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Mondialisation et droit des sociétés LA STRUCTURE JURIDIQUE DES ENTREPRISES (CORPORATE GOVERNANCE) Alain Couret Association internationale de droit économique | « Revue internationale de droit économique » 2002/2 t. XVI | pages 339 à 367 ISSN 1010-8831 ISBN 2804139093 DOI 10.3917/ride.162.0339 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit- economique-2002-2-page-339.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association internationale de droit économique. © Association internationale de droit économique. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Association internationale de droit économique | Téléchargé le 21/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Association internationale de droit économique | Téléchargé le 21/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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Mondialisation et droit des sociétés

LA STRUCTURE JURIDIQUE DES ENTREPRISES (CORPORATEGOVERNANCE)

Alain Couret

Association internationale de droit économique | « Revue internationale de droitéconomique »

2002/2 t. XVI | pages 339 à 367 ISSN 1010-8831ISBN 2804139093DOI 10.3917/ride.162.0339

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MONDIALISATION ET DROIT DES SOCIÉTÉS

La structure juridique des entreprises(corporate governance)

Alain COURET*

1 Introduction2 Le processus d’internationalisation des exigences de la corporate governance

2.1 L’acculturation d’un corps de normes privées dans un cadre volontariste2.1.1 Diversité des techniques envisageables2.1.2 Les choix français

2.2 L’intégration ordonnée ou encadrée par le législateur : la restauration de la maîtrisedu processus de production des normes2.2.1 Le législateur national et la maîtrise du processus de production des normes

2.2.1.1 Les mesures nationales simplement en phase avec la corporategovernance : le processus de convergence

2.2.1.2 Le mimétisme législatif national : le processus d’alignement2.2.1.2.1 La dissociation des fonctions de président et de directeur

général2.2.1.2.2 La transparence des rémunérations

2.2.2 Le législateur européen et la maîtrise du processus de production des normes2.3 Les autres sources d’intégration des principes de la corporate governance :

l’intégration par la régulation ?2.3.1 La réception par la Commission des opérations de bourse des principes

du gouvernement d’entreprise2.3.2 Les principes posés par la Cour de cassation

3 Les limites de l’influence de la mondialisation sur le droit des structures3.1 Les résistances à la mondialisation

3.1.1 Résistances organisées au modèle libéral3.1.2 Survie des spécificités nationales3.1.3 Adhésion purement formelle aux « ornements » de la corporate governance

3.2 La résistance naturelle à la mondialisation : les sociétés non cotées4 Conclusion

* Professeur à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, Unité de recherches « Régulation desActivités économiques et sociales ».

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1 INTRODUCTION

Le droit des sociétés a vocation à s’insérer dans un processus de mondialisation. Ondébutera cette présentation en rappelant les termes employés par JeanPAILLUSSEAU dans son article désormais classique publié en 19841 et consacré aufondement du droit moderne des sociétés.

« Il est évident qu’une approche strictement nationaliste du droit des sociétéscommerciales n’a plus de sens aujourd’hui. Il est, en effet, difficile d’imaginer quel’on puisse avoir une certaine conception de la société à Paris, une autre à Londres,à New York, à Tokyo, à Mexico, au Caire, etc. Les sociétés financières, industrielles,commerciales ou de prestations de services ne se ressemblent-elles pas singulière-ment au-delà de toutes les frontières ? Seuls, peut-être, sont différents certainsaspects de leur organisation technique ou l’importance qu’elles accordent plusparticulièrement à tel ou tel intérêt catégoriel. Cette similarité est encore accentuée,pour certaines d’entre elles, par le caractère international ou multinational de leursorganisations et de leurs activités. Par le fait, aussi, que leurs actions sont cotéesdans différents pays. Ne serait-il pas étrange que puissent exister dans différents paysdes notions très étrangères de la société commerciale, voire incompatibles alorsqu’elles pourraient concerner, par exemple, les filiales locales d’un même groupemultinational ? En fait, la société commerciale est fondamentalement la même chosedans tous les pays industriels. Il est donc, là aussi, très nécessaire d’avoir uneconception et une notion claires de la société qui ne soient ni trop étrangères d’unpays à l’autre et, encore moins, contradictoires. »

Pourtant, l’impact de la mondialisation a pu apparaître longtemps modeste.Indubitablement, la construction européenne a eu des incidences beaucoup plusconsidérables car elle contraignait les législateurs nationaux à adopter des solutionsunifiées. Rien de tel ne découle de ce phénomène de globalisation qui est au centrede nos débats. Pourtant, au nom de la mondialisation, on constate aujourd’hui desmodifications sensibles de la structure juridique des entreprises dictées pour l’essen-tiel par l’intégration du modèle dit de gouvernement d’entreprise. Sur la suggestiondes organisateurs de la présente manifestation, c’est ce phénomène de la prégnancedu gouvernement d’entreprise qui sera au centre de nos développements.

Une remarque préalable de méthode s’impose. La référence au gouvernementd’entreprise est marquée aujourd’hui par une évidente ambiguïté2. Tantôt ce gouver-nement est perçu dans une logique de système et il s’agit alors du «système par lequelles sociétés sont dirigées et contrôlées»3. Vu sous cet angle, le gouvernement

1. J.C.P. G II 14193.2. Cf. MARINI, « La modernisation du droit des sociétés », Paris, La Documentation française, 1996,

p. 187.3. Voir ici Dominique BESSIRE et Jeanne MEUNIER, « Conceptions du gouvernement des entrepri-

ses et modèles d’entreprises : une lecture épistémologique », in « Finance d’Entreprise » – Recher-ches du CREFIB, Economica, 2001, pp. 185 et s.

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d’entreprise ne postule pas l’adhésion à une idéologie quelconque4. Tout au moinspostule-t-il une réflexion sur la rationalité de ce pouvoir. L’idée sous-jacente est quele système de gouvernement de l’entreprise est source d’efficience ou d’insuffisanceéconomique. Plus souvent, la référence au gouvernement d’entreprise renvoie à uncorpus théorique d’origine anglo-saxonne dictant les modes d’exercice du pouvoiret son contrôle :

« Plus qu’un simple domaine d’études, dédié aux interactions entre dirigeantset actionnaires pour la direction et le contrôle d’une société, [la corporategovernance] est une doctrine d’origine anglo-américaine, prônant un système desolutions et de procédures vouées à la création actionnariale et donc conçues pourgarantir au mieux la responsabilité des organes de gestion vis-à-vis de la collectivitédes actionnaires. »5

En d’autres termes, le gouvernement d’entreprise est à la fois un conceptanalytique et un concept normatif.

La mondialisation n’est indifférente à aucune des deux approches : elle peut êtrefacteur de réflexion sur les modes d’exercice du pouvoir, elle peut être un processusd’exportation de concepts d’origine anglaise ou américaine.

Mais c’est essentiellement cette deuxième signification du gouvernement d’en-treprise qui sera retenue pour le présent exposé.

Le thème du gouvernement d’entreprise est le type même de problématique issuede la mondialisation. D’abord, il s’agit d’un modèle universel, dominant les princi-paux marchés de la planète ; le modèle dit de la corporate governance est un bonexemple de ce qui peut ressembler à un impérialisme mondialiste. Ensuite, le modèleest à l’origine d’un corps de normes privées qui se sont construites en dehors dessouverainetés étatiques et qui affectent inévitablement ces souverainetés étatiques.Chercher à mesurer l’influence exacte de cet impérialisme sur l’évolution desstructures juridiques des entreprises devient alors une tâche particulièrement pas-sionnante.

Impérialisme mondialiste… L’expression est volontairement provocatrice etbien entendu excessive. Cependant, elle n’est pas totalement inexacte. Les pratiquesdites du gouvernement d’entreprise sont certes considérées aujourd’hui commeindispensables aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni. Mais surtout, un certainnombre d’institutions internationales ont témoigné de leur faveur pour un meilleurgouvernement d’entreprise en élaborant des codes de bonne conduite à l’usage desentreprises. L’OCDE a ainsi publié des « Principles of Corporate Governance »6. La

4. Voir de ce point de vue les efforts développés par Gérard CHARREAUX pour dégager la corporategovernance de son carcan théorique classique : « Le gouvernement d’entreprise », Paris,Economica, 1997.

5. Alain PIETRANCOSTA, « Le droit des sociétés sous l’effet des impératifs financiers et boursiers »,Paris, I, 1999, n° 158.

6. OECD, « Principles of Corporate Governance », 26/27 mai 1999, OECD Financial Market Trends,n° 73, juin 1999, pp. 129 et s. Ces principes ont été adoptés en mai 1999 par les ministres représentant29 gouvenements de l’OCDE.

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Banque mondiale, le Fonds monétaire international ont déclaré leur intérêt pour detelles pratiques. Le G7 au sommet de Cologne, en juin 1997, a accepté ces principeset reconnu la gouvernance d’entreprise «comme pilier majeur de l’architecture del’économie globale du 21e siècle»7. De puissantes associations internationales ontrelayé ces prises de position8 en publiant également leurs propres codes. Il n’est quede consulter le site Web de l’European Corporate Governance Network9 pourconstater un certain universalisme dans les initiatives concourant à la consécrationd’une amélioration du gouvernement d’entreprise. Enfin des mécanismes d’appré-ciation et d’évaluation se mettent en place qui font de la corporate governance l’auneavec laquelle sont aujourd’hui étalonnées «aussi bien les sociétés dont les titres sontcotés en bourse, que les droits nationaux qui les régissent»10.

Il convient toutefois d’observer que la référence au gouvernement d’entreprisedans les pratiques que l’on vient d’évoquer n’a pas la même signification dans tousles cas et l’on retrouve la difficulté précédemment évoquée. Tantôt, il s’agitd’améliorer le gouvernement des entreprises (OCDE) sans que cette améliorationrepose sur des fondements idéologiques précis11, tantôt il s’agit de promouvoir unevéritable idéologie. Dans les deux cas, la pression mondiale incite à repenser lesstructures du pouvoir, ou tout au moins son mode de fonctionnement.

Cette pression mondiale, quels en sont les vecteurs ? D’abord, bien sûr, lasuprématie de l’Amérique du Nord quant à la gestion des actifs financiers : celle-cireprésente 52 % de l’ensemble des actifs financiers de toutes natures gérés par desinvestisseurs institutionnels. On ne peut dès lors que souscrire à l’affirmation de JeanPEYRELEVADE : « Notre influence doctrinale sur l’évolution du capitalismefinancier est à hauteur de nos moyens : marginale. »12

Et de fait, les grandes entreprises européennes, lorsqu’elles recherchent desfonds sur les marchés anglo-saxons sollicitent des investisseurs convaincus de lanécessité de mettre en œuvre les principes définis par les codes de bonne conduite.De manière plus spectaculaire encore, le marché national est devenu pour une trèslarge part un marché d’investisseurs étrangers. L’enquête effectuée et publiée par leMonde cette année13 est de ce point de vue extrêmement riche d’enseignements : bonnombre d’entreprises ont aujourd’hui un contrôle majoritairement exercé par des

7. Cf. Éric LOISELET, « Le grand retour de l’actionnaire », Banque stratégie, n° 173, mai 2000, p. 2.8. EUROPEAN ASSOCIATION OF SECURITIES DEALERS (EASD), Corporate Governance

Principles and Recommendations, Bruxelles, mai 2000 ; également l’action conduite depuis 1995par l’« International Corporate Governance Network », chargé de promouvoir le thème sur toutes lesplaces financières.

9. WWW.ecgn.ulb.ac.be10. Alain PIETRANCOSTA, op. cit.11. Voir ici « Gouvernement d’entreprise : débats théoriques et pratiques », sous la direction de Karine

LEJOLY et Bertrand MOINGEON, Éditions Ellipses, 2001, p. 33.12. « Le Gouvernement d’entreprise ou les fondements incertains d’un nouveau pouvoir », Economica,

1999, p. 19.13. Édition du 15 juin 2001, p. 22 : « Qui sont les propriétaires des entreprises européennes ? ».

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investisseurs étrangers. À Paris, la part des non-résidents dans les sociétés du CAC40 s’élevait au début de 2001 à 45,57 % (exclusion faite de France TÉLÉCOM et desa filiale ORANGE)14. Une autre enquête réalisée en 1997 montrait que la France étaitaprès les Pays-Bas celui des pays développés le plus ouvert aux investisseursétrangers15. Dans ce contexte, on peut évidemment en venir à se demander si parlerd’actionnaires « étrangers » a encore un sens16. Parmi ces investisseurs non résidentsfigurent nombre de fonds de pension convaincus, pour des raisons que l’on vaévoquer, de l’excellence des principes de corporate governance.

Ce sont sans doute ces investisseurs institutionnels qui sont les vecteurs les plusactifs de l’idéologie du gouvernement d’entreprise.

À l’origine pourtant du gouvernement d’entreprise, on relève des préoccupa-tions d’ordre scientifique. On rencontre des démarches de chercheurs s’efforçantd’identifier le pouvoir dans les grandes entreprises américaines. La constatationd’une dissociation entre la propriété et le pouvoir ouvrira la voie à des réflexions tropconnues pour être rappelées ici17. L’opinion publique retiendra que les dirigeants, nedétenant pas la propriété de l’entreprise, peuvent être tentés d’agir dans leur propreintérêt et à l’encontre des intérêts des actionnaires. En période de crise, ces idéesrecevront notamment aux États-Unis la meilleure attention. Comme le rappellentplusieurs auteurs18, la promotion de nouvelles méthodes de gouvernement d’entre-prise a été d’abord une réponse à de multiples abus relevés aux USA dans les années80 : la faible information donnée par les dirigeants aux actionnaires, la multiplicationdes défenses anti-OPA, les stratégies d’enracinement, etc. Il s’agit donc moins audépart d’une idéologie que de solutions recherchées pour contrer des abus flagrantset pour répondre à des exigences de compétitivité19.

L’émergence d’un capitalisme d’investisseurs institutionnels20 va donner unetoute autre dimension au phénomène. Les gérants de fonds souhaitant dégager leurresponsabilité à l’égard de leurs propres mandants vont être amenés à formuler desexigences précises à l’égard des dirigeants des entreprises investies. Pour reprendrel’expression de Monsieur Philippe BISSARA, la corporate governance vient alors

14. Voir également l’enquête plus ancienne de quelques mois publiée par le magazine l’Expansion dansson numéro 635 du 21 décembre 2000 : « Qui possède les entreprises européennes ? », par Adriende TRICORNOT, pp. 76 et s.

15. Spencer STUART, « Un aperçu du gouvernement d’entreprise dans le monde », 1997, cité par JeanPEYRELEVADE, « Le gouvernement d’entreprise », Economica, 1999, p. 16.

16. Article du Monde précité.17. L’ouvrage célèbre de BERLE et MEANS est ici essentiel : « The modern Corporation and Private

Property », New York, Mac Millan, 1932.18. Voir Philippe BISSARRA, « Les véritables enjeux du débat sur le gouvernement de l’entreprise »,

Revue des stés, 1998, pp. 6 et s.19. Cf. Michel BERGERAC et Alain BERNARD, « Fantaisie à deux voix. À propos de Dominique

SCHMIDT, les conflits d’intérêt dans la société anonyme », Le Dalloz, 2000, pp. 315 et s.20. Dominique PLIHON et Jean-Pierre PONSSARD, « La montée en puissance des fonds d’investisse-

ment – Quels enjeux pour les entreprises ? », La Documentation française, 2002.

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réguler les rapports entre des mercenaires21. C’est moins le conflit actionnaires-dirigeants qui est en cause que le conflit entre « mercenaires-dirigeants d’entre-prise » et « mercenaires-gestionnaires de fonds22 ». La théorie en prendra audemeurant acte qui constatera le déplacement du conflit actionnaires-dirigeants versun conflit actionnaires contrôlaires-actionnaires externes23.

Ce sont ces gestionnaires de fonds qui vont donner, au-delà de sa dimensionthéorique, une dimension idéologique à la corporate governance, idéologie reposantsur un postulat qui est celui de la primauté de l’intérêt de l’actionnaire24. Elle impliquele recours à la transparence qui permet de s’assurer que l’intérêt de l’actionnaire estbien satisfait. Elle «cherche à insuffler davantage d’efficacité, mais aussi, idéale-ment, de diligence, de loyauté et de transparence dans la direction des sociétés encontraignant les responsables des entreprises à respecter les droits des actionnai-res»25. Elle incite à un réaménagement des structures du conseil d’administrationdans le sens d’une meilleure séparation entre le pouvoir et le contrôle, l’intégrationd’administrateurs indépendants, la mise en place de comités spécialisées26.

21. Philippe BISSARA, op. cit., p. 9.22. Cf. également Gilles MAUDUIT et Alain VIANDIER, « Le capitalisme au XXIe siècle, vers quels

rapports entre management et capital ? », Dalloz Affaires, n° 114, avril 1008, pp. 698 et s. ; EstherJEFFERS et Dominique PLIHON, « Investisseurs institutionnels et gouvernance des entreprises »,Revue d’économie financière, volume 63, pp. 137 et s. (les deux auteurs illustrent clairement lesrelations entre les règles de gouvernance des fonds de pension américains et les règles degouvernance des entreprises cibles) ; Sabine MONTAGNE, « De la pension governance à lacorporate governance : la transmission d’un mode de gouvernement », Revue d’Économie Finan-cière, n° 63, pp. 53 et s.

23. Cf. A. SHLEIFER et R. VISHNY, « A Survey of Corporate Governance », Journal of Finance,Volume 52, pp. 737-783.

24. Cette idéologie a souvent été réduite à une version quelque peu simplifiée par les observateurs. Lesdéfinitions de la corporate governance sont nombreuses et variées et il est impossible de les recenserdans ce cadre limité. On renverra pour un effort de systématisation à Dominique BESSIRE et JeanneMEUNIER, « Conceptions du gouvernement des entreprises et modèles d’entreprise : une lectureépistémologique », in « Finance d’entreprise » – Recherches du CREFIB, Economica, 2001, pp. 185et s.

25. Nathalie DION, « 2001 – Entreprise, espoir et mutation », Le Dalloz, 2001, pp. 762 et s.26. Une telle présentation, nécessairement sommaire, est également inexacte. La primauté de l’intérêt

de l’actionnaire peut justifier de très nombreuses mesures qui vont bien au-delà de ces quelquespropositions. C’est à la limite l’ensemble de la logique d’un système qui peut être remis en cause.Il n’est pour s’en convaincre que de relire le programme exposé par le Professeur KLAUS J. HOPTconcernant la mise en place en Allemagne d’un système de corporate governance à l’aide de sixmodules à répartir autour de la distinction entre contrôle interne et contrôle externe des sociétésanonymes (« Le gouvernement d’entreprise – Expériences allemandes et européennes », Rev. soc.,2001, pp. 2 et s.). Le programme de réflexion visé, s’agissant du contrôle interne, amène às’interroger sur la compatibilité avec la corporate governance des pratiques suivantes :– le directoire et le conseil de surveillance ;– la cogestion et le marché du travail ;– le rôle des intermédiaires financiers.S’agissant du contrôle externe :– l’efficacité du marché des capitaux ;

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Il convient donc de s’interroger sur l’impact de ces idées et sur les normes etpratiques. Quelle a été l’influence de ces idées sur notre droit des structures ? Uneremarque simple permet de donner le ton. La place de Paris est, on le sait, en très viveconcurrence avec celle de Londres depuis de longues années. Si sa taille est trèsinférieure, ses ambitions sont grandes. Les pouvoirs publics, depuis le début desannées 80, ont œuvré pour en faire un grand marché attractif pour les investisseursétrangers, et les chiffres précédemment donnés montrent qu’ils y ont réussi. Il étaitdès lors inévitable que la place financière française soit rapidement impliquée dansun processus d’internalisation des exigences de la corporate governance. Ce proces-sus est certain, mais passablement ambigu comme on essaiera de le montrer dans unpremier temps (2).

Si les effets de la mondialisation sur l’évolution des structures juridiques desentreprises sont indiscutables, ils demeurent néanmoins limités, ce que nous verronsdans un deuxième temps (3).

2 LE PROCESSUS D’INTERNATIONALISATIONDES EXIGENCES DE LA CORPORATE GOVERNANCE

La forte pression exercée par l’environnement international pour la prise en comptedes principes du gouvernement d’entreprise ne pouvait que trouver des échosfavorables dans notre pays et cela au moins pour trois raisons.

Tout d’abord, comme l’a rappelé Madame Colette NEUVILLE, présidente del’ADAM (Association des actionnaires minoritaires) lors d’un colloque27, un certainnombre de facteurs économiques et sociologiques ont fait évoluer les mentalités. Enquelques années, on est passé globalement d’une économie d’endettement à uneéconomie de capitaux propres, d’une économie intermédiée à une économiedésintermédiée : le marché est devenu central. L’évolution de la pyramide des âgesn’a pas été non plus sans incidence. La proportion des personnes vivant des revenusde l’épargne ne peut que s’accroître compte tenu du vieillissement de la population.Dans ce contexte, la reconnaissance de la légitimité du marché par les différentsacteurs est devenue dominante et cette reconnaissance a été exprimée dans le discours

– l’efficacité du marché des prix de contrôle ;– la transparence et le contrôle des comptes.On se convaincra également des conséquences logiquement attachées à un système mettant au centrede ses préoccupations l’intérêt de l’actionnaire en lisant l’ouvrage de Dominique SCHMIDTconsacré aux conflits d’intérêts dans les sociétés anonymes, ouvrage à bien des points de vuefondateur d’un modèle néo-libéral (« Les conflits d’intérêt dans la société anonyme », Paris, ÉditionJoly, 1999).

27. « L’émergence d’un actionnariat actif en France », in « Vers un nouvel équilibre des pouvoirs dansles sociétés cotées ? », Les Petites Affiches, 27 septembre 1995, pp. 39 et s. Également : « Legouvernement d’entreprise : pour quoi faire ? », in « Démocratie et transparence dans le gouverne-ment d’entreprise », Colloque de l’Association Droit et Démocratie, Les Petites Affiches, 7 mai1997, pp. 24 et s.

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public. Il n’est que de feuilleter les divers travaux préparatoires à la loi sur lesnouvelles régulations économiques. Au demeurant, l’emploi du mot régulation, àsupposer qu’il ait véritablement un sens dans la loi, entend signifier que la logiquede l’intervention étatique s’inscrit dans la perspective d’une économie du marché.

Ensuite, à la différence du capitalisme rhénan et du capitalisme britannique quisont des capitalismes dont les spécificités sont, au moins en apparence, très fortes, lecapitalisme français ne correspond pas à un modèle très accusé. Il s’agit d’un modèleintermédiaire entre le modèle allemand et le modèle anglo-saxon, plus proched’ailleurs à divers points de vue de ce dernier que du premier. Ainsi la réglementationdes offres publiques a été calquée quasiment sur le modèle londonien, les pouvoirspublics s’étant employés depuis 1988 à faire de la place financière de Paris une placequi pouvait faire efficacement concurrence à celle de Londres. Dans ce contexte, laperméabilité du milieu français à des logiques dominantes sur les grandes placesfinancière est assez grande, même s’il ne fait pas de doute que la France opposeencore beaucoup de facteurs spécifiques de résistance28 comme on le verra dans ledeuxième temps de notre exposé.

Enfin, et cela nous permet déjà de mettre le doigt sur l’ambiguïté de ce qui estun processus né de la mondialisation, bon nombre des exigences rattachables à cegouvernement d’entreprise correspondent à un indiscutable bon sens. Comment nepas souscrire par exemple aux principes mis en exergue par CALPERS29 ? Laréférence à la corporate governance a ainsi rejoint une exigence de modernisation quiétait patente. Dans bien des cas, elle a été plus un accélérateur qu’un quelconqueélément de subversion. La mondialisation n’est pas toujours un phénomène imposantaux droits locaux des exigences qui leur sont étrangères. En l’espèce, on sera plutôttenté de dire qu’elle a contribué à restaurer dans les sociétés françaises des mécanis-mes démocratiques qui étaient souvent paralysés. Comme cela peut être observéassez souvent dans la pratique, la pression de l’environnement international a eu unrôle de révélateur des rigidités et des limites du droit français des structures ; plusexactement, elle a eu un rôle de révélateur des défaillances dans les comportementscar il s’agit plus de comportements que de règles juridiques en fait. Avec ledéveloppement de la globalisation des marchés, l’informatisation de l’information etla croissance des opérations d’investissement transactionnelles, le comportement

28. Cf. Olivier PASTRE, « Le gouvernement d’entreprise : questions de méthode et enjeux théoriques »,Revue d’Économie Financière, hiver 1994, pp. 15-34.

29. Cf. Richard H. KOPPES, « L’évolution du gouvernement d’entreprise – Tendances actuelles etorientations futures », Les Petites Affiches, 7 mai 1997, pp. 12 et s., spécialement p. 14 :– obligation faite aux dirigeants de rendre compte aux actionnaires ;– nécessité de transparence du marché de par son libre-accès, la standardisation des normes

comptables et le contrôle interne ;– obligation de traiter de manière équitable tous les actionnaires, même minoritaires ;– obligation de mettre en place des règles de vote claires et précises ;– nécessité pour tous les marchés financiers de développer un code de bonne conduite permettant

aux dirigeants et aux administrateurs de s’autoréguler ;– obligation pour les administrateurs et dirigeants d’avoir une vision stratégique à long terme.

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des entreprises françaises s’est trouvé placé sous le regard d’un nombre de plus enplus grand de parties intéressées. La véritable question est alors de savoir si l’onassiste à un phénomène de convergence des modèles nationaux ou s’il faut parlerd’un alignement du système français30.

Identifier l’incidence réelle des idées qui se situent dans le sillage de la corporategovernance demeure dès lors tâche délicate. Il convient d’abord de se garder d’unprosélytisme à bien des points de vue irritant. Il convient ensuite de se garderd’appliquer à la réalité une grille de lecture « corporate governance » qui permet d’enrelever assez universellement des applications sans pour autant que l’on puissepercevoir derrière l’expression d’un phénomène cohérent et assis sur de véritablessoubassements théoriques. Constater que les règles d’un système juridique conver-gent avec les dispositions considérées comme idéales dans un système de corporategovernance ne signifie pas pour autant que la philosophie de ce dernier systèmeimprègne les comportements des acteurs du système.

Ainsi, si l’hypothèse de départ de notre réflexion peut être celle d’une accultu-ration des exigences du gouvernement d’entreprise, les voies de cette acculturationdoivent être soigneusement analysées car cette acculturation inconsciente ou volon-taire des exigences du gouvernement d’entreprise a procédé de trois démarches :

– une démarche volontariste par acculturation de normes purement privées ;

– une démarche imposée par le législateur soucieux de récupérer la maîtrise duprocessus de production des normes ;

– une démarche imposée par d’autres autorités dans une logique de régulation.

Dans les trois cas, il est difficile de faire la part de ce qui a été sacrifié à lamondialisation et de ce qui a été restauration, à l’instar de pratiques internationales,d’une vision démocratique de la société anonyme.

2.1 L’acculturation d’un corps de normes privéesdans un cadre volontariste

L’examen des expériences européennes souligne une certaine diversité des techni-ques mises en œuvre pour une adhésion volontariste aux principes du gouvernementd’entreprise, la France ayant manifesté sa préférence pour d’adhésion individuelle.

2.1.1 Diversité des techniques envisageables

L’adhésion spontanée aux exigences du gouvernement d’entreprise peut se faire dediverses manières comme en témoignent les choix faits dans plusieurs États européens.

30. Cf. sur cette problématique : Dominique PLIHON, Jean-Pierre PONSSARD, PhilippeZARLOWSKI, « Quel scénario pour le gouvernement d’entreprise ? Une hypothèse de doubleconvergence », Revue d’Économie Financière, n° 63, « Le gouvernement d’entreprise », pp. 35 et s.

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• L’adhésion nécessaire à un code de déontologie annexé aux règles d’admissionsur un marché est la solution retenue au Royaume-Uni. La London StockExchange s’est dotée d’un « Combined Code » constitué par un condensé destrois rapports CADBURY, GREENBURY31 et HAMPEL32. Ce Code est placéen appendice des règles d’admission sur le marché londonien. Dès lors qu’unesociété sollicite son admission, le Combined Code s’impose à elle de manièreimpérative33.

• L’adhésion optionnelle à un code de déontologie paraît être la solution qui retientl’attention des autorités allemandes. Un rapport d’experts établi sous l’autoritédu Professeur Théodor BAUMS propose l’élaboration d’un « code de gouver-nement d’entreprise » pour les sociétés cotées. Ce code n’aurait pas de valeurobligatoire mais les entreprises cotées devraient indiquer chaque année dans leurrapport si elles y adhèrent ou non34.

• Hors l’existence d’un code de déontologie, les entreprises cotées en boursepeuvent spontanément donner des gages aux investisseurs en faisant leurscertaines exigences postulées par les principes de corporate governance.

2.1.2 Les choix français

Il n’y a pas eu au niveau français d’élaboration d’un code de déontologie comparableà celui qui vient d’être évoqué. Il y a eu seulement des recommandations formuléespar des représentants des grandes entreprises ou par des personnalités du mondepolitique ou encore par de puissantes associations, recommandations qui ont été plusou moins suivies de concrétisation.

Ainsi, sans prétendre ajouter aux nombreux rapports existants, le rapportVIENOT II développe un certain nombre de préconisations qui s’inscrivent dans laperspective d’une meilleur gouvernance d’entreprise35. Les rapports VIENOT – caril y avait eu un précédent rapport36 d’un autre comité présidé aussi par l’intéressé –semblent considérés par beaucoup d’investisseurs étrangers comme les ouvrages deréférence en matière de corporate governance en France37. Les principales recom-mandations sont les suivantes :

31. « Director’s Remuneration », rapport du groupe de travail présidé par Sir Richard GREENBURY,Londres, juillet 1995.

32. Créée en 1995, la Commission HAMPEL a publié son rapport en 1998.33. Cf. KLAUS J. HOPT, « Le gouvernement d’entreprise – Expériences allemandes et européennes »,

Rev. soc., 2001, pp. 2 et s. ; B. PETTET, « The Combined Code ; A. Firm Place for Self Regulationin Corporate Governance » (1998) Journal of International Banking Law 394.

34. Pour une approche comparative des codes de décontologie en Europe, voir « Comparative Study ofCorporate Governance Codes Relevant to the European Union and its Member States », FinalReport, janvier 2002.

35. Rapport du Comité sur le gouvernement d’entreprise présidé par M. Marc VIENOT, AFEP-MEDEF,juillet 1999 ; Didier CHERPITEL, « Les défis du rapport VIENOT », Banque stratégie, octobre1996, pp. 2 à 6.

36. Rapport VIENOT I, « Le conseil d’administration des sociétés cotées », AFEP-CNPF, 1995.37. « Corporate governance : point de vue d’outre-Manche sur les pratiques françaises » par Michelle

EDKINS et Karina LITVACK, Banque stratégie, n° 171, mai 2000, p. 15.

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• dissociation des fonctions de président et de directeur général ;

• publicité des rémunérations des dirigeants de sociétés cotées ;

• publicité des plans d’options de souscription ou d’achat d’actions des sociétéscotées ;

• fonctionnement actif du conseil d’administration ;

• présence d’administrateurs à hauteur du tiers dans le conseil d’administration ;

• mise en place de comités.

Aucune de ces dispositions n’est véritablement contraire à la tradition française, saufpeut-être à réserver la présence des administrateurs indépendants. La dissociation desfonctions de président et de directeur général a été connue du droit français, faut-ille rappeler, jusqu’en 1940.

À sa manière le rapport du Sénateur Philippe MARINI s’inscrit dans uneperspective voisine38. Il s’agit ici à la fois de préparer le terrain à d’éventuellesréformes législatives et de susciter un débat d’idées autour d’une modernisation dudroit des sociétés. Le rapport se garde de tout prosélytisme concernant la corporategovernance mais il manifeste sa faveur pour plusieurs orientations développées dansle rapport VIENOT.

Il faut encore évoquer ici les recommandations de l’AFG-ASFFI (Associationfrançaise de la gestion financière) de septembre 1999 en matière de gouvernementd’entreprise39. Ces recommandations sont de nature à avoir un impact considérablecompte tenu de la montée en puissance des investisseurs institutionnels français.

Méritent également attention les recommandations de l’ANSA : on sait quel’Association nationale des sociétés par actions est un mouvement dont l’influenceest considérable40. Cette association a formulé un certain nombre de recommanda-tions en la matière.

Diverses entreprises cotées ont, en fonction de l’origine et de la structure de leuractionnariat, souhaité mettre en œuvre plusieurs de ces préconisations. On a ainsiassisté à l’arrivée d’administrateurs indépendants dans les conseils d’administrationde certaines d’entre elles. De même a-t-on assisté à une multiplication des comités.Ces changements, pour être parfois spectaculaires, ne modifient pas le fond descomportements. Il est sans doute plus intéressant d’observer que des changementssubstantiels sont intervenus qui concernent un nombre aujourd’hui croissant de sociétéscotées et qui touchent par exemple aux conditions d’octroi de leur rémunération aux

38. « La modernisation du droit des sociétés », Paris, La Documentation française, 1996.39. Commission du gouvernement d’entreprise, Recommandations sur le gouvernement d’entreprise.40. Voir pour un condensé de ces propositions : Le gouvernement d’entreprise dans les sociétés cotées

(réunions d’information ANSA des 29 janvier et 11 février 1999), Résumé-synthèse – Communica-tion n° 2992 de janvier-mars 1999 (« Le gouvernement d’entreprise dans les sociétés cotéesfrançaises »).

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dirigeants. Celles-ci sortent progressivement d’un système d’autoattribution pourparticiper d’une logique de « juste » prix41.

Ce n’est pas seulement la transparence ou l’équité de la rémunération qui est encause. C’est aussi l’association de celle-ci aux résultats qui intègre la logique dugouvernement d’entreprise. Or il semble que l’on se dirige aujourd’hui vers desmodes de rémunération fonctions de la performance réalisée par la société42.

Au-delà de ces observations, peut-on s’essayer à une mesure plus scientifique del’impact réel de la corporate governance sur les comportements d’entreprises ? Parmiles instruments dont on dispose peut être citée une étude du cabinet HEIDRICK andSTRUGGLES43 qui a conçu une méthodologie tendant à définir un certain nombrede critères clés44 pour apprécier l’information contenue dans les rapports annuels et

41. Cf. Bernard FIELD, « La governance vient rappeler que le pouvoir n’est pas un bien que l’ons’approprie », Banque stratégie, n° 171, mai 2000, p. 13.

42. Bernard FIELD, op. cit., loc. cit.43. « Votre conseil d’administration est-il prêt pour le défi mondial ? Le gouvernement d’entreprise en

Europe », édition 1999. Les principaux résultats de l’étude figurent in Sylvie FRONTEZAK,« Gouvernement d’entreprise : évolutions récentes en France et à l’étranger », Bull. COB, n° 338,septembre 1999, pp. 1 et s.Voir également Jean-Philippe SAINT-GEOURS, « Les leçons de la comparaison », Banquestratégie, n° 171, mai 2000, pp. 7 et s. Pour d’autres approches comparatives, voir « LeadingCorporate Governance Indicators 1999 : an International Comparison – DAVIS GLOBALADVISORS », www.davisglobal.comDes travaux comparatifs ont été également effectués par KPMG (« Gouvernement d’entreprise :bilan français et international : Troisième enquête », juillet-août 1998), PRICE WATERHOUSECOOPERS, RUSSEL REYNOLDS ASSOCIATES (« Corporate Governance at the Down ofMonetary Union », 1999).L’étude KPMG Audit a été publiée pour la première fois en septembre 1997 puis actualisée. Ontrouvera un résumé des conclusions dans l’article de Gérard RIVIÈRE, « Gouvernement d’entreprise– l’évaluation depuis le rapport VIENOT », Les Cahiers de l’Audit, n° 3, 4e trimestre 1998, pp. 19et s.Également in Sylvie FRONTEZAK, « Gouvernement d’entreprise : évolutions récentes en Franceet à l’étranger », Bull. COB, n° 338, septembre 1999, pp. 1 et s. On peut encore consulter avec intérêtles travaux de KORN/FERRY INTERNATIONAL, « Gouvernement d’entreprise 2001 », novem-bre 2001. Courant 2001, le Cabinet DEMINOR, spécialisé dans la défense des actionnaires, aannoncé la création d’une agence de notation des pratiques de gouvernement d’entreprise, s’ap-puyant sur les standards internationalement reconnus en la matière. Voir le site internet deDEMINOR www.deminor.com. Également Corporate Governance 2001, Review of Trends acrossEurope.

44. Les critères retenus sont les suivants :– la structure du conseil (unitaire ou à deux niveaux) ;– la déclaration de conformité aux meilleures pratiques de gouvernement d’entreprise publiée dans

le rapport annuel ;– la création de comités spécialisés (audit, rémunération et sélection) ;– la proportion d’administrateurs non exécutifs dans le conseil ;– la présence d’administrateurs étrangers dans le conseil ;– la publication par la société d’informations relatives à l’âge, la durée des mandats de l’exécutif

et des administrateurs, aux actions de la société et/ou options détenues et à la rémunération desadministrateurs ;

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les documents distribués aux actionnaires au regard des standards du gouvernementd’entreprise. La notation va de 0 à 16. L’enquête réalisée en 2000 aboutit à unemoyenne européenne de 9,1, la France se situant justement dans cette moyenne.Toutefois la dispersion de la notation s’étend de 3 à 15, certaines notes bassesconcernant des sociétés du CAC 40.

L’instrument de mesure demeure nécessairement approximatif. Mais l’enquêtedonne des indications utiles sur l’importance relative dans la pratique française descomités d’audit et des comités de rémunération45.

Il est possible de trouver encore quelques données de ce point de vue dans lerapport de la COB pour 199946, données qui sont déjà un peu anciennes :

– 20 % de l’ensemble des sociétés du CAC 40 distinguaient les fonctions deprésident et de directeur général ;

– la France était après le Royaume-Uni le pays européen où le nombre de comitésd’audit était le plus élevé, chaque comité comprenant en moyenne trois mem-bres.

On relèvera encore d’autres manifestations qui sont moins l’expression de conces-sions des entreprises aux exigences formelles du gouvernement d’entreprise que lesouci de créer de la valeur pour les actionnaires (shareholder value)47, souci qui estune concession aux attentes des marchés et qui satisfait le rôle cardinal donné par legouvernement d’entreprise à ces actionnaires. Les entreprises françaises cotées ontadopté de façon spectaculaire les pratiques de rachat d’actions usuelles sur le marchénord-américain. Dès après la loi du 2 juillet 1998 qui a facilité la pratique du rachat,on a vu plusieurs centaines de programmes de rachat d’actions proposés aux marchés.La volonté de réaliser une « relution » du capital permettant d’accroître la valeuractionnaire s’exprime ainsi au travers de diverses autres pratiques qui s’efforcentd’assurer le financement en diluant le moins possible le capital social (obligation detype OCEANE). Cette prise en compte des intérêts financiers des actionnaires estvéritablement l’expression de ce que l’on a qualifié de « grand retour » de ceux-ci48.

– la transparence sur la composition des comités du conseil, la présence d’administrateurs nonexécutifs dans les comités du conseil.

45. La doctrine s’est préoccupée assez rapidement de proposer aux acteurs des statuts pour ces comités(cf. « Le gouvernement d’entreprise », Actes Pratiques, n° 27) ; plus récemment elle s’est interrogéesur la responsabilité des membres de ces comités (Actes Pratiques, n° 56, mars-avril 2001, « Laresponsabilité des membres des comités dans les sociétés par actions », par Jean PRIEUR, Philipped’ANCHALD, Valérie TANDEAU de MARSAC et Xavier PERRINE).

46. P. 45.47. Cf. Alfred RAPPOPORT, « Creating Shareholder Value : The New Standard for Business Perfor-

mance », New York, Freepress, 1986.Sur la mesure de cette création, voir Michel ALBOUY, « Théorie, applications et limites de la mesurede la création de valeur », Revue Française de Gestion, 1999, n° 122, pp. 81-90.

48. Éric LOISELET, « Le grand retour de l’actionnaire », Banque stratégie, n° 171, mai 2000, pp. 2 et s.

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2.2 L’intégration ordonnée ou encadrée par le législateur :la restauration de la maîtrise du processus de productiondes normes

Le législateur doit-il se mêler de questions telles la corporate governance ? Quelquespays européens ont répondu de manière positive. Certaines pratiques du gouverne-ment d’entreprise sont devenues une obligation légale ou réglementaire dans certainspays : ainsi, en Allemagne (loi KON TRAG), en Suède (loi sur les sociétés du 1er

janvier 1999) ou encore en Italie (décret DRAGHI du 24 février 1998). La questiona été clairement posée en France à plusieurs reprises, et cela de manière directe. LaFrance étant intégrée à la Communauté européenne, la question pouvait égalementse poser d’une réaction de celle-ci.

2.2.1 Le législateur national et la maîtrise du processus de productiondes normes

Si l’on essaie d’analyser le droit positif, on peut semble-t-il faire trois observations.

La loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 est sans doutele texte qui traduit de la manière la plus évidente le lien entre les exigences dugouvernement d’entreprise et les modifications du droit français. Il n’est pas sansintérêt d’observer au demeurant que la loi se veut une réponse au défi de lamondialisation : « Face à la mondialisation de l’économie et aux réalités ducapitalisme d’aujourd’hui, l’État doit se doter d’instruments de régulation efficacesafin d’assurer… un fonctionnement plus équilibré et transparent des organesdirigeants des entreprises. »49 L’idée sous-jacente est de restaurer la maîtrise d’unprocessus de production des normes qui a largement échappé à l’autorité de l’État.Le résultat pourtant n’est pas à la mesure des ambitions. Comme le note fort justementJean-Philippe COLSON50 :

« Il manque dans cette loi une dimension qui permettrait d’y voir sans réservesune véritable démarche de régulation. Le législateur s’est en effet cantonné sur leterrain du gouvernement de l’entreprise à partir de la seule problématique choisiepar le patronat, qu’il a seulement entendu préciser ou dont il a choisi de limiter ouinterdire les abus et les effets les plus contraires à l’intérêt général. Son action a doncprincipalement consisté à accompagner le marché, tout en corrigeant les possiblesexcès, ce qui n’est pas en soi négligeable. »

D’abord, le législateur a adopté diverses mesures dont on peut simplement direqu’elles sont « en phase » avec la corporate governance, sans que l’on puisse y voirdes mesures spécifiques d’intégration (2.2.1.1). Ensuite, on peut constater unvéritable mimétisme législatif national, le Parlement français répondant, de manière

49. Projet de loi n° 2250-2000 3 et s.50. « Le gouvernement d’entreprise et les nouvelles régulations économiques », Les Petites Affiches,

21 août 2001, pp. 4 et s.

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quasi expresse, aux attentes des investisseurs internationaux (2.2.1.2). On retrouveici une interrogation fondamentale qui précède la réflexion sur l’évolution desstructures : est-on en présence de phénomènes de convergence ou de phénomènesd’alignement ?

2.2.1.1 Les mesures nationales simplement en phaseavec la corporate governance : le processus de convergence

Diverses mesures recoupent de manière évidente les préoccupations que l’onrattache généralement au gouvernement d’entreprise. Toutefois, elles sont surtoutl’aboutissement de préoccupations anciennes qui s’étaient exprimées notamment ausein du groupe de travail consacré à la réforme du droit des sociétés.

Ainsi la réforme du conseil d’administration telle que mise en œuvre par la loiNRE prétend répondre aux très nombreuses critiques formulées à l’encontre dufonctionnement de ces conseils en France. En revitalisant au moins en apparence cesconseils, la loi nouvelle s’inscrit certes dans la logique du gouvernement d’entre-prise. Cependant, elle se garde de formuler l’obligation d’incorporer au conseil desadministrateurs indépendants ; elle ne fait à aucun moment allusion aux comités liésau gouvernement d’entreprise. Plus singulièrement encore, la doctrine considère defaçon majoritaire qu’il y a plutôt un affaiblissement du conseil d’administration.

Ainsi encore en permettant aux sociétés anonymes de prévoir dans leurs statutsla révocation directe des membres du directoire par le conseil de surveillance, la loifacilite une révocation qui semblait souvent difficile à réaliser en pratique : ceci vaaussi dans le bon sens du point de vue du gouvernement d’entreprise.

S’inscrit encore dans une perspective favorable aux actionnaires la nouvelleréglementation des conventions dans les sociétés anonymes, réglementation quiaboutira dans bien des groupes à cette singulière situation que les conventions serontapprouvées par les seuls actionnaires minoritaires ! Ces derniers voient égalementleurs droits renforcés à divers titres :

– accès facilité à l’assemblée ;

– abaissement à 5 % du pourcentage d’actions détenues pour exercer certainesprérogatives ;

– large accès à la technique de l’injonction pour obtenir certaines informations.

S’inscrit toujours dans la logique de ce gouvernement d’entreprise la limitation descumuls qui doit au moins en théorie conduire à une plus grande vigilance desadministrateurs sur les affaires sociales, leur temps de disponibilité étant accru ; cettelimitation doit conduire également à réduire les conflits d’intérêts.

2.2.1.2 Le mimétisme législatif national : le processus d’alignement

Pour certaines mesures, la lecture des travaux parlementaires montre que le législa-teur français n’est pas seulement en phase avec les impératifs de la corporate

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governance. Il donne véritablement le sentiment d’avoir cherché à satisfaire uneexigence à caractère international51.

Le texte qui est le plus significatif est ici encore la loi sur les nouvelles régulationséconomiques. Deux dispositions de cette loi nous paraissent satisfaire clairement lesattentes des tenants de la corporate governance. Il s’agit d’abord de la dissociationdes fonctions de président et de directeur général ; il s’agit ensuite de la transparencede la rémunération des dirigeants. Or, les deux principes fondamentaux de lacorporate governance sont bien d’une part l’organisation d’une dualité de pouvoirsentre représentants des actionnaires et management au sein des conseils d’adminis-tration et d’autre part la transparence et la discussion de la rémunération desdirigeants52.

2.2.1.2.1 La dissociation des fonctions de président et de directeur général

La dissociation des fonctions de président et de directeur général se retrouve tant enAllemagne qu’au Royaume-Uni53, aux États-Unis ou au Canada54. Elle est considéréeaujourd’hui comme caractéristique d’un gouvernement d’entreprise moderne55.

Cette observation étant faite, il n’est pas inutile de rappeler que le mouvementen faveur de la corporate governance ravive une discussion qui a toujours étéalimentée en France sur la toute-puissance des managers et le rôle insuffisant desconseils d’administration56. La pression de la mondialisation ne fait qu’alimenter undébat tout à fait classique.

La loi NRE la consacre, de manière optionnelle certes mais aussi de manièreincitative. La formule en effet n’a pas de caractère obligatoire. Cependant, elle nesaurait être écartée en sous-main. En effet, au terme de l’article L. 225-51-1 du Codede commerce :

Art. L. 225-51-1. «La direction générale de la société est assumée, sous saresponsabilité, soit par le président du conseil d’administration, soit par une autrepersonne physique nommée par le conseil d’administration et portant le titre dedirecteur général.

Dans les conditions définies par les statuts, le conseil d’administration choisitentre les deux modalités d’exercice de la direction générale visées au premier alinéa.Les actionnaires et les tiers sont informés de ce choix dans ces conditions définies pardécret en Conseil d’État. »

51. H. PAYEN, « La loi NRE œuvre pour le gouvernement d’entreprise », Option Finance, juin 2001,n° 648.

52. Cf. Jean PEYRELEVADE, « Le Gouvernement d’entreprise », Economica, 1999, p. 37.53. On estime au Royaume-Uni que 80 % des sociétés ont un chairman distinct du managing director.54. Cf. Jean-Pierre BOUERE, « PDG ou président et directeur général », Bull. Joly, 2001, pp. 695 et s.55. Le « Code of Best Practice » du Comité CADBURY (Rapport décembre 1992) recommande cette

séparation des fonctions.56. Jean-Pierre BOUERE, op. cit., n° 8, p. 706.

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Il convient donc qu’un débat intervienne au sein du conseil d’administrationquant au choix de cette solution. Les termes «dans les conditions fixées par lesstatuts» ne nous paraissent en aucune manière autoriser une éviction statutaire de ladissociation des fonctions.

Sacrifice modéré à l’impératif de mondialisation, l’option nouvelle n’est jamaisqu’un retour à une situation que la France avait connue puis abandonnée sous lerégime de Vichy. Il n’est d’ailleurs pas totalement inintéressant d’observer quel’abandon de la formule de la dissociation en 1940 est parfois imputée, à tort audemeurant, à un phénomène d’influence étrangère, à savoir le Fuhrer Prinzip57. Enréalité, c’est le constat des inconvénients pratiques de la dissociation qui avaitconduit le législateur à resserrer le pouvoir58.

2.2.1.2.2 La transparence des rémunérations

Avec la dissociation des fonctions, la transparence de la rémunération des dirigeantsest un sujet prioritaire pour l’amélioration des pratiques de gouvernement dessociétés.

L’intérêt de la place de Paris autant que le bon sens appelaient en France uneréforme des règles en vigueur. Plusieurs dispositions de la loi NRE sont venuesconsacrer cette transparence, qu’il s’agisse des rémunérations directes ou encore desrémunérations alternatives du type « Stock-Options ».

S’agissant des rémunérations directes et jusqu’au présent texte, une opacitécertaine était de mise. Désormais, il ne sera plus possible de dissimuler auxactionnaires le montant des rémunérations perçues par les mandataires sociaux. Dansleur rapport présenté à l’assemblée générale, le conseil d’administration ou ledirectoire, selon le cas, devront rendre compte de la rémunération totale et desavantages de toute nature versés durant l’exercice à chaque mandataire social59.

Encore cette information n’est-elle pas suffisante pour identifier les avantagesaccordés à chacun au sein d’un groupe. Le rapport doit également indiquer le montantdes rémunérations et des avantages de toute nature que chacun de ces mandataires areçus durant l’exercice de la part des sociétés contrôlées au sens de l’article L. 233-16. Dans la même perspective, le rapport doit comprendre également la liste del’ensemble des mandats et fonctions exercés dans toute société par chacun de cesmandataires durant l’exercice.

S’agissant des stock-options, il y aura lieu à présentation d’un rapport spécial duconseil d’administration transmis aux frais de la société aux actionnaires qui en font

57. Cf. Claude DUCOULOUX-FAVARD, « L’histoire des grandes sociétés en Allemagne, en Franceet en Italie », RID Comp., 1992, p. 865.

58. Voir ici Paul CORDONNIER, DC 1941 L 1 et s., également François GAUDU, Rev. soc., 1996,p. 479, n° 18 et s. Voir également les intéressants développements consacrés à la question par JeanPEYRELEVADE, « Ce gouvernement d’entreprise », précité, pp. 27 et s.

59. Article L. 225-102-1.

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la demande et faisant état à la fois du sort des options accordées et du sort des optionslevées. Ce rapport comportera60 l’indication du nombre, des dates d’échéance et duprix des options de souscription ou d’achat d’actions qui, durant l’année et à raisondes mandats et fonctions exercés dans la société, ont été consentis à chacun de cesmandataires sociaux par la société et par celles qui lui sont liées dans les conditionsprévues au sens de l’article L. 225-180 et par les sociétés qu’elle contrôle au sens del’article L. 233-16 du Code de commerce. Doivent également être mentionnés dansce rapport le nombre, le prix des actions effectivement souscrites ou achetées enlevant ces options en cours d’exercice. Les mêmes informations doivent être donnéesconcernant les options consenties aux dix salariés non-mandataires sociaux bénéfi-ciant du nombre d’options ainsi consenties le plus élevé.

2.2.2 Le législateur européen et la maîtrise du processus de productiondes normes

Il n’apparaît pas qu’il y ait eu de consécration véritable au niveau européen desprincipes du gouvernement d’entreprise. La Commission européenne ne s’est jamaisfait expressément l’interprète des tenants de ce mouvement. Favorable toutefois àune approche libérale, elle a été amenée à promouvoir des actions qui satisfontl’intérêt des marchés. Ainsi l’action en faveur d’une unification dans la présentationcomptable au moyen d’une généralisation des normes IAS61, en permettant unemeilleure comparabilité des états financiers, donne aux investisseurs et notammentaux gestionnaires pour compte de tiers les moyens pour des arbitrages plus efficaces :la transparence du marché par la standardisation des normes comptables est, on l’avu, un des objectifs du fonds CALPERS.

De manière générale, le programme européen de libéralisation des relationsfinancières œuvrant pour la construction d’un marché financier intégré européen vadans le sens souhaité par les grands investisseurs sans pour autant qu’il s’agisse desacrifier à une pression mondialiste.

2.3 Les autres sources d’intégration des principes de lacorporate governance : l’intégration par la régulation ?

Il semble bien que deux autorités aient joué un rôle non négligeable dans laconsécration des principes rattachés à un bon gouvernement d’entreprise. Il s’agitd’une part de la Commission des opérations de bourse, de l’autre de la jurisprudenceet plus spécifiquement celle de la Cour de cassation. La première a été manifestementsensible aux sollicitations émanant des promoteurs de la corporate governance(2.3.1). La seconde a consacré des principes qui rejoignent ceux du gouvernementd’entreprise sans pour autant s’inscrire dans le sillage du mouvement (2.3.2).

60. Article L. 225-184.61. Sur ce point : Brigitte RAYBAUD-TURRILLO, « Le processus de normalisation comptable : un

exemple de droit postmoderne », Revue Internationale de Droit Économique, 2001, n° 1, pp. 9 et s.

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2.3.1 La réception par la Commission des opérations de bourse des principesdu gouvernement d’entreprise

La Commission des opérations de bourse ne pouvait pas demeurer insensible à unmouvement qui a pris de l’ampleur sur toutes les grandes places financièresmondiales. Elle n’avait pas pour autant les moyens d’apporter satisfaction à toutes lesdemandes.

De manière générale, la Commission s’est montrée prudente. Dans son rapportpour 1999, elle adopte d’abord un ton de très grande neutralité :

« Le développement des marchés accroît les exigences de transparence et deresponsabilisation au sein des sociétés cotées. L’internationalisation des marchés etl’avènement de la zone euro accentuent la pression en ce sens.

L’application des principes de gouvernement d’entreprise au sein d’une sociétécotée est devenue un critère d’investissement pour de nombreux gestionnairesfrançais et internationaux. Pour éviter d’être écartés des choix d’investissement desgrands fonds, les émetteurs communiquent de plus en plus fréquemment sur leurstructure et leur processus de décision comme sur les modalités de leur contrôleinterne.

Chaque pays définit un gouvernement d’entreprise adapté à ses propres struc-tures et à sa culture. Il n’existe pas un modèle standard de gouvernement d’entre-prise. La publication des “Principes de l’OCDE relatifs au gouvernementd’entreprise” participe d’un courant de généralisation et d’harmonisation dessystèmes de gouvernement d’entreprise, source d’efficience économique. La ré-flexion en ce domaine se généralise, bien que la pratique en France et à l’étrangersoit inégale.» 62

Puis elle donne quelques indications sur les recommandations qui sont lessiennes :

« La COB, par le biais d’une instruction, demande aux sociétés cotées sur lePremier et le Second marchés une information sur le fonctionnement des organesd’administration, de direction et de surveillance, notamment : le nombre de réunionsau cours du dernier exercice clos, les dispositions particulières concernant lesadministrateurs (charte, règlement intérieur …), les comités constitués en indiquantpour chacun son appellation, l’identité de ses membres, ses principales missions, lesrémunérations et avantages attribués aux membres des organes d’administration, dedirection ou de surveillance et indiqués de façon globale pour chaque catégorie. »63

La COB n’a pas caché ses sympathies pour les conclusions et recommandationsdu rapport VIENOT auxquelles elle souscrit « sans réserves »64.

62. Rapport, p. 45.63. Rapport, p. 47. L’instruction ici visée est l’instruction d’application du Règlement COB n° 91-02.64. Cf. Bull. COB, n° 338, septembre 1999, p. 13.

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Enfin, la COB semble avoir concentré son intérêt sur la question de la valeuractionnariale :

« Les sociétés cotées utilisent de plus en plus fréquemment des indicateurs deperformance financière dérivés notamment du concept de “valeur actionnariale”. Ilapparaît, cependant, que la définition et la composition de ces indicateurs n’ont pastoujours la transparence et la rigueur requises, ce qui peut en rendre l’interprétationet la comparaison délicates.

L’action permanente de la Commission en matière de transparence des émet-teurs relève du souci de s’assurer que la qualité de l’information diffusée auxépargnants soit la meilleure possible afin qu’ils disposent dans les meilleurs délaisdes éléments leur permettant d’apprécier les perspectives d’évaluation des titres.

À ce titre, la Commission se propose de clarifier, en liaison avec les profession-nels compétents, les conditions dans lesquelles l’information financière utilise cesratios de gestion. »65

Cette action est globalement assez discrète mais la COB, de manière peut-êtremoins formelle, s’exprime sur un certain nombre de thèmes. Parmi les thèmes quidonnent lieu à discussion figure notamment la publication trimestrielle des comptesconsolidés. Les sociétés américaines procèdent à ce type de publications qui sontperçues comme nécessaires pour réaliser l’objectif de bonne information des inves-tisseurs. La Commission des opérations de bourse est très favorable à l’améliorationde la fréquence de l’information financière. Au demeurant, cette faveur n’est passeulement justifiée par un souci d’alignement sur ce qui tend à devenir une normeinternationale. La COB a constaté les effets dévastateurs des « profits warning », cesavertissements sur résultat qui ont produit plusieurs fois des conséquences catastro-phiques sur les cours des titres. C’est aussi pour éviter ces conséquences que laCommission encourage le développement d’une information plus rapprochée.

2.3.2 Les principes posés par la Cour de cassation

Dans un article au titre un brin surprenant, Madame l’Avocat général Marie-Charlotte PINIOT a évoqué «La corporate governance à l’épreuve de la Chambrecommerciale de la Cour de cassation»66, ce qui laisse augurer d’une rencontrefrontale entre un phénomène d’origine étrangère et les solutions d’une juridictiongardienne des traditions juridiques nationales. Comme le note l’auteur dès le début :« Certains se demanderont, à la lecture de ce titre, si la Cour de cassation a mis sonvocabulaire au goût du jour ou si elle a déjà été saisie du non-respect des préceptesde bonne conduite dans l’administration des sociétés, tels que dégagés dans les

65. Rapport, p. 50. Au cours de l’année 2001, la COB a publié une recommandation n° 2001-01 relativeà la communication des émetteurs sur la création de valeur actionnariale (cf. Bulletin COB, n° 356,avril 2001).

66. « Droit bancaire et financier », Mélanges AEDBF-FRANCE II, 1999, pp. 369 et s.

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rapports CADBURY-VIENOT, par quelque investisseur impertinent, impatient,mécontent ou récalcitrant.»67

L’article montre de façon tout à fait convaincante que la Cour a été amenée àrendre des solutions illustrant les grands thèmes de la corporate governance :

– l’impératif de confiance dans les dirigeants ;

– l’exigence de compétence ;

– l’exigence d’un bon fonctionnement du conseil d’administration.

La jurisprudence sur le devoir de loyauté des dirigeants, jurisprudence dont l’échoest considérable, constitue sans doute l’illustration la plus spectaculaire68.

Au vu de cette jurisprudence synthétisée par Madame PINIOT, certains auteurson pu écrire non sans quelque pertinence que le droit français était déjà parfaitementen accord avec les exigences formulées par les tenants du gouvernement d’entre-prise69.

Ces analyses contiennent sans aucun doute leur part de vérité. Mais il est évidentque le schéma d’analyse utilisé, à savoir l’application d’une grille de lecture« corporate governance » sur une réalité qui lui est philosophiquement étrangère, estpour une large part totalement artificiel.

Tel est ce premier bilan que l’on peut esquisser de l’acculturation en France despratiques de la corporate governance. La mondialisation a eu manifestement uneincidence sur les comportements nationaux, incidence qui a été très largementnégociée par les acteurs.

Reste maintenant à mieux préciser les limites de cette influence.

3 LES LIMITES DE L’INFLUENCE DE LAMONDIALISATION SUR LE DROIT DES STRUCTURES

Bien des facteurs – on l’a vu en introduction – sont à l’origine du succès rencontréen France par l’idée de gouvernement d’entreprise. Reste que l’empreinte duphénomène est nécessairement restreinte, notamment pour des raisons économi-ques. Il convient de s’arrêter d’abord un instant sur ces raisons structurelles.

Diverses raisons structurelles peuvent en effet inciter à penser que la France etplus largement les pays d’Europe continentale sont naturellement moins sensibles

67. Op. cit., loc. cit.68. Cass. com. 27 février 1996, Bull. des arrêts de la Cour de cassation IV n° 65, RTD Civ. 1997.114 obs.

Jacques MESTRE, Bull. Joly 1996.485, JCP G 1996.2.22 665 note GHESTIN, JCP E 1996.838 noteDominique SCHMIDT et Nathalie DION, Quot. jur. 14 mai 1996 note P.M., également février 1996,Bull. IV n° 50, RJDA juin 1996 n° 795.

69. Frédéric PELTIER, « La convergence du droit français avec les principes de la corporate governanceaméricaine », JCP E, 1998, n° 23, RD bancaire et bourse, 1997, p. 49.

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que les pays anglo-saxons à la prégnance du gouvernement d’entreprise. En effet, enEurope continentale, l’actionnariat apparaît extrêmement concentré70 : ce degré deconcentration est supérieur à 50 % même pour les sociétés cotées. Si l’on comparele taux de concentration de la propriété dans les États développés, on relève que lestrois premiers actionnaires détiennent en moyenne 12 % du capital aux États-Unis71,50 % en Allemagne et 60 % en Italie. Dans le cas spécifique de la France, une étudede l’INSEE et de la Banque de France réalisée en 1996 sur 680 entreprises cotées afait ressortir que la détention moyenne du premier actionnaire s’élevait à 56 % et à21 % pour le deuxième72. Si l’on intègre les phénomènes de participations enpyramide, on constate encore que la détention indirecte globale du plus grosactionnaire est alors en moyenne de 32 %. Il faut ajouter à ce premier phénomène lefait qu’en France, le capital à caractère familial semble représenter près de la moitiédu capital, phénomène que l’on ne retrouve pas dans les pays anglo-saxons. Enfin,il n’est pas sans intérêt d’observer que la France est, avec l’Italie, le pays où lesinstitutions financières et plus généralement les investisseurs institutionnels détien-nent la plus faible part du capital des sociétés (de l’ordre de 3 %). Cette situationéconomique qui a certes vocation à évoluer est de nature à relativiser l’impact d’unphénomène d’ampleur mondiale tel la corporate governance.

On peut dire que le modèle dominant en France est plutôt le modèle du contrôleinterne, si l’on reprend un schéma de réflexion assez classique.

« Deux modèles de contrôle sont volontiers opposés. Dans le modèle de contrôleexterne, les actionnaires interviennent par leurs achats et ventes de titres, ainsi quepar la nomination des dirigeants. En ce sens, ce système fonctionne moins par lecontrôle que par la sanction. Il prévaut dans la mesure où la dispersion del’actionnariat ne permet pas d’identifier de grands actionnaires susceptibles desuivre la gestion et de devenir les interlocuteurs des dirigeants, à l’image duRoyaume-Uni. Ce “contrôle” externe s’exerce donc a posteriori.

En revanche, la concentration de l’actionnariat va de pair avec un système decontrôle interne, dans lequel les actionnaires exercent une présence plus activeauprès des dirigeants. Le contrôle interne est un contrôle d’accompagnement. Ilémane d’actionnaires de référence, partenaires de la direction. Il s’épanouit

70. Cf. Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Direction de la prévision, Synthèse destravaux et débats sur le gouvernement d’entreprise, mai 1996 – mai 1997, p. 4. Également MichelGERMAIN et Véronique MAGNIER, « Vers un gouvernement d’entreprise à la française ? »,L’Année Sociologique, 1999, 49, n° 2, p. 370.

71. La concentration est semble-t-il beaucoup plus faible au Royaume-Uni. Une étude publiée à partirde données de 1990 est assez éclairante de ce point de vue. Voir J. FRANKS et C. MAYER,« Corporate Control : a Comparison of Insider and Outsider Systems », Working Paper LondonBusiness School and University of Oxford, 1994.

72. Voir ici : Patricia CHARLETY, « Activisme des actionnaires : le cas particulier des fonds depension », Bulletin COB, n° 354, février 2001, pp. 17-35 ; également R. LA PORTA, F. LOPEZ-de-SILANES, A. SHLEIFER, R. VISHNY, « Investor Protection and Corporate Governance », Journalof Financial Economics, 2000 October.

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d’autant mieux dans un univers de participations croisées, où tout dirigeant estl’actionnaire de référence d’un autre. Il s’ensuit que le contrôle interne peut êtrefustigé comme un contrôle accaparé par quelques “familles” ou “chèques d’argent”(traduction littérale de “Zaibatsu”73), du moins par quelques institutions et leursreprésentants. »74

La mondialisation est venue inévitablement achopper sur les obstacles nés de lastructure de la propriété.

Car d’abord la mondialisation ne paraît pas être un obstacle au développementde modèles nationaux (3.1) ; ensuite elle ne peut avoir qu’une incidence limitée surle fonctionnement des sociétés non cotées en bourse (3.2).

3.1 Les résistances à la mondialisation

Il apparaît que l’on peut relever au moins trois modes de résistance à la mondialisa-tion. Un premier mode est constitué par des résistances organisées qui semblent êtredavantage des résistances au modèle libéral qu’à la gouvernance d’entreprise (3.1.1).Un deuxième mode de résistance naît de la volonté du législateur national depromouvoir, hors la pression de l’environnement, de véritables spécificités nationa-les (3.1.2). Un troisième mode de résistance procède d’une adhésion formelle auxpratiques de la communauté internationale pour mieux pérenniser les comporte-ments contraires (3.1.3).

3.1.1 Résistances organisées au modèle libéral

La propagation du phénomène du gouvernement d’entreprise, inégale selon les Étatseuropéens, s’est heurtée à des échecs spectaculaires qui témoignent d’une résistanceorganisée à un processus de mondialisation redouté. L’exemple le plus visible estsans doute celui du rejet du projet de treizième directive par le Parlement européen,projet dont l’ambition très modeste était d’améliorer le contrôle externe des sociétéscotées. En dépit de la volonté de la Commission européenne et de celle du Conseildes Ministres, le projet n’a pu franchir la barrière du Parlement européen.

Un exemple moins spectaculaire peut être trouvé dans le consensus qui sembles’être établi en Europe pour valider la pérennité des actions à droit de vote double etautres techniques limitatives du contrôle externe75. Le projet de cinquième directiveeuropéenne dont un des objectifs était justement le refoulement de ces techniques neconnaît aucun développement depuis seize ans. Or la pratique des droits de vote

73. Holdings de type congloméral.74. Voir Laurent BATSCH, « Finance et contrôle : à propos de la corporate governance », Université

Paris-Dauphine – Centre de Recherches sur la Gestion, Cahier de recherches n° 9606.75. Cf. Stephen DAVIS and Karel LANNOO, « Shareholder Voting in Europe », Centre for European

Policy Studies, Brussels, 1996.

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double constitue un véritable « anathème » aux yeux des actionnaires anglo-améri-cains76.

3.1.2 Survie des spécificités nationales

L’hypothèse que les modèles nationaux devraient garder à terme leur spécificité estfaite par plusieurs auteurs77. Cette observation de portée générale vaut à notre senspour le droit français. Car la sensibilité des milieux d’affaires aux exigences de lacorporate governance n’est pas nécessairement destructrice de ce qui constituel’esprit de chaque droit national. Or la mission de l’entreprise aujourd’hui ne sauraitse réduire au seul modèle de fonctionnement voulu par les marchés. Aucuneentreprise n’est réductible à la seule satisfaction des intérêts des actionnaires.

Un modèle d’équilibre semble s’esquisser qui nous éclaire quelque peu sur lesperspectives d’avenir du droit de l’entreprise. Loin sans doute des conceptions tropradicales, le droit de l’entreprise devrait se définir comme le droit d’un juste milieu,riche d’un certain nombre de convergences. Ces convergences sont inexorablementdictées par des évolutions managériales mais également par l’évolution de la placede l’entreprise dans nos sociétés. L’entreprise qui rechercherait de purs profits sansse préoccuper de l’emploi, de la formation des jeunes, de la protection de l’environ-nement finirait par encourir une réprobation sociale que la multiplication des fondséthiques pourrait concrétiser. Les grandes orientations du droit de l’entreprise sontinévitablement dictées par l’évolution de l’environnement, et notamment par le faitque le comportement social des entreprises ne saurait être totalement indifférent àleur destin : la responsabilité sociale de l’entreprise s’inscrit dans la notion dedéveloppement durable78.

Au demeurant, les discours sur le gouvernement d’entreprise intègrent parfoiscela, la prise en compte de l’intérêt de l’actionnaire n’excluant pas la prise en compted’autres intérêts. Certes les discours les plus radicaux concèdent peu de place à cesautres intérêts. Ainsi l’IGCN déclare que « l’objectif primordial de l’entreprisedevrait être d’optimiser la rentabilité pour les actionnaires. Au cas où cet objectifserait influencé par d’autres facteurs, ces derniers doivent être clairement affirmés etpubliés »79. D’autres discours sont moins totalitaires. Un auteur écrit que « le respectet la mise en œuvre des principes du gouvernement d’entreprise est, dès lors, lacondition nécessaire de la prise en compte des intérêts des autres parties prenantes de

76. Michelle EDKINS, Karina LITVACK, « Corporate governance : point de vue d’outre-Manche surles pratiques françaises », Banque stratégie, n° 171, mai 2000, p. 15.

77. ROEM, « Political and Legal Restraints on Ownership and Control of Public Companies », Journalof Financial Economics, Vol. 27, 1990 ; voir également Dominique PLIHON, Jean-PierrePONSSARD et Philippe ZARLOWSKI, « Quel scénario pour le gouvernement d’entreprise ? Unehypothèse de double convergence », Revue d’Économie Financière, Vol. 63, pp. 35 et s.

78. Éric LOISELET, Banque stratégie, n° 171, mai 2000, p. 2.79. Déclaration sur les principes de la gouvernance d’entreprise adoptée à Francfort en juillet 1999.

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l’entreprise, en d’autres termes du développement de sa capacité à exercer saresponsabilité sociale »80.

On ne reviendra pas ici sur de grands débats auxquels l’École de Rennes, dontles principaux animateurs sont ici présents aujourd’hui, ont apporté des contributionsdécisives81. On se bornera à observer que dans le temps même où il sacrifiait àcertaines demandes des promoteurs du gouvernement d’entreprise, le législateur aimposé des mesures témoignant de l’intérêt marqué par lui pour la prise en compted’autres intérêts que ceux des actionnaires.

Ainsi la loi sur l’épargne salariale est un témoignage intéressant du soucid’améliorer les processus d’intéressement tout en canalisant des fonds vers l’entre-prise. Elle va plus loin encore82. En application de l’article 29, «lors de toute décisiond’augmentation de capital, l’assemblée générale extraordinaire doit se prononcersur un projet de résolution tendant à réaliser une augmentation de capital effectuéedans les conditions prévues à l’article L. 443-5 du Code du travail », c’est-à-dire uneémission réservée aux salariés adhérents d’un plan d’épargne d’entreprise. Cesdispositions ont été insérées dans l’article L. 225-19 du Code de commerce, relatifau régime général des augmentations du capital, au VII. Or cette obligation estprescrite à peine de nullité, compte tenu de la rédaction de l’article L. 225-129-VIII :« Les décisions prises en violation du présent article sont nulles » et de l’articleL. 235-1 du Code de commerce, ainsi rédigé: « La nullité d’une société ou d’un actemodifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livreou des lois qui régissent la nullité des contrats … ».

La frontière entre droit du travail et droit des sociétés devient incertaine,phénomène encore accusé dans les textes les plus récents et les projets en discussion.

• La loi sur les nouvelles régulations économiques accroît les droits du comitéd’entreprise. Celui-ci peut désormais désigner deux représentants pour assisterà l’assemblée générale. Le comité peut encore faire inscrire à l’ordre du jour del’assemblée un projet de résolution qui n’y figurait pas83.

• La désignation nécessaire de salariés ayant voie délibérative au conseil d’admi-nistration est une réalité proche.

• La révocabilité « ad nutum » des dirigeants de sociétés anonymes qui s’accordeparfaitement à l’idée de contrôle externe ne cesse de reculer dans notre droit. Laloi sur les nouvelles régulations économiques impose désormais pour le direc-teur général une révocation « causée » ; on sait également que la jurisprudence

80. Éric LOISELET, op. cit., loc. cit.81. Voir par exemple parmi les travaux les plus récents Jean PAILLUSSEAU, « Entreprise, société,

actionnaires, salariés, quels rapports ? », Dalloz, 1999, pp. 157 et s.82. Loi du 19 février 2001.83. Article L. 432-6-1 nouveau du Code du travail introduit par l’article 99 de la loi n° 2001-420 du 15

mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Cf. Bernard JADAUD, « La participationdu comité d’entreprise aux assemblées générales d’actionnaires », Les Petites Affiches, 18 juillet2001, pp. 4 et s.

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n’a cessé de rappeler les exigences procédurales devant présider à la révocationdes mandataires sociaux, notamment sur le fondement de l’article 6 de laConvention européenne des droits de l’homme.

En d’autres termes, une certaine ouverture à la mondialisation n’exclut pas lapoursuite d’une voie nationale riche de spécificités : la mondialisation n’est pas lavassalisation. On observera au demeurant que les discours tenus par les prosélytes dugouvernement d’entreprise mettent l’accent sur le fait que le gouvernement entends’adapter aux différences culturelles sans imposer une quelconque uniformité.

3.1.3 Adhésion purement formelle aux « ornements »de la corporate governance

Le phénomène a été dénoncé par Jean PEYRELEVADE dans sa réflexion sur legouvernement d’entreprise. L’adhésion aux principes du gouvernement d’entreprisen’est parfois que purement formelle.

« Que reste-t-il du corporate governance dès lors que l’on récuse la démonstra-tion centrale de ses inventeurs ? Peu de chose, quelques ornements qui visent en faità réformer le système à la marge pour lui permettre de mieux se perpétuer. Seuls lescomités d’audit qui ont heureusement fleuri et ouvrent à quelques administrateurs,parfois mais pas toujours en dehors de la présence du président, une possibilité dedialogue direct avec les directions financières des entreprises et leurs commissairesaux comptes, ont une réelle utilité. On peut espérer qu’ils contribueront dans l’avenirà ce que l’information comptable soit plus fiable et plus rigoureuse. On en a vu lanécessité. C’est à la fois beaucoup et peu. »84

3.2 La résistance naturelle à la mondialisation :les sociétés non cotées

La corporate governance est fondamentalement l’expression du poids des marchéssur le fonctionnement des sociétés. Dès l’instant où les sociétés ne sont pas soumisesà la contrainte du marché, il est évident que les préoccupations découlant despressions exercées sur ces marchés ne les concernent pas, ou très peu. On ne peutcependant éliminer toute incidence car les sociétés cotées sont des laboratoires derecherche avancée s’agissant du fonctionnement social. Tôt ou tard, les innovationsse banalisent et atteignent les structures qui étaient le moins exposées. Au demeurantle législateur français s’est bien gardé de réserver les innovations de la loi NRE auxseules sociétés cotées en bourse : la nouvelle organisation des pouvoirs dans lessociétés anonymes, la transparence des rémunérations, la réglementation des cumulsconcernent toutes les sociétés. Ce n’est pas tant le phénomène de la gouvernance

84. « Le gouvernement d’entreprise », précité, p. 36.

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d’entreprise qui a ici un écho que le souci de modernisation du droit français dessociétés.

Mais à vrai dire, le droit des sociétés par actions non cotées dérive aujourd’huivers d’autres perspectives. Étrangère aux préoccupations de la corporate governance,la société par actions simplifiée est devenue un mode de fonctionnement confortablepour les sociétés non cotées : les droits de vote multiples, les répartitions inégalitairesde bénéfices peuvent prospérer ici sans inconvénient. La transparence est passable-ment réduite.

On sait aussi qu’un modèle de société fermée européenne a été proposé par laChambre de commerce de Paris qui peut demain devenir un cadre à vocationeuropéenne85.

La Commission européenne a rendu en 1995 un rapport sur « La simplificationde la réglementation sur le fonctionnement des sociétés anonymes dans l’Unioneuropéenne » favorable à un certain nombre d’assouplissements86.

4 CONCLUSION

En définitive, on est ici très loin d’une décomposition du système juridique par lemarché, telle que la décrit Jean-Arnaud MAZÈRES87 : « Le marché se substitue à lanation, s’impose à l’État, devient le droit. » La mondialisation opère sans doute demanière plus subtile.

Au-delà des phénomènes de mimétisme dont a essayé de préciser les limites, lamondialisation tend à accuser la différence déjà très présente dans le droit françaisentre les sociétés faisant publiquement appel à l’épargne et les sociétés qui n’y fontpas appel. Les premières, tout en maintenant sans doute de fortes spécificitésnationales, céderont inexorablement à un certain tropisme des marchés et donc à uneunification culturelle largement centrée sur l’intérêt des actionnaires. Mais il n’est enaucune manière évident que cette unification se fasse en éliminant ce qui faitl’essence de chaque droit. Comme le relève Monsieur Philippe BISSARA : «Quantaux sociétés cotées, les investisseurs s’accommodent en fait de la variété des règlessous l’empire desquelles elles fonctionnent, pourvu qu’elles donnent des gages deleur transparence au marché.»88

85. Cf. Jeanne BOUCOURECHLIEV, « Une société de droit européen ? », Paris, Presses de SciencesPo, CREDA, 1999, Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Conseil national du patronatfrançais, « Société privée européenne », septembre 1998.

86. Rapport définitif – décembre 1995.87. « L’un et le multiple dans la dialectique marché-nation », in « Marché-nation, regards croisés », dir.

B. STERN, Paris, Montchrétien, 1995, p. 146.88. « Au seuil d’un nouveau millénaire : quelles perspectives d’évolution pour le droit des sociétés ? »,

Revue des sociétés, 2000, pp. 70 et s.

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89. Aldo CARDOSO, « Gouvernement d’entreprise. Tout est une question de confiance », Les Cahiersde l’Audit, n° 3, 4e trimestre 1999, pp. 4-5.

90. Cf. notre article « Première traduction législative de la corporate governance : la loi sur les fonds depension – titres propres autour de la loi n° 97-277 du 25 mars 1997 », Dalloz, 1997, pp. 241 et s.

91. En ce sens, PAILLUSSEAU, « Réforme du droit des sociétés : la nouvelle donne », Fascicule EFE :compte rendu d’un séminaire des 27 et 28 février 1997.

92. Rapport février 2001 : « Rapport final du Comité des Sages sur la régulation des marchés européensde valeurs mobilières ».

Les secondes s’orienteront vers des modèles d’organisation qui s’éloignentparfois des cultures nationales – la SAS est un bon exemple – et qui sont très à l’écartdes exigences mises en exergue par la corporate governance.

Cette constatation est en fait le fruit d’une autre. La mondialisation joue avanttoute chose un rôle de révélateur. Elle accentue les phénomènes qui étaient déjà sous-jacents ; elle révèle le caractère intolérable des pratiques dont s’accommodaient fortbien les acteurs et les États (participations croisées par exemple) ou le caractèredésuet de certains autres (opacité des rémunérations, cumul de mandats, etc.). Il n’estpas sans intérêt de ce point de vue de relever dans un rapport COB de 1998 que plusde la moitié des sociétés cotées ne respectent pas l’obligation de publication descomptes provisoires qui doit intervenir dans les quatre mois suivant la clôture del’exercice, que certaines ne publient même pas leurs comptes définitifs89.

La mondialisation révèle encore l’inadéquation des règles juridiques classiquesà ces actionnaires très spécifiques qui sont les fonds d’épargne collective. La loiTHOMAS aujourd’hui abrogée sans avoir jamais été appliquée, faisait éclater augrand jour les conflits de principes naissant du changement de structure de l’action-nariat90. Confronté à l’épreuve de la mondialisation, le droit français des sociétéssubit d’abord une épreuve de vérité.

Une dernière observation pour clore ce rapport. On a vu que, très épisodique-ment, l’Europe a, de manière purement négative, gêné le processus de mondialisa-tion. Ce qui est regrettable est sans doute le fait qu’elle ne soit pas véritablement àmême de construire un véritable droit européen des structures. La faiblesse del’édification européenne91 en matière de marchés financiers est patente. Le rapportLAMFALUSSY92 a montré de façon saisissante combien il était nécessaire de mettreen place un marché intégré, profond et liquide.

Summary

Corporate governance as a normative concept appears to be directly linked to economicglobalisation to the extent that it equally fits all internationally operating enterprises, thatit is recommended by international institutions, and that it corresponds to the interests andresponsibilities of international investors, in particular institutional investors interestedin the primacy of « shareholder value ». The report analyses the meaning and theimportance of the concept of corporate governance by examining, in a first part, theinternational spread of the principles of corporate governance, and, in a second part, the

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limits of the influence which the concept may exercise on the rules and practice of nationalcorporate law.As regards, first, the international acceptance of the principles of corporate governance,a distinction is made between, on the one hand, the voluntary introduction of corporategovernance, in particular by way of establishing professional standards and codes ofconduct or by recommendation of public authorities or trade associations, and, on theother, by – mostly national rather than European – legislative action. In general, the latteronly transforms existing or desirable « best practice » into legal rules, but, in some regardalso takes legislative leadership, e.g. as regards the division of control within a corpora-tion or as regards transparency of remuneration of board members. Finally, principles ofcorporate governance may be imposed or enforced by regulatory action, in particular bythe agency in charge of regulating the stock market or by the courts, when they rule onmatters of corporate organisation or responsibility. Second, as regards the factors limitinggeneral acceptance of the principles of corporate governance, they may be of an economicnature such as the high concentration of stock ownership on the Continent, or they maybe of a political nature such as principled resistance to capitalist liberalism. In legal terms,however, the principal limitations are due to divergent national concepts of the role andfunction of enterprises in that they may combine in different ways shareholder interestswith those of labor, e.g. by a variety of forms of codetermination, or with the protectionof the environment or with other societal interests. In addition, principles of corporategovernance are less easily accepted by corporations whose stocks are not listed at thestock exchange. In sum, therefore, corporate governance is a hallmark of globalisationwith a considerable effect of harmonization and of enhancing the efficiency of corporatestructures, but there is still and there will remain quite some diversity of rules and ofconduct under the various national systems.

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