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Tous droits réservés © Santé mentale au Québec,1988 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 30 nov. 2021 17:16 Santé mentale au Québec Psychanalyse et traitement des psychotiques Psychoanalysis and treatment of psychotics Willy Apollon La réinsertion sociale Volume 13, numéro 1, juin 1988 URI : https://id.erudit.org/iderudit/030436ar DOI : https://doi.org/10.7202/030436ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Revue Santé mentale au Québec ISSN 0383-6320 (imprimé) 1708-3923 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Apollon, W. (1988). Psychanalyse et traitement des psychotiques. Santé mentale au Québec, 13(1), 161–176. https://doi.org/10.7202/030436ar Résumé de l'article Engagé dans une cure sous transfert, le psychotique répond autrement au traitement. L'éthique de la psychanalyse exige qu'il prenne en charge ce traitement. Il entre alors dans une longue crise spécifique au traitement dont il ne sort que par les voies du symptôme. Le traitement et l'analyse du symptôme le conduisent à ce temps particulier de reconstitution du corps, ou la production d'un objet signe sa sortie des phénomènes de Ia psychose. Ce parcours est aléatoire mais pour ceux qui le suivent, aux prises avec la structure au-delà de la phénoménologie de Ia psychose, ils aboutissent à l'accueil d'une société qui, ayant bradé le tragique humain, n'a aucune place à leur offrir,

Psychanalyse et traitement des psychotiques

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Tous droits réservés © Santé mentale au Québec,1988 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 30 nov. 2021 17:16

Santé mentale au Québec

Psychanalyse et traitement des psychotiquesPsychoanalysis and treatment of psychoticsWilly Apollon

La réinsertion socialeVolume 13, numéro 1, juin 1988

URI : https://id.erudit.org/iderudit/030436arDOI : https://doi.org/10.7202/030436ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Revue Santé mentale au Québec

ISSN0383-6320 (imprimé)1708-3923 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleApollon, W. (1988). Psychanalyse et traitement des psychotiques. Santé mentaleau Québec, 13(1), 161–176. https://doi.org/10.7202/030436ar

Résumé de l'articleEngagé dans une cure sous transfert, le psychotique répond autrement autraitement. L'éthique de la psychanalyse exige qu'il prenne en charge cetraitement. Il entre alors dans une longue crise spécifique au traitement dont ilne sort que par les voies du symptôme. Le traitement et l'analyse du symptômele conduisent à ce temps particulier de reconstitution du corps, ou laproduction d'un objet signe sa sortie des phénomènes de Ia psychose. Ceparcours est aléatoire mais pour ceux qui le suivent, aux prises avec lastructure au-delà de la phénoménologie de Ia psychose, ils aboutissent àl'accueil d'une société qui, ayant bradé le tragique humain, n'a aucune place àleur offrir,

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Santé mentale au Québec, 1988, XIlI, 1, 161-176

Psychanalyse et traitement des psychotiques

Willy Apollon*

Engagé dans une cure sous transfert, le psychotique répond autrement au traitement* L'éthique de la psychanalyseexige qu'il prenne en charge ce traitement. H entre alors dans une longue crise spécifique au traitement dont ilne sort que par les voies du symptôme. Le traitement et l'analyse du symptôme le conduisent à ce temps particulierde reconstitution du corps, ou la production d'un objet signe sa sortie des phénomènes de Ia psychose. Ce parcoursest aléatoire mais pour ceux qui le suivent, aux prises avec la structure au-delà de la phénoménologie de Ia psychose,ils aboutissent à l'accueil d'une société qui, ayant bradé le tragique humain, n'a aucune place à leur offrir,

Que peut espérer le psychotiquede la psychanalyse?

Le « 388 » (Centre psychanalytique de traitementpour jeunes psychotiques) est peut-être désormaisun nouveau type de réponse à cette question. Il nefaut pas donner de faux espoirs au psychotique, maisun certain nombre de résultats se dessinent désor-mais, dont nous connaissons les chemins par où nousy sommes arrivés.

Ce qui nous intéresse ici, ce n'est pas la discus-sion savante sur les théories, les problématiques, lesraisons métaphysiques, les problématiques biochi-miques, comportementalistes et autres... Nous nedédaignons pas de telles discussions, mais aimerionsplutôt communiquer les moyens, les chemins par-courus, les buts poursuivis et les résultats obtenus,dans cette aventure singulière du traitement de lapsychose dans la communauté.

Nous disons que contrairement à l'enseignementofficiel dominant et aux préjugés les plus courants,la psychose se traite par la psychanalyse à conditionde faire subir à la psychanalyse les transformationsthéoriques et techniques nécessaires sans rienconcéder sur la rigueur de l'invention de Freud. Nouscroyons avoir peut-être réussi en partie ce pari. Etnous ne voulons nous en tenir pour en témoignerqu'aux résultats que nous constatons sur un échan-tillon de 21 patients traités pendant cinq ans.

* Willy Apollon est docteur en philosophie et il est psychanalyste,et membre du GIFRIC. Psychanalyste consultant au « 388 ».Responsable de la recherche sur la psychose au GIFRIC etde la formation des intervenants au «388».

Mais voilà, la psychanalyse c'est très complexeet c'est très long. Nous en convenons. Déjà la psycha-nalyse du névrosé se poursuit et se réalise à l'inté-rieur d'un temps assez long, soit cinq à huit ans selonla gravité des cas. Ce temps est pourtant tout à faitcomparable à celui des pratiques les plus courantesdes autres approches lourdes de traitement. Si nousnous en tenons à l'échantillon de 220 patients vusen comité d'admission au « 388 » en six ans, nousconstatons qu'au moment de leur arrivée au Centre,70 % d'entre eux avaient au-delà de 8 à 10 ans detraitement antérieur avec une moyenne souventlourde d'hospitalisations.

La psychanalyse est certes une voie très longueet un traitement très lourd, pour ce qu'il demanded'engagement tant du patient que des soignants. Nousdisons simplement que la psychose, autant quen'importe quel autre handicap profond et destruc-teur de la personne et de ses liens sociaux, mériteun tel effort.

Au risque de paraître provocant, j'ajouterais mêmececi à quoi me conduit une expérience de vingt-cinqannées d'études, de recherches et de pratiques diver-ses dans ce champ spécifique de la psychose : il n'ya que trois ou quatre voies pour la psychose :1) la pratique artistique qui promeut un sujet au

désir, en deçà et au-delà des limites et illusionsdu savoir;

2) la religion ou la science, que je mettrai dans lemême champ, qui est celui du savoir (qu'il soitrévélé ou technologiquement acquis, peu importeet de ses vains espoirs de fonder le lien social) ;

3) la psychanalyse dont l'éthique requiert le retourdu sujet du désir dans le champ du savoir ;

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4) et puis il y a le choix du délire que fait le psycho-tique dans une entreprise dramatique et forcéede fonder l'univers du sens sur cette certitude sin-gulière qui inclurait la vérité dans le savoir.

Que fait la psychanalyse pourla psychose?

Je proposais à Paris l'année dernière cette for-mule qui a frappé : «La psychanalyse au »388«,met la psychose au travail... » Colette Soler, dansune entrevue pour la revue L'Ane me faisait remar-quer que la psychose travaille tout seul. C'est exact.La psychose met immédiatement le sujet au travailde la production d'une solution que nous diagnosti-quons délirante. Très précisément il faut, grâce àla psychanalyse, mettre l'équipe de soignants à latâche de pénétrer le travail du délire, de le modifieret de l'accompagner jusqu'au point où il laisse sonespace propre au sujet du désir dans sa quête d'unnouveau lien social.

Quatre temps logiques règlent ce réaménagementdu travail de la psychose.I. La production de TICS (l'InConScient), soit

la réorganisation des positions d'identificationdu sujet psychose dans une prise de parole sub-jective.C'est le temps de reconstruction de l'histoiresubjective en tant qu'assise de la prise de laparole.

II. La reconstruction de l'image corporelle,temps du symptôme où le sujet habite enfin soncorps comme axe d'articulation et lieu de ges-tion de l'espace et du temps.

III. Le temps de l'objet autour de quoi seconstituent les enjeux du désir. Dans le discoursde nos patients, c'est le temps délicat de ce qu'ilsconsidèrent comme leur sortie de la psychose.C'est le temps extrêmement fragile de la décou-verte des enjeux vertigineux du désir face à l'in-consistance des projets sociaux et deim-postures du consensus social.

IV. L'exploration des fondements esthétiquesd'une éthique du lien social. Dans ce tempsoù il a repris suffisamment possession de sesmoyens de savoir, de son corps désirant, de lagestion de son espace dans le temps socio-économique et politique, le psychose se retrouveface au vide d'une société qui refuse la dimen-sion tragique de l'humain au nom des promes-

ses du savoir et l'espoir vain de gérerl'irrationalité dans l'économie politique. L'exi-gence demeure incontournable pour le psychosede devoir constituer un nouveau mode de liensocial, mode d'être avec autrui et de participa-tion à la coexistence dans la recherche de sasatisfaction.

La production d'une position subjectiveinconsciente

Le traitement habituel des psychoses est une priseen charge totale du psychose en vue de soins glo-baux prolongés axés sur la psychopharmacologiedans un cadre de surveillance hospitalière. Les pra-tiques mises en place dans une telle perspective visentle contrôle et la stabilisation de la décompensationpsychotique jugée dangereuse pour l'intégrité physi-que et psychologique de la personne et/ou de sonentourage social immédiat. Dans un deuxième temps,le traitement aujourd'hui dans les milieux de soinsles plus avancés, tentera ce qui est considéré commeune réinsertion sociale du psychose par des activi-tés psycho-pédagogiques et rééducatives dans leurvisée sociale.

Une telle approche du traitement est tributaired'une certaine conception «scientiste» du savoir,comme promettant la solution technologique à plusou moins long terme des problèmes humains les plusfondamentaux. Sur ce point nous en sommes encoreà l'épistémologie scientiste du début du siècle. Dansune telle épistémologie, la psychose est non seule-ment une maladie, mais elle a nécessairement unecause, sinon une origine bio-chimique. Elle doit doncêtre abordée avec les moyens scientifiques de larecherche et dans les conditions de l'intervention bio-chimique et médicale. Sans doute, puisque c'est làune dimension de l'être humain, mais sans être letout l'être.

La première conséquence d'une telle approcheest que le sujet psychose se retrouve dans une posi-tion d'objet d'observation scientifique du fait mêmede la prise en charge totale dont il fait l'occasion.Le psychose, qui déjà dans son délire se plaint dela persécution par l'Autre, peut ainsi se trouver effec-tivement en butte à la surveillance, à l'observationet aux soins, pour les meilleures raisons du monde.Ceci ne peut pas être sans un effet de renforcementdes bases même de son délire. Mais ce ne serait pastrès significatif, si le traitement n'était pas axé très

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précisément sur un tempérament ou un contrôle dudélire, par des moyens et des objets externes. Le trai-tement de par sa nature même, mais à l'insu des soi-gnants, viserait à maintenir ce qu'il ajustement pourfonction d'éliminer, soit le délire en le stabilisantet le sentiment d'être réduit à un statut d'objet (depersécution, de séduction, de surveillance, ou de raptd'organes, etc..) par l'Autre.

Ainsi renforcé objectivement dans une positiondélirante par la réalité des approches promues parles soignants, indépendamment de la volonté et desbonnes intentions de ces derniers, le psychose estdu coup et dans les faits, dépossédé de sa positionde sujet (sujet de droits légaux et de devoirs civi-ques). Il était «en stand by», il devient désormaissous surveillance, subjectivité sous tutelle mise enrésidence surveillée dans son statut d'objet de lascience et de victime d'un accident biochimique ougénétique. Ainsi de jeunes patients passent parfoisdes moments (voire des années) stratégiques de leuradolescence sous un rythme d'hospitalisations fré-quentes ou prolongées ou avec des diagnostics quise révéleront après coup invalidants malgré la pru-dence et parfois l'humanité qui a pu présider à leurassignation.

Ainsi apparaissent deux concepts qui signerontpour certains de nos usagers et leurs confrères, lesentiment de cette invalidation progressive : c'est ladé-responsabilisation sociale, et la protection civile.Bien sûr le mode même et le contexte juridique souslesquels la psychose est identifiée et gérée dans notretype de société amène le psychose dans des posi-tions et des comportements dangereux tant pour luique pour autrui. Cela donne une dimension de par-ticulière importance aux concepts de responsabilitésociale et de protection civile, en ce qui concernela psychose. Tout cet ensemble de conditions d'objec-tivation du psychose, et d'exclusion de sa positionsubjective est suffisamment connu à qui a pris lapeine d'en faire le bilan honnête. Nous n'insistonspas. Nous soulignons une situation de fait, pour atti-rer la lumière sur ses conséquences quant à la posi-tion du psychose comme sujet.

Le traitement psychanalytique au contrairerequiert que le sujet prenne lui-même en main sapropre cure et y engage son propre désir. Une telleexigence est précisément ce qui a mis en doute déjàpour Freud que le psychose puisse s'engager dansle processus d'une cure analytique. Cette requête estpourtant structurelle à l'analyse et une condition fon-

damentale de son processus. Requérir que le sujets'engage dans l'analyse sur la base de ce qui se révé-lera plus tard comme son désir ou un élément essen-tiel à son désir, cette exigence éthique qui fonde leprocessus de la cure est représentée par le désirmême de l'analyste.

1. Le traitement psychanalytique requiert doncen premier lieu comme condition de soutien de lacure pour le psychose comme pour le névrosé, uneprise de position du sujet dans sa parole et quantà ce qui fait ce que l'on appelle sa maladie. Dansle concret de nos pratiques, cela se manifeste dansl'exigence que le patient fasse lui-même une demandede traitement au «388» et prenne lui-même unrendez-vous avec le comité d'admission du Centre.Même quand le patient est référé par un médecin,il doit faire sa propre démarche. L'expérience mon-tre que les patients qui pour une raison ou une autren'ont pas été soumis effectivement à cette règle onttous quitté le programme ou bien n'ont pu y êtretraités.

Cette exigence de la demande du patient ne seréduit pas cependant à la question psychologique dela motivation. C'est différent. On a vu des patientsnon motivés faire leur démarche d'admission quandmême. En effet, à la limite on pourrait dire que lepsychose n'est pas motivé. L'enjeu est de savoir s'ilse perçoit comme ayant besoin de l'Autre ou non.Dans ce cas, il est prêt à entrer dans ce lien socialparticulier qu'est le transfert psychanalytique. Or jus-tement, la psychose ce n'est pas en fait ce que l'oncroit quand on parle de la perte de la réalité, lapsychose c'est plutôt la perte du lien social. Pourque le traitement puisse être abordable, il faut quepour le psychose, une brèche dans la certitude deson délire, vienne rendre possible le travail deconstruction d'un minimum de lien social. C'est trèsprécisément cela qui occasionne le transfert, où lepsychose suppose au « 388 » un savoir faire avec lapsychose qui rende possible la construction d'un nou-veau lien social.

Une telle position de la part des soignants impli-que qu'ils prennent en compte le délire du psychoseau départ. En effet requérir sa demande, c'est admet-tre les formes même que peut prendre cette demande.Ainsi tel patient vient «pour être prêtre», tel autredemande un traitement pour « renouer avec la civi-lisation», tel autre enfin vient pour que l'«on lisedans ses pensées » et que par là on « le débarrassedes pensées parasitaires » qui le persécutent. Autre-

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ment dit la demande du psychotique est particulièreet doit être reçue comme telle. C'est donc le sujetqui est pris en considération dans sa parole, au pointmême où cette parole dérape et est parasitée par lesvoix du délire.

Ceux qui reçoivent le psychotique en entrevued'admission se réfèrent à ce que le sujet dit de sasouffrance et de sa situation. Son symptôme n'estpas négligé, ni son dossier ignoré. Mais l'accent estmis d'abord sur ce que le sujet a à dire. Il s'agit desoutenir sa parole, plutôt que de se référer à ce quile décrit comme objet d'observation, de surveillanceou de soins. Cet accent mis sur son discours plutôtque sur ses symptômes, sur sa parole plutôt que surles jugements d'autrui, engage avec le psychose unrapport de sujet à sujet, qui tend à renouer au mini-mum le lien social. Dans ce cadre le psychose estrequis de prendre position vis-à-vis d'un traitementqui l'engage vers une restructuration du rapport socialet une sortie du phénomène de la psychose. Il fauten effet distinguer le phénomène de la psychose, cequi est appelé la maladie avec tout son cortège departicularités, de souffrance, de délire, de dangersphysiques, et la structure de la psychose elle-mêmequi rend compte de cette phénoménologie. La struc-ture, en général non identifiée par les intervenantset les praticiens, est le rapport particulier du sujetpsychose à l'Autre et à la pulsion de mort. Commedans la névrose et la perversion, le traitement et lacure dans les psychoses ne font pas disparaître lastructure en modifiant même profondément la phé-noménologie de ses manifestations dans le vécu dupsychose. C'est au contraire à partir de cette struc-ture que le sujet aura à réorganiser l'éthique et l'esthé-tique de sa présence au monde et de ses liens avecautrui.

Dans une telle approche du traitement, on ne pré-juge pas des causes, ni des origines de la psychose.Ce n'est pas décidé d'avance. Aucune condamnation« bio-chimique » ne pèse sur le sujet, qui ne se trouvepas par là réduit à une position d'objet de soins. Aucontraire, il est fait appel à ce sujet et il est requisde répondre. Au début du Centre, la critique la pluscourante faite à une telle approche était que nousdemandions trop au psychotique. L'expérience inva-lide cette critique. Le sujet, de fait, répond positive-ment à cette requête dans 70 à 75 % des cas, et cetteattitude du psychose garantit une gestion autre desa psychose et de son rapport à autrui et aux règlesdu jeu social. C'est un prérequis à toute cure possi-ble dans la psychose, par les moyens de la psychanalyse.

2. La prise en compte de la parole délirantecomme point d'engagement du sujet dans la cure,permet un déploiement du délire qui met à jour àla fois sa structure et sa signification singulière pourle sujet. Dans le traitement habituel, on vise un sou-lagement de la souffrance psychique, par le contrôleet la stabilisation du délire. Mais le délire est préci-sément la réponse du sujet psychose à la décompen-sation psychotique et aux voix qui la déterminent.Avec l'intervention psycho-pharmacologique, lepsychose a le sentiment, du moins à ce qu'il nousen dit, que l'on cherche à étouffer en lui les voixdu délire, mais sans succès. Tel patient référant auxgrosses doses de médicament auxquelles il est sou-mis à chaque hospitalisation, constate «je suis abattu,... je n'ai plus de force pour lutter. Je ne sens plusrien. Je ne suis plus angoissé. Mais ça continue àparler dans ma tête. » Tel autre ne décroche pas sonwalkman, véritable prothèse « pour étouffer le bruitdes voix» dit-il.

Requérir du psychose une prise de position enson nom propre, le précipite inévitablement au bordde ce qui fait pour lui le vortex du sens. C'est enquelque sorte le mettre dans la situation de devoirconstruire une barrière et un arrimage à la révoltedes voix en lui. Justement c'est ce que cherche à évi-ter et à empêcher l'approche la plus courante del'intervention et du traitement : protéger le sujet dece qui semble le détruire du dedans. Sur cette base,et compte tenu de leur croyance en une origine bio-chimique ou génétique de la psychose, les opposantsà l'approche psychanalytique déconseillent l'analysepour le psychotique. L'observation apparemment estjuste. Mais en s'en prenant au délire ou aux symptô-mes, on ne supprime pas les voix. Par contre, onempêche le seul moyen que le psychose a réussi àélaborer pour intégrer les voix dans ce qui lui sem-ble être un univers de sens.

Requis de parler en position de sujet, le psychosereprend l'enjeu du délire et en développe le nœud.Il s'agit alors dans le traitement d'accepter cette parolede sujet, pour ce qu'elle est. Sans entrer dans le déliredu psychotique, il faut lui accorder suffisammentd'écoute, pour que soit possible l'introduction d'undoute quant à la certitude délirante qui fonde le déve-loppement du délire et qui est au nœud de sa struc-ture. Le respect accordé au sujet dans sa parole faitau doute du soignant la place d'une question irré-ductible. Ce doute, véritable brèche dans le délirevient à la place de cette déchirure intérieure qui moti-vait la demande d'aide et de cure chez le psychose.

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D'une façon générale la structure du délire s'éla-bore autour de l'enjeu d'une mission dont le psycho-tique est l'objet de la part d'un Autre, dont l'identitévarie avec chaque cas, et à l'intérieur même de cha-que cas parfois. Cette structure de mise en récit d'unemission qui le singularise, est le mode sur lequelle sujet psychose élabore une identification de soià partir d'une élection de l'Autre, pour le meilleurou pour le pire. C'est en même temps le mode souslequel le psychotique justifie sa situation soit pourrefuser l'étiquette de la maladie, soit pour fonder leprocessus de sa victimisation. De toute façon, ceprocessus de mise en récit des phénomènes psychi-ques et vocaux qui font intrusion dans sa conscience,donne un sens à son univers psychotique, et intro-duit par là un certain ordre au chaos qui le désinsèrede l'espace et du temps communs.

C'est tout l'ordre du langage et des sens que ledélirant veut réparer. Le délire le met au centre d'uneaventure où sa mission est en quelque sorte de répa-rer un mal radical qui met en jeu le sort du mondeou l'ordre de l'univers. Cette dimension globale estce qui spécifie le délire psychotique du délire névro-tique. Le névrosé tend à réparer dans son délire untort subjectif, une souffrance personnelle, un malqui lui est fait. Le psychose est aux prises avec quel-que chose qui touche à la communauté, à la civilisa-tion ou à l'univers lui-même. Bref, c'est l'ordre mêmedu sens et du langage qui est en jeu dans le déliredu psychotique. D'autre part, la modalité d'inscrip-tion du sujet psychose n'est pas le même dans la para-noïa et dans la schizophrénie. Le paranoïaque inscritsa solution à la psychose au niveau d'une re-considération de tout l'ordre du langage, dans lastructure d'un récit où se construit une théorie dela réparation et de l'élimination du mal. Le schizoph-rène quant à lui, met en jeu son être même dansl'entreprise délirante de lutter contre ce mal. Toutson corps peut passer dans cet enjeu total où il s'agitde se sacrifier en s'exposant à boucher la failleouverte dans le flanc de l'être au monde. Aussil'approche du traitement va se tenir au plus près decette différence dans la position du sujet.

3. L'entrée dans la cure analytique par le trans-fert mettra en cause les certitudes du délire, tout enprenant au sérieux la parole du sujet. En effet c'estde cette parole même délirante que l'analyste attendles signifiants à partir desquels il va interroger ledélire jusqu'à reconstituer des fragments d'histoirede la vie subjective du patient. De tels fragments

opposés aux enjeux du délire, vont progressivementêtre les nouveaux referents et les repères d'identifi-cation du sujet, à partir de quoi il pourra construirequelque chose d'autre comme support et justifica-tion de sa psychose. Mais c'est aussi ce qui va enga-ger le sujet dans la crise, la décompensationpsychotique. Mais cette crise sous transfert n'a pasles mêmes caractéristiques que la crise sous traite-ment pharmacologique et sous surveillance institu-tionnelle.

La différence vient du fait de la rencontre du sujetpsychose avec le désir des soignants, le psychanalysteen premier lieu. Pour la première fois le psychoti-que va faire l'expérience d'un accompagnement par-ticulier dans sa traversée de la crise. S'il accepte cetteexpérience inédite avec le mode d'accompagnementqui lui est offert, alors il entre en quelque sorte dansle transfert, il suppose à l'équipe des soignants unsavoir sur le chemin à parcourir pour sortir du laby-rinthe. Alors, c'est l'entrée effective du patient dansle traitement psychanalytique au « 388 ». Il devientenfin un client et un usager des services offerts auCentre, il n'est plus un « bénéficiaire », comme disaitune patiente.

Alors sans étouffer la crise, il s'agira de l'accom-pagner avec le désir de la contrôler progressivement,d'y assister le patient pour qu'il se réapproprie sesmoyens essentiels même à travers la crise. C'est làun pari qui repose à la fois sur le désir du patientde s'en sortir mais aussi et surtout sur l'éthique desintervenants et leurs désirs d'aller jusqu'au bout sanséchouer dans ce pari. En effet, ils sont engagés alorsdans un long tunnel dont ils ne voient jamais d'avancela sortie. C'est différent pour chaque cas. L'adapta-tion singulière du traitement pharmacologique, lasurveillance du rythme de sommeil, du repos, desrepas, des activités qui continuent même pendantla crise, la présence continuelle pour soutenir uneparole au lieu du passage à l'acte, bref pour chaquepatient au moment de la crise d'inscription au « 388 »il s'agit d'un accompagnement sur une base de 24

heures. A travers tout cela il faut maintenir lepsychose en crise dans une position de sujet, de sujetporteur d'une parole et d'une souffrance, de ce quitraverse et parasite cette parole, sans jamais le lais-ser basculer dans une position unique d'objet desoins.

Trois types de crise marquent ce premier tempsdu traitement qui va durer entre 18 et 36 mois. C'estdans ce premier temps que le traitement va être déci-

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sif pour le psychose. Statistiquement, tous ceux quiont passé ce premier temps, soit 70 % des patientstraités au Centre, ont pu changer de façon radicaleleur rapport à la psychose et commencer à créer denouveaux liens sociaux.

A. La première crise que nous avons appelée« crise d'inscription » au «388 » à cause de ses carac-téristiques, arrive en quelque sorte comme une sur-prise. Pourtant les intervenants l'attendent. Ilspeuvent même l'attendre parfois longtemps. Maisquand elle arrive, elle est nécessairement une sur-prise. En effet, tant qu'un usager n'a pas fait sa pre-mière crise au «388», nous ne le connaissons pasvraiment, il n'est pas vraiment inscrit au Centre ettout est provisoire et sujet à remaniement avec lui.D'un autre côté, l'usager lui-même prend son tempsavant de se livrer. Il apprend par les anciens com-ment les choses se passent. Il peut aussi constaterauprès de ses collègues l'efficacité du Centre et laconfiance qu'ils ont dans les intervenants.

La première crise est donc attendue et accueilliepar les intervenants et par les cliniciens du Centre,comme un point de départ décisif. On voit enfin laposition du sujet dans la psychose. Tout est noté,tous les signes précurseurs, perte du lien social,désorganisation du temps, perte de la gestion del'espace, intrusion et sentiment d'effraction psychi-que, etc.. L'usager est alors mis en confiance,entouré, il reçoit les consignes nécessaires, les dif-férentes équipes (jour-soir-nuit) sont averties de sonétat et en discutent, tout en notant au dossier les éta-pes d'évolution de la situation. L'équipe de soins (lepsychiatre, l'intervenant responsable de l'usager,l'agent social et l'usager lui-même, principal mem-bre de l'équipe) fait le point, identifie les axes etles temps forts de la crise,"tout en adaptant le plande soins et le suivi dans le quotidien pour l'ensem-ble des autres intervenants.

Cette crise sera gérée dans son ensemble parl'équipe de soins responsable de l'usager en premierlieu et par l'ensemble des intervenants. L'analyste,le clinicien de l'usager, n'intervient absolument pasà ce niveau de la crise d'inscription. La plupart dutemps d'ailleurs l'usager n'est pas encore en cure indi-viduelle. Le pari est que l'équipe et l'ensemble desintervenants arrivent à un contrôle de la crise et àaccompagner le patient jusqu'à la sortie de cette crise.Tout doit concourir à ce succès, le contrôle de lamédication, l'accompagnement, les rythmes des acti-vités au Centre, une présence continuelle auprès du

patient qui n'est jamais isolé ni laissé seul. Cetteassistance assidue de l'usager en crise évite les situa-tions dangereuses pour l'usager et pour autrui et luipermet de traverser la crise au « 388 » sans hospita-lisation.

A la sortie de la crise, et dans les semaines quisuivent, le psychiatre, l'équipe et le clinicien, quandla cure analytique est commencée, permettent à l'usa-ger de parler de sa crise, de l'analyser, d'y mettreun peu d'ordre. Au cours de cette première crised'inscription, les intervenants ont appris à connaîtrela position du sujet psychose dans sa psychose, sonrapport aux voix, le type d'injonctions auxquellesil fait face et auxquelles il se croit obligé de répon-dre. Dans les cas de schizophrénie, les intervenantsont fait connaissance avec le mode sur lequel l'êtredu sujet, son intégrité psycho-corporelle sont mena-cés dans la crise, les parties du corps mises en causepar l'atteinte psychotique et l'intrusion psychique.Maintenant, il faut permettre au sujet d'en parler etd'en prendre nettement conscience dans un tempsde rémission et d'accalmie. Il faut parler de ce vécuavec lui, mais non à sa place. Les signifiants majeursqui articulent cette lutte du sujet contre sa psychosedans sa crise ayant été bien repérés, les intervenantsles reprendront dans la réunion clinique hebdoma-daire avec l'analyste consultant.

À cette occasion seront présentés à l'ensembledes intervenants, les structures et accidents familiauxqui marquent la psychose singulière du sujet. Lesaxes et les signifiants de la crise seront confrontésà cette structure familiale pour en dégager les inter-relations, complicités et liens signifiants. Ainsi pro-gressivement se fera jour la structure qui déterminele rapport du sujet à sa psychose. Le plan de soinset les activités spécifiques qui alimenteront l'horaireparticulier de présence de ce patient au Centre serontadaptés en fonction de ces acquisitions permises parl'accompagnement et l'analyse de la crise. Les inter-venants utilisant ces acquis aideront l'usager à cor-riger sa propre perception de la crise pour y limiterl'impact des interprétations délirantes. Ainsi, c'estla crise elle-même qui devient un moyen de luttecontre la perte du sujet dans la psychose.

B. À la deuxième crise, les intervenants infor-més par l'analyse de la première, vont accompagnerl'usager de façon plus active et plus déterminante.Ils vont l'accompagner en lui apprenant à reconnaîtreles signes précurseurs et les différentes étapes de lacrise, tout en lui indiquant les dispositions à pren-

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dre pour arriver à un certain contrôle. L'objectifimmédiat qui est poursuivi reste évidemment demaintenir la position subjective du patient face à lacrise, le plus longtemps possible.

Grâce à cette deuxième crise, où l'enjeu de col-laboration usager-intervenant est très important, leséléments signifiants d'histoire subjective du patientvont être repérés et utilisés dans le sens d'une limiteà l'interprétation délirante. Le patient sait désormaisque l'équipe va « passer à travers la crise » avec luiet ce savoir est déterminant dans sa volonté d'appren-dre lui-même à faire face à ce qui lui arrive. Lepatient commence autour de cette crise, à se repérerà partir des fragments significatifs de son histoireplutôt qu'à partir des injonctions du surmoi ou desvoix qui commandent ses passages à l'acte. Il distin-gue son histoire subjective qui se reconstitue au Cen-tre avec les soignants, du récit délirant où ils'identifiait à « sa » mission. Cette distance par rap-port au délire se manifestera après la crise parl'acquis d'un certain « humour » face à ce qui faisaitsa certitude avant. Il avertit et discute des injonc-tions et des impulsions qui le traversent et peut ainsiobtenir l'assistance nécessaire pour gérer sa vie dansce temps fort de la psychose.

En sortant de cette deuxième crise, l'usager saitquelque chose d'essentiel sur sa psychose. Il a parti-cipé à la gestion de la crise, et surtout il a vu com-ment l'équipe s'y prenait pour l'assister. Il sait qu'ilpeut désormais gérer la crise avec de l'assistance etde plus il a appris à en tirer partie. Il en sort avecune connaissance de lui-même qui est distincte deses croyances délirantes. Il peut prendre des distan-ces pour la première fois vis-à-vis de ses proprescroyances délirantes. Il a pu voir de façon techniqueet concrète le rôle, la nécessité et les limites des médi-caments. Il sait désormais la différence profondeentre les crises qu'il a vécues à l'hôpital et ce qu'ilest capable de réaliser avec les moyens du Centre.A partir de là, il va pouvoir véritablement récupéreret se réapproprier son plan de traitement. Les inter-venants, son psychiatre, la travailleuse sociale et sonanalyste vont pouvoir s'adresser à lui comme au res-ponsable du plan de traitement. Son point de vuedésormais devient déterminant. Son ambition alorsva être non seulement de gérer lui-même la troisièmecrise, mais il envisage déjà la possibilité de sortirdu phénomène de la psychose. Il peut en parler avecles anciens qui ne font plus de crise «assistée», etqui font des projets en ville et commencent à vivre

de leurs propres moyens. C'est donc le temps desgrands espoirs et des grandes illusions de guérison.

C. Quand vient ce que je désignerai comme latroisième crise, l'usager contrôle déjà son horaired'activités à l'intérieur du Centre comme en ville.Il peut en fait distinguer les signes précurseurs dela crise, en discuter avec son intervenant responsa-ble et son psychiatre, ou bien ne rien leur dire, sur-tout s'il a déjà commencé une cure individuelle.Alors, parfois seul le clinicien qui est son analystesaura qu'il est en crise. Il continue ses activités. Ilne quitte pas nécessairement son appartement pourdevenir résidant. Il ne demande pas nécessairementde l'aide. Sous la supervision de son psychiatre etde l'intervenant responsable, il a déjà le contrôle desa médication. Certains ont déjà à leur demande etavec l'avis du psychiatre, arrêté leur médication. S'ila eu entretemps un emploi, ou bien s'il a repris sesétudes au Cégep ou à l'université, il poursuit ses acti-vités.

Les intervenants eux peuvent avoir repéré lessignes précurseurs de la crise : ralentissement desrythmes, gestion difficile du temps et des horairesd'activités, désorganisation de l'espace d'habitation,nécessité d'intervenir auprès de l'usager quant à sonhabillement, sa nourriture et son sommeil. Le patientpeut alors aussi se plaindre du retour d'éléments déli-rants ou en faire état dans ses entrevues avec les inter-venants. Mais la gestion de ce moment particulierdu traitement est telle, que d'un commun accord,l'assistance sera plus étroite, mais l'usager chercheraà contrôler sa crise pour la première fois seul, parceque lui et l'équipe pensent que c'est possible.

Souvent on constatera alors chez quelques-unsqu'ils fréquentent le Centre plus souvent le soir. Onleur rappelle la disponibilité des intervenants, maissans les gêner dans leur volonté de réussir à traver-ser tout seul leur crise par leurs propres moyens.On se contente d'une assistance prête à interveniret de leur offrir des entrevues individuelles plus rap-prochées, voire quotidiennes et plus longues. Il s'agitlà en fait, d'une expérience décisive pour le sujetdans sa volonté de modifier sa position dans lapsychose.

Au cours de cette crise, le patient va très loin,et très profondément dans sa régression. Il souffremais il garde toute sa lucidité. Et même si pour cer-tains, ils arrêtent leurs activités pour un temps à causede la dimension de la décompensation psychotique,ils ne sont pas hospitalisés. Dans ce cadre le patient

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ne veut pas généralement de l'hospitalisation. Lesintervenants savent qu'il va passer à travers cettecrise. Lui, il va l'apprendre. Après cette crise déci-sive, le patient a le sentiment qu'il va être guéri, qu'ilva s'en sortir, que le tunnel tôt ou tard déboucherasur la lumière.

En sortant de cette crise, il va s'engager à fonddans le travail de remaniement global que l'analyseexige de lui. Ou bien plus rarement il va s'arrêterlà et s'en aller ...

Nous évaluons qu'il faut de 18 à 36 mois à unpsychotique au «388» pour en arriver à ce point.Après ce point limite, il s'engage à fond dans sa cure,à la reconstruction de sa vie et travaille à créer denouveaux liens sociaux. C'est comme un point denon retour. Statistiquement, nous n'avons pas encorede patients qui, une fois ce stade passé, n'ont pasmodifié profondément leur rapport au phénomènede la psychose et leur rapport à la société. Mais s'ilsont le sentiment de s'en être sortis, ce qui a menéquelques-uns à arrêter là le traitement, nous savonspar l'expérience de ceux qui continuent au-delà dece point, qu'il leur reste une longue et difficile routeencore, avant de voler vraiment de leurs propresailes. Mais quelques-uns ont réussi à continuer toutseul à partir de cette étape.

Tous ceux, environ 30 % des patients que nousavons traités ou commencé à traiter, qui n'ont pastraversé cette dure étape et amorcé ces changementsradicaux, ont abandonné le traitement à l'intérieurde cette période de 36 mois. Nous faisons une étudeparticulière de ces cas que nous publierons.

La reconstitution de l'image corporelleLa deuxième grande étape du traitement va être

marquée par le changement du rapport du sujet àson corps. Jusque là, le patient aux prises avec lesinjonctions des voix et du surmoi, qu'il soit para-noïaque ou schizophrène, était dans un rapport trèsparticulier avec son corps. Il vit son corps commeextérieur à lui-même, en tout cas comme ne luiappartenant pas. Son corps traversé de pulsions quile tyrannisent, est à la fois occupé par autre choseou par un Autre, qui y exerce un contrôle, dépossé-dant l'usager de son propre espace corporel. Leretrait du délire et la reconstitution d'une histoireplus ou moins fictive, à partir des fragments d'his-toire subjective, laissent le sujet face aux effets dela psychose sur et dans son corps.

Il doit donc se remettre au chantier de la re-constitution de son rapport à son corps. De notrepoint de vue psychanalytique, le corps ce n'est pasce avec quoi le médecin, psychiatre ou non, a affaire.Le corps est en quelque sorte cet écrit tracé à partirdu sujet pulsionnel de l'inconscient, qui porte la mar-que de l'histoire du sujet affronté dans une lutte sansissue avec cet Autre qui ravage sa vie et dont il sedit tantôt « possédé », tantôt « persécuté », tantôt « sur-veillé», et par rapport auquel il nous paraît si sou-vent être «sous dictée». Ce corps arraché àl'organisme et traversé de pulsions vagabondes, cecorps pénétré, habité, parasité, et encombré ou privéd'organes imaginaires au fonctionnement apparem-ment autonome, ce corps anti-biochimique, est lelieu d'où le sujet tente, parfois avec des efforts inouïs,de gérer son espace et son temps.

Ce corps ne saurait bien sûr être l'objet du regardou du désir d'autrui. Il ne connaît donc pas vrai-ment la sexualité. Celle-ci est plutôt, dans un telcadre, le lieu de la possession par le partenaire misà la place de l'Autre persécuteur. Le sujet sorti à peinedu champ où le délire domine son occupation del'espace et du temps, doit se mettre à la tâche dese réapproprier son corps avant que lui soit vraimentaccessible le champ particulier de la sexualité commeespace d'investissement du désir. A ce stade d'ail-leurs les usagers ne présentent pas vraiment d'inté-rêt pour la question de la sexualité. Mais ilscommencent à s'inquiéter sérieusement des effets dela psychose sur leur corps et leur vécu d'hommeset de femmes dans la cité.

L'analyse du symptôme va être au centre donc decette période du traitement, puisque le symptômeécrit en quelque sorte l'histoire de la possession dusujet par l'Autre. Le symptôme psychiatrique réfèreà un dysfonctionnement psycho-physiologique parrapport à une norme et sera traité en tant que tel.Le symptôme psychanalytique réfère plutôt à la cap-ture du sujet dans ce qu'il croit être une possessionpar l'Autre. Le symptôme comme écriture renvoieun marquage du corps aux axes du délire et de lacapture dans la toute-puissance de l'Autre. Pulsionde mort, dit Freud, jouissance de l'Autre dit Lacan !

Le symptôme découpe le corps marquant une his-toire à réinventer à travers de nouveaux modesd'appropriation de l'espace et du temps. Le noyaudu délire, son point de catastrophe en quelque sortese monnaye dans ce découpage et dans ce morcelle-ment électif du corps par la psychose. A suivre le

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discours ou les pratiques corporelles du psychoti-que mettant en scène pour nous cette possession deson corps, les choses apparaissent comme suit. Lecorps du sujet, morcelé, est l'objet d'effractions, oùil ressent l'étrangeté de la « chose » sous la formede pulsions incontrôlables, de tensions insupporta-bles qu'il impute à des forces occultes, ou encoresous la modalité d'intrusion ou d'excroissanced'objets internes, étrangers à son système organique.

Ces forces et ces objets sont localisés selon undécoupage spécifique qui cerne : des surfaces, desorifices, des organes, des tissus, des systèmes et desfonctions physiologiques. On reconnaît là le moded'élection des phénomènes psycho-somatiques, maisdans la psychose ce découpage est essentiellementinterne à l'organisme et est soutenu par un délireapproprié et spécifique à l'histoire de la folie dupatient. Cette géographie particulière isolant le corpspsychotique de l'organisme du vivant met en causeaussi bien l'espace et le temps quant à leur organisa-tion, leur gestion, leur utilisation par le sujet danssa construction d'un lien social de co-existence avecautrui.

Alors dans un tel cadre, le travail de l'analyste,comme celui des intervenants, devient techniquementplus spécifique. Il ne s'agit plus alors d'interpréta-tion de la crise par les éléments du délire qui per-mettent une reconstruction d'histoire. Nous abordonsune toute autre époque de traitement avec une touteautre problématique. Du côté de l'analyste, il s'agitde la production d'une articulation de la pulsion àdes productions engageant le sujet dans le lien social,à travers les manoeuvres du transfert. Du côté desintervenants, il s'agit de la mise en place d'activitésde réappropriation du corps à travers une re-considération de la gestion de l'espace et du temps,tant au Centre que dans des activités en ville, au seinde la communauté.

Ce qui est attendu alors du médecin, en atten-dant que nous possédions les médicaments que laisseespérer une approche biologique pour la « guérison »de la psychose, au-delà de sa stabilisation, c'est delimiter dans la mesure du possible et de contrer leseffets de la psychose sur l'organisme. Le psychiatreen tant que médecin doit assurer un support à la santéphysique, garantir le repos, sommeil, bref lesconditions générales de santé qui supportent le tra-vail de cette partie du traitement. Les intervenantsquant à eux, pendant cette période, travaillent à sou-tenir le sujet dans cette reconstitution de son image

corporelle. Leur action alors porte sur l'appui à lagestion du temps et de l'espace pour le patient à par-tir précisément de la reconstitution et de la fragmen-tation de son histoire que la première partie dutraitement a rendu possibles. Ce travail se fera à tra-vers les projets que chaque usager va entreprendredans la communauté avec le support de son interve-nant responsable. Ces projets sont l'occasion et lamatière d'une remise en chantier d'une constructionde nouveaux liens sociaux par les usagers.

En effet, pour nous la psychose réside essentiel-lement dans la perte du lien social. Le lien socialc'est la capacité du sujet de négocier la satisfactionet la coexistence avec autrui dans la langue de lasociété qui, par ses valeurs et ses lois définit les règlesdu jeu de cette négociation. Ce que nous désignonslà comme lien social est donc le mode sous lequel,pour un sujet donné, prend place l'hétérogénéité deson désir dans l'ordre symbolique qui règle son rap-port aux autres. Très précisément les intervenantsassistent les usagers dans leur tentative de renoueravec cette société dont souvent ils ont été écartés ouencore dont ils se sont retirés dans les temps fortsde la psychose. La reprise des études, les démar-ches pour retourner vivre en appartement, la recher-che ou la reprise d'un travail, tout commel'apprentissage d'un métier, sont l'occasion pourl'équipe d'interroger l'usager de façon à lui permet-tre de positionner son désir dans ses nouvellesdémarches de vie.

Dans le même temps, les activités de productionsartistiques sollicitent une autre dimension, esthéti-que celle-là : le réel du sujet dans son désir d'autrechose que la psychose. Si nous maintenons quel'esthétique est cet espace ouvert aux enjeux du désirpar le langage et le signifiant, quand la référenceaux choses y est abandonnée, alors on comprend lanécessité clinique d'une pratique esthétique au « 388 »à cette étape de la cure du psychose. Il ne s'agit pasfondamentalement de pratique artistique, et encoremoins d'art-thérapie. Très peu de nos patients, maisil en existe, ont le talent suffisant pour transformercette pratique esthétique en une pratique artistique.Des artistes, ayant une pratique en ville, donc unpublic, un certain renom et une reconnaissancesociale, sont engagés au « 388 ». Ils viennent travail-ler, pratiquer leur art avec les usagers, chacun troisheures par semaine.

La pratique des ateliers d'art crée un espace par-ticulier, mobilise le désir du sujet dans une créati-

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vite où l'écrit, la trace de l'Autre qui travaille soncorps dans le symptôme, passe à la production d'unobjet d'art qui vient, dans l'imaginaire du sujet, arti-culer le réel de son expérience morcelée aux règlesqui gèrent le travail de production dans cet espaceesthétique. Une telle pratique à la fois cadre et donneun sens au vide que confronte le sujet psychose àla sortie de l'état de crise. Le recul de l'Autre persé-cuteur, du délire et de ses objets, laisse le psychoseà la tâche de la production d'une raison d'être oude mourir, en ce point où il a à se mesurer à la parti-cipation à une société qui occulte le tragique et ignorele drame humain au point de réduire la psychose auhandicap biologique, de ramener le suivi du psycho-tique à la psycho-éducation et à la réadaptationsociale. C'est alors un pari de faire renouer lepsychose avec l'espace esthétique du signifiant, letravail et la dimension non délirante de la métaphoredans la langue, comme cadre et condition d'un sensnégocié, là où manquent les certitudes des croyan-ces courantes.

Nous n'entrerons pas dans les détails des lienset argumentations théoriques de ce travail de re-construction du corps comme lieu du désir du sujetet non plus comme objet de possession et de persé-cution par l'Autre du délire, ou comme objet d'obser-vation et de contrôle « scientifiques » par ces « autres »qui ont le pouvoir du savoir. Nous nous contenteronsde faire état du constat de fait. Cette réorientationdes soins médicaux axés sur le soutien du sujet contreles effets organiques de la psychose, cette pratiqued'une meilleure gestion de l'espace et du temps avecles intervenants, cette pratique esthétique mobilisantle désir du sujet dans une créativité artistique, cestrois dimensions concourent à modifier profondé-ment le rapport du sujet à son propre corps dansle sens d'une réappropriation d'un lieu de désir etde satisfaction dans de nouveaux modes de lien avecautrui.

Cette période est essentielle pour tous les psycho-tiques. Ils commencent alors à se penser comme êtrehumain dans un corps. Un corps offert maintenantau regard d'autrui et à l'esthétique de la co-existence.Ils s'habillent mieux, ils se créent une présentation.Ils se montrent alors sensibles à la position d'autruiet envisagent la négociation enfin comme unecondition de vie. Leur participation à leur traitementpeut alors être cette véritable prise en charge de soi.De tels usagers peuvent fonctionner très bien commereprésentants des autres soit à la direction du Cen-

tre, soit à des comités à la coopérative de quartieroù ils sont membres. Ils renouent avec les amis etfamille d'une façon qui alors étonne leur entourage.A la fin de cette deuxième étape, ils pensent êtreguéris. Ils disent alors qu'ils sont sortis de lapsychose.

Dans un sens c'est vrai, ils ne seront plus ré-hospitalisés, ils ne feront plus de crises désordon-nées, ils demandent d'arrêter ou de modifier lesmédicaments qui les gênent dans leur nouvelle vie,leurs nouvelles relations. Ils ont modifié profondé-ment l'économie du phénomène de la psychose. Maispour les analystes qui les ont en cure apparaît unconstat, le «noyau délirant» a pris la forme d'un« objet interne » délirant, que le sujet parfois constateavec une curiosité mêlée de désarroi. Cet objet vientsignifier l'insistance de la structure au-delà du phé-nomène, comme ce dont on peut modifier le modede la manifestation, sans jamais pouvoir le suppri-mer, sans supprimer le sujet lui-même qui s'y loge.

La production du fantasme

C'est alors la troisième phase de la cure dans letraitement que j'ai appelée la phase de l'externalisa-tion de l'objet. En fait, on voit se constituer alorschez nos patients les éléments d'une fantasmatisa-tion qui prend sa source dans l'objet interne maisoù va se préciser une modalité du désir psychotiqueà travers des choix vitaux. La mobilisation du désirdans la pratique des ateliers d'art à un moment oùle sujet est à la tâche de se réapproprier son corpsest un temps de passage de la symptomatisation (écri-ture de la jouissance de l'Autre) à la fantasmatisa-tion (subjectivation de la jouissance dans l'objet).Alors le désir apparaît sous sa radicalité sexuelle,mais sous une forme bien différente que dans lanévrose, et où le sens prime sur la jouissance. Sidans la névrose le fantasme qui offre un objet audésir est réglé par la jouissance, dans la psychosel'objet qui alimente le fantasme vient comme sou-tien d'un sens arraché au délire. La jouissance y estplutôt redoutée.

Que le noyau de la psychose dans le délire prennela forme d'un objet interne, marquait la fin de lapériode précédente. Ainsi pour tel patient ce noyausemble se centrer autour du fait délirant de la perted'un organe interne, la rate en l'occurrence. Tout sepasse alors comme si cette concentration et cettelocalisation du délire sur un objet pouvait permettre

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au sujet de disposer enfin du reste de son universpsychique. Pour tel autre patient, il s'agit de laconviction que depuis sa dernière visite au dentiste,un micro lui a été « installé » sous la dent. Aussi peut-il difficilement prendre part verbalement à la cure.Alors, il chuchote et produit des écrits à lire par sonanalyste. Pour tel autre patient, c'est une aiguille quilui a été introduite dans la tête. Pour tel autre il s'agitdu « poids » qui figure comme signifiant dans sonnom. En fait pour tous ces patients et d'autres dansles mêmes circonstances, cet objet délirant de limiteà la psychose est en relation directe avec des événe-ments importants de l'histoire subjective, ou bienencore avec leur patronyme ou un trait essentiel deleur subjectivité. Cet objet souvent était déjà là, maissans la signification clinique décisive qui marquedésormais sa présence, comme témoin de la struc-ture au-delà de la phénoménologie de la psychose.Cette «dé-limitation» du délire montre aussi quejusque-là une part essentielle de la psychose, sa struc-ture précisément, c'est-à-dire le rapport fondamen-tal du sujet à la jouissance de l'Autre, échappe à laclinique et que toute la problématique de la troisièmeet de la quatrième partie de la cure visera la gestionde cette part perdue de l'être. Tel est précisémentl'enjeu de la fantasmatisation. Elle mobilise ce réeldu délire dans la production d'un espace symboli-que pour l'externalisation de l'objet interne.

Nous avons choisi ce terme d'externalisation pourrendre compte d'une observation clinique qui nousa frappé à cette étape de la cure, c'est que la mobili-sation de la psychose dans l'espace symbolique dudésir et du lien social entraîne une fantasmatisationoù par la suite, le mode d'articulation du sujet à lasociété et à son entourage se fait dans des termesoù l'on observe une reprise ou une expulsion en quel-que sorte de l'objet interne. Ainsi, ce «patient àl'aiguille » a initié son mode d'articulation au socialpar une reprise des relations avec son père autourd'une activité à laquelle il semblait tenir comme àla prunelle de ses yeux : il allait jouer aux « quilles »tous les vendredis soir avec son père, avec qui aupa-ravant et durant des années, les relations étaient abso-lument impossibles. L'autre qui délirait sur le désirde devenir champion du monde au lancer du poidspour délivrer son message, du haut du podium faceau monde entier, continue à faire des haltères « pourse divertir», et travaille dans un métier où sa forceherculéenne est parfaitement utilisée. Mais il nedélire plus. Telle autre dévorée de l'intérieur par une

« chose » qu'elle refuse d'alimenter en devenant mor-tellement anorexique, a maintenant une productiond'objets d'art fort appréciés sur le marché.

Nous retiendrons donc au niveau de l'observa-tion clinique que cette étape de l'externalisation del'objet interne, vécu d'abord par le sujet comme unobjet qui le détruit de l'intérieur, procède à une trans-formation à la fois symbolique et socialisante de cetélément du délire, à travers la fantasmatisation quela cure en obtient. Evidemment la question cliniquede la façon dont s'opère cette fantasmatisation estune question psychanalytique fondamentale. Ellearticule le sujet à ce qu'il peut arracher de vie etde sens à la jouissance de l'Autre. Nous n'en traitonspas ici, c'est hors de notre propos. Mais nous pou-vons noter à ce sujet que précisément à cette étapede la cure, le traitement sous transfert mobilisantle sujet du désir, la fantasmatisation vient nécessai-rement donner une forme et un contenu imaginairesà la pulsion qui sous-tend le désir du sujet. La réap-propriation du corps comme corps erotique, objetdu regard et sujet de la pulsion et non plus victimede la pulsion et du regard en position paranoïde,entraîne le sujet dans le désir de nouveaux lienssociaux où le sexe doit accéder à un sens. Ce quiest remarquable précisément dans les périodes pré-cédentes c'est que le sexe pour le psychose est vécucomme mécanisme biologique, mais détaché du senset de la dimension de risque que suppose la bonnefoi accordée à la parole de l'autre comme axe denégociation de la signification des relations sexuel-les. C'est précisément cette dimension d'articulationdu sexe au sens qui intéresse à cette étape le patient.

On voit alors plusieurs patients hommes se poserla question de la paternité et celle de la vie avec unefemme au moins pour un temps, comme deux ques-tions radicalement différentes. On voit parallèlementdes patientes femmes s'intéresser à une position decause du désir de l'autre, donc à la dimension fémi-nine de leur sexualité, mais de façon différente quede la façon dont elles peuvent évoquer le désir d'êtremère. D'ailleurs, il faut reconnaître que ce désir dematernité est plus fréquemment abordé que l'enjeumême de la féminité. La reconquête du corps dési-rant n'est pas sans plonger le sujet sorti du phéno-mène de la psychose dans tous les drames que lenévrosé connaît. On parle de névrotisation du sujetou d'hystérisation comme dit Danielle Bergeron,mais en fait le psychotique fait face à la situationsans les moyens de gestion de la métaphore dont dis-

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pose le névrosé. Cette période du reconditionnementdu désir psychotique au gré de la formation de l'objetdu fantasme reste extrêmement fragile. Le sujet pourla première fois vit à partir de son désir plutôt quesous la dictée des voix, et cette expérience est vio-lente et déroutante.

Esther, après trente ans de psychose et de luttedans une anorexie extrême, constate aujourd'hui àla fois avec joie et frayeur : « Aussi loin que je mesouvienne, depuis ma toute petite enfance, il y a unevoix contre laquelle je lutte. Avant même que je parle,elle me dit quoi dire, je dois lui résister. Elle medonnait des ordres et je devais lutter pour lui déso-béir. . .Aujourd'hui, c'est le silence ! Pour la premièrefois depuis des mois, je n'entends plus rien. C'estla première fois que j'en parle. Je n'avais jamais oséparler de cette voix. ... Ce silence me fait peur. Etpuis, il y a aussi mon corps. Je ne comprends plusce qui se passe. Quand je prends mon bain, ce n'estplus la même chose. L'eau qui coule sur ma peau,la fraîcheur du soir, les mouvements de mon ventre.. tout ça est différent... agréable, ... je n'avais pasces sensations avant. Avant c'était toujours un fondd'angoisse. »

Certes le sujet sort du cercle infernal des mani-festations de la psychose, de la possession où il estl'objet de la jouissance de l'Autre, du délire, des cri-ses, des hospitalisations, des médicaments etc... Maisle nouvel équilibre est fragile. Tout se passe commesi tous les apprentissages humains de base étaientà remettre en question, surtout en ce qui concernele lien social et la négociation de la satisfaction avecautrui. C'est que Ie1 sujet confronte alors le plus com-mun de la folie, ce point limite de l'expériencehumaine où toute garantie fait défaut au langage. Cepoint de la cure fait apparaître d'évidence le peu deconsistance humaine et l'effroi psychique qui fon-dent les théories biologistes de la psychose. Pour tra-verser cette période, de façon à engager la suivante,l'analyste doit prendre les choses au point le plusfragile de l'expérience psychique, cette limite de foliecommune à l'analyste et au psychotique, parce quec'est la condition même de la subjectivité. En ce pointlimite, mais sorti du cercle de cette jouissance del'Autre et du pouvoir des voix, le sujet sous transfertest susceptible de ce que nous avons appelé à ce stade«l'accident psychique».

Nous désignons par là un phénomène particulieroù le sujet vit un écroulement global apparemmentdu nouvel univers qui commence à peine à se créer.

Il s'agit d'un phénomène qui a toutes les apparencesde la crise, mais qui pour les soignants est extrême-ment brusque et imprévisible. En fait les analystesactuellement voient se préparer l'événement et peu-vent en soutenir l'occurrence sous transfert. Maispour les autres intervenants, de la place où ils setiennent et compte tenu de la gestion de sa vie parle patient lui-même, ils sont réduits à une assistanceobservatrice. En effet, cet événement, que nousaurions pu appeler la quatrième crise, en comparai-son aux autres décrites plus haut, cet événement vientcomme un accident psychique. Il étonne par ses troiscaractéristiques : rapidité, violence profonde, briè-veté. Si pour l'analyste, il s'agit d'un enjeu qu'il voitse mettre en place et se résoudre sur plusieurs semai-nes, pour les intervenants qui ne vivent que l'apexde l'événement, tout semble se passer entre douzeet trente heures. Le patient reste extrêmement lucide,dans une souffrance et une désorganisation quicontrastent avec cette lucidité cruelle. Cette luciditémême est à la fois sa chance et un danger. Il continueà gérer seul sa vie sociale et sa situation d'étudiantou sa vie socio-professionnelle. S'il est bien soutenudans la cure avec l'analyste et dans le traitement avecson psychiatre et son équipe, il passe à travers. Tousles patients que nous avons vu vivre cet événementl'ont bien vécu. Mais tous ne sont pas passés parlà. Cela nous pose cette question non résolue pournous: pourquoi certains et non d'autres?

En fait l'accident l'a pris par surprise, tout lemonde a été étonné. C'est que le changement estimmense, comme disait récemment un patient « Jene peux plus faire de psychose, alors... je fais quoi ? »Tel ou tel s'engage à fond dans ses études d'informa-tique où il brille, y épuisant ses soirées jusque tarddans la nuit. Tel autre se jette dans une productionartistique débordante, dans un milieu qui semble luidonner, à trente-trois ans, l'occasion de rattraperenfin son adolescence. Bref, ils sont commen'importe qui d'autre, soumis au cycle de la viepsychique et de ses implications et luttes sociales.Mais ils ne sont pas encore armés pour y faire face.Ils sont plutôt en lune de miel avec cette vie débor-dante qu'ils découvrent et dans laquelle ils mordentà pleines dents. C'est ce temps où Esther dit: «jen'ai peur de rien. Je veux vivre. »

Enfin c'est une période extrêmement importantepour les schizophrènes et les jeunes psychotiquesfemmes. Pour ces deux catégories de sujet, la re-constitution du corps dans la seconde phase de la

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cure, doit se prolonger et se compléter de l'enjeudu vécu du corps objet, corps objet du fantasme,appui du désir de l'Autre. C'est la phase où la viesexuelle, reprend sous le mode du désir d'un homme,d'une femme, du désir de paternité, de maternité.Alors pour certains, l'enfant à naître plus que la nou-velle vie de couple peut s'avérer, et s'avère être l'occa-sion de l'accident dépressif. La fin de l'analyse pourle sujet névrosé est souvent liée à un passage dépres-sif spécifique, l'accident psychique chez le sujet sortidu cercle de la psychose nous fait penser à ce phé-nomène clinique. Mais il s'agit d'autre chose. Le vécude ce passage détermine l'entrée et aussi les enjeuxde la dernière partie de la cure dans le traitementdu psychotique.

Le désir dans le lien social

Dans la quatrième période de la cure le sujet àpartir de l'objet en jeu dans son désir est confrontéau spécifique de l'humain : s'articuler à l'autre dansla recherche de la satisfaction sous la Loi commune.Pour le psychotique arrivé au point de la fantasmati-sation de l'objet, comme pour le névrotique, il y aquelque satisfaction occulte à en rester à la jouis-sance silencieuse que promeut le fantasme. Maiscette position de retrait du sujet dans le silence, s'ilest en dehors du délire, n'en enferme pas moins lesujet dans une position imaginaire qui est en oppo-sition fondamentale au lien social. Or l'objectif finaldu traitement dans la psychose demeure que l'analysterequiert du sujet du désir, la création d'un nouveaulien social. C'est à partir de sa position dans la struc-ture en rapport à la pulsion de mort (cette jouissancede l'Autre) que le sujet doit s'articuler à la sociétéen négociant sa propre satisfaction. Ceci n'est passans projeter le sujet sorti de la psychose, dans uneconjoncture parfois assez désespérante à cause desespoirs créés par les progrès même de la cure à cepoint du traitement. Pour bien voir ce qu'il en estet de quoi il s'agit, il faut ici revenir à un point quipeut sembler de pure théorie, mais qui est l'enjeuclinique de toute psychanalyse et en particulier dela psychanalyse des psychoses, surtout dans laconjoncture actuelle de l'histoire de la psychiatrieen Amérique du Nord.

D'une part, il faut distinguer ce que nous appe-lons ici le lien social et la socialite ou le fait mêmede vivre en société. C'est d'abord cette distinctionqui est en jeu dans la dernière partie du traitement

et de la cure du psychotique. D'autre part, il nousfaut dégager les implications théoriques et pratiquesd'une telle distinction pour la clinique. La socialiteréfère aux différents modes de relations et d'articu-lations des sujets dans une société donnée qui parses croyances fonde les lois qui règlent ces relations.Fondamentalement donc, la socialite se fonde surles mythes et croyances qui rassemblent les indivi-dus autour de certaines valeurs dites communes, àla recherche d'un « bien commun » ou d'une « chosepublique». Ainsi, si la socialite fait lien social,comme dans la religion par exemple, ou dans desidéologies politiques (ou sans doute aussi scientifi-ques) c'est sur la base de croyances communes à ceuxqui sont liés par cette socialite. C'est précisémentcette socialite là qui fait le fondement de la réalitépour le plus grand nombre et que le psychotique aperdue. Il ne se contente pas d'ailleurs de l'avoir per-due, il la conteste et s'emploie dans son délire, soità en corriger les failles, soit à en créer une nouvelleplus appropriée au bonheur du groupe.

La psychanalyse pose l'exigence d'un nouveau liensocial qui ne soit plus fondé sur la croyance com-mune ou sur les idéologies et les mythes fondateursdu pouvoir ou qui balisent le monopole et l'usagede la violence sociale. La psychanalyse prend encompte que toute réflexion philosophique a toujourstraditionnellement mis en cause ces mythes fonda-teurs, ces signifiants fondateurs que sont Dieu, lePère, la Science, le Capital, la Révolution, e t c . ,bref, tous ces Noms-du-Père dont les névrosés ontle secret de la production, comme support et justifi-cation derrière des Lois qui gèrent l'usage de la vio-lence monopolisée, ou comme légitimation dupouvoir. Aujourd'hui, c'est la conjoncture histori-que même d'une civilisation post-capitaliste qui enfait apparaître partout la fragilité et le côté provi-soire dans toute vie sociale. Le psychotique lui, atoujours déjà été la victime inconsciente de cette fail-lite interne des fondements de la socialite. Dans cesens le langage lui apparaît comme porteur d'undésordre interne qui fera la perte de l'univers humain,s'il ne se dévoue pas à sa réparation. La psychanalyseintroduit un nouveau lien social, qui mobilise d'abordla créativité du sujet du désir, à produire son articu-lation à l'Autre (autrui et/ou le langage) dans son rap-port à la jouissance d'abord, et non en conformitéà la croyance commune. Cette requête de l'analysen'est pas d'abord une contestation de la socialite, c'estune prise en compte à la fois de la fragilité des fon-

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dements (donc de la position du Père), où se sup-porte la Loi, et d'autre part du désir du sujet commeessentiel à la consistance même de la Loi. Il ne s'agitdonc pas de monter la psychanalyse comme une idéo-logie, ou comme le fondement d'un nouveau mythe,dans la quête de réparation de la socialite. Une telleposition ramènerait le psychose en arrière par rap-port aux progrès du traitement et relancerait la pro-blématique du délire.

Il faut donc à ce stade de la cure plus qu'aupara-vant, que la problématique du traitement montre desdistances décisives d'un point de vue théorique etclinique par rapport à toute approche « biologiste »de la psychose. De quoi s'agit-il en effet? Référons-nous à l'expérience la plus commune des limites dupsychisme pour chacun, ce point de folie où pourchacun se pose la question décisive : « Jusqu'où puis-je aller trop loin sans basculer dans l'horreur ou levide? » Cette question qui définit une position adulte,du moins de ce qu'il faudrait énoncer comme santémentale, fait pendant à la question où se définit l'ado-lescent au bord de la psychose, en mettant en ques-tion les fondements même de la socialite : « Au nomde quoi ceci plutôt que cela?» Ce qui fait la folieest porté par ces questions auxquelles aucun être par-lant n'échappe, quelles que soient les conditions bio-chimiques de son insertion dans la réalité dite sociale.C'est que ces questions représentent la limite mêmedu psychisme, c'est-à-dire du mode sous lequel s'arti-culent le corps, comme trace de la jouissance del'Autre dans l'histoire subjective, le sujet dans saquête et son rapport à la jouissance, et la langue quiconditionne la socialite donc la coexistence et leslimites qu'elle impose à la satisfaction. Tout ceciencore une fois, indépendamment des conditionsphysiologiques de l'être. Ces questions et cette limitesupposent une double structure de l'être humain :d'une part, la division sexuelle posant deux rapportsnon complémentaires à la jouissance, entre hommeet femme, et, d'autre part, le fait même de la parolecomme épreuve, dans la mesure où le dire n'arrivepas à compléter l'inadéquation de ces rapports. Eneffet, chacun de nous a pu expérimenter pour sa partcette limite où, entre une femme et un homme, vientle moment où chacun a à se fier à la parole de l'autre,n'ayant aucun moyen de vérification de ce qui estdit. La «relation» entre les deux sexes alors, (pèreet mère, amant et amante, frère et sœur, ami et amie,etc...) repose essentiellement sur la bonne foi de laparole. Et le rapport de chacun des deux sexes à la

jouissance (donc à ce qui est attendu par chacun decette dite «relation») reste suspendu aux aléas decette relation, qui repose toute sur la bonne foi.

A ce point de vertige où le sujet est requis des'abandonner à la bonne foi et au bon vouloir del'Autre pour une question qui, dans certains cas peutengager sa vie entière, ou une part importante desa vie, le manque de repère ou de garantie peut lefaire reculer. Ce point limite d'abandon à l'Autre pourla plupart des parlants se soutient dans l'état amou-reux, où Freud note à juste titre, que c'est un tempsde surestimation de l'Autre, ou encore dansl'hypnose, de même que dans la foi religieuse oùle sujet s'en remet à l'Autre en ce qui a trait à la garan-tie, bref, et de façon générale, dans des situationsaffectives ou psychiques de fascination ou de subju-gation où l'Autre répond, en lieu et place du sujet,du sort de sa décision. Le fantasme du pouvoir del'Autre si déterminant dans le fonctionnement psychi-que, trouve là sa raison et sa logique propres. A cepoint de vacillation peuvent surgir la suspicion, leprocès d'intention, la malveillance, l'imputation demauvaise foi, la haine, mais aussi bien les penséesparasitaires, le sentiment ou la sensation de contrôle,de surveillance, de rapt de pensée, etc... L'inouï dela violence qui peut alors accompagner un tel sur-gissement souligne bien la folie en cause dans unetelle situation. Le vécu quotidien de chacun sur cespoints peut être assez riche en faits quel que soitl'interlocuteur, pour que l'invocation ici d'une défail-lance biochimique ou d'un dysfonctionnement ner-veux ou quelqu'autre argument biologiste, prennentici leur véritable caractère de défense incongrue parrapport à cette folie même.

Ce point de défaillance de la relation à l'Autrequand la question de sa jouissance met le sujet endemeure de s'engager sur son dire, c'est la limite quiarticule le psychisme à la folie, c'est le champ mêmede la psychanalyse. Quelque soit le défaut, la lésionou le dysfonctionnement physiologique ou bio-chimique que l'on pourra invoquer dans un sujethumain, cette dimension de la folie comme limitedu rapport à l'Autre du fait de la division sexuellede l'être parlant ne saurait être évacuée sous aucunejustification, ni référer à de telles prétendues cau-ses, puisque c'est une situation générale à tout êtrehumain. Là par contre la distinction de la psychosecomme temps spécifique de la folie est à penser dansl'incapacité d'un sujet à créer un lien social, un rap-port à l'Autre, qui soit encore convenable, c'est-à-

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dire négociable dans la socialite commune. Le délireest un rapport à l'Autre, mais pas très négociabledans la socialite commune, qu'il conteste et dont ilentend corriger le défaut de garantie. Le délire nefait pas lien social dans la socialite commune, parcequ'il articule le sujet à la jouissance de l'Autre, lepsychose se sacrifie à l'Autre imaginaire et tout-puissant (persécuteur) auquel il impute la responsa-bilité dernière. Contrairement au névrosé, lepsychose n'a pas la maîtrise de la métaphore dansla langue au point de soutenir de sa seule parole cepoint de bascule dans son rapport à l'Autre. Sa ges-tion de la métaphore dans la langue est délirante,tout se passe comme si le sujet ne supportait pasce fait humain qui est au départ du tragique : s'enremettre à la bonne foi de l'Autre (autrui, mais aussibien la société elle-même) là où aucune garantie nesaurait être exigible. C'est sauter sans filet, un ris-que pour lequel aucun calcul ne soutient de pro-messe.

Dans cette dernière partie du traitement, alors quedans la cure l'analyste exige cette parole vraie quisoutient le désir du sujet au delà du fantasme commesource de sa créativité, et base de son rapport àl'Autre, les intervenants ont à supporter les projetsoù l'usager investit ce désir et cette créativité dansla vie sociale. Inventer le mode sous lequel ils ontà négocier la satisfaction dans la coexistence avecautrui et sous la Loi commune, et réinventer leurrelation à autrui dans des enjeux professionnels,familiaux ou sociaux, c'est excitant pour les usagersqui en sont arrivés à ce point au bout de six à huitans de cure et de traitement. Cela requiert une éthi-que nouvelle qui n'est fondée sur aucune vérité der-nière, aucun mythe ni idéologie collective, mais surl'esthétique d'un désir assumé. Mais leurs projetssont alors confrontés à un ordre social de valeurs,où les enjeux éthiques inhérents au rapport à l'Autresont niés. En effet, à peine sorti de sa psychose, lesujet se trouve plongé par son désir dans une sociétésans projet et sans cause où les valeurs se négocientet pas nécessairement à la hausse à son avis. Toutenjeu éthique, où le sujet peut rechercher un appuià son désir et à sa créativité dans un risque assumépersonnellement, est mis en balance par une luttesociale où les valeurs matérielles dominent lesvaleurs symboliques. C'est l'esthétique même, sansquoi les valeurs symboliques n'ont aucun attrait pourle sujet du désir, qui alors fait défaut.

La cure alors doit faire un espace symbolique pour

cette parole violente qui alors conteste la socialitecomme obstacle au désir de vivre et à la créativitédu sujet. La dimension de peu de foi du fondementde la socialite peut contrecarrer le progrès de la cure,et basculer le sujet dans un nouveau retrait social.C'est également le moment où le sujet réalise l'impor-tance des effets qu'ont eus et qu'ont encore sur lui,les nombreuses hospitalisations antérieures et leuraccompagnement de traitement essentiellementphysique. Là encore, l'analyste doit maintenir ouvertl'espace de parole violente. Il s'agit de ne pas laisserprise à la transformation d'une plainte justifiée enun sentiment de persécution, ou encore au retourde la certitude d'un « mal » incontournable dans lemonde. La cure doit soutenir l'espace esthétique oùle vide est encadré, assumé dans la volonté mêmedu sujet de créer son propre espace de vie. Cettedernière étape est sans doute le moment le plus dif-ficile de la cure, puisqu'alors les raisons de vivredu sujet, compte tenu du peu de place que cetteconjoncture historique fait au tragique dans la viehumaine, ne valent pas ses raisons d'assumer sa pro-pre mort. Ce temps de suicide logique est à dépas-ser à même ce goût de vivre et de créer que la curea ouvert.

La cure psychanalytique du psychose arrive à sonterme et sa limite dans le traitement avec cet enjeude la création d'un espace esthétique pour fonderle risque de vivre à partir de son propre désir, dansune société où les rapports sociaux eux sont fondéssur des croyances communes (mythes, idéologiesscientifiques, politiques ou religieuses, e t c . ) . Pourfaire lien social dans une socialite de consensus, lesujet requiert cette prime de jouissance qui signel'investissement de désir où il s'est risqué sur la seuleimputation de la bonne foi de la parole de l'Autre.En bout de ligne, il se retrouve en ce point vertigi-neux où le défaut d'un soutien (la forclusion desNoms-du-Père, dans notre jargon de psychanalyste)à la bonne foi de la parole parentale qui a présidéà sa naissance de sujet du désir, a laissé au plus intimede son être ce maelstrom où l'appel d'un « événe-ment» dans la réalité devait un jour le précipiter,démuni, dans la psychose. Mais maintenant, il s'yretrouve armé en quelque sorte, et avec le savoir quel'expérience de la cure lui a donné d'une part surle manque de fondement des croyances qui donnentsens à la socialite, d'autre part sur sa propre capa-cité de créer à partir de son désir reconquis, des fic-tions plus rentables pour ses liens à autrui, à la

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société, dans la recherche de ses satisfactions. Sonrapport à la jouissance dans la structure peut s'ouvrirà une autre phénoménologie de son être au mondeet de son rapport nécessaire à la mort.

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SUMMARY

The psychotic person who is undergoing trans-ference reacts differently to treatment. The ethicsof psychoanalysis require that that person becomeresponsible for the treatment. The person then hasa long fit directly linked to the treatment ; the onlyway out is through recognizing their symptoms. Thetreatment and the analysis of symptoms bring thepsychotic to a particular time of "reconstruction"(reconstitution du corps) ; this is when producing anobject allows them to leave behind their psychoticphenomena. This path is unforeseeable yet for thosewho choose to follow it, at grips with a structuralrather than symptomatic illness, there is at the endof the tunnel society's total failure in properly recog-nizing their place in the world.