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revue toxibase n° 3 - septembre 2001 1 Prévention Prévention en milieu festif musical en milieu festif musical Une recherche-action dans la région Rhône-Alpes Patrick Dessez , Psychologue, CNDT Lyon Catherine Miachon, Sociologue, CIRDD, Lyon Alain Oddou, Psychiatre, A3, Lyon médiatisés par ce petit groupe même si on sait que ce groupe subit lui-même l'in- fluence de la masse et est orienté par le style du regroupement musical. Le monde actuel permet l'accès à une grande diversité de cultures et de drogues qui se développent en interaction et non plus en modèle unique spécifique d'une forme de culture. Nous vivons un temps de tribus où chacune a ses modes, ses bases culturelles, sa musique et ses dro- gues. Le problème vient du fait qu'au cune voie d'utilisation cohérente n'est donnée a priori sauf à être identifiée dans la tribu comme le rituel approximatif d'un signe d'appartenance. Il s'agit de trouver sa place dans chaque regroupement.Un produit psychotrope spécifique (voir plu- sieurs) peut être pris pour référence et il peut être célébré par les acteurs forts d'un style de musique (musiciens et person- nels qui sont autour de la scène). Comment approfondir le débat autour des free parties et du milieu festif en ce qui concerne les comportements et l'évolution des jeunes ? Quelle place tient véritablement la consommation de substances psychotropes dans ce contexte ? Quelles stratégies de prévention mettre en place ? L'apport de la recherche et d'expériences de terrain, comme celle présentée dans cet article, peuvent permettre de prendre une certaine distance sur un sujet où les opinions sont actuellement si polémiques… Le CNDT et TEMPO* ont conduit sur la région Rhône-Alpes, une recherche-action sur la prévention de l'usage, de l'abus et de la dépendance aux substan- ces psychoactives et sur les com- portements liés aux rassemble- ments musicaux. Cette action a été conduite en lien avec quinze acteurs des CSST, du secteur de la prévention et de la réduction des risques de la région. Elle s'est insérée dans le cadre du programme du Conseil Régional Rhône-Alpes dont les membres souhaitaient participer à la prévention des toxicomanies. Ses principales conclusions sont présentées ici. Proposer des moyens de prévention adaptés à ce contexte en précisant le rôle des acteurs bénévoles et professionnels. Cette recherche a été organisée autour de réunions régulières du groupe régional des institutions de prévention de soin et de réduction des risques sur le thème des regroupements musicaux. Nous espérons poursuivre ce type de ren- contres qui permet d'établir une coordina- tion régionale par la reconnaissance de la place de chacun. L A MÉTHODOLOGIE de cette recherche- action est de type ethnosociolo- gique. Elle comprend des comptes rendus de visite des lieux musicaux et des interviews approfondis de 20 jeunes. Le public est constitué de jeunes, consom- mateurs ou non, qui fréquentent tous types de soirées musicales. L'objectif de la recherche est double : Comprendre quel sens les jeunes don- nent à leurs pratiques de consommation festive de substances psychoactives à partir de leur histoire de vie, des types de musique et de regroupements et des modes de consommation. * CNDT, TEMPO, (2000), La prévention de l'usage et de l'abus des substances psycho- actives et des comportements liés aux ras - semblements musicaux, Lyon, CNDT Se regrouper à travers la musique Les regroupements musicaux sont fré- quentés par des jeunes de 15 à 30 ans avec une prédominance de jeunes adultes. Ils sont issus de milieux sociaux, a priori, sans difficulté notable. Ils ne font pas partie des zones de recrutement des usagers de dro- gues classiques sauf pour le cannabis et ses dérivés dont la consommation est répandue dans toutes les catégories sociales. Ce fait explique, en partie, l'inquiétude médiatique et sociale à propos du déve- loppement cet été des free parties. Ces jeunes ont, pour beaucoup d'entre eux, un fort investissement musical qui se concrétise par une culture spécifique, des sorties fréquentes, des achats nombreux de CD et, pour certains, une pratique musicale. La recherche d'une ambiance festive et d'un petit groupe d'apparte- nance est prédominante. Les processus d'identification et d'imitation restent focus

Prévention en milieu festif musical...style du regroupement musical. Le monde actuel permet l'accès à une grande diversité de cultures et de drogues qui se développent en interaction

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  • revue toxibase n° 3 - septembre 2001 1

    Prévention Prévention en milieu festif musicalen milieu festif musicalUne recherche-action dans la région Rhône-AlpesPatrick Dessez, Psychologue, CNDT LyonCatherine Miachon, Sociologue, CIRDD, Lyon

    Alain Oddou, Psychiatre, A3, Lyon

    médiatisés par ce petit groupe même sion sait que ce groupe subit lui-même l'in-fluence de la masse et est orienté par lestyle du regroupement musical.

    Le monde actuel permet l'accès à unegrande diversité de cultures et de droguesqui se développent en interaction et nonplus en modèle unique spécifique d'uneforme de culture. Nous vivons un tempsde tribus où chacune a ses modes, sesbases culturelles, sa musique et ses dro-gues. Le problème vient du fait qu'aucune voie d'utilisation cohérente n'estdonnée a priori sauf à être identifiée dansla tribu comme le rituel approximatif d'unsigne d'appartenance. Il s'agit de trouversa place dans chaque regroupement.Unproduit psychotrope spécifique (voir plu-sieurs) peut être pris pour référence et ilpeut être célébré par les acteurs forts d'unstyle de musique (musiciens et person-nels qui sont autour de la scène).

    Comment approfondir le débatautour des free parties et dumilieu festif en ce qui concerneles comportements et l'évolutiondes jeunes ?

    Quelle place tient véritablementla consommation de substancespsychotropes dans ce contexte ?

    Quelles stratégies de préventionmettre en place ?

    L'apport de la recherche etd'expériences de terrain, commecelle présentée dans cet article,peuvent permettre de prendre unecertaine distance sur un sujetoù les opinions sont actuellementsi polémiques…

    Le CNDT et TEMPO* ont conduitsur la région Rhône-Alpes,une recherche-action sur laprévention de l'usage, de l'abuset de la dépendance aux substan-ces psychoactives et sur les com-portements liés aux rassemble-ments musicaux.

    Cette action a été conduite en lienavec quinze acteurs des CSST,du secteur de la prévention et dela réduction des risques de larégion. Elle s'est insérée dans lecadre du programme du ConseilRégional Rhône-Alpes dont lesmembres souhaitaient participerà la prévention des toxicomanies.

    Ses principales conclusionssont présentées ici.

    • Proposer des moyens de préventionadaptés à ce contexte en précisant le rôledes acteurs bénévoles et professionnels.

    Cette recherche a été organisée autour deréunions régulières du groupe régionaldes institutions de prévention de soin etde réduction des risques sur le thème desregroupements musicaux.

    Nous espérons poursuivre ce type de ren-contres qui permet d'établir une coordina-tion régionale par la reconnaissance de laplace de chacun.

    LA MÉTHODOLOGIE de cette recherche-action est de type ethnosociolo-gique. Elle comprend des comptesrendus de visite des lieux musicaux et desinterviews approfondis de 20 jeunes. Lepublic est constitué de jeunes, consom-mateurs ou non, qui fréquentent toustypes de soirées musicales.

    L'objectif de la recherche est double :• Comprendre quel sens les jeunes don-nent à leurs pratiques de consommationfestive de substances psychoactives àpartir de leur histoire de vie, des types demusique et de regroupements et desmodes de consommation.

    * CNDT, TEMPO, (2000), La prévention del'usage et de l'abus des substances psycho-actives et des comportements liés aux ras -semblements musicaux, Lyon, CNDT

    Se regrouper à travers la musique

    Les regroupements musicaux sont fré-quentés par des jeunes de 15 à 30 ans avecune prédominance de jeunes adultes. Ilssont issus de milieux sociaux, a priori, sansdifficulté notable. Ils ne font pas partie deszones de recrutement des usagers de dro-gues classiques sauf pour le cannabis et sesdérivés dont la consommation est répanduedans toutes les catégories sociales.

    Ce fait explique, en partie, l'inquiétudemédiatique et sociale à propos du déve-loppement cet été des free parties. Cesjeunes ont, pour beaucoup d'entre eux, unfort investissement musical qui seconcrétise par une culture spécifique, dessorties fréquentes, des achats nombreuxde CD et, pour certains, une pratiquemusicale. La recherche d'une ambiancefestive et d'un petit groupe d'apparte-nance est prédominante. Les processusd'identification et d'imitation restent

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    2 revue toxibase n° 3 - septembre 2001

    Le tabac, l'alcool (bières et alcools forts),le cannabis, l'ecstasy, le protoxyde d'azo-te, le LSD et la cocaïne sont consomméspar ordre d'importance. Les produitsabsorbés et leurs modes de consomma-tion varient selon les lieux et les types demusique.

    L'alcool et le tabac sont consommés par-tout et, en grande quantité. Il n'y a quedans les concerts où la consommationd'alcool est restreinte à l'intérieur de l'en-ceinte (interdiction des bouteilles). Elleest, dans ce cas, reportée avant le concertà l'intérieur des coffres de voitures qui sontparfois remplis de cannettes de bière.

    Dans les discothèques, alcool et tabacsont consommés à forte dose. L'usage dedrogues illicites se déroule souvent à l'ex-térieur avec de fréquents aller-retours àproximité des voitures.

    Enfin, dans les festivals et les rave-parties, la consommation de l'ensembledes substances est plus visible et se fait àl'intérieur de l'enceinte, zone de convivia-lité mais aussi de consommations fré-quentes et de cocktails divers.

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    Faire la fête pour recréer un lien social

    Méthodologie et partenaires de la recherche-actionDepuis 1996, une commission de travail réunie à l'initiative du Conseil Régional deRhône-Alpes, a défini une charte de prévention des toxicomanie et des axes d'in-tervention dont la recherche-action sur les milieux festifs musicaux pilotée par leCNDT et TEMPO.

    Elle concerne tous les types de rassemblements musicaux pour les jeunes :concerts, bars, discothèques, festivals soirées officielles et free parties. Une grilled'entretien et un compte-rendu de visite commun aux partenaires ont été réalisésdans un objectif d'étude qualitative.

    Principaux partenaires : CNDT (Centre de prévention des conduites à risques,Lyon) et TEMPO (CSST Valence) : coordination, analyse des comptes-rendus devisite (53) et des entretiens (22).

    Situations festives : concerts, bars musicaux, festivals, soirées dans les stationsde ski, fêtes de particuliers, rave-parties, discothèques.

    Visites : CNDT (Lyon), CSST A3 (Lyon), CSST Le Pelican (Chambéry), CSST Tempo(Valence), Keep-Smiling (association d'intervention en milieu festif musical, Lyon).

    Entretiens : CNDT

    Réseau de partenaires : AAJ (Ain), Ades du Rhône, AIDES Drôme-Ardèche, APRETO(Haute-Savoie), Apus (Rhône), Hôtel-Dieu (Lyon), CH Lyon Sud (Lyon), Jonathan(Villefranche/Saône), Médecins du Monde (Rhône), Point Virgule (Isère), Préven-tion Spécialisée (Grenoble), Rimbaud (Loire), Ruptures (Lyon).

    Les jeunes se distinguent par des regrou-pements affinitaires dont le style estsous-tendu par un mode musical, uneesthétique propre de la présentation ves-timentaire et des gestes ou danses nou-velles. Ces regroupements traduisent destentatives de définir une culture spéci-fique qui pactise, s'oppose ou se différen-cie de la norme culturelle moyenne.

    En se différenciant de la scène socialecommune, ces cultures alternatives expri-ment des aspirations par un détachementde la société (techno), des révoltes (rock)ou des caricatures sociales (punk). Lamusique, la danse et les modalités collec-tives de regroupement permettent de s'af-filier de manière émotionnelle à un grou-pe, à une idole ou à un style qui se mani-feste par une innovation culturelle. Larupture se marque par des rencontres, pardes choix musicaux, par une forteinscription corporelle (danses, piercing,tatouages, vêtements) et par la consom-mation de substances ou de mélanges deproduits.

    La désignation marginale du corps socialqu'entraine ces regroupements s'opère demanière plus active sur les sous groupesqui continuent leur activité à l'improvisteet qui poursuivent un destin d'affiliationmarginale en refusant les manifestationspubliques. Les regroupements musicauxde jeunes ne sont pas une forme homogè-ne. Ils ne sont pas porteurs en soi d'unedéviance mais plutôt de la tentative d'in-novation de modalités sensibles et nou-

    velles, d'apparence et de relations, témoi-gnages de la recherche de modes de vienovateurs et reflets de l'évolution dumonde social et culturel.

    La rencontre de l'autre ou des autres est lamotivation principale de la fête. C'est unemanière de recréer un lien social avecd'autres normes que celles qui sont habi-tuellement édictées. Il y a une force réso-lutoire des tensions et des conflits dans lafête qui est toujours l'invention d'unmonde nouveau encore utopique. Ellerompt avec la quotidienneté de la vie.Son caractère transitoire exprime ce désirde changement par la médiation etl'espoir d'un meilleur contact, par lavibration d'une foule ou d'une musique,par l'invention subite d'une communionqui transcende les destins individuelsgrâce à l'irruption d'un sentiment collectifqui fait évoluer le rapport de la personneau groupe.

    La préparation, le déplacement, et le jeucontemporain avec les lieux désaffectésou sortis de leur contexte initial font par-tie de ces nouvelles modalités de fêtecaractérisées par le jeu de piste et l'étire-ment maximum de la durée. Se surpasserdevient un des buts de la fête. Sa duréepeut être de plusieurs jours, la simulationet le jeu avec les apparences dominent, latranse et le goût pour les états modifiésde conscience accompagnent ce désir detravestissement et de quête d'une évasion.

    On retrouve deux moyens extrêmes d'en-trer dans la fête : le choix de signes dis-tinctifs de goûts culturels, de tendancesmusicales et parfois de produits qui ser-vent à l'intégration sociale (le dandysme).

    La fête est un moyen de relations et onobserve l'établissement d'un rythme pro-gressif entre vie quotidienne et momentfestif.

    L'investissement de la marginalité n'estpas forcément un choix et peut être pro-voqué par des impasses de la biographiefamiliale et sociale. Le lieu festif est alorsle support d'un idéal de vie qui est inves-ti comme une composante de l'errance.On rencontre effectivement des jeunespour qui le week-end où les festivalsdeviennent des lieux d'ancrage existentiel.

    La vie quotidienne se réduit à une attentede ce moment festif, seul porteur d'unevérité des relations humaines.

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    contemporaine du métissage et de la vir-tualité : société tolérante et ouverte où levirtuel s'appuie sur la répétition d'un ryth-me semblable. On constate des analogiesavec les jeux de console (rythme répétitif)et avec les jeux de rôles (simulations etétirement du temps). La féminisation de lavirilité (Drags Queen et Gay Prides) oùl'uniformité mondiale des vêtements fémi-nins et masculins (Street wears) sont aucœur de ces nouvelles formes sociales etparticipent à l'évolution des nouvellespossibilités identificatoires à des rôles dejeunes hommes ou de jeunes femmes.

    Le rassemblement musical contemporainlaisse entrevoir une société moins hiérar-chisée, moins sexuée où les différences declasse sociale sont aplanies. Il privilégie,non la communauté mais l'unité de laparty. Ce n'est plus le couple qui est placéau centre comme dans une salle de balmais c'est l'élan groupal festif qui estdirectement l'objet de l'investissementindividuel. Les habitués se relient à latoile, moyen de se connecter à un réseauuniversel sans limite. Tout l'art du DJconsiste à donner la sensation d'un tempsmusical sans fin. La succession des étapesaccroît cette recherche d'un étirement dutemps et de l'espace sans limite autre quel'unité du monde où les différences n'appa-raissent plus comme contradictoires.

    Il est tout à fait remarquable que les rave-parties suscitent moins de violence que lesautres lieux festifs musicaux. Par contre,les consommations de substances psycho-actives sont fréquentes. Beaucoup de jeu-nes tendent à dire qu'une fête sans produitn'est pas une fête.

    À ce titre, la lecture de la presse spéciali-sée montre bien la présence et la banalisa-tion des drogues dans la quotidienneté, lesdifférents produits étant utilisés dans desregistres aussi variés que l'usage récréatifde l'artiste, des abus mortels, la dépendan-ce de tel autre ou des systèmes de pénétra-tion dans le milieu festif de revendeurs. Defait, on constate, au cours des entretiensune impression de banalité du discoursautour de drogues qui devient un thèmecomme les autres. Certains jeunes revendi-quent une utilisation raisonnée des sub-stances psychoactives et ont aussi bienintégré les connaissances sur les effets quesur les risques.

    L'initialisation de la consommation d'al-cool, de haschich ou d'ecstasy s'intègre àla recherche de la fête qui est souvent

    vécue comme un moyen de trouver uneautonomie de jeune adulte. La fréquenta-tion des lieux festifs induit d'ailleurs danscertaines familles une augmentation desconflits intergénérationnels et une répro-bation parentale croissante.

    L'investissement préalable, pendant l'ado-lescence, de la musique et de la danseprovoquent parfois cette motivation inten-se à aller dans les lieux musicaux festifs.La musique, vécue comme un goût,devient, dans certains cas, une activité cul-turelle socialisée, accompagnée d'uneprise régulière de produits qui augmentela sensibilité, la créativité et diminue lafatigue. Il est indéniable que les produitssont plus fréquents dans les regroupe-ments musicaux que dans d'autres lieux.La fréquentation de certains lieux musi-caux peut motiver le jeune à expérimenterun surpassement de lui-même à traversl'ébauche d'états modifiés de conscience.

    La prise de produits vient confirmer unattrait pour les états modifiés de conscien-ce déjà induits par les styles de fête et demusique.

    Le développement de l'informatique et lestechnologies modernes associées vontdonner aux jeunes de nouvelles capacitésà interpréter la musique.

    Les musiques House/Techno et Raputilisent le principe du Sampler (extraitsenregistrés d'un titre répété en boucles).En même temps, les jeunes participant àdes mouvements musicaux, expérimen-tent une trame nouvelle d'expression, laRave Party : choisir un espace urbain (usinedésaffectée) ou rural (champ en friches),monter une sonorisation avec un DJ (techni-cien, musicien, animateur), distribuer desflyers (texte d'information) pour guider lesparticipants et danser plusieurs jours.

    Si le jeu de pistes et les espaces occupéssont nouveaux et surprenants, c'est surtoutla forme d'expression de la manifestationqui va soulever des questions : la transequi est entretenue par la musique, ledéroulement de la soirée et la prise deproduits stimulants. L'association ecstasyet transe déstabilise les représentationssociales. Les risques sont mal cernés et latranse est un mouvement archaïque etrégressif. La réaction sociale et culturelleest composée de tentatives initiales d'in-terdiction qui ont développé la clandesti-nité de certaines organisations de mani-festations et une exploitation médiatiqueou culturelle (Love Parade, Gay Pride)avec un soutien privilégié de groupes envoie d'expression plus officielle.

    Nous retrouvons ici quelques caractéris-tiques de toutes fêtes : la fête est une trans-gression ; la fête est un moyen de résolu-tion de tensions sociales et individuelles ;la fête attire et contient des pratiques mar-ginales ; la fête est une recherche d'inno-vations sociales.

    La musique techno a la particularité,comme le Rock l'était antérieurement, depouvoir être bricolée et fabriquée par desjeunes qui ne sont pas des professionnels.Elle se prête à des mixages de sourcessonores et de rythmes. Les jeunes ne sontdonc pas spectateurs mais auteurs poten-tiels de telles musiques. L'identificationaux DJ est facilitée par l'auto-productiontoujours possible d'une musique.

    La musique techno s'accompagne de ges-tes élancés en suivant les mouvements desmains des DJ qui stoppent ou accélèrentles tours de disques. Les styles vestimen-taires se rapprochent parfois des vête-ments des skaters ou des surfeurs, teintéspar des signes distinctifs provenant de lamusique Rock, de la culture Punk et accom-pagnés de marques corporelles (piercing).

    La Techno est une culture créative dumélange qui ressemble à une culture

    Les dispositifs TREND et SINTES del'Observatoire Français des Drogueset des Toxicomanies (OFDT)

    Le réseau TREND a pour objectif deconnaître en temps réel l'évolution desconsommations, leurs modalités etleurs conséquences, ainsi que la naturedes produits qui circulent. Le milieufestif est un des terrains privilégié dece dispositif.

    Le réseau s'appuie en particulier sur lesCEIP (Centres d'Études et d'Informationsur la Pharmacovigilance) et plusieursautres partenaires qui recueillent les pro-duits qui circulent et qui sont recensésdans la base de données SINTES(Système d'Identification National desToxiques et Substances).

    Pour en savoir plus : www.drogues.gouv.fr >rubrique OFDT

    Les raves : une culture du mélange pour un nouvel investissement personnel

    Une fête sans produit n’est pas une fête...

  • 4 revue toxibase n° 3 - septembre 2001

    Pour des pratiques de prévention

    Se surpasser et expérimenter des dimen-sions inconnues de la sensibilité sont cer-tainement, pour beaucoup de jeunes unemotivation prédominante à l'initialisationde la consommation. L'acceptation duproduit est aussi une manière de s'incluredans un groupe de consommateurs qui pri-vilégient la recherche de sensations.

    Au risque de la marginalisation et del'abus, comment choisir son groupeculturel d'appartenance ?

    La prise de produits est souvent liée à uninvestissement de la musique et du stylefestif. La combinaison de ces trois élé-ments (musique, fête, produits) va per-mettre de contribuer au choix d'un sousgroupe culturel qui va se constituer, demanière prédominante, soit autour de lafête, soit autour du produit, soit autour dela musique. Les sous-groupes qui se for-ment ont un intérêt dominant pour l'un deces trois composants et définissent lesconditions de la pratique culturelle festive.

    Chaque milieu a ses consommations :l dans les milieux Punk et Rock : alcool(principalement bières), LSD et héroïne,l dans les milieux Rap et Reggae : canna-bis, alcool (bières, alcools forts), cocaïne,l dans le milieu des musiques électro-niques : produits de synthèse (ecstasy,LSD, amphétamines), protoxyde d'azoteet alcool.

    Les jeunes justifient ces consommationsde différentes manières :Il s'agit de vaincre sa timidité, de prendreconfiance en soi et de se mettre dans unétat adapté à la soirée. Les produits per-mettent, dans les groupes, de se rassurer(ne pas être seul en cas de bad trip) et d'al-ler plus loin dans la soirée (tenir plusieursjours).

    Enfin, l'usage de certains produits entraî-ne une modification des perceptions audi-tives et kinesthésiques que les jeunesrecherchent pour vivre de nouvelles expé-riences. Plusieurs jeunes dénoncent laconsommation abusive qui leur sembletrop médiatisée et diabolisée. Ils défen-dent, au contraire, un usage récréatif deproduits pour passer une bonne soirée,usage dont ils demandent à ce qu'il soitplus valorisé.

    Plus l'abus et la défonce sont investis, plusle jeune s'associe à un processus de mar-ginalisation. Cet itinéraire accroît le sou-hait de se distinguer par la participation àdes regroupements improvisés caractéri-sés par l'appartenance à un sous-groupe etune consommation importante d'alcool, dehaschich, d'acides ou d'ecstasy. Ces pra-tiques d'abus répondent à un état antérieurd'isolement ou de solitude et parfois desentiments dépressifs. Elles correspondentaussi à une recherche d'extériorisation qui

    se lie à l'investissement de groupes margi-naux pour être reconnu comme une per-sonne. Il s'agit bien là de trouver sa placedans une collectivité qui tend à indifféren-cier ses membres. Certains évènements(décès d'un membre de la famille, accident,séparation) sont parfois cités comme fac-teurs qui ont précipité le jeune dans uninvestissement festif répétitif qui s'est pro-gressivement accompagné de consomma-tions abusives.

    Ces dernières remarques évoquent la fonc-tion des abus qui se lient à une recherched'autonomie et de mise à distance des con-flits familiaux dans le cadre d'une inhibitionde l'expression personnelle. Les modalitésde la prise de distance problématique phy-sique et psychique avec la scène familialepour entrer directement en lien avec la scènesociale sont directement liées au surinves-tissement du milieu festif et parfois du pro-cessus de marginalisation qui l'accompagne.

    Les pratiques addictives sont constituéesde trois types de consommations :

    L'usage est une consommation qui n'en-traîne ni risque ni dommage. De ce pointde vue, on constate une dissonance entreles représentations et connaissances desprofessionnels et les représentations desjeunes qui fréquentent assidûment lesmouvements festifs et musicaux. Quel-ques jeunes interviewés revendiquent uneconsommation raisonnée des drogues etde l'alcool en ignorant les risques aigusliés à la prise de certains produits (ecstasypar exemple). Il y a soit abstinence soitune relative banalisation de la prise desubstances psychoactives consécutive àl'ambiance et à l'influence groupale. Laprévention de l'initialisation, qui vise àréduire la fréquence des premièresconsommations, doit être intensifiée ets'intégrer dans une réflexion sur les moti-vations individuelles et sociales à la prisede substances. Elle doit concerner tous leslieux de pratiques festives et musicales.

    L'abus comprend toutes les consomma-tions comportant des risques de domma-ges, en particulier, les risques qui opèrentpar excès quantitatif ou par répétition desprises. Il est indéniable que les lieux fes-tifs musicaux attirent une population jeuneen voie de marginalisation. La préventiondes abus et des usages nocifs concerne desjeunes dont la consommation avérée s'ins-crit dans une certaine répétition et dansl'inclusion dans un sous-groupe structurépar la prise de produits. Pour certains, lastimulation de la créativité passe par l'ex-périmentation de sensations nouvelles etla multiplication des essais de différentsproduits au mépris des risques encourus.L'attrait excessif pour les états modifiés deconscience conduit certaines personnes àprendre des risques en combinant l'usagede plusieurs produits dont certains serventà diminuer les effets secondaires d'un pre-mier produit stimulant. Pour d'autres, leproduit a une fonction de lutte contre lesinhibitions et la solitude. C'est la substan-ce et la découverte festive qui permettentde s'inclure dans des groupes et de dépas-ser les inhibitions personnelles, les senti-

    ments d'échec ou les situations de repli.Enfin, pour les derniers, la consommationabusive ou répétitive contribue à affirmerson autonomie de jeune adulte et à dépas-ser l'impact d'évènements traumatiquesqui ont freiné la capacité d'autonomie. Lamusique, le produit et l'appartenance à ungroupe prennent un caractère rassurant quirenforce, à court terme, l'estime de soi. Leproduit agit alors en lien avec le choix fes-tif comme une révélation et une ouvertureà l'autonomie qui apparaissent bien vitecomme un risque d'enfermement. La pré-vention des abus ne doit pas chercherexclusivement l'abstinence mais plutôtune gestion raisonnée des consommations.Elle agit pour limiter les risques des dom-mages physiologiques, sociaux et psycho-logiques associés aux prises de produits.Les programmes d'intervention ne sont passuffisamment développés à l'heure actuelle.

    La dépendance est définie par le fait quela personne a centré une grande partie desa vie autour de la quête du produit etqu'elle éprouve des difficultés importantesà stopper ses consommations ou à lesréduire. Les produits stimulants et lesmilieux festifs entraînent peu de dépen-dance au sens classique du terme.Pourtant, ils en sont les précurseurs parl'intermédiaire des abus quand ceux-ci nesont l'objet d'aucune attention sociale oupréventive. Enfin, les mouvements musi-caux festifs et, en particulier les festivals,accueillent toujours une population de jeu-nes marginalisés ou de jeunes errants dontcertains présentent des états de dépendance associés à des problèmes sociaux etpsychologiques. Il est nécessaire que desactions préventives adaptées à ce type depopulation soient créées.

    ConclusionLa croissance, la diversité et la disper-sion des regroupements musicaux néces-sitent que des dispositifs concertés d'ac-compagnement soient mis en placelocalement pour que les jeunes puissenttrouver des réponses cohérentes d'aide etde soutien de la part des services publicset des associations.

    focus

  • revue toxibase n° 3 - septembre 2001 5

    Quatre propositions de préventiondans le cadre de cette étude

    1. Intensifier l'information auprès de tous les jeunesElle doit s'adresser à un large public qui n'est pas forcément consommateur maispeut être motivé par l'usage ou sollicité par le deal. Les rassemblements sont deslieux où les drogues sont plus présentes que dans d'autres endroits. Il ne faut passeulement informer les consommateurs mais également l'ensemble des jeunes quipeuvent fréquenter les rassemblements musicaux. Les informations ne doivent passe limiter aux produits et à leurs risques (comme c'est le cas aujourd'hui) mais inté-grer une réflexion ou des questions sur les motivations et le sens des pratiquesaddictives dans un cadre festif. Il n'est pas souhaitable d'isoler telle ou telle subs-tance mais bien de parler de l'ensemble des usages en incluant les produits dont laconsommation est légalement autorisée.

    L'information est trop centrée sur le consommateur. Elle devrait être conçue commeune information visant un large public. Elle peut être diffusée par des brochures maisaussi sous forme d'expositions, de cassettes vidéo, de CD ou d'insertions dans desmagazines destinés aux jeunes. Il est souhaitable de soutenir aussi des projets quiproposent une diversification des moyens de communication auprès des jeunes etqui respectent une dimension de prévention primaire.

    L'ADES du Rhône en lien avec Keep Smiling et le CNDT a conçu et diffusent une bro-chure de prévention qui a été réalisée selon des principes participatifs*

    * Elle est présentée dans la rubrique outils de prévention de cette revue Toxibase p 20

    2. Proposer une aide préventive de proximitéIl est sûr que certains regroupements attirent une population errante ou de jeunesen voie de marginalisation pour qui l'ancrage sur un lieu précis et une durée dispa-raît au profit d'une succession de séquences transitoires. Quelques jeunes s'ap-puient sur un sous-groupe à tendance toxicomaniaque pour des raisons explicites.

    Des acteurs de l'éducation populaire (CEMEA) ont déjà expérimenté depuis long-temps des lieux d'accueil et d'échanges dans les festivals à partir du service de l'hé-bergement transitoire et des repas. Des acteurs bénévoles ou militants de la pré-vention (Médecins du Monde, Keep Smiling) ou des acteurs professionnels de laprévention et du soin (Le Pélican, Tempo) ont contribué à créerdes lieux d'accueil, de repos et d'échanges lors de certainsregroupements musicaux. Il est d'ailleurs remarquable que lesseuls centres de prévention qui aient réussi à développer cetype d'actions sont ceux qui ont pu bénéficier d'un emploi àtemps partiel exclusivement réservé à la prévention en milieufestif et en milieu urbain.

    La prévention des abus et dépendances doit être intensifiéeauprès des jeunes en voie de marginalisation. Ils doivent pou-voir bénéficier d'une aide préventive de proximité qui initie unpremier échange et une écoute qui contribueront à un meilleuraccès à des démarches de soin ou d'aide.

    3. Établir des relais avec descentres de soin spécialisés

    Il serait souhaitable d'articuler les initia-tives de prévention de proximité avecles équipes des CSST afin de mettreen place des liens opérationnels quicontribueraient à une ouverture possi-ble vers une démarche de soin pourdes jeunes qui consomment abusive-ment et sont peu enclins à venir spon-tanément dans les centres spécialisés.

    Le groupe régional, constitué lors decette recherche-action, apparaît commel'instance nécessaire pour fonder unréseau au sein duquel peuvent s'établirdes liens entre ces acteurs du soin etde la prévention. Cette organisation, enréseau régional de concertation permetégalement de préciser la cohérencedes dispositifs locaux d'intervention etde réfléchir aux moyens humains etmatériels communs. La place des soi-gnants ne doit pas être confuse et ilsdoivent se limiter, le cas échéant, à unaccompagnement des intervenants enmilieu festif sans s'impliquer directe-ment dans les actions afin de bien dif-férencier la place des acteurs de pré-vention ou de réduction des risques etleur position.

    4. Avoir une volonté politique de collaborationavec les organisateurs de regroupements musi-caux pour assurer la prévention

    Il est nécessaire qu'une volonté politique régionale (du fait ducaractère régional du public des regroupements musicaux) faci-lite des liens entre les organisateurs (discothèques, festivals,concerts, rave-parties) et les acteurs de prévention. En effetdans certains cas, nous avons rencontré des résistances impor-tantes pour l'organisation de la prévention dans les regroupe-ments musicaux alors que c'est une demande explicite des jeu-nes qui les fréquentent.

    Cette volonté politique de concertation permettrait certainementque se mettent en place les conditions préventives de proximi-té par rapport aux personnes et aux groupes qui sont l'objet desinquiétudes actuelles.