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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 436—441 CLINIQUE Prise en charge de la douleur en dermatologie : aspects fondamentaux Management pain in dermatology: Fundamental aspects M. Rafaa a , A. de la Tour b , M.-L. Sigal a,a Service de dermatologie, centre hospitalier Victor-Dupouy, 69, rue du Lieutenant-Colonel-Prudhon, 95100 Argenteuil, France b Service soins palliatifs et douleurs chroniques, centre hospitalier Victor-Dupouy, 69, rue du Lieutenant-Colonel-Prudhon, 95100 Argenteuil, France Rec ¸u le 7 octobre 2010 ; accepté le 25 janvier 2011 Disponible sur Internet le 16 mars 2011 Introduction La douleur est un phénomène à la fois universel et totale- ment intime. Définir la douleur est un exercice complexe. La prise en charge de la douleur est un objectif de santé publique et bénéficie, en France, de diverses mesures légis- latives. La connaissance d’un savoir commun sur la douleur par l’ensemble des personnels de santé est un préalable indispensable à l’application de cette politique. Les praticiens n’échappent pas à cette situation. La plu- part des échecs sont liés à un manque de compréhension du phénomène de la douleur. Le dermatologue, comme tout autre praticien de santé doit être à même de pouvoir prendre en charge la dou- leur de ses patients. En dermatologie, certaines maladies peuvent revêtir un caractère douloureux aigu ou chronique, voire chronique avec des accès paroxystiques douloureux ; s’y ajoute parfois la douleur liée au soin dermatologique. Les affections concernées sont plus particulièrement le zona, les néoplasies cutanées, les plaies chroniques, les maladies bulleuses (syndrome de nécrolyse épidermique, maladies bulleuses auto-immunes). Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M.-L. Sigal). Cet article est le premier volet d’une série d’articles théoriques et pratiques qui devrait aider les dermatologues à répondre à cette mission. Il est prévu de réaliser diffé- rentes fiches thématiques abordant opioïdes forts, douleur neuropathique et zona, douleur de l’enfant en dermatolo- gie, douleur dans le syndrome de Stevens-Johnson/Lyell et les autres dermatoses bulleuses étendues, douleur des plaies chroniques. Cadre légal La loi hospitalière du 4 février 1995 institue que « les éta- blissements hospitaliers mettent en œuvre les moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu’ils accueillent ». La prise en charge de la douleur est un objectif de santé publique depuis 1998. Le plan de lutte contre la douleur (2006—2010) impose d’« améliorer la prise en charge de la douleur des populations les plus vulnérables, améliorer la prise en charge de la douleur provoquée par les soins, de dépister et de traiter les douleurs chroniques avec diffu- sion des outils d’évaluation et d’aide à la prescription » ainsi que de « renforcer la formation pratique initiale et conti- nue des professionnels de santé et inscrire ce thème dans le cadre de la formation professionnelle continue des médecins libéraux ». 0151-9638/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2011.01.039

Prise en charge de la douleur en dermatologie : aspects fondamentaux

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rise en charge de la douleur en dermatologie :spects fondamentaux

anagement pain in dermatology: Fundamental aspects

M. Rafaaa, A. de la Tourb, M.-L. Sigal a,∗

a Service de dermatologie, centre hospitalier Victor-Dupouy, 69, rue duLieutenant-Colonel-Prudhon, 95100 Argenteuil, Franceb Service soins palliatifs et douleurs chroniques, centre hospitalier Victor-Dupouy,69, rue du Lieutenant-Colonel-Prudhon, 95100 Argenteuil, France

Recu le 7 octobre 2010 ; accepté le 25 janvier 2011

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Disponible sur Internet le 1

ntroduction

a douleur est un phénomène à la fois universel et totale-ent intime. Définir la douleur est un exercice complexe.

a prise en charge de la douleur est un objectif de santéublique et bénéficie, en France, de diverses mesures légis-atives. La connaissance d’un savoir commun sur la douleurar l’ensemble des personnels de santé est un préalablendispensable à l’application de cette politique.

Les praticiens n’échappent pas à cette situation. La plu-art des échecs sont liés à un manque de compréhension duhénomène de la douleur.

Le dermatologue, comme tout autre praticien de santéoit être à même de pouvoir prendre en charge la dou-eur de ses patients. En dermatologie, certaines maladieseuvent revêtir un caractère douloureux aigu ou chronique,oire chronique avec des accès paroxystiques douloureux ;’y ajoute parfois la douleur liée au soin dermatologique. Lesffections concernées sont plus particulièrement le zona,es néoplasies cutanées, les plaies chroniques, les maladies

ulleuses (syndrome de nécrolyse épidermique, maladiesulleuses auto-immunes).

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (M.-L. Sigal).

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151-9638/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droitsoi:10.1016/j.annder.2011.01.039

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Cet article est le premier volet d’une série d’articleshéoriques et pratiques qui devrait aider les dermatologuesrépondre à cette mission. Il est prévu de réaliser diffé-

entes fiches thématiques abordant opioïdes forts, douleureuropathique et zona, douleur de l’enfant en dermatolo-ie, douleur dans le syndrome de Stevens-Johnson/Lyell etes autres dermatoses bulleuses étendues, douleur des plaieshroniques.

adre légal

a loi hospitalière du 4 février 1995 institue que « les éta-lissements hospitaliers mettent en œuvre les moyensropres à prendre en charge la douleur des patients qu’ilsccueillent ».

La prise en charge de la douleur est un objectif de santéublique depuis 1998. Le plan de lutte contre la douleur2006—2010) impose d’« améliorer la prise en charge de laouleur des populations les plus vulnérables, améliorer larise en charge de la douleur provoquée par les soins, deépister et de traiter les douleurs chroniques avec diffu-ion des outils d’évaluation et d’aide à la prescription » ainsi

ue de « renforcer la formation pratique initiale et conti-ue des professionnels de santé et inscrire ce thème dans leadre de la formation professionnelle continue des médecinsibéraux ».

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Prise en charge de la douleur en dermatologie : aspects fond

Définition de la douleur

La définition admise le plus récemment est celle del’International Association for the Study of Pain (IASP) :« la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelledésagréable en lien avec un dommage tissulaire ou poten-tiel, ou décrit en termes d’un tel dommage » [1]. Cettedéfinition traduite de l’anglais permet de dégager deuxnotions importantes. Elle fait admettre que les émotionsfont partie intégrante de la douleur et qu’« est douleur ceque le patient dit être douleur » : ainsi la plainte somatiquepeut se substituer à une plainte psychologique qui ne trouvepas d’autres mots que ceux de la douleur pour s’exprimer.

La douleur aigüe est un signal d’alarme, qui va participerau diagnostic, témoigner de la présence d’une lésion et ame-ner à consulter. La douleur chronique se définit par sa duréesupérieure à trois mois : qu’elle soit symptomatique d’unemaladie évolutive (cancer), ou qu’elle résulte de séquellestraumatiques (amputation de membre) ou d’une maladieguérie (post-zostérienne) ; cette douleur va progressive-ment induire un retentissement physique et psychologique,constituant un syndrome douloureux chronique et entraînerune détérioration significative des capacités fonctionnelleset relationnelles du patient. La prise en charge du patientdouloureux chronique ne se limite pas aux seuls traite-ments symptomatiques : il peut être nécessaire d’avoir uneapproche pluridisciplinaire associant médecin traitant, psy-chologue, médecin algologue [2].

Plusieurs composantes permettent d’analyser unedouleur [2] :• la composante sensoridiscriminative : elle correspond au

décodage du message sensoriel : type de la douleur(décharge, piqûre, etc.), intensité, durée (permanente,répétée) et localisation ;

• la composante affectivo-émotionnelle : elle correspond àla facon dont le patient percoit désagréablement sa dou-leur. Elle est fonction de l’état antérieur du patient, del’intensité et de la durée de la douleur allant de l’anxiétéà un état dépressif ;

• la composante cognitive : elle correspond aux processusmentaux mis en jeu par la douleur, et à la significa-tion qu’elle a pour le patient. Elle dépend de facteurssocioculturels et de l’histoire personnelle du patient.Sa signification diffère selon qu’il s’agit d’une maladiecurable ou non, d’une douleur aiguë ou chronique ;

• la composante comportementale : elle correspond àl’ensemble des manifestations verbales, attitudes, mani-festations (cris, pleurs, jurons), de réactions neurovégé-tatives : c’est elle qui sera plus fréquemment observéechez le jeune enfant et l’adulte.

Il n’y a donc pas de parallélisme entre le symptôme dou-loureux et les lésions observées : l’écoute du patient estune étape incontournable à l’adaptabilité de la réponse àapporter.

Physiopathologie de la douleur : notionsgénérales [3]

La transmission douloureuse est un phénomène trèscomplexe impliquant des mécanismes électrophysiologiqueset neurochimiques, où trois étapes se succèdent :

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élaboration de l’influx au niveau du nocicepteur périphé-rique et transmission dans la fibre nerveuse périphérique ;relais et modulation au niveau de la corne dorsale de lamoelle épinière ;intégration au niveau du cerveau qui le transforme enmessage conscient.

écepteurs périphériques nociceptifs

es récepteurs sensibles à une stimulation nociceptive,ppelés nocicepteurs, sont constitués par des terminaisonsibres de fibres nerveuses capables d’identifier une stimu-ation nociceptive et de coder le niveau d’intensité dutimulus. Ils donnent naissance à des fibres lentes peu myéli-isées de moyen calibre A� et amyéliniques de petit calibre. On distingue deux types de nocicepteurs :les mécano-nocicepteurs : au niveau de la peau, ils sontorganisés en deux réseaux : épidermique et dermique. Ilsrépondent à des stimulus intenses de nature mécanique(piqûre, coupure, pincement, etc.) et sont à l’origined’une sensation brève et précise ;les nocicepteurs polymodaux : ces nocicepteursrépondent à des stimulus mécaniques, thermiques(< 18 ◦C, > 43 ◦C) et chimiques (agents toxiques externeset substances chimiques issues de tissus lésés) et sontà l’origine d’une sensation durable et moins précise entermes de localisation.

Ces nocicepteurs ont des caractéristiques communes :seuil d’activation élevé : nécessité d’une stimulationintense pour déclencher un potentiel d’action ;capacité à coder l’intensité du stimulus : leur réponseaugmente parallèlement à l’intensité du stimulus ;capacité de sensibilisation : la répétition des stimulationsnociceptives diminue le seuil des nocicepteurs et aug-mente leur activité.

ctivation des nocicepteurs

lle se fait par transformation des stimulus nociceptifs enctivité électrique puis par propagation des influx à traverse système nerveux sensoriel. On distingue l’action directee la stimulation nociceptive sur le nocicepteur (lésion tis-ulaire) et l’action indirecte de la stimulation nociceptivear l’intermédiaire de substances « algogènes » : ces sub-tances endogènes sont libérées suite à la lésion tissulaire,a « soupe inflammatoire » provoquant à leur tour la libéra-ion d’autres médiateurs dont les opioïdes endogènes. Cesubstances entraînent une « hyperalgésie primaire ».

Les lésions tissulaires conduisent également à la libé-ation de puissants médiateurs de l’inflammation : les ions+ et K+, la sérotonine, l’histamine, les prostaglandines,

es kinines et les leucotriènes. Cette cascade d’activationsntraîne la persistance des douleurs et l’apparition d’unehyperalgésie secondaire » (alors que le stimulus initial’existe plus) qui s’étend en quelques minutes autour de laésion initiale par sensibilisation des nocicepteurs adjacentsexemple : brûlure cutanée).

L’activation des fibres amyéliniques induit également laonduction de potentiels d’action dans le sens antidromiqueà contre-courant) vers les tissus sains adjacents (réflexe’axone de Lewis). Cette dernière entraîne la libération

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igure 1. Schéma physiopathologique des voies de la douleur.

e neuropeptides algogènes en périphérie, substance P etalcitonin gene related peptide (CGRP), responsables de’« inflammation neurogène ».

Au niveau des neurones médullaires de la corneorsale de la moelle, la libération chronique de sub-tances « algogènes » participe aux mécanismes des douleursentrales auto-entretenues (hyperalgésie secondaire, allo-ynie, douleur spontanée, etc.).

Au total, il existe un phénomène auto-entretenuù interviennent des mécanismes chimiques locaux puisnflammatoires et végétatifs locorégionaux et enfin desécanismes d’hyperexcitabilité centraux.

oies afférentes périphériques

outes les fibres périphériques afférentes (dendrites du pre-ier neurone) possèdent un corps cellulaire au niveau du

anglion spinal, situé sur la racine spinale dorsale (Fig. 1).e premier neurone ganglionnaire émet un axone qui gagnea moelle spinale par la racine dorsale. Ces fibres sont deeux types :les fibres de petit calibre faiblement myélinisées A�, res-ponsables de la douleur localisée et précise à type depiqûre, surtout liées aux mécano-nocicepteurs ;les fibres non myélinisées C responsables de la dou-leur diffuse, mal localisée, tardive à type de brûlure,surtout liées aux nocicepteurs polymodaux. L’existencede ces deux groupes de fibres afférentes fines per-met d’expliquer la double composante de la douleur(nociceptive et neuropathique) parfois ressentie lors del’application de stimulations cutanées intenses.

ntégration spinale et voies ascendantespinales

a corne dorsale spinalea terminaison de l’axone du premier neurone ganglionnaireait relais avec le deuxième neurone situé dans l’apex de

a corne dorsale : les fibres C et A� se projettent sur desites anatomiquement distincts. Les fibres C se projettentrincipalement sur les lames I et II et les fibres A� principa-ement sur les lames II et V de REXED (substance gélatineuse

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M. Rafaa et al.

e la corne dorsale de la moelle). À ce niveau, les prin-ipaux neuromédiateurs sont le glutamate et la substance.

es voies spinales ascendantes’axone du deuxième neurone gagne le cordon anté-olatéral controlatéral de la moelle pour constituer leaisceau spinothalamique. Ce faisceau regroupe en moyenne0 à 90 % des fibres nociceptives qui pénètrent dans leulbe.

On distingue deux contingents spinaux de la nociception :le faisceau paléo-spino-réticulo-thalamique, voiemédiane lente à projection diffuse sur les structuresencéphaliques et support de la composante affective etcognitive de la sensation douloureuse ;le faisceau néo-spino-thalamique, voie latérale rapidese projetant sur le cortex somesthésique, support del’information sensoridiscriminative de la douleur.

entres supra segmentaires

e système médiane faisceau paléo-spino-réticulo-thalamique se projette sura substance réticulée du tronc cérébral, sur les noyauxntralaminaires du thalamus, sur l’hypothalamus et le stria-um. Ce faisceau à conduction lente véhicule une douleurourde, mal systématisée. L’information nociceptive va êtreargement « diffusée » à de nombreuses régions cérébrales.ette voie serait à l’origine des aspects émotionnels, cogni-ifs et affectifs de la douleur.

La projection d’informations nociceptives sur’hypothalamus est à l’origine de réponses neuroendo-rines à la douleur (augmentation de la sécrétion desormones médullo-surrénaliennes).

Par ailleurs, au niveau du tronc cérébral, s’organisentes réflexes à l’origine de modifications végétatives (tachy-ardie, augmentation de la tension artérielle, tachypnée,ydriase, etc.).

e système latérale faisceau néo-spino-thalamique rejoint la voie lemnis-ale médiale et se projette de manière somatotopique sure noyau ventro-postéro-latéral du thalamus. Le thalamusontient ainsi le corps du troisième neurone de la voie noci-eptive et représente le lieu du deuxième relais des voies derojection. Le système véhiculant les informations relativesla douleur reste anatomiquement distinct de celui relatif

u toucher et à la proprioception (voie lemniscale).Il s’agit d’une voie à conduction rapide véhiculant une

ensation consciente de la douleur aiguë vers le cortex etouée d’une capacité d’analyse qualitative de la stimulationnature, durée, topographie). Cette voie est ainsi respon-able de l’aspect sensoridiscriminatif de la nociception.

ires corticales somesthésiques nociceptives

râce aux aires corticales, l’organisme prend conscience duaractère douloureux de l’information et parvient à discer-er la localisation de la douleur du fait de la représentationorporelle corticale (homunculus sensitif).

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Prise en charge de la douleur en dermatologie : aspects fond

Ce sont principalement les informations issues des fibresA�, projetées sur le cortex somesthésique primaire, qui sontresponsables de la perception de l’intensité et de la locali-sation de la douleur.

Les informations nociceptives issues des fibres C ne sontpas relayées vers le cortex somesthésique primaire maistransmises au cortex associatif. Leur message est respon-sable de l’affect (émotion) qui accompagne la douleur. Lesstructures corticales qui percoivent à leur tour cette infor-mation vont permettre à l’organisme de faire « l’expériencede la douleur » et d’élaborer en conséquence les comporte-ments adaptés.

Contrôle physiologique de la douleur

Les voies nociceptives afférentes sont en permanencemodulées par des « systèmes régulateurs », essentiellementinhibiteurs, au niveau de leurs divers relais du système ner-veux central.

Au niveau de la corne dorsale de la moelleIl existe un véritable filtre de la modulation du messagenociceptif.

On distingue deux mécanismes de contrôle :• la théorie du « gate control » (« théorie du contrôle de la

porte » ou « théorie du portillon ») postule que les mes-sages tactiles non nociceptifs véhiculés par les fibres degros calibre (A� et A�) bloquent les informations nocicep-tives (véhiculées par les fibres A� et C) à leur entrée dansla moelle épinière et leur « ferment la porte ». La réponsed’un neurone excité par un influx douloureux pourraitainsi être inhibée par un message simultané non noci-ceptif. Cette théorie pourrait expliquer une des actionsde l’acupuncture, l’application de froid ou de chaud, laneurostimulation (stimulation électrique transcutanée) ;

• il existe également dans la corne dorsale, des récepteursaux endorphines (ou endomorphines) dont l’activationentraînerait une puissante inhibition de la corne dorsale.Les endorphines sont un ligant naturel des récepteurs auxopiacés.

Contrôles d’origine supra-spinaleLes contrôles sont comme suit :• les voies descendantes inhibitrices : elles s’établissent à

partir de certaines régions du tronc cérébral qui sontà l’origine de voies descendantes essentiellement inhi-bitrices en direction de l’apex de la corne dorsale.La pharmacologie des neurotransmetteurs de toutes cesvoies n’est pas encore complètement connue mais lesmono-amines comme la sérotonine et la norépinephrinejouent un rôle primordial et provoquent la libération desubstances opioïdes endogènes ;

• au niveau thalamique : les mécanismes de contrôle àce niveau ne sont pas clairement élucidés. Le thalamus

représente également une structure de « filtrage » actuel-lement moins bien connue sur le plan physiologique ;

• d’autres contrôles inhibiteurs « diffus » sont induits par lanociception.

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ypes de douleurs [2]

n distingue plusieurs types de douleurs, qu’il est indis-ensable de reconnaître pour ne pas aboutir à des échecshérapeutiques :

ouleurs par excès de nociception

lles sont liées à une stimulation des fibres nociceptives avecn message nociceptif qui chemine normalement grâcel’intégrité du système nerveux. Ces douleurs sont les

lus fréquentes : la douleur est qualifiée de mécanique ou’inflammatoire. Lorsqu’elle est mécanique, elle est aggra-ée par le mouvement et calmée par le repos. La douleurnflammatoire prédomine la nuit ou le matin. L’examen peuteproduire la douleur. La sensibilité est normale.

ouleurs neuropathiques

lles sont souvent méconnues. Elles se distinguent des pré-édentes car résultant d’un dysfonctionnement de systèmeerveux périphérique ou central. Une étude portant surlus de 2000 personnes a montré que 31,7 % souffraient deouleurs chroniques dont 21,7 % étaient des douleurs neu-opathiques [4]. De manière générale, ces douleurs sontlus gênantes, plus prononcées et plus anciennes que lesouleurs non neuropathiques. Elles sont responsables d’uneltération franche de la qualité de vie [5]. En outre, leur noneconnaissance aboutit à un surcoût important. Le patientxprime des sensations de brûlures, de fourmillement, deécharges électriques. Elles s’accompagnent de troubles dea sensibilité dans le territoire douloureux, avec sensation’allodynie (douleur au toucher). À l’inverse, il peut exis-er une anesthésie douloureuse. Ces douleurs surviennenttout moment et sont parfois insomniantes. Les facteurs

limatiques et émotionnels aggravent ces sensations dou-oureuses. Le dépistage des douleurs neuropathiques estacilité par le questionnaire DN4 [6]. Le diagnostic de dou-eur neuropathique est validé à partir de quatre points.l s’agit d’un outil simple pour la pratique quotidienne etable : sensibilité à 82,9 %, spécificité à 89,9 % (Annexe 1).

ouleurs psychogènes

ppelées aussi sine materia (pas de désordre somatiqueetrouvé), elles témoignent d’un conflit psychique dont leatient n’a pas conscience. Diverses approches peuvent êtreroposées au patient : psychothérapie, thérapie cognitive etomportementale, médicaments, etc.). Il peut s’agir d’uneépression masquée, d’une névrose d’angoisse ou d’hystériesymptôme de conversion). Le symptôme douloureux doitéanmoins être pris en compte.

’évaluation de la douleur [7—9]

lle est indispensable à la prescription. C’est par son évo-ution que l’on pourra juger de l’efficacité du traitement

ntalgique. Elle est réalisée grâce à des échelles ou desrilles reconnues, qui diffèrent selon l’âge et l’état cognitifu patient. La même échelle doit être utilisée pour un mêmeatient. Quelle que soit l’échelle utilisée, son évaluation
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igure 2. Échelle verbale analogique.

oit être tracée, il s’agit d’une disposition réglementaireindicateur QHALHAS [10]) dans les établissements de santé.

utoévaluation : elle est faite par le patient7]

hez l’adulte : il est possible d’avoir recours à trois types’échelles :l’échelle visuelle analogique (EVA) : c’est la plus utili-sée et la plus fiable. Elle se présente sous forme d’uneréglette de 100 mm. À l’une des extrémités est indiqué :absence de douleur, à l’autre : douleur insupportable. Lepatient place un curseur entre ces deux extrémités enfonction de l’intensité de sa douleur à un temps donné.Cette échelle nécessite une bonne compréhension dupatient (Fig. 2) ;l’échelle numérique (EN) : quotation de la douleur de0 à 10. Elle est utile pour les patients n’ayant pas lacapacité d’abstraction nécessaire à l’utilisation de l’outilEVA. Le patient donne verbalement la note qui décrit lemieux l’importance de sa douleur. Une EVA ou EN infé-rieure ou égale à 4 est jugée modérée, comprise entre4 et 7 importante et supérieure à 7 intolérable ;l’échelle verbale simple (EVS) : parfois plus accessible aupatient, car moins abstraite. Elle propose quatre degrésqualificatifs hiérarchisés allant de douleur absente à dou-

leur intense en passant par douleur faible et modérée

Chez le jeune enfant une autoévaluation est possiblerâce à l’EVS ou à l’échelle des visages [9].

Tableau 1 Algoplus : échelle d’évaluation comporte-mentale de la douleur aiguë chez la personne âgéeprésentant des troubles de la communication verbale.

1. Froncement des sourcils, grimaces, crispation,mâchoires serrées, visage figé : oui/non

2. Regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant, pleurs,yeux fermés : oui/non

3. « Aie », « Ouille », « J’ai mal », gémissements, cris :oui/non

4. Retrait ou protection d’une zone, refus demobilisation, attitudes figées : oui/non

5. Agitation ou agressivité, agrippement : oui/nonUn total de Oui supérieur ou égal à 2 permet de

diagnostiquer une douleur

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M. Rafaa et al.

Ces échelles sont faciles et rapides d’emploi, et repro-uctibles.

étéroévaluation : ce sont des grilles’observations comportementales faitesar le soignant lorsque l’autoévaluationst impossible [8].

hez les personnes âgées ou handicapées non commu-icantes : ALGOPLUS est une échelle d’évaluation de laouleur aiguë (Tableau 1), ECPA est une grille d’évaluationtablie durant les soins : anticipation anxieuse aux soins,éactions pendant la mobilisation, réactions pendant lesoins des zones douloureuses, plaintes exprimées pendantes soins.

« DOLOPLUS 2 » est plus adaptée aux patients en longéjour et à la douleur chronique. Elle est conduite en équipesoignants et médecins). Elle comporte dix items côtés de 0 à. Un score supérieur à 5/30 est révélateur de douleur. Cetterille prend en compte le retentissement somatique : plainteomatique, positions antalgiques de repos, protection deones douloureuses, mimiques, sommeil, toilette et/ouabillage, mouvements et le retentissement psychosocial :ommunication, vie sociale, troubles du comportement.

Chez l’enfant de moins de quatre ans les échelles « DAN »,NFCS », « PIPP » sont adaptées à une douleur liée au soin duouveau-né, alors que « EDIN » est une échelle de la douleurhronique [9].

onflit d’intérêt

ucun.

nnexe 1. Questionnaire DN4.

our estimer la probabilité d’une douleureuropathique, le patient doit répondre à chaque itemes 4 questions ci dessous par « oui » ou « non »

uestion 1 : la douleur présente-t-elle une oulusieurs des caractéristiques suivantes ?. Brûlure ��. Sensation de froid douloureux ��. Décharges électriques ��uestion 2 : la douleur est-elle associée dans la même

égion à un ou plusieurs des symptômes suivants ?. Fourmillements ��. Picotements ��. Engourdissements ��. Démangeaisons ��uestion 3 : la douleur est-elle localisée dans un

erritoire où l’examen met en évidence. Hypoesthésie au tact ��. Hypoesthésie à la piqûre ��uestion 4 : la douleur est-elle provoquée ou

ugmentée par0. Le frottement ��ui = 1 point ; Non = 0 point / Score du Patient
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[indicateurs. 2010. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c 827025/ipaqss-mco-outils-necessaires-au-recueil-des-

Prise en charge de la douleur en dermatologie : aspects fond

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