22
Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé sur l’amélioration continue Mathieu Desjardins et Robert Lescarbeau Université de Sherbrooke [email protected] RÉSUMÉ Malgré la morosité qui s’est installée au cours des dernières années dans le milieu de la santé et des services sociaux, il est possible d’intervenir directement auprès des équipes de travail pour améliorer une situation qui, de toute évidence, est perçue comme étant difficile à vivre par l’ensemble des intervenants. La gestion participative peut être utilisée pour faire face à la morosité qui affecte les diverses catégories de personnel et impliquer les cadres intermé- diaires dans le processus de mobilisation des employés affectés par la fusion des établissements. L’article présente une démarche étalée sur deux ans, qui s’est avérée efficace et pertinente pour favoriser la participation des per- sonnels à l’amélioration continue de leur situation, et ce, à partir de priorités d’équipes qui s’insèrent dans une stratégie globale d’un établissement nouvellement fusionné. En décembre 2000, la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux traçait un triste bilan de la santé organisationnelle du réseau québécois. Nous y constations, entre autres, que « la surcharge de travail, l’instabilité des équipes, les pénuries dans certaines catégories de professionnels, notamment chez les infirmières, s’ajoutent aux rigidités de toutes sortes pour entretenir un sentiment général d’insatisfaction, d’épuisement et de morosité qui règne trop souvent dans les établissements. » (p.112). Malheureusement, les constats décrits par la Commission Clair semblent faire l’objet d’un consensus chez la plupart des observateurs. D’un point de vue organisationnel, Lozeau (1996) décrit les centres hospitaliers comme une « organisation comparti- mentée où la vision d’ensemble est peu articulée et même contrecarrée par la pratique de jeux locaux de pouvoir » (p.189). Dans un contexte où la réglementation est aussi lourde et la structure hiérarchique aussi imposante, cet auteur constate qu’il est difficile d’établir une culture de gestion basée sur

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieuhospitalier axé sur l’amélioration continue

Mathieu Desjardins et Robert LescarbeauUniversité de Sherbrooke

[email protected]

RÉSUMÉ

Malgré la morosité qui s’est installée au cours des dernières années dans lemilieu de la santé et des services sociaux, il est possible d’intervenir directementauprès des équipes de travail pour améliorer une situation qui, de toute évidence,est perçue comme étant difficile à vivre par l’ensemble des intervenants. Lagestion participative peut être utilisée pour faire face à la morosité quiaffecte les diverses catégories de personnel et impliquer les cadres intermé-diaires dans le processus de mobilisation des employés affectés par la fusiondes établissements. L’article présente une démarche étalée sur deux ans, quis’est avérée efficace et pertinente pour favoriser la participation des per-sonnels à l’amélioration continue de leur situation, et ce, à partir de prioritésd’équipes qui s’insèrent dans une stratégie globale d’un établissementnouvellement fusionné.

En décembre 2000, la Commission d’étude sur les services de santé et lesservices sociaux traçait un triste bilan de la santé organisationnelle du réseauquébécois. Nous y constations, entre autres, que « la surcharge de travail,l’instabilité des équipes, les pénuries dans certaines catégories de professionnels,notamment chez les infirmières, s’ajoutent aux rigidités de toutes sortes pourentretenir un sentiment général d’insatisfaction, d’épuisement et de morositéqui règne trop souvent dans les établissements. » (p.112). Malheureusement,les constats décrits par la Commission Clair semblent faire l’objet d’un consensuschez la plupart des observateurs. D’un point de vue organisationnel, Lozeau(1996) décrit les centres hospitaliers comme une « organisation comparti-mentée où la vision d’ensemble est peu articulée et même contrecarrée parla pratique de jeux locaux de pouvoir » (p.189). Dans un contexte où laréglementation est aussi lourde et la structure hiérarchique aussi imposante,cet auteur constate qu’il est difficile d’établir une culture de gestion basée sur

Page 2: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

44 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

la décentralisation, la participation et la satisfaction de la clientèle. Koehoorn,Lowe, Rondeau, Schellenberg et Wagar (2002) parlent, quant à eux, d’une« crise des ressources humaines dans le secteur de la santé » ayant une portéemultidimensionnelle; ses impacts se mesurent tant au niveau du climat desrelations de travail qu’au niveau de la qualité des services et de l’état de santédes ressources humaines. Il n’est donc pas étonnant, dans un tel contexte,d’observer, entre 1997 et 2000, une augmentation de 15% du ratio des heuresassumées par l’assurance salaire pour les établissements de santé de la province.Pour la région de l’Estrie, il s’agit d’une augmentation de près de 24% qui estenregistrée. Les invalidités de nature psychologique sont présentement la causenuméro un des congés de maladie dans le secteur de la santé et des servicessociaux  (Desjardins, 2002).

Placé devant tous ces constats, force est de conclure que de nouveaux modesde fonctionnement sont nécessaires pour sortir de ce qui semble être unesituation d’impasse. Selon Koehoorn et ses collaborateurs (2002), le rétablis-sement de la confiance et de l’engagement des employés envers l’employeurpasse par la décision « d’accorder aux travailleurs une plus grande influencesur les décisions [et de favoriser] une plus grande ouverture au chapitre descommunications » (p.22-23). Dans le même ordre d’idée, la Commission Clairpropose, pour « contrer l’état de morosité et de démobilisation du personneldu réseau », que chaque établissement se donne un projet d’organisationassociant cadres, professionnels et autres employés à l’amélioration desservices à la clientèle. Dans un cas comme dans l’autre, l’instauration d’uneculture de gestion, basée sur la confiance et la participation de tous lesacteurs de l’organisation, semble être au cœur des préoccupations de cesobservateurs. Comme l’illustrent Baird et St-Amand (1995a,b), la confiancedans les organisations passe inévitablement par une participation du person-nel aux prises de décision. De plus, les recherches tendent à démontrer quel’implication des employés au processus de décision a pour résultat d’accroî-tre la satisfaction au travail et le climat de travail (Madacumura, 2000). Ilsemble aussi que cette participation améliore la motivation, l’implication autravail et l’identification à l’organisation ; de ce fait, le climat et la qualité dutravail sont meilleurs, la solidarité et l’engagement dans les décisions prisessont accrus, les changements et les innovations se trouvent facilités (Jones etSvejnar, 1985 : voir Huang, 1997). Finalement, la promotion d’un style degestion plus participatif est aussi vue comme un moyen de réduire le stresset la détresse au travail provoqués par l’organisation du travail ou le climatorganisationnel (Cooper, Dewe et O’Driscoll, 2001; Quick, Quick, Nelson etHurell, 1997; Elkin et Rosch, 1990; Pépin et Dionne-Proulx, 1994 : voirDesjardins 2002).

Page 3: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 45

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Si, pour redresser la situation, une plus grande participation de tous les ac-teurs de l’organisation dans les prises de décision semble souhaitable, au moinsd’un point de vue théorique, les tentatives systématiques d’implanter un teltype de gestion dans un établissement de santé ont été relativement peudocumentées. Cet article se veut une contribution pour combler partiellementcette lacune en utilisant une étude de cas relatant une expérience d’implantationd’un mode de gestion participative au sein d’un établissement multivocationeldu réseau. Pour ce faire, les concepts et notions théoriques reliés à la gestionparticipative seront d’abord rappelés; le modèle, le contexte et le déroulement del’intervention seront ensuite exposés; les problématiques soulevées serontprésentées; enfin les conclusions des intervenants viendront compléter cetarticle.

Aspects théoriques de la gestion participative

Il semble que la gestion participative ait fait l’objet d’abondants développe-ments depuis l’apparition de ce concept vers la fin des années 1950(Madacumura, 2000). Si certains gestionnaires, peu convaincus par le man-que de preuves de son efficacité, ont associé ce courant de gestion à un effetde mode passagère, d’autres défendent énergiquement les vertus d’une telleculture de gestion. Afin de bien saisir les implications d’une gestion participative,il importe de cerner la façon dont les ouvrages en management conçoivent laparticipation, la logique qui soutient l’implantation de ce mode de gestion etquelques conditions qui, selon différentes études, doivent être mises en placeafin de favoriser sa réussite.

Conception de la participation

Selon Madacumura (2000), la gestion participative englobe l’ensemble destechniques et conduites qui augmentent l’implication des employés et leurcontribution à l’amélioration des pratiques de travail, de la qualité desdécisions prises dans le milieu et de la performance de l’organisation. Pourobtenir ces résultats, les employés devront minimalement être associés auxdiscussions de problèmes spécifiques relativement au travail ou au milieu detravail (Jaegar et Pekruhl, 1998).

Harris et Purdy (1998) identifient cinq composantes d’une gestion participative :le degré de participation, la forme de participation, le contenu de la participation,la composition du groupe impliqué et les étapes où la participation esteffective.

Page 4: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

46 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Le degré de participation réfère au niveau d’implication des employés dansle processus de prise de décision. Cette implication va de la simple consulta-tion à un réel partage du pouvoir. La forme de participation, quant à elle,est directe, lorsque tous les employés affectés prennent part à la prise dedécision; elle est indirecte, lorsqu’ils sont représentés par une ou plusieurspersonnes. Le contenu de la participation a, pour sa part, une visée stratégique,comme c’est le cas lors de l’adoption d’une politique organisationnelle, unevisée tactique, lors des décisions concernant les budgets ou les besoins enpersonnel ou, enfin, une visée opérationnelle, lors de décisions affectantdirectement l’exécution des tâches.

La quatrième modalité, la composition du groupe impliqué, réfère au choixdes équipes qui seront directement engagées dans la prise de décision. Ceséquipes seront les destinataires mêmes du changement, c’est-à-dire lespersonnes qui seront directement affectées par la décision à prendre ou leprojet à développer. Dans d’autres cas, ce seront les destinataires de deuxièmeniveau qui seront impliqués. On désigne ainsi des personnes qui ne peuventmodifier directement le fonctionnement du groupe, comme les fournisseursou les clients de l’équipe concernée. Il y a enfin les destinataire de troisièmeniveau : ceux qui, sans avoir d’interactions soutenues avec le groupe concerné,sont indirectement affectés par les décisions prises. Cette dernière catégoriecorrespond, entre autres, aux clients potentiels ou à la population cible viséepar un programme ou les activités de l’équipe.

La dernière composante identifiée par Harris et Purdy (1998) concerne l’étapeou les étapes du processus où la participation des employés est sollicitée. Cesétapes vont de l’analyse du problème à l’évaluation des actions mises en place.

Logique sous-jacente

Le mode de gestion participative est soutenu par une logique qui est influencéepar des valeurs et croyances que cette partie du texte rappelle.

Nous associons souvent la participation au courant des relations humaines,qui la conçoit principalement comme un moyen pour obtenir la collaboration,comme une méthode que les gestionnaires utilisent pour améliorer le climatet réduire la résistance des employés aux politiques et aux décisions prisesdans le milieu (Macadamura, 2000). Les tenants de ce courant reconnaissentque les ressources des personnes au travail sont sous-utilisées et privilégientla participation des employés pour améliorer autant l’efficacité des individusque celle de l’organisation.

Page 5: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 47

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

L’approche du développement organisationnel, issue du courant des relationshumaines, favorise une plus grande participation des employés dans lesprocessus de changement. Beckhard (1969, voir : French et Bell, 1999) identifie,parmi les croyances qui sont à la base du DO, les éléments suivants :

• Les décisions sont prises, dans une organisation en santé, là où l’infor-mation se trouve, c’est-à-dire le plus près possible de l’action.

• L’un des buts poursuivis par une organisation en santé est de développerune communication ouverte, une confiance mutuelle et créer une synergieentre les différents niveaux hiérarchiques;

• Les gens supportent généralement ce qu’ils contribuent à créer. Lespersonnes affectées par un changement doivent être encouragées àparticiper activement à la planification et la réalisation de ce changement.

Une autre valeur sous-jacente à la gestion dite participative est la confiancedans l’intérêt que les employés peuvent porter à leur travail lorsque nous leurtémoignons du respect; confiance aussi dans leur capacité à trouver des solu-tions novatrices aux problèmes avec lesquels ils sont confrontés lorsque nousleur fournissons les moyens appropriés.

Ensuite, la conception systémique, adoptée par les adeptes du courant desrelations humaines et du développement organisationnel, veut que chaquepersonne qui travaille dans une organisation soit une partie, un élément dece système. Cette personne s’intègre habituellement à une équipe où elleassume des fonctions complémentaires aux autres membres. Les objectifsindividuels de travail peuvent varier pour chaque personne, chacune venantchercher quelque chose de précis par sa relation au travail (salaire, sécurité,considération, actualisation de soi). Toutefois, le besoin de vivre du succèsdans son travail, de recevoir de la considération ainsi que de la reconnaissance etde relever un défi à la hauteur de ses capacités sont des caractéristiques trèsrépandues chez les individus.

En introduisant le concept d’équipe, les auteurs de cet article introduisent unautre principe central en gestion participative, lequel est relatif à l’importanceque revêtent les équipes dans le fonctionnement et l’évolution d’un milieu.L’équipe est composée d’un ensemble d’individus partageant un projet com-mun, ou un ensemble d’objectifs : c’est la « mission » de l’équipe. Chacunedes équipes contribue ainsi à réaliser un projet social plus grand qui constituela mission de l’organisation. Les équipes qui disposent de plus d’infor-mations concernant leur propre situation sont plus aptes à faire des choix

Page 6: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

48 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

éclairés, leur permettant ainsi, de vivre du succès dans la poursuite de leurmission d’équipe. Plus elles peuvent compter sur de l’information de qualité,plus elles sont aptes à faire de tels choix ; c’est pourquoi l’organisationen santé favorise une participation de toutes ses équipes dans les prises dedécision les concernant et soutient une bonne circulation d’information à tousles niveaux.

L’équipe a aussi de l’influence sur les individus qui peuvent être transforméslorsqu’ils se sentent soutenus par les membres de l’équipe. Elle peut aussiremplir une fonction de régulation en développant des règles qui visent àcontrôler les sujets qui sont portés à être plus négligents face à leur travail;nous savons comment il est difficile pour une personne d’aller à l’encontredes normes qu’un groupe se donne.

Finalement, cette participation de l’équipe et des individus dans les processusdécisionnels, dans la planification et la réalisation d’un changement ou dansl’atteinte d’objectifs permet de donner un sens aux gestes réalisés, plutôt quede simplement inciter les acteurs à réagir à des consignes qui émanent degestionnaires ou de la haute direction. Nous pouvons alors penser que lesindividus composant l’équipe devraient mieux adhérer à une stratégie dont ilssont partie prenante et qui fait sens pour eux.

Conditions de réussite

Quoique cela puisse sembler une situation idéale, l’implication des employésaux prises de décision ne peut être applicable pour toutes les organisations.Selon Tannenbaum, Weschler et Massarik (1961 : voir Huang, 1997),l’efficacité d’une gestion participative dépend de l’existence de conditionsparticulières, notamment du soutien de la haute direction, de l’implicationdes cadres intermédiaires, de la culture du milieu et de la méthode utilisée pourimplanter et développer l’intérêt des employés et leur habileté à participer.

La première de ces conditions, soit le soutien et l’appui de la haute direction,semble, selon les résultats de plusieurs études, être l’un des éléments clésdont dépend le succès ou l’échec de l’implantation d’un mode de gestionparticipative (Huang, 1997; Harris et Purdy, 1998; Lozeau, 1996; Madacumura,2000). Selon Harris et Purdy, la plupart des cadres supérieurs proclament leurfoi dans les notions de croissance de l’autonomie, une plus grande implicationdes employés et une division du travail renouvelée. Toutefois, dans la réalité,ces croyances affichées ne se traduisent que rarement en un changement

Page 7: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 49

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

substantiel dans l’organisation du travail ou le statut des employés. Il seraitdonc possible d’observer ce que Argyris et Schön (1978) identifient comme« l’écart systématique entre la théorie professée et la théorie pratiquée ». Lahaute direction doit donc non seulement manifester sa « bonne volonté »,quant à la mise en place d’un mode de gestion participative, mais elle doitaussi être prête à revoir ses façons de faire et changer réellement sescomportements pour témoigner de sa véritable détermination à impliquer lesemployés dans les processus décisionnels. Selon Lozeau (1996), la réalisa-tion d’un tel projet exige, dans le meilleur des cas, un investissement énorme,constant et à long terme du directeur général et de son équipe. Un telengagement repose inévitablement sur les convictions profondes que lesemployés constituent la ressource la plus importante pour une organisation etqu’ils sont en mesure d’apporter des ajustements qui contribueront à amélio-rer le service à la clientèle et l’efficacité de leur secteur, parce qu’ils sontprécisément en contact avec cette clientèle; ce qui n’empêche pas les cadressupérieurs de faire des choix stratégiques quant à la gamme des services quiseront offerts.

En plus des cadres supérieurs, les cadres intermédiaires, de par leur situation,sont des acteurs importants du succès que connaîtra un mode participatif degestion. Selon Jaegar et Pekruhl (1998), les réactions des cadres intermé-diaires, face à une plus grande participation des employés aux processus dedécision, sont fréquemment associées à la peur de perdre le contrôle de leursecteur, perdre leur statut et de l’influence. À cela s’ajoutent une crised’identité relativement à leur conception d’un cadre intermédiaire compétentet, somme toute, la peur de perdre leur emploi si la participation s’accentuepour s’orienter vers les équipes semi-autonomes de travail. Selon Madacumura(2000), la gestion participative ne peut se développer que si tous les gestion-naires croient vraiment que les employés peuvent améliorer les décisions quisont prises dans l’organisation. Selon lui, l’incapacité de certains à considérersérieusement les vues des employés et le fait d’être moins attentifs auxrelations qui existent dans le milieu de travail peuvent conduire à des erreursd’interprétation et à une incompréhension de la réalité complexe de l’organi-sation. Finalement, Lozeau (1996) constate un manque d’habileté des cadresintermédiaires du réseau de la santé et des services sociaux, dans l’adoptiond’un style de gestion participatif, avec lequel ils ne sont pas à l’aise, souventpar crainte de devenir les victimes d’un processus inachevé de décentralisa-tion administrative n’impliquant que la moitié inférieure de la hiérarchie. Ainsi,ces gestionnaires auraient plus tendance à maintenir le statu quo afin de seprotéger, et ce, même s’ils perçoivent la situation actuelle comme étantdysfonctionnelle à cause des problèmes qu’elle engendre, lesquels furent

Page 8: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

50 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

évoqués dans l’introduction. L’implantation d’un modèle de gestion participativesuppose la prise en compte de cette insécurité prévisible de certains cadres etl’apport d’un appui approprié afin que cet obstacle puisse être surmontéadéquatement.

Un troisième aspect réside dans la culture du milieu. Celle-ci se compose denormes, de valeurs, de pratiques, d’us et coutumes. Cette culture structure enquelque sorte les relations dans un établissement. La culture dite bureaucra-tique, où les décisions sont centralisées au haut de la pyramide, les tâches trèsformalisées et structurées, les pratiques uniformisées et les politiques orientéesvers le contrôle (Katz et Kahn, 1978), n’est pas propice à l’implantation de lagestion dite participative. Une culture appropriée admet la dissidence et ladiversité des points de vue – d’ailleurs, les commentaires des subordonnéssont sollicités et valorisés. L’erreur est admise, à la condition de devenir unesource d’apprentissage et de développement. Les communications sont ouvertes.Les systèmes d’information de gestion donnent accès à toutes les donnéesque requiert une équipe dans son processus de solution de problème et dedéveloppement.

Un quatrième élément clé à considérer est la méthode d’implantation misede l’avant. Il est impératif d’effectuer un changement dans les pratiques degestion, sans toutefois mettre en place un projet nécessitant une mobilisationd’énergie, qui n’est pas disponible présentement pour la vaste majorité desétablissements du réseau de la santé et des services sociaux. Comme lementionnait notamment la Commission Clair, la surcharge s’ajoute à uneambiance de travail médiocre et une hausse spectaculaire des absences pourdétresse psychologique; ceci contribue à maintenir l’état d’épuisement règnantactuellement dans le réseau. Afin qu’elle se fasse dans le respect du milieu etde ces personnes, l’implantation d’un programme de gestion participative doitdemeurer essentiellement simple et flexible, en évitant la multiplication desprocessus et procédures. Le programme doit, quant à lui, mettre l’accent surles objectifs d’amélioration continue des pratiques du milieu. En outre, leprojet doit s’intégrer dans le quotidien, s’avérer utile pour les participants.S’il devient un appendice artificiel, il sera rapidement mis de côté. Selon Lozeau(1996), « la surproduction de documents fut un facteur important qui aprécipité plusieurs programmes d’amélioration continue vers leur perte. »Cet auteur, dans ses recommandations, propose ceci : « il est hautementsouhaitable que les processus administratifs (planification, procéduresadministratives, documentation, etc.) soient limités à l’essentiel afin qu’ils nedeviennent pas le centre de gravité des activités de gestion […] » du projetd’amélioration continue (p. 202).

Page 9: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 51

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Modèle de gestion participative expérimenté

Comme nous l’indiquent plusieurs observateurs, il semble nécessaire de ren-verser le climat de morosité qui règne actuellement dans le réseau de la santéet des services sociaux et d’y améliorer les pratiques de travail en impliquantdavantage tous les travailleurs. Pour ce qui est des probabilités de réussitedans le contexte d’un établissement hospitalier, Lozeau (1996) estime qu’ellessont plutôt faibles, dans la mesure où les énergies ne sont pas disponibles et laculture de gestion bureaucratique y est extrêmement forte.

Si nous acceptons au départ cette position, il ne peut se dégager qu’une pers-pective pessimiste de la situation et morosité. Peut-on alors s’efforcer d’agiret tenter de modifier la situation en appliquant les principes énumérés ci-haut ?C’est la question à laquelle nous nous sommes efforcés de répondre. Nousavons alors mis au point un modèle de participation dans un établissement desanté : nous avons utilisé une méthode de travail progressive, qui devait améliorerles chances de succès de la démarche, puisque les objectifs poursuivis nenécessitaient pas un changement en profondeur, mais plutôt une amélioration despratiques existantes dans le milieu (Fabi, Lescarbeau et Blondel, 2001). Cetteméthode s’inspire d’un mode de gestion proactif où les acteurs décident délibérémentd’influencer l’environnement de travail pour mieux remplir leur fonction.

Le temps d’application de la méthode est relativement bref. Dans le cas relatéici, le procédé a été amorcé en octobre 2000. À la mi-novembre, chaque serviceavait en main des priorités et un plan d’action. Avec ces résultats, chaquedirection a, à son tour, dégagé les principales problématiques qui la confrontentet retenu ses priorités d’action; cette opération a été complétée avant lami-décembre. En janvier, dans le cadre d’une réunion régulière du Bureau dedirection, se dégageaient alors les priorités organisationnelles pour l’année àvenir. Les priorités du Bureau de direction et celles de la direction concernéeétaient ensuite présentées aux équipes qui devaient identifier leur contributionet intégrer les objectifs pertinents à leur plan d’action annuel.

Contexte

Le milieu où cette méthode a été implantée est un établissement d’environ500 employés du secteur de la santé et des services sociaux nouvellementfusionné et s’articulant autour de trois missions dévolues à ce secteur : lamission CLSC (principalement préventive), la mission CH (principalementcurative) et la mission CHSLD (hébergement et soins de longue durée). Comme

Page 10: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

52 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

il arrive souvent après d’importantes fusions, chaque ancien établissementdispose d’une culture qui lui est propre et le distingue des autres. Ceci n’estévidemment pas sans créer des heurts au moment de l’intégration des serviceset de la mise en commun des ressources : problèmes de communication,d’arrimage des services et de restructuration à un moment où les ressourcessont, est-il besoin de le rappeler, très limitées et le niveau d’énergie dupersonnel à son plus bas. La haute direction de l’établissement, à l’aide d’uneéquipe de consultants internes, dont nous faisions partie, s’est alors donnéeune politique qu’elle a nommée le « bilan des services et de la direction »;elle visait à impliquer le personnel concerné et les médecins dans l’apprécia-tion de la situation de chaque unité de travail afin d’identifier les points fortset les zones d’amélioration. Cette politique avait quatre objectifs principaux :

• permettre une réflexion structurée sur le fonctionnement de chaqueservice afin de dégager trois priorités d’action ;

• obtenir une vision plus complète de chaque secteur axée autour dequatre thèmes, soit : le service à la clientèle, la gestion des ressourceshumaines, la gestion des ressources financières et la communicationavec les employés ou d’autres partenaires;

• favoriser une concertation au sein de chacune des directions ;

• susciter une concertation entre les directions pour articuler une planifi-cation annuelle complète et réfléchie favorisant l’implication de tous lessecteurs.

La direction avait alors chargé l’équipe de consultants internes de concevoirdes outils qui permettraient d’atteindre les objectifs ayant été déterminés etd’encadrer le déroulement d’une démarche qui favoriserait la participationde tous à l’amélioration continue de la situation qui prévalait dans chaquesecteur.

Méthode

La méthode développée par l’équipe de consultants comporte une instrumen-tation et un processus impliquant chaque équipe, chaque direction et, enfin,la direction générale, comme on l’a vu plus haut.

Page 11: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 53

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Instrumentation proposée et démarche de l’équipe

Un outil nommé le « bilan du service» a effectivement été suggéré par l’équipede consultants internes. Celui-ci visait principalement à impliquer tous lesmembres de l’équipe et à les associer à une réflexion systématique concernant lespoints forts et les difficultés vécues dans l’équipe de travail, pour ensuite leurpermettre d’identifier des priorités d’action qui les concernaient directement.Ces priorités pouvaient être destinées à consolider une force ou à combler unelacune. Selon la problématique de chaque service, une participation directeou indirecte des employés dans les décisions stratégiques et opérationnellesconcernant leur équipe était prévue; le chef ne pouvait faire seul l’exercice.

Dans une première étape, l’outil orientait la réflexion autour des quatre di-mensions présentées plus haut : le service à la clientèle, la gestion des res-sources humaines, la gestion des ressources financières et la communicationavec les employés ou avec d’autres partenaires. Pour chacune de ces dimen-sions, et suite à une réflexion qui ferait nécessairement l’objet d’une discus-sion en équipe, le personnel devait identifier quelles étaient les forces del’équipe et quelles en étaient les difficultés. Pour faciliter le processus, certai-nes pistes de réflexion étaient suggérées ; par exemple, pour la dimension duservice à la clientèle, on demandait à l’équipe de considérer, dans sa réflexion, saconnaissance des besoins de la clientèle, l’adéquation des services offerts,l’harmonisation des pratiques, la continuité des services et l’efficacité du service.Cette réflexion pouvait se faire soit par le biais d’un « sondage », qui impli-quait une discussion des résultats en équipe et une validation du portrait ob-tenu, ou, plus simplement, par un partage des perceptions individuelles, animésoit par un consultant interne, soit par le gestionnaire de l’équipe. Les cadresintermédiaires étaient très actifs dans cette réflexion, puisque ce sont desacteurs clés au sein de l’équipe.

Une fois cette première étape accomplie, l’équipe devait retenir des prioritésd’action parmi les difficultés identifiées. Le choix d’une priorité d’actionimpliquait que l’équipe et son responsable identifient et développent des pistesde solutions ou qu’ils se donnent un plan d’action pour améliorer la situation.La méthode proposait des critères pour choisir les priorités : 1) l’impactsur le service à la clientèle ; 2) son effet sur la gestion des ressources humaines ;3) le degré de pouvoir dont dispose l’équipe pour agir sur la situation ; 4) le réalisme,compte tenu des investissements financiers nécessaires et des ressourcesdisponibles. Les deux derniers critères, soit le degré de pouvoir de l’équipe et leréalisme des priorités, visaient à éviter, d’une part, le « pelletage » de difficultésvers d’autres services ou d’autres niveaux hiérarchiques et, d’autre part, lechoix de priorités irréalistes compte tenu du contexte actuel (par exemple,

Page 12: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

54 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

l’ajout massif de personnel, la réinjection majeure d’argent au sein du serviceou encore l’adoption d’un projet demandant un investissement irréaliste enénergie).

Les étapes suivantes prévues dans la méthode proposée incluaient la plani-fication du plan d’action et sa réalisation. L’évaluation était prévue pourle prochain exercice du « bilan », l’année suivante, lors de la reprise duprocessus. Le déroulement de ces étapes ainsi que le degré d’implicationdes employés au cours de celles-ci devaient être flexibles, afin de s’adapterà la réalité de chaque équipe concernée. Dans ses objectifs, le projet étaituniforme pour toutes les unités de travail. Dans ses modalités d’application,une grande flexibilité était laissée à chaque gestionnaire.

Démarche au niveau de la direction

Compte tenu de l’importance de l’appui de la haute direction, il a étédécidé que la démarche serait lancée par les cadres supérieurs. Chacun desdirecteurs devait la présenter globalement à ses chefs de services. La figure 1,qui se trouve en annexe, fut utilisée pour schématiser le processus prévu.

Après que les directeurs aient eu présenté la démarche à leurs chefs deservice, ceux-ci devaient amorcer les étapes de réflexion et de choix despriorités en concertation avec leur personnel, comme on l’a vu plus haut.Il est à noter qu’un choix de trois priorités était exigé. Les moyens pourarriver à ces priorités ne leur étaient pas imposés et l’instrumentationdéveloppée devait être utilisée que si elle s’avérait utile.

Lorsque les priorités et le plan d’action de chaque service eurent été déter-minées, une nouvelle réflexion, intervenant cette fois au niveau de chaquedirection et impliquant les chefs de service et leur directeur ou directrice, aété réalisée. Cette réflexion avait pour but de dégager un portrait globaldans chacune des directions. L’intrant principal à la base de cette réflexionétait constitué des priorités de service retenues par les équipes, en plusde la réflexion parallèle menée par le directeur concernant sa direction.Cette réflexion, au niveau de la direction, était nourrie par les difficultésidentifiées dans chaque équipe et sur lesquelles elle n’avait pas le pouvoird’agir. De cet exercice devait émerger un consensus sur les principauxenjeux qui confrontent la direction et les priorités d’action qu’elle devaitprivilégier dans une visée d’amélioration continue.

Le même procédé était repris au Bureau de direction, avec chacun desdirecteurs; le directeur général partageait sa propre réflexion sur la

Page 13: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 55

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

situation du milieu. Puis, en conjuguant les préoccupations des directions etcelle du directeur général, la haute direction devait, à son tour, proposerau conseil d’administration des priorités organisationnelles pour l’annéefinancière qui s’amorçait. Celles-ci devaient ainsi reposer sur les préoccupationsdu personnel, des chefs de service, des directeurs et du directeur général.

Un élément important ayant dû être considéré lors de la conception de ladémarche fut la résistance possible des chefs de service face à un processusqui, dans bien des cas, les obligeait à revoir leurs façons de faire, en plusd’ajouter (encore) un processus à leur gestion des problèmes quotidiens,déjà très exigeante. Ainsi, l’équipe de consultants internes devait jouerun rôle important auprès des cadres intermédiaires dans l’application decette démarche.

Réalisation

Le projet s’est déroulé globalement tel qu’il avait été planifié ; quelquesajustements au niveau de l’outil ont dû être effectués afin de s’adapter àla réalité de chaque service. Dans un premier temps, la démarche géné-rale fut rappelée aux directeurs (ils en avaient déjà pris connaissancelors de l’adoption de la politique) en insistant sur leur rôle d’initiateur dela démarche. De plus, ils devaient informer leurs chefs de services quel’équipe des consultants entrerait en contact avec chacun d’eux. Tous leschefs de services ont été rencontrés en fonction de trois objectifs : répondreà leurs questions concernant la démarche et expliciter les objectifssous-jacents ; les instrumenter en leur remettant une version de l’outil« bilan du service », en examinant avec eux le déroulement prévu et enles aidant à articuler leur propre démarche ; enfin, leur offrir du soutienpour adapter, si nécessaire, la démarche ou l’instrumentation de base à laréalité de leur équipe ou remplir d’autres fonctions.

Dans plusieurs cas, ces rencontres ont permis d’amorcer des démarchesd’aide précises. Par exemple, alors que certains exprimaient un besoin decoaching pour réaliser leur bilan, d’autres demandaient d’animer desrencontres d’équipe ou d’ajuster l’outil à la complexité de leur service.Enfin, certains autres sollicitaient simplement une aide technique pourcompiler les données d’un questionnaire. Quant à l’ampleur des mandats,avec certains gestionnaires, cela se limitait à fournir un encadrement pourle choix des priorités, alors que d’autres manifestaient un besoin d’assistanceallant jusqu’à la planification de l’implantation des priorités retenues.

Page 14: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

56 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Pour chaque direction, la démarche s’est également réalisée différemment,selon leur réalité respective. Dans une direction, une démarche de diagnosticorganisationnel, réalisée l’année précédente, a servi de point de départ à laréflexion des équipes ; les éléments importants du diagnostic étaient rappelésà nouveau. Les membres de l’équipe pouvaient ainsi réagir à ces éléments etcompléter le portrait au besoin. Par la suite, le choix de trois priorités étaiteffectué (l’accent étant toujours mis sur les éléments sur lesquels l’équipeavait une emprise). Dans une autre direction, un sondage portant sur lamobilisation circulait déjà parmi le personnel. Les réponses recueillies àl’occasion de ce sondage prenaient habituellement la forme de solutions,souvent contradictoires les unes aux autres; ces solutions devaient êtretraduites sous la forme de difficultés, de manière à préciser le portrait quis’articulait à travers ces solutions. Ces difficultés étaient ensuite soumisesaux membres de l’équipe lors d’une réunion et servaient de base de discus-sion. On devait se concerter sur le choix de trois éléments prioritaires du bilaneffectué, afin de proposer des pistes de solutions pour chacun de ces éléments.Finalement, dans une autre direction, l’outil fut complété individuellement,sous forme de sondage, par les membres de chaque équipe avant que laréflexion soit complétée en groupe.

Problématiques qui se sont dégagées

La démarche a permis de mettre en évidence des problématiques très diversifiéesaffectant l’ensemble de l’établissement, comme le démontrent les exemplesqui suivent.

D’abord, la défaillance des mécanismes de circulation de l’information et deconcertation est ressortie de façon significative. Des lacunes au chapitre del’information, émanant de la direction à l’intention du personnel, furentrelevées. Des problèmes ont également été identifiés en sens inverse ; lesmoyens de transmettre les préoccupations de la base aux supérieurs hiérarchiquesse sont aussi révélés inadéquats. De même, dans plusieurs cas, il existait unproblème d’échange d’informations entre collègues d’une même équipe ouentre les équipes. Dans le même ordre d’idées, un grand nombre d’équipesont retenu comme priorité de « se faire connaître et reconnaître davantage »par les autres équipes. De cette priorité ont émergé quelques projets, commela mise sur pied de plans de communication ou de projets spécifiques decollaboration. Finalement, une direction a décidé de mettre l’accent sur lesmécanismes de collaboration entre les établissements de la région et certainsgroupes communautaires, dans le but d’améliorer la continuité des services.

Page 15: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 57

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Une deuxième série de préoccupations faisait ressortir un besoin de consoli-dation et concernait le parachèvement de démarches ou de programmesrécemment implantés ; ce qui souligne l’importance de ne pas précipiter leséquipes ou l’établissement dans de multiples projets de changement d’enver-gure, sans que les nouvelles pratiques soient suffisamment enracinées ; cepoint de vue est soutenu par Lozeau (1996).

Une troisième problématique avait trait à l’amélioration globale du fonction-nement des services et de la direction. Dans certains services, cette préoccu-pation s’est exprimée sous la forme d’un besoin de clarifier et diffuser la gammede services offerts à la clientèle, dénonçant ainsi le fait que ce sont lesintervenants qui, dans plusieurs circonstances, doivent refuser des servicesque la population perçoit comme lui étant dus. Dans une autre direction, lespriorités retenues visaient l’amélioration de programmes afin d’assurer unemeilleure continuité des soins ou une plus grande accessibilité des services.Quelques équipes ont également manifesté le besoin de réévaluer certainsprogrammes.

Un quatrième ensemble de préoccupations témoignait de la volonté de développerde nouveaux services ou de nouvelles approches. Par exemple, des projets dedéploiement de nouveaux programmes clientèles, l’articulation d’une approchespécifique face à une clientèle particulière (soins palliatifs, maintien àdomicile, Alzheimer, etc.) ou le développement d’un milieu de vie pour laclientèle de la longue durée sont autant d’exemples de nouveaux projets dedéveloppement qui ont émergé de cette démarche.

Une cinquième problématique concernait le climat de travail et la surchargede travail. Certaines priorités d’équipe mettaient l’accent sur l’améliorationdu sentiment d’appartenance, sinon envers l’organisation, du moins pour ladirection et le service. D’autres priorités gravitaient autour de l’améliorationdes mécanismes de résolution des conflits. Enfin, certaines incitaient à effec-tuer une révision des procédures d’accueil et d’orientation, à alléger le travailbureautique du personnel, à fournir un meilleur encadrement clinique et àaméliorer l’accessibilité des programmes de formation ou d’autres mécanis-mes de mise à jour des compétences.

Les autres types de préoccupations manifestées par les équipes de travail etles directions concernaient aussi des problèmes ponctuels et immédiats (parexemple, le réaménagement physique d’un local ou la concrétisation d’uneentente particulière de services avec un organisme supra régional), des mesuresfinancières (une utilisation plus efficiente de l’équipement ou une réduction descoûts de tel type de produit) ou des choix stratégiques proposés à la direction.

Page 16: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

58 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Conclusions des consultants

Le succès de la démarche est intéressant si l’on considère les objectifsinitiaux. En effet, dans chaque service, une réflexion fut articulée sur lefonctionnement de l’équipe et des priorités d’action furent dégagées. Cetteréflexion s’est centrée autour des dimensions retenues dans le cadre dece projet : service à la clientèle, gestion des ressources humaines, gestion desressources financières et communication. De plus, le projet a contribué àaméliorer la concertation au sein de chacune des directions.

Ce cheminement s’avère tout aussi intéressant si l’on examine les priori-tés retenues. À titre d’exemple, à l’urgence, le triage des patients produi-sait de la frustration chez la clientèle. Cette frustration devenait, à sontour, une source de stress pour le personnel, en raison des tensions qu’elleproduisait. Les membres du service ont retenu cette priorité et mis enplace des mesures contribuant à assainir le climat de travail. Dansd’autres unités, ce sont les relations avec les médecins qui ont fait l’objetde priorités d’action. Une démarche conjointe avec la direction des servicesprofessionnels a été entreprise. Ailleurs, une clarification des rôles entredes professionnels de différentes disciplines en a résulté. On pourraitmultiplier ainsi les exemples.

Conformément à ce qu’affirment plusieurs auteurs, l’importance de l’appuide la haute direction est essentielle dans une telle approche. Toutefois,l’appui seul est incomplet. Comme Harris et Purdy (1998), nous consta-tons qu’il est insuffisant que ces gestionnaires proclament leur foi dansles principes de « croissance de l’autonomie » ou dans l’importance« d’impliquer le personnel ». La participation doit réellement être intégréeà la stratégie de gestion de l’établissement, sans quoi un effet de confu-sion en résulte si nous ne parvenons pas à intégrer les préoccupations dela base dans les orientations organisationnelles. En outre, il est nécessaireque la direction générale suive de près ce projet; en cela, elle souligneson importance et mobilise le milieu. Dans le cas relaté ici, la concertationau niveau du Bureau de direction aurait pu être plus poussée et, à ceniveau, nous aurions pu mieux utiliser les données venant de la base ; lespréoccupations du conseil d’administration semblent avoir primé sur cellesde la base, lorsque nous prenons connaissance, après coup, des objectifsqui ont été retenus. Il y a alors danger d’atténuer l’importance de l’exerciceaux yeux des cadres intermédiaires et du personnel.

Un exercice comme celui ayant été proposé ne va pas de soi pour lesgestionnaires habitués à gérer de façon « réactive ». Faire le bilan des

Page 17: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 59

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

forces et faiblesses des différents secteurs peut s’avérer menaçant a priori,car les résultats peuvent être perçus comme un blâme à l’endroit de leurgestion. De plus, cette expérience doit apporter des résultats concrets;on ne peut se contenter d’échanger; il faut aussi agir, ce qui peut égale-ment leur donner l’impression que leur leadership est atténué. Du côtédes acteurs, il est important que le choix des priorités soit réaliste et quele ratio coûts/bénéfice de l’opération soit adéquat, sans quoi ils risquentde se décourager avant même d’atteindre les objectifs fixés. Le gestion-naire et le personnel doivent être à même de constater les retombées;autrement leur mobilisation et leur satisfaction au travail s’en trouverontaffectées. Si la consultation ne débouche pas sur des résultats concrets,intéressants pour les deux parties, il s’avérera plus difficile par la suited’obtenir leur implication dans un autre projet semblable; on attendratout simplement que la « mode » passe. Nous avons également réaliséque les projets doivent s’inscrire dans la continuité des préoccupationsquotidiennes. Les gestionnaires perçoivent qu’ils doivent développer desprojets particuliers vennant s’ajouter au quotidien. Le but d’une démarched’amélioration continue est d’identifier les problèmes de façon sereine,de les ordonner et de choisir des priorités sur lesquelles il faut se pencher.Ce faisant, le personnel s’en trouve rassuré et le stress au travail en estdiminué, parce qu’apparaît alors clairement la volonté du gestionnairede véritablement traiter les problèmes et de parvenir à des solutions ac-ceptables avec l’aide des personnes concernées. En revanche, une telledémarche ne constitue pas une panacée, un remède miraculeux à la gestiondu stress et de la détresse au travail; c’est un moyen intéressant, qui s’inscritdans une stratégie à moyen terme, pour supporter le développement d’unmilieu.

Au niveau du processus de participation, force est de constater qu’uneconcertation en équipe sur la définition de la situation problématique doitêtre préalable à la recherche de solutions. En effet, certaines équipes eurenttendance à passer très rapidement à la recherche de solutions sans toutefoiss’entendre au préalable sur le problème que nous cherchions à résoudre.Dans le domaine de la santé, le mode de fonctionnement répandu corresponddavantage à un mode d’action-réaction. La mise en problème est souventescamotée. Cela a pour effet d’amener des pistes de solutions parfoiscontradictoires, les unes avec les autres, et d’entraîner des débats sansissue quant à la validité des pistes proposées. Lorsque l’équipe s’entendd’abord sur la difficulté qu’elle cherche à améliorer, les moyens proposésprennent du sens et la discussion qui s’ensuit devient plus productive,cela dû au fait que les véritables objectifs ont pu être clarifiés.

Page 18: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

60 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Un autre point concerne la souplesse à observer dans un tel projet.L’importance de compter sur une démarche encadrante, qui conserve ausside la souplesse a pu être confirmée dans l’action. En effet, la réalisationde ce projet fut adaptée aux services et aux directions, comme nous l’avonsvu plus haut. Au chapitre de l’implication du personnel, les formules ontaussi varié. Dans certains services, c’est tout le personnel qui a étémobilisé. Ailleurs, les chefs de service ont travaillé avec des représentantsqui ont été désignés soit par eux ou leurs pairs. L’importance d’un telprojet réside dans les objectifs poursuivis et non dans les moyens quel’on se donne pour les atteindre. L’apprentissage de la participationpeut être progressif et collectif; il faut donner le temps au personnel, auxcadres intermédiaires et aux cadres supérieurs de s’y familiariser. Au départ,les attentes se doivent d’être modestes. Avec les années, le procédé peutse raffiner et devenir de plus en plus exigeant.

Au niveau du contenu, les consultants ont pu observer que les préoccu-pations des acteurs se reflètaient dans les priorités retenues; en plus d’êtrerassurant, cela donne de la validité à l’exercice. Après une expérimentationrépétée sur deux exercices financiers consécutifs, les consultants constatèrentque les préoccupations de la deuxième année avaient plus de profondeurque celles de la première année, où l’exercice s’était principalement axésur l’amélioration des conditions de travail. Le premier exercice étaitpeut-être un test de crédibilité afin de vérifier l’intention réelle de la directiongénérale dans ce projet. Les priorités retenues la deuxième année visaientdavantage le service à la clientèle et la concertation au sein des serviceset entre les directions. Qu’en sera-t-il pour une troisième année? C’est àsuivre.

Un autre élément en rapport avec le contenu vise l’utilisation des pointsforts. Le lecteur se rappellera que les équipes devaient identifier les pointsforts et les difficultés qu’elles rencontraient sous chacune des quatredimensions suivantes : le service à la clientèle, la gestion des ressourceshumaines, la gestion des ressources financières et la communication avecles employés ou d’autres partenaires. Dans la suite de la démarche, l’accentfut surtout mis sur les difficultés, faisant ainsi peu de cas des points forts.Cette lacune devrait être corrigée pour la prochaine édition. Afin de mieuxutiliser ces forces, il faudrait, par exemple, en faire un exercice de recon-naissance ou de célébration; l’équipe serait alors amenée à constater qu’iln’y a pas que des aspects négatifs au tableau et que les points positifs sedoivent d’être mis en relief, reconnus et valorisés.

Page 19: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 61

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Enfin, au chapitre du processus, une erreur a été commise : celle d’omettrel’évaluation de l’atteinte des priorités de la première année avant d’en-treprendre la réflexion sur la situation de l’équipe. Cette première annéefut considérée, somme toute, comme une année d’expérimentation, lescadres supérieurs ayant été déçus de la nature des priorités qui avaientété retenues par les équipes, faute de consignes claires et d’encadrementapproprié. Ce dernier aspect fut corrigé la deuxième année, en introduisantles consultants dès le départ auprès de tous les chefs de service. Undernier volet de cette réflexion vise la réaction des cadres intermédiairesà ce projet. D’abord, le consultant qui rencontre un chef de service, dansle but de s’assurer qu’il applique bien les préceptes de la politique, seplace dans une structure de pression (St-Arnaud, 1999). Ce mode de relationrisque fort d’engendrer de la résistance, en plus de faire perdre tout sonsens à l’intervention, qui visait à soutenir le chef de service. Pour éviterce piège, le consultant doit clarifier son rôle : informer, instrumenter etsupporter celui qui en sent le besoin. De ce fait, le chef de service estsusceptible de moins résister au projet et à l’offre de services du consultant.Au cours de l’expérience, la résistance de certains cadres intermédiairesétait surtout associée aux craintes suivantes : que l’exercice leur apportedu travail supplémentaire, que certaines ressources soient réduites et quel’on doive faire plus avec moins, que des tensions inutiles soient géné-rées par la démarche. Ces craintes ont pu être surmontées au cours duprocessus. Quelques résistances ont également été manifestées par desgestionnaires plus habitués et convaincus de la valeur d’un mode de gestionde type directif et « réactif ». En contrepartie, la très grande majorité descadres intermédiaires ont apprécié l’exercice. La démarche a su insufflerde la synergie au sein de l’équipe des gestionnaires, en initiant certainsd’entre eux au mode de gestion « proactif » de leurs unités et en lesincitant à faire participer le personnel pour diminuer les résistances,améliorer la qualité des décisions et s’en enlever sur les épaules enpartageant les préoccupations avec leurs subalternes. Somme toute,l’exercice a constitué une démarche de consolidation d’équipe, dansplusieurs secteurs, et a fourni l’occasion de connaître plus précisémentles préoccupations de l’ensemble du personnel et non seulement dequelques leaders. Le projet a également fourni un cadre de travailintéressant pour se concerter face aux améliorations à apporter; en effet,plusieurs chefs de service ont affirmé qu’ils ne voulaient plus gérer autre-ment le développement de leur équipe.

Page 20: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

62 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Page 21: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

Un mode de gestion participative en milieu hospitalier 63

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Références

Argyris, C. et Schön, D.A. (1978). Organizational Learning : A Theory ofAction Perspective. Reading, Mass. : Addison-Wesley pub.

Baird, A. et St-Amand, R. (1995a). La confiance au sein des organisations.Commission de la Fonction publique du Canada, Ottawa.

Baird, A. et St-Amand, R. (1995b). La confiance au sein des organisations,2e partie – Comment la bâtir. Ottawa : Commission de la Fonctionpublique du Canada.

Desjardins, M. (2002). Modèle diagnostique en matière de détresse autravail. Document inédit. Faculté des Lettres et sciences humaines del’Université de Sherbrooke.

Fabi, B., Lescarbeau, R. et Blondel, C. (2001). La réorganisation du travail :synthèse de documentation et observations de terrain. Psychologie dutravail et des organisations, 7(3-4), pp. 15-52.

French, W.L. et Bell, C.H. (1999). Organization Development : BehavioralScience Intervention for Organization Improvement. 6e édition. Toronto :Prentice-Hall.

Gouvernement du Québec (2000). Les solutions émergentes. Rapport etrecommandations de la Commission d’études sur les services de santéet les services sociaux (Rapport Clair). Québec: Éditeur officiel duQuébec.

Harris, R.C. et Purdy, R. L. (1998). The role of participative managementin the implementation of total quality management programs.International Journal Technology Management, 16 (4/5/6).

Huang, T.-C. (1997). The effect of participative management on organizationalperformance : the case of Taiwan. The International Journal of HumanResource Management, 8 (5), pp. 677-689.

Jaeger, D. et Pekruhl, U. (1998). Participative company management inEurope : the new role of middle management. New Technology, Workand Employment, 13 (2).

Page 22: Un mode de gestion participative en milieu hospitalier axé

64 Un mode de gestion participative en milieu hospitalier

Interactions Vol. 6, no 2, automne 2002

Katz, D. et Kahn, R.L. (1978). The social psychology of organizations.Toronto : John Wiley and sons.

Koehoorn, M., Lowe, G.S., Rondeau, K.V., Schellenberg, G., Wagar, T.H.(2002). Créer des milieux de travail de haute qualité dans le secteurde la santé. Ottawa, Réseaux canadiens de recherche en politiquespubliques inc. Document W|15.

Lozeau, D. (1996). L’effondrement tranquille de la gestion de la qualité :résultats d’une étude réalisée dans douze hôpitaux au Québec. Ruptures,revue transdisciplinaire en santé, 3 (2), pp. 187-208.

Madacumura, G.M. (2000). Participative management in globaltransformational change. International Journal of Public Administration,23 (8).

St-Arnaud, Y. (1999). Le changement assisté, Compétences pour interveniren relations humaines. Montréal, Gaëtan Morin, éditeur.