Pouvoirs87 - L'extrême droite en Europe

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  • R E V U E F R A N A I S E D T U D E S C O N S T I T U T I O N N E L L E S E T P O L I T I Q U E S

    L E X T R M E D R O I T E

    E N E U R O P E

    N 8 7

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  • S O M M A I R E

    JEAN-FRANOIS SIRINELLI 5Lextrme droite vient de loin

    JEAN-YVES CAMUS 21Lextrme droite en Europe : o, sous quelles formes, pourquoi ?

    PASCAL PERRINEAU 35Lexception franaise

    JRGEN W. FALTER ET JRGEN R. WINKLER 43La rsistible ascension de lextrme droite en Allemagne

    PATRICK MOREAU 61Le Freiheitliche Partei sterreich, parti national-libral ou pulsion austro-fasciste ?

    PIERO IGNAZI 83La recomposition de lextrme droite en Italie

    HANS DE WITTE ET PEER SCHEEPERS 95En Flandre : origines, volution et avenir du Vlaams Blok et de ses lecteurs

    ROSARIO JABARDO ET FERNANDO REINARES 115Dmobilisation de lextrme droite en Espagne

    PATRICK MOREAU 129Lextrme droite et Internet

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  • S O M M A I R E

    C H R O N I Q U E S

    D O C U M E N T

    LAURENT FABIUS 147Pour une nouvelle donne institutionnelle

    C H R O N I Q U E P O L I T I Q U E S P U B L I Q U E S

    YVES SUREL 161Ides, intrts, institutions dans lanalyse des politiques publiques

    R E P R E S T R A N G E R S

    (1er mai 31 aot 1998)PIERRE ASTI ET DOMINIQUE BREILLAT 179

    C H R O N I Q U E C O N S T I T U T I O N N E L L E F R A N A I S E

    (1er mai 30 juin 1998)PIERRE AVRIL ET JEAN GICQUEL 183

    Summaries 203

    REVUE TRIMESTRIELLE PUBLIEAVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DU LIVRE

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  • L E X T R M E D R O I T E E N E U R O P E E S T T U D I E P A R

    JEAN-YVES CAMUS, du Centre europen de recherche sur le racisme et lantismitisme(CERA), Paris, dont il a dit le rapport annuel : Les Extrmismes en Europe, d.de lAube, 1998 ; vient de publier : Front national : eine Gefahr fr die franzsischeDemokratie ?, Bonn, Bouvier Verlag, 1998. Contributeur du volume annuel Anti-Semitism Worldwide, universit de Tel-Aviv.

    HANS DE WITTE est docteur en psychologie et chef du secteur Emploi au HogerInstituut voor de Arbeid (HIVA) de la KULeuven (Belgique). Ses domaines derecherche comprennent le racisme et les mouvements dextrme droite, la participa-tion syndicale, la culture ouvrire et les consquences du chmage.

    JRGEN W. FALTER, professeur de sciences politiques luniversit Johannes Guten-berg de Mayence, a publi notamment : Wahlen und Abstimmungen in der WeimarerRepublik, avec T. Lindenberger et S. Schumann (1986) ; Hitlers Whler (1991) ; WerWhlt rechts ? (1994) ; Rechtsextremismus, avec H. G. Jaschke et J. W. Winkler (1996).

    PIERO IGNAZI, professeur de sciences politiques luniversit de Bologne, a publinotamment : Il Polo escluso. Profilo del Movimento sociale italiano, Bologne,Il Mulino, 1989 (nouvelle d. revue et augmente en 1998) ; The Organization ofPolitical Parties in Southern Europe (dir. avec Colette Ysmal), Wesport, Praeger, 1998.

    ROSARIO JABARDO est chercheur au dpartement de Sociologie de lUniversit natio-nale denseignement distance (UNED) de Madrid.

    PATRICK MOREAU, docteur en histoire, docteur dtat en sciences politiques, aucentre dtudes germaniques de luniversit de Strasbourg. Consultant auprs duBundestag, auteur de livres, articles et films sur les extrmismes contemporains. Apubli : Les Hritiers du Troisime Reich. Lextrme droite allemande de 1945 nosjours (Seuil, 1994).

    PASCAL PERRINEAU, professeur lIEP de Paris, directeur du Centre dtude de la viepolitique franaise (CEVIPOF), a publi : Le Symptme Le Pen. Radiographie deslecteurs du Front national (Fayard, 1997).

    FERNANDO REINARES est professeur la facult de Sciences politiques et deSociologie de lUniversit nationale denseignement distance (UNED) de Madrid.

    PEER SCHEEPERS, professeur de sociologie empirique la K.U.Nijmegen. Effectue desrecherches sur lethnocentrisme, le racisme et lextrmisme de droite aux Pays-Bas.

    JEAN-FRANOIS SIRINELLI est professeur dhistoire politique et culturelle duXXe sicle lInstitut dtudes politiques de Paris. Paralllement ses travaux sur lhis-toire des intellectuels franais, il a publi Histoire des droites en France (Gallimard,1992, 3 vol.) et dirig le Dictionnaire historique de la vie politique franaise auXXe sicle (PUF, 1995). Auteur, avec J.-P. Rioux, du Temps des masses, t. IV delHistoire culturelle de la France (Seuil, 1998).

    JRGEN R. WINKLER, docteur en philosophie, est conseiller acadmique luni-versit Johannes Gutenberg de Mayence. Il a publi : Sozialstruktrur, politischeTraditionen und Liberalismus (1995) ; Jugend, Politik und Rechtsextremismus inRheinland-Pfalz, avec S. Schumann (1997) ; Rechtsextremismus, avec J. W. Falter etH. G. Jaschke (1997).

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  • J E A N -F R A N O I S S I R I N E L L I

    L E X T R M E D R O I T E V I E N T D E L O I N

    EN PREMIRE ANALYSE, pour lhistorien, la question de la dfini-tion de lextrme droite tient de la gageure. Plusieurs obstacles, eneffet, semblent tre autant de barrires insurmontables entravant sadmarche. Le premier est classique et dpasse, du reste, le champ de ladiscipline historique. Lexistence et lidentit dune famille politique nesimposent jamais lobservation directe, elles sont le rsultat duneopration de lesprit qui organise le champ des ralits sociales 1 . Dansle cas de lextrme droite, une telle ralit construite a-t-elle un sens,compte tenu de la trs grande htrognit, on le verra, des compo-santes qui peuvent relever dune telle tiquette ? A tout prendre, pour-tant, l nest pas lobstacle majeur. Intrinsquement, la notion dextrmedroite est lie celle de droite. Or celle-ci a volu dans le temps, lesenjeux autour desquels sarticulait la summa divisio (Ren Rmond) dela vie politique franaise ayant eux-mmes chang de nature au fil desdeux sicles couls depuis la Rvolution franaise 2. De surcrot etcest l un troisime aspect probablement encore plus dirimant car sp-cifique lobjet , lextrme droite franaise change non seulement decouleur selon les phases de la vie politique mais aussi damplitude.A lexamen, en effet, son mtabolisme apparat intermittent : dpa-nouissement passager en vanouissement durable, elle change quasimentde forme dune priode lautre.

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    1. Ren Rmond, Conclusions du colloque Les Familles politiques en Europe occi-dentale au XIX e sicle, Rome-Paris, cole franaise de Rome-de Boccard, 1997, p. 447.

    2. Jean-Franois Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France (3 tomes), Paris, Gallimard,1992.

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  • Et encore les remarques qui prcdent ne concernaient-elles que laFrance. Le souci lgitime dune dmarche comparatiste dboucheparfois sur de belles russites scientifiques quand le champ dobser-vation choisi a plus de densit initiale 3, il nen ajoute pas moins ici unfacteur de diversit supplmentaire un objet qui est dj, par essence, gomtrie variable. A tout prendre, il y aurait donc risque de dilution figer demble cet objet dans une dfinition pralable trop rigide.Dans le cas de lextrme droite, dont les ressorts de lintermittence sontprcisment intimement lis aux soubresauts de lhistoire, la dmarchedapprhension ne peut tre quempirique et cest la gerbe de tellesdmarches parallles, par pays, qui peut, larrive, donner ventuelle-ment sens et permettre des conclusions plus globales. Pour toutes cesraisons, on sen tiendra ici au cas franais.

    Ce qui, pour autant, est loin de rsoudre tous les problmes. Dansles cultures politiques de ce pays, en effet, les grands combats rpubli-cains puis le rayonnement idologique des diffrentes variantes du socia-lisme ont fait que le statut smantique de lextrme gauche et celui delextrme droite nont jamais t les mmes : tandis que la premireexpression a toujours eu tendance sortir de son lit, par de multiples rami-fications, la seconde sest rapidement retrouve son tiage ; les intres-ss eux-mmes, de rares exceptions, nont jamais revendiqu ltiquette,qui renvoyait une culture de vaincus. Dautant que cette question desappellations contrles nest pas le seul rejeu de mmoire compliquerla tche de lhistorien. Il faut y ajouter le problme du caractre diff-rentiel de notre mmoire nationale. Celle-ci, pour les raisons dj vo-ques, a elle aussi un centre de gravit plac gauche et ce dsquilibremnsique touche plus encore lextrme droite, celle-ci stant retrouve,le plus souvent, on le verra, aux antipodes des valeurs rpublicaines. Noussommes donc, de ce fait, dans un domaine o les mots se drobent ousont connots et o les effets de mmoire peuvent tre des miroirsdformants, par amplification ou altration des ralits historiques. Dansun tel contexte de difficults multiformes, lapport essentiel de la disci-pline historique peut tre une double remise en perspective : redonneraux diverses et successives manifestations de lextrme droite franaiseleurs vritables proportions et, surtout, tenter de localiser les souches duphnomne. Cette extrme droite, on va le voir, vient de loin.

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    3. Ainsi, la gauche : voir, sur ce thme, Marc Lazar (dir.), La Gauche en Europe depuis1945. Invariants et mutations du socialisme europen, Paris, PUF, 1996.

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  • L A S O U C H E C O N T R E -R V O L U T I O N N A I R E

    Lcole historique franaise saccorde gnralement pour distinguerdeux souches successives lextrme droite en France, ayant donn nais-sance chacune plusieurs surgeons : une droite contre-rvolutionnairene avec la Rvolution franaise, et une droite populiste apparue la findu sicle suivant, dans un autre contexte 4. Jusqu la fin du XIXe sicle,la question qui domine la vie politique franaise est bien celle du rgime donner au pays. Aprs le rle obsttrical immdiat de la Rvolutionfranaise la naissance dun monde politique nouveau , celle-ci a eutout autant ensuite un effet diffr : tout au long du XIXe sicle, cestpar rapport lhritage rvolutionnaire, ses acquis aussi bien que sammoire, que sarticuleront les luttes politiques et les enjeux idolo-giques. Le rle immdiat et leffet diffr taient, du reste, consubstan-tiels. Car, comme la observ Franois Furet, la squence chronologiqueque lon dsigne sous le nom de Rvolution franaise prsentait dj la succession des types dautorit publique qui meubleront le rper-toire des luttes politiques franaises : la dynastie des Bourbons, lamonarchie constitutionnelle, la dictature jacobine, la Rpublique par-lementaire, le bonapartisme 5 .

    La question du rgime dont il convient de doter le pays hante doncle XIXe sicle franais et les familles politiques naissantes vont incarnerles diffrentes rponses possibles une telle question. La triade desdroites lgitimiste , orlaniste et bonapartiste forge par RenRmond 6 renvoie, du reste, trois de ces rponses : une monarchie abso-lue, une monarchie constitutionnelle, un rgime dautorit intgrant lesacquis du suffrage universel. Paralllement, sopre progressivementlidentification entre gauche et Rpublique, la Marianne au combat (Maurice Agulhon). Pour autant, la droite contre-rvolutionnaire a-t-ellereprsent demble un extrme par rapport aux critres du temps ?Lhistorien, en effet, ne doit pas perdre de vue ces critres, au risque de

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    4. Cf., par exemple, la synthse collective dirige par Michel Winock, Histoire delextrme droite en France, Paris, d. du Seuil, 1993.

    5. Franois Furet, La Rvolution de Turgot Jules Ferry, 1770-1880, Paris, Hachette,1988, p. 8.

    6. Ren Rmond, La Droite en France de 1815 nos jours. Continuit et diversit dunetradition politique, Paris, Aubier, 1954. Passage du titre au pluriel dans la dernire ditionrefondue, Paris, Aubier-Montaigne, 1982.

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  • commettre le pch danachronisme. Or, dans sa dmarche de remise encontexte, il constate immdiatement que la droite orlaniste , dans unpremier temps, constitua la gauche du paysage politique. Et que la droite lgitimiste en occupait le flanc droit. Durant cette premire phase,il est donc difficile de faire de cette droite contre-rvolutionnaire unedroite extrme. Cest le mouvement sinistrogyre 7 de la vie politiquefranaise, avec lapparition de nouvelles tendances politiques par lagauche de la scne politique ici, le mouvement rpublicain et le glis-sement concomitant vers la droite dautres courants ns gauche, quila placera bientt lextrme droite. Bientt ? Le terme est choisi flou dessein, car, l encore, il convient dviter le pch danachronisme :tout dpend du moment o la droite orlaniste devient, en effet, unedroite8. De fait, il sest agi dun lent glissement de glacier 9. Toujoursest-il que, quelle que soit lhypothse retenue, la droite lgitimiste est bien passe du rang de force politique importante du jeu politiquetout au long du XIXe sicle au statut de courant bientt priphriqueau temps de la Rpublique triomphante. Ladjectif priphrique estbien celui qui convient ici. Il suggre la fois une force politique deve-nue marginale et une position dsormais excentre, cest--dire la foistopographiquement priphrique par rapport au nouveau centre degravit de la vie politique et en rupture par rapport aux valeurs domi-nantes des dbats civiques.

    Car, entre-temps, dans les annes 1870, un fait politique majeur estintervenu, qui confirme en appel 1789 et 1792 : cette poque, laRvolution franaise entre au port 10 et, avec elle, la Rpublique vic-torieuse. Pour celle-ci, et donc, indirectement, pour la droite lgiti-miste , une date est aussi importante que la proclamation de la Rpu-blique en 1870 : 1879, avec le remplacement de Mac-Mahon par JulesGrvy. Dsormais, le temps du combat a bien fait place celui de

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    7. Albert Thibaudet, Les Ides politiques de la France, Paris, Stock, 1932, p. 19. AlbertThibaudet parle aussi de sinistrisme (ibid., p. 23). Cf. galement, par exemple, lesremarques dAndr Siegfried dans son Tableau des partis en France, Paris, Grasset, 1930,p. 73-74.

    8. Doit-on, par la suite, quand les rpublicains viennent constituer cette gauche du paysage,la situer droite ou la laisser durablement au centre ? Cf., sur ce point, les remarques et ladiscussion des thses de Ren Rmond de Frdric Bluche et Stphane Rials, Fausses droites,centres morts et vrais modrs dans la vie politique franaise contemporaine , Revue de larecherche juridique, n 3, 1983, p. 611 sq.

    9. Albert Thibaudet, op. cit., p. 19.10. Franois Furet, op. cit., p. 517.

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  • la puissance tablie 11 . Bien plus, au fil des annes 1870 et 1880,Marianne ne devient pas seulement une puissance tablie par sonstatut de rgime officiel, avec toute une symbolique de la victoire poli-tique La Marseillaise devenant cette anne-l hymne national et le14 juillet tant promu lanne suivante la dignit de fte nationale. Desurcrot, la Rpublique a gagn, en ces dcennies, la bataille de lopi-nion : les travaux de Maurice Agulhon, notamment, ont bien montrcomment, aprs les combats rpublicains de la premire partie dusicle, Marianne a alors conquis progressivement mais dfinitivementles curs et les esprits. Au tournant du sicle, aprs la crise boulangisteet laffaire Dreyfus, l cosystme rpublicain12 est, cette fois-ci,solidement tabli et, sur ses flancs, la droite contre-rvolutionnaire estbien devenue, sans conteste cette date, une extrme droite.

    Sil sagissait ds lors dune sensibilit rsiduelle, elle ne mritaitgure dtre mentionne ici, devenant extrme droite au moment mmeo elle entrerait en phase terminale. Or la ralit historique fut singu-lirement plus complexe. Grce au dveloppement de lAction franaise,la droite contre-rvolutionnaire franchit sans encombre le cap du dbutdu XXe sicle. Bien plus, elle acquiert en quelques annes les formes duncorps de doctrine global et construit. Et, de ce fait, le mouvement deCharles Maurras a cr autour de lui un rel phnomne dagrgationintellectuelle et dadhsion idologique. Comme la Rpublique victo-rieuse tenait un discours des origines confrant la Rvolution franaisele statut dvnement fondateur, lui opposer la thorie du drame cos-mique intervenu en 1789 apparaissait bien comme le contre-discours leplus cohrent, qui toucha notamment plusieurs gnrations successivesde jeunes intellectuels. La pense maurrassienne ntait certes pas lapremire souffler ainsi sur les braises de lultracisme : la posturetait mme devenue classique depuis les premiers penseurs contre-rvolutionnaires de la fin du XVIIIe sicle. Mais une telle cohrence et sacapacit dattraction lui confrrent, au moins en milieu intellectuel, unstatut d envers de la Rpublique (Pierre Nora) : excroissance ne auflanc de la Rpublique triomphante, elle en est devenue une sorte deparasite historique et mme, dune certaine faon, le Shadow cabinetidologique. Assurment, le Quartier latin ne rassemblait alors que

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    11. Maurice Agulhon, Marianne au pouvoir. Limagerie et la symbolique rpublicaines de1880 1914, Paris, Flammarion, 1989, p. 353.

    12. Serge Berstein et Odile Rudelle (dir.), Le Modle rpublicain, Paris, PUF, 1992, p. 7.

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  • quelques milliers dtudiants et les monarchistes de province avaientfondu comme neige au soleil aprs les ralliements successifs. Bien sr,lAction franaise arrivait trop tard, dans un monde boulevers enquelques dcennies. Mais elle dtenait une partie du pouvoir mtapo-litique et son ombre porte se prolongea ainsi plusieurs dcenniesdurant 13. Et si, au terme du mme sicle, une telle ombre natteint plusdsormais que quelques isolats sans relle porte, cette capacit inves-tir le champ idologique fit rver par la suite des gnrations dintellec-tuels dextrme droite. Celle-ci avait russi, lpoque de lAction fran-aise, a tre partie prenante du dbat franco-franais.

    U N E V E I N E N AT I O N A L E -P O P U L I S T E ?

    Dune certaine faon, on le voit, une fin de sicle peut en cacher uneautre. Si la fin du XVIIIe sicle fut, sans conteste, une poque fondatricedans notre histoire nationale, la fin de sicle suivante a t galementune priode trs dense. Et lobservation est particulirement fondepour ce qui concerne la gnalogie de lextrme droite. Si la veinecontre-rvolutionnaire nat un sicle plus tt, elle retrouve alors unecapacit dattraction, par un processus qui nest quen apparence para-doxal, au moment mme o elle stiole. Dans son cas, il convient doncplutt de parler de refondation au seuil du XXe sicle : il y eut alorstransmutation dune tradition politique qui existait dj.

    Pour lautre veine de lextrme droite, en revanche, cest bien de fon-dation quil sagit la mme date. Et cest elle quil faut consacrer icila plus grande attention, en raison de son caractre durable en mmetemps quintermittent : chaque phase de crise de la dmocratie franaisela voit rapparatre. Avec, de surcrot, un aspect camlon : chacune deces crises lui confrera ses teintes propres.

    Sur la nature de cette nouvelle extrme droite, le dbat reste entierau sein de lhistoriographie franaise et trangre. Lhabitude sest prisede parler son propos de national-populisme, mme si le terme popu-

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    13. Pour une mise en perspective plus prcise du processus, je me permets de renvoyer mon analyse dans le tome IV de lHistoire culturelle de la France, Le Temps des masses,chapitre 7, La Rpublique, encore , ouvrage crit en collaboration avec Jean-Pierre Rioux,Paris, d. du Seuil, 1998, p. 135-138.

    14. Cf. la mise au point de Pierre-Andr Taguieff, Le populisme et la science politique.Du mirage conceptuel aux vrais problmes , dans le n 56 (octobre-dcembre 1997) deVingtime Sicle. Revue dhistoire, tout entier consacr aux populismes .

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  • lisme prte dj lui seul discussion 14. Pierre-Andr Taguieff aaccultur une telle notion ds 1984 15. Michel Winock la utilise ga-lement, depuis, pour proposer une lecture rcurrente de lhistoirefranaise partir de la fin du XIXe sicle 16. Par-del les questionsdappellation, un consensus sest progressivement dgag pour consi-drer quau moment mme o des droites rpublicaines, au demeurantdiverses, deviennent en cette fin de sicle un versant part entire dupaysage politique, il faut observer lapparition concomitante sur leurflanc droit dun courant la fois populiste et antiparlementaire. Cestsur lanalyse des conditions dune telle apparition et sur la nature duntel courant que les hypothses se sont multiplies. La diversit de ceshypothses ne constitue pas pour autant une impasse historiogra-phique. Elle renvoie, en fait, au caractre multiforme de la mutationalors en cours. Le terreau de cette extrme droite est, en effet, constitupar les diffrentes facettes dune telle mutation. Certes le rgime tertio-rpublicain sest dj, la charnire des deux sicles, profondmentenracin, mais cet avnement de lcosystme rpublicain ne soprepas sans -coups.

    Tout dabord, la monte concomitante des classes moyennes et dela classe ouvrire a des effets complexes. Les premires, indpendantesou salaries, constituent bien les couches nouvelles en ascension, la fois vivier pour la classe politique rpublicaine et socle sociologiquedu rgime victorieux. La classe ouvrire, en revanche, se place pourlheure en drivation par rapport celui-ci. Mais l nest pas, pour lhis-toire de lextrme droite, lessentiel. La vie politique ne peut alors sersumer, en effet, ce binme classes moyennes conqurantes-classeouvrire rticente. Car ces classes moyennes, en fait, constituent unensemble htrogne. Et, pour une partie dentre elles, ce nest pas for-cment la crainte de la lutte des classes, du dsordre et de la subversionrvolutionnaire qui est, pour lheure, prioritairement mobilisatrice.Cest plutt lalliance apparente des notables bourgeois et des boursiersconqurants venus des petites classes moyennes salaries qui trouble,par phases, de larges secteurs de petits travailleurs indpendants, qui ne

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    15. Pierre-Andr Taguieff, La rhtorique du national-populisme , Cahiers BernardLazare, n 109, juin-juillet 1984, p. 19-38, et Mots, n 9, octobre 1984, p. 113-139.

    16. Cf. Michel Winock, La vieille histoire du national-populisme , Le Monde, 12 juin1987, repris in Nationalisme, Antismitisme et Fascisme en France, Paris, d. du Seuil,coll. Points Histoire , 1990 ; et, plus rcemment, Populismes franais , Vingtime Sicle.Revue dhistoire, n 56, octobre-dcembre 1997, p. 77-91.

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  • se reconnaissent pas dans cette alliance, craignent den faire les frais etrefusent donc, pour certains dentre eux, cet avnement de la dmocra-tie librale franaise 17.

    Du reste, une partie de lextrme droite populiste alors en gestationse montrera parfois beaucoup plus attentive que la droite parlementaire la question sociale 18 . Surtout, il y a probablement dans cette faille,qui apparat au moment mme de lenracinement de la dmocratiefranaise, une donne appele devenir rcurrente : la reprsentationpolitique sera fragilise chaque fois que le foss entre le personnelparlementaire et une partie du peuple souverain slargira trop et quece personnel apparatra celle-ci suspect de dtournement de souverai-net populaire. Certes, le peuple ainsi concern nest pas alors celuidont se rclame lopposition socialiste ou, aprs 1920, communiste.Mais lui non plus nest constitu, sociologiquement, ni de nantis ni deprivilgis, ce qui ne lempche pas de ne pas se reconnatre dans la syn-thse rpublicaine, dans sa mritocratie et ses nouveaux notables.

    Assurment, en dautres moments du XXe sicle, par exemple lors dela crise des annes 1930, ce pourront tre la crainte du communisme etla menace suppose de proltarisation qui contribueront nourrir lesrsurgences de cette extrme droite. Mais ce sont prcisment une telleplasticit et une telle capacit incarner des horizons dattente diffrentsqui permettront celle-ci de canaliser des malaises et des craintes ns decontextes dissemblables mais renvoyant gnralement trois cas defigure essentiels : le sentiment dtre les victimes uniques dune priodede difficults, ou les soutiers dune phase de prosprit, ou encore lesoublis dune mutation en cours. Cette plasticit idologique, il estvrai, sordonnera toujours autour dun noyau structurant : le refus dela reprsentation politique dmocratique et laspiration diffuse ou plusconstruite un pouvoir davantage personnalis et hirarchis, et fondsur une lgitimit de nature plus plbiscitaire que dlgue. Ce noyaustructurant est, par bien des aspects, lembryon dune vritable culturepolitique. Il dtermine, en tout cas, dsormais une posture politiqueappele tre rcurrente. Et la phase de gestation de cette culture et decette posture date bien de la fin du XIXe sicle.

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    17. Sur celle-ci, cf. Serge Berstein (dir.), La Dmocratie librale, Paris, PUF, coll. Histoire gnrale des systmes politiques , 1998.

    18. Cf. Zeev Sternhell, La Droite rvolutionnaire 1885-1914. Les origines franaises dufascisme, Paris, d. du Seuil, 1978, rd., Paris, Gallimard, coll. Folio histoire , 1997.

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    Si celle-ci est ainsi fondatrice cest galement quau malaise des phasesde mutation sociologique sajoute alors une crise identitaire. Ce qui, dureste, explique probablement quau noyau structurant sagrgent aussilantismitisme et la xnophobie, qui sont la fois les symptmes et lesconsquences dune telle crise identitaire. En cette fin de sicle, celle-cipuise plusieurs sources et cest cette densit qui lui donne son acuit.Il y a, bien sr, le choc de la dfaite de 1871 et de lamputation natio-nale qui en rsulta. Or, linstallation de la Rpublique est concomitantede la dfaite et cest ce rgime qui parapha le trait dont est issuelamputation. A bien y regarder, pourtant, la situation est bien pluscomplexe que celle qui prvalut, par exemple, un demi-sicle plus tarddans la jeune Rpublique de Weimar rendue responsable du coup depoignard dans le dos : au dbut de 1871, les rpublicains avaient faitcampagne pour la poursuite de la guerre et la Rpublique retira delpisode une empreinte initiale dintransigeance nationale. Cest, enfait, au fil de la trentaine dannes qui suivit, jusquaux lendemainsde laffaire Dreyfus, que le nationalisme passa progressivement de lagauche laquelle, dans un premier temps, sidentifiait la Rpu-blique la droite. Ou, plus exactement, des branches de la droite quivont alors commencer intenter la dmocratie franaise un procs pourfaiblesse nationale caractrise. La blessure des deux provinces perduesentrane une sorte de fivre obsidionale et la Rpublique, mme si onne peut lui faire endosser rtrospectivement la tache originelle, doit assu-mer, en tant que rgime tabli et en tant que responsable de la politiquetrangre franaise, les effets dune telle fivre. Dautant que ce natio-nalisme bless et inquiet nourrit par bouffes un sentiment dincertitudeet dimpuissance, encore exacerb par la proximit du tournant dusicle. Lobsession de la dcadence reflte ce sentiment, tout comme, danscertains milieux, la hantise de lpuisement de la race. Celle-ci serait fra-gilise par lexode rural au demeurant bien limit, par rapport auxautres puissances occidentales , mine par lalcoolisme et guette parla dpopulation 19 . Il faut donc, tout prix, la protger des ferments

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    19. Cf. notamment Eugen Weber, Fin de sicle. La France la fin du XIX e sicle, Paris,Fayard, 1986, et Jean-Pierre Rioux, Chronique dune fin de sicle. France 1889-1900, Paris, d.du Seuil, 1991.

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  • internes de dissolution et des atteintes trangres de dsagrgation. Cequi, au bout du compte, donne encore plus de force et dcho au noyaustructurant de la culture politique de cette extrme droite nationale-populiste. Et ce qui tablit des points communs avec le courantmaurrassien qui, la mme date, on la vu, apparat comme le puissantadversaire, sur le plan mtapolitique, de la Rpublique. Lcho querencontre alors ce courant est probablement un contrecoup de la criseidentitaire nationale.

    Malaise sociologique, rats dans la reprsentation, crise identitaire,une telle triade constitua donc au tournant du sicle une sorte de terreaupour lpanouissement de lextrme droite franaise, travers ses deuxrameaux principaux. A cette date, cest bien une structure binaire qui semet en place droite, avec, dun ct, des droites parlementaires assu-rment ramifies mais ayant en commun un respect le plus souventtout rcent des rouages reprsentatifs de la dmocratie franaise, delautre, une extrme droite, elle aussi diverse, mais partageant le mmerejet, moins de la Rpublique elle-mme sauf pour ce qui concerne ladescendance de la droite lgitimiste que de cette dmocratie 20. Laquasi-concomitance est, du reste, frappante entre le ralliement du dbutdes annes 1890, qui consolide le compromis libralo-dmocrate 21 ,et les refus de ce compromis qui vont commencer sexprimer au fil dela mme dcennie.

    Et cette structure binaire induit, presque par essence, une crisedsormais latente de la reprsentation politique. Certes, les efforts delAction franaise en faveur de lidal de la monarchie absolue en unepoque o celui-ci tait dj dfinitivement vaincu historiquement tour-neront vite lincantation, progressivement dconnecte de toute ra-lit politique, conomique et sociale : au bout du compte, cest avant toutlombre porte de sa force de frappe idologique qui confrera au cou-rant maurrassien un pouvoir mtapolitique longtemps persistant. Pour

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    20. Structure binaire qui, au demeurant, nest pas contradictoire avec la distinction ter-naire releve par Ren Rmond entre droites lgitimiste , orlaniste et bonapartiste .Ces trois droites ont t enfantes par le XIXe sicle et la fin du mme sicle joue pour elles,en quelque sorte, le rle de gare de triage historique : la droite lgitimiste perd une grandepartie de sa force et se situe dsormais, on la vu, aux extrmes ; inversement, la droite orla-niste devient une droite rallie la Rpublique ; quant la droite dite bonapartiste , elleaura deux rameaux au fil du sicle, lun intermittent et volontiers antiparlementaire, lui aussisitu aux extrmes, lautre sincarnant dans laspiration une Rpublique plus autoritaire avec,en bout de chane, le gaullisme.

    21. Jacques Julliard, De lextrmisme droite , Mille neuf cent. Revue dhistoire intel-lectuelle, n 9, 1991, p. 5-15, citation p. 8.

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  • ce rameau de lextrme droite, la fin du XIXe sicle avait moins jou unrle de gestation que de ractivation. Et les effets, de ce fait, se dissipe-ront en quelques dcennies. Quand Charles Maurras proclame, lannonce du verdict qui le frappe aprs la Libration la condamna-tion la perptuit , cest la revanche de Dreyfus , il prend acte samanire que le dbat sur la Rvolution franaise a cess depuis longtempsde sous-tendre la vie politique franaise et quune autre fin de sicle,entre-temps, a jou aussi un rle fondateur. En revanche, lautre rameaudextrme droite, apparu prcisment en cette seconde fin de sicle aprs1789, bourgeonnera plusieurs reprises au fil du XXe sicle. Et, ainsiremis en perspective, le mtabolisme intermittent de lextrme droitefranaise au cours de ce sicle trouve sa signification historique : cestbien lorsque certains des composants du terreau de triple crise dcrit plushaut se trouveront nouveau runis quune telle crise de la reprsenta-tion politique se trouvera ramorce. Sans, du reste, quil ait t pourautant ncessaire que tous ces composants soient chaque fois prsents.Lalliage de deux des trois facteurs relevs suffira crer une situationdpanouissement de lextrme.

    Il est possible, ds lors, de proposer une lecture de lhistoire delextrme droite en France au XXe sicle qui passerait par linventairede ces panouissements successifs et par une typologie de leurs fac-teurs dclenchants. Pour demeurer dans les limites imparties, on secontentera de rappeler ici les jalons principaux au demeurant bienconnus de cette histoire intermittente, pour terminer sur le constat dudveloppement, depuis maintenant plus de quinze ans, dun Frontnational en position haute. Cette longueur inhabituelle dans lhistoirede lextrme droite sexplique, au moins pour partie, par lexistence dunecrise qui, nouveau, revt un aspect ternaire, et donc fort ample. Certes,les conditions historiques ont chang et les comparaisons terme termene seraient pas raison. Une ralit demeure : nouveau une fin de siclesest trouve gestatrice ou ranimatrice, selon la rponse que lonapporte la question gnalogique dune extrme droite forte.

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    Entre-temps, donc, il faut relever plusieurs phases de croissance delextrme droite antiparlementaire et populiste. Celle-ci stait notam-

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    22. Serge Berstein, La ligue , in Histoire des droites en France, op. cit., t. II, Cultures,p. 61-111.

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  • ment structure autour de ligues 22 au moment de sa premire floraison.Si de telles structures refont leur apparition aprs la victoire du Carteldes gauches en 1924, le retour de Poincar ds 1926 met fin presquemcaniquement la flambe. Celle-ci avait t surtout attise par uneraction la victoire lectorale de la gauche et aucun lment de la triadereleve plus haut ntait rellement prsent : la prosprit conomiqueretrouve en quelques annes aprs la secousse de la Grande Guerre, lesentiment de puissance nationale issu de la victoire, le fonctionnementsans vritables -coups de la dmocratie franaise, autant de pointsdancrage et de stabilit cette date.

    Mais ces pilotis sont branls par la crise des annes 1930. Lavariante franaise de cette crise, on le sait, natteignit jamais lamplitudeque connurent, par exemple, lAllemagne ou les tats-Unis. Il nem-pche. On observe au fil de la dcennie la monte dune contestationligueuse, nationaliste et plbiscitaire qui relve bien des deux souchesdj identifies, un national-populisme de tradition hexagonale et un ultracisme contre-rvolutionnaire revu et corrig par Maurras 23. Si,paralllement, gonfle aussi une tentation fascisante 24, sur lampleur delaquelle le dbat continue quinze ans aprs la publication de Ni droite,ni gauche de Zeev Sternhell 25, cest bien cette rsurgence qui demeurele phnomne majeur lextrme droite. Et ses facteurs en sont assur-ment lalliage de la crise conomique et dune crise de la reprsentationqui lui est lie. Sil est difficile cette date de parler de crise identitaire,la progression au mme moment de lantismitisme et de la xnopho-bie est bien le symptme dun drglement galement en ce domaine.

    Cette extrme droite ractive sest-elle pour autant installe enposition haute dans les annes 1930 ? Sur le plan lectoral, les analysesde Franois Goguel sur des scrutins partiels entre 1936 et 1939 condui-raient rpondre par la ngative 26. Plus complexe, en revanche, estlvaluation de la progression ventuelle de linfluence de cette extrmedroite sur le dbat civique. En tout tat de cause, le collapse militairepuis politique de 1940 introduit une phase particulire de lhistoire

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    23. Pierre Milza, Lultra-droite des annes trente , in Michel Winock (dir.), Histoire delextrme droite en France, op. cit., p. 157-189, citation p. 165.

    24. Ibid., p. 171.25. Zeev Sternhell, Ni droite, ni gauche. Lidologie fasciste en France, Paris, d. du

    Seuil, 1983.26. Franois Goguel, Les lections lgislatives et snatoriales partielles , in Ren

    Rmond et Janine Bourdin (dir.), douard Daladier chef de gouvernement, Paris, Presses dela FNSP, 1977, p. 45-54.

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  • nationale. Et ouvre une priode o, pour la seule fois de cette histoire,une partie de lextrme droite se trouve non seulement associe au pou-voir celui du rgime de Vichy mais inspirant de surcrot une part deson action 27. Et se trouvant, de ce fait, emporte par le reflux de 1944.Replac en perspective historique, celui-ci constitue bien une datefondamentale dans lhistoire de lextrme droite. Dune part, elle seretrouve durablement en position dtiage, dautre part, la forme denationalisme dont elle se rclamait depuis des dcennies se trouvait dis-crdite par les compromissions de lpoque de lOccupation.

    La suite est bien connue et relve, une fois encore, dune histoire delintermittence. Jusquau dveloppement du Front national, et si on laisseici de ct, faute de place, les effets rels de la guerre dAlgrie, quipermit notamment la rappropriation du thme du nationalisme, le seulpic de radicalisation qui revtit, lextrme droite, une densit et uneampleur significatives fut le mouvement Poujade 28. Or, l encore, cettedensit et cette ampleur sont le reflet dune triple crise. Pendant que lesguerres coloniales alimentent une rsurgence du nationalisme et de lanti-parlementarisme, les transformations socio-conomiques de la France desannes 1950 saccompagnent de tensions nes dans la partie du tissu socialquelles dchirent. Sont ainsi sinistrs certains paysans et, surtout, les petitscommerants dont lge dor de la dcennie prcdente sestompe avec ladisparition de la pnurie et la concurrence croissante des nouveauxmoyens de distribution. Le mouvement Poujade peut donc trs largementsinterprter comme la tentative de sursaut de Franais sestimant lss parla mutation sociale en cours et inquiets des lzardes de lEmpire et delamorce de dcolonisation, assimile un danger de perte didentit.

    Mais ces annes 1950 marquaient aussi le dbut des Trente Glo-rieuses . Et linstallation, quelques annes plus tard, de la Ve Rpubliqueallait asscher, pour plusieurs dcennies, la crise de la reprsentation poli-tique, tandis que sa politique extrieure apaisait les troubles didentitnationale. Jusquau dveloppement du Front national, en fait, et malgrle score de Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965, ces Trente Glo-rieuses une fois passes les tensions sociologiques lies leur phasedessor furent bien une priode de basses eaux de lextrme droite.Inversement, cest un retour une crise multiforme qui a fait le lit du

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    27. Cf., sur ce sujet, la mise au point de Jean-Pierre Azma in Histoire de lextrme droiteen France, op. cit., p. 191-214.

    28. Cf., notamment, Dominique Borne, Petits-bourgeois en rvolte ? Le mouvementPoujade, Paris, Flammarion, 1977.

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  • Front national. Par-del les analyses plus approfondies que peut endonner la science politique, il apparat bien que, remis en perspectivehistorique, un tel dveloppement senracine, en effet, dans une triplecrise, sociale, identitaire et politique.

    Les corrlations avec la crise sociale ont t maintes fois soulignes.Certes, les premires annes de cette crise, aprs le choc ptrolier delautomne 1973, correspondent la poursuite de la priode de basseseaux de lextrme droite franaise. Mais le constat peut aussi sinverser.Ce nest qu partir des annes 1980 que lincertitude et le dsarroiinduits par la crise conomique devinrent un phnomne massif. Leffetdiffr de cette crise vaut ici preuve de corrlation entre les deux ph-nomnes, tant il est vrai que celle-ci ne devint rellement perceptibledans lopinion qu partir dun seuil lev de chmage. Un tissu socialfragilis puis bientt dchir par ce chmage en augmentation acclrea bien t un facteur de croissance de lextrme droite. Dautant que, lchelle historique, les taux actuels entendons des vingt derniresannes de chmage sont des taux, en quelque sorte, au carr : jamais,au cours du sicle coul, ils ne se sont trouvs en position aussi haute,et pendant si longtemps.

    Cela tant, si le paramtre sociologique parat ainsi indniable,labsence de concomitance initiale conduit chercher ailleurs le facteurdclenchant de lenvol du Front national. La crise identitaire que tra-verse la France y a sans doute jou un rle essentiel. Classiquement,linterrogation sur ltat-nation, quand elle se manifeste, peut prendredeux formes diffrentes : dune part, lide quune communaut se faitdes ingrdients qui la composent, dautre part, la conception quelle ade son devenir historique. Or, l encore, force est de constater que la criseidentitaire a rapidement connu une intensit au carr, puisque ces deuxparamtres se sont retrouvs en mme temps en position haute. Le thmedu rejet de limmigration sest diffus dans une population fragilise parla crise conomique et sociale dautant plus rapidement que cette popu-lation commenait se sentir prise, la mme date, dans un jeudchelles, doublement nouveau dans le cas franais, entre la marquete-rie des pouvoirs rgionaux et le processus de construction europenne.

    Le Front national, dans sa posture protestataire, sest donc nourri la fois du malaise social qui a grandi aprs la mort des TrenteGlorieuses et de linterrogation identitaire croissante, qui entretientdes rejets et des phobies senracinant dautant plus facilement que cemalaise est fort. Un tel constat, pour banal quil paraisse, prend, il fautle rpter, une ampleur encore plus frappante pour lhistorien sil est

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  • rapport lchelle du sicle. Dautant que ces crises sociale et identi-taire, si videmment lies, saccompagnent dune crise plus directementpolitique. Longtemps, une fonction tribunitienne cest--dire lafois lexpression des mcontentements et des frustrations dune partiedu corps social et le facteur dintgration que constituait un tel vecteurdexpression avait t assure, selon les analyses devenues classiquesde Georges Lavau, par le parti communiste. Mais une telle fonction sestrode au fil du recul lectoral de ce parti et de leffritement des couchessociales dont il tait le principal reprsentant. Do un troisime aspectprotestataire du Front national : il canalise dsormais une mfiance,ractive par la crise, envers les partis de gouvernement et, par lchoquil rencontre, il vient ainsi combler en partie un dficit de la sociali-sation politique. L encore, le constat en est banal. Mais la comparaisonavec dautres priodes est clairante. Avant mme la dflation dmo-cratique de la dcennie suivante, exprime ds 1992 par le voteclat 29 , il y avait bien dj, prenant de lampleur au fil des annes1980, les symptmes dun tel dficit, qui fut pour le parti de Jean-MarieLe Pen une source de force lectorale et un facteur denracinementdurable. Durable : l est bien la diffrence avec les prcdentes priodesde flambe dextrme droite. Jusquici, le dficit fut toujours passager, peine quelques annes, et ne dboucha jamais sur des processus aussilongs de dflation dmocratique. Certes, la dcennie de crise desannes 1930 succda le rgime de Vichy, mais la dfaite de 1940, entre-temps, tait passe par l. Le mtabolisme de lintermittence est-il tou-jours, aujourdhui, celui de lextrme droite franaise ?

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    Une fois recenses les difficults pour lhistorien dtudier lextrme droitefranaise sur la longue dure, il apparat bien quune telle mise en perspec-tive est ncessaire. Elle permet, en effet, de mettre en lumire deux souchessuccessives de cette extrme droite, lune contre-rvolutionnaire, lautre nationale-populiste . Ces deux courants nont pas eu la mme postrit auXXe sicle. Si le premier se perd progressivement dans les sables, le secondconnat un mtabolisme intermittent, ractiv plusieurs reprises dans le sicle.

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    29. Philippe Habert, Pascal Perrineau et Colette Ysmal, Le Vote clat. Les lections rgio-nales et cantonales des 22 et 29 mars 1992, Paris, Presses de la FNSP, 1992.

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    TRACER LA CARTE DE LEXTRME DROITE en Europe requiertau pralable de sentendre sur laire gographique dcrite etdclaircir un problme de dfinition. Depuis longtemps, nous prf-rons au terme dextrme droite, largement utilis comme instrument dedisqualification polmique et qui recouvre des ralits idologiquesfort htrognes, celui, souvent utilis par la science politique anglo-saxonne, de droite radicale , terme galement rpandu chez lesauteurs allemands et italiens pour dcrire lextrme droite extraparle-mentaire et activiste. Nous lui donnons toutefois un sens largementdiffrent : il nous semble en effet que le terme extrme droite sug-gre tort un continuum idologique entre les formations ici dcriteset celles qui se rclament dune droite librale ou conservatrice et quipartagent, quant aux options fondamentales, la mme philosophie poli-tique fonde sur la primaut de lindividu sur la collectivit et les valeurshrites de la Rvolution franaise et des Lumires. Or, nous semble-t-il, quils appartiennent la varit des partis traditionnels ou celledes extrmismes postindustriels , pour reprendre la classificationpertinente de Piero Ignazi, la plupart des groupes dextrme droitepartagent une aversion commune pour les valeurs essentielles du lib-ralisme politique qui les place dans une position de rupture, dailleursparfaitement assume, avec la droite. Cest cette rupture fondamentaledont se targuent les partis voqus ici pour justifier leur prtention incarner une alternative globale au systme , qui justifie lemploi duterme de droite radicale . Cependant, dautres mouvements, au suc-cs grandissant dans les urnes, en particulier les populismes xnophobesscandinaves, infirment cette distinction et sont trs certainement des droites extrmes . Nous garderons donc, mais par commodit uni-quement, lusage du terme extrme droite .

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  • Reste la question de laire gographique. Il est impossible de rendreune image exacte de la force de lextrme droite en limitant le champde ltude lEurope occidentale alors que se dveloppe, en Europecentrale et orientale, un nationalisme xnophobe, un rvisionnismehistorique et un autoritarisme qui sexpriment certes travers des par-tis marginaux (Bulgarie, Pologne, Slovnie), mais aussi dans des partisassocis au pouvoir (Croatie, Slovaquie, Yougoslavie). Pour cette raison,parce que lUnion europenne est en phase dlargissement vers lEst,parce que les courants dchanges personnels et idologiques entreextrmistes de lEst et de lOuest vont croissant, nous aborderons lephnomne dans toute sa dimension continentale.

    LE X T R M E D R O I T E E N E U R O P E : PA N O R A M A

    Nous nous concentrerons ici sur les pays qui ne sont pas abords endtail dans ce numro. Avant de dcrire lextrme droite dans ces pays,il faut avoir lesprit quau sein des pays de lUnion europenne le Frontnational franais sert partout de modle organisationnel et de rfrenceidologique jusque dans le choix des noms (le Frente Nacional espagnolde Blas Pinar ; le Fronte Nazionale italien fond en 1997 par AdrianoTilgher). Il remplit pour les extrmismes postindustriels la fonctionde ple de rfrence quoccupait le MSI italien auprs des extrmismestraditionnels des annes 1960-1970. Cest ce qui explique que les tenta-tives srieuses dtablir une internationale de lextrme droite, quilsagisse de lEuro-Nat lanc par Le Pen en 1997, ou de la Charte desjeunes nationalistes europens inspire par le Front national de la jeu-nesse en juillet 1998, soient des initiatives frontistes.

    Lre germanophoneLAllemagne, lAutriche et la Suisse chappent cette influence frontiste :les extrmes droites allemande et autrichienne ont une culture communefonde sur le pangermanisme, ladhsion un modle vlkisch de liden-tit nationale, lirrdentisme territorial et le rvisionnisme historique (quinest pas le ngationnisme). Le populisme xnophobe des Republikaneret du FP de Jrg Haider influence son tour lextrme droite suissequi, depuis lchec du mouvement genevois Vigilance, est principalementactive en Suisse almanique et au Tessin italianophone (Lega dei Tici-nesi, 18,6 % au niveau cantonal). Les Dmocrates suisses, dirigs par leBlois Rudolf Keller, ont 3 lus au Conseil fdral et reprsentent 3,1 %des voix ; le Parti de la libert, mouvement protestataire issu du Parti

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  • des automobilistes, a 7 lus et 4,5 %. Cest toutefois au sein de la sec-tion de Zurich de lUnion dmocratique du centre, un parti de la coali-tion gouvernementale (14,9 % au niveau fdral) que, sous limpulsionde Christoph Blocher, se manifestent avec le plus de succs les thmesmajeurs de lextrme droite suisse : opposition limmigration et auxdemandeurs dasile (la Suisse abrite une trs importante communautkosovar) ; refus de lentre dans lUnion europenne et mfiance lgard de toutes les institutions internationales ; instrumentalisationde laffaire des avoirs juifs dans le sens de la dculpabilisation du paysvis--vis de son attitude face aux fascismes.

    Nous nanalyserons pas ici les extrmismes allemand et autrichien.Prcisons toutefois que lextrme droite allemande, en particulier lesRepublikaner, joue un rle cl dans la structuration des rapports au seinde lextrme droite europenne : dune part, il existe des rapports troitsentre FN franais et Republikaner, Franz Schonhuber jouant un rle deconseiller cout auprs de Le Pen ; dautre part, lextrme droite ner-landaise est clairement dans lorbite des extrmistes allemands ; enfin, aucontraire, lune des raisons de lchec du Groupe des droites euro-pennes au Parlement de Strasbourg est limpossibilit faire cohabiterRepublikaner et MSI italien, les premiers soutenant la revendicationterritoriale du FP autrichien sur le Tyrol du Sud.

    Benelux : lexception flamandeAu Benelux, lextrme droite na acquis une certaine visibilit quenFlandre belge. Le Front national belge 1, actif en Wallonie et Bruxelles,fond en 1985 par Daniel Fret et vritable clne du parti doutre-Quivrain, a remport 4,2 % aux lgislatives de 1991 et 7,9 % des voixwallonnes aux europennes de 1994. Son implosion, en 1995, en demultiples groupuscules rivaux se disputant le sigle, lont priv de toutdbouch politique, malgr le ralliement en octobre 1997 du groupeligeois Agir, assez bien implant localement. Le Front nouveau de Bel-gique, men par le dput Marguerite Bastien, transfuge du PRL lib-ral, est le principal concurrent du FNB. Lun comme lautre souffrentdu fait que le FN franais, sous la pression du Vlaams Blok, a retirson appui ces deux formations monarchistes et belgicaines 2. Entre la

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    1. Sur le FNB et lextrme droite wallonne, lire Manuel Abramowicz, Les Rats noirs.Lextrme droite en Belgique francophone, Bruxelles, d. Luc Pire, 1996.

    2. Terme qui, en Belgique, signifie attachement un royaume unifi et plurilinguistiquesous sa forme actuelle, et opposition la partition du pays.

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  • faiblesse groupusculaire des partis francophones et la puissance duVlaams Blok en Flandre, la formation franaise a en effet vite choisi :fond en 1978, le Blok 3 reprsente environ 12 % des votes flamands.Dot dune gnration de jeunes dirigeants assez charismatiques (PhilipDe Winter ; Frank Vanhecke ; Karim Van Overmeire), il sinscrit dansla filiation du nationalisme thiois organis avant guerre par JorisVan Severen 4 et son mouvement, Dinaso, et reste en contact troit avecles groupes flamingants activistes (Voorpost ; Tal Aktie Komitee)comme avec les amicales dpurs (les inciviques ). Le programme duBlok : une Flandre indpendante (comprenant Bruxelles) et rpublicaine,qui se runirait aux Pays-Bas et au Westhoek franais. Oppos limmi-gration, il est plutt antilibral en conomie, lexception du groupeNucleus dirig par la dput blokker Alexandra Colen, dorientationreagano-thatchrienne.

    Lextrme droite nerlandaise a connu en 1998 son anne terrible :avec 0,6 % des voix aux lgislatives de mai, elle est prive de repr-sentation parlementaire. Ni les Centrumdemokraten, dirigs par HansJanmaat (qui fut dput partir de 1982), ni le Centrumpartij 86dobdience nonazie, qui disposaient dlus locaux, nont russi, mal-gr un systme intgralement proportionnel, percer dans une socito le multiculturalisme est largement accept. Depuis le 1er janvier 1998,une loi qui restreint la possibilit pour les petits partis de participer auxlections rend plus sombre encore lavenir des nationalistes nerlandais.Dconfiture enfin au Luxembourg, terre qui connut dans les annes 1930un fort courant catholique-corporatiste, mais o le National Bewegongde Pierre Peters, qui atteignit un peu moins de 3 % aux lections de 1994,sest autodissous en dcembre 1995 5.

    Scandinavie : la pousse xnophobeLes partis populistes xnophobes scandinaves, qui incarnent aussi uneforme de protestation antifiscale et dopposition ltat-providencesocial-dmocrate, connaissent un succs certain. En Norvge dabord, o

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    3. Sur le Vlaams Blok comme sur les partis nerlandais, on se reportera la thse dsor-mais incontournable de Cas Mudde, The Extreme Right Party Family, universit de Leyde,1998, p. 121-253.

    4. Sur Van Severen et son mouvement, on lira, avec prcaution compte tenu du ton apo-logtique, la revue nodroitire TeKoS, n 81, Wijnegem, 1996, De Dinaso Generatie, p. 1-48.

    5. Sur lextrme droite luxembourgeoise, lire la thse pionnire de Lucien Blau, His-toire de lextrme droite au Grand-Duch de Luxembourg au XX e sicle ; Esch s/Alzette,Le Phare, 1998.

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  • le Fremskrittspartiet (Parti du progrs), dirig par Carl Ivar Hagen, estdepuis les lgislatives de septembre 1997 le second parti du pays derrireles travaillistes, avec 15,4 % des voix (+ 9 %) et 25 dputs. Bien implant Oslo (20 %) et dans le Sud-Ouest, plus faible lintrieur des terres etdans le Nord (11,8 % dans le Finnmark, terre des Lapons lgard des-quels il professe un racisme virulent), le FRP combat prioritairementlimmigration et est oppos ladhsion lUnion europenne. Il na deconcurrent que le Fedrelandspartiet (Parti de la patrie), parti nonazi quia recueilli 0,15 %. Au Danemark, aux lections de mars 1998, le DanskFolkeparti (Parti populaire) de Pia Kjaersgaard, a confirm sa progres-sion avec 7,4 % et dpasse dsormais le parti dont il est issu, leFremskridspartiet de Kim Behnke (2,4 %), qui a lui baiss de 4 % et qui,pour revenir sur le devant de la scne, cherche rintgrer son fonda-teur, lavocat Mogens Glistrup, chantre au dbut des annes 1970 dela protestation antifiscale. La Sude pour sa part est un terreau moinsfertile 6 : depuis 1994, Ny Demokrati, parti anti-immigration, a perdu ses7 dputs et ne recueille que 1,2 %. Les Sverigedemokraterna (Dmo-crates sudois) de Mikael Jansson, fonds en 1988, restent un groupe mar-ginal, disposant de 4 conseillers rgionaux. Ils nont recueilli aux lectionsde 1998 quenviron 0,1 % et renforcent leurs contacts avec les Republi-kaner allemands et le FN franais : en juillet 1998, leur section de jeu-nesse a sign la Charte des jeunes nationalistes europens initie par leFront national de la jeunesse 7. En Finlande, enfin, nul na pris la relvedu fascisme de Lapua, assez puissant avant guerre (8,3 % en 1936).Malgr la persistance certaine dun clivage entre rouges et blancs hrit de la guerre civile de 1918, la politique de stabilit, voire dimmo-bilisme, symbolise par la prsidence Kekkonen, a brid lmergence detout extrmisme. Les Perussuomalaiet (Vrais Finnois), issus du Parti agra-rien, ne reprsentent que 1,3 % des voix (lections municipales de 1996)et nont quun dput, lu de la province de Vaasa. LAlliance patriotiquenationale (IKL) de Matti Jrviharju, qui demande la restitution par laRussie de la Carlie, ne participe pas aux lections et certains de ses cadressont lus sur les listes des Vrais Finnois.

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    6. Sur lextrme droite sudoise, lire Stieg Larsson et Anna-Lena Lodenius, ExtremHgern, Stockholm, Tidens Forlag, 1994, p. 15-116.

    7. Sur les liens entre lextrme droite sudoise et le FN franais, lire louvrage paratrede Bim Clinell, De hunsades revansch-extremhgerns aterkomst i Frankrike, Stockholm,Bokfrlaget DN, 1998.

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  • Les anciennes dictatures dEurope du Sud : la modernisation impossibleLes pays qui connurent des rgimes autoritaires corporatistes, savoirlEspagne, le Portugal et la Grce, sont ceux dans lesquels lextrmedroite recueille les scores les plus faibles. En Espagne, depuis la dispa-rition des palofranquistes de Fuerza Nueva, les partis qui se rclamentde la Phalange, les nofranquistes de lAlliance pour lunit nationaleet les modernisateurs de Democracia Nacional natteignent tousensemble que 30 000 voix environ. Malgr les efforts du courant natio-nal-rvolutionnaire, la fois rpublicain, partisan des autonomies rgio-nales, voire soutien de la lutte arme de lETA pour faire imploserltat espagnol, et qui se manifeste dans Alternativa Europea ou lesrevues Tribuna de Europa et Resistencia, Jos Luis Rodriguez Jimenezsouligne avec raison que lextrme droite espagnole ne perce pas car ellereste fige sur des positions catholiques intgristes, ractionnaires etpassistes qui lempchent de rcuprer les dus du Partido Popular,lequel a capt llectorat du franquisme sociologique 8 .

    Au Portugal, lisolement est plus profond encore : bien que se mul-tiplient les attaques racistes contre les Portugais dorigine africaine etque des milices populaires pratiquent un racisme anti-gitan exacerb, lespartis comme lAccao Fundacional Nacionalista ou le Frente da DireitaNacional narrivent mme pas participer aux lections. Le PartidoPopular de Paulo Portas a en effet rcupr llectorat de droite, notam-ment celui hostile lintgration europenne 9.

    En Grce, le nationalisme est port la fois par la droite conserva-trice et par le PASOK socialiste. En consquence, les sectateurs du rgimePapadopoulos sont rduits limpuissance : lEPEN, qui eut un dputeuropen jusquen 1989, a recueilli aux lgislatives de 1996 0,24 % desvoix, et les nonazis de lAube dore (Chrissi Avghi), 0,07 %. LEPENa connu en 1997 une scission, dont est issu le Front hellnique (EllinikoMetopo), qui sest rapproch du FN franais.

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    8. Voir louvrage trs complet de Jos Luis Rodriguez Jimenez, La Extrema Derechaespaola en el siglo XX, Madrid, Alianza editorial, 1997. On lira aussi louvrage, paratre ennovembre 1998, de Xavier Casals, La Tentacin neofascista en Espaa y sus espejos europeos(1975-1982).

    9. Sur le Portugal, on lira avec les prcautions dusage, sagissant dun opuscule militant,SOS-Racismo. A extrema-direita em Portugal, Lisbonne, 1998.

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  • Royaume-Uni et Eire : le poids du mode de scrutin et du bipartismeEn Grande-Bretagne, o le National Front eut jusqu 15000 adhrentsen 1972 et obtint 3,2 % des voix en moyenne aux lgislatives de 1974,lextrme droite est handicape, comme tous les tiers-partis, par le modede scrutin qui favorise le vote utile 10 .

    Laile droite du parti conservateur, notamment via le Monday Clubet, aujourdhui, la revue Right Now !, occupe le crneau de lisolation-nisme anti-europen et du refus de la socit multiculturelle qui fit vers1970 le succs dEnoch Powell. En consquence, les partis extr-mistes British National Party de John Tyndall, National DemocraticParty de Ian Anderson et National Front attendent vainement quunefraction significative de llectorat tory ou de llectorat ouvrier duLabour, opposs limportance croissante de la population originaire duCommonwealth, les rejoigne. Aux lections de mai 1997, ces partis ontobtenu quelques succs locaux dans les quartiers est de Londres et lesMidlands de lOuest, tout en restant en dessous de la barre des 10 %. Ladtrioration des relations interraciales quils appellent de leurs vuxnayant pas lieu, leurs perspectives semblent durablement bouches.

    En Irlande, la question de limmigration et du droit dasile a connuen 1997-1998 une actualit nouvelle : de 39 en 1992, les demandeursdasile sont passs 3880 en 1997. Si les appels une politique plus res-trictive, voire les incidents racistes, ont connu une pousse spectaculaire,celle-ci ne profite nullement lextrme droite : le systme politique closincarn par lalternance Fianna Fail/Fine Gael rgule parfaitement lenationalisme, et nexistent, la marge de la droite, que des groupes depression anti-immigration (Plate-forme de contrle de limmigration,fonde en janvier 1998) ou des mouvements ultracatholiques de dfensedes valeurs morales (Youth Defence ; Family and Life). Une discrimi-nation institutionnelle persiste lgard des nomades autochtones, lesTravellers, et la petite communaut juive na jamais t confronte quun antismitisme de nature thologique assez modr 11.

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    10. Sur la Grande-Bretagne, lire Roger Eatwell, Fascism, a history, Londres, Chatto& Windus, 1995.

    11. Lantismitisme ntait quune composante mineure de lagenda politique des Blue-shirts dans les annes 1930, antismitisme qui existait aussi dans une fraction du mouvementnationaliste Sinn Fein. Sur ces points, se reporter Mike Cronin, The Blueshirts and IrishPolitics, Dublin, Four Courts Press, 1997, et Dermot Keogh, Jews in Twentieth-CenturyIreland, Cork University Press, 1998.

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  • Ces pays sans extrme droiteLextrme droite nest aujourdhui totalement absente que dans unnombre trs limit de pays dEurope occidentale : lIslande, o le natio-nalisme et lantiamricanisme, lis la prsence de la base militaire deKeflavik, sont traditionnellement assums par la gauche ; et les micro-tats (Monaco ; Liechtenstein ; Andorre ; Gibraltar), malgr le jeu poli-tique fig qui les caractrise et le fait que le nombre des rsidents tran-gers y dpasse de loin celui des nationaux. A Saint-Marin en particulier,o nombre de partis locaux sont comparables aux partis italiens, il najamais exist dquivalent du MSI ou de lAlleanza Nazionale, et lerfrendum du 26 octobre 1997 sur le droit de rsidence des trangersna donn lieu aucune campagne xnophobe. Dans ces micro-tats,les lgislations extrmement restrictives quant loctroi de la nationa-lit aux rsidents trangers (en Andorre, par exemple, 25 ans de prsencecontinue sont ncessaires) limitent incontestablement lirruption dunationalisme xnophobe.

    Europe de lEst : lavenir de lextrme droite ?Il faut conclure ce panorama par un bref survol de lextrme droite dansles pays anciennement communistes. En effet, outre le fait quils rem-portent dans les urnes des succs assez importants, les extrmismesnationalistes de cette rgion renforcent leurs relations avec leurs homo-logues de lOuest, lesquels pensent sans doute que llargissement delUnion europenne leur offre une occasion inespre de devenir uneforce politique lchelle du continent. Ainsi, Jean-Marie Le Pen sestsouvent rendu en Russie, linvitation du leader du Parti libral-dmo-crate Vladimir Jirinovski, en Slovaquie o il sest alli avec un parti si-geant au gouvernement Meciar, le Slovenska Narodna Strana (SNS), enYougoslavie o il appuie le SNS de Vojislav Seselj, en Hongrie pour ren-contrer le fondateur du MIEP, Istvan Csurka, et en Roumanie, notam-ment au congrs du parti panroumain et antismite Romania Mare. Deson ct, la nouvelle droite allemande, par le biais de lhebdomadaireJunge Freiheit et de son rdacteur, Wolfgang Strauss, a tabli des rela-tions solides avec les nationalistes baltes et ukrainiens.

    Ce rapprochement est considrer avec dautant plus dattention queles partis nationalistes de lEst dfendent des thses qui sont souventpartages par laile la plus droitire des formations modres ou conser-vatrices locales, lesquelles en particulier cdent facilement aux sirnesde lirrdentisme et du rvisionnisme historique, tout comme elles refu-sent dadopter une dfinition de lappartenance au peuple et la nation

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  • qui soit dfinie par un libre choix individuel, et non plus par lethnie, lalangue et la religion. Ainsi, pour se limiter au seul cas croate, le FN fran-ais est-il certes lalli du petit Parti du droit (HSP) pro-oustachi(4 dputs), mais ses thses rencontrent le mme cho auprs de radi-caux du HDZ (parti de Franjo Tudjman) comme le dput Vladimir Seks.

    Dernirement, lextrme droite sest renforce lEst. Le MIEP,clairement antismite et anti-rom, a fait son entre en 1998 au Parlementhongrois, avec 14 siges, et le Parti des petits propritaires de JoszefTorgyan, dont le discours fait une distinction nettement raciste entre les vrais Hongrois et les minorits, est, avec 48 lus, un alli oblig duFIDESZ du Premier ministre Viktor Orban. Le SNS slovaque (5,4 %des voix), apologiste du rgime clricalo-fasciste de Mgr Tiso, dtient lesportefeuilles de lducation et de la Culture dans le gouvernementMeciar. En aot 1995, la signature du protocole des quatre partis apermis aux extrmistes roumains du parti Romania Mare (4,46 %), duParti socialiste du travail (2,16 %) et du Parti de lunit nationale(PUNR ; 4,36 %) de siger au gouvernement, alors mme quils pour-suivent une entreprise de rhabilitation du rgime pronazi dAnto-nesco. Enfin, il faut mentionner lentre au gouvernement au dbut de1998 du radical serbe Seselj, nomm vice-Premier ministre aprs quilfut parvenu au second tour de llection prsidentielle de 1997.

    La situation en Russie pose quant elle un grave problme lextrme droite ouest-europenne : celle-ci sest dabord allie Jirinovskiqui est depuis les lections de 1995 la Douma en dclin constant avecenviron 5 % des voix. Puis certaines formations radicales de lOuest ontdnonc, avec quelque raison, le fait que Jirinovski appuyait en fait le plussouvent, malgr ses gesticulations, les dcisions de Eltsine, et que son rleavait donc pour consquence de striliser durablement le potentiel decroissance du nationalisme russe. Cest la raison pour laquelle les natio-naux-bolcheviks de lOuest comme le mouvement franais NouvelleRsistance, mais aussi certains cadres du Front national venus de la nou-velle droite, prfrent les petits partis radicaux comme le Parti national-bolchevik de lcrivain Edouard Limonov et du journaliste AlexandreDouguine, vulgarisateur en Russie des crits de Julius Evola, de RenGunon et du GRECE.

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  • L E S F O R M E S D E LE X T R M I S M E D E D R O I T E : AC T I O N PA R L E M E N TA I R EE T LO G I Q U E GR O U P U S C U L A I R E

    Une des principales transformations de lextrme droite europennedes annes 1990 est son passage du ghetto politique et de la marginalit la pleine insertion dans le jeu dmocratique et parlementaire, itinrairequi est la fois celui du FN franais et de lAlleanza Nazionale italienne.Pour autant, dautres formes de militantisme subsistent. Nombre demouvements dextrme droite, refusant la compromission avec lesystme que reprsente leurs yeux le combat lectoral, ny participentpas, tout en ayant des rapports avec les partis lectoralistes, qui tien-nent en particulier la double appartenance frquente de leurs mili-tants. Cest ainsi quen France les membres de Nouvelle Rsistance ontdcid en octobre 1996 dun appui conditionnel au Front national,auquel appartiennent certains de ses cadres. Aux Pays-Bas, les militantsde lAktiefront Nationale Socialisten, du FAP-Arbeiderspartij et duJongerenfront Nederland, nonazis, adhrent pratiquement tous aux for-mations parlementaires CD et CP 86. Ce type de pratique est ancien :au sein du MSI des annes 1960-1970 se retrouvaient les membres de tousles mouvements comme Ordine Nuovo ou Avanguardia Nazionaleimpliqus dans la stratgie de la tension et le terrorisme noir12 . Lana-lyse des formations extraparlementaires, nglige par la science politique,est donc essentielle pour comprendre comment se structure de lintrieurce quil est convenu dappeler le camp national : lintrieur delextrme droite nexistent pas de cloisons tanches entre partis et grou-puscules. Ces derniers forment en particulier nombre de futurs cadresdes partis parlementaires, soucieux de participer au jeu politique demanire plus constructive quen pratiquant la culture de tmoignage etde nostalgie qui est celle des petits groupes radicaux 13. Seule une infimeminorit de militants pratique par choix une coupure totale avec la poli-tique parlementaire et prfre lactivisme terroriste : cependant, la ten-tative, allemande ou autrichienne, de crer une sorte de fraction Armebrune, pendant droitier de la RAF, a chou. Des actes terroristes isols

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    12. Sur ce sujet, Franco Ferraresi (d.), La Destra radicale, Milan, Feltrinelli, 1984.13. Sur cette question, dans le cas particulier du FN franais, je renvoie ma contribu-

    tion louvrage dirig par Nonna Mayer et Pascal Perrineau, Origine et formation duFront national , in Le Front national dcouvert, Paris, Presses de la FNSP, 1996, p. 17-36.

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  • en RFA, la campagne de lettres piges commence en 1993 en Autrichepar des membres de la VAPO, mouvement nonazi illgal, les tentativesterroristes de Combat 18 au Royaume-Uni ou de la Rsistance blanchearyenne (VAM) en Sude sont tout ce qui reste du terrorisme noir .

    A loppos de lactivisme, certains groupes ont dlibrment choisilloignement par rapport au politique et sen tiennent une actionmtapolitique. Cest le cas de la nouvelle droite, qui a considrablementperdu de son impact idologique et mdiatique des annes 1970. LeGRECE franais ne sest jamais remis du dpart de ses meilleurs cadresvers le Front national en 1984-1985 et de lattitude obsidionale affichepar Alain de Benoist envers les partis, dautant plus que lidologue dumouvement a clairement exprim ds 1985 son refus formel du racismefrontiste 14. A ltranger, la nouvelle droite reste marginale : MarcoTarchi poursuit en Italie une carrire de politologue tout en publiant larevue Trasgressioni ; en Autriche malgr les efforts de la revue Zur Zeit,dirige par lancien idologue du FP Andreas Mlzer, les ides no-droitires sont minoritaires dans lentourage de Jrg Haider ; de mmeen Espagne, au sein du Partido Popular, en dpit de laction de JosJavier Esparza, collaborateur du groupe de presse Correo et conseillerdu snateur Luis Fraga, et qui dirige la revue Hesperides. Lvolutionidologique de la nouvelle droite, passe du racisme hirarchisant au dif-frentialisme communautariste, la durablement loigne de lextrmedroite et certains de ses idologues comme le Portugais Jaime NogueiraPinto, ancien directeur de la revue Futuro Presente, se sont rapprochsdu conservatisme politique, du catholicisme et du libralisme cono-mique : Nogueira Pinto a ainsi t un des piliers de la campagne contrela lgalisation de lavortement avant le rfrendum du 28 juin 1998, posi-tion hrtique aux yeux des eugnistes paganisants de la nouvelle droite.

    Dernier champ daction de lextrme droite : le champ religieux. Lecatholicisme intgriste en particulier est un terreau propice un enga-gement dans cette partie du champ politique, notamment en France.Ainsi, il existe lintrieur du Front national un courant fidle Romemais incontestablement intgriste, le mouvement Chrtient-Solidarit,dirig par le dput europen Bernard Antony, et qui inspire le quoti-dien Prsent. Les fidles de la Fraternit Saint-Pie X, schismatique depuisles sacres de 1988, sont moins nombreux au Front national (Roland

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    14. Pour un tmoignage intressant sur la nouvelle droite des origines, lire louvrage col-lectif, Le Mai 68 de la nouvelle droite, Paris, Le Labyrinthe, 1998.

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  • Gaucher, Franois Brigneau, Christian Baeckeroot, Martine Lehideux)que les rallis . En revanche, nombre de lefebvristes sont engags dansle combat contre-rvolutionnaire et monarchiste, soit la Restaurationnationale, maurrassienne de stricte observance, soit dans les groupes lgi-timistes. Cette composante mystico-religieuse se retrouve galement ausein de lextrme droite espagnole, dans les revues Fuerza Nueva etLa Nacin comme au sein du Movimiento Catolico Espaol.

    Cette interaction du religieux et du politique, galement constatedans les pays orthodoxes dEurope orientale et en Grce (o une partieminoritaire du clerg soutient les formations ultranationalistes) nestcependant pas une rgle absolue. Ainsi, en Grce, lglise vieille-calen-dariste, incontestablement intgriste dans le domaine du culte, nestpas dextrme droite et est au contraire perscute par une fraction delglise dtat, la mme, dailleurs, qui soutint la junte des colonels. Dansles pays protestants, lexception de lUlster o certains groupesdextrme droite se sont mis au service des milices loyalistes, les partisconfessionnels ne sont nullement extrmistes en politique, mmelorsquils sont religieusement fondamentalistes : cest le cas des partis hol-landais RPF, SGP et GPV, dont les scores atteignent localement les 25 %.

    QUELQUES FACTEURS EXPLICATIFS DU VOTE EXTRMISTE

    Il est videmment prsomptueux de prtendre dgager, lissue dece panorama purement descriptif, une thorie des facteurs explicatifsde la perce de lextrme droite en Europe. Quelques explications sonttoutefois plausibles. Tout dabord, il est vident que lostracisme qui afrapp en 1945 les idologies fascistes et celles qui lui sont associes acess de fonctionner, cinquante ans aprs, de manire aussi systmatique.Une rvaluation de lhistoire sest opre qui a permis par exemplelinsertion pleine et entire de lAlleanza Nazionale dans le jeu politiqueds lors quelle sest dmarque officiellement des aspects les plus nau-sabonds du fascisme mussolinien, en particulier des lois raciales de 1938.En Europe de lEst, la chute du communisme et la mise en quivalencequi sest ensuivie des crimes du stalinisme et de ceux du nazisme ontpermis une rcriture de lhistoire qui se manifeste, au niveau des gou-vernements, par des mesures symboliques qui quivalent des rhabi-litations : transfert en Hongrie des cendres du rgent Horthy, rues devilles roumaines baptises du nom du marchal Antonesco, comm-moration officielle des Lettons engags dans la Waffen SS ou projetdu prsident Tudjman denterrer cte cte, sur le site du camp de

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  • Jasenovac, les victimes juives ou tsiganes dAnte Pavelic avec les ousta-chis tus par la Rsistance. Pousse son paroxysme, cette logique aabouti la diffusion, trs courante au sein de nombreuses formationsdextrme droite louest comme lest, de thses ngationnistes qui,si elles sont totalement ignores de limmense majorit de leur lecto-rat, sont accueillies avec sympathie par une bonne partie des cadres.

    En deuxime lieu, il faut mentionner une crise profonde et durablede la reprsentativit des partis traditionnels, exacerbe dans certains cas(Belgique, Pays-Bas, Scandinavie) par lexistence dun systme partisanbloqu o les tiers-partis restent la marge. Le cas type de cette situa-tion reste lAutriche : lexistence dune grande coalition entre socia-listes et conservateurs, le fait que le FP avant Jrg Haider tait rduit,comme son homologue allemand, un rle de formation dappoint ontcr une demande dalternance, brche dans laquelle sest engouffrlancien gouverneur de Carinthie. Cest ce mme refus dun jeu poli-tique confisqu par la bande des quatre qui sous-tend laction duFN franais.

    En troisime lieu, il faut mentionner le fait que le passage de soci-ts culturellement homognes des socits ouvertes et multiculturelles,voire multiraciales, gnre des tensions dadaptation, des refus, quelextrme droite instrumentalise en faisant de ltranger ou de limmi-gr le bouc missaire des situations conomiques et sociales difficiles quiperdurent en Europe de lOuest. Mme dans les pays qui rsistent bien la crise, comme ceux de Scandinavie, la prise de conscience du fait queles flux migratoires ne sont plus simplement transitoires, mais induisentune fixation dfinitive de populations allognes, provoque des ractionspopulistes et xnophobes dautant plus vives que le modle social-dmocrate de protection sociale a t remis en question et des couchesentires de la population fragilises, prcarises en consquence.

    Cette variable est dautant plus prendre en considration que levote dextrme droite reflte galement, en France comme ailleurs, unedfiance certaine lencontre dune unification europenne et dunemondialisation qui se font essentiellement par les marchs financiers etles dlocalisations. La peur du passage la monnaie unique et de sesconsquences a dautant mieux t rcupre par lextrme droite quele consensus du politiquement correct est fort sur ladhsion audogme libral du march unique. La gauche, massivement rallie lamondialisation librale, ne peut esprer ramener elle une partie de sonlectorat pass aux formations protestataires anti-europennes quauprix dun effort rel et pouss dexplication ou dun revirement strat-

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  • gique qui lui ferait reconsidrer son appui au passage leuro. Labsencedune telle perspective, ainsi que lincapacit des droites conservatriceset librales se rgnrer au plan idologique, voire leur dcompositionorganisationnelle, laissent penser que lextrme droite europenne, loinde connatre une pousse passagre, entre dans une phase de consoli-dation durable qui peut la mener lexercice, sinon solitaire, du moinspartag, du pouvoir.

    R S U M

    Lextrme droite populiste et xnophobe se renforce en Europe occidentale travers les succs lectoraux des partis de la gnration postindustrielle ,notamment en France et en Flandre belge, en Autriche et en Scandinavie.Les partis dont les modles sont les rgimes autoritaires dEurope du Sud(Portugal, Espagne et Grce) nont pas quant eux russi leur processus demodernisation et demeurent marginaux. Lextrme droite saffirme aussi parla voie extraparlementaire et investit le champ culturel. Tel est le choix dela nouvelle droite qui est dsormais sortie du champ des droites radicales,et des groupes nationalistes-rvolutionnaires. Cest toutefois en Europe delEst que se dveloppe le plus rapidement une droite radicale ultranationa-liste souvent relie aux fascismes locaux davant guerre. Ses contacts avec lesmouvements similaires de lOuest europen vont en sintensifiant.

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  • PA S C A L P E R R I N E A U

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    DEPUIS QUINZE ANS lextrme droite franaise sest implante tous les niveaux du systme politique. Du niveau municipal auniveau europen, en passant par tous les chelons intermdiaires (can-tonal, rgional, lgislatif et prsidentiel), le Front national a connu unrenforcement rgulier de son emprise lectorale, conquis ses premiresmunicipalits, pes de tout son poids, en 1998, sur la confection desnouveaux excutifs rgionaux et battu tous ses records lectoraux avecles 15,3 % des suffrages exprims (4 656 000 voix) obtenus en 1995. Endpit, ici et l, de pousses lectorales du mme type dans dautres payseuropens, la France reste une exception du fait du niveau lev et de lalongue dure de la russite lectorale du FN. Seule lAutriche connat,avec le FP de Jrg Haider, une extrme droite haut niveau dimplan-tation lectorale (27,6 % aux lections europennes doctobre 1996),mais la dynamique de ce national-populisme a t un peu moins prcocequen France et nest vritablement sensible que depuis 1986. Ainsi, sice nest la proximit du cas autrichien, le succs lectoral de lextrmedroite reste une spcificit franaise. Quels sont les lments culturels,sociaux et politiques qui permettent de rendre compte de cette excep-tion franaise ?

    Pour tous ceux qui rduisent le Front national aux seules questionsdu chmage, de limmigration et de linscurit, il y aurait une rponsevidente et immdiate : son succs serait troitement articul une sp-cificit franaise qui associerait chmage lev, population trangrenombreuse et inscurit prononce. Lextrme droite ne serait quunerponse politique et mcanique ces enjeux sociaux mal pris en comptepar les partis dmocratiques traditionnels. Cette hypothse est fragiledans la mesure o de trs nombreux pays europens connaissent des

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  • taux de chmage, de population trangre ou de dlinquance sensible-ment gaux ou mme suprieurs ceux de la France sans connatre defortes implantations lectorales de lextrme droite. Pour le chmage,cest le cas de la Belgique, de lIrlande, de lItalie ou encore de lEspagne.Pour la population trangre, cest le cas de la Belgique, de lAllemagneou du Luxembourg. Enfin, pour la dlinquance, lAllemagne, lItalie, laGrande-Bretagne ou la Belgique connaissent des volutions similaires celles qui affectent la France.

    L E L E G S C O N T R E -R V O L U T I O N N A I R E

    Ainsi, au-del dune conjoncture conomique et sociale qui nest pascaractristique de la seule France, il faut sintresser au legs duneculture politique franaise qui charrie de fortes spcificits. Premierpays puiser les sources de son systme politique dans la philosophiedes Lumires, la France a aussi gnr un vigoureux courant contre-rvolutionnaire qui, des dbuts du XIXe sicle nos jours, a alimentnombre de mouvements politiques (lAction franaise, la Rvolutionnationale, certains mouvements hostiles la dcolonisation et prochesde la fraction la plus intransigeante du catholicisme franais). Mmediminu et marginalis, ce courant prenne constitue une structuredaccueil dans laquelle viennent se cristalliser les rancurs et les dcep-tions vis--vis des vertus de la Rpublique. Cest ainsi que ce cou-rant rcupra successivement les dceptions lgard de la IIIe Rpu-blique naissante, les colres contre la mme Rpublique finissante dansles annes 1930 et enfin, dans les annes 1950, les exasprations contreles incapacits dune IVe Rpublique englue dans le bourbier colonial.Cependant, trs tt, les protestations contre les faiblesses de laRpublique parlementaire ne servirent pas seulement nourrir ce vieuxcourant contre-rvolutionnaire et alimentrent la tentation duneRpublique csariste.

    L A P U L S I O N C S A R I S T E

    Les partis plbiscitaires constituent une composante forte de la culturepolitique franaise qui, en dehors de la tradition contre-rvolutionnaire,ont rgulirement aliment et structur les pousses dextrme droite etde national-populisme. Le boulangisme la fin du XIXe sicle, les liguesdans lentre-deux-guerres, le poujadisme de la fin des annes 1950 furent,chacun avec leurs spcificits, des surgeons de ce vieux temprament

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  • plbiscitaire qui, selon lexpression dAndr Siegfried, constitue danslhistoire et la psychologie des partis franais, un chapitre tout spcial. []dans certaines circonstances quil est possible danalyser et de connatre,il surgit et spanouit tout coup avec une telle puissance que tout le paysen est transform : ses manifestations sont de lordre ruptif 1 .

    Ces deux courants, contre-rvolutionnaire et plbiscitaire, irri-guent, depuis deux sicles, le paysage politique franais et peuventaccueillir, plus aisment que dans dautres pays, les dceptions et lesfrondes contre le systme . Cest ainsi quun quarteron dhritiers dela tradition contre-rvolutionnaire et de csaristes rvant de plaies et debosses, associ depuis 1972 aux nofascistes dOrdre nouveau dans unFront national, se trouve, au dbut des annes 1980, en situationdexploiter et de capter le malaise dune socit franaise confronte une crise conomique durable et une dception politique lie lalter-nance de 1981. Cependant, pour que ces vieux courants retrouvent leurpouvoir de sduction politique, il faut quun malaise socio-conomiqueet politique vienne roder la confiance rpublicaine ou ce que StanleyHoffmann appelait la synthse rpublicaine , dlicat quilibre entreune socit structure, un systme politique centralis et une vision dumonde extrieur tirant orgueil de luniversalit des valeurs franaises 2.

    L I M P E N S D E L A G U E R R E D A L G R I E

    Le malaise socio-conomique sest install avec le dveloppement du ch-mage et limpression croissante que limmigration participait laggra-vation de la situation. Cette logique de limmigration bouc missaire des inquitudes et des difficults engendres par le chmage nest pasune spcificit franaise et est luvre dans tous les pays europens quiaccueillent sur leur sol une forte immigration (Allemagne, Belgique,Grande-Bretagne). Alors, pourquoi cette logique du bouc missaire immigr rencontre-t-elle un cho particulier dans lHexagone ? Une pisteexplicative peut tre trouve dans le fait que la diabolisation conomiquede limmigr est redouble, dans le cas franais, dune diabolisation poli-tique. En effet, depuis la fin des annes 1970, la population majoritairedans limmigration est dorigine maghrbine. En 1982, 38 % de la popu-lation trangre en France sont constitus par des personnes originaires

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    1. Andr Siegfried, Tableau politique de la France de lOuest sous la TroisimeRpublique, Genve-Paris-Gex, Slatkine Reprints, 1980 (1re d., 1913), p. 473.

    2. Stanley Hoffmann, Sur la France, Paris, d. du Seuil, coll. Politique , 1976.

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  • du Maghreb. Vingt ans plus tt, ils ntaient que 19 %. Dans les annes1950, et jusquen 1962 pour lAlgrie, la France a t en guerre ouverteou larve dans les trois pays du Maghreb. La longue guerre dAlgrie(1954-1962) a laiss des traces fortes et un lourd contentieux dans les opi-nions des deux cts de la Mditerrane. Ds 1965, llectorat des pieds-noirs avait t un des principaux supports du candidat dextrme droite llection prsidentielle : Jean-Louis Tixier-Vignancour dont laxeessentiel de campagne avait t la dnonciation de la trahison gaul-lienne et la nostalgie de lAlgrie franaise. Encore aujourdhui,lextrme droite et Jean-Marie Le Pen rencontrent un cho favorable dansla population dorigine pied-noire. Les trs bons scores obtenus par lescandidats du Front national dans nombre de communes des rgionsmditerranennes sont le reflet de fortes communauts pieds-noires, ta-blies dans ces zones depuis lexode du dbut des annes 1960. Mais, bienau-del de ces acteurs directs du drame algrien, la guerre dAlgrie, quisest solde par la victoire politique du FLN, a laiss derrire elle son lotde traumatismes, de rancurs et dostracismes dans lopinion publiquefranaise. Dans la hirarchie des antipathies de lopinion publique fran-aise vis--vis des groupes allognes, telle que ltablit annuellementdepuis 1990 linstitut CSA pour le compte de la Commission nationaleconsultative des droits de lhomme, cest rgulirement la populationmaghrbine qui attire le plus de rejet, loin devant les populationsdAfrique noire, dAsie ou encore dEurope mditerranenne 3. Alorsque, respectivement, 5 %, 15 % et 17 % des personnes interrogesreprsentatives de la population franaise ge de 18 ans et plus dcla-rent avoir plutt ou beaucoup dantipathie pour les Europens de paysmditerranens, les Asiatiques et les Noirs dAfrique, elles sont 35 % et40 % avoir de lantipathie pour les jeunes Franais dorigine maghr-bine (les beurs) et les Maghrbins (enqute CSA/CNCDH, novembre1996). Cette hostilit aux Maghrbins atteint des sommets chez les lec-teurs proches du Front national : 80 % et 83 % dentre eux dclarentavoir de lantipathie pour les beurs et les Maghrbins. Ce rapport par-ticulier la population maghrbine avive le rejet dune immigrationperue par une partie de lopinion comme non seulement massive, ht-rogne, mais aussi ennemie . Dans aucun autre pays europen, lapopulation majoritaire dans limmigration nest issue dun pays avec

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    3. Roland Cayrol, Les indicateurs du racisme et de la xnophobie , in lisabethDupoirier et Jean-Luc Parodi (dir.), Les Indicateurs sociopolitiques aujourdhui, Paris,LHarmattan, 1997, p. 303-317.

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  • lequel le pays daccueil sest battu pendant hui