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Jean-Louis Rocca Pouvoir et corruption en Chine populaire In: Perspectives chinoises. N°11-12, 1993. pp. 20-30. Citer ce document / Cite this document : Rocca Jean-Louis. Pouvoir et corruption en Chine populaire. In: Perspectives chinoises. N°11-12, 1993. pp. 20-30. doi : 10.3406/perch.1993.1612 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1993_num_11_1_1612

Pouvoir et corruption en Chine populaire

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Jean-Louis Rocca

Pouvoir et corruption en Chine populaireIn: Perspectives chinoises. N°11-12, 1993. pp. 20-30.

Citer ce document / Cite this document :

Rocca Jean-Louis. Pouvoir et corruption en Chine populaire. In: Perspectives chinoises. N°11-12, 1993. pp. 20-30.

doi : 10.3406/perch.1993.1612

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1993_num_11_1_1612

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CHINE / SOCIETE

Pouvoir et corruption en Chine populaire

Jean-Louis Rocca

La corruption est devenue aujourd'hui un sujet sensible pour l'homme politique comme pour le chercheur. Cette sensibilité est due pour une grande part à l'affaiblissement de la valeur heuristique des explications traditionnelles de ce phénomène(l). Jusqu'aux années 1960, la persistance de la corruption dans une société était censée traduire son incapacité à mettre en place un système bureaucratique moderne. Au sous-développement économique correspondait un sous-développement politique, à l'absence d'un esprit d'entreprise, l'absence d'une éthique bureaucratique. Le développement économique devait s'accompagner de l'apparition d'une fonction publique caractérisée par l'attachement à l'intérêt collectif (même au détriment de l'intérêt immédiat de l'individu-fonctionnaire). Bien entendu, il n'était pas question de faire une confiance exclusive à la moralité individuelle. Un ensemble de procédures précises devait obliger le fonctionnaire à agir suivant son devoir et à permettre un contrôle continuel de l'appareil bureaucratique.

En rupture avec cette conception de la corruption, un certain nombre de chercheurs anglo-saxons ont proposé une autre théorie. De façon cynique, ils écartent toute référence à des notions comme la moralité ou l'intérêt public. Pour eux, l'homme n'est mû que par des motifs strictement égoïstes d'intérêt personnel. Cet utilitarisme fondamental dénie à toute bureaucratie une quelconque capacité à promouvoir le développement économique. L'Etat n'est pas un acteur du développement, mais le produit de la libre et constante confrontation des intérêts individuels. Il ne doit pas être un "constructeur" du social mais son émanation. Ne serait-ce que parce que les fonctionnaires sont eux aussi guidés exclusivement par la défense de leur intérêt personnel, le pouvoir politique tend continuellement à vouloir s'affirmer comme un pouvoir propre, autonome et empêcher ainsi l'apparition et l'affirmation politique de nouvelles couches de populations porteuses de la figure tutélaire du progrès: le marché. Dans ce cadre, la corruption change radicalement de visage. Il n'est plus ici question de faute morale du fonctionnaire ou de crise de l'Etat. La corruption est un moyen pour

les nouvelles couches sociales de défendre leurs intérêts contre la mainmise de l'Etat, dont l'action est jugée illégitime dès qu'elle dépasse le cadre étroit du simple service de la société.

Malgré leurs divergences on aura remarqué la parenté entre ces deux théories de la corruption. Certes, l'une valorise l'image de l'Etat, puissance autonome qui modèle la société en fonction d'un certain nombre d'objectifs collectifs, tandis que l'autre reprend à son compte une conception de l'Etat comme produit d'un contrat entre individus. Mais l'une et l'autre se réfèrent au même modèle -en gros l'Etat tel qu'il est censé s'être établi en Europe- et l'une et l'autre défendent le même déterminisme: la société occidentale est le terme final de l'évolution de toute société. La corruption n'est abordée que par le biais de cette aspiration à la modernité que sont censés ressentir tout individu et toute société.

C'est précisément la mise à mal de cette prétention de la société occidentale à être la société référence qui conduit à une remise en cause des théories de la corruption. On découvre depuis quelques années que des Etats libéraux (Japon, Etats-Unis) fonctionnent avec une forte dose de corruption institutionnalisée; ou encore qu'un Etat moderne (la France) peut très bien s'arranger du clientélisme qui règne dans certaines parties de son territoire (la Corse pour ne parler que du cas le plus frappant). A quoi est due cette incapacité des théories de la

corruption à en saisir la réalité? Essentiellement au mépris dont elles font preuve envers l'historicité propre à toute société et envers la nature particulière de ses pratiques sociales et de ses représentations culturelles. On est frappé en particulier de la facilité avec laquelle ces théories évacuent la question des origines du pouvoir étatique. Celui-ci n'est pas perçu comme le produit de luttes politiques mais comme une institution à conquérir. Autrement dit, la question de la genèse de la domination politique et de sa légitimité est largement évacuée. De même, l'autre figure de la corruption -l'accumulation des richesses- est traitée comme quantité négligeable, comme un élément fonctionnel et non comme un enjeu et un moyen de la lutte sociale. On a bien souvent l'impression que loin d'être des théories de la corruption, ces analyses sont des tentatives pour appliquer à des sociétés non occidentales une représentation mythifiée de l'histoire occidentale.

Pourquoi ce détour, malheureusement trop rapide, par les théories de la corruption? Parce qu'elles se révèlent inutilisables en tant que telles pour comprendre le phénomène dans une société aussi

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spécifique que la Chine. Est-ce nécessaire de rappeler que les notions d'intérêt public, de devoir du fonctionnaire, de puissance étatique sont des notions qui sont présentes dans l'espace culturel chinois, mais sous une forme particulière? Il n'y a, par exemple, dans ce contexte aucune raison de considérer que la lutte pour le pouvoir politique doit s'articuler autour de la référence à l'Etat- nation. De même, doit-on rappeler qu'en Chine, l'intérêt privé n'est pas assimilable à l'intérêt individuel, et que dans ce cadre l'utilisation du concept d'individu ou pire d'Aomo economicus pour rendre compte du comportement humain est pour le moins sujette à caution?

Au risque sans cela de ne rien comprendre à la réalité de la corruption en Chine, il est donc nécessaire de se pencher sur les spécificités et sur la nature des enjeux qu'elle cristallise: l'accumulation et l'accès au pouvoir. Ces spécificités tiennent au contexte culturel propre à la Chine actuelle -une cohabitation entre de multiples registres culturels- au contexte économique -la diversification des modes de propriété- et au contexte politique qui voit s'affronter à la fois de nouveaux pouvoirs et de

nouvelles formes de légitimité. Pour le chercheur, ce type de cheminement

est semé d'embûches. Le premier danger est de tomber dans le culturalisme et de ne voir dans les configurations culturelles ou politiques actuelles que des résurgences anciennes. Or, tout porte à croire que les formes et les fonctions de la corruption d'aujourd'hui ne sont compréhensibles que dans le contexte actuel. Le deuxième danger est de privilégier d'emblée un scénario concernant l'impact de la corruption sur les deux grandes questions du pouvoir et de l'accumulation. Or, comme nous le verrons, il semble que la corruption soit, suivant ses formes, tout à la fois un facteur d'évolution politique et de blocage politique. Enfin, ultime écueil, la tentation est grande de ne considérer l'espace politique chinois que sous l'angle de la chronique "pékinologique". Or, "l'activité politique est toujours simultanément activité symbolique"(2). Il sera donc tout autant question de représentations du politique que de luttes pour le pouvoir. De fait, et compte tenu de ces embûches, les analyses qui suivent ne sont qu'hypothétiques.

Les sources socialistes du pouvoir et de la richesse

Si l'on prend comme références les analyses weberiennes des formes de légitimité, les sources du pouvoir socialiste tiennent à la fois au type charismatique et au type traditionnel. Le Parti

et son principal dirigeant Mao se présentent comme les dépositaires de la vérité, à laquelle la réalité doit être soumise. Toute autre forme d'allégeance ou de domination doit disparaître: l'individu ne doit obéir qu'au Parti et, pour le Parti, les individus sont tous interchangeables. La parenté entre totalitarisme et domination charismatique est ici tout à fait évidente(3). L'un et l'autre présentent d'ailleurs le même type de fragilité: ils supportent mal la "routinisation" et l'institutionnalisation. Or, à la suite de l'échec du Grand bond en avant et de l'adoption d'une politique économique modérée, on a vu resurgir une autre forme de légitimité basée sur les relations informelles et le clientélisme; les deux sources de légitimité politique ne s'opposant pas l'une à l'autre, mais se mêlant, s'assimilant, pour donner ce pouvoir néo-traditionnel(4) ou patrimonial- socialiste(5) caractéristique de la Chine pré-réformiste. Il ne s'agit pas d'un retour à la tradition au sens strict, deux éléments au moins différenciant la légitimité néo-traditionnelle de la légitimité politique sous l'Empire.

Premièrement, la légitimité charismatique "socialiste" s'appuie sur l'affirmation de la capacité

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du Parti à améliorer radicalement les conditions de vie de la population. Il ne s'agit plus seulement de rétablir un équilibre, mais de développer le pays: les attentes de la population sont à la mesure de cette prétention. Deuxièmement, et là aussi à l'inverse de l'époque impériale, l'ambition dominatrice du Parti est d'une ampleur considérable. Il ne s'agit plus de laisser les campagnes s'auto-administrer. L'emprise du Parti doit être totale. Certes, il y eut loin de l'ambition à la réalisation, mais il est indéniable que la prolifération des bureaucraties locales durant l'époque maoïste donne aujourd'hui une physionomie particulière à l'espace politique chinois.

Dans ce contexte, la question de l'accès aux richesses est totalement 'subordonnée aux sources du pouvoir. Le Parti, propriétaire du politique, est aussi propriétaire de l'économie. Dans la réalité pratique, et parallèlement à l'évolution vers une société néo-traditionnelle, ce sont des groupes d'intérêt collectifs qui, s'assimilant la figure du Parti, possèdent les richesses (unités, bureaux, communes populaires). En raison de la disparition quasi-totale du secteur privé, le pouvoir est le seul mode d'accès à la marchandise.

Les rapports politiques sont basés sur le clientélisme(6) et le recours aux "relations' '(guanxi). Dans ce cadre, l'activité vitale d'un cadre est la valorisation des réseaux (famille, branche industrielle, région d'origine, promotion universitaire ou bureaucratique, relations amicales, etc.) qui lui permettent de se maintenir au pouvoir et éventuellement de poursuivre son ascension(7). C'est en effet en devenant client d'un patron que l'on peut accéder d'abord au statut de cadre et ensuite aux plus hautes fonctions.

Le clientélisme est lui-même inséré dans un mode plus global de circulation des biens et services à travers un système d'échanges réciproques entre individus. Il ne s'agit pas d'échange au sens que l'économie classique donne à ce terme, c'est-à-dire une relation contractuelle entre deux individus indifférents l'un à l'autre, et pour qui seul compte l'intérêt pur. Il s'agit d'une relation beaucoup plus complexe dans laquelle tout l'individu est impliqué et qui concerne l'ensemble des domaines de la vie sociale: l'économique comme le symbolique (la gestion de la "face") ou la parenté. C'est cet aspect "total" de la relation d'échange qui permet aux réseaux de relations(8) de structurer la société.

L'individu joue un rôle marginal dans le fonctionnement de ces relations de pouvoir. Il n'a pas d'identité propre et n'existe qu'à travers son appartenance à des groupes (de travail, de parenté, de proximité, etc.). La norme est de "rendre service". Le déviant est

celui qui refuse de participer à cet échange continuel de biens et de services qui constitue l'essentiel des

relations sociales. Pour reprendre une expression qui est souvent utilisée en Chine, la bureaucratie fonctionne sur la base du principe "tu me manges, je te mange" (ni chi wo, wo chi ni)(9). Cette norme est d'autant plus exclusive qu'elle s'appuie sur un contrôle totalitaire du pouvoir par les factions bureaucratiques. La bureaucratie est traditionnellement la seule voie d'accès non seulement au pouvoir, mais aussi aux privilèges. Une fois en place, et tant qu'il fait preuve de loyauté et d'intelligence politique, le bureaucrate à un contrôle total sur son fief.

"Entrer en politique", c'est donc accepter un mode exclusif de comportements ritualisés, mais aussi un mode de relation aux biens. L'accès à certains biens et services symbolise le niveau de participation au pouvoir. En simplifiant un peu: le vélo pour le petit cadre, la Shanghai pour le cadre moyen et la Hongqi pour l'élite. Les couchettes dures pour le commun, les couchettes molles pour les gros bonnets. Sans compter, bien entendu, l'accès aux biens de luxe et aux produits étrangers. Ce n'est pas l'accès à la marchandise qui est considéré comme illégitime, mais l'accès à la marchandise en dehors des réseaux du pouvoir politique. Quant à l'accumulation de richesses, elle n'est jamais individuelle. C'est le collectif (unité, village, bureaucraties) qui est propriétaire légitime et vecteur exclusif de redistribution des marchandises. Dans ce cadre, l'argent ne joue qu'un rôle tout à

fait mineur. Comme le dit le directeur Jin dans une nouvelle de JiangZilong: "Dans les pays capitalistes, on arrive à tout avec l'argent. Chez nous, c'est avec les relations"(10). Il ne s'agit pas d'obtenir de l'argent, mais des marchandises définies: ressources en matières premières ou en produits semi-finis, objets durables ou encore denrées alimentaires. Il s'agit d'échanger des symboles de pouvoir. L'argent, par son caractère abstrait -marchandise permettant d'acheter toutes les marchandises- renvoie en effet à une autre conception de la richesse, la richesse "apatride", "cosmopolite", toute puissante. Autrement dit, il symbolise le capitalisme marchand, source de pouvoir alternatif et donc de danger pour les pouvoirs collectifs. Cette méfiance vis-à-vis de l'argent n'est en rien une spécificité socialiste. On la retrouve par exemple dans certaines sociétés africaines(ll).

Corruption et comportement social

Pour les théoriciens fonctionnalistes, le fait que la seule voie d'accès à la marchandise passe par le pouvoir politique produit des conditions adéquates au développement de la corruption. L'exemple de la Chine socialiste montre une situation plus complexe. En effet, si l'on considère que la corruption est

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définie "en termes de transactions entre les secteurs privés et publics si bien que les biens collectifs sont convertis de manière illégitime en des récompenses personnelles" (12) t elle ne joue qu'un rôle tout à fait marginale dans la Chine maoïste; le secteur privé étant quasiment absent et la distribution des biens collectifs étant dans les mains des bureaucrates sans qu'existent des procédures légitimes de répartition. Par contre, la définition de James Scott "La corruption est une attitude qui dévie des devoirs formels d'une personne assumant une fonction publique à cause de gains pécuniers ou statutaires (pour soi-même, la famille proche ou la clique privée) et viole les lois visant àprévenir l'exercice de certains types d'influence pour des intérêts personnels" (12) semble plus applicable au cas chinois. Mais il n'existe pas à proprement parler de "devoirs formels pour le cadre" et de définition de la "fonction publique". Le pouvoir central ne s'appuyant pas sur une légitimité légale, il ne peut être question de transgression morale.

Les phénomènes que nous qualifions de corruption ne sont donc pas des perversions de la fonction publique: elles font en réalité partie intégrante des règles de la société néo-traditionnelle. Elles tiennent à des stratégies de contournement des politiques décidées par le centre. Comme le note McCormick, puisque les individus et les groupes sont exclus du processus de décision politique, "des individus et des intérêts particuliers sollicitent et obtiennent souvent des exemptions concernant la mise en pratique de certaines décisions du centre"(14). La "corruption" est un moyen d'évitement et ce n'est que du point de vue du centre qu'ily a transgression, puisqu'il en va ici de sa capacité à appliquer les décisions qu'il a prises. Du point de vue de la base, les faveurs sont considérées comme des échanges réciproques, légitimes et obligatoires, entre patrons et obligés ou entre égaux liés par des relations de parenté ou d'affinités. Comme le note Vivienne Shue: "ne pas favoriser sa famille ou son lignage une fois parvenu au pouvoir aurait été considéré par la plupart comme cruel, inhumain voire même immoral dans le contexte chinois"(15). Il ne s'agit pas d'échanges de biens contre du pouvoir, mais par exemple d'échange de passe-droits contre un soutien politique ou contre une future faveur.

Cette "fausse corruption" ne concerne pas seulement les individus, mais aussi les groupes. Les cadres responsables n'hésitent pas à mentir ou à faire de faux rapports pour conserver le maximum de richesse au sein des collectifs et assurer ainsi leur légitimité. La carrière et parfois l'existence physique des cadres dépendent tout autant de leur soumission aux ordres de leurs supérieurs que de leurs capacités à satisfaire leur base. Comme le note Shue, "Tous les cadres locaux des unités horizontales ou régionales

qui restaient en poste pendant un certain temps finissaient inévitablement par s'identifier aux intérêts de leur localité ou région et par les défendre. Leur propre carrière était, après tout, intimement liée au destin de ces régions"(16). "Il n'était d'ailleurs pas inhabituel pour des cadres de communes de représenter les opinions de "leurs" paysans aux niveaux supérieurs et de défendre leur localité contre des règlements d'Etat impopulaires, voire de refuser d'exécuter certaines décisions à la lettre, afin de s'assurer la bonne volonté et la coopération des membres de la commune"(17). Une récente publication montre que la réussite actuelle du modèle de Wenzhou est due à une volonté constante des cadres et des paysans de la région de maintenir un certain compromis politique et de défendre conjointement la prospérité de la société locale contre les tentatives de mainmise du centre (18). On se trouve ainsi en présence d'une société dans laquelle prédomine ce que James Scott appelle le principe d'économie morale (moral economy) qui affirme que: "tout membre d'une communauté a un droit présomptif à gagner sa vie dans la mesure où les ressources locales le permettent" (19). Au nom de ce principe, "ceux qui contrôlent les ressources rares de la société sont responsables des besoins de leurs subordonnés"(20). Et Scott d'ajouter que "l'idée que le paysan se fait de la justice et de la légitimité (...) est fondée sur la norme de la réciprocité et l'obligation qu'a l'élite (il s'agit du droit du paysan) de garantir -ou du moins de ne pas contrevenir- aux demandes de subsistances des pay sans" (21).

Quant au népotisme, autre forme de corruption, il n'apparaît pas lui non plus comme une perversion du système politique, mais bien au contraire comme un des fondements de sa reproduction. Les cadres, en bons entrepreneurs politiques qu'ils sont, savent que leur légitimité ne repose que sur leur habileté à développer des réseaux. Or quel est le type de réseau dans lequel on peut avoir le plus confiance si ce n'est le réseau familial?

Cette "corruption", liée a un exercice particulier du pouvoir, semble avoir été globalement acceptée par la population. Bien plus, c'est à l'intérieur des groupes primaires que la petite corruption peut être assimilée à une règle du jeu social. L'affirmation que la propriété est collective induit un comportement de co-propriétaire. D'où l'importance des phénomènes de coulage, de "vols" d'outils, le recours systématique aux notes de frais ou encore la pratique extensive des banquets ou autres beuveries(22). A l'intérieur des groupes, les individus préfèrent la "malhonnêteté" à "l'honnêteté" -si tant est que ces notions signifient quelque chose dans le contexte en question- parce que la malhonnêteté est créatrice de bénéfices pour l'entité collective:

"Plus la société est complexe, plus elle produit de

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gens rusés... Notre secrétaire de cellule est vraiment un honnête homme. Mais il a obtenu moins de suffrages que moi. Comment peut-on être honnête, hein? Si j'agissais à sa manière, c'est-à-dire en toute honnêteté, je n'arriverais pas à faire fonctionner l'usine. Et s'il n'y avait pas de bénéfices, je serais mal vu parles ouvriers, les camarades dirigeants, et enfin l'Etat"(23).

Cette généralité des pratiques d'auto- consommation collective est à opposer aux dénonciations radicales et régulières des dépassements d'autorité des cadres de la part de la population. Rien ne justifie de tels excès dans le cadre de la représentation que se fait la population du pouvoir politique. Le mauvais cadre est celui qui abuse de son pouvoir ou qui ne s'occupe pas de ses affiliés.

Dans le même esprit, il est indispensable de distinguer cette fausse corruption d'une "forme" beaucoup plus dangereuse pour les sources du pouvoir socialiste. Le terme de "forme" est d'ailleurs inadapté. On serait bien en peine de citer ces formes particulières, en raison de l'absence d'un capitalisme marchand. En réalité, la corruption dangereuse prend sa source dans l'excès des pratiques habituelles. D'abord l'excès individuel qui, par la jalousie qu'il suscite et par le décalage qu'il crée entre l'image officielle de frugalité du cadre et la réalité, se présente comme illégitime. Dans la nouvelle de JiangZilong citée plus haut, le directeur Jin, malgré sa malhonnêteté, n'est pas un accapareur. Bien au contraire, lorsque le narrateur pénètre dans la résidence du directeur, il trouve un taudis et croit s'être trompé de porte. C'est la cupidité -comme les exigences d'ordre sexuel- qui sont assimilées l'un et l'autre aux pires vices du capitalisme marchand. L'excès collectif est lui aussi considéré comme une manifestation de la véritable corruption. Quand le cadre, trop porté à satisfaire sa base, dépasse les bornes de la désobéissance(24), on tombe alors dans le "localisme" (difang zhuyi).

Un ensemble de procédures d'auto-contrôle permet de limiter de manière considérable l'ampleur de cette "vraie" corruption. Premièrement, la faiblesse des moyens financiers et matériels du pays et des groupes limite considérablement les opportunités. Deuxièmement, toute une série de valeurs morales permet un contrôle assez efficace des comportements individuels et collectifs. Le cadre modèle est défini par sa frugalité, sa retenue, sa discrétion. On est à cent lieues d'une éthique du pouvoir basée sur l'opulence et l'excès. Il est donc entendu pour tout cadre qu'il existe des limites à la légitimité de ses exigences. De plus, l'illégitimité de l'accaparement privé conduit chaque individu à privilégier une redistribution collective des fruits de la "corruption". L'appétit individuel apparaît comme un obstacle au

bonheur pour tous. N'oublions pas enfin que la Chine a vécu toute une époque de confiance dans l'avenir collectif du pays, et ceci au moins jusqu'aux années 1970. Le charisme du Parti venait donc renforcer l'efficacité des valeurs prônées par le Parti. La corruption n'apparaît donc pas globalement

comme un élément d'affaiblissement du pouvoir du Parti. Il est plutôt le signe d'un échec du totalitarisme. En tombant dans la routine, la terreur perd de sa substance. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que le Grand bond en avant es t un moment fondateur dans l'histoire de la corruption dans la Chine socialiste. Certes, son extension considérable durant les trois années noires conduira à une reprise en main de la bureaucratie dès le début des années 1960. Mais elle deviendra néanmoins un élément de l'exercice normal du pouvoir en raison notamment de la cassure qui s'est opérée entre la bureaucratie centrale et la bureaucratie locale. Comme le note Shue, "Les officiels et cadres de la Chine rurale, qui travaillent dans les échelons les plus bas de la bureaucratie de l'Etat -districts, communes, brigades et équipes- se sont sentis ajuste titre trahis par la direction centrale dans les récriminations qui ont suivi les douloureuse échecs du Grand bond en avant"(25). Au fur et à mesure que le charisme du Parti et les sources totalitaires du pouvoir s'affaibliront, la corruption fera de plus en plus "partie du paysage", comme un élément essentiel du système social.

Réformes et corruption

Les raisons habituellement invoquées par les spécialistes chinois ou occidentaux pour expliquer l'aggravation des phénomènes de corruption depuis 1978 sont variées: accroissement des opportunités de trafic, absence d'une véritable économie de marché, crise idéologique, refus des réformes politiques, etc. (26). Aucune de ces explications n'est fausse.

Malheureusement, la difficulté que l'on rencontre à les articuler entre elles rend difficile toute analyse globale. Cette articulation, il est peut-être possible de la réaliser en reliant chacune de ces "raisons" à la question de la nature actuelle du pouvoir politique. Comme nous le verrons, la corruption est à la fois un révélateur de ces changements et une arme dans la lutte pour le pouvoir. Pour ce qui est des changements, il est nécessaire de privilégier deux éléments: d'une part l'apparition d'une référence à la modernité et d'autre part l'existence d'unprocessus d'adaptation des fondements du pouvoir "socialiste" aux formes nouvelles de l'accumulation des richesses.

Les sources de légitimité du pouvoir ont aujourd'hui considérablement changé. En premier lieu, le

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charisme du Parti n'existe plus qu'à dose résiduelle. Ni les dirigeants ni les cadres ne peuvent plus compter sur cette "volonté d'obéir" au Chef qui a joué un rôle essentiel dans la stabilité du pouvoir depuis 1949. Certes, il existe encore à l'heure actuelle une volonté de retrouver une forme de légitimité charismatique à travers la réaffirmation du rôle "développementaliste" du Parti, mais ce replâtrage même nécessite la réintroduction d'une nouvelle source de légitimité: la légalité. La légitimité du pouvoir central tient à sa capacité à assurer la prospérité de la population et à promouvoir la modernisation de la Chine. Autrement dit, les relations pouvoir/société ont évolué vers une contractualisation (27). Cette référence à la modernité, trop longtemps négligée par les analystes, ne concerne, il est vrai, que le pouvoir central. Comme nous le verrons, les cadres locaux s'opposent à cette évolution ou plus exactement ont une autre conception de la "modernité".

Toutefois, et même si le système légal est loin de fonctionner comme une référence objective, la contractualisation des relations économiques et la légalisation des procédures civiles et pénales se sont suffisamment imposées pour remettre en cause le fragile équilibre de la société néo-traditionnelle entre appropriation par les groupes et gestion centrale. La contractualisation touche jusqu'aux relations cadres/population. Le cadre reste pour une part une puissance tutélaire, au-dessus de la société, mais les attentes des "masses" en matière d'amélioration du niveau de vie, d'emploi et de prospérité locale, se font considérablement plus pressantes que par le passé(28).

On peut paradoxalement mesurer la volonté de modernisation des relations sociales à la reconnaissance par le pouvoir de nouvelles formes de corruption. Ainsi, toutes les pratiques qui s'appuient sur les relations clientélistes ou sur la référence à une consommation collective sont aujourd'hui déclarées hors la loi, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elles soient systématiquement poursuivies. Les relations néo-traditionnelles évoluent mais ne disparaissent pas. L'échange réciproque entre patrons et clients ou le recours à la porte de derrière sont montrés du doigt par le centre car ils tranchent avec une vision moderniste des relations sociales qui distingue scrupuleusement biens privés et biens publics. De même, les phénomènes de "grande bouffe et grande beuverie" (dachi dahe), ou la folie de la note de frais ne sont pas des pratiques nouvelles, bien qu'elles prennent aujourd'hui une ampleur considérable(29). Elles subissent les diatribes du pouvoir actuel parce qu'elles apparaissent comme des éléments d'arriération économique.

Les réformes économiques peuvent aussi

s'interpréter comme une tentative de remise en cause du monopole du pouvoir sur la création et la répartition de la richesse nationale. Dans les entreprises publiques, le pouvoir des cadres a reculé sensiblement au profit de la montée en puissance des nouvelles couches de managers et techniciens. L'entreprise "privée" est devenue un élément de concurrence non négligeable pour la bureaucratie. Celle-ci doit tenir compte de l'apparition de ces "spécialistes"de l'économie moderne. En tenir compte non pas dans le sens où ils constitueraient une contrainte, mais dans le sens où ils sont porteurs d'une nouvelle éthique économique(30): respect de la loi de la valeur, primauté de la rationalité économique, apologie des échanges marchands. Or, puisque ces valeurs font dorénavant partie du discours officiel, l'acte de créer et accumuler des richesses, et notamment des richesses à titre privé constitue dorénavant un vecteur potentiel du pouvoir politique.

La montée en puissance des nouvelles élites et la pénétration de la modernité mettent aussi enjeu de nouvelles normes de comportement: la richesse ostentatoire, la reconnaissance sociale par la marchandise, la consommation individuelle. La richesse est devenue un signe légitime de réussite sociale. Autrement dit, le charme discret de la bourgeoisie rouge laisse place au déploiement d'un luxe tapageur que les entrepreneurs privés igetihu) symbolisent(3 1), mais qui touche toutes les catégories sociales. Même si une partie non négligeable de la population et notamment les anciens privilégiés continuent à afficher un certain dédain vis-à-vis de l'enrichissement privé, ce dédain est le plus souvent mêlé à l'envie. Qui n'a pas entendu les sarcasmes de l'homme de la rue sur "ces vieux bureaucrates en costumes Mao qui fument encore des cigarettes chinoises. Les Chinois, en tous cas les jeunes, attendent toute autre chose de leurs dirigeants. Le "fonctionnaire" doit servir la modernisation, et d'une certaine façon, il doit l'incarner et en porter les signes.

La rapacité actuelle des fonctionnaires peut s'expliquer en partie par une réaction vitale à une érosion de leur rôle et de leur légitimité dans le contexte des réformes économiques. En l'absence d'une revalorisation de son revenu, le bureaucrate qui doit s'approprier les nouvelles normes de comportement augmente la pression sur son fief et sur ses clients, et valorise sa "propriété", c'est-à-dire sa position sur l'échelle du pouvoir. Comme le suggère un proverbe tout à fait contemporain: "Au centre, on s'occupe de la réforme; dans le* villes et provinces, de sortir du pays; dans les districts et les régions, de boire et manger; tout enbas, on n'a qu'à se taire"(32). Dans une situation où la bureaucratie détient encore une grande partie des pouvoirs en matière

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d'allocation des ressources, les réseaux restent d'utiles outils d'accaparement.

L'affaiblissement des contrôles

L'ensemble de ces changements contribue à un affaiblissement considérable du système de contrôle de la corruption dont je parlais plus haut. Les trois éléments en question -les limites matérielles, les contraintes morales et la confiance dans un avenir collectif- nejouent plus. Bien au contraire, l'ampleur des activités économiques, le rôle de plus en marqué qu'y joue l'argent (et non plus seulement les marchandises), la place de l'activité et de l'appropriation privées dans l'économie, la perte de confiance dans la mission historique du Parti et de la collectivité nationale, favorisent l'extension de la corruption(33).

Notons d'abord qu'aucun nouveau système de contrôle n'est venu remplacer l'ancien. La légalité ne s'est imposée ni comme référence morale ni comme outil de contrôle. Son influence reste marginale en raison de l'attachement encore prépondérant aux valeurs liées aux collectivités restreintes. Rien d'étonnant à ce phénomène, puisque la politique de modernisation ne destine pas l'Etat à être un "instituteur du social", c'est-à-dire une force de transformation de la société. Bien au contraire, la politique "denguiste" se caractérise par une déconcentration du pouvoir au profit des organes locaux. Dans ce cadre, il ne peut être question d'une remise en cause des références localistes et des relations clientélistes par le biais de l'affirmation du principe légal. L'évolution ne touche pas au cadre général des sources du pouvoir et notamment à la représentation de la domination politique comme domination sur un espace "naturel" (le district, le village, l'unité).

Dans le même temps, rien n'est venu remplacer chez le cadre la certitude d'avoir une mission à accomplir, certitude qui s'est assoupie tout au long des années 1960 et 1970 et qui s'est évanouie aujourd'hui. Le pouvoir semble de plus en plus réduit à un moyen de domination au nom d'intérêts limités. Plus que jamais, il est jugé comme plus légitime de privilégier un ami, un parent ou une simple relation, que de respecter la loi.

Si la modernité s'est révélée incapable de détruire les fondements du clientélisme, elle a néanmoins contribué à sa fragilisation. En raison même de l'exacerbation de la concurrence économique entre "groupes collectifs" (villages, unités), le clientélisme semble perdre sa valeur totalisante au regard de la vie sociale. De système global d'échange et de réciprocité, il tend à devenir une technique d'exploitation et d'instrumentalisation des réseaux au profit d'individus.

Plusieurs phénomènes peuvent expliquer cette évolution. Tout d'abord l'accroissement de la taille des réseaux, dont certains s'étendent parfois au delà des frontières. On est donc contraint de faire confiance à des individus de plus en plus éloignés du "centre" du réseau, c'est-à-dire du groupe familial et affini taire. Le groupe est pour ainsi dire dépassé par l'ampleur de ses activités. Ensuite, l'avidité régnante et la multiplication des opportunités d'affaires affaiblit la loyauté des "affiliés"et la fidélité des protecteurs. Le quasi-marché où patrons et clients échangent bénéfices et soutien politique est devenu si fluide, si dynamique, qu'aucune forme d'équilibre n'est possible. On peut toujours trouver un meilleur patron ou un meilleur client. Enfin, la cohérence des réseaux est érodée par la place de plus en plus grande donnée à l'échange pouvoir/argent. L'échange réciproque de services et de biens entre égaux perd de plus en plus de son aspect de 'Tait social total" pour devenir un pur échange abstrait. C'est particulièrement frappant dans le cas du pot-devin. Loin d'induire une relation personnelle entre corrupteur et corrompu, l'achat d'une autorisation dilue le clientélisme dans un pur rapport marchand. Or, les affaires de pots-de-vin, et notamment les affaires de pots-de-vin versés en argent, constituent aujourd'hui une proportion importante des affaires de corruption. De plus, l'augmentation des "tarifs" de la corruption démontre qu'elle est de plus en plus affaire de pure transaction(34). En 1991, l'instruction des affaires de corruption a permis de récupérer trois milliards deyuans(35). Dans le Guangdong, en 1991 on a instruit 155 affaires concernant des sommes comprises entre 100 000 et 1 million de yuans et 22 affaires des sommes supérieures à 1 million de yuans(36).

L'accroissement du nombre des dossiers de corruption(37) semble avoir entre autres raisons cet affaiblissement des contraintes "culturelles" qui fait du réseau de relations (guanxi wang) une simple opportunité d'affaires. En. effet, les bureaucrates indélicats ont à leur disposition les immenses ressources de leurs réseaux pour échapper à la justice. S'ils tombent, c'est soit qu'ils ont été trahis par un complice, soit qu'eux-mêmes sont considérés comme des "traîtres" et sacrifiés comme tels par leurs patrons et leurs clients. Dans le premier cas, la trahison répond à la pure rationalité de l'intérêt individuel: on se vend au plus offrant quitte à sacrifier son ancien patron ou son ancien client. Dans le second cas, le traître est défini comme celui qui en veut trop et/ou qui ne redistribue pas, autrement dit qui accumule à titre privé. Citons parmi les exemples les plus récents et les plus manifestes d'avidité excessive, celui du directeur de bureau des entreprises des cantons et bourgs de Ningbo(38), l'affaire de la maffia du faux maotai ou

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le dossier du vice-maire de Suzhou(39). L'affaire Guan Zhicheng, secrétaire du Parti d'une usine dépendant de l'aciérie Shoudu est encore plus frappant. Il a été condamné comme à regret parce qu'il dépassait les bornes. "La bouche et le ventre de Guan Zhicheng sont vraiment trop larges". "Les sommes qu'il a reçues en pots-de-vin ont atteint un niveau fou". "Sa témérité dépasse le commun"(40). Ce qui semble fragiliser le bureaucratie, c'est donc la difficulté à maintenir un "ciment social" à l'intérieur des réseaux(41).

La fragilisation des réseaux

La complexité grandissante et l'extension des phénomènes de corruption, l'importance des sommes enjeu et l'absence de limites aux opérations, peuvent être mesurées à travers l'affaire qui a éclaté au sein du bureau des céréales du district de Dafeng (Jiangsu). Grâce à une lettre de dénonciation, 48 personnes ont été sanctionnées dont le directeur, le vice-directeur du bureau et onze autres criminels. Le directeur de la société de commercialisation a détourné plus de 87 tonnes de malt, dont il a confié la vente à son beau-frère. Le produit de la vente -soit 43.000 yuans- a ensuite été reparti entre les deux protagonistes et un employé. Mais l'affaire ne s'arrête pas là, puisque l'on s'aperçoit que le directeur a demande à sa femme de cacher 7.000 yuans et de verser deux fois 5.000 yuans à deux autres membres de la famille. De plus, on retrouvera par la suite 45 récépissés représentant une somme totale de 21.000 yuans. Finalement les révélations vontse multiplier. Le directeur a reçu 21.000 yuans d'une usine utilisant du malt contre des livraisons de matières premières et un prêt de 800.000 yuans. Dans les mêmes conditions, trois autres usines ont versé respectivement 4.000, 5.000 et 6.000 yuans. Un pot-de-vin de 4.800 yuans versé par une entreprise du Henan a été redistribué au profit notamment du vice-directeur du bureau des céréales et du secrétaire de la cellule du Parti. Enfin, dernière révélation, le directeur du bureau lui-même, qui protégeait les opérations, avoue avoir reçu 4.000 yuans pour acheter une maison. L'ensemble de l'affaire portait sur 235.000 yuans, le tout étant "couvert" par toute une logistique de faux reçus et de fausses factures impliquant des sociétés "amies". Dans le même ordre d'idées, citons encore le scandale de l'aciérie Anyang dans lequel 86 personnes ont été accusées d'avoir reçu des pots-de-vin d'un transporteur individuel en échange de faux reçus de livraison(43), ou l'affaire de trafic de céréales du district de Lishu (Jilin), dans laquelle 62 personnes sont impliquées (44). Rien d'étonnant à ce que ce système complexe de corruption finisse pars'écroulerdevant le nombre sans cesse croissant de participants,

l'avidité des protagonistes, la jalousie des "spectateurs" et enfin la visibilité de plus en plus manifeste de la richesse ainsi accaparée. Le danger commence lorsque l'on dépasse le niveau où il est encore possible de ne compter que sur des personnes sûres -la famille et les relations- lorsque le nombre de personnes à "rétribuer" atteint un seuil trop important et lorsque les pots-de-vin ne sont plus versés en marchandises facilement dissimulables mais en argent ou en dépenses somptuaires. La prospérité de la bureaucratie ne doit pas être trop voyante, d'où par exemple les campagnes contre la construction de luxueuses maisons privées par les cadres(45).

Parfois aussi, c'est la défaite d'un groupe sur un autre que vient sanctionner la chute d'un cadre. L'accusation de corruption permet de se débarrasser d'un ennemi politique, d'un concurrent, de quelqu'un dont on est jaloux, ou simplement de... gagner de l'argent. Le flou des règles de droit permet de telles pratiques. Ainsi, on ne sait pas trop s'il est légal ou non pour un employé d'effectuer un deuxième travail durant ses moments de loisir. Un ingénieur et trois employés ont été accusés de corruption par l'entreprise qui utilisait leurs services et incarcérés. L'employeur de l'ingénieur avait pourtant donné son accord. L'affaire s'est terminée par un non- lieu... sept ans après les faits(46). Autre exemple: le directeur d'un magasin a signé avec la compagnie propriétaire un contratau terme duquel le premier s'engageait à verser 80.000 yuans à la seconde contre la pleine jouissance des profits. Le directeur applique le contrat, redistribue aux employés une partie des profits restants et garde 10.000 yuan» pour lui. La compagnie, sans doute mécontente du partage, accuse alors le directeur de corruption(47).

L'invention du capitalisme chinois

La fragilisation des réseaux bureaucratiques ne doit pourtant pas cacher le fait que la fonction redis tributive de la corruption reste d'actualité, et cela pour deux raisons. D'une part, à cause des contraintes techniques: redistribuer est une façon de faire taire les mécontents et d'étendre les réseaux avec un minimum de risques. D'autre part pour des raisons "éthiques" plus fondamentales, il s'agit de protéger les bases du pouvoir politique des cadres, c'est-à-dire la référence au fief. Les pota-de-vin en vue de l'obtention d'une patente, les ponctions opérées par le biais du chantage (si tu ne verses pas tant, je ferme ton entreprise) sont perçus et réutilisés pour une grande part au nom et au bénéfice d'intérêts collectifs (48). Les formes de cette redistribution varient: de la redistribution en argent ou en nature au seul profit des cadres, à la construction de routes ou d'écoles, en passant par la création de postes de

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fonctionnaires. La corruption est donc aussi le signe de la persistance de l'accumulation privée de richesses, autrement dit de la difficulté du passage à l'éthique du capitalisme "orthodoxe". La richesse est certes devenue un élément de prestige social, mais à condition qu'elle ne soit pas utilisée à titre exclusivement privé. Comme le note Isabelle Thireau à propos des zones rurales: "Le succès économique est généralement considéré comme juste, s'il est perçu comme le résultat d'un talent et d'un travail ou comme un moyen de promouvoir la prospérité collective"(49).

Dans le même ordre d'idées, il est frappant de voir que le secteur économique qui se développe avec le plus de force n'est pas le secteur privé, mais le secteur collectif, et notamment les entreprises des bourgs et cantons. Elles ont la chance de pouvoir à la fois utiliser les "méthodes" capitalistes et profiter de la protection des autorités locales. Celles-ci ferment les yeux sur les migrations de main d'oeuvre ou sur le travail des enfants, investissent dans des travaux d'infrastructure pour faciliter la commercialisation, organisent des réseaux de corruption pour obtenir tel ou tel marché. En échange, outre des récompenses sonnantes et trébuchantes pour les cadres locaux, la population locale profite de hauts salaires, d'une formation professionnelle, etc.(50). C'est sans doute dans ce secteur où l'influence de la corruption sur le changement social est la plus nette, bien que le changement en question soit, comme on le voit, assez modeste. Ailleurs, et notamment dans le secteur privé, la corruption apparait plus comme un vecteur de domination des cadres sur les entrepreneurs que le signe d'un élargissement du pouvoir politique de ces derniers(51). L'entrepreneur privé qui réussit doit, sous une forme ou sous une autre, en faire profiter la communauté. Biensouvent, il n'a pas le choix de refuser la transformation de son affaire en entreprise collective. En acceptant, il peut au moins en rester le directeur(52). En refusant, il risque la confiscation et la prison(53).

Signe évident de l'échec du projet modernisa teur, la politique officielle de lutte contre la corruption repose elle aussi sur la défense des intérêts collectifs. Depuis la "descente vers le Sud" de Deng, l'ancienne distinction entre les erreurs et les crimes, entre les malversations et pots-de-vin (tanwu huilu) d'une part, et les tendances malsaines (buzheng zhi feng)(54) d'autre part, a pris la valeur d'une référence d'Etat. D'après le rapport de 1992 du Parquet populaire suprême, il faut centrer les attaques contre les pots-de-vin qui vont dans des poches privées et ne pas trop perturber le fonctionnement normal des entreprises lors des enquêtes(55). La "vraie" corruption est celle qui empêche l'accroissement de la production. C'est ainsi que, dans un

arrondissement de Wuhan, l'accent est mis sur les enquêtes dans les entreprises qui sont "des temples en faillite avec des moines en difficulté et un supérieur enrichi" (fuie fangzhang, kuile heshang, kuale miao). Citons l'exemple d'une usine de soieries qui a perdu près de 10 millions de yuans en 5 ans, et qui présente une dette de 17 millions de yuans pour une production de 6 millions en valeur. Une enquête a démontré que les trois principaux dirigeants de l'usine étaient responsables de cette situation. Le directeur, abandonnant l'usine pour se lancer dans les affaires, avait vendu certains actifs. Demande de pots-de-vin et malversations au détriment de l'entreprise étaient monnaie courante. Suprême péché: salaires et retraites n'étaient plus versés(56).

Dans le même esprit, le parquet du Hunan a fixé les "treize sortes de limites entre ce qui est un crime et ce qui ne Yestps^"(qufenzuiyufeizuishisanzhong jiexian). Il faut notamment faire la différence entre les "commissions" versées dans le cadre des canaux normaux d'échanges et les profits illégaux nés de l'achat de produits planifiés, entre les dépenses excessives effectuées dans le cadre de la négociation de contrats et l'utilisation à fins privées d'argent public au détriment de l'entreprise, entre les entreprises qui échappent au fisc par erreur ou mauvaise gestion et celles qui pratiquent délibérément l'évasion fiscale(57). Le Guangdong ne pratique que huit distinctions, mais encore plus subtiles. Il faut notamment faire la différence "entre le fait de demander un pot-de-vin pour obtenir un bénéfice normal et offrir un pot-de-vin pour obtenir un profit anormal"(58). Des cas précis sont publiés dans la presse pour démontrer la volonté des autorités de laisser toute latitude aux cadres à condition qu'ils réussissent. Citons l'exemple de ce cadre du bureau du tourisme de Shaoguan (Guangdong) accusé de corruption mais qui a démontré son honnêteté en... permettant à son unité d'atteindre un chiffre d'affaires de cinq millions de yuans(59). L'affaire Li Fuxing est encore plus édifiante. Accusé d'avoir reçu un pot-de-vin de 13.000 yuans et 1.000US$ dans le cadre de l'adjudication d'un chantier de construction en sous-traitance à une autre société, ce cadre, manifestement dynamique, d'une entreprise de construction a été finalement blanchi, car il existait un accord de sous- traitance entre les deux sociétés, mais surtout parce que les relations entre Li et le dirigeant de la société sous-traitant étaient anciennes: la somme en question pouvait donc être considérée comme un simple cadeau personnel! (60)

Comme on le voit, même dans la pratique du pouvoir central, il ne s'agit pas de promouvoir la "modernisation" du pays, mais essentiellement de faciliter les affaires, de permettre un ancrage de la Chine dans l'économie mondiale, et cela quelle que

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soit la forme que les relations sociales devront prendre. L'éthique du capitalisme à la chinoise ne recoupe pas la définition du capitalisme "officiel": affirmation de l'individu dans le domaine social comme dans le domaine économique, démocratie, prépondérance de la notion de contrat, etc.

Corruption clientéliste et illégalismes administratifs ne traduisent pas l'érosion du pouvoir de la bureaucratie, mais au contraire sa capacité à protéger ses sources de pouvoir. On aboutit à la même conclusion à propos d'une autre forme de corruption: le népotisme. La capacité que possède encore la bureaucratie d'imposer certaines formes de transmission héréditaire du pouvoir manifeste son adaptabilité au changement. Le comportement des membres du "parti des princes", passant allègrement de la politique aux affaires, et vice- versa, et de l'Armée qui joue aujourd'hui un rôle dans le domaine économique, démontre que c'est le chevauchement entre les registres de la modernité économique et celui de la néo-tradition qui est déterminant dans le contexte actuel(61). Parmaints côtés, l'invention du capitalisme chinois semble prendre la forme d'une adaptation de l'économie morale aux nécessités de l'accumulation des richesses.

Conclusion

La corruption apparaît comme le signe de l'échec des deux projets modernisateurs que la Chine socialiste a connus depuis 1949. Durant la période maoïste, l'utilisation de la corruption dans les tactiques de contournement des options centralisatrices du pouvoir a démontré le maintien de fortes solidarités locales. Dans la période réformiste, la corruption apparaît à la fois comme un moyen de s'adapter à la modernité et à la montée en puissance de nouvelles couches sociales représentant cette modernité.

Il est indéniable qu'il existe aujourd'hui en Chine deux sources d'accès aux richesses, celle directe de la bureaucratie par l'intermédiaire de la corruption et celle indirecte de l'activité économique. Il reste néanmoins que la possibilité d'accumuler reste entièrement dans les mains de la bureaucratie locale, puisque les notions de réciprocité et de distribution restent déterminantes dans la façon dont les cadres et la population perçoivent la morale économique. La corruption n'apparaît pas comme un moyen pour les élites économiques d'acquérir un poids politique, mais au contraire comme un système de renforcement de la domination de la bureaucratie locale sur ces élites et sur les sources d'accumulation. L'échec des politiques de lutte contre la corruption montre la capacité des réseaux locaux à résister aux pressions nationales.

Cette façon d'analyser la corruption implique une nécessaire distinction entre les différentes formes du phénomène. L'opposition entre une corruption régulée et une corruption non régulée apparaît par exemple comme apte à rendre compte d'évolutions fines de la société chinoise. Le clientélisme et l'échange réciproque qui constituent les fondements du piston (houmen), 'de la petite corruption et du protectionnisme local (faux rapports, détournement de finances et de biens), ne peuvent se comprendre qu'en termes de "faits sociaux totaux" touchant aussibien à la volonté de posséder qu'à des références culturelles. Cette corruption systémique possède son propre appareil de régulation, qui en limite les conséquences les plus néfastes. A l'inverse, l'importance de l'argent dans les affaires de corruption, l'extension des réseaux, l'avidité sans bornes, marquent aujourd'hui un changement important dans l'économie du phénomène. Les réseaux clientélistes sont notamment court-circuités par le recours à l'échange abstrait entre pouvoir et argent.

Le volet "structurant" de la corruption que constituaient le clientélisme et l'échange réciproque n'est pas remplacé par une autre forme de régulation. L'excès, le pur accaparement, l'ostentation prennent le pas sur toute autre considération. A tel point qu'il est de plus en plus difficile de distinguer entre la corruption systémique et cette corruption anomique, entre la valorisation des réseaux personnels et la manipulation des réseaux, entre le recours à un ami et la magouille sans foi ni loi.

L'heure est donc moins à l'apparition d'une nouvelle élite, avec ses normes, ses références morales, qu'à la "modernisation" de l'ancienne. C'est la "reproduction socialiste" qui est ici en jeu(62). Mais il reste que la fragilisation des réseaux du pouvoir ne garantit pas la stabilité à long terme de cette reproduction.

Notes: 1) Sur l'analyse de la corruption, l'ouvrage fondamental est J.Heidenheimer, M. Johnston, V. Levine (eds), Political Corruption: A Handbook, New Brunswick, Transaction book, 1989. 2) Marc Abeles, Anthroplogie de l'Etat, Paris, Armand Colin, 1990,p.ll7. 3) Sur ce thème, et bien qu'elle refuse d'appliquer à la Chine la notion de totalitarisme, voir Hannah Arendt, Le système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972. 4) Andrew G. Walder, Communist Neo-Traditionalism. Work and Authority in Chinese Industry, Berkeley, University of California Press, 1986. 5) Barett L. McCormick, Political Reform in Post-Mao China. Democracy and Bureaucracy in a Leninist State, Berkeley, University of California Press, 1990. 6) Cest-à-dire sur une relation politique dissymétrique entre un patron et un client, le premier assurant protection et avantages au second et le second son soutien au premier. Sur

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le clientélisme oupatronage, voir S.N. Eiaenstadt, I. Roniger, Patrons, Clients andFriends. Interpersonal Relations andthe Structure of Trust in Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1984. 7) Voir Walder, op. cit. 8) Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, PUF, 1991, pp. 145-279. 9) Jingbao, 1989 n°l, pp. 36-38. 10) Jiang Zilong, "Lejournal d'un secrétaire d'usine", dans Les meilleures oeuvres chinoises 1949-1989, Pékin, Editions de la littérature chinoise, 1989, pp. 115-135, p.126. 11) Voir par exemple P. Shifton, Bitter Money. Cultural Economy and Some African Meanings of Forbidden Commodities, Washington DC, American Ethnological Society, Monograph Series number 1, 1989. 12) Heidenheimer, M. Johnston, V. Levine (eds), op.cit., p.6. 13) James Scott, Comparative Political Corruption, Englewoods-Cliff, Prentice Hall, 1972, p.4. 14) McCormick, op.cit., p. 22. 15) Vivienne Shue, The Reach of the State, Sketches of the Chinese Body politics, Stanford, Stanford University Press, 1988. 16) Shue, op. cit., p. 56. 17) Shue, op. cit., p. 108 18) Liu Yia-Ling, "Reform from Below: The Private Economy and Local Politics in the Rural Industrialization of Wenzhou", The China Quarterly, n°130 (June 1992), pp. 293-316. 19) James C. Scott, The Moral Economy of the Peasant. Rebellion and subsistence in Southeast Asia, New Haven and London, Yale University Press, 1976, p. 176. 20)J6td.,p. 182. 21) Ibid., p. 188. 22) Voir Jean-Louis Rocca, L'Empire et son Milieu, La criminalité en Chine populaire, Paris, Plon, 1991. 23) Jiang Zilong, op. cit., p. 135. 24) Voir dans Shue et Me Cormick, op. cit. des analyses assez proches. 25) Shue, op.cit., p.137. 26) Parmi les meilleures contributions, voir Peter Nan-shong Lee, "Bureaucratic Corruption during the Deng Xiaoping Era", Corruption and Reform, 1990 n°5, pp. 29-47, Clemens Stubbe Ostergaard et Christina Petersen, "Official profiteering and the Tiananmen Square demonstrations in China", Corruption and Reform, 1991 n°6, pp.87-107, et Thomas Heberer, Korruption in China: Analyse eines politischen, ôkonomischenundsozialen Problems, Opladen,Westdeutscher Verlag, 1991. 27) Voir Jean-Louis Rocca, "L'Etat entre chiens et loups. Résistance anti-taxes et racket fiscal en Chine populaire", à paraître dans Etudes chinoises. 28) Ibid. 29) II est habituel pour un cadre de se faire rembourser n'importe quelle dépense, y compris celles liées à la fréquentation des prostituées: "les prostituées, c'est comme les banquets et les beuveries: onpeut se les faire rembourser". Voir "Shenzhen: hunshui mo haoyu (On pêche de bons poissons en eaux troubles), Jiushiniandai, 1992 n°10, pp. 51-55. 30) Sur ce thème, voir Antoine Kernen, L'invention de la modernité en Chine, mémoire de licence de Sciences politiques, Université de Lausanne, 1992. 31) Voir T. Gold, "Guerilla interviewing among the getihu", dans P. Link, R. Madsen et P. Pickowicz ed, Unofficial China. Popular Culture and Thought in the People's Republic of China, Boulder, San Francisco and London, Westview, 1989, pp.175-192; Rocca, Etudes chinoises, op. cit., Kernen, op. cit. 32) Jingbao, 1989 n°l, pp. 36-38.

33) Voir Jean-Louis Rocca, "Corruption and its Shadow: An Anthropological View of Corruption", The China Quarterly, n°130 (June 1992), pp. 402-416. 34) Fazhi ribao (ci-après FZRB), 10 avril 1992, p. 1. 35) FZRB, 10 avril 1992, p. 1. 36) FZRB, 19 Janvier 1992, p. 1. 37) En 16 mois, 70.000 membres du Parti ont été impliqués dans des dossiers de crimes économiques, soit autant que durant les mouvements Sanfan et Wufan. Entre 1989 et 1991, on a instruit 154.000 affaires de corruption soit la moitié du nombre total de dossiers instruits entre 1982 et 1991. Dorénavant 450parquets de districts, 150parquets municipaux et 24 parquets provinciaux possèdent des organes anticorruption. Au sein du Parquet populaire suprême, un département (Ting) est spécialement chargé de cette tâche (FZRB, 10 avril 1992, p.l). 38) Minzhu yu fazhi (ci-après MZYFZ), 1990 n°2, n°127, pp.22-24. 39) MZYFZ, 1990 n°2, n°127, pp. 25-27. 40) FZRB, 6 septembre 1991, p. 1. 41) Voir une analyse proche dans Shue, op. cit. 42) FZRB, 29 avril 1992, p.3. 43) FZRB, 20 août 1992, p. 2. 44) FZRB, 24 juillet 1992, p.2. 45) Dans une province pourtant connue pour sa relative pauvreté, le Guizhou, 2.202 maisons privées et 220.000m2 ont été confisqués (Survey of World Broadcast, Far East (ci-après SWB/FE) /1274, B2/7, 10 janvier 1992). 46) FZRB, 16 juin 1992, p.l. 47) FZRB, 23 juillet 1992, p.3. 48) Voir Rocca, Etudes Chinoises, op. cit. 49) Isabelle Thireau, "From Equality to Equity: An Exploration of Changing Norms of Distribution in Rural China", China Information, vol. V, n° 4 (Spring 1991), pp. 42-57. 50) C'est notamment le cas au Liaoning dans le secteur des mines de magnésium, voir "Xiaoyu chi dayu: suoyouzhibianhua de qushi" (Les petits poissons mangent les gros: l'évolution du secteur de la propriété publique), Jiushiniandai,1992 n°ll, pp. 36-39. 51) Voir Rocca, Etudes Chinoises, op. cit.. 52) Ole Odgaard, "Entrepreneurs and elite formation in rural China", The Australian Journal of Chinese Affairs, n°28, July 1992, pp.89-108. 53) Comme dans l'affaire relatée par MZYFZ, 1992 n°10, pp.2-5.

. (54) Voir par exemple les propos de Liu Fuzhi dans FZRB, 31 janvier 1992, p.l. (55) SWB/FE/ 1353, C2/1-5, 11 avril 1992. (56) FZRB, 30 janvier 1992, p. 1. (57)FZflfî,25juinl992,p.l. (58) FZRB, 28 juin 1992, p.l. (59) FZRB, 29 mai 1992, p.l. (60) FZRB, 19 juillet 1992, p.l. (61) Sur ce thème, voir l'article de Michel Bonnin, "Le Parti des Princes ou la reproduction socialiste", Perspectives Chinoises n°4 (juin 1992), pp. 6-17, et n°7 (septembre 1992), pp. 6-12. Sur l'année, voir Xu Juncheng, "Restructuration des régions militaires et développement des économies locales", Perspectives Chinoises, n° 5/6, juillet/août 1992, pp. 6-8. 62) Voir Bonnin, op. cit.

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