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596 Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 5, 596-598 A. TOURBAH et coll. Cas clinique Ptosis isolé apparu chez une femme à l’âge de 58 ans A. Tourbah 1,2,3 , F. Sedel 1 , D. Miléa 4 , S. Bellefqih 5 , O. Lyon-Caen 1 1 Fédération de Neurologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 2 INSERM U 546, Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière, 3 Service de Médecine Interne, CHNO des XV-XX, 4 Service d’Ophtalmologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 5 Service de Neuropathologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. RÉSUMÉ Nous rapportons le cas d’une patiente, âgée de 60 ans, présentant depuis deux ans un ptosis isolé fixé depuis un an, et atteinte d’une dystrophie cornéenne stromale familiale. Le diagnostic de cytopathie mitochondriale fut porté sur des arguments cliniques, électrophysio- logiques, biologiques et histologiques. L’intervention chirurgicale permit de réparer le ptosis et d’améliorer la vision. Les rapports entre ptosis, dystrophie cornéenne et cytopathie mitochondriale sont discutés. Mots-clés : Ptosis • Cytopathie mitochondriale • Dystrophie cornéenne SUMMARY Isolated ptosis in a 58-year-old woman. A. Tourbah, F. Sedel, D. Miléa, S. Bellefqih, O. Lyon-Caen, Rev Neurol (Paris) 2005; 161: 5, 596-598. A 60-year-old woman who had experienced isolated ptosis for two years was seen when it had been fixed for one year. She had a personal and familial history of stromal corneal dystrophy. The diagnosis of mitochondrial cytopathy was made on the basis of clinical, electrophys- iological, biological and histological findings. Surgical repair of the ptosis allowed visual recovery. The relationship between ptosis, corneal dystrophy and mitochondrial cytopathy is discussed. Keywords: Ptosis • Mitochondrial cytopathy • Corneal dystrophy OBSERVATION Cas n° 00032854. — Une patiente, âgée de 60 ans, consulta pour l’apparition deux ans plus tôt d’un ptosis de l’œil droit. L’aggravation fut progressive sur un an, puis stable sur un an. On notait dans ses antécédents une dystro- phie cornéenne stromale atteignant aussi sa mère et l’un de ses deux frères, ainsi qu’une diarrhée chronique inexpli- quée. Le ptosis était isolé, ne s’accompagnait d’aucune anomalie oculomotrice, et était fixé et non fluctuant avec l’effort physique. Les nerfs crâniens étaient normaux. Les réflexes ostéo-tendineux des membres inférieurs étaient abolis. Le reste de l’examen était normal. La patiente fut alors hospitalisée pour effectuer des examens complémentaires. L’électrocardiogramme révéla un bloc incomplet droit. L’électromyogramme mit en évidence une neuropathie axonale sentivo-motrice. L’imagerie par réso- nance magnétique céphalique était normale. Les dosages des lactates et pyruvates sanguins donna les résultats suivants : lac- tates = 2,4 mM/l (N < 1,5 mM/l) ; rapport lactates/pyruvates = 47 (N < 40). L’analyse du liquide céphalo-rachidien ne révéla pas d’autre anomalie qu’une élévation du taux de lactates à 1,8 mM/l (N < 1,5 mM/l). Devant l’association d’un ptosis, d’une diarrhée chroni- que, d’un bloc incomplet droit, d’une neuropathie axonale et des anomalies des lactates, une biopsie musculaire (del- toïde) fut pratiquée. Elle révéla des anomalies qualitatives et quantitatives des mitochondries : une hyperactivité mito- chondriale avec la présence de nombreuses fibres rouges déchiquetées (Fig. 1a) révélées par le trichrome de Gomori (jusqu’à 4 p. 100 des fibres), une surcharge lipidique au OR-O (Oil Red — O, Fig. 1b), une augmentation de l’acti- vité succinate-désydrogénase (SDH, Fig. 1c), et une dimi- nution de l’activité cytochrome-oxydase (COX, Fig. 1d). L’aspect du muscle était évocateur d’une cytopathie mito- chondriale. En revanche, l’analyse de l’ADN mitochondrial ne révéla aucune délétion ou mutation commune de type MELAS ou MERRF. Tirés à part : A. TOURBAH, Fédération de Neurologie, Hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13. E-mail : [email protected]

Ptosis isolé apparu chez une femme à l’âge de 58 ans

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Page 1: Ptosis isolé apparu chez une femme à l’âge de 58 ans

596 Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 5, 596-598

A. TOURBAH et coll.

Cas clinique

Ptosis isolé apparu chez une femme à l’âge de 58 ans

A. Tourbah1,2,3, F. Sedel1, D. Miléa4, S. Bellefqih5, O. Lyon-Caen1

1 Fédération de Neurologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière,2 INSERM U 546, Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière,3 Service de Médecine Interne, CHNO des XV-XX,4 Service d’Ophtalmologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière,5 Service de Neuropathologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.

RÉSUMÉNous rapportons le cas d’une patiente, âgée de 60 ans, présentant depuis deux ans un ptosis isolé fixé depuis un an, et atteinte d’unedystrophie cornéenne stromale familiale. Le diagnostic de cytopathie mitochondriale fut porté sur des arguments cliniques, électrophysio-logiques, biologiques et histologiques. L’intervention chirurgicale permit de réparer le ptosis et d’améliorer la vision. Les rapports entreptosis, dystrophie cornéenne et cytopathie mitochondriale sont discutés.

Mots-clés : Ptosis • Cytopathie mitochondriale • Dystrophie cornéenne

SUMMARYIsolated ptosis in a 58-year-old woman.A. Tourbah, F. Sedel, D. Miléa, S. Bellefqih, O. Lyon-Caen, Rev Neurol (Paris) 2005; 161: 5, 596-598.

A 60-year-old woman who had experienced isolated ptosis for two years was seen when it had been fixed for one year. She had a personaland familial history of stromal corneal dystrophy. The diagnosis of mitochondrial cytopathy was made on the basis of clinical, electrophys-iological, biological and histological findings. Surgical repair of the ptosis allowed visual recovery. The relationship between ptosis, cornealdystrophy and mitochondrial cytopathy is discussed.

Keywords: Ptosis • Mitochondrial cytopathy • Corneal dystrophy

OBSERVATION

Cas n° 00032854. — Une patiente, âgée de 60 ans,consulta pour l’apparition deux ans plus tôt d’un ptosis del’œil droit. L’aggravation fut progressive sur un an, puisstable sur un an. On notait dans ses antécédents une dystro-phie cornéenne stromale atteignant aussi sa mère et l’un deses deux frères, ainsi qu’une diarrhée chronique inexpli-quée. Le ptosis était isolé, ne s’accompagnait d’aucuneanomalie oculomotrice, et était fixé et non fluctuant avecl’effort physique. Les nerfs crâniens étaient normaux. Lesréflexes ostéo-tendineux des membres inférieurs étaientabolis. Le reste de l’examen était normal.

La patiente fut alors hospitalisée pour effectuer des examenscomplémentaires. L’électrocardiogramme révéla un blocincomplet droit. L’électromyogramme mit en évidence uneneuropathie axonale sentivo-motrice. L’imagerie par réso-nance magnétique céphalique était normale. Les dosages deslactates et pyruvates sanguins donna les résultats suivants : lac-

tates = 2,4 mM/l (N < 1,5 mM/l) ; rapport lactates/pyruvates= 47 (N < 40). L’analyse du liquide céphalo-rachidien nerévéla pas d’autre anomalie qu’une élévation du taux delactates à 1,8 mM/l (N < 1,5 mM/l).

Devant l’association d’un ptosis, d’une diarrhée chroni-que, d’un bloc incomplet droit, d’une neuropathie axonaleet des anomalies des lactates, une biopsie musculaire (del-toïde) fut pratiquée. Elle révéla des anomalies qualitativeset quantitatives des mitochondries : une hyperactivité mito-chondriale avec la présence de nombreuses fibres rougesdéchiquetées (Fig. 1a) révélées par le trichrome de Gomori(jusqu’à 4 p. 100 des fibres), une surcharge lipidique auOR-O (Oil Red — O, Fig. 1b), une augmentation de l’acti-vité succinate-désydrogénase (SDH, Fig. 1c), et une dimi-nution de l’activité cytochrome-oxydase (COX, Fig. 1d).L’aspect du muscle était évocateur d’une cytopathie mito-chondriale. En revanche, l’analyse de l’ADN mitochondrialne révéla aucune délétion ou mutation commune de typeMELAS ou MERRF.

Tirés à part : A. TOURBAH, Fédération de Neurologie, Hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13. E-mail : [email protected]

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© MASSON Cas clinique • Ptosis isolé apparu chez une femme à l’âge de 58 ans 597

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En raison de la gêne visuelle persistante engendrée parle ptosis, il fut proposé d’effectuer une interventiond’avancement de l’aponévrose du muscle releveur de lapaupière de l’œil droit (Fig. 1e et 1f). Au cours de l’inter-vention, des prélèvements des muscles releveur de la pau-pière et orbiculaire furent effectués et préparés pour uneétude histologique. Le fragment du muscle releveur de lapaupière était fibreux. Les différentes colorations appli-quées au muscle orbiculaire révélèrent la présence denombreuses fibres rouges, déchiquetées dans les mêmesproportions que celles observées sur le muscle deltoïde.En revanche, il n’y avait pas de surcharge lipidique.Quant à l’activité COX, elle était augmentée, contraire-ment à ce qui avait été observé sur les fragments issus dumuscle deltoïde.

DISCUSSION

Malgré l’absence d’identification d’anomalies de l’ADNmitochondrial, le diagnostic de cytopathie mitochondrialepeut être porté chez cette patiente sur des arguments clini-ques (ptosis, diarrhée, abolition des réflexes ostéo-tendineux),électriques (ECG et EMG), biologiques (dosage des lacta-

tes) et histologiques. Un ptosis isolé peut révéler une cyto-pathie mitochondriale dans 5 p. 100 des cas et, au momentdu diagnostic, une diarrhée chronique est rapportée dans10 p. 100 des cas ainsi qu’une diminution des réflexesostéo-tendineux dans 60 p. 100 des cas (Finsterer et al.,2001). Un autre diagnostic, celui d’amylose, avait été évo-qué en raison de l’association d’une diarrhée chronique etdes anomalies nerveuses périphériques, d’autant que, dansce cadre, des dystrophies cornéennes peuvent s’observer.Mais, il s’agit alors d’une dystrophie grillagée de type II(Siddiqui et Afshari, 2002).

L’association d’une mutation de l’ADN mitochondrial etd’une dystrophie cornéenne fut décrite par Albib en 1998.Toutefois, dans ce cas, il s’agissait d’une dystrophie deFuchs qui est endothéliale et non stromale. La dystrophieprésentée par cette patiente est proche des dystrophies cris-tallines dont la transmission est autosomique dominante(Siddiqui et Afshari, 2002).

Le caractère fixé du ptosis et la gêne qu’il occasionnaitnous poussèrent à proposer une intervention chirurgicaleréparatrice qui améliora la fonction visuelle. Faut-ilinclure le ptosis dans le cadre de la cytopathie mitochon-driale ? Le doute persiste car on ne peut exclure une

Fig. 1. – Aspect histologique du muscle del-toïde (a, b, c, d). Fibres rouges déchiquetéesen (a) (trichtome de Gomori), et surcharge lipi-dique en (b) (Oil Red — O), avec hyperactivitéSDH (c) et hypoactivité COX (d). Aspect duptosis de l’œil droit avant (e) et après (f) l’inter-vention chirurgicale.Histological aspect of the deltoid (a, b, c, d).Ragged red fibers (a) (Gomori Trichrome), andfat inclusions (b) (Oil Red — O), with hyperSDH (c) and hypo COX (d) activities. Ptosisappearance before (e) and after (f) surgery.

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association fortuite ou favorisante : la mitochondriopa-thie musculaire prédisposerait à l’apparition du ptosis.Cette observation souligne une nouvelle fois la grandevariabilité de présentation des cytopathies mitochon-driales.

Remerciements : O. Dubourg, T. Maisonobe.

RÉFÉRENCESALBIB RL. (1998). Fuch’s corneal dystrophy in a patient with mito-

chondrial DNA mutations. J Med Genet, 35: 258-259.FINSTERER J, JARIUS C, EICHBERGER H, JAKSCH M. (2001). Pheno-

type variability in 130 adult patients with respiratory chain disor-ders. J Inherit Metab Dis, 24: 560-576.

SIDDIQUI N, AFSHARI NA. (2002). The changing face of the geneticsof corneal dystrophies. Curr Opin Ophthalmol, 13: 199-203.