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PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 4 mars 2013 NOTE DE SYNTHESE – SUJET 1 durée de l’épreuve : 4 heures A/ A partir des documents ci-joints et de vos connaissances, vous rédigerez une note de synthèse sur les enjeux d’une politique de santé publique face à l’obésité. LISTE DES DOCUMENTS Document 1 Physiologie du Goût. Méditation XXI. De l’obésité Brillat-Savarin Document 2 L’hexagone sur la balance. Emmanuelle Vibert Terra eco – février 2011 Document 3 Introduction au Plan obésité 2010 – 2013 Site du Ministère des Affaires sociales et de la Santé Document 4 Le programme de santé publique en matière d’obésité du G.R.O.S. (Groupe de Réflexion sur l’obésité et le surpoids) Site du G.R.O.S. – 1 er février 2006 Document 5 Surpoids, normes et jugements en matière de poids : comparaisons européennes. Thibaut de Saint Pol Bulletin mensuel d’information de l’Institut National d’Etudes Démographiques (Population et sociétés) – avril 2009 Document 6 Pourquoi l’obésité explose-t-elle dans les pays émergents ? La malbouffe va-t- elle remplacer la faim ? Catherine Vincent Le Monde – 13 juillet 2010 Document 7 5 techniques pour nous faire manger plus. Cécile Cazenave Terra eco – février 2011 Document 8 Taxes graisses et sodas : santé, business ou finances publiques ? Revue XXI – janvier/février/mars 2012 Document 9 Comment l’Etat nous met à régime. Louise Allavoine et Anne de Malleray Terra eco – février 2011 Document 10 L’obésité (cours de Ian Hacking au Collège de France du 1 er mars au 7 mars 2005 intitulé Normalisation et obésité. L’« épidémie d’obésité ») Site du Collège de France 1

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PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 4 mars 2013

NOTE DE SYNTHESE – SUJET 1

durée de l’épreuve : 4 heures A/ A partir des documents ci-joints et de vos connaissances, vous rédigerez une note de synthèse sur les enjeux d’une politique de santé publique face à l’obésité. LISTE DES DOCUMENTS Document 1 Physiologie du Goût. Méditation XXI. De l’obésité Brillat-Savarin Document 2 L’hexagone sur la balance. Emmanuelle Vibert Terra eco – février 2011 Document 3 Introduction au Plan obésité 2010 – 2013 Site du Ministère des Affaires sociales et de la Santé Document 4 Le programme de santé publique en matière d’obésité du G.R.O.S. (Groupe de Réflexion sur l’obésité et le surpoids) Site du G.R.O.S. – 1er février 2006 Document 5 Surpoids, normes et jugements en matière de poids : comparaisons

européennes. Thibaut de Saint Pol Bulletin mensuel d’information de l’Institut National d’Etudes Démographiques (Population et sociétés) – avril 2009

Document 6 Pourquoi l’obésité explose-t-elle dans les pays émergents ? La malbouffe va-t-

elle remplacer la faim ? Catherine Vincent Le Monde – 13 juillet 2010

Document 7 5 techniques pour nous faire manger plus. Cécile Cazenave

Terra eco – février 2011 Document 8 Taxes graisses et sodas : santé, business ou finances publiques ?

Revue XXI – janvier/février/mars 2012 Document 9 Comment l’Etat nous met à régime. Louise Allavoine et Anne de Malleray

Terra eco – février 2011 Document 10 L’obésité (cours de Ian Hacking au Collège de France du 1er mars au 7 mars

2005 intitulé Normalisation et obésité. L’« épidémie d’obésité ») Site du Collège de France

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Document 11 Venus project Anna Utopia Giordano B/ Questions (les calculatrices sont interdites; une règle double-décimètre transparente est autorisée.) :

1. Que vous inspire le travail de l’artiste Anna Utopia Giordano sur la Vénus d’Urbin du Titien ? (document 11, page 37) (2 points)

2. A partir de la figure 2 du document 5 (page 15) :

Donnez pour le Royaume-Uni, l’Irlande et la France la répartition en pourcentage de la population dans les classes de corpulence. (1 point)

Classez ces trois pays par ordre croissant du pourcentage d’obèses, puis par ordre décroissant du pourcentage de poids normal. (1point)

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Document 1 : Physiologie du Goût. Méditation XXI. De l’obésité Brillat-Savarin Si j'avais été médecin avec diplôme, j'aurais d'abord fait une bonne monographie de l'obésité; j'aurais ensuite établi mon empire dans ce recoin de la science; et j'aurais eu le double avantage d'avoir pour malades les gens qui se portent le mieux, et d'être journellement assiégé par la plus jolie moitié du genre humain; car, avoir une juste proportion d'embonpoint, ni trop, ni trop peu, est pour les femmes l'étude de toute leur vie. Ce que je n'ai pas fait, un autre docteur le fera; et s'il est à la fois savant, discret et beau garçon, je lui prédis des succès à miracles.

Exoriare aliquis nostris ex ossibus hæres !1

En attendant, je vais ouvrir la carrière; car un article sur l'obésité est de rigueur dans un ouvrage qui a pour objet l'homme en tant qu'il se repaît. J'entends par obésité cet état de congestion graisseuse où, sans que l'individu soit malade, les membres augmentent peu à peu en volume, et perdent leur forme et leur harmonie primitives. Il est une sorte d'obésité qui se borne au ventre: je ne l'ai jamais observée chez les femmes: comme elles ont généralement la fibre plus molle, quand l'obésité les attaque, elle n'épargne rien. J'appelle cette variété gastrophorie, et gastrophores ceux qui en sont atteints. Je suis même de ce nombre; mais, quoique porteur d'un ventre assez proéminent, j'ai encore le bas de la jambe sec, et le nerf détaché comme un cheval arabe. Je n'en ai pas moins toujours regardé mon ventre comme un ennemi redoutable; je l'ai vaincu et fixé au majestueux; mais, pour le vaincre, il fallait le combattre : c'est à cette lutte de trente ans que je dois ce qu'il y a de bon dans cet essai.

1 « Toi, ô mon héritier, qui que tu sois, nais de mes os » Parodie d’un vers de Virgile Enéide IV 625 par Brillat-Savarin

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Document 2 : L’hexagone sur la balance Emmanuelle Vibert Terra eco – février 2011 La France pousse un ouf de soulagement. Selon la dernière étude nationale sur l’obésité, elle ne fait pas exploser les compteurs. Mais le bon élève a de quoi flipper : de génération en génération, on devient obèse de plus en plus jeune. Enquête au milligramme. Appelons-la Juliette. Disons qu’elle a 28 ans. Elle est infirmière intérimaire et mesure 1,60 m pour 95 kg. Vous croyez tout savoir sur son poids, l’obésité et les obèses ? Les causes, les conséquences et les solutions. Vous vous dites qu’au fond, il suffirait d’un peu de volonté de sa part pour que ses kilos en trop s’envolent. Ou bien que les industriels arrêtent de lui vendre des cochonneries à tous les rayons. Eh bien, vous vous trompez sûrement. Et Juliette, elle, est paumée. Son médecin, d’ailleurs, n’est pas beaucoup plus avancé. En effet, l’obésité n’est pas une maladie comme une autre. Et c’est un domaine où les clichés font des ravages. Voici quelques munitions pour tenter d’en venir à bout.

Mais rappelons que bon nombre de sociétés ont regardé les gros avec d’autres yeux. Au Moyen-Age, par exemple, raconte l’historien Georges Vigarello dans Les Métamorphoses du gras, on aimait les clercs quand ils étaient « gros et gras ». En cette période de famines, l’embonpoint était symbole d’« opulence », de « prestige ». Tout comme elle l’est encore dans les pays en voie de développement. Soit tout le contraire d’une maladie. Comment est-elle calculée ? Les lectrices de magazines féminins ont toutes entendu parler de l’Indice de Masse Corporelle (IMC). Pour l’obtenir, il faut diviser son poids (en kg) par sa taille au carré (en m), soit IMC=P/T² (lire ci-dessous). Selon l’OMS, Juliette serait classée en « obésité sévère ». Ça y est, vous vous êtes déjà précipité sur votre calculette ou sur Internet où un tas de sites font la division pour vous. Et selon que vous êtes dans l’une ou l’autre colonne, vous en tirez des conclusions plus ou moins alarmantes. Halte-là. Le professeur Arnaud Basdevant, chargé de piloter, depuis le printemps 2010, le plan obésité gouvernemental, relativise. « Cette définition de l’obésité, fondée sur une relation statistique épidémiologique entre IMC et pathologie, a un intérêt majeur en termes de santé publique : définir des populations à risque et situer les enjeux médico-économiques, écrit le chef du service de nutrition à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Mais cet indice connaît des limites, en particulier lorsque l’on cesse de considérer les populations pour s’intéresser à l’individu. » Exemple : un rugbyman et un bodybuilder feront exploser les compteurs, mais ils n’ont pas de problème de poids. Autre exemple : il y a plus de risques médicaux si les capitons s’accumulent dans la partie supérieure du corps. Par ailleurs, chez les enfants, avec

Est-ce une maladie ? Depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lâché le mot « épidémie » en titre d’un rapport sur l’obésité en 19981, plus personne n’en doute : la question est médicale. Le texte détaille toutes les maladies provoquées par l’excès de poids : diabète, pathologies cardiovasculaires, certains cancers (ceux liés à des troubles hormonaux et ceux du côlon), hypertension, apnée du sommeil, infécondité…

1 « Obésité : prévention et prise en charge de l’épidémie mondiale » : whqlibdoc.who.int/trs/who_trs_894_fre.pdf

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Document 2 (suite) leurs jolis bourrelets de bébés qui laissent place à de la maigreur quelques années après, l’indice n’est pas pertinent. Une solution, reprise un peu partout dans le monde depuis 2000, consiste pour les moins de 18 ans à comparer l’IMC d’un individu avec ceux de sa classe d’âge sur une courbe. Suggestion pour les magazines féminins : et si on laissait l’usage de l’IMC aux statisticiens ?

Une exception française ? Regardons d’abord le verre à moitié plein. La France est loin derrière les pires élèves (voir pages 32 du dossier). Sa tradition culinaire semble l’avoir préservée pour un temps de l’épidémie. En 2009, 14,5% des français sont obèses et 31,9% en surpoids, selon l’enquête Obepi-Roche, menée tous les trois ans depuis 1997. C’est moitié moins qu’aux Etats-Unis, qui comptent plus de 30% d’obèses, tout comme le Royaume-Uni. Et la lecture des chiffres concernant les enfants rend encore plus optimiste. L’obésité concerne à peine plus de 3,5% de nos 3-17 ans, selon la dernière étude « nutrition et santé » menée en 2006, quand on en compte le double au Royaume-Uni et plus de 13% aux Etats-Unis. Mais on peut aussi regarder le verre à moitié vide. Ce qui inquiète les analystes, c’est moins le curseur actuel que sa courbe. Depuis douze ans, l’obésité augmente de 5,9% par an en moyenne, ce qui nous ferait atteindre le niveau actuel des Etats-Unis dès…2020. On constate aussi que « de génération en génération, on devient obèse de plus en plus jeune ». 10% des quinquagénaires français sont obèses. Or, ce

pourcentage est d’ores et déjà atteint chez les trentenaires. Une maladie des pauvres ? Pas seulement, affirment les rédacteurs de l’enquête Obepi : « On note, en 2009, une augmentation de la prévalence2 de l’obésité dans toutes les catégories socioprofessionnelles, mais à des vitesses inégales. La prévalence de l’obésité reste cependant inversement proportionnelle au niveau d’instruction ». Ces inégalités commencent très tôt puisque, selon une autre étude menée auprès d’enfants de grande section de maternelle3, « la prévalence du surpoids et de l’obésité est moins élevée chez les enfants dont le père est cadre par rapport aux enfants d’ouvriers, reflétant des différences d’habitudes de vie – alimentation, sédentarité – déjà marquées à cet âge ». Mais gros = pauvre reste une équation trop simpliste. Selon Jean-Pierre Poulain, trois populations sont essentiellement touchées par l’obésité. Tout d’abord, les personnes, non pas en situation de précarité, mais en voie de précarisation, suite à la perte d’un conjoint, d’un emploi, etc. « Elles auraient alors un comportement archaïque qui consiste à stocker en soi en prévision de temps plus durs », explique le sociologue. Deuxièmement, des personnes en situation de migration qui passent, par exemple, d’une zone rurale dans un pays en développement à une zone urbaine en France. Enfin, des personnes qui se mettent au régime et s’embarquent dans un cycle de yoyo, qu’on retrouve dans toutes les catégories socioprofessionnelles.

2 En épidémiologie, c’est le nombre de personnes atteintes par une maladie à un moment donné et dans une population donnée. 3 Publiée en septembre 2010 par la DREES, direction du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé.

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Document 2 (suite)

« L’OBESITE N’EST PAS SIMPLEMENT LE RESULTAT D’UNE GOURMANDISE EXCESSIVE OU D’UNE ABSENCE D’ACTIVITE PHYSIQUE.»

Des causes simples à déterminer ? Juliette mange trop – du gras et du sucre – et elle ne bouge pas assez – elle regarde la télévision et ne se déplace qu’en voiture – : cela paraît évident, non ? Pourtant, même l’OMS prévient : « Contrairement ce que pensent généralement le grand public et une partie de la communauté médicale et scientifique, il est manifeste que l’obésité n’est pas simplement le résultat d’une gourmandise excessive ou d’une absence d’activité physique ».

Bien sûr, le constat de l’inadaptation de notre mode de vie actuel à notre régime alimentaire s’impose. Mais toutes sortes d’autres pistes sont explorées. La génétique est souvent évoquée. D’abord parce qu’on constate que les enfants obèses ont souvent des parents qui le sont : ce n’est pas une preuve, juste un indice. Ensuite, parce que la copine d’enfance de Juliette, celle avec qui elle partageait les mêmes bonbons à la sortie de l’école, n’a jamais eu un gramme en trop. Dit doctement : « Certaines personnes sont plus prédisposées que d’autres au surpoids et à l’obésité », selon l’OMS. Ce domaine reste encore un champ d’études pour les chercheurs, mais plusieurs variables génétiques peuvent nous rendre inégaux devant l’obésité : le métabolisme énergétique au repos, la proportion de graisse et de muscle, le contrôle de l’appétit… Un facteur d’ordre social est aussi régulièrement avancé. En cause, les « nouveaux problèmes associés au chômage, à la surpopulation et à l’éclatement de la cellule familiale et communautaire » qui engendrent stress et désordres alimentaires. Accusée également, la production industrielle de l’alimentation qui rend la nourriture disponible abondamment et en permanence. Sur le même pilori, on accroche la prolifération de la restauration rapide, la publicité qui dépense bien plus d’énergie à vendre de la junk food que des salades et des fruits (lire pages 21 à 25 du dossier). On souligne aussi l’évolution du rôle des femmes qui ont quitté le foyer pour travailler. Elles ne sont plus là pour mijoter de petits plats, et faute de réelle répartition des tâches, les hommes ne les remplacent pas. Enfin, il y a le nouvel idéal de minceur, qui provoque des troubles de l’alimentation (boulimie, anorexie) et incite à toutes sortes de régimes aboutissant finalement à du surpoids. Quoi d’autres ? L’arrêt du tabac, l’excès d’alcool, la prise de médicaments – et notamment les antidépresseurs, dont la France est championne. Vous en voulez encore ? Les études tombent régulièrement qui mettent en cause tantôt le faible taux d’allaitement, tantôt

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Document 2 (suite et fin) Réenchanter l’alimentation ? la pauvreté de notre alimentation en oméga 3,

ou encore l’omniprésence de bisphénol A dans les plastiques alimentaires.

Beaucoup d’obèses ne savent plus écouter leur corps ni reconnaître le sentiment de satiété. Aussi dans de plus en plus de consultations, on leur propose des ateliers du goût, où l’on réapprend à respecter les besoins de l’organisme. A redécouvrir le plaisir de manger. Et cette question n’est pas que l’affaire des obèses. « Rarement une maladie aura imposé à ce point de s’interroger sur nos modes de vie. Nos modes de consommation et plus généralement sur l’ensemble de nos valeurs. Dans ce contexte, il n’est pas inutile de rappeler combien la dimension sociale, les valeurs de partage et de “ réenchantement ” de notre alimentation semblent peut-être se présenter comme les meilleurs facteurs actuels de protection contre l’obésité », écrivent les docteurs Gérard Apfeldorfer et Jean-Philippe Zermati, dans Traiter l’obésité et le surpoids. Nettement plus réjouissant qu’un régime !

Tout cela coûte-t-il cher ? Des chiffres circulent en boucle sur « le coût de l’obésité » (lire aussi page 31). Et pourtant, les chercheurs se coltinant la question sont rarissimes. Comment obtenir des données ? Quelles maladies sont véritablement liées à l’obésité chez un patient ? Faut-il y inclure l’absentéisme au travail ? Les rapporteurs de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) avancent malgré tout. « Les résultats français laissent à penser que le coût médical de l’obésité représente environ 1% à 2% des dépenses de santé. Ils sont néanmoins fragiles et anciens, et se situent en dessous de ceux obtenus pour d’autres pays : 2% à 2,5% en Australie, au Canada et en Nouvelle-Zélande ; 3,5% pour le Portugal ; 5% à 7% pour les Etats-Unis ».

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Document 3 : Introduction au Plan d’obésité 2010 – 2013 Site du Ministère des Affaires sociales et de la Santé Pourquoi un « Plan obésité » ? En France, près de 15% de la population adulte est obèse. La prévalence était de l’ordre de 8,5% il y a douze ans. Un enfant sur six présente un excès de poids. L’augmentation de la prévalence de l’obésité au cours des dernières années a concerné particulièrement les populations défavorisées et les formes graves. Les conséquences sur la santé sont dominées par le diabète et l’hypertension, les maladies cardiovasculaires et respiratoires, les atteintes articulaires sources de handicaps et certains cancers. L’obésité retentit également sur la qualité de vie, elle est à l’origine de stigmatisation et de discrimination. C’est une source d’inégalité sociale de santé. L’obésité est considérée par de nombreux experts comme une maladie de la transition économique et nutritionnelle. Elle est liée à l’évolution des modes de vie (alimentation, activité), à des facteurs environnementaux et économiques, sur un fond de prédisposition biologique, et aggravée par de nombreux facteurs (médicamenteux, hormonaux...). L’intrication des déterminants est la règle et les situations cliniques sont hétérogènes. La recherche vise à comprendre cette complexité à l’aide des sciences humaines, sociales et biologiques. L’obésité est une maladie chronique qui connaît une tendance à l’aggravation avec le temps. Développer la prévention, intervenir précocement sur les processus physiopathologiques est donc essentiel. La prise en charge doit s’adapter à la diversité phénotypique et évolutive des situations individuelles. Des progrès sont nécessaires dans l’organisation de soins (accessibilité, lisibilité, cohérence de la chaîne de soins), la formation des professionnels de santé et l’adaptation des équipements pour améliorer la qualité et la sécurité des soins. Un engagement national Dans ce contexte, le Président de la République souhaite que notre pays s’engage résolument dans la prévention de l’obésité et l’amélioration de sa prise en charge tout en accroissant l’effort de recherche. Dans cette perspective, il a confié à Madame Anne de Danne l’animation d’une commission sur la prévention et la prise en charge de l’obésité chargée de présenter des propositions pour un plan d’action en mobilisant largement les acteurs institutionnels, académiques et économiques ainsi que les associations. Sur la base des conclusions de cette commission, le Chef de l’Etat a lancé un Plan obésité afin d’enrayer la progression de la maladie et de faire face à ses conséquences médicales et sociales. Un plan d’action sur trois ans Les propositions de la commission portent sur la recherche, la prévention et l’organisation des soins. • Recherche : la France réunit des équipes leaders au niveau international dans le domaine des déterminants biologiques de l’obésité et de ses connaissances, ainsi que sur l’approche des maladies complexes, utilisant les technologies à haut débit et la bio - informatique. Ses équipes d’épidémiologie fournissent des données sur l’évolution de la prévalence mais également sur les variations territoriales et populationnelles de prévalences de l’excès de poids. Le lien doit être renforcé avec les sciences humaines et sociales. L’effort de recherche doit être coordonné par une fondation de recherche scientifique.

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Document 3 (suite) • Prévention : la contribution du Programme national nutrition santé (PNNS) à la prise de conscience collective des enjeux de la prévention nutritionnelle ainsi qu’à la mise en place d’actions de communication et de terrain est reconnue. L’objectif est d’amplifier cet effort préventif dans le domaine de l’obésité, en facilitant la mise en pratique des recommandations existantes. Une attention spécifique doit être portée à l’alimentation en milieu scolaire, la restauration collective et la restauration solidaire, ainsi qu’à l’activité physique pour la santé. • Organisation des soins : le système de soins doit s’adapter à l’épidémiologie de l’obésité et singulièrement à la prévalence accrue de ses formes les plus sévères, qui concernent près de 4% de la population adulte. Une attention doit être portée aux jeunes patients souffrant de handicap ou de maladies génétiques associés à l’obésité. Comme le soulignent les associations de patients et les sociétés savantes, l’ensemble de la chaîne de soins du premier recours, du médecin traitant aux prises en charge spécialisées et de rééducation, de soins de suite et de réadaptation, doit être organisée pour améliorer l’accessibilité, la lisibilité de l’offre, la qualité et la sécurité des soins. Le rôle du médecin traitant doit être renforcé. L’organisation des soins est une condition préalable à toute campagne de dépistage chez l’enfant. Les professionnels de santé doivent être formés et informés sur les recommandations de bonnes pratiques cliniques dans le domaine. Une large mobilisation L’Etat entend mobiliser tous les partenaires de la prévention : les acteurs du système de santé, les partenaires institutionnels, les associations, les médias, les acteurs économiques. Le Président de la République a confié au Professeur Arnaud Basdevant la mission de piloter la mise en œuvre de ces différentes mesures, en lien étroit avec les ministères chargés de la santé, des sports, de l’alimentation et de l’agriculture, de la recherche et de l’enseignement supérieur, de l’éducation, de la consommation, de la jeunesse et des aînés, de la cohésion sociale, ainsi qu’avec leurs partenaires publics (collectivités territoriales), associatifs (consommateurs, patients) et économiques. Le Plan obésité réunit en un ensemble coordonné une série de mesures et d’actions dont certaines sont inscrites dans d’autres plans ou initiatives. L’articulation du Plan obésité avec le Programme national nutrition santé (PNNS 2011 - 2015) et le Programme national pour l’alimentation (PNA), ainsi qu’avec le Plan national santé environnement (PNSE), le Plan national alimentation insertion (PAI) et le Plan santé à l’école (PSE), est un élément crucial de cette mobilisation. Elle sera assurée par une coordination interministérielle. Dans l’objectif de réduction des inégalités sociales et territoriales de santé, il est tenu compte de la politique de la ville, à la fois pour assurer la déclinaison du PNNS et du PO sur ses territoires et pour mobiliser sur la thématique, les dispositifs spécifiques de cette politique avec les contrats locaux de santé des ARS.

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Document 3 (suite et fin) QUATRES AXES PRIORITAIRES Le Plan obésité comporte quatre axes prioritaires : 1. Améliorer l’offre de soins et promouvoir le dépistage chez l’enfant et l’adulte L’ambition est de mettre en place sous l’égide des agences régionales de santé (ARS) une organisation des soins lisible, accessible à tous afin de renforcer la qualité et la sécurité des soins. La cohérence de la gradation des soins sera confortée (du médecin traitant au spécialiste, à l’accueil en établissement de santé et de soins de suite et de réadaptation), incluant les dimensions préventives et sociales. C’est une condition sine qua non pour développer le dépistage qui, sans aval, n’aurait pas de pertinence. 2. Mobiliser les partenaires de la prévention, agir sur l’environnement et promouvoir l’activité physique Une attention spécifique est portée à l’amélioration de l’alimentation en milieu scolaire, la restauration collective, la restauration solidaire, et à l’activité physique pour la santé. L’axe prévention sera conduit en étroite relation avec le Programme national nutrition santé (PNNS 2011 - 2015) et le Programme national pour l’alimentation, en particulier dans ses volets « Faciliter l’accès de tous à une alimentation de qualité » et « Améliorer l’offre alimentaire » dont les objectifs rejoignent les préconisations de la commission de Danne. Le lien avec les propositions du PNNS 2011 – 2015 sera assuré par une participation étroite des responsables du Plan obésité à sa conception et à sa mise en œuvre. 3. Prendre en compte les situations de vulnérabilité et lutter contre la discrimination Il existe un important gradient social de l’obésité et de ses complications. Les différences régionales de prévalence pourraient être en partie expliquées par ces facteurs socio-économiques. Les facteurs économiques retentissent sur l’accès aux soins et le suivi de certaines prescriptions. Dans le domaine de la prévention, le gradient social intervient également dans l’impact des messages, en partie du fait d’obstacles pour les mettre en œuvre. La discrimination, dont sont victimes les personnes obèses, est documentée par des études scientifiques. Elle se traduit par des difficultés à l’embauche, retentit sur les revenus à qualification égale. C’est une source d’altération de l’image de soi et parfois de désinsertion. 4. Investir dans la recherche Il s’agit d’animer et d’intensifier l’effort de recherche en créant une fondation de coopération scientifique. L’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) sera chargée de développer ce projet avec les partenaires publics et privés. Les programmes devront favoriser les ponts entres sciences biologiques, imagerie et sciences humaines et sociales, et l’attraction de nouvelles équipes de recherche, en particulier en économie, sociologie et psychologie sociale. L’analyse des comportements de consommation et de l’impact de la communication et des messages de santé publique en sera une des priorités. La recherche translationnelle et l’innovation doivent être renforcées dans le domaine préventif et thérapeutique. Seront poursuivies les recherches épidémiologiques sur l’évolution de l’obésité chez les jeunes.

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Document 4 : Le programme de santé publique en matière d’obésité du G.R.O.S. Dr Jean-Philippe Zermati et Dr Gérard Apfeldorfer Site du G.R.O.S. – 1er février 2006 Nous avons vertement critiqué ici les mesures destinées à juguler ce qu’il est convenu d’appeler l’épidémie d’obésité. Certaines sont proposées par les pouvoirs publics, sous la forme d’un Programme National de Santé Publique ou PNNS, qui est largement repris par les différents acteurs sociaux et le corps médical. D’autres consistent en projets de loi pour « agir contre l’épidémie d’obésité » que nous critiquons de même (voir sur cette même page). Nous, qui sommes chaque jour au contact de personnes en souffrance avec leur poids et leur comportement alimentaire, estimons être à même de mesurer les effets délétères de ces projets. Nous crions casse-cou ! Nous ne faisons pas la même analyse que les pouvoirs publics, que nombre de membres du corps médical, quant aux causes de la montée de l’obésité. Mais en tant que soignants, en tant que citoyens, nous nous inquiétons aussi de la dérive des pays occidentaux, qui conduit à toujours plus d’obésité. Certes, la France est moins touchée que d’autres pays, mais néanmoins, ici aussi, à l’évidence, l’obésité croît. Nous proposons donc un programme alternatif de santé publique en matière d’obésité, fondé sur des présupposés et des méthodes bien différents de ceux qu’on veut nous imposer. Puisse-il être entendu ! Il le sera si vous, qui lisez ces pages, en faites la publicité autour de vous. Si vous partagez nos points de vue, n’hésitez pas à reproduire notre texte, à l’adresser à tous les élus de votre connaissance. A votre maire, à votre conseiller général, à votre sénateur, à votre député. Si vous militez dans un parti politique, dans une association, n’hésitez pas à le proposer aux responsables des programmes santé. Soyez actifs en ce qui concerne vous problèmes pondéraux, et ne vous laissez pas déposséder de votre liberté alimentaire !

Propositions du G.R.O.S. pour une politique de santé publique en matière

d’obésité LUTTER CONTRE LES FACTEURS DE DEREGULATION : 6 MESURES DE SANTE PUBLIQUE

1. Lutter contre la discrimination et la stigmatisation des obèses 2. Lutter contre la diabolisation des aliments 3. Promouvoir une information et une éducation nutritionnelle rassurantes 4. Démédicaliser l’alimentation 5. Lutter contre l’hégémonie de la minceur 6. Moraliser les pratiques médicales et le commerce de l’amaigrissement

PROMOUVOIR LES FACTEURS DE REGULATION : 4 MESURES DE SANTE PUBLIQUE

7. Promouvoir des conditions de restauration propices à la régulation 8. Promouvoir une éducation alimentaire 9. Valoriser la diversité de cultures alimentaires 10. Promouvoir la réconciliation avec son corps

Document 4 (suite)

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MESURES CONCERNANT PLUS SPECIFIQUEMENT LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS

1. Appliquer les lois contre les discriminations 2. Lutter contre la stigmatisation de l’obésité 3. Dépister la restriction cognitive chez les parents 4. Transmettre les savoir-faire et les cultures alimentaires 5. Promouvoir des styles de vie actifs 6. Favoriser le lien social 7. Enseigner une lecture critique du monde des images 8. Informer le corps médical des dangers des normes et des régimes

DETAIL DES « MESURES CONCERNANT PLUS SPECIFIQUEMENT LES ENFANTS

ET LES ADOLESCENTS » Les mesures envisagées à ce jour, qui conduisent à instituer un ordre diététique en demandant aux enfants de manger avec leur tête et non pas avec leur coeur et leur ventre, qui visent même à instaurer une gymnastique d’Etat, ne sont pas sans nous inquiéter. Nous préférerions que les pouvoirs publics recourent à des actions d’un autre ordre: 1. Appliquer les lois contre la discrimination Il convient tout d’abord de lutter contre la discrimination des enfants gros, au moyen des lois existantes. 2. Lutter contre la stigmatisation de l’obésité infantile Il convient de lutter contre la stigmatisation de l’obésité infantile, dans le corps enseignant, dans le corps médical, dans le public en général. Une information sur la discrimination, la stigmatisation, leurs effets, permettrait qu’on comprenne qu’il ne s’agit pas d’enfants fautifs, à rééduquer, mais d’enfants en souffrance, qu’il convient d’écouter, de respecter et d’aimer. Peut-être pourrait-on agir de la sorte sur la honte et la culpabilité de ces enfants et leur permettre de mieux se porter à tous points de vue. 3. Dépister la restriction cognitive chez les parents Les parents en restriction cognitive (c'est-à-dire qui ont des préoccupations excessives à l’égard du poids les conduisant à contrôler leur alimentation), ou qui ont eux-mêmes des difficultés avec leur poids et leur comportement alimentaire, ou bien en ayant eu dans le passé, ont des enfants qui présentent davantage de troubles du comportement alimentaire et de problème pondéraux. Une action visant les enfants passe donc aussi par une action d’information plus générale sur les bonnes façons de se nourrir en famille. 4. Transmettre les savoir-faire et les cultures alimentaires L’éducation alimentaire fait partie de l’éducation que les parents doivent à leurs enfants. Il s’agit pour l’essentiel de la vertu de l’exemple. Les parents transmettent à leurs enfants les savoir-faire alimentaires de base, les us et coutumes qui gouvernent les comportements alimentaires, donnent aux aliments une valeur symbolique et culturelle. Ils sensibilisent les enfants à l’éveil sensoriel et à l’éducation du goût, à l’écoute et la prise en compte de leurs sensations de faim et de rassasiement, de leurs appétits spécifiques, de leurs émotions alimentaires. Certains parents, eux-mêmes en difficulté avec leur poids et leur comportement alimentaire, ou ayant perdu une part de leurs compétences alimentaires, devraient pouvoir être assistés dans leur rôle éducatif.

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Document 4 (suite et fin) 5. Promouvoir des styles de vie actifs Un enfant immobile est un enfant en souffrance. Aussi les enfants inactifs, passifs, sans passion d’aucune sorte doivent-ils être aidés. Ils le seront si, en premier lieu, leur souffrance d’être gros, stigmatisé et rejeté est reconnue et nommée. Les activités de toutes sortes, adaptées aux capacités de l’enfant, sont à encourager, qu’elles soient physiques ou non. 6. Favoriser le lien social Un enfant isolé, peu socialisé, est aussi un enfant en souffrance. Là encore, il s’agit en premier lieu de reconnaître cette souffrance, d’en repérer les causes, et éventuellement d’encourager l’enfant à des activités en petit groupe, adaptées à ses capacités. 7. Enseigner une lecture critique du monde des images L’éducation alimentaire passe aussi par une information sur les sollicitations à manger qui visent les enfants. Interdire et réglementer sont de pauvres moyens, en regard d’une éducation véritable. Il convient donc d’enseigner aux enfants comment se mangent les aliments à haute densité calorique, ainsi que ceux de faible densité énergétique, afin qu’ils deviennent aptes à évoluer dans la société dans laquelle nous vivons. Il convient aussi de leur apprendre à décoder les publicités alimentaires, l’idolâtrie omniprésente du corps mince et de la perfection corporelle dans les médias et l’ensemble de la société. 8. Informer le corps médical des dangers des normes et des régimes Il convient d’informer le corps médical, et en particulier les médecins généralistes, les pédiatres, les médecins scolaires, des effets délétères de normes pondérales contraignantes et de prescriptions de régimes ou de conseils nutritionnels inappropriés.

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Document 5 : Surpoids, normes et jugements en matière de poids : comparaisons européennes Thibaut de Saint Pol – Laboratoire de sociologie quantitative (Insee) et Observatoire sociologique du changement (Sciences Po) Population et Sociétés – avril 2009 Le développement de l’obésité est un enjeu de santé publique dans beaucoup de pays développés. Une plus grande attention étant désormais portée à la corpulence, quel est le regard des individus sur leur poids ? Est-il le même pour les hommes et les femmes ? Change-t-il d’un pays européen à l’autre ? Après nous avoir rappelé les variations de la corpulence moyenne entre pays, Thibaut de Saint Pol analyse le rapport que les Européennes et les Européens entretiennent avec leur poids. Les corpulences moyennes, évaluées à l’aide de l’indice de masse corporelle (encadré 1), diffèrent d’un pays d’Europe à l’autre (figures 1 et 2). Les Français et les Italiens ont les corpulences moyennes les plus faibles, alors que les Britanniques et les Grecs présentent les corpulences les plus élevées.

femmes à trouver leur poids trop faible. Ils considèrent plus souvent le sous-poids comme un problème, une corpulence importante étant valorisée chez eux en tant que signe de force. La situation est différente chez les femmes pour qui le surpoids est un problème plus important que le sous-poids. Elles sont 46% en Europe à trouver leur poids trop élevé, soit presque autant que celles satisfaites de leur poids (49%).

Les écarts de corpulence d’un pays à l’autre sont encore plus marqués chez les femmes. Les pays où celles-ci ont tendance à avoir une faible corpulence sont aussi ceux où la différence entre hommes et femmes est la plus élevée : c’est notamment le cas de la France. Bien que l’obésité s’y soit fortement développée depuis les années 1990, la minceur y semble particulièrement prisée chez les femmes, avec des normes pondérales faibles, et une forte pression exercée sur leur corps, hypothèse que nous allons chercher à vérifier.

Figure 1 – Corpulence moyenne en Europe selon le sexe

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Les femmes plus insatisfaites de leur poids que les hommes Dans l’ensemble de l’Union européenne1, 45% des individus se déclarent insatisfaits de leur poids. Ils sont 40% à le trouver trop élevé et 5% trop faible. Les femmes sont plus fréquemment insatisfaites (51%) que les hommes (39%), bien qu’ils soient plus souvent en surpoids ou obèses selon les critères de l’OMS. Le motif d’insatisfaction n’est pas non plus le même : les hommes sont un peu plus nombreux que les

* Définition et calcul de l’IMC : voir encadré 1.

Note : la corpulence moyenne des hommes en Europe est plus importante que celle des femmes, sauf au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.

1 Les pays pris en compte ici sont les 15 pays de l’Union européenne en 2003, pondérés par le poids de leur population respective.

(T. de Saint Pol, Population et Sociétés, n° 455, Ined, avril 2009) Source : Commission européenne, Eurobaromètre 59.

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Document 5 (suite) Cette plus grande insatisfaction des femmes vis-à-vis de leur poids se retrouve tout au long de la vie. C’est le cas des filles qui, à l’adolescence, ont plus que les garçons tendance à se juger en surpoids, voire très en surpoids, quand elles ne le sont pas au regard des normes de l’OMS. La perception subjective d’un poids excessif s’observe également aux Etats-Unis, où 38% des femmes de poids « normal » pensent être en surpoids et où, à l’inverse, 33% des hommes en surpoids pensent qu’ils ont à peu près le bon poids, voire même qu’ils sont en sous - poids. L’obésité, par la stigmatisation et les problèmes de santé auxquels elle est associée, entraîne beaucoup plus d’insatisfaction que le sous-poids ou le surpoids, quel que soit le sexe. Une femme obèse a 48 fois plus de risques d’être insatisfaite de son poids que de ne pas l’être, par rapport à une femme de même âge à la corpulence normale. Le rapport de risque, quoique plus faible chez les hommes, est de 32. Le fait qu’un individu soit insatisfait de son poids vient du décalage entre son poids réel, du moins tel qu’il le perçoit, et le poids qu’il souhaiterait avoir. Le poids idéal est donc un élément essentiel du jugement porté sur la corpulence. Peut-on repérer le poids idéal ? Appréhender l’idéal pondéral à l’échelle d’une société est difficile, en particulier parce que cette notion est très subjective. Il est toutefois possible de le faire apparaître au vu des courbes d’évolution de la satisfaction en fonction de l’indice de masse corporelle (IMC) (figure 3). Plus l’IMC augmente, plus la proportion d’individus trouvant leur poids trop faible décroît, et plus à l’inverse celle des personnes le trouvant trop élevé croît. Les deux courbes se croisent pour une valeur de l’IMC reflétant cet idéal, pour laquelle autant d’individus jugent leur poids trop élevé que d’individus le jugent trop faible. Cet équilibre s’établit dans l’ensemble de l’Union européenne à un IMC de 22,6 pour les hommes et de 19,8

pour les femmes. L’écart est considérable entre les corpulences idéales des hommes et des femmes. étant donné que l’IMC moyen déclaré est de 25,5 pour les hommes et 24,5 pour les femmes, l’écart séparant l’idéal de la réalité est plus important chez les femmes que chez les hommes (4,7 points contre 2,9). Cela est cohérent avec le sentiment d’insatisfaction plus répandu chez elles, malgré une corpulence plus faible. Les pentes des courbes autour de l’équilibre sont plus fortes chez les femmes. Leur insatisfaction augmente plus vite autour du poids idéal. Enfin, 9% des femmes s’accordent à trouver ce poids ou trop élevé ou trop faible, contre 7% des hommes. Autrement dit, 82% des femmes trouvent leur poids satisfaisant à cet équilibre, contre 86% des hommes : plus de femmes restent insatisfaites à cette valeur qui fait pourtant figure d’idéal. Mais, comme pour la corpulence moyenne, les situations diffèrent d’un pays à l’autre. Figure 2 - Répartition de la population dans les classes de corpulence par pays (hommes et femmes confondus)

Lecture: 2% des Grecs sont en sous - poids, 44% ont un poids normal, 40% sont en surpoids et 14% sont obèses. Note: la part d'obèses est sous-estimée dans certains pays en raison de biais de déclaration (voir encadré 1). (T. de Saitn Pol, Population et Sociétés, n° 455, Ined, avril 2009) Source: Commission européenne, Eurobaromètre 59,0

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Document 5 (suite) Le sous-poids féminin particulièrement valorisé en France En France, les femmes jugeant leur poids trop faible sont deux fois moins nombreuses que celles effectivement en sous-poids. Au Portugal, en Espagne et au Royaume-Uni, c’est l’inverse : elles sont plus nombreuses à se juger en sous-poids qu’elles ne le sont effectivement, alors que la part de femmes en sous-poids est plus de trois fois inférieur à ce qu’elle est en France. Le sous-poids féminin est donc particulièrement valorisé dans ce dernier pays. Le sous-poids est en revanche dévalorisé chez les hommes dans tous les pays européens, ceux jugeant leur poids insuffisant étant partout plus nombreux que ceux effectivement en sous- poids d’après les critères de l’OMS. Mais la satisfaction pondérale ne se déduit pas du niveau moyen de la corpulence. Les Autrichiens, par exemple, se déclarent en moyenne plus satisfaits de leur poids que les Français alors que leur IMC moyen est bien supérieur. Un même niveau de corpulence est ainsi perçu différemment selon le pays : un individu qui se trouve trop gros en France, dans un environnement où la corpulence moyenne

est assez faible, se satisfera du même poids dans un pays où la corpulence moyenne est plus élevée. En France, l’IMC masculin idéal est de 22,0 (à cette corpulence, ils sont aussi nombreux à trouver leur poids excessif qu’à le trouver insuffisant, figure 3), alors qu’il est plus élevé chez les Britanniques (22,5), les Danois (22,8) et surtout les Grecs (23,4). Pour les femmes, la situation est un peu différente. La valeur idéale de l’IMC se situe toujours à un niveau faible en France (19,5) comme en Grèce (19,6) alors que le poids idéal masculin est le plus élevé d’Europe dans ce dernier pays. La Grande-Bretagne (20,4) et le Danemark (20,5) montrent par contre des niveaux de poids idéal féminin plus élevés. Il semble donc que les Français aient un idéal de corpulence plus faible que leurs voisins, signe peut-être d’une pression plus forte exercée sur le corps dans leur pays. Mais les Britanniques, qui ont l’IMC moyen le plus élevé, n’ont pas la corpulence idéale la plus forte. La prise en compte de la norme pondérale, différente pour les hommes et les femmes, apparaît donc essentielle pour comprendre la corpulence et le jugement porté sur le poids dans chacun des pays européens, dimension que les politiques publiques doivent désormais intégrer.

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Document 5 (suite et fin)

Encadré 1 L’indice de masse corporelle (IMC)

Peser 65 kg n’a pas le même sens selon qu’on mesure 1,60 m ou 1,90 m. Pour comparer des poids, il est nécessaire de les rapporter aux tailles des individus. En pratique, le rapport entre le poids (en kg) et le carré de la taille (en mètres) est un meilleur indicateur pour les comparaisons, et il est largement utilisé sous le nom d’indicateur de masse corporelle (IMC). Par exemple, pour calculer l’IMC d’une personne pesant 100 kg et mesurant 2 m, il faut faire le rapport entre 100 et 2 x 2, soit 100/4, ce qui donne 25. Pour une personne ne pesant que 90 kg, mais mesurant 1,73 m, le calcul donne : 90 divisé par 1,73 x 1,73, soit 90/3, soit 30. Sa corpulence mesurée par l’IMC est plus élevée que celle de la première personne. Autre exemple, une personne pesant 60 kg mais ne mesurant que 1,41 m, a un IMC de 60 divisé par 1,41 x 1,41, soit 60/2, soit 30. Les deux dernières personnes, quoique de poids et de tailles différentes, ont le même IMC. L’Organisation mondiale de la santé a défini les catégories suivantes, applicables aux individus de plus de 18 ans et de préférence de moins de 65 ans : IMC < 18,5 : sous – poids 18,5 ≤ IMC < 25 : poids normal 25 ≤ IMC < 30 : surpoids IMC ≥ 30 : obésité Les classes construites par l’OMS et les seuils correspondants traduisent des niveaux de risque pour la santé associés à des valeurs de l’IMC. Ils ne constituent en aucun cas un jugement esthétique sur ces états de corpulence. Pour une analyse plus précise des limites et des problèmes posés par ces seuils, le lecteur pourra se reporter à des travaux antérieurs. On notera enfin que les tailles et poids utilisés ici ne sont pas des mesures, mais des déclarations qui comportent une part d’approximation. Les répondants arrondissent les mesures et trichent parfois un peu. Les femmes ont ainsi tendance en moyenne à s’enlever quelques kilogrammes et les hommes à s’en rajouter.

Encadré 2 L’Eurobaromètre 59.0

Les données de l’Eurobaromètre 59.0 ont été recueillies entre le 18 mars et le 30 avril 2003. Elles portent sur un échantillon de 16 300 citoyens des 15 pays membres à l’époque de l’Union européenne, âgés de 15 ans et plus et résidant dans un des Etats membres. Le principe d’échantillonnage appliqué dans tous les Etats membres est une sélection aléatoire (probabiliste) à phases multiples : dans chaque pays, divers points de chute sont tirés avec une probabilité proportionnelle à la taille de la population (afin de couvrir la totalité du pays) et à la densité de la population. Dans chaque ménage, le répondant fait l’objet d’un tirage au sort aléatoire. Toutes les interviews sont réalisées chez les répondants en face à face. Dans chaque pays, l’échantillon a été comparé à la population réelle, basée sur les données de population publiées par Eurostat. Pour tous les Etats membres, une procédure de pondération nationale a été réalisée (marginale et croisée), en tenant compte des critères de sexe, d’âge, de région (selon découpage NUTS II) et de taille de l’agglomération. La pondération internationale (qui sert à calculer les moyennes européennes) a été construite à partir des chiffres officiels de population publiés par Eurostat ou par les instituts nationaux de statistique.

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Document 6 : Pourquoi l’obésité explose-t-elle dans les pays émergents ? La malbouffe va-t-elle remplacer la faim ? Catherine Vincent Le Monde – 13 juillet 2010

Le fait est désormais irréfutable : tout en continuant à souffrir de la faim, les pays du Sud sont aujourd'hui les premiers touchés par la forte progression planétaire de l'obésité. Selon les dernières estimations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 1,6 milliard d'adultes étaient, en 2005, en surpoids dans le monde. Ils pourraient être 2,3 milliards en 2015, et 3,3 milliards en 2030, dont 80% dans les pays en développement où ce problème était quasiment inexistant il y a deux générations. Une évolution alarmante dont les enjeux, majeurs pour la santé publique, sont au coeur des débats menés au Congrès international sur l'obésité, qui se tient cette année à Stockholm (Suède), du 11 au 15 juillet. Amérique du Sud, Afrique du Nord, Inde ou Chine : presque partout, à l'exception de l'Afrique subsahélienne, la malnutrition par excès devance aujourd'hui la sous-nutrition. Au Mexique, pays le plus atteint au monde après les Etats-Unis et numéro un mondial pour l'obésité infantile, les conséquences sanitaires de cette « épidémie » sont déjà à l'oeuvre : le diabète y constitue la deuxième cause de mortalité après l'hypertension. L'évolution est également impressionnante en Chine, où le surpoids concerne désormais près du quart de la population, et devient un véritable problème de santé publique. Selon différentes enquêtes, le pays le plus peuplé du monde compterait aujourd'hui plus de 200 millions de personnes en surpoids et 90 millions d'obèses - soit une augmentation respective de 39% et 97% par rapport à 1992. Les jeunes citadins sont les plus touchés : une récente étude, menée sur une cohorte de 80

000 enfants vivant en milieu urbain, révèle une croissance de 156% du nombre d'obèses entre 1996 et 2006. Le modèle occidental jusque dans ses travers. Reconnue comme une maladie en 1997 par l'OMS, l'obésité fut longtemps considérée comme un fléau de pays riches, nord-américains notamment. On voyait bien les cas se multiplier dans les pays en développement, mais les experts hésitaient à attirer l'attention sur les conséquences néfastes de la surcharge pondérale là où tant d'êtres humains mouraient encore de faim. Jusqu'à ce que les données publiées en 2001 par le Worldwatch Institute confirment que, pour la première fois, le nombre de personnes en surpoids dans le monde équivalait à celui des personnes trop maigres. Et que la proportion d'obèses, avec son cortège de maladies chroniques (diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers), augmentait à vive allure dans toutes les régions en développement. La raison de cette progression fulgurante ? Elle tient en deux mots : transition nutritionnelle. Autrement dit une modification brutale des régimes alimentaires dans les grandes villes des pays émergents, associée à une baisse critique, pour les habitants de ces mêmes villes, de l'activité physique. « L'alimentation des populations pauvres des zones rurales ou urbaines d'Asie pendant les années 1960 était simple et plutôt monotone : du riz accompagné de petites quantités de légumes, de haricots ou de poisson », rappelle à titre d'exemple Barry M. Popkin, spécialiste

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Document 6 (suite) de l'obésité à l'université américaine de Caroline du Nord. « Les habitants de ces régions consomment à présent régulièrement des repas complexes, dans les nombreux points de vente de repas préparés, qu'ils soient occidentaux ou indigènes. » Mère sous-alimentée, enfant obèse. Plus la population de ces pays s'urbanise, plus le surpoids la menace. Une étude portant sur les migrants africains en Australie montre ainsi que le pourcentage d'enfants obèses, selon leur degré d'acculturation, varie de 6% à 30%. Une autre, menée dans les îles du Pacifique, révèle que les populations côtières sont nettement plus touchées par la surcharge pondérale que celles des hauts plateaux. « Plus étonnant encore en matière de contraste : il n'est pas rare, dans certains pays, de voir dans une même famille une mère qui a connu la sous-alimentation et un enfant obèse », rapporte le professeur Arnaud Basdevant, chef du service de nutrition à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Constat doublé d'une inquiétude : les populations qui ont subi la dénutrition et qui, brutalement, entrent dans la transition

économique, connaissent-elles une obésité et des complications plus importantes que les autres ? « Il y a quelques années, une étude indienne a montré que les enfants de mères dénutries étaient aussi ceux qui deviendraient le plus facilement obèses et diabétiques », précise le professeur Basdevant. Cet effet, dit d’« empreinte génétique », reste encore mal compris. Mais l'observation, depuis, n'a cessé de se confirmer : en Asie comme en Amérique latine ou en Afrique, partout où les populations ont connu des carences nutritives graves, l'impact du diabète et de l'hypertension chez les personnes en surpoids survient plus rapidement que dans les populations occidentales. A cela, sans doute, s'ajoute parfois une composante héréditaire. Au Mexique, où la population est composée à 80% de métis d'Européens et d'Amérindiens, les premiers résultats d'une vaste étude génétique ont ainsi récemment mis en lumière le rôle d'un gène impliqué dans l'obésité et le déclenchement précoce du diabète de type 2. Un gène dont la fréquence serait de 33% chez les Mayas, les Purépechas ou les Tarahumaras.

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Document 7 : 5 techniques pour nous faire manger … plus Cécile Cazenave Terra eco – février 2011 Pour nous rendre accros à leurs produits, les géants de l’agroalimentaire déploient des trésors de marketings publicitaire et culinaire.

1 LA TAILLE DES PORTIONS

Carton rouge pour le Yop ! Il y a quelques semaines, la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV) taclait le yaourt à boire de Yoplait : la bouteille de 750 g venait de céder sa place à une « maxi bouteille » de 850 g. « Elle équivaut à 14 morceaux de sucre ! Surveiller la taille des portions, c'est un enjeu de demain », explique Charles Pernin de la CLCV. En France, aucune étude n'a scruté la question. Barre chocolatée modèle « king size », soda de 25 cl à la place des antiques 19 cl... On attrape mieux les abeilles avec une louche de miel plutôt qu’une cuillerée. Si Quick et McDo vantent l’arrivée des tomates cerises et autres yaourts sur leurs cartes, ce sont bien les portions de frites géantes qui demeurent alléchantes. « Les offres menus XXL à des prix cassés incitent clairement à la surconsommation », tempête Charles Pernin. Au fast-food, bien malin celui qui saura dire si son menu est adapté aux besoins de son organisme. « Les gens se sentent capables d’évaluer ce qu’ils mangent, mais c’est faux ! Ils se fient au packaging qui est un très mauvais indicateur », analyse Pierre Chandon,

professeur de marketing à l’Insead (Institut européen d’administration des affaires) et spécialiste de la psychologie alimentaire. Les études montrent ainsi qu’un gobelet contenant deux fois plus de soda ne paraît que moitié plus gros que le format inférieur. Une illusion qui sert bien la cause des gros de l’agroalimentaire ! « Nous avons été éduqués à finir notre assiette : ce réflexe outrepasse nos signaux de satiété », explique Arnaud Cocaul, médecin à la Pitié-Salpétrière. Ce nutritionniste préconise une offre plus adaptée avec des plats de différents formats : S, L ou XL, selon la taille et le sexe, « comme pour les vêtements ». Pour les industriels, la schizophrénie n’est pas loin. Les professionnels de santé leur réclament une diminution de la taille des produits quand les écolos les exhortent à abolir la portion individuelle ! Sur le terrain de la « junk food », certains chercheurs préconisent un système mis à l’essai aux Etats-Unis : proposer par défaut de petites quantités. « Si, dans le menu standard, la boisson est à 19 cl au lieu de 25 cl, on sait que les quantités moyennes consommées globalement diminuent », explique Pierre Chandon.

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Document 7 (suite)

2 DES RECETTES SALEES

Trop gras, trop sucré, trop salé, c’est la formule magique de l’agroalimentaire. Depuis plusieurs années, ces recettes qui flattent les papilles sont placées sur le banc des accusés. Du coup, les mastodontes sont obligés de revoir leurs listes de courses. « Certains secteurs ont fait des efforts considérables : les céréales ont perdu 23% de leur teneur en sel, les soupes 20% elles plats préparés 14% », avance Cécile Rauzy, chef de projet «qualité nutrition» à l'Association nationale des industries alimentaires. Mais c'est souvent l'arbre qui cache la forêt, clament en chœur les associations de consommateurs. Un outil existe pour séparer le bon grain de l’ivraie. Depuis 2007, les industriels peuvent en effet signer une charte auprès du Programme national nutrition santé. A la carte : réduction du sel, des graisses et du sucre, avec des objectifs chiffrés.

Le goût du client Mais peu d'élèves sont pour l'instant inscrits à ce tableau d'honneur. « On estime que les entreprises engagées représentent 15% de parts de marché, explique Louis-Georges Soler, directeur de l'unité Aliss (alimentation et sciences sociales) à l'Institut national de la recherche agronomique. C'est modeste, mais le processus se met en place. » Pour justifier leur frilosité, les industriels arguent de la complexité et du coût de ce type d'opération. Kellogg's a signé la charte il y a quelques semaines à peine.

Le leader des céréales du petit-déjeuner s'est engagé à modifier, d'ici à 2014, les recettes de 20 produits sur sa trentaine de références. « Le lancement d'une nouvelle recette requiert de gros investissements : la recherche et développement, la production, la communication… », explique Anne-Marie Berthier, directrice nutrition de la marque. Par ailleurs, les industriels ne s’en cachent pas : leur limite, disent-il, c’est le goût du client. « Notre seuil reste celui où le produit est encore apprécié en panel par le consommateur, c’est ce qui déclenche l’intention d’achat », explique Rachel Larivière, chef de marque chez Auchan. Le distributeur estime qu’il faut au moins un an pour mettre au point une nouvelle recette acceptable par le consommateur. Charcuteries et jus de fruits en tête Ces efforts ont-ils de réels impacts en matière de santé publique ? Au titre d’accélérateur, oui. « Quand un fabricant de biscuits ou de céréales s’engage, il démontre que c’est faisable ! », lance Charles Pernin de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie. Mais seule une transformation globale des produits pourrait changer la donne. « Pour passer à la vitesse supérieure, il faudrait que les syndicats se mouillent, explique Charles Pernin. Si toute la branche des biscuitiers ou des céréaliers signait, le levier deviendrait efficace. » Pour l’instant, seuls les charcuteries, les jus de fruits et les fruits en conserve sont entrés dans la danse.

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Document 7 (suite)

3 DES ALLEGATIONS TROMPEUSES

Sur les rayons, on en trouve pour tous les goûts : « pauvre en sodium », « riche en calcium », «riche en calcium », « le plein de vitamines », « des fibres pour un bon transit »… En jargon réglementaire, ces slogans sont des « allégations nutritionnelles ». Depuis plusieurs années, elles fleurissent sur les paquets comme pâquerettes au printemps. « Les gens sont dans la confusion la plus totale et nous-mêmes, médecins, le sommes aussi ! », déplore Arnaud Cocaul, médecin nutritionniste à la Pitié-Salpétrière. Qui, à part les professionnels, sait faire la différence entre sel et sodium ? Glucides et sucres ? Sans compter les tours de passe-passe. « On nous dit que les céréales sont bourrées de vitamines, mais nos enfants ne sont pas en carence !, souligne le docteur Cocaul. A côté de ça, les mêmes céréales sont bourrées de sucre ou de gras, mais, ça, ce n’est pas écrit. »

Carton rouge Alors que les Français s’interrogent de plus en plus sur leur alimentation, tout produit doté d’un « petit plus » nutritionnel devient un enjeu

commercial. « Le problème, c’est lorsqu’un nutriment alibi occulte la composition globale du produit », explique Charles Pernin de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie. Démonstration avec un paquet de biscuits d’une marque de distributeur : 100 g pèsent 431 kilocalories. Le paquet en version allégée clame, en grosses lettres, « -30% de sucre ». Résultat : 444 calories ! « Là, c’est carton rouge !, lance Pierre Chandon, spécialiste de la psychologie alimentaire. Le consommateur a une tendance à la simplification : il stéréotype les produits en mauvais ou bons pour la santé. S’il classe un produit dans cette dernière catégorie, il ne fait plus du tout attention aux quantités ingérées. » Les allégations sont donc des appâts très efficaces. Pour parer aux dérives, une réglementation européenne de 2006 exige l’évaluation de toute nouvelle allégation : un chantier titanesque. L’Autorité européenne de sécurité des aliments aurait déjà passé au crible la moitié des 4400 allégations recensées au niveau européen. « Et pour 80% d’entre elles, les scientifiques ont considéré que c’était du pipeau ! », assure Charles Pernin. Elles n’ont plus le droit d’apparaître sur les paquets.

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Document 7 (suite)

4 DES CALORIES TRANSPARENTES

Savez-vous ce que vous mangez ? En théorie, oui. « Mais quand on sait qu’un produit est choisi en quelques secondes sur les rayons, il est impossible de s’y retrouver », explique Charles Pernin, de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie. En 2006, l’association a pris sa loupe. Résultat : plus de 20 systèmes d’étiquetage au niveau européen et au moins 10 formats différents en France. Aujourd’hui, sur un paquet de céréales, on trouve la liste d’ingrédients, obligatoire. L’étiquetage nutritionnel, lui est facultatif. Il permet de connaître la valeur énergétique et la composition en nutriments d’un aliment, pour 100 g ou 100 mg de produit. « Mais personne ne mange 100 mg de céréales : on compte un bol ! », fulmine Olivier Andrault, chargé de mission nutrition à l’UFC-Que choisir. Sur l’étiquette, on trouve donc parfois les valeurs pour une portion de produit. Pour le paquet de céréales, c’est 30 g. « Irréaliste ! Les enfants mangent généralement plutôt le double », peste Olivier Andrault. « En termes de modification de la consommation, les effets de l’étiquetage sont modestes : les catégories qui réagissent sont les plus éduquées », décrypte Louis-Georges Soler.

Alors que faire ? Plusieurs associations réclament l’affichage de signaux d’alerte sur les nutriments l’affichage de signaux d’alerte sur les nutriments critiques, comme le sel, les matières grasses ou les sucres ajoutés. Une sorte de warning en forme de « feux tricolores ». « Les consommateurs détestent qu’on leur dise quoi manger. Ce serait contreproductif », répond Cécile Rauzy de l’Association nationale des industries alimentaires.

Un lobbying à un milliard d’euros Là encore, la bataille est européenne. En juin 2010, les députés européens ont enterré un projet de réglementation basé sur le système des « feux tricolores ». Selon le Corporate Europe Observatory, expert des groupes d’intérêt industriels, le lobbying du secteur alimentaire se serait, à cette occasion, surpassé. Les observateurs parlent d’un milliard d’euros dépensé pour convaincre les votants ! Pourtant, à l’horizon européen se profile bien un étiquetage nutritionnel obligatoire. « Très probablement un tableau de chiffres supplémentaire, inutilisable pour le consommateur », glisse, amer, Charles Pernin.

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Document 7 (suite et fin)

5 DES PROMOS A TIRE-LARIGOT

Sur le terrain du marketing, c’est une guerre à couteaux tirés qui se joue. L’objet du litige : les pubs télé. Et plus particulièrement, celles destinées à faire découvrir aux bambins le merveilleux monde des céréales qui croustillent et des friandises du goûter. D’un côté, les industriels déploient une panoplie d’arguments arguant de leurs efforts en la matière. Le dispositif est basé sur l’autorégulation. Ils assurent avoir mis en place, sous l’égide de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) et de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, des codes de bonnes pratiques : pas d’incitation à se bâfrer auprès des enfants, pas de dénigrement de l’autorité des parents et surtout, retrait des pubs dans les programmes dédiés aux jeunes. « Nous sommes sortis des écrans-enfants », plaide l’Ania. En face, l’UFC-Que Choisir qui a planché, en décembre 2010, sur les effets concrets de ces engagements. 93% des spots alimentaires destinés aux enfants occupent désormais les tranches horaires pour tous publics. « Et c’est justement pendant le prime time qu’on trouve le plus d’enfants devant leur télé ! », souligne Olivier Andrault, chargé de mission nutrition de l’association. Et sa calculette à calories fait mal. L’étude montre en effet que, sur l’ensemble de la journée, 80% des publicités alimentaires destinées aux enfants portent sur des produits

gras ou sucrés. Sur la plus haute marche du podium, les confiseries, surtout chocolatées, qui représentent à elles seules un tiers des spots. Viennent ensuite les fast-foods et les céréales. Alors que l’Ania en appelle à la responsabilité des parents, l’association réclame une mesure réglementaire d’encadrement des publicités aux heures de grande écoute des enfants. Une fois la télé éteinte, reste l’ordinateur. Les jeux en ligne sur les sites des marques de fast-food clignotent en page d’accueil. « Et pour l’instant on a du mal à évaluer leur impact », déplore Charles Pernin de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie. Mais le pire de la promo se situe sans doute au supermarché lui-même. Les bons plans des rayons sont bien connus : deux paquets de biscuits pour le prix d’un, trois tablettes de chocolat pour le prix de deux. « Est-ce que vous avez déjà vu ce genre d’offre sur les fruits et légumes ? », interroge Charles Pernin. Chez Auchan, on avance quelques efforts de distributeur responsable : une offre permanente de fruits et légumes, de viande et de poissons à moins d’un euro le kilo. Et les petites choses sucrées disposées près des caisses ? « Nous continuons à implanter des fruits en ligne de caisse, même si ce n’est pas un emplacement habituel pour ce type de produits », répond-on.

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Document 8 : Taxes graisses et sodas : santé, business ou finances publiques ? Revue XXI – janvier/février/mars 2012

Le Danemark est le premier pays au monde à introduire une taxe sur les graisses. Votée le 1er octobre 2011 à la quasi-unanimité des députés, cette taxe s’applique aux aliments contenant plus de 2,3% d’acides gras. Le prix des produits concernés – viandes, beurre, huiles, fromages, crèmes… – est majoré de 16 couronnes (2,15 euros) par kilogramme de graisses saturées. Pour le ministre danois de la Santé, Jakob Nielsen, les graisses saturées sont « responsables » d’une bonne partie « des maladies cardio-vasculaires et des cancers ». « Je doute que cela ait un impact positif sur la santé », a réagi la porte parole de Confédération danoise des industries (DI), Gitte Hestehave. Cette taxe s’inscrit dans le cadre d’une réforme fiscale approuvée au printemps 2009. Avec la hausse au 1er janvier 2012 de la taxe sur les sodas, et de celles sur les sucreries et le chocolat, en vigueur depuis deux ans, l’impôt devrait rapporter 2750 millions de couronnes (370 millions d’euros) par an. Le débat est ouvert au Royaume-Uni Pour le Premier ministre conservateur David Cameron, la taxe danoise est « à considérer », en raison du « taux grandissant d’obésité » en Grande-Bretagne – le plus élevé d’Europe. « Regardez la situation aux Etats-Unis, a-t-il suggéré dans le Guardian. Que se passera-t-il si nous ne faisons rien ? » David Cameron a également dit son « inquiétude pour les coûts qui pèsent sur le système de santé », et rappelé que le recours à « la fiscalité » pour taxer les graisses avait été accusé, « dans le passé », de pénaliser « les plus faibles revenus ». En Irlande, le ministre de la Santé, James Reilly, a annoncé en septembre qu’« une taxe sur les boissons sucrées » est « à l’étude ». Elle viendrait s’ajouter aux mesures d’austérité adoptées depuis 2010. Le ministre a précisé

qu’aucune taxe sur « la malbouffe » n’est envisagée pour lutter « contre l’obésité ». En Ecosse, le député Richard Simpson, médecin, et spécialiste santé de l’opposition travailliste, s’est prononcé cet automne en faveur d’une taxe sur les boissons sucrées, pour financer « des initiatives nutritionnelles en milieu scolaire ». Selon lui, les Ecossais boivent 20% de plus de sodas que les Anglais. Le gouvernement d’Alex Salmond (Parti national écossais) a fait la sourde oreille. La Hongrie, pionnière par obligation Depuis le 1er septembre 2011, la Hongrie taxe les boissons sucrées, les biscuits salés ou sucrés, et les gâteaux préemballés, dans le but de renflouer les caisses de l’Etat. Entré dans l’Union européenne en 2004, le pays était quatre ans plus tard au bord de l’asphyxie. En 2008, il a bénéficié d’un prêt du FMI et de l’UE, à concurrence de 20 milliards d’euros. En juillet 2010, alors que seule la moitié de la somme était utilisée, le FMI et l’UE ont sommé Budapest de réduire ses déficits, jugés « excessifs », sous peine de fermer les robinets. La Hongrie s’est mise à lever des impôts tous azimuts : les banques, les sociétés de télécommunications, d’énergie, de distribution… Au printemps 2011, le gouvernement a envisagé l’introduction d’une « taxe hamburger », appliquée aux fast-foods. « Les problèmes de santé liés à une trop grande consommation de graisse et de sel ont augmenté », a justifié le ministre de l’Economie, György Matolcsy. Votée en juillet, la taxe ne vise finalement pas les fast-foods, mais des produits vendus en grande distribution. Elle devrait rapporter 74 millions d’euros. « Ceux qui mènent une vie pas très saine doivent payer », a déclaré le Premier ministre conservateur Viktor Orban.

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Document 8 (suite) La Roumanie, recule sur la « malbouffe » La Roumanie a bien failli être le premier pays su monde à taxer la junk food. Début janvier 2010, le ministre de la Santé, Attila Cseke, a dit son « intention d’introduire une taxe sur les fast-foods, les sucreries et les sodas, afin de soutenir le système de santé », dont les comptes sont dans le rouge. « Cette taxe pourrait rapporter près d’un milliard d’euros, a-t-il ajouté. Elle s’appliquerait à tous les produits considérés comme de la “malbouffe” ». Les deux grandes organisations du lobby de l’industrie alimentaire, la FSI et Romalimenta, ont averti, par la voix de leurs dirigeants respectifs, Dragos Frumosu, et Sorin Minea, qu’une telle taxe ferait « augmenter les prix », et entraînerait « le transfert des entreprises dans d’autres pays ». Le gouvernement a reculé. Annoncé pour mars 2010, le texte de loi a disparu de la circulation. En août dernier, Attila Cseke a démissionné de ses fonctions de ministre de la Santé. La France vote une taxe soda La France a voté le 21 octobre, à l’Assemblée, une « taxe soda » qualifiée d’« ofni, objet fiscal non–identifié » par le rapporteur général du budget, Gilles Carrez (UMP). Le texte, qui prétend contribuer à la réduction des déficits publics, a été proposé par le Premier ministre « dans le but de lutter contre l’obésité ». Face aux protestations du lobby de l’industrie alimentaire, l’Ania, qui considère « illogique et scandaleux » de taxer des aliments « autorisés à la vente » pour des « questions de santé publique », le gouvernement a fait basculer le texte du cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, à celui du projet de loi de finance. Plus de la moitié des ventes de Coca-Cola, qui sont des boissons light, allaient échapper à la taxe. Orangina/Schweppes a fait pression à son tour sur le gouvernement. Résultat, une taxe sur les boissons avec édulcorant a également

été votée. La première rapportera 240 millions d’euros, la seconde 40 millions. « Rarement texte aura connu autant de changements et de contradictions en aussi peu de temps », assurent Les Echos. Le Sénat, passé à gauche, a dit son opposition aux taxes, qui frappent selon lui les ménages les plus modestes, alors que l’effet des sodas sur l’obésité ne serait pas démontré. Washington renonce à élaborer une loi fédérale… Aux Etats-Unis, la pression des lobbys est tellement forte qu’il n’existe pas de taxe nutritionnelle au plan fédérale. Un projet de taxe sur les sodas et les autres boissons sucrées a été étudié en mai 2009, dans le cadre du financement de la réforme de santé de Barack Obama. Il a vite été enterré. Dans un entretien avec Men’s Health, en septembre 2009, le président Barack Obama s’est dit convaincu de « la corrélation entre la consommation excessive de sodas par les enfants et l’obésité ». Mais il a fait part de « réticences au Capitole » à l’égard du principe même de la taxe : « Les législateurs de certains Etats qui produisent du sucre ou du sirop de maïs sont sensibles à tout ce qui pourrait réduire la demande pour ces produits ». Au printemps 2010 , le Huffington Post a révélé que le lobby des géants de la boisson, l’ABA (American Beverage Association), appuyé par Coca-Cola et Pepsi, avait dépensé 37,5 millions de dollars pour empêcher l’adoption de la taxe au Congrès. …mais des Etats américains légiférent Trente-cinq Etats, dont la Virginie occidentale, l’Arkansas ou le Tennessee, taxent les sodas. Le projet de loi étudié au plan fédéral a inspiré une quinzaine d’autres Etats, qui préparent des textes. Mais les lobbys s’activent, et même une fois votées et entrées en application, les taxes

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Document 8 (suite et fin) restent fragiles. A coups de pétitions et de campagnes de communication, les géants de la boisson exigent l’organisation de référendums, grâce auxquels ils parviennent souvent à faire abroger des taxes. Dans l’Etat de Washington, une taxe appliquée depuis moins d’un an sur les sodas et les bonbons a été abrogée à l’automne 2010, avec 63% des voix. Un scénario comparable s’était produit dans le Maine, en 2008. Autre exemple cuisant, celui de l’Etat de l’Ohio, qui a abrogé en 1994 une taxe sur les sodas appliquée depuis deux ans. Selon le gouverneur de l’époque, le républicain George Voinovich, la quasi-totalité des 9 millions de fonds réunis en faveur de l’abrogation venait de Coca-Cola et Pepsi. Les soutiens à la taxe disposaient, eux, d’un budget de 148 000 dollars…

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Document 9 : Comment l’Etat nous met au régime Louise Allavoine et Anne de Malleray Terra eco – février 2011 Les dépenses de santé liées au surpoids menacent d’exploser. Du coup, les Etats tentent tout : prévenir, sanctionner, taxer, et même payer les obèses pour maigrir.

1/ Mieux vaut prévenir que guérir Allez, répétons la leçon : « au moins cinq fruits et légumes par jour » et « des féculents à chaque repas ». Régulièrement, des campagnes viennent sonner les cloches des Français. Depuis 2001, l’Etat s’inquiète pour notre courbe de poids et a dégainé un Programme national nutrition santé (PNNS), renforcé d’un Plan obésité en mai 2010. Les mesures – en cours d’élaboration – sont inspirées d’un rapport concocté par des scientifiques et des représentants de l’industrie agroalimentaire. Au menu : éducation, dépistage et accès pour tous aux produits sains. A l’école, le plan préconise d’imposer l’équilibre des repas dans les cantines scolaires, d’ajouter des cours de cuisine et des leçons sur la nutrition, ainsi que d’augmenter

l’activité physique. Sur le plan médical, le dépistage et le suivi de l’obésité doivent être généralisés à tous les enfants d’ici à 2012. Une mesure – qui fait grincer quelques dents – propose la création d’un logo facilement décryptable pour signaler la qualité nutritive des meilleurs produits, à l’image de ce qui existe en Suède, depuis 1989, sous le terme « green keyhole ». Selon le professeur Dominique Turck, pédiatre et membre de la commission, l’une des priorités du plan sera la réduction de la « facture nutritionnelle », l’obésité touchant principalement les populations défavorisées. Cette idée est aussi développée en Grande-Bretagne, où le gouvernement vient d’annoncer la distribution de 5 millions de coupons valables sur des produits sains de marques comme Nestlé, Unilever ou Kellogg’s…

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Document 9 (suite) Des super – héros fruités Au Pays de Galles, on a trouvé la formule magique pour sensibiliser les gosses : les « Food Dudes », un dessin animé dont les héros tirent leurs superpouvoirs de fruits et légumes. Plus Charlie, Tom, raz et Rocco en avalent, plus ils accumulent de force pour combattre le méchant Général Junk et sauver la planète de la malbouffe. En classe, les aventures des « Food Dudes » sont régulièrement projetées aux enfants qui reçoivent ensuite une portion d’un fruit ou d’un légume. A la clé : une petite récompense : crayon, podomètre ou balles à jongler par exemple. « En encourageant les enfants à goûter de façon répétée des fruits et des légumes, le programme les aide à les apprécier et à changer durablement leurs habitudes alimentaires », indique le docteur Sally Pears de l’université de Bangor. Deux ans et demi après la fin du programme, les enfants mangent deux fois plus de fruits et légumes qu’auparavant. Lancé en 2005, « Food Dudes » a été adopté par plus de 1 700 écoles en Irlande et au Royaume-Uni, 3 en Sicile et 8 aux Etats-Unis. Aucune dans l’Hexagone pour le moment. « Mais nous serions ravis de rencontrer les autorités françaises pour leur proposer un pilote », suggère Sally Pears. 2/ Sévir (au moins un peu) En France, une enquête réalisée par BVA en 2007 montre que plus des deux tiers des enfants de 8 à 14 ans sont capables de citer l’un des bandeaux sanitaires rendus obligatoires sur les publicités alimentaires depuis 2006. Exemple ? « Evitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré. » Néanmoins, les bambins restent toujours aussi accros aux douceurs et aux snacks vantés dans ces mêmes réclames. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l’interdiction pure et simple de la publicité pour ces produits aux heures où les enfants sont susceptibles d’être devant la télé. En 2009, l’Assemblée nationale a pourtant rejeté un projet de loi visant à

instaurer de telles restrictions. En échange, industriels et chaînes de télévision ont signé une charte s’engageant à diffuser des programmes éducatifs et offrir 60% de remise sur les spots valorisant la consommation de fruits et légumes. Le secteur alimentaire représentant le second marché publicitaire télévisuel, on imagine les intérêts économiques en jeu. Alors que la France bataille avec ce serpent de mer, le Québec, la Suède et la Norvège ont totalement banni ce type de pubs de leurs écrans.

« LES PROGRAMMES REMUNERES SONT DE PLUS EN PLUS POPULAIRES DANS LES PAYS ANGLO-SAXONS. » Atteinte à la liberté de…manger Victoire hexagonale : l’interdiction des distributeurs de boissons et de snacks dans les écoles. Les Etats-Unis pourraient bientôt l’imiter. En décembre 2010, le Congrès a voté le « healthy hunger-free kids act » - « loi pour des enfants en bonne santé et bien nourris » - qui prévoit un crédit de 4,5 milliards de dollars (3,4 milliards d’euros) consacré à l’alimentation scolaire. Avec l’obligation de servir des menus comprenant des légumes et moins de produits gras. Ses détracteurs, comme Sarah Palin, l’opposante ultraconservatrice, y voient une atteinte à…la liberté de manger. Au Mexique (voir carte page 32 du dossier), une loi, votée en 2010, interdit la vente de nourriture de mauvaise qualité dans les écoles primaires et rend obligatoire la pratique quotidienne d’une demi-heure de sport. Le XXIe siècle pourrait bien être celui de la guerre contre le gras.

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Document 9 (suite) 3/ Taxer gros et gras L’obésité coûte cher au système de santé publique, entre 2% et 6% des dépenses de santé dans les pays européens et plus de 9% aux Etats-Unis, selon l’OMS. Alors « pourquoi ne pas taxer les gros ? », suggérait un député allemand de la CDU, en juillet 2010, provoquant un tollé dans son pays. Pourtant, aux Etats-Unis, les Etats d’Alabama et de Caroline du Nord ont décidé de relever les frais d’assurance santé de leurs fonctionnaires obèses à partir de 2011. Dans la vie quotidienne, cette taxation a pris des formes discriminantes selon des associations d’obèses. Ainsi, chez Air France KLM, les personnes trop larges, contraintes de réserver un second siège, doivent payer ce dernier 75% de son prix. Il leur est remboursé, à condition que l’avion ne soit pas complet. Renflouer les caisses de l’Etat Côté industriels, une « fat tax » ou « taxe nutritionnelle » sur les produits est envisagée comme un moyen de lutter contre l’obésité et de renflouer les caisses de l’Etat. En 2008, l’inspection générale des affaires sociales préconisait sa mise en œuvre. En apparence, l’idée est simple : augmenter la TVA sur les produits riches en sucres et en gras, comme les chips, sodas, glaces, charcuterie, pâtisseries, etc., ainsi que sur les aliments des chaînes de « fast food ». L’idée avait été rejetée au motif qu’elle pénaliserait le budget des plus pauvres. Néanmoins, la « fat tax » est appliquée au Danemark, débattue en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En janvier 2010, la Roumanie était le premier pays à adopter une taxe sur les « fast-food », dont les modalités d’application n’ont cependant pas encore été définies.

4/ Payer pour motiver La Grande-Bretagne a opté pour une ligne originale : offrir de l’argent contre une meilleure hygiène de vie. En 2009, les services de santé du Kent, au sud-est de l’Anglaterre rémunéraient les kilos perdus. Tentant ? Le programme, appelé « Pounds for pounds », visait à lutter contre l’obésité, pas les kilos superflus. Les 402 volontaires retenus pour ce test d’un an se voyaient ainsi offrir de 70 à 425 livres (85 à 510 euros) pour faire pencher l’aiguille de la balance dans le bon sens. « Des livres contre des kilos » n’est pas le seul programme britannique de ce type. Suivons Rebecca qui doit accoucher dans quelques semaines. Cette Ecossaise de 28 ans pointe aujourd’hui chez son pharmacien pour son test respiratoire hebdomadaire. Si son taux de monoxyde de carbone ne révèle aucune trace de tabagisme, elle pourra disposer de 12,5 livres (15 euros) en bons d’achat à la caisse de son supermarché. Et cela, comme chaque semaine où elle s’abstient d’en griller une. La jeune femme, fumeuse durant les onze ans précédant sa grossesse, s’est inscrite à « Give it up for baby », un plan de sevrage tabagique rémunéré, initié en 2007 par les services de santé de Dundee (Ecosse). « Ils étaient lassés du manque d’efficacité des méthodes classiques », témoigne Andrew Radley, leur consultant en santé publique. Selon une étude de l’université d’Oxford, le tabagisme coûte chaque année 6 milliards d’euros au système de santé britannique. Comptez 5 milliards pour les maladies liées à l’obésité dans ce pays européen le plus touché par ce mal occidental. La facture pourrait même doubler d’ici à 2050 selon le département de la santé.

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Document 9 (suite et fin) Des points pour marcher « Les programmes rémunérés sont de plus en plus populaires dans les pays anglo-saxons pour combattre les comportements à risque », explique Theresa Marteau, professeur de psychologie de la santé au King’s College, à Londres. La plupart des plans sont encore des expérimentations locales. Mais le 30 novembre 2010, le département britannique de la Santé a clairement mentionné ce type d’incitations dans son plan pour pousser les sujets de sa Majesté à préserver leur santé, envisageant même de distribuer des points aux enfants rentrant de l’école à pied. N’attendez pas de la Sécu qu’elle en fasse de même ici. Les autorités françaises n’ont jamais engagé de plan de ce type, a indiqué la Direction générale de la santé à Terra eco. Et ce n’est pas au programme. « Nous sommes dans une logique de responsabilisation par l’information des personnes plutôt que de mérite. Ce n’est pas la même culture », souligne Jeanne Bariller du service de communication du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé. En écartant cette radicale méthode de la carotte, l’Etat manque-t-il une occasion de réduire les maladies sur le long terme ? A voir les résultats des programmes britanniques, on est tenté de vous faire une réponse de Normand. Depuis avril 2007, 500 femmes enceintes se sont engagées dans le plan « Give it up for baby ». En moyenne, 40% d’entre elles ne retouchent pas une cigarette avant douze semaines, soit deux fois plus qu’avec les programmes classiques. Le taux ne tombe qu’à 35% au moment de l’accouchement. Une petite victoire pour Andrew Radley, pour qui ce sont autant de grossesses en péril de moins. Mais une exception pour Theresa Marteau : « Les femmes enceintes, d’un milieu social défavorisé constituent un groupe social très particulier. Les incitations financières n’ont pas prouvé leur efficacité sur des problèmes plus larges. Il faut plus de recherches. » Une étude de

l’organisation indépendante Cochrane Collaboration sur 17 programmes rémunérés d’arrêt du tabac montre que si les candidats tiennent sur le moyen terme, ils tendent à échouer dès que la récompense n’est plus offerte. Retirez la carotte, Bourriquet fait marche arrière. Question oseille, « Give it up for baby » a coûté, en trois ans, 60 000 livres (72 000 euros) en fonds publics. Si Rebecca tient jusqu’au troisième mois suivant l’accouchement où court le programme, elle aura gagné 650 livres (780 euros). L’Etat britannique en économisera-t-il autant en dépenses de santé publiques ? « Impossible à calculer », répond Andrew Radley. Le coup du yoyo Dans le Kent, les trois quarts des candidats à la perte de poids avaient abandonné avant le délai d’un an. Les 100 restants ont perdu 25 livres (11 kg) en moyenne chacun. Et pour chaque livre de gras fondue (453 g), les services de santé du Kent ont versé 12 livres (15 euros) à la société privée Weight Wins, missionnée pour mener « Pounds for Pounds ». Son pédégé Winston Rossiter affirme que le gouvernement économisera en retour 170 livres (200 euros) en dépenses médicales directes et 1 200 livres (1 440 euros) en coûts indirects dans le futur. Ces chiffres, il les tient de modélisations réalisées pour le gouvernement. Le hic ? Ils ne valent évidemment que pour des kilos perdus et jamais repris. Or, rien ne garantit qu’une fois le cash versé, les candidats ne joueront pas de nouveau au yoyo avec la balance.

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Document 10 : L’obésité (cours de Ian Hacking au Collège de France du 1er au 7 mars 2005) Site du Collège de France Tout d'abord quelques mots sur I' obésité. Ma leçon du 1er mars a elle-même souffert d'obésité : elle était trop longue et je n’ai pas eu Ie temps de la finir. En particulier, j'aurais dû parler davantage de la volonté. J'en parlerai lors de la leçon 7. Mais je dois clarifier mes intentions. Quelques-uns des auditeurs ont pensé que je ne prenais pas au sérieux les problèmes de sante liés à I'obésité. Ce n'est pas Ie cas. II y a une corrélation très forte entre un Indice de Masse Corporel supérieur à 30 et, d'une part, la mortalité, d'autre part, certaines maladies spécifiques, Ie diabète de type B en particulier, mais aussi les maladies cardiovasculaires. De surcroît, la courbe des risques associés à I'IMC présente une très forte croissance quand on dépasse la valeur 30. La longévité diminue rapidement dès que I'IMC s'élève au-dessus de 30. J'ajoute simplement cette précision: la corrélation entre IMC et risque ne commence avoir un effet important sur la longévité que lorsque I'IMC dépasse 31 pour les hommes et 32 pour les femmes. Ma critique est donc très mesurée ! Je veux bien admettre que Ie nombre 30 est plus facile à mémoriser que « 32 pour les femmes françaises» ... Pas de malentendu, donc : si une femme pense qu'avec un IMC de 31,9, elle est loin d'avoir un problème, elle a tort! Pour éviter toute équivoque, il est préférable de dire que la limite inférieure de I’obésité doit être de 30. C'est une observation que je fais simplement en passant : il n’y a pas une crise qui commence exactement à 30. La chose à retenir, c'est que l'incidence de la forme la plus grave du diabète connaît actuellement une croissance très inquiétante, aussi bien en Europe que dans le reste du monde, et que ce phénomène est corrélé avec la croissance du poids moyen de I'humanité. Ce n'est ni mon rôle, ni ma compétence, ni d'ailleurs Ie but de ce cours, de critiquer, même de manière directe, I'administration de la santé. J'espère qu'on aura compris que je suis un partisan fidèle des chercheurs en sciences naturelles et biomédicales. Plus fidèle ou au moins plus intéressé, je pense, que la plupart des humanistes et des professeurs de lettres et de sciences sociales. Si j'ai des critiques spécifiques, j’essaie de faire en sorte qu'elles soient toujours fondées dans les détails du sujet. Voici ma critique, en I'occurrence. C'est une platitude trop souvent oubliée, que la corrélation n'implique pas la causalité. Dans les discours officiels, on parle souvent comme si I'obésité était la cause, ou au moins une cause partielle, du diabète de type B. Les scientifiques pensent que Ie rapport est plus compliqué. Notre alimentation s'est modifiée, les aliments que nous mangeons quotidiennement ont changé. Cela a deux conséquences: Ie poids augmente et l'incidence du diabète B s'accroît dans une population significative. Dans les cas d'obésité morbide - avec IMC supérieur à 40 - une forte perte de poids diminue Ie risque. Mais il n'est pas aussi clair que, pour un IMC de 33, par exemple, la perte de poids sans changement de type d'alimentation et sans augmentation de I'exercice physique ait des conséquences positives durables. En considérant Ie fait que, pour beaucoup de gens, il est très difficile d'obtenir une perte de poids durable, cette observation ne manque pas de force. La conséquence de la propagande contre I'obésité peut en réalité produire des régimes sporadiques réguliers, avec des pertes de poids temporaires. Les experts disent que les effets de ces fluctuations sont mauvais pour Ie corps, quoique ce ne soit probablement pas si clairement établi, je pense. Certainement, ces fluctuations produisent des sentiments de honte et de culpabilité, un état mental qu'on dit mauvais à la fois pour I'esprit et pour Ie corps. C'est donc une critique de la rhétorique de I'obésité, mais pas de la science ou de la médecine clinique. Voici une observation qui n'est pas une critique, mais que certains perçoivent comme une critique. L'IMC est un indice commode, mais il n'est pas une quantité gravée dans la nature comme la vitesse de la lumière. II est commode parce que les quantités définies par les carrés sont faciles à exploiter mathématiquement, et parce qu'elles sont analogues aux autres quantités statistiques bien connues. C'est surtout commode parce que la taille et Ie poids sont très facile à mesurer, et que les mesures sont très fiables. Quand je dis que I'IMC est une quantité choisie par convention, certains pensent que je dis

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Document 10 (suite) que c'est simplement une construction sociale, quel que soit Ie sens qu'on donne à ce terme. Si c'est une construction sociale, en tout cas, on ne peut pas dire que ce soit simplement une construction sociale. Bien sûr, c’est une convention adoptée par des entités sociales – en premier lieu, par les groupes d'épidémiologistes des années 1970 que j'ai cités. Et une convention commode est utile. Pour finir, je reprends une observation de la dernière semaine. Depuis 1998, Ie surpoids est défini comme correspondant à un IMC supérieur à 25. J'ai exprimé un certain scepticisme vis-à-vis de cette définition. Premièrement, ce scepticisme ne porte pas sur la définition de I'obésité. Deuxièmement, Ie scepticisme ne concerne pas une définition abstraite, séparée de ses applications ou de ses implications. Ce qui me laisse un peu sceptique, c'est I'implication qu'un IMC supérieur à 25 serait dangereux. Toutes les données que j'ai lues me rendent sympathique la thèse du Groupe de Réflexion sur l'Obésité et Ie Surpoids, dont I'acronyme est GROS: « Les personnes ayant un surpoids modéré (c'est-a-dire un Indice de masse corporel ou IMC inférieur ou égal à 27 kg/m2) peuvent certes estimer que leur corps ne respecte pas les canons de la mode de notre époque, mais leur surpoids modeste n'a pas de conséquence néfaste sur leur état de sante. Une obésité moyenne (IMC supérieur à 27,8 pour un homme et 27,9 pour une femme) peut avoir des conséquences sur la sante et la longévité, mais ce sont surtout les personnes ayant une obésité dite massive (IMC à partir de 31,1 pour un homme et 32,3 pour une femme) qui souffrent de leur obésité sur Ie plan biologique. Pour ces dernières, devenir un « obèse moyen », c'est-à-dire un individu un peu enveloppé (sans devenir mince pour autant) améliorera considérablement leur état de santé. » Autre question: la position de l'Organisation Mondiale de la Santé sur I'obésité a suscité certaines critiques. On dit notamment qu’elle a pour effet de déplacer la préoccupation pourtant pressante concernant la sous-alimentation des populations pauvres, et plus généralement les problèmes du tiers monde, et qu'elle tente ainsi de reporter I'attention sur les problèmes liés à la consommation ostentatoire dans les pays riches. C'est la mondialisation, pas simplement du commerce, mais des problèmes. Nous qui sommes riches, nous sommes trop gros. Oublions la faim : I'obésité est devenue Ie premier problème du monde. Et comme toujours, la mondialisation entraîne Ie commerce. L'OMS est devenue un fief des sociétés pharmaceutiques qui veulent vendre des médicaments contre I'obésité. Dans la version la plus forte de ces accusations, on dénonce un véritable complot. On entend parler de « I'équipe anti-obésité de I'OMC » comme s'il s'agissait d'une escouade de terroristes. Bien sûr, quand on en arrive là, c’est de la paranoïa, et je rejette totalement cette attitude. Reste qu'il y a aussi du vrai dans ces critiques. De façon générale, nous investissons beaucoup dans la recherche sur les médicaments dits « life-style », qui concernent les modes de vie, des médicaments « de confort» - comme Ie viagra - et moins dans les solutions pour Ie tiers monde. Reprenons I'exemple du Brésil. On peut, avec Ie président Lula, combattre un raisonnement qui s'appuie sur les statistiques sur Ie surpoids au Brésil pour en déduire qu'il n'y a plus de problème de malnutrition ou de sous-alimentation. Cette déduction est encouragée, sans doute, par les forces conservatrices qui voudraient occulter les problèmes des pauvres dans ce grand pays et occulter les favelas. Alors, c'est vrai, a trop mettre I'accent sur I'obésité, on risque d'oublier Ie combat contre la faim. II ne s'agit pas pour autant d'un complot. II faut aussi prendre en compte I'aspect social. II y a des gens prospères qui mangent trop, mais Ie surpoids est surtout une affaire de classes populaires et de régions pauvres. Paul Campos, I'auteur du livre de 2004, Le Mythe de I'obésité, prétend que la grande peur de I'obésité a été créée par les experts, riches et minces, afin que les riches puissent se considérer comme meilleurs - moralement - que les plus défavorisés.

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Document 10 (suite et fin) J'en ai assez dit, trop sans doute, pour ce post-scriptum à ma troisième leçon. Je conclus par une citation de Michel Foucault que nous avons notée dans Ie séminaire : « II ne s'agit évidemment pas d'interroger Ie « pouvoir » sur son origine, ses principes ou ses limites légitimes, mais d'étudier les procédés et techniques qui sont utilisés dans différents contextes institutionnels pour agir sur Ie comportement des individus pris isolement ou en groupe ; pour former, diriger, modifier leur manière de se conduire, pour imposer des fins à leur inaction ou I'inscrire dans des stratégies d'ensemble, multiples par conséquent, dans leur forme et dans leur lieu d'exercice; diverses également dans les procédures et techniques qu'elles mettent en œuvre: ces relations de pouvoir caractérisent la manière dont les hommes sont « gouvernés » les uns par les autres »1 Ce n'est pas I'OMC ou les bureaux nationaux ou les médecins qui nous gouvernent. C'est nous qui nous gouvernons les uns les autres, quand nous acceptons et reprenons toujours volontairement et souvent volontiers - ce discours. Nous acceptons aussi les régimes. Ou même la chirurgie. Dans Ie journal Libération du 7 mars, on apprend que Ie footballeur Diego Maradona - un héros pour tout homme de mon âge - a subi une intervention chirurgicale dans une clinique colombienne. L'opération consistait à réduire la capacité d'absorption de l'estomac, ce qui permettra au champion du monde 1986 de perdre du poids. II pèserait en effet quelques 121 kilos. En connaissant sa taille, on pourrait calculer son IMC ...

1 (Maurice Florence), « Michel Foucault », dictionnaire des philosophes, PUF, 1984. cf. L’anthologie Michel Foucault, philosophie, Gallimard, p. 48.

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Document 11 : Venus project Anna Utopia Giordano