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Mai 2011 Le magazine des décideurs. Dossier valeurs. Qu’entend-on par valeurs? Comment sont-elles définies et vécues? Des dirigeants de Cartier, de Läderach, de PSP, de la Fondation suisse pour paraplégiques et d’autres entreprises suisses expliquent ce que recouvre pour eux le terme de valeur.

proximité et distance - PwC · bonne gouvernance d’entreprise (Corporate Governance) mais aussi d’une solide gouvernance familiale (Family Governance). 36 Max Manuel Vögele:

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Page 1: proximité et distance - PwC · bonne gouvernance d’entreprise (Corporate Governance) mais aussi d’une solide gouvernance familiale (Family Governance). 36 Max Manuel Vögele:

Mai 2011

Le magazine des décideurs.

Dossier valeurs.Qu’entend-on par valeurs? Comment sont-elles définies et vécues?Des dirigeants de Cartier, de Läderach, de PSP, de la Fondationsuisse pour paraplégiques et d’autres entreprises suisses expliquentce que recouvre pour eux le terme de valeur.

Valeur ajoutée

CORP-1104-10289

Soins médicauxRedéfinition du système de santé Page 29

Un marché du travail mondialiséStratégie RH et gestion des talents: une affaire de chef Page 32

Maîtriser les conflitsGouvernance et entreprises familiales Page 36

Max Manuel VögeleAssurer la pérennité de l’entreprise Page 39

ServicePublications et formation Page 41

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ceo éditorial 3

Markus R. Neuhaus, administrateur délégué, PwC Suisse

«Face aux changements et aux turbulences, il peut être utile de réfléchir aux valeurs fonda-mentales et de s’en inspirer pour s’orienter.»

Nous vivons une époque exceptionnelle et lesfacteurs d’incertitude mentionnés, bien quede nature très différente, n’en sont pas moinstous très importants pour l’avenir et l’écono-mie – y compris en Suisse. Face aux changements et aux turbulences, ilpeut être utile de réfléchir aux valeurs fonda-mentales et de s’en inspirer pour s’orienter.Devant les événements en Afrique du Nord,comment ne pas penser que des valeurshumaines trop longtemps bafouées fontmaintenant leur chemin. La liberté indivi-duelle et les valeurs fondamentales au senséclairé auquel l’Occident les entend gagnenten importance. Devons-nous nous interroger sur ce glisse-ment des rapports de force politiques etéconomiques dans le monde, qui s’accom-pagne d’un glissement des valeurs – vers desconceptions difficiles à accepter pour nous enraison de notre histoire et de notre culture? Valeurs, conceptions, bien-fondé – qu’y a-t-ilde plus difficile à interpréter? Nous avons euenvie de nous pencher sur la pluralité desaspects que ces notions recouvrent et sur lesvisions qu’elles nous offrent. Bien sûr, notre sélection est éclectique. Mais ilen va de même dans la vie. C’est du moins ceque nous enseigne notre expérience deconseillers. Nous nous sommes intéressés à cequi a de la valeur pour nos clients. Et parceque nous savons depuis longtemps que proje-ter ses propres représentations sur autrui estrarement la bonne solution, nous accordonschaque fois beaucoup d’attention à compren-dre ce à quoi notre interlocuteur attache del’importance. Une bonne écoute est néces-saire, poser les bonnes questions aussi.Encore faut-il le faire.

J’espère que vous trouverez dans cette éditiondes pistes de réflexion ou des visions intéres-santes et vous en souhaite une agréable lecture.

Markus R. Neuhaus

L’économie suisse a renoué avec la croissance,les entreprises suisses avec les bonnes affaireset les travailleurs suisses se sentent denouveau très convoités. Et pourtant, malgrétous les signaux positifs, la Suisse manqued’enthousiasme. Ce qui se passe autour denous est tout simplement déconcertant,inquiétant et troublant. D’abord, après la crise économique et finan-cière, certaines économies européennes, donton ne sait pas très bien si elles sont ou nonvraiment au bord de la faillite économique nidans quelle mesure elles auront une influencesur l’Union monétaire européenne. Les États arabes ensuite, dont les structuresvacillent et qui connaissent les effusions desang auxquelles conduisent souvent cesbouleversements. La nature aussi, qui, autravers de séismes et de tsunamis, s’invitedans la destinée de nombreuses personnes etnous montre clairement qu’une grande puis-sance économique telle que le Japon n’en estpas moins vulnérable. Et enfin, le monde qui, après Fukushima, nesera plus jamais le même qu’avant, non seule-ment pour les victimes directes mais pour laplanète entière. L’artère vitale qu’est l’appro-visionnement en énergie doit être fondamen-talement repensée.

Éditeur: PricewaterhouseCoopers SA, magazine ceo, Birchstrasse 160, 8050 Zurich

© 2011 PricewaterhouseCoopers. All rights reserved.

Les opinions exprimées par les différents auteurs ne correspondent pas forcément à celles de l’éditeur.

Le magazine ceo paraît trois fois par an en français, en allemand et en anglais. Tirage: 24 000 exemplaires

Lithographie, impression: ud-print AG, Lucerne. Papier:

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ceo sommaire 54 ceo sommaire

«Je suis très sincère dans mesrelations avec les autres», AnnaGamma, maître zen, directricede l’Institut Lassalle.8

«Trop de proximité avec l’un nuit à la confiance de l’autre»,Peter Siegenthaler, président del’Union des banques cantonales.6

«Le luxe est l’art d’être unique»,Bernard Fornas, PDG et prési-dent du conseil d’administrationde Cartier International.42

«L’homme n’a pas besoin deculture, il l’a», Martin Heller, en-trepreneur indépendant dans lesecteur culturel. 50

«Nous investissons dans lacréation de plus-value», Luciano Gabriel, CEO PSPSwiss Property SA. 54

«Plus l’objectif est proche, plus le risque de rater son coupest grand», Martin E. Kessler, courtier en assurances, golfeur.10

«On voit les choses d’un autreœil», Daniel Joggi, président de la Fondation suisse pour paraplégiques.14

«L’attachement aux racines estl’un des fondements de notresuccès», Ralph Siegl, CEO deConfiseur Läderach AG.18

«Les relations sont un moyend’atteindre un objectif», MartinNaville, CEO Swiss-American Chamber of Commerce.24

Dossier valeursLes théoriciens de l’écono-mie ont défini la notion devaleur. Mais que repré-sente une valeur dans lapratique? Comment est-elle vécue? Dans ce dossier, des per-sonnalités de l’économiesuisse expliquent ce à quoielles accordent de la va-leur sur le plan personnelou dans leur entreprise.12

Atteindre son objectif

Forum proximité/distance

Thomas Brüderlin et JosefBachmann ont gravi le Kili-mandjaro et vécu à cette occa-sion une expérience différente.58

Valeur ajoutée

Soins médicaux: le système de santé dufutur sera centré sur l’individu. Chacun serale gestionnaire de son propre profil sani-taire. Les fournisseurs de prestations médi-cales devront s’habituer à de nouveauxtypes de relations – avec leurs clients etentre eux. 29

Un marché du travail mondialisé: un déficiten personnel qualifié peut affecter la miseen œuvre de la stratégie de croissanced’une entreprise. Pour éviter d’en arriver là,il est nécessaire de recourir à de nouveauxmodes de collaboration auxquels desformes d’organisation efficientes en res-sources humaines (RH) peuvent apporter un soutien par-delà les frontières. 32

Maîtriser les conflits: dans les entreprisesfamiliales, les intérêts de l’entreprise etceux de la famille se superposent. Pour parvenir à les équilibrer, les entreprises familiales ont besoin non seulement d’unebonne gouvernance d’entreprise (CorporateGovernance) mais aussi d’une solide gouvernance familiale (Family Governance).36

Max Manuel Vögele: Le président duconseil d’administration de Karl Vögele SAà propos de la planification de la succes-sion et de la gouvernance dans les entre-prises familiales. 39

Service: Publications et formation. Abonnements et adresses.41

ceo 1/11 sommaire

Photo de couverture: Markus Bertschi, Cartier

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ceo forum 76 ceo forum

En tant que haut fonctionnaire, j’ai été chargé de trouver des solutionsaux problèmes les plus divers, et ce sous quatre Conseils fédéraux. Lesdeux plus marquants pour moi ont été la crise du secteur aérien et lacrise bancaire. La faillite de Swissair a suscité de vives émotions. Àl’époque, nombreux sont ceux qui ont été personnellement touchéspar cette crise. En plus de problèmes concrets, cette situation a créébeaucoup de liens de proximité. La proximité ne permet pas nécessairement de trouver plus facilementune solution. À cette période, il fallait constamment jongler entre lepoint de vue des personnes concernées et la nécessité de garder suffi-samment de distance pour définir une ligne de conduite commune. Jeme suis rendu compte qu’une grande proximité avec l’une des partiesne facilitait pas l’impartialité nécessaire à l’exercice du rôle de média-teur. Trop de proximité avec l’un nuit à la confiance de l’autre. Sous une pression extrême, le risque de s’identifier à la mission est parailleurs très grand. Certaines personnes préfèrent alors abandonner.Une proximité se crée avec ceux qui restent, et il est très difficile à cemoment de dire que l’on arrête là et que l’on prend un nouveaudépart. Pourtant, c’est parfois cette âpreté et cette distance quipermettent de trouver une issue favorable.J’ai vécu la crise financière tout autrement. La Commission desbanques, l’Administration des finances et la Banque nationale entrete-naient déjà des contacts depuis 2002 pour discuter de l’éventualitéd’une crise des grandes banques. Plusieurs hypothèses avaient étéenvisagées quant à l’impact, aux mesures et aux bases juridiques possi-bles. Il s’agissait d’une part d’un processus intellectuel et, d’autre part,les débats entre les parties concernées ont instauré une grandeconfiance qui s’est avérée très importante durant la crise. Lorsque lacrise a réellement éclaté, le danger était certes grand, mais avec moinsde proximité que lors de la faillite de Swissair. Tout s’est déroulé dansle calme et la distance. Même si certaines des négociations ont eu lieuavec les mêmes personnes que durant la crise du secteur aérien.Ce processus s’est poursuivi dans le débat concernant la probléma-tique «too big to fail». Les parties prenantes se sont attelées à concilierleurs points de vue pour s’engager dans une voie qui soit acceptablepour tout le monde. Pour résoudre un problème, il faut une certaine

Peter Siegenthaler: «Trop de proximité avec l’un nuit à laconfiance de l’autre.»

proximité entre les parties. Mais si celle-ci est excessive, elle compro-met la recherche d’une solution. Ce n’est pas comme en physique, oùl’on trouve invariablement une résultante fiable. Lors d’une négocia-tion, l’effet des différentes forces n’est pas mesurable. On écoute, onpondère les intérêts contradictoires et, sur cette base, on tente de trou-ver une solution. Bien sûr, on se sent toujours plus proche d’un individu dont onpartage les opinions. Mais dans une situation de crise, on apprend àmieux connaître les personnes vis-à-vis desquelles on mettait plus dedistance. On constate alors rapidement que la fiabilité et la confiancesont d’une importance capitale dans l’élaboration d’une solution. Il esttrès difficile de devoir constater que l’une des parties utilise desméthodes déloyales dans l’unique objectif d’arriver à ses fins. Dans mes fonctions de président de l’Union des banques cantonales, jem’occupe également de trouver des dénominateurs communs. Et avecles 24 institutions autonomes, c’est loin d’être une promenade desanté. Ouvrir de nouvelles voies de collaboration est un long parcourssemé d’embûches. Encore une fois, il s’agit de définir une ligne deconduite commune à partir des différentes demandes. Chacun doitrenoncer à quelque chose pour que tout le monde soit gagnant.

Entré en 1982 à l’Administration fédérale des finances,l’économiste Peter Siegenthaler a dirigé cette institution de2000 à 2010. Il a mené à bien divers projets d’importancenationale et assumé, à la demande du Conseil fédéral, ladirection opérationnelle des interventions de l’État dans lecadre des crises Swissair et UBS ainsi que la présidence de lacommission d’experts chargée d’examiner la question desétablissements trop grands pour faire faillite («too big tofail»). Depuis 2010, Peter Siegenthaler est président del’Union des banques cantonales.

Photo: Helmut Wachter

Forum proximité/distance

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Tout commence par soi-même. La proximité avec autrui dépend avanttout de la relation que l’on entretient avec soi-même. Mais commentcréer cette proximité avec sa propre personne? Comment découvrir lesens de notre vie, la singularité qui nous caractérise, les joies que nousressentons au plus profond de nous-mêmes? Tout simplement enregardant à l’intérieur de soi et en mettant en pratique les propos ducélèbre mystique allemand Maître Eckhart: «Pourquoi ne puisez-vouspas dans votre propre bien? Vous portez toute la vérité en vous.»La méditation zen est une méthode simple et efficace pour y parvenir.Cette réflexion commence par le silence. Il est loin d’être évident derester assis, le dos droit et les jambes croisées, sur un coussin de médi-tation, immobile et les yeux ouverts. L’exercice à la fois particulier ettrès simple du zen signifie simplement porter son attention sur sarespiration.J’ai découvert la pratique et la philosophie zen il y a plus de 30 ans.Depuis lors, je n’ai plus dévié de ce chemin vers soi. Le bouddhismezen, fondé au VIe siècle en Chine, ouvre un accès direct à la perceptionimmédiate de l’unité de toute vie. Des dizaines de milliers de pensées circulent quotidiennement dansnotre esprit; elles commentent nos faits et gestes en permanence. Nonseulement elles tournent souvent de manière improductive autour dethématiques récurrentes, mais elles rétrécissent aussi notre perceptiondes choses et brouillent notre vision de l’existence. Le premier objectif du zen consiste donc à ralentir ce flux de pensées.À un stade plus avancé, le zen revêt une forme radicale de rencontreavec soi-même. Si, pour beaucoup d’entre nous, souvent soumis à descontraintes extérieures et ayant peu de temps à se consacrer à soi-même, ce processus peut s’avérer douloureux, il est aussi libérateur etpermet de mettre le doigt sur l’essentiel.Celui qui effectue une retraite à Bad Schönbrunn est à la recherche dusens de la vie et souhaite trouver la vérité de son être. L’expérience dusilence permet au participant au cours de découvrir son potentielunique. De cette introspection naît la force de développer une éthiquede la conscience totale. Nous entendons par éthique une culture desvaleurs, c’est-à-dire que nous apprenons dans un premier temps à

Anna Gamma: «Je suis très sincère dans mes relationsavec les autres, je m’ouvre à eux et je leslaisse s’ouvrir à moi.»

Forum proximité/distance

appréhender la vie sous toutes ses formes avant de juger en connais-sance de cause et d’agir en conséquence.Nous voulons amener les gens qui exercent des responsabilités à s’ou-vrir à leur for intérieur et à se poser des questions telles que: qu’est-ceque je considère comme essentiel et comment organiser ma vie enfonction de cela? Notre époque souffre du fait que les individus ontperdu leur confiance fondamentale et leur satisfaction.Comment maintenir l’équilibre entre proximité et distance dans mesrelations avec autrui? Au plus profond de moi-même, je règle mesantennes pour être réceptive aux autres. Je recherche la proximitétout en conservant une distance harmonieuse. Je suis très sincère dansmes relations avec les autres, je m’ouvre à eux et je les laisse s’ouvrir àmoi. La proximité qui en résulte est une forme respectueuse de contactpsychologique et spirituel, qui induit également une certaine distance– une distance qui respecte et estime l’autre dans sa propre dignité etsingularité. Dans ce sens, proximité et distance ont des liens de gémel-lité. Le principe n’est pas «ceci ou bien cela», mais plutôt «à la fois ceciet cela».

Anna Gamma est directrice de l’Institut Lassalle à BadSchönbrunn depuis 2003. Cette psychologue a lancé, avec lesfondateurs Niklaus Brantschen et Pia Gyger, le cursus«ESPRIT & Leadership». Maître zen (sensei), elle est l’auteurde l’ouvrage «Ruhig im Sturm, Zen-Weisheiten fürMenschen, die Verantwortung tragen» (Le calme dans latempête. Pensées zen pour ceux qui assument des responsa-bilités).

Photo: Andri Pol

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Maintenir l’équilibre entre proximité et distance est important danstous les domaines. Dans la vie professionnelle, c’est souvent un exer-cice de corde raide. En tant que conseillers professionnels en gestiondes risques et en assurances, nous aidons nos clients à évaluer lesrisques et nous négocions pour eux des solutions d’assurance surmesure. Nos clients sont des entreprises de taille moyenne ou plusgrande des secteurs de l’industrie, des services et du commerce, ainsique les collectivités publiques. Fondamentalement, nous instaurons laconfiance en étant proches de nos clients. Cependant, trop de proxi-mité peut aussi être ressenti comme de la flagornerie. Certains clientsont un rapport ambivalent avec les assurances. Ils gardent leursdistances car, pour eux, assurance rime la plupart du temps avecaffaire désagréable dont les mots-clefs sont primes coûteuses etdégâts. Mais lorsqu’ils sont victimes d’un sinistre d’une certaineampleur, ils comptent sur notre soutien immédiat et sur notre proxi-mité. Il y a beaucoup d’analogies entre le travail et le golf. Le golf est unebonne école de vie. Il nécessite endurance, volonté, concentration,ténacité et forme physique. On y apprend que l’on ne peut pas sanscesse s’améliorer. Il n’existe probablement aucun sport qui exigeautant d’humilité. Des parcours exceptionnels sont suivis – même chezles excellents golfeurs – de dégringolades que personne n’est capabled’expliquer. Alors qu’un sprinter sur 100 mètres n’enregistre que desvariations de quelques centièmes de seconde d’une course à l’autre, ungolfeur peut fort bien, quand il est dans un mauvais jour, devoir frap-per 15 coups de plus que la veille. Celui qui joue au golf sait ce queperdre veut dire. L’aspect «networking» du golf est souvent surestimé. Si vous passezdavantage de temps sur le terrain de golf que dans votre bureau, vosrésultats professionnels s’en ressentiront. Dans le monde actuel, cesont la qualité des prestations et le prix qui comptent. Le golf peutcependant favoriser la fidélisation des clients et ouvrir des portes.Jouer donne l’occasion de mieux connaître l’homme qui est derrière le

Martin E. Kessler: «Plus l’objectif est proche, plus le risquede rater son coup est grand.»

Forum proximité/distance

partenaire de golf que vous côtoyez pendant quatre heures. Par exem-ple, comment réagit-il lorsqu’il rate complètement un coup? Ondevient vite plus proches. Dans la relation entre proximité et distance, la principale leçon à tirerde la pratique du golf est que pour les coups longs, c’est surtout ladirection qui compte, la précision de la distance ne venant qu’ensuite.Pour les coups d’approche, lorsque la distance du trou se situe entre10 et 75 mètres, il s’agit en revanche d’imprimer avant tout à la frappela bonne longueur. Sur le green, la direction et la distance précisessont nécessaires. Plus l’objectif est proche, plus le risque de rater soncoup est grand. Une concentration maximale est requise, que ce soit pour le coup dedépart ou pour le jeu court: partout sur le green, le toucher de balleest aussi important que la technique. Un coup réussit lorsque la balleest frappée de plein fer et vole dans la direction voulue. Bien que jouant au golf depuis l’école, je dois m’entraîner régulière-ment pour conserver mon niveau. Sinon, je ne prends aucun plaisir.C’est comme dans mon métier: la concurrence est grande. Il fautconstamment rester dans le jeu, au sens littéral du terme.

Martin E. Kessler est Managing Partner chez le courtier enassurances Kessler & Co AG, une entreprise familiale quiemploie 240 collaborateurs et compte un bon tiers des 100premières entreprises suisses parmi ses clients. Cepassionné de golf (handicap 4,1) est président d’honneur del’Association Suisse de Golf ASG.

Photo: Cédric Widmer

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«Nous formons une communautétrès soudée.»Ralph Siegl à propos de la valeur de la solidarité

«Des possibilitésexceptionnellesd’apprendre sur le monde.» Martin Heller à propos de la valeur de la culture

«Une belle pièce peutcoûter un million, oumême dix, mais onobtient une véritablecontre-valeur. C’est del’argent placé en toutesécurité.»Bernard Fornas à propos de la valeur de la haute joaillerie

«Les possibilités d’in-tégration profession-nelle des personneshandicapées sontbien meilleures quepar le passé.»Daniel Joggi à propos de la valeur des techniques modernes.

«Les dirigeantssont, dans le fond,très isolés. Nousleur offrons uncadre dans lequelils se retrouvententre pairs.» Martin Naville à propos de la valeur des CEO Luncheons

Dossier valeurs

«Les valeurs structurent la façon dont nous percevons,ressentons et désirons ce qui nous entoure; elles font officede critères d’orientation dans le choix des objets que nousacquérons ou des actes que nous posons. Une distinctiondoit être établie entre les valeurs qui découlent de la fonc-tion de la chose jugée en vue d’un objectif supérieur et lesvaleurs qui constituent l’objectif en elles-mêmes.» Cesphrases sont tirées d’une définition de la notion de valeurdans un lexique d’économie. Mais que représente une valeurdans la pratique? Comment est-elle vécue? Dans ce dossier,des personnalités de l’économie suisse expliquent ce à quoielles accordent de la valeur sur le plan personnel et dansleur entreprise.

Textes: Corinne Amacher, René Bortolani, Iris Kuhn-Spogat, Kaspar Meuli, Bernhard Raos, Franziska Zydek

Photos: Markus Bertschi

«La demande d’immeublesaugmente.» Luciano Gabriel à propos de la valeur foncière

12 ceo dossier ceo dossier 13

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«On voit les choses d’un autre œil»Tout le monde peut se réaliser, quelle que soit la gravité de son handicap physique ou la difficulté de sa situation, déclare DanielJoggi, président de la Fondation suisse pour paraplégiques et lui-même tétraplégique.

dossier valeursDaniel Joggi

14 ceo dossier ceo dossier 15

La Fondation suisse pour paraplé-

giques a pour but la réhabilitation

complète des para- et tétraplégiques

et offre un réseau de prestations

exhaustif pour paralysés médullaires.

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ceo dossier 17

Au programme du dernier jour du camp de skifigure un test d’évaluation. On demande auxparticipants de réaliser un saut. Daniel Joggi,qui a dirigé le camp et préparé le petit tremplinà l’aide d’une pelle, est le premier à se lancer. Ilse présente sans problème devant l’obstacle,mais perd le contrôle de ses skis pendant le saut.Joggi retombe lourdement et se brise plusieursvertèbres cervicales, avec comme conséquenceune paralysie médullaire qui atteint non seule-ment les jambes, mais aussi une partie des braset des mains. Ses doigts n’ont plus aucune mobi-lité. Cet accident s’est produit le 30 décembre1977.

33 ans plus tard, Daniel Joggi est assis dans unfauteuil roulant à son bureau de la Fondationsuisse pour paraplégiques à Nottwil. C’est unhomme mince et grisonnant au regard doux. Lapoignée de main est molle, presque une caresse.Autour des poignets, il porte des manchettes decuir qui lui assurent une meilleure prise et luipermettent de mieux manœuvrer son fauteuilroulant.

Monsieur Joggi, vous demande-t-onencore souvent de raconter l’histoire devotre accident?Plus aussi souvent qu’au début. Juste avantl’accident, j’avais obtenu mon diplôme d’agro-nome à l’EPF Zurich et j’avais déjà rédigé mathèse. J’ai ensuite décroché mon premieremploi à Nyon. Mais j’ai grandi à Neuchâtelet, lorsque j’y retournais à l’occasion et que jerencontrais d’anciennes connaissances, jedevais évidemment leur raconter toute l’his-toire.

Cela vous dérange-t-il que l’on vousquestionne sur votre histoire?Non, je pense que j’ai suffisamment digéré cequi s’est passé pour pouvoir en parler sereine-ment. Mais lorsque je raconte mon accident,les émotions remontent encore à la surface.

Comment cet accident a-t-il changévotre vie?Les premières semaines, on a l’impression quela vie est finie. Ce n’est qu’au fil du temps,après le séjour à l’hôpital et pendant la réédu-cation, qu’on commence à entrevoir lamanière d’utiliser les fonctions demeuréesintactes. Bien sûr, il y a beaucoup de chosesque l’on ne peut plus faire. Je jouais de laguitare, mais puisque je ne pouvais plusbouger mes doigts, la musique, c’était finipour moi. Cela m’a beaucoup affecté.

La vie a-t-elle plus de valeur à vos yeuxdepuis votre accident?Oui, bien sûr. C’est évident. On voit les chosesd’un autre œil, on apprend à apprécier d’au-tres choses. J’ai également rencontré des tasde gens intéressants, des aides-soignants, desergothérapeutes ou des physiothérapeutes. Eton m’a témoigné beaucoup de solidarité.

À qui pensez-vous?Je pense à mes anciens collègues de travail dela station de recherches agronomiques Agro-scope de Changins. Ils m’ont rendu visite etont mis en place un planning hebdomadairepour se relayer auprès de moi ou venir mechercher. Le directeur est également venurapidement et m’a assuré qu’un poste seraittoujours libre pour moi au sein de la station.Ce fut une grande motivation et cela m’aénormément encouragé.

Quelle est pour vous la valeur de la vie?La valeur de la vie, c’est…

… d’être en vie?Oui. Mais pas seulement être en vie, il fautégalement avoir une certaine utilité. Ne pasêtre qu’un fardeau. Tout le monde peut seréaliser, quelle que soit la gravité de sonhandicap physique ou la difficulté de sa situa-tion. Les personnes atteintes de graves paraly-sies y parviennent même souvent mieux qued’autres moins gravement atteintes.

Quel est votre degré d’autonomie?Je suis assez gravement paralysé, mais jepeux conduire une voiture. Cela me donneune certaine indépendance. Je peux vivre demanière autonome pendant un jour ou deux.Je peux par exemple venir à Nottwil pourdeux jours et rentrer à la maison. Maisensuite, j’ai besoin de l’aide de mon épouseou de quelqu’un d’autre car il y a beaucoup dechoses que je ne peux plus faire moi-même.

De nombreuses personnes atteintesd’un handicap physique affirmentmener une vie tout à fait normale. Celaest-il également votre cas?Oui et non. Il reste une nostalgie qui ne nousquitte jamais: on aimerait pouvoir se lever ànouveau, ne serait-ce que pour une journée.Pouvoir gambader un peu partout et courir.

Depuis 1989, Daniel Joggi est membre ducomité central de l’Association suisse des para-plégiques, qu’il a présidé de 2001 à 2009. En2000, il a été élu au conseil de la Fondationsuisse pour paraplégiques (FSP), dont il est leprésident depuis décembre 2009. Il a remplacéà ce poste le conseiller aux États schwytzois

Daniel Joggipréside la Fondation suisse pourparaplégiques depuis décembre2009. Le conseil de fondation estresponsable de la stratégie duGroupe suisse des paraplégiquesde Nottwil.* Diplômé en agronomiede l’EPFZ, cet homme de 61 ansest tétraplégique depuis un acci-dent de ski en 1977.

* La Fondation suisse pour paraplé-giques a pour but la rééducationcomplète des para- et tétraplégiqueset offre un réseau de prestationsexhaustif pour paralysés médullaires:la coordination de services continus deprise en charge dès le lieu de l’acci-dent, les soins médicaux, la rééduca-tion ainsi que le suivi et des consulta-tions à vie. 1,5 million de personnesassurent par leur adhésion à l’Associa-tion des bienfaiteurs de la Fondationsuisse pour paraplégiques une basefinancière solide pour les activités decette œuvre de solidarité.

90%des personnes prises

en charge peuventêtre réintégrées

dans la vie profes-sionnelle.

16 ceo dossier

«Il reste une nostalgie qui ne nousquitte jamais: on aimerait pouvoirse lever à nouveau, ne serait-ce quepour une journée. Pouvoir gambaderun peu partout et courir.»

Bruno Frick, qui avait essuyé des critiques aprèsdeux ans de fonction. Frick avait remplacé à latête de la FSP Guido Zäch, le fondateur, méde-cin-chef et directeur du Centre suisse des para-plégiques de Nottwil. Après cette période deturbulences, le calme est revenu au sein duGroupe des paraplégiques de Nottwil sous ladirection de Daniel Joggi, qui bénéficie d’unlarge soutien interne comme externe.

Monsieur Joggi, en quoi consiste votremission de président du conseil de lafondation de la FSP?Quelqu’un m’a décrit un jour comme le DJ dugroupe des paraplégiques. Celui qui mixe toutensemble et veille à ce que les membres desdifférentes organisations regardent dans lamême direction. Le conseil de fondation estresponsable de la stratégie générale. Quelssont nos objectifs? Comment pouvons-nousles atteindre? Comment réunir les fondsnécessaires à toutes les activités que noussouhaitons mettre en place pour renforcernotre réseau de prestations?

Plus de la moitié des membres duconseil de fondation sont eux-mêmeshandicapés. Cela signifie-t-il qu’unepersonne handicapée est plus à mêmede comprendre les problèmes d’uneautre personne handicapée ou est-ce unhasard?Non, ce n’est pas un hasard. Avant ma nomination, trois membres du conseil sur dix se déplaçaient en chaise roulante. Ils sontsix aujourd’hui. Un groupe de personnes en fauteuil roulant voulait créer un comitéconsultatif constitué uniquement depersonnes en fauteuil afin de mieux pouvoirrendre compte des problèmes spécifiquesqu’elles rencontrent. J’ai préféré les intégrerdirectement dans le conseil de fondation car

j’aime autant éviter la multiplication desorganes subsidiaires. Notre organisation estdéjà bien assez complexe comme ça.

En Suisse, 10% de la population souf-frent d’un handicap physique oumental, soit environ 700 000personnes. Le pays leur vient-il suffi-samment en aide? C’est une question très complexe. Le pays faitbeaucoup, mais il pourrait encore les aiderdavantage. Je ne suis pas sûr que la sociétésoit suffisamment sensibilisée aux problèmesdes personnes handicapées. Il faudrait êtredisposé à organiser la société de manièrequ’elle soit meilleure pour tout le monde.Mais pour faire changer les choses, il faut queles deux parties y travaillent.

Les personnes handicapées ont-ellesaussi des obligations?Oui, elles doivent aller vers les autres, êtreouvertes et agir. Elles ne peuvent pas seborner à attendre que la société les prenne encharge. Lorsqu’on dit ce genre de choses àune personne handicapée, ce n’est pastoujours bien perçu. Mais elles ont aussi unrôle à jouer dans leur intégration et leur parti-cipation à la vie sociale.

Êtes-vous favorable à un quota depersonnes handicapées dans les entre-prises?Ces quotas existent dans certains pays, maiscela ne fonctionne pas vraiment. Quels sontles critères à utiliser? Dans de nombreusesentreprises, des personnes handicapées nesont pas considérées comme telles car elles

boitent juste un peu ou ne bénéficient pas depension d’invalidité. D’une certaine manière,les quotas contribuent aussi à créer des ghet-tos: on est considéré comme handicapéjusqu’à un certain niveau, mais pas au-delà.

Sur quoi focalisez-vous vos efforts?Je pense que chacun possède l’un ou l’autredon. Il faut simplement découvrir ce qui vainciter la personne à se réaliser et dans queldomaine elle pourra être utile et accomplirquelque chose. Ce n’est évidemment passimple. Je ne pense pas qu’il faille mettre lespersonnes moins compétitives à l’écart et lesabandonner à l’aide sociale pour ensuite venirse plaindre que leur inactivité coûte trop cher.

Est-ce difficile pour un paralysé médul-laire de trouver du travail?C’est évidemment toujours un peu pluscompliqué que pour une personne valide.Mais une personne souffrant de paralysiemédullaire peut être tout aussi productive. Etgrâce aux techniques modernes telles que l’in-formatique, les possibilités d’intégrationprofessionnelle des personnes handicapéessont bien meilleures que par le passé. À condi-tion toutefois que la personne handicapée sedonne la peine de suivre des formations dequalité. Là encore, on attend d’elle qu’ellefournisse un effort.

Que fait le Centre suisse des paraplé-giques pour la réinsertion profession-nelle de ses patients?Nous avons développé un excellent réseaud’entreprises les plus diverses. Celui-cipermet à 90% des personnes prises en chargeici d’être réintégrées dans la vie profession-nelle.

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La tentation glaronnaise En rachetant la chaîne de confiserie Merkur et en lançant une marque sous son propre nom, le chocolatier Läderach est entré dans une nouvelle ère. Pour faire découvrir ses valeurs et ses produits,cette entreprise familiale ne vise plus seulement la clientèle d’entreprises, mais aussi les consomma-teurs privés.

dossier valeursConfiseur Läderach

18 ceo dossier ceo dossier 19

Depuis 2006, l’ancien manager de

Nestlé Ralph Siegl occupe le poste

de directeur général de l’entreprise

familiale Läderach. Il lui incombe

notamment d’intégrer la nouvelle

génération dans l’entreprise.

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Le mobilier a des allures trop rustiques pour unhomme tel que Ralph Siegl, un jovial quadragé-naire originaire de l’Unterland zurichois. Lesmurs, le bureau, la table de réunion – tout esten bois massif foncé. «Si je voulais installer icidu mobilier design, ce serait dans la seconde lesujet de discussion numéro un à Ennenda»,s’amuse Siegl. Car Ennenda, c’est Läderach. Enplus d’être le premier employeur du canton deGlaris, le chocolatier est aussi un point d’an-crage affectif dans cette communauté de vallée.

«L’attachement aux racines est l’un des fonde-ments de notre succès», déclare Ralph Siegl. Cedernier s’est installé dans le bureau de directiontel qu’il avait été aménagé par le fondateur del’entreprise, Rudolf Läderach, dans les années1960 et il n’a pas l’intention d’en remplacer lemobilier. De tels changements s’accorderaientmal avec la famille Läderach qui, en plus detravailler dans ces locaux, y habitait encorerécemment. Adeptes de l’éthique de travailprotestante, les Läderach ne portent aucun inté-rêt à la mise en scène.

Faire découvrir les mondes du plaisirDans l’histoire de l’entreprise, fondée il y après de 50 ans, Ralph Siegl est le premierdirecteur à ne pas appartenir à la famille despropriétaires et il est à peine plus jeune queJürg Läderach, confiseur de métier, quiexploite et préside l’entreprise en deuxièmegénération. Diplômé de l’Université de St-Gallet ancien manager chez Nestlé, Siegl apportedes compétences qui complètent idéalementcelles de son patron. Le renforcement de la direction s’est avérénécessaire lorsque Läderach a diversifié sesactivités en 2004 en rachetant la chaîne deconfiserie Merkur et en lançant une marquede vente au détail. Si la maison Läderachs’était forgée une solide réputation dans lesecteur en tant que fournisseur de pâtissiers,de confiseurs, d’hôtels et de restaurants, sonnom était jusqu’alors peu connu du grandpublic. Par cette entrée dans le commerce dedétail, l’entreprise souhaitait toucher directe-ment le consommateur final. Pour ce dernier,le chocolat n’est cependant pas qu’une affairede goût, c’est aussi une question d’émotions. Faire découvrir à l’exigeant public cibleurbain les univers de qualité et de plaisir deLäderach est l’une des tâches qui incombent àSiegl. «Si les valeurs de base de l’entreprisedoivent être portées par la famille, elles nedoivent pas obligatoirement être communi-

quées par celle-ci», nous confie le directeur.Après sa nomination, les Läderach se sontpour la première fois penchés sur l’élabora-tion d’un message de marque qui transmetteles valeurs fondamentales de l’entreprisetelles que la fraîcheur, l’artisanat, le labelSuisse et l’individualité. «Le défi consistait àtransposer la mentalité artisanale de Läde-rach dans le mode de vie moderne», ajouteRalph Siegl.

L’accent sur la fraîcheurParallèlement à ces considérations, l’entre-prise a lancé le concept du chocolat frais.«Beaucoup de consommateurs n’imaginaientpas que la fraîcheur puisse également être uncritère dans le domaine du chocolat»,explique R. Siegl. Une tablette de chocolatindustrielle n’est généralement commerciali-sée que trois mois après sa fabrication et peuten principe être conservée pendant plus d’unan. En revanche, le chocolat frais de Läderacharrive dans les rayons quelques jours seule-ment après sa fabrication et doit êtreconsommé dans les six semaines. «C’est pourcela qu’il a plus de saveur!» précise Siegl. «Entant que confiseur traditionnel et profession-nel, nous pouvons profiter de nos circuits dedistribution courts et de nos recettes fraî-cheur pour offrir aux consommateurs unevéritable valeur ajoutée en matière de fraî-cheur par rapport aux grands producteursindustriels et, partant, pour nous démarquernettement sur le marché.»Pour donner vie à ce concept «fraîcheur»,Läderach a inauguré début 2008 sespremières confiseries de démonstration dansle magasin principal de Merkur de la Bahn-hofstrasse à Zurich, ainsi que dans celui de laSpitalgasse à Berne. Ces ateliers de produc-tion «live» côtoient les vitrines de vente quiregorgent de tentations sucrées, dont 24sortes de chocolat frais. En plein essor depuislors, ce dernier est même exporté par avionjusqu’à Tokyo, entre autres destinations. Que ce soit au Japon, à Taïwan, en Corée duSud, au Moyen-Orient, aux États-Unis ou enAllemagne, Läderach continue à développerles activités de la marque et les ventes B2B.Selon Siegl, d’autres magasins verront le joursous la forme de «centres de compétencespour la culture du chocolat suisse», danslesquels trois quarts de l’assortiment secomposeront de produits Läderach. Cettenouvelle orientation stratégique est facilitéepar le fait que l’entreprise glaronnaise n’estpas une inconnue dans les pays d’exportation.Läderach ayant réalisé ses premières activitésà l’étranger dès 1981, elle y dispose de parte-naires commerciaux et y a acquis une longueexpérience.

LäderachLa société Confiseur LäderachAG, dont le siège est à Ennendadans le canton de Glaris,emploie près de 800 personneset a réalisé, en 2010, un chiffred’affaires de CHF 120 millions.L’entreprise exploite des sitesde production en Suisse, enAllemagne et en Roumanie. Lesproduits Läderach fabriqués enSuisse sont commercialisés viales confiseries Merkur rachetéesen 2004 et comptant 30 pointsde vente en Suisse, et dans lemonde entier via des parte-naires B2B et ses propresmagasins. Depuis 2006, l’ancienmanager de Nestlé Ralph Siegloccupe le poste de directeurgénéral, le propriétaire de l’en-treprise Jürg Läderach étantCEO du groupe et président duconseil d’administration.Diplômé en sciences politiquesde l’Université de St-Gall et enéconomie politique de laLondon School of Economics,Ralph Siegl a travaillé à l’Officefédéral des affaires écono-miques extérieures (OFAEE) et aété membre de la direction deNestlé Australie et de NestléSuisse.

Un chiffre d’affaires

de CHF

120millions

Les quelque 2500 produits Läderach

sont fabriqués de façon largement

artisanale; seuls les processus ont été

standardisés au fil du temps.

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La voie de l’expansion est empruntéeavec prudence. Rien ne doit êtreforcé; les plans trimestriels ne fontpas partie de la panoplie d’instru-ments de l’entreprise familiale.

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La voie de l’expansion n’en est pas moinsempruntée avec prudence. Rien ne doit êtreforcé; les plans trimestriels ne font pas partiede la panoplie d’instruments de l’entreprisefamiliale. À Ennenda, on ne compte pas enmois, mais en années ou en décennies. Lesprojets reposent autant sur l’intuition que surun business plan financier. «Lorsqu’une idéerencontre un sol fertile et qu’elle débouchesur du concret, tant mieux; dans le cascontraire, une autre occasion se présenteraplus tard. L’important pour nous est de garan-tir la capacité financière et opérationnelle»,tel est le credo de l’entreprise selon RalphSiegl. En 1994, Läderach a voulu s’implanterà Paris et y a ouvert un magasin de vente audétail idéalement situé. Le projet s’est révélétrop ambitieux et a été interrompu après troisans. Dix ans plus tard, la reprise de Merkurn’en a été que plus réussie: les ventes auxparticuliers connaissent une croissance àdeux chiffres. L’approche organique s’étend à toute la struc-ture de l’entreprise. Aujourd’hui encore, lesquelque 2500 produits Läderach sont fabri-qués de façon largement artisanale; seuls lesprocessus ont été standardisés au fil dutemps. Dans l’usine d’Ennenda, les chaudronsen cuivre ne sont pas seulement décoratifs, onles utilise bel et bien. Les œufs sont battus à lamain, les lapins de Pâques sont peints, lesnoisettes sont grillées et caramélisées surplace. De nombreux employés travaillentdepuis des dizaines d’années dans l’entre-prise; on vient récemment de fêter un jubiléde 43 ans. «Nous formons une communautétrès soudée», explique Siegl, «les collabora-teurs s’engagent à fond pour l’entreprise.»Lorsque la demande a reculé à l’été 2009,Läderach a refusé de recourir au chômagepartiel – ce qui lui a permis de compter en2010, lorsque la production en plusieurséquipes a repris, sur l’«engagement total» deses collaborateurs. Lorsque Siegl est arrivé dans l’entreprise il y acinq ans, 170 personnes travaillaient au sièged’Ennenda. Il y en a aujourd’hui plus de 250.

Les confiseurs chevronnés ont été de plus enplus confrontés à de jeunes professionnelsvenus de l’extérieur, un processus qu’il ad’abord fallu maîtriser. Afin de faciliter l’inté-gration des anciens et des nouveaux, descours de management ont été organisés pourla première fois dans l’histoire de l’entreprise.«Nous devions trouver de nouvelles méthodespour établir un dialogue qui, auparavant,coulait de source», déclare Siegl. Des sémi-naires ont permis de définir ensemble lesvaleurs fondamentales prégnantes et éprou-vées par la tradition telles que l’amabilité, labienséance et le respect du travail en équipe,et d’élaborer sur cette base des lignes direc-trices. Celles-ci sont placardées – comme unerecette de friandises au chocolat – sur lesmurs des bâtiments et régissent également lesrelations avec les partenaires commerciaux.

Contrôler la chaîne de création devaleurÀ Bilten, dans le canton de Glaris, Läderachfait construire une usine de fabrication dechocolat de couverture. «C’est l’investisse-ment le plus important de l’histoire de l’entre-prise», nous confie Ralph Siegl. Ce projetdécoule du souhait d’une plus grande indé-pendance vis-à-vis des grands fournisseurs.Le nouveau slogan s’intitule «De la fève decacao au comptoir du magasin» et devraitgarantir la qualité tout au long de la chaîne decréation de valeur et soutenir la marque àlong terme. «En fabriquant nous-mêmes lechocolat de couverture, nous pourrons asso-cier les fournisseurs de matières premières auprocessus de production et imposer desnormes sociales et écologiques.»Un modèle est déjà en place: deux Suissesexpatriés au Brésil ont établi à Bahia, au cœurde la forêt tropicale, une plantation dont lecacao biologique est transformé en chocolatde couverture pour Läderach. Les Glaronnaisl’utilisent pour créer un assortiment spécialcomposé de carrés extrafins, de truffes et dechocolat frais. Que le caractère durable de cemagicien du palais ne soit déclaré nulle partn’est pas un oubli, mais une décision bienréfléchie: «Nous n’avons pas besoin de certifi-cat pour attester de notre savoir-vivre dansnos rapports avec les gens et l’environne-ment», expliquent à l’unisson le directeurgénéral Ralph Siegl et le patron Jürg Läderach. «Chez nous, cela va de soi.»

Planification de la successionDans l’entreprise familiale Läderach, la passation depouvoir de la deuxième à la troisième génération est prépa-rée de longue date. L’actuelpropriétaire, Jürg Läderach, estl’un des quatre descendants deRudolf Läderach, qui a fondél’entreprise en 1962. Les sixenfants de Jürg Läderach sontdéjà associés en partie à l’ex-ploitation de l’entreprise fami-liale: le fils aîné étudie à l’Univer-sité de St-Gall et effectue diffé-rents stages dans l’entreprise,un autre fils est confiseur ettravaille au sein du service dedéveloppement et l’une de sesfilles effectue un apprentissagedans l’entreprise. En attendantque les enfants soient à mêmed’assumer la responsabilitéopérationnelle, Ralph Siegl a été nommé directeur général. Illui incombe notamment d’inté-grer la nouvelle génération dansl’entreprise.

Fondée en

1962

ceo dossier 2322 ceo dossier

Les valeurs fondamen-tales pré-gnantes etéprouvées par la tradi-tion telles que l’amabi-lité, la bienséance et lerespect du travail enéquipe ont été définies et des lignes directricesélaborées sur cette base.

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«Chaque relation a un objectif»La Swiss-American Chamber of Commerce (Amcham)est considérée comme le réseau économique suisse le plus important. Son CEO, Martin Naville, parle deson rôle au sein de la Chambre, de l’art d’entretenir desrelations et de l’importance des réseaux virtuels.

dossier valeursMartin Naville

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ceo dossier 27

Monsieur Naville, 40 CEO et responsa-bles européens d’entreprises d’enver-gure font partie du Comité de l’Am-cham. Quelle est la nature de vos rela-tions avec les membres de la Chambre?Les relations permettent d’ouvrir des portes etconstituent donc un moyen d’atteindre unobjectif. Je peux envoyer un message auxmembres et je sais qu’ils le liront. Je trouveextrêmement important de toujours avoir uneporte ouverte. Je peux ainsi entamer ledialogue avec la plupart des membres lorsquele thème s’y prête.

Quand est-ce le cas?Lorsqu’il sert notre cause, à savoir la promo-tion des relations économiques helvético-américaines et des conditions d’implantationdes entreprises internationales en Suisse.

Cela semble très rationnel. C’est effectivement le cas. Chaque relation aun objectif, et elle doit être utilisée exclusive-ment dans ce but. Si votre dentiste veut vousvendre une voiture, il abuse de la relationqu’il a avec vous. De même, je ne peux pas memettre soudainement à collecter de l’argentpour l’Afrique au sein du Comité. Tant quej’entretiens une relation objective et efficace,elle reste ouverte; si ce n’est plus le cas, elles’interrompt. Avec des amis, il est possibled’aborder un thème inapproprié; dans lesrelations commerciales, cela ne passe pas.

Vous n’entretenez pas de relationsd’amitié avec des membres de la Chambre?Il y a différents degrés. Chez certains, le butde la relation est très restrictif; chez d’autres,il est plus large et une amitié peut alorsnaître. On m’a souvent conseillé, compte tenude mon réseau de relations, de me mettre à

mon compte et de vendre quelque chose. Bienentendu, cela ne marcherait pas. Mes rela-tions sont celles de la Chambre de commerce,et non les miennes.

En d’autres termes: vos relationsdépendent de votre fonction et non devous en tant qu’individu. N’est-ce pasquelque peu impersonnel?Non. J’ai de la famille et des amis qui meresteront proches même si je change de job.Auparavant, j’étais conseiller d’entreprise etje sais ce que signifie devoir forcer la portedes antichambres pour vendre quelque chosedont le patron ne veut peut-être absolumentpas. Ce que je vends dans ma fonctionactuelle fait l’unanimité: la vision d’une rela-tion économique basée sur le partenariatentre la Suisse et les États-Unis et d’un site (laSuisse) idéal pour les entreprises internatio-nales. Je suis toujours le même homme mais,aujourd’hui, j’ai directement accès au CEO.

Les CEO Luncheons que vous organisezsont devenus l’une des plates-formesles plus appréciées pour débattre dethèmes d’actualité. En dehors du thèmelui-même, quelle est l’importance de cegenre de réunions pour tisser desréseaux? L’aspect social de ces événements est précieuxcar les dirigeants sont, dans le fond, trèsisolés. Ils sont occupés toute la journée avecdes gens qui veulent obtenir quelque chosed’eux: clients, collaborateurs, membres duconseil d’administration, analystes, syndicats,journalistes. Nous leur offrons un cadre danslequel ils se retrouvent entre pairs.

Le small talk fait-il partie de ce cadre?Si oui, quel est l’art du small talk?J’aimerais bien le connaître. Il est ennuyeuxde parler de la pluie et du beau temps. Unequestion professionnelle, l’intérêt pour l’en-treprise, les voyages ou le sport sont de bons

AmchamAvec plus de 2500 membres, laSwiss-American Chamber ofCommerce (Amcham) fait partiedes réseaux d’affaires les plusimportants du pays. Sa caracté-ristique est le haut niveau hiérar-chique de ses membres: lesdirigeants des groupes s’enga-gent personnellement dans l’or-ganisation. Le Comité, présidépar Michael Mack, CEO deSyngenta, compte 40 CEO ouresponsables européens desplus grandes entreprisessuisses et américaines. Outrel’entretien des relations écono-miques et la mise à dispositiond’informations et de servicespour ses membres, la Chambrede commerce est devenue l’undes principaux forums pourdébattre de thèmes d’actualité.Le secrétariat zurichois, quicompte sept collaborateurs, estdirigé par Martin Naville.

2500membres

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sujets pour amorcer une conversation. Onessaye d’échanger des connaissances et detrouver un dénominateur commun.

Quelle est, pour vous, la valeur de cetype d’entretiens?Leur valeur réside dans les «nuggets», dansces petites parcelles d’information que l’onreçoit et qui peuvent servir à un moment ou àun autre. Souvent, le temps manque pourapprofondir un thème, mais il suffit pourapprendre quelques détails intéressants.

Avez-vous un système pour nouer vosrelations?Pas vraiment. Je sélectionne les cartes devisite et je saisis les plus intéressantes dansmon PDA. Je jette les autres. La listecomprend environ 3000 noms. Je ne fais paspartie des gens qui mettent constammentleurs contacts à jour avec de nouvelles infor-mations.

On vous rencontre souvent lors d’évé-nements qui n’ont aucun rapport avecl’Amcham. Comment les choisissez-vous?Si l’événement m’intéresse et si j’ai du temps,je m’y rends. Les réseaux sont comparables àdes liaisons neuronales qui évoluent enpermanence. Chaque année, 50% disparais-sent et il faut les renouveler. Chez moi, cela sefait essentiellement en participant à desmanifestations. C’est ainsi que l’on voit et quel’on entend beaucoup de choses.

Il faut avoir cela dans le sang. Certainement, mais il faut que cela procuredu plaisir! Je ne considère absolument pas cetexercice comme une obligation. Je suiscontent d’échanger des idées avec messemblables, d’aborder des thèmes et d’endébattre. Certains rassemblent leurs idées enlisant ou en se promenant, moi j’assiste à desmanifestations.

Quelle est l’importance des potins en lamatière? Ils jouent un rôle, mais toujours par rapport àl’objectif. Il s’agit de savoir qui a un nouveaujob et non de savoir qui est en train de divor-cer. J’évolue dans un environnement d’af-faires et je reste à ce niveau.

Vous ne savez donc pas ce qui occupe lesgens en privé?Je sais souvent combien d’enfants a l’un ou àquel endroit habite l’autre; cela fait partie dela carte de visite. Mais les affaires privées neme concernent pas, et nous n’en parlons paslors de nos rencontres. Lorsque le thème de laconversation est d’ordre privé, nous restons àun niveau non émotionnel. Nous parlons debons vins ou de ski, mais non de problèmesrelationnels.

Les Suisses sont considérés commeréservés et ne sont donc pas desmodèles pour le travail en réseau. LesAméricains ont beaucoup plus de faci-lité à nouer des contacts. Que savent-ilsmieux faire?Les conditions sont différentes: aux États-Unis, on change souvent de lieu de résidencedès l’enfance et on sait donc ce qu’arriverdans une nouvelle classe ou un nouveaugroupe signifie. Les relations sont moinsstables et plus perméables que chez nous, enSuisse, où la plupart des gens grandissent aumême endroit. Mais même si le premiercontact entre Américains est plus ouvert etplus spontané que chez nous, cela ne signifiepas pour autant qu’une amitié naîtra par lasuite. Les Suisses ne le comprennent pastoujours.

Quel rôle jouent les réseaux sociauxcomme Facebook et d’autres dans voscontacts?Un rôle limité. Je suis sur plusieurs plates-formes que j’utilise essentiellement pourrechercher des contacts. Le courrier électro-nique et le téléphone sont les solutions lesplus simples de communication directe.

Le nombre de contacts augmente defaçon vertigineuse avec les réseauxvirtuels. Dans le même temps, cescontacts deviennent plus fugitifs.Quelle influence cela a-t-il sur l’entre-tien des relations? Les réseaux virtuels permettent de cultiver uncercle de relations extérieures que l’on pour-rait difficilement entretenir autrement. Il estpossible d’être un peu en contact avec davan-tage de gens. Mais les véritables rapports ontencore lieu en direct. Déjà, au moment de l’in-vention du téléphone, on prédisait la fin desrelations personnelles, mais il ne s’est rienproduit de tel. Vous continuez à dîner lesamedi soir avec les personnes qui vous sontimportantes.

Martin Naville Martin Naville, juriste, a pris ladirection de la Swiss-AmericanChamber of Commerce à l’au-tomne 2004. Il avait auparavanttravaillé pendant 16 ans pour lasociété de conseil d’entreprisesThe Boston Consulting Group(BCG) à Munich, Zurich et NewYork, en tant que spécialiste engestion de patrimoine et en télé-communications. Il est présidentdu conseil d’administration duZoo de Zurich et membre duconseil d’administration deSwissquote et de Lombard. Deplus, il est membre du RotaryClub, du Savoy Club, de lacorporation Zur Meisen et ducomité «Weltoffenes Zürich». Ilest marié et père de deux fils.

«Les véritablesrapports ont

toujours lieu endirect.»

«Ce que je vends: la vision d’une relation économique basée sur le partenariat entre laSuisse et les États-Unis.»

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Soins médicaux La redéfinition du système de santé: une chance pour l’esprit d’entreprise

Le système de santé est malade.Le financement des soins médi-caux est à l’ordre du jour des poli-tiques dans tous les pays indus-trialisés. La crise financière a faitprendre l’ascenseur aux dettespubliques, amplifiant ainsiencore l’urgence d’une réformedu système de santé.En 2008, les dépenses de santédans les pays de l’OCDE représen-taient en moyenne 9% du produitintérieur brut (PIB). En Suisse,leur part était même de 10,8% –tendance en hausse: l’Institut derecherche conjoncturelle (KOF,Konjunkturforschungsstelle) del’EPFZ table sur une part de11,5% pour 2009 et 2010.Le système de santé n’est passeulement financièrementatteint. Il souffre aussi d’hyper-tension due aux attentes qui seconcurrencent. Le public aspire àun accès simple et rapide ausystème, à une qualité élevée des

soins médicaux, à une attentionpersonnalisée dans les cabinets etles hôpitaux, à une informationimmédiate sur le déroulement dela maladie et de la guérison et,parallèlement, à des coûts bas.Autant de revendications que lemodèle actuel ne peut satisfaire.

Des campagnes de préven-tion contestablesQu’entend-on exactement parsystème de santé? Et qui sont lesacteurs du marché? Le secteur dela santé est extrêmement large etprotéiforme. Du fait de son carac-tère essentiellement public, il estfortement réglementé et marquépar une sensibilité sociale exacer-bée. Il s’agit en effet d’un secteurqui vise un bien très particulier:la vie. Les différents acteurs dumarché peuvent bien suivre desintérêts contradictoires et fixerdes priorités différentes, maisune chose les lie: la volontéd’avoir des soins médicaux dequalité, le souhait de maintenir la vie. Il est d’usage de distinguer désor-mais trois groupes d’acteurs dumarché. En anglais, on parle destrois P:

• les «payers», c’est-à-dire ceux qui financent le système de santé. Il s’agit des États, des caisses maladie et de leurs assurés, des contribuables et des patients;

• les «providers» ou prestataires, tels que les hôpitaux, les médecins et les pharmacies;

• le secteur «pharmaceutique» au sens large, c’est-à-dire étendu aux entreprises de biotechnologie et de technique médicale.

Les instituts universitaires pour larecherche médicale constituentd’autres acteurs du marché, toutcomme les interfaces existantes –qui depuis peu se développent demanière accrue – avec l’industriealimentaire et le secteur de laremise en forme. L’importance deces acteurs de niche augmenteparallèlement à la conscienceplus aiguisée en faveur d’unmode de vie plus sain. Cela sonne bien: prévention de lasanté par le biais de l’alimenta-tion et de l’activité physique. Enréalité, seule une mince couchesociale, privilégiée par sa forma-tion et son revenu, manifeste lavolonté d’organiser son mode devie en conséquence et est en

Le système de santé du futur sera centré sur l’individu. Chacun sera le gestionnaire de sonpropre profil sanitaire. Les fournisseurs deprestations médicales devront s’habituer à denouveaux types de relations – avec leurs clientset entre eux.

00 ceo wertvolles wissen

Clive Bellingham, Life Sciences

ceo 1/2011 Valeur ajoutée

Soins médicaux Redéfinition du système de santé Page 29

Un marché du travail mondialiséStratégie RH et gestion des talents: une affaire de chef Page 32

Maîtriser les conflits Gouvernance et entreprises familiales Page 36

Max Manuel Vögele Assurer la pérennité de l’entreprise Page 39

ServicePublications et formation Page 41

28 ceo valeur ajoutée

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ceo valeur ajoutée 3130 ceo valeur ajoutée

mesure de le faire. Les campa-gnes de prévention menées àgrands frais par les gouverne-ments, les pouvoirs publics et lescaisses maladie rencontrent peud’écho auprès de larges cercles dela population. Pourtant, diversesétudes le révèlent clairement: lesystème de santé du futur atten-dra de chaque patient qu’ilassume une responsabilité plusgrande face à sa santé.

Un facteur gris efficace Deux évolutions majeures ren-dent indispensable une réformedu système de santé: l’allonge-ment de l’espérance de vie etl’augmentation des maladieschroniques. Le facteur démographique est unmoteur de coût déterminant, etce, pour deux raisons: commepour le système de rente, demoins en moins de jeunes assuréssains assument les coûts de soindes personnes plus âgées dont lesrevenus et donc la participationau système de santé tendent àdiminuer. Quatre cinquièmes desplus de 75 ans prennent au moinsun médicament prescrit. Ce quel’on appelle le facteur grisaugmentera de plus en plus lescoûts des soins médicaux. Maisl’augmentation des maladieschroniques incurables est sansdoute encore plus grave. Lessoins à vie de malades chroniquesentraînent une explosion descoûts de la santé.

Pression des coûts contrepression des attentesAlors que l’on pourrait penserque la hausse de la demandepromet un avenir prospère ausecteur pharmaceutique, cetteaffirmation ne se vérifiera cepen-dant pas dans la pratique. Eneffet, la hausse des prix, dont laplus grande partie ne concernepas la recherche mais la phaseultérieure du développement desmédicaments, touche le secteurde la santé dans son ensemble etprincipalement les entreprisespharmaceutiques. En tant qu’en-treprises d’envergure mondiale,les groupes pharmaceutiques seheurtent aux limites des systèmesde santé nationaux. Une prépara-tion autorisée par l’autorité sani-taire des États-Unis, la FDA, peutêtre commercialisée sur lemarché américain, le plus impor-tant du monde, mais pas dansd’autres pays. Dans l’UE, laplupart des médicaments ne relè-vent pas du principe «Cassis deDijon» car la santé publiqueprévaut sur l’abolition desbarrières commerciales tech-niques. La nécessité de procéduresd’agrément est indiscutable, maisl’éclatement des divers marchésnationaux entraîne un gaspillagede précieuses ressources. Nuldoute que, si les entreprises phar-maceutiques investissaient les

fonds nécessaires à la chasse auxagréments dans les laboratoiresde recherche fondamentale, lespatients en tireraient davantageprofit. C’est précisément le pointd’achoppement entre la pressiondes coûts et la pression desattentes: les patients veulent desmédicaments efficaces et sûrs,tout de suite. Les procédures etles prescriptions réglementairesreflètent cet intérêt – mais audétriment de la vitesse. La sécurité en matière de médica-ments est cependant une illusion.Les effets secondaires peuventêtre réduits mais pas éliminés. Deplus, il n’est pas possible d’incluredans les tests cliniques les effetssecondaires dus à des facteursexogènes, comme la prise d’au-tres préparations. Enfin, certainspatients sont sciemment disposésà supporter des effets secondairespour autant que le médicamentatténue leur principale souf-france.

Le patient, détenteur de lasolutionLes raisons justifiant le besoinaccru de moyens pour larecherche médicale sont diverses.L’une d’elles est que les maladiesrares nécessitent elles aussidavantage de fonds. Une autreréside dans le besoin de différen-ciation de la recherche en fonc-tion des groupes de patients.Tous les organismes ne réagissentpas de la même manière auxmédicaments. Les scientifiques

répartissent donc les patients enpopulations affichant des profilsgénétiques, comportementaux et socioéconomiques similaires.Les processus thérapeutiques etdiagnostiques sont regroupésdans ce but. Cette approche estun pas important vers un traite-ment médical «orienté client»,c’est-à-dire qui prend davantageen compte les besoins spécifiquesdu patient. Pour de nombreux spécialistes,cette personnalisation dusystème de santé est très promet-teuse. La clé de la réussite setrouve dans la disposition despayeurs, des prestataires et desentreprises pharmaceutiques àréexaminer le partage des rôles.

Les patients: ils devront à l’ave-nir jouer un rôle plus actif. Celapasse aussi par la gestion duprofil de santé propre à chacun,notamment en matière deprévention des maladies par l’ali-mentation et le mode de vie. Lesattentes envers chaque patientaugmenteront avec ce nouveaurôle: il devra respecter son profilde risque, s’en tenir, en cas demaladie, strictement à la pres-cription (aspect aujourd’huifortement sous-estimé) et resteren contact avec les médecins etles cliniques par le biais demoyens de communication inter-actifs tels qu’Internet. On pour-rait également imaginer un finan-cement individuel, comparable àcelui des caisses de pension:chaque citoyen aurait un comptede santé individuel qu’il alimen-terait pendant la période où iltouche un revenu et au moyenduquel il pourrait couvrir sescoûts de santé personnels durantsa vieillesse. Ce modèle revien-drait bien sûr à briser un tabou,car cela sonnerait le glas dufinancement solidaire. Desformes mixtes de financementpourraient aussi être imaginées.

Régulateurs et gouverne-ments: les États doivent se livrerà un exercice d’équilibrisme entreles exigences sociales, la situation

du marché et le contrôle descoûts de santé. Aujourd’hui, despartenariats et des coopérationsentre l’État et l’économie privéevisant à créer une chaîne de soinsefficiente et transparente dans lesecteur de la santé doivent êtredéveloppés. Et c’est précisémenten raison du grand nombre defacettes que recouvre ce secteurqu’un regard global sur lesystème est nécessaire. Le fran-chissement des frontières natio-nales, voire régionales, doit êtrefacilité pour permettre des coopé-rations efficaces. Alors que larecherche industrielle et larecherche universitaire se font àl’échelle mondiale, le système desanté relève toujours du domainenational. Prenons l’exemple deshôpitaux: l’hôpital demeure lesymbole d’un système de santé àancrage régional. Pourtant, leshôpitaux d’aujourd’hui ne sontplus aptes à traiter l’arrivéemassive de souffrances chro-niques. La tendance est à laspécialisation. Les coûts et lescapacités ne permettent pas àchaque hôpital de pouvoir traitertoutes les maladies.

Le secteur pharmaceutique:le secteur est confronté à unediminution galopante desmarges. Aux États-Unis, les inves-tissements de l’industrie pharma-ceutique dans les activités derecherche et développement ontatteint, en 2009, le montantrecord de USD 65,3 milliards. Parrapport à cette dépense, le tauxde percée réussie de nouveauxmédicaments est pour le moinsmodeste: au cours de la mêmeannée, la FDA n’a autorisé que 25nouvelles entités moléculaires(New Molecular Entities) etpréparations biologiques (Biolo-gics). Les chiffres illustrent unedouble réalité: d’une part, l’in-dustrie pharmaceutique tire laplus grande partie de ses revenusde produits qui sont depuis uncertain temps sur le marché etsont donc susceptibles de perdrela protection que leur assure lebrevet. De l’autre, l’écart entre lesdépenses de R&D et les nouvellesautorisations souligne que les

Contraste entre dépenses et succès par anAux États-Unis, les investissements de lʼindustrie pharmaceutiqueont atteint en 2009 le montant record de USD 65,3 milliard. Au coursde la même année, seules 25 nouvelles entités moléculaires etpréparations biologiques ont été autorisées.

procédures d’agrément – euégard à l’objectif de sécuritémentionné en introduction –deviennent toujours plus sévères.Mais les chiffres indiquent égale-ment que les entreprises pharma-ceutiques pourraient suivre desvoies plus efficientes dans larecherche. L’échange de donnéesde base est manifestement undomaine qui offre des opportuni-tés de collaboration.

Dans le système de santé dufutur, la communication et latechnologie de l’informationjoueront un rôle-clé. Le patient setransformera en client de mieuxen mieux informé. Dans ledomaine de la santé comme danstous les autres secteurs, il estnécessaire de segmenter la clien-tèle, de connaître ses préférenceset de lui offrir les produits et lesservices qu’elle attend. Lesmoyens informatiques offrentune plate-forme d’éducation etd’information en matière desanté. Ils ouvrent en outre despossibilités de télétraitement,notamment dans le contrôle de laprise de médicaments ou dans lasurveillance du processus deguérison à domicile. Des entre-preneurs créatifs sauront tirerprofit de la dynamique du chan-gement dans le système de santé.

[email protected]

ConclusionUne meilleure communica-tion entre les médecins, leshôpitaux et le secteur phar-maceutique en matière dediagnostics et de traite-ments aide à trouver dessolutions sur mesure pourdifférentes populations depatients et pourrait mêmeaccélérer le développementde nouvelles préparations.En cette époque de rapidemutation, ce qui vaut pourd’autres secteurs s’appliqueégalement à celui de lasanté: les investissementsdans des points d’accèsvirtuels, dans des réseaux etdans la télémédecine pour-raient se révéler plusadéquats que ceux dans lapierre et le béton.

USD

65,3milliards pour

la recherche et le développement

25agréments

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ceo valeur ajoutée 3332 ceo valeur ajoutée

La «course aux talents» annoncéeil y a plus de dix ans n’a vu quetrès peu de vainqueurs. C’est cequi ressort de la dernière AnnualGlobal CEO Survey, une enquêteconduite par PwC auprès dequelque 1200 CEO dans 70 pays.La question des talents est en têtede liste dans l’agenda des chefsd’entreprise. 56% des CEO voientdans le déficit en talents unrisque commercial significatif. Lapénurie de personnel concerneessentiellement les marchés decroissance. Il n’est donc pas éton-nant que plus de la moitié desCEO prévoient de nouvellesembauches pour 2011 et que plusde 80% d’entre eux (92% enAsie) aient l’intention de réorga-

niser la gestion des talents dansleur entreprise. Mais pour sedémarquer durablement, ilfaudra faire preuve de créativitéet d’innovation.

La fin des vieux modèles De nombreuses entreprises dansles pays développés, et unnombre croissant dans lesmarchés émergents, se trouventconfrontées à un défi majeur: dufait de l’évolution démogra-phique, le nombre des départs decollaborateurs âgés dépasse celuides jeunes collaborateurs enga-

gés. Les anciens, dont le savoirrésulte de longues années d’expé-rience, l’emportent très souventavec eux sans qu’il soit préalable-ment suffisamment documentéau sein de l’entreprise. À lalongue, ce type d’évolution peutaffaiblir la productivité d’écono-mies entières. C’est pourquoi lesentreprises devraient tout mettreen œuvre pour conserver leurscollaborateurs expérimentés leplus longtemps possible et veillerà garantir un transfert de savoiractif au sein de l’entreprise. Lesnouvelles technologies (wikis,webcasts, etc.) ont ici un rôleimportant à jouer, tout commeles collaborateurs retraités quipeuvent intervenir en tant queconsultants. La jeune génération qui arrivedans la vie active – la générationY des 18–30 ans – a d’autressystèmes de valeurs que les géné-rations précédentes. Durabilité etengagement social comptentpour beaucoup dans le choix del’employeur. Les jeunes collabora-teurs accordent également unevaleur élevée à l’équilibre vieprofessionnelle/vie privée. Siréussite et reconnaissance dans lemétier sont indiscutablement

Un marché du travailmondialiséPlanification stratégique du personnel et gestion destalents: une affaire de chef Un déficit en personnel qualifié peut affecter la mise en œuvre de la stratégie de croissance d’une entreprise. Pour éviter d’enarriver là, il est nécessaire de recourir à de nouveaux modes decollaboration auxquels des formes d’organisation efficientes en ressources humaines (RH) peuvent apporter un soutien par-delà les frontières.

Charles Donkor et Stefan Linde,Human Resource Consulting

Les CEO planifient de nouvelles stratégies RH

14th Annual Global CEO Survey de PwC:

PwC interroge depuis 14 ans des CEOdans le monde entier sur ce qu’ils pensentde la situation économique. La dernièreAnnual Global CEO Survey révèle les stratégies de croissance adoptées par leschefs d’entreprise après la crise écono-mique et financière. Plus de 1200 CEOont été interrogés dans 70 pays. L’enquêtemontre des résultats optimistes: les CEOont pratiquement retrouvé leur niveau deconfiance d’avant la crise. Ils concentrentleur stratégie de croissance sur l’innova-tion et la gestion des talents.

Les principaux résultats concernant la gestion desressources humaines sont les suivants:

• les CEO sont convaincus que leurs stratégies RH ne sont plusappropriées. 83% envisagent de les modifier;• les CEO voient un risque de déficit en bons collaborateurs encas de reprise durable. Ils sont inquiets à l’idée que les capacitésdans leur entreprise pourraient ne plus répondre correctementaux exigences. 66% craignent qu’une pénurie de talents freine lacroissance; • plus de la moitié des CEO prévoient d’envoyer davantage decollaborateurs à l’étranger où ils assumeraient un rôle importantdans la formation des employés régionaux. Les comportementsen matière de mobilité sont appelés à changer fortement: denombreuses personnes bien formées dans les pays émergentsrecherchent des possibilités de carrière en dehors de leur paysd’origine. Les entreprises entendent tirer parti de ce potentiel; • les CEO recourent à des plans pour accroître l’engagement deleurs collaborateurs et leur propension à rester dans l’entreprise.65% des CEO interrogés élaborent de nouveaux modèles nonfinanciers de promotion de carrière.

Les résultats de l’Annual Global CEO Survey font également ressortir ce qui ne fait pas partie du planning des entreprises:

71% des dirigeants interrogés n’envisagent pas de délocaliserdes activités vers des pays disposant d’un plus grand réservoir detalents. Plus de la moitié des CEO n’ont pas l’intention de créerdes incitations spécifiques pour les jeunes employés. Ils ne voientpas davantage la nécessité de prendre des mesures particulièrespour fidéliser les femmes ou les collaborateurs plus âgés.

La «chaîne d’approvisionnementen talents» mérite le mêmeprofessionnalisme que celuiapporté par les entreprises dansd’autres domaines de la créationde valeur. Les CEO visionnairesen sont conscients, comme entémoigne l’Annual Global CEOSurvey. Ils mettent tout en œuvrepour transformer leur gestion destalents en véritable avantageconcurrentiel.

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ceo valeur ajoutée 3534 ceo valeur ajoutée

système de valeurs adéquat estun facteur de succès décisif pourl’entreprise. C’est pourquoi lastratégie RH doit être solidementintégrée dans la stratégie globalede l’entreprise. L’horizon enmatière de stratégie et de planifi-cation des talents doit doncconcorder avec celui de la planifi-cation stratégique dans sonensemble et porter sur une duréede trois à cinq ans. La segmentation adéquate de l’ef-fectif est également un élémentessentiel de la gestion du person-nel. Tous les collaborateurs nesont pas impliqués au même titredans le succès de l’entreprise,tous n’ont pas les mêmes besoinset tous ne réagissent pas demanière identique auxprogrammes RH (p. ex. systèmesd’incitation). La planificationstratégique du personnel, liée àune segmentation intelligente,est donc le fondement d’unebonne stratégie des talents. Pourla mettre en œuvre, la gestion desRH joue un rôle central.

Bien accompagner les trans-formationsPour pouvoir mener à bien lastratégie RH et la gestion destalents dans le sens décrit ci-dessus, les entreprises ont besoinde départements RH organisés enconséquence. Ces derniers nedoivent pas se heurter aux fron-tières du pays ou d’un secteurmais, en fonction de l’orientationde l’entreprise, être en mesured’agir au niveau international.Les transformations au sein desRH jouent ici un rôle central: lesrôles au sein de l’entreprisedoivent être répartis entre rôlesstratégiques (Centers of Exper-

tise), administratifs (SharedServices) et consultatifs (Busi-ness Partner). Ces remaniementsnécessitent une planificationclairvoyante et entraînent desadaptations profondes de l’orga-nisation, des processus, de latechnologie de l’information, etsurtout des méthodes de travail.Une nouvelle répartition descompétences et des secteurs deresponsabilité ainsi qu’un remo-delage des structures de pouvoirssont inévitables. De telles modifi-cations impliquent une évolutiondes mentalités tant au sein desdépartements RH que chez lesresponsables des différenteslignes de service et devraient êtreaccompagnées de mesuresstrictes de gestion des change-ments. Toute gestion des changements apour objectif suprême de garantirdurablement le succès du projet.Les relations entre l’entreprise etles différents collaborateurschangent avec chaque nouveauté.Le succès de transformationscomplexes – dans les RH ou dansd’autres secteurs de l’entreprise –dépend en grande partie de l’im-plication active des collabora-teurs dans le processus de chan-gement, lequel offre la possibilitéd’aborder en amont les incerti-tudes, les craintes et les opposi-tions et de les éviter à long terme.En matière de gestion des chan-gements, les approches de typepurement top-down sont vouéesà l’échec. La direction de l’entre-prise doit communiquer les chan-gements suffisamment tôt etinformer les collaborateurs entoute transparence et de manièreouverte sur les objectifs poursui-vis sans occulter les aspects éven-tuellement perçus comme néga-tifs. Dans certaines circonstances,il peut être judicieux de recourirà un sponsor qui s’engage pour le

Conclusion«Les collaborateurs sontnotre principale ressource»:une phrase que l’on re-trouve dans d’innombra-bles rapports d’entreprise.On dirait une formule toutefaite, et pourtant elle estvraie. Mais pour atteindreson effet, elle doit êtrenuancée et expliquée, fautede quoi elle prend rapide-ment une tonalité négative.Dans un monde du travailbasé sur le savoir, la réus-site de l’entreprise dépendessentiellement des collabo-rateurs. La «course aux ta-lents» souvent citée adémarré et s’accélèrera en-core sous la poussée del’évolution démographiqueet de l’individualisation dumarché du travail. La ges-tion des RH devient de plusen plus une affaire de chef.

projet, et en renforce ainsi lacrédibilité. Lorsqu’ils induisent des innova-tions durables, il est particulière-ment important que les projetscomplexes soient accompagnésd’une gestion efficiente des chan-gements. De nombreux outils etméthodes sont désormais capa-bles de tenir compte des besoinsdes collaborateurs concernés. Ilpeut s’agir d’une communicationclaire, de coaching ou d’uneformation complète. Il estsouvent difficile d’estimer correc-tement la charge que représentela gestion des changements dansles projets. L’expérience montreque la gestion des changementset la communication représentent10 à 15% de l’ensemble des coûtsd’un projet. Une valeur indicativedont il faut tenir compte dans lescalculs. L’accompagnement duchangement garantit la réussitede la transformation des RH qui,à son tour, est une condition de lacroissance. Le chef d’entrepriseest mis à contribution aux troisniveaux.

[email protected]@ch.pwc.com

importantes, nombreux sont ceuxqui souhaitent préserver en paral-lèle un espace pour leurs projetspersonnels, le sport, les voyages,leur style de vie. Ainsi que desétudes l’attestent, ce sont surtoutles jeunes collaborateurs qualifiésqui déclarent ne souhaiter resterque deux ou trois ans auprès d’unmême employeur. Pour attirer etretenir les talents, les entreprisessont contraintes de répondre auxaspirations individuelles. Lemarché du travail devient de plusen plus un marché des employés– une évolution déjà observabledans certains secteurs (p. ex. leprivate banking). À l’avenir, si elles veulent gagneren souplesse et en innovation, lesentreprises ne devront pas seule-ment introduire des hiérarchiesde gestion plus plates, mais aussiappliquer des modèles d’affairesnovateurs et agir au sein deréseaux ouverts et très ramifiés(Ecosystems ou Open InnovationNetworks). Cette situation peutentraîner un changement fonda-mental de la manière dont lescollaborateurs et les dirigeantscoopèrent. Les entreprises floris-

santes se démarqueront toujoursplus par une gestion collaborativedans laquelle le chef devient uncoach, un véritable entraîneur.Les plates-formes de collabora-tion (réseaux sociaux) devien-nent partie intégrante de lagestion du savoir et de laconduite d’équipes, ce quisoulève de nouvelles questions:comment, par exemple, mesurerla performance des collabora-teurs dans des réseaux ouverts?Comment créer des incitationsefficaces et judicieuses?Comment une entreprise peut-elle encourager l’innovationgrâce à de nouveaux modèles detravail?Une autre tendance se manifeste:l’individualisation au travail.Aujourd’hui, les collaborateurs sesatisfont de moins en moins desprogrammes RH standard (p. ex.dans la planification de leurcarrière). Ils revendiquent unsuivi personnalisé et la possibilitéde choisir. Désormais, ce n’estplus le collaborateur qui s’adapteaux programmes du personnel,mais les programmes qui doiventrépondre à ses exigences. Bonnombre d’entreprises ont cepen-dant investi par le passé beau-coup de temps et d’argent dans lastandardisation de processus. De

ce fait, elles sont tenues derestreindre la marge d’actionindividuelle pour des raisons decompliance et de risque. Dans cechamp de tension, entre indivi-dualisation et standardisation, ilfaut donc être actif et créatif.

Repenser et redéfinir les RHQuelle est la bonne dose de diver-sification de l’effectif? Répondreà cette question est une tâche-clépour la direction de l’entreprise –en particulier dans un environne-ment basé sur le savoir. Un effec-tif est optimal lorsque:

• l’entreprise peut agir avec souplesse et réagir rapidement aux nouvelles conditions du marché;

• l’effectif réunit toutes les quali-fications importantes pour l’entreprise;

• les collaborateurs s’identifient à l’entreprise et ont envie de se montrer performants.

Le fait de disposer au bonmoment d’un nombre suffisantde collaborateurs qualifiés etd’un réseau de partenaires ayantdes bonnes qualifications et un

Pour plus d’informations:• www.pwc.ch/hrs • 14th Annual Global CEO

Survey 2011 www.pwc.ch/ceosurvey

• Étude PwC «Managing People in a Changing World», 2010

• Étude PwC «Managing tomorrow’s people. The futureof work to 2020», 2007www.pwc.ch/publications

Attirer des talentsDe quelles compétencesavons-nous besoin etcomment les gagner?

Optimiser les talentsComment former lescollaborateurs pour lesaffecter au mieux?

ProgrammeComment optimiser lesprocessus de travail?

L’évolution démographique

conduit à des effectifs sur quatre

générations.

De nouveaux modèles d’affaires

requièrent un autre mode de gestion et de collaboration.

L’individualisation de l’économie

exige de nouveaux modèles

de travail.

La mondialisationappelle la mise en

œuvre de stratégies et de processus à l’échelle

internationale.

Le monde du travail est désormais durablement marqué par les évolutions suivantes:

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ceo valeur ajoutée 3736 ceo valeur ajoutée

de principes, de méthodes et depréceptes servant à sa gestion et àson contrôle. En d’autres termes,de gouvernance. Généralement,on parle d’exigence de «GoodGovernance» à propos de grandesentreprises cotées. Rien d’éton-nant donc à ce que soit apparuel’idée de renforcer les droits desactionnaires et d’éviter lesconflits entre les propriétaires etla direction de l’entreprise. LaCorporate Governance préserveles «Checks and Balances». Elledéfinit les responsabilités etlimite les luttes de pouvoir.

Corporate Governance etFamily GovernanceDans les entreprises familiales, ils’agit moins de limiter le pouvoirdu management que l’influencede la famille, laquelle ne doit pasrestreindre la capacité d’agir del’entreprise. Les entreprises fami-liales fonctionnent selon desmécanismes différents de ceux

Maîtriser les conflits La gouvernance accroît la capacitéd’action des entreprises familialesDans les entreprises familiales, les intérêts de l’entreprise et ceux de lafamille se superposent. Pour parvenir à les équilibrer, les entreprisesfamiliales ont besoin non seulement d’une bonne gouvernance d’entre-prise (Corporate Governance) mais aussi d’une solide gouvernancefamiliale (Family Governance).

Peter Schmid et Marcel Widrig, Entreprises familiales

d’autres types d’entreprises. Maistoutes ont un dénominateurcommun: le nécessaire équilibreentre les luttes de pouvoir. L’équi-libre des pouvoirs, les fameux«Checks and Balances», revêtmême deux aspects importantsdans les entreprises familiales: ilrequiert à la fois une CorporateGovernance et une Family Gover-nance.La question des intérêts dans lesentreprises contrôlées par desfamilles reflète de multiplesaspects car les affaires de l’entre-prise et les intérêts familiaux sontétroitement imbriqués, toutcomme les considérations ration-nelles et les aspects émotionnelss’interpénètrent. Une entreprisefamiliale est bien plus qu’uninvestissement, elle constitue untrésor de famille. On y cultive unetradition par-delà les généra-tions; on y noue des relationsavec les collaborateurs, souventdepuis l’enfance. Pensée dynas-tique et lien émotionnel fusion-nent. Un tel environnementnécessite des règles de gouver-nance.

Plus des trois quarts des entre-prises familiales suisses ne dispo-sent pas de mécanisme de gestionde conflit institutionnalisé. Ellessont ainsi moins bien préparéesaux litiges que les entreprisesfamiliales d’autres pays – mêmesi ces dernières affichent aussi laplupart du temps des déficitsnotables en matière de maîtrisesystématique des conflits.C’est ce que révèle la dernièreenquête réalisée par PwC auprèsd’entreprises familiales dans lemonde entier. Plus de 1600 entre-prises ont été interrogées dans 35pays, dont 108 en Allemagne, 21en Autriche et 52 en Suisse(région DACH). Il est important, pour une entre-prise, de disposer de règles insti-tutionnalisées pour éviter etrégler les litiges. Il s’agit surtout

Chiffres tirés de l’étude de PwC «Rochers dans le ressac?»relative aux entreprises familiales2010/11. www.pwc.ch/kmu

Existe-t-il dans l’entreprise un proces-sus institutionnalisé de résolutiondes conflits en cas de divergencesentre les actionnaires de la famille?

40%non

38%non

24% non

27% non

Existe-t-il des dispositions en matière de successionou de transition relatives au décès ou à l’absence prolon-gée de décideurs importants de l’entreprise?

Suisse

77%non

Autriche

67%non

Allemagne

57%non

Monde

71%non

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Monsieur Vögele, quandvotre famille a-t-ellecommencé à planifier lasuccession?La relève s’est faite progressive-ment chez nous. Voici 15 ans déjàque j’assure la direction opéra-tionnelle de Karl Vögele SA. Monpère se retire désormais et jereprends également la présidencedu conseil d’administration. Mais

il faut savoir que j’ai quatre frèreset sœurs. Il nous a donc fallu nonseulement planifier le passaged’une génération à la suivante,mais aussi trouver une solutionsatisfaisante au sein de la fratrie.

Comment y êtes-vous effecti-vement parvenus?Une holding détient tous les biensde la famille. Karl Vögele SA enconstitue une partie substan-tielle. Il existe également des

ConclusionLes entreprises familiales sont, à juste titre, considéréescomme l’épine dorsale de l’économie. En Allemagne, enAutriche et en Suisse, elles génèrent plus de la moitié de laperformance économique et fournissent six emplois surdix. Des règles claires, tant de Corporate Governance quede Family Governance, renforcent ce secteur économiqueimportant.

taire – indépendamment du faitque la succession intervienne ausein de la famille ou non. Unevaleur d’entreprise établie objec-tivement renforce la position denégociation, témoigne du profes-sionnalisme et évite les conflitsfamiliaux. Il est d’autant plusnécessaire que le prix soit fixé demanière indépendante que laplupart des propriétaires suresti-ment nettement la valeur de leurentreprise. Dans cette optiqueaussi, des règles de gouvernanceclaires désamorceront les aspectsémotionnels.L’étude soulève une questionintéressante: combien d’entre-prises disposent de liquiditéssuffisantes pour reprendre provi-soirement les parts d’un membrede la famille qui quitte brusque-ment l’entreprise? Alors que lamoitié environ des entreprisesfamiliales interrogées dans lemonde sont à même de le faire,elles ne sont que 29% en Suisse.Ce faible taux s’explique essen-tiellement par le fait que lesentreprises suisses interrogéesthésaurisent souvent leurs béné-fices, les réinvestissent et affi-chent ainsi un degré élevé definancement propre. Cela poussela valeur de l’entreprise vers lehaut sans pour autant que laliquidité augmente automatique-ment dans les mêmes propor-tions. Toutefois, accumuler desréserves de liquidités supplémen-taires pour répondre à des scéna-rios d’urgence, comme le rachatrapide des parts d’un actionnairede la famille, n’est stratégique-ment pas judicieux. Inversement,si certains membres de la famillesont désireux de vendre leursparts, ils auront de la difficulté àtrouver un acheteur. Qui voudraiten effet investir, par exemple enrachetant 15% des parts d’uneentreprise familiale chère, etn’obtenir en contrepartie aucundroit de codécision? En revanche,si un membre dissident de lafamille hérite et obtient ainsi unepart du capital et un droit devote, de bonnes règles de gouver-

nance seront indispensables pourlimiter l’influence d’un tel«trublion».

La stratégie: une occasion deconflitsDans les entreprises familiales,les divergences d’opinion nesurviennent que rarement ausujet des rémunérations et autresindemnités des membres de lafamille. Les conflits naissentplutôt des questions stratégiques.31% des entreprises interrogéesdans la région DACH voient unmotif de dissensions dans la défi-nition de la stratégie. Les conflitsont pour origine deux sourcesdifférentes: d’une part, ceuxentre membres de la famille quitravaillent dans l’entreprise et ontdes conceptions divergentes del’orientation stratégique; d’autrepart, ceux entre les membres dela famille actifs et les membresqui vivent de distributions régu-lières de dividendes. Ainsi, desinvestissements élevés dans denouveaux marchés pourraientpar exemple s’avérer judicieuxpour l’entreprise mais ils dimi-nueraient l’assise financière decertains membres de la famille.Des structures claires en matièrede décision et de définition descompétences peuvent éviter lesdissensions quant à l’orientationstratégique.

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Une bonne charte d’entreprisequi, notons-le, comprend aussiune charte familiale, accroît l’ob-jectivité dans le processus déci-sionnel. Elle permet, du moinsjusqu’à un certain point, de disso-cier les intérêts de l’entreprise deceux de la famille. Cela facilitel’activité opérationnelle et déli-mite clairement les rôles, notam-ment entre la direction et lesorganes de surveillance. Mais lesrègles de gouvernance sont parti-culièrement importantes dans lesdécisions qui posent les jalonspour l’avenir.

Davantage d’objectivitédans la prise de décisionLa planification de la successionconstitue un bon exemple. Qu’enest-il de la prochaine génération?L’expérience montre que lesparents ont tendance à sur- ou àsous-estimer les actes et lestalents de leurs enfants. De soncôté, la jeune génération voit despossibilités de travail attrayantesen dehors de l’entreprise fami-liale. Un code de gouvernancefixe ainsi de manière objectiveplutôt que subjective les proces-sus de sélection des successeurspotentiels, par exemple enprévoyant une évaluation profes-sionnelle. Pour de nombreusesentreprises familiales, la succes-sion est un problème brûlant:40% des entreprises interrogéesen Allemagne, en Autriche et enSuisse qui changeront de proprié-taire dans les cinq ans à venirprévoient une transmission à unautre membre de la famille. L’évaluation requiert égalementdes règles. S’il est vrai que lesentreprises familiales ne sont pastenues de se soumettre régulière-ment à une évaluation, ellesdoivent le faire dans des situa-tions exceptionnelles: en casd’augmentation de capital ainsiqu’en cas de transaction ou, juste-ment, de changement de proprié-

Assurer la pérennité de l’entrepriseMax Manuel Vögele, directeur général et président du conseil d’administration de Karl Vögele SA, sur la planification de lasuccession et la gouvernance dans les entreprises familiales.

Fondée en 1960, Karl Vögele SA puise ses origines dansla cordonnerie ouverte en 1922 à Uznach par le maîtrecordonnier Karl Vögele. Elle est restée dans la familledepuis cette date. Avec 400 filiales et un chiffre d’af-faires de CHF 380 millions, Vögele est devenue l’un desleaders du marché de la chaussure en Suisse et enAutriche. Outre Vögele Shoes, le groupe possède aussiBingo Discount Chaussures et MAX Shoes, destinée àune clientèle plus tendance. Cette année, l’entreprise acentralisé toute sa logistique à Uznach SG, renforçantainsi son attachement au lieu d’implantation Suisse, endépit du fait que toujours plus de chaussures serontexportées d’Uznach vers l’espace européen. MaxManuel Vögele, petit-fils du fondateur, est directeurgénéral et délégué du conseil d’administration de KarlVögele SA depuis 1987. Cette année, il a succédé à sonpère, Max Vögele, à la tête du conseil d’administration.

participations et des immeubles.Il était dès lors important derégler les compétences et lesresponsabilités au sein de laholding. La famille respectetoutefois un principe fondamen-tal: les fonctions opérationnellesdans Karl Vögele SA ne sontjamais confiées à plusieursmembres de la famille à la fois.Mon père a toujours respecté ce

ceo valeur ajoutée 3938 ceo valeur ajoutée

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Publications et formation

Academy de PwC: des connaissances et des contacts de qualitéL’Academy regroupe toutes les possibilités de formation offertes parPwC à ses collaborateurs ainsi qu’aux cadres du monde de l’économie.Son offre se concentre sur des thèmes liés aux compétences-clés dePwC (présentation des comptes, fiscalité, droit, gestion d’entreprise),importants pour la pratique professionnelle et la carrière des diri-geants. Les animateurs et conférenciers disposent tous d’une expé-rience pratique dans le domaine enseigné ainsi que de solides compé-tences pédagogiques, dont bénéficient directement les participants.L’Academy offre à la fois la possibilité d’élargir les connaissancesprofessionnelles et l’opportunité de glaner de nouvelles idées et denouer des contacts intéressants. www.pwc.ch/academy.

Marché suisse de l’énergie:attentes des clients

Les entreprises d’approvisionne-ment en électricité portent unjugement trop optimiste sur lasatisfaction de leurs clients. Lesprincipales divergences se situentau niveau des prix, de la flexibi-lité et des offres particulièrespour les clients. L’étude «Marchésuisse de l’énergie en 2011»analyse les réponses de 118 diri-geants du marché suisse del’énergie et, pour la première fois,confronte les opinions des four-nisseurs d’électricité à celles deleurs gros clients.

Vous pouvez télécharger cetteétude au format PDF souswww.pwc.ch/publications.

Croissance économique:les CEO voient du potentiel

Après deux ans de récession, lesCEO retrouvent presque leurconfiance d’avant la crise quant àla croissance économique. Tel estle principal résultat de la 14thAnnual Global CEO Survey dePwC. Selon l’étude, 88% des CEOinterrogés ont une vision positivede l’évolution économique. 51%d’entre eux envisagent denouvelles embauches. Pour deuxtiers des CEO, les freins à la crois-sance sont le manque de collabo-rateurs qualifiés, les augmenta-tions d’impôts et les coupes dansles dépenses publiques. À leuravis, la Chine est le marché quiprésente le plus fort potentiel.Toutefois, les marchés toujoursvolatils et imprévisibles demeu-rent le plus grand facteur d’insé-curité pour trois quarts des CEOinterrogés.

Vous pouvez télécharger cetteétude en anglais au format PDFsous www.pwc.ch/ceosurvey.

L’E7 devant le G7: l’avenir del’économie mondiale

Sous l’effet de la crise financièremondiale, le déplacement de lapuissance économique vers lespays émergents s’accélère. Leséconomies en plein essor de l’E7dépasseront les pays développésdu G7. La Chine et l’Inde jouerontle rôle de locomotives. D’ici2050, ces pays détrôneront lesÉtats-Unis et formeront la plusgrande puissance économique.Tels sont quelques-uns des résul-tats de l’étude «The World in2050» conduite par PwC.

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ceo valeur ajoutée 41

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principe, conscient du fait quetoute autre construction estsusceptible de générer desconflits.

Comment avez-vous étéchoisi parmi vos frères etsœurs?De manière très traditionnelle: jesuis l’aîné. Pas de nomination enfonction des compétences donc,mais plutôt une sorte d’héritage.Toutefois, mon père m’a toujourslaissé suffisamment de libertépour décider. Depuis l’enfance, ilnous a tous impliqués et respon-sabilisés et, de ce fait, nous noussommes vite identifiés à l’entre-prise. Par ailleurs, en nous cédantdes parts très tôt, notre père aencore renforcé ce sentimentd’identification.

Cela a-t-il contribué à préve-nir les conflits sur l’orienta-tion stratégique?Là aussi, la famille dispose derègles strictes: l’attributionunivoque des compétences et destâches. Chez nous, les différentesparticipations dans la holding nes’imbriquent pas les unes dans lesautres. Mes frères et sœurs nesiègent pas au conseil d’adminis-tration de Karl Vögele SA, pasplus que je ne siège au conseild’administration d’une autrefiliale de la holding. Chez nous,l’entreprise est toujours aupremier plan, et ce n’est pas uneformule creuse. Concrètement,cela signifie que les investisse-ments doivent être payés à partirdu propre cash-flow et que nousavons un objectif clair en matièrede dividendes. Il n’a jamais étéquestion pour nous d’optimiser

les dividendes, mais toujoursd’optimiser la structure de l’en-treprise.

Est-ce un avantage de ne pasêtre tributaire du marchédes capitaux? C’est l’avantage décisif d’uneentreprise familiale. On est moinsexposé à la pression au rende-ment. Pour nous, l’essentiel est debien positionner l’entreprise àmoyen et à long terme. Noussavons qu’un actionnaire familialdoit être prêt à des sacrifices pourpréserver les intérêts de l’entre-prise.

Quels sont les principes degouvernance dans votreentreprise et dans votrefamille?Nous n’avons pas de règles degouvernance en tant que telles.La gouvernance repose sur diffé-rents éléments tels que la charteet les directives de gestion. Nousavons également, depuis denombreuses années, une conven-tion d’actionnaires qui régitnotamment la politique enmatière de dividendes et les liensentre les actionnaires. J’ajoute-rais toutefois que, lorsque monpère se sera retiré et que nousaurons modifié les rapports departicipation, nous introduironsune gouvernance familiale. C’estimportant car, bien que nousnous affrontions souvent, il règnechez nous une bonne entente quenous voulons et devons préserver.

La structure du manage-ment va-t-elle aussi changer?Oui, elle sera plus profession-nelle. Jusqu’ici, nous organisionsplusieurs fois par an des rencon-tres de famille au coursdesquelles nous nous informionsen toute transparence sur lesdifférentes affaires. C’était une

bonne chose. Nous avons ainsidéveloppé nos connaissances etune compréhension mutuelle.Mais ce type de conseil de familleest une véritable institutionpatronale. Désormais, le conseild’administration de Karl VögeleSA se professionnalisera et j’yserai vraisemblablement accom-pagné de deux membres externesqui nous apporteront un savoir-faire supplémentaire dans notrebranche et dans le domainefinancier. Nous aspirons à unéquilibre des pouvoirs entre l’as-semblée générale, c’est-à-direl’actionnariat, le conseil d’admi-nistration et la direction.

Qui prend les décisions stra-tégiques?Fondamentalement, c’est moi.Toutefois, nous avons une straté-gie d’entreprise et une stratégiede propriétaires qui prévautlorsqu’il s’agit de décisions aussiimportantes que le fait de se reti-rer d’un marché. Afin d’êtrearmés pour le futur, nous adapte-rons les compétences à lanouvelle donne dans une conven-tion d’actionnaires. Cettedernière définira clairement quidécide, quand et sur quoi.

Comment fixez-vous lesrémunérations?Cette tâche incombe au conseild’administration, à une exceptionprès: mon salaire, qui est fixé parl’assemblée générale.

Qu’est-ce qui vous séduitdans le fait de diriger uneentreprise familiale?J’ai été élevé en vertu du principeque l’entreprise doit survivre àune génération pour passer à lasuivante. Mais j’ai aussi vécu la

difficulté de planifier à longterme. Le marché change. Ce quenous avions prévu il y a dix anss’est finalement passé tout à faitautrement. Vouloir à tout prixconserver une entreprise enmains familiales ne devrait pasêtre une décision irrévocable. Ilfaut se libérer de cette exigencesur le plan émotionnel. Il ne s’agitpas simplement, pour la famille,de posséder une entreprise, maisde trouver le meilleur moyen d’enassurer la pérennité. En effet,nous ne parlons pas seulement dela famille, mais aussi de plus de2500 collaborateurs. Le fait deréfléchir à ce type de question esttypique d’une entreprise fami-liale.

Vous imaginez-vous pouvoirvendre l’entreprise?Tout est fonction de moment etd’opportunité. Si, un jour, unemeilleure occasion se présente,nous serions ouverts. L’importantest de pouvoir faire progresserencore l’entreprise. Si une autrestructure de propriété pouvait luidonner l’élan d’une fusée, nousne ferions pas de résistance à toutprix. Pour moi, diriger une entre-prise familiale n’est pas un sacer-doce. Et je suis convaincu que lemodèle de l’entreprise familialen’est pas encore dépassé.

«Un actionnaire familial doit être prêt à des sacrifices pourpréserver les intérêts de la famille.»

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«Le luxe est l’art d’être unique» Bernard Fornas, PDG de Cartier, évoque la différence entre l’éphémère et l’intemporel. Et les placements qui traversent les époques et leurs crises.

dossier valeursBernard Fornas

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Monsieur Fornas, nombreuses sont lesmarques qui font rêver, pourquoi lesclients achètent-ils justement chezCartier? Ils choisissent Cartier car ils savent que noussommes une maison sérieuse, que nouslivrons des produits de qualité et que noussommes admirés dans le monde entier pournotre créativité. Parce que chez nous, ilséchangent leur argent contre de vraiesvaleurs! Ce sont tous ces éléments qui, réunis,font que les gens viennent chez nous, et plusencore en période de crise. Ces dernièresannées, nous avons constaté une nouvelle foisque les entreprises crédibles et disposantd’une forte légitimité sont privilégiées enpériode d’instabilité. Sans crédibilité, sanshéritage ni passé, une entreprise est condam-née à perdre des parts de marché.

Cela signifie-t-il que vous avez gagnédes clients pendant la crise?De nombreux clients ont acheté un beau bijouchez nous dans l’intention de diversifier leurportefeuille de placements. Peut-être avaient-ils perdu de l’argent avec des actions et sesont-ils dit: eh bien, offrons-nous plutôt unebelle pièce Cartier. Cela peut coûter unmillion, ou même dix, mais l’on obtient unevéritable contre-valeur. C’est de l’argent placéen toute sécurité.

Les bijoux sont-ils véritablement uninvestissement à long terme? N’est-cepas une question de goût du moment? Au cours des ventes aux enchères de Christie’s, de Sotheby’s ou de Phillips, lesanciennes créations Cartier atteignentaujourd’hui des prix astronomiques. Ce sonten effet des pièces uniques d’un haut niveaude qualité et de créativité, des œuvres d’art.Et elles n’existent qu’en exemplaire unique.

Vous parlez de la haute joaillerie. Àquel prix commence ce segment? C’est une question de définition. Chez nous,c’est EUR 200 000. Cela représente beaucoupd’argent. Mais chez Cartier, vous pouvezégalement acheter un très beau collier pourEUR 20 millions.

Peut-on aujourd’hui gagner de l’argentavec la haute joaillerie ou est-ce plutôtcomme dans la haute couture, où c’esten définitive la vente de parfums quigénère les bénéfices?Notre activité n’a rien à voir avec la hautecouture! La mode est éphémère alors quemontres et bijoux sont faits pour l’éternité.Votre costume et le mien vont aller au rebutdans deux ou trois ans. Mais ma montre ira àmon fils, à ma fille, à mon amie, à qui sais-jeencore. Il faut savoir distinguer l’éphémère del’intemporel car cela détermine la manièredont l’on conçoit, développe et fabrique unproduit. Lorsque l’on fait quelque chose pourl’éternité, on doit exclure tout compromis.C’est ce que nous faisons. Il ne faut jamaisconfondre des produits éphémères comme lamode ou le parfum avec des choses faitespour l’éternité.

Mais Cartier vend aussi des parfums...Nous vendons des parfums pour quepersonne d’autre ne le fasse sous notre nom.Nous avons décidé de le faire pour protégernotre marque contre les faussaires et lesplagiaires.

Faites-vous l’essentiel de votre chiffred’affaires avec les bijoux et lesmontres?Oui, bien sûr. Nous avons créé parfums etfoulards plus par nécessité que par passion.Ces produits, qui ne représentent pour nousqu’une activité très réduite, nous ont permisde protéger les droits sur notre nom pour l’en-semble du secteur des cosmétiques et dutextile.

Cartier vend des produits de luxedepuis plus de 150 ans. Quelles valeursle luxe véhicule-t-il aujourd’hui?Chaque individu a sa conception personnelledu luxe. Mais le véritable luxe, le luxe ultime,ce sont des choses qu’une seule personne peutdétenir. Un bijou spécial qui a été conçu et

Bernard FornasLe Français Bernard Fornas estPDG et président du conseild’administration de Cartier Inter-national; il siège également auconseil d’administration dugroupe Richemont, spécialisédans les articles de luxe, dontCartier fait partie. Après avoirobtenu un MBA à la KelloggSchool of Management, àChicago, B. Fornas a débuté sacarrière chez Procter & Gamble.Il a ensuite travaillé chez Inter-national Gold Corporation etchez le parfumeur Guerlain. En1994, il est devenu directeurgénéral du marketing de Cartier,avant d’accéder au postesuprême en 2002, après unintermède dans l’entreprised’horlogerie genevoise Baumeet Mercier.

«The jeweller of kings

and king of jewellers»

44 ceo dossier

Un temple du luxe et des valeurs

durables: Cartier, Rue de la Paix à

Paris. C’est au-dessus du maga-

sin, derrière de nombreux sas de

sécurité, que se trouve l’atelier

dans lequel sont fabriqués les

bijoux. Nous avons eu le privilège

d’accompagner les joailliers et de

les regarder travailler – cf. pages

suivantes.

«De nombreux clients ont acheté un beau bijouchez nous dans l’intention de diversifier leurportefeuille de placements.»

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Le luxe peut aussi être une question de poli-tique. Bernard Fornas, PDG de Cartier, étaiten tout cas parfaitement conscient de laportée politique de ses paroles lorsqu’il décla-rait en 2008 dans une interview télévisée queson entreprise n’achèterait plus aucun rubisbirman, cette pierre précieuse légendaire,tant que la situation des droits de l’homme nechangerait pas en Birmanie. Deux semainesplus tard, les autres grands joailliers luiemboîtaient le pas et s’associaient au boycott.Quelques années auparavant déjà, Cartieravait été à l’origine de la création du RJC(Responsible Jewellery Council), une associa-tion internationale qui défend les valeurséthiques et mène campagne, entre autres,contre les diamants de la guerre et le travaildes enfants. «En tant que leader mondial,nous avons un devoir d’exemplarité»,explique Bernard Fornas à propos de cetengagement. «Tout le monde a les yeux rivéssur nous.»Les faits et gestes de Cartier suscitent en effetune attention considérable. L’entreprise, dontle siège social se situe à Genève, est le plusgrand acheteur de diamants du monde.Cartier est le numéro un incontesté sur lemarché de la joaillerie et figure parmi lesprincipaux fabricants d’autres produits deluxe: des montres aux briquets et lunettes enpassant par les articles d’écriture et de maro-

Éloge de la singularitéUn nom, une histoire, un succès –Cartier est le leader mondial incontesté de la haute joaillerie.Ce n’est pas un hasard. Voilà plus de 164 ans que l’entreprise misesans compromis sur le style et laqualité.

fabriqué pour vous personnellement n’appar-tiendra jamais véritablement à un autre indi-vidu au monde, si riche soit-il. Le vrai luxe estl’art d’être unique.

N’y a-t-il pas une certaine vantardisedans le luxe? Les gens achètent-ils unemontre Cartier pour l’exhiber? Oui, certainement. Dans certains pays,comme la Chine ou les anciennes républiquessoviétiques, les gens souhaitent montrer leurréussite sociale. Ils achètent alors pour leurépouse un bijou ou une montre Cartiercomme symbole de leur succès. Dans d’autrespays, on achète aussi des produits Cartier,mais dans une démarche moins ostentatoire.La chose intéressante est que nous réunissonstous les aspects: le côté bling-bling (regardez,j’ai réussi!) et le côté plutôt discret (j’ai de l’argent et j’admire le savoir-faire artisanal).

Un équilibre entre exigences etattentes… C’est justement ce qui importe. Chez Cartier,ces facettes se complètent et ne s’opposentpas nécessairement. C’est une alchimie gran-diose et assez exceptionnelle.

Cette combinaison de valeurs est-ellegérable? Nous gérons cela en parfaite connaissance decause. Pour y parvenir, il convient d’être trèsprudent dans tout ce que l’on fait. Il fautconstamment mettre son savoir-faire et saculture à l’épreuve. C’est pourquoi, par exem-ple, nous entretenons notre exceptionnellecollection de 1700 pièces de haute joaillerieet l’exposons dans des musées du mondeentier. Au musée du palais de la Cité interdite,à Pékin, un demi-million de personnes ont vula collection Cartier. Cela contribue à mettreen évidence l’importante créativité dontCartier a toujours fait preuve.

Cette attitude n’est-elle pas quelquepeu tournée vers le passé?La grande tradition et le fantastique savoir-faire artisanal ne constituent pour nous qu’unseul aspect des choses! Il y a aussi notre enga-gement en faveur de l’art contemporain. Nousavons créé la fondation Cartier à Paris il y adéjà 27 ans. Depuis lors, les jeunes talents lesplus marquants de notre époque y ont exposé.D’autres entreprises sont justement en trainde découvrir l’existence de l’art contempo-rain, avec des arrière-pensées commerciales.Je ne peux qu’en rire. Avec notre fondation,nous n’avons jamais rien voulu faire d’autrequ’encourager de jeunes artistes. Et nouscontinuerons à le faire.

Précision et coup d’œil: utilisant des outils plus que centenaires pour certains,

des joailliers hautement spécialisés travaillent en compagnie de polisseurs et de

sertisseurs. Chaque pièce est fabriquée dans un maximum de calme et de

concentration – exclusivement à la main.

ceo dossier 4746 ceo dossier

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des rois, roi des joailliers»). Un sloganfréquemment et volontiers cité.

Le segment de prix le plus élevé L’entreprise de joaillerie a été fondée en 1847par Louis-François Cartier, mais ce sontsurtout ses petits-fils Louis, Pierre et Jacquesqui, au début du XXe siècle, ont fait de Cartierl’une des marques les plus prestigieuses dumonde. En quête d’inspiration, ils ont sillonnél’Inde, la Russie et le golfe Persique et ouvertdes magasins aux épicentres du luxe et dustyle: rue de la Paix à Paris, Bond Street àLondres et 5th Avenue à New York.Aujourd’hui encore, Cartier fabrique toujoursen vertu des principes à l’origine de la réputa-tion de la marque: en réalisant de somptueuxbijoux artisanaux qui se situent dans lesegment de prix le plus élevé. Les montresconstituent le deuxième pilier de l’entreprise.Cartier a été l’un des premiers horlogers àfabriquer des montres-bracelets à la fin duXIXe siècle. Ce segment a fortement gagné enimportance sous l’actuel PDG Bernard Fornas

quinerie. Membre du groupe Richemontdepuis 1997, Cartier réalise environ la moitiédu chiffre d’affaires de ce dernier. Les résul-tats sont d’ailleurs excellents: au cours desneuf premiers mois de 2010, le chiffre d’af-faires du groupe a augmenté de 33% pours’établir à EUR 2,1 milliards.Cartier doit son succès à un parfait mélanged’innovation et de tradition. Étroitement liéeà l’histoire personnelle de divas du grandécran et de têtes couronnées, l’histoire de l’en-treprise est célébrée avec faste. À titred’exemple, la bague de fiançailles que lePrince Rainier de Monaco a passée au doigtde Grace Kelly – une bague en platinesurmontée d’un diamant taille émeraude de10,47 carats – provenait évidemment de chezCartier. Mais en termes de relationspubliques, c’est le Roi Edouard VII d’Angle-terre qui a eu le plus d’impact pour Cartier, enproclamant le fournisseur de la Cour «jewel-ler of kings and king of jewellers» («joaillier

– les montres sont façonnées dans une usineflambant neuve à La Chaux-de-Fonds. Lesmodèles phares sont toutefois des montres-bijoux fabriquées en séries très limitées,serties de centaines de diamants et venduesau prix d’une limousine de luxe, ou des piècesuniques dont le prix n’est pas rendu public.

Jusqu’à 10 000 heures de travailC’est dans l’atelier de la rue de la Paix à Parisque sont fabriquées sur commande toutes lespièces uniques ainsi que les collectionsspéciales Cartier. Soixante collaborateurshautement spécialisés, dont quarante joail-liers et un horloger, travaillent autour d’unpatio, derrière de nombreux sas de sécurité,dans un maximum de calme et de concentra-tion. Jusqu’à 10 000 heures de travail sontinvesties ici dans la fabrication de bijouxcomplexes. «C’est unique au monde», préciseXavier Gargat, directeur de l’atelier Cartierdepuis douze ans. Chaque pièce – de la baguediamant aux montres-bijoux raffinées, enpassant par des colliers sophistiqués – est

confectionnée au prix d’un travail manuelcoûteux. Les exigences sont particulièrementélevées pour les motifs animaliers tridimen-sionnels, sertis de centaines de brillants et depierres précieuses de tailles diverses, typiquesdu style Cartier. Ils sont le fruit d’une tradi-tion et d’une technique anciennes et requiè-rent l’utilisation d’outils ayant pour certainsplus d’un siècle. L’une après l’autre, chaquepierre est manipulée, adaptée et fixée aumoyen d’éléments métalliques microsco-piques. Dix à quinze ans d’expérience sontnécessaires à un joaillier artistiquement ambi-tieux pour maîtriser ces travaux de précision. Stylistiquement, les pierres précieusesdonnent aux bijoux une élégance intempo-relle qui renvoie manifestement aux formesde l’art déco. «Un article Cartier», comme leveulent les exigences internes, «traverse lesdécennies sans prendre une ride.» Maissurtout, un produit Cartier doit toujours avoir

un style reconnaissable entre tous. Ses carac-téristiques: tout simplement «très Cartier!».Le patron veille personnellement à ce queCartier ne s’écarte jamais de cet idéal dequalité et de style. «Nous fabriquons chaqueannée des milliers de nouveaux produits; tousreçoivent mon consentement écrit», déclareBernard Fornas. «D’abord lors de la concep-tion, puis en tant que prototype ou produitfini.» B. Fornas se réserve deux heures parsemaine pour expertiser les nouveaux designset bijoux. Il s’assure ainsi que chaque objetcommercialisé possède la «touche Cartier» etperpétue «l’héritage Cartier». Il est déjà arrivéque des articles soient renvoyés à l’atelierparisien pour y être remaniés – en dépit desmilliers d’heures nécessaires à leur fabrica-tion. Pourquoi appartient-il au patron d’effec-tuer cet ultime contrôle de la qualité?Bernard Fornas répond sans hésitation: «Leprésident doit avoir le dernier mot. Dans tousles cas. Il en va de l’orientation stratégique del’entreprise.»

Un produit Cartier doit toujours être reconnaissable entretous. Ses caractéristiques: tout simplement «très Cartier!».

Xavier Gargat a travaillé pour de

nombreux professionnels réputés

de la bijouterie implantés Place

Vendôme à Paris. Il est le directeur

de l’atelier Cartier depuis douze

ans. «Ce que nous faisons ici est

unique au monde», dit-il.

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Dans l’atelier d’horlogerie, des photos

accrochées au mur offrent un aperçu des

modèles uniques de montres-bijoux dont

le prix n’est pas abordé.

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«L’homme n’a pas besoin de culture, il l’a»La culture offre la possibilité d’apprendre à la fois sursoi et sur le monde, dit Martin Heller. En tant qu’entre-preneur culturel indépendant, il veut émouvoir et enthousiasmer les foules en Suisse comme à l’étranger.

dossier valeursMartin Heller

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Monsieur Heller, on peut lire dans lacharte de votre entreprise que vousdéveloppez des projets culturels lesplus divers. Qu’est-ce que la culture? D’après la célèbre définition donnée parl’Unesco en 1982, à l’occasion d’une confé-rence mondiale sur la politique culturelle àMexico, la culture c’est pratiquement tout,c’est-à-dire tout simplement nos conditionsde vie. Vient s’y ajouter une conceptioncourante, celle des acteurs du secteur cultu-rel, pour lesquels la culture est tout ce quirelève de l’art au sens le plus large du terme.La notion de culture est donc imprécise, etnous devons vivre avec cette imprécision.

L’homme a-t-il besoin de culture?Si, par culture, on entend les conditions de vie dans leur acception la plus vaste, c’est-à-dire la manière dont les hommes organisentleur coexistence, la culture est alors simple-ment déjà présente sous ses différentes for-mes. L’homme n’a pas besoin de culture, il l’a.

Quelle est la valeur de la culture quevous proposez avec vos projets?Ce que nous organisons, ce sont des expé-riences avec des festivals, des expositions ouencore des villes. Nous considérons celacomme l’occasion d’apprendre à la fois sursoi-même et ses propres conditions de vie, surune époque ou sur ce que les artistespensaient de leur temps. Bref, la culture offredes possibilités exceptionnelles d’apprendresur le monde.

Quelle est l’importance de ces expé-riences?C’est très variable. J’ai collaboré pendant cinqans avec la ville de Linz, qui s’était fixé pourobjectif de devenir la capitale culturelle del’Europe en 2009. Ce projet était primordialpour la cité, il a déterminé pendant desannées une grande partie de la politique de laville et de la perception intérieure et exté-rieure que l’on pouvait en avoir. Il a éveilléd’énormes attentes et permis à de nombreuxcitoyens de faire des expériences marquantes.Un autre exemple: l’automne dernier, nousavons conçu à Berlin une exposition sur ledéveloppement urbain. On peut aller ou non

visiter une exposition. 30 000 personnes sontvenues; pour nombre d’entre elles, cette visitelaissera un souvenir impérissable.

Les pouvoirs publics investissent beau-coup d’argent dans la culture, parexemple dans les musées ou les théâ-tres. Subventionner la culture fait-ilpartie des missions d’un État?Naturellement, mais l’État doit bien réfléchirpour savoir quelles sont les missions cultu-relles incontournables pour l’intérêt général.Je pense, par exemple, à la protection desmonuments, à la préservation des traditions,qui montreront clairement aux générationssuivantes d’où nous venons, ou à l’entretiendes musées, qui sont en quelque sorte desarchives artistiques. Les justifications ration-nelles à l’encouragement de la culture parl’État ne manquent pas. Mais il existe égale-ment des justifications idéalistes et politiques:un citoyen cultivé est plus mature qu’uncitoyen qui ne s’intéresse pas à la culture.

Un créateur d’événements culturelsdoit-il être, comme l’est un entrepre-neur, responsable d’un succès ou d’unéchec?Je crois qu’il l’est dans tous les cas, de lamême façon que chacun est responsable de cequ’il fait (ou ne fait pas) et doit se demanders’il le fait bien ou non. Personne ne peut sedérober à cette responsabilité. Cependant, àla différence d’un entrepreneur, un acteurculturel ne devrait pas être jugé avant tout entermes d’objectifs économiques. Les vérita-bles bons artistes donnent le meilleur d’eux-mêmes s’ils ont la possibilité de penser et decréer en toute liberté. Dans le domaine de laculture, l’essentiel ne doit pas être de couvrirles coûts, au contraire: dans un pays aussiriche que la Suisse, il doit également y avoirplace pour l’expérimental, pour des espacesde liberté et pour des qualités que seulspeuvent offrir l’art et la culture.

Vous travaillez aux interfaces entrepolitique, économie et culture.Comment la politique et l’économieinfluent-elles sur vos projets?Le fait que ces interfaces m’intéressent estprincipalement dû à mon expérience en tantque directeur artistique d’Expo.02. Lorsquej’ai pris cette fonction en 1999, je me suisretrouvé au beau milieu de la politique et de

Martin Hellerest le patron de la société HellerEnterprises. Il se considèrecomme un entrepreneur cultu-rel, réalise des projets culturels,organise des séminaires et écritpour des revues, des cata-logues, des livres. De 1990 à1998, ce Bâlois âgé de 59 ans aété directeur du Musée duDesign de Zurich. Il a acquisune notoriété nationale en tantque directeur artistiqued’Expo.02.

«L’essentiel ne doit pas être

de couvrir lescoûts.»

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l’économie. Nous avions alors un «businessplan». La consigne était 10,5 millions de visi-teurs – du point de vue des recettes, c’étaitune obligation. Nous avons rempli notrecontrat et avons en outre touché et enthou-siasmé les visiteurs. C’est déterminant, etlorsque je dois m’accommoder d’un budget,mener à bien un projet et faire honnêtementles comptes, je ne fais avec cette partie demon travail que jeter des bases. Il existe parailleurs un autre aspect: quand politiques etéconomistes ont leur mot à dire sur desprojets culturels, il est de mon devoir, et c’estma passion, de leur faire toucher du doigtl’aventure de l’invention. Il s’agit d’innover etaussi de faire du neuf avec l’existant.

Comment parvenez-vous à concilier vospropres idées et les intérêts desdonneurs d’ordre? Le meilleur résultat est obtenu lorsque lesdonneurs d’ordre viennent vers moi parcequ’ils pensent que je peux idéalement concré-tiser leurs idées tout en étant autonome.Ensuite, lorsque nous parlons de lacommande, je souhaite dans la plupart descas une formulation qui me laisse la liberté deréaliser une création à ma façon.

Pouvez-vous citer un exemple? J’ai évoqué plus haut l’exposition berlinoisesur le développement urbain. Au cours desentretiens avec les représentants du donneurd’ordre, le ministère fédéral des transports etde la construction, la question s’est posée desavoir à quoi pourrait ressembler une exposi-tion actuelle sur les villes en Allemagne.«L’objectif est de donner envie de la ville» futla formulation plutôt inhabituelle sur laquellenous nous sommes mis d’accord. J’ai ensuiteproposé de ne présenter que des maquettespour cette exposition. Elles ont été exposéesdans un hall industriel grandiose, uneancienne centrale électrique de Berlin: c’étaitfascinant, pour nous comme pour le public!Finalement, nous avons envoyé des photo-graphes dans cet univers de maquettes, poureffectuer une sorte de voyage urbain et unlivre impressionnant a ainsi vu le jour encomplément de l’exposition.

En tant que directeur du Musée duDesign de Zurich et directeur artistiqued’Expo.02, vous étiez employé. Àprésent, vous avez votre propre entre-prise. Que pensez-vous de votre rôle depatron de Heller Enterprises?

L’indépendance entraîne à la fois une libertésupplémentaire et une charge supplémen-taire. Gérer sa propre petite entreprise consti-tue bien entendu un défi important.Nombreuses sont les difficultés que l’on nediscerne qu’avec le temps. Après l’Expo, je n’aipas reçu d’offres d’emploi véritablementconvaincantes. Je me suis donc mis à moncompte car, ainsi, je peux subvenir au mieux àmes besoins en termes de risque, de change-ment et de diversité des occupations.

Vous travaillez à nouveau sur un grosprojet à Berlin.Le château de Berlin doit être reconstruit.Depuis le XVe siècle, il servait de résidenceaux princes électeurs, aux margraves, aux roiset aux empereurs. En 1950, le gouvernementde la RDA a dynamité ce bâtiment pourédifier le Palais de la République. En 2007, leBundestag allemand et le Land de Berlin ontdécidé de reconstruire le château. Les travauxdoivent débuter en 2013. Ce nouveau châteauberlinois sera entièrement dédié à toutes lescultures du monde et j’ai été chargé d’élabo-rer un concept pour le contenu du vasteespace dédié aux manifestations. Le donneurd’ordre est le ministre d’État allemand de laculture et des médias.

C’est un projet hautement politique surlequel beaucoup veulent dire leur mot. En effet. Entre les attitudes politiques, lesintérêts économiques, les attentes du public,c’est un terrain véritablement miné. Pourmoi, travailler à ce projet signifie à la foisdévelopper mes propres idées, ce qui pour-rait, compte tenu de mes expériences, êtrebon pour ce type de lieu culturel, et saisir enun clin d’œil ce que d’autres veulent. Le résul-tat est important. Cela doit être un coup demaître et non une addition de compromis.

Comment abordez-vous ce nouveauprojet?J’ai un principe: au début, j’essaie de prendrele temps de collecter des informations auprèsde ceux qui sont directement ou indirecte-ment concernés. À l’automne dernier, je nesavais encore rien du château de Berlin. Maisdepuis, j’ai déjà eu au moins 40 entretiensavec des personnes impliquées. En plus despossibilités classiques permettant de s’appro-prier le sujet et de se faire ses propres idées,le fait d’aller chercher des informationsauprès des personnes concernées et de leurdemander quels sont leurs souhaits, leursaspirations et leurs attentes est très importantpour moi.

«Cela doit être uncoup de maître etnon une additionde compromis.»

«Il s’agit d’innover et aussi de faire du neuf avec l’existant.»

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«Nous investissons dans la création de plus-value» PSP Swiss Property SA est l’une des principales sociétés suisses d’investissement immobilier et entend bien continuer à conjuguer croissance et rentabilité. Son CEO Luciano Gabriel parle de valeurs réelles, de cycles du marché immobilier, de spéculations boursières et de sites dynamiques.

dossier valeursPSP Swiss Property

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Monsieur Gabriel, début 2007, vousavez dit qu’avec des actions immobi-lières en dépôt, on pouvait bien dormir.Cela est toujours vrai dans une perspective àlong terme. Même si, à partir de mi-2007,personne ne savait ce qui allait vraiment sepasser sur les marchés financiers. Je suis restéconfiant car les actifs d’une société immobi-lière sont ses biens-fonds qui, à conditiond’être bien gérés, demeurent une réalitémême en cas de crise. En Suisse, si vouspensez à long terme, vous faites toujours debonnes opérations avec l’immobilier.

Pourtant, le cours des actions PSP abaissé de moitié au moment de la crise.N’étiez-vous pas inquiet?Si, car nous ne savions pas quand la baisse ducours s’arrêterait et à quoi elle pourrait menerdans le pire des cas. Il s’est trouvé quelquesacteurs du marché financier pour aggraver letout en spéculant sur la poursuite de la baissedes cours. Le repli des cours était totalementinjustifié.

Comment réagit-on lorsque la valeurboursière d’une société varie decentaines de millions de CHF enquelques semaines?Le mieux est de ne pas regarder les cours de labourse tous les jours. Nous devons, commeles autres, vivre avec les fluctuations. Et ilexiste des mouvements qui ne s’expliquentpas rationnellement. Le titre PSP était massi-vement sous-évalué, la valeur intrinsèque del’action étant nettement supérieure au coursde la bourse. L’important est que l’entreprisedispose d’une orientation stratégique opti-male, d’une gestion professionnelle et demoteurs de rendement durables. Le cours dela bourse ne s’établit correctement qu’àmoyen et long terme, comme le montre lasituation actuelle.

Vous devez augmenter la valeur pourvos actionnaires, y compris le bénéficepar action. Est-ce un bien ou un mal? C’est un bien si nous ne perdons jamais de vuecette mission. Nous réfléchissons très précisé-ment à la façon de créer de la plus-value. Sinotre objectif avait été la seule croissance,nous aurions acheté de manière plus agres-sive au cours des dernières années. Mais celan’est pas payant à long terme. Pour répondreconcrètement à votre question: c’est unebonne chose.

Comment êtes-vous devenu patrond’une société d’investissement immobi-lier?PSP a vu le jour lorsque la Zurich Compagnied’Assurances s’est séparée de ses biens immo-biliers puis a créé et introduit PSP en bourseen mars 2000. Je travaillais alors dans lesecteur Corporate Finance de Zurich Finan-cial Services, où j’étais chargé de préparercette introduction en bourse. En 2002, je suispassé chez PSP en tant que directeur finan-cier, avant d’être nommé CEO cinq ans plustard.

PSP est la deuxième société suisse d’investissement immobilier… Si nous prenons également en considérationles fonds immobiliers, nous sommes loinderrière. Le positionnement d’après la taillen’est pas important. Pour nous, ce quiimporte, ce sont le bénéfice et la valeur intrin-sèque par action. Avec des biens immobiliersd’une valeur supérieure à CHF 5 milliards,PSP est une société cotée en bourse suffisam-ment grande et elle possède la visibiliténécessaire. Nous n’effectuons que des inves-tissements générateurs de plus-value. Nousvoulons croître en externe, mais le prix doitêtre en rapport. Sinon, nous nous abstenonset nous nous concentrons sur l’optimisationdu portefeuille existant.

Les prix de l’immobilier professionnelsont-ils à votre avis trop élevés?Je ne crois pas qu’il y ait déjà une bulle. Danscertains cas, le prix semble très élevé. Maisqui peut dire exactement quel est le «bon»niveau de prix? Chaque acheteur doit déciderlui-même jusqu’où il souhaite aller. Tout lemonde a envie d’acheter les mêmes biensimmobiliers dans les centres économiquesdynamiques.

Une récente étude bancaire fait cepen-dant état d’une stagnation des prix delocation de l’immobilier professionnel. Certes, mais il faut nuancer. Par exemple, lemarché de la région zurichoise devra absor-ber une offre supplémentaire d’environ250 000 mètres carrés dans les années à venir.Ce ne sont pas les immeubles situés dans lecentre ou à proximité qui en souffriront, maisles immeubles mal entretenus situés à la péri-phérie.

Concrètement: pour le même bureau,l’un bien situé à Zurich et l’autre dansune région moins dynamique, quellessont les différences de revenu locatif? À Zurich, un emplacement bien situé se louede CHF 700 à 900 le mètre carré; à Genève les

Luciano Gabriel est CEO et délégué du conseild’administration de PSP SwissProperty SA depuis 2007. Aupa-ravant, il en avait été le directeurfinancier pendant quatre ans. L. Gabriel a étudié l’économiepolitique et l’économie d’entre-prise aux Universités de Berneet de Rochester (NY, USA) etsoutenu sa thèse à l’Universitéde Berne. Il a commencé sacarrière professionnelle auprèsde l’ancienne Union de BanquesSuisses avant d’intégrer ZurichFinancial Services. L. Gabrielest membre du comité exécutifde l’European Public RealEstate Association EPRA et duconseil d’administration d’Oras-com Development Holding SA.

«Je ne crois pasqu’il y ait déjà

une bulle.»

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prix sont comparables, dépassant même CHF1000 pour des emplacements particulière-ment prisés. Dans des villes connaissant unecroissance moindre, les prix de location sesituent, souvent depuis des années, autour deCHF 200 à 300. Là, rien ne bouge, bien queles prix de construction y aient aussiaugmenté, en raison justement de la faiblessede la demande de surfaces de bureaux. Il y estmême souvent difficile de trouver unnouveau locataire. Il n’y a pas de véritablemarché en dehors des centres. Même unebaisse de loyer n’attire personne, car l’infra-structure n’est pas optimale.

PSP possède des immeubles commer-ciaux et de bureaux, mais pas d’immo-bilier résidentiel. N’avez-vous pas l’intention de vous diversifier sur cesegment?Non. Nous y voyons peu de potentiel deprogression à long terme. L’immobiliercommercial nous permet de participer direc-tement à l’essor de l’économie et, par desinvestissements dans l’amélioration de laqualité, de générer en retour des revenuslocatifs supérieurs. L’immobilier commercialest, par nature, dépendant du long terme:comme je l’ai déjà dit, la valeur d’un bienimmobilier est fonction de son emplacementet de sa qualité. Nous nous demandons où,dans les 20 ou 30 années à venir, seront créésde nouveaux emplois et où la demande desurfaces de bureaux augmentera. Une telledynamique existe surtout à Zurich, à Genèveet à Bâle. La nouvelle ligne ferroviaire àtravers les Alpes (NLFA) pourrait ouvrir denouvelles perspectives en rapprochant, parexemple, le Tessin des centres de décision.

Votre société s’intéresse exclusivementau marché suisse.C’est un choix qui restera définitif. Pourquoiun actionnaire devrait-il investir par notreintermédiaire en France, par exemple? Il vautmieux pour lui passer par une société immo-bilière française. Nous ne présentons aucunavantage pour les investissements à l’étran-ger. Les affaires immobilières sont des affaireslocales qui nécessitent de bonnes connais-sances du système juridique et fiscal ainsi quedu marché local.

Pour les sociétés immobilières, le tauxde locations vacantes est un indicateur.Pour PSP, il est d’à peine 9%. Vousvoulez descendre à 5%. Dans quelsdélais?Il nous faudra encore quelques années. Cetaux de 5% correspond au taux structurel delocations vacantes, pratiquement incompres-

sible. Une grande partie de nos locationsvacantes se trouvent à Zurich-Ouest, où nousvoyons un gros potentiel dans les années àvenir. Tout le secteur est pour l’instant unimmense chantier, raison pour laquelle beau-coup d’entreprises intéressées hésitent àlouer. Il faut patienter encore un peu, maisnous sommes au bon endroit. Dans uneSuisse fortement urbanisée, les surfacescommerciales constituent une ressource raredont la valeur va en augmentant.

Des analystes comparent la différenceentre le rendement net des biens immo-biliers et le taux d’intérêt moyen dufinancement extérieur. Pour PSP, elleest actuellement de 1,8%. Cela voussatisfait-il?Cette comparaison, souvent rencontrée, nesignifie pourtant pas grand-chose. Supposonsque le revenu locatif d’un immeuble double.Dans un tel cas, la valeur de ce dernier sur lemarché augmenterait en conséquence et lerendement net resterait le même. La compa-raison n’a de sens qu’au moment où j’achèteun immeuble. Nous maîtrisons notre situationfinancière.

Avec plus de 50% de capitaux propres,PSP est effectivement dans une situa-tion financière confortable et pourraitse permettre des achats pour quelqueCHF 1,5 milliard sans augmentation decapital. N’y a-t-il aucun immeuble dontla reprise serait judicieuse?Notre marge de manœuvre financière est unavantage. À court terme, je ne vois cependantpas comment nous pourrions nous servir decette flexibilité. Un faible niveau d’endette-ment aide aussi à traverser sans problème lescycles inhérents aux activités immobilières.

À quel stade d’un tel cycle situeriez-vous aujourd’hui la Suisse?Je ne veux pas verser dans l’euphorie, maisnotre situation est en général bonne. L’écono-mie suisse a bien surmonté la crise mondialeet en est aujourd’hui sortie renforcée. Lademande d’immeubles augmente, grâce aussià l’immigration en Suisse. Si nous extrapo-lons le développement économique actuel,nous pouvons nous montrer confiants. Unegrave crise économique en Europe auraitcertainement aussi des conséquences néga-tives sur la Suisse. Mais ce n’est pas le scéna-rio que nous imaginons.

PSP Swiss Property SA est la deuxième société suissed’investissement immobilier,cotée en bourse depuis 2000.Elle possède des immeublescommerciaux et de bureauxd’une valeur de CHF 5,4milliards dans les principauxcentres économiques helvé-tiques. Ses quelque 80 collabo-rateurs se répartissent entre lessites de Genève, Olten, Zoug etZurich. Depuis la vente dusecteur d’activités Gestionimmobilière pour le compte declients tiers, PSP se consacre àl’optimisation et au développe-ment de son propre portefeuilleimmobilier.

Un portefeuilleimmobilier

de CHF

5,4milliards

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Atteindre ses objectifs Ce qu’il faut pour arriver au sommet.

Qui n’a jamais vu les photos du Kilimandjaro,cette montagne impressionnante au sommetcouronné de neige, qui s’élève au-dessusd’une plaine semblant s’étendre à l’infini?Point culminant de l’Afrique avec ses 5895 mètres, le Kilimandjaro est la plus hautemontagne isolée du globe et l’un des plusgrands volcans éteints du monde. Tous cesdétails figurent sur le panneau de bois quicaresse le ciel tout là-haut, sur le pic Uhuru. Librement traduit, Uhuru signifie «sommet dela liberté», un nom qui convient parfaitementà ce lieu – comme le confirme ThomasBrüderlin, auditeur chez PwC, en exprimantce qu’il a ressenti à être assis là-haut et à voirle soleil se lever à l’équateur. «Une impressiongrandiose», dit-il.

Il n’aurait jamais pensé éprouver de si fortessensations lorsqu’il a décidé de gravir le Kilimandjaro. «Je venais tout juste d’avoir 40 ans et je souhaitais relever ce défi»,explique Brüderlin. Il s’est intensivementpréparé pendant six mois, a fait trois randon-nées dans le Titlis, gravi à de nombreusesreprises le Sonnenberg («notre montagnemaison») dans le Fricktal et couvert delongues distances à la force du mollet.Lorsqu’il a débuté son voyage, il était enpleine forme et plus léger de huit kilos, deuxatouts qui se sont révélés précieux pour cettecourse éprouvante, au cours de laquelle ilfaut vaincre 1000 mètres de dénivelé quoti-diens cinq jours durant. Brüderlin a réussi cetour de force sans souffrir le martyre: «J’aivraiment pu en profiter», dit-il, «même del’assaut final, réputé comme l’étape la plus

difficile et la plus épuisante. J’ai trouvé celatout simplement incroyable.» Incroyable, cela l’a également été pour JosefBachmann, gérant des caisses de pensions de PwC. L’automne dernier, il s’est offert l’ascension du Kilimandjaro pour ses 60 ans.«Je voulais vivre une expérience extrême»,explique ce passionné de semi-marathon. Sonmédecin lui avait certifié qu’il était suffisam-ment en forme pour monter sur le «toit del’Afrique». Mais les choses se sont passéesautrement: «À 5400 mètres environ, le guidem’a dit de faire demi-tour car je titubaisdangereusement», raconte J. Bachmann. «J’ai d’abord refusé; je voulais absolument arriverau sommet. J’ai ensuite accepté de devoirabandonner. Mais avant de pouvoir exprimerma décision, j’ai été pris d’une sorte d’ivressede l’altitude.» Ce qui s’est produit par la suite l’a surpris: «J’ai alors ressenti une poussée d’énergie et suis arrivé au sommet sans problème!» Toutefois, la descente – une promenade pour la plupart de ceux quiparviennent en haut – a été une réelle torture;il a dû lutter pas après pas pour arriver en bas.Durant cette randonnée de cinq jours, le plus grand bonheur, pour Thomas Brüderlin, fut d’être assis tout là-haut, et pour JosefBachmann, de redescendre sain et sauf. Tousdeux tirent des conclusions similaires de leur expédition: «On ne maîtrise pas lamanière dont l’organisme va réagir», déclareJ. Bachmann. «On peut mettre tous les atouts de son côté, mais pour réussir, on aaussi toujours besoin de chance», affirme T. Brüderlin. À la question de savoir ce queleur ascension du Kilimandjaro leur a apportépour leur travail quotidien chez PwC, tousdeux répondent: «La sérénité.»

Photo: Vera Hartmann

PwC sur le toit de l’Afrique

Thomas Brüderlin et Josef Bachmann, collaborateurs de PwC,sur le Kilimandjaro: «On peut mettre tous les atouts de son côté,mais pour réussir, on a aussi toujours besoin de chance.»

Durant cette randonnée de

cinq jours, le plus grand

bonheur pour Th. Brüderlin

(à gauche) fût d’être assis

là-haut et pour J. Bach-

mann,de redescendre sain

et sauf.