis en société? » —- Bouys alors, estimant que, grâce à de tels préjugés, le travail de Motret sur Nostradamus ne serait d'aucune utilité, tandis qu'entre ses mains il aiderait à propager une découverte inappréciable, inséra dans sesNouvelles considérations une trentaine de quatrains, dont i1 applique un tiers à Louis XVI et à la Révolution, un tiers à Napoléon, et le reste à des événements antérieurs. (les derniers sont empruntés à divers commenta-

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-teurs, les autres à Motret; le tout expliqué comme peut le faire un amateur qui, n'ayant pas étudié le style du prophète, affirme que les Présages ressemblent aux Centuries comme l'œuvre d'un barbouilleur aux tableaux de Raphaël. Nostradamus n'étant pour lui qu'un accessoire, il examine dans son livre la question des oracles, et réfute Van-Dale par des faits; il cite les prédictions d'Angelo Cattho et de Bernardine Renzi, celles de la Bible sur la dispersion des Juifs et la conversion des Gentils, cellesde Jeanne d'Arc, qu'il discute longuement, et celles de quelques somnambules : expliquant tout cela par une clairvoyance naturelle. Vient ensuite le prospectus d'un « Traité du magnétisme de l'homme, du somnambulisme magnétique et de la clairvoyance qu'il procure. » Il en donne même sur-le-champ la première partie. Enfin, il ajoute quelques pages sur la nécessité de l'appui des gouvernements pour la propagation des découvertes importantes et de la sienne en particulier. Mais il eut beau proposer à Napoléon l'exemple de la grande Catherine et du grand Frédéric, et lui prédire de plus un long règne, et la conquête de l’Angleterre; il eut beau dire dans sa préface que ses idées sont « dignes de l'attention et des études de toutes les académies, de la protection de tous les souverains et de l'admiration et des hommagesde tous les hommes » : Napoléon le Grand ne sourit point à « la plus belle et plus utile découverte dont pût s'honorer le dix-neuvième siècle , » les souscriptions furent insuffisantes , et la régénération de l'homme s'évanouit sans retour. Dès que Motret connut cet ouvrage, publié vers la fin de mai, il s'empressa d'y répondre par son Essaid'explication de deux quatrains de Nostradamus à l'occasion du livre de M. Bouys, où, parlant de l'auteur, il se moque de « cette idée bleue autour de laquelle il tourne sans relâche et qu'il compare modestement au système de Copernic. » Il déclare en outre qu'il « lui laisse en toute propriété la gloire entière du sien, qui lui paroît choquer également et le dogme fondamental de toutes les églises chrétiennes sur la divine inspi-

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-ration des prophéties, et les plus pures lumières de la saine raison, et les principes lesplus formels de l'auteur sur lequel il prétend s'étayer. » Il ajoute qu'il ne faut pas juger Nostradamus d'après Bouys, qui répète assez mal des leçons « prises un peu à la volée », parce qu'on ne sauroit comprendre la langue du prophète qu'après l'avoir étudié sérieusement; et, comme exemple d'un commentaire tel qu'il l'entend, il explique deux quatrains des Centuries, dont l'un, sur l'exécution de Montmorency à Toulouse, est précisément de ceux que l'ex-professeur de mathématiques « a le moinsmaltraités en les pillant. » Ces deux explications ne sont pas sans défauts; et l'on voit, par ses allusions à divers quatrains, qu'il en appliquait plusieurs à l'histoire de son temps sur de légères apparences, comme tous ses prédécesseurs. Je ne connois l'ouvrage de Bellaud que par quelques passages de la brochure de Diester, et par une explication de quatrain citée ailleurs, qui ne m'en donnent pas une haute idée. Dans ses Réflexions impartiales, Diester adopte les idées de Bouys et traite de capucinade celles de Motret. Vient ensuite un rapport de trente pages adressé par l'auteur à plusieurs académies pour les engager à examiner sérieusement l'ouvrage de Bouys, dont il fait l'analyse. Il cite, avec leurs commentaires, les cinq quatrains qui l'ont le plus étonné, ajoutant à celui qu’on applique à la mort de Henri II : « Vous voyez, messieurs, qu’il est difficile de penser que le hasard puisse faire un tableau si frappant et si ressemblant. Un pareil hasard seroit alors aussi merveilleux que la prophétie même. » Du reste, persuadé que le système de Bouys « doit faire un jour la même révolution dans l'histoire naturelle de l’homme, et par suite dans la société, que celui de Copernic en astronomie, » il dit de l’auteur : « On ne peut qu’admirer son courage héroïque de lutter continuellement, pour le bonheur des hommes et la prospérité des gouvernements, contre une infinité de préjugés académiques et philosophiques, qui sont beaucoup plus difliciles à détruire parce qu'ils

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sont plus travaillés que les autres. » Quelle reconnoissance éternelle le genre humain ne lui devra-t-il pas si cette clairvoyance naturelle eût empêché Louis IX et Louis XVI de tomber dans les affreux malheurs où ils entraînèrent tant de François, est enfin généralement reconnue, et les moyens de la réorganiser mis en œuvre! Cependant il se trompe en se flattant qu'on pourra la rendre commune à tous le hommes. « Ses espérances viennent sans doute d'un excès de philanthropie; car il est impossible de concevoir qu cette clairvoyance instinctive paroît exiger un recueillement, un dégagement de tout trouble, de toute inquiétude, puisse exister parmi cette multitude d'hommes tourment par une infinité de tracas, d'affaires, de procès et d'intrigue de toute espèce. Et comment tous les hommes pourraient-il prétendre jouir de cette faculté précieuse, lorsque les magnétiseurs, la développent chez beaucoup de personnes, ne peuvent pas se la procurer à eux-mêmes! » Les Joseph les Jeanne d'Arc seront en petit nombre, comme les grands talents en tout genre; mais ils seront moins rares qu'autrefois. — Enfin, résumant son opinion sur lestrois commentateurs, il dit que si c'était jusqu'à présent la marque d'une foible d'espritde croire aux prophéties de Nostradamus, ce seroit celle d'une plus grande foiblesse de n'y pas croire, après la lecture des trois ouvrages dont il vient de présenter un impartial examen. Les véritables prophéties de Michel Nostradamus en concordance avec les événements de la Révolution pendant les années 1789, 1790 et suivantes, jusques et ycompris le retour de S. M. Louis XVIII; par L. P. Paris, Lesné, 1816, 2 v. in-12, fig.—-C'est une édition des Centuries avec des notes dont voici quelques échantillons : Premier quatrain : Louis XVIII se livre dans son exil à de profondes études politiques; la selle d'airain désigne son infortune. Le fruit de ses méditations fut la Charte, ce flambeau lumineux et céleste, exprimé par Flambe exiguë, qui, par la sagesse de ses principes, doit assurer le bonheur et la

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prospérité du royaume. —Second quatrain : La vierge est la duchesse d'Angoulême , à cause de ses souffrances; les branches sont les mâts du vaisseau la ramène dans sa patrie. Le second vers représente la traversée de Douvres à Calais; le troisième , l'émotion de la princesse; le quatrième, Louis XVIII assis auprès d'elle sur le pont. —Le 30° quatrain de la III‘ Centurie dépeint l'enlèvement du duc d'Enghien. --- Le resteà l'avenant. C'est un pamphlet politique déguisé. Les Centuries ne sont qu'une occasion de parler de Bonaparte et de la Révolution. Aussi l'auteur, ayant jeté son feu,donne-t-il sans commentaires la VIIè centurie et les suivantes. Prophéties de maître Michel Nostradamus où il a annonce en 1555 les événements calamiteux et les grandes mutations survenus sur la terre depuis 1789 jusqu'en I831, et où il annonce pour l'avenir de grands changements et de prophètes (sic), avec leurexplication et des observations politiques ; par M. Caze. Paris, Stahl, sans date; 2 feuilles in-8°. — L'auteur est un croyant de vieille roche; car il dit que les événements calamiteux qu'on a vus de 1789 à 1831, « ont tous été précédés par de froids excessifs ou de comètes, » et il ajoute « qu'il y aura de prophètes à l'avenir, quede ignorants défendront les prophéties, et qu'alors, mieux qu'aujourd'hui, la question sur l'astrologie judiciaire sera résolue pour l'affirmative. » Sa brochure se compose deseize quatrains appliqués sans preuves, et de considérations historiques et politiques sur l'histoire de F rance depuis la Révolution. Napoléon Ier , empereur des Français, prédit par Michel Nostradamus. Paris, Appert, 1839; in-8° d'une huitaine de feuilles. annoncé dans le Journal de l'lmprimerie, 1e 21 septembre. « Par Elie Caisson, qui annonce avoir rétabli les quatrains les plus frappant: et les vérités les plus palpables qu'avait omis Bellaud.» (Bulletin. du Bibliophile belge, t. V, n° 3.) Le passé, le présent et l’ avenir, ou prédictions, vérifica-

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-tions et explications de quelques prophétie: remarquables de Michel Nostradamus ; par Francis Girault. Paris, Gaume et Dentu, 1839; in-8° de 2 feuilles 3/4, annoncé le 28 septembre. Cette brochure avoit déjà paru, du moins en partie, dans le feuilleton de la Gazette de France des 5 et 25 mars et du l" juin 1839, sous le pseudonyme du docteur Lecabel. Prophéties de Nostradamus, eollationnées sur l’ édition de Ljon, 1568, conservée à la Bibliothèque royale; par Telmunder. Imprimerie d’Appert à Paris. In—l6 de 3/4 de feuille, annoncé le l4 décembre 1839. — Je ne connais cet opuscule que par une traduction allemande qui parut en 1840, à Stuttgart, chez Sonnenwald, en une demi-feuille in-l6. La première partie, relative au passé, se compose de quinze quatrains , accompagnés de courtes explications d’une couleur légitimiste évidente; laseconde, de seize quatrains sur l'avenir, sans aucune explication, mais dont le choix a la même tendance. Nostradamus, par Eugène Bareste. I. Vie de Nostradamus; Il, Histoire de: oracles et des prophètes; III. Centuries de Nostradamus; IV . Explication des quatrains prophétiques. Orné d’ un portrait authentique de Nostradamus, par Aimé de Lemud. Paris, Maillet, 1840. In12 de 22 feuilles sans les préliminaires. La préface est datée du 29 juin 1840. Cette édition fut annoncée le 1l juillet; une autre. in-B“, de 33 feuilles, le 1°’ août; et une troisième. in-12, le 14 novembre 1840. Comment expliquer cette bouffée de commentaires après tant d'années de silence? Le voici. On avoit publié sous la Restauration une prédiction de Martin de Gallardon à Louis XVIII, suivant laquelle l'ordre et la paix ne seraient durables en France qu'après 1840. Beaucoup de personnes y ajoutant foi, espéroient, depuis 1830, que le rétablissement de la branche aînée auroit lieu à cette époque. Leur confiance étoit fortifiée par une prophétie dite d’Orval, où l’on voyait que le coq ayant effacé la fleurde lis. et la

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couronne ayant été posée par des ouvriers sur la tête du grand, appelé le roi du peuple, la division se mettra parmi les vainqueurs, et que le nouveau roi, d'abord faible, triompheroit des mauvais. « Mais il n'était pas bien assis, voilà que Dieu le jette bas.... Hurlez, fils de Brutus, appelez sur vous les bêtes vont vous dévorer. Dieu grand! quel bruit d'armes! Il n'y a pas encore un nombre plein de lunes, et voici venir maints guerroyers... Les fils de Juda ont crié à Dieu de la terre étrangère, et voilà que Dieu n'est plus sourd. Quel feu va avec ses flèches! Dix fois six lunes et puis encore six fois dix lunes ont nourri sa colère Malheur à toi, grande ville! Voici des rois arméspar Seigneur; mais déjà le feu t'a égalée à la terre. Pourtant tes justes ne périront pas : Dieu les a écoutés Le vieux sang des siècles terminera encore de longues divisions... » C'étoit, juste au bout de dix ans, Louis-Philippe détrôné la France envahie, Paris brûlé, et le rétablissement de la branche aînée. Mais aide-toi, le ciel t'aidera. On se _ mit donc, en 1839, les uns de bonne foi, d'autres pour croquer les marrons, à souffler de toutes parts. La prophétie d'Orval fut d'abord imprimée dans le Journal des villes et des campagnes du 20 juin 1839; puis, augmentée, dans quelques autres journaux; et enfin dans L’oracle pour 1840, La fin des temps, et autres recueils de prédictions, avec celle de Martin. Aussi parut -il dans le Journal des Débats du 8 janvier 1 840 un article contre les prophéties qui circulent partout depuis quelque temps. C'est alors, vers la fin de 1839, que M. Bareste, ayant eu communication de quelques éditions et commentaires des Centuries appartenant à M. l'abbé James, rédacteur du Propagateur de la foi, conçut le plan de son Nostradamus. Il avoit déjà participé à cette curieuse agitation en écrivant dans le Capitole du 21 octobre 1839, sous le pseudonyme d'un ancien sénateur, un feuilleton intitulé Napoléon et les prophéties, contenant celle d'un prétendu Dieu- donné-Noël Olivarius, astrologue du seizième siècle, publiée

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en 1815, insérée plus tard dans les Mémoire: sur Joséphine de Mlle Lenormand la devineresse, et fabriquée par elle, selon toute apparence, car on y trouve plusieurs fois des locutions bizarres qu’elle affectionne (1) Il voulut profiter des matériaux qu'on lui offroit pour donner plus d'éclat à la publication de cinq quatrains menaçants , et de diverses prédictions annonçaient de graves événements pour 1840. Joindre à cette machine de guerre une biographie de Michel de Nostredame, une défense des prophéties antiques et modernes, une réimpression de la première édition des Centuries, et un commentaire de cinquante à soixante quatrains, le tout appuyé d’une immense érudition et placé sous le nom magique de Nostradamus, lui parut uneexcellente idée. Mais il fallait plaider sans rire, et comment le faire sans se couvrir de ridicule? M. Bareste résolut, en homme d'esprit, d'exciter au plus haut degré l'enthousiasme dessimples, et d'égayer à leurs dépens les incrédules. Nostradamus, envers qui on peut tout se permettre, lui servit de plastron. —Après une tirade pathétique contre le scepticisme, l'auteur commence par la Vie de son héros, dont la plus grande partie est inventée et le reste tellement plein d'erreurs, que c'est beaucoup s'il entre un quart de vérité dans ce roman biographique. Il trébuche volontairement dès les premiers mots, que voici: a Michel Nostradamus ou de Notre-Dame, en francisant son nom.... " D'autres auroient dit: « Michel de Nostredame, qui latinisa son nom, comme son pèreavoit francisé Nostradame. La précipitation du biographe , pressé par le temps , pourroit expliquer les traits de ce genre; mais son intention n'est pas douteuse lorsqu'il nous dit, par exemple : La ville d'Aix, reconnoissante des services rendus parNostradamus durant la (i) Ce qui lui en aura donné l'idée, c’est, je crois, le livre suivant, qui ne trouve dans quelques bibliothèques de Paris. Petri Joannis Olivarii Valentini de prophetia et spiritu prophetico liber lectu dignissimus, nunc primum in lucem editus. Basileæ, ex officina Joannis; Oporini, anno salutis : M.D.XLII, mense Augustq.

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peste, « lui vota une très-forte pension annuelle qui lui fut continuée jusqu'à la fin de ses jours. Des artistes de cette ville transportèrent sur la toile le portrait de leur libérateur; les notables habitants lui offrirent de riches présents, qu'il distribua en partie aux veuves et aux orphelins de cette cité malheureuse. » Lisez « Il fut trois ans aux gages de la cité » Il est vrai que bien peu de lecteurs connoissent les sources.Mais afin que les niais seuls le prennent au sérieux, il va jusqu'à des charges comme celle-ci : « Le peuple, si mobile dans ses jugements. changea tout à coup d'opinion, comme si si la présence seule de Charles 1X et de Catherine avoit eu la puissance de rendre plus estimable celui qu'iI méprisoit la veille! Nostradamus passa alors pour un homme de génie. pour un martyr pour un révélateur, pour un Dieu! On s'agenouilloitdevant lui, on ne l'oublioit jamais dans les prières publiques , et, quand il entroit à l'église. tout le monde se levait et s'inclinoit avec respect. Nous n'avons pas besoin de dire que ses accusateurs furent chassés de la ville, et que depuis cette époque on n’osaplus s'élever contre les prophéties de Nostradamus Pauvre peuple! il est toujours le même!» Pas un mot qui ne soit de pure invention. —- Dans la seconde partie, l'auteur combat l'incrédulité avec une merveilleuse éloquence. Il tonne. il la foudroie, il l'écrase réellement sous les plus graves citations. On seroit convaincu sans l'effet dela première partie, et sans le ton frivole qui se mêle aux déclarations et rassure les malins. Passant des prophètes hébreux à ceux du paganisme, et de ceux-ci aux modernes, il arrive enfin à son but. Il donne la prophétie d’Orval et celle de Noël Olivarius, la seconde avec un certificat d'authenticité fort ingénieux. Il prouve ensuitepar l'histoire que « le chifiÎre 40 a toujours fait trembler les peuples. » Il cite Mlle Lenormand, qui a prédit que de 1839 à 1840 les Turcs et les Alains pénétreroient dansune de nos provinces du midi; et que, si la fureur de l'anarchie éclatoit encore parmi nous, mille fléaux fondroient sur notre malheureuse patrie.

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Paris surtout subiroit le sort le plus épouvantable. « Car il est prédit que la flamme duciel seconderoit la fureur des ennemis. Guerriers, femmes, enfants, vieillards, tous sans distinction, seroient livrés au tranchant du glaive. Le Parisien lui-même, la rageet le désespoir dans le cœur, et tout plein de la leçon que le Moscovite nous donne, aiderait d’une main furieuse les efforts des Barbares acharnés à la ruine de la reine des cités.... » Enfin il rappelle la prophétie de Martin, et donne celle qui, au moment où il écrit, circule, en ces deux phrases, dans le midi de la France : En 1793 les hommes ont agi ; en 1840 Dieu agira — Nous examinerons la troisième partie à l'article des éditions. La quatrième se compose de quelques observations sur le style de Nostradamus que l'auteur emprunte à Leroux sans le nommer, et d’environ cinquante quatrains, expliqués d'après divers commentateurs, dont il semble avoir pris à tâche de reproduire ou d’imiter les défauts les plus choquants, notamment les fictions historiques, comme lorsqu’il dit, appliquant au retour de l’île d’Elbe L’arméese saisira d'Antibes : « La garnison d’Antibes ouvrit en effet ses portes à Napoléon. »Lisez : La garnison retint prisonnier le détachement qu’il y avoit envoyé. — Le commentaire est suivi de cinq quatrains intitulés : Gouvernement (VI, 13 : Un capitole ne voudra pas qu’il règne); Trahison (IX, 5: Tiers doigt du pied au premier semblera) ; Conspiration (I, 13: Les exilés feront au roi grande conjuration); Révolution (VH1, 81 : Le neuf empire de Philip sera changé en désolation); Mort (VIII, 42 : Le chef d’0rléans vexera les siens par avarice et violence; on le trouvera mort dans sa tente). Il ajoute pour toute glose: « Que nos lecteurs expliquent à leur gré ces cinq quatrains vraiment extraordinaires. » Cette espièglerie termine le volume. — En résumé, le Nostradamus de M. Bareste n’est pas un livre sérieux : ce n'est qu’une plaisanterie politique et littéraire. Depuis trois cents ans, commentateurs ou biographes, tous ou presque tous, amis comme ennemis, semblent conjurés

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1863 partie C- 588 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.

contre la gloire du prophète, la mystification de 1840 a comblé, je pense, la mesure; et comme il ne reste plus d'autres voie que l'étude sérieuse des faits, le temps doit venir où elle remplacera les contes des adversaires et les vaines explications des commentateurs.

F. BUGET