14
Précarité et relation aléatoire au travail : le cas des agents de sécurité privée Pierre SIMULA Introduction Le sentiment d'insécurité suscite en France comme ailleurs un accroissement de la demande sociale de sécurité, qui se répercute à son tour sur le volume de l'offre et transforme en pro- fondeur ses structures. Les institutions publiques d'Etat participent à l'évidence au mouvement d'expansion, à travers notamment une démultiplication et un redéploiement des moyens. Plus que jamais, la référence appartient à l'univers des missions régaliennes. La force publique consolide ses positions tout en resserrant ses activités autour des valeurs essentielles du métier. L'important est de protéger ses marges d'action et de renforcer ses prérogatives propres, quitte à laisser filer vers l'extérieur la satisfaction des autres besoins. Facteur de distorsion entre l'of- fre et la demande, une telle stratégie sollicite la présence d'acteurs différents et désigne indi- rectement leur terrain d'intervention. Ainsi peut s'expliquer la création des polices municipales. Mais l'espace abandonné à d'autres initiatives est surtout l'affaire du secteur marchand. C'est principalement lui qui gère l'hétérogénéité de la demande. Multiformes, les composantes de l'intervention privée entretiennent des liens de complémentarité qui renforcent leur développe- ment conjoint. Elles sollicitent des réponses aussi diversifiées que la mutualisation des risques à travers l'assurance, l'installation d'équipements de protection et de surveillance, l'organisation au sein même des collectifs de travail d'une fonction sécuritaire et la mise en place de solutions négociées avec des prestataires de service extérieurs spécialisés. Dans une telle dynamique de l'offre privée, nous nous intéresserons exclusivement au sort réservé aux agents de sécurité et de surveillance. Fortement créatrice d'emplois, notamment au cours la décennie 90, cette profession est avant tout ouverte aux jeunes de sexe masculin et cela dès leurs premières années de vie active. Les mouvements qui l'affectent sollicitent dès lors une investigation centrée principalement sur le suivi d'une population débutante. A ce titre, nous utiliserons les données issues de l'enquête génération 92 du Céreq, qui constituent pour notre propos une source particulièrement pré- cieuse. Cela n'exclut pas bien entendu une extension du débat, qu'il convient de replacer dans une perspective plus large (SIMULA, 1999). La profession forme un espace d'insertion pour les jeunes ; elle n'en est pas moins animée par des forces exogènes qui la reconfigurent autre- ment. De plus en plus, l'externalisation du travail se présente comme une alternative à une or- ganisation fonctionnelle intégrée. De plus en plus, les agents de sécurité appartiennent à des entreprises spécialisées. En se substituant à la dispersion sectorielle, la sous-traitance s'impose comme modèle dominant. Le métier se resserre autour d'une construction plus homogène, en termes d'agencement des systèmes productifs comme en termes d'attributs des personnes re- crutées. En même temps, le secteur institutionnalise sa propre fragilité organisationnelle ; son personnel subit en particulier les contrecoups d'une flexibilisation accrue qui l'enferme dans des formes d'instabilité imposées. Paradoxalement, cette appartenance à la sphère de la précarité professionnelle est aussi ouverture, au sens où elle favorise une extension des aires de mobilité sur un marché du travail élargi. Au gré des opportunités, la profession échange avec beaucoup d'autres qui partagent le même réservoir de main d'oeuvre.

Prec y Guardas Juardos

Embed Size (px)

DESCRIPTION

---

Citation preview

Page 1: Prec y Guardas Juardos

Précarité et relation aléatoire au travail :le cas des agents de sécurité privée

Pierre SIMULA

Introduction

Le sentiment d'insécurité suscite en France comme ailleurs un accroissement de la demandesociale de sécurité, qui se répercute à son tour sur le volume de l'offre et transforme en pro-fondeur ses structures. Les institutions publiques d'Etat participent à l'évidence au mouvementd'expansion, à travers notamment une démultiplication et un redéploiement des moyens. Plusque jamais, la référence appartient à l'univers des missions régaliennes. La force publiqueconsolide ses positions tout en resserrant ses activités autour des valeurs essentielles du métier.L'important est de protéger ses marges d'action et de renforcer ses prérogatives propres, quitteà laisser filer vers l'extérieur la satisfaction des autres besoins. Facteur de distorsion entre l'of-fre et la demande, une telle stratégie sollicite la présence d'acteurs différents et désigne indi-rectement leur terrain d'intervention. Ainsi peut s'expliquer la création des polices municipales.Mais l'espace abandonné à d'autres initiatives est surtout l'affaire du secteur marchand. C'estprincipalement lui qui gère l'hétérogénéité de la demande. Multiformes, les composantes del'intervention privée entretiennent des liens de complémentarité qui renforcent leur développe-ment conjoint. Elles sollicitent des réponses aussi diversifiées que la mutualisation des risques àtravers l'assurance, l'installation d'équipements de protection et de surveillance, l'organisationau sein même des collectifs de travail d'une fonction sécuritaire et la mise en place de solutionsnégociées avec des prestataires de service extérieurs spécialisés. Dans une telle dynamique del'offre privée, nous nous intéresserons exclusivement au sort réservé aux agents de sécurité etde surveillance.

Fortement créatrice d'emplois, notamment au cours la décennie 90, cette profession est avanttout ouverte aux jeunes de sexe masculin et cela dès leurs premières années de vie active. Lesmouvements qui l'affectent sollicitent dès lors une investigation centrée principalement sur lesuivi d'une population débutante. A ce titre, nous utiliserons les données issues de l'enquêtegénération 92 du Céreq, qui constituent pour notre propos une source particulièrement pré-cieuse. Cela n'exclut pas bien entendu une extension du débat, qu'il convient de replacer dansune perspective plus large (SIMULA, 1999). La profession forme un espace d'insertion pourles jeunes ; elle n'en est pas moins animée par des forces exogènes qui la reconfigurent autre-ment. De plus en plus, l'externalisation du travail se présente comme une alternative à une or-ganisation fonctionnelle intégrée. De plus en plus, les agents de sécurité appartiennent à desentreprises spécialisées. En se substituant à la dispersion sectorielle, la sous-traitance s'imposecomme modèle dominant. Le métier se resserre autour d'une construction plus homogène, entermes d'agencement des systèmes productifs comme en termes d'attributs des personnes re-crutées. En même temps, le secteur institutionnalise sa propre fragilité organisationnelle ; sonpersonnel subit en particulier les contrecoups d'une flexibilisation accrue qui l'enferme dans desformes d'instabilité imposées. Paradoxalement, cette appartenance à la sphère de la précaritéprofessionnelle est aussi ouverture, au sens où elle favorise une extension des aires de mobilitésur un marché du travail élargi. Au gré des opportunités, la profession échange avec beaucoupd'autres qui partagent le même réservoir de main d'œuvre.

Page 2: Prec y Guardas Juardos

2

Encart 1 - Génération 92 : populations traitées

On compte environ 125 000 agents de sécurité et de surveillance en France. Un peu plus de 4 000jeunes de la génération 92 occupent cet emploi en mars 1997. L'ordre de grandeur est comparable àcelui des policiers et gendarmes issus de la même génération. En termes d'insertion, le partage entresécurité publique et sécurité privée semble à peu près égalitaire. D'un côté comme de l'autre, les ef-fectifs regroupent environ 1 % de la génération 92 en emploi en 1997. Ils ne sont pas très nombreux.Mais les jeunes passés par l'emploi d'agent de sécurité au cours de la période 1992-1997 le sont biendavantage.

Au total, 10 650 individus (1) de génération 92 ont exercé au moins une fois le métier depuis la fin deleurs études scolaires. Seuls 38 % d'entre eux occupent encore le poste en mars 1997. A cette date,14 % sont en recherche d'emploi et 36 % exercent une autre activité salariée (2). Ces 10 650 individusont eux-mêmes traversé beaucoup d'emplois différents entre 1992 et 1997. Leur cumul est proche de36 000. Avec cette population élargie, on change complètement d'échelle par rapport à l'analyse encoupe.

EMPLOIS OCCUPESINDIVIDUS PAR CES INDIVIDUS (35 954)

OBSERVES (10 637)

Î 13 138 emplois de sécurité

Ces 10 637 individus ont occupé autotal 13 138 emplois d'agent de sécu-rité entre 1992 et 1997 (seuls 4 022sont occupés en mars 1997).

10 637 individusont occupé l'emploi d'agent de sécurité(au moins une fois) entre 1992 et 1997.

Î 4 022 individusoccupent cet emploi en mars 1997.

Î 22 816 emplois différents

Ces 10 637 individus ont par ailleursoccupé 22 816 emplois différents (au-tres qu'agent de sécurité) entre 1992 et1997.

Page 3: Prec y Guardas Juardos

3

En définitive, ce ne sont plus 4 000 emplois d'agents de sécurité que l'on observe, mais 13 000 (dont9 000 occupés antérieurement). Et les autres emplois tenus par les même personnes sont bien plusnombreux (23 000 environ). Les agents de sécurité de mars 1997 ne représentent guère que 31 % desemplois d'agent de sécurité observés et que 11 % de l'ensemble des emplois gravitant autour du mé-tier. En moyenne, entre 1992 et 1997, chacun des agents de sécurité a occupé 1,2 emplois de sécuritéet 2,1 emplois "autres". Les premiers appartiennent principalement au secteur de la sécurité.

--------------------------------------------------(1) Les nombres sont arrondis dans le texte. Par ailleurs, ils sont pondérés.(2) Les autres individus (12 %) se ventilent entre formation, intérim, inactivité, etc.

Page 4: Prec y Guardas Juardos

4

1 - Flux d'entrée et recomposition professionnelle

a) Croissance et convergence organisationnelle

Historiquement intersectorielle, la profession offre encore de nos jours une configuration écla-tée. Les agents de sécurité et de surveillance1 investissent un large spectre d'entreprises de pro-duction de biens et de services et d'institutions publiques et parapubliques. Beaucoup échap-pent au secteur spécialisé de la sécurité et se réclament de structures dont l'activité économiqueest autre. Ils peuvent par exemple exercer leurs fonctions en tant que salariés d'une entrepriseindustrielle, de production d'énergie ou de la construction. Mais les plus nombreux appartien-nent aux secteurs des services. Pratiquement, un agent de sécurité sur deux émarge dans desentreprises de services marchands (hors secteur de la sécurité) ou dans l'administration publi-que. C'est dire que, pour une large part, l'espace professionnel de la sécurité privée2 continue àse structurer autour du modèle traditionnel de l'intégration fonctionnelle. La sécurité est unefonction parmi d'autres prise en charge par le collectif de travail. Des entreprises du commerceou du transport par exemple gèrent leur propre personnel de sécurité. Il en va de même au seinde la Fonction publique. Mais il ne s'agit là que d'une dimension de l'analyse.

La situation actuelle juxtapose en fait deux formes organisationnelles fondamentalement diffé-rentes. L'une, celle que nous venons d'évoquer, privilégie l'emploi direct. Héritée du passé, ellese manifeste en termes de dilution salariale entre une multitude de secteurs, sans qu'aucund'eux n'occupe une place prépondérante sur le marché. Le commerce par exemple n’emploiedirectement que 5 % des agents de sécurité. La part de marché est approximativement la mêmepour le transport. Cela ne préjuge en rien de l'importance réelle de la fonction dans ces sec-teurs, qui peuvent par ailleurs avoir également recours à des prestataires extérieurs. C'est jus-tement la systématisation de cette pratique qui caractérise l'autre forme organisationnelle. Avecelle s'établit un lien étroit entre spécialisation professionnelle, externalisation de la main d'œu-vre et secteur d'entreprises spécialisées. A défaut de prise en charge directe, on favorise ici lasous-traitance et le développement d'une offre de services externalisée. Les tendances évoluti-ves vont apparemment dans ce sens. Plus précisément, les deux formes de mobilisation de laforce de travail évoluent selon des tendances opposées, la seconde se substituant progressive-ment à l'autre.

Loin d'être partagée par tous, la croissance du nombre d'agents de sécurité est principalementtirée par le secteur de la sécurité. En termes de flux de main d'oeuvre, le partage lui est parti-culièrement favorable3. Et cela d'autant plus que son développement s'est considérablementaccéléré depuis la fin des années 80. Au seuil de la décennie, les moyens humains ont fait unbond spectaculaire. En deux ans, entre 1988 et 1990, on assiste à un doublement des effectifs 1 Par la suite, les agents de sécurité et de surveillance seront simplement qualifiés d'agents de sécurité, sansdistinction de sens avec l'intitulé complet de la rubrique 5317 de la nomenclature INSEE des PCS. On parlerade même du secteur de la sécurité pour désigner le secteur des enquêtes et de la sécurité correspondant à laNAF 746Z.2 La sécurité privée est entendue au sens de la rubrique 5317 de la nomenclature INSEE des PCS. Cette rubri-que regroupe à la marge des agents sous statut public. Dans le cadre de Génération 92, environ 7 % des agentsde sécurité recrutés sont fonctionnaires (ou élèves fonctionnaires), sans appartenir pour autant aux corps insti-tués des emplois publics de la sécurité (policiers ou gendarmes). L'espace professionnel de la sécurité privéedésigne en définitive l'univers professionnel échappant aux forces publiques régaliennes.3 Les deux tiers des jeunes de génération 92 ayant accédé à l'emploi d'agent de sécurité se sont dirigés vers lesecteur spécialisé. Par son déséquilibre, un tel renouvellement bouscule la structure des forces en présence ettémoigne de la montée en puissance du processus d'externalisation fonctionnelle.

Page 5: Prec y Guardas Juardos

5

dans le secteur4. Cette rupture brutale d'échelle accompagne un bouleversement des représen-tations sociales de la profession. Elle consacre l'émergence d'un secteur à part entière5, dont laconstruction se poursuit au-delà. Pendant toutes les années 90, la croissance reste forte ; elles'effectue à des rythmes sans commune mesure avec ceux du reste de l'appareil économique.Les entreprises de sécurité sont fortement créatrices d'emplois, sans signes d'essoufflementévidents6. On ne peut en dire autant des agents de sécurité employés dans les autres secteurs.Dans l'industrie notamment, le processus d'érosion professionnelle prend des allures vertigineu-ses7. Ailleurs, l'offre d'emploi internalisée ne parvient pas à suivre le développement de la de-mande de sécurité.

b) Croissance et convergence professionnelle

La fonction se détourne vers la sous-traitance, qui s'impose de plus en plus comme forme or-ganisationnelle dominante. En même temps que se restructure l'activité autour d'un secteurspécialisé, la population des agents de sécurité se transforme dans les autres secteurs. Un mou-vement de féminisation de l'emploi s'esquisse en particulier dans les services non marchands.Des profils s'estompent, d'autres se reconfigurent. Avec eux se refaçonne la composition socio-démographique de la profession. C'est cependant à la marge que ces tendances renouvellent lesattributs de la génération antérieure. Seules inflexions significatives : l'analyse statistique affi-che clairement un processus de rajeunissement des personnels ; corrélativement, on accède demoins en moins au métier par reconversion professionnelle interne. Non seulement la placeaccordée aux anciens diminue, mais la profession cesse pratiquement de s'alimenter au réser-voir des carrières finissantes. Liée aux nouvelles pratiques de mobilisation de la force de tra-vail, une telle déconnexion avec la culture d'entreprise a tout pour faciliter à son tour l'externa-lisation de la fonction. Le processus se nourrit d'une sorte de cohérence qui le rend irréversibleet dont profitent les entreprises de sécurité.

Principal bénéficiaire des opportunités du marché, le secteur de la sécurité impose non seule-ment son empreinte au corps des agents de sécurité, mais également ses propres règles d'orga-nisation et ses propres pratiques professionnelles. En ce sens, le mouvement est à la profes-sionnalisation, comprise comme émergence d'un métier d'entreprise et affirmation d'un standardd'intégration aux structures économiques. A la prise en charge directe de l'activité se substituela mise à disposition d'une force de travail extérieure. Situées à titre principal sur le créneau dela sous-traitance, les entreprises de sécurité puisent paradoxalement leur pérennité dans l'insta- 4 L'explosion des ressources humaines correspond à la promulgation (tardive) des décrets et de la circulaired'application de la loi de 1983 relative à l'orientation et à la programmation de la sécurité (LOPS). "La loi du12 juillet 1983 constitue la cheville ouvrière d'un dispositif de contrôle administratif inédit au sujet du fonc-tionnement des principales activités de sécurité privée" (OCQUETEAU, 1997). L'auteur souligne que "lastructuration du noyau dur des activités de la sécurité privée (…) n'aurait sans doute pas été aussi rapide enFrance, si elle n'avait pas été finalement puissamment relayée par les pouvoirs publics".5 D'ailleurs, les taxinomistes de l'INSEE ne s'y trompent pas : la nouvelle nomenclature des activités (NAF), quiverra le jour au début des années 90, isole pour la première fois le secteur des enquêtes et de la sécurité.6 En pratique, sur la période la plus récente, la progression des effectifs semble s'être ralentie. Aujourd'hui, lamobilisation des hommes trouve un relais dans l'intensification des moyens technologiques. Mais nos observa-tions, et en particulier celles issues de génération 92 (qui portent sur la période 1992-1997), correspondent auxannées de forte croissance du secteur.7 Au début des années 80, un agent de sécurité sur cinq était salarié de l'industrie. Cette part, autrefois impor-tante, était déjà tombée à 13,5 % en 1990 ; elle n'atteint pas les 7 % aujourd'hui. Ensemble, les secteurs primai-res et secondaires (y compris l'énergie et la construction) occupent moins d'un agent de sécurité sur dix, contreun sur quatre en 1982. Bien entendu, une telle chute participe de la restructuration générale de l'appareil éco-nomique, mais son ampleur la dépasse très largement.

Page 6: Prec y Guardas Juardos

6

bilité sociale, à la conjonction entre le segment de la marginalisation économique etl’intégration précaire des agents d'exécution à la périphérie des emplois permanents. Elles tirentprofit de la crise du lien social et de l’emploi, à la fois source d’insécurité, facteurd’accélération de la demande de sécurité et moyen d’y répondre8. La clé de voûte du dispositifrepose sur le faible niveau de qualification généralement requis par la profession. Réduits, lescoûts d’apprentissage du métier incitent à puiser dans le réservoir des disponibilités en maind’œuvre, et cela d’autant plus que l’offre de travail est structurellement excédentaire sur lemarché.

Graphique I - Agents de sécurité :

flux d'entrée des jeunes par secteurs et sexes (génération 92)

Source : Génération 92, Céreq, jeunes occupant un emploi d'agent de sécurité en mars 1997.

A elles seules, les entreprises du secteur "enquêtes et sécurité" captent 65 % du marché des agents de sécurité.Les hommes qu'elles recrutent représentent plus de 60 % du total des jeunes embauchés. Les personnels fémi-nins embauchés dans le même secteur ne représentent que 3,5 % des agents en exercice. Dans les servicesmarchands et non marchands, la contribution des femmes est sensiblement la même (respectivement 3,2 % et3.1 %), celle des hommes est en revanche beaucoup plus faible (respectivement 16 % et 9 %). Ailleurs, lesrecrutements sont extrêmement réduits et (dans l'échantillon) exclusivement masculins.

En tirant la croissance, les entreprises de sécurité infléchissent la norme professionnelle versleur propre modèle de recrutement qui s'impose de fait : celui-ci se veut avant tout jeune etmasculin. Dans un univers où le recours à la sous-traitance s'affirme de plus en plus, les entre-prises spécialisées contrôlent l'essentiel du marché et imposent leurs pratiques en matière desélection de la main d'oeuvre. A elles seules, elles recrutent deux jeunes sur trois, et pour l'es-sentiel de sexe masculin. Là, les critères d'employabilité privilégient moins la connaissance dumilieu d'intervention que l'affichage traditionnel de la force physique, symbolisée par l'hommedans la force de l'âge. Les profils se resserrent autour de l'image stéréotypée d'une dissuasionvirile et en quelque sorte paramilitaire (LEROUX, 1997). Deux entrants sur trois ont moins de30 ans, un sur deux se situe sous la barre des 25 ans. Massive, cette influence l'emporte large-ment sur celle des autres parties prenantes à la sécurité privée (graphique I). Le dynamisme estporteur de convergence, et pas n'importe laquelle. Reconstruite sur un creuset différent, laprofession se bâtit à coups de ressemblances accrues avec les corps institués de la force publi-que d'Etat9, un peu comme si le modèle régalien, socialement reconnu et ancré dans les repré-sentations collectives, était le seul à porter les marques de la légitimité.

8 Cela est particulièrement vrai pour les entreprises de gardiennage et de sécurité, qui constituent le noyau durde l'activité sectorielle. A l'heure actuelle, ce sous-secteur couvre près de 70 % des entreprises existantes, re-groupe près de 90 % des emplois salariés et capte plus de 80 % des recettes.9 C'est ainsi que, notamment en termes d'âge et de sexe, les agents de sécurité privée se rapprochent de plus enplus des gendarmes et surtout des agents de police. Le rapprochement, qui s'étend par ailleurs à d'autres attri-buts professionnels, est facilité par l'évolution même des corps de fonctionnaires publics : traditionnellementjeunes et dominés par la figure masculine, ceux-ci accusent de leur côté un double mouvement de vieillissementet de féminisation.

0 10 20 30 40 50 60 70

Autres activités

Services non marchands

Services marchands

Enquêtes et sécurité

Hommes Femmes

Page 7: Prec y Guardas Juardos

7

2 - Flexibilité productive et réservoir de main d'oeuvre

a) Une gestion par le marché du travail

Une telle inscription dans la sphère productive trouve son efficacité dans une gestion par lemarché du travail. Les entreprises de sécurité développent à l’extrême le modèle de la flexibi-lité quantitative du personnel. La force de travail se gère à coups d’embauches et de licencie-ments. Aux fluctuations de la demande répondent en écho l’appel et le rejet d’une maind’œuvre sollicitée en fonction des besoins. Aux permanents se mêle un ensemble de personnesqui ne font que passer occasionnellement par le secteur. Autour des titulaires tourne une masseimportante de postes pourvus sur courte ou très courte période10. En règle générale, le nombred'entrées et/ou de sorties au cours d'une année est supérieur au nombre de présents en conti-nu11. Le statut d’entrant est le plus souvent associé à celui de sortant qui lui emboîte rapide-ment le pas. Et cela est particulièrement vrai chez les jeunes, comme en témoignent notammentles trajectoires de ceux sortis de l'appareil de formation en 1992 : sur dix emplois d'agent desécurité observés au cours de la période 1992-1997, sept ont disparu à son terme, six ont unedurée d'existence inférieure à un an et quatre ne franchissent même pas le cap des six moisd'occupation12.

Les politiques d’emploi jouent largement la carte de l’adaptabilité à court terme et donc cellede l’instabilité imposée pour le personnel. Il y a un même rapport d’externalité entre l’activitéet l’emploi, comme il existe par ailleurs, au sein de la force de travail, un lien entre les attributssociaux des personnes et la précarité de leur situation professionnelle. Ainsi se dessine uneforme d’homologie structurelle entre la division du travail dans l’appareil économique et lasegmentation sociale des comportements dans la population active. La montée en puissancedes entreprises de sécurité n’est pas seulement tirée par le volume de la demande. Tributairesde la crise du lien social, ses ressorts sont également structurels. Ils s'articulent autour d'un jeude cohérences économiques et sociales, en prise avec la progression de nouveaux schémasd’organisation de la production et du travail. Ils se situent au cœur d’un processus de recom-position, qui redéfinit les rapports entre l’interne et l’externe en institutionnalisant la fragmen-tation productive et en légitimant la précarité des statuts.

10 Dans génération 92, près d'un agent de sécurité sur deux est recruté en CDD, sur des périodes généralementtrès courtes, le plus souvent infra semestrielles (60 % des cas), voire infra trimestrielles (43 % des cas). Moinsde 25 % d'entre eux ont passé le cap de l'année d'exercice en continu.11 Plus précisément, par référence aux DADS, on compte chaque année 2,5 fois plus de personnes en mouve-ment que de personnes stables. Il est vrai qu'un tiers de ces entrées/sorties se rapportent à des prestations occa-sionnelles non assimilables à de véritables emplois (moins de 50 heures de travail). Mais, sans tenir compte deces interventions ponctuelles, le taux de rotation annuel de la main d'œuvre (flux d'emploi entre t et t+1 / stockd'emploi moyen) est de l'ordre de 110 %. En fin d'exercice, la moitié des embauchés de l'année n'occupent plusleur emploi (… et probablement beaucoup d'autres ne tarderont pas à le quitter !).12 On se réfère ici aux données de génération 92 sans distinction des contrats de travail. Près des deux tiers desemplois antérieurs (créés et disparus avant 1997) disposaient de statuts précaires (contre 36 % chez les survi-vants). A l'évidence, les CDI résistent beaucoup mieux que les autres à l'épreuve du temps. Ils se caractérisentpar des durées d'occupation d'emploi nettement plus longues. Celles-ci dépassent par exemple l'année dans64 % des cas (contre 23 % pour les CDD) et les deux ans dans près de 40 % (contre 12 %).

Page 8: Prec y Guardas Juardos

8

Graphique II - Niveaux de formation initiale des jeunes entrants

Source : Génération 92, Céreq, jeunes occupant un emploi d'agent de sécurité en mars 1997.

Le recrutement des agents de sécurité privilégie le niveau V de formation initiale (44 % des entrants). Lesniveaux V bis à IV secondaire regroupent 84 % des jeunes. Face à la formation, l'écart est d'importance vis-à-vis des corps institués de la sécurité publique, qui sollicitent un cursus scolaire plus long. Les niveaux de for-mation des agents de sécurité privée se rapprochent en revanche de ceux observés sur les emplois les moinsqualifiés : les agents de nettoyage par exemple reproduisent, au féminin et en l'amplifiant, le même type deprofil.

Le secteur de la sécurité se réclame d'un nouveau compromis, fait de flexibilité productive etd'avantages concurrentiels liés à la mobilisation récurrente d'une main d'œuvre à la fois jeune,en début de carrière et sans qualification reconnue. La crise du lien social participe indirecte-ment à l’alimentation d’un réservoir de main d’œuvre spécifique, dont l’existence facilite lerecours intensif au marché externe du travail et à des formes de mobilisation flexible des res-sources humaines. Fragile, l’équilibre d’ensemble repose sur une flexibilité quantitative exacer-bée, qui intéresse la plus grande partie des emplois d’exécution. Peu sélectif en termes d'expé-rience acquise, l'accès à l'emploi ne l'est pas davantage en matière de formation initiale (graphi-que II). Largement ouverte aux non diplômés et aux cycles courts de l'enseignement technique,la profession ne recrute pratiquement jamais au-dessus du niveau IV secondaire. Au faible ni-veau scolaire se conjugue une grande sensibilité de l'emploi aux fluctuations du marché. Cetteincertitude face au devenir professionnel témoigne d'une précarité socialement construite enamont du travail exercé (APPAY,1997) et s'accrochant semble-t-il davantage à la personnequ'à son métier.

b) Un réservoir de main d'œuvre extensif

De leur côté, les individus concernés présentent des attributs sociaux comparables. Ils parta-gent en particulier un milieu d'origine assez voisin, dont la relative homogénéité semble avanttout conforter la prégnance des mécanismes de reproduction sociale. Le plus souvent, le pèreet la mère se caractérisent par une absence de diplôme et leur vie professionnelle s'attache es-sentiellement au statut d'employé ou d'ouvrier. En première analyse, ces critères différencientmal la sécurité privée de la sécurité publique. Apparemment, les deux professions prélèventdans les mêmes couches sociales. Ce qui les différencie fondamentalement, ce sont les condi-tions d'accès l'emploi et les conditions d'exercice de l'activité13 : elles traduisent un décalage entermes de prestige et agissent à leur tour sur les jugements de considération. L'entrée dans lafonction publique, si l'on tient compte des niveaux de formation des titulaires et du statut social

13 Ces caractéristiques opèrent un clivage important entre la sécurité privée et la sécurité publique. Sur le regis-tre de la stabilité professionnelle, les gendarmes et les policiers se démarquent à l'évidence des agents de sécu-rité privée. Il en va de même sur le registre de la formation initiale. Les concours de la fonction publique exi-gent semble-t-il un niveau scolaire plus élevé : près de 75 % des policiers et gendarmes embauchés se réclamentdu niveau IV. Dans la sécurité privée (graphique II), ils sont moins de 30 % dans ce cas, et encore s'agit-il leplus souvent du niveau IV secondaire (22 %).

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50

N iv.I et II

N iveau III

IV supér.

IV second.

N iveau V

N iv. V bis

N iveauVI

Page 9: Prec y Guardas Juardos

9

attaché à leur profession, s'inscrit davantage sur une trajectoire intergénérationnelle ascen-dante. Du moins, les représentations dominantes vont dans ce sens. Le marché des agents desécurité se dessine en revanche à l'image du milieu social dont il est principalement issu. Un telenracinement dans les couches défavorisées de la population trouve un écho important sur unautre registre : en dépit des difficultés de mesure, le privé concentre beaucoup plus que le pu-blic les marques d'une sur-représentation de la main d’œuvre immigrée ou du moins perçuecomme telle par référence aux origines ethniques apparentes14.

A ces attributs sociaux correspondent de fait une fragilité professionnelle marquée par le sceaude l'instabilité. La même impression d'instabilité se dégage en effet de l'ensemble des situationsde travail occupées par les jeunes au cours de leur cursus professionnel15. Qu'ils appartiennentou non au champ de la sécurité, les emplois traversés se distinguent avant tout par leur nombreélevé et par leur courte durée16. On n'a pas vraiment affaire à une population rejetée du mondedu travail17, mais à une forme particulière d'intégration sociale qui produit des aller-retour ré-currents entre emploi et chômage et suscite des ruptures fréquentes dans la chaîne des activitésexercées. La relation à la vie active a la marque du flou, au sens où elle s'accompagne de tauxd'entrée et de sortie importants, au sens aussi où elle s'ouvre à un large spectre d'emplois diffé-rents. Les trajectoires ayant pour seul point commun le passage par la sécurité privée se ca-ractérisent par leur diversité extrême … et l'expression est bien pauvre pour rendre compte del'enchevêtrement observé (encart 2). En termes de fréquence, les activités exercées semblentessentiellement relever des aléas d'un parcours hésitant, non finalisé, construit à coups d'op-portunités, de positionnements successifs sur l'offre disponible, indépendamment des aspira-tions sinon des prédispositions associées aux personnes. Mais c'est justement cette indétermi-nation face à l'activité professionnelle et cette déstabilisation de la relation à l'emploi qui cons-tituent à nos yeux la caractéristique essentielle du milieu que l'on cherche à appréhender.

14 La différenciation ethnique produit de la sélectivité, mais à sa façon : en inversant la hiérarchie des signesdistinctifs. L'exclusion qu'elle suscite resserre les contours de l'insertion professionnelle sur un segment parti-culier du marché du travail. Un tel processus de discrimination positive se nourrit d'une forme de socialisationpar les pairs, elle-même alimentée par une logique de réseau pseudo communautaire.15 En termes de durée, les autres emplois occupés présentent les mêmes caractéristiques d'instabilité que ceuxde la sécurité, avec une large prédominance des périodes infra semestrielles.16 Comparativement à l'ensemble des jeunes, les individus concernés (passés au moins une fois par un posted'agent de sécurité) ont occupé davantage d'emplois, mais sur une période d'activité cumulée moins longue.Entre 1992 et 1997, 58 % d'entre eux ont eu plus de deux emplois (contre 38 % dans génération 92) et 46 %ont eu une durée cumulée d'emploi inférieure à trois ans (contre 20 %). En moyenne, chaque individu a pubénéficier d'un peu plus de trois emplois ; la période totale d'activité ne dépasse pas de beaucoup les trois ans.Dans l'ensemble de génération 92, on compte pratiquement un emploi de moins et une année de plus.17 Le taux d'activité salariée en 1997 est comparable à celui observé pour l'ensemble de génération 92.

Page 10: Prec y Guardas Juardos

10

Encart 2 - Aires de mobilité

Si l'on s'intéresse à la population des individus passés (au moins une fois) par un emploi d'agent desécurité entre 1992 et 1997, force est de constater que leurs trajectoires ont rencontré au cours decette même période plus de 200 professions de nature différente. On se réfère ici à la nomenclatureutilisée dans l'enquête (tirée des PCS détaillées) : plus de 200 "professions de nature différente" si-gnifie plus de 200 rubriques différentes de cette nomenclature (qui en comprend au total moins de550). L'espace professionnel ainsi investi couvre 40 % de la nomenclature. En termes de fréquence,63,5 % des emplois occupés diffèrent de celui d'agent de sécurité.

Bien entendu, ceux-ci ne se répartissent pas uniformément sur toutes les zones de la nomencla-ture (graphique III). Les catégories socioprofessionnelles indépendantes et de rang supérieur ne sontpratiquement pas concernées ; à quelques exceptions près, le passage par les professions intermé-diaires est également exclu. C'est dire que l'univers professionnel de proximité resserre ses contoursautour des situations de travail les moins qualifiées. Pour partie, ces activités se réclament des attri-buts de la force physique. Mais cette dimension est loin de constituer un dénominateur commun évi-dent.

La caractéristique première du spectre des professions associées à celle d'agent de sécurité, c'est ladiversité. Le milieu environnant se ramifie en direction de domaines professionnels aussi différentsque : la manutention, le magasinage et les transports ; le bâtiment ; le nettoyage ; le commerce et lavente ; l'hôtellerie et la restauration ; le tertiaire administratif ; les activités industrielles et agricoles,etc. S'il y a apparemment mélange des registres, on se situe pour l'essentiel au carrefour des petitesproductions urbaines et des cultures de l'aléatoire (ROULLEAU-BERGER,2000) et donc aux antipo-des de l'enfermement dans une spécialité.

L'univers des échanges relie des champs d'activité hétérogènes à des niveaux socioprofessionnelshomogènes, sans que les conditions d'appartenance à cet espace ne donnent véritablement prise auxsavoir-faire, aux pré-requis ou à la valorisation des compétences accumulées. En ce sens, les trajec-toires professionnelles opèrent au sein d'un espace largement caractérisé par son ouverture aux jeu-nes sans qualification reconnue. Ces jeunes déclinent au présent des stratégies d'insertion multifor-mes, qui se traduisent par une succession d'activités de travail elles-mêmes peu qualifiantes.

Page 11: Prec y Guardas Juardos

11

Graphique III - Voisinage professionnel des agents de sécurité

…………………………………………… 8 - Employés administratifs divers d'entreprise…………………………………………… 10 - Employés de bureau de la fonction publique………………………………………………... 15 - Employés serv. comptables et financiers…………………………………………………….. 19 - Autres agents de service de la FP…………………………………………………….. 23 - Secrétaires

AG …………………………………………………….. 22 - Policiers et gendarmesEN …………………………………………………….. 18 - Animateurs socioculturels et de loisirsTS ………………………………….. 4 - Représentants

………………………………………. 6 - Vendeurs…………………………………………… 11 - Employés de libre service…………………………………………………….. 20 - Caissiers libre service

D …………………………………………… 12 - Serveurs, commis de café, de restaurantE

………….. 1 - Manutentionnaires, agents NQ des services d'exploitation des transports……………………………... 3 - Ouvriers du tri, de l'emballage et de l'expédition…………………………………………… 9 - Conducteurs livreurs…………………………………………………….. 21 - Chauffeurs routiers

S …………………………………………………….. 24 - MagasiniersEC ………………………………….. 5 - NettoyeursUR ………………. 2 - ONQ de type artisanal du bâtimentI ………………………………………………... 16 - ONQ de type industriel du bâtimentT ………………………………………………... 17 - OQ de type artisanal du bâtimentE

…………………………………………… 7 - Ouvriers agricoles

…………………………………………………….. 25 - Jardiniers

………………………………………………... 13 - ONQ de type industriel Mécanique………………………………………………... 14 - ONQ de type industriel Chimie, IAA

Source : Génération 92, Céreq, autres emplois occupés par les agents de sécurité.

Le graphique III présente les 25 professions les plus proches de celle d'agent de sécurité. La proximité estdéfinie par référence à la fréquence d'apparition de chacune de ces professions dans l'itinéraire des jeunesayant pour caractéristique commune d'avoir occupé la situation d'agent de sécurité entre 1992 et 1997. Au-delà de cet emploi, ils en ont occupé beaucoup d'autres : le champ de la sécurité ne représente en effet que36,5 % de leurs séquences d'activité ; les 25 professions présentées ici en couvrent 43,5 % … et elles ne satu-rent pas toutes les possibilités d'échange (encart 2). Face au critère de proximité retenu, arrivent en tête lesmanutentionnaires et les ouvriers non qualifiés du bâtiment, sans qu'aucun de ces métiers ne s'impose vraimentavec force. Les autres ne sont pas très loin derrière et, à partir du troisième rang, les fréquences accusent unedécroissance lente et pratiquement continue. Le positionnement des professions s'efforce de respecter cettehiérarchie. Mais pour faciliter l'interprétation, nous avons procédé à des rapprochements par grappes.

Page 12: Prec y Guardas Juardos

12

L'agent de sécurité partage avec beaucoup d'autres métiers l'occupation d'un espace d'échangesinterprofessionnels relativement étendu, qui se constitue en enclave d’insertion pour une po-pulation de bas niveau scolaire, sans spécialité affirmée18 et sans attache sectorielle particulière.Loin de fuir le marché, la population concernée semble au contraire diversifier ses activitéspour se maintenir en emploi. Par là, elle s'érige en volant de disponibilité et en réservoir demain d’œuvre, sans ancrage dans les professions établies. Elle concentre une force de travailpeu expérimentée et par suite nettement moins âgée que la moyenne. Ici le trait de la jeunesseest exacerbé19. Au-delà de cette caractéristique, le réservoir de la main d’œuvre est forméd’une population essentiellement masculine, ouverte à des formes de mobilisation sur courtepériode et utilisée à ce titre comme vecteur principal de la flexibilité productive. C'est là quepuisent les entreprises de sécurité, mais également beaucoup d'autres, ayant comme caractéris-tiques communes de solliciter le même marché du travail et de faire tourner les personnels enfonction des besoins. Ces pratiques repoussent les frontières de la concurrence entre les tra-vailleurs et élargissent le territoire de leurs investigations. Elles fragilisent en sens inverse lestatut de la force de travail, notamment en termes de pouvoir de négociation et de reconnais-sance des compétences.

Conclusion

Parce qu'elles recrutent généralement des jeunes peu qualifiés, les entreprises de sécurité for-ment un espace d’insertion pour une main d’œuvre socialement défavorisée. Le plus souventcependant - et peut-être à cause de cela -, l'accès aux fonctions d'agent de sécurité ne constituequ'un épisode unique20 et court dans un parcours haché et largement dépourvu de signes deconvergence. En ce sens, il ne s'agit vraiment pas d'un secteur de 'transition', compris commepassage intermédiaire entre l'inactivité et des formes de stabilisation professionnelle. Limitée eninterne pour ne pas dire inexistante, l’évolution des actifs relève du changement d’entreprise etdu changement d'emploi, lorsqu'elle ne boucle pas purement et simplement sur le réservoir deslaissés pour compte et de la main d’œuvre structurellement inoccupée. Pour faire image, on aaffaire à 'des itinéraires dont la trajectoire est tremblée' (CASTEL21, 1995). La professionn'entretient que des liens distendus avec les autres métiers : elle n'apparaît jamais comme undébouché naturel, ni comme un passage obligé. En d'autres termes, elle se tient à l'écart desitinéraires professionnels façonnés par la répétition. Il n'y a pas étanchéité, mais perméabilitédiffuse et indétermination des règles de l'échange avec l'espace professionnel environnant.D'une certaine façon, les trajectoires épousent la structure de l'offre d'emploi disponible et leurvariété est à l'échelle de l'éventail des opportunités accessibles. 18 Le critère de la spécialité de formation n'est en aucune façon discriminant pour l'accès aux fonctions exer-cées. On notera que 11,5 % des agents de sécurité de 1997 ne préparaient aucun diplôme particulier en 92, que14,5 % relevaient d'une des séries du baccalauréat général ou technologique et que 10,5 % relevaient d'unespécialité universitaire. Les autres, c'est-à-dire les plus nombreux, se caractérisent par leur dispersion entre lesspécialités industrielles et les spécialités tertiaires. On citera, par ordre d'importance décroissante : comptabili-té, gestion (16,5 %) ; mécanique (9,5 %) ; électricité, électronique (8 %) ; carrosserie, soudure (4,5 %) ; com-merce, vente (3,5 %) ; travail du bois (3,5 %) ; etc.19 La sécurité cultive cet atout professionnel pour l’ensemble de son personnel, mais moins activement.20 Entre 1992 et 1997, huit jeunes sur dix n'ont occupé l'emploi qu'une seule fois.21 L'auteur parle de nouvelle donne contemporaine pour désigner "la présence, apparemment de plus en plusinsistante, d'individus placés comme en situation de flottaison dans la structure sociale, et qui peuplent sesinterstices sans y trouver une place assignée".

Page 13: Prec y Guardas Juardos

13

Vu du côté entreprises, tout converge en apparence vers des formes organisationnelles insta-bles, instituées sinon légitimées par la transformation des rapports économiques et sociaux. Laprécarisation salariale est produite par la précarisation des structures productives, elle-mêmefacilitée par le développement de la précarité des statuts sociaux et des statuts d’emploi(APPAY, 1997). La régulation de l'activité repose sur l’extériorisation des risques, ceux dudonneur d’ordre, comme ceux, dans le prolongement, de l’entreprise sous-traitante. Ultimesphère de contournement des rigidités salariales, le personnel flexible est soumis à une doubledépendance, qui amplifie sa vulnérabilité et donc son instabilité. Si le métier d'entreprise semblese nourrir de ce volant de main d’œuvre appelée et rejetée en fonction des besoins, il s'articuleaussi autour d'une logique de pérennisation des compétences. On est en présence d’un systèmedual, qui conjugue un marché primaire installé dans la durée et un marché secondaire beaucoupplus volatile22. La règle instituée du turn-over concerne surtout les tâches les moins qualifiéeset épargne en grande partie les autres personnels. La flexibilité quantitative est ‘segmentée ouségrégative’ (GADREY, 1991). Elle réduit les contraintes d'adaptabilité fonctionnelle et faci-lite d'autant l'ancrage des permanents dans un cadre d'emploi stabilisé, doté de ses repères et deses marques d'identité professionnelle. En dépit du recours massif au marché externe du travail,l’activité se structure autour d’un personnel plutôt stable qui en forme le noyau23. C’est lui quiest porteur de la continuité des savoirs et des savoir-faire constitutifs du métier de l’entreprise.

Bibliographie

APPAY Béatrice, 1997. – Précarisation sociale et restructurations productives, in Précarisation sociale, tra-vail et santé, sous la direction de Béatrice Appay et Anne Thébaud-Mony, IRESCO.

CASTEL Robert, 1995. - Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat. EditionsFayard.

GADREY Jean et Nicole (dir.), 1991 - La gestion des ressources humaines dans les services et le commerce.Flexibilité, diversité, compétitivité. Collection ‘pour l’emploi’, Editions L’Harmattan.

LEROUX Nathalie , 1997. - Un métier en clair-obscur : les agents de sécurité du métropolitain, Actes ducolloque "Divisions du travail et du social", VIèmes Journées de sociologie du travail, Université Libre deBruxelles, Blankenberg, 5-7 novembre.

OCQUETEAU Frédéric , 1997. - Les défis de la sécurité privée. Protection et surveillance dans la France

22 Une telle organisation du travail ne constitue pas une spécificité sectorielle. Ses traits se retrouvent ailleursavec quelques variantes, notamment dans d’autres activités de service aux personnes et aux entreprises, qui seréclament de politiques d'emploi similaires.23 Source de pérennité de l’entreprise, la continuité de l’emploi intéresse au premier chef les fonctionsd’animation et d’encadrement, occupées de préférence par une génération d'âge mûr. Et ils ne sont pas les seulsà disposer de ce statut privilégié. Celui-ci peut s'étendre également à une frange de personnel récemment sortiede l'appareil de formation. D'une façon générale, il semble caractériser les postes les plus techniques et donc lesplus professionnalisés.

Page 14: Prec y Guardas Juardos

14

d'aujourd'hui. Editions l'Harmattan.

ROULLEAU-BERGER Laurence , 2000. - Pour une approche plurielle du travail à travers l'épreuve indivi-duelle et collective de la précarité. Séminaire du LEST du 19 juin 2000. Texte d'intervention ronéo. Voir aus-si, parmi les nombreuses productions antérieures de l'auteur, son rapport pour la DARES : Entre intégrations etdésaffiliations : les jeunes et l'emploi dans les villes américaines et françaises, janvier 1998.

SIMULA Pierre , 1999. - La dynamique des emplois dans la sécurité, Collection Etudes et recherches, Editionsde l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure (IHESI).