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Préparer le terrain Contributions de Munich Re au discours de fond concernant le Takaful et le Retakaful, 2011–2012

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Préparer le terrain

Contributions de Munich Re au discours de fond concernant le Takaful et le Retakaful, 2011–2012

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Introduction

L’essor des compagnies dans chacune des trois principales régions du monde islamique au cours de la seconde moitié de la dernière décennie s’est accompagné d’une grande variété d’expériences, pas toutes positives, con cernant les questions conceptuelles liées à l’assurance conforme à la Charia. Cet essor a également été à l’origine d’un certain nombre de dis-cussions importantes, s’agissant par exemple du rôle et de la légitimité des opérations fenêtre (« win dows »), de la capacité de rétrocession ou des normes en matière de Retakaful, ainsi que le débat sur le rôle des coopéra-tives saoudiennes et d’autres approches alternatives. En d’autres termes, la première grande vague d’expérience pratique nous a renvoyés à notre copie pour revoir quelques principes de base anciens du secteur ainsi que certaines applications très récentes. Compte tenu du nombre, de l’ampleur et de la profondeur des questions, on peut bien s’attendre à ce que leur résolution permette de préparer le terrain à une génération nouvelle, et plus forte, d’assurance islamique.

On a tendance à identifier le dénominateur commun de ces questions dans leur rapport à la vision du secteur comme un élément distinct de l’as-surance et de la réassurance conventionnelles et constitutif d’une alterna-tive à ces dernières. Est-ce totalement vrai ? Ne faut-il pas établir des dis-tinctions ? Se distinguer de l’assurance conventionnelle n’est certainement pas un but en soi ; mais en supposant qu’il ne reste que quelques facteurs distinctifs, qu’est-ce qui continue de justifier l’existence du secteur et quels arguments subsistent pour les acheteurs ? Et s’agissant des points qui restent distincts, quelle forme prendra la relation entre l’assurance conforme à la Charia et le secteur de l’assurance conventionnelle ? Coopé-ration, distance ou isolement total ? Le secteur Takaful, en particulier, estime souvent que les différences entre le Takaful et l’assurance conven-tionnelle sont plus nombreuses, et plus fondamentales, que celles qui existent entre la banque islamique et la banque conventionnelle. Pourquoi les banquiers islamiques reconnaissent-ils sans problème leur statut de banquiers, bien qu’appliquant des règles et des techniques différentes, alors que le Takaful ne se définit traditionnellement pas comme une forme d’assurance, mais plutôt comme un substitut à celle-ci ? Cette conception des acteurs du Takaful eux-mêmes doit être remise en question, en parti-culier s’agissant du Retakaful.

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La présente brochure est composée d’articles publiés par le Centre de compétence de Munich Re au cours de l’année 2011, complétée par quelques nouvelles contributions et par une version remaniée de la typolo-gie du Takaful qui était exposée dans le Manuel général relatif au Retaka-ful publié par Munich Re la même année. Cette brochure vise à étudier un large éventail de questions de base en mettant en lumière les principaux points sélectionnés sous la forme d’articles de deux ou trois pages. Nous espérons parvenir, avec cette publication, à résumer l’état actuel de la dis-cussion tout en nous concentrant sur les problèmes clés et en faisant avan-cer le débat.

Munich, mai 2012

NOT IF, BUT HOW

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Table des matières

Introduction 1

Typologie des solutions Takaful possibles – clarification des termes et des concepts 5

Analyse du Qard Hasan 12

Suggestions concernant une standardisation du Retakaful 17

Aspects de la rétrocession dans le Takaful 24

Questions concernant la nature même des fenêtres (« windows ») et le modèle Wakala 28

Le Takaful et son rôle dans la transformation des sociétés du Moyen-Orient 33

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Typologie des solutions Takaful possibles – clarification des termes et des concepts1

Les caractéristiques qui distinguent le Takaful (et le Retakaful) de l’assu-rance (et de la réassurance) conventionnelle sont souvent citées et utilisées de manière interchangeable. Ainsi le Takaful se caractériserait par un partage des risques (par opposition au transfert des risques dans l’assurance conventionnelle), par un pooling et une mutualisation (par opposition aux relations bilatérales) et par un calcul concret par opposition à des modèles d’affaires opaques. Ces termes sont brièvement analysés et définis ci-après :

1 Pooling

Dimension technique

Le pooling au sens technique n’équivaut pas nécessairement au partage des risques ou au fait que chacun assume les pertes des autres. Il s’agit essentiellement de transformer les risques en les combinant dans un fonds commun unique ou, si cela est plus favorable, dans différents sous-fonds communs, en tirant parti de la loi des grands nombres, de l’homogénéisa-tion et des effets de la diversification pour minimiser les coûts d’atténua-tion du risque par unité de risque (autrement dit, par participant). Procéder ainsi requiert des compétences et des connaissances en matière d’évaluation des risques et de souscription prospective, mais ne requiert pas nécessai-rement l’application d’une modélisation des risques. Le pooling est parti-culièrement utile dans les opérations de Takaful général, qui présentent une diversité bien plus grande (comparativement aux opérations de Takaful famille) en ce qui concerne les catégories d’affaires, les périodes de liqui-dation, la fréquence, la gravité et les possibles corrélations entre les risques.

L’effet du pooling supposerait que les coûts des mesures d’atténuation du risque sont plus faibles, pour chaque participant, qu’ils ne le seraient en l’absence de mise en commun. Mais ces coûts ne sont pas (forcément) les mêmes pour tous les participants. Le principe sous-jacent peut être formulé comme suit : pour des raisons éthiques et économiques, les participants doivent payer pour les malheurs de chacun, et non pour une sélection médiocre des risques. À long terme, chaque fonds de participants doit payer en fonction du taux de sinistres espéré, tandis que les coûts des provisions pour fluctuations sont minimisés par l’effet du grand nombre. Cela n’im-plique pas nécessairement des subventions croisées.

1 La majeure partie de ce texte a été publiée en 2011 dans le Manuel général Munich Re sur le Retakaful.

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La vue des ulémas

Ce système de subventions croisées constitue cependant l’élément fonda-mental de la vision plus morale ou spirituelle que les ulémas ont tendance à adopter concernant la notion de mise en commun2. Les ulémas posent l’exigence de ne pas verser de participations aux bénéfices ou d’excédents individuels à certains participants dont les comptes sont rentables alors que le fonds, dans son ensemble, est déficitaire. Si le fait de convenir d’une telle disposition démontre effectivement l’existence d’un état d’esprit de solidarité et de fraternité, il est difficile d’en prévoir les répercussions éco-nomiques.

Cet état d’esprit peut renforcer la stabilité d’un fonds au cours de périodes difficiles. Mais si les participants potentiels adoptent un comportement légèrement plus opportuniste, c’est-à-dire un comportement d’acheteurs (et c’est généralement le cas dans le Retakaful), cela conduit à une anti-sélection dans le fonds. Et en tout état de cause, la question se pose de savoir comment et dans quelle mesure il est possible d’appliquer une tarification différenciée en présence d’une telle obligation de solidarité3.

Pour la typologie suivante, le terme de « pooling » sera utilisé au sens étroit de pooling direct, c’est-à-dire une compensation entre l’excédent réalisé par un participant et la perte réalisée par un autre et donc une répartition des pertes éventuelles entre l’ensemble des participants.

2 Partage des risques et transfert des risques – les deux faces d’une même pièce ?

Le partage des risques est une autre caractéristique majeure. L’idée qui sous-tend la légitimité du Takaful est la suivante : l’opérateur Takaful est lui-même censé ne supporter aucun risque, mais les participants payent entre eux toutes les charges d’indemnisation (plus les honoraires Wakala). En fait, cette caractéristique n’est pas si distinctive qu’elle pourrait le paraître. Tout portefeuille d’assurance est supposé couvrir, à long terme, l’ensemble des pertes et des coûts de l’assureur. Dans le cas contraire, ce dernier ferait faillite. Les pertes du portefeuille dans son ensemble ne seront supportées par l’assureur que pendant une période limitée. Les pertes d’un compte individuel doivent être assumées, et c’est ce seul élément qui donne son utilité à la prestation d’assurance. Il est intéressant de relever que cette même fonction est assurée, dans le Takaful, par l’intermédiaire

2 Voir les résolutions de juin 2011 des ulémas.3 Cette obligation de subventions croisées n’est pas sans rappeler les dispositions européennes

qui interdisaient l’établissement de tarifs d’assurance Vie différents selon le sexe, tout aussi inefficaces en termes économiques.

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du mécanisme du Qard Hasan. C’est la base même de l’octroi d’une cou-verture et d’une garantie, mais, dans le même temps, le Qard Hasan relie le fonds des participants aux fonds des actionnaires à la manière de vases communicants ; il fait disparaître la séparation minutieuse des deux types de fonds, et la distinction entre le Takaful et les techniques convention-nelles devient en pratique obsolète.

Le Qard Hasan (dans la mesure de sa mise en œuvre) relie les deux fonds, lesquels assument ensemble les fonctions qui existent dans le portefeuille d’un assureur conventionnel. Il apparaît que dans la mesure où les partici-pants se comportent comme des consommateurs (c’est-à-dire de façon opportuniste), le système du Takaful se rapproche du système traditionnel en termes de flux de trésorerie. La question la plus importante soulevée par cette conclusion est de savoir comment les sociétés Takaful peuvent, dans la pratique, se distinguer des sociétés d’assurance conventionnelles.

Un moyen de maintenir une différence économique réelle est de prévoir que les clients ne peuvent pas quitter un fonds tant qu’il est déficitaire, c’est-à-dire tant qu’un Qard Hasan est en cours. Il reste un risque de crédit, à savoir le risque d’insolvabilité des participants, mais en tout état de cause, plus de risque – et les coûts du capital de risque – restent avec les participants. Cependant, ceci ne s’applique qu’aux fonds fermés et nomi-natifs, et non aux affaires de masse. Et, encore une fois, il ne s’agit pas d’une nouveauté par rapport au monde conventionnel, puisque le méca-nisme se rapproche de l’activité de réassurance financière structurée.

Calcul concret

L’approche initiale des modèles conformes à la Charia peut être désignée sous le nom de « calcul concret ». Dans le cas d’un calcul concret, le Qard est payé quand il est dû, qu’il soit faible ou élevé, alors que dans le cas de l’approche modélisée, le Qard est payé à l’avance comme il est prévu. Il est certain que l’approche concrète correspond davantage à la « règle du main à main » (Yad bi-Yad) et donne l’assurance de calculs précis, tandis que l’approche de modélisation semble moins transparente. Alors comment appliquer une approche concrète à des risques extrêmement rares, mais graves qui nécessitent d’importantes provisions et dont la probabilité de survenance peut, en raison du progrès technique, varier plus souvent qu’ils ne se réalisent effectivement ? L’avantage de l’approche concrète, en termes de transparence, s’obtient au prix fort en diminuant l’application à des risques et à des portefeuilles complexes et à long terme. Le but est de tirer parti des avantages de la modélisation et de veiller au respect de la trans-parence nécessaire. Tel est l’objectif de la discussion entre les actuaires et les conseils de la Charia.

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3 Tentative de typologie du Takaful et résultats

La typologie de l’activité Takaful est déterminée par trois dimensions, indépendamment du modèle mis en œuvre :

− Calcul concret par opposition à la tarification modélisée : chiffres réels par opposition à des estimations prospectives ajustées annuellement.

− Mise en commun par opposition au calcul individuel : les chiffres ou les pro-visions des sous-fonds sont – ou non – directement compensés entre eux.

− Partage des risques par opposition au transfert des risques : le partage des risques signifie que le fonds ne peut être dissous et que ses participants ne peuvent en sortir tant qu’il est déficitaire, alors que, dans le cas du transfert des risques, le participant est libre de sortir du fonds à tout moment.

A Types de partage des risques

− Type 1 : concret – pooling : variante conventionnelle théorique (idéale) du Takaful

− Type 2 : modélisé – pooling : identique au type 1, avec une prévisibilité à un an de la contribution du pooling (= par le biais des provisions)

− Type 3 : concret – individuel : accord financier (fonds commun individuel, partage des risques entre les périodes concernant un client et non pas différents clients)

− Type 4 : modélisé – individuel : identique au type 3, mais structuré par une tarification prospective

Partage des risques Transfert des risquesConcret Modélisé Concret Modélisé

Pooling Type 1 : (conventionnel)

Type 2 Type 5 : famille conven-tionnel

Type 6 : 5 avec Wakala

Individuel Type 3 : (accord financier FinRe concret)

Type 4 : (accord financier FinRe structuré)

Type 7 : Moudarabah/Ju’ala

Type 8 : Wakala calculé

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B Types de transfert des risques

− Type 5 : concret – pooling : voir la redistribution des excédents dans l’ap-proche du Retakaful famille. Le Moudarabah/Ju’ala constitue un modèle Retakaful approprié à cet égard.

− Type 6 : modélisé – pooling : identique au type 5, également possible avec Wakala (commission modélisée)

− Type 7 : concret – individuel : opérations de Moudarabah convention-nelles

− Type 8 : modélisé – individuel : identique au type 7, avec Wakala calculé

3.1 Transfert des risques et modélisation

Lorsqu’il est possible, du point de vue de la Charia, d’y avoir recours, le calcul concret est préférable en vue d’éviter tout Gharar inutile. Mais la modélisation devient nécessaire dans la plupart des types d’opérations avec transfert des risques (afin qu’il soit possible de procéder à un pooling et de prévoir de façon individuelle les résultats du traité). Il s’agit en parti-culier d’une condition préalable pour les affaires frappées par des sinistres de faible fréquence, mais de forte sévérité, où les provisions jouent un rôle important. Il s’agit en même temps d’affaires très volatiles. Par conséquent, le Takaful famille constitue une exception pour laquelle le calcul concret peut fonctionner, même si les tables de mortalité fournissent déjà une base de modélisation précise. Le Retakaful devrait être largement modé-lisé, compte tenu de son affinité avec le transfert des risques.

3.2 Là où le partage des risques prend tout son sens

Suivant l’expérience et sur la base du principe de la raison insuffisante, il y a lieu de supposer que les participants aux fonds Takaful adoptent un comportement plus ou moins rationnel et « moyen » à l’égard des produits courants, créant des situations de transfert des risques.

Le partage des risques n’est envisageable que dans trois cas :

− Lorsque des groupes d’affinités sont transformés en fonds Takaful. Il s’agit de groupes qui n’ont pas été constitués en vue de souscrire une assurance Takaful (par exemple les associations et les groupements régionaux et sociaux comme les populations des villages et des tribus) et qui ne se dissocieront pas au seul motif que cette couverture ne béné-ficie finalement pas directement à uns seule personne. Ces groupes font

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pratiquement toujours preuve d’un certain niveau de transparence sociale et ont donc aussi souvent un certain sens de la solidarité. Dans le dilemme du prisonnier, bien connu dans la théorie des jeux, le principe de coordina-tion serait la « confiance aveugle ».

− S’ils disposent d’un intérêt commun identifiable et/ou si une personne ou institution est responsable de la coordination entre les participants. Ce pourrait être le cas avec des entreprises opérant sous un régime de propriété commune, par exemple des holdings qui peuvent souscrire une police master.

− Tous les types d’assurance sociale ou de régimes publics (publics-privés), qui comportent généralement une garantie souveraine de rembourse-ment du Qard Hasan. À cet égard, le Takaful constitue l’outil idéal pour les États islamiques et les organisations internationales en vue de créer des fonds et d’atténuer les risques – comme les catastrophes naturelles, le changement climatique ou le développement d’infrastructure – qui devraient être supportés en dernier recours par ces mêmes États et orga-nisations.

Il apparaît que ces applications de la notion de Takaful, qui sont réellement adaptées et souhaitables d’un point de vue éthique, sont encore loin d’être développées de façon exhaustive et peuvent constituer une source impor-tante de croissance durable pour le secteur.

Partage des risques Transfert des risquesConcret Modélisé Concret Modélisé

Pooling Type 1 : groupes d’affini- tés (particuliers)

Type 2 : holdings et régimes publics

Type 5 : Takaful (parti-culiers) (famille) conventionnel

Type 6 : Retakaful famille conven-tionnel

Individuel Type 3 : Retakafulfinancier

Type 4 : Retakaful finan-cier structuré

Type 7 : Moudarabah/Ju’ala, général

Type 8 : Wakala calculé, général

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4 Résumé : le quadrant du Takaful

Ce n’est ni le modèle, ni le traité qui définit à titre principal si et de quelle manière le Takaful diffère de l’assurance conventionnelle. Cette différence réside dans l’état d’esprit et le comportement des participants. Les ulémas ont tout à fait raison, y compris d’un point de vue économique, lorsqu’ils soulignent le rôle crucial de l’état d’esprit et de la morale. La question est simplement de savoir si des solutions d’assurance qui se fondent sur un état d’esprit plus commercial mais conservent néanmoins d’autres carac-téristiques conformes à la Charia, comme l’investissement, doivent être considérées comme illégitimes. La réciprocité et les caractéristiques sociales sont certainement plus manifestes dans les affaires de masse et dans l’assurance des particuliers, alors que la réciprocité est difficile à mettre en œuvre dans le cas des risques industriels et des méga-risques, même avec la meilleure volonté du monde. Par conséquent, ces deux dimensions sont supposées créer une carte préliminaire des solutions possibles en matière d’assurance islamique.

Orientation économique

Régimes PPP

PME/ Commercial

Mutuelles, clubs P&I

Pro-duits Takaful destinés aux particuliers

PMEProjets Produits conventionnels destinés aux particuliers

Segment de marché Industrie

Risques supportés principalement par le fonds des actionnaires Risques supportés principalement par le fonds de participants Nouvelles solutions Conventionnel En remplacement des solutions conventionnelles

Commerce

Commercial

Social/ bénévole

Coopérative

Particuliers

Régimes sociaux/micro (par ex. dans le domaine de la santé)

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Analyse du Qard Hasan4

Le concept de Takaful et de Retakaful est celui du partage des risques, lequel peut être compris comme le fait que chacun des participants paye pour les pertes subies par les autres. Le Qard Hasan signifie que l’opérateur de (Re)Takaful paye les pertes des participants – au moins de façon tempo-raire. Le Qard Hasan constitue évidemment une brèche dans le système de la notion de partage des risques, mais il représente également un obstacle à une notion de Takaful qui mettrait ce dernier en parallèle avec l’assurance – puisque le Qard doit être inscrit dans les comptes en tant que prêt et non en tant que perte. Le Qard Hasan est ainsi une source constante de doute pour les organismes comptables et réglementaires dans le cadre de leur appréciation de la nature du Takaful ; il n’est mentionné dans aucune des Fatwâs sur lesquelles se fonde le système du Takaful et n’est pas non plus abordé de manière claire dans les différentes normes AAOIFI, mais il reste crucial pour la solvabilité et demeure le service le plus demandé par les opérateurs Retakaful. Le concept de Qard Hasan mérite évidemment un examen approfondi et bénéficie de plus en plus de l’attention qu’il mérite. Dans les développements qui suivent, nous tenterons d’analyser les réper-cussions des différentes interprétations techniques du Qard. Dans la deu-xième partie, nous en examinerons l’application technique dans le Retaka-ful. Nous nous concentrons ici sur le caractère financier et sur la nature, en partie, liée à la Charia, tout en étant pleinement conscients du fait que la notion comporte également un aspect spirituel.

Classer le Qard en fonction du caractère obligatoire du paiement et du remboursement

Les articles portant sur la nature et le traitement du Qard se concentrent sur ce qu’il devrait être. Est-il obligatoire ? Prévaut-il sur les demandes des participants en cas de faillite ? Doit-il, par conséquent, être considéré comme un actif ou comme une perte ? Correspond-il à une facilité limitée ou illimitée ? Il n’existe pas de réponse unique et définitive à ces questions, tout simplement parce que d’un point de vue juridique (mais non écono-mique !) il s’agit d’une caractéristique accessoire, accidentelle et même étrangère au modèle Takaful, de sorte que nous disposons de très peu d’in-dications quant à sa finalité dans le cadre du Takaful. Supposons donc, pour le moment, qu’il existe toute une gamme de types de Qard susceptibles d’être présentés dans un modèle, aboutissant à différents types de (Re)Taka-ful. Nous nous engageons à classer les éléments de cette gamme dans la typologie ci-après en fonction du caractère obligatoire ou non du paiement. Nous allons ensuite examiner la nature obligatoire de son remboursement.

4 Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2011 de la « Middle East Insurance Review ».

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1. Le Qard ne fait pas partie du modèle Takaful.

Cela signifie que les déficits sont comblés par les participants de deux façons :

a) par des injections de nouvelles liquidités auxquelles ils procèdent à titre individuel ou en tant que communauté suite à des sinistres,

b) en évitant tout déficit : les participants qui subissent des pertes alors que le fonds est (temporairement) épuisé renoncent tout simplement à leurs demandes d’indemnisation.

Le premier cas correspond à une stricte mutualisation, avec une viabilité pra-tique limitée, même si elle est apparemment mise en œuvre au Soudan. Le second signifie qu’il n’est fourni aucun service d’assurance et ne répond pas vraiment à l’objectif de protection des participants contre les malheurs.

2. Le Qard est volontaire, sa nature et son montant ne sont pas fixés.

Du point de vue de la protection, une facilité de Qard réellement volontaire revient à ne disposer d’aucune facilité de Qard. Comme indiqué au point 1b), aucune protection fiable n’est fournie à un participant individuel lorsque le fonds des participants est épuisé (ou lorsque les opérateurs ne souhaitent pas accorder davantage de Qard). Les personnes qui rejoignent un fonds de ce type doivent avoir d’autres motivations (par exemple sociales).

3. Le Qard est obligatoire (ou rendu obligatoire), mais c’est une facilité limitée quant à son montant.

Dans le cas du Qard obligatoire, tel qu’il est envisagé actuellement en Malai-sie, il est possible d’évaluer le niveau de solvabilité et de sécurité de la cou-verture Takaful et les participants sont assurés, mais si le montant du Qard est limité, l’opérateur Retakaful est protégé en cas de réalisation d’un scéna-rio à la baisse et de faillite. L’opérateur peut se trouver ensuite en position de débiteur à l’égard du fonds ; le fonds, quant à lui, ne dispose d’aucun droit, au-delà du mécanisme de Qard, à l’égard de l’opérateur. Nous estimons qu’il s’agit déjà de (ré)assurance, avec une responsabilité limitée.

4. Le Qard est obligatoire et couvre l’ensemble des risques d’assurance pris en charge.

Dans ce cas, l’opérateur peut être mis en liquidation pour payer les demandes d’indemnisation des participants, de sorte que le Qard est automatiquement subordonné aux demandes d’indemnisation des participants. Bien qu’il soit possible de considérer le Qard comme étant une créance des actionnaires sur le fonds des participants, le niveau de protection des participants est ici com-parable à celui qu’offre un assureur conventionnel.

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Nous estimons que tout au moins les exemples 1 et 2 ( bien qu’ils se rencontrent parfois dans le monde conventionnel, par exemple dans les sociétés amicales définies par la Loi anglaise relative à la « friendly society ») sont limités à des niches sociales où les participants, lorsqu’ils s’unissent, n’ont pas pour motiva-tion principale de souscrire une couverture et acceptent de courir le risque de ne rien obtenir en contrepartie de leur donation, même s’ils sont confrontés à une perte légitime. Exception faite du Soudan, il n’y a jamais eu de tentative de commercialisation de ce produit en tant que produit de masse. Il ne fait en outre aucun doute que les deux options précitées ne sont pas applicables au Retakaful, où les cédantes sont des opérateurs Takaful. Ces derniers sont peu susceptibles de prendre des engagements sociaux en faveur de leurs concur-rents présents dans le même fonds Retakaful ; mais ils ont surtout une res-ponsabilité envers « leurs » participants. Ils ont besoin de disposer d’une garantie et d’une couverture calculables et fiables pour les fonds qu’ils gèrent.

En ce qui concerne les options 2 à 4 pour le paiement du Qard, il existe des options de remboursement. Le Qard peut être :

− une dette qui arrive à échéance à la résiliation de la police et qui peut être considérée comme une obligation à la charge de tous les participants ou de certains d’entre eux (nommément désignés !),

− une obligation imposée aux participants de demeurer dans le fonds jusqu’à son remboursement par les excédents,

− confisqué par les actionnaires, ce qui en fait l’équivalent d’une perte. La der-nière hypothèse, si elle se réalise sans rémunération, peut intervenir dans un esprit de solidarité. Si cette hypothèse fait partie du modèle d’affaires et est prise en compte dans les tarifs d’une manière ou d’une autre, directe-ment ou de façon générale, nous sommes en présence d’une opération de transfert des risques.

Rôle économique et coût du capital

Il résulte de l’analyse qui précède qu’au moins dans le Retakaful, et dans de nombreuses applications du Takaful, l’opérateur doit, au bout du compte, prendre en compte une obligation d’injecter des capitaux en cas de déficit. Il est également possible que le remboursement soit obligatoire ou, au contraire, que la renonciation soit automatique. Mais dans les deux cas, le fonctionnement du modèle d’affaires (dans le Retakaful) dépend de l’indication explicite de l’option applicable. Si le remboursement est obligatoire (c’est-à-dire prévu par le contrat), nous sommes dans le domaine de la réassurance financière. S’il est automatiquement renoncé au remboursement, nous sommes dans celui du transfert des risques. Au moins dans ce dernier cas, cependant, les caractéris-tiques de la situation et les intentions du Qard dans la Charia ne sont pas très appropriées.

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Il se pose une question encore plus délicate en ce qui concerne le Qard : toute rémunération de celui-ci au-delà du principal est par définition Ribâ, peu importe qu’elle corresponde ou non à la valeur de l’argent dans le temps (« time value of money »). Mais si le Qard Hasan est un paiement normal, en pratique obligatoire et substantiel, les opérateurs doivent lever des capitaux pour couvrir d’éventuels Qard, et le rating d’un opérateur Retakaful dépend du montant fourni (voir le tableau ci-après). Et ceci signifie que, d’une façon ou d’une autre, on s’attend à une rémunération de ce capital puisque, dans le cas contraire, aucune levée de capital n’est possible. Si la rémunération n’est pas prise en compte dans le coût du capital, elle le sera dans d’autres éléments du revenu de l’opérateur, dans ses honoraires par exemple. Ou bien, le rende-ment général de l’activité doit être suffisamment élevé pour compenser toutes les dépenses, y compris le coût du capital. Mais cela ne semble pas être une méthode de calcul transparente au regard des normes Retakaful.

Le règlement proposé par la Malaisie vise à effectuer un calcul clair, mais en faisant peser les engagements d’assurance – y compris leur volatilité – sur le fonds des participants et le risque opérationnel et le risque d’augmentation des coûts sur le fonds des actionnaires. Mais le Qard couvre principalement les engagements d’assurance et, conformément à ce règlement, il doit être prélevé sur le fonds des actionnaires. La question de savoir comment cette règle peut s’appliquer en particulier aux opérateurs Retakaful, pour lesquels le risque opérationnel et le risque d’augmentation des coûts sont peu impor-tants par rapport aux engagements, nécessite à notre avis un éclaircissement supplémentaire.

Tolérance au risque

Moyenne

La zone verte représente 0,5 % de la zone située sous la distribution pertes totales

Distribution pertes totales

VaR (99,5 %)

175 % · VaR (99,5 %)

Zone dans laquelle le Qard définit le niveau de sécurité

BBB de AA à AAA

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Dans les modèles hybrides habituels, l’opérateur reçoit une commission Wakala pour gérer le fonds et une part de Moudarabah pour investir les capi-taux dans le fonds. Dans ce que nous pouvons pour le moment appeler le cas du transfert des risques (c’est-à-dire une activité très volatile), les fonctions de l’opérateur sont de trois ordres : gérer le fonds, fournir une garantie et investir. Gérer le fonds, cela signifie sélectionner, équilibrer et diversifier les risques dans le fonds, de sorte que le capital économique nécessaire soit réduit au minimum. Fournir une garantie, cela veut dire fournir des capitaux propres sous réserve de recevoir une partie des profits générés par l’activité. Cette formulation montre déjà que le modèle choisi pour cette deuxième fonction semble correspondre à celui du Moudarabah. Cependant, il peut être néces-saire de tenir compte du fait que, dans ce type d’activité, le Moudarib serait l’opérateur et les Rab-ul-Mal les actionnaires des opérateurs. Étant donné que ces fonctions ne doivent pas être réunies au sein d’une même société, le Musharakah ou le Wadia peuvent être des formes de contrat plus appropriées.

Résumé : substituer au Qard Hasan dans le Retakaful le Moudarabah/Mousharakah avec transfert des risques

En fin de compte, ce sont les participants qui, de facto, définissent les moda-lités de fonctionnement du système. S’ils optent pour une absence de garan-tie réelle, ils peuvent faire abstraction des injections de capitaux et dans ce cas, le Qard est réellement un Qard Hasan. Mais alors, ils n’ont aucune façon appropriée de remplacer les effets économiques positifs de la (ré)assurance.

S’ils prévoient des injections de capitaux, mais acceptent de les rembourser, que ce soit individuellement ou en tant que groupe, nous pouvons parler de Qard et, d’un point de vue technique, nous sommes proches de la réassurance financière, avec tous ses avantages et ses limites. En raison des risques de crédit qui restent et d’autres problèmes d’application juridique, dans la plu-part des domaines – disons des risques avec une période de rendement de deux ans – cela ne semble guère praticable.

Si l’injection de capitaux est en pratique obligatoire, mais que le rembourse-ment ne l’est pas, le Qard ou le Qard Hasan ne reflète plus la réalité écono-mique. Le fait néanmoins de s’accrocher à cette notion conduit à un certain nombre de résultats indésirables : dissimulation des coûts de capital, absence de recouvrement du coût du capital alors que ces gains sont nécessaires et mérités, sous-estimation de la garantie et de la solvabilité bien que celles-ci soient en fait achetées au prix fort et extrêmement nécessaires à la concur-rence et création d’une confusion en matière comptable quant à la la nature du Qard. Le Qard Hasan est une notion reconnue et le rôle central qu’il joue dans la définition de l’ensemble du système a été à nouveau démontré ci-dessus. Mais pour les affaires d’une volatilité même modeste, son applicabilité – s’il s’entend comme un prêt volontaire et non rémunéré – se heurte à ses limites.

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17Munich Re Préparer le terrain

Suggestions concernant une standardisation du Retakaful5

L’exposé qui suit est le résumé d’une présentation effectuée lors de la 6e Conférence mondiale sur le Takaful de Dubaï, le 11 avril 2011. Cette présenta-tion visait à fournir des explications concernant le Manuel général relatif au Takaful publié par Munich Re à la même occasion ; le manuel, quant à lui, s’inscrit dans le cadre d’un effort de mobilisation générale en faveur d’une standardisation au sein du secteur, dont la nécessité est largement et unani-mement reconnue.

La présentation comportait plusieurs parties comme suit :

1.    La relation de partage/pooling des risques ; le modèle et la tarification Retakaful

2.   La typologie générale des solutions Takaful (un point que nous avons supprimé dans l’article ci-après)

3.   Les conditions de base d’une norme acceptable en matière de Retakaful : clarté et applicabilité de la procédure.

La réalité du monde du Retakaful et les obstacles à la croissance du Retakaful

La majeure partie de la réassurance souscrite par le Takaful est de type conventionnel, bien que formellement il ne manque plus de capacité. L’exi-gence que l’on entend souvent des marchés proposant le Retakaful est de « modifier juste quelques mots, comme nous l’avons toujours fait ». Les opé-rateurs Retakaful sont donc soumis à une forte pression pour adapter leurs produits en les rapprochant de la réassurance conventionnelle. Les raisons les plus probables en sont :

a) l’existence de coûts de conversion et d’un besoin d’éducation et de formation compte tenu des nouveaux procédés et des nouvelles tech-niques,

b) le fait que le Retakaful vise, dans la plupart des cas, à remplacer la réassu-rance et que la demande de réassurance est une demande de transfert des risques. Mais d’autre part, le Retakaful se veut coopératif et fondé sur la notion de partage des risques. Il est possible de tirer deux conclusions de ce qui précède :

5 Ce texte a été publié dans l’édition de juillet 2011 de l’« Islamic Finance News ».

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18 Munich Re Préparer le terrain

− aussi longtemps que le dilemme du transfert et du partage des risques ne sera pas résolu, aucune norme ne pourra être établie ;

− un texte standard, à lui seul, ne suffira pas à briser la résistance du marché. Il est nécessaire d’expliquer la norme à une communauté qui reste familière de l’assurance conventionnelle. Et le Retakaful doit s’inscrire dans les pro-cessus existants sur les marchés de réassurance, sans se plier aux forces qui tendent à en faire une simple imitation de la réassurance conventionnelle. La devise est la suivante : mieux vaut disposer d’un manuel sans texte plutôt que d’un texte sans manuel.

Les trois axes qui définissent le mécanisme du Retakaful

La notion de partage est considérée comme l’élément de base et distinctif du Takaful, et les trois facettes du partage – le partage des risques, des excé-dents et des pertes – sont, pour autant que nous puissions le constater, utili-sées de manière assez interchangeable. Les paragraphes ci-après proposent des définitions techniques et distinctes.

1. Transfert des risques contre partage des risques

Le manuel Munich Re propose la définition suivante du partage des risques :

« Le partage des risques signifie qu’à long terme, les demandes d’indemni-sation sont payées par la communauté des participants, la société ne four-nissant un Qard Hasan que pendant une période intermédiaire » (ce qui, soit dit en passant, est également vrai de toutes les sociétés d’assurance qui ne veulent pas faire faillite).

Pour la définition, la question décisive est la suivante : les participants sont-ils obligés de demeurer dans le fonds commun même si celui-ci est déficitaire, ou peuvent-ils en sortir ? S’ils peuvent sortir d’un fonds défici-taire, l’opérateur doit tenir compte dans ses tarifs des Qard Hasan non recouvrables. Dans le cas contraire, on assistera à une hémorragie des fonds propres.

En d’autres termes, si le Qard est une caractéristique non accidentelle mais substantielle et constitue un service essentiel dans le traité, et qu’il n’existe aucune obligation contractuelle de le rembourser, il doit être considéré, au moins en partie, comme une perte. Et dans ce cas, un test mathématique de transfert des risques apporterait la preuve de l’existence d’un tel trans-fert. Et si tel est le cas, le Qard Hasan irrécouvrable doit être calculé dans les prix, probablement dans les honoraires Wakala. La façon la plus simple d’y parvenir, d’un point de vue mathématique, est exposée dans l’exemple ci-après : un portefeuille présente un taux de sinistres moyen de 80 % et un

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taux de sinistres historique minimum de 65 %. Compte tenu de la néces-sité de payer les demandes d’indemnisation, l’opérateur, avec ce taux de sinistres, ne peut jamais gagner plus de 20 % pour couvrir ses coûts et sa marge bénéficiaire. Mais il peut gagner moins, notamment quand il doit distribuer des excédents, au cours des années favorables, lorsqu’aucun Qard n’est dû. Il s’efforce par conséquent de fixer les honoraires Wakala de manière à éviter toute redistribution d’excédents, même au cours des années les plus fastes. Dans ce cas, les honoraires correspondants repré-sentent 35 % (100 % diminués du taux de sinistres le plus bas observé).

En bref, en cas de transfert des risques conformément à la définition ci-dessus (pas d’obligation contractuelle de demeurer dans le fonds en cas de situation déficitaire), le système du Wakala ne conduit pas du tout à un partage des excédents. Il a même tendance à en exclure toute redistribution.

Comparez les deux tableaux suivants :

Cas 1 : obligations contractuelles ou Qard Hasan négligeable (partage des risques)

Gestion

Réassurance/Retakaful

Provisions

Fonds Takaful

Fonds propres

Qard Hasan

Honoraires Wakala (par ex. 20 %)

Bénéfices techniques

100 % de l’excédent

Contribution

Participants

Placements islamiques

Bénéfices des placements

Sinistres

Excédent (déficit)

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Cas 2 : transfert des risques, mais maintien du Wakala

2. Pooling (« mise en commun »)

Le pooling, quant à elle, peut être définie comme suit : « chaque participant paie pour les pertes subies par un autre participant ».

Le cas peut se produire lorsque les pertes sont directement déduites des excédents des autres participants. C’est probablement ce que l’on a à l’esprit quand on parle de partage des risques et d’un esprit de solidarité. Mais, dans le cas où les pertes éventuelles dépassent les excédents disponibles, voire les provisions du fonds des participants (activité fortement volatile), le pooling s’effectue automatiquement par le biais du fonds des actionnaires, comme dans l’activité conventionnelle. Et plus important encore, en équilibrant les résultats des différents participants, on parvient à des bénéfices en utilisant la loi des grands nombres et les effets de la diversification. Ces effets de lis-sage constituent le fondement même du modèle d’affaires des réassureurs et de la valeur ajoutée qu’ils offrent. Il s’agit d’effets mathématiques automa-tiques dépendant de corrélations qui se produisent indépendamment du fait que le pooling soit réalisé directement ou indirectement, et indépendamment du fait qu’ils soient sous-tendus ou non par un esprit de solidarité, aussi louable soit-il. La mise en commun, en tant que méthode mathématique, n’est pas vraiment différente de l’activité conventionnelle.

Gestion

Réassurance/Retakaful

Provisions

Excédent (déficit)

Fonds Takaful

Fonds propres

Qard Hasan

Honoraires Wakala (par ex. 35 %)

Bénéfices techniques

100 % de l’excédent

Contribution

Placements islamiques

Bénéfices des placements

Sinistres

Participants

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21Munich Re Préparer le terrain

3. Modélisation des risques

La méthode sous-jacente est celle de la modélisation des risques, par opposition au calcul concret. La pertinence de la modélisation des risques en conformité avec la Charia semble rarement prise en compte. Le calcul concret est la méthode préconisée par la Charia dans tous les cas où il est possible de l’utiliser, en raison de sa clarté et de l’impossibilité de dissi-muler des revenus non mérités. Elle est idéalement représentée dans les mécanismes historiques dans lesquels les contributions sont perçues a posteriori au moment où les sinistres se produisent, sans qu’il soit même procédé à un calcul préalable de la contribution. Dans la plupart des tran-sactions commerciales de masse actuelles ou dans les affaires présentant un risque de faible fréquence et de forte sévérité, la méthode n’est toutefois pas applicable. Il est nécessaire d’effectuer un calcul préalable, car les pertes sont soit trop fréquentes pour être payées par le biais de dons indi-viduels, soit si élevées qu’il est indispensable de constituer des provisions au fur et à mesure.

Maintenant, lorsqu’il effectue une modélisation des risques, un opérateur Retakaful (et un réassureur) met en place des segments de portefeuille (que l’on peut appeler « sous-fonds »), évalue pour chacun une distribution des sinistres et calcule les bénéfices de la diversification en équilibrant les segments les uns par rapport aux autres. En d’autres termes, il procède à un pooling et gère le fonds commun. Enfin, il fixe le montant de la contri-bution et veille à ce qu’il soit suffisant pour couvrir toutes les pertes. Ceci signifie que les participants partagent les risques entre eux.

Pour résumer : les éléments techniques de la réassurance et du Retakaful ne sont pas très différents, en particulier dans les segments de marché des risques rares et élevés, dans lesquels la couverture de réassurance est la plus nécessaire.

La seule différence est que, pour ces segments, il n’est pas possible d’utiliser le calcul concret et il est nécessaire d’avoir recours à d’autres techniques. Ce fait demeure une réalité, indépendamment du modèle appliqué. C’est le comportement des participants, et non le modèle appliqué, qui définit en grande partie s’il y a ou non partage des risques.

Il serait indiqué de garder à l’esprit l’importance de la modélisation des risques lorsque l’on essaie d’exclure tout Gharar excessif et toute pratique d’exploitation, dont l’évitement demeure l’un des objectifs du Takaful comme du Retakaful.

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La partie procédurale de la standardisation et la cohérence

L’un des obstacles à la diffusion rapide du Retakaful – et non le moindre – réside dans les exigences des marchés de la réassurance en matière de procédure et probablement dans une incertitude quant aux critères de conformité à la Charia d’un traité de Retakaful. La cession en réassurance, qu’elle soit effectuée directement par les services de réassurance des cédantes ou par des courtiers, est un processus extrêmement optimisé et automatisé (« off the mill ») et, en même temps, personnalisé au sens où il n’existe jamais deux traités de réassurance (ou de Retakaful) strictement identiques. Tout au long du processus de négociation, des cotations, des options, des lettres, des clauses et des exclusions sont modifiées et échan-gées, ce qui peut aboutir à un résultat final tout à fait différent de la propo-sition initiale. Le processus est en outre compliqué par le système des réassureurs leaders et des marchés suiveurs et par l’exigence de disposi-tions différentielles censées être appliquées lorsque des réassureurs et des opérateurs Retakaful interviennent dans le même panel de réassurance. Si ces aspects (importants en termes de coûts) ne sont pas abordés, les marchés, même avec les meilleures intentions du monde, auront beaucoup de difficultés à faire une application large du Retakaful.

Á notre avis, les exigences en matière de procédure pour une standardisation comprennent les éléments suivants :

1. Modification des clauses conventionnelles seulement en cas de nécessité

2. Passage à un traité Wakala (une demande formulée par les ulémas de la Charia)

3. Définition distincte du rôle des placements

4. Adoption d’une définition claire du type de traité (mis en commun ou indé-pendant)

5. Prévisibilité des résultats du traité, quels que soient les résultats du reste du fonds Retakaful

6. Normes d’évaluation des risques Halal

7. Fatwâ avec une liste exhaustive des clauses non conformes à la Charia, de sorte que les souscripteurs puissent être sûrs de la conformité du traité, tant que les clauses énumérees ne sont pas utilisées.

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En résumé, l’approche proposée est modulaire. La conformité à la Charia doit être assurée par l’application d’un nombre limité (par exemple cinq comme ci-après) d’éléments ou de modules de textes approuvés par tous les plus grands ulémas. Les autres parties du texte peuvent être modifiées sans préjudicier au principe de conformité.

La devise de la présentation originale était : « un cheval ne pourra pas voler au simple prétexte qu’on l’appelle « oiseau ». Ceci étant admis, il peut néanmoins rester un bon cheval ». En termes techniques, le Retakaful n’est pas toujours tellement différent de la réassurance comme on le pensait initialement. Mais il est et doit être différent. Et la définition plus précise des éléments devant rester à part et de ceux qui ne constituent qu’une complication inutile à la commercialisation pourrait conduire à ce que le Retakaful connaisse un succès plus important et échappe aux forces de simplification qui, pendant longtemps, voulaient en faire une simple copie du système conventionnel.

Préambule – Définition de la base et du modèle (comme déjà fait)Éléments de tarification – Intégration dans le Wakala d’une déclaration relative

à la tarification conventionnelle– Définition du Qard comme « Hiba »– Clarifier le point concernant les CSR non rembour-

sables– Frais d’investissement par fonds total

Législation – Indiquer l’application de la Charia et l’arbitrage selon cette dernière

Tous les postes portant intérêt – Intérêts de retardContrôle du caractère Halal – Principes (seuils pour l’alcool, etc.)

– Clause du partage du sort

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Aspects de la rétrocession dans le Takaful6

À notre connaissance, il n’a été publié aucune règle spécifique à la Charia concernant la rétrocession. Et ceci est apparemment tout à fait justifié, car d’autres questions urgentes doivent être tranchées et la situation en matière de rétrocession n’est pas essentiellement différente de celle que l’on rencontre dans le Retakaful. Le fait de rétrocéder à des sociétés conventionnelles signifie raccourcir la chaîne de valeur conforme à la Charia en transmettant une partie de la contribution conforme à la Charia à l’économie conventionnelle. Ceci équivaut donc à une diminution du volume de l’économie islamique et n’est par conséquent autorisé qu’en cas de Daroûra (grande nécessité). Et l’on continue à entendre que la solution à ce problème est de renforcer la chaîne de valeur en créant de nouvelles sociétés Retakaful ou de nouveaux fonds. En un mot, en augmentant la capacité disponible conforme à la Charia grâce à la mobilisation de nou-veaux fonds propres.

Il s’agit là de l’opinion générale, mais elle n’aborde qu’une partie de l’histoire. Laissez-nous poser deux questions. Tout d’abord, pourquoi avons-nous besoin de la rétrocession ? Deuxièmement, le renforcement de la capacité conforme à la Charia est-il la seule alternative aux cessions conventionnelles ?

Raisons de faire appel à la rétrocession

− Étendre la capacité

− Exploiter les synergies/échanger le savoir-faire : les réassureurs nationaux ou régionaux font équipe avec leurs homologues internationaux en vue de combiner leur accès au marché et le savoir-faire du partenaire inter-national et de partager les affaires.

− Diversifier les risques : il s’agit d’une question particulièrement probléma-tique, car, pour les opérateurs Retakaful, parvenir à une diversification géographique implique une ouverture de leurs portefeuilles à des régions qui ne connaissent que l’assurance conventionnelle.

− Cessions intra-groupe (s’applique également au Retakaful/à la réassu-rance) : les groupes internationaux (et la plupart d’entre eux disposent désormais de filiales Takaful) utilisent largement cet outil pour exploiter leur potentiel de diversification et de synergie sans consommer outre mesure leur capital-risque.

6 Ce texte a été publié dans l’édition de mars 2011 de la « Middle East Insurance Review ».

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Les difficultés particulières pour atteindre cet objectif dans le monde du Takaful

Ce qui précède signifie que le besoin de rétrocession va au-delà de la simple capacité – et ne sera donc pas réglé par la mise en place de pools. Passons en revue les quatre points ci-dessus :

Étendre la capacité

Lorsqu’ils soumettent des offres pour de grands risques, les opérateurs Takaful sont désavantagés par rapport à leurs concurrents conventionnels si leurs partenaires Retakaful sont limités à la seule capacité de rétroces-sion conforme à la Charia – il est ainsi possible d’affirmer qu’il y a des cas de Daroûra. Mais, premièrement, nous doutons que les sociétés Takaful soient bien avisées de rechercher leur croissance principalement dans les activités où elles seraient en concurrence sur les grands risques. Deuxiè-mement, les projets dans ce secteur sont également proposés à l’industrie conventionnelle, et la création d’une capacité supplémentaire conforme à la Charia aurait un impact direct sur les prix. En supposant que les opérateurs Takaful ne rassemblent pas encore de suffisamment d’expertise spécifique dans ces segments, il y a de grandes chances qu’ils supportent des risques plus élevés, principalement par l’intermédiaire du prix. Ceci signifie qu’une capacité supplémentaire, si elle n’est pas accompagnée d’une expertise accrue, ne fera qu’attirer les opérateurs vers des affaires indésirables. Et troisièmement, le capital-risque nécessaire sera de plus en plus rare et relativement peu utilisé, c’est-à-dire trop cher. C’est peut-être pour cette raison que les tentatives antérieures visant à la mise en place de pools ont échoué et que de telles tentatives pourraient avoir des difficultés à se réaliser à l’avenir.

Échanger le savoir-faire

Ceci nous conduit déjà au deuxième point : le savoir-faire. De toute évidence, les premières tentatives de création d’une capacité conforme à la Charia pour les grands risques n’ont pas négligé cette question, et comportaient l’idée d’importer l’expertise du monde conventionnel en matière de sous-cription et de gestion. Il n’est pas possible d’apprécier ici les raisons pour lesquelles ce concept a échoué – peut-être est-ce parce que les acteurs conventionnels n’y ont vu aucun bénéfice qui aurait pu justifier leurs efforts pour rallier le monde peu connu du Takaful. Et les affaires leur seraient encore parvenues par la voie conventionnelle.

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Diversifier les risques

Le caractère limité de la diversification géographique est encore plus difficile à surmonter. Le fait d’abandonner des contributions Takaful à des assureurs conventionnels est un problème. Être capable d’accepter des rétrocessions en provenance de pays extérieurs au monde islamique en retour représente un défi au moins aussi important pour les opérateurs Retakaful. Ainsi, l’auto-risation de rétrocession dans le cadre de la Daroûra peut devenir un proces-sus à sens unique conduisant à une fuite des contributions sans aucun effet d’équilibrage en retour. Il ne fait aucun doute que la situation peut et va évo-luer avec le temps : le monde islamique recouvre un territoire vaste et diversi-fié qui connaît un développement rapide et la finance islamique prospère sur un certain nombre de marchés occidentaux. Mais pour le moment, c’est un facteur limitant l’efficacité relative du secteur.

Cessions intra-groupe

La rétrocession interne et sa portée sont, par nature, des questions internes. Mais il est certain que, dans le cadre de l’allocation du capital et du rapatrie-ment des bénéfices, les groupes mondiaux doivent, s’agissant de leurs filiales islamiques, respecter un ensemble supplémentaire de règles et de limites par rapport à leurs filiales conventionnelles. Et la participation de ces groupes joue un rôle important dans le transfert des capacités et du savoir-faire vers le secteur de l’assurance Takaful – deux éléments extrêmement demandés.

Méthodes et stratégie de croissance conforme

Tous ces points ont un dénominateur commun : le secteur (Re)Takaful – au moins pour autant qu’il veuille aller au-delà du domaine de l’assurance des particuliers – doit établir des liens avec le secteur conventionnel mondial et ses ressources. Nous croyons qu’il n’existe pas d’alternative pour cela à moyen terme. Mais ces liens, s’ils ne sont pas abordés correctement, peuvent éventuellement fausser l’intention même du Takaful, qui est de créer un secteur de l’assurance distinct et alternatif. La forme la plus simple de cette relation, à savoir la rétrocession conventionnelle sur la base de la Daroûra, est un « moindre mal » avec peu de bénéfices en retour et doit être remplacée dès que possible. Comme nous l’avons indiqué, de telles tentatives de remplacement ont déjà été entreprises mais n’ont pas encore véritablement décollé. Des conclusions ont certainement été tirées dans le but de faciliter ce mouvement, mais même dans ces conditions, les outils dont dispose le secteur Takaful pour accéder aux ressources internationales sont limités et compliqués à mettre en place. C’est pour raison qu’au sein de Munich Re, nous avons travaillé à une solution pleinement compatible avec la Charia et relativement gérable, que nous prévoyons de présenter prochainement dans un document distinct.

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Collaborer avec le secteur conventionnel ?

Tous les points mentionnés peuvent ajouter une nouvelle perspective au développement du secteur. Le secteur Takaful peut accéder à la capacité, à la diversification et à l’expertise nécessaires sans réduire le volume de l’économie islamique, c’est-à-dire sans restrictions liées à la Daroûra. Il est évident que ces idées doivent être développées et approuvées, et le fait de tenter d’obtenir, dans le même temps, une capacité conforme à la Charia plus exclusive ne pourra pas être un désavantage. La dure réalité est que le secteur conventionnel est beaucoup plus important et nécessaire et n’est pas forcé de mettre tout en œuvre pour s’adapter à des partenaires Retakaful. Ainsi, l’élément fondamental est de répondre à leurs préoccupations sans porter atteinte à l’élément fondamental du Takaful, à savoir la conformité à la Charia. Le risque d’erreurs et de malentendus reste élevé. Mais plus la procédure est mise en œuvre fréquemment, plus elle est facile et intéres-sante, tandis que la création de nouvelles capacités de Retakaful exclusives devient plus difficile et perd en efficacité à chaque nouvelle tentative. Et les alternatives sont soit un secteur Takaful, strictement distinct mais également confiné à ses moyens limités et toujours désavantagé vis-à-vis des concurrents conventionnels développés, soit un enchaînement sans fin de décisions Daroûra qui aboutissent finalement à un concept qu’il est difficile de distinguer des concurrents conventionnels.

Le secteur doit utiliser ses connaissances pour tenir ses positions et se protéger des forces de simplification du monde géant du secteur conven-tionnel, tout en interagissant avec ce dernier. Et les techniques pour bâtir cette protection sont actuellement en cours d’élaboration.

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Questions concernant la nature même des fenêtres (« windows ») et le modèle WakalaCe qu’on appelle opérations « windows », à savoir les produits financiers islamiques (dans notre cas : le Takaful) au sein d’une entreprise conven-tionnelle – quelle qu’en soit la forme – apparaît comme une solution médiane, en demi-teinte ou opportuniste, ou au mieux comme une phase provisoire en attendant que les opérations exclusives puissent démarrer. Indépendamment de la vision partiellement morale/spirituelle, il existe des arguments en faveur des deux approches (solutions « windows » et solu-tions exclusives) dont il est souvent débattu sans que l’on parvienne à une conclusion définitive. Les différentes autorités réglementaires ont adopté des positions différentes sur la question. La Malaisie exige une autorisa-tion d’exercice du Takaful entièrement exclusive tout en permettant la réalisation d’opérations « windows » dans le secteur bancaire ; le Pakistan autorise depuis peu les opérations « windows » Takaful à la condition que le ou les directeurs des unités d’opérations « windows » et de leurs dépar-tements ne soient pas les mêmes que ceux des départements convention-nels. Le présent document vise à placer ces arguments dans la perspective d’une analyse fonctionnelle, contribuant ainsi à l’élaboration de solutions adaptées aux différents objectifs et circonstances.

Le Wakala, une « fenêtre naturelle » ?

Les opérations « windows » peuvent être envisagées d’un autre point de vue. On peut considérer que la caractéristique la plus fondamentale du Takaful est la séparation entre le fonds des participants et le fonds des actionnaires, une séparation appliquée de manière plus stricte dans le modèle Wakala. Il ne fait aucun doute que le fonds des participants est le fonds commun de placement dans lequel s’opère la transformation du risque conforme à la Charia et qu’il doit être séparé de l’activité conven-tionnelle. Mais cette séparation est déjà intrinsèque au modèle Takaful. Ainsi, quelle est la caractéristique islamique spécifique de la société d’actionnaires, qui est l’opérateur Takaful lui-même ? Du point de vue de la Charia, sa fonction est d’administrer et de gérer le fonds des participants en qualité de Wakîl (mandataire, agent), alors que, du point de vue du fonds des participants, ce contrat Wakala peut être vu comme une sorte d’externalisation. Un Wakîl ne doit pas nécessairement être musulman ou islamique, la seule exigence est qu’il respecte les procédures appropriées. Et il est possible de désigner un partenaire externe sur la seule base de critères d’efficacité. En d’autres termes, est-il possible d’affirmer que le modèle Takaful, avec sa séparation des fonds, ne se prête pas naturelle-ment à l’externalisation de la tâche de gestion de fonds à un partenaire approprié du point de vue économique, par exemple à une compagnie d’assurances conventionnelle ayant déjà investi dans les structures, les

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licences et les ressources humaines ? On pourrait même dire que d’un point de vue économique, l’effort fourni pour parvenir à une séparation des fonds est gâché s’il n’est pas utilisé pour établir des synergies avec les structures existantes et pour externaliser la gestion au partenaire ou aux partenaires approprié(s). De ce point de vue, les réserves précitées à l’égard des opéra-tions « windows » semblent même surprenantes.

Les éléments en faveur et en défaveur des opérations « windows » et leur relation interne

Les arguments que l’on entend habituellement en défaveur des opérations « windows » sont généralement :

− le risque de manque de personnel dédié (sur le plan fonctionnel et mental) aux opérations de Takaful

− le risque opérationnel que des équipes conventionnelles non formées n’appliquent pas convenablement les procédures appropriées et, en particulier, brouillent la ligne de séparation entre les fonds Takaful et les activités conventionnelles

− des doutes quant à la sincérité et à l’engagement de la société mère des opérateurs des « fenêtres » islamiques y compris, dans les cas extrêmes, le fait que les acheteurs puissent comprendre que les opérateurs adoptent un comportement « Halal avec la main droite et Haram avec la main gauche ».

Les arguments en faveur des opérations « windows » sont principalement :

− les synergies en matière de capital-risque

− l’utilisation de la structure et du personnel existants (y compris de leur expertise)

− l’utilisation du réseau de distribution conventionnel

− l’utilisation de la marque conventionnelle déjà établie

À première vue, il peut sembler que les contre-arguments ont tendance à insister sur la clarté et la sincérité, c’est-à-dire en quelque sorte sur le côté spirituel, tandis que les points en faveur des opérations « windows » sont de nature plus économique.

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30 Munich Re Préparer le terrain

Forme et contenu

Dans l’ensemble, il apparaît que les avantages les plus manifestes des opé-rations « windows » résident dans le capital-risque et les coûts d’établisse-ment et, comme mentionné précédemment, cette solution ne présente aucun inconvénient opérationnel en raison de la séparation automatique des fonds intrinsèque au modèle Takaful. L’effet de synergie ne commence à faiblir que lorsque les opérations « windows » atteignent un volume tel que le capital nécessaire pour couvrir ces obligations dépasse le niveau de capitaux des actionnaires en provenance de sources dites « pures ».

L’équilibre, s’agissant de la réputation, dépend au bout du compte de la façon dont est envisagé le caractère Haram de l’assurance conventionnelle. Pour les puristes, quelqu’un qui effectue des opérations conventionnelles, même en veillant à les distinguer clairement des opérations Takaful, peut ne pas constituer un partenaire d’affaires adéquat. Ceux qui considèrent l’assurance conventionnelle comme une notion utile mais non exempte de défauts pourraient parvenir à la conclusion que les fenêtres (« windows ») combinent même le meilleur des deux mondes. Ces remarques sont valables et directement applicables aux réseaux de distribution et de commerciali-sation, puisque cela dépend des valeurs et de la conception qui prévalent sur un marché donné.

Exclusive Fenêtres Remarque GénéralOpération + Pas de

problème de cantonne-ment

+ Pas de problème de cantonnement

En raison de la séparation obliga-toire des fonds

+ Fenêtres

Procédure + Pas de lignes à brouiller– Manque de ressources/d’expertise

– Les procédures conformes peuvent être faussées + Expertise (si identi-que au secteur conven-tionnel) disponible

Arbitrage, sous réserve de la dis-ponibilité d’un personnel formé au Takaful

Variable

Capital-risque

Efficacité faible Synergie Force claire de la fenêtre

+ Fenêtres

Coûts + Pas de coûts de cantonnement– Coûts d’établis-sement

+ Coûts d’établis-sement – Doublement du système

L’équilibre dépend de la structure organisationnelle effective

Variable

Réputation + Clarté et engagement– Nouveau et non encore testé

+ Marque établie– Inconséquence et manque d’engage-ment

Dépend de l’impor-tance accordée à l’interdiction du système conven-tionnel

Variable

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Pour conclure sur l’aspect procédural, il est nécessaire d’établir une distinc-tion, de préférence selon les fonctions de l’entreprise. Quelles sont les fonctions qui ne requièrent aucune connaissance spécifique en matière de Takaful, quelles sont les plus sensibles, et quelle est la meilleure façon d’aborder le risque de procédure ? La séparation des procédures entre une entreprise et sa fenêtre (« window ») peut-elle nécessiter des structures et des ressources qui, en termes de dépenses, se rapprochent du coût d’éta-blissement d’une unité exclusive ?

Mais l’aspect procédural soulève d’autres questions : la solution consistant, comme au Pakistan, à séparer les directeurs des « fenêtres » Takaful, alors qu’ils utilisent le même personnel que leurs homologues conventionnels, est-elle la meilleure et la seule solution ? Est-on certain qu’aucune erreur de procédure n’est commise au niveau du responsable de la procédure ? Et que se passe-t-il dans le cas où un opérateur Takaful exclusif ne peut pas tirer profit de sa structure séparée (établie au prix fort), faute de personnel dispo-sant d’une expérience dans le domaine du Takaful ? Enfin, et en gardant à l’esprit que beaucoup d’entre elles sont des filiales de groupes convention-nels et tirent parti de services partagés de leurs sociétés mères et de leurs filiales, tout comme les opérations « windows », quel est le contenu de la distinction, en dehors de la forme juridique ?

Il nous apparaît difficile d’apporter des réponses générales : il convient d’exa-miner la situation spécifique en détail. On peut de façon plausible supposer certains points, comme le fait que la séparation comptable ne devrait pas être un problème en termes de procédure et de dépenses, compte tenu de la souplesse des systèmes informatiques actuels et sous réserve d’une forma-tion suffisante du personnel comptable. La conformité en ce qui concerne le développement des produits ou la souscription (à la fois pour la tarification et, en Takaful général, pour la sélection des risques) semble nécessiter plus d’efforts, mais, une fois encore, les opérateurs exclusifs ou filialisés ne sont pas automatiquement à l’abri des écarts et doivent déployer une expertise spécifique Takaful et des efforts en matière de gestion des connaissances et une structure de gouvernance conforme à la Charia, exactement comme (ou presque comme) les opérateurs de « fenêtres ». Il est évident que l’inves-tissement doit être conforme à la Charia, mais par chance les outils d’inves-tissement pris en compte sont généralement plus sophistiqués que les techniques d’assurance. Enfin, on peut supposer que l’un des potentiels de synergie les plus importants, et peut-être aussi le plus grand risque en matière de respect des procédures, résident dans le système de distribution. Il est difficile de former un vaste réseau d’agents et d’en surveiller la confor-mité à la Charia. Il s’agit d’une tâche ardue dans les sociétés majoritairement musulmanes, et plus encore dans la diaspora occidentale.

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Résumé

− Il ne fait aucun doute que les fonds Takaful doivent être isolés des activités conventionnelles. Mais au travers du principe de base de la séparation des fonds, le système Wakala garantit que cette règle s’applique aussi bien dans les opérations exclusives que dans les opérations « windows » et ce, sans occasionner de coûts spécifiques. Aussi banal que ceci puisse paraître, pour un système informatique, un fonds Takaful n’est finalement qu’un registre parmi d’autres, comme n’importe quelle autre branche d’activité séparée pour des raisons de contrôle.

− Les procédures constituent un problème plus grave, et les risques qui pèsent sur les opérations « windows » doivent être pris très au sérieux. À cet égard, les sociétés exclusives sont susceptibles d’être moins expo-sées, mais elles doivent quand même consacrer des efforts à la gouver-nance (du comité de la Charia aux vérifications de conformité à la Charia, en passant par les responsables chargés de la conformité à la Charia) et au contrôle. Le risque réside dans l’emploi de personnel non qualifié ou insuffisamment formé et dans un manque de sensibilisation des équipes de direction, ce qui peut aussi arriver avec les opérateurs exclusifs, en particulier s’ils externalisent une partie de leurs fonctions de Wakîl. Il existe toujours un risque avec l’utilisation de services partagés, et c’est le cas non seulement entre une filiale et sa société mère, mais aussi entre un opérateur « fenêtre » et son environnement conventionnel.

− Ainsi, les avantages économiques que présente la gestion des opérations Takaful en coopération avec des opérations conventionnelles – que ce soit par le biais de « fenêtres », de filiales ou de mécanismes d’externali-sation/partenariats – sont à la fois évidents et essentiels. Il est certain que les risques de procédure, dans l’autre plateau de la balance, doivent être abordés, mais en choisissant une certaine forme juridique, par exemple celle de la filiale, ils ne sont pas automatiquement exclus. Il est nécessaire d’examiner les procédures, les structures et les connaissances réellement en place, quelles qu’en soient la désignation et la forme. Les autorités de surveillance exigent la présence d’un personnel et d’un enca-drement dédiés, et ce pour de bonnes raisons, mais les éléments dont la nécessité ne fait aucun doute pour effectuer des opérations conformes à la Charia sont les connaissances, la conscience et la bonne gouvernance.

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Le Takaful et son rôle dans la transformation des sociétés du Moyen-Orient7

Idées et parallèles historiques

Il a toujours été admis que le Takaful était proche de l’assurance mutuelle et coopérative. En effet, un certain nombre de sociétés Takaful sont membres de l’Association Internationale de la Mutualité (ICMIF). De la même manière, l’opinion selon laquelle le Takaful est le système le mieux adapté pour aug-menter la pénétration du secteur de détail est largement répandue. Dans ce processus, les opérateurs Takaful peuvent occuper les espaces du paysage de l’assurance des pays islamiques qui sont ou étaient occupés sur les mar-chés occidentaux par les mutuelles et les coopératives. Ces espaces sont, de manière générale, les zones rurales et périphériques, couvertes par un réseau décentralisé.

En outre, il existe des parallèles historiques profondément ancrés et même des connexions entre l’économie mutualiste dans les pays occidentaux et la finance islamique. L’idée mutualiste occidentale est apparue dans les socié-tés en phase d’ouverture progressive et d’industrialisation rapide dans le but d’assurer une répartition équilibrée du capital au sein d’une importante classe moyenne et pour empêcher la concentration du capital – et donc du pouvoir – entre les mains de quelques-uns. Elle a également été conçue comme une « troisième voie » entre le capitalisme de Manchester et le socia-lisme, souvent motivés par un sens authentiquement chrétien de la respon-sabilité qui – comme la finance islamique – considère que Dieu est le déten-teur ultime de tous les biens de ce monde. Bien que cette idée ne soit pas exclusivement catholique, c’est dans l’encyclique papale « Rerum Novarum » de 1891 qu’elle a été exprimée de la manière la plus claire et la plus influente.

Ces parallèles intrinsèques sont apparus lorsqu’a été créée la première banque sans intérêt, le projet Mit Ghamr, dont le fondateur avait étudié en Allemagne et observé l’économie mutualiste de ce pays. Et ce n’est pas par hasard que cette première banque islamique de l’époque moderne a formé une joint-venture avec la banque d’épargne mutualiste et de prêt (« Sparkasse ») de Cologne.

Si les sociétés du Moyen-Orient sont désormais au seuil d’une ouverture démocratique, sous l’impulsion d’une classe moyenne ambitieuse, bien que menacée, les tâches à venir sont similaires. L’idée et l’idéal est de mieux répartir les opportunités et la richesse pour parvenir à la justice et à une démocratie en état de marche. En fait, il est fort probable que ces mouvements échoueront s’ils ne génèrent pas d’avantage économique réel

7 Ce texte a été publié dans l’édition d’avril 2011 de l’« Islamic Finance Review ».

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pour une partie importante de la population dans un délai raisonnable. Certaines parties de l’Europe ont pris cette voie dans les années 1930.

Un autre parallèle historique est la transition intervenue en Europe de l’Est il y a 20 ans, dont, une fois encore, l’une des tâches principales avait été d’encadrer la transition politique et sociale avec la privatisation des struc-tures économiques socialistes.

En Allemagne, cet encadrement avait été mené à bien en transférant la quasi-totalité de l’économie est-allemande dans un trust et en la vendant progressivement à des investisseurs privés. Cependant, ce processus de transformation n’avait pas pour objectif de consolider l’économie mutua-liste et coopérative. De grandes multinationales occidentales ont investi dans le rachat d’entreprises, faisant ainsi bénéficier les économies en mutation de leur force et de leur savoir-faire.

Résoudre deux problèmes d’un seul coup

Tous les parallèles historiques présentent également des différences fondamentales, et les choses pourraient bien prendre une tournure diffé-rente au Moyen-Orient, du moins dans les domaines du Takaful et de l’assurance. Au sens strict, ces pays ne disposent d’aucune économie sociale ni d’aucune infrastructure générale d’assurance, en particulier dans les zones rurales, qu’il s’agisse d’assurance conventionnelle, d’assurance mutualiste/Takaful ou parfois même d’assurance sociale. Il n’y a pas de filet de sécurité qui permettrait aux couches économiquement actives de prévoir et d’entreprendre des innovations qui comportent des risques. Les efforts des petites et moyennes entreprises sont peu récompensés. Et de larges franges de la population n’accumulent que peu de capital et de productivité à un niveau individuel. Enfin, dans ces pays, les avantages connus que les secteurs de l’assurance apportent normalement à leurs économies nationales sont limités aux segments industriels. En un mot, le mécanisme de gestion du risque économique de ces sociétés est largement dysfonctionnel.

Toutefois, pour mettre en avant le niveau microéconomique, le Takaful se trouve encore, si l’on peut dire, à un stade expérimental en ce qui concerne sa forme, son modèle et sa mission définitifs. La participation de grands investisseurs et la structure spécifique des fonds d’actionnaires et des fonds de participants ont jusqu’ici donné au Takaful sa vitesse et sa dyna-mique, tout comme dans le processus de privatisation européen. Mais le Takaful ne s’est pas encore réellement développé dans les zones rurales et, en dehors des pays du GCC et du Soudan, il n’en est, en tout état de cause, qu’à ses débuts. D’autre part, la coexistence des deux fonds est une source de débats constants sur la façon dont, le cas échéant, l’excédent doit être

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distribué. Les actionnaires doivent injecter des sommes considérables et ils veulent et ont besoin de réaliser des bénéfices. Cependant, dans la finance islamique, l’argent seul ne doit rapporter d’argent.

Et nous arrivons ainsi à un point important : les opérateurs Takaful agissant en tant que Wakîl doivent, au service de la gestion du fonds des participants, fournir leur travail et leur expertise et pas nécessairement du capital. L’in-jection d’importantes sommes d’argent dans le fonds des actionnaires n’est qu’une exigence de solvabilité et parfois même problématique, car la pro-messe du Qard Hasan est un service financier comparable à une garantie. Il existe d’autres solutions pour assurer la solvabilité : l’une d’entre elles est le Retakaful. Une autre solution est de verser le capital directement dans le fonds des participants. Les deux fonds assumant ensemble le rôle de capi-tal pour assurer la solvabilité, le fait que le capital soit versé dans un fonds ou dans l’autre ne fait aucune différence pour la protection du consomma-teur. La question de savoir à quel fonds appartient l’excédent serait résolu de cette manière, puisque seul le fonds des participants offrirait une pro-tection et aurait besoin et mériterait des excédents.

L’idée que nous aimerions formuler ici est l’introduction d’un nouveau type d’opérateur Takaful qui gérerait uniquement un fonds d’actionnaires rudimentaire, au moins sur le long terme, ainsi plus proche des mutuelles pures. À notre connaissance, rien dans les principes de la Charia n’impose que les fonds des actionnaires atteignent un certain volume. D’une façon réaliste, ces opérateurs ont besoin d’aide pour commencer, bien sûr, et il y a de plusieurs solutions financières à cet effet. Une forme juridique possible serait le Waqf, pas si éloigné du trust allemand précité créé en 1990. Toutes ces solutions pourraient être prises en charge et partiellement remplacées par un Retakaful public ou privé.

Un plan directeur de diversification du secteur

La zone d’activité des opérateurs Takaful de ce type devrait refléter leur objectif et leur création. L’entrée, le cas échéant, de ces entreprises sur le marché existant (risques industriels, zones métropolitaines) avec un capital-risque à coût nul pourrait à juste titre être considérée comme une distorsion de la concurrence et ne servirait pas l’objectif de développement des infrastructures.

Ces entreprises devraient, dans l’ensemble, être de type semi-public et avoir pour mission d’offrir des services aux régions et secteurs éloignés (à première vue moins attractifs). L’expérience des pays occidentaux a montré que de telles mutuelles (et en particulier les banques) ont obtenu de bons résultats pendant de nombreuses décennies, n’ont quasiment pas souffert des crises et ont bénéficié du soutien de leur base de clientèle

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stable, souvent rurale et loyale. Ces mutuelles, tout en étant décentralisées et proches de leur zone de couverture, mettent souvent en place des coo-pérations sélectives afin de créer une masse critique et de faire face aux dépenses liées à la technologie moderne, à savoir celles se rapportant aux systèmes informatiques.

Une autre application, plus radicale, de cette structure spécifique serait la mise en place d’une assurance sociale obligatoire – par exemple une assurance Chômage. Dans ce cas, la conformité à la Charia et ses caracté-ristiques pourraient contribuer à l’acceptation et à l’atténuation du risque moral.

Une troisième application de ce système concerne le micro-Takaful, pour des raisons évidentes.

Tous ces types d’activités Takaful strictement mutualistes (entièrement privées, semi-publiques, sociales et micro-Takaful) pourraient être combi-nés dans un plan directeur à moyen terme pour renforcer la variété des filets de sécurité sociale et remédier aux dysfonctionnements décrits pré-cédemment. Comme mentionné ci-dessus, nous considérons que l’obs-tacle opérationnel le plus important réside dans l’administration, s’agissant de la fonction Wakîl : il est indispensable de bénéficier d’un niveau de pro-fessionnalisme et de service élevé, ce qui requiert un personnel bien formé et disposé à gagner généralement moins que dans les sociétés anonymes.

Ce problème peut être résolu en formant les jeunes citoyens diplômés et au chômage, dont le nombre important a été l’un des principaux moteurs des révolutions en Afrique du Nord. La réalisation d’études approfondies des modèles, l’expérience des divers types de coopératives et de mutuelles en Occident et un transfert direct ces expériences au moyen de coopéra-tions avec des sociétés occidentales pourraient aider encore davantage les gens à profiter de cette occasion unique. C’est cette méthode qui avait été mise en œuvre s’agissant du Mit Ghamr, et elle pourrait être à nouveau fruc-tueuse.

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Contact

Dr. Ludwig StiftlResponsable du Centre de compétence Retakaful Tél. : +49 89 38 91-24 24 Fax : +49 89 38 91-7 24 [email protected]

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