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Près de La Havane Le trésor des traditions afro-cubaines Objef de Za collecfìon du nzusée. I Tragédìe personnelle et collectìve' enricbìssenzent culture4 tels sont les deux aspects contradìctoìres maìs autbentìqztes et projonds de cette fomze d'ìmnzìgratìota bìen partìèulìère quef u t l'arrivée d'Afhkaìns sur lesplages des Caraïbes' amenés de force pour y vìvre Pesclavage. C'est pour témo&ner de cette expkìerice et surfout de Pap)aritìon de modèles culturels spéczzquement afro-cubains qu'a été uéé, rion loìn de La Havane, le musée que nous présente la directrice du Patrinzoìne culturel de Cuba, Marta Adona, membre du Conseìl exécutf de PICOM. A partir du XVI~ siècle, la traite amena à Cuba des Noirs originaires essentielle- ment de Guinée, du Gabon, du Congo et de l'Angola, mais aussi, à mesure que se développa le commerce des es- claves, de Mauritanie, de Zanzibar ou du Mozambique, apportant avec eux, avec leurs angoisses et leur douleur, une identité puissante qui fait à jamais partie intégrante de notre mémoire culturelle. Ces groupes d'Africains, qui débar- quaient démunis de tout et ne parlaient pas la même langue, surent transmettre par la parole et par le geste l'essence authentique de leurs coutumes et de leurs croyances. Parmi de multiples origines, Lucumi, Mandingue, Ganga, Congo, Carabali permettent de repérer les diverses régions du continent noir représentées dans ce que le grand spé- cialiste cubain Fernando Ortiz appelle le processus de transculturation qui a abouti à la fusion des cultures noire et blanche et dont découle incontestable- ment cette identité métisse spécifique de notre peuple. Située à l'est de La Havane, la ville de Guanabacoa a été fondée en 1743 par décret royal de Philippe V d'Es- pagne. Elle était alors entourée de plantations de tabac et de canne à su- cre, base de sa prospérité économique, ce qui explique l'afflux dans la région d'esclaves africains voués à la planta- tion et à la récolte de la canne ; depuis, l'histoire a voulu qu'il y ait dans la ré- gion de Guanabacoa des îlots de popu- lations africaines, puis métisses descen- M.uwttn paris, UNESCO), no 173 (vol.XLIV, no 1, 1992) 7

Près de La Havane Le trésor des traditions afro-cubaines

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Près de La Havane Le trésor des traditions afro-cubaines

Objef de Za collecfìon du nzusée.

I

Tragédìe personnelle et collectìve' enricbìssenzent culture4 tels sont les deux aspects contradìctoìres maìs autbentìqztes et projonds de cette fomze d'ìmnzìgratìota bìen partìèulìère que fu t l'arrivée d'Afhkaìns sur les plages des Caraïbes' amenés là de force pour y vìvre Pesclavage. C'est pour témo&ner de cette expkìerice et surfout de Pap)aritìon de modèles culturels spéczzquement

afro-cubains qu'a été uéé, rion loìn de La Havane, le musée que nous présente la directrice du Patrinzoìne culturel de Cuba, Marta Adona, membre du Conseìl exécutf de PICOM.

A partir du X V I ~ siècle, la traite amena à Cuba des Noirs originaires essentielle- ment de Guinée, du Gabon, du Congo et de l'Angola, mais aussi, à mesure que se développa le commerce des es- claves, de Mauritanie, de Zanzibar ou du Mozambique, apportant avec eux, avec leurs angoisses et leur douleur, une identité puissante qui fait à jamais partie intégrante de notre mémoire culturelle.

Ces groupes d'Africains, qui débar- quaient démunis de tout et ne parlaient pas la même langue, surent transmettre par la parole et par le geste l'essence authentique de leurs coutumes et de leurs croyances. Parmi de multiples origines, Lucumi, Mandingue, Ganga, Congo, Carabali permettent de repérer les diverses régions du continent noir représentées dans ce que le grand spé- cialiste cubain Fernando Ortiz appelle le processus de transculturation qui a abouti à la fusion des cultures noire et blanche et dont découle incontestable- ment cette identité métisse spécifique de notre peuple.

Située à l'est de La Havane, la ville de Guanabacoa a été fondée en 1743 par décret royal de Philippe V d'Es- pagne. Elle était alors entourée de plantations de tabac et de canne à su- cre, base de sa prospérité économique, ce qui explique l'afflux dans la région d'esclaves africains voués à la planta- tion et à la récolte de la canne ; depuis, l'histoire a voulu qu'il y ait dans la ré- gion de Guanabacoa des îlots de popu- lations africaines, puis métisses descen-

M.uwttn paris, UNESCO), no 173 (vol.XLIV, no 1, 1992) 7

Marta Atjona

dant des esclaves noirs. C‘est dans ce terreau que le trésor des traditions a fleuri : coutumes et rites ont enrichi la culture populaire par le syncrétisme des religions africaines et du catholi- cisme.

Une empreinte indélébile

Quand le Musée municipal de Guana- bacoa a été ouvert au public en 1964, il y avait déjà eu tout un travail de sauve- garde, de classement et de conserva- tion d’objets associés aux rites afro- cubains qui, regroupés en collections selon leur origine yoruba, bantou ou carabali, allaient constituer le fonds initial de ce musée dans l’espace consa- cré à ces cultes. Le musée abrite des ob- jets de première importance qui expri- ment les vertus des orishas et des saints, du matériel de santená (religion afro-cubaine), des costumes caractéris- tiques des représentations de Shangó, Oshún, Yemanyá, Obatalá, Elegguá et autres dieux, ainsi que les costumes im- pressionnants des Iremes ou diabZotim, associés aux rites abakuá. L‘importante collection d’instruments de percussion comporte des tambours arara et yuca, des hochets et des cbequerés (petits tam- bours) complétés par les trois tam- bours bati, tous en forme de sablier et à double peau, qui sont les instruments les plus importants de la smzterrit.

Les sept salles du musée consacrées aux rituels afro-cubains offrent aux vi- siteurs des informations précieuses sur la présence des Noirs à Cuba. En outre, l’ensemble folklorique qui travaille pour le musée, composé d’authenti- ques descendants d’Africains, permet de suivre l’évolution des liturgies et le cérémonial des rites traditionnels.

Quand..on assiste à ce spectacle

d‘une extraordinaire splendeur, on ne peut pas ne pas penser à ces mots du grand africaniste cubain Fernando Or- tiz: ((Aucun peuple n’a su représenter avec autant de génie que les Noirs afri- cains les symboles plastiques du terri- ble mystère. Devant ces masques et sculptures de “diablotins mystiques”, les représentations chrétiennes du dé- mon, avec ses cornes et ses pieds four- chus empruntés aux faunes païens de l’Antiquité, font figure d’images aussi peu convaincantes que risibles. ))

En dépit ou peut-être à cause de la modestie de ses ambitions, le Musée de Guanabacoa parvient à transmettre, dans les objets exposés comme dans ses programmes d’animation culturelle, ce halo magique de l’évocation rituelle qui nous émeut tant : juste hommage à ces enfants d’Afrique qui, depuis un demi-millénaire, ont marqué notre culture de leur empreinte indélébile.

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