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Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable par Mohamed Allaoui Etude de cas FORETS ET DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LES PROVINCES DE CHEFCHAOUEN ET IFRANE Silva Mediterranea

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par Mohamed Allaoui

Etude de cas

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Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification

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Plan Bleu pour l’Environnement et le Développement en Méditerranée

FORETS ET DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LES PROVINCES DE CHEFCHAOUEN ET D’IFRANE

Rapport de mission de Mohamed Allaoui. Socio-économiste, consultant.

Août 2004

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 2

Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification &

Plan Bleu pour l’Environnement et le Développement en Méditerranée

FORETS ET DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LES PROVINCES DE CHEFCHAOUEN ET D’IFRANE

Sommaire

Résumé............................................................................................................................................................ 4

Cadre général .................................................................................................................................................. 8

Rappel des termes de référence, déroulement du travail................................................................................. 8

Données générales........................................................................................................................................... 8

Le Programme forestier national (PFN).......................................................................................................... 9

Présentation des études de cas....................................................................................................................... 13

Le projet Chefchaouen .................................................................................................................................. 15

La province de Chefchaouen......................................................................................................................... 15

Le projet Gefrif ............................................................................................................................................. 19

Présentation du projet Chefchaouen ............................................................................................................. 21

Essai d’évaluation ......................................................................................................................................... 25

Le projet d’Ifrane .......................................................................................................................................... 32

La province d’Ifrane...................................................................................................................................... 32

Présentation du projet.................................................................................................................................... 36

Essai d’évaluation ......................................................................................................................................... 40

Scénarios d’évolution.................................................................................................................................... 47

Les problématiques ....................................................................................................................................... 47

Les scénarios de politique de développement ............................................................................................... 52

Les scénarIOs pour la province de Chefchaouen .......................................................................................... 56

Les scénarios de la province d’Ifrane............................................................................................................ 67

Conclusion et recommandations ................................................................................................................... 75

Les initiatives de progrès .............................................................................................................................. 75

Recommandations......................................................................................................................................... 76

Annexe 1 : Termes de référence.................................................................................................................... 78

Annexe 2 : Fiches d’entretiens...................................................................................................................... 82

Fiches d’entretiens responsables et techniciens : .......................................................................................... 82

Fiches d’Entretiens populations .................................................................................................................... 84

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 3

Sigles et acronymes

AFD : Agence Française de développement

ANOC : Association nationale ovine et caprine

CDF : Centres de Développement Forestier

CT : Centre de travaux agricoles

DPA : Direction provinciale de l’agriculture

DREF : Direction régionale des eaux et forêts ;

DRI-GRN : Développement rural intégré et gestion des ressources naturelles

FEM : Fonds pour l’environnement mondial

FFEM : Fonds français pour l’environnement mondial

FIDA : Fonds international de développement agricole

GEFRIF : Projet de protection et gestion participative des écosystèmes forestiers du Rif

HCEFLCD : Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification

ONG : Organisation non gouvernementale

ONUDC : Office des Nations Unies contre la drogue et le crime ;

PDD : Plans de développement de douar

PFN : Le Programme Forestier National

PMH : Petite et moyenne hydraulique

SIG : Système d’information géographique

SIRF : Syndicat Intercommunal des Ressources Forestières

SPEF : Services provinciaux des Eaux et Forêts ;

UE : Union européenne

UOP: Unités opérationnelle de planification et de suivi participatif

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Plan Bleu pour l’Environnement et le Développement en Méditerranée

FORETS ET DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LES PROVINCES DE CHEFCHAOUEN ET D’IFRANE

RESUME

L’étude porte sur deux provinces du Royaume, la province de Chefchaouen dans le Rif, au nord du pays, et la province d’Ifrane, située dans le Moyen Atlas. Chacune des provinces bénéficie d’un projet axé sur le développement forestier avec de fortes composantes de développement rural.

La province de Chefchaouen, avec des ressources en terre et en eau très réduites, des densités de populations très élevées, un très fort enclavement et au taux d’urbanisation très faible, est parmi les provinces les plus pauvres du pays. En comparaison, la province d’Ifrane jouit d’une meilleure situation. Sans être abondantes, les ressources en eau et en terre sont loin d’être négligeables. Les forêts de cèdres de la province constituent une richesse d’importance nationale. Les densités de populations sont faibles et la province jouit d’une position géographique enviable.

D’un coût total de 375, 6 millions de DH, le Projet de développement des zones forestières et périforestières de la province de Chefchaouen est cofinancé par l’Union Européenne à la suite d’un autre projet achevé en 2001. Le projet qui a démarré en 2001 et devrait s’achever en 2006 est destiné à intervenir dans 200 douars de la province au profit de 80 000 personnes. A mi-parcours, le projet se heurte à d’importantes difficultés. Axé sur l’approche participative, il est freiné par des problèmes de gestion administrative et financière. La mise en oeuvre de l’approche participative est entravée par des conflits internes, une maîtrise insuffisante de la démarche sur le terrain et dans la budgétisation. Le partenariat et la coordination avec les autres acteurs semblent défectueux. Beaucoup de ces difficultés seraient dues à une mauvaise gestion du personnel, aux difficultés d’intégration de l’assistance technique de longue durée qui est importante et aux dissensions qu’il y aurait entre celle-ci et la direction de l’UGP et de la DPA.

Malgré des principes, des objectifs et une méthode d’intervention forts pertinents, l’impact du projet sur le développement durable de la province risque d’être modeste si la mission d’évaluation à mi-parcours ne propose pas un redressement du projet et sa réorientation. Il y aurait risque de perdre le bénéfice du projet GEFRIF qui a eu le mérite d’introduire l’approche participative dans la région et qui surtout a entamé un dialogue avec les populations locales dont l’hostilité à l’égard des forêts et de l’administration forestière était connue. GEFRIF a aussi participé à rendre faisable la délimitation participative des forêts.

Le Projet d’aménagement et de protection des massifs forestiers de la province d’Ifrane est cofinancé sur un prêt d’AFD, un don du FFEM, une contribution sur le budget de l’Etat et une contribution des communes rurales de la province d’Ifrane. D’un coût total de 213 millions de DH, le projet a commencé effectivement en 2003. Les objectifs du projet sont ici plus spécifiquement écologiques : protection de la cédraie et de la biodiversité, optimisation de la gestion des forêts. Le projet a aussi pour objectif de « gérer de manière participative des espaces cohérents comprenant des zones de forêts, des parcours et des terres agricoles. »

Comme le projet n’est effectif que depuis 18 mois, les réalisations sont encore modestes. Elles ont porté sur un programme d’urgence réalisé en 2003/2004 en attendant les résultats des activités de diagnostic participatif. Comme pour le projet Chefchaouen, les problèmes de mise en oeuvre sont liés à la gestion administration et financière, au partenariat et à l’approche participative. A Ifrane, des problèmes

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spécifiques portent sur les terres collectives, la maîtrise des rapports avec les autres partenaires et notamment les fractions, enfin, l’assistance technique prévue est insuffisante. La mise en oeuvre du projet, notamment pour ce qui est de ses aspects novateurs (l’approche participative, la gestion concertée, la contractualisation …) souffre de difficultés importantes.

L’impact du projet sur le développement durable de la province risque aussi d’être modeste à moins d’un renforcement du projet en assistance technique lui permettant d’avoir des orientations précises notamment dans ses rapports avec les fractions qui sont chargées de gérer les parcours collectifs et de mieux concevoir les modalités de mise en oeuvre de l’approche participative et des divers aspects liés aux rapports entre les populations et les partenaires.

L’analyse précédente concernant la conception et la mise en oeuvre des deux projets se veut calée sur le programme forestier national (PFN) qui a été préparé en 1998 et adopté en 1999. Le PFN par d’un constat inquiétant : les ressources forestières ne cessent de se réduire et de se dégrader. La biodiversité du pays s’appauvrit de plus en plus. Si rien n’est fait, si les pouvoirs publics n’agissent pas rapidement, la situation risque d’échapper à tout contrôle. Pour faire face à cette situation inquiétante, le PFN propose des objectifs à 20 ans et un programme prioritaire à réaliser sur 5 ans. Les objectifs stratégiques à 20 ans visent principalement à arrêter le processus actuel de dégradation et à se donner les moyens de renverser la situation à terme.

Le programme prioritaire sur 5 ans ambitionne de créer les conditions grâce auxquelles les objectifs stratégiques à 20 ans seraient rendus possibles. Il faudrait :

1) agir sur l’environnement du secteur à travers une politique des montagnes, une politique de l’énergie et une politique de l’eau ;

2) agir sur les moyens humains et la culture du secteur forestier par une meilleure gestion des ressources humaines et une politique de communication ;

3) agir sur le processus de décision par la décentralisation, la déconcentration, la participation des populations et la coordination avec les autres ministères ;

4) agir sur les structures et les moyens par la maîtrise et la contractualisation des moyens financiers, la réforme des structures de gestion des forêts, la spécialisation des espaces forestiers ;

5) agir sur la législation et la fiscalité forestières.

A partir de l’analyse de la conception, du fonctionnement et des réalisations des deux projets, des scénarios d’évolution ont été préparés. Comme on ne peut imaginer une évolution dans les deux projets sans une intervention de l’administration centrale, des scénarios ont été préparés concernant l’évolution de la politique de développement qui est axée sur la mise en oeuvre du PFN.

Pour le PFN et pour la province de Chefchaouen trois scénarios ont été proposés, un scénario tendanciel, un scénario moyen et un scénario volontariste. Pour la province d’Ifrane, deux scénarios seulement ont été proposés. Les scénarios concernant les provinces ont été conçus par référence aux principaux critères et thèmes suivants : la démographie, la société civile, la gouvernance, la DPA et le SPEF, la participation des populations et le processus de légitimation de la domanialité des forêts. Il y a, en plus, pour Chefchaouen un thème concernant la culture du cannabis et pour Ifrane un autre concernant les parcours collectifs.

Concernant la mise en oeuvre du PFN, le scénario tendanciel dans lequel la mise en oeuvre du programme prioritaire est étalée sur une longue période aboutit à une situation qui peut être considérée comme inacceptable. La situation, notamment des structures d’intervention, risque de perdre de son efficacité, les ressources financières vont se réduire avec un affaiblissement de l’autorité et une perte d’influence. Le vide ainsi créé sera comblé par les ONG dont l’influence sera grandissante. De ce fait le PFN risque d’être abandonné purement et simplement. Il n’y aura alors plus d’espoir d’arriver un jour à contrôler la situation qui risque d’échapper à tous les acteurs.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 6

Dans le scénario moyen, la mise en oeuvre du programme prioritaire se fait sur un peu plus de 10 ans. La réalisation des objectifs stratégiques à 20 ans reculera d’une quinzaine d’années. Mais le PFN sera mis en œuvre. On peut espérer maîtriser la situation seulement à l’horizon 2035. C’est un scénario qui peut apparaître comme réaliste si des mesures énergiques sont prises pour la mise en oeuvre du PFN.

Le scénario volontariste est pour ainsi dire un peu plus réaliste que la proposition de réalisation du programme prioritaire en 5 ans. La réalisation de ce programme va prendre 7 à 8 ans. Les changements qui dépendent d’autres institutions prendront plus de temps. Ici, l’initiative revient à l’Administration des Eaux et Forêts. Le PFN deviendra crédible et mobilisateur. L’horizon de maîtrise de la situation sera plus accessible. Dans tous les cas, la réalisation des objectifs stratégiques prendra plus de temps.

Sur le terrain, dans les deux provinces, les cadres, les techniciens comme les populations ont eu beaucoup de mal à imaginer l’avenir. Les cadres et les techniciens ne veulent pas se hasarder à formuler un avis sur ce qui pourrait se passer dans 10 ou 20 ans. C’est trop éloigné, trop incertain, les variables sont trop nombreuses. En revanche ils ont un avis sur le changement qui intéresse leur propre domaine d’intervention. Dans leur majorité, les techniciens pensent que le changement est lent. Les populations vont mettre plusieurs années pour changer telle ou telle pratique ou adopter de nouvelles. Les partenaires (ONG) sont en général plus optimistes et font un peu plus confiance aux capacités de changement des populations.

Les populations ne parviennent pas à imaginer le changement qui peut advenir même si elles sont convaincues que cela va changer. Elles se sentent impuissantes, n’imaginent pas qu’il soit possible d’avoir un pouvoir sur le « destin. »

La situation apparaît très difficile pour la province de Chefchaouen. Elle est rendue encore plus compliquée par la culture du cannabis. Ici aussi le scénario tendanciel est véritablement inquiétant. Les densités de populations vont augmenter. Et même si la culture du cannabis va reculer, la pauvreté des populations rurales et urbaines va accroître la pression sur les sols et la végétation forestière dont la dégradation risque de s’accélérer. Le rôle de l’administration dans le développement va se réduire et celui de la société civile augmenter mais le poids de celle-ci risque d’être contrebalancé par les groupes de pressions liés aux trafics divers. La situation risque d’être sans issue.

Dans le scénario moyen, il y aura un effort important en matière de gouvernance et de décentralisation. Les organismes publics locaux jouiront d’une certaine autonomie. Il y aura un effort budgétaire plus important pour lutter contre la pauvreté. Il y aura une coopération entre la société civile et les organismes publics ce qui augmentera l’efficacité des uns et des autres. La culture de cannabis va reculer mais continuera d’occuper des superficies importantes. De nouveaux rapports avec les populations vont permettre une délimitation participative des forêts. La situation sera contrôlée même si d’importantes poches de pauvreté devront encore subsister en 2024.

Le scénario volontariste suppose une intervention encore plus énergique de l’Etat et de l’assistance extérieure. L’accroissement démographique sera maîtrisé dans les zones rurales grâce à une politique de contrôle des naissances appliquée dès la prochaine quinquennie. Les transformations les plus importantes concernent la gouvernance. La province pourra disposer de plans de développement à long terme avec des engagements financiers de l’Etat sur 10 ans et plus. Les programmes et actions de développement seront définis, programmés et gérés localement avec les structures régionales, la société civile et les populations dont la participation sera inscrite dans la loi et dans l’organisation et le fonctionnement des organismes d’intervention de l’Etat. Le développement durable sera inscrit dans une charte qui guidera l’intervention de tous les partenaires.

La province d’Ifrane jouit d’une meilleure situation. Les densités de populations et les taux d’accroissement sont faibles. Même le scénario tendanciel reste positif. En effet les enjeux sont ici trop importants pour que la province soit abandonnée à son sort. La population rurale va se stabiliser et aura tendance à baisser. Comme les enjeux sont importants, l’assistance extérieure va se maintenir pour sauvegarder la cédraie. En revanche, les parcours collectifs risquent de se dégrader encore plus. La maîtrise de la gestion des parcours risque d’échapper aux institutions existantes.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 7

Dans le scénario volontariste, en plus de ce qui a été évoqué pour Chefchaouen, notamment en ce qui concerne la gouvernance, un effort particulier sera fait pour remettre en selle les fractions et leur permettre d’avoir un réel pouvoir de gestion des parcours avec le projet actuel. Un effort important en matière de structuration des institutions locales et de coopération avec la société civile devra permettre de parvenir à une gestion concertée des espaces forestiers pastoraux et agricoles.

Les leçons que l’on peut tirer de ces scénarios sont nombreuses. La première, peut-être la plus importante, montre que les transformations au niveau régional ne peuvent advenir sans des transformations conséquentes au niveau central. Les idées comme la participation, le développement durable sont des moteurs de changement essentiels, mais leur mise en pratique ne peut se faire sans d’importantes transformations institutionnelles. La mise en oeuvre du développement durable dépend de l’imagination de nouvelles pratiques. Il faudrait créer les conditions qui permettraient aux populations d’apporter leur contribution à ce travail.

Dans les deux provinces et d’une manière générale dans tout le pays, les forêts contribuent de façon substantielle au développement rural. Il faudrait d’une part légitimer aux yeux des techniciens forestiers cette contribution et d’autre part, agir sur le mode de contribution pour le rendre conforme aux exigences du développement durable.

On peut retenir ici plusieurs initiatives de progrès. Il faut particulièrement insister sur l’utilité de l’existence du programme forestier national. Ce document a une valeur importante, à la fois symbolique et mobilisatrice. Par ailleurs, l’introduction de l’approche participative même avec une pratique encore imparfaite, constitue un progrès incontestable particulièrement dans des zones aussi difficiles que le Rif. Le PFN et l’approche participative peuvent avoir une influence positive sur l’ouverture et la culture de l’Administration des Eaux et Forêts. Certaines innovations comme la délimitation participative, l’intégration des parcours forestiers avec les parcours collectifs représentent certainement des avancées prometteuses. L’ouverture sur la société civile constitue aussi un potentiel important de progrès. D’une manière générale, des avancées prometteuses apparaissent à travers les actions de développement forestier dans les deux régions. Il s’agirait maintenant d’introduire ces progrès dans la législation forestière et dans les structures d’intervention de l’Etat.

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CADRE GENERAL

RAPPEL DES TERMES DE REFERENCE, DEROULEMENT DU TRAVAIL

Les objectifs de l’étude des deux zones retenues, la province de Chefchaouen et la province d’Ifrane sont d’abord d’analyser l’impact de la politique forestière sur les populations, les communautés rurales et de façon plus général, le développement rural. Ces objectifs portent aussi sur l’appréciation des opportunités d’utilisation des espaces boisés pour le développement rural et les obstacles qui s’y opposent. Enfin, un des objectifs importants est de faire des recommandations pouvant favoriser le développement durable dans les deux provinces (voir annexe 1 les termes de référence.)

Tout en tenant compte de l’esprit des termes de référence notamment en ce qui concerne le rôle des espaces forestiers et pastoraux dans le développement rural durable, l’étude présentée ici est axée sur les institution qui sous-tendent l’ensemble des aspects liés, d’une part au développement rural et d’autre part à la gestion durable des espaces forestiers et pastoraux.

C’est dans le même souci qu’une importance particulière a été donnée au Programme Forestier National (PFN) et à sa mise en oeuvre en rapport avec les problématiques du développement forestier et rural dans les deux provinces. Du fait que les deux projets se sont inscrits d’emblée dans la foresterie et le développement rural, l’attention a été plus orientée non seulement vers la manière dont les forêts contribuent au développement rural mais surtout sur les voies et moyens de cette contribution dans le cas des deux projets.

Il y a eu de fait une adaptation des termes de référence aux conditions réelles de l’étude et aux conditions particulières du pays. Comme cela a été signalé plus haut, cette adaptation a privilégié les aspects institutionnels et concentré l’analyse sur les aspects novateurs en particulier ceux dont l’aboutissement semble avoir été freiné ou gêné par des problèmes à caractère institutionnel.

Il était prévu de consacrer 10 jours au travail de terrain dont deux jours pour les réunions. Dans la pratique 8 jours ont été réservés au travail de terrain, 5 jours à Chefchaouen dont 2 jours avec les experts du Plan Bleu et 3 jours à Ifrane. Le reste du temps environ 32 jours a été consacré aux réunions à Rabat, à l’examen et à l’analyse de la documentation écrite et des données collectées sur le terrain. Il y aurait donc au total 40 jours de travail consacrés à l’étude au lieu des 24 prévus3. Le travail de l’expert a été un peu gêné par la période estivale, période durant laquelle beaucoup de responsables avaient pris leurs congés annuels.

Malgré sa durée limitée qui dans tous les cas aurait été insuffisante, le travail de terrain a été très fructueux. Il est évident que s’il avait été possible de consacrer plus de temps, au moins 10 jours, pour chacune des provinces, les analyses auraient été plus argumentées et mieux illustrées mais cela n’aurait pas tellement modifié sur le contenu et les conclusions.

La documentation utilisée provient en partie de l’Administration des Eaux et Forêts notamment de la Division du Budget, de la Programmation et de la Coopération, et pour une partie importante de la recherche sur Internet. Une partie de la documentation utilisée provient du site du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et la Lutte Contre la Désertification.

DONNEES GENERALES

La population totale du Maroc est évaluée à environ 30 millions d’habitants en 2004 avec une superficie de 710 850 Km². Ouvert à la fois sur l’Atlantique, la méditerranée et le Sahara, le pays comporte d’importantes zones montagneuses : le Rif, le Moyen Atlas, le Haut Atlas et l’Anti-Atlas. Il dispose aussi

3 Rappelons que la proposition de l’expert ne prévoyait au total que 24 jours.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 9

d’un important réseau hydrographique comportant plusieurs barrages qui permettent d’irriguer plus d’un million d’ha.

On estime les terres à vocation agricoles à 39,2 millions d’ha qui se répartiraient comme suit :

Tableau n°1 : Maroc. Les terres à vocation agricoles

Superficie en millions d'ha %

Terres cultivables 9,2 23%

Forêts 5,8 15%

Nappes alfatières 3,2 8%

Parcours 21 54%

TOTAL 39,2 100% Source : Site du ministère de l’agriculture et du développement rural

De par sa position entre l’Atlantique, la Méditerranée et le Sahara le pays dispose d’une grande diversité bioécologique avec « 4700 espèces végétales dont 537 endémiques, 106 espèces de mammifères, 326 espèces d’oiseaux4. Cependant, le taux moyen de boisement du pays est faible avec seulement 8%. Les formations forestières se répartiraient comme suit :

Tableau n°2 : Les principales espèces forestières

Espèces Superficie en ha Chêne vert 1 360 000 Acacia saharien 1 128 000 Arganier 830 000 Thuyas 600 000 Chêne liège 350 000 Genévriers 240 000 Cèdres 132 000 Autres feuillus 126 000 Autres résineux 90 000 Matorral 958 000 TOTAL 5 814 000

Source : Programme forestier national

LE PROGRAMME FORESTIER NATIONAL (PFN)

PRESENTATION

Le Programme Forestier National est issu d’un long processus de maturation. A l’occasion de plusieurs projets à financement extérieur, notamment les projets forestiers financés par la Banque Mondiale, plusieurs études sectorielles forestières ont été réalisées : plan national de reboisement, programme national antiérosif, etc. A partir des importantes informations disponibles, la mise au point du PFN a été confiée à un groupement de bureaux d’étude dont deux organismes publics français5. Le PFN est

4 Programme forestier national. (Le nombre d’espèces serait à réviser à la hausse.) 5 Groupement AGROFOREST, ONF Intrenational et CIRAD Forêt.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 10

aussi issu d’un long travail de concertation au sein de l’Administration des Eaux et Forêt6 et avec d’autres organismes (Ministère de l’intérieur, équipement, tourisme, environnement etc.) à travers le comité technique de suivi.

La préparation du PFN s’est déroulée au cours de l’année 1998. Le document utilisé pour en rendre compte ici est daté de 19997.

Le document de synthèse du PFN qui semble être le document officiel comporte 4 chapitres

??Un résumé des phase 1 et 2 portant la synthèse des études sectorielles (état des lieux) et de la phase 2 analyse stratégique, scénarios

??Une stratégie pour le secteur ??Un programme prioritaire sue cinq ans ??Les programmes réorientés et le budget

L’ETAT DES LIEUX

D’entrée de jeu le PFN constate : « la dégradation des forêts porte à environ 25 à 30 000 ha la disparition annuelle en superficie. Mais, plus insidieuse, la détérioration du contenu des écosystèmes est moins facile à évaluer et encore moins à maîtriser. »

Cette inquiétante situation provient des prélèvements sur les forêts et notamment les prélèvements de bois : « Le bois, deuxièmes source d’énergie pour le pays, représente une consommation de 10 millions de m3 seulement. Le déficit apparent est en fait comblé par des prélèvements illégaux intenses sur le capital mettant celui-ci en danger pour l’avenir. » Cette situation est aussi issue des prélèvements effectués par le bétail qui, de tout temps, a pâturé en forêt, prélèvements non maîtrisés qui perturbent la régénération des forêts. A ces prélèvements s’ajoutent les incendies et les attaques des parasites.

Par ailleurs, et ce n’est pas non plus très rassurant, l’exploitation et la transformation du bois et du liège ne sont pas tout à fait rationnels. La production actuelle de bois est insuffisante pour satisfaire les besoins intérieurs en bois d’œuvre.

En conclusion, la gestion durable, actuelle et future, doit surmonter plusieurs de défis :

??La valorisation optimale des produits et des usages des espaces forestiers nécessite la coordination des utilisations multiples entre les nombreux utilisateurs.

?? La participation et l’adhésion des populations aux objectifs et programmes de développement forestier impliquent l’instauration d’un « véritable partenariat » entre tous les acteurs accompagnée d’une décentralisation de la décision qui soit la plus proche du terrain ;

??Le développement durable s’impose du fait du rôle socio-économique capital des forêts.

L’analyse de l’évolution passée et des tendances futures a montré que le pays risquait de s’engager dans une double impasse. La dégradation des espaces forestiers allait s’accentuer entraînant de graves conséquences écologiques et socio-économiques. L’administration des forêts comme les autres acteurs risquaient d’être dépassés. Si une action concertée des différents acteurs n’est pas entreprise, le processus de dégradation risque d’être irréversible.

6 Comme l’organisme d’Etat chargé des forêts a changé plusieurs fois de dénomination depuis 1997, nous désignerons cet organisme dans ce rapport par Administration des Eaux et Forêts ou par les Eaux et Forêts. 7 Programme forestier national Synthèse Janvier 1999. Programme forestier national Annexe 1 Programmes prioritaires. août 1999. Programme forestier national Annexe 2. Programme prioritaires techniques à cinq ans. Août 1999.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 11

« De profonds changements de la politique forestière dans ses orientations et ses modalités de mise en oeuvre sont apparus indispensables. »

STRATEGIE ET OBJECTIFS

La stratégie de développement forestier qui constitue l’ossature du PFN est axée sur les principaux éléments suivants :

??Déconcentration (de l’administration des forêts) ; ??Hiérarchisation des fonctions, des espaces et des moyens ; ??Spécialisation des espaces forestiers ; ??Participation des populations locales ; ??Politique rurale de montagne ; ??Maîtrise des moyens financiers ; ??Innovations institutionnelles.

Pour le pays, les espaces forestiers constituent un enjeu stratégique qui n’est pas technique mais socio-économique. Cet enjeu concerne l’ensemble des acteurs et pas seulement l’administration des forêts.

Les fonctions prioritaires des forêts sont affirmées :

??Conservation des eaux et du sol ??Contribution au développement rural ??Protection de l’environnement ??Production de bois ??Loisirs et détente pour les populations urbaines

Le PFN fixe les objectifs prioritaires à 20 ans

a) Réduction de moitié de l’érosion et de l’envasement des barrages ; b) Réduction des risques de catastrophe naturelle ; c) Le niveau de vie des ruraux les plus pauvres aura augmenté pour atteindre le niveau moyen du

pays ; d) La gestion durable des espaces forestiers devra contribuer au développement rural ; e) La réduction constatée de la biodiversité sera stoppée et de nouvelles espèces seraient

introduites ; f) Le potentiel économique des ressources sera valorisé ; g) La production de bois d’œuvre et de trituration sera intensifiée dans des espaces spécialisés et

leur valeur ajoutée doublée ; h) Les villes disposeront d’espaces pour les loisirs ; i) Les espaces forestiers et naturels seront valorisés par le tourisme.

Pour atteindre ces objectifs, des transformations importantes sont nécessaires en matière d’organisation et de gestion de l’administration forestière, de législation, de formation, de coopération avec les partenaires etc.

Les objectifs de développement durable des espaces forestiers ne sauraient être atteints sans une intervention d’envergure pour améliorer l’environnement forestier à travers notamment :

?? La mise en oeuvre d’une politique de développement des zones montagneuses, ??L’instauration d’une politique énergétique pour accélérer la substitution du gaz au

bois, ??La maîtrise de la gestion des espaces pastoraux ; ??.Une politique de participation aux agences de bassins versants.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 12

L’essentiel cependant porte sur les activités qui dépendent de l’Administration des Eaux et Forêts. Parmi les mesures les plus importantes il faut signaler les éléments suivants :

a) Adaptation des structures et du personnel : « Les profils de compétence et la culture des fonctionnaires forestiers devront profondément évoluer. » Le personnel doit acquérir de nouvelles compétences, bénéficier d’une formation continue. L’administration devra s’ouvrir plus vers l’extérieur, communiquer en interne et externe, informer, plus participer, plus associer les partenaires à la conception, aux décisions et à l’action (administration, populations, collectivités locales, ONG.)

b) Décentralisation, déconcentration, partage de la décision. Tout en gardant l’essentiel de ses prérogatives dans un premier temps, l’administration centrale des forêts va transférer des pouvoirs et des moyens aux structures les plus proches du terrain. Dans une deuxième phase « de larges responsabilités de politique forestière et surtout de gestion du domaine seront transférées aux populations locales, aux collectivités locales (régions et communes) et aux acteurs privés (entreprises de la filière, entrepreneurs privés et ONG.) Il y aura une décentralisation de la mise en oeuvre de la politique forestière. Une réforme en profondeur devra redéfinir les rôles des différents acteurs. Les services centraux continueront à exercer leur responsabilité régalienne et à orienter la politique forestière avec une plus grande concertation avec les partenaires. Le contrôle sera exercé à travers des moyens techniques modernes (SIG). Des structures autonomes seront créées pour réaliser les grands projets. Ces orientations seront reflétées dans la législation forestière qui sera révisée. En outre le conseil national des forêts sera redynamisé.

c) Maîtrise des moyens. Les moyens financiers mis à la disposition du secteur forestier seront utilisés de façon plus rationnelle en tenant mieux compte des priorités définies. Le secteur privé et les collectivités seront incités à prendre part aux investissements et à la gestion. Une politique de contractualisation sera mise en place notamment avec les régions.

d) Législation et fiscalité. La refonte de la législation devra « substituer au régime patrimonial (répressif et étatique » un corps législatif et réglementaire privilégiant la dynamique contractuelle.) Cette législation sera complétée par une législation spécifique de développement de protection des zones de montagne. Enfin la fiscalité du secteur devra être révisée et adaptée.

LE PROGRAMME D’ACTION PRIORITAIRE

Sur la base de ce qui précède un programme prioritaire à 5 ans a été proposé. Il est résumé dans le tableau suivant :

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 13

Tableau n°3 : PFN. Programme d’action prioritaire

Action sur Mesures Foresterie rurale et de montagne Gestion et substitution du bois-énergie en milieu rural montagnard Gestion des parcours

L’environnement

Gestion des l'eau Gestion des ressources humaines Les moyens humains et la culture Communication Déconcentration Décentralisation Le processus de décision

Participation des populations/contractualisation Faire évoluer les structures de l'administration Création de structure de projet L'organisation et les moyens

Création de structure de spécialisation Réorientation des législations et des réglementations Révision des fiscalités Le cadre législatif et réglementaire

Groupe de projet

PROGRAMMES REORIENTES

Il s’agit de programmes déjà engagés et qu’il faudrait réorienter pour les insérer dans la stratégie retenue par le PFN. Les programmes à réorienter sont les suivants :

a) Apurement foncier du domaine forestier de l'Etat : cette activité doit continuer ; b) Gestion et valorisation forestières : aménagement et gestion doivent se faire en concertation

avec les usagers et plus favoriser les filières ; c) Gestion durable de la biodiversité : déconcentration et autonomisation des structures de

gestion. d) Reboisements : intégration dans le développement rural, intéressement d’autres partenaires,

recours aux partenaires (dont le secteur privé) pour l’exécution, implication des communes dans le financement,

e) Prévention des risque d’érosion hydrique : intégration d’accord cadre entre les populations de l’amont et les usagers de l’eau de l’aval (irrigation et consommation urbaine), solidarité amont/aval

f) Prévention des risque d’érosion éolienne : traitements en partenariat avec les bénéficiaires g) Recherche forestière : Régionalisation, contractualisation, coopération avec l’extérieur ; h) Equipement du domaine forestier de l'Etat :

FINANCEMENT DU PFN

Les moyens budgétaires affectés resteront stables. Les ressources affectées au personnel, au fonctionnement et aux équipements ne vont pas varier. Des redéploiements des ressources affectées au personnel devront renforcer les compétences techniques et les régions. Un effort budgétaire sera nécessaire pour améliorer la gestion des ressources humaines et notamment la création d’une « cellule d’animation et de suivi du changement. » de même qu’une comptabilité analytique du budget sera introduite.

PRESENTATION DES ETUDES DE CAS

Le présent rapport porte sur deux études de cas :

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 14

1) Le Projet de développement des zones forestières et périforestières de la province de Chefchaouen

2) Le Projet d’aménagement et de protection des massifs forestiers de la province d’Ifrane

Il s’agit de deux provinces très différentes l’une de l’autre. Cependant, chacune d’elle a déjà bénéficié, dans le passé, de plusieurs actions de développement. Les deux projets sont axés sur la gestion et le développement forestiers avec de fortes composantes de développement rural. Dans les deux provinces, le poids économique et social des forêts et des espaces qui leur sont associés est très important.

En calant la réflexion sur le PFN, nous avons essayé de concevoir des scénarios dévolution issus de l’analyser des activités des deux projets et notamment de leurs rapports avec les autres partenaires tout en essayant d’apprécier l’action du projet et son orientation en rapport avec le développement durable.

L’analyse qui a été faite des deux projets, de même que la conception des scénarios proposés ont privilégié les aspects institutionnels issus du programme prioritaire du PFN. Les aspects techniques ont été abondamment traités dans d’autres documents. C’est aussi et de façon incontestable, l’aspect institutionnel qui est apparu le plus critique à l’examen des deux projets.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 15

LE PROJET CHEFCHAOUEN

LA PROVINCE DE CHEFCHAOUEN

La province de Chefchaouen est située dans ce que les géographes appellent le Rif historique8 ou Rif Central et occidental. C’est un pays de montagne qui aboutit de façon abrupte sur la Méditerranée. C’est une des ces principales caractéristiques. En plus de son caractère montagneux, sa faible ouverture sur la mer malgré des centaines de Km de côtes, son occupation par l’Espagne de 1912 à 1956 ont contribué à l’isoler encore plus du reste du pays.

Le relief est moyen, le Jbel Lechchab culmine à 2170 m. La partie ouest est très arrosée en altitude, 1,5 m d’eau parfois plus 2 m à Kétama (certainement la partie la plus arrosée du Maroc.)

Si l’occupation espagnole du Rif a isolé cette région difficile du reste du pays, elle a aussi figé son évolution (peu pas du tout d’investissements on été réalisés par l’Espagne.) « la colonisation va se réduire …à une exploitation intensive, méthodique et généralisée des belles forêts de chênes-liège, de cèdres et d’autres essences qui couvraient la montagne rifaine 9»

Cette situation malheureuse allait être accentuée par les maladresses de la « réunification » : « Avec l’indépendance et la réunification du pays, pour lesquelles les habitants du Rif ont payé un lourd tribut (notamment lors du soulèvement d’octobre 1955) les attentes de la population en équipements et emplois étaient immenses. Or non seulement le nouvel Etat indépendant manquant de moyens n’était pas capable de satisfaire ces attentes, mais il y répondit par une série de mesure maladroites : mise en place d’une administration centralisée et travaillant selon les méthodes de la zone sud, extension du régime forestier en vigueur dans l’ex-zone française avec restrictions du droit d’usage de la forêt, nouvelles contraintes fiscales, répression de la culture du kif » Cette situation va être aggravée par le manque des revenus provenant de la contrebande suite à la disparition des frontière entre les deux ex-zones et la réduction de l’émigration vers l’Algérie. « C’est ainsi que naquit la crise rifaine qui culmina par le soulèvement de janvier 1959 brutalement réprimé le mois suivant manifestations et frustrations qui ont fortement marqué les esprits 10»

« Nature et histoire concourent ainsi à faire du Rif central et occidental un espace assez particulier. Sous l’occupation espagnole la zone s’est nettement différenciée de la zone internationale voisine de Tanger - qui était ouverte sur l’économie internationale – par une forte autarcie, un sous-développement accusé et un replis sur ses ressources 11»

CADRE PHYSIQUE

La province de Chefchaouen a une superficie totale de 4 350 Km². Essentiellement constituée de zones de relief, la province dispose de plusieurs sommets parmi les plus élevés du Rif : Jbel Lkraa (2159 m), Jbel Tissouka avec 2122 m et Jbel Tiziran ave 2106 m. La frontière nord de la province est constituée par la méditerranée qui borde la province sur 120 Km de côtes avec quelques activités de pêche à partir du petit port de Jebha mais la province tourne le dos à la mer.

8 Voir Maroc, Régions, Pays, Territoires. Sous la direction de J-F Troin Tarik Editions etMaisonneuve&Larose. 2002. 9 Maroc, Régions, Pays, Territoires. (Voir plus haut) 10 Maroc, Régions, Pays, Territoires. (Voir plus haut) 11 Maroc, Régions, Pays, Territoires. (Voir plus haut)

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 16

La province est constituée en bonne partie de terres forestières (175 000 ha) ou de terrains plus ou moins pentus, plus ou moins couverts de végétation fortement menacés par l’érosion, (160 000 ha) et de terrains cultivables ou cultivés estimés à 100 000 ha dont 10 000 ha seraient irrigués12.

Dans la province, ce qui est considéré relever du domaine forestier de l'Etat couvre une superficie de 175 000 ha constitués de chêne liège principalement, de cèdres, chênes verts, chênes zeene, thuyas. A ces espèces il faut ajouter, le pin du Maroc du parc de Talassemtane. L’essentiel du couvert végétal est constitué d’un matorral dégradé. La forêt et la végétation forestière auraient beaucoup reculé sous la pression humaine pour le bois de feu, la culture du cannabis et sous la pression animale notamment les caprins. Selon le document de projet « La forêt régresse sous l’effet conjugué de l’augmentation très rapide des surfaces cultivées, de l’augmentation des populations et du maintien à un niveau très élevé des besoins en bois de feu. La délimitation des massifs entamée dans les années 1980, destinée à établir de façon incontestée les droits de l’état en forêt a eu pour conséquence une accélération des défrichements réalisés par des populations inquiètes de voir limiter leurs droits traditionnels sur les zones forestières »

POPULATIONS ET ORGANISATION ADMINISTRATIVE

La population totale de la province de Chefchaouen était de 439 300 habitants en 1994 dont 43 000 urbains soit moins de 10 %. La densité est de 101 habitants au Km². Entre 1993 et 1994 le taux d’accroissement de la population a été de 3% ce qui est très élevé par rapport à la moyenne nationale. Avec un taux d’accroissement estimé à 2% seulement entre 1994 et 2004, la population totale serait de 535 000 habitants en 2004 dont 63 500 d’urbains soit 12%. Les densités passeraient à 123 habitants au Km².

La province de Chefchaouen est organisée en une municipalité, celle de Chefchaouen, 4 cercles (Bab Berred, Bab Taza, Bouahmed et Mokrisset) 13 caïdats et 33 communes rurales. C’est le caïdat de Zoumi qui le plus peuplé avec 46 000 habitants (Zoumi est aussi la communes rurales la plus peuplée avec 34 000 habitants.) La commune rurale la moins peuplée a 6 200 habitants. La municipalité de Chefchaouen est créditée de 31 400 habitants.

L’AGRICULTURE ET L’ELEVAGE

La répartition de la superficie totale de la province selon l’utilisation des sols illustre très bien la situation particulière de l’agriculture à Chefchaouen :

Tableau n°4 : Chefchaouen, occupation des sols

Utilisation des sols Ha % Forêts 175000 40% Parcours 95000 22%

Forêts et parcours 270000 62% Terres cultivées ou cultivables (SAU) 165000 38% Superficie totale 435000 100%

Source : Elaboration d’un référentiel technique pour la province de Chefchaouen 1ére partie : situation actuelle de l’agriculture.

Près des 2/3 des superficies de la province sont forestiers ou pastoraux. Les terres considérées comme cultivables en dehors de la plaine alluviale de Aïn Beida sont en général en pente. Il semblerait que les statistiques sur l’agriculture soient peu fiables et que le recensement de 1996 soit dépassé. D’après ce recensement l’occupation des sols serait la suivante :

Tableau n°5 : province de Chefchaouen Occupation des sols d’après le recensement générale de l’agriculture de 1996.

12 Les chiffres tels que les superficies, la SAU, l’irrigué sont contradictoires. Les chiffres donnés ici proviennent du document de projet.Ils seront contredits plus loin. Comme il n’y a aucun moyen de choisir entre les chiffres selon les sources on les donne tels quels. Cette imprécision est elle-même significative des problèmes de la province.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 17

Recensement général agricole de 1996. Superficies % Blé tendre 20920 25% Blé dur 7320 9% Orge 8940 11% Total céréales 37180 44%

Oliviers 34000 41% Figuiers 8000 10% Amandier 4700 6% Total arboriculture 46700 56% Total céréales et arboriculture 83880 100%

Source : Elaboration d’un référentiel technique pour la province de Chefchaouen 1ére partie : situation actuelle de l’agriculture.

D’après les monographies des CT l’occupation actuelle des sols serait la suivante :

Tableau n°6 : Province de Chefchaouen, occupation des sols d’après les monographies de CT.

Spéculation Superficies en ha % Céréales 81698 45% Légumineuses 36122 20% Fourrages 8921 5% Maraîchage 4628 3% Arboriculture 49816 27% Total 181185 100%

Source : Elaboration d’un référentiel technique pour la province de Chefchaouen 1ére partie : situation actuelle de l’agriculture.

Les différences les plus importantes portent sur les emblavures en céréales. Cependant les deux sources de statistiques sont muettes sur la culture du cannabis dont les chiffres sont maintenant disponibles. Selon l’enquête de 200313 les superficies cultivées s’élèvent à 66 700 ha soit 40% de la SAU.

13 Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’APDN Maroc Enquête sur le cannabis 2003. Décembre 2003.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 18

L’enquête de 2003 sur le cannabis donne des chiffres quelque peu différents des chiffres officiels.

Tableau n°7 : Enquête de 2003 sur le cannabis. Chiffres concernant la province de Chefchaouen 14 Enquête 2003 de l’ONUDC sur le cannabis Superficies Superficie totale (ha) 529503 SAU bour (ha) 168700 SAU irriguée (ha) 3800 SAU totale (ha) 172500 Total des exploitants de la province 52317 Superficies enquêtées (ha) 529503 Exploitants enquêtés 724 Exploitants cultivant le cannabis 680 Total des exploitants à cannabis 49138 Cannabis bour (ha) 60970 Cannabis irrigué (ha) 5729 Cannabis total (ha) 66699

On aura remarqué, entre autres, que la superficie irriguée de cannabis est supérieure à la superficie totale irriguée de la province15. Dans tous les cas, si l’on ajoute le cannabis aux superficies des cultures annuelles de la monographie, nous aurions de 193 000 ha dont 66 700 ha de cannabis. Au-delà de ces chiffres, ce qu’il faudrait retenir et que l’enquête signale, c’est que le cannabis est cultivé, dans presque tous les douars, par 94 % des exploitants. Ajoutons pour en finir avec le cannabis que selon l’enquête de 2003, la part du cannabis dans le revenu familial est de 62%16 contre 11% pour les céréales, 6% pour les autres productions végétales, 8% pour l’élevage et 12% pour les autres revenus.

D’une manière générale, l’agriculture de la province de Chefchaouen est une agriculture familiale, vivrière avec de très petites exploitations, (90% des exploitations auraient une superficie inférieure à 5 ha) un fort morcellement. C’est une polyculture essentiellement orientée vers la l’autoconsommation mais les besoins de la famille sont rarement satisfaits notamment pour le blé dur et le blé tendre.

Les céréales et les légumineuses sont destinées à l’autoconsommation, elles font l’objet de techniques culturales relativement peu évoluées même si l’utilisation des engrais17 et de la mécanisation du travail du sol est répandue. Les rendements sont faibles de l’ordre de 10 à 15 Qx/ha pour les céréales. Les cultures fourragères sont marginales.

L’arboriculture est dominée par l’olivier dont la culture reste très extensive avec de faibles rendements et des variations interannuelles importantes. Le figuier semble avoir régressé et la valorisation de la production est insuffisante. En dehors de l’amandier, les autres espèces occupent de faibles superficies.

Malgré un potentiel important en PMH, les cultures irriguées occupent de faibles superficies. On a recensé 181 périmètres de PMH qui couvriraient plus de 9 000 ha. Le document de projet donne une superficie irriguée de 5 400 ha. Il s’agit la plupart du temps d’irrigation gravitaire traditionnelle par seguia dont l’efficience est faible. Peu d’ouvrages traditionnels ont été modernisés18. Les techniques d’irrigation 14 Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’APDN Maroc Enquête sur le cannabis 2003. Décembre 2003. 15 D’après le document de l’ONUDC les chiffres qui ne proviennent pas de l’enquête ont été fournis par les services agricoles 16 C’est à Chefchaouen et à Al Hoceima que ce taux est le plus élevé ailleurs il est de 15% à Larache, 39% à Tétouan, et 33% à Taounate. 17 Selon certaines sources les grandes quantités d’engrais consommées dans le Nord sont avant tout destinées au cannabis. Cette « surutilisation » aurait des effets très négatifs sur les qualités des eaux. 18 Le projet Chefchaouen a engagé l’action d’aménagement de 13 périmètres de 830 ha au total.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 19

restent rudimentaires. L’irrigation porterait sur 2 350 ha de cultures maraîchères (pommes de terre, oignon, tomates.) Une superficie équivalente serait cultivée en bour.

L’élevage joue un rôle économique et social de premier plan dans la province. Comme les données concernant les effectifs restent incertaines on prendra tous ceux qui sont donnés ici avec les précautions d’usage.

Tableau n°8 : Chefchaouen effectifs du bétail19

Espèces Nombre Bovins, race locale 52 535 Bovins, race pure 8 014 Bovins, race croisée 5 244 Total bovins 65 793 Ovins 74 299 Caprins 161 962 Equidés 61 066

Source : Chiffres de 2002 du service vétérinaire de la DPA d’après le rapport Référentiel technique première partie

Dans la province c’est l’élevage caprin qui prédomine. Diverses actions d’amélioration de la production de viande et de lait ont été engagées à travers plusieurs projets et notamment avec l’ANOC. Ces actions concernent principalement l’amélioration de la race caprine et la production de fromage de chèvre. Dans les revenus agricoles hors cannabis, les revenus de la production animale viennent en premier. D’une manière générale, et en dehors d’un petit élevage bovin laitier, l’élevage est très extensif et sa nourriture dépend essentiellement de la végétation naturelle.

LES AUTRES ACTIVITES ECONOMIQUES20

La province de Chefchaouen dispose de peu d’activités industrielles et de services. Il faut cependant signaler les activités de pêche maritime sur la côte méditerranéenne. La pêche occupe une population importante puisqu’on recenserait 1 130 pêcheurs dont prés de 600 dans la pêche artisanale. La flottille serait composée de 7 senneurs, 1 palangrier et 1 chalutier. En 2002, la flotte de pêche aurait débarqué 455 tonnes de produits pour une valeur de 2,2 millions de DH. Une unité de congélation fonctionne localement.

Le tourisme constitue une activité prometteuse. Le flux touristique ne cesse d’augmenter passant de 52 000 touristes en 1999 à 68 500 en 2002. L’artisanat est assez actif. Il y aurait 28 coopératives artisanales. Le secteur industriel est très modeste pour ne pas dire inexistant.

LE PROJET GEFRIF

Sur financement de la Communauté Européenne, le projet de Protection et Gestion participative des Ecosystèmes Forestiers du Rif a commencé en 1995 et s’est achevé en 2001. Le projet s’est déroulé en deux phases. Ses objectifs étaient de contribuer à l’arrêt du processus de dégradation des écosystèmes forestiers, d’encourager la participation des populations à une gestion rationnelle des ressources naturelles.

19 Le rapport sur le référentiel technique signale des variations importantes d’effectifs depuis 1995. Les effectifs sont passés de 130000 à 85000 pour les bovins, de 125000 à 75000 pour les ovins et de 375000 à 162000 pour les caprins. Ces variations seraient dues à la sécheresse. Cependant, il est aussi possible que ces fortes variations soient dues à l’imprécision des statistiques. 20 Les informations fournies ici proviennent du document « Monographie de la province de Chefchaouen. 2003. Province de Chefchaouen.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 20

La première composante du projet comprend 4 études (étude foncière, schéma directeur d’aménagement des forêts du Rif, programme énergie, filières). La deuxième composante qui constitue le projet proprement dit porte sur l’aménagement forestier, le bois-énergie, l’éco-développement et les infrastructures.

La démarche du projet était éminemment novatrice en oeuvre en 1995. D’une part, il a bénéficié d’une autonomie financière qui lui a permis une très grande souplesse d’intervention et, d’autre part, il a fait participer les populations aux activités de développement dans des zones réputées difficiles où la culture du cannabis était importante et où l’Etat était peu intervenu auparavant.

C’est avant tout par l’application d’une démarche participative que le projet a permis de constituer une sorte de modèle démontrant ainsi que cette approche pouvait être opérationnelle. C’est à partir de ce travail pionnier que le Projet de développement participatif des zones forestières et périforestières de la province de Chefchaouen (projet Chefchaouen) a été élaboré.

Parmi les réalisations les plus originales du projet, il faudrait signaler celles qui portent sur les institutions. Diverses structures représentant les populations ont été créées après une phase importante de sensibilisation. Après une période d’information sur le projet, les animateurs et animatrices ont travaillé avec les populations de chaque douar pour dresser le diagnostic participatif21. On procède ensuite à la désignation de trois délégués par douar, deux pour les hommes et une pour les femmes. Les comités de massifs ont surtout servi à la délimitation des massifs et à définir les orientations de gestion. Des commissions locales qui ont été créées au niveau d’une unité sociale utilisant un même espace forestier sont plus petites et plus représentatives des populations dans les douars. Le projet a créé des comités de massifs et 18 commissions locales des forêts22. Les comités de massifs rassemblent les usagers du massif alors que les comités des forêts sont plus destinés à faire émerger les intérêts des populations et à faire participer celles-ci à la gestion rationnelle des espaces qu’elles utilisent. Les structures ainsi créées ont été remplacées par la suite, après l’intervention du projet dans les divers douars, par des associations locales de développement. Le projet a créé 44 associations regroupant 92 douars. Le projet a réalisé un grand nombre d’études dont certaines ont un intérêt direct avec le développement durable des forêts rifaines : Etude foncière, socio-économique23, aménagements, bois énergie, apiculture plantes aromatiques et médicinales.

Les réalisations du projet ont porté principalement sur la distribution de 130 fours améliorés, la délimitation de 20 000 ha de domaine forestier, l’équipement (pistes ; vigies...), le reboisement de 350 ha. En matière d’éco-développement, le projet a contribué à l’adduction d'eau potable au bénéfice de 1000 foyers, la distribution de 120 ruches au profit d’associations d’apiculteurs.

D’une manière générale, le projet aurait eu un impact qui dépasse sa zone d’intervention. Si l’on en croit le rapport d’achèvement, le projet a contribué à la résolution de conflits fonciers dans les deux massifs d’intervention, à faire progresser la délimitation du domaine forestier de l'Etat, à mettre en oeuvre un plan concerté d’aménagement, à favoriser l’organisation des populations. Il a établi un partenariat avec celles-ci et avec des ONG et d’une manière générale il a participé à réduire les conflits entre les populations et l’administration des forêts et à atténuer l’hostilité des usagers de forêts.

Le projet GEFRIF a eu peu de réalisations sur le terrain compte tenu de son coût. Son influence du point de vue des idées a été autrement plus importante.

21 C’est ainsi par exemple que les populations ont dressé une carte de l’espace et qu’elles utilisent pour le pâturage et l’approvisionnement en bois de feu. 22 Les données fournies sur le projet GEFRIF sont extraites du rapport de clôture du projet. Youssef Melhaoui, Aïssa Mokadem et Saïd Benjira juillet 2001. 23 Enquête douars, exploitations, systèmes d’élevage…

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 21

PRESENTATION DU PROJET CHEFCHAOUEN 24

DONNEES GENERALES

D’une durée de 7 ans à partir de juillet 1999, le projet est d’un coût total de 375, 6 millions de DH. Le financement a été prévu selon le schéma suivant :

Tableau n°9 : Coût et financement du projet Chefchaouen

Financement du projet Millions de DH % Budget de l'Etat 64,5 17% Agence de développement du Nord 26 7% Union Européenne 258 69% Participation des populations 27,1 7% Coût total 375,6 100%

Le projet qui intervient dans toute la province de Chefchaouen devrait bénéficier à 80 000 personnes dans 200 douars.

CONCEPTION GENERALE, JUSTIFICATION

L’identification et la préparation du projet MEDA développement participatif des zones forestières et périforestières de la province de Chefchaouen ont eu lieu de juillet à septembre 199825. Cette préparation a donc eu lieu au tout début de la deuxième phase du projet GEFRIF. Ajoutons qu’un autre projet financé par l’UE le programme MEDA DRI-GRN était aussi en cours dans la province de Chefchaouen

Selon le document de projet, la justification principale du projet réside dans « la faiblesse des revenus en milieu rural et la conséquence sur la dégradation des ressources naturelles et des forêts. » et dans le fait que ces revenus sont basés sur un système de production « non durable » où la culture du cannabis occupe une place importante, système qui accélère la dégradation du milieu. Cette situation a pour cause :

a) l’enclavement des populations qui n’ont pas accès aux services de base ; b) l’insuffisances des voies de communication (routes et pistes) c) Le caractère extensif de l’agriculture et de l’élevage ; d) L’insécurité foncière e) Et une forte pression démographique sur les forêts.

ZONE D’INTERVENTION ET GROUPES CIBLES

La zone du projet est constituée par le territoire de la province de Chefchaouen qui couvre une superficie totale de 435 000 ha dont 175 000 ha de forêts (40% des superficies) alors que les terres agricoles ne représentent que 100 000 ha (23%). D’près le recensement de 1994, la densité de la population est supérieure à 100 habitants au Km². (voir détails plus haut présentation de la province de Chefchaouen)

Le projet de vise pas explicitement un groupe cible particulier mais l’ensemble de la population rurale de la province de Chefchaouen. De fait le projet vise plus particulièrement les populations qui vivent 24 Les données fournies ici sont extraites du document de la commission Européenne « mission de préparation du document « développement participatif des zones forestières et périforestières de la province de Chefchaouen » Rapport définitif, septembre 1998. MEDA TEAM Maroc. 25 Le document de projet est daté de septembre 1998.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 22

à l’intérieur ou à la périphérie des massifs forestiers. Comme la province de Chefchaouen est composée à 90% de ruraux, autant considérer que le projet intéresse l’ensemble de la population.

La population rurale de la province peut être estimée en 2004 à environ 438 000 personnes en supposant que la population rurale ne s’est accrue que de 1% en moyenne depuis la date du dernier recensement en 199426. On trouvera plus loin une présentation plus détaillée de la démographie. Il est difficile de continuer à utiliser les chiffres de 1994 car les choses ont beaucoup changé depuis. Rappelons qu’en 1994 la population rurale de Chefchaouen était évaluée à 396 000 personnes.

Les bénéficiaires directs du projet ont été estimés à 80 000 personnes réparties entre 200 douars. Retenons ici que le projet devrait intervenir dans 200 douars au profit direct d’environ un cinquième des ruraux de la province.

La logique de l’intervention du projet est simple. La sauvegarder et le développement du patrimoine végétal dépendent des populations. C’est en agissant simultanément, d’une part pour améliorer le niveau de vie des populations et d’autre part pour associer celles-ci à la gestion des espaces forestiers et à leur utilisation que l’on créera les conditions d’un développement durable.

LES OBJECTIFS

L’objectif général du projet est d’améliorer durablement les conditions de vie des ruraux vivant dans les zones forestières et périforestières de la province27

Plus spécifiquement, les objectifs du projet portent sur :

a) « la gestion participative, la valorisation et l'aménagement intégré des espaces agricoles et forestiers

b) l'augmentation et la diversification des revenus c) l'amélioration de l'accès aux infrastructures socio-économiques de base. »

On notera ici que la gestion participative est un objectif non pas une méthode ou un moyen permettant d’atteindre d’autres objectifs écologiques ou autres. Même si elle reste implicite, la finalité écologique du projet est très présente.

COMPOSANTES ET RESULTATS ATTENDUS

Le projet comporte 5 composantes. Elles sont résumées le tableau suivant avec les résultats attendus de chacune d’elle.

Tableau n°10 : projet Chefchaouen, composantes et résultats attendus

Composante Résultats attendus Planification participative formation et

coordination 1. La participation des populations au développement de la province est accrue

Protection et gestion des massifs forestiers 2. Les massifs forestiers sont protégés et gérés avec la participation des populations

26 En 1994 la population de la province de Chefchaouen était 439 000 personnes dont 396 000 ruraux. Il faut fort probable que la population rurale a augmenté pas au taux de la population de la province entre 1984 et 1994 soit 3%. Il serait ainsi plus raisonable de retenir un taux d’accroissement annuel moyen de la population rural de 1% ce qui donnerait une population rurale totale de la province en 2004 de 438 000 personnes. 27 Il est intéressant ici de signaler que le document de projet ne parle pas des objectifs ultimes du projet qui visent à la conservation et au développement durable des ressources forestières.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 23

Aménagement du Parc Naturel de Talassemtane

3. La biodiversité dans le Parc de Talassemtane est préservée

4. La productivité des terres en bour et irriguées est améliorée

5. La propriété foncière dans la périphérie des forêts est sécurisée

Amélioration des systèmes de production en périphérie des massifs forestiers

6. La productivité de l'élevage caprin et bovin laitier est améliorée

Infrastructures 7. Des infrastructures socio-économiques de base sont réalisées

Source : « mission de préparation du document « développement participatif des zones forestières et périforestières de la province de Chefchaouen » Rapport définitif, septembre 1998. MEDA TEAM Maroc

Les principales réalisations attendues portent sur :

??La préparation de plans de développement participatifs dans 200 douars et l’organisation de ces populations en groupements

??.L’aménagement28 de 6 970 ha de forêts et la gestion concertée de entre le service forestier et les populations de 17 000 ha de domaine forestier;

??Dans le parc de Talassemtane, la protection de 3 000 ha de sapinière et la gestion concerté entre les populations et les services forestiers de 18 000 ha de forêts, du le par.

?? Aménagement et mise en valeur hydro-agricole de 2 577 ha de petits périmètres irrigués ; ;

??Végétalisation et traitement de ravines sur 1 050 ha de terres en bour ; ?? Aménagement de terres en bour et plantation fruitières sur 11 000 ha ; ??Immatriculation de 10 000 ha de terrains privés situés à la périphérie du domaine

forestier de l'Etat au profit des populations ; ??Création de coopératives laitières au profit de 300 éleveurs disposant de d’un

millier de vaches ; ??Organisation de 300 éleveurs de caprins possédant 6600 chèvres ??Aménagement de 300 Km de pistes rurales et forestières et de 50 points d’eau.

Dans les réalisations prévisibles précédents extraites du document du projet, il n’y a pas d’activités spécifiques au profit des femmes alors que ce document insiste sur la situation défavorisées des femmes soumises à de lourdes traditions sociales qui font qu’elles profitent bien moins que les hommes de l’accès à la l’éducation, à la santé et à l’information. Le projet prévoit cependant certaines actions vont profiter aux femmes comme la construction et l’équipement de centres féminins, les petits projets générateurs de revenus financés sur le fonds d’intervention du projet. Rappelons que le projet a recruté 10 animatrices qui interviennent auprès des femmes dans les douars et qui veillent aux PDD.

LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE

La responsabilité de la mise en oeuvre est confiée à l’Administration des Eaux et Forêts qui est l’ordonnateur du projet mais c’est la DPA de Chefchaouen qui est l’ordonnateur délégué. L’ensemble du circuit financier du projet est contrôlé par le ministère des finances, représenté à Chefchaouen et par la délégation de l’UE à Rabat. L’utilisation des fonds du projet obéit aux règles du budget de l’Etat et aux directives de l’UE.

Pour la mise en œuvre, le projet dispose d’une unité de gestion (UGP) localisée à la DPA de Chefchaouen. Sous la responsabilité d’un directeur de l’UGP qui n’est pas ordonnateur (c’est le DPA qui est ordonnateur) cette unité comprend des fonctionnaires, une assistance technique (nationale mais surtout expatriée) et un personnel contractuel (animateurs et animatrices.) Au niveau de la DPA, l’UGP comprend

28 Les études d’aménagement concerté des forêts porteraient sur 50 000 ha

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 24

plusieurs services relayés sur le terrain souvent au niveau des Centre de Travaux (CT) par 5 unités opérationnelles de planification et de suivi participatif (UOP) qui comportent chacune 4 personnes : 2 animateurs, 2 animatrices, un technicien forestier et un technicien agricole.

Le projet dispose d’un comité national de suivi regroupant des représentants de plusieurs administrations et un comité provincial présidé par le gouverneur et où sont représentés les services techniques régionaux mais aussi les populations et les collectivités locales.

Les UOP interviennent dans les douars pour préparer avec les populations les plans de développement de douar (PDD.) Les PDD contiennent plusieurs actions de développement qui sont examinées par le projet. Celles qui sont retenues font l’objet de négociation avec les populations qui sont représentées par des comités de douar. Les actions retenues sont budgétisées par le projet en vue de leur réalisation.

La réalisation des actions ainsi que leur supervision sont confiées à des partenaires avec lesquels le projet a passé des contrats de coopération (DPA, SPEF, ANOC et autres ONG…) Dans leur majorité les actions sont réalisées à l’entreprise à travers des appel d'offres.

ETAT D’AVANCEMENT

Prévu pour une durée de 7 ans à compter de juillet 1999, le projet n’a effectivement démarré qu’en juillet 2001. Le projet est donc pratiquement à mi-parcours29, puisque la date d’achèvement est prévue pour juillet 2006.

Au 31 12/2003 les réalisations du projet peuvent être résumées comme suit :

29 Le projet a fait l’objet d’une mission d’évaluation à mi-parcours en mai 2004.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 25

Tableau N°11 : Etat des réalisations du projet Chefchaouen.

Action Quantité prévue Unités Taux de réalisation Construction de bassins 3 U 70 Construction de postes de vigie 5 U 47 Entretien des bâtiments 94 Entretien de maisons forestières 25 U 100 Construction de maisons forestières 2 U 25 Traitements de ravins 1 100 ha 93 Traitements de ravins 2 300 ha 100 Restauration de la subéraie 150 ha 0 Plantations arboricoles 1 200 ha 100 Plantations arboricoles 2 1150 ha 50 Régénération des sapinières 150 ha 100 Traitement sylvicole 1600 ha 90 Restauration de la subéraie 300 ha 40 Aménagements des points d'eau 1 4 U 50 Aménagements des points d'eau 2 10 U Aménagements sylvo-pastoral 200 ha 30 Reboisements 3700 ha 30 Etudes pistes et PMH Aménagement TPF 15 Km 60

Source : HCEFLCD. Fiche du projet

ESSAI D’EVALUATION

RESULTATS DU MONITORING DE MAI 2004.

Le projet a bénéficié d’une mission de monitoring en mai 2004. Le rapport de monitoring30 a été quelque peu sévère comme illustré dans le résumé de conclusion donné ci-dessous :

Pertinence et qualité de la conception b Efficience de la mise en oeuvre à ce jour c Efficacité actuelle c Impact actuel c Visibilité potentielle c

a : très satisfaisant ; b : satisfaisant ; c : problèmes ; d : sérieux problèmes.

En dehors de la pertinence et de la qualité considérées comme satisfaisant, les autres thèmes posent problème.

Ces difficultés et problèmes s’expliqueraient par :

??La complexité du projet, la diversité de ses actions, la multiplicité des partenaires qui ont parfois des intérêts divergents, la dimension de la zone du projet. Selon le

30 Rapport de monitoring, Maroc Mar. Développement rural intégré des zones forestières et périforestières de Chefchaouen MR-10012.016 07/06/04 Moniteur Michèle Néble.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 26

moniteur, les intérêts divergents des agronomes et des forestiers sont opposés. La difficulté de coordonner l’action de différents intervenants (Eaux et Forêts, DPA, agence de développement des provinces du Nord » a paralysé l’évolution du projet. En outre le comité provincial qui devrait notamment faciliter cette coordination ne l’assure pas correctement à cause de sa lourdeur, du trop grand nombre de personnes qui y sont réunies.

??Le projet souffre d’une mauvaise gestion des ressources humaines. C’est à cause de sa complexité que le projet a accumulé du retard (divergences de vues entre SPEF et DPA sur l’approche participative).

??La direction de l’UGP est trop sollicitée par le travail administratif. Elle n’a pas suffisamment de temps à consacrer au développement et à au suivi. La direction de l’UGP et la coordination de l’assistance technique ne maîtrisent pas la gestion du projet31.

??Beaucoup de retards ont été accumulés et l’impact du projet sur le terrain est minime. Cependant « les UOP ont abouti à 70 diagnostics participatifs en concertation avec les populations bénéficiaires mais à ce jour aucune exploitation des résultats n’a été présentée et exploitée de façon rationnelle et concertée. »

??Malgré les difficultés constatées aucun des partenaires ne remet en cause la viabilité du projet en dépit de sa complexité. Mais « A ce jour par manque de gestion au quotidien du projet ainsi que par manque de concertation entre les différents partenaires du projet, il semble que le projet soit paralysé »

REMARQUES GENERALES

Les analyses faites ici le sont en rapport essentiellement avec les préoccupations de l’étude de cas. L’évaluation du projet en tant que telle n’est pas visée. Mais certains éléments et notamment les différences qui apparaissent entre la conception et la mise en oeuvre renferment des enseignements dont il sera tenu compte dans la conception des scénarios. Dans cette analyse nous nous attacherons plus à faire apparaître ce en quoi le projet a innové, l’intérêt méthodologique de ces innovations et leur portée nationale ou régionale. On s’attachera aussi à recadrer les problèmes et les difficultés afin de leur donner une portée générale. Plusieurs des remarques et thèmes sont plus liés aux orientations issues des activités du projet GEFRIF.

Pour le projet Chefchaouen nous retiendrons 6 thèmes liés à la problématique générale du PFN.

a) Le contexte de conception et de mise en oeuvre b) La gestion administrative et financière du projet c) La participation des populations d) Le partenariat et l’association d’autres institutions aux activités de développement e) La place des forêts dans le développement rural ; f) La domanialité des espaces forestiers et sa légitimation

CONTEXTE DE CONCEPTION ET DE MISE EN OEUVRE

Le projet GEFRIF a été conçu au début des années 1990. Le projet Chefchaouen a été conçu avant la préparation du PFN, en tout cas avant son adoption de façon officielle. Il est important de marquer le cadre conceptuel et l’environnement « idéologique » dans lequel les projets sont conçus et mis en œuvre. Il est aussi important de bien mettre en évidence les mobiles des interventions et les justifications qui ont provoqué les interventions pour le développement. 31 Le moniteur n’y fait pas allusion mais il semblerait cependant qu’il y ait d’importantes dissensions entre l’assistance technique expatriée et la direction nationale du projet (UGP et DPA)

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 27

Au début des années 1990 l’approche participative n’était pas encore à l’ordre du jour dans l’Administration des Eaux et Forêts. Il y avait bien quelques projets où l’approche était tentée à titre pilote mais cette approche n’était connue que d’un tout petit nombre de personnes. Et quand l’approche participative a commencé à être évoquée, quand les différents partenaires internationaux pour le développement (PNUD, FAO, Banque Mondiale, FIDA, UE) ont voulu l’introduire dans les projets, l’attitude des cadres comme celle des techniciens était emprunte d’un certain scepticisme sinon une franche hostilité. L’approche participative sur laquelle a été basée la conception du projet GEFRIF était ainsi quelque peu étrangère à la culture de l’Administration des Eaux et Forêts du début des années 1990 et à celle des services techniques provinciaux.

Les mobiles d’intervention de l’Administration des Eaux et Forêts et ceux qui ont justifié la contribution financière de l’UE ne sont pas forcément les mêmes. Le Rif plus particulièrement mais d’autres zones rurales aussi a relativement peu bénéficié d’interventions de l’Etat pour le développement. Le Rif reste une des régions les plus enclavées du pays, les moins desservies en eau potable en électricité qui a le moins profité de l’enseignement public. L’intervention de l’Etat et des autres partenaires aurait pu être justifiée par le déséquilibre constaté entre ces régions et le reste du pays. L’UE européenne ne cache pas son désir d’aider à la substituer d’autres cultures à celle du cannabis. L’Administration des Eaux et Forêts partage le même souci mais est davantage préoccupée par la sécurisation foncière du domaine forestier de l'Etat dont la délimitation dans l’ancienne zone nord est toujours pendante 50 ans après l’indépendance.

Le contexte de la conception du projet Chefchaouen est différent. D’une part le projet GEFRIF a participé à mieux faire connaître l’approche participative en tout cas, il a montré que son application était possible, d’autre part la culture de l’Administration des Eaux et Forêts commence à intégrer l’approche participative. En tout cas celle-ci est à l’ordre du jour. La vision du développement forestier s’élargit. La préoccupation du développement local progresse et, ce qui est plus important, la place et le rôle des populations dans l’aménagement et la gestion des espaces forestiers deviennent de plus en plus centraux.

Le contexte de la mise en oeuvre du projet GEFRIF était difficile dans la mesure où la démarche adoptée ne semblait être comprise ou acceptée que par une petite minorité de personnes. La situation s’est légèrement modifiée pour le projet Chefchaouen. Cependant, l’approche participative continue à se heurter à des résistances culturelles chez les techniciens et les autorités locales.

LA GESTION ADMINISTRATIVE ET FINANCIERE DU PROJET

La gestion administrative et financière des projets a toujours posé problème. Les exigences de souplesse de la mise en oeuvre du projet sur une période 5 ans en général se heurtent aux rigidités des procédures administratives et financières. Les procédures de gestion financière des fonds provenant du budget de l’Etat sont connues pour être extrêmement contraignantes. Ce qui est moins facile à comprendre dans le cas du projet Chefchaouen c’est qu’à ces contraintes déjà très lourdes s’ajoutent celles liées aux fonds provenant de l’UE qui obéissent et c’est normal à des procédures particulières.

Le projet GEFRIF a joui d’une position particulière qui lui a permis une souplesse de gestion qui manque cruellement au projet Chefchaouen. Le projet GEFRIF était soumis à un contrôle financier à posteriori et ses fonds ne transitaient pas par le budget de l’Etat.

La programmation budgétaire annuelle, telle qu’elle se fait actuellement au projet Chefchaouen ne favorise pas l’approche participative. En effet, la préparation du budget commence dés le mois juin mais les fonds ne commenceront à être disponibles qu’au mois d’avril. Le travail des UOP produit des actions de développement dont les populations attendent une mise en oeuvre rapide. Or, en théorie, pour qu’une action soit intégrée au budget il faut qu’elle soit ficelée avant le mois de juin pour pourvoir être exécutée au plus tôt au mois d’avril de l’année suivante dans le meilleur des cas mais souvent bien plus tard si l’on tient compte des délais liés aux procédures des appel d'offres. C’est ainsi que le projet se retrouve avec des PDD dont l’exécution accuse des retards considérables. Une telle situation est extrêmement dommageable. Le

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 28

projet est décrédibilisé auprès des populations qui doutent de l’approche participative. Les techniciens et d’autres partenaires comme les autorités locales ont beau jeu de dénoncer la lenteur de l’approche participative qui elle aussi est mise en cause.

La mise en oeuvre d’un projet exige la réunion et la mobilisation de ressources et notamment de ressources humaines. Dans le cas du projet Chefchaouen il y mobilisation de ressources financières provenant du budget de l’Etat, de l’UE et de l’Office du Nord et la mobilisation de ressources humaines d’origines encore plus variées. Il n’est pas toujours facile de coordonner l’utilisation des ressources financières qui n’obéissent pas aux mêmes procédures. La constitution d’équipes de projet avec du personnel venant d’horizons très divers n’est pas non plus chose facile. L’UGP comporte des fonctionnaires de l’Etat provenant de la DPA et du SPEF, une assistance technique de longue ou de courte durée expatriée, une assistance technique d’origine nationale et un personnel contractuel. C’est une gageur de parvenir à constituer une équipe de projet cohérente et efficace en particulier quand l’assistance technique expatriée de longue durée est étoffée car celle-ci trouve des difficultés à s’insérer dans les structures et les cultures locales. En outre, les rapports entre le coordinateur de l’assistance technique et le directeur de l’UGP ne peuvent être que potentiellement conflictuels. Dans le cas de Chefchaouen la présence d’une assistance technique étoffée semble avoir posé plus de problèmes qu’elle n’en a résolu32. Il faut enfin signaler le problème de l’insertion des animateurs et animatrices qui reste à parfaire. Cette catégorie de personnel n’existe pas dans l’administration elle est recrutée à titre précaire. Comme elle est plus vulnérable que les autres catégories du personnel elle est plus exposée aux aléas33 inhérents au fonctionnement du projet alors qu’elle occupe une position extrêmement sensible dans les rapports du projet avec les populations.

Le principe de subsidiarité veut que le projet ait recours à des partenaires pour la réalisation des activités de développement. Ceci complique considérablement le travail de coordination du projet. En effet il faut identifier les partenaires, organiser la collaboration avec eux sur une base contractuelle suivre leur contribution et les associer au suivi-évaluation. Ce recours à des partenaires parfois en dehors de l’administration est quelque peu étranger aux habitudes de l’administration et de son personnel. Le recours quasi-systématique à la réalisation des actions à l’entreprise complique considérablement le travail surtout quand il s’agit de réaliser de petites actions éparpillées dans le cadre de l’approche participative.

LA PARTICIPATION DES POPULATIONS

Au cours des 20 dernières années, le recours à l’approche participative constitue à coup sûr l’une des innovations les plus importantes dans le domaine du développement agricole et rural du pays. Cependant, la transformation « idéologique » qui a accompagné l’approche participative est encore plus importante. En effet, force est de constater qu’en matière de gestion des ressources naturelles, nous avons assisté à une évolution significative à l’égard du rôle des populations. Celles-ci ne sont plus désignées uniquement comme étant responsables de la dégradation du milieu naturel. On leur reconnaît maintenant et de plus en plus un rôle positif. La volonté d’associer les populations à la gestion des ressources naturelles pour mieux protéger et développer celles-ci a beaucoup progressé au sein des administrations. Les résistances restent cependant importantes et elles sont relativement bien illustrées par le projet GEFRIF et par le projet Chefchaouen.

Le projet GEFRIF a tracé la voie. Il a bénéficié d’un double34 avantage qui lui a permis de rendre faisable l’approche participative : souplesse de la gestion administrative et financière, dimension modeste de sa zone d’intervention limitée à deux massifs forestiers. D’une certaine manière il a bénéficié de l’effet de surprise. Au début, les populations étaient sceptiques, sinon hostiles. Elles ont fini par jouer le jeu même si elles n’y croyaient pas. Mais au fond, l’approche participative ne leur était si étrangère que cela. Ce qui les a le plus surpris c’est la nouvelle attitude de l’administration.

32 Il y a eu un renouvellement important de l’assistance technique expatriée de longue durée. Les prestations de l’assistance technique de courte durée fournie par des bureaux d’étude comme celle de longue durée sont fortement critiquées. L’assistance technique semble de moins adoptée à ce genre de projet alors qu’une assistance technique ponctuelle à la demande, apparaît plus appropriée. 33 Les animateurs et animatrices ont été amenés à cesser le travail à plusieurs reprises pour attirer l’attention sur les retards mis par le bureau d’études qui les a recrutés à payer leurs salaires. 34 Avantages auxquels il faut ajouter la qualité de l’assistance technique de longue durée.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 29

On peut faire plusieurs reproches à la démarche du projet GEFRIF dans ses principes, sa mise en oeuvre et certains de ses résultats, force est de constater que cette démarche a donné des résultats. En tout cas elle constitue une référence. Elle s’impose notamment à ceux qui pouvaient douter de efficacité ou de son opérationnalité.

Dans le projet Chefchaouen la situation est quelque peu différente. D’une part l’approche participative est inscrite dans les objectifs du projet et dans son fonctionnement, d’autre part elle, constitue un critère important de réussite. Pour autant, les résultats ne paraissent pas convaincants. Les raisons de cet insuccès sont multiples. Certaines ont été évoquées dans le rapport du moniteur cité plus haut (rapport entre la SPEF et la DPA, non maîtrise de l’utilisation des propositions issues des PDD.) D’autres ont été évoquées plus haut dans la partie sur la gestion administrative et financière.

D’une certaine manière, l’intégration effective (banalisée) de l’approche participative à l’administration a détourné quelque peu l’approche de ses objectifs et réduit son efficacité. Ceci montre que l’approche participative n’est pas un gadget ni uniquement, un outil, une méthode aseptisée. L’association des populations à la gestion des ressources naturelles ne se justifie pas uniquement par le fait que les populations utilisent ces ressources. Elle est aussi basée sur l’idée fondamentale que les populations rurales ont un apport positif, peuvent constituer un partenaire qui peut aider l’administration dans son action. Cette vision ne fait pas encore partie de la culture du personnel de l’administration. Des progrès existent mais restent trop modestes. La conception des projets ne tient pas suffisamment compte du mûrissement encore insuffisant dans ce domaine.

Le projet Chefchaouen illustre non seulement l’ambiguïté de la mise en oeuvre de l’approche participative dans les projets, celle de la politique générale d’association des populations à la gestion des ressources naturelles mais aussi les difficultés de mise en oeuvre du PFN. Il sera question plus loin avec plus de détails.

LE PARTENARIAT

L’application du principe de subsidiarité se heurte à d’importantes difficultés du fait que les structures administratives forestières ou autres ont fonctionné jusqu’à présent sur une base sectorielle. Si l’idée de partenariat s’est imposée petit à petit, dans la pratique, elle arrive difficilement à se concrétiser. Certes des progrès importants ont acquis dans ce domaine. Non seulement les administrations coopèrent entre elles de plus en plus, abandonnant les anciens cloisonnements mais elles commencent à collaborer avec des ONG ce qui en soit est un acquis d’une très grande portée.

Ce n’est pas uniquement pour des raisons culturelles mais aussi structurelles que le partenariat a des difficultés à se mettre en place. La pratique du partenariat suppose des méthodes, des procédures, une organisation de travail, nouvelles. « On veut bien travailler en partenariat mais on ne sait pas très bien comment. » En effet, les anciennes méthodes de travail étaient balisées notamment pour ce qui est de la délimitation des responsabilités. En outre, le partenariat introduit de nouvelles tâches auxquelles les responsables ne semblent pas avoir été convenablement préparés comme par exemple la préparation des conventions. Là aussi des progrès peuvent être constatés mais ils restent trop modestes.

La pratique du partenariat exige un important travail de coordination dont on tient rarement compte dans la conception des projets. Le projet GEFRIF a montré qu’il était possible d’avoir une coopération fructueuse avec les ONG. Le projet Chefchaouen semble avoir quelques difficultés à d’une part à collaborer avec les ONG, et d’autre part à coordonner les activités avec celles qui interviennent parfois dans les mêmes zones pour des actions similaires à celles du projet35.

35 Ce n’est que tout récemment qu’il ya un essai de mise sur pied d’un comité régional de coordination. Au sein de la province de Chefchaouen existe une unité de coordination du développement local dont la responsabilité est l’organisation et la supervision des activités de développement local des ONG de la province.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 30

FORETS ET DEVELOPPEMENT RURAL

Les projets GEFRIF et Chefchaouen ont été plus orientés vers le développement rural et la gestion des forêts que vers l’utilisation des espaces forestiers au profit du développement rural. En effet, peu de choses ont été prévues dans les deux projets pour mieux tirer profit des espaces forestiers au profit de l’amélioration des conditions de vis des populations. Le travail le plus important a concerné l’utilisation du bois par l’introduction et la diffusion de fours améliorés par le projet GEFRIF dont les actions ont été reprises par le projet MEDA DRI/GRN. L’action du projet Chefchaouen en la matière est restée modeste même si beaucoup de petites actions en plus de l’apiculture peuvent être financées à travers le fonds d’intervention du projet. Il faut signaler ici, notamment dans les provinces du nord, que l’application de la législation forestières n’est pas toujours ne favorise pas toujours l’utilisation des forêts pour le développement rural.

LA DOMANIALITE DES ESPACES FORESTIERS ET SA LEGITIMATION

Le projet GEFRIF aurait permis des avancées importantes en matière de délimitation des forêts dans le Rif. Les principes de base retenus et qui semblent avoir eu l’aval de l’Administration des Eaux et Forêts et la méthode de délimitation participative (celle-ci ne semble pas avoir l’accord de tout le monde) semblent avoir donné de bons résultats dans les deux massifs concernés. Ce travail de délimitation participative aurait été repris par le projet DRI/GRN. Le projet Chefchaouen n’intervient pas directement dans la délimitation mais dans l’immatriculation des terrains privés péri forestiers. D’une certaine manière, les trois projets (GEFRIF, DRI/GRN et Chefchaouen) poursuivent le même objectif qui est de cantonner les populations dans les terrains nus qu’elles exploitent espérant par là qu’elles vont reconnaître et accepter la domanialité des forêts sur le reste.

Le problème de délimitation des forêts rifaines est d’une très grande complexité qui malheureusement n’a pas fait l’objet d’un traitement à sa mesure. Il faut rappeler que c’est en 1960 seulement qu’il a été décidé d’appliquer la législation forestière à la partie nord du pays, c’est seulement en 1966 qu’auraient commencé les délimitations administratives. Après prés de 40 ans, les forêts rifaines ne sont toujours pas délimitées. Ceci est certainement dû à une multitude de facteurs. Nous en analysons ici quelques uns car les activités de délimitation ont un effet déterminant sur l’attitude des populations, les rapports de celles-ci avec l’Administration des Eaux et Forêts et les projets de développement. La persistance du problème de délimitation a pour ainsi dire empoisonné les rapports avec les populations36. La participation des populations son rôle positif à l’avenir risquent d’être mis en cause si l’on ne parvient pas à une délimitation acceptable et acceptée par les populations.

Remarque sur la délimitation administrative des forêts rifaines :

a) Les délimitations administratives qui ont été faites entre 1920 et 1940 dans la partie du pays sous protectorat français ont été possibles avec des densités de population bien inférieures37 à celles actuelles du Rif. En outre, les populations ont vécu ces délimitations comme de véritables spoliations considérant que les forêts leur appartenaient.

b) L’application, sans précaution, en 1960, de la législation de 1917 à la partie nord du pays, soumis au protectorat espagnole a été désastreuse. Elle a compliqué la situation. Elle s’est privée des moyens d’une unification harmonieuse de la législation forestière.

c) Les conditions économiques et sociales qui étaient celles des délimitations administratives des années 30 et 40 sous le protectorat français ne peuvent qu’être différentes à l’indépendance et de surcroît dans l’ancienne zone espagnole soumise à une juridiction différente pendant des dizaines d’années.

d) Si en 1917, au moment de la loi sur les forêts, il pouvait apparaître, notamment à la puissance coloniale, que, pour « sécuriser » les espaces couverts de végétation

36 Beaucoup d’observateurs pensent que le recul des forêts rifaines serait dû en partie aux opérations de délimitations. 37 Dans les années 1920 la population du Maroc était estimée à 5 millions d’habitants.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 31

forestière, il fallait qu’ils soient intégrés au domaine de l’Etat, il est légitime aujourd’hui de se demander si ce but ne peut pas être atteint par d’autres moyens.

e) La procédure de délimitation administrative est prévue par la loi. L’application de cette procédure aux forêts rifaines est-elle inévitable ?

f) Il est quelque peu irréaliste de vouloir appliquer les procédures de délimitation administratives sans tenir compte des transformations considérables qui ont eu lieu après l’indépendance : le pays s’est doté d’une constitution, dispose représentants élus des populations au niveau de communes rurales et du parlement etc.)

La délimitation des espaces forestiers est indispensable ne serait-ce que pour l’application des textes de loi sur le régime forestier. La domanialité de ces espaces est certes une bonne chose mais ce n’est nullement une fin en soi. La végétation forestière peut être préservée sous d’autres régimes fonciers. A l’occasion de ces délimitations les droits des populations riveraines doivent être préservés et leurs devoirs réaffirmés.

Au-delà des délimitations nécessaires en tant que telles, l’essentiel est la légitimation aux yeux des populations et de leurs institutions représentatives de la préservation des ressources et, d’une part de la domanialité des forêts d’autre part. Le processus par lequel cette légitimation sera rendue possible reste à trouver et à mettre en œuvre. Un exemple de ce processus de légitimation est donné par les délimitations participatives entreprises dans le cadre du projet GEFRIF.

IMPACT DU PROJET

Quel peut-être l’impact du projet Chefchaouen maintenant sur le développement de la province de Chefchaouen ? Quel sera son impact après son achèvement ? Même s’il est difficile de répondre à ces questions de manière objective et argumentée, il légitime qu’elles soient posées. Il est aussi nécessaire d’esquisser quelques réponses « prospectives » basées sur quelques tendances observées et sur les remarques dont il a été question précédemment.

Le projet GEFRIF a eu un impact symbolique important auprès des populations mais aussi auprès des l’Administration des Eaux et Forêts. D’une certaine manière, il a tracé la voie.

Quel sera l’impact du projet Chefchaouen ? Il faut rappeler que dans la province plusieurs projets sont actuellement en cours. Beaucoup visent la gestion des ressources naturelles. Le projet Chefchaouen est certainement le plus important, en tout cas celui qui porte sur l’ensemble de la province. Si le projet ne bénéficie pas d’une réorientation importante à l’occasion de l’évaluation à mi-parcours, son impact risque d’être fort modeste. D’une part, jusqu’à présent, ses réalisations sur le terrain, avec les populations, dans le cadre de l’approche participative ne sont pas encore convaincantes, d’autre part, sa démarche n’est pas susceptible d’entraîner d’autres intervenants notamment des ONG dans son sillage38. Certes le projet va laisser derrière lui des réalisations dans les douars dans lesquels il intervient mais la durabilité et la reproductibilité de ces réalisations n’est pas très assurée dans les conditions actuelles.

38 D’une certaine manière la démarche du projet en matière d’approche participative est contreperformante. L’approche participative risque d’être discréditée.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 32

LE PROJET D’IFRANE

LA PROVINCE D’IFRANE39

La province d’Ifrane fait partie du deuxième grand massif montagneux du pays, grande région géographique, le Moyen Atlas, plus précisément la sous région appelée Moyen Atlas central. La province couvre une superficie totale de 355 000 ha avec une population de 127 000 habitants (1994.)

Administrativement, la province d’Ifrane est composée de deux cercles, Ifrane et Azrou, de 5 caïdats, 32 machyakhats (dont 8 urbaines) et 8 communes rurales. Au recensement de 1994 la province comportait seulement deux municipalités (Azrou et Ifrane.)

Le SPEF d’Azrou dépend de la DREF du Moyen Atlas localisée à Meknès. Il est organisé en 3 Centres de Développement Forestier (CDF) avec une brigade de chasse. La DPA, localisée aussi à Ifrane, comporte les principaux services de la production agricole, le service vétérinaire, les service études et programmation, et le service des aménagements tous placés sous la responsabilité du directeur de la DPA. Dans l’ensemble de la province, il n’y a que de 2 CT.

A côté du découpage administratif et technique subsiste un découpage « ethno » territorial représenté essentiellement par ce qu’on appelle communément les fractions. D’une manière générale, chaque fraction contrôle un espace collectif constitué le plus souvent de parcours. Ces fractions sont au nombre d’une trentaine40. En général, la fraction est représentée par des naïbs élus auprès de l’administration de tutelle des terres collective, le ministère de l’intérieur, direction des affaires rurales.

DEMOGRAPHIE

Les données démographiques proviennent du recensement de 1994.

La population totale de la province en 1994 était de 127 677 habitants dont 66 614 ruraux soit 52%, ce qui est relativement proche de la moyenne nationale. La population urbaine a fortement augmenté depuis le recensement de 1971 comme on peut le voir dans le tableau suivant.

Tableau n°12 : Province d’Ifrane. Evolution de la population

Population Accroissement annuel moyen Population/Année 1971 1982 1994 De 71 à 82 De 82 à 94 Population urbaine 30920 44474 61063 3,40% 2,70% Population rurale 50235 55687 66614 0,90% 1,50% Population totale 81155 100161 127677 1,90% 2%

La province comporte deux centres urbains importants, Azrou avec 41 000 habitants et Ifrane 11 000. Certains chefs lieu de commune rurale même s’ils ne sont pas érigés en municipalité comportent une population importante, c’est le cas de Sidi El Mokhfi (11 294 habitants), Oued Ifrane (12 182 habitants), ou Tigrigra (9770 habitants41)

Il est évident que la population de la province a évolué depuis le dernier recensement. On peut se hasarder à tenter une estimation sur la base d’un taux d’accroissement annuel moyen de la population totale

39 L’essentiel des données fournies proviennent du document préparé pour le projet par le bureau d’études SOGREEAH « Etudes d’aménagement concerte des forets et des parcours collectifs de la province d’Ifrane. Composante i : Etudes générales. Etudes socio économiques de base. Rapport n° 3-1. mai 2004. N° 2 34 0055 1 R 3. Il faut signaler que ce document qui est d’une grande qualité contient énormément de données. 40 L’étude socio-économique fournit une base de données concernant 31 fractions. 41 D’après le rapport déjà cité ces chiffres proviennent de l’enquête PAGER en 2002.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 33

de 1,8 %, urbaine de 2,7% et rurale de 1% ce qui donnerait une population totale de 153 300 personnes dont 73 600 ruraux soit 48% du total.

Les densités de population sont de 36 habitants au Km², 21 si l’on ne tient compte que des populations rurales. Ces densités sont relativement faibles, comparées à celles d’autres zones montagneuses. D’une commune rurale à l’autre, les densité varient peu autour de 25 habitants au Km² ; seule Timahdit a une faible densité 14 habitants au Km².

Il n’est pas possible de comparer rigoureusement l’évolution de la population des communes rurales. Mais il est intéressant de noter que la population de certaines unités « ethnique », les fractions, a diminué entre 1982 et 1994.

Scolarisation, alphabétisation

Le taux de scolarisation est très faible : 36,8%, bien inférieur à celui de l’ensemble du moyen Atlas : 67%. D’une commune à l’autre le taux varie de 20,6% à Dayat Aoua à 55,3% à Ben Smim. Le taux de scolarisation des filles varie aussi de 10% à Dayat Aoua à 54% à Ben Smim. Plus de la moitié des localités ne disposent pas d’école. Il y a peu d’écoles et celles-ci sont souvent éloignées.

Le taux d’analphabétisme est élevé : 77% (68% pour les hommes et 87% pour les femmes.) C’est dans les communes rurales de Dayat Aoua et Sidi El Mokhfi que les taux sont les plus élevés (80% pour les hommes et 96% pour les femmes.)

Emploi et revenus

Le taux d’activité est de 57% pour les hommes et de 8% pour les femmes. L’enquête PAGER de 2002 a estimé les revenus mensuels moyens des chefs de ménages à 1561 DH, et 1782 DH si l’on tient compte des revenus des autres membres du ménage. Le revenu annuel moyen par habitant rural serait de 4030 DH.

Habitat

L’habita est plutôt dispersé et reste diversifié. Une partie de la population continue à habiter sous la tente avec une ou parfois deux résidences « fixes » en dur. Il semble qu’il y ait eu, ces dernières années, une accélération de la sédentarisation des populations autrefois plus mobiles, sédentarisation liée à la proximité des services : école, approvisionnement en eau, etc. Le taux d’accès des populations rurales à l’eau courante n’est que de 13% et 19% pour l’électrification. Il est important de noter que cet accès est très inégal selon les communes rurales (Dayat Aoua est la moins bien desservie suivie de Sidi El Mokhfi.)

L’enclavement des populations reste extrêmement fort. Un petit nombre seulement de localités est desservi par des routes goudronnées. Toutes les communes rurales ne disposent pas de centres de santé. De nombreuses populations habitent des zones éloignées peu accessibles et donc privées de possibilités d’accès aux soins.

LES FORETS

Les forêts couvrent un tiers de la superficie de la province : 116 000 ha sur 355 000 ha. Elles sont réparties en 12 massifs composés principalement de cèdres, de chênes verts et de genévriers, comme indiqué dans le tableau suivant :

Tableau n°13 : province d’Ifrane. Principales espèces forestières.

Essences principales Superficies %

Cèdres purs et mélangés 48 700 ha 42%

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Chênes verts 44 900 ha 39%

Autres (dont pins maritimes, genévriers, chênes zéen) 22 400 ha 19% Source : Projet d’aménagement et de protection des massifs forestiers de la province d’Ifrane. Document de projet. Agence Française de

développement. Janvier 2001.

Délimitées depuis fort longtemps, presque toutes les forêts de la province relèvent du domaine forestier à l’exception d’un cas rare qui est soumis au régime collectif.

Les forêts de la province jouent aussi un rôle économique important. Le bois cèdre est très demandé et la province produit 30% de la production nationale de bois d’œuvre. Par ailleurs, le produit des exploitations forestières est reversé aux communes rurales qui sont légalement astreintes à réinvestir dans les forêts 20% de leurs recettes forestières42. Cependant, le rôle de protection des forêts est peut-être encore plus important que leur rôle économique et social. En effet, le moyen Atlas est pour ainsi dire le château d’eau du Maroc. Les fleuves qui comportent certains des barrages les plus importants du pays proviennent de cette région : Sebou, Moulouya. Oum R’bia, Bou Regreg.

Considérées comme une richesse nationale à cause de la cédraie et de la réserve en biodiversité qu’elles représentent, les forêts de la province d’Ifrane sont cependant menacées de dégradation. La cédraie est particulièrement menacée pas seulement par une la pression humaine et les animaux domestiques mais aussi par le singe magot espèce protégée qui a beaucoup proliféré ces dernières années. La chênaie est plus fortement menacée par le surpâturage des ovins et, de plus en plus, des caprins et par la collecte du bois de feu. Les besoins en bois de feu sont importants aussi bien pour les populations urbaines et rurales à cause des hivers rigoureux.

LES PARCOURS

Le Moyen Atlas est une zone d’élevage. Les parcours à l’intérieur et surtout en dehors des forêts occupent de vastes espaces et constituent des enjeux économiques et sociaux parmi les importants de la province d’Ifrane. Le Moyen Atlas est un pays de pasteurs et tout ce qui peut toucher à l’élevage pèse d’un poids particulier.

On distingue les parcours sous régime forestiers dont l’usage est réglementé par la législation forestière et les parcours collectifs qui relèvent des terres collectives. La superficie totale des parcours serait de 230 400 ha. Les 116 000 ha contrôlés par l’Administration des Eaux et Forêts sont à usage « familial » avec mise en défens, contrôle de la charge. Les parcours collectifs sont théoriquement gérés par les fractions par l’intermédiaire des naïbs. Leur superficie est de 114 400 ha.

42 Certaines communes « forestières » figurent parmi les CR les plus riches du Royaume/

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 35

Les disponibilités alimentaires de la province sont estimées à 151 millions d’UF réparties comme suit :

Tableau n°14 : Province d’Ifrane, origine de la nourriture du cheptel ;

Origine % Parcours forestiers 21%

Parcours collectifs et zones incultes 26%

Cultures fourragères 6%

Orge 12%

Autres (vaine pâtures, chaumes, pailles) 35% Source ; document du projet

On considère généralement que les deux catégories de parcours forestiers et collectifs sont surpâturés. Plusieurs causes sont évoquées : non maîtrise de la gestion des parcours forestiers et collectifs, importance croissante du bétail des non usagers. Le surpâturage est particulièrement fort quand se succèdent plusieurs années sèches avec une pression accentuée sur les parcours en forêts.

L’AGRICULTURE ET L’ELEVAGE

Avec un cheptel de plus 823 00043 petits ruminants dont 765 000 ovins principalement de la race Timahdhit, l’élevage occupe une place prépondérante dans la province d’Ifrane. Trois communes rurales (Timahdhit, Sidi El Mokhfi et Aïn Leuh) regroupent plus de la moitié des ovins. Autrefois axé sur la transhumance entre le jbel (parties hautes) et l’azaghar (parties basses) l’élevage pastoral s’est beaucoup transformé.

Les céréales occupent 52 000 ha soit 62% de la SAU. Les cultures fourragères sont faiblement représentées avec 14% des superficies. La jachère a beaucoup régressé n’occupant plus que 20% de la SAU. D’introduction récente, l’arboriculture occupe 3 600 ha essentiellement localisés dans la plaine de Tigrigra. Il y aurait au total 15 000 ha irrigués essentiellement à partir des eaux de surface.

On dénombre 8 200 exploitants agricoles44. La plupart sont résidents, les « absentéistes » ne représenteraient que 13%. L’élevage constitue la principale activité. La production de la province sont estimés comme suit :

Tableau n 15 : Province d’Ifrane, les productions agricoles

Productions Tonnes

Céréales 40000

Fourrages 43000

Maraîchage 11000

Fruits 25000

Les rendements céréaliers demeurent très faibles ; c’est une céréaliculture essentiellement vivrière. La production commercialisée porte avant tout sur les fruits et légumes. D’autres activités liées au marché se développent comme la production des plants dans laquelle la province d’Ifrane joue un rôle de premier plan au niveau national.

43 Chiffres de la DPA. Les chiffres du recensement agricole de 1996 sont bien inférieurs : 378600 têtes ovines, 32500 caprins et 10500 bovins. 44 Recensement agricole de 1996.

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LES AUTRES ACTIVITES ECONOMIQUES

Les autres activités concernent principalement le tourisme et l’artisanat. L’activité industrielle est très faiblement représentée.

PRESENTATION DU PROJET

ORIGINE, INFORMATIONS GENERALES

La zone du projet a profité de plusieurs actions de développement depuis le début des années 1960 avec les aménagements pastoraux de Timahdhit mais le projet peut le plus important a été le projet Moyen Atlas qui est intervenu dans 4 communes rurales (Timahdhit, Oued Ifrane, Sidi El Mekhfi et Aïn Leuh.) Le projet d’Ifrane s’inscrit dans un ensemble de projets de gestion de ressources naturelles et de protection de la biodiversité : le Projet de Gestion des Aires Protégées, le projet Chefchaouen, le projet MEDA DRI/GRN…

L’étude factibilité date juillet 1999. Elle fait suite à plusieurs études réalisées dans la zone et notamment celle concernant le parc national d’Ifrane. La préparation du projet a duré plus de 2 ans. Il a fallu aussi plus d’une année de préparatifs avant le démarrage effectif. Par ailleurs, la conception du projet a subi plusieurs infléchissements avant d’aboutir à la version du document de projet. En effet, à l’origine, l’idée du projet était plus ambitieuse, axée sur le développement rural de l’ensemble de la province. Les ambitions ont été réduites pour axer le projet sur « la gestion de la forêt et des espaces associés » ce qui a amené une révision substantielle de l’étude de faisabilité. Ce redressement45 n’a pas été sans conséquences sur la cohérence d’ensemble du projet.

D’un coût total de 214 millions de DH, le projet est cofinancé sur un prêt de la AFD de 9 millions d’Euros, un don FFEM de 2,88 millions d’Euros, une contribution des communes rurales de 25 millions de DH, l’Etat fournit 60 millions de DH et la contribution des bénéficiaires est évaluées à 10 millions de DH.

La convention de financement du projet ayant été signée en novembre 2001, le projet a effectivement démarré en janvier 2002.

CONCEPTION GENERALE, OBJECTIFS ET JUSTIFICATION

Le projet est issu des préoccupations du PFN auquel il se réfère directement. Avec le projet Chefchaouen il est le second projet dont la mise en oeuvre est postérieure à l’adoption officielle du PFN (janvier 1999.). Il s’inscrit aussi dans la problématique du développement de la province d’Ifrane où la gestion durable des forêts domaniales et des parcours collectifs constitue un enjeu national et pas uniquement régional.

La conception générale du projet procède de plusieurs préoccupations qui s’emboîtent et qui peut-être pour la première fois, sont exprimées de façon cohérente à l’occasion de ce projet. Il ne fait pas de doute que la préoccupation motrice est la préservation de ressources naturelles menacées de dégradation. A l’évidence, l’objectif de préservation des ressources ne peut pas être atteint autrement que par la participation des populations d’où une double action : une action de gestion concertée des ressources forestières et pastorales articulée fortement à une action de développement agricole et rural basée à la fois sur l’intensification de l’agriculture et « l’exploitation » des forêts et des parcours. Cette formulation est semblable sur beaucoup de points aux idées à l’origine du projet Chefchaouen.

45 On a quelque peu changé de philosophie comme l’indique le document de projet : « On est ainsi passé d’une logique de compensation, qui n’obligeait pas réellement à une réflexion sur les déterminants de la gestion des ressources naturelles dans la province d’Ifrane (et qui pouvait même en repousser l’échéance), à une logique de remise en question des modes d’exploitation devant conduire à une gestion concertée »

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Dans tout cela, les populations et les institutions rurales jouent un rôle central. La démarche du projet ambitionne une forme de « cogestion » des ressources forestières et pastorales avec les populations et les institutions rurales notamment les communes rurales ce qui est inédit.

La justification du projet est avant tout écologique. Le choix de la province d’Ifrane est dicté par la richesse des ressources naturelles à préserver (Parc National, cédraie, parcours collectifs.) Le projet est aussi justifié par le niveau de développement rural de la province qui apparaît en déséquilibre avec les ressources dont elle bénéficie. La province recèle d’importantes potentialités de développement agricole, rural, forestier et touristique, potentialités qui apparaissent à l’évidence sous-utilisées.

ZONE D’INTERVENTION ET GROUPES CIBLES

La zone du projet est constituée par la province d’Ifrane, mais l’intervention prioritaire devra porter, en dehors du parc, sur des zones qui « devront avoir un caractère exemplaire et prioritaire au regard de l’importance de la forêt sur le plan économique et de la biodiversité, des enjeux et menaces éventuelles pesant sur la gestion des ressources (intensité du pâturage et des prélèvements de bois de feu, extension des cultures vivrières…), des perspectives de développement de l’agriculture et des possibilités de contractualisation » Quatre zones ont été identifiée :

??Tizguit/Dayet Aoua/Jbel Aoua/Jaaba ??Ben Smim/Azrou ??Aïn Leuh/Bekrite/Senoual/Oued Ifrane ??Timahdhit

Le choix de ces zones a été dicté par plusieurs critères : importance et état des ressources forestières, interaction forêts et parcours collectifs, potentiel de développement de l’agriculture et de l’élevage, potentiel touristique, problématique bois de feu, potentiel de production de bois d’œuvre, protection d’infrastructures d’irrigation.

Le projet ne s’adresse pas à une catégorie particulière de populations ou d’exploitants mais d’une manière générale aux usagers des forêts et des parcours collectifs pour aider les populations à intensifier leur production animale et végétale et les associer à la gestion des espaces forestiers et pastoraux.

LES OBJECTIFS

Le document du projet présente les objectifs comme suit : « L'objectif global du projet est de gérer et d'exploiter de manière rationnelle le massif forestier d'Ifrane et ses zones périphériques, en concertation avec les populations riveraines et dans le sens de leurs intérêts, tout en préservant l'environnement et la biodiversité. »

Les objectifs spécifiques sont précisés comme suit toujours d’après le document de projet :

??« Protéger la cédraie et la biodiversité par la création du parc, la gestion des populations de magot, la réintroduction d’espèces et la promotion du tourisme;

??- Optimiser la gestion de la forêt dans ses fonctions de production de bois d’œuvre et d’énergie ;

??- Gérer de manière participative des espaces cohérents comprenant des zones de forêt, des parcours et des terres agricoles »

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 38

LES COMPOSANTES

Le document de projet insiste à juste titre sur le fait que les composantes du projet sont présentées par thèmes mais leur mise en oeuvre devra se faire d’une façon intégrée.

Les composantes du projet sont au nombre de quatre :

1) Forêt et bois de chauffe 2) Parcours 3) Activités agricoles 4) Gestion de la biodiversité (Parc National d’Ifrane)

ORGANISATION DE LA MISE EN OEUVRE46

Le projet est placé au SPEF d’Azrou qui dépend de la DREF du Moyen Atlas à Meknès. C’est le chef du SPEF qui est ordonnateur47. Il dispose d’une cellule de gestion à Azrou comportant outre le responsable de la cellule cinq ingénieurs qui coiffent chacun une équipe d’animation sur le terrain. Ces équipes sont composées, en plus du responsable de la cellule à Azrou, du chef de district des Eaux et Forêts, d’un animateur du CT, et d’un technicien de l’élevage. Les équipes sont placées à Azrou, Ifrane, Aïn Leuh, Timahdhit et Bekrit. Un ingénieur forestier femme est responsable de l’animation féminine, les quatre autres ingénieurs sont responsables chacun d’une composante : forêts bois de chauffe, parcours, développement agricole et Parc48.

La cellule bénéficie d’une assistance technique de courte durée de 450 jours dont 160 ont déjà été consommés. Cette assistance technique est intervenue pour la mise en oeuvre de l’approche participative. D’une manière générale, elle intervient à la demande selon les besoins exprimés par la cellule.

Le document de projet prévoyait : « L’approche retenue dans le cadre du projet fera appel à un diagnostic participatif préalable associant populations bénéficiaires, collectivités locales et administrations concernées (Eaux et Forêts, Agriculture et Intérieur) ; cette première étape sera suivie de l’élaboration de plans d’aménagement et de contrats de gestion puis, dans un troisième temps, de la réalisation des investissements et activités opérationnelles prévus dans le cadre du projet. »

La cellule du projet a traduit les orientations précédentes dans la réalité comme résumé dans le premier rapport au comité national de suivi : « le diagnostic participatif a été réalisé en trois étapes et à 4 niveaux :

Etape 1 : Information et communication. Province > commune > fraction> douars modèles Etape 2 : Ateliers de concertation. Douars modèles > fractions > commune > Province Etape 3 : Finalisation/priorités. Douars modèles > fractions > commune > Province

Les équipes de terrain se rendent dans ce que le projet appelle un douar modèle qui, d’une certaine manière, est considéré comme représentant la populations de la fraction. Aux réunions des ces douars modèles assistent les représentants de la fraction. D’une manière générale les populations expriment leurs attentes qui sont restituées aux autres niveaux.

Le projet dispose d’un comité provincial et d’un comité national de suivi qui sont chargés de d’orienter le projet. Du fait des risques sur certains aspects sensibles du projet l’AFD organise une supervision semestrielle.

46 L’essentiel des informations données ici proviennent du « rapport pour le comité national de suivi » du projet juin 2004 et du document de projet. 47 Il avait été question à un moment de donner cette responsabilité au DPA. 48 Le document de projet avait prévu que 3 cadres dans la cellule et 4 équipes de terrain.

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ETAT D’AVANCEMENT

Si la convention de financement a été signée en novembre 2001, elle n’a été mise en vigueur qu’en septembre 2002. En fait, le projet n’a été véritablement opérationnel que début 2003. Si le projet existait bien depuis janvier 2002, l’affectation du personnel n’a été effective qu’en mai 2002, le projet est réellement effectif depuis seulement 18 mois. Au cours de ces 18 mois, les réalisations du projet sont loin d’être négligeables. Elles sont résumées ici d’après le premier rapport au comité national de suivi.

Le travail de diagnostic participatif a commencé en octobre 2003. Les trois étapes ont été accomplies dans les cinq pôles d’intervention sur le terrain mais la troisième n’a pas été achevée partout. Les populations se sont exprimées et ont manifesté leurs attentes dans divers domaines d’intervention du projet : agriculture, élevage, forêts parcours, bois de chauffe etc.

En dehors des aspects qui concernent l’acquisition des équipements pour le fonctionnement du projet, et la préparation des divers appels d'offres, des réalisations ont été faites notamment dans le cadre des investissements prioritaires de 2003. Ces investissements ne s’inscrivent pas dans la démarche participative, il fallait les réaliser en attendant l’achèvement du processus de diagnostic participatif. Beaucoup d’actions ont été réalisées sur la contribution des communes rurales. C’est seulement en 2004 que le budget a tenu compte des propositions issues de la concertation avec les fractions et les communes rurales, telles que validées par le comité provincial. En matière d’utilisation des fonds le projet est déjà assez avancé, avec 23% des crédits engagés. Il y a eu d’un part le lancement des études d’aménagement des forêts (112 000 ha) et des parcours.

Les réalisations ont été synthétisées dans le tableau suivant :

Tableau n°16 : Réalisations du projet Ifrane au 30/06/05 Composante/activité Action Etat

Formation du personnel Réalisé Etape 1 : 8 réunions avec les communes rurales, 30 réunions dans les douars modèles Réalisé Diagnostic et planification

participatifs Etape 2 :: 33 ateliers de douars, modèle, 34 ateliers de concertation avec la fraction, 10 réunions de validation avec les communes rurales, réunion provinciale de validation du programme 2004

Réalisé Reboisements : 220 ha 100% Régénération : 550 ha En cours Points d'eau : 8 En cours

Programme prioritaire 2003

Aménagement de seguias : 15800 ml et 1 ouvrage 30% Décret pour enquête commodo non commodo Réalisé Sensibilisation des populations Réalisé Projet de décret de la création du parc soumis à signature

Réalisé Gestion de la biodiversité

Atelier d'aménagement écotouristique Réalisé Source : Rapport pour le comité national de suivi juin 2004.

Il faut enfin signaler les actions réalisées en direction des femmes. Des réunions ont eu lieu dans quelques douars avec les femmes pour discuter de la situation de celles-ci et faire connaître les actions du projet. D’autres réunions ont eu lieu avec des coopératives de femmes. Les femmes de Aïn Leuh ont bénéficié d’une journée de formation sur l’élevage ovin.

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ESSAI D’EVALUATION

REMARQUES GENERALES

Les analyses faites ici sont similaires à celles présentées plus haut concernant le projet Chefchaouen. Il existe évidemment plusieurs similitudes mais aussi des différences importantes dont il sera question plus loin. On insistera donc ici surtout sur les spécificités du projet Ifrane qui est à un stade moins avancé (dans le temps) que le projet Chefchaouen.

Plusieurs projets d’envergure se sont succédés au moyen Atlas. Le projet Ifrane vient à la suite d’un grand nombre d’actions de développement. Pour le projet Ifrane nous retiendrons 5 thèmes de discussion :

g) Le contexte de conception et de mise en oeuvre h) La gestion administrative et financière du projet i) La participation des populations j) Le partenariat et l’association d’autres institutions aux activités de développement k) Les rapports forêts/populations et la légitimation du développement durable; l) Les parcours collectifs ;

CONTEXTE DE MISE EN OEUVRE

Plusieurs similitudes existent entre le contexte de la préparation des projets objet de l’étude de cas. Le contexte intellectuel de la préparation du projet d’Ifrane est plus clair, plus net et affirmé. Par ailleurs la région d’Ifrane a bénéficié de beaucoup plus d’interventions pour le développement que le province de Chefchaouen qui malgré tout n’a pas une bonne image à cause du cannabis. Le projet Ifrane est le premier projet à se référer explicitement au PFN. Cependant, cette référence doit être retenue avec une certaine prudence. La préparation du projet Ifrane a subi plusieurs modifications. Le document de projet qui est daté de janvier 2001 est cependant beaucoup plus proche, dans son esprit, que le document de factibilité qui date de juillet 1999 et qui se réfère cependant expressément au PFN.

Comme pour le projet Chefchaouen, il est important de tenir compte du contexte pour essayer d’évaluer la portée des décisions prises pour la mise en oeuvre des projets de développement. Le projet Ifrane a bénéficié d’un contexte encore plus favorable aux nouvelles approches. La Banque Mondiale comme les autres institutions internationales ou bilatérales (PNUD, FAO, FIDA, UE) ont fait un effort consistant de « promotion » de l’approche participative. Plusieurs ateliers ont été organisés dans le pays. D’une certaine manière, les concepteurs du projet se sont mieux libérés du cadre classique de préparation de projet et l’Administration des Eaux et Forêts a été plus réceptive.

LES DIFFICULTES RENCONTREES SELON LE RAPPORT AU COMITE NATIONAL DE SUIVI

Le rapport au comité national de suivi signale des difficultés rencontrées. Parmi celles-ci nous retiendrons les suivantes :

??Complexité du projet et de la démarche axée sur le partenariat avec la multiplicité des intervenants ce qui demande beaucoup de temps et d’énergie « ce qui perturbe la programmation et la réalisation des actions »

??La rationalisation de la gestion des parcours pose des problèmes très difficiles à résoudre à cause, entre autres, de la mobilisation insuffisante des partenaires. Il y a aussi le problème des « non-ayants-droit », des troupeaux en association et des constructions sur les terrains collectifs.

??Les demandes des populations en matière de développement rural sont très élevées et le projet ne pourrait pas seul y faire face ;

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??Les règles de la comptabilité publique qui s’appliquent au projet sont trop contraignantes et inadaptée au projet qui a un caractère pilote. Ces règles nécessitent de trop de délais incompatibles avec le rythme du projet ;

??Il est difficile de réaliser des actions sur des lignes comptables différentes. On ne peut pas envisager par exemple un marché unique pour les études, la réalisation et le fonctionnement d’une action or dans sa démarche de contractualisation le projet ne pourrait fractionner les actions de cette manière. En outre toutes les actions du projet ne peuvent pas être réalisées à l’entreprise.

??Le projet ne dispose pas de procédures lui permettant d’apporter son appui aux organisations professionnelles.

??La complexité et la diversité des actions du projet exigent beaucoup de compétences or l’équipe du projet ne dispose pas toujours en son sein des compétences et surtout des expériences voulues.

??Le projet souffre de l’absence de motivation de ses cadres et de ses partenaires. Ceci est aggravé par le non paiement des indemnités de déplacement en 2004.

LA GESTION ADMINISTRATIVE ET FINANCIERE DU PROJET

Beaucoup de similitudes existent dans la gestion des projets. Les problèmes sont similaires même s’ils ne sont pas exprimés de la même façon et même s’ils sont d’inégale gravité.

La principale différence avec le projet réside dans le fait que l’ordonnateur est le directeur du SPEF. C’est un avantage important même si tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant. Pour le reste l’organisation est la même avec cependant aussi une différence importante pour Ifrane dont le financement provient d’au moins quatre sources (Etat, prêt AFD, FFEM, et communes rurales.)

Nous ne reviendrons pas sur les difficultés signalées dans le rapport au comité national de suivie du projet. Les responsabilités confiées à la DREF par l’intermédiaire du SPEF semblent avoir simplifié les circuits dans la mesure où le maître d’ouvrage est le HCEFLCD. Ce relais entre la cellule du projet et la DREF est-il indispensable ?

Il faut aussi saluer l’intégration à la cellule de personnels non forestiers mais cet effort reste encore insuffisant dans la mesure où les non forestiers peuvent être estimés trop peu nombreux dans un projet où l’agriculture, les parcours collectifs et les institutions rurales sont aussi importants que les activités proprement forestières.

Le problème de l’assistance technique expatriée a été relativement bien résolu dans la mesure où il n’y pas recourt à une assistance technique expatriée de longue durée. Cependant, on peut estimer que, globalement, l’assistance technique prévue risque d’être nettement insuffisante étant donné le caractère novateur du projet et la complexité de l’environnement institutionnel dans lequel le projet intervient.

La répartition des responsabilités au sein de la cellule, chaque responsable est chargé d’une composante49, et l’organisation de la zone d’intervention en pôles où interviennent des équipes animées chacune par un responsable de la cellule montre un souci d’efficacité et d’économie de moyens. Il l’est pas sûr cependant que cette structure allégée soit en mesure de faire face aux nombreux problèmes de gestion qui vont surgir notamment au moment de la réalisation des actions. En outre, cette répartition sectorielle n’est pas entièrement conforme à l’esprit intégrateur et holistique du projet. Enfin, l’approche participative, pourtant centrale dans le projet, est absente de l’organigramme alors que l’animation féminine pour laquelle peu de choses ont été prévue est érigée en unité. Il peut aussi paraître étonnant que la cellule ne couvre pas certains thèmes importants comme l’information et la communication, les rapports avec les institutions rurales (communes rurales, fractions, ONG et.), et l’organisation des populations50.

49 Sauf pour l’animation féminine qui ne constitue pas une composante. 50 Le thème de l’organisation des populations est absent dans les deux projets.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 42

Si le projet est innovant dans ses objectifs et ses méthodes, on aurait pu s’attendre à ce que cela soit reflété dans son organisation laquelle reste soumise aux fortes pesanteurs de l’administration, pesanteurs à la fois culturelles et institutionnelles.

LA PARTICIPATION DES POPULATIONS

Les problèmes de participation des populations ne se posent pas d’une façon tellement différente pour les projets d’Ifrane et de Chefchaouen malgré un contexte social et historique est fort différent. Dans le projet d’Ifrane la participation des populations apparaît comme plus structurelle dans la conception du projet. Elle est articulée à l’ensemble des activités si bien qu’il est difficile de la « contourner. » Dans les deux projet des problèmes importants d’adaptation et de mise en œuvre existent mais de façon asymétrique. Le projet Chefchaouen dispose de structures d’approche participative appropriées mais mal utilisées, le projet Ifrane bénéficie d’un cadre conceptuel plus avancé mais qui pêche une conception insuffisante de la mise en œuvre dans le document de projet. Ceci a entraîné une mise en œuvre de l’approche qui manifestement a besoin d’être plus élaborée et qui de surcroît dispose de moyens dérisoires (voir plus loin.) On peut supposer que le document de projet ne voulait pas « formaliser » le processus de mise en oeuvre de l’approche participative mais dans ce cas il aurait été nécessaire de prévoir des structures dans le projet et surtout une assistance technique conséquente dans ce domaine.

La conception de l’adaptation ainsi que l’organisation de la démarche participative dans le projet d’Ifrane soulèvent plusieurs interrogations que l’on peut résumer dans les remarques suivantes :

1) Selon le document de projet « L’approche retenue dans le cadre du projet fera appel à un diagnostic participatif préalable associant populations bénéficiaires, collectivités locales et administrations concernées (eaux et forêts, agriculture et intérieur) ; cette première étape sera suivie de l’élaboration de plans d’aménagement et de contrats de gestion puis, dans un troisième temps, de la réalisation des investissements et activités opérationnelles prévus dans le cadre du projet » Le document de projet ne précise pas comment tout cela peut être concrétisé. Beaucoup de points restent indéterminés, notamment la manière d’associer « populations bénéficiaires, collectivités locales et administrations concernées », la façon dont on pourra élaborer des plans d’aménagement et des contrats de gestion et de quelle manière tout cela peut se matérialiser sur le terrain.

2) La conception de la mise en oeuvre de ce qui est prévu par le document de projet de manière peut-être insuffisamment élaborée ne semble pas non plus très convaincante. En effet, la méthodologie de mise en œuvre part d’un choix « Deux « portes d’entrées » différentes et exclusives, également participatives, peuvent être utilisées par les équipes du projet pour initier le processus de concertation par l’approche participative avec les populations rurales de la province d’Ifrane. En ouvrant la discussion avec ces populations aux différents niveaux sur les thèmes alternatifs suivants : Sur les attentes et demandes prioritaires des populations ; Sur les problèmes et les solutions possibles en ce qui concerne la gestion des ressources naturelles. Il n’est pas possible d’utiliser simultanément les deux démarches. » Il n’existe pas de manuel de référence codifiant la mise en oeuvre de l’approche participative, cependant dans le processus couramment utilisé, les problèmes et les solutions possibles sont issus d’un travail important de diagnostic, travail incontournable dans toute démarche. En plus, les attentes et demandes prioritaires des populations sont logiquement issues des solutions « priorisées » par les populations.

3) La logique d’intervention du projet est une logique holistique qui vise à tenir compte de l’ensemble des facteurs qui agissent sur le milieu naturel, facteurs qui dépendent en grande partie de l’action humaine dans tous ses aspects. Or la méthodologie proposée risque de privilégier certains aspects aux dépens d’autres. Elle risque surtout, ce qui est plus grave, de ne pas restituer convenablement l’opinion des populations sur certains aspects importants concernant les rapports qu’elles entretiennent avec les ressources naturelles.

4) La méthodologie propose l’approche patrimoine qui consiste à faire prendre conscience aux populations des conséquences de la tendance actuelle de la dégradation du milieu naturel (forêts et parcours.) Il n’est pas sûr que l’approche patrimoine soit la plus

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appropriée compte tenu du contexte historique et sociologique de la province d’Ifrane51.

5) L’adaptation de l’approche participative tient plus compte des moyens du projet que de ses objectifs. D’une part, la méthode semble faire un raccourci en « sautant » la séquence diagnostic et d’autre part, la proposition de travailler à partir d’un douar pilote par fraction et de douars volontaires qui suivraient au lieu de travailler directement avec les douars de la fraction (ce qui demanderait plus de temps et de moyens humains et matériels) risque d’introduire une participation à deux vitesses et surtout de brouiller la situation aux yeux des populations.

6) Si la fraction est l’unité sociale d’intervention du projet, on ne voit pas clairement comment l’organisation de la mise en oeuvre de l’approche participative en tient effectivement compte à la fois dans la planification participative et dans la mise en oeuvre des actions. Le document du projet parle de diagnostic participatif, cependant, la façon dont la démarche est organisée et mise en œuvre soulève quelques interrogations. Si comme l’indique le document de projet c’est la fraction ou la sous-fraction qui est l’unité sociogéographique, le passage des résultats obtenus au niveau du douar modèle à la fraction n’est pas clair. Normalement, l’approche participative dans son principe s’adresse à l’ensemble de la collectivité et les résultats doivent refléter l’hétérogénéité des collectivités auxquelles on s’adresse. Si le douar ne pas être retenu comme unité de travail pour l’approche participative d’autres unités intermédiaires entre le douar et la fraction, comme le lignage, pourraient être retenues.

7) Le projet a constitué des équipes de 3 personnes dans les 5 pôles d’intervention. A ces équipes constituées de techniciens agricole et forestiers il a fait subir une formation dans le domaine de l’approche participative. Il ne semble pas qu’il soit opportun que des techniciens forestiers en exercice, chargés entre autre de la police forestière, fassent partie de ces équipes. Si l’on désire que les techniciens forestiers soient membres de ces équipes il faudrait les décharger de leurs activités de répression des délits, ce qui ne paraît pas encore envisageable.

8) Le travail d’animation est assuré pas des techniciens et des ingénieurs. Sous certaines conditions, ce personnel peut faire du bon travail d’animation. Il aurait mieux valu que ce personnel fasse le travail pour lequel il a été formé et dans lequel il peut se prévaloir d’une certaine expérience et confier l’animation à des animateurs et animatrices. Cette « économie » en personnel risque d’avoir des répercussions négatives sur la mise en oeuvre de l’approche participative

9) On a insisté, à juste titre, sur la complexité de la situation sociologique et institutionnelle dans laquelle le projet est amené à intervenir. Rien n’a cependant été prévu pour prendre en charge, gérer cette complexité. Le projet dispose, par exemple, d’une masse considérable de données sur les fractions mais il n’a pas les moyens intellectuels et humains qui auraient pu lui permettre de mettre ces connaissances au service du développement.

10) On constate un contraste important entre les ambitions d’innovation du projet et la modestie des moyens humains (personnel et assistance technique) susceptibles de concrétiser cette ambition.

11) Un effort a été fait notamment auprès des autorités locales pour partager avec les différents partenaires l’approche participative. Il est cependant à craindre que le projet ne souffre d’un certain isolement dans ce domaine ce qui risquerait de réduire notablement son action.

On peut considérer comme éminemment positive l’initiative du projet de créer cinq pôles d’intervention, de constituer des équipes à partir du personnel existant. On peut cependant regretter que le document de projet ne contienne pas de détails sur ces aspects pourtant entièrement nouveaux. D’une certaine manière, le document de projet ne s’est pas donné les moyens de son ambition novatrice. Une annexe fournissant des détails sur la manière dont le diagnostic participatif serait mise en œuvre, la façon

51 L’approche patrimoine est ambiguë. Si l’approche patrimoine a un sens, les forêts devraient être collectives ou privées. L’approche patrimoine serait valable pour les parcours mais pas tellement pour les forêts.

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dont la contractualisation serait conçue et appliquée et les procédures qui pourraient aboutir à des aménagements concertés des forêts manque au document de projet.

Les résultats des activités de diagnostic participatif52 donnent un aperçu des attentes des populations. Une analyse rapide de ces attentes montre que l’influence ou les pressions de l’administration restent fortes. Il faut reconnaître cependant que le travail d’animation a eu un effet positif sur l’attitude des populations dont l’hostilité initiale se serait beaucoup émoussée.

Les remarques précédentes montrent que l’approche participative souffre encore d’un double handicape : une élaboration insuffisante dans le document de projet et une mise en oeuvre insuffisamment maîtrisée. Ceci montre aussi que l’approche participative a encore besoin d’être appropriée par les différents acteurs qui veulent la mette en oeuvre.

LE PARTENARIAT

Le projet ambitionne un haut degré d’intégration. Non seulement le projet va faire faire beaucoup de travaux et d’activités par plusieurs partenaires administratifs ou autres mais il vise à « contractualiser » beaucoup de ses actions. Si, du point de vue des principes, ces orientations sont tout à fait appropriées, leur traduction dans la réalité semble poser problème pour des raisons qui ont déjà été évoquées à l’occasion du projet Chefchaouen et pour d’autres raisons révélées par le projet Ifrane.

En dehors du fait que les cadres du projet sont quelque peu impressionnés par l’ampleur et le caractère inédit de ce qu’on leur propose de faire, ils apparaissent aussi démunis quant aux procédures à mettre en œuvre. Ils ne disposent pas d’outils leur permettant de maîtriser le partenariat. Dans cette nouvelle démarche, leur responsabilité est mal définie à l’intérieur des règles du fonctionnement de l’administration.

Dans le projet Ifrane on a vu par exemple que le Syndicat Intercommunal des Ressources Forestières (SIRF) s’est libéré presque entièrement de ses obligations financières alors que celles de l’administration semblent accuser un certain retard53. Le SIRF qui semble avoir été créé pour les besoins du projet constitue une innovation institutionnelle tout à fait remarquable qu’il faudra accompagner et renforcer.

Les communes rurales ont un rôle important dans la gestion des forêts. La façon dont elles sont intervenues jusqu’à présent avec l’Administration des Eaux et Forêts n’a pas été satisfaisante du fait que les investissements étaient effectués au niveau de chaque commune sans tenir forcément compte de l’opportunité ou de la cohérence de ces investissements au niveau de la province. Le SIRF a permis de surmonter cet individualisme mais pas complètement. Le coopération avec les communes rurales et le SIRF revêt une importance stratégique pour le projet mais elle sera difficile à mettre en oeuvre en l’absence d’une politique claire du projet dans ce domaine, car l’objectif n’est pas seulement de mieux utiliser la contribution financière des communes rurales au profit du développement forestier et rural mais aussi, et c’est peut-être plus important, de partager avec ces organismes le souci du développement durable ce qui actuellement est encore loin d’être le cas.

Avec les entités constituées par les fractions qui ont un rôle encore plus important en matière de gestion des espaces pastoraux collectifs, le projet n’a pas non plus de politique bien définie alors que ces fractions sont amenées à jouer un rôle capital dans l’aménagement concerté de tout l’espace (forestier,

52 Trois documents du consultant chargé de l’assistance en matière d’approche participative ont été consultés :

1) 4ème Appui méthodologique a l’intervention, du projet par l’approche participative, la planification concertée et la démarche contractuelle. Avril 2004,

1) Note de clarification méthodologique concernant la campagne de communication, la mise en œuvre de l’approche participative et la démarche de contractualisation des actions du projet. Juin 2003

1) Appui méthodologique a l’intervention, du projet par l’approche participative, la planification concertée et la démarche contractuelle. Juin 2003.

. 53 Ceci n’est pas fait pour rassure le syndicat.

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pastoral et agricole) et dans la contractualisation. Concernant plus particulièrement les fractions, on ne peut que s’étonner de constater le peu de progrès accomplis depuis les premiers projets d’aménagement pastoral datant des années 1960 en passant par le Projet Moyen Atlas comme s(il était impossible de tirer les leçons de ces quarante années de développement pastoral54..

LES RAPPORTS FORETS/POPULATIONS ET LA LEGITIMATION DU DEVELOPPEMENT DURABLE

Si Dans le projet Ifrane il n’y a plus de problème de délimitation des forêts, les rapports forêts populations ne sont pas pour autant apaisés. Les activités d’animation du projet ont contribué quelque peu à désarmer la vielle méfiance sinon hostilité des populations à l’égard de l’administration. Cependant, le contentieux qui date de l’époque coloniale est encore étonnamment vivace. Sans chercher à analyser les origines ou les justifications de l’attitude des populations, celle-ci constitue une réalité qui s’expliquerait en grande partie par un déficit de légitimité, aux yeux des populations55 de la domanialité des forêts et de leur gestion par l’Etat. Cependant, la légitimation peut-être la plus importante à rechercher est celle du développement durable.

La légitimation de la domanialité des forêts et de leur gestion par l’Etat constitue un objectif incontournable. C’est un processus qu’il faudrait engager rapidement et pour lequel une stratégie nationale reste à mettre au point. La légitimation du développement durable est intimement liée à la légitimation de l’action de l’Etat en matière de gestion des espaces forestiers et pastoraux. Il est évident que sans cette légitimation toute « participation » des populations usagères peut être considérées comme suspecte. En effet si les populations ne partagent pas la préoccupation de l’Etat et de ses institutions en matière de gestion durable des ressources, leur engagement risque de ne pas être durable.

Le PFN contient plusieurs actions et orientations qui peuvent entrer dans le processus de légitimation. Ce processus est déjà engagé mais il devra être amplifié.

LES PARCOURS COLLECTIFS

Si les parcours collectifs ne font pas partie du domaine forestier de l'Etat, ils représentent cependant un enjeu considérable pour l’équilibre écologique de toute la région mais aussi pour son développement économique. Il est quelque peu étonnant de constater à quel point les parcours collectifs dans le Moyen Atlas ou ailleurs ont « résisté » à l’action de l’Etat. Des interventions pour l’aménagement pastoral à Timahdhit qui est l’une des zones d’intervention prioritaire du projet datent du début des années 1960. Le document de projet constate pourtant en 2001 : « Le projet Moyen Atlas a confirmé la pertinence d’une approche centrée sur les fractions comme unités sociales de gestion des droits d’usage. Il a donné lieu à des investissements importants, et qui demeurent bien visibles, en matière de bornage, de points d’eau et de régénération/ensemencement des parcours. Toutefois sa réalisation a rencontré des difficultés pour arrêter les listes des ayants droit et usagers, inciter les éleveurs à la limitation des effectifs et à l’ajustement de la charge à l’ha, et appliquer les mises en défens qu’imposent les actions de régénération. En définitive, son impact a été limité par une approche trop sectorielle et par une prise en compte insuffisante des déterminants sociaux et institutionnels, et sa durabilité n’est pas établie »

Il est quelque peu regrettable que l’analyse n’aille pas loin. Le projet risque subir le même sort que ces prédécesseurs en la matière si l’on n’accorde pas une attention plus grande aux problèmes des parcours collectifs. En effet, dans les propositions du projet, on ne trouve pas une esquisse des solutions aux problèmes rencontrés par le Projet Moyen Atlas (difficultés pour arrêter les listes des ayants droit et usagers, inciter les éleveurs à la limitation des effectifs et à l’ajustement de la charge à l’ha, et appliquer les mises en défens qu’imposent les actions de régénération.)

On peut comprendre que dans la hiérarchie des priorités, les parcours collectifs n’occupent pas la première place pour l’Administration des Eaux et Forêts dont les énergies doivent être orientées d’abord vers les domaine forestier de l'Etat. Il faut cependant rappeler que le projet prévoit un aménagement

54 Voir Bilan de trente ans de développement pastoral dans bassin méditerranéen. Mohamed Allaoui ; CMRADR. 10 ans d’action. FAO 1989. 55 Mais aussi aux sein des institutions rurales aussi importantes que les communes rurales.

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concerté des espaces forestiers et pastoraux et que la gestion des parcours collectifs et celles des parcours forestiers devraient être complémentaires.

Rappelons enfin ce qui a été évoqué plus haut sur la nécessité pour le projet d’avoir une politique à l’égard des fractions. Cette politique, de même que la conception de la manière dont il sera possible au projet d’aboutir à une gestion concertée et contractualisée des espaces forestiers et pastoraux exige la mobilisation de moyens intellectuels dont le projet ne dispose pas.

IMPACT DU PROJET

Quel sera l’impact du projet sur la province d’Ifrane ?

Cet impact est difficile à apprécier maintenant, après seulement 18 mois de fonctionnement effectif du projet.

On peut envisager ici deux scénarios.

Le premier scénario qui est pessimiste et qui paraît être maintenant le plus probable ne prévoit d’impact différent de celui du Projet Moyen Atlas. Le projet aura des réalisations matérielles effectives sur le terrain en matière de développement agricole, d’infrastructures pour le Parc d’Ifrane, d’études d’aménagement forestier et pastoral mais il y aura peu de d’impact en matière de gestion concertée des espaces forestiers et pastoraux domaine dans lequel les progrès risquent d’être des plus modestes.

Le scénario optimiste verrait le projet avec un certain impact sur le développement durable de la région. En plus des réalisations physiques sur le terrain, le projet pourrait obtenir des progrès ou plutôt des avancées en matière de gestion participative des espace forestier et pastoraux de même qu’une maîtrise par les communes rurales et l’Administration des Eaux et Forêts de la consommation de bois chauffe. Ceci ne serait cependant possible que si l’on investit beaucoup plus dans l’utilisation des connaissances disponibles sur la région pour concevoir et mettre en place un processus participatif adapté aux structures sociale locales (fractions) et si le projet dispose de l’autonomie et de la souplesse qui lui permettront de s’adapter rapidement à ses partenaires et de profiter des opportunités d’action qui pourraient se présenter. Ajoutons encore que la participation des populations, leur engagement pour une gestion durable des espaces forestiers et pastoraux ne pourraient être acquis que si l’administration de façon générale et pas seulement l’Administration des Eaux et Forêts, reconnaît aux populations un pouvoir à partir duquel celles-ci négocieraient des compromis de gestion évolutifs. Il faut espérer que le projet va initier un processus, montrer, un peu à la manière du projet GEFRIF, qu’une gestion concertée des forêts domaniales et des parcours collectifs est possible.

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SCENARIOS D’EVOLUTION

LES PROBLEMATIQUES

LE DEVELOPPEMENT DURABLE

Le développement durable ou soutenable a été défini comme suit par la commission mondiale sur l’environnement et le développement en 1987 « le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » De façon plus explicite encore «un processus de changement par lequel l’exploitation des ressources, l’orientation des investissements, des changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des hommes» Le développement durable signifie que développement et protection de l’environnement vont de pair.

Le développement durable ne va pas de soi. C’est une action volontaire, une entreprise volontariste de longue durée qui ne peut pas se matérialiser au cours de la durée d’un projet. On ne peut pas non plus considérer que l’orientation de développement durable soit à jamais acquise. La notion de développement durable holistique par excellence ne se réfère pas uniquement à la préservation des ressources mais aussi aux diverses activités qui peuvent influer sur la pérennité des ressources.

Dans le cas des deux projets étudiés, le développement durable peut s’entendre comme étant la conduite par les services de l’Etat d’actions et d’orientations tendant à influencer sur les acteurs, notamment les ruraux, afin que eux-ci modifient leur utilisation des espaces de manière à ce que cette utilisation se fasse sans mettre en cause la durabilité des ressources. Si l’Etat intervient c’est parce qu’il a la responsabilité de « l’avenir » et que les populations, dans leurs pratiques et leur rapport avec les ressources naturelles, soit ne sont pas conscientes soit n’ont pas d’autre choix que de faire ce qu’elles font. Dans tous les cas, on ne peut espérer un changement de la situation sans un changement important chez les populations.

FORESTERIE ET DEVELOPPEMENT RURAL

Les forêts ont de tout temps contribué au développement rural. Si l’on insiste quelque peu aujourd’hui sur cette évidence c’est qu’elle ne va plus de soi depuis que l’Etat est intervenu pour administre et gérer les forêts qu’elles soient domaniales, privées ou collectives. Depuis que les forêts font partie du domaine privé de l’Etat, celui-ci en contrôler l’usage et l’accès. L’histoire récente, depuis l’indépendance du pays, a montré que, dans ses prérogatives, le souci principal de l’Etat était la protection. Ce souci provenait principalement d’une pression humaine forte sur les forêts suite à un accroissement démographique important mais pas uniquement. Pendant longtemps, les populations n’étaient perçues que comme une nuisance, une perturbation à la bonne conservation des forêts. Plusieurs générations de techniciens forestiers ont exercé leurs activités professionnelles dans l’idée qu’il faut empêcher les populations d’utiliser les forêts car elles vont la détruire.

A cet égard l’évolution de la codification des droits d’usage des populations sur les forêts est significative. Au moment de la délimitation des forêts les droits d’usage ont été reconnu aux populations pour ainsi dire à contre cœur. Les transformations successives de la législation forestières se sont faites aux dépens des droits d’usage56. La préoccupation de l’administration était moins le développement rural que la protection des forêts.

Dans la réalité marocaine et maghrébine, forêts et développement rural sont indissociables. On peut dire que, dans les conditions actuelles, tout progrès dans le développement rural ne peut être que bénéfique pour le développement durable des forêts et des espaces pastoraux et toute contribution des forêts au développement rural est un investissement pour le développement durable des forêts. Il est aisé de

56 En évoluant, la législation s’est toujours traduite par une restriction des droits d’usage. La justification de cette restriction a ses arguments, mais les arguments du droit qu’il serait difficile d’opposer à cependant

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comprendre la complémentarité de ces deux éléments. La pratique effective, saine et durable de cette complémentarité dépend de la réconciliation des deux principaux acteurs qui sont impliqués : les populations rurales et l’administration forestière. C’est de cette réconciliation que dépend le développement rural durable.

CRITERE ET THEMES

Dans les scénarios qui vont être présentés plus loin, nous partirons de quelques hypothèses de base. Ces hypothèses sont soutenues par l’idée que le développement procède d’un changement dans le comportement et les idées des acteurs que ce soit des individus, des groupes ou des institutions.

Les scénarios présentés ici ont été construits sur la base de la représentation de l’on peut avoir de la réalité dans les deux provinces et à partir d’un certain nombre de critères et de thèmes. Pour chacun des thèmes on a imaginé des possibilités d’évolution. Ces possibilités sont construites à partir d’une appréciation aussi objective que possible des possibilités de changements. Dans cette appréciation, il a été tenu compte de ce qui s’est passé dans le passé dans le pays et ailleurs. Il a été tenu compte aussi du principe actuellement admis par tous que le développement durable est la voie dans laquelle il faut résolument engager l’action des pouvoirs publics.

Les scénarios constituent une synthèse cohérente de la manière dont les choses peuvent se transformer, évoluer et donner certains résultats. Le trait a parfois été forcé pour mettre en évidence ce qui est souhaitable et ce qu’il faudrait éviter.

Les critères et thème qui ont été retenus ici comme pouvant exercer une influence importante sur le changement en rapport avec le développement durable des espaces forestiers et pastoraux l’ont été en fonction des analyses précédents concernant les deux projets. Ils sont aussi retenus en fonction de l’idée, que l’action des hommes peut agir efficacement sur ces thèmes et critères.

1) Les idées

Il est incontestable que les idées constituent le moteur du changement. S’il est vrai que ce ne sont pas les idées seules qui provoquent le changement, il est tout aussi vrai que sans elles, on ne peut espérer un changement durable.

Non seulement on a besoin d’idées nouvelles mais il faut que celles-ci soient partagées par un certain nombre de personnes et pas uniquement par une petite minorité. Dans les activités de développement classiques on toujours privilégié l’introduction d’innovations matérielles On s’est moins adressé à l’esprit des populations encore moins à leurs capacités (elles existent) d’innover de proposer et de comprendre.

2) Les institutions forestières

Au Maroc, comme dans beaucoup d’autres pays, l’Administration des Eaux et Forêts joue un rôle capital dans le développement, sa mission va au-delà du simple exercice de son pouvoir régalien pour la protection des forêts. L’organisation de l’Administration des Eaux et Forêts, son fonctionnement, les moyens financiers dont elle dispose, la formation de son personnel et la culture de l’administration en tant qu’institution ayant une histoire influent considérablement sur le développement forestier du pays. Ceci est d’autant plus important que l’on a souvent remarqué que les institutions administratives sont parmi les plus difficiles à faire évoluer57.

57 Si l’on compare les changements intervenus dans le monde rural et celui des institutions administratives qui en ont la charge au nom de l’Etat on peut se demander qui a changé le plus rapidement.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 49

Très souvent, quand on parle du rôle de l’administration dans le développement, on évoque le manque de moyens financiers, l’insuffisance du personnel, mais on évoque rarement les nécessaires transformations de structures, la formation et le recyclage du personnel, les méthodes de travail, les rapports avec les populations ou les autre institutions. Même quand des changements ont été décidés, ils ont du mal à s’inscrire dans la réalité des structures administratives qui résistent au changement.

On peut difficilement imaginer un renouveau du développement forestier du pays sans une transformation préalable des structures d’intervention de l’Etat dans ce domaine. Un des aspects de cette transformation porte sur la législation.

3) La légitimation

La légitimation58 de la domanialité des forêts, celle de l’intervention de l’Etat pour les gérer les espaces forestiers et pastoraux et celle plus globale de développement durable constituent l’un des enjeux les plus importants et aussi les plus actuels du développement rural. Jusqu’à présent les administrations forestières ont considéré comme allant de soi la légitimité de la domanialité des forêts et celle de leur actions du moment que celles-ci s’inscrivent dans un cadre légal.

Le problème de la légitimation se pose aujourd’hui d’une manière plus aiguë du fait que l’on demande partout aux populations de participer à la gestion et au développement forêts. En effet, tant que les populations disputent à l’administration la domanialité des forêts, elles resteront soumises à une contradiction qui, d’une manière ou d’une autre, fera douter de leur engagement.

La légitimation sera l’aboutissement d’un long processus qui combine des actions matérielles, (actions de développement) des activités de communication et des rapports nouveaux entre administration et populations.

4) Les ressources financières

Les ressources financières mobilisées pour le développement forestier constituent un critère important. On ne peut pas discuter pour savoir si les montants alloués au développement forestier sont suffisants ou pas. La question qui se pose est différente : les investissements forestiers sont-ils suffisamment attractifs ? La présentation du développement forestier est-elle suffisamment convaincante ?

Le développement forestier a changé de dimension et, jusqu’à présent, les dimensions importantes de lutte contre la pauvreté, de développement social et de manière plus générale de développement rural ne semblent pas avoir été suffisamment prises en compte par les décideurs dans l’affectation des ressources à l’Administration des Eaux et Forêts.

5) La démographie ;

Il est admis que les espaces forestiers et pastoraux sont soumis à une forte pression humaine et l’évolution démographique des populations et notamment des ruraux devra influer directement sur le développement durable des forêts. La tendance jusqu’à présent observée est à la réduction des taux d’accroissement de la population totale et surtout de la population rurale.

Le critère démographie ne doit pas être vu uniquement sous l’angle du volume, du nombre et des densités. On devrait tenir compte aussi des profils des populations, de leurs niveaux de formation, de l’évolution de leurs besoins et de manière générale de leur culture59.

58 De façon lapidaire, on entend ici par légitimation la reconnaissance d’abord puis l’acceptation ensuite du légal comme étant juste, équitable et rationnel. 59 Au sens général qui comprend non seulement les connaissances, mais les pratiques, les comportements, les idées, les mentalités.

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Le critère démographique est certes déterminant mais il ne faut en exagérer le poids ni considérer qu’il est forcément négatif. Il est bien sûr évident qu’il existe une forte pression sur les ressources de la part des populations mais on a vu aussi ailleurs, en Europe que des zones désertées par les populations ont subi d’autres formes de dégradations.

6) La gouvernance

Dans son fameux rapport « Vers une meilleure gouvernance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord60 » la Banque Mondiale soutient que la mauvaise gouvernance est à l’origine des faibles performances de la région Afrique du Nord et Proche Orient en matière de développement. Ce rapport insiste en particulier sur l’inclusivité61 et la responsabilisation.

La gouvernance revêt une actualité particulière dans la mesure où elle semble conditionner les progrès dans bien d’autres domaines. Le développement rural, dans la mesure où les institutions de l’Etat y jouent un rôle prépondérant, est particulièrement sensible à la bonne gouvernance. Si des progrès ne se manifestent pas dans ce domaine, les autres domaines comme la participation des populations, la légitimation, la décentralisation etc. risquent de tourner court.

7) La participation des populations

Comme cela a déjà été signalé, la participation des populations ne se réduit pas à l’adoption de l’approche participative. C’est une redéfinition des méthodes d’intervention de l’administration dans l’ensemble de ses rapports avec les populations et les usagers des espaces forestiers et pastoraux. Pour le moment, il semble que l’approche participative ne soit pratiquée que dans les projets avec un financement extérieur.

La participation des populations est maintenant partout à l’ordre du jour mais sa mise en oeuvre semble hésiter, tâtonner et parfois douter. D’une part, il ne semble pas que le consensus soit complet quant à l’adoption de cette orientation qui souffre encore d’un déficit de légitimité. D’un autre côté, la mise en oeuvre est encore loin d’être maîtrisée.

Si l’approche participative est bien à l’ordre du jour dans les projets de développement, il ne semble pas que ce soit le cas dans les structures de l’Administration des Eaux et Forêts ou dans les autres structures partenaires. L’approche participative est bien mieux connue maintenant, mais est-elle reconnue ? Acceptée ? Recherchée ?

Il semble que, malgré des avancées significatives, l’approche participative n’est pas encore acceptée tout à fait par les cadres et techniciens. Elle n’est pas encore inscrite dans les structures de l’administration et son enseignement reste encore timide. Au vu de tout cela, il n’est pas étonnant de constater sur le terrain les difficultés de mise en œuvre. Ces difficultés s’expliquent aussi par un approfondissement insuffisant de la notion de participation des populations, qui reste trop vague62.

Les orientations du PFN concernant l’approche participative sont bien claires mais il ne semble pas qu’un effort ait été fait pour mettre en pratique cette approche laquelle n’est pas seulement une technique de communication mais méthode de développement qui implique, entre autres, une adaptation des structures d’intervention de l’administration, un remodelage des rapports avec les populations et une nouveau comportement du personnel forestier. Tout cela ne vient pas tout seul.

60 La Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement / La Banque Mondiale. 2003 61 Dans l’inclusivité la Banque insiste surtout sur la corruption et sur la notion de responsabilité. Elle insiste surtout sur la capacité des populations à demander des comptes à l’administration et celle-ci à rendre compte. 62 Dans cette notion certains privilégient la contribution matérielle, d’autres la consultation (on demande l’avis), rares sont ceux qui y mettent le pouvoir et l’autonomie des populations à concevoir, proposer, réaliser les actions de développement.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 51

8) La décentralisation

La décentralisation fait partie des mesures proposées par le PFN. Elle fait partie aussi des nouvelles orientations qu’encouragent les organisations des nations unies comme la Banque Mondiale et la FAO. La décentralisation est aussi une mesure liée d’autres thèmes traités plus haut comme la participation des populations. La décentralisation est aussi au centre de la gouvernance.

La décentralisation fait aussi appel à la notion de subsidiarité. Le principe de subsidiarité vise à faire faire par un échelon déterminé ce qu’il peut réaliser bien et à moindre coût et à ne faire réaliser à un échelon supérieur que ce que l’échelon inférieur ne peut réaliser. Selon ce principe l’échelon central doit déléguer aux autres échelons tous ce que ceux-ci peuvent faire.

Selon la FAO « la décentralisation est le transfert d’une partie du pouvoir et des ressources de l’Etat national à des instances au niveau régional ou au niveau local63 » Ce transfert est sensé favoriser l’initiative locale et rendre plus efficace les actions de développement.

PRESENTATION DES SCENARIOS

Les scénarios présentés plus loin sont axés sur des critères et des thèmes où les institutions jouent un rôle central. Ils ont été calés sur les orientations du PFN tout en tenant compte des analyses consécutives au travail de terrain. D’une certaine manière, le PFN a servi de référence à la fois pour analyser les activités des deux projets et pour imaginer dans quelles conditions et vers quelle direction pourrait évoluer la situation dans les deux provinces dans une vingtaine d’années.

Il faut signaler ici, il en sera question plus loin avec plus de détails, qu’au cours du travail de terrain les interlocuteurs aussi bien les populations que les techniciens de l’administration ou d’autres partenaires ont eu beaucoup de mal à dépasser l’horizon actuel. La situation dans 10, 15 ou 20 ans leur paraît inaccessible64.

Pour comprendre les scénarios concernant les deux provinces il nous a paru indispensable d’en faire un rapide qui porterait sur l’évolution de la politique de développement au niveau central. En effet beaucoup de transformations au niveau des régions sont liées à la politique de développement décidée au niveau central, maintenant. Il est bien entendu que ce scénario est avant tout un essai « d’anticipation » de la mise en oeuvre du PFN.

Pour la province de Chefchaouen et pour la politique de développement on a essayé d’imaginer trois scénarios différents :

Dans tous les scénarios on va considérer comme implicites certaines tendances qu’on peut considérer comme lourdes, celles qu’il serait difficile d’infléchir. Parmi ces tendances, nous incluons, la baisse du taux d’accroissement démographique, celui de l’analphabétisme, l’augmentation du taux d’urbanisation.

En revanche, il est difficile d’intégrer ici des aspects trop aléatoires ou trop précis comme la libéralisations des échanges commerciaux, les changements climatiques ou la désertification. Il est aussi difficile de prévoir si par exemple les années sèches seront plus ou moins fréquentes d’ici 20 ans.

Il existe aussi certaines tendances moins fortes, moins attendues, mais qui malgré tout risquent d’intervenir. C’est ainsi qu’on peut s’attendre à une amélioration du niveau de formation du personnel, une tendance très timide à la déconcentration. 63 Comprendre analyser gérer un processus de décentralisation. FAO, Kit pédagogique, Décentralisation et développement rural 17. 64 Pour les techniciens comme pour les autres partenaires il est possible de faire un exercice de prospective mais cela aurait demandé beaucoup de temps. En effet un tel exercice dans un douar par exemple aurait demandé par moins de 5 séances d’environ deux heures chacune.

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Un scénario tendanciel : on supposera que la tendance actuelle va se poursuivre. Dans ce scénario on considérera comme implicites certaines tendances actuelles (voir plus haut.)

Un scénario « réaliste » ou moyen : un petit nombre de changements pourrait améliorer nettement la situation sans toutefois être décisif.

Un scénario volontariste : un effort important est consenti non plus pour gérer les problèmes mais commencer pour leur trouver des solutions durables. Là, on obtiendra un changement décisif en direction du développement durable.

Dans chacun des scénarios on a pu faire varier, l’importance, l’intensité des changements, leur durée et leur coût65 (mesuré en efforts, bouleversement, transformations, changement des habitudes etc. »

Pour la projet d’Ifrane nous n’avons retenu que deux scénarios : un scénario tendanciel et un scénario volontariste (voir plus loin.)

SIGNIFICATION ET USAGES

Les scénarios présentés ici ne prétendent ni prévoir ni anticiper. C’est un exercice de réflexion dont le principal mérite serait, nous l’espérons, de tenter de tirer quelques conséquences logiques d’une tendance, d’une direction, afin de révéler des problèmes dont l’importance, le poids ou l’urgence ne sont pas toujours manifestes quand on fait une analyse classique de la situation actuelle.

Il est possible de varier à l’infini les thèmes et les critères mais cela aurait peu d’intérêt. Le futur est par définition imprévisible. Cependant personne ne peut nier l’intérêt pour l’action de prévoir afin de renforcer la rationalité de l’action actuelle laquelle ne peut se justifier uniquement par le court ou moyen terme.

Si ces scénarios peuvent contribuer à faire prendre conscience de risques actuels et surtout futurs ils auraient atteint pleinement leur but.

LES SCENARIOS DE POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT

PRESENTATION

Les politiques de développement ont une importance déterminante. Parfois ces politiques sont implicites d’autres elles sont explicites. L’administration des Eaux et Forêts dispose depuis 1999 d’une référence de politique de développement que constitue le PFN. Officiellement c’est le PFN qui constitue la référence pour la mise en oeuvre de la politique de développement forestier du pays. Le PFN comporte un programme prioritaire sur 5 ans et des objectifs à atteindre sur 20 ans. Les 3 scénarios qui sont proposés ici portent chacun sur une possibilité de mise en oeuvre PFN à partir de 3 hypothèses :

Un hypothèse basse : la continuation de la tendance actuelle

Une hypothèse moyenne : la mise en oeuvre se fait mais lentement et pas de manière uniforme

Une hypothèse haute : la mise en oeuvre du PFN se fait de façon volontaire, les décisions sont prises et les problèmes sont résolus au fur et à mesure qu’ils se présentent.

65 Il y a des changements plus faciles que d’autres. Il est plus facile de changer la dénomination d’une administration que modifier son organigramme ou la manière dont les décisions y sont prises et exécutées.

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LE SCENARIO TENDANCIEL

Dans ce scénario on va considérer que la tendance d’évolution depuis 1999 va continuer. De ce fait, la mise en oeuvre du PFN va progresser lentement. On supposera aussi que certaines actions du PFN ne pourraient pas être réalisées. En 5 ans, depuis 1999, la mise en oeuvre du PFN a été modeste. Elle s’est traduite principalement dans l’introduction de l’approche participative dans certains projets forestiers. Si cette tendance se poursuit comment serait mis en oeuvre le PFN ?

Le programme d’actions prioritaires à cinq ans

Ce programme peut apparaître très ambitieux. Certaines actions risquent d’être abandonnées ou remises à plus tard, d’autres réalisées sur une longue période. Pour donner une idée, un tableau de réalisation sera donné plus loin sur la base de 4 quinquenies, jusqu’en 2025. Nous partirons de l’hypothèse que le programme prioritaire sera réalisé avant 2025. Un résumé du programme est fourni dans le tableau donné ci-dessous

Tableau n°17 : Le programme d’actions prioritaires à cinq ans et sa réalisation d’ici 2025, hypothèse basse

Taux de réalisation par

quinquennie

Action sur Mesures 2005-2009

2010-2014

2015-2019

2020-2024

Foresterie rurale et de montagne 20 30 30 20 Gestion et substitution du bois-énergie en milieu rural montagnard 30 30 40 Gestion des parcours 0 25 25 50

L’environnement

Gestion des l'eau 0 30 30 40 Gestion des ressources humaines 20 20 30 30 Les moyens humains et

la culture Communication 20 30 50 Déconcentration 0 40 60 Décentralisation 0 0 40 60

Le processus de décision

Participation des populations / contractualisation 10 20 40 30 Faire évoluer les structures de l'administration 20 30 30 20 Création de structure de projet 0 0 50 50

L'organisation et les moyens

Création de structure de spécialisation 0 0 50 50 Réorientation des législations et des réglementations 20 40 40 Révision des fiscalités 40 60

Le cadre législatif et réglementaire

Groupe de projet 0 0 50 50

La simulation précédente peut apparaître trop pessimiste mais sa conséquence est l’abandon de fait du PFN avec comme résultat probable la poursuite et peut-être même l’amplification des tendances actuelles de dégradations.

Les conséquences de cette situation sont imprévisibles. D’une part on peut s’attendre à un affaiblissement de l’autorité de l’Administration des Eaux et Forêts avec pour conséquence un tendance à la réduction des ressources financières notamment extérieures, un affaiblissement de la rationalité de la gestion des forêts avec un pouvoir accru aux partenaires notamment les entreprises forestières, les communes rurales et les autres administrations. L’immobilisme de l’administration des Eaux et Forêts va entraîner un vide qui sera comblé par d’autres structures notamment la société civile et les collectivités locales (régions, communes rurales.) Les préoccupations de l’administration risqueraient d’être reprises avec peut-être plus d’efficacité par la société civile qui verra son action élargie et son rôle devenir central, notamment dans l’orientation des populations, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose pour le

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développement durable. Les fonctions régaliennes de l’administration risquent ainsi d’être fortement émoussées.

LE SCENARIO MOYEN

Ce scénario est moins ambitieux dans son rythme de réalisation que le PFN. Le programme prioritaire sera réalisé sur une période plus longue que cinq ans. Ce scénario suppose qu’une décision est prise sur la mise en oeuvre du Programme Forestier National et que le ou les responsables chargés de cette mise en oeuvre sont désignés et dotés de l’autorité dont ils ont besoin. La progression des la réalisation du PFN est donnée dans le tableau suivant

Tableau n°18 : Le programme d’actions prioritaires à cinq ans et sa réalisation d’ici 2025, hypothèse intermédiaire

Scénario moyen Taux de réalisation par quinquennie

Action sur Mesures 2005-2009

2010-2014

2015-2019

Foresterie rurale et de montagne 40 60 Gestion et substitution du bois-énergie en milieu rural montagnard 50 50 Gestion des parcours 20 30

L’environnement

Gestion des l'eau 30 40 Gestion des ressources humaines 30 40 Les moyens humains et la

culture Communication 30 40 Déconcentration 30 50 Décentralisation 20 30 Le processus de décision

Participation des populations / contractualisation 30 40 Faire évoluer les structures de l'administration 30 40 Création de structure de projet 0 50 L'organisation et les moyens

Création de structure de spécialisation 0 50 Réorientations des législations et des réglementations 40 60 Révision des fiscalités 100

Le cadre législatif et réglementaire

Groupe de projet 0 50

Les conséquences de ce scénario sont moins sombres que celles du scénario tendanciel. Les objectifs à 20 ans apparaissent peu réalistes, du fait que les conditions prévues par le programme à 5 ans ne sont pas réalisées que tardivement, pas avant 2020. Dans ce cas, le redressement de la situation à l’horizon de 20 ans, paraît compromis. Il faudra accepter un certain accroissement de la dégradation des ressources et un redressement seulement à l’horizon de 2035 ans. Ce qu’il faut remarquer c’est que les réformes tardent, plus il sera difficile de redresser la situation.

LE SCENARIO VOLONTARISTE

C’est le programme prioritaire qui serait appliqué avec quelques différences dans le rythme de mise en œuvre. En effet dans ce scénario le programme prioritaire prend plus de 5 ans. L’Administration des Eaux et Forêts pourrait difficilement absorber tous les changements et il semble qu’il serait plus réaliste d’étaler dans le temps, 7 à 8 ans au lieu de 5, la mise en œuvre. Les changements qui dépendent pour une grande partie des autres institutions prendront plus de temps et c’est normal. Le tableau suivant donne les taux de réalisation du PFN selon le scénario volontariste.

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Tableau n°19 : Le programme d’actions prioritaires à cinq ans et sa réalisation d’ici 2025, hypothèse volontariste

Scénario haut Taux de réalisation par quinquennie

Mesures 2005-2009

2010-2014

2015-2019

2020-2024

Foresterie rurale et de montagne 70 30 Gestion et substitution du bois-énergie en milieu rural montagnard 70 30 Gestion des parcours 40 60 Gestion des l'eau 60 40 Gestion des ressources humaines 80 20 Communication 100 Déconcentration 100 Décentralisation 50 50 Participation des populations/contractualisation 70 30 Faire évoluer les structures de l'administration 70 30 Création de structure de projet 50 50 Création de structure de spécialisation 50 50 Réorientations des législations et des réglementations 100 Révision des fiscalités 100 Groupe de projet 100

Dans ce scénario l’initiative du changement va revenir à l’administration. Le PFN deviendra plus crédible et dont plus mobilisateur. On se retrouverait donc dans les perspectives dessinées par le PFN avec cependant un certain retard par rapport aux prévisions initiales.

Il faut cependant insister sur le fait que la mise en oeuvre de ce scénario ne sera pas facile. Au sein des structures actuelles de l’Administration des Eaux et Forêts, il ne semble pas y avoir de mouvement dans ce sens. Il n’y a pas de motivation suffisamment forte ou d’intérêts qui puissent se mobiliser pour la mise en oeuvre du Programme Forestier National. Il faut donc que ce soit une décision à prendre au plus haut niveau. La meilleure solution serait peut-être de lier la mise en oeuvre à un financement extérieur car la mise en oeuvre aura un coût qu’il sera difficile de mobiliser uniquement sur le budget de l’Etat.

CONCLUSION

Les 3 scénarios montrent que le temps joue contre la mise en oeuvre des réformes telles qu’elles ont été prévues dans le PFN. Plus on attend, plus il sera difficile de maîtriser le développement forestier. Une action énergique est indispensable pour enclencher le processus de mise en œuvre. Et tant que ce processus n’est pas enclenché un doute continuera à subsister quant à la volonté de l’administration d’engager les changements indispensables, notamment en ce qui concerne la participation, la déconcentration et la décentralisation. L’efficacité de l’action menée actuellement dans les projets forestiers restera limitée si des réformes ne se manifestent pas au niveau central et régional.

En lui-même, le document de PFN constitue un apport considérable et peut être considéré à juste titre comme une réelle initiative de progrès. L’existence de ce document, de même que son adoption officielle, constituent un progrès d’une grande portée. En effet, le PFN même s’il n’est appliqué que partiellement sert de référence pour l’action et pour la mesure de la manifestation des pouvoirs publics et des autres acteurs en matière de développement forestier. Il fonctionne un peu comme un instrument de mesure qui permet de situer l’effort de développement. C’est aussi une référence normative qui peut être d’une grande efficacité de mobilisation !

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LES SCENARIOS POUR LA PROVINCE DE CHEFCHAOUEN

LA PROBLEMATIQUE DE DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LA PROVINCE DE CHEFCHAOUEN

Les atouts de développement de la province de Chefchaouen ne sont pas très encourageants. Les ressources en eau et en sol sont limitées rapportées aux fortes densités de population. Le caractère montagneux avec une population peu alphabétisée, souvent enclavée avec accès limités aux services sociaux de la santé de l’enseignement constitue une contrainte très forte.

Les possibilités de mise en valeur hydraulique sont aussi limitées à cause de l’insuffisance des terres arables de bonne qualité et aussi des difficultés de mobilisation des eaux superficielles. Les rendements des cultures céréalières qui sont les plu courantes restent très faibles. L’olivier constitue une ressource importante mais sa culture reste très extensive.

Dans la province diverses indications montrent que l’élevage et notamment caprin a reculé avec la progression de la culture du cannabis. Pourtant l’élevage caprin constitue une source importante de revenus pour les populations.

Avec un seul centre urbain dans la province, les activités économiques secondaires et tertiaires sont actuellement réduites et leur possibilité de développement dans le futur ne semble pas assurée. Les activités touristiques et artisanales qui leur sont liées n’arrivent pas absorber une main d’œuvre pléthorique jeune mais peu formée.

Le secteur forestier qui occupe plus du tiers de la superficie de la province est soumis à une forte pression humaine notamment par le défrichement car la végétation forestière semble plutôt vigoureuse. Ces défrichements seraient principalement dus à la culture du cannabis qui est importante dans la province. La délimitation du domaine forestier de l'Etat n’est pas encore achevée et se heurte à l’hostilité des populations.

Les populations de la province sont pauvres. Les possibilités locales d’emploi sont des plus réduites. C’est une zone d’émigration mais la population rurale continue d’augmenter de même que la population urbaine66.

La province de Chefchaouen est un cas extrême avec des ressources naturelles limitées, des densités de population très élevées et des potentialités de développement du secondaire et du tertiaire très réduites. Du fait de la pauvreté des populations, de leur enclavement et de la couverture insuffisante des services sociaux, l’accroissement de la population va certainement continuer même si l’émigration en dehors de la province risque de s’accélérer. Dans ce contexte il est difficile de s’attendre à une réduction de la culture du cannabis.

SYNTHESE DES ENTRETIENS

Des entretiens et des réunions ont eu lieu avec des techniciens de l’administration, des responsables d’ONG et des populations. Si ces entretiens et réunions ont été d’une très grande utilité pour comprendre la situation actuelle et pour imaginer son évolution possible, les interlocuteurs ont eu beaucoup de difficultés à imaginer une évolution qui dépasse le court ou moyen terme. Tous, aussi bien les populations que les techniciens ont été réticents à s’aventurer dans le futur. Il es intéressant de se demander pourquoi cette hésitation ou cette incapacité à envisager une évolution à long terme. On trouvera en annexe 2 du présent rapport « fiches d’entretien » quelques exemples de fiches utilisées et de résumés d’exemples de résumés d’entretiens.

66 Le recensement de septembre 2004 devra informer ou confirmer cela.

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Les techniciens sont préoccupés par la solution de problèmes immédiats. Pour eux c’est un luxe de consacrer du temps et des efforts à essayer d’imaginer le futur lequel, pensent-ils, échappe à toute appréhension. Imaginer ce qui va se passer dans 20 ans, non ! Cela dépend de tellement de choses et de choses imprévisibles. La réponse est très souvent : je ne sais pas, j’ai besoin de réfléchir. Il est vrai que ce genre de réflexion n’est pas habituel. Les techniciens sont plutôt sceptiques quant à l’intérêt de l’exercice en tant que tel.

Cependant, même s’ils se refusent à tout pronostic, les techniciens fournissent quelques indices, des directions. L’avenir des forêts ? Après une bonne année pluviométrique, les forêts ont une bonne reprise. La régénération n’est-elle pas menacée par le bétail ? Peu, la vraie menace ce sont les défrichements pour la culture du cannabis.

La culture du cannabis va-t-elle augmenter, diminuer ? Les avis divergent. Selon certains la culture va diminuer, il y a surproduction depuis plusieurs années déjà. La tendance serait à la réduction des superficies, en outre, il y a de plus en plus de cultures en irrigué avec des rendements élevés. Pour d’autres, l’évolution de cette culture est liée à la gouvernance, toute maîtrise de la situation dans ce domaine est liée aux progrès de la bonne gouvernance au niveau de la région.

En matière d’agriculture et d’élevage les techniciens ont beaucoup de mal à voir des progrès dans ce domaine. Tout progrès immédiat est tellement difficile à obtenir qu’il serait hasardeux d’imaginer que dans 10 ou 20 il sera possible de mobiliser les eaux de surface et de les utiliser de façon économique et rationnelle, d’introduire des cultures dont les revenus pourraient soutenir la comparaison avec ceux du cannabis67. Les progrès en matière d’élevage seraient encore plus lents. L’élevage caprin est une richesse importante de la province, l’amélioration de la santé animale, celle de l’alimentation, la collecte de lait, la production de fromage de chèvre, tout cela prendra beaucoup de temps, 10 ans, 20 peut-être. Peut-on imaginer une production « industrielle » de viande caprine ? On assiste à un accroissement de la demande dans les zones urbaines, la viande caprine étant réputée avoir des vertus diététiques à cause, entre autres, de faible teneur en cholestérol. Peut-on imaginer voir dans les boucheries de grandes surfaces un rayon viande caprine ? Tout cela apparaît très lointain. Il faudrait plus de 10 ans pour maîtriser la santé animale et bien plus pour « industrialiser » la viande caprine. Bref dans le domaine de l’agriculture les progrès seraient très lents selon les techniciens.

Pour les populations la situation est différente. Le futur appartient à Dieu et c’est déjà sacrilège que de vouloir intervenir dans un domaine où les humains n’ont pas de pouvoir. Pour essayer de partir d’un point d’appui pour la discussion, l’exemple de la préparation du cinquantenaire de l’indépendance a été évoqué pour demander aux gens, pour ceux qui se souviennent, comment était la situation à l’indépendance et ce qui a changé depuis. Les gens reconnaissent, souvent avec difficulté, les changements intervenus mais ils ont du mal à imaginer ce qui pourrait se passer dans 10 ou 20 ans. Les populations veulent (dans l’ordre) l’eau, la route, l’électrification et le dispensaire. Les populations ne veulent parler ni du cannabis ni des forêts, elles ne cultivent pas le cannabis ou si peu, quelques égarés, des jeunes, cultivent quelques rares parcelles très éloignées, quant aux forêts, tous ont les meilleurs rapports avec l’administration68.

Les autres partenaires sont aussi prudents. Quels seraient les rôles et l’action de la société civile dans la province où on assiste à une floraison d’associations de développement local69 ? Va-t-on assister à une situation où les ONG vont assurer une grande partie des actions de développement, rural et urbain remplaçant ainsi en partie l’administration ? Cela est-il souhaitable ? Comment vont évoluer les rapports avec l’administration ? Les réponses sont du genre nous ne savons pas, on a besoin de réfléchir. Et la situation dans la province comment va-t-elle évoluer ? La situation des femmes sera-t-elle améliorée ? Et celle des jeunes ? Y aura-t-il plus ou moins de pauvres ? Pour les femmes les choses peuvent aller très vite. Dans certains douars les progrès accomplis en deux ou trois ans sont considérables. Pour le reste, il faut 67 On parle de l’introduction de la culture de safran expérimenté par le projet GEFRIF et des cultures aromatiques et médicinales 68 Le jour de la réunion le mokaddem a distribué une quinzaine de convocations pour procès-verbaux de défrichement et surtout carbonisation. 69 Encouragées parfois par l’administration mais rarement actuellement, cela dépendrait de la personnalité des gouverneurs. Un ancien gouverneur de la province aurait beaucoup fait pour promouvoir la société civile. L

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réfléchir. L’hésitation des interlocuteurs est compréhensible. Le sous-développement de la province de Chefchaouen ne risque-t-il pas d’être durable ?

LE SCENARIO TENDANCIEL

Ce scénario est sensé fournir une image de l’évolution de la situation actuelle laquelle, hélas, n’est pas très bien connue70.

Pour fixer les idées, on donnera dans le tableau ci-après quelques chiffres sur la province de Chefchaouen.

Tableau 20 : Province de Chefchaouen. Quelques chiffres.

Données chiffrées sur la province de Chefchaouen d'après le RGPH de 1994 Indications Nature/unité Urbain Rural Total Superficie ha 420 434580 435000

Nombre 42914 396389 439303 % 10% 90% 100% Population

Densité 91,21 101

Nombre d'enfants par femme 3,8 7,3 6,9 Masculin 19,3 55,5 51,4 Féminin 48,2 93,8 89 Taux d'analphabétisme

Total 33,3 74,7 70,2 Masculin 91 57,5 51,4 Féminin 81,3 15,5 21,2 Taux de scolarisation

Total 86,4 36,7 41,1 Néant 43,9 82,2 78,5 Préscolaire 8,5 8,9 8,9 Primaire/secondaire 40,7 8,6 11,6

Niveau d'instruction

Supérieur 6,9 0,3 1 Agriculture 85,6 Administration 4,8 Commerce 3,3 indus/artisanat 2,1

Population active en

Autres 4,2

Entre 1984 et 1994, le taux d’accroissement naturel de la population de la province a été élevé, 3%. On peut cependant penser que ce taux a baissé depuis passant à 2% entre 1994 et 200471. Il continuera à baisser, 1,5% entre 2004 et 2014 et 1,2% après. Il va donc y avoir un accroissement modéré de la population totale de la province, un accroissement important de la population urbaine mais, malgré tout un accroissement de la population rurale. Le taux d’urbanisation de la province restera faible mais augmentera. Les densités augmenteront car l’émigration en dehors de la province restera modeste.

Même si on réduit d’un tiers le taux d’accroissement, les densités seraient de 122 habitants au Km² en 2004 avec une population totale de 535 000 habitants dont une population urbaine de 63 500 habitants soit un taux d’urbanisation de 12% comme on peut le voir dans le tableau suivant.

70 Il est bien entendu que cet exercice peut prendre une autre dimension si plus de temps pouvait lui être consacré. 71 Cette tendance à la baisse est observée dans tout le pays. Cela est dû à plusieurs facteurs dont l’âge du mariage.

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Tableau n°21 : Province de Chefchaouen Scénario 1 : Evolution décennale de la population

Indication/ décennie 1994 / 2004 2004 / 2014 2014 / 2024 Taux d'accroissement de la population totale 2% 1,50% 1,20% Taux d'accroissement urbain 4% 3,50% 3,50% Taux d'accroissement rural 1,80% 1,23% 0,80% Population totale 535508 621479 700215 Population urbaine 63523 89606 126398 Population rurale 471985 531873 573817 Densités (habitants au Km²) 123 143 161 Taux d'urbanisation 12% 14% 18%

Ces prévisions qui peuvent être en elles-mêmes fort optimistes montrent que d’ici 2025, les densités comme les populations vont augmenter de 40% par rapport à 2004. Du fait du poids des populations rurales qui actuellement représenteraient 88% du total, les transformations démographiques ne pourront qu’être lentes à moins d’un accroissement plus rapide de l’urbanisation ce qui est contrarié par l’absence de potentiel de développement urbain de la ville de Chefchaouen.

La culture du cannabis

Selon l’enquête de 200372 les superficies cultivées s’élèvent à 66 700 ha soit 40% de la SAU. Il est certain qu’au cours des 10 dernières années la tendance était à l’accroissement mais cette tendance semble maintenant s’essouffler et l’on supposera donc que les superficies auront plutôt tendance à se réduire. Dans quelles proportions ? Relativement modestes, on suppose que les superficies vont passer à 55 000 ha en 2014 et à 45 000 en 2024 soit une réduction respectivement de 18% et 33% ce qui est déjà très important. Ces réductions seront dues à l’action de l’Etat mais aussi à l’intensification de la production notamment par l’irrigation et aussi par une réduction de la demande.

Société civile.

Ces dernières années, l’action de développement de la société civile a pris une ampleur insoupçonnée. L’intervention des ONG pour le développement local s’étend régulièrement. A côté d’ONG étrangères ou nationales, des associations locales de dynamisme et de dimensions inégales interviennent de plus en plus dans les douars pour le développement rural. L’irruption de la société civile dans le champ du développement rural jusqu’à présent réservé à l’administration ou à quelques rares ONG extérieures n’est pas acquise. On peut s’attendre à un raidissement des structures administratives qui ne sont pas encore habituées à collaborer ou à accepter de travailler à côté des ONG. Il est possible que le dynamisme actuel s’essouffle. L’hypothèse retenue ici est que ce dynamisme va s’amplifier devant les difficultés grandissantes de l’administration à satisfaire les besoins sociaux des ruraux et des urbains. Ce développement de l’action associative de développement rural ira donc en s’intensifiant avec une certaine marginalisation de l’administration qui risque de perdre son rôle d’orientation. Ces ONG deviendront, de plus en plus, directement destinataires des aides provenant de l’extérieur. Incontestablement, la société civile aura le vent en poupe.

Gouvernance

La décentralisation et la déconcentration vont finir par arriver mais tardivement dans des conditions qui ne devraient pas tellement rendre plus efficace l’action de l’administration. L’efficacité actuelle des administrations ne va pas tellement s’améliorer. La lutte contre la corruption même si elle va s’amplifier ne verra pas la corruption reculer de façon significative. Le contrôle de l’administration par les citoyens restera limité sinon très faible. D’une certaine manière la province jouira d’une gouvernance

72 Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’APDN Maroc Enquête sur le cannabis 2003. Décembre 2003.

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améliorée mais celle-ci restera en deçà du niveau qui permettra d’agir efficacement sur les obstacles qui gênent le développement rural.

Participation des populations

La participation des populations est liée aux progrès en matière de gouvernance. Elle dépend aussi de l’évolution de la culture au sein des administrations d’intervention de l’Etat et de l’adaptation de la formation du personnel à la nouvelle orientation. La tendance actuelle ne va pas dans ce sens là. L’approche participative restera limitée aux actions développement avec financement extérieur ou celles entreprises pas les ONG. Même si la participation progresse, les populations ne vont pas tellement se sentir concernées par les préoccupations du développement durable. Les actions participatives qui auraient été engagées n’auraient pas encore une envergure suffisamment convaincante pour les populations.

La DPA et le SPEF

L’efficacité de ces deux administrations sera liée, entre autres, à la gouvernance. Si le niveau de formation, de qualification et d’expérience du personnel technique et administratif va avoir tendance à s’améliorer, les méthodes d’intervention resteront à peu de choses près les mêmes, si bien que l’efficacité de développement de la DPA et du SPEF pourraient encore plus difficilement faire face aux nouveau enjeux consécutifs à l’accroissement démographique et aux nouvelles exigences des populations rurales. Du fait de leur faible efficacité en matière de développement rural, ces administrations recevraient de moins de moins de ressources financières provenant du budget de l’Etat ou de l’extérieur, ressources qui iraient plus vers la société civile. Dans ces conditions, les rôles des ces administrations dans le développement rural ira en s’amenuisant.

Processus de légitimation

On supposera que pour délimiter les forêts et pour assurer leur protection on continuera la politique actuelle qui ne favorise pas l’association des populations au souci de protection et de gestion durable des forêts. La stricte application de la législation sur la délimitation administrative des forêts rifaines ne va pas favoriser la légitimation de la domanialité des forêts. De même, les progrès de délimitation resteront faibles et on peut s’attendre qu’à l’horizon 2024, la situation actuelle persiste avec de faibles changements.

Les ressources financières

Depuis une quinzaine d’années, on a assisté à un accroissement substantiel des interventions de l’Etat. Cet élan va-t-il persister et s’amplifier ? Ce serait possible s’il s’avère que les actions entreprises jusqu’à présent avec une assistance extérieure substantielle notamment de l’UE prouvent leur efficacité. Ceci est difficile à évaluer maintenant même si l’on peut avoir quelques doutes. Cependant, pour les besoins de ce scénario, on supposera que les ressources financières allouées à la province seront maintenues à leur niveau actuel. Ceci veut dire que les progrès en matière de développement rural (Eau potable et pistes rurales, santé, enseignement de base etc.) vont progresser sans toutefois couvrir les besoins croissants des ruraux.

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Les conséquences du scénario

Les conséquences sur les ressources forestières et les ressources naturelles de manière générale qu’on peut tirer de ce scénario ne sont pas optimistes. Si des réformes ne sont pas entreprises, l’efficacité des structures d’intervention de l’Etat va se dégrader. Le contrôle de la situation de développement risque de leur échapper. Leur autorité risque d’être fortement altérée. Même si le rôle de la société civile va être renforcé, le poids ce celle-ci risquerait d’être fortement contrecarré par celui de milieux liés aux trafics de tout genre, milieux qui risqueraient d’être en situation de défier l’autorité de l’Etat et de ses représentants locaux notamment les services techniques qui seraient fragilisés.

Les forêts risqueraient de se dégrader encore plus par un accroissement de la demande suite à un accroissement démographique dans une situation de pauvreté qui rendrait l’utilisation d’énergie de substitution au bois de feu inopérante. Les défrichements risqueraient d’augmenter pour les besoins de la culture de cannabis et pour les céréales dont les populations rurales auront besoin et qui de toutes les façons ne pourraient satisfaire qu’une partie de leurs besoins.

La délimitation des forêts restera pendante. Elle portera d’abord sur les terrains boisés alors que les populations continueront à s’opposer aux délimitations du matorral qu’elles voudront continuer à maintenir comme réserve de terre. L’exercice de la police forestière risque de devenir difficile et périlleux. Les procès-verbaux seraient plus difficiles à dresser et peux d’entre eux aboutiraient devant la justice.

En matière de développement durable, on risquera d’assister à une régression. Du fait des très faibles possibilités de développement urbain, les possibilités d’exode rural seront réduites. La pauvreté rurale et urbaine va augmenter. Elle ne serait rendue supportable socialement que grâce à la solidarité des émigrés en dehors de la province ou à l’étranger.

Les phénomènes liés à la dégradation du couvert végétal comme l’érosion des sols vont s’aggraver mettant ainsi en péril les réalisations économiques (barrages) dont d’autres régions du pays dépendent.

Ce qui serait peut-être plus grave c’est que la situation va apparaître de plus en plus difficile à maîtriser. Les problèmes apparaîtraient insolubles dans un cadre légal et sans l’utilisation de la violence par l’Etat.

LE SCENARIO INTERMEDIAIRE

Ce scénario suppose une intervention plus énergique de l’Etat. Un effort sera entrepris pour empêcher la situation de se dégrader ou d’empirer. L’Etat interviendra pour parer au plus pressé mais les problèmes de fond vont demeurer.

Démographie

L’accroissement démographique va être infléchi par une intervention énergique pour le contrôle des naissances dans les zones rurales en particulier. Un effort sera fait pour le développement urbain des chefs lieux de communes rurales.

L’évolution démographique est donnée dans le tableau suivant :

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 62

Tableau n°22 : Province de Chefchaouen .Scénario 2 : évolution démographique

Indication/ décennie 1994 / 2004 2004 / 2014 2014 / 2024 Taux d'accroissement de la population totale 2% 1% 0,6% Taux d'accroissement urbain 4% 3,5% 3% Taux d'accroissement rural 1,80% 0,6% 0,1% Population totale 535508 591534 621785 Population urbaine 63523 89606 120423 Population rurale 471985 501928 501362 Densités (habitants au Km²) 123 136 143 Taux d'urbanisation 12% 15% 19%

Il y aura ainsi un accroissement modéré de la population rurale qui restera stable dans la décennie 2014-2024. On voit que malgré les importantes réductions des taux d’accroissement les densités vont passer de 123 en 2004 à 135 en 2014 et à 143 en 2024.

La culture du cannabis

Dans ce scénario la réduction des superficies de cannabis seront plus énergiques. On suppose que les superficies vont passer à 50 000 ha en 2014 et à 35 000 ha en 2024. La culture serait repoussée aux zones les moins accessibles. Ces réductions seront principalement dues à l’action de l’Etat mais aussi pour une part à un affaiblissement la demande.

Société civile.

Le développement de la société civile sera similaire à ce qui a été décrit dans le scénario précédent avec une nuance importante. La coopération et la coordination avec les institutions publiques seront assurées. Les ONG interviendraient dans le cadre des orientations tracées par l’Etat.

Les diverses ONG étrangères ou nationales, les associations locales interviendraient de façon autonome mais à l’intérieur d’un schéma de développement tracé pour la province. Les ONG disposeraient d’une structure de concertation et de coordination entre elles et avec les organismes publics. L’hypothèse retenue ici est que le dynamisme de la société civile va servir d’aiguillon pour inciter l’Etat à accompagner et orienter l’action de développement. Il va y avoir une certaine répartition des rôles entre les divers intervenants pour le développement rural. Les ONG locales pourraient être habilitées à recevoir des fonds publics. Il y aura un début de codification du partenariat entre les organismes publics et les ONG.

Gouvernance

Un effort sera entrepris pour faire progresser la décentralisation et la déconcentration. Les projets de développement auront un minimum d’autonomie financière et administrative avec contrôle a posteriori. Les services régionaux, DPA, SPEF auront leur propre budget contrôlé par les organismes régionaux (DREF pour le SPEF.).

La lutte contre la corruption sera menée de façon plus ferme et plus manifeste mais du fait que les progrès en matière de responsabilité n’auront pas été suffisants (le contrôle de l’administration par les citoyens restera faible) son efficacité en matière de développement rurale restera limitée. La province jouira d’une meilleure administration, plus efficace, plus proche des gens et plus soucieuse du développement.

Participation des populations

Les progrès en matière de gouvernance vont donner plus d’opportunités à la participation des populations qui continuera cependant à être freinée par la culture des organismes d’intervention de l’Etat, culture qui change trop lentement. Un effort sera fait pour que l’ensemble des organismes publics adopte

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 63

les principes de l’approche participative dont l’enseignement aura été normalisé et inscrit aux programmes des institutions d’enseignement.

Les actions participatives qui seraient engagées devraient, petit à petit, convaincre les populations de la sincérité des nouvelles orientations et les inciter ainsi à accepter de prendre en charge une partie des investissements et surtout à s’organiser pour assurer l’entretien et la maintenance des réalisations.

La DPA et le SPEF

L’efficacité de ces deux administrations va s’améliorer suite aux progrès en matière de gouvernance. Le niveau de formation du personnel étant notablement amélioré et diversifié, il sera possible de modifier les méthodes d’intervention et une adoption de l’approche participative qui va s’inscrire dans les structures, le fonctionnement et les procédures d’intervention. Les fonctions régaliennes seront séparées des fonctions de développement notamment dans les responsabilités du personnel. Les responsabilités seront renforcées. Les rôles des ces administrations dans le développement rural sera renouvelé dans la mesure où il leur intervention se fera progressivement à travers un vaste réseau de partenaires pour le développement. Enfin leurs rapports avec les populations seront transformés.

Processus de légitimation

On supposera ici que pour délimiter les forêts et pour assurer leur protection, l’administration aura tiré les leçons de l’impasse de la politique actuelle. Il est essentiel de développer un effort particulier tendant à légitimer la domanialité des forêts et le développement durable. Ceci se fera par une action spécifique d’information, de conviction et de démonstration mais aussi par un ensemble de mesures dont la modification du comportement du personnel, l’association des populations au souci de protection et de gestion durable des forêts. On abandonnera la stricte application de la législation sur la délimitation administrative des forêts rifaines pour favoriser des solutions pragmatiques qui tiennent compte de la réalité du terrain. La domanialité des forêts ne sera plus retenue comme la solution unique de protection des forêts. Une législation mieux adaptée aux conditions locales pourrait être envisageable. Le processus de légitimation qui vise à convaincre et séduire les populations non pas à leur imposer doit être engagé à l’intérieur d’un programme national d’ensemble qui vise à faire partager le souci de développement durable à l’ensemble des populations urbaines et rurales.

Les ressources financières

L’élan d’intervention de l’Etat dans la région sera amplifié. Un effort particulier sera consenti en matière d’infrastructure scolaire, d’eau potable et de routes rurales. Un effort supplémentaire de l’assistance financière extérieure devra être orienté en priorité vers la province. Des exemples de développement dans des régions similaires montrent que la durée est un facteur important qui explique certains succès d’actions de développement de longue haleine.

L’Etat consentira un effort financier important au cours des 20 prochaines années afin de permettre à la province de se situer dans la moyenne nationale en ce qui concerne les indicateurs de pauvreté.

Il n’est pas indispensable que l’ensemble du financement de ces actions soit supporté par le budget de l’Etat. La mobilisation d’autres ressources financières, ONG, émigrés serait plus importante si l’Etat favorisait les structures et la transparence de gestion des fonds qui pourraient être mobilisés.

Les conséquences du scénario

Ce scénario permettra de stabiliser la situation actuelle et d’entrevoir des issues pour le développement de la province. A l’horizon 2025, on pourra espérer que les prélèvements de bois sur les forêts seront maintenus à leur niveau actuel. On espère aussi que la pression du bétail sera allégée permettant un timide régénération du couvert végétal. La légitimation du développement durable aura notablement progressé rendant possible la délimitation des forêts mais aussi une gestion concertée de

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certains massifs forestiers notamment ceux relevant des parcs. Les partenaires du développement rural seront confortés dans leur action. Les possibilités de développement durable seraient plus crédibles à l’horizon 2024.

LE SCENARIO VOLONTARISTE

Démographie

L’accroissement démographique va être infléchi encore plus par une intervention énergique pour le contrôle des naissances dans les zones rurales en particulier et par une émigration plus importante vers en dehors de la province. A côté de Chefchaouen pourraient être créées trois ou quatre petits centres urbains intermédiaires là où l’Etat va favoriser un urbanisme approprié et des aménagements adaptés aux besoins et aux possibilités financières des populations dont le mode de vie va se transformer progressivement.

La population rurale va continuer à augmenter mais de façon modérée d’ici 2014 après quoi elle commencera à baisser mais de façon tout aussi modérée. Peut-on espérer une réduction substantielle de la population rurale après 2014 ? Cela serait possible si l’on assiste dans le reste du pays à une croissance économique plus forte qu’actuellement. On pourrait alors aussi assister à une émigration urbaine vers d’autres villes du pays.

Dans tous les cas pour passer d’un taux d’accroissement de 3% entre 1994 et 2004 à un taux de 0,1% entre 2014 et 2024 on fait déjà preuve de beaucoup d’optimisme.

L’évolution démographique est donnée dans le tableau suivant :

Tableau n°23 : Province de Chefchaouen .Scénario 3 : évolution démographique

Indication/ décennie 1994 / 2004 2004 / 2014 2014 / 2024 Taux d'accroissement de la population totale 2% 1% 0,5% Taux d'accroissement urbain 4% 4% 3,5% Taux d'accroissement rural 1,80% 0,37% 0,1% Population totale 535508 579924 597559 Population urbaine 63523 94030 132638 Population rurale 471985 485894 464920 Densités (habitants au Km²) 123 133 137 Taux d'urbanisation 12% 16% 22%

La culture du cannabis

Dans ce troisième scénario, la réduction des superficies de cannabis sera encore plus importante mais cette culture ne disparaîtra pas pour autant à l’horizon 2024. On suppose que les superficies vont passer à 50 000 ha en 2014 et à 30 000 ha en 2024.

Société civile.

Dans ce scénario, la société civile devient le partenaire des organismes publics intervenant dans le développement. Ce partenariat est inscrit dans la législation et les procédures sont connues et généralisées pour tous les intervenants. Le dynamisme de la société civile est accompagné par une politique de l’Etat respectueuse de l’initiative et de la liberté de ses partenaires. Les ONG interviendraient avec les organismes publics dans le cadre d’un politique de développement régional mise au point en concertation avec tous les partenaires et adoptée de façon légale par les organismes représentatifs au niveau de la province.

Les activités de développement rural seront menées dans le cadre d’un politique claire de développement durable mise au point pour la province et adaptée à ses conditions particulières. Les ONG

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intervenante seront sensées adhérer et agir dans le cadre d’une charte de développement durable de la province élaborée d’un commun accord entre les partenaires du développement rural.

Gouvernance

La décentralisation et la déconcentration seraient mises en oeuvre au cours du prochain plan quinquennal. Elles seront opérationnelles à partir de 2010. Les services régionaux, DPA, SPEF auront leur propre budget de développement rural voté et contrôlé par les par les organismes régionaux et provinciaux.

Des plans de développement de la province seront préparés par les organismes publics locaux en collaboration avec leurs partenaires, les ONG, les communes rurales et les autres structures représentatives.

La lutte contre la corruption sera menée en parallèle avec la responsabilisation au sein de l’administration. Celle-ci fonctionnera avec un plus grand souci de transparence et d’information des populations. L’administration devra rendre compte autant aux représentant de la population qu’à la hiérarchie. Les populations auront le droit de demander des comptes aux administrations.

Participation des populations

La participation des populations au développement ne sera plus réservée aux projets de développement avec un financement extérieur. L’approche participative sera une orientation et une méthode de travail des organismes publics intervenant pour le développement rural. La participation des populations sera organisée et inscrite dans les règlements et le fonctionnement de l’administration. L’état interviendra pour changer la culture des organismes d’intervention de l’Etat afin d’intégrer l’approche participative à cette culture.

Les populations se verront reconnaître de plus en plus de responsabilité dans la conception, la mise en oeuvre et la supervision des actions de développement agricole et rural. Le financement des actions sur le budget de l’Etat ou sur l’assistance extérieure se fera sur la base des propositions issues d’activités d’animation pour l’approche participative. Le rôle du pouvoir central sera d’évaluer et d’encourager les actions qui s’inscrivent dans les préoccupations du développement durable.

La DPA et le SPEF

L’organisation et le fonctionnement des deux administrations seront transformés par l’amélioration de la gouvernance et l’introduction de l’approche participative. L’efficacité sera encore accrue par un fonctionnement interne qui donne plus de responsabilité et d’initiative aux fonctionnaires dont les niveaux de formation et d’expérience seront adaptés. Le niveau de formation du personnel étant notablement amélioré, il sera possible de modifier les méthodes d’intervention et une adoption de l’approche participative qui va s’inscrire dans les structures, le fonctionnement et les procédures d’intervention.

Les fonctions régaliennes seront confiées à un personnel spécialisé. Une partie de ces fonctions iraient à des corps de sécurité déjà constitués et/ou à des institutions locales (communes rurales. L’Administration des Eaux et Forêts ne serait plus la seule à veiller sur l’observation des règlement édictés pour la conservation et la gestion des forêts.

Processus de légitimation

La délimitation administrative ou autre des forêts sera précédée d’un travail de fond de légitimation de la domanialité des forêts et du développement durable. Cette délimitation ne devrait pas revêtir son urgence actuelle mais se faire en impliquant tous les partenaires locaux et surtout en essayant d’expliquer et de justifier l’action de l’Etat.

L’Etat n’aura plus le monopole de la propriété des forêts. La propriété des forêts pourrait aussi être collective, communale sous certaines conditions, quitte à modifier la législation qui date de 1917.

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Les ressources financières

L’Etat consentira un programme de développement durable sur une période de 15 à 20 ans. Un effort financier de longue durée devrait être assuré en priorité pour des zones spécifiques afin de d’assurer une certaine mise à niveau qui permettrait à ces zones de se comparer au reste du pays. La province aurait ainsi d’un dispositif qui rendrait crédible son développement et qui de ce fait pourrait attirer plus d’investissements.

Les conséquences du scénario

Ce scénario pourrait être considéré comme le scénario optimum pour le développement durable mais c’est aussi celui qui peut apparaître le moins réaliste dans la mesure les changements qu’il exigent apparaissent très difficiles et coûteux (socialement et financièrement) à mettre en œuvre à moyen terme. Cependant, ce scénario montre qu’un certain espoir reste possible.

Il est difficile d’apprécier à quelle date devraient se manifester les effets d’un tel scénario. Peut-être que le renversement de la situation actuelle de dégradation apparaît comme lointain étant donné la complexité de l’évolution envisagée. On peut cependant penser qu’un tel scénario permettrait de maîtriser la situation qui autrement risquerait d’échapper complètement au contrôle de tous. Il faudra dans tous les cas accepter que la situation de dégradation va continuer mais devrait notablement se ralentir. Peut-être faudrait-il accepter que l’objectif serait non pas d’arrêter le processus actuel, mais de le ralentir fortement d’ici 2025 et d’espérer le stabiliser à un horizon beaucoup plus lointain, 2040 ou 2050. On aurait ainsi un scénario qui fait ressortir l’illusion qu’il y aurait à croire qu’il est possible de renverser la situation de dégradation des ressources naturelles avec des densités de populations aussi fortes (137 habitants au Km² en 2024) et un taux d’urbanisation aussi faible (22 %.) D’une certaine manière, le développement durable exige des sacrifices. Pour rendre crédible le développement durable à Chefchaouen, il faut « prévoir » un minimum de dégradation inévitable pour parvenir à contrôler la situation.

ANALYSE ET CONCLUSION

Quelles leçons peut-on tirer de ces scénarios ?

Les initiatives de progrès

Les deux projets GEFRIF et Chefchaouen ont tracé des voies, établi des modèles. Le projet GEFRIF a certes été un projet pilote dont les résultats matériels sont modestes. Il n’en demeure pas moins que du point de vue des idées et de l’expérience, et de l’innovation, les deux projets ont été incontestablement sources d’initiatives de progrès.

Parmi ces initiatives de progrès qu’il faut signaler l’introduction de l’approche participative, la délimitation participative des forêts et l’association de la société civile.

Le projet GEFRIF a permis de rendre l’approche participative opérationnelle, ce qui en soit est un progrès certain. Son action en a illustré l’efficacité et l’utilité. GEFRIF a permis de mieux intégrer, structurellement, l’approche participative dans le projet Chefchaouen. L’expérience acquise constitue un atout pour le projet Chefchaouen et les autres projets.

La délimitation participative des forêts peut aussi être retenue comme une initiative de progrès. En effet, cette manière de faire, permet d’associer les populations au travail important de délimitation administrative. Ce processus est incontestable un des moyens de légitimation de la domanialité des forêts.

L’ouverture, même modeste, à la société civile peut aussi être vue comme une initiative de progrès. Cela permet et aussi une diversification des actions et méthodes de développement rural, un enrichissement de la culture de l’Administration des Eaux et Forêts et de son personnel.

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Dans une région réputée difficile, peu hospitalière, les actions entreprises dans les deux projets en matière de développement forestier au service du développement rural apparaissent maintenant comme pionnières. Elles sont porteuses de progrès avenir. Il s’agit, en fait, d’une petite révolution dans les méthodes classiques d’intervention de l’Administration des Eaux et Forêts.

Les espoirs de progrès

L’absence d’actions volontaires réfléchies est le principal ennemi du développement durable à Chefchaouen. Chefchaouen est un cas limite dont les enseignements sont précieux pour la mise en oeuvre de PFN dont la conception a été faite sur la base d’une réflexion moyenne où un des extrêmes pourrait être la province de Chefchaouen.

Plus la situation est grave, plus le temps est un facteur stratégique. D’une certaine manière, la priorité absolue devrait être donnée à Chefchaouen pour redonner espoir à ceux qui pensent que le développement durable a un sens qui va au-delà de la conservation des ressources naturelles, mais qui considère que c’est encore plus important d’accorder la priorités aux hommes qui dans tous les cas restent l’objectif ultime du développement durable.

Le développement durable est un long processus. Et plus la situation semble éloignée de l’objectif de développement durable plus il est impératif d’agir et très vite. Le cas de la province de Chefchaouen est typique de ce côté. D’un point de vue purement économique, il y a peu de d’éléments qui militent en faveur d’investissements de l’Etat ou d’autres opérateurs privés. Si l’on suit cette tendance, peu de choses pourraient être faites dans le sens du développement durable.

Si le développement durable est un espoir, il devra être possible d’en faire la démonstration dans des zones aussi difficiles que celles de la province de Chefchaouen.

LES SCENARIOS DE LA PROVINCE D’IFRANE

LA PROBLEMATIQUE DE DEVELOPPEMENT DURABLE A IFRANE

La province d’Ifrane se trouve dans une situation bien meilleure comparée à celle de Chefchaouen. Ici les problèmes se posent d’une façon différente. La province dispose de ressources en terres et en eaux qui sont loin d’être négligeables. Les ressources forestières sont parmi les plus riches du pays. Enfin, les parcours naturels et le bétail représentent une ressource qu’on ne trouve pas ailleurs. Il faut ajouter à cela des densités de populations parmi les plus faibles des zones de montagne, une position géographique enviable, par rapport aux grandes villes et aux grands axes de circulation. La problématique d’Ifrane est une problématique plus classique de développement agricole et rural alors que celle de Chefchaouen est plus une problématique de lutte contre la pauvreté. A Ifrane, le problème est d’assurer un développement durable qui permette la conservation et la mise en valeur des ressources forestières et pastorales au service des populations locales.

La province d’Ifrane dispose de ressources en eau et en terre insuffisamment mises en valeur, de ressources forestières et pastorales dont la gestion doit être notablement améliorée afin de les mettre à l’abri de la menace actuelle de dégradation.

Pour Ifrane deux scénarios seulement seront présentés. Un scénario tendanciel et un scénario volontariste. Les conditions de développement de la province d’Ifrane n’exigent pas un troisième scénario. Les deux scénarios présentés ici sont suffisants pour rendre compte des possibilités d’évolution qui s’offrent à la province. D’une certaine manière, la situation est nettement plus « simple » à Ifrane. Le scénario tendanciel est nettement plus optimiste ici qu’à Chefchaouen. Le scénario volontariste sera un peu plus détaillé notamment pour ce qui est de la traduction au niveau de la province de certaines actions prévues dans le programme prioritaire du PFN.

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SYNTHESE DES ENTRETIENS

Comme à Chefchaouen, les populations comme les techniciens ont été peu loquaces pour parler de l’avenir.

Des entretiens avec les techniciens on retiendra surtout ici leur appréciation des capacités de changement. Tous pensent que le changement pour le développement rural demande du temps, beaucoup de temps. Comme à Chefchaouen, les techniciens pensent que la mise en valeur hydro-agricole, l’intensification de l’élevage prendront beaucoup de temps. Les techniques actuelles qu’ils voudraient introduire, les agriculteurs et les éleveurs ne les adopteront pas avant longtemps, 10 ans ? Peut-être, 20. C‘est un horizon trop lointain, les techniciens ne se sentent pas en mesure d’imaginer tout ce qui peut se passer d’ici là.

Les populations ne veulent pas penser à un avenir aussi lointain. C’est l’immédiat qui les préoccupe ; ce sont les forêts et les parcours. Les populations manifestent une gêne certaine à parler de l’avenir des forêts. Leur attitude est dictée par leur expérience passée. Elles ne le disent pas ouvertement mais on peut le déduire des entretiens, les populations ont peur de voir encore plus se réduire leurs usages des forêts mais aussi des parcours73. Les populations veulent retrouver les usages qu’elles avaient notamment ceux portant sur les menus produits leur permettant d’avoir accès à de petites quantités de bois d’oeuvre de cèdre.

Les rapports des populations avec les forêts et l’administration forestière restent emprunts de beaucoup de craintes. Manifestement, les gens ne sont toujours pas rassurés sur l’appétit foncier de l’Etat qui peut toujours étendre son domaine. Sans jamais que ce soit explicite, les populations continuent de contester la domanialité des forêts.

Les partenaires et notamment les communes rurales expérimentent de nouveaux rapports avec l’Administration des Eaux et Forêts à travers le projet. Il est trop tôt pour les communes rurales et leur syndicat de juger ces nouveaux rapports cependant on peut dors et déjà faire un certain nombre d’observations. Le syndicat semble avoir joué le jeu loyalement même s’il n’a pas toujours été facile d’amener toutes les communes rurales à adhérer aux actions financées en dehors de leur territoire. Du côté su syndicat on veut démontre que l’on joue le jeu loyalement et en même temps on laisse entendre que le partenaire lui ne joue pas le jeu dans la mesure où sa contribution ne suit pas celle des communes rurales. Un certain doute subsiste aussi quant aux conditions de création du syndicat. Aurait-il existé sans le projet ?

LE SCENARIO TENDANCIEL

La démographie.

L’accroissement démographique est relativement modéré. L’évolution tendancielle est présentée dans le tableau suivant :

Tableau n°24 : Scénario 1 Evolution de la populations

Indication/ décennie 1994 / 2004 2004 / 2014 2014 / 2024 Taux d'accroissement de la population totale 2% 1,4% 1% Taux d'accroissement urbain 2,7% 2% 2% Taux d'accroissement rural 1,00% 0,70% 0,1% Population totale 153288 176152 194581 Population urbaine 79704 97159 118437 Population rurale 73583 78992 76145 Densités (habitants au Km²) 43,2 49,6 54,8

73 Pour les populations, le Makhzen est capable de tout. Elles se sentent désarmées.

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Taux d'urbanisation 52% 55% 61%

Ce scénario tient compte du fait que la province est facilement accessible et que l’émigration vers d’autres régions du pays est facile. Par ailleurs, le taux d’urbanisation est déjà assez important et va augmenter du fait de l’existence de deux centres urbains et du fait aussi que d’autres centres sont en voie de formation. La population rurale va continuer à croître faiblement entre 2004 et 2014 et commencera à baisser modérément par la suite.

La gouvernance

Les problèmes de gouvernance n’auraient pas la même importance ici du fait de l’absence de culture de cannabis. La décentralisation et la déconcentration qui arriveraient tardivement n’auraient qu’un impact modéré sur l’efficacité de l’action des organismes publiques et des institutions rurales dont les méthodes et les rôles vont être peu touchés.

La lutte contre la corruption fera des progrès mais les effets sur le développement agricole et rural ne se feraient sentir que tardivement. On pourra s’attendre à une meilleure administration et des progrès sensibles seraient obtenus dans le fonctionnement des organismes publics.

Les populations seront plus exigeantes de leur administration à laquelle elles commenceraient à demander des comptes. On tiendra plus compte des populations dans la conception et la mise en oeuvre des actions de développement.

La société civile

Ici comme ailleurs, la société civile va prendre une place grandissante dans les affaires publiques et dans les activités de développement rural. Les ONG interviendront parallèlement aux organismes publics dans les diverses activités liées à la lutte contre la pauvreté. Elles auraient aussi un rôle important dans la protection de l’environnement et constitueraient dans ce domaine des groupes de pression relativement efficaces pour la protection de la cédraie.

Participation des populations

La participation des populations progressera mais de façon modeste comme c’est le cas actuellement dans les projets de développement et grâce aux ONG. Des tentatives, plus symboliques que réelles, seront entreprises par les organismes publics dans le sens de la participation des populations mais cette participation restera limitée et son efficacité sur le développement rural et la protection de l’environnement ne sera pas très significative.

D’une certaine manière, la participation des populations restera limitée à quelques activités de développement rural. Les populations ne se sentiraient pas encore suffisamment concernées par le souci de protection de l’environnement.

La DPA et le SPEF

L’efficacité de ces deux administrations en matière de développement rural va certainement s’améliorer. Cependant, en l’absence de réformes de structures, leur action restera limitée. Ils disposeront d’un personnel encore mieux formé et expérimenté mais dont l’initiative sera limitée par un cadre administratif trop rigide. La DPA et le SPEF risquent d’évoluer à un rythme plus le lent que la société rurale ou la société civile.

Ici, comme à Chefchaouen, les organismes publics recevraient de moins en moins de ressources financières provenant du budget de l’Etat ou de l’extérieur, ces ressources iraient plus vers les ONG. Comparé à la situation actuelle, le rôle des organismes publics dans le développement rural risque de baisser.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 70

Processus de légitimation

S’il n’y a pas de problème de délimitation des forêts domaniales, la légitimité de la domanialité des forêts reste à faire. On suppose ici que cette légitimation restera pendante, ce qui veut dire que les populations, si elles se soumettent peu ou prou à la législation, elles ne sont toujours pas convaincues de sa justesse et de ce fait, elles continueraient à transgresser une réglementation qu’elles ont tendance à considérer comme injuste.

La légitimation du développement durable exige un processus et une action de longue durée. La mise en oeuvre du développement durable de manière participative devrait s’inscrire dans le sillage d’un processus de légitimation sans lequel les activités de développement durables risqueraient de ne pas être viables et durables.

Les parcours collectifs

L’évolution de la gestion des parcours collectifs revêt ici une importance particulière. Comment risquent d’évoluer ces parcours et les structures chargées de les gérer ?

Si, en matière de gestion des parcours collectifs on évalue les progrès accomplis depuis l’indépendance par exemple, l’évolution future risque d’être bien sombre. Les parcours collectifs apparaissent un peu « perdus » entre les collectivités (les fractions), la province, la DPA et le SPEF. La persistance de cette situation risque d’entraîner un affaiblissement encore plus grand des capacités des fractions à gérer les parcours. La province, la DPA ou le SPEF n’auraient pas plus de possibilité si bien que progressivement s’installe une situation où les divers acteurs se sentiraient de plus impuissants, livrant les parcours à une certaine anarchie qui ne serait tempérée que le partage actuel des parcours entre les fractions. On pourrait même imaginer une évolution où les droits de fractions seraient battus en brèche, ce qui risquerait d’entraîner des désordres et de graves conflits.

Une évolution, moins probable hélas, est celle où le système d’élevage évolue vers une sorte d’intensification où les prélèvements sur les parcours collectifs et forestiers iraient en diminuant progressivement, réduisant ainsi l’importance du contrôle des parcours. L’éventualité la plus probable dans le cas de l’intensification du système d’élevage pratiqué par les usagers c’est que la place laissée par le bétail des usager actuels soit prise par un autre bétail venant de régions moins favorisées, ce qui compliquerait encore plus la situation.

Les ressources financières

La province continuera de bénéficier de ressources financières dans des conditions comparables à celles actuellement pratiquées. Comme cela a été signalé plus haut, une partie non négligeable de ces ressources iraient au financement des activités menées par les ONG.

Conséquences du scénario

Si ce scénario advenait, on peut s’attendre à ce que les forêts et les parcours vont continuer à se dégrader. Il est probable que l’on assistera à une dégradation plus intense et plus rapide des parcours. Les principaux problèmes qui se posent actuellement risquent de ne pas être résolus et surtout de devenir plus complexes. Comme la cédraie et le parc d’Ifrane représentent des enjeux nationaux et internationaux, des efforts seront maintenus pour assurer leur sauvegarde. En revanche, les autres espèces notamment celles utilisée pour le bois de feu ou intensément pâturées vont continuer à se dégrader.

Même si la participation des populations va augmenter, il est fort probable qu’elle restera marginale et que les populations ne vont pas s’impliquer dans les actions d’aménagement et de gestion des forêts et des parcours dont la conception et la mise en oeuvre continuera à relever de l’administration.

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LE SCENARIO VOLONTARISTE

Il s’agit d’un scénario où la solution des problèmes est envisagée sur une période de 20 ans en tenant compte de ce qui a été envisagé dans le scénario volontariste concernant la mise en oeuvre du PFN.

Démographie

Dans ce scénario on supposera une stabilisation de la population rurale qui commencera à se réduire à partir de 2014 comme illustré dans le tableau suivant

Tableau n°25 : Ifrane Scénario 2 : Evolution de la population.

Indication/ décennie 1994 / 2004 2004 / 2014 2014 / 2024 Taux d'accroissement de la population totale 2% 1,0% 0,7% Taux d'accroissement urbain 2,7% 2,5% 2,0% Taux d'accroissement rural 1,00% -0,70% -1,3% Population totale 153288 169325 181558 Population urbaine 79704 102028 124372 Population rurale 73583 67297 57186 Densités (habitants au Km²) 43,2 47,7 51,1 Taux d'urbanisation 52% 60% 69%

Le taux d’accroissement de la population totale sera inférieur à 1% à partir de 2014. Ce taux serait dû à un faible taux d’accroissement naturel (progrès de la contraception mais surtout recul de l’âge de mariage74) mais aussi à l’émigration hors de la province. L’accroissement de la population urbaine ira surtout aux chefs lieu de communes rurales en pleine croissance actuellement. On supposera que ces centres verront se développer des activités tertiaires liées au développement de l’agriculture et de l’élevage et au tourisme. En tout cas, ces nouveaux centres seront suffisamment attractifs pour attirer et garder quelques années un grand nombre de ruraux.

On supposera aussi qu’à partir de 2014, les niveaux d’instruction et de formation des populations notamment des hommes auront notablement progressé. Le taux d’analphabétisme des hommes sera très faible même si celui des femmes continuera encore à être élevé.

La gouvernance

C’est en matière de gouvernance que les progrès seront les plus manifestes. Comme pour le scénario 3 de Chefchaouen, la décentralisation et la déconcentration seraient mises en oeuvre rapidement et seraient opérationnelles à partir de 2010. Les organismes publics locaux (DPA, SPEF...) disposeront d’une autonomie financière, leurs ressources étant décidées et contrôlées par les par les organismes régionaux et provinciaux.

La province sera dotée de plans de développement locaux à moyen et à long terme conçus et mis en oeuvre par les organismes des collectivités locales intervenant à divers niveaux (municipal/communal, provincial et régional). La participation des organismes locaux (communes rurales, ONG, Syndicats...) à la définition des orientations et au contrôle de la gestion des ressources naturelle sera effective et inscrite dans la loi. Elle fonctionnera selon un schéma de bas en haut. Les intérêts supérieurs de l’Etat seront sauvegardés à travers un système de contrats programmes, de grilles d’allocation des ressources et d’incitations diverses.

74 D’près la direction des Statistiques (Haut commissariat au Plan), en 2000, l’âge de mariage pour les hommes était de 32,2 ans dans les zones urbaines et de 28,5 dans les zones rurales celui des femmes respectivement de 28,5 et 25,7.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 72

Comme le prévoit le PFN, les administrations forestières centrales et régionales verront leur rôle se transformer en matière de définition des orientations de développement, et surtout de gestion des espaces forestiers et pastoraux, gestion qui de plus en plus devrait relever des structures locales. L’administration centrale aura un rôle d’observation de l’application de la législation.

La lutte contre la corruption sera menée de façon énergique au niveau national et régional. Comme indiqué pour Chefchaouen, cette lutte sera renforcée et relayée par une responsabilisation plus importante du personnel et des administrés.

Participation des populations

On se reportera à ce qui a été dit plus haut dans le scénario 3 pour Chefchaouen. Pour Ifrane une adaptation particulière de l’approche participative sera indispensable pour mieux intégrer la structure des fractions (voir plus loin les parcours collectifs.) On peut difficilement imaginer une structure participative des populations qui ne tienne pas compte des formes traditionnelles de participation que sont les jmaa de douar et de fraction. Tout cela ne va pas sans un remodelage profond de la législation sur les terres collectives et sur la législation forestière concernant les parcours. Peut-être aussi devra-t-on envisager des modalités légales d’application locale de la législation nationale.

La gestion des espaces forestiers et pastoraux reviendra progressivement aux organismes locaux, les structures nationales et régionales (le rôle de l’administration centrale sera réduit au profit des DREF dont les responsabilités seront accrues.) auront principalement une mission de supervision. Leur rôle sera avant tout d’observer l’application de la législation et des orientations de développement par les divers organismes impliqués aux divers niveaux.

La DPA et le SPEF

On peut envisager, au niveau de la province une structure unique de développement agricole et rural. L’excès actuel de sectorialisation, la multiplicité des organismes publics, cédera place à des structures plus souples où le personnel sera facilement utilisé selon ses compétences et non selon son affectation ou sa position hiérarchique.

Les rapports de ces organismes avec les populations seraient transformés. Les populations auraient la possibilité d’être mieux informées et mieux associées aux orientations et à leur mise en œuvre. Elles auraient aussi un certain droit de regard sur l’organisation et le fonctionnement des organismes publics.

Processus de légitimation

Une stratégie de légitimation de la domanialité des forêts, de leur gestion par l’Etat et du développement durable sera engagée et mise en oeuvre au cours de la prochaine décennie. Axé sur diverses actions : information, activité de développement, ouverture, attitude du personnel etc. ce processus devra s’adresser aux populations et à aux diverse organismes et structures de la société civile et aux élèves des établissements scolaires du primaire et du secondaire avec pour objectif de rendre légitime aux yeux de la majorités des citoyens les orientations du développement durable et leurs conséquences en matière de gestion des ressources. L’objectif final est de créer de nouvelles normes et valeurs, de nouvelles attitudes plus respectueuses de l’environnement.

Les ressources financières

En matière d’allocation des ressources financières, de nouvelles normes seront édictées qui tiennent compte de l’importance des ressources et du rôle des actions de développement durable à entreprendre. L’engagement de l’Etat et des organismes d’assistance extérieure se ferait sur une longue durée avec des étapes intermédiaires quinquennales par exemple clairement définies (voir plus haut, gouvernance.)

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 73

L’intervention par des projets comme actuellement serait remplacée par une planification à long terme et un financement basé non plus sur des budgets annuels mais des programmes pluriannuels de 3 ans par exemple.

Les parcours collectifs

Comme indiqué dans le scénario 1, les terres collectives sont menacées. Elles risquent d’être mélkisées de manière sauvage avec pour conséquence la transformation de l’usage pastoral et surtout la quasi impossibilité de l’intervention pour un aménagement rationnel.

Il est évident que la situation actuelle est ambiguë avec des responsabilités imprécises et diffuses, peu favorables à l’application de la législation sur les parcours. Elle n’est plus adaptée75. Elle est à la fois hybride et archaïque. Elle ne saurait durer qu’aux dépens de la conservation des ressources pastorales. Et si elle dure, l’ensemble du système pastoral du Moyen Atlas risque d’être compromis. Le problème est de savoir lequel des deux principaux ministères responsables va prendre l’initiative de la transformation d’une telle situation.

Une transformation de la législation est urgente mais peut-être qu’un compromis pour l’action pourrait être trouvé au niveau de la province d’Ifrane. Le projet Ifrane prendrait l’initiative d’une action qui redonnerait toute leur vitalité à l’action des fractions pour la gestion et le contrôle des parcours collectifs. A travers un programme d’animation judicieusement conçu, les fractions seront incitées à désigner selon de nouvelles modalités leur naibs. Ceux-ci en consultation avec les usagers seraient assistés pour régler les divers problèmes qui restent pendants. Un organisme fédérateur au niveau de la province sera créé et fonctionnera comme un organisme d’orientation et de recours en cas de conflit. L’action du projet sera axée sur la responsabilisation effective des fractions. Pour cela le projet doit concevoir et mettre en oeuvre une politique d’organisation et de structuration des fractions en vue de la gestion participative des parcours collectifs et forestiers. Ceci devra faire aussi l’objet d’un accord avec le ministère de l’Intérieur.

Cette opération de remise en selle des fractions en vue de la maîtrise de la gestion des parcours collectifs sera poursuivie par une politique d’autonomisation de ces organismes ainsi que de la modernisation de leur fonctionnement y compris par l’intermédiaire d’une nouvelle législation sur les collectifs et les jmaas. La tutelle directe de l’Etat cédera la place à une politique contractuelle axée sur des contrats programme de développement et de gestion des collectifs et des parcours forestiers. Cela suppose une modernisation et démocratisation du fonctionnement interne des assemblées de fractions lesquelles pourraient se transformer en structures modernes de développement dont les compétences pourraient s’étendre à l’ensemble des activités économiques des collectivistes et en particulier l’élevage.

Une autre possibilité serait de supprimer la référence aux fractions, aux jmaa et aux naîbs, de créer dans chaque collectivité une société de développement dont les parts seraient détenues par les collectivistes. La détention et la dévolution des droits seraient réglementées par la loi. Cette éventualité paraît plus difficile à envisager dans l’immédiat mais serait plus à l’ordre du jour après la modernisation des jmaa et de leur fonctionnement.

Conséquences de ce scénario

La principale conséquence qui peut être attendue de ce scénario serait de rendre crédible le développement durable dans la province d’Ifrane. Non seulement au sein de l’Administration des Eaux et Forêts les techniciens et les cadres auront l’impression de faire face aux problèmes, d’avoir trouvé la voie de les résoudre mais cela va aussi influer sur les partenaires dont l’engagement pour le développement durable serait conforté.

Dans un premier temps on verrait les structures de mise en oeuvre du développement durable mises en place réalisant des actions symboliques démontrant la volonté de l’administration d’associer les populations à la conception et à la mise en oeuvre du développement rural. Dans un deuxième temps les 75 La loi sur les terres collectives date de 1919 ; Elle a été modifiée en 1963, cela fait 40 ans.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 74

structures mises en place seraient mises à l’épreuve dans des actions grandeur nature. Enfin vers l’an 2012, commencera une aire de gestion durable des espaces forestiers et pastoraux en concertation avec l’ensemble des partenaires.

Du point de vue de la protection de la végétation naturelle, les effets positifs de la nouvelle approche ne pourraient se manifester que tardivement mais on peut cependant espérer inverser la tendance actuelle de dégradation à partir de 2020. Concernant les forêts des progrès substantiels auraient été faits en matière de bois de feu. La substitution et l’économie pourraient notablement réduire de moitié sinon plus les prélèvements à l’horizon 2014. Par la suite les prélèvements seraient fonction des capacités de production et la province pourrait même être exportatrice de charbon de bois. Les « industries » citadines utilisant le bois de feu (hammam et boulangeries) auraient été reconverties au gaz ou fuel avant 2010.

La gestion pastorale, participative et durable, des forêts prendra plus de temps. Dans un premier temps, les usagers seront amenés à supprimer progressivement l’ébranchage ou à le faire sous certaines conditions. La phase suivante verra une organisation des parcours et des périodes de mise en défens choisies en fonction des exigences de régénération de chacune des diverses espèces d’arbres. Par la suite, on organisera les rotations pastorales de manière à constituer des réserves pastorales en cas de sécheresse et satisfaire les besoins locaux de complémentarité avec les parcours collectifs. Dans une dernière phase, le parcours sera organisé en fonction de l’état de végétation forestière. Dans tous les cas, les forêts continueront à être pâturées.

La gestion pastorale durable des parcours collectifs sera encor plus lente dans ses effets du fait que l’on part d’une situation encore plus difficile. Pour parvenir à une gestion satisfaisante des parcours collectifs, il serait illusoire de penser qu’on doit agir seulement sur la charge pastorale. La transformation du système actuel vers un système plus intensif moins dépendant de la végétation naturelle on devra agir sur la qualification des pasteurs. Ceux-ci ont une connaissance pratique du bétail et des parcours, connaissance qu’il faudrait enrichir, adapter, orienter. Il serait plus facile d’organiser les pasteurs en groupes d’intérêt, syndicat etc. que les agriculteurs. C’est l’organisation et la structuration des fractions qui risque de prendre du temps.

On peut s’attendre à un début d’organisation des parcours avec respect des mises en repos, organisation des complémentarités avec les parcours forestiers et les terres agricoles à l’horizon 2015. Cette organisation ne pourrait avoir des effets sur les parcours que vers 2020 ou 2025. A cette date la part de la végétation naturelle dans l’élevage aura régressé au profit de fourrages cultivés ou achetés par les pasteurs.

Dans ce scénario, en 2025 la situation serait maîtrisée. Les divers acteurs auront adopté et mis en pratique les orientations de développement durable dont la légitimité apparaîtra comme allant de soi.

ANALYSE ET CONCLUSION

Les initiatives de progrès

Le syndicat intercommunal

Dans le projet Ifrane en plus de ce qui a été cité pour le projet Chefchaouen, approche participative, de l’ouverture sur la société civile il faut citer ici la création d’un syndicat de communes rurales et surtout la collaboration entre le projet ce syndicat.

En effet la création du syndicat et l’association de celui-ci aux activités du projet constituent un progrès certain. Grâce au syndicat et à son association au projet la contribution légale des communes rurales au financement des activités forestières est mieux organisée et plus efficace. On peut facilement imaginer les progrès qui seraient accomplis si une telle initiative est généralisée, si on peut avoir une fédération de syndicats de communes rurales au niveau des régions et au niveau du pays.

L’aménagement concerté et intégré des parcours forestiers et collectifs

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 75

L’idée d’un aménagement concerté et intégré et ne serait-ce qu’au niveau des études constitue du point de vue conceptuel une initiative positive. Même si la mise en oeuvre peut apparaître difficile l’exercice en lui-même devrait riche et fructueux. On peut en effet s’attendre à ce qu’un tel travail puisse révéler des synergies entre parcours collectifs et forestiers propres à rendre encore plus attractive cette action notamment si les pasteurs y sont associés de façon effective.

Les possibilités de progrès

La province d’Ifrane dispose d’un potentiel considérable. Les ressources naturelles, terres, eau végétation sont abondantes. Les densités de population de même que les taux de croissance sont modérés. De ce point de vue, la province n’a que des atouts. Les dérapages et les errements qui pourraient entacher le développement rural ne pourraient provenir que d’une mauvaise conception, d’une gestion défectueuse, en fait que d’aspects humains et institutionnels normalement maîtrisables. De fait, si la situation actuelle de développement apparaît peu satisfaisante, ce ne pourrait être imputé qu’à des aspects de gestion, d’organisation, à la conjugaison de divers facteurs humains sur lesquels il est possible d’avoir prise. On peut espérer que désormais ces problèmes vont bénéficier de l’attention qu’ils méritent car beaucoup de progrès en matière de développement durable en dépendent.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Les deux projets étudiés peuvent être considérés parmi les plus novateurs en cours d’exécution en matière de développement forestier et certainement aussi en matière de développement rural. Ils portent sur deux provinces aux situations très contrastées. Les deux projets peuvent être considérés comme représentatifs des avancées en matière de développement rural et forestier dans le pays. Ils constituent en tout cas une rupture avec les projets classiques. De ce fait, ils sont significatifs des évolutions récentes et sont, théoriquement, porteurs de progrès futurs. Ils sont significatifs aussi de l’important effort consenti par l’Administration des Eaux et Forêts dans la mesure où, entre autres, ces deux projets absorbent une proportion élevée des ressources financières dont elle dispose.

LES INITIATIVES DE PROGRES

De la conception et de la mise en oeuvre des deux projets on peur retenir des initiatives de progrès qui méritent beaucoup d’attention.

??Il faut signaler, en premier lieu, l’adoption et la mise en oeuvre de l’approche participative. Même si ailleurs l’approche participative ne constitue plus à proprement parler une innovation, son adoption et sa mise en oeuvre dans le contexte national et sectoriel peut être retenue à juste titre comme une initiative de progrès.

??En deuxième lieu, et sans que ce soit fort éloigné de l’approche participative, la mise en oeuvre de la délimitation participative des forêts domaniales constitue aussi une initiative porteuse.

??L’ouverture sur la société civile, la coopération avec les ONG et ce qui est de façon générale classé sous le terme de partenariat constituent aussi des directions de progrès prometteuses.

??La création d’un syndicat intercommunal qui mobilise les contributions des diverses communes rurales au d’une province pour le développement forestier peut être aussi retenue comme une initiative de progrès intéressante et prometteuse.

??L’aménagement intégré et concerté avec les populations des parcours forestiers et collectifs constitue aussi une très bonne initiative.

Il faut signaler enfin que l’existence du PFN peut être considéré en soi comme une initiative de progrès. C’est en effet un outil indispensable d’orientation pour le développement durable. C’est une référence qui permet d’avoir des normes, de mesurer les écarts par rapport à des objectifs à des situations de référence. C’est un instrument de développement qui un grand potentiel de mobilisation pour l’action.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 76

RECOMMANDATIONS

Ces deux projets étudiés montrent l’important souci de l’Administration des Eaux et Forêts d’agir dans le sens de l’utilisation des espaces forestiers pour le développement rural. Ils montrent aussi la distance qu’il peut y avoir en l’intention et la réalité. L’intérêt de ces deux projets est aussi de montrer le potentiel d’action en matière de développement forestier au profit du développement rural et de manière générale, le développement durable. Un constat s’impose : la mise en oeuvre de ce potentiel est fortement contrariée par des aspects non pas techniques ou financiers mais institutionnels et culturels.

C’est sur l’urgence des transformations institutionnelles qu’il faut insister. Le projet de développement forestier intégré en préparation avec la Banque Mondiale, insiste à juste titre sur ces transformations. L’un des objectifs de ce projet est de renforcer les capacités institutionnelles en particulier en matière de communication, approche participative, changement légal et institutionnel. Il prévoit la réalisation de 3 études principales : réorganisation du secteur forestier, rénovation de la législation forestière (notamment en rapport avec les usagers) et identification d’alternative de financement du secteur forestier.76 . Il est essentiel de mettre à l’ordre du jour les changements indispensables en matière institutionnelle et d’organisation de l’Administration des Eaux et Forêts.

Ces deux projets peuvent-ils être représentatifs de la situation du pays. Cela risque de ne pas être le cas. D’une part ces deux provinces, malgré leur importance forestière bénéficient de ressources financières de loin supérieures à leur poids dans l’ensemble e d’autres part, pour améliorer la « représentativité » il aurait fallu choisir une autre province dans le haut Atlas ou le Sousse (arganeraie par exemple.) La province constitue-t-elle la bonne unité pour un tel exercice et pour une réflexion plus approfondie sur le développement durable et le développement local ? Le niveau province est certainement à l’heure actuelle, le niveau intermédiaire le plus opérationnel. Cependant la réflexion devrait aussi ultérieurement tenir compte du niveau supérieur (la région) et surtout des multiples niveaux inférieurs (communes rurales, fraction douars.) En matière de niveaux d’intervention pour la conception et la mise en oeuvre du développement durable il faudrait reprendre les propositions du PFN (spécialisation, groupes de projets etc.)

Peut-on imaginer le développement durable s’installer tout seul dans la province d’Ifrane ou celle de Chefchaouen ? Certainement pas. Les transformations indispensables ne peuvent être impulsées que de l’extérieur et dans les conditions actuelles, seulement à partir de l’administration centrale des forêts ou d’un niveau supérieur. L’Administration des Eaux et Forêts qui comprendra la nécessité et l’utilité d’intervenir ne pourra le faire que dans le cadre d’une politique nationale qui impliquera la mise en oeuvre du PFN au niveau central et régional. On ne peut envisager des transformations au niveau régional sans des transformations au niveau central. D’une certaine manière le développement durable dépend d’abord des transformations au niveau central.

Les scénarios tendanciels qui supposent en gros que les tendances actuelles sont vont continuer sans changement d’orientation ou de politique aboutissent tous à des situations où l’Etat risque de perdre la maîtrise du développement et de la gestion des espaces forestiers et pastoraux. Ceci est particulièrement vrai pour la province de Chefchaouen. Les autres scénarios montrent que l’espoir de parvenir à une situation maîtrisable dépend avant tout d’une action volontaire de changement et de changement au niveau institutionnel. Dans ce domaine l’initiative doit revenir aux responsables forestiers au plus haut niveau.

Jusqu’à présent les anticipations ont avant tout porté sur l’état des ressources dans 10, 20 ou 30 ans. Dans ce domaine, les acquis sont substantiels. Il faut cependant insister ici sur le fait que ces anticipations « techniques » restent insuffisantes pour rendre compte de la complexité des situations surtout dans les pays du sud de la méditerranée où la connaissance aussi bien des ressources naturelles que des structures sociales sont insuffisantes. Dans la formulation des projets, analyses de prospective, les aspects institutionnels devraient jouir d’une plus grande attention.

76 World Bank: integrated forestry development project. December 2002.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 77

Les formes actuelles d’assistance extérieure pour développement et plus particulièrement pour le développement agricole et rural ont montré leurs limites. Dans bien des cas, nous l’avons vu, les procédures de gestion des partenaires extérieurs viennent s’ajouter à celles déjà lourdes de l’administration locale. Une plus grande souplesse s’avère nécessaire. On peut aussi envisager des programmes pour remplacer les projets et formes de gestion financières avec un contrôle a posteriori. De même que l’on devrait renouveler les formes de l’assistance technique extérieure qui peut encore rendre services pourvu qu’elle soit utilisée de façon pertinente.

Le développement durable est une idée neuve. C’est un concept qui, pour peu qu’il soit convenablement expliqué, peut être partagé avec le plus grand nombre. Une action d’information et de communication est urgente et indispensable. C’est un préalable. Le plus important et peut-être aussi le plus difficile c’est sa mise en pratique, la transformation du concept en pratiques. Ces pratiques restent à inventer, à imaginer. Une partie importante de ce travail d’invention, d’imagination reviendra aux populations concernées. Il faudra donc parvenir à créer les conditions qui vont permettre de susciter cet apport et de l’intégrer à l’action. /

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 78

Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification Plan Bleu

MAROC. Forêts Méditerranéennes et Développement Durable. Etude de cas

FORETS ET DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LES PROVINCES DE CHEFCHAOUEN ET D’IFRANE

ANNEXE 1 : TERMES DE REFERENCE

Contexte GENERAL DES ETUDES :

Les deux études de cas à entreprendre font partie d’une série d’études de cas qui seront menées dans certains pays méditerranéens (Maroc, France, Portugal, Italie, Turquie et Liban) au titre du projet « Forêts méditerranéennes et développement durable » mis en œuvre par le Plan Bleu, dans le cadre de son accord avec la FAO pour la relance des activités du comité des questions forestières méditerranéennes SILVA MEDITERRANEA.

Les études de cas, représentatives de différents contextes et problématiques courants en Méditerranée, porteront sur des démarches « pionnières » orientées vers la mise en œuvre de bonnes pratiques en matière d’occupation et d’utilisation des espaces boisés. Elles analyseront le jeu des multiples acteurs publics et privés, et le rôle du secteur forestier pour assurer le bon fonctionnement et la durabilité du système écologico-socio-économique étudié.

En s’appuyant sur une série d’indicateurs disponibles, ces études devront évaluer localement l’impact et l’efficacité des mesures adoptées par les autorités publiques en charge du secteur forestier, notamment celles relevant de la mise en œuvre des Programmes Forestiers Nationaux.

Les études de cas présenteront les résultats d’entretiens et de réunions avec les acteurs locaux, pour dégager leur vision présente et future de l’espace concerné par les actions de développement de chacun des projets retenus comme cas pour l’étude. Le travail du consultant devra aussi préciser les effets des actions de développement sur les divers acteurs et partenaires.

La méthodologie suivie est celle de l’approche systémique et prospective développée par le Plan Bleu : systémique, car elle est basée sur une analyse des interactions entre les facteurs naturels et humains (économiques, sociologiques, culturels, institutionnels, etc.) ; prospective, car elle propose des scénarios??? sur la base d’une analyse des stratégies et attitudes des principaux acteurs concernés,.

??? Par exemple, dans le cas des territoires ruraux méditerranéens : - un scénario tendanciel dans lequel le territoire est partagé en deux parties : une zone est intensivement utilisée (cultures et vergers irrigués, élevage semi-intensif,...), et l'autre est progressivement abandonnée (forêts, espaces boisés et pâturages de moins en moins exploités par manque de revenus) ; - un scénario noir dans lequel l'affaiblissement démographique et économique mène vers un abandon progressif d'une grande partie du territoire, avec des problèmes comme le développement des feux de forêts ; - un scénario rose dans lequel un développement économique durable et équilibré mène à une utilisation multiple des ressources naturelles, en provenance notamment des espaces forestiers (bois, produits non ligneux, écotourisme, etc.).

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 79

Une méthodologie commune a été proposée pour faciliter la comparaison entre les études de cas entreprises dans les différents pays, et en tirer des conclusions générales. Les études de cas seront menées selon le schéma suivant :

A) documentation sur le territoire étudié ;

B) identification des problématiques ;

C) diagnostic du territoire établi par catégorie d’acteurs, évolutions prévues et attentes exprimées par chaque catégorie (à travers des entretiens individuels) ;

D) identification des principaux enjeux résultant du diagnostic ;

E) scénarios de développement durable, discussion sur les opportunités, les menaces et les priorités d'action (sur la base de nouveaux entretiens) ;

F) rapport final.

2 OBJECTIFS DES ETUDES DE CAS :

Les objectifs principaux des études de cas sont les suivants :

?? Analyser, sur le terrain, les impacts des politiques de gestion des espaces boisés et des interventions du secteur forestier sur les conditions socio-économiques des populations et ou communautés rurales et le développement de leur territoire ;

?? Identifier les opportunités offertes par les espaces boisés, leurs ressources et leur mise en valeur sous diverses formes, mais aussi les obstacles à lever pour améliorer le développement socio-économique et le rendre durable ;

?? Faire des recommandations sur les contributions du secteur forestier à la réalisation d’un scénario de développement intégré et durable du territoire analysé.

3 PRESTATIONS DEMANDEES / CONTENU DU RAPPORT

En étroite collaboration avec les responsables concernés au Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification au Maroc, le consultant réalisera deux études de cas : Projet de développement des zones forestières et périforestières de la province Chefchaouen et Projet d’aménagement et de protection des massifs forestiers de la province d’Ifrane.

Pour chaque étude de cas, le consultant réalisera les étapes suivantes :

Etape A - Contexte de l’étude, description du territoire et pré-identification des problématiques :

?? Brève description de l'environnement physique : superficie, géographie, population, végétation, milieu humain, etc. ;

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 80

?? Contexte institutionnel : législation, institutions et organismes gouvernementaux et non gouvernementaux impliqués ;

?? Description du système local de gestion et d’administration des espaces naturels et boisés.

Etapes B et C – Le diagnostic et les problématiques vus par les acteurs :

?? Méthodologie utilisée (revue documentaire, statistiques officielles, enquêtes de terrain et entretiens) ;

?? Données : Noms des villages et des endroits visités, et références des personnes et/ou groupes interrogés ;

?? Enquêtes de terrain : conduire des entretiens individuels ou collectifs avec les acteurs concernés et des réunions consacrés à l’écoute des divers acteurs. A ce stade, l'étude doit identifier, derrière les avis exprimés par les acteurs au cours des entretiens et des réunions, quelles sont leurs attitudes, leurs visions des problèmes, leurs attentes, leurs craintes, leurs buts, leurs stratégies pour atteindre leurs buts, et leurs relations de conflit ou de coopération.

La liste des personnes à contacter sera arrêtée par les responsables du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification, à partir d’une proposition du consultant.

Les annexes du rapport remis par le consultant rendront compte des points de vue, quels qu’ils soient, exprimés lors de ces entretiens.

Etape D - Identification des principaux enjeux ?? Présentation à Rabat des résultats des entretiens aux principaux responsables des deux projets objet de

l’étude, validation du diagnostic ;

?? Réunion de travail à Rabat, avec les responsables du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification et les experts du Plan Bleu, pour préciser les scénarios à construire et les questions à approfondir au cours de l’étape E.

Etape E - Discussions finales

Sur la base de ce qui précède :

?? Construire des scénarios prospectifs de développement; ?? Discuter les facteurs de succès ou d'échec de ces scénarios, particulièrement à travers les

interrogations suivantes :

?? Quels sont les facteurs essentiels qui contribuent au développement de la zone ?

?? Quelles actions, notamment institutionnelles, pourraient aboutir à l’instauration d’un processus vertueux de développement durable ?

?? Comment accroître l’implication des acteurs locaux dans la gestion de l’espace et des ressources naturelles, en vue de soutenir le développement durable du territoire ?

4 CONTACTS AVEC LES RESPONSABLES NATIONAUX

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 81

Le consultant travaillera en étroite collaboration avec les responsables du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification, et en particulier avec le représentant du Maroc auprès du comité de pilotage du projet.

5 RAPPORT DU CONSULTANT :

Le consultant devra :

1. rédiger un projet de rapport contenant les résultats de ses travaux ainsi que ses conclusions et ses recommandations ;

2. soumettre ce projet de rapport aux experts du Plan Bleu et aux responsables du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification ;

3. Fournir un rapport final qui prendra en compte les observations et commentaires recueillis ;

4. adresser au Plan Bleu le rapport final, au plus tard le 31 août 2004.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 82

Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification

Plan Bleu

MAROC. Forêts Méditerranéennes et Développement Durable. Etude de cas

FORETS ET DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LES PROVINCES DE CHEFCHAOUEN ET D’IFRANE

ANNEXE 2 : FICHES D’ENTRETIENS

On trouvera ci-après Les fiches qui ont servi de support aux entretiens individuels ou aux réunions avec les populations. Rappelons cependant que ces entretiens réunions ne pouvaient en aucune manière avoir un caractère systématique. Avec les techniciens et responsables il s’agissait la plupart du temps d’entretiens semi-structurés qui examinaient successivement certains thèmes mais qui tournaient aussi autour des thèmes et questions soulevées par les interlocuteurs. Les réunions avec les populations comme on le verra dans les fiches partaient avant tout des préoccupations de celles-ci pour revenir aux thèmes de l’étude chaque fois que l’opportunité se présente.

FICHES D’ENTRETIENS RESPONSABLES ET TECHNICIENS :

L’entretien débute pour une présentation des thèmes de l’étude et l’objectif attendu de l’entretien. Il s’agissait avant tout de connaître l’expérience de l’interlocuteur, sa connaissance de la région et des thèmes de l’entretien. La présentation des thèmes de l’étude portait avant tout sur le changement, la comparaison de deux situations séparées par une certaine durée.

SEQUENCES DES THEMES

En général l’entretien se déroulait en 3 séquences :

??L’appréciation de la situation actuelle ??Les possibilités de changement de la situation actuelle ??L’imagination de la situation dans 10 et 20 ans.

En général une partie importante de l’entretien porte sur les préoccupations présentes. Les conditions, les prémices du changement suscitent rarement de l’intérêt. L’imagination de ce pourrait être la situation dans 10 ans ou 20 ans ne préoccupe pas les interlocuteurs. Ils essayent au contraire de fuir comme si l’émission d’un avis là–dessus les engageait ou les exposait.

LES THEMES

La situation actuelle :

??Dans votre secteur d’activité quelles sont les choses qui marchent bien celles qui affrontent des difficultés,

??Qu’est-ce qui fait que les choses marchent bien ou moins bien ??Où peut-on rechercher les raisons de la situation actuelle du développement dans le

secteur ? chez les populations, dans les ressources naturelles, dans la politique de l’Etat, dans l’organisation de l’administration, dans les ressources financières….

??Comment était la situation dans le secteur à votre arrivée dans votre poste actuel ? Quels changements ont eu lieu depuis ?

??Dans ce secteur d’activité qu’est-ce qui a le plus changé ? ??Quel jugement peut-on porter sur la situation actuelle ?

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 83

Les possibilités de changement

??Dans le secteur quels sont les progrès que l’on peut considérer comme acquis ? ??Qu’est-ce qui a changé le plus vite ? ??Vous proposez l’introduction de telle technique, selon vous cette technique pourrait

être adoptée dans combien d’années ? ??Si on l’administration ne fait rien, si le gouvernement ne fait rien comment le

secteur évoluerait-il ? ??Es-il possible que les choses puissent changer plus vite qu’avant ? ??Que faudrait-il faire que les changements désirés soient obtenus plus rapidement ? ??Quelles sont les tendances « naturelles » du changement ? ??Est-il possible d’avoir une influence volontaire sur l’évolution des choses ?

La situation dans 10 ans, dans 20 ans

??Dans 10 ans 20 ans, l’évolution du secteur sera-t-elle positive, négative, neutre ? ??Quels sont les changements prévisibles ? ??Quelles seront les conséquences de cette évolution sur les ressources naturelles ? ??Comment va évoluer l’attitude des populations rurales ? ?? Qu’est-ce qui va influer sur les pratiques des usagers en matière de ressources

naturelles ??Les problèmes actuels du secteurs seront-ils plus ou moins graves ? ??Quels sont les progrès ou les régression dans le secteur qui ont le plus chances de se

présenter ? ??Comment peut-on imaginer la situation du secteur dans 10 ans dans 20 ans. ??

EXEMPLES D’ENTRETIENS RECONSTITUES.

Exemple 1.

La situation dans le secteur n’est pas très bonne. Les choses ici ne changent pas vite. Tout prend du temps, beaucoup de temps. Des techniques proposées il y a 10 ans ne sont toujours pas adoptées. Les populations ici sont très en retard. Elles sont très traditionalistes. Les techniciens font leur possible, ils n’ont pas toujours les moyens et ne sont pas toujours soutenus par la hiérarchie. Les problèmes ne sont pas seulement techniques. Tout cela nous dépasse.

Pour faire les choses, les moyens humains sont insuffisants les moyens matériels aussi. Telle action pour laquelle il des y a eu plusieurs campagnes d’incitation prendra 10 ans et même plus pour qu’elle soit adoptée par les populations. Nous les techniciens on ne peut pas réfléchir comme cela dans le vide dans 10 ans ou 20 ans. Nous avons des problèmes tellement importants et graves maintenant.

Certes il va y avoir des changements, des progrès. La situation sera peut-être meilleure, peut-être. Nous n’en savons rien et peut-être qu’il vaut mieux ne pas savoir.

Projet Forêts Méditerranéennes et Développement Durable - Etudes de cas Maroc 84

Exemple 2.

La situation des populations dans la région n’est pas bonne. Cette région a été longtemps abandonnée, personne ne s’en occupait. C’est encore le cas aujourd’hui. Il y beaucoup de choses à faire pour les populations rurales qui manquent de tout. L’Etat à lui tout seul ne peut pas faire face. Il faut cependant constater que les choses s’améliorent. On constate une évolution positive. Mais cela prendra du temps de changer les mentalités des hommes. Les femmes changent plus facilement. Elles sont plus rapides à réagir à s’adapter.

Dans l’avenir le rôle de l’administration restera encore très important. Les ONG sont devenues très nombreuses mais elles ont éparpillées. Elles ont seulement de petites actions mais parfois elles sont efficaces. Le rôle des ONG va peut-être devenir plus important mais de là à remplacer ou concurrencer le rôle de l’administration ce n’est pas possible ni souhaitable. Maintenant il faut surtout coordonner avec l’administration.

Comment va évoluer la situation dans l’avenir ? Cela est difficile à savoir. Cela dépend de beaucoup trop de choses et puis c’est maintenant qu’il faut faire quelque chose.

FICHES D’ENTRETIENS POPULATIONS

Avec les populations il y a eu des réunions en groupe avec quelques rares entretiens individuels. Les entretiens ont été axées sur les rapports avec le milieu naturel, avec l’Administration des Eaux et Forêts et sur le changement passé et futur.

SEQUENCES DES THEMES

Les entretiens se sont en général déroulés en 3 séquences :

?? Situation actuelle ??Rapports avec le milieu naturel et l’Administration des Eaux et Forêts ??Evolution future

Les populations se souvent longuement étendues sur la situation actuelle et sur leurs rapports avec le milieu naturel et l’Administration des Eaux et Forêts. Les populations ont souvent été mal à l’aise quand il s’est agi d’aborder la dernière séquence. Cette gêne provenait essentiellement du fait que le thème de l’avenir était posé de façon directe. Il aurait fallu plusieurs séances de discussion pour parvenir à dégager l’attitude des populations qui de plus avait de la difficulté à s’exprimer du fait de la place de la forêt et des ressources naturelles dans la présentation de l’entretien.

LES THEMES

La situation actuelle :

??Quelle est la situation de l’agriculture et de l’élevage ? ??Quelles sont les techniques de productions ?, ??Quelles sont les productions qu marchent bien et celles qui ne marchent pas ? ??Quels sont les problèmes ? les ressources naturelles (la terre, l’eau, la forêt) les

techniques de production, les moyens financiers, l’approvisionnement en intrants, la vulgarisation, la commercialisation…

??Quelles sont les interventions de l’Etat maintenant ??Quelles ont été les aides de l’Etat et dans le passé ? ??Qu’est-ce qui manque le plus chez vous ?

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??Quels bénéfices proviennent des forêts ??Quel est l’état des parcours en forêts et hors forêts ? ??….

Les possibilités de changement

??Quels ont été les changements importants survenus dans les douars au cours des 20 dernières années ?

??Dans la vie des gens qu’est-ce qui a le plus changé ? : l’habillement, l’habitat, la nourriture, les rapports avec l’Etat, l’importance de la radio et télévision

??Quels ont été les changements dans l’agriculture ? : le mécanisation, l’utilisation des engrais, des semences et des pesticides, la commercialisation, les prix, les subventions ?

??Quels changement y-il eu dans l’utilisation des espaces forestiers et pastoraux ? Dans l’agriculture qu

??Comment ces espaces ont-ils évolué : dégradation régénération, réduction, augmentation,

??Y-t-il plus ou moins de bétail maintenant qu’avant ? ??Est-ce que bétail augmente ou diminue dans la région ? ??Quelle sera la tendance à l’avenir. ??D’une manière générale les rapports entre les populations les l’Administration des

Eaux et Forêts se sont améliorés comment ?

La situation dans 10 ans, dans 20 ans

??Pensez vous que les conditions de vies seront meilleures sans 10 ans, dans 20 ans ? ??Vos enfants vivront-ils ici ou iront-il en ville ? ??Chez vous quels ont été les changements les plus importants depuis l’indépendance,

depuis 30 ans depuis 20 ans ? ??Pensez-vous que vos enfants vont travaille les sol de la même manière que vous ? ??Dans votre agriculture, à quels changements peut-on s’attendre dans 10 ans ? ??Forêts et les parcours : comment étaient-ils quels changements va intervenir ? ??Peut-on imaginer comment sera la vie ici dans 10 ans ? ??En pensant à l’évolution qu’il y a eu depuis l’indépendance, essayez d’imaginer

comment les choses vont évoluer dans 10 ans dans 20 ans.

EXEMPLES D’ENTRETIENS RECONSTITUES.

Exemple 1

La situation de l’agriculture et de l’élevage n’est pas bonne. Il y a eu plusieurs années sèches. Les gens sont pauvres n’ont pas de moyens. L’Etat n’aide plus, il n’y a plus de subvention. Dans le village, la population augmente. Beaucoup sont partis. Les jeunes sont au chômage alors qu’ils ont été à l’école. Ils ne donnent pas d’importance à l’agriculture, ils préfèrent d’autres activités qui rapportent de l’argent.

Ce qui a changé. Les gens ont quitté leurs anciennes habitations, ils se sont rapprochés de la route. Maintenant souk où on achète tout maintenant tout. Avant on n’achetait que la viande, les bougies, le pétrole, le savon. Maintenant il faut de l’argent beaucoup d’argent pour vivre parce que tout vient de l’extérieur. Beaucoup de choses ont changé. Avant c’était mieux on avait plus de bétail, en vendant un chevreau on arrivait à régler les affaires. Maintenant il y a moins de bétail et il faut encore plus d’argent pour tout !

Avec l’Administration des Eaux et Forêts, les choses ne se sont pas arrangées. Avant, on avait de l’espace, on pouvait s’étendre avoir de la terre à cultiver en cas de besoin maintenant c’est fini. Il faut

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monter très haut pour défricher un champ. Les forêts étaient aux populations maintenant c’est l’Etat qui les possède. La forêt c’est notre espace, sans elle on étouffe.

L’avenir ? Qui peut savoir ? Ce qui est sûr c’est qu’il y aura des changements. Mais tout cela nous n’y pouvons rien, ce n’est pas entre nos mains.

Exemple 2

Ici nous avons toujours vécu avec le bétail dans les parcours collectifs et dans les forêts. Notre situation ne s’est pas améliorée. Nos parcours ont diminué, les forêts sont plus fermées. Nous nous déplaçons beaucoup moins. Avant on parcourait de grandes distances maintenant on ne peut plus tout est fermé partout. Avant on n’avait pas besoins d’acheter des aliments de bétail maintenant le bétail ne peut plus survivre uniquement avec les parcours et les forêts.

L’Etat a pris les forêts. Les forêts appartiennent aux fractions. Avant on avait plus de droits sur les forêts maintenant nous n’avons plus rien. Il faut cependant reconnaître que nos rapports avec l’Administration des Eaux et Forêts se sont améliorés. Elles pourraient s’améliorer encore plus si on pouvait au moins retrouver certains droits anciens sur les forêts.

Les populations dans ce cas refusent de parler de l’avenir. La gêne est certaine. Pour elles c’est une intrusion dans un domaine qui ne peut pas être le leur. Elles sont captives de la réalité actuelle. L’avenir, ne semble pas les rassurer.