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431 Table des matières PREMIÈRE PARTIE Religions, croyances, légendes et diableries ............................ 7 Les vierges noires, reines d’Auvergne....................................... 9 Le diable aux trousses… ............................................................. 21 Sarabande fantastique ................................................................ 35 La bête des Ternes ........................................................................ 53 La bête du Cézallier ..................................................................... 57 DEUXIÈME PARTIE Lieux sacrés et mystérieux ........................................................ 61 Le mystère des pierres à cupules ............................................... 63 Le puy de Dôme, monarque absolu ........................................... 77 La « pierre des Fièvres » ............................................................. 87 Les eaux minérales et thermales ............................................... 99 TROISIÈME PARTIE Histoires insolites et pittoresques, curiosités .......................... 121 La momie voyageuse ................................................................... 123 Le dernier Noël de Louis Mandrin ............................................ 137 La « conscrite » de Saint-Jacques-des-Blats ............................. 165 Billy : le 1 er avril, on cherchait le fils de Lénine ........................ 167 QUATRIÈME PARTIE Art, histoire et patrimoine .......................................................... 171 L’Homme des Bois, alchimiste de Thiers ................................... 173 La plus longue bataille de l’histoire........................................... 187 Vierge noire : métamorphose ? .................................................... 201

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Table des matières

PREMIÈRE PARTIE

Religions, croyances, légendes et diableries ............................ 7

Les vierges noires, reines d’Auvergne ....................................... 9Le diable aux trousses… ............................................................. 21Sarabande fantastique ................................................................ 35La bête des Ternes ........................................................................ 53La bête du Cézallier ..................................................................... 57

DEUXIÈME PARTIE

Lieux sacrés et mystérieux ........................................................ 61

Le mystère des pierres à cupules ............................................... 63Le puy de Dôme, monarque absolu ........................................... 77La « pierre des Fièvres » ............................................................. 87Les eaux minérales et thermales ............................................... 99

TROISIÈME PARTIE

Histoires insolites et pittoresques, curiosités .......................... 121

La momie voyageuse ................................................................... 123Le dernier Noël de Louis Mandrin ............................................ 137La « conscrite » de Saint-Jacques-des-Blats ............................. 165Billy : le 1er avril, on cherchait le fils de Lénine ........................ 167

QUATRIÈME PARTIE

Art, histoire et patrimoine .......................................................... 171

L’Homme des Bois, alchimiste de Thiers ................................... 173La plus longue bataille de l’histoire ........................................... 187Vierge noire : métamorphose ? .................................................... 201

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LES MYSTÈRES D’AUVERGNE

Vierge rouge : consécration métallique ? ................................... 225Mystérieuse bourrée… ................................................................ 243Un cimetière source de polémiques ........................................... 253Glozel et la guerre des briques ................................................... 259

CINQUIÈME PARTIE

Justice et affaires criminelles .................................................... 275

Le mystérieux incendie du château de Randan ....................... 277Justice suspecte : les « diaboliques de Chamblas » .................. 291Un coup de couteau fatal ............................................................ 329Quand la paresse pousse au crime ................................................. 337Dramatique substitution d’enfants à Saint-Gérand-de-Vaux ... 345

SIXIÈME PARTIE

Personnages et destinées ............................................................ 353

Le fantôme de Montlosier ........................................................... 355Un sulfureux prophète dans les volcans ................................... 369Philibert Besson, politicien de l’extravagance .......................... 381Les visions et les prophéties de Roquetaillade ......................... 399Le Cantal et ses trois cent deux puceaux .................................. 407François Péron, découvreur des Terres australes ..................... 413

Index des noms de lieux ............................................................. 427

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Notre-Dame de Marsat , bois et cuivre doré, XIIe siècle.(Photographie de Robert de Rosa.)

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Chapitre I

Les vierges noires, reines d’Auvergne

S I LES PUYDÔMOIS vénèrent leur monarque absolu, le puy de Dôme, ils se placent avec ferveur sous la protection de divini-

tés d’une majesté énigmatique. Leur territoire déborde largement le département, mais elles y sont bien représentées. Les vierges noires, comme les sources auxquelles elles sont liées, surgissent de cette terre volcanique pétrie d’eau et de feu. Perséphone, dont le christianisme n’a pu chasser la noirceur, vit toujours sous le manteau de la Vierge. Elle accueille, avec bienveillance, la ferveur qui naît d’une longue pratique, bien avant qu’elle ne porte ce nom. Ses cousines, ses sœurs, ses filles se sont installées près des souf-frances des hommes, apportant ce qui est indispensable à la vie : le réconfort et l’espérance.

Une majesté tendre à Marsat

Croyant ou non, personne ne peut rester insensible à la présence silencieuse de la vierge de Marsat . Une présence qui remplit tout le modeste édifice qui l’abrite. Assise sans raideur sur son simple banc, elle présente et protège son fils de ses mains immenses. Le bois bardé de cuivre doré souligne la noirceur du visage et des mains. Quel sculpteur a modelé avec génie cette expression grave, sereine et tendre tout à la fois ? La chevelure ramenée sous le voile doré ne dissimule aucun des traits qui rappellent un type méditerranéen

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LES MYSTÈRES D’AUVERGNE

du Sud : le nez long et droit, des yeux ouverts sur l’insondable, des amorces de rides, celles que l’amour des mères dessine une fois les enfants devenus grands, un léger pli tombant aux commissures des lèvres, celui que marquent des années de tendre patience. Nous sommes bien devant une reine sans couronne. Intimidé, on se prend à chuchoter ; pour un peu on se mettrait à genoux. C’est toujours avec un peu de gêne que l’on s’éloigne en décidant d’interrompre ce dialogue silencieux.

Comme beaucoup de ses consœurs, cette statue succède sans doute à une plus ancienne. Celle-ci est datée, sans plus de préci-sion, du XIIe siècle. Grégoire de Tours mentionne un culte marial dès le VIe siècle, autour de reliques indéterminées. Il rapporte aussi deux miracles attribués à sa présence.

Les ouvriers, maladroits ou fatigués, n’arrivaient pas à construire cette église pourtant modeste. La législation du travail étant fort limitée à cette époque et les chambres artisanales plus qu’embryon naires, les travaux traînaient en longueur. Sur le chan-tier trop souvent déserté, les échafaudages brinquebalaient, les pierres se recouvraient de mousse… Peu à peu les maçons, morte-liers, charpentiers partaient cultiver leurs choux. Pourtant il fallait bien en finir, ne serait-ce que pour toucher le maigre salaire promis par contrat. Quelle ne fut pas leur surprise, un beau jour, en reve-nant sur les lieux de leur travail : l’édifice était quasiment achevé et, plus étonnant encore, c’étaient les enfants qui l’avaient réalisé, guidés par la mystérieuse dame noire.

Le second phénomène miraculeux frappa tout autant les imagi-nations. En ces temps reculés, la journée commençait au lever du soleil et s’achevait à son coucher. Seuls la pâleur des chandelles, la fumeuse clarté des lampes et le rougeoiement du feu trouaient l’obscurité. Quand on vit la chapelle illuminée toute la nuit sans que personne n’y soit entré avec une lanterne ou une torche, il fallut se rendre à l’évidence. Une lumière surnaturelle rayonnait à l’intérieur… celle qui irradie sur la robe de la dame de Marsat et qu’elle conserve sous la noirceur de son teint. Il faut ajouter à son actif l’arrêt de l’épidémie de peste qui a dévasté la région. Une procession qui remonte à 1631 se déroule encore de nos jours pour commémorer l’événement. Non seulement la vierge est portée au dehors, mais une roue sur laquelle est enroulée une chandelle

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Les vierges noires, reines d’Auvergne

dont la longueur représente le trajet Riom Marsat l’accompagne. Cette roue est toujours suspendue dans l’église entre ses sorties processionnaires. La datation, l’existence d’une communauté de bénédictines à Marsat, filiale peut-être du monastère de Mozac , laissent penser à un culte marial très ancien et renommé. Deux rois sont venus se prosterner devant elle : Louis XI et François Ier… J’imagine que le premier implora sa protection et rajouta des médailles à son chapeau ; le second dut rendre hommage à sa beauté.

La grande reine de Marsat n’est pas la seule à produire des miracles. Ses sœurs en font autant. Souvent c’est leur découverte même qui est miraculeuse. Il n’est pas inutile d’en préciser les cir-constances tant leur répétition conduit à placer ces statues votives sur un autre plan que celui de la seule historicité scientifique.

Celles qui sont présentées à la dévotion des fidèles aujourd’hui n’affichent pas l’ancienneté de leurs origines. Bien des statues romanes n’ont pas résisté à l’usure du temps et à la cupidité ou à la fureur des hommes. Quand ce ne sont pas les huguenots qui les ont brisées, c’est la tempête révolutionnaire qui les a englouties. Mais la mémoire des hommes de foi n’accorde que peu d’importance à l’histoire. Elle s’appuie sur un fonds intemporel et inconscient, des fondations maçonnées d’espoirs et cimentées de peurs, autrement dit indestructibles. Massacrées, brûlées, noyées par des fanatiques fous de Dieu ou de liberté, elles reparaissent. Si leurs traits ont changé, la noirceur demeure.

Les sœurs de l’eau et du feu

À Clermont-Ferrand , dans la basilique Notre-Dame-du-Port, la vierge de tendresse est une réplique du XVIIIe siècle de la statue dis-parue, datant probablement du Xe ou du XIe siècle. Saillens rapporte qu’elle fut trouvée dans le puits qui existe toujours dans la crypte.

Toujours à Clermont-Ferrand , mais dans la cathédrale cette fois, des travaux dans la crypte permirent de découvrir une autre vierge noire en 1974. Complètement oubliée parce qu’aucun culte parti-culier ne s’y rattachait, elle a été restaurée en gardant, toutefois,

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LES MYSTÈRES D’AUVERGNE

la sombre couleur du visage et des mains. Elle attend les fidèles derrière l’autel, dans une chapelle du chevet.

L’église de Besse en Chandesse abrite pendant une partie de l’année une vierge noire qui ne date que du XIXe siècle. La précé-dente disparut pendant les événements révolutionnaires de la fin du XVIIIe. Ici c’est auprès d’une source que la première statue fut découverte. C’est une vierge « nomade » qui partage son séjour entre Besse et la petite chapelle de Valcivières dans les hauts pâtu-rages. Elle y monte le 2 juillet avec les troupeaux, les bergers, c’est « la montade », et elle en redescend le 21 septembre dans la même compagnie, c’est « la dévalade ». Perséphone l’automne et l’hiver, Korê au printemps et à l’été… On raconte toujours comment, il y a bien longtemps, un marchand frappé de cécité a recouvré la vue en lui promettant d’être « roy de dévotion ».

Dans la chapelle de la Font-Sainte, à Égliseneuve-d’Entraigues, la vierge noire reçut, le 1er septembre 1700, la visite de l’évêque de Clermont, Mgr de Vainy d’Arbouze. « Près du village, il y a un petit oratoire où on honore la vierge. La tradition rapporte que cet ora-toire avait succédé à un vieil arbre dans le tronc duquel se trouvait primitivement la statue de la vierge noire. L’arbre étant mort et vétuste, on construisit le petit sanctuaire au même endroit, à côté de la fontaine à l’eau miraculeuse1. »

Notre-Dame-des-Champs à Chastreix ne semble pas aussi ancienne. On sait qu’elle a été repeinte en 1892 : « Sous la poly-chromie barbare, il est difficile de juger de l’ancienneté de la statue. Si elle était récente, comme certains traits donneraient à le penser, il y aurait là un bon témoin de la perdurance possible d’une tradi-tion par ailleurs perdue depuis si longtemps2. »

Authezat , proche de la commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean à La Sauvetat, a retrouvé depuis quelques années la statue qui lui avait été volée. De petite dimension, à peine dégagée de

1. Bibliothèque du Grand Séminaire de Montferrand.2. P. Belzeaux et J. Dieuzaide, Vierges romanes, Zodiaque, 1961.

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la bille de bois dans laquelle elle est sculptée, méditative derrière l’épaisse vitre qui la protège maintenant, elle amène à s’interroger sur ses voyages, sur les aléas du destin… Elle a bien failli dispa-raître sous les assauts d’une vénération toute contemporaine : celle de l’argent. Reste un détail encore inexpliqué : elle porte sur les épaules et entre les pieds trois sceaux énigmatiques. Je n’en connais pas d’autre marquée de cette façon. Faut-il les rapprocher de ceux que traditionnellement portent les icônes de la Vierge, sur les épaules aussi mais le troisième sur le front ? Par ces trois signes, le peintre affirme que la femme n’est pas seulement une mère quelconque mais la Théotokos, la matrice qui a enfanté le divin sur terre. Les trois signes scellent une alliance entre une matière spiritualisée (purifiée) et la trinité sous les apparences de l’esprit, de l’âme et du corps. Nous ne sommes pas très loin de la cosmolo-gie alchimique qui sera évoquée plus loin. À défaut d’explications historiques, il faudra se limiter à des considérations symboliques.

Tout près de Riom , à Thuret , une petite église romane intrigue tout autant par la riche iconographie de ses chapiteaux que par leur facture naïve et maladroite. Elle conserve une vierge noire qui n’est plus assise mais debout. Cette position lui vaut les noms de « vierge guerrière », de « vierge des croisades » ou encore de « vierge templière ». La tête couronnée surmonte le cône formé par le manteau qui l’habille et qui cache les mains. On connaît ail-leurs quelques statues qui reproduisent ce modèle, à Saint-Flour par exemple. La posture de la vierge au manteau a été représentée en peinture au XVe siècle mais jamais avec cette frontalité, cette raideur. Il s’agit alors d’une divinité protectrice qui étend les plis de son ample vêtement du haut du ciel pour protéger les créatures de la terre. La vierge de Thuret a bien les pieds sur terre, elle est parmi nous. Le musée Roger-Quillot, à Clermont-Ferrand , expose une vierge dite d’Orcival dans la même position. Plutôt que d’en faire une figure belliciste, ce qui ne convient guère à un person-nage de tendresse et de compassion, j’avancerai une explication plus naturaliste.

Quand ces vierges sont portées en procession au-dehors de l’église, elles sont habillées de robes somptueuses qui les couvrent de la tête aux pieds. Le vêtement très empesé, serré au cou et

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large au bas, forme un cône, entrouvert au niveau du plexus pour laisser apparaître la tête de l’enfant. On retrouve alors très exac-tement l’appa rence des vierges dites « guerrières ». Quelques considérations symboliques de plus : la matière du tissu, lumineux, pailleté, broché, et la forme triangulaire, pointe en haut de cet habit, rappellent le symbole traditionnel du feu. Considérations qu’il faut rapprocher du sermon de saint Bernard pour l’octave de l’Assomp tion : « N’est-elle pas la femme revêtue de soleil [Apocalypse 12], puisqu’elle a pénétré les abîmes de la divine sagesse à une profondeur presque incroyable, et nous apparaît comme immergée dans l’inaccessible lumière, autant qu’il est possible à une créature sans l’union hypostatique ? Ce feu qui purifie les lèvres du prophète, ce feu qui embrase les Séraphins, c’est le feu même dont Marie est revêtue : il ne l’a point touchée, ni effleurée seulement : il l’a entièrement recouverte ; elle y a été plongée et comme absorbée. Ô manteau de la Vierge, vêtement de lumière et de chaleur1 ! » Comme je le disais plus haut, les expli-cations purement historiques ne suffisent pas pour rendre compte de ces œuvres. Il faut faire appel à une cosmologie symbolique, à des archétypes qui demeurent latents en tout individu même à l’époque des claviers et des téléphones mobiles.

Certains lecteurs s’étonneront sans doute que je ne mentionne pas la vierge d’Orcival , celle qui trône majestueusement dans la magnifique église lovée dans la vallée, tout contre la montagne… Elle aurait pourtant tout ce qu’il faut pour accompagner les statues miraculeuses : pèlerinage à la source, origine légendaire orientale (apportée par saint Luc), dévotion particulière des prisonniers, vertus prophylactiques sur la vue… Mais elle n’est pas noire ! Elle est pourtant citée comme telle dans la plupart des ouvrages qui traitent de ce sujet. C’est le cas de Jacques Huynen dans L’Énigme des vierges noires2. Or en 1972 la statue était comme elle l’est aujourd’hui : superbe mais avec une carnation claire. Elle n’en est pas moins une reine d’Auvergne. Le Puy-de-Dôme, pratiquant un « multiculturalisme » avant la lettre, célèbre donc ses reines

1. Hymne Mulier amicta sole, dans Vierges romanes, op. cit., p. 67.2. Jacques Huynen, L’Énigme des vierges noires, Robert Laffont, 1972.

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blanches et ses reines noires. Ces dernières empruntent leurs origines dans des temps beaucoup plus anciens et des cultures dis-parues aujourd’hui. C’est ce que je vais tenter d’évoquer.

Les grandes mères obscures

Les divinités sombres, les mères obscures, jalonnent l’histoire des croyances. Le mystère qui les entoure agace quand il ne gêne pas les tenants d’un christianisme orthodoxe, c’est-à-dire occiden-tal et blanc… La nouvelle religion qui s’établit sur les décombres de l’antiquité, enseignée par Paul et les Évangélistes depuis le Moyen-Orient, pratiquait déjà cette tolérance a minima qui veut que l’on accepte ce que l’on ne peut pas faire disparaître. La chris-tianisation, rapide dans les centres urbains, fut longue à pénétrer les campagnes, ces espaces habités par les paysans dont le nom vient directement de paganus, payens, païens. Peu à peu les chré-tiens s’approprient les lieux sacrés, les monuments immémoriaux, jusqu’aux personnages qui reçoivent une forme de baptême en changeant de nom. L’énigmatique saint Don, près de Châtel-Guyon , n’était autre que Dionysos ou le Dôn gaulois. Ce phénomène inhé-rent à chaque culture qui s’installe n’a rien de choquant lorsqu’on en admet la réalité. Mieux, il permet d’une certaine façon de conser-ver la mémoire des pratiques anciennes. Contrairement à ce que disait Nietzsche, « pour qu’un sanctuaire apparaisse, il faut qu’un sanctuaire disparaisse », aucun sanctuaire ne disparaît. Il se trans-forme et un regard objectif peut en saisir les survivances. Ainsi les vierges noires semblent réactualiser sous le couvert du chris-tianisme d’anciennes divinités largement répandues dans tout le bassin méditerranéen.

Mais, avant d’en tracer les contours, la probité exige de faire état des arguments avancés pour expliquer la noirceur de nos reines d’Auvergne. Le matériau de fabrication d’abord. Il est vrai que cer-tains bois noircissent avec le temps, le chêne en particulier. Ces statues seraient donc devenues noires à cause de leur ancienneté. C’est oublier une pratique constante dans les productions votives. Le bois n’est qu’un support. Il était toujours recouvert de couches

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LES MYSTÈRES D’AUVERGNE

colorées, souvent grâce à une toile marouflée sur le support, enduite d’apprêt et peinte. Notre époque qui ne jure plus que par le naturel, que par la matière brute a oublié que même les plus beaux marbres grecs étaient peints. Les restaurations contemporaines permettent de découvrir la richesse des polychromies qui recouvraient les sculptures romanes en particulier.

Autre explication : la dévotion des fidèles. On connaît bien cette pratique qui veut que l’on touche l’objet de vénération pour s’en approprier les bénéfices. Possible. Mais alors ce ne serait pas le visage seulement qui serait noirci par les mains à la propreté douteuse des croyants, d’autant plus que les statues sont plutôt pré-sentées en élévation et ne donnent à toucher que le bas des robes. Dans le même ordre d’idées on avance le phénomène de noircisse-ment dû aux fumées des chandelles et des cierges. Même objection : l’assombrissement par le noir de fumée se produit uniformément, pas uniquement sur le visage et les mains.

Dernier argument : la mode. Une mode qui daterait du XIXe siècle… ou la reproduction, par excès de zèle sans doute, de l’apparence provoquée par les phénomènes mentionnés. C’est une façon un peu rapide de reporter en arrière un fait sans pour autant expliquer son apparition.

On ne peut écarter totalement toutes ces raisons. Certaines sont en partie fondées, quelques-unes attestées mais il n’est pas pos-sible de les ériger en règle générale. Le mystère reste donc entier et, faute de documents, il nous faut puiser dans cet univers des symboles et des mythes que les scientifiques sérieux laissent aux poètes. Poétisons donc, sans réserve, en sachant que la poésie n’épuise jamais le mystère…

Sans aller jusqu’à invoquer un matriarcat primitif, il faut bien reconnaître que les figurations de déesses mères ne naissent pas avec la Mère divine chrétienne. Les premiers signes propres au christianisme, alors qu’il était encore une religion cachée parce que persécutée, relèvent de l’allégorie : croix, poisson, agneau. Le culte marial ne s’instaurera que bien plus tard, laissant subsister de nombreuses divinités préchrétiennes. Je me bornerai à citer deux représentations particulièrement proches de notre sujet : un bronze nouraghique trouvé en Sardaigne et remontant au VIIe ou

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Les vierges noires, reines d’Auvergne

VIe siècle avant J.-C. Le personnage féminin porte sur ses genoux un enfant et la position des mains évoque sans ambiguïté les vierges de tendresse, si ce n’est la raideur de la facture très archaïque. Plus près de nous, une statuette votive celtique reproduit l’attitude des vierges en majesté, assise dans une position frontale et présentant l’enfant assis sur ses genoux. Le drapé rudimentaire de la mère, la « biaude » courte du petit personnage ne laissent aucun doute sur l’origine de l’œuvre, découverte en Eure-et-Loir : « Ce petit monument s’inscrit parmi les innombrables statuettes votives de déesses mères. Alors que la plupart ne représentent l’enfant qu’au sein, celle-ci le place sur les genoux de sa mère et dans la posture qui sera, mille ans plus tard, celle des Vierges en majesté tenant l’Enfant Jésus assis et vu également de face. L’attitude sévère, la lourdeur des vêtements détachent également cet objet des séries gallo-romaines classiques1. » Une étude plus détaillée, mais qui dépasse le cadre de cet ouvrage, pourrait confirmer cette parenté.

La généalogie de la couleur noire est plus problématique car les vestiges n’ont que rarement gardé les couleurs d’origine. Quelques divinités païennes présentent un visage parfaitement noir. La plus célèbre est sans doute l’Artémis d’Éphèse. Elle fait partie des divinités grecques conservées par les Romains et qui pro-longent d’anciens cultes. Vierge farouche, chasseresse infatigable, elle défendit sa mère Léto avec le concours de son frère Apollon. Honorée dans toutes les régions montagneuses et sauvages, son sanctuaire principal se situait à Éphèse. Pierre Grimal reconnaît en elle « une très vieille déesse asiatique de la fécondité » et sug-gère qu’elle succédait à la Dame aux fauves crétoise. On attribue à Dionysos la même origine orientale, et curieusement les peintures grecques lui donnent aussi un teint bistre, foncé. Il faut rappeler que l’empire d’Alexandre s’étendait jusqu’aux Indes, et les histo-riens distinguent une statuaire de style gréco-oriental témoignant des influences culturelles réciproques entre Europe et Asie. Une attirance semblable, mêlée de crainte, s’exerce autour de la Magna Mater romaine : Cybèle, dont le culte s’associe à des mystères, est mère, à la fois nourricière et redoutable. On est tenté de spéculer

1. A. Varagnac, G. Fabre, Art gaulois, Zodiaque, 1956.

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LES MYSTÈRES D’AUVERGNE

sur des rapprochements avec un des avatars de Devi, la Grande Déesse sous la forme redoutable de Kali la noire.

Ces influences multiples, ces cultes exogènes accompagnant les armées conquérantes ont trouvé un écho dans les divinités cel-tiques. Épona, déesse cavalière, intégrée dans le panthéon romain, reprend très exactement les attributs d’Artémis : virginité, fertilité, chasse. C’est aussi le cas de Brigid qui associe le pouvoir de fécon-dité et celui de semer la terreur chez les combattants. Elle deviendra sainte Brigitte, protectrice des troupeaux et gardienne du foyer. Sa fête, dans l’ancien calendrier liturgique, se situait le 1er février ; or, le 2 février, commémore encore la Purification de la Vierge… Ce panorama trop rapide permet de saisir la continuité des cultes successifs et la permanence des figures et des représentations. Sans affirmer des filiations directes, il est possible de poser de solides présomptions, d’autant plus qu’en d’autres lieux la statue primitive aurait été rapportée d’Orient. En s’appropriant la Grande Mère, le christianisme a effacé les aspects terribles ou guerriers (et pourtant celle de Thuret revendique d’une certaine façon cet héritage), fidèle au message d’amour évangélique.

Tout cela atteste que le sombre visage de ces vierges n’est pas dû à un accident, à une erreur de transmission, mais au contraire à une volonté délibérée, bien que peu consciente, et à une fidélité à la mémoire des cultes anciens plus intuitive que raisonnée. Leur pré-sence imposante, leur attitude grave et majestueuse tiennent aussi à leur authenticité vénérable. Saint Bernard invoque l’Apocalypse. On peut y joindre sans hésiter le Cantique des Cantiques :

« Je suis noire et pourtant belle, filles de Jérusalem,Comme les tentes de Qédar,Comme les pavillons de Salma.Ne prenez pas garde à mon teint basané :C’est le soleil qui m’a brûlée1. »

Ces reines sont bien à l’image de ce pays qui les conserve avec une jalousie déférente. Fières et farouches, elles sont les sœurs de

1. Cantique des Cantiques, attribué à Salomon, I-5 et 6.

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Page 14: PREMIÈRE Religions, croyances, légendes et diableriesexcerpts.numilog.com/books/9782812910357.pdf · Les trois signes scellent une alliance entre une matière spiritualisée (purifiée)

Les vierges noires, reines d’Auvergne

ces femmes gauloises qui encourageaient leurs époux à la bataille de Gergovie . C’est sans doute la raison pour laquelle elles abondent dans le Puy-de-Dôme, un pays que le feu de la terre a noirci, comme la lumière du soleil a noirci ses reines. Elles demeurent en ces lieux comme les cicatrices vénérables d’une histoire géologique de la pensée dont le temps a pétrifié les secousses. Rencontrer leur regard c’est plonger dans les millénaires et, pour un instant, s’immerger dans l’éternité.

Robert de Rosa,Les Mystères du Puy-de-Dôme, 2012.

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