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Prescription hors AMM et manquement au devoir d’information

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ouleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2012) 13, 236—239

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ROIT ET DOULEUR

rescription hors AMM et manquement au devoir’information

Nathalie Lelièvre1

Lyon, France

Disponible sur Internet le 24 aout 2012

MOTS CLÉSPrescription horsAMM ;Obligationd’information ;Médecin ;Consentement éclairé

Résumé L’obligation d’information constitue un droit fondamental du patient et un devoiressentiel du médecin. Le législateur (loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à laqualité du système de santé) a défini le contenu de l’information devant être délivrée auxpatients par les professionnels de santé. Il incombe au professionnel de santé de prouver qu’ila bien exécuté son obligation d’information. Cette preuve pouvant être rapportée par tousmoyens. Jusqu’en 2010, le patient s’estimant victime d’un défaut d’information ne pouvaitêtre indemnisé dès lors que le manquement à l’obligation d’information lui avait perdre unechance. C’est d’ailleurs ce premier argument qui sera repris par les juges de première instanceet la cour d’appel pour le présent cas analysé. Cependant, la Cour de cassation a rappelé sanouvelle jurisprudence depuis l’arrêt du 3 juin 2010 : un second préjudice correspondant toutsimplement à l’état d’ignorance qui lui a été imposé par le professionnel de santé. En effet,par un arrêt en date du 3 juin 2010, la première Chambre civile de la Cour de cassation aconsidéré que le défaut d’information constituait un préjudice indemnisable en soi, c’est-à-dire indépendamment de toute perte de chance pour la victime. (Cour cass, 1e civ., 3 juin 2010,no 09-13.591). Dans l’affaire étudiée dans le présent article, le défaut d’information porte

sur l’absence d’indication au patient du recours à un traitement en dehors des indications del’autorisation de mise sur le marché (AMM).© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Un jeune patient âgé de 24 ans, souffrant de fortes douleurs lombaires dues à uneéventuelle hernie discale, consulte un rhumatologue sur conseil de son médecin trai-

tant. Le 22 mars 1989, le médecin—rhumatologue, pratique une injection intradiscaleL4-L5 d’héxatrione (nucléorthèse). Le 10 juillet 1997, une intervention chirurgicale estintervenue pour traiter une lombo-sciatique permanente avec séquelles consécutive àl’injection d’héxatrione.

Adresse e-mail : [email protected] Juriste en droit de la santé ; AEU droit médical, DESS droit de la santé ; certificat d’aptitude à la profession d’avocat ; membre de laommission « Éthique et Douleur » ; espace éthique méditerranéen ; chargée de conférence.

624-5687/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2012.07.010

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Le patient incriminant l’injection de ce médicamentcomme étant la cause de ses séquelles et notamment dela nécessité de pratiquer une intervention chirurgicale. Ildécide de diligenter une procédure pour réparation du pré-judice subi. Deux experts judiciaires sont désignés par letribunal de grande instance pour déterminer si des soinsattentifs conformes aux données actuelles et acquises dela science ont été prodigués à ce patient. L’objet de la pré-sente étude est d’analyser les différentes décisions renduespour cette affaire comme la victime (à savoir le patient) estallée jusque devant la Cour de cassation.

Première étape

Toute personne s’estimant victime d’une erreur médicaleest en droit de saisir la justice pour demander réparationdu préjudice subi. Cependant, pour que la demande soitrecevable trois conditions sont nécessaires : une faute, undommage, un lien de causalité. La responsabilité peut êtreengagée non seulement en cas de faute technique, maisencore en cas de faute d’humanisme, laquelle trouve satraduction fréquente dans le manquement à l’obligationd’information et au droit du patient à consentir, de manièreéclairée, à l’acte médical. Il appartient à la juridiction sai-sie de se prononcer sur l’existence d’une faute consécutived’un dommage et pour cela le juge désigne un expert judi-ciaire afin d’avoir toutes les informations nécessaires afinde juger le litige pour lequel il a été saisi.

Deuxième étape

Le 19 novembre 2008, le tribunal de grande instance adébouté le patient de sa demande, c’est-à-dire il n’a pasretenu la responsabilité du médecin en l’absence de fauteà la charge du médecin. Le juge a considéré eu égard auxrapports d’expertises que si les calcifications sont dues àl’injection litigieuse, les soins donnés par le médecin ont étéconsciencieux, attentifs et conformes aux données acquisesde la science à la date où ils ont été prodigués dès lors queles complications de calcification n’étaient pas connues àcette date.

Il convient de préciser, en l’espèce, que les faits se sontpassés en 1989. L’expert doit donc se placer à la date desfaits pour déterminer si les soins ont été conformes auxrègles de l’art. À l’époque des faits, le médecin n’avait pasconnaissance des effets délétères du produit. Au contraire,il était mis en avant ses effets antalgiques et c’est pourcette raison qu’il a eu recours à cette technique. Le juge aégalement considéré que le médecin—rhumatologue n’a pasmanqué à son obligation de vigilance, ni d’information.

Troisième étape

Contestant le jugement rendu par tribunal de grande ins-tance, le patient a fait appel de la décision et a donc

saisi la cour d’appel. Il soutient que la faute impu-table au médecin serait d’avoir utilisé un médicament àl’état d’expérimentation et que les risques de calcificationsétaient connus à l’époque des faits. De plus, il reproche

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u médecin de ne pas l’avoir informé des risques inhé-ents au traitement. Il conclut à l’infirmation du jugemente première instance et demande l’indemnisation de sonréjudice. Dans ces circonstances, il demande que la res-onsabilité du médecin soit retenue par la cour d’appel etu’il soit indemnisé de son préjudice.

Pour sa défense, le médecin fait valoir les rapports’expertise qui ne retiennent pas de faute à son encontre.n effet, les rapports d’expertise établissent qu’il a données soins consciencieux, conformes aux règles de l’art etux données de la science à l’époque des faits, soit en 1989.e médecin précise que les risques n’étaient pas connusorsqu’il a pratiqué l’injection qui était réputée apporterréquemment un soulagement réel et consistait en un gestedmis, reconnu et même encouragé par la communautéédicale. Conformément aux dispositions légales, le méde-

in est tenu de donner à son patient des soins consciencieux,ttentifs et conformes aux règles de l’art et aux données dea science à la date des soins. En l’occurrence, le médecinstime ne pas avoir manqué à ses obligations profession-elles envers son patient.

La cour d’appel confirme le jugement tribunal de grandenstance sur les motifs suivants :

aucune faute n’est reprochée au médecin dans la mise enœuvre de la technique de nucléorthèse ;l’utilisation d’un produit hors autorisation de mise surle marché (AMM) n’est pas, de facto, constitutive d’unefaute ou d’un manquement, le médecin gardant toujourssa liberté thérapeutique, à condition de pouvoir justi-fier son indication et son geste au regard de l’état dusujet, de sa demande et des connaissances scientifiquesdu moment ;qu’à l’époque des soins, la littérature scientifique faisaitétat de résultats positifs avec un rapport bénéfice—risquetout à fait favorable dans le traitement des lombo-sciatiques ;la nucléorthèse était un geste admis, reconnu et mêmeencouragé par la communauté médicale ;la cour d’appel exclu que le médecin ait pratiqué sur lepatient une expérimentation thérapeutique ;la cour rappelle qu’il était justifié chez un patient jeunede proposer une alternative à la solution chirurgicale ;ce n’est qu’au début des années 1990 que les rhumato-logues ont connu les complications de cette techniqueet vont l’abandonner. Les premières publications sur lerisque de calcification sont intervenues après la datedes soins litigieux, la première en mai 1989, puis enoctobre 1989 ;le médecin—rhumatologue ne pouvait donc informer lepatient d’un risque qui était ignoré au moment où il estintervenu.

En conséquence, les soins prodigués ont été attentifs,diligents et conformes aux connaissances scientifiques del’époque.

De plus, la cour rappelle la chronologie concernant la

rise en charge du patient justifiant une prise en charge danses règles de l’art et d’une bonne information du patient :

par courrier du 13 décembre 1988 au médecin traitantdu patient, le médecin—rhumatologue indiquait que si

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cription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conformeà son AMM, de l’absence d’alternative médicamenteuseappropriée, des risques encourus, des contraintes, et desbénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament,

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celui-ci ne s’améliore pas sous le traitement anti-inflammatoire per os, la seule solution à envisager estchirurgicale ;que le traitement n’a pas été efficace puisque le méde-cin généraliste a adressé le patient au rhumatologue quil’a lui-même adressé à un spécialiste selon la lettre du7 février 1989 en raison du caractère rebelle de la scia-tique ;que l’injection n’a eu lieu que le 22 mars suivant ce quidénote l’absence de précipitation.

En revanche, la cour d’appel relève que le médecin neémontre pas avoir informé son patient du recours à un trai-ement en dehors des indications de l’AMM. Il n’établit pasvoir apporté les informations utiles pour que son patientrenne conscience que le traitement proposé, quoique pra-iqué couramment et sans risque connu, ne bénéficiaitas d’une AMM et puisse donner un consentement éclairé.ependant, le manquement au devoir d’information n’estréjudiciable qu’à partir du moment où le médecin a faiterdre une chance à son patient d’opter pour une autreechnique. En l’occurrence, le patient étant jeune, il étaitréférable d’avoir recours à l’injection en lieu et place’une intervention chirurgicale, geste beaucoup plus invasif.

En conséquence, la cour d’appel précise sur ce point que’obligation d’information incombant au praticien ne peuttre sanctionnée qu’autant qu’il en résulte un préjudiceour le patient. En l’espèce, il n’est pas démontré que mieuxnformé, le patient aurait refusé la technique proposée etréféré la chirurgie, alors même que le traitement médicallassique avait échoué et que la technique proposée étaitlors sans risque connu et réputée apporter fréquemmentn soulagement réel.

uatrième étape : coup théâtre de la Coure cassation

Vu les principes du respect de la dignité de la personneumaine et d’intégrité du corps humain, Attendu que le non-espect par un médecin du devoir d’information dont il estenu envers son patient, cause à celui auquel cette informa-ion était légalement due un préjudice qu’en vertu du texteusvisé le juge ne peut laisser sans réparation ;

Attendu que pour rejeter les demandes en dommages-ntérêts du patient à l’encontre du médecin rhumatologue,ui lui avait administré en 1988 une injection intradis-ale d’Hexatrione pour soulager des douleurs lombaires, àaquelle il imputait une calcification ayant rendu nécessairene intervention chirurgicale, la cour d’appel a jugé qu’il’était pas démontré en l’espèce que, mieux informé, leatient aurait refusé la technique proposée et préféré lahirurgie, le traitement médical classique ayant échoué etette technique étant alors sans risque connu et réputéepporter fréquemment un soulagement réel ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que leédecin n’établissait pas avoir informé le patient que le

raitement prescrit, quoique pratiqué couramment et sansisque connu, n’était pas conforme aux indications prévuesar l’AMM, la cour d’appel n’a pas tiré de ses constatations,esquelles il résultait que le patient, ainsi privé de la faculté

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N. Lelièvre

e donner un consentement éclairé, avait nécessairementubi un préjudice ».

Le non-respect par le médecin du devoir d’informationont il est tenu envers son patient cause à celui-ci un pré-udice que le juge ne peut laisser sans réparation. Telle esta décision de la Cour de cassation le 12 juin 20122.

Alors même que les juges de première instance et laour d’appel ont relevé que la responsabilité du médecine pouvait pas être engagée du fait qu’il avait prodigué desoins conformes aux règles de l’art. Concernant le devoir’information, les juges de première instance ont considéréue le médecin a respecté son obligation. La cour d’appel a,n revanche, juste relever l’argument selon lequel le méde-in ne rapportait pas la preuve d’avoir informé son patientur le recours à une technique en dehors des indications de’AMM ; tout en rappelant le principe selon lequel le man-uement au devoir d’information n’est indemnisable qu’àartir du moment où il fait perdre une chance au patientuant au choix de la technique. En l’occurrence, il n’estas démontré que mieux informé, le patient aurait refuséa technique proposée et préféré la chirurgie, alors mêmeue le traitement médical classique avait échoué et que laechnique proposée était alors sans risque connu et réputéepporter fréquemment un soulagement réel.

La Cour de cassation rappelle sa position concernant leéfaut d’information : le simple fait que le patient ne soitas informé constitue un préjudice indemnisable sans qu’ilait lieu de s’interroger sur la notion de perte de chance.

e présent arrêt permet, en outre, de rappeler les nouvellesispositions concernant les prescriptions hors AMM suite à laoi du 29 décembre 20113.

En effet, tout médecin bénéficie d’une liberté de pres-ription l’autorisant, dans le strict respect de l’intérêt dees patients, à prescrire des médicaments en dehors desonditions de leurs AMM, dans la mesure où cette prescrip-ion demeure conforme aux données acquises de la science.e principe a d’ailleurs été rappelé par la cour d’appel dans

e cas d’espèce su visé. L’article L. 5121-12-1 du CSP4 auto-ise, en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriéeénéficiant d’une AMM ou d’une autorisation temporaire’utilisation (ATU), la prescription d’une spécialité pharma-eutique en dehors du champ de son AMM lorsque :

soit cette prescription est conforme à des recomman-dations temporaires d’utilisation (RTU) élaborées parl’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM)pour une durée maximale de trois ans (établies aprèsinformation du titulaire de l’AMM) ;soit le prescripteur juge indispensable, au regard des don-nées acquises de la science, le recours à cette spécialitépour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.

Le prescripteur se doit d’informer le patient que la pres-

2 Cass. Civ. 1e 12 juin 2012 ; no 11-18.327.3 Loi no 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcemente la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.4 CSP : Code de santé publique.

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Déclaration d’intérêts

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et porte sur l’ordonnance la mention : « Prescription horsAMM ». Il doit, de plus, motiver sa prescription dans le dos-sier médical du patient. Il informe par ailleurs le patient surles conditions de prise en charge, par l’assurance maladie,de la spécialité pharmaceutique prescrite.

En retenant le défaut d’information à la charge dumédecin pour avoir prescrit un traitement en dehors desindications de l’AMM, la Cour de cassation n’aurait-elle pasprise un peu d’avance sur la loi du 29 décembre 2011 ?

Conclusion

En conclusion, l’arrêt de la cour de cassation estl’opportunité de rappeler les grands principes en matièred’obligation d’information.

Article R. 4127-35 du CSP

« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigneou qu’il conseille une information loyale, claire et appro-priée sur son état, les investigations et les soins qu’il luipropose. Tout au long de la maladie, il tient compte de lapersonnalité du patient dans ses explications et veille à leurcompréhension. Toutefois, sous réserve des dispositions del’article L. 1111-7, dans l’intérêt du malade et pour des rai-sons légitimes que le praticien apprécie en conscience, unmalade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic oud’un pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection dont ilest atteint expose les tiers à un risque de contamination. Un

pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection,mais les proches doivent en être prévenus, sauf exceptionou si le malade a préalablement interdit cette révélation oudésigné les tiers auxquels elle doit être faite ».

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Dans la mesure où le médecin doit informer le patientur les soins et investigations qu’il va employer, il doit éga-ement informer des risques et conséquences de ces acteshérapeutiques.

ass. Civ. 1e, 18 juillet 2000 ; no 90-10886

e médecin doit donner une information claire, loyale etppropriée sur les risques graves afférents à l’interventionroposée. Le fait que le risque soit exceptionnel ne le dis-ense pas de son obligation d’information.

ass. Civ. 1e 14 octobre 1997 ; no 95-19.609

a charge de la preuve en matière d’information incombeu professionnel de santé. Celle-ci peut être rapportée parous moyens (Cass. Civ. 1e ; 12 juin 2012 ; no 11-18.928). Nia loi, ni la jurisprudence (sous réserve de cas particuliersomme les essais thérapeutiques) n’imposent un documentcrit et signé du patient.

En principe, l’information donnée au patient doit luiermettre de donner un consentement libre et éclairé et’information ne doit pas être anxiogène. Comment res-ecter ce principe si le défaut d’information constitue enoi un préjudice indemnisable ? Il semblerait que la notione confiance socle de la relation patient-médecin soit enéril !!

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.