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Jean Guilaine A CTES SUD / ERRANCE POURQUOI J’AI CONSTRUIT UNE MAISON CARREE roman Extrait de la publication

Pourquoi j'ai construit une maison carrée… · 2013. 10. 30. · de l’humanité que l’on nomme «Néolithique». Au Proche-Orient, il y a 10000 ans, l’homme abandonne son

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  • “A travers cette fiction, j’ai souhaité écrire unecomédie autour de ce grand tournant de l’histoirede l’humanité que l’on nomme «Néolithique». AuProche-Orient, il y a 10000 ans, l’homme abandonneson style de vie multimillénaire fondé sur la chas-se, la pêche et la cueillette pour produire désor-mais son alimentation, végétale et carnée, par lerecours à l’agriculture et à l’élevage.

    De prédateur, le voilà dès lors métamorphosé envillageois, en cultivateur et en pasteur. Les gains decette nouvelle vie sont indiscutables, mais surgis-sent alors des difficultés inattendues : disettes, mala-dies nouvelles, invasions de rongeurs, problèmes decohabitation et de relations sociales, etc.

    C’est à travers le récit de vie d’un adolescent de -venu, au fil du temps, un homme, Cando, plein d’es -poir dans les nouveautés de l’époque, que se tissele scénario, dans le conflit perpétuel entre tradi-tion et progrès.”

    JEAN GUILAINE

    Jean Guilaine est Professeur au Collège de France.Spécialiste du Néolithique, il dirige la fouille d’un villa-ge habité par les premiers paysans dans l’île de Chypre.

    Auteur de nombreux ouvrages, il a publié, entre autres,La France d’avant la France (Hachette, 1980) et La Merpartagée (Hachette, 1994 ; Hachette “Pluriel Référence”,2005).

    POURQUOI J’AI CONSTRUIT UNE MAISON CARRÉE

    DÉP. LÉG. : JUIN 2006ISBN 2-7427-6142-XAS 352022,80 € TTC Francewww.actes-sud.fr

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    Jean Guilaine

    ACTES SUD / ERRANCE

    POURQUOIJ’AI CONSTRUIT

    UNE MAISONCARREE

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  • POURQUOI J’AI CONSTRUITUNE MAISON CARRÉE

    “A travers cette fiction, j’ai souhaité écrire une comédieautour de ce grand tournant de l’histoire de l’humanitéque l’on nomme «Néolithique». Au Proche-Orient, il y a10000 ans, l’homme abandonne son style de vie multi-millénaire fondé sur la chasse, la pêche et la cueillettepour produire désormais son alimentation, végétale etcarnée, par le recours à l’agriculture et à l’élevage.

    De prédateur, le voilà dès lors métamorphosé en vil-lageois, en cultivateur et en pasteur. Les gains de cettenouvelle vie sont indiscutables, mais surgissent alorsdes difficultés inattendues: disettes, maladies nouvelles,invasions de rongeurs, problèmes de cohabitation et derelations sociales, etc.

    C’est à travers le récit de vie d’un adolescent de venu,au fil du temps, un homme, Cando, plein d’es poir dansles nouveautés de l’époque, que se tisse le scénario,dans le conflit perpétuel entre tradition et progrès.”

    JEAN GUILAINE

    Extrait de la publication

  • JEAN GUILAINE

    Jean Guilaine est Professeur au Collège de France.

    Spécialiste du Néolithique, il dirige la fouille d’un village

    habité par les premiers paysans dans l’île de Chypre.

    Auteur de nombreux ouvrages, il a publié, entre autres,

    La France d’avant la France (Hachette, 1980) et La Mer par-

    tagée (Hachette, 1994; Hachette “Pluriel Référence”, 2005).

    © Actes Sud / Errance, 20067, rue Jean-du-Bellay, 75004 Paris

    Tél. : 01 43 26 85 82 - Fax : 01 43 29 34 88ISBN : 2-7427-6142-X

    Illustration de couverture :© Alexis Horellou

    978-2-330-02198-6

    Extrait de la publication

  • POURQUOIJ’AI CONSTRUIT

    UNE MAISON CARRÉE

    Jean Guilaine

    ACTES SUD / ERRANCE

    Extrait de la publication

    http://www.actes-sud.fr/rayon/e-bookhttp://www.actes-sud.fr/departement/errance

  • Extrait de la publication

  • à Christiane,

    à tous les fouilleurs de

    Shillourokambos

    et de Khirokitia

  • Extrait de la publication

  • Avant-propos

    A travers cette fiction, j’ai souhaité écrire une

    comédie autour de ce grand tournant de l’histoire de

    l’humanité que l’on nomme « Néolithique ». Au

    Proche-Orient, il y a 10000 ans, l’homme abandon-

    ne son style de vie multimillénaire fondé sur la chas-

    se, la pêche et la cueillette pour produire désormais

    son alimentation, végétale et carnée, par le recours à

    l’agriculture et à l’élevage.

    De prédateur, le voilà dès lors métamorphosé en vil-

    lageois, en cultivateur et en pasteur. Les gains de cette

    nouvelle vie sont indiscutables mais surgissent alors

    des difficultés inattendues : disettes, maladies nou-

    velles, invasions de rongeurs, problèmes de cohabita-

    tion et de relations sociales, etc. La nature n’est pas en

    reste : la remontée du niveau des mers met en péril les

    localités côtières.

    C’est à travers le récit de vie d’un adolescent devenu,

    au fil du temps, un homme, Cando, créature droite,

    innocente, pleine d’espoir dans les nouveautés de

    l’époque, que se tisse le scénario, dans le conflit perpé-

    tuel entre tradition et progrès. Trois personnages essen-

    tiels se meuvent dans l’univers de Cando : Golluk,

    traditionaliste rigide, représentant une vieille lignée de

    chasseurs-collecteurs, rétif à toute mutation; Ménil, le

    père adoptif, à l’esprit curieux, sorte de scientifique

    avant la lettre, explorateur réjoui d’une modernité

    néolithique en marche ; Mémet, le politique, intéressé

    7

    Extrait de la publication

  • avant tout par le pouvoir et une aspiration constante

    à dominer les autres.

    Vivant pleinement son époque « révolutionnaire »,

    Cando s’exilera néanmoins sur « l’île aux pierres

    vertes » – Chypre, avec ses alluvions à galets de picro-

    lite et ses gîtes de cuivre – pour y retrouver Loula, son

    amour de jeunesse. Il y rencontrera des populations

    qui, bien qu’également villageoises, prennent plaisir à

    freiner certaines formes d’évolution technique. Pour

    donner plus de piment à la pièce, j’ai prêté ici une

    attention bienveillante à la thèse – controversée – de

    mon ami Avraham Ronen, de l’Université d’Haïfa,

    qui considère le Néolithique précéramique chypriote,

    teinté de singularités, comme « la première contesta-

    tion politique de l’Histoire », une sorte de refus pour

    certaines populations d’endosser la modernité du

    continent voisin grâce à leur repliement à Chypre.

    En désaccord avec les insulaires, en conflit avec le

    vieux Golluk dont l’intégrisme ne cesse de grandir,

    Cando fera le choix de s’isoler, avec sa famille, dans

    une partie jusque-là non cultivée de l’île. Mais,

    tenaillé par son envie de connaître les derniers pro-

    longements de la « révolution néolithique » de son ado-

    lescence, il entreprendra un voyage sur le continent.

    Ce sera pour y découvrir les effets pernicieux d’un

    mouvement trop idéalisé : localités devenues ingé-

    rables, course au pouvoir, rivalités des religions, insé-

    curité, guerre, etc. Il est dès lors en opposition avec

    lui-même, coincé entre les espérances de sa jeunesse et

    les désillusions de la vie, tenté de revenir en arrière

    mais ne voulant à aucun prix jouer à son tour, envers

    les générations montantes, le rôle de Golluk, vieillard

    honni, auquel d’ailleurs il ressemble physiquement

    chaque jour davantage. A ses enfants pourtant, il ne

    laissera rien paraître, continuant de leur dépeindre

    l’avenir sous un jour idyllique afin de leur laisser tout

    loisir de rêver à des lendemains meilleurs.

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    Extrait de la publication

  • *

    Pour ramener les questions abordées à l’échelle

    d’une vie, j’ai été contraint d’user de l’anachronisme,

    mais sans excès. Je n’ai pas cherché à coller systémati-

    quement à la réalité archéologique et j’ai pris, à l’oc-

    casion, quelque liberté avec celle-ci, privilégiant le ton

    plus que la conformité aux données. En ce sens, mon

    texte s’éloigne volontairement de la formule classique

    du roman historique. Les clins d’œil au contemporain

    sont fréquents. Par ailleurs, ces gens sont des Sapiens,comme vous et moi. J’ai donc décidé de les faire par-

    ler comme des personnes d’aujourd’hui et de ne point

    me réfugier dans un pseudo-langage préhistorique.

    J’ai tenté de mettre de l’humour dans ce livre et c’est

    sur le ton de l’amusement sans prétention qu’on doit

    l’aborder. Mais il n’est pas interdit d’en avoir une

    autre lecture, un peu moins réjouissante : celle des

    contraintes et des difficultés que s’inflige toujours

    davantage notre espèce, tentée par la légitime libéra-

    tion de l’individu et la soif de technicité, mais subis-

    sant les contreparties mutilantes que cette trajectoire

    engendre parfois.

    Enfin, pour ceux qui souhaiteraient mieux

    connaître le contexte servant de support à ce roman,

    je donne un état du savoir archéologique qui m’a

    aidé à en construire le récit, à la fin de l’ouvrage.

    Jean Guilaine

    Je remercie amicalement Christian Goudineau, Jean-Marie

    Durand, Frédéric Lontcho, Laurent Carozza, Alain Le Brun,

    Philippe Marinval, Françoise Le Mort, Jean-Denis Vigne pour les

    conseils ou les précisions dont ils m’ont fait bénéficier.

    Extrait de la publication

  • Quelque part, dans la partie

    orientale de l’île de Chypre,

    vers la fin du VIIIemillénaire

    avant notre ère…

  • Extrait de la publication

  • Où tout commence par un dilemme

    — Une autre!… Une autre!…— Mais je n’en connais plus!— Ça ne fait rien, invente!— Non, regarde plutôt autour de nous, comme

    les collines, les arbres, les blés sont beaux. Il fautparfois se taire et contempler.

    — Je m’en fiche de tout ça, je veux des his-toires !

    — Mais je t’ai déjà tout dit et plusieurs fois.— Bon, alors parle-moi de toi, tu ne me dis

    jamais rien.C’est souvent comme ça, le soir. Le soleil cou-

    chant éclaire de ses rayons obliques les murs deterre, mêlée de pierres, des trois petites maisonscarrées dans lesquelles nous habitons ou qui ser-vent de greniers à céréales. Je m’asseois alors surune lauze plate et porte mon regard sur cesquelques lopins où les céréales mûrissent chaquejour un peu plus. Dans un enclos aménagé à l’aidede branches d’épineux, trois porcs bien nourris necessent régulièrement de ronchonner. Dans unautre corral, j’ai regroupé quelques chèvres etmoutons dont la viande, périodiquement, améliorenos repas.

    Je suis habitué à ce paysage, tour à tourrocailleux, cultivé ou boisé. Il n’a rien de très par-ticulier ni d’attachant mais je sens que je l’aime

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    Extrait de la publication

  • toujours un peu plus. Ce sera très certainementmon havre jusqu’à la fin de mes jours. A moinsque… car avec la vie, on ne sait jamais. La mern’est pas très loin, derrière mon dos, mais c’est ici,au pied des reliefs, un peu à l’intérieur de l’île,que nous avons choisi de nous fixer, Loula et moi,pour vivre simplement, dans une sorte de solitudefamiliale, loin du tumulte des villages. Loula m’adonné trois enfants: deux garçons, Tinet et Yayin,et une fille, Eslil.

    Intenable, Eslil. C’est elle, la dernière née, qui,en ces fins de journée, vient prendre place à mescôtés. Et c’est toujours la même rengaine:

    — Cando, raconte-moi une histoire. Pas celled’hier, je l’ai déjà entendue plusieurs fois.

    Me voilà donc contraint de me pressurer l’espritpour narrer des choses qui n’ont ni queue ni tête.Elle est coriace, Eslil. Il faut que je trouve matièreà bavarder pour la calmer. Sinon, la voilà quicommence à me poser d’embarrassantes ques-tions.

    — Que faisais-tu à mon âge ? Et d’abord oùvivais-tu ? Et ton père et ta mère à toi, ils étaientcomment? Où sont-ils d’ailleurs?

    A vrai dire, je ne suis pas disposé à raconter cequi, jusqu’ici, a été le cours de ma vie. Je me sensencore jeune et il me semble que, seuls, lesanciens à barbe blanche ont pour mission detransmettre certains évènements dont ils ont étéles acteurs ou les témoins. Ils enrichissent ainsi lesplus jeunes générations de leur expérience et peu-vent leur éviter certains désagréments. Mais, en cequi me concerne, mon existence et mes senti-ments intimes sont à tel point mêlés qu’une sortede pudeur naturelle m’interdit d’en dévoiler lesmoindres épisodes.

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    Extrait de la publication

  • J’ai pourtant l’impression d’avoir traversé uneépoque un peu hors du commun tant se sontaccumulées de nouveautés en peu de temps, tantnos façons de vivre s’en sont trouvées déstabili-sées en quelques étés seulement. De ce rapidechamboulement des traditions ancestrales quel’on m’avait inculquées dès la prime enfance, j’aiété à la fois l’observateur et, souvent, le partici-pant enjoué. Là-dessus, j’ai bien des choses à dire.Mais, dans le même temps, ma vie affective esttellement liée, imbriquée à toutes ces péripétiesqu’il me semble quasiment impossible de la sépa-rer de mon quotidien ordinaire. Peut-être un jour,bien plus tard, quand mes enfants auront grandiet pourront mieux comprendre, leur conterai-je ceque fut mon existence. Pour l’instant, je résiste. Jeme contente, devant l’insistance d’Eslil, et parfoisaussi de Tinet et de Yayin, de réponses vagues,visant à décourager chez eux toute tentative d’ensavoir davantage.

    — A vos âges, je gardais les moutons et je tra-vaillais la terre. Comme ici tous les jours et rien deplus. Mon père, ma mère ? J’ai oublié. C’est lointout ça. Il commence à faire frais, rentrons.

    — Non, restons encore. Tu es né où? Ici ?— Non!— Mais où?— Je ne suis pas né sur l’île. Je viens de là-bas,

    de l’autre côté de la mer.— Ah bon!… Et moi je suis née ici ?— Oui, comme tes frères. Mais moi, non.Ce fut le premier grand étonnement d’Eslil mais

    aussi de Yayin et de Tinet.C’est vrai, je suis une sorte de transplanté. Si j’ai

    fait le choix de m’établir sur l’île, loin de tous et detout, je ne me considère pas comme un hommedu lieu. J’éprouve même le sentiment d’être

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    Extrait de la publication

  • encore un étranger, quelqu’un d’ailleurs. Je suissans doute un exilé mais je ne veux pas que mesenfants, tous nés ici, se sentent comme moi desimmigrés. Ils doivent faire corps et âme avec cetteterre qui m’a accueilli et qui nous dispense géné-reusement la nourriture.

    — Mais alors pourquoi es-tu venu ici ? D’oùviens-tu? Comment c’est là-bas?

    Voilà qui devient plus précis et me pousse dansmes retranchements. J’esquive ou non? Je suis unpeu écartelé entre le temps merveilleux de monenfance et de ma jeunesse et, par ailleurs, messentiments pour Loula. C’est pour elle que j’ai toutquitté. J’assume ce choix. Mais, pour autant, ilm’est impossible de renier ces années heureusesqui ont tout chambardé. Les questions d’Eslil megênent. Elles se font toujours plus pressantes.C’est pourquoi, la nuit venue, lorsque je n’arrivepas à fermer les yeux, une sarabande de souve-nirs m’envahit. De toutes ces images qui se bous-culent, j’essaie de rétablir la succession, le fil dutemps. Pas facile de trier, d’ordonner son vécu. Jem’y reprends souvent. Il y a l’important et le déri-soire. Je ne veux retenir que ce qui compte. Cesoir, d’ailleurs, je sens que je ne vais pas pouvoirrésister très longtemps aux interrogations de mafille.

    — Alors, c’était comment là-bas quand tu étaisjeune?

    — Comme ici…— Mais, parle, parle…La voilà qui, de ses petits poings, me tape sur la

    poitrine comme pour en faire sortir des parolesenfouies. Je ne peux plus me dérober. Et je saisqu’il faudra continuer demain, puis après-demain.Alors tant pis, je me jette à l’eau. D’ailleurs Tinetet Yayin sont tout aussi curieux qu’Eslil d’en

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    Extrait de la publication

  • savoir plus. Et puis tout ça, c’est aussi un peu àmoi-même que je le raconte, quitte à garder dansmon for intérieur ce qu’il y a de plus personnel.

    — Je me suis trompé l’autre soir. Tout petit, jene gardais pas les moutons. C’est venu ensuite.Pour autant que je me souvienne, je marche. Jemarche encore et toujours. Je vais avec les miensau gré de déplacements incessants et de paysagessans cesse renouvelés. Les hommes piègent ouchassent, des gazelles surtout.

    — C’est quoi des gazelles?— Des bêtes qui ressemblent aux daims. Leurs

    pattes sont fines et musclées. Quand elles bondis-sent, on dirait des éclairs. Ce sont des animauxmagnifiques. Mais on va aussi coincer les pois-sons sous les pierres des rivières. Les femmescueillent des feuilles, de petites graines, des fruits.C’est une vie agréable mais pas toujours facile.

    — Pourquoi?— Les plantes sont vite consommées et le gibier

    parfois se fait rare. Alors il faut partir. Défaire lestentes et les abris et aller plus loin.

    — Démonter la maison?— En quelque sorte. Mais ce ne sont pas des

    habitations solides, simplement des abris depeaux. On a l’habitude.

    — Et ça tout le temps? dit Tinet. Vous n’êtes denulle part?

    — De nulle part et de partout. On est deserrants. Remarque, nous le voulons bien. A cetteépoque, la plupart des autres communautés sesont installées depuis belle lurette dans des mai-sons d’argile ou de pierre et vivent à demeureavec des jardins tout autour. Mais nous, pas ques-tion. La routine nous obnubile. Il ne faut rienchanger. On est les garants de la tradition, celledes chasseurs de toujours. Dans les villages auprès

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    Extrait de la publication

  • desquels nous campons quelquefois, on nous faitsentir que nous sommes des marginaux, des attar-dés, un peu des parasites, quoi. Nous pensonsexactement le contraire. Les parasites, ce sont eux.Ils nous ont dépossédés de nos terrains de chasse.Ils nous prennent toujours plus d’espace. Aufond, ce sont des voleurs.

    — Et ça ne vous fait rien toutes ces vexations?— Si, mais la tradition est la plus forte.— Et alors?— Cessez de m’interrompre tout le temps ou

    j’arrête. Si vous me cassez le fil, je ne m’y retrouveplus. Eh oui, la marche, l’errance, les pieds gon-flés, jusqu’au jour où tout se met à basculer. Là, jeme souviens fort bien. C’est sur une plage, aubord de la grande mer que nous venons dedécouvrir peu de temps auparavant. Les hommesont le visage grave, celui des jours difficiles. EtGolluk, le Vieux, qui n’est pas là pour arranger leschoses. Il n’est pas commode, Golluk. Rien quede penser à lui, j’ai encore des frissons dans ledos. Bon, allons nous coucher, on verra çademain.

    Extrait de la publication

    CouverturePrésentationJean GuilainePourquoi j'ai construit une maison carréeAvant-proposOù tout commence par un dilemme