4
CAPAVOCAT CORRECTION DU GALOP DE PROCEDURE CIVILE N° 5 DU LUNDI 30 AOUT 2010 IEJ RENNES SUJET N° 2 : Commentaire composé des arrêts rendus le 8 avril 2008 et le 8 avril 2010 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation Dans l’arrêt du 8 avril 2008, M. X..., sous traitant, assigne le 22 novembre 2004, la société Quille, entreprise principale en paiement d'un solde de travaux. Puis il cesse ses activités le 31 décembre 2004 et donné son fonds de commerce en location-gérance à la société Fermetures Christophe. M. X... est débouté de sa demande par jugement du 10 juin 2005, mais c’est la société Fermetures Christophe en a interjeté appel. La Cour d’appel considère que la société Fermetures Christophe a été représentée M. X. en première instance et a donc qualité pour interjeter appel du jugement. Un ayant-cause à titre particulier est-il représenté par son auteur dans une procédure antérieure au contrat en cause ? Au visa de l’article 546 du Code de procédure civile, la Cour de cassation considère que l'ayant cause à titre particulier n'est pas représenté par son auteur pour les actes accomplis dans une procédure relative au bien donné en location-gérance. Dans l’arrêt du 8 avril 2010, La société Le Caveau a conclu un bail commercial avec Mme X. Cette société agit en remboursement du trop perçu des loyers versés à Mme X. le 20 octobre 2003. La société demanderesse sollicite également le libre accès d’une partie des locaux loués. Mme X. forme une demande reconventionnelle relative au paiement d’arriérés de loyers. Mme X. réclame aussi la validation du congé délivré le 19 avril 2003 avec refus de renouvellement et sans indemnité d’éviction pour motifs graves et légitimes, ainsi que la résiliation judiciaire du bail à titre subsidiaire. La société Le Caveau présente également une demande additionnelle relative au paiement d’une indemnité d’éviction. En première instance, la demande reconventionnelle de Mme X. est jugée irrecevable, faute de présenter un lien suffisant avec la demande principale, tout comme la demande additionnelle de la société Le Caveau. Celle-ci fait appel de ce chef de jugement, mais son appel est également rejeté. La Cour d’appel considère ainsi que le rejet de la demande reconventionnelle de Mme X. ne fait pas grief à la société Le Caveau, de sorte que celle-ci ne peut attaquer ce chez de jugement. Une partie peut-elle faire appel du jugement rejetant les prétentions de l’autre partie, lorsque ce rejet a entraîné celui de la demande additionnelle de l’appelant ? Au visa des articles 546 alinéa 1, 561 et 562 alinéa 2 du Code de procédure civile, la Cour de cassation relève que la société Le Caveau avait intérêt à interjeter appel dans la mesure où ses prétentions n’avaient pas été totalement accueillies en première instance. En outre, elle précise qu’en tout état de cause l’effet dévolutif de l’appel conduit à saisir la Cour d’appel de la totalité du litige. Les deux arrêts proposés invitent à réfléchir sur la spécificité des règles applicables en appel. L’appel permet d’assurer le double degré de juridiction. Tout plaideur a droit à ce que son procès fasse l’objet d’un second examen complet devant des juges supérieurs à ceux qui ont statué dans un premier temps.

Procedure Civile Corrige Galop No5 - IEJ Rennes

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Procedure Civile Corrige Galop No5 - IEJ Rennes

CAPAVOCAT CORRECTION DU GALOP DE PROCEDURE CIVILE N° 5

DU LUNDI 30 AOUT 2010 IEJ RENNES

SUJET N° 2 : Commentaire composé des arrêts rendus le 8 avril 2008 et le 8 avril 2010 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation Dans l’arrêt du 8 avril 2008, M. X..., sous traitant, assigne le 22 novembre 2004, la société Quille, entreprise principale en paiement d'un solde de travaux. Puis il cesse ses activités le 31 décembre 2004 et donné son fonds de commerce en location-gérance à la société Fermetures Christophe. M. X... est débouté de sa demande par jugement du 10 juin 2005, mais c’est la société Fermetures Christophe en a interjeté appel. La Cour d’appel considère que la société Fermetures Christophe a été représentée M. X. en première instance et a donc qualité pour interjeter appel du jugement. Un ayant-cause à titre particulier est-il représenté par son auteur dans une procédure antérieure au contrat en cause ? Au visa de l’article 546 du Code de procédure civile, la Cour de cassation considère que l'ayant cause à titre particulier n'est pas représenté par son auteur pour les actes accomplis dans une procédure relative au bien donné en location-gérance. Dans l’arrêt du 8 avril 2010, La société Le Caveau a conclu un bail commercial avec Mme X. Cette société agit en remboursement du trop perçu des loyers versés à Mme X. le 20 octobre 2003. La société demanderesse sollicite également le libre accès d’une partie des locaux loués. Mme X. forme une demande reconventionnelle relative au paiement d’arriérés de loyers. Mme X. réclame aussi la validation du congé délivré le 19 avril 2003 avec refus de renouvellement et sans indemnité d’éviction pour motifs graves et légitimes, ainsi que la résiliation judiciaire du bail à titre subsidiaire. La société Le Caveau présente également une demande additionnelle relative au paiement d’une indemnité d’éviction. En première instance, la demande reconventionnelle de Mme X. est jugée irrecevable, faute de présenter un lien suffisant avec la demande principale, tout comme la demande additionnelle de la société Le Caveau. Celle-ci fait appel de ce chef de jugement, mais son appel est également rejeté. La Cour d’appel considère ainsi que le rejet de la demande reconventionnelle de Mme X. ne fait pas grief à la société Le Caveau, de sorte que celle-ci ne peut attaquer ce chez de jugement. Une partie peut-elle faire appel du jugement rejetant les prétentions de l’autre partie, lorsque ce rejet a entraîné celui de la demande additionnelle de l’appelant ? Au visa des articles 546 alinéa 1, 561 et 562 alinéa 2 du Code de procédure civile, la Cour de cassation relève que la société Le Caveau avait intérêt à interjeter appel dans la mesure où ses prétentions n’avaient pas été totalement accueillies en première instance. En outre, elle précise qu’en tout état de cause l’effet dévolutif de l’appel conduit à saisir la Cour d’appel de la totalité du litige. Les deux arrêts proposés invitent à réfléchir sur la spécificité des règles applicables en appel. L’appel permet d’assurer le double degré de juridiction. Tout plaideur a droit à ce que son procès fasse l’objet d’un second examen complet devant des juges supérieurs à ceux qui ont statué dans un premier temps.

Page 2: Procedure Civile Corrige Galop No5 - IEJ Rennes

L’appel est donc très largement ouvert et il opère une très large dévolution. Mais il serait erroné de voir dans l’appel un droit abstrait. L’appel est une voie de recours et à ce titre, il s’ordonne à partir du jugement qui en fait l’objet. Ces deux aspects conduisent à influencer le régime juridique de l’appel : le juge du second degré connaît en principe l’intégralité du litige, sans qu’il ne soit possible de ne pas tenir compte de la décision rendue en première instance. En effet, l’office du juge d’appel peut être conçu différemment. Il est possible d’y voir une simple voie de réformation du jugement attaqué, ce qui implique que la Cour d’appel ne peut connaître que le litige qui a été vu en première instance, sans possibilité d’évolution. A l’inverse, on peut analyser l’appel comme une voie d’achèvement du litige permettant d’aller au-delà de la première instance et de trancher toutes les questions entre les parties concernées, y compris si elles comportent des éléments de nouveauté. Les règles de la procédure civile française sont marquées par les deux tendances, tant au niveau de la recevabilité de l’appel (I), qu’au niveau de son effet dévolutif (II). I. La recevabilité de l’appel L’appel fait l’objet de conditions spécifiques de recevabilité (A) qui ne restreignent pas forcément son exercice (B)

A. Des conditions spécifiques de recevabilité Pour pouvoir interjeter appel, des conditions de recevabilité doivent être respectées, comme le prouve les arrêts du 8 avril 2008 et du 8 avril 2010. Ainsi, l’arrêt du 8 avril 2008 est rendu au visa de l’article 546 du Code de procédure civile. Selon ce texte, sauf renonciation, le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt. Ce texte fait écho à l’article 31 relatif à l’action en justice dont l’existence dépend de l’intérêt à agir. En effet, l’action en justice nécessite de faire la preuve d’un intérêt au rejet d’une prétention. Néanmoins, le droit au juge se distingue ici du droit à une voie de recours. Lors de l’exercice d’une voie de recours, l’intérêt à agir s’apprécie par rapport à la décision attaquée. A l’inverse, le droit au juge conduit à apprécier l’intérêt par rapport aux attentes du justiciable. En effet, l’intérêt à agir, au sens de l’article 31 du CPC, c’est l’avantage poursuivi devant le juge si celui-ci reconnaît la prétention bien-fondée. L’intérêt à agir n’est pas la seule condition de recevabilité. L’appelant doit encore justifier d’une qualité pour agir particulière : il doit avoir eu la qualité de partie en première instance ou du moins avoir été représenté. Dans l’arrêt du 8 avril 2008, la Cour de cassation a considéré que l’ayant-cause à titre particulier n’est pas représenté par son auteur dans le cadre d’une procédure antérieure au contrat ayant donné lieu à la transmission du droit ou du bien en cause. La Cour de cassation retient une approche assez restrictive car on pourrait considérer que le locataire-gérant a vocation à participer à la procédure en cause qui concerne le fonds qu’il exploite. Néanmoins, la solution se comprend aisément : le fonds de commerce n’a pas été cédé et l’action en justice en cause n’a pas été transmise. L’indépendance juridique des deux personnes justifie également la solution : le locataire-gérant aurait pu seulement intervenir à la procédure, intervention à titre accessoire venant au soutien de la demande de M. X. Toujours est-il que ces conditions de recevabilité sont jugées conformes à la Convention européenne des droits de l’homme, puisque la Cour européenne considère que les Etats parties peuvent encadrer l’exercice d’une voie de recours, à condition que sa mise en œuvre ne soit pas rendue impossible. Cependant, la Convention EDH ne consacre pas le principe du double degré de juridiction.

Page 3: Procedure Civile Corrige Galop No5 - IEJ Rennes

B. Des conditions favorisant une large recevabilité La solution rendue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 8 avril 2010 conduit à admettre l’intérêt à agir de l’appelant dès que celui-ci voit ses prétentions rejetées en première instance, totalement ou partiellement, sans tenir compte du contenu du jugement. Peu importe que le rejet partiel des prétentions de l’appelant repose sur l’irrecevabilité d’une demande de l’intimé. La jurisprudence pose donc une véritable présomption de l’intérêt à agir de l’appelant, dès lors que ses prétentions ont été rejetées. Cette solution n’est pas nouvelle. Dans un arrêt du 3 octobre 1989, la Cour de cassation avait considéré qu’une partie a intérêt à faire appel dès lors que ses prétentions n’ont pas été complètement accueillies. De la même façon, l’intérêt de l’appelant s’apprécie au jour de la déclaration d’appel (Civ. 1re, 14 mars 1981), sans prendre en considération l’exécution provisoire du jugement attaqué (Com. 13 avril 2007). La jurisprudence de la Cour de cassation admet ainsi que le procès se prolonge sur les demandes incidentes alors que la demande initiale a été retenue. La position de la Cour de cassation appelle quelques remarques. En premier lieu, elle confirme que le principe de l’immutabilité du litige connaît de nombreux assouplissements. En effet, le principe contenu à l’article 4 signifie que le litige est défini par les parties dès le début du procès du procès civil et qu’il ne peut évoluer. Ce principe connaît de nombreux aménagements dont les demandes reconventionnelles et les demandes additionnelles sont les principales illustrations. La demande reconventionnelle est celle par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire (art. 64 CPC). Formée par le défendeur, elle lui permet de modifier l’objet du litige et de faire l’économie d’un procès. La demande additionnelle est celle par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures (art. 65 CPC). En deuxième lieu, la solution confirme que le régime des demandes incidentes ne suit pas toujours le régime de la demande initiale. Si l’irrecevabilité de la demande initiale entraîne en principe l’irrecevabilité des demandes incidentes, il reste que les demandes incidentes témoignent d’une certaine autonomie procédurale. C’est le cas de certaines demandes reconventionnelles qui survivent à l’irrecevabilité de la demande initiale, lorsqu’elles ne contestent pas les prétentions exprimées dans la demande principale. C’est également le cas en cas d’appel des demandes additionnelles comme le prouve l’arrêt du 8 avril 2010. En appel, les demandes incidentes formulées en première instance peuvent être examinées indépendamment du sort de la demande initiale. Cela sera notamment le cas lorsque l’appel sera formulé seulement contre certains chefs de jugement. Cela sera également le cas lorsque l’appelant a vu sa demande principale retenue et sa demande additionnelle rejetée. En troisième lieu, les solutions de la Cour de cassation montrent que la conception française de l’appel oscille entre la voie de réformation et la voie d’achèvement. En traitant les demandes incidentes qui ont été rejetées en première instance, la Cour d’appel réforme le jugement de première instance. Mais en traitant les demandes incidentes rejetées en première instance alors que la demande principale a été retenue, la Cour d’appel permet l’achèvement du litige. II. L’effet dévolutif de l’appel Comme le rappelle la Cour de cassation, l’appel provoque en principe un effet dévolutif total (A). Par exception, cet effet peut être limité (B). A. L’effet dévolutif total L’arrêt du 8 avril 2010 est rendu au visa de l’article 561 du Code de procédure civile qui précise que l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’elle statue à nouveau en fait et en droit.

Page 4: Procedure Civile Corrige Galop No5 - IEJ Rennes

Ce texte consacre donc l’effet dévolutif de l’appel qui a été méconnu en l’espèce par la juridiction du second degré. En effet, en rejetant l’appel de la société Le Caveau pour défaut d’intérêt, la juridiction du second degré n’a pas tiré les conséquences de l’effet dévolutif. L’effet dévolutif marque le dessaisissement du juge de première instance et constitue une véritable obligation pour le juge d’appel : sa saisine l’oblige à statuer, sauf si l’appel est irrecevable. Néanmoins, l’adage « Tantum devolutum, quantum judicatum » trouve à s’appliquer : il n’est dévolu qu’autant qu’il a été jugé. Cet adage rappelle qu’en principe l’objet du litige en appel se limite à celui qui fut soumis à la décision du juge de première instance. Cette conception de l’appel correspond à celle du droit romain. Elle s’oppose à la conception germanique de l’appel qui voit dans celui-ci une seconde première instance, qui autorise toutes sortes de modifications, à la fois quant aux personnes, mais aussi quant à l’objet des prétentions. C’est la conception romaine qui a été retenue en droit français, comme le prouve l’interdiction de principe des demandes nouvelles en appel (art. 564 CPC). Dans son arrêt du 8 avril 2010, la Cour de cassation fait référence à l’article 562 alinéa 2 du Code de procédure civile. Selon ce dernier texte, l’effet dévolutif de l’appel s’opère pour le tout « lorsque l’appel n’est pas limité à certains chefs, lorsqu’il tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ». Autrement dit, l’article 562 alinéa 2 revient au principe (l’effet dévolutif pour le tout) dans trois cas distincts : appel non limité à certains chefs ; demande d’annulation du jugement ; litige indivisible. En l’espèce, le visa de la Cour de cassation surprend car l’appelant n’avait pas intérêt à formuler un appel général, puisque la juridiction de première instance lui a donné gain de cause sur sa demande principale. En réalité, il est possible de considérer que l’appel de la société Le Caveau était bien limité à certains chefs du jugement, mais c’est l’indivisibilité du litige qui a conduit la Cour de cassation à faire référence à l’effet dévolutif total. B. L’effet dévolutif limité L’article 562, alinéa 1er, CPC dispose que « l’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent ». Ce texte se situe dans le prolongement de l’article 4 aux termes duquel les parties fixent l’objet du litige. Précisément, les prétentions des parties « sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense », l’objet du litige pouvant toutefois être modifié par des demandes incidentes dès lors que ces dernières se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. Ainsi, c’est l’acte d’appel qui opère la dévolution, ce qui signifie que les parties peuvent limiter la portée de leur appel. Dès lors, un appel limité à certains chefs de jugement ne peut être étendu lors de l’échange des conclusions. En revanche, un appel général pourra voir sa portée limitée par des conclusions ultérieures. Cette limitation de l’effet dévolutif provoque deux conséquences fondamentales lorsque l’intimé n’a pas formé d’appel incident. D’une part, la cour ne peut pas aggraver les condamnations prononcées contre l’appelant. D’autre part, elle ne peut pas réformer la décision des premiers juges au profit de l’intimé. Autrement dit, cela signifie que l’exercice d’une voie de recours ne peut pas se faire au détriment de celui qui l’exerce. La Cour d’appel est ici dans l’impossibilité de réformer le jugement dans un sens défavorable à l’appelant, si l’intimé n’a formé d’appel incident.