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EHESS Gauche et droite dans les campagnes provençales sous la IIIe République Author(s): Claude Mesliand Source: Études rurales, No. 63/64, Pouvoir et patrimoine au village. Première partie (Jul. - Dec., 1976), pp. 207-234 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20120716 . Accessed: 25/06/2014 09:33 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études rurales. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.162 on Wed, 25 Jun 2014 09:33:11 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Pouvoir et patrimoine au village. Première partie || Gauche et droite dans les campagnes provençales sous la IIIe République

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EHESS

Gauche et droite dans les campagnes provençales sous la IIIe RépubliqueAuthor(s): Claude MesliandSource: Études rurales, No. 63/64, Pouvoir et patrimoine au village. Première partie (Jul. -Dec., 1976), pp. 207-234Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20120716 .

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CLAUDE MESLIAND

Gauche et droite

dans les campagnes proven?ales

sous la IIIe R?publique

L'?tude du pouvoir au village doit s'inscrire dans une analyse plus vaste, en ce sens que le village

est une structure ?conomique

et sociale

qui ne vit pas repli?e sur elle-m?me. Il est repr?sentatif d'un secteur d'acti

vit? ?conomique et de vie sociale, et dot? de ce fait d'une r?elle sp?cificit? ; mais on ne peut l'isoler de la soci?t? globale, qu'il contribue d'ailleurs ?

fa?onner, de m?me que celle-ci affecte son ?volution. Par cons?quent le

pouvoir au village, dans ses r?f?rences id?ologiques et politiques comme

dans son champ d'action, ne

peut ?tre envisag? que dans le cadre national.

Mais qu'est-ce que le village, dans le contexte de la soci?t? fran?aise de la IIIe R?publique ? On voit bien qu'il d?finit un territoire et un grou

pement humain indissociables du travail de la terre et d'activit?s compl? mentaires, artisanales et commerciales. A ce niveau d'approche de la

r?alit? villageoise, il est concevable d'utiliser l'expression communaut?

villageoise, ?voquant entre les habitants du village une solidarit? objective, celle qu'implique

une m?me activit?. Peut-?tre, par ailleurs, la commu

naut? villageoise recouvre-t-elle aussi une coh?rence d'int?r?ts, une conver

gence d'opinions et de sentiments, mais cela ne ressort que de situations

particuli?res et ne peut donc ?tre retenu au b?n?fice d'une d?finition g?n? rale. Aussi bien le village me semble devoir ?tre consid?r? simplement comme la cellule sociale qui, pour son administration et sa repr?sentation au sein d'ensembles plus

vastes ?

le d?partement et la nation ?, exige la

mise en uvre d'un pouvoir local. Ce faisant, je fixe une claire limite au

pouvoir au village, en m?me temps queje pr?vois de l'articuler avec d'autres

niveaux d'autorit? et de responsabilit?. Un pouvoir local : c'est celui que les textes constitutionnels d?finissent

pour les conseils municipaux et les maires. Mon propos n'est pas d'en

discuter l'?tendue, mais d'en rechercher la r?alit?. Dans cette vis?e, la d?marche la plus s?re me para?t ?tre la fr?quentation des archives muni

Etudes rurales, 1976, 63-64, juil.-d?c, pp. 207-234.

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208 C. MESLIAND

cipales1 : on prend une juste mesure du pouvoir municipal ? lire les registres de d?lib?ration des conseils municipaux, la correspondance administrative

des maires, ? ?plucher les budgets communaux. Il appara?t alors qu'il est

plut?t mince, limit? aussi bien par l'?troitesse des ressources des communes

rurales que par la tutelle pr?fectorale. Les municipalit?s de ce fait ne peu vent ?tre ? l'origine de grandes initiatives et leur pouvoir se r?duit ? une

gestion o? la prudence est une vertu de n?cessit? autant qu'une tradition du

milieu paysan. On appr?ciera d'ailleurs leur savoir-faire ? leur capacit?

d'entreprendre, serait-ce modestement, dans le respect de l'?quilibre du

budget, qui est en premier lieu le respect des contribuables. L'administra

tion communale dans ces conditions offre moins d'occasions de faire uvre

cr?atrice qu'elle n'oblige ? une gestion menue et routini?re, d'o? les em

b?ches ne sont pas exclues car il faut ?viter les reproches contradictoires

d'immobilisme et de gaspillage, et veiller ? tenir la balance ?gale entre les

int?r?ts de tous dans l'usage des deniers publics. Il n'y a rien d'exaltant

dans cette obscure mission, rien en tout cas qui puisse justifier des rivalit?s et des comp?titions capables dans certains cas de mobiliser plus de 90 % des ?lecteurs du village !

Car, c'est un fait, les scrutins municipaux font recette et donnent

lieu fr?quemment ? de belles empoignades qui r?v?lent des antagonismes vifs autant que durables dans une population au demeurant paisible. M?me

s'il convient de ne pas n?gliger le caract?re honorifique de la fonction

municipale, qui peut expliquer certains empressements ? la briguer, ce ne

sont pas des satisfactions d'amour-propre qui peuvent rendre compte des

comp?titions ?lectorales municipales. On ne peut les comprendre si on

ne les relie pas aux grandes questions de la vie politique nationale ; celles-ci

retentissent sur la petite sc?ne villageoise et proposent des plans de clivage que l'on retrouve aux ?lections municipales. Le pouvoir au village doit

?tre confront?, pour le rapport de forces qu'il traduit, ? l'expression des

grands courants

politiques nationaux. Ce qui ne veut nullement dire

que la majorit? municipale soit toujours identique ? celle qui se d?gage des

scrutins nationaux.

Il appara?t d'ailleurs que dans le champ d'action du pouvoir muni

cipal les questions qui divisent le plus, qui d?limitent des fronti?res entre

camps oppos?s sont celles que la conjoncture politique nationale charge d'un contenu politique. Il en est ainsi pour les attributions municipales en

mati?re scolaire et religieuse. Jusqu'? ce que soit achev? le processus de

la?cisation des ?coles publiques, les conseils municipaux peuvent demander

la substitution d'instituteurs la?ques aux congr?ganistes dans les ?coles

communales. Le mouvement en ce sens commence d?s 1872-73 en Vau

1. Les Archives communales sont contr?l?es par le service des Archives d?partementales, qui n'a pas toujours la possibilit? et moins encore les moyens de les classer et d'assurer les conditions d'une bonne conservation. C'est pourquoi leur consultation est souvent difficile et plus encore d?ce

vante, en raison du d?sordre qu'on y rencontre, des disparitions qu'on y constate. Mais d?sordre et n?gligence sont dans la perspective de cette ?tude significatifs d'un pouvoir qui s'exerce au jour le jour, sans beaucoup de moyens ? sa disposition, sans grand souci de cr?er les conditions de son

propre souvenir... Cela donne l'id?e d'un bien modeste pouvoir !

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 209

cluse, il s'amplifie apr?s 1877 et ? la suite du vote de la loi de 1886, qui faisait obligation ? l'Etat de remplacer tous les instituteurs publics congr?

ganistes par des la?ques dans un d?lai de cinq ans et les institutrices ? mesure

cjue leurs postes deviendraient vacants, il tend ? acc?l?rer le processus de la?cisation. Il existe souvent de bonnes raisons p?dagogiques ? l'appui de ces d?marches, mais l'objectif politique est encore plus important et toute

demande de la?cisation a valeur de profession de foi r?publicaine. Lorsque, en 1878, le Conseil municipal de M?nerbes n'est pas suivi dans sa demande

par le Conseil d?partemental de l'instruction publique, il n'h?site pas ? d?

missionner et sa r??lection lui permet d'obtenir gain de cause2. Et quand ils sont en position minoritaire dans leur commune, les r?publicains consi

d?rent que la la?cisation est un moyen de gagner de nouveaux partisans. On le voit lorsque, appuyant la demande de la?cisation de l'?cole de filles

pr?sent?e par le Comit? r?publicain de Viol?s, le d?put? radical de l'arron

dissement d'Orange ?crit, en novembre 1892 : ce Parmi les moyens propres ? faciliter les efforts des r?publicains, les la?cisations sont ceux qui ont donn?

les meilleurs r?sultats dans mon arrondissement. Jonqui?res et Camaret

n'ont eu des adh?sions nouvelles ? la R?publique qu'? la suite de la la?ci

sation de leurs ?coles de gar?ons. ?3

Les probl?mes sont de m?me nature, s'agissant de la comp?tence muni

cipale en mati?re religieuse. Jusqu'? la Loi de s?paration, il ne peut ?tre

question de simple administration quand le Conseil municipal d?lib?re sur le traitement d'un vicaire ou sur une indemnit? de binage, ou encore

quand le maire prend, en vertu de ses pouvoirs de police, un arr?t? d'inter diction des processions sur la voie publique. Le plus souvent d'ailleurs, l'attitude municipale ? l'?gard du clerg? et de la religion accompagne celle

adopt?e sur les questions scolaires.

On voit clairement, concr?tement, avec ces deux domaines de res

ponsabilit? et d'action, comment le pouvoir municipal devient un enjeu politique. Alors m?me qu'ils

ne repr?sentent qu'une petite partie de la

comp?tence municipale et que l'initiative des ?lus locaux n'est pas bien

grande ? le Conseil municipal, par exemple, ne peut pas d?cider du rem

placement d'instituteurs congr?ganistes par des la?ques ?, c'est par rapport ? eux que les ?lecteurs feront leur choix. L'?lection municipale est d?s lors

politis?e, et m?me dans les villages o? il n'y a ni querelle scolaire ni passions religieuses,

ces questions

seront au c ur de la comp?tition. Par ailleurs,

apr?s qu'elles auront cess? de se poser

en termes conflictuels, les questions

scolaire et religieuse continueront de proposer une ligne de d?marcation

bien nette dans beaucoup de villages4. Et il convient bien s?r de v?rifier si le

corps ?lectoral la tient toujours pour importante.

2. Archives d?partementales du Vaucluse, s?rie T 30. Le cur? de M?nerbes, qui a tout fait pour ?viter la la?cisation, ?tait tr?s conscient de l'enjeu puisque dans une lettre au vicaire g?n?ral de

l'archev?ch? il ?crit : ? Je m'abstiens de faire ressortir ici les avantages immenses que l'?glise, le culte, la religion trouvent dans la coop?ration de ces bons religieux [...] Cette affaire est pour

nous capitale. ?

3. A.D. V., T. 4. Dans le bulletin paroissial L'?cho d*Althon-les-Faluds, num?ro de f?vrier 1936, le cur? du

14.

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210 C. MESLIAND

Quoi qu'il en soit, on n'?chappe pas ? la n?cessit? d'analyser en termes

politiques le pouvoir au village, pour son expression municipale. La po

litique vient du dehors ; plus pr?cis?ment, le village acquiert son identit?

politique par l'assimilation qu'il r?alise des grandes options id?ologiques et politiques nationales. Il faut, pour bien l'appr?cier, suivre en parall?le les consultations ?lectorales de port?e nationale et les ?lections municipales.

Les premi?res fournissent les grands th?mes, proposent des principes ; les

secondes font surgir de la masse des hommes qui animent ces principes, contribuant ? les rendre sensibles. Il peut y avoir des situations o?, le temps

passant, le m?me vocabulaire recouvre deux visions politiques bien diff?

rentes, selon qu'on se

place au

plan national ou sur la sc?ne villageoise. Ou

bien encore, une discordance peut appara?tre, sous l'effet de circonstances

nouvelles, entre le pouvoir municipal et l'expression majoritaire des grandes

oppositions nationales. C'est ? suivre cette ?volution du pouvoir municipal et ses diverses versions possibles dans plusieurs villages vauclusiens que je vais m'employer.

Le pouvoir municipal, enjeu politique

Pressentant plusieurs lignes d'?volution possibles du pouvoir communal,

pour lui-m?me et dans sa relation avec la repr?sentation dans le village des id?es politiques nationales, je ne peux me limiter ? une simple ?tude

monographique. Eu ?gard ? la masse des informations ? utiliser, je ne

peux pas non plus travailler sur un ensemble tr?s important de villages. Je me suis donc arr?t? ? quatre communes, choisies pour leurs similitudes

aussi bien que pour leurs diff?rences.

Althen-les-Paluds, Entrechaux, Lauris et Roaix : ce sont des villages o? la petite propri?t? pr?domine, o? la terre est cultiv?e essentiellement

par des propri?taires exploitants dans le cadre de ce qu'il est convenu

d'appeler l'exploitation familiale. Si des personnalit?s, si des leaders sur

gissent de ce milieu, ce n'est ni en raison de leur naissance, ni du fait de

la notori?t? qui peut accompagner la richesse amass?e de g?n?ration en

g?n?ration. La vie politique ici s'inscrit sur une relative ?galit? des condi

tions sociales et les antagonismes ne reposent pas sur une base sociale ?vi

dente. Mais si les rapports de production sont tr?s voisins, les forces pro

village note dans le compte rendu des f?tes de No?l 1935 : ? Quoique l'assistance ait ?t? assez

nombreuse, nous sommes oblig?s de constater qu'une tr?s grande partie de la population d'Althen

reste de parti pris indiff?rente ? nos f?tes religieuses. Ici plus qu'ailleurs peut-?tre, sont rares les

personnes ? pratique religieuse intermittente, ce qui fait qu'au fond comme affluence il n'y a pas tant de diff?rence que cela entre les dimanches ordinaires et les jours de f?te. Notre pays d'Althen, comme souvent on en fait la remarque dans les conversations, para?t donc bien divis? en deux camps bien tranch?s. ?

On peut retrouver les origines de ce clivage : en 1879, le Conseil municipal d'Althen avait coup sur coup supprim? l'indemnit? de binage au cur?, ? le nombre des fid?les diminuant chaque jour ?, et demand? la la?cisation de l'?cole des filles (Archives communales, Registre de d?lib?rations du

Conseil municipal).

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe REPUBLIQUE 211

ductives et la valorisation qui en est faite ne se situent pas ? des niveaux

identiques. Lauris, c'est le pays de l'asperge primeur, vendue jusqu'? Londres. Althen, c'est le pays de la culture mara?ch?re de plein champ, et

c'est aussi une terre d'innovation, de recherche permanente de nouvelles

productions. On peut parler dans les deux cas de r?ussite ?conomique, d'aisance largement r?pandue, quitte ? souligner la vuln?rabilit? de cette

r?ussite, les inqui?tudes et les tensions qu'elle engendre. Tout autre est le

profil ?conomique qu'on peut dessiner pour Entrechaux et Roaix, villages des marges proven?ales o? la nature est moins g?n?reuse, le progr?s plus lent ? p?n?trer et les revenus, ? condition sociale comparable ? celle que l'on peut voir ? Lauris et Althen, plus modestes.

Dans un premier temps, je proc?de au recensement de toutes les ?lec tions municipales

et l?gislatives dans ces quatre communes5, afin de confron

ter ces deux modes de l'expression politique de leur population. Le classe ment des grands courants d'opinion dans la longue dur?e fait probl?me, car de 1871 ? 1936 les r?f?rences politiques des candidats ne sont pas immua

bles, et une m?me ?tiquette peut sur une longue p?riode recouvrir des contenus politiques diff?rents. Ce sont les scrutins municipaux qui per

mettent d'?tablir une ligne fondamentale de partage : ils ne connaissent

que des affrontements bipartisans, o? l'on retrouve le fait politique struc

turel bien connu de l'opposition gauche-droite. Sans doute les conditions m?mes de la vie politique villageoise incitent-elles ? une certaine simpli fication, mais celle-ci n'est pas de pure commodit? et ce sont bien deux

temp?raments politiques, deux visions de la soci?t? et de son devenir qui s'affrontent. Aussi je retiens pour les ?lections l?gislatives l'opposition gauche-droite, ce qui me conduit ? effectuer des regroupements et ? ?tablir des filiations d'un courant politique ? un autre. L'entreprise n'est pas difficile pour la droite, qui n'est certes pas sans nuances, qui a ?volu? du

monarchisme des ann?es 1870 aux rassemblements type Union nationale de l'apr?s-guerre, mais qui pr?sente cependant ? la fois une indiscutable continuit? et une faible dispersion en partis distincts. Les choses sont plus d?licates pour la gauche, rapidement structur?e en

partis concurrents

avant d'?tre solidaires contre un adversaire commun. Aussi convient-il

de distinguer ses composantes, et de bien voir que l'apparition de partis nouveaux dans son sein provoque des glissements d'opinion qui peuvent pour deux p?riodes diff?rentes donner des contenus ?galement diff?rents ? une formation politique apparemment inchang?e.

Ces probl?mes exigent justement que l'on d?termine une p?riodisation de la vie politique, si l'on veut donner ? l'analyse du pouvoir communal son

5. On trouve dans la s?rie 3 M des Archives d?partementales les r?sultats des ?lections l?gislatives et municipales, ces derni?res ?tant parfois d'une interpr?tation d?licate, car les listes en pr?sence ne se r?f?rent pas toujours explicitement ? un courant poli tique. Si le nombre des ?lections l?gis latives est le m?me, ? l'exception de Lauris car il y a eu une ?lection partielle dans l'arrondissement

d'Apt en 1912, il n'en est pas de m?me pour les ?lections municipales, du fait d'?lections de caract?re

exceptionnel et n?anmoins assez fr?quentes ? la suite de scrutins annul?s ou encore de d?missions collectives. Ces ?lections impr?vues sont d'ailleurs un indice d'?pret? et de passion dans la vie

politique locale.

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212 C. MESLIAND

plein sens historique. On peut proposer de 1871 ? 1939 trois grandes p? riodes, homog?nes dans la vis?e pr?c?demment d?finie. De 1871 ? 1893, c'est le combat pour la R?publique qui s'impose ? l'opinion : la droite est

monarchiste, la gauche est r?publicaine. De 1893 ? 1914, le Ralliement

infl?chit la droite vers l'acceptation plus ou moins nette du r?gime r?pu blicain, mais le foss? reste profond

? en Vaucluse tout au moins ? entre

elle et la gauche que domine le radicalisme. Il faut noter l'apparition du

socialisme en 1906 : il ouvre ? la gauche une perspective nouvelle, o? ne se

reconna?t pas toute la client?le radicale. Mais c'est surtout l'apr?s-guerre

qui donne ? la gauche une structure interne complexe, conflictuelle et

solidaire tout ? la fois, avec l'apparition du Parti communiste qui ne peut se

constituer une base ?lectorale qu'aux d?pens des autres partis de gauche et

qui pr?cise et actualise la perspective r?volutionnaire ouverte par le Parti

socialiste d?s le d?but du si?cle. C'est dans ces cadres chronologiques que je vais suivre et

analyser le pouvoir communal.

Mais avant d'en venir l?, je voudrais observer une diff?rence entre les

?lections l?gislatives et municipales. Les ?lections l?gislatives donnent tou

jours lieu ? comp?tition6, mais il n'en est pas de m?me lors des scrutins

municipaux. Pour 18 renouvellements du Conseil municipal ? Althen-les

Paluds, 9 ont donn? lieu ? comp?tition ; ? Entrechaux les chiffres sont res

pectivement 16 et 11, ? Lauris 22 et 8 et ? Roaix 17 et 10. On aurait tort de

conclure, concernant les scrutins non disput?s, ? la passivit?, ? l'indiff?rence

des ?lecteurs et par voie de cons?quence ? leur d?sint?r?t pour le pouvoir

municipal. Un tel comportement est tout ? fait exceptionnel, je ne l'ai

rencontr? qu'une seule fois, ? Lauris, ? la suite des ?lections de 1919. L'?pi sode vaut d'?tre cont?, car il souligne ? sa mani?re la politisation de la

population rurale proven?ale. Les ?lections de 1919 avaient vu ? Lauris le

succ?s facile d'une liste qui n'indiquait pas clairement sa tendance politique, mais que dominaient les radicaux-socialistes, assurant la continuit? avec le

Conseil ?lu en 1912. Succ?s facile, puisqu'il avait ?t? acquis sans opposi tion, les r?ticences s'exprimant toutefois par un taux ?lev? d'abstentions et

un nombre important de bulletins blancs ou nuls. Mais l'?quipe municipale fut bient?t r?duite ? l'impuissance, ? la suite du d?part inopin? de l'adjoint et de l'impossibilit? de le remplacer : ce Les conseillers, les uns apr?s les

autres, d?clarent qu'ils sont pr?ts ? remplir leurs fonctions de conseiller

(...) mais d?clarent que par leurs occupations personnelles, dans un pays essentiellement agricole o? le d?faut et la chert? de la main-d' uvre les

obligent ? un travail assidu, ils se voient dans la p?nible n?cessit? de d?cli

ner les fonctions d'adjoint. ?7 Et cette d?robade, qui laisse percer une

sourde irritation contre leurs conditions de travail de la part de ces paysans

qui s'activent ? effacer les traces que la guerre a laiss?es sur leurs exploita

6. Une seule exception ? cette r?gle : en 1881, le parti monarchiste d?courag? abandonne la

partie dans l'arrondissement d'Apt et se cantonne dans une figuration pour l'honneur et sans espoir dans celui d'Orange. Ce fut aussi le cas de l'?lection partielle de 1878 dans l'arrondissement de Car

pentras, suite ? l'annulation du scrutin de 1877.

7. A.D.V., 3 M 363.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 213

tions, s'ach?ve par une d?mission collective du Conseil. On retourna donc aux urnes en 1920, mais le premier tour fut blanc, puisque aucun candidat ne s'y pr?senta. Entre les deux tours, une ce Liste d'union de d?fense des int?r?ts laurisiens ? vit p?niblement le jour, compos?e de gens peu connus, sans pass? politique, et elle fut ?lue par 25 % des ?lecteurs. Sous son admi

nistration n?gligente et lointaine, le d?sint?r?t pour la chose publique

grandit et l'ann?e 1923 vit une nouvelle d?mission. Cette fois l'exp?rience ?tait faite : une liste se d?finissant sans ?quivoque au plan politique comme

radicale-socialiste se constitua, renouant la tradition des notables de gauche

qu'un acc?s d'humeur avait malencontreusement interrompue en 1920, et

elle fut ?lue sans concurrence par 58 % des ?lecteurs, sur un programme ambitieux8 qui t?moignait du retard pris dans les trois ann?es pr?c?dentes.

Cet exemple unique montre que le d?sint?r?t pour la chose publique n'est pas dans le temp?rament politique proven?al. Il faut chercher ailleurs

les raisons pour lesquelles un nombre important d'?lections municipales ne sont pas disput?es. L'absence de comp?tition intervient soit apr?s qu'un des deux camps en pr?sence ait subi une s?v?re d?faite, soit apr?s une s?rie

de scrutins ? comp?tition serr?e, mais tous au b?n?fice du m?me camp9. Dans les deux cas, un

ph?nom?ne de d?couragement se

produit, d'autant

plus facile ? comprendre que dans un village o? tout le monde se conna?t, la

d?faite peut ?tre source de commentaires ironiques malmenant l'amour

propre des battus. Il faut donc ? la fois de solides convictions politiques et

une chance raisonnable ? ou estim?e telle...

? de succ?s pour ?tre candidat

au pouvoir municipal ! Mais ce sont, on le verra, les convictions politiques

qui constituent le facteur d?terminant. On peut observer toutefois que la

droite est plus prompte que la gauche ? abandonner la partie, et l'explica tion en est sans doute sociologique. M?me dans une

population socialement

peu diff?renci?e, ce qui est le cas dans les villages ?tudi?s, les hommes de

droite, surtout les leaders, se recrutent en priorit? parmi les couches sociales

les plus riches, qui sont aussi les plus conformistes et de ce fait moins ?

l'aise dans l'affrontement politique que leurs adversaires de gauche, d'ori

gine plus populaire et moins sensibles au retentissement social d'une d?faite

?lectorale. Ce sont des diff?rences de comportement non n?gligeables, mais

aussi secondaires.

La bataille pour la R?publique

Voyons de plus pr?s la bataille pour le pouvoir municipal de 1871 ?

1893. Elle est d'une grande simplicit?, mais aussi d'une grande ?pret?.

8. Le programme de la liste est le suivant : ? Am?lioration de la distribution de l'eau potable... ; am?lioration de l'?clairage ?lectrique ; construction d'un groupe scolaire ou am?nagement des locaux actuels ; entretien des chemins, etc. ? Il est toutefois ajout?, apr?s l'indication que ? nous

solliciterons de l'?tat et du D?partement des subventions ?lev?es ? : ? Dans la r?alisation de ces

divers projets, nous consid?rerons comme notre principal devoir de tenir le plus grand compte des facult?s contributives des habitants. ?

9. Rendant compte d'?lections municipales ? Beaumes-de-Venise en octobre 1885, le sous

pr?fet d'Orange ?crit : ? Le parti r?publicain, d?courag? par des ?checs successifs et manquant de chefs influents et actifs, n'a point entam? la lutte ? (A.D. V., 3 M).

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214 C. MESLIAND

L'enjeu politique du pouvoir municipal, c'est la ce R?publique au village ? et

on se regroupe pour ou contre elle d'une mani?re tr?s proche de ce qui se fait

dans les scrutins ? port?e nationale. Les ?lections municipales de 1892 mettent en place des municipalit?s r?publicaines dans nos quatre villages, et

si Lauris vote ? droite cela n'a rien ? voir avec les luttes politiques de la

p?riode qui s'ach?ve. C'est un cas particulier qui anticipe sur les ann?es ?

venir, et nous pouvons dire que la droite monarchiste dispara?t de la sc?ne

politique10. Ce r?sultat n'a jamais ?t? discut? ? Lauris, il a ?t? obtenu rapi dement ? Althen, il est acquis au terme de rudes empoignades ? Entrechaux

et Roaix.

On peut appliquer ? Lauris l'analyse que fait en juillet 1872 le sous

pr?fet d'Apt sur le parti l?gitimiste dans son arrondissement. Il ne compte, dit-il, ce que des repr?sentants isol?s et peu nombreux, hommes d'Ordre avant

tout, qui ne songent nullement ? exciter les passions populaires en faveur

de leurs opinions politiques, ni m?me ? manifester ces derni?res d'une

mani?re publique. ? Dans l'arrondissement d'ailleurs, les traditions l?gitimistes n'ont ?

aucun degr? chez le peuple les m?mes racines que l'on remarque dans

d'autres parties du d?partement. En un mot, il n'y existe pas de parti blanc ?n.

C'est un fait que la droite monarchiste est discr?te ? Lauris. Les ?lec

tions l?gislatives t?moignent de sa faible audience, elle n'atteint pas le

seuil qui justifierait sa pr?sence sur la sc?ne municipale car les hommes de ce bord savent fort bien qu'ils n'auraient aucune chance. La comp?tition de 1871 fut donc sans lendemain, et il n'est pas certain que l'opposition

qui se manifesta alors f?t clairement monarchiste ; elle relevait au moins

pour une part de la querelle de clocher, comme le donne ? penser la des

tin?e politique des candidats malheureux, puisqu'un bon nombre se retrou

v?rent dans des scrutins ult?rieurs sur la liste r?publicaine. La droite adopte une attitude d'abstention et, tr?s vite, apparaissent des divergences et des

failles dans le camp r?publicain, d'o? surgira une ce nouvelle droite ?, sans

pass? pour ainsi dire et forc?ment confuse dans ses r?f?rences id?ologiques. On en voit le r?sultat ? l'?lection de 1892, qui apporte un renversement de

majorit? ? son profit, de fa?on tout ? fait discordante avec les r?sultats des

?lections l?gislatives de 1889 et 1893. Le d?doublement du comportement

politique est ici tout ? fait ?vident, et c'est en ce sens que Lauris anticipe sur l'?volution g?n?rale. Mais nous avons des indices qui permettent de

qualifier les divergences dans le camp r?publicain et donc de caract?riser la

pouss?e mod?r?e qui aboutit aux r?sultats de 1892. Il s'est produit en 1879

et 1880 des d?missions, partielle et collective, du Conseil municipal en signe de protestation contre le refus du pr?fet de suivre des suggestions muni

cipales, relatives ? la la?cisation de l'?cole de filles ? demand?e par une

10. La victoire r?publicaine ne se limite pas aux quatre communes ?tudi?es. Nous savons qu'elle est quasi g?n?rale dans le Vaucluse, ? l'exception de quelques villages qui conserveront longtemps

? les derniers jusqu'en 1935 ! ? leur tradition monarchiste.

11. A.D. V., M 107 (Pol. gaie Adm. Aff. diverses).

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 215

faible majorit? du Conseil ?, ? la cr?ation d'une ?cole enfantine, au d?pla cement de la mairie dans le presbyt?re. Nouvelle escarmouche en 1888, ?

propos cette fois de l'interdiction des processions qui ne fait pas l'una

nimit?12... Il y a manifestement dans le Conseil municipal une tendance ce intransigeante ?, comme disent le pr?fet et le sous-pr?fet, qui conduit

une offensive r?solue contre l'Eglise catholique, mais cela n'est pas du go?t de tous ? et c'est sur ces

questions qu'un plan de clivage appara?t ? l'int?

rieur du parti r?publicain. Ce qui est original, c'est que la vieille droite ne

semble pas y avoir contribu?, et aussi que ce clivage reste limit? au plan des

votes municipaux.

D?s la fin de l'Empire, la R?publique ?tait majoritaire ? Althen-les

Paluds et l'?lection municipale de 1871 se d?roula sans que la droite p?t se manifester, sinon par de nombreuses abstentions. Mais on mesure la

vuln?rabilit? des positions de la gauche au renversement de majorit? qui

s'op?ra en 1874, dans le contexte de l'Ordre moral, et il devait ?tre confirm? en 1878, dans le m?me temps o? le parti monarchiste abandonnait le combat

dans l'arrondissement de Carpentras. Il fallut l'annulation de ce scrutin en 1879 et le recours au sectionnement de la commune en deux parties

?

mesures de simple opportunit? politique ! ? pour d?courager la droite, qui

ne profita m?me pas d'une d?mission collective en 1882, ? l'origine de

laquelle il y aurait eu ce l'inconduite ? de l'adjoint... Elle repara?t en 1884,

m?diocrement, et fait figure d'opposition s?rieuse en 188813 et 1892. Elle

dispara?tra ensuite jusqu'? la guerre. Nous sommes donc, ? Althen, dans un

village ? la fois partag? et fragile dans ses convictions politiques, sensible aux al?as de la conjoncture nationale. La victoire r?publicaine doit beau

coup au contexte national : les ?lecteurs calquent leur comportement mu

nicipal sur les positions qu'ils adoptent dans les scrutins nationaux ; il se

forge ainsi une tradition r?publicaine qui poss?de ses lettres de noblesse avec les luttes de l'Ordre moral14, mais la droite vaincue ne dispara?t pas

pour autant : les abstentions sont l? pour t?moigner de sa pr?sence silen

cieuse mais aussi attentive. Seulement, elle a irr?m?diablement perdu

l'initiative et Althen en 1892 appara?t comme une place forte de la R?pu

blique radicale.

A Entrechaux et ? Roaix, le succ?s de la R?publique est plus long ? se dessiner, plus difficile ? obtenir. Dans ces deux villages, les positions de d?part de la gauche sont faibles, si faibles qu'avec l'Ordre moral, les

r?publicains renoncent ? disputer le pouvoir communal. Ce sont les ?lec

12. A.D. V., 3 M 563. 13. Il semble qu'en 1888 les hommes de droite ont mis ? profit un certain discr?dit du maire

? qui devait cependant rester en place jusqu'? la guerre de 1914 ! ?, acharn? ? demander le d?part

d'une institutrice qu'il critique pour son enseignement, mais qui s'?tait, ? ce que dit le sous-pr?fet, attir? ses foudres pour avoir refus? ? les propositions peu honn?tes ? qu'il lui faisait...

(A.D. V., 3 M 487). On doit remarquer que la vie priv?e des ?lus municipaux peut ?tre ? la source

de certains incidents de la vie politique locale. 14. C'est la droite qui a pris l'initiative de la querelle scolaire ? Althen, en demandant en 1875

la suppression de l'?cole la?que de filles, qui ?tait jusqu'alors en concurrence avec une ?cole congr? ganiste. Bien s?r, sit?t revenu au pouvoir, en 1879, le Parti r?publicain fit la demande inverse et

pour faire bonne mesure lui ajouta la d?cision de supprimer l'indemnit? de binage au cur? !

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216 C. MESLIAND

tions l?gislatives qui leur permettent de se compter, de se fortifier len tement ; il faut aussi appr?cier l'?l?ment de confiance que repr?sentent, pour ces hommes isol?s dans un milieu sinon hostile du moins soumis ?

l'ordre et ? la religion, les succ?s remport?s dans des villages voisins. Ce n'est

pas par hasard s'ils se rassemblent pour affronter les monarchistes sur le

terrain communal en 1881, c'est-?-dire au moment m?me o? leurs adver

saires l?chent pied dans un scrutin l?gislatif : bien que les conditions locales

soient diff?rentes, on retrouve comme ? Althen l'importance du fait po

litique national. Mais l'implantation de la droite est ici tr?s profonde et peut r?sister ? la vertu communicative de victoires plus

ou moins lointaines...

Aussi les r?publicains de Roaix n'h?sitent pas ? faire appel ? l'intervention

du pr?fet, consid?r? comme le bras s?culier du principe r?publicain ! Ils

lui adressent en janvier 1881 une curieuse supplique :

? Monsieur le Pr?fet,

Les soussign?s ont l'honneur de vous exposer ce qui suit : Depuis longtemps la commune

de Roaix est administr?e par une municipalit? r?actionnaire qui n'est qu'un monument

d'autocratie ?rig? sur une grande assise d'ignorance. En effet, cette municipalit? est compos?e de dix aveugles intellectuels, sachant ? peine

signer ; d'un membre un peu lettr?, mais impotent et incapable, par cons?quent, de

s'occuper d'affaires communales, et enfin d'un borgne spirituel qui est le roi, c'est-?-dire, le maire.

Or quelle est l'administration de ce maire monumental entour? de ses onze satellites

municipaux ? La voici :

Le gouvernement de la r?publique fait tous ses efforts pour am?liorer l'instruction populaire et met ? la disposition des communes la somme de 80 millions pour construire des maisons

d'?cole ? lui, sous pr?texte que des locaux scolaires tout ? fait impropres ? l'usage auquel ils sont affect?s appartiennent ? l'un de ses plus francs supports auquel ils rapportent une

pension annuelle de 135 francs pay?s par l'?tat, n'a garde de mettre la commune en mesure

de profiter des lib?ralit?s du gouvernement et laisse l'instituteur, l'institutrice et leurs

?l?ves grouiller dans des masures insalubres et infectes !

Quelque m?fait se commet-il dans la commune (et cela n'est pas rare) ? Si le malfaiteur

appartient au parti r?actionnaire, il est ? l'abri de toute poursuite et est couvert par l'auto

rit? locale !

Un pauvre paysan dont le p?re est infirme et indigent vient-il ? tirer au sort ? Ce

monarque communal ne prend pas la peine de l'avertir que la loi bienfaisante de 1872

a pris soin de pr?voir son cas, et le laisse dans une profonde ignorance en face du sort, sans

s'?mouvoir de ce que le d?part de ce jeune homme va plonger ses parents dans la plus

grande mis?re.

Un instituteur r?publicain et au gr? de la population est-il nomm? ? Roaix ? Cela

contrarie l'humeur conservatrice de ce maire qui fait tous ses efforts pour ?loigner un

fonctionnaire qui lui d?pla?t, et ne veut en aucune mani?re lui donner le secr?tariat de la

mairie afin que le manque de ce modique traitement le force ? quitter la commune.

Y a-t-il quelque argent ? faire gagner aux indigents dans la saison rigoureuse ? Les

ouvriers sont soigneusement pris dans le clan r?actionnaire, ? l'exclusion expresse de tout

r?publicain, comme si ces derniers n'avaient pas droit aux m?mes secours que les autres !

Yient-il la f?te patronale ? Ce maire ph?nom?nal pr?f?re se faire suspendre pour 15 jours et laisser interdire la f?te, plut?t que d'autoriser un bal o? l'?l?ment r?publicain domine (f?te de Saint-Roch, ao?t 1880).

Les soussign?s s'arr?tent Monsieur le Pr?fet, car l'?num?ration des hauts faits de ce

maire ordre moralien serait trop longue ? faire.

Maintenant sur quoi est ?tay?e cette administration si gracieuse ? Sur dix voix de majo

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 217

rite dont trois ne jouissent pas de toutes leurs facult?s intellectuelles et les sept autres, peu

tranquilles avec leur conscience, suivent non le maire, mais l'?charpe qui les effraie.

La commune de Roaix a assez souffert de cette g?rance, il est temps que des voix

s'?l?vent pour faire entendre ses justes plaintes. En cons?quence nous sollicitons de votre

haute justice, Monsieur le Pr?fet, qu'une commission municipale soit nomm?e ? Roaix et

que l'administration sup?rieure fixe les ?lections municipales apr?s, au terme qui lui plaira. Nous donnons d'avance l'assurance que la r?publique sera triomphante ? Roaix. Comme

elle l'est partout ailleurs.

En attendant cette justice les soussign?s ont l'honneur d'?tre, Monsieur le Pr?fet, vos

tr?s d?vou?s serviteurs. ?15

Il est s?r que le tableau bross? par les r?publicains de Roaix ne peut pas ser pour un

expos? objectif, mais l'important n'est pas dans les erreurs qu'il

peut contenir. En l'analysant, on voit bien quelle peut ?tre l'influence du maire sur une assembl?e dont il a, selon toute vraisemblance, choisi les

membres, pris dans une population peu instruite; on comprend surtout

l'usage qu'il fait de son pouvoir, au profit de son parti ? de son ce clan ?,

comme disent avec une intention p?jorative les signataires de la lettre. Il y a l? comme une logique du pouvoir dans une soci?t? peu ?volu?e, sou

mise ? des rapports de client?le que sait fort habilement renforcer et ?tendre

le maire, en usant de son autorit?. Je ne suis pas certain que les r?publi cains n'useraient pas des m?mes armes, dans une situation semblable ! Mais

l'?l?ment le plus int?ressant, c'est qu'ils reconnaissent implicitement l'effi

cacit? de cette technique et, au del?, la coh?rence de leurs adversaires

puisqu'ils ont besoin d'un petit coup de force, m?me s'ils le transcendent en

acte de justice, pour pouvoir prendre leur place. Le pr?fet se garda de les

suivre, et la droite fut confirm?e dans sa majorit?, ce qui d'ailleurs d?cou

ragea les r?publicains jusqu'en 1888 o? ils reprirent la lutte, avec succ?s cette fois puisqu'ils se hiss?rent au niveau de la droite. On entre alors

dans une p?riode de majorit? instable et incertaine, qui ne prendra fin

qu'en 1896-97. A Entrechaux aussi c'est une entreprise de longue haleine que la

conqu?te du pouvoir communal par les r?publicains. Nous en ignorons les

p?rip?ties, mais il suffit d'observer le tr?s faible nombre d'abstentions ?

toujours inf?rieur ? 10 % du nombre des ?lecteurs dans les ?lections dis

put?es de 1880, 1884, 1888 et 1892 ? pour comprendre que l'ensemble de la

population est concern?. On remarque aussi que les r?publicains d'Entre

chaux sont soutenus, en quelque

sorte parrain?s, par le Conseiller g?n?ral de

Malauc?ne Geoffroy16, ?lu en 1883 contre un conservateur, attentif ? conso

lider et ?largir une pr?caire majorit?, et de ce fait int?ress? ? la progression des voix r?publicaines dans une commune o? il est minoritaire. Dans

l'autre camp, on tient les deux ?coles depuis qu'en 1874 l'?cole de gar?ons a

?t? confi?e ? deux congr?ganistes selon le v u ? et le calcul ? du cur?

qui avait l?gu? ? la fabrique de sa paroisse un capital assurant un revenu en

rentes de 1 545 f, ? charge de consacrer 1 000 f aux appointements de deux

15. A.D. V., 3 M 428. 16. Le conseiller g?n?ral se fait volontiers l'interm?diaire et l'interpr?te des r?publicains

d'Entrechaux ? la sous-pr?fecture d'Orange (A.D. V., 3 M 371).

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218 C. MESLIAND

instituteurs congr?ganistes17. Point n'est besoin d'en savoir davantage pour

comprendre l'?pret? de la lutte, dans laquelle les conservateurs occupent une position forte sans doute, mais aussi d?fensive. La victoire r?publicaine est acquise en 1892, les deux camps arrivant ? ?galit?. On mesure son prix et ses contraintes ? un incident qui jette une vive lueur sur les passions soulev?es. Le maire ?lu en 1892 est un r?publicain, mais il d?missionne tr?s

peu de temps apr?s son ?lection, invoquant l'?tat de sa sant? et ses occupa tions professionnelles. Le sous-pr?fet intervient vainement pour le faire

revenir sur sa d?cision, et il donne au pr?fet l'explication v?ritable de ce

curieux comportement :

? Madame Maillet, qui est cl?ricale et qui subit l'influence du cur? et des congr?ganistes, ne veut pas envoyer sa fille ? l'?cole la?que.

D'apr?s des renseignements que je tiens pour aussi s?rs que possible, Madame Maillet

aurait menac? son mari de quitter le domicile conjugal si elle ?tait contrari?e sur ce point. M. Maillet veut ?viter un scandale et pour ne pas donner le mauvais exemple en sa

qualit? de maire il s'est d?cid?, sur le conseil de ses amis, ? donner sa d?mission.

Ce fait est regrettable, car il est tr?s estim?. Il a combattu ?nergiquement la r?action

mais il c?de au besoin de conserver la paix dans sa famille. ?18

Il n'y a rien ? ajouter ? ce commentaire, qui confirme l'importance des

facteurs id?ologique et politique dans la comp?tition pour le pouvoir communal, et la rigueur des comportements, l? o? la bataille est incertaine19.

Mais maintenant qu'ils ont gagn? la partie, maintenant que la R?publique

s'impose au village tant ? la mairie que dans les scrutins nationaux, les

r?publicains vont-ils maintenir leur coh?sion et leur discipline ? Alors que de nouveaux choix politiques

sont propos?s

au plan national, la concordance

des opinions politiques aux deux niveaux o? elle

s'exprime pourra-t-elle se

poursuivre ?

Radicalisme victorieux et pouss?e du socialisme

A partir des ?lections l?gislatives de 1893, le paysage politique vauclu

sien change sensiblement. Certes, on peut noter des ?l?ments de continuit?,

qui inscrivent tous les faits politiques dans des structures durables et fortes.

A droite, le Ralliement n'a enregistr? qu'une adh?sion et un succ?s mar

quants, avec l'?lection de Ducros en 1893 dans l'arrondissement d'Orange. Mais pour l'essentiel, la droite reste m?fiante, voire agressive, envers le

r?gime r?publicain. Il est vrai que la gauche est domin?e par un radica

lisme intransigeant, au moins sur les th?mes de l'anticl?ricalisme. Aussi

les ?lections l?gislatives continuent de tourner au second tour ? l'affronte

ment gauche-droite, invitant les ?lecteurs ? un comportement de discipline.

17. A.D. V., T. 18. A.D. V., 3 M 541. 19. Sans vouloir forcer la comparaison, on peut bien dire qu'on imagine mal le maire d'Entre

chaux courtiser l'institutrice de son village comme semble bien avoir voulu le faire le maire d'Althen

les-Paluds (cf. n. 13). Et cela pour des raisons politiques bien plus que personnelles.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe REPUBLIQUE 219

Seulement, on remarque que les consignes de discipline ne sont pas tou

jours bien suivies, ce qui n'est pas surprenant eu ?gard au grand nombre des

candidatures du premier tour. La diversit? politique appara?t l?, et elle tient pour une bonne part ? l'ambigu?t? de la r?f?rence au radicalisme.

C'est incontestablement en Vaucluse une ?tiquette de bonne marque ; aussi, nombreux sont les candidats ? la deputation qui se l'attribuent... Si l'on

ajoute ? cela le fait que la F?d?ration radicale-socialiste ou, plus exactement, ses instances dans les arrondissements sont souvent hostiles ? Tunit? de

candidature, on comprend que les ?lections prennent

au premier

tour le

caract?re d'une comp?tition o? l'important est d'arriver en t?te du peloton,

pour pr?tendre au second au b?n?fice de la discipline r?publicaine. Ce qui n'interdit pas, d'ailleurs, de rester en lice si l'on en est ?cart?, en tentant de

jouer sur sa

gauche de la r?f?rence radicale et sur sa droite d'attirer tout

ou partie de l'?lectorat de droite quand il n'est pas directement repr?sent?. Ce sont des jeux subtils qui traduisent une certaine inad?quation aux

tendances profondes de l'opinion, des structures politiques h?rit?es ; ils ne m?ritent donc d'?tre pris en consid?ration qu'en tant que signes de

reclassements politiques. Vers la droite, un pont est jet? entre une fraction

du Parti r?publicain et ceux des conservateurs qui acceptent mal une

situation d'opposition qui les marginalise. Sym?triquement, vers la gauche le radicalisme est confront? ? un nouveau parti, le Parti socialiste qui entre dans le champ de la discipline r?publicaine mais qui aussi avance ses

options sp?cifiques, et c'est justement ce qui peut d?tacher de l'emprise radicale une fraction du Parti r?publicain. Les ?lections l?gislatives ne sont

pas forc?ment le meilleur poste d'observation pour saisir et analyser

ces

changements. Ce qui est s?r, c'est que leurs r?sultats peuvent les masquer,

puisque les m?canismes de discipline ?lectorale jouent le plus souvent assez

efficacement pour que la gauche radicale sorte victorieuse des comp?titions. On peut se demander si l'on enregistre les m?mes probl?mes

sur le plan mu

nicipal, et

l'analyse ? son niveau peut alors ?clairer et pr?ciser le sens comme

la port?e des mouvements de l'opinion politique. A l'exception de Lauris, la p?riode 1893-1914 est marqu?e par un

petit nombre de comp?titions municipales. Sur la lanc?e de la victoire

qu'elles avaient acquise au plus tard en 1892, les ?quipes r?publicaines sont

solidement install?es dans les mairies, et c'est seulement ? la fin de la

p?riode que la comp?tition reprend, au b?n?fice d'ailleurs d'?quipes nou

velles. Consid?rons d'abord le cas de Lauris, o? les r?publicains s'?taient

divis?s d?s 1892, ? l'avantage des plus mod?r?s d'entre eux. A ce moment, le village est encore ? dominante radicale puisque aux ?lections l?gislatives de 1893 il donne une confortable majorit? au candidat radical (47 % des

suffrages contre 18 % au candidat mod?r?, qui se r?clamait d'ailleurs

lui aussi du radicalisme). Mais si l'on suit en parall?le les ?lections suivantes,

l?gislatives et municipales, on observe que l'opinion mod?r?e progresse

jusqu'? devenir majoritaire dans les scrutins aussi bien l?gislatifs que

municipaux. Le d?doublement du comportement politique pr?c?demment signal? dispara?t donc, mais cette fois

? contrairement au processus que

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220 C. MESLIAND

nous avons observ? dans la p?riode 1871-1893 ? l'impulsion vient du vil

lage, ce sont les options communales qui s'imposent dans les scrutins natio

naux. On assiste indiscutablement ? un glissement ? droite, dont il n'est

pas certain que tous les ?lecteurs que cela concerne soient conscients, du

fait de l'ambigu?t? des ?tiquettes adopt?es par les candidats. La confusion est particuli?rement sensible en 1902 et 1906, avec le retour en force de

Laguerre, une des figures marquantes du Parti r?publicain dans les ann?es

1870-1880, mais qui s'?tait fourvoy? dans le boulangisme, ce qui l'avait exclu des cadres politiques r?publicains. Il se fait une place aux d?pens aussi

bien du candidat radical ce officiel ? que du d?put? ?lu en 1898, jouant de son

attachement au radicalisme et du caract?re ce ind?pendant

? de sa can

didature, et les ?lecteurs de droite de Lauris, qui avaient plut?t port? leurs voix au

premier tour sur le d?put? sortant, se rassemblent sur son

nom au second. En 1906, il fait le plein d?s le premier tour et appara?t alors comme le candidat de la droite, bien qu'il y ait aussi un candidat ouver

tement mod?r?.

Mais l'?rosion des voix de gauche suscite une r?action sur le plan muni

cipal o? la gauche avait baiss? les bras depuis 1900. Et c'est ? ce niveau

que le renversement de majorit? s'effectue avec l'aide, qui n'est sans doute

pas d?sint?ress?e, du pouvoir central. En 1907, le maire de Lauris est r?vo

qu? pour de graves erreurs relev?es dans la comptabilit? municipale20, et

cette mesure, passionn?ment discut?e par celui qui en est l'objet ? il

n'h?site pas ? dire qu'elle a ?t? prise ? l'instigation du d?put? d'Apt qu'il avait combattu l'ann?e pr?c?dente

en apportant son

appui ? Laguerre21 ?,

pr?lude ? une offensive municipale des radicaux laurisiens. Le maire r?voqu? le voit clairement et il attaque

avec violence ses adversaires, adoptant un

langage anticl?rical qui ne doit s?rement rien ? l'improvisation sous le coup de la col?re : ce Ce ne seront pas les quelques ?nergum?nes de la localit?, hier encore r?actionnaires enrag?s,

se prosternant devant l'autel de la Vierge

et

qui aujourd'hui crient leur r?publicanisme sur tous les toits, roquets affa

m?s qui attendent un os ? ronger, reptiles rampants et vils, usant aupr?s des

simples gens des plus basses calomnies pour essayer de me discr?diter, qui m'intimideront. ?22

On imagine, au ton de cette diatribe, ce que put ?tre la campagne...

jusqu'aux ?lections municipales de l'ann?e suivante. Elles furent poli

tiques, ouvertement, ce qui n'avait pas ?t? le cas depuis bien longtemps, et les sortants, qui se d?finissaient comme ce r?publicains radicaux ind?

pendants ? ? on remarque la similitude avec la tactique de Laguerre ?,

furent battus par une ce Liste de concentration r?publicaine ? conduite par des radicaux-socialistes23. Et jusqu'? la guerre, Lauris manifeste une

20. A.D. V., 3 M 395. 21. Le Beffroi, 22 septembre 1907. 22. Id.

23. A.D. V., 3 M 563. Les deux listes, si on calcule la moyenne de liste des voix qu'elles ont obte

nues, arrivent ? ?galit?. Mais dans un scrutin si serr? un tr?s faible ?cart suffit ? faire la diff?rence : la ? Liste de concentration r?publicaine ? compte 13 ?lus, contre 3 ? la ? Liste des R?publicains radi caux ind?pendants ?.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 221

coh?rence ? gauche dans ses options politiques. L'?pisode de droite reposait sur une

ambigu?t? en m?me temps qu'il

ne s'enracinait pas dans une r?elle

tradition conservatrice ; c'est ce qui explique sa fragilit?. Mais on doit

observer aussi que le radicalisme laurisien n'?tait pas g?n? par une concur

rence socialiste : dans les scrutins l?gislatifs o? ils sont pr?sents ? de 1906

? 1914 ?, les candidats socialistes font des scores insignifiants, de 2 % ?

4 %, et cela pouvait sans aucun doute faciliter le sursaut de la gauche, aider au regroupement de toutes les voix de gauche sous la banni?re radi

cale-socialiste.

La gauche pr?sente ? Althen-les-Paluds une structure analogue. Le

Parti radical-socialiste en est la force pr?pond?rante, sous la direction

du maire, Adrien Bono, qui dispose d'une autorit? et d'une influence consi

d?rables, comme en t?moigne la d?mission collective du Conseil municipal en 1903, par solidarit? avec lui alors qu'il avait ?t? attaqu? localement par ce quelques r?publicains dissidents ?, pr?cise le sous-pr?fet de Carpentras24.

Et les ?lections qui suivirent furent un triomphe pour Bono et ses amis, que leurs adversaires n'os?rent m?me pas affronter. IS Encyclop?die socialiste

signale bien l'existence d'un groupe socialiste d?s 1900, adh?rent ? la F?d?

ration socialiste autonome de Vaucluse, et elle note encore sa pr?sence

en

1904, mais le moins qu'on puisse dire est que son audience est confidentielle.

Dans toutes les ?lections l?gislatives o? un socialiste est sur les rangs ?

c'est-?-dire de fa?on ininterrompue de 1902 ? 1914 ?, il ne recueille au

premier tour jamais plus de 10 % des suffrages. C'est en 1906 qu'il fait son

meilleur score, mais aussi qu'il est victime de la man uvre la plus

sur

prenante qu'on puisse imaginer. Alors qu'il avait ?t? plac? en t?te des

candidats de gauche dans l'ensemble de l'arrondissement, il est battu ? de

justesse, il est vrai ? au deuxi?me tour et les radicaux d'Althen y sont pour

quelque chose : ils ?taient 150 au premier tour ? voter pour les candidats

radicaux, et le candidat socialiste, devenu pourtant candidat de discipline r?publicaine, ne recueillit au second tour que 56 voix parmi lesquelles devaient bien figurer les 37 qu'il avait obtenues au premier tour ! L'essen

tiel des voix radicales, et quelques autres en provenance de la droite qui avait suivi une

consigne d'abstention au premier tour, s'?taient port?es

sur

un candidat surgi entre les deux tours. Celui-ci n'?tait autre que Saint

Martin dont l'itin?raire politique aussi bien que la tactique sont rigoureu sement semblables ? ceux de Laguerre. Cet ?pisode donne ? penser : le

radicalisme ? Althen, incontestable h?ritier de la tradition r?publicaine, notamment anticl?ricale, ne voit pas d'un il tr?s favorable l'orientation

selon laquelle la gauche est sollicit?e de s'engager par les jeunes forces

du Parti socialiste et il entend bien conserver sa position dominante, serait ce au prix d'une entorse au principe de la discipline r?publicaine. Ce principe

24. A.D. V., 3 M 487. Bono est aussi une personnalit? politique dans le cadre de l'arrondissement de Carpentras. En 1902, il est l'un des signataires d'un appel ? la ? Concentration r?publicaine ?

qui avant que s'ouvre la campagne ?lectorale recommande l'union au second tour ? sur le candidat

r?publicain le plus favoris? ? ; il est aussi le pr?sident du ? Congr?s de d?fense r?publicaine ? qui parraine la candidature radicale-socialiste de P. Vialis, qui sera d'ailleurs ?lu.

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222 C. MESLIAND

en effet peut ?tre redoutable si par son application on habitue les ?lecteurs

? voter pour un parti concurrent avant d'?tre un alli?, et il ne fait pas de

doute que les dirigeants radicaux ? Althen ? mais aussi dans d'autres communes de l'arrondissement ? ont d?lib?r?ment fait ?chec ? l'?lec

tion d'un d?put? socialiste pour ?viter d'entrer dans cette dynamique. On

peut se demander si ce calcul et, derri?re lui, la m?fiance envers le socia

lisme ne sont pas en relation avec la r?ussite ?conomique du village, engag? dans l'agriculture mara?ch?re g?n?ratrice de revenus ?lev?s, toutes pro

portions gard?es bien s?r, pour sa population de paysans parcellaires. Et

la question vaut pour Lauris, o? nous avons not? ?galement

une faible

audience du Parti socialiste.

Entrechaux et Roaix, o? la lutte pour imposer la R?publique au village a ?t? la plus longue et la plus difficile, continuent d'avoir un destin sem

blable : en 1912 on y remarque un renversement de la majorit? municipale, un retour de la droite au pouvoir. Mais l'analogie n'est pas totale puisque, en 1914, Roaix vote massivement ? gauche aux l?gislatives alors qu'Entre chaux confirme son orientation ? droite. Il convient d'observer que dans

les deux villages la gauche s'est longtemps pr?sent?e simplement comme

ce r?publicaine ? dans les ?lections municipales : on en ?tait encore l? en

1912 ? Entrechaux et c'est seulement en 1908 qu'? Roaix la liste de gauche se caract?rise comme ce

r?publicaine radicale-socialiste ?25. Un peu comme

si une des le?ons des luttes pass?es ?tait de maintenir ? la gauche une

large assise id?ologique, d'?viter ses divisions et concurrences internes.

Mais dans le m?me temps l'arrondissement d'Orange voit surgir un Parti et

surtout un ?lectorat socialistes qui modifient profond?ment le paysage et

les r?gles du jeu politique. Nos deux villages sont donc confront?s ? des

probl?mes politiques complexes, parfois contradictoires dans leurs donn?es.

La mont?e du socialisme doit ?tre analys?e ? deux niveaux de son

expression politique. Il faut suivre l'?volution des suffrages socialistes en tant que tels, mais aussi observer ce

qu'ils deviennent sous l'effet des

d?sistements au travers desquels s'applique le principe de la discipline r?pu blicaine. A Entrechaux le Parti socialiste ne fait pas recette : il passe de

10 % ? 14 % et 15 % des suffrages de 1906 ? 1910 puis 1914, et le succ?s du

socialiste A. Blanc en 1906 n'a pas eu d'effet dynamisant. Roaix se montre

nettement plus r?ceptif puisque les suffrages socialistes y montent de 13 % ? 26 % puis 38 %. En 1914 le Parti socialiste a ravi au Parti radical

socialiste la premi?re place dans la gauche. Les raisons de cette diff?rence ?

On ne voit pas qu'elle puisse s'expliquer par des facteurs socio-?conomiques, et il faut bien invoquer une in?gale soumission ? l'ordre ?tabli, dont rend

compte assez justement la pratique religieuse, r?v?latrice d'un confor

misme qui correspond mal ? l'audace de pens?e, ? l'ind?pendance de juge ment qu'implique l'adh?sion ? une id?e politique neuve et r?volutionnaire.

11 est vrai que le radicalisme aussi co?ncide avec un affaiblissement de la

pratique religieuse et qu'il ne pr?sente pas le m?me caract?re de rupture

25. A.D. V., 3 M 595.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 223

d'avec la soci?t? ?tablie que le socialisme, mais la comparaison de la pra

tique religieuse dans deux villages in?galement touch?s par l'id?ologie socialiste reste valable et instructive. Nous savons, par les visites pastorales,

qu'? Entrechaux dans les derni?res ann?es de F avant-guerre, 50 ? 60

hommes et 200 ? 250 femmes assistaient ? la messe, qu'une centaine

d'hommes et 300 femmes faisaient leurs P?ques, tandis qu'? Roaix ?

population inf?rieure de moiti? ? celle d'Entrechaux ? moins de 10 hommes et 30 femmes allaient ? la messe et seules 20 femmes communiaient ?

P?ques26. Si ces chiffres assur?ment n'expliquent pas tout, ils aident quand m?me ? comprendre, ici, la r?sistance au socialisme, l?, sa

rapide croissance.

La pouss?e socialiste est telle dans l'ensemble de l'arrondissement que d?s 1906 le candidat socialiste arrive en t?te des candidats de gauche, et

la r?gle du d?sistement joue en sa faveur. Il en sera de m?me en 1910 et 1914, mais il faut voir comment elle est appliqu?e. Le report des voix radicales

n'est pas total, on peut estimer qu'il en manque 20 % ? Roaix comme ?

Entrechaux en 1906, mais en 1914 les d?fections sont plus fortes ? Entre

chaux ? environ 25 % ?

qu'? Roaix o? elles se sont r?duites ? moins de

10 %. Cela confirme les r?ticences ? l'?gard du socialisme ? Entrechaux

tandis qu'? Roaix l'audience socialiste est telle qu'elle entra?ne la quasi totalit? de l'?lectorat de gauche. Et il est largement majoritaire, puisqu'il

repr?sente 65 % des ?lecteurs. Cependant, la gauche a perdu le pouvoir

municipal... Cela peut se concevoir sans peine ? Entrechaux, o? elle est tout

juste majoritaire, et encore, gr?ce au poids d'un ?lectorat radical dont nous

savons qu'une partie refuse l'alliance avec les socialistes. Dans ces condi

tions le renversement de la majorit? municipale porte condamnation de cette alliance et marque une limite pr?cise ? l'engagement de gauche de

l'?lectorat radical. C'est un reclassement politique qui est en marche, frein?,

masqu? par l'ambigu?t? et la faible coh?rence du radicalisme. Mais ? Roaix

l'orientation contradictoire des choix politiques surprend davantage, d'au

tant qu'on

ne trouve aucune trace de querelle de clocher qui pourrait ?tre

un facteur de changement de majorit? municipale. J'avance alors l'hypo th?se suivante.

L'?lectorat de gauche de Roaix n'a peut-?tre pas en ceux qu'il d?l?gue au pouvoir communal une confiance ?gale ? celle qu'il t?moigne aux id?es, au programme du Parti socialiste. Il est remarquable que ceux des ?lus de

gauche qui ont une ?tiquette politique se disent radicaux-socialistes, et

qu'on ne trouve

parmi eux eux aucun socialiste, pas plus d'ailleurs

qu'il n'est mentionn? d'organisation socialiste dans le village. Cela peut s'expli quer par des donn?es sociologiques, l'?lectorat socialiste s'identifiant aux

couches les plus pauvres de la population, les moins instruites, les moins

26. Archives de l'Archev?ch? d'Avignon. Il est certain que le rapport de la pratique religieuse ? la pratique politique est loin d'?tre m?canique, puisque la d?christianisation des hommes est du

m?me ordre ? Lauris qu'? Roaix, pour un profil politique plus mod?r?, alors qu'? Althen un fort

noyau d'hommes est fid?le ? la religion : une soixantaine assistent ? la messe, 120 ? 130 participent ? la communion pascale. Il est vrai qu'? Althen les ?lections montrent la persistance d'une oppo sition de droite, m?me si elle ne se manifeste que par des abstentions concert?es et significatives. Cette opposition, bien s?r, se soude autour de l'?glise.

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224 C. MESLIAND

disponibles pour les fonctions municipales. On peut donc concevoir l'absence

de socialistes dans une municipalit? de gauche alors m?me que l'influence so

cialiste s'exprime avec une force croissante dans les scrutins l?gislatifs, et l'on peut du m?me coup concevoir ? la longue une certaine irritation de

l'?lectorat socialiste envers une ?quipe municipale qui n'est sans doute pas

empress?e ? lui faire une place et qui l'utilise comme de la pi?taille. De l?

? s'opposer directement aux notables de gauche ?

qui sans doute consi

d?rent qu'ils ont rempli leur contrat envers les socialistes en respectant le

principe de la discipline r?publicaine ! ?, il y a un pas que les donn?es

sociologiques justement interdisent de franchir. C'est ce qui redonne leur

chance ? des notables qu'on trouvait au Conseil, eux ou leurs p?res, du

temps o? la droite d?tenait le pouvoir municipal... Jeu subtil, dira-t-on.

Sans doute, mais il est difficile de consid?rer comme irrationnelle, aberrante, la contradiction indiscutable entre les deux expressions politiques du

village, et je crois plus juste de chercher ? en rendre compte par les rivalit?s

? l'int?rieur de la gauche, qui n'apparaissent gu?re il est vrai, et par le

glissement vers la droite du radicalisme, qui diminue les distances entre les

?quipes en comp?tition pour le pouvoir communal27, l'une et l'autre ayant besoin de l'apport des voix socialistes. Ce qui fait que la droite municipale ? Roaix est sans doute moins ? droite que celle d'Entrechaux, et qu'elle est

aussi diff?rente de celle qui se compte dans les ?lections l?gislatives. Finalement, on doit retenir que de 1893 ? 1914 les donn?es de la vie

politique et le rapport des forces politiques ont beaucoup chang? dans

les villages vauclusiens. A voir les choses de haut, et il faut aussi adopter ce

point de vue, la gauche a progress? et c'est le radicalisme qui en a tir?

le meilleur profit. Mais ? les voir de plus pr?s, on note que c'est au prix d'une ambigu?t? croissante du radicalisme, d?port? vers sa droite tant par

l'apparition du Parti socialiste que par l'effacement de la droite. La bipo larisation de la vie politique reste une donn?e fondamentale, mais il faut ?tre conscient qu'elle ne signifie pas pour autant immobilisme de l'opinion dans des cadres qui seraient alors bien formels. Si la vie politique muni

cipale a ses

rythmes propres, ses clivages

et comportements qui ne sont pas

toujours en harmonie avec ceux

que l'on peut observer sur le plan national,

les diff?rences qu'on peut noter nous apportent justement des indices et des

t?moignages des mutations qui s'accomplissent dans l'?lectorat paysan.

Ambigu?t? du radicalisme et dynamique de la gauche

Les donn?es de la vie politique sont encore plus complexes apr?s-guerre. A ne consid?rer que les ?tiquettes politiques et les cadres o? elles trouvent

27. L'?quipe municipale ?lue en 1912 compte deux anciens conseillers ? r?publicains ?, qui avaient disparu on ne sait pourquoi de l'?quipe sortante, un ancien conseiller conservateur et quatre nouveaux dont l'un appartient ? la famille qui, depuis 1870, jouit de la plus grande autorit? dans

le camp conservateur. Telle quelle, elle peut appara?tre comme le r?sultat d'un compromis dont les

radicaux feraient les frais.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 225

leur place, la gauche consolide encore sa position majoritaire et la droite

poursuit le processus d'effacement et d'effritement d?j? observ?. Le radi

calisme est toujours la force politique la plus importante, mais il est en

comp?tition s?v?re avec le Parti socialiste Sfio, qui lui ravit la premi?re

place sur l'?chiquier politique aux ?lections l?gislatives de 1936, transfert

qu'avait pr?par? le renouvellement des conseils municipaux l'ann?e pr?c? dente, o? l'on avait remarqu? un incontestable glissement ? gauche. Mais

peut-on en toutes circonstances classer ? gauche le Parti radical-socialiste ?

Ind?pendamment de son programme, il faut bien tenir compte de l'?lec

torat qui lui accorde ses suffrages, lorsque la droite est absente du scrutin.

Et cette situation n'a rien d'exceptionnel en Vaucluse, particuli?rement dans les arrondissements d'Orange et de Carpentras. Par ailleurs, m?me

s'il ne parvient pas ? faire ?lire un d?put?, on ne peut n?gliger l'implanta tion militante et ?lectorale du Parti communiste fran?ais, qui modifie par fois s?rieusement le rapport des forces politiques dans les villages vau

clusiens.

Les ?lections municipales de l'apr?s-guerre sont dans l'ensemble tr?s

politiques, en ce sens que les listes qui s'affrontent ont en g?n?ral une

r?f?rence politique pr?cise. Il faut cependant disjoindre celles de 1919 :

pour les quatre villages ?tudi?s, il n'y a de comp?tition qu'? Althen-les

Paluds o? la droite camoufl?e en ce Union du Parti r?publicain ? essuie un

?chec s?v?re face ? la gauche radicale-socialiste qui retrouve curieusement

les accents des d?buts de la IIIe R?publique en se d?nommant tout sim

plement ce Liste r?publicaine >>28. Dans les trois autres villages, les sortants ?

plus exactement leurs rares survivants encadrant une

g?n?ration nou

velle ?

sont seuls sur les rangs. Cela peut surprendre, car ces ?lections ont

lieu deux semaines seulement apr?s les l?gislatives qui avaient ?t? le th??tre

de rudes empoignades. Dans ces communes rurales durement ?prouv?es par

la guerre, c'est un peu comme si on avait voulu, par respect pour les morts,

tenir la vie municipale ? l'?cart des luttes politiques. En tout cas, il est

significatif qu'? Althen, l? justement o? il y a comp?tition, des deux c?t?s on mentionne la qualit? de ce d?mobilis? ? pour tous les candidats que cela

concerne29. La participation ? la guerre, avec ce qu'elle implique de souf

france et de sacrifice, appara?t comme un gage de responsabilit? et de d?

vouement dans la conduite des affaires publiques, que l'on revendique ?

gauche comme ? droite.

Mais cette sorte de tr?ve dans la vie politique locale ? qui peut-?tre

s'explique aussi pour une part par les reclassements politiques en cours

au sein de la gauche socialiste ? est de courte dur?e, et les ?lections munici

pales de 1925 voient s'affirmer des positions politiques qui sont int?ressantes

? consid?rer m?me lorsqu'il n'y a pas comp?tition. C'est le cas ? Lauris o?, nous le savons, une crise municipale a jet? la confusion dans les affaires

28. A.D. V., 3 M 487. On peut penser que la sobri?t? de la d?nomination de la liste de gauche est

une r?ponse au camouflage de la liste de droite. Et il est certain que personne dans le village ne

s'est tromp? sur la signification des deux titres !

29. La liste de droite pr?cise m?me ? Croix de Guerre ?, ? bless? de guerre ?, ? mutil? ?.

15.

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226 C. MESLIAND

communales de 1920 ? 192330. Les radicaux ont alors repris la barre, ils la conservent ais?ment en 1925, mais ils prennent grand soin d'afficher leur

engagement politique et ce peut-?tre dans l'id?e de r?cup?rer ? leur profit exclusif l'?lectorat qui avait port? ses voix l'ann?e pr?c?dente sur les can

didats de la liste du Cartel des Gauches, o? ?taient pr?sents les socialistes.

Car on ne peut comprendre le jeu politique municipal si on l'isole du contexte national, et cette observation a valeur g?n?rale. La concurrence

entre radicaux et socialistes est une donn?e que l'alliance cartelliste ne doit

pas faire oublier ; on la remarque ?galement ? Althen-les-Paluds o? la liste

de gauche s'intitule radicale-socialiste, et non plus simplement r?publicaine

comme en 191931. Les radicaux ont pour eux, ? Lauris comme ? Althen, une

implantation et une influence anciennes, que les ?lections l?gislatives de

1919 avaient confirm?es. Mais qu'en est-il exactement apr?s les ?lections

de 1924, o? la liste du Cartel est en progr?s sur le total des voix radicales et

socialistes de 1919, et alors qu'appara?t une

composante r?volutionnaire ?

gauche, avec le Parti communiste ? Les ?lections municipales in?vitable ment

prolongent l'incertitude, en ce sens que les partenaires cartellistes ne

peuvent s'y dissocier, mais les radicaux peuvent en jouer ? leur profit. Parce qu'ils sont les tenants de la tradition de gauche, ils peuvent pr?tendre

repr?senter l'ensemble de la gauche aux ?lections municipales et ainsi

esp?rer capter dans sa totalit? la pouss?e ? gauche qui s'?tait manifest?e en

1924.

La situation est diff?rente, la tactique plus subtile et plus souple l?

o? le radicalisme s'?tait affaibli sous la pression socialiste avant 1914. On

sait qu'? Entrechaux les radicaux avaient c?d? la place ? une ?quipe de

droite en 1912, et que c'?tait une r?action aux d?sistements que dans l'arron

dissement d'Orange le Parti radical-socialiste devait recommander ? ses

?lecteurs en faveur du candidat socialiste, qui repr?sentait alors l'option r?volutionnaire de la gauche. En 1925, la situation est bien chang?e, les

radicaux ne sont pas suspects d'alliance avec les r?volutionnaires du Parti

communiste et il leur est ? nouveau possible de s'affirmer ? gauche et de

revendiquer en tant que tels le pouvoir communal, l'ouverture aux socia

listes leur assurant une caution de gauche d'une nature bien diff?rente de

ce qu'elle ?tait avant la guerre ! L'op?ration comporte aussi un objectif sur

sa droite, elle vise ? r?cup?rer des voix qui de la droite municipale passaient ? la droite nationale, celle-ci plus coh?rente, plus structur?e et donc plus

dangereuse que celle-l?. C'est d'ailleurs sa complexit? qui explique qu'il lui fallut du temps pour r?ussir : engag? en 1925, le processus de reconqu?te du pouvoir municipal par

une gauche ? dominante radicale s'ach?ve seu

lement en 1929, et l'on retrouve alors une unit? de comportement politique, encore qu'elle ne soit pas d?pourvue d'ambigu?t? puisque c'est au moment

30. Cf. supra, pp. 212-213.

31. Pourtant, ? Althen, la droite est pr?sente aux ?lections municipales de 1925 et elle a constitu?

une ? Liste de concentration r?publicaine ?. Mais la d?cantation est bien faite entre gauche et droite

dans cette commune et pour la gauche la r?f?rence r?publicaine n'est plus ad?quate ? la situation, la question principale est de savoir quel courant de gauche l'emportera.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 227

m?me o? dans les scrutins nationaux le Parti radical-socialiste ne rencontre

pratiquement plus d'adversaires sur sa droite, qu'au plan municipal il

s'impose contre la droite...

Curieusement, c'est ? Roaix o? elle fait ses scores les plus faibles aux

?lections l?gislatives que la droite conserve le pouvoir municipal. La dis

cordance existait avant la guerre et j'ai tent? de l'expliquer alors par la

rivalit? entre radicaux et socialistes, que la droite en quelque sorte aurait

arbitr?e32. Des quatre villages que j'?tudie, Roaix est le seul qui, en 1919, a donn? aux ?lections l?gislatives la majorit? de ses suffrages ? la liste socia

liste, le seul aussi o? le Parti communiste apparaisse comme le relais du Parti

socialiste, recueillant la majeure partie de ses suffrages et devenant ainsi une force politique

avec laquelle il faut compter. C'est sans aucun doute son

poids qui explique la faiblesse aussi bien du Parti socialiste que de la droite

dans les scrutins nationaux qui tournent ? un affrontement radicaux-com

munistes. Dans ces conditions, le pouvoir municipal a sinon chang? de

mains, du moins pris une signification nouvelle. La liste ?lue en 1919 avait

?t? renouvel?e presque en entier par rapport ? celle de 1912, la guerre pou vant d'ailleurs en rendre compte, et en 1925 elle s'intitule ce Liste d'entente

r?publicaine ?, formulation large qui dans le contexte d'alors n'?fimine que les communistes. Le Parti radical n'appara?t pas dans les ?lections muni

cipales, mais c'est en lui que se reconnaissent et sur son candidat que se

rassemblent presque tous ceux qui

ne votent pas communiste dans les

?lections l?gislatives, et il serait bien surprenant qu'il n'y ait pas corres

pondance entre les deux plans, m?me si elle n'est pas clairement indiqu?e.

Aussi bien peut-on conclure ? une r?cup?ration de la municipalit? de Roaix

par les radicaux.

Il appara?t donc que d'une fa?on g?n?rale mais selon des m?thodes vari?es le Parti radical est ? l'offensive sur le plan municipal dans l'imm?

diat apr?s-guerre. Il adapte sa tactique aux conditions locales, attentif ? conserver le b?n?fice de la tradition de gauche sans pour autant n?gliger d'occuper le terrain que lui c?de la droite. C'est un exercice d'?quilibre assur?ment difficile, et le risque de d?gringolade est s?rieux.

Il n'y aura pas de chute ? Entrechaux, o? la reconqu?te du pouvoir municipal, acquise en 1929, est confirm?e en 1935. Mais l'antagonisme est

moins de doctrine que de style de gestion entre les deux ?quipes33, et la liste de gauche, ?lue en 1929 et r??lue en 1935, ne soulevait pas d'opposition

politique nettement caract?ris?e, elle exprimait le sentiment politique majo ritaire dans le village, d'un radicalisme tol?rant et rassembleur, respec tueux des structures de la soci?t?. Pas de chute non plus ? Roaix, mais

l'identification du Parti radical avec la droite s'y pr?cise. D?j? en 1928, aux

32. Cf. supra, p. 224. 33. Les deux listes en pr?sence en 1929 se sont affront?es par voie d'affiche. Affrontement cour

tois, les sortants affirmant qu'ils laissent une situation financi?re prosp?re, et protestant de leur d?vouement et de leur probit? ? pour le plus grand bien de notre petit pays ?, leurs adversaires contestant les chiffres avanc?s et prenant ? l'engagement de faire tout ce qui est logiquement pos sible, au mieux des int?r?ts de toute la population ?. On le voit, les grandes questions politiques sont ?trang?res ? ce d?bat.

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228 C. MESLIAND

l?gislatives, la droite est r?duite ? presque rien et la candidature de Daladier

fait le plein des voix non communistes. L'ann?e suivante la municipalit? affronte une liste d'inspiration communiste et les r?sultats confirment le

partage en deux camps, la zone d'influence du Parti communiste d?limitant

la gauche. La Sfio a beaucoup de mal ? se faire une place dans ce t?te-?

t?te ; elle restera en position de force d'appoint et il semble bien, ? analyser les ?lections municipales de 1935, que ses ?lecteurs sont r?ticents ? l'?gard des communistes. Face aux sortants, qui adoptent

une ligne politique

prudente, aussi d?gag?e que possible de la conjoncture nationale, puisqu'ils s'intitulent ce Liste r?publicaine d'int?r?t local >>34, les communistes animent une ce Liste du Front populaire pour du pain, la libert?, la paix ?. Mais il est

clair, ? voir les r?sultats, que l'?lectorat communiste n'a re?u aucun renfort,

si ce n'est au second tour o? un si?ge restait ? pourvoir, qui revint ? son

leader35 par l'effet d'un souci de compensation trop connu pour qu'il soit

n?cessaire d'y insister. Sans doute l'?lectorat radical ne peut ?tre class? ?

droite dans sa totalit?, mais la volont? de tenir ? l'?cart les communistes ?

ou si l'on pr?f?re la sp?cificit? du fait communiste dans la vie politique ?

conduit ? son terme le processus de glissement ? droite du Parti radical. L'exercice d'?quilibre est plus p?rilleux pour le Parti radical ? Althen

et ? Lauris, villages o? l'influence communiste est tr?s faible, ? la fois localement et au niveau de l'arrondissement. Il est

remarquable que la

croissance du Parti socialiste soit contradictoire ? celle du Parti commu

niste, et cela dans des villages qui pr?sentent de grandes analogies dans leurs structures sociales. La tradition socialiste s'est, semble-t-il, report?e

sur

l'un ou l'autre des deux partis qui en revendiquent l'h?ritage et les jeux sont

faits entre eux pour l'essentiel tr?s vite apr?s la scission de 1920. Mais l? o? la SFIO prend le relais du socialisme d'avant-guerre, elle doit sous peine de rester une force d'appoint se d?marquer du Parti radical-socialiste. Et

c'est l? que les radicaux courent le risque de perdre leur position dominante. Ce qui leur arrive ? Althen comme ? Lauris, mais selon des processus diff?rents. A Althen, socialistes et radicaux, s'ils se comptent s?par?ment dans les ?lections l?gislatives, restent associ?s dans les scrutins municipaux et c'est une n?cessit? tactique

en raison de la pr?sence d'une droite qui ne

d?sarme pas. Seulement, leur alliance, dans les proportions qu'elle accorde

? chacune de ses composantes, reconna?t l'?volution de leur influence res

pective dans les scrutins nationaux et c'est ainsi que l'on passe d'une

ce Liste r?publicaine radicale et socialiste ? en 1929 ? une ce Liste socialiste

34. Dans le rapport qu'il fait des ?lections municipales de 1935 (A.D. V., 3 M), le pr?fet classe le

Conseil municipal au nombre de ceux ? direction radicale-socialiste, ce qui confirme la r?cup?ration r?alis?e, selon moi, d?s 1925.

35. Ce conseiller municipal communiste fat d?chu de son mandat en novembre 1939, en appli cation des d?crets-lois de dissolution du Parti communiste fran?ais. Le pr?fet signala alors la pr? sence de trois ? communistes militants ? ? Roaix et il fit proc?der ? une perquisition en mars 1940

(A.D. V., 1 M 815 et 816). Ce sont les seules indications que nous ayons sur la pr?sence d'une organi sation communiste ? Roaix. Elle ne pouvait ?tre que peu nombreuse, et elle ?tait sans aucun doute en discordance avec l'influence ?lectorale du Parti communiste. C'est l? un probl?me r?el, qui n'est

pas propre ? Roaix.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 229

et radicale-socialiste ? en 1935. La nuance est d'importance, d'autant plus que les hommes sont les m?mes, ce qui indique des passages du Parti radical

socialiste ? la Sfio parmi eux, sans d*ailleurs que cela fasse conflit. Evolu tion indolore par cons?quent

au sein de la gauche, sous

l'impulsion des

faits politiques nationaux, facilit?e il faut bien le dire par l'inexistence du Parti communiste et la persistance d'une droite hostile36. Dans ces

conditions, radicalisme et socialisme vus de la mairie d'Althen par une

population largement d?christianis?e, mais aussi largement b?n?ficiaire de

l'?volution ?conomique, ne sont pas des id?ologies tr?s diff?rentes l'une de

l'autre et le passage de l'une ? l'autre n'appara?t pas comme un changement

de cap.

Les rapports entre les deux partis sont nettement plus conflictuels ? Lauris. D?s les ?lections l?gislatives de 1928 il est apparu que la pr? tention des radicaux ? repr?senter

toute la gauche ?

les communistes ne

comptent pas alors ? n'?tait pas fond?e, puisque le candidat socialiste devance largement le radical au premier tour et qu'il fait jeu ?gal avec lui au second, alors que la droite de toute ?vidence est venue au secours du

radical37. Aussi les ?lections municipales de 1929 voient s'affronter radicaux et socialistes. La bataille tourne ? l'avantage des premiers, qui n'ont pu

l'emporter que gr?ce ? l'appoint des voix de droite et l'on voit bien, l?

encore, comment le radicalisme est pouss?

sur sa droite. Le mouvement se

confirme aux ?lections l?gislatives de 1932, o? la droite est pratiquement absente, et il est conduit ? son terme logique aux municipales de 1935. Les sortants sont cette fois sur la d?fensive, comme l'atteste l'intitul? de leur liste ce r?publicaine et de d?fense des int?r?ts communaux ?, formulation tr?s proche de celle d?j? not?e ? Roaix et ce ne peut ?tre l'effet du hasard.

Mais une autre comparaison s'impose

: alors qu'? Roaix les communistes se

r?f?raient au Front populaire, les socialistes de Lauris adoptent un titre bien moins compromettant, celui de ce Liste r?publicaine et d'?conomie muni

cipale ?, et cela aussi est r?v?lateur d'un comportement politique soucieux

de ne pas effaroucher une partie de l'?lectorat que les socialistes doivent dis

puter aux radicaux. Le calcul est payant et les socialistes s'installent ? la

mairie, d?pla?ant le centre de gravit? de la gauche et donnant aux radicaux, bon gr? mal gr?, une teinte de droite.

Ainsi l'?volution des forces politiques observ?e avant-guerre s'est pour suivie et pr?cis?e apr?s. La pr?pond?rance de la gauche formelle ? celle

qui se d?finit par l'addition des voix qu'obtiennent les diff?rents partis de

36. De nombreux indices soulignent la pr?sence et la coh?rence de la droite ? Althen. En pre mier lieu, tous les ?l?ments statistiques de la pratique religieuse, qui font appara?tre, qu'il s'agisse des communions pascales ou du versement au denier du culte, un bloc de 50 ? 60 familles. Corro borant ce chiffre, une indication de L'?cho paroissial d'Althen-les-Paluds, qui annonce, en 1926, 54 membres constituant la section locale de la Ligue catholique. En dernier lieu, la pr?sence de candidats du Parti social fran?ais ? une ?lection municipale partielle en 1937.

37. Il est ? noter que le candidat communiste qui s'?tait maintenu au second tour a perdu ? Lauris presque toutes ses voix ? il passe de 26 ? 8 ?, alors qu'il en retient le plus grand nombre sur l'ensemble de l'arrondissement. Cela semble indiquer que les communistes laurisiens participent aux c?t?s des socialistes ? la lutte d'influence qui oppose ces derniers aux radicaux.

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230 C. MESLIAND

gauche, consid?r?s dans leur acception nationale ? contraint la droite ? un combat sans espoir et donc ? son effacement progressif38. Mais ? gauche des pressions s'exercent, des mouvements se dessinent qui font appara?tre une discordance entre la gauche ce officielle ? ou formelle et sa r?alit?

concr?te, telle qu'elle appara?t lorsqu'on associe dans une seule analyse

l'expression municipale et l'expression nationale des opinions politiques. Concurrenc? tant?t par le Parti socialiste, tant?t par le Parti communiste, le Parti radical ne peut maintenir sa position dominante ? gauche si ce

n'est en occupant sur sa droite le terrain qu'il c?de sur sa gauche. Et c'est bien ce qui se produit, le Parti radical devient une structure d'accueil, au

nom du moindre mal, pour une fraction au moins de la droite ; ce qui fait peser sur lui une incontestable ambigu?t? politique. C'est le Parti

socialiste qui appara?t alors comme l'axe de la gauche et sa composante la

plus dynamique. Il est certain, en tout cas, qu'il est engag? dans une s?v?re

lutte d'influence avec le Parti radical qu'il rencontre sur tous les terrains o?

il veut s'imposer, alors que sa concurrence avec le Parti communiste est

moins directe, en raison du partage qui s'est effectu? de l'h?ritage du Parti

socialiste d'avant-guerre. Partage qui est incontestablement ? l'avantage de

la Sfio dans les villages vauclusiens. Les socialistes disposent l? d'une base

s?rieuse d'influence politique, ils y ajoutent le b?n?fice du glissement ?

gauche d'une partie de l'?lectorat radical, glissement que facilitent l'absence

de divergences id?ologiques fondamentales entre les deux partis et la sim

plification in?vitable des affrontements dans le microcosme villageois. La

progression du Parti communiste est plus difficile ; il n'est pas accept? sans

m?fiance par ses partenaires de gauche, qui sollicitent ses

suffrages au nom

de la discipline r?publicaine ? ce

qu'il n'accepte toutefois que sur la

foi d'engagements pr?cis. Cela bien s?r n'est pas favorable ? son int?gration dans la gauche. Par ailleurs, sa zone d'influence se situe incontestablement

dans les couches sociales les plus d?sh?rit?es des villages vauclusiens, et il ne

peut de ce fait proposer ? son ?lectorat un encadrement social comparable ? celui que trouvent ais?ment, dans les vieilles familles r?publicaines, comme on dit, socialistes et radicaux.

Si l'on replace dans la longue dur?e, c'est-?-dire pendant toute la dur?e

de la IIIe R?publique, ces mouvements et variations dans les attitudes

politiques, on parvient ? la conclusion que la gauche et la droite, rest?es

stables, campent sur des positions qui n'ont que faiblement boug? en

faveur de la gauche. Mais cette conclusion ? o? je vois une confirmation du

caract?re structurel des concepts de gauche et de droite

? ne vaut que si

l'on reconna?t au radicalisme son ambigu?t? croissante, ou encore si l'on

reconna?t ? la gauche, force de mouvement par excellence, un caract?re

dynamique, qui tout ? la fois nourrit, vivifie sa tradition et d?tache de son

corps des membres par l'effet m?me de sa marche en avant. C'est bien ce qui

se produit dans les trois p?riodes o? j'ai inscrit mon analyse : la gauche fut

38. Le scrutin d'arrondissement d?favorise bien entendu la droite et contribue pour beaucoup ? son effacement.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 231

d'abord r?publicaine, elle se battit ensuite pour une r?publique la?que, pour, dans un troisi?me temps, se prononcer en faveur d'une r?publique sociale, voire socialiste. Il y a l? un cheminement fondamental, o? tous les r?pu blicains du d?but ne s'engag?rent pas volontiers, mais il n'y a pas d'authen

tique tradition de gauche hors de son trac?.

Les ?quipes municipales : continuit? et fid?lit?

L'analyse historique des comportements politiques et des rapports de forces qui les traduisent peut ?tre utilement prolong?e par une r?flexion de caract?re plus sociologique, pour r?pondre ? la question suivante : qui exerce le pouvoir dans les villages vauclusiens ?

Il ne serait pas facile de faire le relev? syst?matique des professions exerc?es par les conseillers municipaux, car ni les listes de candidats ni

les tableaux des conseillers ?lus ne donnent toujours cette indication. N?an

moins, on peut recueillir des informations assez nourries pour en

d?gager une tendance. Bien s?r, les paysans sont les plus nombreux, apparaissant tant?t comme ce

agriculteurs ?, tant?t comme ce propri?taires

? et il serait

imprudent de voir dans cette distinction une diff?rence de statut ?cono

mique. Sans doute certains propri?taires sont des non-exploitants, qui

tirent leurs revenus de la rente fonci?re, mais le plus souvent ce sont des

exploitants agricoles, de la m?me mani?re que les ce agriculteurs ?. La hi?rarchie des revenus n'appara?t qu'accidentellement dans les nuances du vocabulaire utilis? pour d?signer les hommes de la terre ; observation que l'on fait fr?quemment en Vaucluse. Il semble que, pour les quatre villages ?tudi?s tout au moins, le secteur artisanal et commercial soit m?diocrement

repr?sent? dans les conseils municipaux, particuli?rement dans les ?lections

les plus disput?es ; ce qui fait appara?tre un souci de prudence chez des hommes qui n'entendent pas, en raison m?me de leur m?tier, ?tre consi

d?r?s comme appartenant ? un camp. Il y a des exceptions : lorsque l'on voit figurer

sur une liste un cafetier, et c'est relativement fr?quent, c'est un

indice de clivage de la population masculine en deux camps bien tranch?s, chacun ayant son ou ses caf?s selon l'importance du village. Le cafetier,

dans ces conditions, n'h?site pas ? entrer dans l'ar?ne politique. Autre cas ?

consid?rer, celui des professions lib?rales : elles ne sont qu'exceptionnelle

ment repr?sent?es.

On ne sait rien de pr?cis sur les crit?res et conditions du choix des can

didats. Naturellement l'engagement politique est une condition premi?re, encore qu'il serait erron? de voir cet aspect des choses de fa?on ?troite ou

m?canique. L'engagement politique ne comporte pas n?cessairement adh? sion ? un parti et il y a m?me des cas o? celle-ci n'intervient qu'apr?s l'?lec

tion, pour la prot?ger ou tout au moins renforcer sa coh?rence politique39.

39. L'implantation des partis politiques dans les villages vauclusiens est un ph?nom?ne ? la fois

tardif, ponctuel et fr?quemment formel dans l'intervalle des consultations ?lectorales. On s'est d'abord rassembl? par affinit? politique, dans des structures de sociabilit? int?grant la discussion et la solidarit? politiques : les cercles ou chambr?es. Sont venus ensuite les ? groupes socialistes ?

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232 C. MESLIAND

Le choix d'un candidat est donc affaire de conviction politique, mais aussi

de respectabilit?, et ces deux facteurs ne sont gu?re dissociables. Dans

leur combinaison, ils sont une caract?ristique familiale et cela appara?t tr?s clairement quand on rel?ve les noms de tous les conseillers municipaux pour suivre leur destin?e et la succession des g?n?rations. Il y a dans chaque

village des patronymes qui sont pr?sents du d?but ? la fin de la IIIe R?pu

blique, soit comme ?lus, soit comme candidats malheureux, et il est mani

feste que, dans un camp comme dans l'autre, il serait impensable de mettre

sur pied une liste sans le concours de ces familles qui sont en quelque sorte

une caution morale et politique. Sans doute, d'autres raisons interviennent :

l'influence sociale, l'?tendue de la parent?, la localisation pr?cise du lieu

d'habitation, en particulier lorsque le village comporte des hameaux dont

il faut assurer la repr?sentation au sein de l'assembl?e municipale. Mais

elles ne sont ?videmment pas contradictoires, et bien plut?t compl?men taires des qualit?s premi?res.

C'est pourquoi dans chaque ?quipe municipale il existe un noyau du

rable, pour autant bien s?r que n'intervient pas un changement de majo

rit?. Au c ur tr?s souvent, le maire que l'on ?lit pour sa disponibilit? mais

aussi pour ses qualit?s d'administrateur et de dirigeant politique. C'est le cas

d'Adrien Bono ? Althen, propri?taire ais? et r?publicain avanc? avant

d'?tre radical, qui restera maire de 1882 ? la guerre40 ; c'est le cas de Lucien

Gontard ? Roaix, moulinier en soie et leader des r?publicains mod?r?s avant

de se rallier au radicalisme de Daladier, maire sans interruption de 1919 ?

193941. Autour d'eux, des hommes qui accomplissent plusieurs mandats et,

pour compl?ter les listes, d'autres moins durables, choisis selon toute vrai

semblance en fonction des circonstances, c'est-?-dire ?

toujours bien s?r

dans la zone d'influence de chaque camp ? du fait de leur disponibilit?, de

leurs amiti?s. Le r?sultat, pour prendre le cas de Roaix, c'est que pour

174 conseillers ?lus dans les 17 renouvellements complets de 1871 ? 1935 on

d?nombre 64 noms, et parmi eux 34 ayant effectu? un ou deux mandats, 22 trois ou quatre et 8 plus de quatre. On atteint ici un ce indice de long? vit? ? ?lev?42 : 2,70, bien plus qu'? Lauris o? il n'est que de 2. Mais il est

avant 1914, mais c'est surtout apr?s la guerre que les deux partis de gauche, socialiste et commu

niste, se sont efforc?s de mettre sur pied des sections et des cellules. Cependant, dans de nombreux

cas, on pouvait fort bien appara?tre comme socialiste ou communiste, et investi d'une certaine

autorit?, en l'absence d'organisation politique. Les radicaux pour leur part ne se rassemblent et ne

s'expriment comme tels qu'? l'occasion des ?lections, selon des formes tr?s souples et empiriques. 40. A.D. V., 3 M.

41. A.D. V., 3 M 428. Le choix d'un maire plus mod?r? que son ?lectorat et m?me que son Conseil

municipal est un cas qui n'a rien d'exceptionnel. Le sous-pr?fet d'Apt le remarque dans un rapport sur les ?lections municipales de 1925 : ? Cette anomalie s'explique par l'esprit des populations rurales

qui aiment avoir un maire ayant une ?ducation et une situation plus ?lev?es que celles de ses conci

toyens et auquel ils pourront manifester plus de d?f?rence. Mais dans ce cas le maire se borne ?

faire de l'administration et n'exerce aucune influence politique. ?

42. J'appelle indice de long?vit? le rapport du nombre des conseillers ?lus sur l'ensemble de la

p?riode au nombre des noms qui leur donnent vie r?elle. Quand je dis que cet indice est ?gal ? 2, cela signifie que chaque conseiller a en moyenne effectu? deux mandats. C'est une mesure grossi?re,

qui gagne ? ?tre pr?cis?e par la dispersion des conseillers en nombre de mandats accomplis, mais

elle permet des comparaisons utiles.

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LES CAMPAGNES PROVEN?ALES SOUS LA IIIe R?PUBLIQUE 233

vrai qu'? Lauris la population est plus nombreuse, ce qui accro?t les possi bilit?s de choix, et on observe par ailleurs ? Lauris des querelles subalternes et confuses qui, en quelque sorte, brisent des carri?res municipales. Il faut

tenir compte des renversements de majorit?, en tant que facteurs d'inter

ruption, voire de cessation de carri?re municipale, mais il n'emp?che qu'en

r?gle g?n?rale chaque conseil est compos? d'un noyau durable, gage de

continuit?, et d'une enveloppe moins signifiante, o? l'on devine surtout

dans les petites communes les contraintes inh?rentes justement au petit nombre des possibles, eu ?gard ? la diversit? des qualit?s requises.

Le concept de continuit? ne suffit pas ? caract?riser l'exercice du pou voir municipal ; il faut le compl?ter par celui de fid?lit?. Nous avons observ?

la permanence d'un plan de clivage au sein de la population villageoise et sa

signification politique ; il est important de chercher ? savoir comment les

familles, dans la longue dur?e, se distribuent de part et d'autre de cette

ligne de d?marcation politique. Une premi?re observation : il y a tr?s peu de

transfuges, rares sont les hommes qui

retournent leur veste ou changent

d'option politique. Le cas s'observe ? Entrechaux et ? Roaix, au moment o?

la R?publique s'impose au village : les r?publicains ont alors re?u le renfort

de quelques anciens conseillers conservateurs, qui s'?taient d'ailleurs retir?s

de la vie publique depuis plusieurs ann?es, ce qui semble indiquer une ?vo

lution lente et m?rie. Au del? des hommes, les familles auxquelles ils appar tiennent t?moignent ?galement d'une grande fid?lit? puisque l'on rep?re, ? une g?n?ration de distance, les m?mes patronymes dans le tableau du

Conseil municipal. Une incertitude subsiste, car le m?me nom peut d?signer deux familles diff?rentes, mais l'analogie est trop fr?quente pour n'?tre que fortuite. Il y a indiscutablement des traditions familiales en politique, et

elles favorisent l'ambigu?t? croissante du radicalisme : le fils est radical comme l'?tait son

p?re, alors que le contexte politique

a bien chang?... La

fid?lit? peut donc prendre un aspect rituel et masquer les ?volutions. En tout cas, les client?les ?lectorales sont

plus mobiles que leurs repr?sen tants.

On peut enfin se demander si les ?lus municipaux ne sont que des

repr?sentants politiques et des administrateurs ou si, au contraire, ils n'in

terviennent pas ? tous les niveaux de la vie politique et sociale en position de

responsables. Cette question, dans une soci?t? peu diff?renci?e, peut nous

aider ? approcher de plus pr?s le concept de notable. Pour ce faire, il

convient de confronter les listes de conseillers municipaux aux ?quipes

dirigeantes des diverses associations existant dans les villages. Cette

confrontation ne peut ?tre exhaustive, elle est n?anmoins instructive. Qu'il

s'agisse du Cercle de l'avenir, du Cercle philanthropique ou du Sou des

?coles la?ques ? Lauris pour les ann?es 1878-1880, on trouve en bonne place un grand nombre de conseillers municipaux43. On fait la m?me observation

pour la Soci?t? coop?rative de boulangerie ? Althen en 1901, pour le Syn

43. A.D. V., M, Cercles.

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234 C. MESLIAND

dicat professionnel de boulangerie d'Entrechaux en 191144. Ce ne sont pas des adh?sions de pure forme, m?me si elles peuvent comporter un petit c?t? flatteur, honorifique, pour les associations qui les recueillent. Elles

participent d'un r?seau de relations sociales par lequel le parti au pouvoir ?tend son influence, contr?le les lieux et organismes o? l'opinion se fait, se dirige et s'oriente. Et l'on comprend mieux, du m?me coup, la tr?s large

participation aux comp?titions ?lectorales les plus disput?es et l'atout, qui peut ?tre d?cisif, dont dispose le camp des hommes en place, ou bien des

notables, sans qu'il

soit n?cessaire que cette qualit? repose sur une fortune

importante. Ce ph?nom?ne de tissage de liens sociaux par quoi la population du village s'organise et se structure a ?t? un instrument efficace de la

conqu?te r?publicaine, par opposition aux relations passives et hi?rarchiques dont b?n?ficiaient les monarchistes45. Il a ensuite fait la force du radica

lisme, alors qu'? sa gauche le Parti socialiste et le Parti communiste s'appli

quaient ? forger des militants, ce qui est tr?s diff?rent et plus difficile ?

r?ussir !

Ainsi la gauche et la droite inscrivent un antagonisme politique dans une soci?t? o? les pauvres et les riches ne

s'opposent ni nettement ni bru

talement, mais o? la ligne de partage politique, d'un dessin non pas fig? mais ?voluant lentement, d?limite deux camps qui ont chacun sa tradition, chacun ses chefs de file ou ses r?pondants, individuels et collectifs. L'analyse

politique renvoie donc ? l'analyse sociale, m?me s'il est vrai que le fait

politique est dans une large mesure autonome, ind?pendant des rapports sociaux. Mais nous sommes en Provence, et

je me

garderai bien de g?n? raliser cette conclusion.

44. A.D. V., M, Coop?ratives. 45. Voici comment s'exprime H. de Vichet, secr?taire du Comit? conservateur pour le Vaucluse,

? l'occasion de la r?vision des listes ?lectorales en 1887 : ? Nous tendrons la main ? ce que partout, si c'est possible, on prenne le double de la liste ?lectorale, afin de pouvoir contr?ler plus ais?ment

les op?rations et que la m?moire de nos amis soit aid?e par ces listes, au point de vue des ?lecteurs ? solliciter et encourager ? (Archives priv?es Fortunet). Ce paternalisme se passe de tout commen

taire !

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