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Problématique des marqueurs histopronostiques dans les tumeurs neuroendocrines digestives Histoprognostic factors in digestive neuroendocrine tumors J.-Y. Scoazec Service danatomie et cytologie pathologiques, hôpital Édouard-Herriot, hospices civils de Lyon, F-69437 Lyon cedex 03, France Reçu le 23 mai 2013 ; accepté le 9 septembre 2013 Abstract: The evaluation of progno- sis is essential for the management of a patient with a neuroendo- crine tumor, especially digestive, in which the risk of malignancy is significant. Three validated histo- prognostic factors are available from the pathological examination: morphological differentiation sta- tus, histological grade, and pTNM stage. Numerous prognostic bio- markers have been proposed in the literature but none has been transposed to clinical practice. In the same way, among the candidate predictive biomarkers, only MGMT is an emerging biomarker, which may be useful for the prediction of the response to temozolomide. Keywords: Neuroendocrine tu- mors Proliferation indexes Pro- gnostic factors Predictive bio- markers Résumé : Lévaluation du pronos- tic est un élément essentiel pour la prise en charge dun patient atteint de tumeur neuroendocrine, no- tamment digestive, où le risque de malignité est important. Les trois facteurs histopronostiques validés susceptibles dêtre fournis par lexamen anatomopatholo- gique sont : le degré de différen- ciation morphologique, le grade histologique et le stade pTNM. De nombreux biomarqueurs pronos- tiques ont été proposés, mais au- cun na été validé en pratique clinique. Cest aussi le cas pour les marqueurs prédictifs, parmi lesquels seule la MGMT fait figure de marqueur émergent pour la prédiction de la réponse au témo- zolomide. Mots clés : Tumeurs neuroendo- crines Index de prolifération Facteurs pronostiques Biomar- queurs prédictifs Le diagnostic de tumeur neuro- endocrine, comme celui de toute tumeur, repose sur lexamen anato- mopathologique. Il est générale- ment facile et repose sur des arguments morphologiques et immunohistochimiques aujour- dhui bien standardisés. La nature neuroendocrine de la prolifération tumorale est suspectée sur les caractéristiques morphologiques des cellules tumorales et de leur stroma (qui est habituellement hypervasculaire) et elle est confir- mée par lexpression de marqueurs diagnostiques sensibles et spéci- fiques, tels que la chromogranine A et la synaptophysine [7]. Cest après le diagnostic que commence la tâche la plus difficile du patholo- giste : celle de lévaluation du pro- nostic. Le spectre évolutif des tumeurs neuroendocrines est en effet très large, depuis des tumeurs bénignes dévolution extrêmement lente jusquà des tumeurs de très haut grade de malignité, associées à un très mauvais pronostic [11]. De plus, même lorsque la tumeur est maligne, sa vitesse de progression et son profil évolutif sont variables dun cas à lautre : certaines lésions évoluent rapidement et dun seul tenant, dautres au contraire pro- gressent secondairement après une phase initiale de stabilité appa- rente [11]. Un certain nombre de paramètres histologiques, tirés de lexamen anatomopathologique, peuvent aider à lévaluation du pronostic. Certains de ces facteurs histopronostiques ont été clinique- ment validés et doivent impérative- ment figurer dans le compte rendu anatomopathologique : il sagit notamment de la différenciation morphologique, du grade histolo- gique et du stade pTNM. Cest sur ces facteurs que nous nous concen- trerons, dautant que la combinai- son des deux premiers, différencia- tion et grade, forme la base de lactuelle classification OMS des tumeurs neuroendocrines digesti- ves [15]. Beaucoup de candidats biomarqueurs ont été proposés dans la littérature, le plus souvent comme marqueurs pronostiques, parfois comme marqueurs prédic- tifs, mais leur intérêt clinique na pas été (encore) établi : nous en ferons un tour dhorizon rapide. Premier facteur histopronostique : différenciation morphologique Les classifications actuelles des tumeurs neuroendocrines, quelle que soit leur localisation, opposent deux groupes de tumeurs : les lésions peu différenciées, constamment de haut grade de malignité et associées à un très mauvais pronostic ; Correspondance : [email protected] Dossier Thematic file Oncologie (2013) 15: 510514 © Springer-Verlag France 2013 DOI 10.1007/s10269-013-2332-4 510

Problématique des marqueurs histopronostiques dans les tumeurs neuroendocrines digestives; Histoprognostic factors in digestive neuroendocrine tumors;

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Problématique des marqueurs histopronostiquesdans les tumeurs neuroendocrines digestives

Histoprognostic factors in digestive neuroendocrine tumorsJ.-Y. Scoazec

Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Édouard-Herriot, hospices civils de Lyon,

F-69437 Lyon cedex 03, France

Reçu le 23 mai 2013 ; accepté le 9 septembre 2013

Abstract: The evaluation of progno-

sis is essential for the management

of a patient with a neuroendo-

crine tumor, especially digestive, in

which the risk of malignancy is

significant. Three validated histo-

prognostic factors are available

from the pathological examination:

morphological differentiation sta-

tus, histological grade, and pTNM

stage. Numerous prognostic bio-

markers have been proposed in

the literature but none has been

transposed to clinical practice. In

the sameway, among the candidate

predictive biomarkers, only MGMT

is an emerging biomarker, which

may be useful for the prediction of

the response to temozolomide.

Keywords: Neuroendocrine tu-

mors – Proliferation indexes – Pro-

gnostic factors – Predictive bio-

markers

Résumé : L’évaluation du pronos-

tic est un élément essentiel pour la

prise en charge d’un patient atteint

de tumeur neuroendocrine, no-

tamment digestive, où le risque

de malignité est important. Les

trois facteurs histopronostiques

validés susceptibles d’être fournis

par l’examen anatomopatholo-

gique sont : le degré de différen-

ciation morphologique, le grade

histologique et le stade pTNM. De

nombreux biomarqueurs pronos-

tiques ont été proposés, mais au-

cun n’a été validé en pratique

clinique. C’est aussi le cas pour

les marqueurs prédictifs, parmi

lesquels seule la MGMT fait figure

de marqueur émergent pour la

prédiction de la réponse au témo-

zolomide.

Mots clés : Tumeurs neuroendo-

crines – Index de prolifération –

Facteurs pronostiques – Biomar-

queurs prédictifs

Le diagnostic de tumeur neuro-

endocrine, comme celui de toute

tumeur, repose sur l’examen anato-

mopathologique. Il est générale-

ment facile et repose sur des

arguments morphologiques et

immunohistochimiques aujour-

d’hui bien standardisés. La nature

neuroendocrine de la prolifération

tumorale est suspectée sur les

caractéristiques morphologiques

des cellules tumorales et de leur

stroma (qui est habituellement

hypervasculaire) et elle est confir-

mée par l’expression demarqueurs

diagnostiques sensibles et spéci-

fiques, tels que la chromogranine

A et la synaptophysine [7]. C’est

après le diagnostic que commence

la tâche la plus difficile du patholo-

giste : celle de l’évaluation du pro-

nostic. Le spectre évolutif des

tumeurs neuroendocrines est en

effet très large, depuis des tumeurs

bénignes d’évolution extrêmement

lente jusqu’à des tumeurs de très

haut grade de malignité, associées

à un trèsmauvais pronostic [11]. De

plus, même lorsque la tumeur est

maligne, sa vitesse de progression

et son profil évolutif sont variables

d’un cas à l’autre : certaines lésions

évoluent rapidement et d’un seul

tenant, d’autres au contraire pro-

gressent secondairement après

une phase initiale de stabilité appa-

rente [11]. Un certain nombre de

paramètres histologiques, tirés de

l’examen anatomopathologique,

peuvent aider à l’évaluation du

pronostic. Certains de ces facteurs

histopronostiques ont été clinique-

ment validés et doivent impérative-

ment figurer dans le compte rendu

anatomopathologique : il s’agit

notamment de la différenciation

morphologique, du grade histolo-

gique et du stade pTNM. C’est sur

ces facteurs que nous nous concen-

trerons, d’autant que la combinai-

son des deux premiers, différencia-

tion et grade, forme la base de

l’actuelle classification OMS des

tumeurs neuroendocrines digesti-

ves [15]. Beaucoup de candidats

biomarqueurs ont été proposés

dans la littérature, le plus souvent

comme marqueurs pronostiques,

parfois comme marqueurs prédic-

tifs, mais leur intérêt clinique n’a

pas été (encore) établi : nous en

ferons un tour d’horizon rapide.

Premier facteur

histopronostique :

différenciation morphologique

Les classifications actuelles des

tumeurs neuroendocrines, quelle

que soit leur localisation, opposent

deux groupes de tumeurs :

– les lésions peu différenciées,

constamment de haut grade de

malignité et associées à un très

mauvais pronostic ;Correspondance : [email protected]

Dossier

Them

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file

■Oncologie (2013) 15: 510–514© Springer-Verlag France 2013DOI 10.1007/s10269-013-2332-4

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– les lésions bien différenciées,

dont le profil évolutif est beaucoup

plus variable, de bénin à malin, et

ne peut être prédit par l’aspect

morphologique seul [15].

L’intérêt de reconnaître les for-

mes peu différenciées va au-delà

du seul intérêt pronostique : il est

aussi prédictif, puisque ces tumeurs

relèvent d’une approche thérapeu-

tique spécifique et standardisée,

basée sur la chimiothérapie combi-

nant VP16 et cisplatine [10].

Chacun de ces deux grands

groupes de tumeurs, bien et peu dif-

férenciées, présente un certain

degré d’hétérogénéité morpholo-

gique. Depuis plusieurs années, il

a été reconnu deux sous-types de

carcinomes neuroendocrines peu

différenciés thoraciques, à petites

ou à grandes cellules. L’exis-

tence de ces deux sous-types a été

plus récemment admise dans la

sphère gastroentéropancréatique

[15]. Autant le diagnostic de carci-

nome à petites cellules repose sur

des critères reproductibles, autant

celui de carcinomes à grandes

cellules peut s’avérer parfois diffi-

cile, faute de critères simples et uni-

voques : les lésions réunies sous ce

terme présentent un spectre relati-

vement diversifié d’aspects mor-

phologiques, ce qui témoigne du

caractère probablement artificiel

de ce groupe. De même, les

tumeurs bien différenciées présen-

tent des aspects variables. Certai-

nes particularités morphologiques

sont associées à la localisation ana-

tomique et/ou à la différenciation

fonctionnelle : les tumeurs entéro-

chromaffines de l’iléon ne ressem-

blent pas aux insulinomes pancréa-

tiques typiques. D’autres variations

sont associées à des activités proli-

fératives élevées : densité cellulaire

augmentée, rapport nucléocyto-

plasmique élevé, atypies nucléaires

sont généralement associés à la

présence d’un nombre significatif

demitoses.Cesformes«atypiques»

sont fréquemment dénommées

« moyennement différenciées »

dans la littérature anglo-saxonne,

mais ce terme n’a jamais été

admis, et encore moins défini, par

les classifications OMS officielles.

Le diagnostic différentiel entre

formes bien et peu différenciées

est facile aux extrêmes, devant

une tumeur neuroendocrine bien

différenciée typique ou un carci-

nome neuroendocrine à petites cel-

lules. Il peut être plus difficile entre

une forme « bien différenciée » à

forte activité proliférative et une

variante de carcinome neuroendo-

crine à grandes cellules. Une autre

cause dedifficultés dans le diagnos-

tic différentiel est constituée par

les artefacts liés à certains types

de prélèvements et notamment

aux prélèvements biopsiques : les

cellules neuroendocrines, fragiles,

sont en effet facilement altérées ou

écrasées lors d’une biopsie. Les

altérations cellulaires peuvent

alors être facilement surinterpré-

tées en faveur du diagnostic de

tumeur peu différenciée : dans ces

situations, il faut vérifier la cohé-

rence entre la suspicion diagnos-

tique et les indices de prolifération

(les carcinomes neuroendocrines

peu différenciés sont toujours asso-

ciés à des capacités prolifératives

élevées) et éventuellement s’aider

de marqueurs immunohistochi-

miques supplémentaires, comme

la protéine p53, qui est habituelle-

ment positive dans les tumeurs

neuroendocrines peu différenciées,

mais négative dans les formes bien

différenciées [7].

Les erreurs d’évaluation de la

différenciation sont l’une des sour-

ces principales de discordances

dans l’examen anatomopatholo-

gique d’une tumeur neuroendo-

crine : c’est ce que confirme l’expé-

rience du réseau de relecture des

tumeurs neuroendocrines mis en

place à l’initiative de l’Institut natio-

nal du cancer. Il s’agit plus souvent

d’un « sur-diagnostic » de tumeur

peu différenciée que de l’inverse.

Le message pour les cliniciens est

donc clair : en cas de diagnostic de

tumeur neuroendocrine peu diffé-

renciée, notamment sur biopsie,

bien vérifier la cohérence avec les

indexdeprolifération et nepashési-

ter à demander confirmation du

diagnostic par une seconde lecture.

Il apparaît de plus en plus pro-

bable que les deux groupes de

tumeurs neuroendocrines, bien et

peu différenciées, ne correspon-

dent pas aux deux extrêmes d’un

même spectre, mais à deux entités

différentes, relevant de mécanis-

mes moléculaires distincts [23]. Si

cette hypothèse se vérifie, il faudra

se repencher sur la morphologie

des tumeurs dites bien différen-

ciées, de façon à mieux décrire

leur variabilité et être capables de

proposer des critères reproducti-

bles permettant d’identifier les for-

mes « moyennement différen-

ciées », habituellement associées à

des capacités prolifératives élevées.

Grade histologique

La notion de grade histologique a

été proposée pour la première fois,

dans le cadre des tumeurs neuroen-

docrines digestives, en 2006, avec

un objectif bien précis : affiner l’éva-

luation du pronostic de ce qui était

appelé alors les carcinomes endo-

crines bien différenciés, c’est-

à-dire les tumeurs neuroendocrines

bien différenciées associées à des

signes objectifs de malignité (inva-

sion locale et/ou métastases) [16].

Aujourd’hui, le grade histologique

est devenu, avec la différenciation

morphologique, l’un des deux critè-

res utilisés pour la classification des

tumeurs neuroendocrines digesti-

ves selon l’OMS [15].

Dans les tumeurs neuroendocri-

nes digestives, le grade histolo-

gique est défini par la combinaison

de deux indices de prolifération,

l’index mitotique et l’index Ki67

(Ki67 est un anticorps dirigé contre

une protéine nucléaire encore

assez mal connue, exprimée par

les cellules en prolifération, pen-

dant toutes les phases du cycle cel-

lulaire, de la phase G1 à la phase

M). Rappelons que dans la classifi-

cation des tumeurs neuroendocri-

nes pulmonaires, seul l’index mito-

tique est utilisé et que l’index Ki67

n’a pas droit de cité.

Le grade histologiquepermet de

distinguer trois groupes de tumeurs

neuroendocrines digestives :

– les tumeurs de grade 1, peu

prolifératives ;

Synthèse

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article

511

– les tumeurs de grade 2, à

capacités de prolifération intermé-

diaires ;

– les tumeurs de grade 3, à forte

activité proliférative (Tableau 1).

Tous les carcinomes neuroen-

docrines peu différenciés, quel que

soit leur sous-type histologique,

sont de grade 3. Les tumeurs bien

différenciées se répartissent entre

grade 1 et grade 2 ; certaines sont

même de grade 3.

La valeur pronostique du grade

histologique a été démontrée par

de nombreuses études [3–5,12,18].

Le grade histologique est corrélé

avec la survie et avec le risque de

récidive, notamment après chirur-

gie. En revanche, la valeur prédic-

tive du grade histologique reste

encore discutée. L’existence d’un

grade histologique élevé et de capa-

cités de prolifération importantes

est aujourd’hui souvent un argu-

ment pour traiter une tumeur neu-

roendocrine maligne bien différen-

ciée par chimiothérapie plutôt que

par chirurgie ou traitements locaux,

mais le bien-fondé de cette attitude

reste à démontrer.

La démonstration de l’impor-

tance pronostique du grade histolo-

gique a amené beaucoup d’équipes

à s’interroger sur les conditions de

sa détermination, sur sa reproducti-

bilité et sur les pièges éventuels

pouvant entraîner des erreurs

d’évaluation. En pratique, même si

le grade est fondé sur la combinai-

son de deux indices de proliféra-

tion, c’est surtout sur l’index Ki67

que l’intérêt des cliniciens et des

pathologistes s’est concentré.

C’est en effet l’indice le plus popu-

laire des deux et celui qui apparaît

comme le plus simple à déterminer.

Par ailleurs, les limites et les difficul-

tés de la détermination de l’index

mitotique sont bien connues à tra-

vers l’expérience acquise dans de

nombreux autres types de

tumeurs… y compris les tumeurs

neuroendocrines pulmonaires, où

il reste le seul critère admis de clas-

sification. Qu’avons-nous appris

des nombreux travaux récents à

propos de la fiabilité de l’index

Ki67 ? Un effort de standardisation

est à faire dans les techniques de

détection et de mise en évidence.

Parmi les différentes méthodes de

comptage disponibles (évaluation

simple au « coup d’oeil », comptage

visuel, comptage automatisé par

logiciel d’analyse d’images),

aucune ne présente un avantage

définitif et toutes donnent des résul-

tats comparables [22]. La reproduc-

tibilité des comptages intra- et inter-

observateurs est acceptable. Il

existe des variations, parfois impor-

tantes, dans la densité de cellules

exprimant Ki67 au sein d’une

même lésion, primitive oumétasta-

tique [2]. L’intérêt de tenir compte

des valeurs maximales dans les

zones de plus forte densité (hotspots), plutôt que de considérer

une valeur moyenne, a été démon-

tré [3,24]. L’hétérogénéité intratu-

morale peut entraîner une sous-

estimation du grade histologique

sur un prélèvement ciblé, s’il est

insuffisamment représentatif ; ce

risque a été estimé à 50 % pour les

biopsies ciblées de métastases

hépatiques [24]. Il peut exister éga-

lement des différences, parfois

significatives, de capacités de proli-

fération et de grade histologique

entre une lésion primitive et ses

métastases [2,3]. Cette notion

amène à poser la question de l’inté-

rêt debiopsier (ou rebiopsier) systé-

matiquement les lésions métasta-

tiques avant toute décision

thérapeutique, notamment lorsque,

comme c’est souvent le cas dans

les tumeurs neuroendocrines, la

tumeur primitive a été réséquée de

nombreuses années auparavant.

Le grade histologique est appelé

à évoluer, avec l’accumulation

d’études cliniques qui permettent

notamment d’affiner les valeurs

les plus pertinentes pour fixer les

seuils séparant les différents grou-

pes pronostiques. Il est ainsi pro-

bable que les seuils seront adaptés

à chaque localisation anatomique

et que des valeurs différentes, plus

significatives (par exemple, 5 % au

lieu de 2%pour la limite entre G1 et

G2), seront adoptées [18]. Il est éga-

lement probable que la valeur pro-

nostique et l’intérêt de l’index Ki67

seront démontrés dans d’autres

localisations que les localisations

gastroentéropancréatiques.

Stade pTNM

Ce n’est que récemment qu’une

classification TNM a été proposée

pour les tumeurs neuroendocri-

nes. L’ENETS a fait les premières

propositions en 2006 [16,17].

L’Union internationale contre le

cancer (UICC) a intégré pour la pre-

mière fois les tumeurs neuroendo-

crines dans la septième édition de

sa classification officielle, valable

depuis le 1er janvier 2010 [19]. Il

existe malheureusement des diffé-

rences entre ces deux classifica-

tions. L’UICC ne propose en fait de

classification TNM spécifique que

pour les tumeurs neuroendocrines

bien différenciées du tube digestif ;

cette classification ressemble de

près à celle de l’ENETS, sauf pour

l’appendice où les différences

sont importantes. Pour l’UICC, les

tumeurs neuroendocrines peu dif-

férenciées, quelle que soit leur loca-

lisation, sont à classer comme les

carcinomes d’autres types et de

même site anatomique alors que

pour l’ENETS, elles sont à classer

comme les tumeurs neuroendocri-

nes bien différenciées. Enfin, pour

l’UICC, les tumeurs neuroendocri-

nes bien différenciées du pancréas

(et du poumon) sont également à

classer comme les carcinomes

d’autres types histologiques de

même localisation anatomique.

L’intérêt pronostique des classifica-

tions TNM, ENETS et UICC, a été

validé par des études rétrospecti-

ves. La comparaison directe de ces

deux classifications a montré que

leur valeur pronostique était globa-

lement comparable [14,20,21]. Le

pathologiste peut donc choisir

d’utiliser la classification qu’il sou-

haite (voire les deux) à condition

Tableau 1. Grade histologique se-lon l’ENETS

?

Index mitotique(/10 HPF ou 2 mm2)

Index Ki67(%)

G1 < 2 ≤ 2G2 2–20 3–20G3 > 20 > 20

?

HPF : champ à fort grandissement.

Dossier

Them

atic

file

512

d’expliciter clairement laquelle est

effectivement employée.

Vers l’identification

et la validation

de biomarqueurs

pronostiques ?

De très nombreux biomarqueurs

ont été proposés comme mar-

queurs pronostiques dans les

tumeurs neuroendocrines digesti-

ves. Cependant, faute de validation

clinique, aucun d’entre eux n’a jus-

qu’à présent franchi l’étape du

transfert au diagnostic. Citons quel-

ques exemples récents. Certains

sont des marqueurs « phénotypi-

ques », susceptibles d’être mis en

évidence par immunohistochimie.

Un exemple particulièrement étu-

dié est celui de la protéine kit et

de la cytokératine 19, considérées

comme des facteurs de mauvais

pronostic dans les tumeurs neu-

roendocrines pancréatiques et

dont la combinaison permettrait

d’identifier un groupe de particuliè-

rement mauvais pronostic [25].

D’autres sont des marqueurs molé-

culaires. La présence de mutations

des gènesMEN1 et/ouDAXX/ATRXserait un facteur de bon pronostic

dans les tumeurs neuroendocrines

pancréatiques [6]. Le gain du chro-

mosome 14, susceptible d’être mis

en évidence par FISH, serait un fac-

teur de mauvais pronostic dans les

tumeurs neuroendocrines de l’iléon

[1], de même que les pertes alléli-

ques du chromosome X dans les

tumeurs neuroendocrines de l’in-

testin antérieur [13]. Un dernier

exemple est celui de la densité

microvasculaire intratumorale : au

contraire de ce qui est observé

dans les autres tumeurs malignes,

une densité vasculaire élevée serait

un facteur debonpronostic dans les

tumeurs neuroendocrines pancréa-

tiques [9].

Vers l’identification

et la validation

de biomarqueurs prédictifs ?

L’avènement des thérapies ciblées

a entraîné un effort considérable

pour la recherche de biomarqueurs

prédictifs de la réponse au traite-

ment. Les tumeurs neuroendocri-

nes digestives, pour lesquelles

trois principaux types de thérapies

ciblées sont actuellement disponi-

bles (antiangiogéniques, inhibi-

teurs de mTOR, inhibiteurs de

récepteurs tyrosine-kinase), n’ont

pas échappé à la règle. Aucun des

marqueurs candidats, quelle que

soit la voie impliquée, n’a cepen-

dant franchi pour l’instant les éta-

pes nécessaires au passage en

clinique.

Parallèlement au développe-

ment des thérapies ciblées, un

regain d’intérêt pour les chimiothé-

rapies « conventionnelles » s’est

manifesté dans le domaine des

tumeurs neuroendocrines digesti-

ves. La plupart d’entre elles utilisent

des agents utilisés dans d’autres

tumeurs. Paradoxalement, alors

que la recherche de facteurs prédic-

tifs de la réponse à ces agents

est très active dans beaucoup de

types de tumeurs, elle est beau-

coup moins développée dans les

tumeurs neuroendocrines digesti-

ves. Le seul candidat émergent

dans ce domaine est la MGMT,

enzyme capable de réparer les

lésions de l’ADN dues aux agents

alkylants et notamment au témozo-

lomide. L’absence d’expression de

MGMT, habituellement associée à

l’hyperméthylation de son promo-

teur, serait un facteur prédictif

de réponse au témozolomide, au

moins dans les tumeurs neuroen-

docrines pancréatiques [8]. Toute-

fois, la difficulté de standardisation

des techniques immunohistochi-

miques et/ou moléculaires néces-

saires à l’étude de MGMT et de

son gène ralentissent leur transfert

vers la pratique clinique.

Conclusion

Trois informations tirées de

l’examen anatomopathologique

conventionnel sont indispensables

à l’évaluation du pronostic des

tumeurs neuroendocrines digesti-

ves et de leur risque évolutif : diffé-

renciation morphologique, grade

histologique et stade pTNM. Ces

critères seront probablement sup-

plantés, ou complétés, par des bio-

marqueurs pronostiques et prédic-

tifs… lorsque ceux-ci auront été

identifiés et validés.

Conflit d’intérêt : l’auteur

déclare ne pas avoir de conflit

d’intérêt.

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Synthèse

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