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« Dans un monde byzantin qui ignore, au moins jusqu’au XIII e siècle, tout procès de canonisation, est saint celui dont la sainteté est reconnue soit par les autorités, soit par le peuple chré- tien engagé dans ce sens par les hauts faits spirituels du personnage diffusés par l’hagiographie. » Les articles réimprimés dans ce recueil ont été publiés de 1990 à 2010 dans divers ouvrages collectifs et revues. Michel Kaplan est professeur à l’univer- sité Paris 1 Panthéon-Sorbonne. MICHEL KAPLAN POUVOIRS, éGLISE ET SAINTETé essais sur la société byzantine Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris Tél. : 01 43 25 80 15 – Fax : 01 43 54 03 24 VIENT DE PARAÎTRE Prix : 19 ISBN 978-2-85944-660-4 ISSN 1962-8331

pouvoirs, église et sainteté · 2011. 5. 24. · Evergetis typikon and the management of monastic estates in the xith century, The Theotokos Evergetis and Eleventh-Century Monasticism,

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« Dans un monde byzantin qui ignore, au moins jusqu’au xiiie siècle, tout procès de canonisation, est saint celui dont la sainteté est reconnue soit par les autorités, soit par le peuple chré-tien engagé dans ce sens par les hauts faits spirituels du personnage diffusés par l’hagiographie. »

Les articles réimprimés dans ce recueil ont été publiés de 1990 à 2010 dans divers ouvrages collectifs et revues.Michel Kaplan est professeur à l’univer-sité Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

michel kaplan

pouvoirs, église et sainteté

essais sur la société byzantine

Publications de la Sorbonne212, rue Saint-Jacques, 75005 ParisTél. : 01 43 25 80 15 – Fax : 01 43 54 03 24

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prix : 19 €iSBn 978-2-85944-660-4iSSn 1962-8331

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b o n d e c o m m a n d e

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Prix : 19 € ISBN 978-2-85944-660-4 ISSN 1962-8331Frais d’envoi par ouvrage : 6 € et 1,5 € par ouvrage supplémentaireNombre d’exemplaires commandés :

Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris Tél. : 01 43 25 80 15 Fax : 01 43 54 03 [email protected]

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TABLE DES MATIèRES

Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

rome et constantinople

1. La place du schisme de 1054 dans les relations entre Byzance, Rome et l’Italie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Byzantinoslavica 54, 1993 (Byzantium and its Neighbours from the Mid-9th till the 12th Centuries, Papers Read at the International Byzantinological Symposium, Bechyne, September 1990, éd. V. Vavřínek), p. 29-37.

2. Le « schisme » de 1054. Quelques éléments de chronologie . . 35Mélanges Vavřínek, Byzantinoslavica 56, 1995, p. 147-157.

l a sainteté byzantine

3. Les normes de la sainteté à Byzance (vie-xie siècle) . . . . . . . . . 53Mentalités 4, 1990, p. 15-34.

4. De la dépouille à la relique : formation du culte des saints à Byzance du ve au xiie siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

Les reliques : objets, cultes, symboles, éd. É. Bozóky, A.-M. Helvétius, Turnhout 1999 (Hagiologia 1), p. 19-38.

5. Le miracle est-il nécessaire au saint byzantin ?. . . . . . . . . . . . . . 97Miracle et Karāma, éd. D. Aigle, Turnhout 2000 (Bibliothèque de l’École des hautes études, Sciences religieuses 109, Hagiographies médiévales comparées 2), p. 167-196.

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Pouvoirs, Église et sainteté

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6. L’ensevelissement des saints : rituel de création des reliques et sanctification à Byzance à travers les sources hagiographiques (ve-xiie siècle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

Travaux et Mémoires 14 (Mélanges Gilbert Dagron), Paris 2002, p. 319-332.

sainteté, hiérarchie et p ouvoir

7. Les moines et le clergé séculier à Byzance (ve-xiie siècles). . . . 149Moines et monastères dans les sociétés de rite grec et latin, éd. J.-L. Lemaitre, M. Dmitriev, P. Gonneau, Genève 1996, p. 293-311.

8. Le saint, l’évêque et l’empereur : l’image et le pouvoir à l’époque du second iconoclasme d’après les sources hagiographiques. . 167

Les images dans les sociétés médiévales : pour une histoire comparée, éd. J.-M. Sansterre, J.-Cl. Schmitt, Bulletin de l’Institut historique belge de Rome 69, 1999, p. 185-201.

9. Léontios de Jérusalem, moine ou évêque ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 183The Heroes of the Orthodox Church : the New Saints, 8th-16th c., éd. É. Kountoura-Galakè, Athènes 2004 (National Hellenic Research Foundation, Institute for Byzantine Research, International Symposium 15), p. 295-311.

10. Un patriarche byzantin dans le royaume latin de Jérusalem : Léontios . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

Chemins d’outre-mer, Études d’histoire sur la Méditerranée médiévale offertes à Michel Balard, Paris 2004 (Byzantina Sorbonensia 20), p. 475-488.

11. L’évêque à l’époque du second iconoclasme . . . . . . . . . . . . . . . 221Monastères, images, pouvoirs et société à Byzance, éd. M. Kaplan, Paris 2006 (Byzantina Sorbonensia 23), p. 183-206.

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Table des matières

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l a sainteté et l ’espace

12. Les sanctuaires de Théodore de Sykéôn . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253Les saints et leur sanctuaire à Byzance. Textes, images et monuments, éd. C. Jolivet-Lévy, M. Kaplan, J.-P. Sodini, Paris 1993 (Byzantina Sorbonensia 11), p. 81-94.

13. Le saint, le village et la cité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273Ibid., p. 65-80.

14. L’Hinterland religieux de Constantinople : moines et saints de banlieue d’après l’hagiographie . . . . . . . . 291

Constantinople and its Hinterland, Papers of the Twenty-Seventh Spring Symposium of Byzantine Studies, éd. C. Mango, G. Dagron, Aldershot 1995 (Society for the Promotion of Byzantine Studies, Publications 3), p. 191-205.

15. À la recherche du Philéa de saint Cyrille . . . . . . . . . . . . . . . . . 309In search of St. Cyril’s Philea, Work and Worship at the Theotokos Evergetis, Papers of the Fourth Belfast Byzantine International Colloquium, éd. M. Mullet, A. Kirby, Belfast 1997 (Belfast Byzantine Texts and Translations 6.2), p. 213-221.

16. L’espace et le sacré dans la vie de Daniel le Stylite . . . . . . . . . . 317Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident. Études comparées, éd. M. Kaplan, Paris 2001 (Byzantina Sorbonensia 18), p. 199-217.

17. Le choix du lieu saint d’après certaines sources hagiographiques byzantines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345

Ibid., p. 183-198.

18. L’espace et le sacré à Byzance d’après les sources hagiographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367

Cristianità d’Occidente et cristinità d’Oriente (secoli vi-xi), Settimane di Studi sull’Alto Medioevo 51, Spolète 2004, p. 1053-1115.

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Pouvoirs, Église et sainteté

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les pèlerinages

19. Les saints en pèlerinage à l’époque protobyzantine. . . . . . . . . 413Pèlerinages et lieux saints dans l’Antiquité et le Moyen Âge, Mélanges offerts à Pierre Maraval, éd. B. Caseau, J.-C. Cheynet, V. Déroche, Paris 2006 (Centre de recherches d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 23), p. 249-262.

20. Les saints en pèlerinage à l’époque mésobyzantine (viie-xiie siècles) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 433

Dumbarton Oaks Papers 56, 2002, p. 109-128.

21. Pèlerinages et processions à Byzance aux vie-viie siècles : l’exemple de Théodore de Sykéôn . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 461

Byzantina Europea, Księga Jubileuszowa ofiarowana Profesorowi Waldemarowi Ceranowi (Mélanges Waldemar Ceran), éd. M. Kokoszko, M. J. Leszka, Łódź 2008, p. 219-232.

monastères, économie et so ciété

22. Les moines et leurs biens fonciers à Byzance du viiie au xe siècle : acquisition, conservation et mise en valeur . . . . 479

Revue bénédictine 103, 1993, p. 209-223.

23. Le typikon de l’Évergétis et la gestion des biens monastiques au xie siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 497

Evergetis typikon and the management of monastic estates in the xith century, The Theotokos Evergetis and Eleventh-Century Monasticism, éd. M. Mullet, A. Kirby, Belfast 1994 (Belfast Byzantine Texts and Translations, 6.1), p. 103-123.

24. L’économie des monastères à travers les Vies de saints byzantines des xie-xiiie siècles . . . . . . . . . . . 515

Monastères, images, pouvoirs et société à Byzance, éd. M. Kaplan, Paris 2006 (Byzantina Sorbonensia 23), p. 27-42.

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Table des matières

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25. Pourquoi fondait-on des monastères à Byzance (xie-milieu xiie siècle) ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 533

Why were monasteries founded ?, Founders and Refounders of Byzantines Monasteries, éd. M. Mullet, Belfast 2007 (Belfast Byzantine Texts and Translations 6.3), p. 28-42.

26. Pourquoi fondait-on des monastères dans le monde byzantin aux xiie et xiiie siècles ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 549

Why were monasteries founded in the byzantine world in the 12th and 13th centuries ?, First International Sevgi Gönül Byzantine Studies Symposium : Change in the Byzantine World in the Twelfth and Thirteenth Centuries, éd. A. Ödekan, E. Akyürek, N. Necipoğlu, Istanbul 2010, p. 408-413.

27. La fondation de Nikôn le Métanoeite à Sparte : un monastère urbain, sa ville et sa campagne . . . . . . . . . . . . . 565

Puer Apuliae. Mélanges offerts à Jean-Marie Martin, éd. E. Cuozzo, V. Déroche, A. Peeters-Custot et V. Prigent, Paris 2008 (2009) (Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 30), t. 2, p. 383-393.

Sources et bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 581

Indices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621

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I n t r o d u c t I o n

Le volume d’articles parus entre 1990 et 2010 que j’ai entrepris de réédi-ter à la demande des Publications de la Sorbonne représente l’essentiel de mon œuvre scientifique touchant à l’Histoire de l’Église, aux monastères byzantins et au phénomène de la sainteté. Je voudrais expliquer ici ce que je crois être le sens de ma démarche scientifique.

Mes premiers pas dans la recherche en Histoire byzantine furent accomplis, il y a plus de quarante ans, sous la direction de Paul Lemerle pour ce qui était alors le diplôme d’études supérieures (plus tard maî-trise, aujourd’hui master 1). Ce maître exceptionnel, qui a donné par son enseignement lumineux, le goût de l’Histoire byzantine à plusieurs générations d’élèves, me confia la tâche de faire le recensement des sources disponibles (et alors imprimées) et d’établir une chronologie pour les événements connus sous le nom de « schisme » de 1054. Je mets ici les guillemets que l’un de ses articles récemment publiés 1 invitait à utiliser et dont mes recherches ultérieures ont confirmé la nécessité. Le climat de l’époque, qui suivait de peu le concile Vatican II, invitait à revisiter une histoire presque entièrement entre les mains d’historiens qui, quelle que fût leur valeur, adoptaient le point de vue romain et pon-tifical. Dès ces premiers pas dans la recherche, j’ai partagé la convic-tion de Paul Lemerle que l’histoire de l’Église byzantine était étroitement liée à l’histoire politique de l’Empire. Par la suite, je suis revenu à deux reprises sur la question des événements de 1054 et de leurs suites immé-diates ; j’ai donc choisi de faire figurer ces deux articles en tête du présent recueil. Si, par la suite, j’ai largement développé des recherches dont les sources principales, notamment les Vies de saints, appartiennent par nature au domaine religieux, je ne suis ni un historien de l’Église ni un historien de la religion. J’essaie d’étudier la société byzantine sous tous ses aspects : développement économique, hiérarchies sociales, évolution

1. P. Lemerle, L’orthodoxie byzantine et l’œcuménisme médiéval : les origines du « schisme » des Églises, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 4e série, 2, 1965, p. 228-246.

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Pouvoirs, Église et sainteté

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religieuse, conceptions idéologiques, représentations mentales, organi-sation de l’espace.

Cela correspondait aux conceptions de Paul Lemerle aussi bien que de celle qui allait diriger mes recherches jusqu’à ma thèse d’État soutenue en 1988 2, Hélène Ahrweiler, non sans le secours de Nicolas Svoronos. Mes intérêts me portaient donc vers l’étude de l’économie et de la société byzantines. J’ai par la suite poursuivi, et je poursuis encore, cet aspect de mes recherches dans un certain nombre de publications 3. Pour tenter de dresser un tableau de l’économie et de la société des campagnes byzan-tines du vie au xie siècle, période où les documents d’archives sont rares, surtout au début, et où les sources historiographiques se désintéressent largement des campagnes, l’hagiographie s’est révélée une source abon-dante en données. J’ai donc dépouillé à cette fin un nombre très élevé de Vies de saints, d’abord sans y chercher autre chose que les éléments que je jugeais utiles pour la recherche que je menais alors ; mais la richesse de ces sources pour d’autres sujets, non plus d’ailleurs que leur difficulté d’utilisation, ne m’avait pas échappé. Dès que j’en ai eu la possibilité, je me suis attelé à comprendre le phénomène de la sainteté byzantine.

Comme une grande majorité des saints byzantins étaient des moines et que, plus généralement, les monastères étaient l’un des principaux acteurs de la société et de l’économie rurales byzantines, j’ai entrepris de comprendre, ou du moins d’essayer de comprendre plus spécifique-ment leur mode d’insertion dans la société byzantine. Ce thème, que l’on retrouve dans plusieurs articles, décliné de différentes manières, fait tout naturellement la liaison avec l’histoire économique et sociale. Dans mon livre sur les hommes et la terre, les monastères constituaient une catégo-rie, importante, des grands propriétaires, au même titre que les membres de l’aristocratie, le fisc ou la Couronne. J’ai donc tenté d’approfondir les institutions monastiques en charge de gérer les biens des monastères, d’abord en recourant aux documents de la pratique issus de ceux-ci et à la législation les concernant, puis en tentant d’appréhender comment

2. M. Kaplan, Les hommes et la terre à Byzance du vie au xie siècle : propriété et exploi-tation du sol, Paris 1992 (Byzantina Sorbonensia 10).3. Une partie de ces articles ont été repris dans M. Kaplan, Byzance. Villes et campagnes, Paris 2006 (Les médiévistes français 7).

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Introduction

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les récits hagiographiques traitent la question. Pour les hagiographes, ce n’est pas, en principe, la préoccupation première, car le personnage dont ils construisent la sainteté devrait être au premier chef préoccupé de pauvreté évangélique. Mais une Vie de saint ne vise pas seulement à faire d’un homme (ou d’une femme) un saint ; elle est le plus souvent écrite dans le cadre et pour la défense et illustration du lieu d’ascèse où vivait le saint, qu’il avait souvent fondé. Dès lors, l’hagiographe vise éga-lement à assurer la pérennité du monastère, y compris sur le plan écono-mique. Je prendrai comme cas d’école celui de Lazare du Galèsios, stylite sur cette montagne située au nord-est d’Éphèse et qui meurt au milieu du xie siècle. Sa Vie est écrite peu après la mort du saint par le cellérier du monastère, Grégoire, dont la fonction implique des préoccupations matérielles. Or Grégoire nous décrit minutieusement le système ingé-nieux mais fort compliqué mis au point par Lazare pour soustraire ses monastères à la tutelle canonique du métropolite d’Éphèse ; pour ce faire, il s’appuie sur une fondation financée par l’empereur, donc un monastère impérial échappant par définition à l’ordinaire ecclésiastique, mais qui n’est pas le monastère principal de Lazare dont Grégoire est le cellérier et au bénéfice de qui il écrit.

Nombre de monastères ont pu être fondés par de petits ou moyens paysans ; pourtant, ceux qui nous ont laissé une charte de fondation (typikon) ou un testament qui puisse en tenir lieu sont pour la plupart des créations de l’aristocratie. Sur ce point, j’ai eu la chance d’être convié à participer aux travaux menés à Belfast, sous la direction de Margaret Mullet, autour du corpus issu du monastère de la Théotokos Évergé-tis, fondé peu après le milieu du xie siècle dans la banlieue de Constan-tinople. Au-delà même de la logique de fonctionnement économique contenue dans une partie des documents de ce type, que Paul Lemerle avait étudiés dans les cas de Michel Attaliate et Grégoire Pakourianos 4, j’ai tenté de décrypter les motivations des fondateurs, plus ou moins ouvertement affichées. Si le souci d’assurer le salut de leur âme au jour du Jugement dernier, par la prière perpétuelle des moines et les secours aux pauvres mis en œuvre par la fondation, est exprimé explicitement par ces fondateurs, la préoccupation économique est bien présente chez

4. P. Lemerle, Cinq études sur le xie siècle byzantin, Paris 1977 (Le monde byzantin).

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Pouvoirs, Église et sainteté

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ces aristocrates. Pour eux, il s’agit de rendre pérenne leur fondation, non seulement dans la visée de salut évoquée, mais bien souvent pour tenter de mettre leur famille à l’abri de l’instabilité chronique des fortunes aris-tocratiques menacées par les aléas de la politique impériale.

Même détachés de leurs racines pour pratiquer l’ascèse, les aristo-crates conservent leurs réflexes, comme le montre l’exemple de Nikôn le Métanoeite, dont j’ai traité dans plusieurs articles reproduits dans le pré-sent recueil. L’errance de Nikôn, né dans une riche famille de Paphlago-nie, le mène à Sparte à la fin du xe siècle. Conduit par ailleurs à traiter des rapports entre villes et campagnes à Byzance du vie au xiie siècle 5, j’ai pu approfondir ce dossier exemplaire en confrontant le testament du saint, qui contient une ébauche de typikon, et la Vie plusieurs fois réécrite jusqu’en 1042, plus de quarante ans après la mort de Nikôn ; de plus, le lieu où ce dernier avait érigé sa fondation, l’agora, avait été fouillé, mais les résultats archéologiques se sont révélés décevants. Toujours est-il que Nikôn permet de croiser une fondation urbaine dotée dans la campagne et la volonté du saint de s’implanter au cœur de la cité.

Le testament et la Vie de Nikôn présentent par ailleurs l’un des exemples les plus clairs de rivalité au mieux ou, plus souvent, de conflit entre les moines et la hiérarchie ecclésiastique. Si, à l’époque paléochré-tienne, en vertu de sa position de successeur des apôtres, l’évêque appa-raît comme saint presque par définition, si d’ailleurs les Vies de saints évêques sont alors nombreuses 6, nul doute que, très rapidement, dans l’esprit de la population, le saint, c’est le moine, et que l’habit noir du moine vaut présomption de sainteté. Débordés par l’irruption du mona-chisme dès la première moitié du ive siècle, lancée par des moines qui, étant des laïcs, refusent l’autorité épiscopale, les évêques, appuyés sinon précédés par un pouvoir impérial aussi soucieux qu’eux de maintenir le bon ordre des choses, c’est-à-dire la structure hiérarchique de la société, semblent triompher lors du concile de Chalcédoine en 451. Mais cette

5. M. Kaplan, Villes et campagnes à Byzance du vie au xiie siècle : aspects écono-miques et sociaux, Città e campagna nei secoli altomedievali, Settimane di studio della Fondazione Centro Italiano di Studi sull’alto Medioevo VI, Spolète 2009, p. 495-536.6. C. Rapp, Holy bishops in Late Antiquity. The Nature of Christian Leadership in an Age of Transition, Berkeley 2005.

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Introduction

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mise au pas reste très partielle et le conflit réapparaît, s’il s’est jamais éteint, lors de la période iconoclaste, dont traitent deux de mes articles. Un autre tente de replacer ces rapports entre les moines et le clergé sécu-lier dans un contexte plus général et dans un temps plus long.

D’une certaine façon, cette opposition peut paraître factice, car nombre d’évêques ont été moines avant d’accéder à l’épiscopat. La pre-mière tentative de régulation du monachisme, mais aussi la plus connue et celle qui a le plus influencé le monachisme ultérieur tant en Orient qu’en Occident, c’est celle de Basile de Césarée au ive siècle ; or Basile avait été moine avant de devenir évêque. Même si, au sortir de l’icono-clasme en 843, le patriarche Méthode, lui-même ancien moine, refuse de donner aux moines la quasi-exclusivité de l’épiscopat que ceux-ci reven-diquent au prétexte que les évêques se seraient compromis dans l’héré-sie, nombre de moines finissent évêques et en assument parfaitement les tâches et la position, qui est celle d’être les fonctionnaires de l’Empire chargés de la desserte religieuse.

Cette complexité apparaît à travers plusieurs Vies de saints, par exemple celle de Léontios de Jérusalem, que j’ai tenté d’étudier de ce point de vue. L’auteur, Théodosios Goudélès, est, comme toujours, important à connaître pour comprendre. Or, dans ce cas, il s’agit certes d’un moine, mais issu – ce n’est d’ailleurs pas rare – d’une famille de la haute aristocratie, pour qui le service de l’Empire est l’activité naturelle. Et cette Vie est fort révélatrice. Sur la jeunesse du saint jusqu’à son entrée au monastère de Patmos, voire à son accession aux responsabilités d’éco-nome puis d’higoumène, l’auteur ne sait à peu près rien. Il fait donc de Léontios un ascète extrémiste, sans préjudice du virage qu’il doit opérer pour devenir un gestionnaire exemplaire de son monastère, pour lequel, il est vrai, l’hagiographe écrit. Mais, au fond, ce n’est pas cet aspect du parcours de Léontios qui intéresse le plus l’auteur, mais la façon dont il devient patriarche de Jérusalem et dont il tente d’exercer son ministère, sans y parvenir vraiment, car les Latins, qui tiennent la Ville sainte, l’em-pêchent d’occuper son siège. En cela, il est un parfait fonctionnaire, auxi-liaire fidèle de la politique de celui qui l’a nommé en 1176, l’empereur Manuel Ier. Celui-ci tente alors d’affermir son alliance avec le royaume latin de Jérusalem ; c’est à cette fin qu’il choisit Léontios et l’envoie en Palestine tenter de réoccuper un siège déserté depuis longtemps par son titulaire théorique. Pour Théodosios Goudélès, le passé ascétique et

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monastique de Léontios joue un rôle important dans la démonstration de la sainteté, et ses commanditaires, les moines de Patmos, n’auraient pas admis qu’il l’omît. Pourtant, l’essentiel de la démonstration repose sur la carrière de patriarche, la reconnaissance explicite de sainteté par Manuel au moment de la nomination de Léontios comme patriarche, pour ses talents de prédicateur autant que son autorité naturelle, tout comme, après la mort du saint, la reconnaissance par Andronic Ier Com-nène (1182-1185), pourtant totalement déconsidéré lorsque l’hagio-graphe écrit peu après 1204.

Dans un monde byzantin qui ignore, au moins jusqu’au xiiie siècle, tout procès de canonisation, est saint celui dont la sainteté est recon-nue soit par les autorités, soit par le peuple chrétien engagé dans ce sens par les hauts faits spirituels du personnage diffusés par l’hagiographie. Bien entendu, ce processus évolutif nécessite, pour le chercheur, de com-prendre les conceptions de la sainteté que traduisent les hagiographes. En ce domaine, j’étais d’ailleurs loin d’être seul, ce qui permettait de fructueuses collaborations et confrontations d’idées entre byzantinistes et avec les médiévistes occidentalistes qui s’intéressent à ces sujets, du monachisme à la sainteté. Parmi les byzantinistes français, j’ai pu ainsi travailler (et le passé est ici une figure de style) avec Marie-France Auzépy, Vincent Déroche et Bernard Flusin, toutes personnes bien mieux entraînées que moi à la critique des sources hagiographiques.

Dès le début de cette démarche, j’ai publié un article qui essayait de dégager des Vies les qualités caractéristiques du saint. Il m’a notamment permis de mettre en évidence que, pour les hagiographes et, sans aucun doute, pour les fidèles, le saint possède un certain nombre de caractères du divin ; ce n’est d’ailleurs guère surprenant, car il s’agit le plus souvent de moines, ceux qui ont choisi, par l’ascèse, de ne plus faire qu’un avec Dieu. Vingt ans après, cet article mériterait d’être réécrit, notamment à la lumière des recherches que j’ai menées par la suite sur le culte des saints.

Grâce à un colloque de grande tenue organisé à l’université du Lit-toral par Édina Bozóky et Anne-Marie Helvétius, je me suis penché sur l’une des composantes majeures de ce culte, les reliques 7. J’ai tenté de

7. Quiconque étudie les reliques dispose d’un ouvrage fondamental, écrit de sur-croît dans la perspective de l’histoire du droit, discipline que les historiens pratiquent

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définir le processus essentiel par lequel le corps du saint décédé devient une relique. Cette transformation est décisive dans la reconnaissance de sainteté d’un personnage ; elle est aussi un gage de survie pour l’établis-sement qui abritait le saint vivant, car c’est la relique qui va attirer les fidèles et apporter au sanctuaire des ressources vitales pour lui. Comme l’hagiographe est le plus souvent issu de ce sanctuaire ou commandité par lui, il accorde généralement le plus grand soin à décrire le proces-sus. J’ai par la suite approfondi une partie de mon étude sur le moment où et le processus par lequel une dépouille devient relique, la vox populi précédant souvent le rituel d’ensevelissement. Cette étude est parue dans les mélanges offerts à G. Dagron et j’ai pu démontrer que le processus suivait le calendrier du rituel de commémoraison post mortem hérité du monde païen, qu’il avait lui-même étudié 8. De ces études se dégage éga-lement un point qui mérite d’être noté. L’importance revêtue dans l’his-toire de l’Empire byzantin par la querelle iconoclaste a conduit les byzan-tinistes à s’intéresser davantage aux icônes qu’aux reliques, en dehors des reliques du Christ, notamment celles de la Passion ; en effet, il nous est resté un grand nombre d’icônes, sans compter les représentations déco-rant les églises, et comparativement peu de reliquaires, encore moins de reliques. Or le culte des reliques se développe beaucoup plus tôt et massi-vement que celui des images et joue, dans la constitution des pèlerinages qui font vivre les sanctuaires, un rôle majeur, même si la relique du saint est bientôt entourée d’icônes le représentant. Bref, il s’agit là d’un phé-nomène social majeur.

Si les fidèles de tous les milieux accourent aux sanctuaires dotés de reliques, ce n’est pas comme simples visiteurs venus se recueillir et prier.

trop peu : N. Hermann-Mascard, Les reliques des saints, formation coutumière d’un droit, Paris, 1975 (Société d’histoire du droit, collection d’histoire institutionnelle et sociale, 6), dont la perspective est principalement occidentale. Ce dernier point importe peu, tant la concordance est parfaite entre chrétienté occidentale et chrétienté orientale, ce que le colloque cité a abondamment démontré. Cette remarque vaut d’ailleurs en bien d’autres domaines, si jaloux de leurs différences que soient aujourd’hui historiens catholiques et orthodoxes. Voir notre article infra p. 75-96.8. G. Dagron, Troisième, neuvième et quarantième jours dans la tradition byzantine : temps chrétien et anthropologie, Le temps chrétien de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge, iiie-xiiie siècle, Colloques internationaux du CNRS no 604, Paris 1984, p. 419-430.

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De la relique, les pèlerinages attendent des miracles. Les hagiographes se prêtent d’ailleurs au jeu : plus la relique fait de miracles, plus les pèle-rins viendront, plus ils feront d’offrandes. Ils prolongent donc la Vie de miracles posthumes. Si, bien souvent, il ne nous est resté que le texte augmenté des miracles, dans un cas au moins, celui de Pierre d’Atroa, dont la Vie est l’œuvre d’un vrai professionnel 9, Sabas, nous avons conservé le texte d’origine, qui s’arrête brutalement à la mort du saint le 1er janvier 837. L’ensevelissement du saint et l’année qui suit occu-pent quatre lignes du récit, puis c’est la péroraison. Le texte a été écrit quelques années seulement après la mort du saint, peut-être même avant la fin de l’iconoclasme, puisque, datant la mort du saint, l’auteur précise « Théophile régnant sur l’empire des Romains » : or il s’agit du dernier et du plus convaincu des empereurs iconoclastes et l’auteur le qualifie de façon neutre. Quelque vingt ans plus tard, Sabas réécrit la Vie ; il en corrige des passages, ôtant notamment la référence à Théophile, modi-fiant maints épisodes, avec quelques ajouts et un style singulièrement amélioré, ce qui tend à confirmer que la première version a été écrite à la hâte. Mais surtout, il y ajoute un recueil de vingt-quatre miracles posthumes, encadrant le récit de la translation de la relique, le 19 août 838, depuis l’église Saint-Nicolas au-dessus du monastère de Balaion à la grotte de la Théotokos où Pierre avait mené une partie de son ascèse, située dans la clôture du monastère Saint-Zacharie. Le but de cet ajout est explicite dans la version remaniée, l’explication de l’auteur précédant les récits des miracles : montrer que ceux-ci ne s’arrêtent pas à la mort du saint, afin que les fidèles se pressent au monastère.

Ainsi, selon son hagiographe, Pierre n’avait pas attendu de mourir pour faire des miracles. J’ai donc tenté de répondre à la question suivante :

9. Il a notamment réécrit la Vie de Iôannikios, auparavant rédigée par un nommé Pierre et nous avons conservé les deux textes. Iôannikios, mort en 846, avait été l’un des inspi-rateurs de la politique modérée adoptée par le patriarche Méthode en 843, au moment du rétablissement du culte des images, en vive opposition avec le parti des moines, notamment ceux du monastère de Stoudios à Constantinople. Pierre traduit ce rejet de la politique prônée par les stoudites auxquels il est violemment opposé. Sabas écrit après la mort de Méthode en 847 et sous le patriarcat d’Ignace qui suit la ligne des stou-dites ; il transforme Iôannikios, homme modéré même dans la défense des icônes, en un partisan de l’option stoudite, au prix de distorsions spectaculaires.

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le saint accomplit-il des miracles parce qu’il est saint, les miracles venant confirmer, sinon constituer la sainteté du personnage ? Le miracle est-il un passage obligé des récits hagiographiques ou bien un hagiographe peut-il présenter un modèle de sainteté dépourvu de miracles ? De fait, rares sont les Vies d’où les miracles sont totalement absents ; certaines, comme celle Syméon Stylite le Jeune, mort en 592, tournent au recueil de miracles plus qu’à la biographie. Mais, dans un nombre significatif de cas, l’hagiographe ajoute de façon maladroite, visiblement postérieure à la rédaction du récit, en vertu d’une sorte d’obligation stylistique, des miracles qui ne sont pas intégrés à la Vie. Si l’on fait l’effort de les oublier en lisant le récit, on s’aperçoit que celui-ci devient bien meilleur. Autre-ment dit, les miracles ne sont pas constitutifs de la sainteté. Il n’est pas indifférent que le meilleur exemple de ce cas de figure soit la Vie la plus ancienne de Théodore Stoudite : l’hagiographe arrête le récit à l’avène-ment de Michel II (820), lorsque celui-ci rappelle les iconoclastes exilés, pour aligner neuf miracles plus une allusion aux miracles posthumes, qui ne seront pas traités ; puis le récit reprend là où il s’était arrêté. Autre-ment dit, pour son hagiographe comme d’ailleurs pour les Byzantins des époques suivantes, Théodore est saint non pour les miracles qu’il aurait accomplis, mais pour avoir résisté au pouvoir impérial dans la querelle sur le divorce et le remariage de Constantin VI (querelle dite mœchienne, du terme grec qui désigne l’adultère) et surtout pour avoir combattu l’iconoclasme. Ayant achevé son récit, l’auteur découvre qu’il a oublié les miracles, lapsus révélateur ; il en invente neuf, qu’il rajoute au petit bonheur la chance, à un endroit où cela ne fait pas sens. Mais cela n’aurait fait sens nulle part ! Si l’on enlève ces neuf miracles, le texte est bien plus cohérent.

Les gens se pressent donc auprès des reliques des saints pour en attendre des miracles. Selon que le culte reste plus ou moins local, ils viennent de la proche région ou de beaucoup plus loin. Il s’agit donc de pèlerinages à finalité curative. Mais le pèlerinage peut être aussi une façon de se sanctifier, en dehors de toute recherche de miracle. Les Vies de saints incluent presque toujours dans l’itinéraire de leur héros des pèlerinages, tant à l’époque protobyzantine que durant la période méso-byzantine ; mais la conquête arabe de la Palestine représente une coupure radicale, car le pèlerinage de Jérusalem devient difficile et beaucoup plus rare, même s’il n’est pas absent.

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Si les pèlerinages du saint sont présents dans des Vies dès le ve siècle, ils revêtent souvent un aspect secondaire. Clairement, ils ne sont pas un aspect majeur constitutif de la sainteté, sauf rares exceptions ; le seul pèlerinage important, parfois recommencé plusieurs fois, est celui de Jérusalem qui peut s’accompagner d’une tournée dans les monastères de la région. Mais l’évolution générale que connaît la société vers un déve-loppement des pèlerinages se traduit dans l’hagiographie. Au viie siècle, dans la Vie de Théodore de Sykéôn, le pèlerinage devient constitutif de la sainteté, car, à Jérusalem, le saint accomplit lui-même un miracle pour mettre fin à une sécheresse ; il prend par ailleurs la tête d’innombrables pèlerinages de cités entières qui font appel à lui. L’exil volontaire, la xéni-teia, est l’une des pratiques caractéristiques de la sainteté, mais elle est le plus souvent une ascèse intérieure. À l’époque mésobyzantine, où les saints sont très majoritairement des moines, l’idéal de stabilité s’oppose le plus souvent aux voyages. Malgré tout, le pèlerinage reste une étape utile et généralement présente dans l’itinéraire vers la sainteté.

Ma dernière préoccupation majeure aura été de replacer les saints et la sainteté dans l’espace. J’ai d’abord étudié les sanctuaires des saints pour cerner leur organisation spatiale et pour les replacer dans le cadre géographique et social qui les entourait, le village et la cité. Dans ces deux cadres, le saint est présenté par son hagiographe comme un facteur essentiel de cohésion sociale, agent qui préserve ou rétablit l’unité du corps social en en dépassant les contradictions. Mais toutes les cités ne se valent pas et Constantinople constitue un cas évidemment particulier.

Dès le début, la capitale a attiré les moines, créant les conflits que l’on connaît ; après le concile de Chalcédoine, les moines furent assez large-ment chassés de Constantinople, sans toutefois s’en éloigner beaucoup. Le monachisme persiste donc dans la banlieue de la capitale, très pré-sent dans les récits hagiographiques, au point de former une catégorie originale en grande partie à cause de cette localisation qui permet tant aux saints vers la ville qu’aux fidèles vers les saints de faire l’aller et retour dans la journée, ce qui assure un contact facile. Le recours à l’interven-tion du saint de banlieue est donc fort aisé pour les fidèles de la capitale. Quant au saint de banlieue qui rentre dans la Ville, comme Daniel le Sty-lite pour renverser Basiliskos ou, plus modestement mais plus fréquem-ment, Cyrille le Philéote pour assister, tous les vendredis, au « miracle habituel » de l’église de la Théotokos des Blachernes, lorsqu’un vent divin

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dévoile une image ancienne de la Vierge, il parcourt sans grand mal l’iti-néraire de retour en ville qui caractérise Antoine, la référence suprême.

Dans cette étude des rapports entre la sainteté et l’espace, j’ai été incité à aller plus loin en échangeant avec des spécialistes de l’Occident médiéval, notamment dans le cadre du Centre d’histoire médiévale d’Auxerre en 1997 10. J’ai tenté de donner corps à cet aspect comparatiste, trop souvent négligé, en organisant un cycle de séminaires consacré au « sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident », qui a donné naissance à un volume des Byzantina Sorbonensia. J’ai moi-même alterné l’étude d’un cas particulier significatif, celui de l’espace organisé autour de la colonne de Daniel le Stylite, avec une étude géné-rale sur la façon dont les saints, selon leurs hagiographes, choisissent leur lieu d’ascèse. Ces études ont reçu un écho suffisant pour que les organisateurs des semaines de Spolète me demandent de tenter, dans l’esprit de cette manifestation, une synthèse sur ce que les sources hagio-graphiques byzantines nous apprennent sur les rapports entre l’espace et le sacré à Byzance.

J’ai pu ainsi tirer quelques conclusions provisoires sur un temps rela-tivement long. L’espace sacré vu par une trentaine d’hagiographes du vie au xiie siècle dépend d’abord du type d’ascèse : l’ermite, de surcroît sou-vent très mobile, définit moins facilement un espace sacré que le céno-bite ; le stylite, en qui l’on pourrait voir, par la distance que sa colonne met entre lui et les hommes, l’ermite le plus absolu, comparable seule-ment au reclus, se caractérise par une stabilité presque absolue 11 qui faci-lite la création d’un espace sacré. L’organisation de l’espace sacré est la préoccupation de l’hagiographe plus que du saint vivant, même si, dans

10. Voir D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris 2006, notamment p. 259-314 et p. 443-486. L’auteur avait lancé cette recherche lors de journées d’études auxquelles il avait bien voulu me faire participer. Sa préoccupation, que l’on retrouve dans plusieurs de ses publications antérieures [cf. D. Iogna-Prat, La spatialisation du sacré dans l’Occident latin (ive-xiiie siècle), Centre d’études médiévales d’Auxerre. Études et travaux, I, 1988-1989, p. 44-57], est la spatialisation du sacré ; elle est plus ambitieuse que la nôtre, qui s’est limitée à étudier comment le sacré s’inscrit dans l’espace.11. Toutefois, dans le cas de Lazare le Galèsiote (xie siècle), le saint change plusieurs fois d’endroit ; mais sa dernière installation nous ramène aux cas précédents.

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son récit, il peut transférer sur le saint lui-même son propre dessein ; c’est cet espace sacré, avec, le plus souvent, la relique, qui va attirer les pèle-rins. Dans le temps, plus on s’éloigne de la période des martyrs, moins la sainteté d’un personnage est reconnue de son vivant même. Définition de l’espace sacré et reconnaissance de la sainteté coïncident de plus en plus. Cela reflète une institutionnalisation de la sainteté, qui est davan-tage intégrée au système ecclésiastique, tandis qu’au départ elle se situait pour le moins à ses marges. Et ce système ecclésiastique devient de plus en plus contraignant. Le combat de la hiérarchie pour établir son auto-rité sur les moines et saints est une œuvre de longue haleine, dont les résultats sont sans cesse remis en cause, comme on le voit à la fin de l’ico-noclasme où les moines tentent de prendre le contrôle de la hiérarchie en présentant la victoire des images comme la leur. Ils n’y parvinrent pas. Pourtant, dans les siècles qui suivirent, grâce à une implication crois-sante de l’aristocratie, les monastères devinrent une véritable puissance économique et sociale ; à l’exemple d’Athanase l’Athonite, fondateur de Lavra, ils devinrent même d’excellents gestionnaires. Mais ni l’autorité impériale, ni les puissants aristocrates, quand bien même ils accor daient à leurs fondations le statut en principe significatif d’« autodespote », n’entendaient se dessaisir du contrôle de ce qui restait pour eux une part intégrante de leur fortune et par ailleurs le garant de leur salut futur « au jour terrible du jugement ». Comme les principaux patriarches et métro-polites sont issus de cette aristocratie, et sauf à être cantonnés sur une sainte montagne, les moines restèrent une autorité toute morale. Même la prise de Constantinople par les croisés, qui affaiblit le pouvoir impé-rial et donc la hiérarchie ecclésiastique qui dépendait de lui, n’offrit pas aux moines de l’époque des Paléologues le contrôle de l’Église.

Ma recherche sur l’espace sacré est loin d’être terminée. J’ai ainsi entre-pris d’étudier l’organisation de l’espace dans les principaux sanctuaires à miracles de Constantinople : l’église Saint-Jean-Baptiste de l’Oxeia, où l’opérateur des miracles est la relique de saint Artémios, et deux sanc-tuaires beaucoup plus importants et situés l’un et l’autre à peu de dis-tance hors des murs de la Ville, le Kosmidion et la Théotokos de Pègè. Dans ces trois sanctuaires, on pratiquait l’incubation pour attendre la guérison. Le premier, situé près des portiques de Domninos, partie nord du cardo de la ville de Constantin, semble dater du règne d’Anastase, à la fin du ve siècle ; il fut probablement détruit dans l’incendie allumé par

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les projectiles des croisés en août 1203 12. Aux dires de l’anonyme anglais de 1190 13, c’était alors, comme au viie siècle, une église, non un monas-tère. Quant au Kosmidion, qui date du ve siècle, et à la Théotokos de Pègè, qui date du règne de Justinien, ce furent l’un et l’autre d’abord des églises avant de devenir des monastères à des dates impossibles à préciser, mais antérieures au xie siècle. C’est donc pendant longtemps le clergé, non des moines, qui contrôlent ces espaces sacrés. L’avantage des recueils de miracles, c’est une description méticuleuse, surtout dans les miracles d’Artémios, de l’agencement intérieur de l’église, de l’emboîte-ment des espaces et donc de l’espace sacré du saint, car le parcours de celui-ci dans cet espace fait sens aux yeux de l’auteur.

Un dernier point pour finir. Les lecteurs qui vont parcourir les pages qui suivent seront peut-être surpris de ne pas y trouver autant qu’ils s’y attendraient l’écho de certaines évolutions qui ont marqué la façon de faire l’histoire pendant que je menais mon parcours d’historien. Je n’ignore pas l’importance de ce que la confrontation avec d’autres sciences sociales, comme la sociologie ou l’anthropologie, peut avoir de fructueux pour la science historique. Mais j’avoue être ici dépassé. À mes yeux, la matière première de l’historien, ce sont les textes qui nous sont parvenus des siècles que nous étudions. Cela peut être tout à fait frus-trant pour un byzantiniste, tant ce qui nous reste est à l’évidence peu de choses au regard de la production de l’époque considérée. La difficulté s’avère plus grande encore pour les périodes les plus anciennes, où l’écart entre la première rédaction d’une Vie ou d’un recueil de miracles et le premier manuscrit conservé se mesure en siècles ; au cours de ceux-ci, ces textes, qui avaient un statut d’apologétique et non d’œuvre littéraire reconnue forçant le respect, ont pu subir beaucoup de modifications. Dans un seul cas, la Vie de Léontios de Jérusalem, nous sommes, selon toute apparence, en présence de l’autographe, le texte écrit ou dicté,

12. F. Madden, The Fires of the Fourth Crusade in Constantinople. 1203-1204 : A Damage Assessment, BZ 84-5, 1991-1992, p. 72-93.13. K. N. Cigaar, Une description de Constantinople traduite par un pèlerin anglais, REB 34, 1976, p. 211-265.

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en tout cas rédigé par l’auteur 14. Le travail de critique des sources est donc fondamental et requiert une énergie considérable, mais aussi une grande humilité. Et quand l’historien parvient à les faire parler, il tirerait un apport décevant, et parfois inutile, de détours prolongés : il lui fau-drait une bonne trentaine de pages pour forcer, à l’aide d’autres sciences humaines, la Vie d’un saint évêque à nous révéler que l’évêque est le chef, au moins religieux, de la cité, ce que tous les textes nous disent au moins depuis le ive siècle 15.

De tous les historiens dont les œuvres ont façonné ma conception de l’histoire, au-delà de mes maîtres byzantinistes, celui qui m’a sans aucun doute le plus marqué, c’est Marc Bloch. C’est à lui que j’emprunte-rai ma citation conclusive, tirée de cet ouvrage incomparable, rédigé aux heures les plus sombres de notre pays, dans lequel il s’interrogeait sur son métier : Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien :

Il y a longtemps, en effet, que nos grands aînés, un Michelet, un Fustel de Coulanges nous avaient appris à le reconnaître : l’objet de l’histoire est par nature l’homme. Disons mieux : les hommes. Plutôt que le singulier, favorable à l’abstraction, le pluriel, qui est le mode grammatical de la relativité, convient à une science du divers. Derrière les traits sensibles du paysage, les outils ou les machines, derrière les écrits en apparence les plus glacés et les institutions en apparence les plus complète-ment détachées de ceux qui les ont établies, ce sont les hommes que l’histoire veut saisir. Qui n’y parvient pas, ne sera jamais,

14. Voir la brillante démonstration de B. Flusin dans son compte rendu de l’édition de D. Tsougarakis, REB 52, 1994, p. 351-352.15. L’emprunt des concepts de la sociologie et de l’anthropologie non pour éclairer éven-tuellement, mais pour faire l’histoire du Moyen Âge n’aboutirait-il pas renvoyer cette dernière à la théologie médiévale ? Cf. P. Buc, Dangereux rituel. De l’histoire médiévale aux sciences sociales, Paris 2003 (Le Nœud Gordien), traduction de l’ouvrage The Dan-gers of Ritual, Princeton 2001. Le lecteur comprendra que je n’ai pas vu sans regret les Annales, la revue fondée par Marc Bloch et Lucien Fèvre, troquer son sous-titre « Éco-nomie, société, civilisation » pour un fade « Histoire, sciences sociales », comme si étu-dier les trois aspects compris par le sous-titre originel n’enveloppaient pas la totalité des sciences dites « sociales ». Par chance, ce changement n’empêche pas cette revue de publier nombre d’excellents articles : j’y suis toujours abonné.

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au mieux, qu’un manœuvre de l’érudition. Le bon historien, lui, ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier 16.

Paris, avril 2011

16. M. Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris 1949 (Cahier des Annales 3), p. 3-5. Je ne suis évidemment ni le premier, ni, je l’espère, le dernier à me placer sous le patronage de ce passage : cf. L’ogre historien. Autour de Jacques Le Goff, éd. J. Revel, J.-C. Schmitt, Paris 1988, p. 10.

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