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6 | Le SCIlophone - n°57 Le SCIlophone - n°57 | 7 M algré la volonté du gouverne- ment de changer le code de la famille 1 , la place de la femme est encore très peu reconnue dans la société marocaine. Notre associa- tion El Khir a donc défini 5 objectifs généraux qui devraient renforcer les capacités des femmes afin de leur permettre de prendre leur place et de revendiquer leurs droits: -lutter contre l’analphabétisme -sensibiliser aux questions sanitaires -apporter des connaissances juri- diques -promouvoir le pouvoir économique des femmes en développant des acti- vités génératrices de revenus -fournir une aide sociale aux popula- tions défavorisées. Education et formation A Essaouira, nous travaillons sur des projets, allant de l’alphabétisation à la formation et à l’insertion socio-pro- fessionnelle. Le programme d’alpha- bétisation a pour objectif principal de permettre aux femmes d’avoir accès à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Les bénéficiaires pro- viennent autant du milieu rural que du milieu urbain. Parallèlement à ce programme d’al- phabétisation, l’association a mis en place des campagnes de sensibilisa- tion en éducation à la santé repro- ductive et à la planification familiale. De plus, des cours de couture et de raphia sont également proposés afin de permettre aux femmes d’acquérir des compétences qui leur permet- tront de générer des revenus. L’association ne répond pas seule- ment aux besoins d’acquisition de savoir-faire techniques (couture, coiffure, etc.) et de connaissances de base, mais elle aide la femme à s’in- sérer sur le marché du travail et sur- tout, elle est à son écoute tout au long de son parcours. L’association a créé un centre d’écoute, de soutien juridique, psychologique et médical pour les femmes en dif- ficulté et souffrance qui ont besoin d’un suivi très spécifique et souvent d’une prise en charge médicale et/ ou juridique. En parallèle, l’esprit de fraternité est toujours mêlé à nos actions. En 2011, nous avons travaillé en par- tenariat avec l’association féministe suisse pour la paix CFD et avons mis en œuvre le projet d’insertion pro- fessionnelle pour les femmes et les jeunes filles en situation précaire à travers l’organisation d’un module de formation en cuisine de 300h. Vingt femmes et jeunes filles d’Essaouira ont bénéficié de ce module. Douze d’entre elles ont décroché un travail et ont pu améliorer ainsi leur situa- tion sociale. Parmi les autres partici- pantes à l’ensemble des formations 2011, sept femmes ont trouvé du tra- vail. Elles sont aujourd’hui salariées et contentes de réaliser leur autonomie financière. Et huit autres sont en train de créer leur propre coopérative ! S’exprimer et revendiquer L’insertion professionnelle est une première étape mais il est essentiel d’aller plus loin en tentant d’amener les femmes vers plus d’autonomie au sens large, pour cela d’autres activités sont nécessaires. Les femmes maro- caines ont souvent peu confiance en elles et en leurs capacités, elles ont aussi peu l’habitude d’émettre une opinion sur un sujet public ou socié- tal. Nous leur proposons entre autres des activités de loisirs et d’épanouis- sement comme l’art-thérapie, des séances de respiration/relaxation, de réflexologie, etc. et surtout nous leur laissons la possibilité d’échanger et d’apprendre à exprimer leur avis sur plusieurs thèmes choisis lors des réunions de groupe « focus » chaque mois. Au Maroc, nous travaillons aussi en réseau avec d’autres associations féminines de promotion des droits des femmes et pour l’implication de la femme dans la vie politique. Plu- sieurs ateliers d’explication de la nouvelle Constitution ont été organi- sés et nous trouvons aussi primordial d’informer sur les lois marocaines en cours, car la plupart des femmes Dossier Les clefs de l’autonomie Depuis sa création en 1998 à Essaouira au Maroc, l’association féminine de bienfaisance El Khir œuvre dans le but d’aider les femmes en situation précaire pour une meilleure intégration dans leur environnement (social, économique et politique) et pour améliorer leurs conditions de vie, notamment parce qu’elles sont trois fois moins présentes dans la vie active et qu’elles gagnent quatre fois moins que les hommes. Durant la seconde moitié du XX e siècle, on a beaucoup parlé de développement en termes idéologiques : il existe un modèle et le suivre mè- nera au progrès, au bien- être, voire à la félicité. Certes les voies du dé- veloppement n’étaient pas toutes identiques : les unes privilégiaient la modernisation des infrastructures, les autres le renverse- ment des impéria- listes, d’autres encore l’ouverture des écono- mies et des marchés. Mais elles avaient toutes en commun de croire à un aboutissement : un Etat moderne et déve- loppé, une société libre et bien ordonnée, une vie confortable et relativement facile. Une croyance qui sonne aujourd’hui comme un mythe. Les femmes soulaliyates en marche dans les rues de Rabat, des femmes maliennes et belges engagées dans des actions de sensibilisation via GAMS 1 ou le théâtre de l’opprimé, des jeunes occupées à se former au sein des associations El Khir ou MSLF, 2 d’autres encore im- pliquées dans des mouvements en Inde, en Bolivie, au Brésil, au Ca- nada, au Kenya, … toutes ces mili- tantes participent à l’émergence de quelque chose de neuf mais surtout de concret, réaliste et sensé. Elles sont ancrées dans leur culture et en apprécient la valeur, tout en voulant, en cohérence avec l’évolution de leur vie sociale, économique, poli- tique, culturelle,… faire évoluer certaines pratiques. Elles reven- diquent et obtiennent ainsi les unes d’accéder à des terres agri- coles, d’autres de développer une activité d’indépendantes, d’autres encore un soutien à leur lutte contre les mutilations et une protection de leurs filles. Loin des grandes révolutions, ces femmes montrent qu’un monde autre – et non un autre monde – est possible, et qu’il existe au sein de leurs luttes et de leur créativité quotidienne. Quand les femmes militent pour le changement moitié du coup parl é n termes ste un - bien- c it é. - en t s : nt s s - - re o - é s. utes re à un éve - ibre une l at iv emen t qui sonne un mythe. iyates e n des asso El Khir ou d’autres enc pliquées d mouvemen Inde, en au B si l, nada, au … toutes c tantes p a à l’émer ge quelque c neuf mais de concret , et sensé. Elles sont dans leur cultur ap pr écient la vale en voulant, en co avec l’évolution vie sociale, économiqu ti qu e, culturelle,… faire certaines pratiques. Elle diquent et obtiennent unes d’accéder à des ter coles, d’autres de dév une activité d’indépe d’autres encore un so le ur l ut te c on tr e le s mu et une protection de leu Dossier M.T. [1] Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines [2] Le Monde selon les femmes

Quand les femmes militent pour le changement 57 · Une campagne de sensibilisation et de vulgarisation de la Constitu- ... comme moyen de lutte contre la vio-lence basée sur le genre

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6 | Le SCIlophone - n°57 Le SCIlophone - n°57 | 7

M algré la volonté du gouverne-

ment de changer le code de

la famille1, la place de la femme est

encore très peu reconnue dans la

société marocaine. Notre associa-

tion El Khir a donc défini 5 objectifs

généraux qui devraient renforcer les

capacités des femmes afin de leur

permettre de prendre leur place et

de revendiquer leurs droits:

-lutter contre l’analphabétisme

-sensibiliser aux questions sanitaires

-apporter des connaissances juri-

diques

-promouvoir le pouvoir économique

des femmes en développant des acti-

vités génératrices de revenus

-fournir une aide sociale aux popula-

tions défavorisées.

Education et formation

A Essaouira, nous travaillons sur des

projets, allant de l’alphabétisation à la

formation et à l’insertion socio-pro-

fessionnelle. Le programme d’alpha-

bétisation a pour objectif principal

de permettre aux femmes d’avoir

accès à l’apprentissage de la lecture

et de l’écriture. Les bénéficiaires pro-

viennent autant du milieu rural que

du milieu urbain.

Parallèlement à ce programme d’al-

phabétisation, l’association a mis en

place des campagnes de sensibilisa-

tion en éducation à la santé repro-

ductive et à la planification familiale.

De plus, des cours de couture et de

raphia sont également proposés afin

de permettre aux femmes d’acquérir

des compétences qui leur permet-

tront de générer des revenus.

L’association ne répond pas seule-

ment aux besoins d’acquisition de

savoir-faire techniques (couture,

coiffure, etc.) et de connaissances de

base, mais elle aide la femme à s’in-

sérer sur le marché du travail et sur-

tout, elle est à son écoute tout au long

de son parcours.

L’association a créé un centre d’écoute,

de soutien juridique, psychologique

et médical pour les femmes en dif-

ficulté et souffrance qui ont besoin

d’un suivi très spécifique et souvent

d’une prise en charge médicale et/

ou juridique. En parallèle, l’esprit de

fraternité est toujours mêlé à nos

actions.

En 2011, nous avons travaillé en par-

tenariat avec l’association féministe

suisse pour la paix CFD et avons mis

en œuvre le projet d’insertion pro-

fessionnelle pour les femmes et les

jeunes filles en situation précaire à

travers l’organisation d’un module de

formation en cuisine de 300h. Vingt

femmes et jeunes filles d’Essaouira

ont bénéficié de ce module. Douze

d’entre elles ont décroché un travail

et ont pu améliorer ainsi leur situa-

tion sociale. Parmi les autres partici-

pantes à l’ensemble des formations

2011, sept femmes ont trouvé du tra-

vail. Elles sont aujourd’hui salariées et

contentes de réaliser leur autonomie

financière. Et huit autres sont en train

de créer leur propre coopérative !

S’exprimer et revendiquer

L’insertion professionnelle est une

première étape mais il est essentiel

d’aller plus loin en tentant d’amener

les femmes vers plus d’autonomie au

sens large, pour cela d’autres activités

sont nécessaires. Les femmes maro-

caines ont souvent peu confiance en

elles et en leurs capacités, elles ont

aussi peu l’habitude d’émettre une

opinion sur un sujet public ou socié-

tal.

Nous leur proposons entre autres

des activités de loisirs et d’épanouis-

sement comme l’art-thérapie, des

séances de respiration/relaxation,

de réflexologie, etc. et surtout nous

leur laissons la possibilité d’échanger

et d’apprendre à exprimer leur avis

sur plusieurs thèmes choisis lors des

réunions de groupe « focus » chaque

mois.

Au Maroc, nous travaillons aussi en

réseau avec d’autres associations

féminines de promotion des droits

des femmes et pour l’implication de

la femme dans la vie politique. Plu-

sieurs ateliers d’explication de la

nouvelle Constitution ont été organi-

sés et nous trouvons aussi primordial

d’informer sur les lois marocaines

en cours, car la plupart des femmes

Dossier

Les clefs del’autonomieDepuis sa création en 1998 à Essaouira au Maroc, l’association

féminine de bienfaisance El Khir œuvre dans le but d’aider les

femmes en situation précaire pour une meilleure intégration dans

leur environnement (social, économique et politique) et pour

améliorer leurs conditions de vie, notamment parce qu’elles sont

trois fois moins présentes dans la vie active et qu’elles gagnent

quatre fois moins que les hommes.

Durant la seconde moit ié du XX e siècle , on a beaucoup parlé de développement en termes idéologiques : i l existe un modèle et le suivre mè-nera au progrès, au bien-être, voire à la fél icité . Certes les voies du dé-veloppement n’étaient pas toutes identiques : les unes privi légiaient la modernisation des infrastructures, les autres le renverse-ment des impéria-l istes , d ’autres encore l ’ouverture des écono-mies et des marchés. Mais el les avaient toutes en commun de croire à un aboutissement : un Etat moderne et déve-loppé, une société l ibre et bien ordonnée, une vie confortable et relat ivement faci le . Une croyance qui sonne aujourd’hui comme un mythe.

Les femmes soulal iyates en marche dans les rues de Rabat , des femmes maliennes et belges engagées dans des actions de sensibi l isat ion via GAMS 1 ou le théâtre de l ’opprimé, des jeunes occupées à se former au sein

des associat ions El Khir ou MSLF, 2 d ’autres encore im-pliquées dans des mouvements en Inde, en Bolivie , au Brési l , au Ca-nada, au Kenya, … toutes ces mil i-tantes part icipent à l ’émergence de quelque chose de neuf mais surtout de concret , réal iste

et sensé. El les sont ancrées dans leur culture et en apprécient la valeur, tout en voulant , en cohérence avec l ’évolution de leur

vie sociale , économique, poli-t ique, culturel le ,… faire évoluer certaines pratiques. El les reven-diquent et obtiennent ainsi les unes d ’accéder à des terres agri-coles , d ’autres de développer une activité d ’ indépendantes, d ’autres encore un soutien à leur lutte contre les muti lat ions et une protection de leurs f i l les .

Loin des grandes révolutions, ces femmes montrent qu’un monde autre – et non un autre monde – est possible , et qu’ i l existe au sein de leurs luttes et de leur créativité quotidienne.

Quand les femmes militent pour le changement

moitié du ucoup parlé n termes ste un mè-

bien-icité . dé-ent s : ent es es --

ore o-hés. outes ire à un

déve-ibre une elat ivement qui sonne un mythe.

l iyates en

des assoEl Khir oud’autres encpliquées dmouvemenInde, enau Brési l ,nada, au… toutes ctantes parà l ’émergequelque chneuf mais de concret ,

et sensé. El les sontdans leur culture apprécient la valeen voulant , en cohavec l ’évolution

vie sociale , économiqutique, culturel le ,… faire certaines pratiques. El lesdiquent et obtiennent unes d ’accéder à des tercoles , d ’autres de dévune activité d ’ indépend’autres encore un souleur lutte contre les muet une protection de leu

Dossier

M.T.

[1] Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines[2] Le Monde selon les femmes

8 | Le SCIlophone - n°57 Le SCIlophone - n°57 | 9

ne connaissent pas leurs droits et ne

savent pas ce que signifie « revendi-

quer ».

Une campagne de sensibilisation

et de vulgarisation de la Constitu-

tion, pilotée par la Ligue Démocra-

tique pour les Droits des Femmes

Marocaines (LDDFM), a été lancée

dans tout le Maroc. La Ligue milite

notamment pour une loi en faveur

d’une plus grande représentation des

femmes au Parlement.

Lutter contre les violences

L’association organise également

chaque année, une journée d’étude

sur la violence basée sur le genre

grâce à des partenariats locaux et

nationaux. L’objectif est de réunir

différents acteurs (justice, adminis-

tration, services sociaux et associa-

tions) afin de discuter des dispositifs

pour la protection des femmes vic-

times de violence. Elle met en évi-

dence que le travail pluridisciplinaire

est indispensable pour soutenir les

femmes, notamment dans leurs dé-

marches juridiques.

Ces dernières sont en général très

longues et compliquées et, durant

la durée de la procédure en justice,

les femmes continuent de subir de

fortes pressions de la part de leur en-

vironnement, en particulier pour les

dossiers de demande de pension

alimentaire. Nous espérons que la

caisse sociale votée par le Parlement

sera rapidement mise en applica-

tion2.

En outre, il reste un gros travail de

fond à fournir pour changer les men-

talités. Le divorce reste un tabou, les

femmes préfèrent donc en parler le

moins possible car quand l’entou-

rage apprend que la demande vient

d’elles, celles-ci font encore souvent

l’objet de remarques désobligeantes.

El Khir est en train d’organiser une

autre journée d’étude sur le thème

« l’autonomisation des femmes

comme moyen de lutte contre la vio-

lence basée sur le genre » pour fin

novembre.

Nous savons qu’une femme qui tra-

vaille est une femme autonome fi-

nancièrement, pouvant faire face

plus aisément aux difficultés de la

vie. Mais l’autonomie de la femme

passe aussi par sa capacité à faire des

choix dans la vie quotidienne.

Ainsi la plupart d’entre elles sont tou-

jours obligées aujourd’hui d’accepter

différentes formes de violence parce

qu’elles n’ont pas de lieu où vivre en

dehors du foyer matrimonial et pen-

sent qu’il n’existe rien en dehors de

cela.

Fatima ou un goût naissant pour la vie

Nous terminerons par quelques mots

sur l’une des bénéficiaires de notre

association, Fatima, mère de trois

enfants, qui a pu récemment divor-

cer de son mari après de nombreuses

années de maltraitance. Elle a suivi le

module de formation en cuisine chez

El Khir ainsi que le processus complet

d’insertion sociale et professionnelle.

Aujourd’hui elle travaille dans une

maison d’hôte d’Essaouira et est très

fière de son parcours ; elle peut sub-

venir aux besoins de ses enfants et

de sa maman. C’est une Fatima nou-

velle qui a retrouvé confiance en elle

et qui souhaite encore apprendre, le

français par exemple.

Elle nous dit souvent: « le travail m’a

donné une force et un goût pour la

vie, je ne sais pas comment remercier

l’association El Khir ».

Souad Ouchen et Asma Masoudi,

permanentes de l’association El Khir,

Essouira, Maroc

L es terres collectives ont le statut

de terres ancestrales et inalié-

nables. Elles appartiennent à des

groupes ethniques et sont régies par

les normes coutumières 1 (dites aussi

« ôrf ») avec l’appui et le soutien de

l’Etat Dans le passé, elles ne pouvaient

être vendues ou louées puisqu’elles

appartiennent à la tribu et que c’est

à celle-ci que revient leur usufruit. 2

Elles étaient exploitées de manière

collective par le biais de l’usufruit

ou de la jouissance du revenu de ces

terres par les ayants droit. Ces ayants

droit sont les hommes de la tribu.

Depuis quelques dizaines d’années,

ces terres peuvent être cédées ou

louées à des investisseurs privés ou

à l’Etat. Elles peuvent aussi être prê-

tées, être partagées entre les ayants

droit ou encore être attribuées à un

héritier, moyennant une indemnisa-

tion aux autres ayants droit. Bref, on

observe une forme de privatisation

des terres collectives, une évolu-

tion dont les grandes perdantes sont

les femmes isolées (célibataires ou

veuves).

Les terres collectives constituent au-

jourd’hui un véritable réservoir fon-

cier : près de 12 millions d’hectares en

surface, soit près du tiers du territoire

ayant une valeur agro-sylvo-pasto-

rale. La problématique des terres col-

lectives est de grande ampleur : 48

provinces et préfectures concernées,

4631 collectivités ethniques, regrou-

pant 2,5 millions d’ayants droit et

une population totale estimée à près

de 10 millions d’habitants. Elle a une

dimension humaine, économique et

sociale.

C’est selon les droits coutumiers

que l’on gère les terres collectives au

Maroc. Ces droits sont basés sur le

système patriarcal et la famille tradi-

tionnelle : l’homme est le chef du mé-

nage, c’est lui qui possède les terres

(qui a le statut d’ayant droit) et qui

prend les femmes en charge. Dans le

passé, la polygamie était très réputée,

l’homme pouvait donc prendre aisé-

ment plusieurs femmes en charge.

Actuellement, avec le changement

des mentalités et la modernisation

de la société marocaine, la polygamie

est de moins en moins présente 3 et

la femme commence à se prendre en

charge elle-même. Or, la législation

concernant l’accès aux terres collec-

tives pour les femmes n’a pas avancé.

Les femmes se trouvent donc avec

moins de ressources et plus de pré-

carité.

Par exemple, une partie très impor-

tante des terres des Soulaliyates ont

été cédées à des investisseurs. Les

Soulaliyates sont des femmes qui

tirent leur nom de la terre des sou-

lalis (collective) dont elles sont ori-

ginaires, terre cultivée par leurs

ancêtres depuis des générations. En

cédant les terres, les autorités ont

privé ces femmes, mères, épouses

et cheftaines de famille de leur droit

fondamental à bénéficier des terres

collectives et même à être dédom-

magées. Les droits coutumiers sont

donc devenus totalement archaïques

et iniques. Et les femmes vivent de

véritables drames sociaux. Après

avoir été expulsées de leurs terres,

simplement parce qu’elles sont des

femmes, elles ont été amenées à en-

durer la pauvreté et à trouver refuge

dans les bidonvilles.

Privées de leurs biens et face à cette

situation insensée, dès 2007, des

mouvements spontanés de femmes

Femmes marocaines, terres collectives. Un combat pour avoir droit à une terre.Depuis quelques dizaines d’années, les terres collectives marocaines

– terres ancestrales et inaliénables – peuvent être privatisées  :

une évolution du droit à la propriété dont les femmes, toujours

considérées dans le droit coutumier comme à la charge des

hommes, sont les grandes perdantes. Mais depuis la naissance de

mouvements féminins, les choses bougent !

DossierDossier

[1] D’importantes modifications à la Moudawa-na (le code civil de la famille) ont été appor-tées en 2004 : l’Etat marocain a donné plus de droits aux femmes, comme la fixation de l’âge minimum du mariage à 18 ans, le droit au divorce, le retrait de la tutelle parentale pour marier les femmes, la polygamie strictement contrôlée. La nouvelle Constitution marocaine de juin 2011 prévoit aussi l’égalité entre les sexes dans son article 19.

[2] Les femmes divorcées se retrouvent sou-vent sans moyen de subsistance mais avec la charge des enfants, cela dans un pays où il n’y a aucune aide sociale.

10 | Le SCIlophone - n°57 Le SCIlophone - n°57 | 11

ont vu le jour dans tout le Maroc pour

lutter contre cette loi coutumière

inégalitaire qui va à l’encontre de la

Constitution, de la Moudawana4 et

des Conventions Internationales rati-

fiées par le Maroc.

En 2009, ces mouvements ob-

tiennent une importante victoire :

le Ministère de l’Intérieur Marocain

a reconnu aux femmes soulaliyates

le droit de bénéficier, au même titre

que les hommes, des prochaines

opérations de cession des terres col-

lectives : elles peuvent enfin deve-

nir propriétaires ! Cette décision

est le résultat des nombreuses dé-

marches et actions entreprises par

les femmes et les associations qui

les soutiennent, en termes de sensi-

bilisation, mobilisation et plaidoyer,

auprès des responsables concernés.

Cette décision a également réparé

le sentiment d’injustice vécu par ces

milliers de femmes.

Depuis 2009, d’autres avancées

concrètes sur le terrain ont été

constatées : dans quelques zones,

les femmes ont obtenu le droit d’être

enregistrées au même titre que les

hommes sur les listes des ayants

droit.

Plus récemment (le 30 mars 2012),

une nouvelle circulaire du Ministère

de l’Intérieur a été publiée, qui recon-

naît le droit de ces femmes à bénéfi-

cier, au même titre que les hommes,

des indemnisations relatives aux ces-

sions des terres collectives ou encore

à la vente de ces terres. Et des cam-

pagnes se poursuivent, revendiquant

une loi spécifique qui protège les

droits des femmes marocaines.

A la lumière de ces nouveaux dé-

veloppements dans l’affaire des

femmes soulaliyates, les prémices

d’un dénouement se profilent à l’ho-

rizon, mettant ainsi un terme aux

souffrances de milliers de femmes

victimes de discrimination et d’ex-

clusion.

Douha Lemtouni,

ingénieur agronome au Maroc,

stagiaire au sein de l’ONG Le Monde

Selon les Femmes et au SCI (Bruxelles)

Q u’est-ce que

le GAMS ?

Le GAMS Belgique est le

Groupe pour l’Abolition des Muti-

lations Sexuelles féminines ; il a été

créé en 1996 par Khadia Diallo, une

Sénégalaise qui a elle-même vécu

l’excision et qui, à son arrivée s’est

donnée l’objectif est de faire de la

prévention auprès des communautés

africaines qui vivent en Belgique car

les femmes subissent une forte pres-

sion sociale de la part des membres

de ces communautés pour qu’elles se

fassent exciser.

Quelles sont les activités du GAMS ?

D’abord, on accueille chaque femme

de manière individuelle pour faire le

point sur ses demandes (médicales,

juridiques, psychologiques), ses be-

soins, ses problèmes. On ne fait pas

de consultations gynécologiques,

mais on a une liste de médecins de

confiance vers lesquels on oriente les

femmes. Les femmes peuvent ensuite

bénéficier d’un suivi psychologique

individuel au GAMS. On propose

également des activités en groupe,

pour que les femmes retrouvent une

estime de soi et qu’elles puissent

aussi dire non à l’excision de leurs

filles. On organise aussi des ateliers

pour parler de la sexualité, l’anatomie

des organes sexuels et reproductifs,

la grossesse, etc. Enfin, nous avons

des groupes d’expression corporelle,

de théâtre, d’alphabétisation…et des

groupes de paroles avec les hommes.

Quels traumatismes entraîne l’exci-

sion ?

Les femmes après l’excision peuvent

présenter un fort traumatisme, de

l’anxiété, de la dépression, des pertes

de mémoire… Et de lourds problèmes

médicaux, surtout avec l’infibula-

tion, car le sexe est complètement

cousu. Donc, pendant leurs règles

par exemple, elles souffrent énormé-

ment. L’excision peut aussi être vé-

cue comme une trahison parentale.

Quand une fille de 6/7 ans est excisée

avec l’accord de sa mère, en qui elle a

confiance et avec laquelle est se sent

en sécurité, elle ne comprend plus

rien. Elle se demande pourquoi, elle

se croit punie.

Quelles sont les possibilités médi-

cales de « réparer » une excision ?

On essaie de réparer mais on ne re-

trouve évidemment jamais son corps

d’avant. Il y a deux types d’opéra-

tions : la désinfibulation et la recons-

truction du clitoris. Mais cela ne peut

pas tout résoudre : il faut aussi tra-

vailler sur la vie de couple, le respect

de chacun, etc.

D’où vient la pratique de l’excision ?

On retrouve les premières traces

en Egypte, au temps des pharaons,

3000 ans avant Jésus-Christ. Ensuite,

cela s’est répandu sur la bande de

l’Afrique sahélienne, par le biais des

caravanes et des marchands. Mais

cette pratique dépend des ethnies.

Par exemple, au Sénégal, les Wolofs

n’excisent pas mais les Peuls le font.

Donc, dans certains villages 100% des

filles sont excisées, et dans d’autres,

aucune. Ce qui est sûr, c’est que c’est

une tradition païenne, née avant les

religions monothéistes. Cela peut

être repris par certains religieux,

mais il n’y a rien dans la Bible ou le

Coran qui prône l’excision.

Qu’est-ce qui motive l’excision ?

Comme c’est très culturel, les gens

n’arrivent pas à tout expliquer eux-

mêmes ; on pense que les choix des

ainés sont bons et donc on les repro-

duit. C’est très dur de changer des

pratiques traditionnelles, héritées

des anciens, des sages.

L’excision touche les femmes de

toutes classes sociales, à la ville

comme à la campagne ?

Même en ville dans les familles

riches, éduquées, les filles se font

exciser, mais elles ont recours à un

docteur qui les « opère » de manière

« propre ». Cette médicalisation de

l’excision nous inquiète, car elle re-

présente une forme d’acceptation ou

de légitimation de l’excision, et elle

n’a jamais conduit à un abandon de

la pratique. C’est le cas en Egypte, où

les ¾ des excisions sont médicalisées.

La pratique est-elle en hausse ou en

baisse ?

Cela dépend des pays. En Somalie

c’est la même chose depuis des dé-

cennies car il y a une forte instabilité

politique, et il est donc difficile de

faire de la prévention. Mais au Kenya,

il y a eu une diminution de moitié,

parce qu’il y a une volonté politique,

avec de la sensibilisation dans les

Entre excision et exclusionInterview de Fabienne Richard, coordinatrice du GAMS

(Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles féminines).

Depuis 30 ans des femmes luttent contre l’excision, car elles en

souffrent dans leur corps et dans leur âme. Une lutte difficile car

elle représente une opposition à la tradition et aux anciens, qui

ont assuré la pérennisation de la communauté. Mais une lutte qui

permettrait de préserver leurs filles encore pleines d’insouciance.

Pour aller plus loin

www.adfm.ma

www.genreenaction.net

www.maghress.com

www.terrescollectives-maroc.

blogspot.com/

DossierDossier

[1] Ensemble des lois régissant les terres collectives : Le dahir de 1919 ; la loi du 19 Mars 1951 ; La loi du 25 Juillet 1969 ; circulaire 333

[2] L’usufruit est le droit de se servir d’un bien ou d’en percevoir les revenus, sans pour autant s’en dessaisir.

[3] Promulgation d’une loi qui interdit la poly-gamie sans l’accord de l’épouse.

[4] La Moudawana ou Code du statut per-sonnel marocain est le droit de la famille marocain, promulgué par le roi Mohammed VI le 10 octobre 2004. Il améliore entre autres les droits des femmes.

12 | Le SCIlophone - n°57 Le SCIlophone - n°57 | 13

écoles, etc.

L’enjeu est de sauter une génération,

d’avoir des mères non excisées : une

mère qui n’a pas été excisée n’exci-

sera pas sa fille. En Belgique, on est

dans une période charnière, où

des femmes se sont fait exciser et

leurs filles ne le sont pas encore. Et

notre travail consiste à encourager

ces femmes à tenir jusqu’au bout.

Pour elles, ce n’est pas facile : elles

doivent parfois choisir entre l’exci-

sion ou l’exclusion. En effet, ce sont

souvent les grands-mères ou les

tantes qui pressent les mères à faire

exciser leurs filles. Pour les mères, ne

pas suivre la tradition, c’est prendre

le risque d’être exclue de la famille.

J’ai rencontré récemment une jeune

femme sénégalaise de 21 ans, excisée

de force car son mari l’exigeait.

La pratique de l’excision a-t-elle évo-

lué ?

Dans certaines communautés, la pra-

tique était initiatique : on emmenait

les filles plusieurs jours dans la forêt,

pour leur apprendre à faire à manger,

à être de bonnes mères de famille,

etc. Maintenant, l’excision seule per-

dure, sans initiation ni explication.

Elle semble moins faire partie d’un

rite initiatique que d’une marque

identitaire. Certaines familles parlent

des femmes intactes comme de per-

sonnes impures. On ressent très fort

la défense et la protection d’une tra-

dition ou d’une identité. Notre mes-

sage au GAMS est le suivant, « on n’est

pas contre la culture, on est contre la

culture de l’excision, qui est néfaste ».

Il y a plein de choses dans la culture

africaine qui sont très bonnes : les

massages des bébés, la solidarité

familiale, le respect des ainés … Les

femmes de notre association disent

aussi : « il faut initier les jeunes filles

à devenir de bonnes futures mères,

mais sans les mutilations ».

Quels sont les risques d’excision en

Belgique pour une femme ?

Il y a trois possibilités : soit l’excision

se pratique de manière clandestine

par une exciseuse qui vit en Bel-

gique ou en Europe ; soit les petites

filles sont renvoyées au pays pendant

l’été et se font exciser à ce moment-

là ; soit certains médecins acceptent

clandestinement en Belgique d’exci-

ser en prétextant qu’il y a moins de

risques si c’est médicalisé.

A-t-on des chiffres sur l’excision en

Belgique ?

Il est difficile d’avoir des chiffres

car c’est une pratique punie par la

loi belge. Mais une étude a montré

qu’environ 6000 femmes excisées

vivent en Belgique et qu’il y aurait

2000 petites filles à risque (petites

filles nées en Belgique d’une mère

excisée).

Où est née la lutte contre l’excision ?

La lutte contre l’excision a trop sou-

vent été vue comme une lutte de

féministes occidentales, alors que

c’est faux. Le mouvement est né en

Afrique. Dans les années 80 des

groupes de femmes africaines ont fait

pression pour que cette tradition soit

reconnue comme une mutilation. Ce

qui fut fait par l’OMS en 1997.

Est-ce qu’il y a le cas d’hommes qui

sont contre l’excision ?

Avec les migrations, il y a beaucoup

plus de couples mixtes qu’avant; et les

hommes ne comprennent pas tou-

jours cette pratique car elle n’existe

pas chez eux. Je pense notamment

au couple d’une Guinéenne et d’un

Congolais.

Dans quelle mesure l’excision est-

elle liée au genre ?

La mutilation est clairement une vio-

lence liée au genre, un reflet de la

représentation sociale de la femme.

A la base, l’excision est faite pour

réduire le plaisir sexuel de la femme

et la réduire à son statut de procréa-

trice. Quand on travaille sur les muti-

lations avec les femmes, on se rend

compte que ce n’est pas la seule vio-

lence. Les femmes souffrent aussi de

la polygamie, d’un mariage précoce

et/ou forcé, et on voit que dans leur

parcours de femme, elles ont tout un

fardeau de souffrances.

Existe-t-il des mutilations de ce

genre chez les hommes ?

Il y a la circoncision, mais ce n’est pas

à mettre sur le même niveau anato-

mique car on n’enlève pas la même

chose, on enlève un morceau de

peau (le prépuce) pas un organe. La

circoncision n’empêche pas l’homme

d’avoir des rapports sexuels et d’avoir

du plaisir, même s’il peut effective-

ment y avoir des complications si

celle-ci est mal faite.

Propos recueillis par

Claire Messager

P ourquoi t’es-tu inscrit au projet de théâtre de l’oppri-

mé ?

Moussa : Avant tout pour faire des

rencontres avec des personnes de

différentes culture et origines, pour

avoir plus d’expérience de vie en

groupe.

Aurélie : Un peu par hasard, je cher-

chais une chouette expérience de

groupe international autour d’un

projet commun.

Qu’avez-vous fait pendant ces dix jours de chantier ?

Aurélie : Nous avons progressive-

ment découvert le concept du théâtre

de l’opprimé au départ d’exercices de

jeu d’acteur et d’improvisation, qui

ont petit à petit évolué vers des say-

nètes. Nous avons construit ces der-

nières autour de situations d’oppres-

sion rencontrées dans notre propre

existence. Les saynètes ont ensuite

été jouées lors d’une représentation

publique, à la fin du chantier. L’objec-

tif était de susciter la réflexion, de dé-

noncer ce qui était injuste et d’inviter

le public à apporter une solution.

Moussa : Chacun de nous proposait

un sketch par rapport à un problème

qui le touchait. Le but était de pou-

voir dénoncer les injustices et les op-

pressions que chaque personne ren-

contre dans sa vie de tous les jours.

J’ai proposé un sketch sur les centres

pour demandeurs d’asile pour mon-

trer l’oppression et l’inégalité qui

existe entre les travailleurs et les ré-

sidents. On ne peut pas lever le petit

doigt car on a toujours peur qu’il y

ait un rapport négatif sur nous et que

ce soit mauvais pour notre procé-

dure d’asile. Ça fait descendre notre

moral très bas et ça nous met dans la

peur. Une autre volontaire a proposé

de travailler sur le thème de l’homo-

phobie parce qu’elle la vit au quoti-

dien. Elle a pu extérioriser ce qu’elle

vit, et cela nous a permis de nous

sentir solidaires et de mieux com-

prendre. Une troisième volontaire

a voulu montrer une injustice qui

existe entre l’homme et la femme

dans le foyer. Elle a montré une

femme qui est traitée comme une

bonne, qui a beaucoup plus de de-

voirs que de droits. Les gens savent

que ça existe mais ils font semblant

de ne pas le voir.

Quels ont été les points les plus positifs du projet ?

Moussa : L’interculturalité, et l’union

dans le groupe.

Aurélie : La motivation et l’entente

entre des personnes de nationalités

et cultures différentes, mais aussi la

qualité du public qui a assisté à notre

représentation.

Comment était la vie de groupe ? Avez-vous appris quelque chose du groupe ?

Aurélie : Toute vie en groupe est une

expérience enrichissante, mais elle

l’est encore plus quand le groupe est

mixte et uni malgré les divergences

d’origines et d’opinions. Cela permet

de se (re)-définir, de prendre du recul

et de se (re-)positionner par rapport

à notre propre condition et vision du

monde.

Moussa : Tout à fait. J’ai découvert

une autre façon de voir la vie en

apprenant à connaître la culture et

le mode de vie de chacun. Avant,

j’avais quelques stéréotypes par rap-

port à certaines nationalités, mais le

fait d’échanger avec ces personnes

a modifié ma manière de les voir.

Et puis, j’ai apprécié la solidarité. Le

groupe m’a beaucoup soutenu dans

ma demande d’asile. Ça m’a donné

de l’énergie, ça m’a fait renaître à une

Le théâtre pour interpeller

Moussa est un jeune Guinéen, Aurélie est une jeune Belge. Cet

été, tous deux ont pris part à un projet de volontariat international

du SCI qui avait pour objectif d’utiliser la technique du théâtre

de l’opprimé (et plus particulièrement du théâtre forum) pour

sensibiliser à la question du genre.

Pour aller plus loin

Site du GAMS :

www.gams.be

Site de l’asbl INTACT :

www.intact-association.org

BD : Patrick Theunen,

Diaratou face à la tradition,

GAMS, Bruxelles, s.d.

Livre : Waris Dirie,

Fleur du désert. Le combat d’un

top model contre l’excision,

Ed. J’ai lu, 2000.

DossierDossier

14 | Le SCIlophone - n°57 Le SCIlophone - n°57 | 15

autre manière de vivre. Je m’attendais

à quelque chose et j’ai reçu tellement

plus.

Quelles ont été les difficultés ?

Aurélie : Je ne vois pas de difficultés,

si ce n’est, peut-être, l’angoisse de la

réaction du public. Est-ce qu’il allait

participer ? Et, si oui, ne serait-il pas

trop « exubérant » ? Au final, tout s’est

bien déroulé.

Que t’a apporté la découverte du théâtre de l’opprimé ?

Moussa : Une chose essentielle : il

m’a appris à dénoncer un problème

ou une injustice à travers une pièce

de théâtre, à montrer une oppres-

sion que les gens vivent mais qu’ils

font semblant de ne pas voir ou qu’ils

n’osent pas dire.

Aurélie : Cela m’a apporté la décou-

verte d’Augusto Boal (un Brésilien

à l’origine du théâtre de l’opprimé),

de ses livres, de ses actions et de sa

pédagogie, qui permettent de mettre

en évidence les incohérences de la

société, d’interpeler les gens et de

susciter leur réaction. En dehors du

théâtre forum, nous avons aussi dé-

couvert l’arc-en-ciel du désir, une

autre technique mise au point par

Boal. L’objectif est le même, si ce n’est

qu’il est plus centré sur les relations

et traumatismes personnels et que

le travail s’effectue seulement en

groupe, sans représentation en face

d’un public. C’est un puissant outil

thérapeutique.

Si tu devais retenir un moment fort, quel serait-il ?

Aurélie : Les moments de partici-

pation du public, l’enthousiasme et

l’imagination amenés.

Moussa : Oui. Je pense qu’on a fait

passer notre message.

Quel message est passé?

Moussa : Je pense que les gens ont

réalisé qu’il y a des injustices au quo-

tidien dans la société, et qu’il faut réa-

gir. Ils essayeront peut-être de chan-

ger petit à petit.

Par exemple, un message est passé

par rapport à l’inégalité hommes-

femmes : les femmes ne peuvent

pas faire le même travail que les

hommes, elles ont moins de droits,

etc. Par rapport à ce problème, on a

poussé le public à se sentir solidaire,

à essayer de changer les choses,

d’abord dans la pièce, et puis aussi

dans la vie quotidienne.

Je pense qu’il y a aussi eu un message

fort sur l’immigration, sur les condi-

tions de vie des demandeurs d’asile.

Aurélie : Je pense en effet qu’une

réflexion sur les sujets mis en scène

est passée. Et puis, surtout, il y a eu

une prise de conscience que le fait

de se taire ou d’être indifférent face à

l’oppression, c’est déjà y prendre part.

Est-ce que tu as changé ton point de vue sur le genre ?

Aurélie : J’ai toujours prôné l’égalité

entre les hommes et les femmes.

Si mon point de vue sur le genre a

changé, c’est sans doute dans la per-

ception des actions menées par les

autres. De voir des hommes s’enga-

ger afin que les esprits évoluent et

que les choses bougent, ça console,

ça remplit d’espoir.

Moussa : Moi aussi j’ai toujours

voulu qu’il y ait une égalité entre

les hommes et les femmes. En Bel-

gique, les droits des femmes sont

finalement assez bien respectés par

rapport à mon pays. En Guinée, les

inégalités hommes-femmes sont

encore très présentes. Quelques

ONG essayent de défendre les droits

des femmes, mais ça va prendre du

temps. Beaucoup de femmes sont

opprimées, entre autres à cause de

la religion qui est très présente et qui

dit que la femme doit se soumettre

à l’homme. On apprend cela dès le

bas-âge. On conditionne la petite fille

de sorte qu’elle ne peut plus se révol-

ter. On lui dit que son mari est son

paradis, et que si elle s’oppose à lui,

ses enfants ne seront pas bénis.

Est-ce que le projet t’a ouvert d’autres perspectives ? Donné envie de continuer dans cette voie ou de faire d’autres projets ?

Moussa : Oui, j’ai envie de faire

d’autres projets, que ce soit du théâtre

de l’opprimé ou un autre travail de

volontaire.

Aurélie : D’une part, ce projet m’a

confortée dans mon choix de mul-

tiplier les expériences de chantier.

D’autre part, ce chantier m’a ouvert

d’autres perspectives. Je continue à

me former aux outils du théâtre de

l’opprimé, car je cherche à amener à

la réflexion et à la discussion le su-

jet particulièrement tabou qu’est la

pédophilie. On pourrait croire que,

suite aux événements tragiques qui

ont bouleversé la Belgique il y a 15/16

ans, les mentalités ont fortement

évolué et les outils judiciaires égale-

ment. Or, relativement peu de choses

ont changé. Le théâtre de l’opprimé,

dans son objectif de conscientisa-

tion, me semble une bonne approche

pour aborder cette problématique.

De même, l’outil thérapeutique de

l’arc-en-ciel du désir est très inté-

ressant pour aider les victimes à se

reconstruire.

Propos recueillis par

Anaële Hermans Mixcity est un projet transmedia qui a pour but de sensibiliser

les jeunes au volontariat et à la mobilisation citoyenne. Pour dé-

couvrir tous les photos-reportages et toutes les vidéos réalisés

durant cet été, rendez-vous sur la page facebook MIXCITY ou

rejoignez-nous sur le compte facebook du SCI-Projets interna-

tionaux.

Projet Mixcity

En mai dernier, le SCI s’est rendu au Maroc dans le but de mieux

connaître quelques associations locales avec lesquelles il souhai-

terait collaborer pour des chantiers ou des projets de plus longue

durée.

Nous avons notamment visité El Khir et ses projets et aussi ren-

contré Souad et Asma. Cet été, Asma, permanente d’El Khir, a

participé à notre programme d’Accueil de futurs ou actuels par-

tenaires du Sud en Belgique. Elle a notamment participé à deux

chantiers SCI afin de s’immerger dans le monde du volontariat international avec nous.

En 2013, le SCI proposera un projet test à Essaouira pour quelques volontaires expérimentés. N’hésitez donc pas à

contacter Valérie pour plus d’info. De même, l’association El Khir a besoin de soutien en tout genre, vous pouvez vous

manifester auprès de Valérie également si vous avez envie d’appuyer cette association depuis la Belgique.

Valérie : [email protected] ou Marjorie : [email protected]

Bientôt un nouveau projet au Maroc !

Initié dans les années 60 par Augusto Boal, un dramaturge et mili-

tant politique brésilien, le Théâtre de l’Opprimé est une forme de

théâtre interactif qui permet de rendre visibles des injustices et

de s’entraîner à lutter contre. Pratiqué aujourd’hui dans plus de

70 pays, c’est un outil de transformation sociale qui regroupe une

série de techniques dont la plus connue est le Théâtre Forum.

Lors d’un théâtre forum, les histoires mises en scène ne sont ja-

mais fictives, elles viennent toujours d’un témoignage ou du vécu

d’un groupe, et montrent un problème, une oppression, une situa-

tion non-résolue. Ces histoires, où des volontés s’opposent, sont

jouées devant un public concerné par les thématiques abordées et

permettent de mener un débat théâtral dans la salle en brisant la frontière entre acteurs et spectateurs. Les membres

du public peuvent devenir des spect-acteurs en venant sur scène tester leur proposition.

Le Théâtre de l’Opprimé est un outil puissant parce qu’il amène les gens à échanger, partager et chercher ensemble

des réponses à des problèmes de société qu’ils ne sont pas prêts à subir sans réagir. Il crée un sentiment fort de soli-

darité et d’empathie, et donne de la force et du courage à ceux qui en ont besoin pour lutter contre des injustices qui

les dépassent.

Géraldine Bogaert, comédienne et animatrice d’ateliers de Théâtre de l’Opprimé

Le Théâtre de l’Opprimé

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