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Quarto Fedida Bettelheim

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Quarto n°12

Quarto.................................................................................................................................................................... 3 Une cure de mélancolique chez P. Fedida , le cas Agnès Christian Vereecken .................................................. 4 Un cas de Bettelheim Serge Cottet........................................................................................................................ 8

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Quarto SUPPLEMENT A LA LETTRE MENSUELLE DE L’ECOLE DE LA CAUSE FreudIENNE PUBLIE A BRUXELLES

"la forclusion ne saurait, comme le disent Damourette et Pichon, être liée en soi-même au" pas ", au" point ", au" goutte ", au" mie "ou à quelques-une des autres de ces accessoires qui paraissent le supporter dans le Français. Néanmoins, il est à remarquer que ce qui va contre, c’est notre précisément" pas tous ". Notre" pas tous ", c’est la discordance. Mais qu’est-ce que c’est que la forclusion ? Assurément, elle est à placer dans un registre différent de celui de la discordance. Elle est à placer au point où nous avons écrit le terme dit de la fonction. Ici se formule l’importance du dire. Il n’est de forclusion que du dire." (Lacan :… Ou pire. Le 9-2-72) L’objectif de diffusion est que le travail se poursuive, qu’on dise et même écrive ! Ainsi QUARTO XII poursuit-il l’élaboration du concept de Verneinung (Quarto VI) notamment par la publication de ce texte de Damourette et Pichon. De même signalons-nous l’intérêt du travail d’un sociologue qui nous présente le premier essaimage institutionnel de la psychanalyse en Belgique. Quant à l’enseignement, QUARTO propose ici la transcription de deux conférences de l’enseignement de clinique psychanalytique : une présentation des conceptions de là psychose chez Fedida et Bettelheim. Et "qu’est-ce qu’une clinique psychanalytique ? Ce n’est pas compliqué. Elle a une base C’est ce qu’on dit dans une psychanalyse" (J. Lacan : Ouverture de la section clinique). On trouvera donc un essai clinique de J. L. Deconinck proposé dans le cadre d’un cartel consacré à la psychose. Entre dire et écrire donc, une tension vivante bien propre à QUARTO.

Les rédacteurs.

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Une cure de mélancolique chez P. Fedida , le cas Agnès

Christian Vereecken Les cas d’analyse de sujets mélancoliques n’abondent pas dans la littérature : aussi doit-on être reconnaissant à Pierre Fedida de nous en livrer quelques éléments dans un article relativement récent, intitulé "La grande énigme du deuil ; dépression et mélancolie ; le beau objet", paru en 1976 dans la "Nouvelle revue de psychanalyse", et repris en volume dans "L’absence" (Gallimard 1978). La mélancolie est d’ordinaire rangée parmi les psychoses, mais je dois dire d’emblée que c’est une habitude vis-à-vis de laquelle j’ai de sérieuses objections, aussi ne pourra-t-on à mon sens tirer de conclusion de cet exposé quant à la question centrale de cette année –– si ce n’est latéralement. Quant à l’auteur, je l’ai choisi en fonction du sujet : il se distingue de anglo-saxons notamment en ce qu’il a reçu une formation phénoménologique, mais il leur fait néanmoins de nombreux emprunts, notamment à WINICOTTT. Du reste, cette teinture philosophique n’est sans doute pas malvenue pour qui s’adresse à un public belge : car en effet c’est précisément sur la base d’un malentendu phénoménologique que l’enseignement de Lacan s’est répandu dans nos régions, et quand ce malentendu se redouble d’un autre qui est universitaire, et s’aggrave d’un troisième qui est catholique, il ne reste vraiment plus aucune chance que la chatte retrouve jamais aucun de ses petits. Alors, puisque Pierre Fedida se trouve être le préfacier d’un recueil de traductions françaises d’articles de. Ludwig BINSWANGER, nous en profiterons pour mettre quelques points sur les I. Certes, la confusion peut se nourrir de quelques faits : de l’amitié indéfectible du dit BINSWANGER pour Freud, et aussi de ce que Lacan (dans les années 30 ?) ait un temps éprouvé quelque sympathie pour la position des cliniciens phénoménologues, avant de critiquer sans équivoque leurs présupposés. Quant au premier point, il est clair que le dialogue n’empêche pas l’incompréhension et on ne peut reprocher à Freud de l’avoir ignoré, lui qui écrivait à son correspondant ces mots : "Vraisemblablement nous parlons sans nous entendre et notre différend ne s’apaisera que dans des siècles". Sans entrer dans trop de détails sur ce qui a par exemple poussé le dit BINSWANGER à s’appuyer

d’abord sur HEIDEGGER et ensuite sur HUSSERL, indiquons-en quelques mots en quoi "l’analyse existentielle" n’est en rien compatible avec la méthode freudienne. Cela résulte de la définition même qu’en donne son promoteur : car si elle doit être considérée comme une anthropologie, basée sur l’essence de l’être-homme, que cette essence est un être-dans-le-monde avec le semblable, essence qui doit être considérée comme unitaire et transcendante, dépassant l’opposition du sujet et de l’objet, et que cette transcendance doit être fondée dans l’essence de la temporalisation, il n’est pas très difficile de s’apercevoir qu’il n’y a là vraiment aucun concept à quoi un psychanalyste puisse souscrire. Il n’y a nulle essence repérable à l’être homme, car cet être-là n’est épuisable d’aucun prédicat. Mon semblable, le petit autre comme l’appelle Lacan, est par rapport à mon Moi dans une position de parfaite réversibilité, mais cela ne fait naître nulle transcendance, car du moment que j’ai à l’aborder comme autre réel, se pose la question, non seulement du symbolique, mais encore d’un certain objet dit petit a, qui, lui, n’a rien de semblable., ni même d’humain, et entretient avec le sujet des rapports peu pensables, à tel point qu’il faut l’élucubration d’un fantasme pour les imaginer conjoints. Quant à la temporalisation, on ne voit vraiment pas en quoi elle devrait être considérée comme transcendante : le mélancolique est précisément quelqu’un qui le sait mieux que d’autres, puisqu’il peut se retrouver dans cet atroce gel du temps qui signe la dissolution de la temporalisation. Pour avoir une telle idée transcendantale, il faut faire plus confiance à des à priori qui remontent à KANT, qu’à la clinique. Comme du reste le mélancolique témoigne de ce que sa relation au semblable est affectée d’étranges particularités, on comprendra que l’intérêt prévalent que les phénoménologues ont pu porter à ce type de malades, qui justement contredisent point par point leurs présupposés, ne peut se fonder que d’une alliance avec le discours psychiatrique le plus commun, celui qui imagine que le fou dessinerait par contraste l’image de cette chimère dont il s’emploie à répandre le culte, l’homme normal. Le mélancolique serait donc l’envers de l’homo phénoménologicus. Passons là-dessus puisque Pierre

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Fedida, s’il a sans doute profité de ses antécédents philosophiques pour porter intérêt à la mélancolie, ne l’aborde pas moins en analyste. Certes, à propos d’une analyse longue de cinq ans, il ne nous apporte que fort peu de matériel, mais c’est suffisant toutefois pour susciter le commentaire. Agnès est une jeune femme de 31 ans, qui, après une rupture sentimentale, sombre dans un état de tristesse profonde, qu’elle ne pense pouvoir dépasser qu’en dormant longtemps (elle exprime l’idée de faire une longue cure de sommeil), elle se sent vidée, a le sentiment d’avoir gâché la vie de ses proches. Elle engage la relation analytique sans trop en espérer de soulagement, mais elle amène dès la première séance quelques faits décisifs : il s’agit d’un conte qu’elle a entendu dans son enfance, sans pouvoir en préciser la provenance, un conte qui narre l’histoire d’une belle jeune femme qui, tandis qu’elle rêvait qu’un beau chevalier venait la ravir, s’est vue ravir son image dans le miroir, désormais remplacée par l’apparition d’une face inconnue, vieille et contrefaite. Ce conte livre immédiatement l’association d’un souvenir déterminant : alors qu’elle se livrait à une étrange pratique masturbatoire (elle se caressait devant un miroir placé entre ses jambes), son frère (son frère jumeau) a pénétré dans la chambre. Ces éléments suffisent, je pense, à établir le diagnostic de mélancolie : bien plus encore que le caractère de perte radicale et les auto-reproches qui caractérisent l’état dépressif, c’est la particularité des instances imaginaires, soit la perte de l’image dans le miroir telle qu’elle résulte de la mise en rapport du conte et du souvenir qui nous fera nous accorder là-dessus avec Pierre Fedida. Je vous renvoie à l’article "Mélancolie et miroir" qu’Yves Depelsenaire a fait paraître dans les "Analytica", et à mon intervention aux premières journées d’étude de l’École de la Cause freudienne. Ceci dit, il faut dire que quant aux événements qui ont été l’occasion de l’apparition de l’état mélancolique, le compte-rendu de P. Fedida présente une étrange contradiction. Ce qui a séparé Agnès de son amant, c’est une grossesse, qui a été interrompue. La perte est donc double : de l’amant et d’un enfant de lui. C’est toutefois à propos de l’attitude de l’amant envers cette grossesse que les choses ne sont pas claires : il aurait exigé l’avortement, nous dit-on d’abord, ne supportant pas l’idée de se séparer de son épouse (Agnès est sa maîtresse), mais ensuite on nous affirme qu’il a reproché à Agnès cet acte et qu’il en aurait pris prétexte pour rompre. Certes, la conduite des mâles ne se caractérise pas précisément toujours

par le courage en une telle occurrence, mais on attendrait que la femme en conçoive quelque légitime courroux : il semble bien qu’ici, il n’en soit rien, puisque l’analyste ne semble même pas avoir aperçu la contradiction. Pour une bonne raison : c’est que la rupture semble bien répondre à un désir inconscient d’Agnès, qu’elle exprime d’ailleurs pas un paradoxe ; elle souhaite, dit-elle, garder son amant en tant qu’absent. Sur ce que veut dire cette étrange formule, pas des plus banales, Fedida a certaines idées, qu’il met en rapport avec l’essence de la mélancolie, et même du psychisme : ce n’est pas pour rien qu’il a appelé son livre : "L’absence". On ne s’inscrira pas en faux contre le fait que l’absence soit un mot-clef en analyse, mais faute de disposer du concept de symbolique, il est difficile de comprendre que l’absence forme un couple avec la présence, "qui doit le différencier du manque, voire de la carence réelle". Cette absence réelle pour Agnès, semble être le support nécessaire d’une présence imaginaire, et destinée à le rester, car il apparaît qu’elle a rompu tous les contacts avec l’homme qui, en tous cas, s’est absenté lui-même de quelque chose, qui comporte une fonction symbolique : celle de la paternité possible des enfants d’Agnès. J’y verrais volontiers ce qui a précipité Agnès dans son état mélancolique, la structure mélancolique étant selon moi à attribuer au refus du phallus paternel ; pour une femme, cela se traduit par des doutes sur la qualité phallique du partenaire. Je dis des doutes et non pas une mise en question directe et revendicatrice, comme cela se manifeste chez les hystériques : rien de tel, d’ailleurs, chez Agnès… Ceci dit, qui ne peut être qu’hypothétique, voyons comment Fedida aborde l’analyse d’Agnès. Il est très clair sur ce qu’il constitue en symptôme, même si la façon dont il comprend ce symptôme est plutôt nébuleuse : c’est le désir de dormir que, dans le tableau présenté par sa patiente, il monte en épingle. Il n’a certes pas tort, puisque c’est en rapport avec ce désir qu’Agnès voit le seul faible espoir de se sortir de son état (la "cure de sommeil"). Du reste, dans les premiers temps de la cure analytique, elle pique de temps à autre un petit roupillon sur le divan. Seulement il convenait, à mon sens, de se poser ici une question : dormir, certes, mais de quel sommeil ? Car la question du sommeil est en effet centrale dans la mélancolie, ne serait-ce que parce que si le sujet semble avoir de grandes difficultés à dormir, ou à s’endormir, il est, dans l’état de veille, souvent plongé dans un état voisin de la torpeur, qui

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n’est pas sans évoquer l’étrange paradoxe d’un endormissement sans sommeil, et amène souvent dans le discours du sujet, un paradoxe plus étrange encore, celui de quelque vie dans la mort, dont la mort réelle peut apparaître comme l’unique issue. Face à cela, Pierre Fedida prend un parti qu’il indique on ne peut plus clairement, et qui commande la position qu’il va occuper dans le transfert. Il choisit de ne pas déranger la patiente dans son sommeil, voire de le favoriser, de le bercer. La cure, dit-il, devra se modeler sur le désir de dormir, et les interventions de l’analyste devront se faire sur le modèle du conte. Sans doute pourrait-on même dire de quel conte il s’agit, à l’insu de l’analyste : la belle au bois dormant ; mais avec cette différence qu’il ne faut à aucun prix la réveiller. Il va même jusqu’à évoquer une autre belle endormie, Psyché, pas moins, qui, elle, en effet, ne peut en aucun cas se réveiller, sous peine de voir disparaître son objet, mais il ne nous dit pas s’il s’identifiait lui à l’Amour. Trêve de plaisanteries : qu’il y ait là quelque erreur, c’est ce dont témoigne un acting-out trois fois répété, sous forme de tentatives de suicide réalisées à l’aide de doses croissantes – qui l’eût cru – d’hypnotiques. Cette étrange abstention de l’analyste est justifiée par des considérations sur la "fonction de holding de la cure", une fonction qui n’est pas très précisément définie : qu’on sache que cela signifie que Fedida crédite sa patiente d’une fragilité particulière, et qu’il s’inspire de la conduite qui est recommandée par les élèves de WINNICOTT avec des patients psychotiques. Qu’on aperçoive cependant la conséquence de tout ceci : c’est qu’en se montrant ainsi endormant, Fedida tend à se situer dans une position qui est celle du maître, et dont l’hypnose est comme on sait une des figures. Mais il y tend seulement : comme il est analyste, et que, ainsi que Lacan l’a souligné, la psychanalyse est une hypnose à l’envers (le discours du psychanalyste est l’inverse de celui du maître), c’est lui qui finit par s’endormir, et bien entendu, il rêve ; ce rêve se traduit par une spéculation théorique qui conjoint, ça ne nous surprendra pas, les figures du sommeil et celles de la mort, rejoignant par là d’antiques fantasmes, une spéculation qui le pousse à cette curieuse affirmation qu’il y aurait une mélancolie du rêve. Il faut bien dire qu’il aurait pu exploiter le conte que lui livre son analysante autrement qu’en s’identifiant au conteur en en interprétant le texte ; car ce ne sont pas les histoires de reflets perdus qui manquent dans la littérature, et appellent une interprétation qui éclaire le tableau de la mélancolie. J’évoquerai entre mille exemples ce singulier conte d’E.T.A.

HOFFMANN où se conjoignent les figures de celui qui a perdu son ombre (le Peter Schlemihl emprunté à CHAMISSO) et de celui qui a perdu son image. Et plus près de nous il y a le roman du dénommé ARAGON qui s’intitule "La mise à mort". On voit qu’on reste en plein dans le sujet. Car c’est de passer à côté de la mort réelle, et de se retrouver dans le décor qui y préside, le quartier de réanimation d’un hôpital, qu’Agnès finit par se réveiller et recommence à poser des actes qui témoignent de ce qu’elle a retrouvé le goût de vivre. Peut-être l’analyse eût-elle pu lui épargner d’en arriver pour ce faire à de telles extrémités : après tout, il ne serait douteux que notre but soit de reproduire les conditions de ce qui est reconnu de toute antiquité pour être à la base de guérisons spontanées de l’état mélancolique. Ce qui reste voilé dans cette relation, c’est la question de l’objet. Elle n’est pas absente du discours d’Agnès, on s’en doute, et s’y pose même d’une façon tout à fait démonstrative. A l’apparition du visage étranger dans le conte, elle associe une image, "un horrible dessin de TOPOR", qui, à la place de la bouche d’un visage de femme, figure un vagin. Je ne connais pas ce dessin, mais un célèbre tableau de MAGRITTE, où c’est un tronc de femme qui apparaît à la place du visage peut nous four – nir le support visuel qui nous manque. Dans l’état mélancolique, ce qui se dévoile, sous forme d’horreur, c’est que l’image narcissique, qui fait ici défaut, ne tenait que parce qu’elle habille l’objet a, objet a qui, du fait de la réversibilité imaginaire, pourra apparaître dans une étrange relation avec le corps du sujet. On s’étonnera encore que l’auteur n’insiste pas plus sur le fait que son analysante ait un frère jumeau : car il n’a pas besoin sans doute pour être voleur de l’image, de faire irruption dans l’intimité de sa sœur, puisque cette image, il l’est. Et là, voilà que ma rage de référence littéraire me reprend, il eût pu trouver quelque inspiration dans le mythe de l’inceste sororal qui se noue dans l’œuvre majeure de MUSIL, pour introduire la question de l’amour, dont il ne dit rien, ou presque. Il nous reste, pour remplir notre contrat, à poser une question celle de la fin de l’analyse. C’est une question cruciale pour le sujet mélancolique, d’autant plus cruciale qu’étant donné les particularités de son imaginaire, il peut donner l’impression d’être parvenu au point de la fin de l’analyse avant même d’avoir commencé ; je vous rappellerai à ce propos que la fin de l’analyse, la période de fin en tout cas, est caractérisée par des oscillations pseudo maniaco-dépressives. Nous ne

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pouvons l’élaborer à partir du texte de Fedida : il s’est manifestement contenté de la sédation de l’état dépressif. C’est sans doute sage : il ne faut pas forcer un sujet à continuer s’il est heureux de vivre. Mais force nous est de constater que là aussi l’auteur reste fort discret, se contentant de critères sociaux, si bien que rien ne vient nous indiquer si l’analyse peut, avec des sujets mélancoliques, être poussée à son terme, celui que Lacan dénote de la, traversée du fantasme. Je pense pour ma part que c’est possible, et même nécessaire, mais je n’entreprendrai pas d’en débattre aujourd’hui. Pour terminer, je m’excuserai d’avoir été souvent sévère pour Fedida : c’est la condition de la critique, et si ce n’est pas pour s’exposer à la critique, la publication de compte rendus d’analyse est parfaitement vaine. Il faut bien reconnaître ce mérite de n’avoir pas reculé devant la mélancolie, ce qui est assez rare pour mériter un hommage et, de surcroît, de ne pas s’être embrouillé au point de provoquer des catastrophes, ce qui n’est pas si simple. Cela contraste assez avec ce qui semble être l’idéal de certains analystes de l’IPA, de n’accepter sur leur divan que des gens qui souffrent le mains possible de leur symptôme, pour être souligné. On ne dira jamais assez combien il est ridicule de voir des personnages aussi timides claironner bien haut leur attachement aux aspects thérapeutiques de l’analyse. P.S. : Ce texte a été réécrit d’après mes notes et ne représente donc pas fidèlement celui qui a été prononcé, avec la part d’improvisation qui me semble nécessaire à animer un discours parlé. Pour faciliter la lecture, je rappellerai ce que je considère, avec Yves Depelsenaire, être la modification à apporter au schéma optique de Lacan pour rendre compte des particularités de ce que Freud appelait une hémorragie narcissique. Il faut considérer que le miroir A s’est déplacé de 180°sans que le sujet S ait opéré le déplacement corrélatif.

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On voit que de ce fait i'(a) manque à la place où elle est attendue (perte du reflet des contes), et que l’objet a se retrouve sur le, même bord que S. Peut-être convient-il d’ajouter que ceci n’est possible que

du fait d’un défaut de la relation du sujet à son idéal du moi, soit le point par rapport auquel, par le médium de la voix de l’autre, se règle l’orientation du miroir A. Comme c’est la constitution du père en idéal du moi, et son introjection, qui déterminent la fin de l’Œdipe avec l’entrée du sujet, dans le règne de la Loi, on concevra que le refus – pour des raisons diverses – du phallus paternel aboutisse à la non-introjection, ou à l’introjection incomplète, de ce signifiant. C’est ce qui est responsable de la non-liaison des déplacements de S et de A. Un tel état peut trouver sa suppléance dans la relation à un autre réel qui occupe une position privilégiée, celle d’objet d’amour par exemple. Ici, sans doute le frère jumeau, et ensuite l’amant. Il convient de remarquer que tous deux déchoient de cette position d’objet aimé ; on ne sait trop pourquoi en ce qui concerne le frère, mais sans doute n’est-ce pas sans rapport avec son intrusion : qui laisse Agnès sans recours devant l’obscénité propre à la jouissance phallique, et la culpabilité qui en résulte. Ce qui reste énigmatique est l’emploi du miroir dans la pratique masturbatoire. Peut-être y a-t-il là la tentative de fixer un support imaginaire à la jouissance – ce à quoi l’image d’un corps ne suffit pas, pour une femme à t out le moins. Ce qui a pour résultat d’élever la vulve à une position phallique qu’elle n’occupe d’ordinaire ni pour un sexe ni pour l’autre. A propos du sommeil mélancolique, je m’en voudrais de ne pas me faire l’écho de l’excellente formulation que m’a fait parvenir ANGEL ENCISO, à propos du terme de "dormition" qu’on applique dans la tradition théologique à l’état où est censée s’être trouvée la Vierge entre sa mort supposée (apparente) et son assomption : "La dormition, c’est une certaine façon de vivre la mort, ou mieux de tenir entre la vie et la mort, en arrêt de vie, mais sans sombrer dans la mort". Ceci à propos d’un célèbre tableau de HUGO VAN DER GOES, peintre éminent et mélancolique notoire : 1982 était la date anniversaire de sa mort survenue il y a cinq cents ans à l’abbaye du Rouge Cloître, le 6-11-82

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Un cas de Bettelheim Serge Cottet

L’analyse de Joe communiquée par Bettelheim n’est pas véritablement une cure. Au fond, c’est plutôt de l’histoire d’une vie dont il rend compte. C’est-à-dire que les choses commencent à la naissance, bien qu’on n’observe Joe qu’à partir de 7 ans, jusqu’à 12 ans, âge où il quitte l’institution. Et comme on a de ses nouvelles à l’âge de 16 ans, il faut bien considérer que c’est cette tranche de vie de 0 à 16 ans qui nous est relatée ici. En outre, Bettelheim fait remonter le cas aux conditions mêmes de la naissance de la personne, incluant donc l’histoire des parents. Quant à la fin, elle se conclut sur une discussion d’un point de vue extérieur à la cure, discussion sur le passé un peu à la manière du petit Hans qui revient voir Freud à l’âge de 20 ans après avoir lu son cas, exprimant d’ailleurs une très grande perplexité à l’égard de ce récit dans lequel il ne se reconnaît pas. Il faut bien dire que même si Joe, à 16 ans, considère que le personnage dont il est question a un petit air de famille, le personnage qu’on lui rappelle qu’il a été, car le cas n’a pas encore été publié, il faut bien dire qu’il ne se souvenait pas de grand chose. Et surtout la discussion finale nous apparaît avec une certaine platitude, eu égard en tout cas à la richesse extraordinaire des composantes mêmes du délire, de ce qui caractérise le délire en propre et c’est ce dont je vais parler, Donc l’histoire de Joe n’est pas séparable de l’institution qu’anime Bettelheim et la reconstruction qui tient elle-même du délire est bien homogène au type de dispositif particulier qu’on connaît de cette institution dite orthogénique de Chicago. Cette institution dans son fonctionnement est unifiée par la théorie dite de la "Forteresse Vide", laquelle rend compte d’une pratique ordonnée dans un univers fermé que Bettelheim considère comme l’envers du camp de concentration. Alors évidemment, quand on considère qu’une chose est l’envers de l’autre, il ne faut pas s’étonner d’y retrouver quelques points communs. En effet, la psychose, et ce que Bettelheim appelle l’autisme a la causalité suivante : défense contre une situation catastrophique, défense contre une situation limite ; la pire de toutes étant la mort. Tout ce qui apparaît en négatif par rapport à la normalité (le retrait classique, le vidage des sentiments, le mutisme) a donc sa positivité à l’intérieur d’une telle théorie

puisque si on admet que le sujet se retire du monde, c’est un moyen en vue d’une fin. C’est même le seul moyen de défense dont il puisse disposer dans un monde qui a fait objection d’une certaine manière à la survie. Par conséquent, l’hypothèse est qu’un environnement favorable viendrait suppléer à une carence qui est là imputée à l’environnement réel, à la réalité des petits autres qui ont un type de relation avec l’enfant qui l’a précipité dans cet état. A un mauvais environnement peut se substituer son contraire, un autre environnement, c’est ce qu’incarne la Forteresse Vide, environnement sans aucun danger de contamination étant donné que les agents de la psychose nommément les parents sont quasiment fait de cette foule de éducateurs pédagogues éjectés. Environnement thérapeutes infirmiers psychologues, foule thérapeutique reconstituant par l’artifice de l’institution la bonne mère avec laquelle l’enfant a à se réconcilier. Pour cela, il a à renaître à un monde nouveau, la métaphore du retrait sur soi suivie de la renaissance traverse constamment l’observation et du coup, tout ce qui apparaît négativement comme régression est en fait un progrès. Ce qui de l’extérieur de l’institution serait considéré comme régression, de l’intérieur est considéré comme un procès de symbolisation. C’est pourquoi on laisse aller l’enfant jusqu’au bout de ses processus de défense. Le délire est aussi considéré comme une thérapeutique, en fait il y a la thérapeutique propre au dispositif, c’est-à-dire le bon environnement, et puis il y a la thèse classique, freudienne : le délire tentative de guérison. Tentative de reconstruction, de reconstitution du rapport à l’Autre. En termes lacaniens évidemment, ce ne sont pas les termes de Bettelheim : suppléance à la carence du symbolique ou délire comme métaphore venant à la place du signifiant forclos. Le délire de Joe, ses symptômes Seulement le monde de Joe, c’est du jamais vu :, c’est un délire extrêmement particulier. Le monde de Joe, ce qu’il reconstruit donc, c’est un monde entièrement machinique ; des machines sont branchées sur son corps propre en permanence. Il est complètement robotisé, rendu entièrement impuissant, en particulier quand les machines sont

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débranchées. L’électricité est son cordon ombilical qui le maintient en vie, l’énergie à laquelle il s’alimente, après avoir, j’oserais dire, forclos les bons sentiments parentaux. C’est la thèse de Bettelheim, l’électricité à la place des affects. Évidemment, ce monde entièrement machiné est fait pour le délivrer de l’humanité, un monde d’où les sentiments sont exclus, entendons vide de l’autre mais de l’autre en tant que semblable. Parce que l’on ne peut pas dire, en ce qui concerne le fameux retrait autistique, que Joe soit soustrait du champ de l’Autre. Car cet autre qui l’environne ne lui laisse aucune autonomie, l’assujettit entièrement ; mieux sa réalité est celle-là même des machines, disons qu’il a l’Autre de la science constamment sur le dos. Ses muscles sont contrôlés, le courant est nécessaire pour faire fonctionner son appareil digestif et il lui faut une machine pour respirer. Joe se branche sur ces machines comme le président SCHREBER sur les rayons divins, avec ce mouvement alternatif, type battement en éclipse typique de la relation de SCHREBER aux voix. Relation qui peut aussi bien l’alimenter quand Dieu jouit, que le laisser en plan. Parfois il arrive que les machines explosent, que les lampes sautent, et alors à l’instar des rayons schrébériens qui se retirent de son corps, il est laissé dans une grande détresse, un profond état d’angoisse quand il n’explose pas lui-même à la façon des miracles de Hurlement du même président SCHREBER. Cette toute puissance de l’Autre fait alternance "de plus et de moins". On a là rien d’autre que le trognon même, du symbolique dans ces machines : du plus et du moins, des coupures, des branchements s’exerçant sur un corps sans organes ; sur un corps sans organes défini par nulle autre fonction que de s’ouvrir et de se fermer. On sait le succès qu’à eu Joe dans les années 70, célébré par DELEUZE et GUATTARI dans leur anti-Œdipe. On trouvait dans Joe l’exemple caractéristique des machines désirantes que produit la schizophrénie, dans un monde désanthropologisé avec ses flux non-oedipiens. Pas moyen de faire rentrer les machines de Joe dans le complexe d’Œdipe. Là, les post-soixante-huitards qu’étaient DELEUZE et GUATTARI étaient aux anges et mettaient sous le nez des psychanalystes le cas Joe Bettelheim pour leur faire comprendre qu’avec ça, l’Œdipe restait en plan. Pourtant c’est un problème de parler de désir et de machines, et c’est même un paradoxe. Tant il est vrai que ce n’est pas sur le désir qu’est branché Joe mais sur le signifiant, sur le signifiant pur, c’est-à-dire délesté de toute signification. Le psychotique, je le disais, a l’Autre sur le dos. Précisément, ce qui donne raison à

DELEUZE et GUATTARI, c’est qu’il ne se retranche pas du monde de la science, c’est que le psychotique est branché sur le monde social, c 'est pourquoi on a eu tort dans la tradition psychanalytique de confondre la schizophrénie avec l’auto-érotisme. La thèse lacanienne, c’est que le psychotique a l’Autre sur le dos. Je dirais que la psychose infantile, c’est l’autisme plus l’électricité. Ces machines, on ne sait même pas si elles travaillent à un but, c’est la question d’ailleurs que pose Bettelheim, si tout ce bruit à la moindre signification. Est-ce que ces bruits de machines ont plus de signification que le serinage des voix à la fin du délire du président SCHREBER, espèce de brouillage, radotage où la moindre signification s’évapore dans ce reste purement signifiant ? Disons qu’on est d’autant plus assujetti au signifiant qu’il a perdu sa signification phallique. Ce qui 'est la définition de la psychose lacanienne ; forclusion du Nom-du-Père veut dire déficience de la signification phallique. Nous parlerons maintenant du retrait de Joe du champ de l’Autre selon Bettelheim, avant d’en arriver aux processus de reconstruction de la naissance. Non pas de la Naissance de l’Autre, comme disent certains, mais de la naissance à l’Autre. Causalité de la psychose Bettelheim donc, conformément à son orientation théorique, considère l’environnement humain et en particulier familial comme des signes. On va donc parler des parents et de leur relation entre eux d’une façon qui va préciser la causalité de la psychose. C’est l’environnement affectif qui est l’essence de l’environnement, et l’école est à considérer comme un autre environnement affectif de signe opposé au premier. Et comme il le dit, "susceptible d’annuler l’isolement affectif d’un enfant", le mot y est ; c’est, je dirai, le type d’annulation obsessionnel : défaire ce qui a été fait. Dans le cas de Joe, il se passe ceci, chacun des deux parents séparément a vécu une histoire d’amour douloureuse. Dans le mariage, chacun des époux cherchait surtout, nous rappelle-t-on, l’oubli d’une blessure personnelle et non partagée. Donc on a à faire à des parents qui se rencontrent après un deuil et on notera que le grand amour de la mère, avant son mariage avec le père de Joe, était un aviateur tué pendant la dernière guerre. Le père de Joe est également mobilisé, il partira outremer lorsqu’il aura un an, donc bien avant qu’il entre à l’école. Le mariage est donc contracté sur la base d’un besoin

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mutuel de calmer une souffrance et voilà ce qui, pour Bettelheim, tient lieu de raison suffisante. Cet enfant déterminé par ce roman triste n’aurait pas dû venir troubler cet arrangement fragile, car il en résulte cette attitude qui est celle de l’indifférence totale de l’enfant, en particulier attitude d’indifférence qui caractérise la mère, angoissée d’être une mauvaise mère. Voilà le tableau et ses conséquences : l’enfant est nourri à la pendule, toutes les quatre heures, qu’il pleure ou pas. Il pleurera d’ailleurs pendant trois mois sans qu’on vienne le chercher. Et il faut dire que là Bettelheim décrit une sorte d’hospitalisme familial à la SPITZ, c’est-à-dire décrit un monde du pur besoin. L’enfant ne reste pas purement réceptif à l’égard de l’environnement mortel, il réagit à se façon, s’intéresse é des objets. Là Bettelheim est plus proche de la tradition inaugurée par CAVET en ce qui concerne l’autisme et s’éloigne d’une certaine Vulgate freudienne, à savoir autisme narcissisme primaire donc plus d’objet. Car, quel que soit le moment où l’autisme est pris en considération, aussi vide que soit la forteresse, l’enfant s’est intéressé à des objets, mais pas n’importe lesquels ! Il s’intéresse à des objets qui tournent sur eux-mêmes, ça sert de diagnostic différentiel : quand un enfant s’intéresse à des objets qui tournent sur eux-mêmes, hé bien, c’est un autiste. Lui, il regarde un ventilateur depuis qu’il a accompagné son père à l’aéroport. Alors là, évidemment, il y a une longue discussion sur le père, l’aviation et les hélices, mais enfin Bettelheim, qui n’est pas un imbécile, admet que tous les autistes sont fascinés par les objets qui tournent sans être forcément fils d’aviateur. Interprétation de Bettelheim : il a un esprit de famille, il se replie sur soi et tourne en rond. De même que la poupée mécanique des théoriciens de l’autisme infantile (TUSTIN, etc.) représente l’enfant machiné, robotisé, hé bien, c’est une représentation du sujet. S’il tourne dans un cercle au lieu de s’ouvrir au monde, c’est que dans le cercle, l’autre n’est plus menaçant, on ne risque pas de rencontrer l’autre en tournant sur place. Plus tard, on verra Joe s’enfermer dans une sphère, dans une coquille, dans un œuf d’où il va éclore par un trou percé dans la sphère. Bettelheim se sert là d’une topologie qui privilégie la sphère par rapport à la surface et réduit quasiment tout à ce mode du tourner en rond. Quel que soit le trajet, le circuit, le mode d’alternance, le tricotage, le balancement, le branchage et le débranchage : tout ça c’est toujours l’enfant qui tourne en rond. Là il faut être très net, il y a deux types de manifestation de l’autisme infantile ; il y a le type "tourner en rond" qui après

tout requiert une interprétation qui fait prévaloir l’imaginaire et il y a le type battement en éclipse, alternance qui est la définition freudienne du symbolique. Les scansions, il les mélange, lui, Bettelheim, il ne fait pas passer le rasoir d’Occam entre ces deux types de manifestations qui ont un type d’espace et de vectorisation pour lieu. Ce qui est à privilégier, évidemment dans le cas de Joe, c’est le fort-da. Je reviendrai à cette définition du symbolique et j’ajoute donc un certain nombre d’éléments qui ont trait à l’histoire de Joe. Donc, après son intérêt pour lé ventilateur et les hélices, le type de langage qui est le sien qui d’ailleurs ne se définit que par le fait qu’il s’intéresse à ces objets comme à lui-même note Bettelheim, et ne parle plus à personne, il parle à ses objets. A quatre ans, on remarque qu’il supprime les pronoms, il inverse les pronoms, puis il ne parle plus à personne. On le place dans une clinique universitaire et bien entendu, on prend en même temps les parents en psychothérapie. Psychothérapie qui va surtout bousculer la mère, d’une manière qui va un peu arranger les choses en ce qui concerne ses relations avec les enfants qu’elle va avoir. Elle aura donc une fille de six ans plus âgée que Joe et un garçon de 13 ans plus âgé que Joe. Dans cette clinique, il ne sortira jamais de son autisme, ni de son intérêt pour les objets que j’ai décrits. A 6 ans, il devient suffisamment agressif avec ses alter ego pour qu’on le mette dehors puis suivent deux années dans un pensionnat où il perd le bénéfice de ses acquisitions, en tout cas un type de langage qui le caractérisait et il ne fait plus que murmurer. Bettelheim traduit : "puisque les hommes l’avaient trahi, les machines étaient maintenant ses protecteurs", le mot c’est "prévention", je ne connais que le mot anglais. Puisque les hommes ne l’alimentaient pas en émotions, c’est l’électricité qui devait faire l’affaire. Il ne mange plus sans toucher la table et sans un isolement de papier de sorte que le courant ne le quitte plus, il boit à l’aide d’un système de tuyaux construit avec des pailles. C’est alors qu’il doit quitter son pensionnat pour entrer à l’école orthogénique. Donc, il y a une sorte de manifestation d’agressivité mortelle à l’égard de ses compagnons, puis à la maison à l’égard de sa sœur et cela finit, nous dit Bettelheim, par une tentative de suicide juste un peu avant qu’il ne vienne chez lui mais sans qu’il ne précise de quelle nature est cette tentative.

Donc ce transitivisme et son tranchant mortel et ainsi résumé par Bettelheim : "Il avait compris qu’avoir des affects équivalait à être détruit. Ne rien

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faire est donc considéré comme moyen de défendre la forteresse : refus de communiquer avec comme conséquence ce qu’il appelle lui, un affaiblissement du self. D’où le paradoxe, – Bettelheim appelle ça le cercle vicieux –, l’autisme défend le self mais en même temps, puisque le self est vide, il s’appauvrit, il appauvrit justement ce qu’il cherchait à protéger. Voilà donc le vocabulaire qu’utilise Bettelheim, type cercle vicieux, faute de pouvoir déterminer la place du sujet par rapport à l’objet du fantasme que Joe tente de construire. Pendant ce temps-là, les hélices tournent toujours, il leur donne des noms, des noms techniques que l’on connaît très peu. Il parle d’hélice, de courroie d’essoreuse, de régulateur de tourne-disque ; ce que Bettelheim décrit comme forteresse vide d’affects et de sentiments, et plutôt éclipse de l’identification car les affects, quand ils surgissent, surgissent comme des explosions, j’ai dit tout à l’heure comme des hallucinations. Ils explosent quand il est branché comme une lampe, identifié à l’objet quand il n’est pas représenté auprès des signifiants. Précisément quand la lampe s’éteint, il n’est plus représenté et lui éclate. Voyez que l’électricité n’est pas un self. Il est difficile de dire que l’électricité alimente la vie affective, supplée à la carence maternelle. Que pouvons nous dire en termes freudiens de ces machines ? A-t-il investi dans ces machines, comme le dit Bettelheim, tous les attachements qu’on a normalement pour les êtres humains ? Hé bien, laissons nous guider par ce maître des psychoses, par ce grand maître de la machine à influencer, j’ai nommé TAUSK. On sait – que TAUSK notait l’existence du délire d’influence sans persécution dans l’automatisme mental. Par exemple, le sujet a un bidule dans la tête qui enregistre ses pensées ou les communique à tout l’univers. Mais aussi il peut être relié à une machine qui le met en mouvement, il peut être relié à chaque point de son corps. TAUSK opposait ce type de délire, à la persécution,, à la paranoïa car dans ce cas-là, on ne savait pas à qui le sujet était identifié. C’est pas du type identification projective à la Mélanie KLEIN, il n’y a donc pas d’antinomie entre identification et projection. On sait à qui le paranoïaque est identifié. Par contre, là on a influence, automatisme sans persécution, il n’y a pas d’autre responsable envers qui l’affect d’amour ou de haine subirait les renversements freudiens célèbres. Dans le cas de schizophrénie, la machine représente la projection extérieure, non pas de l’image du corps, nous dit TAUSK, mais du phallus,

i , identification aux organes génitaux, nous dit TAUSK, traduction lacanienne, la machine c’est

l’image phallique qui supplée à la carence du signifiant, du signifiant du père. La division du corps et du phallus, car vous savez que dans la théorie psychanalytique, le corps et le phallus ne font pas bon ménage, et bien dans ce cas-là le phallus, non corrélé à la signification phallique fonctionne automatiquement comme dans les machines utilitaires. Par conséquent le + et le – de la machine, le fort-da de Joe ne supplée pas à la carence de l’amour maternel, il supplée à la forclusion du Nom-du-Père et corrélativement à l’absence d’un répondant du phallus dans l’imaginaire.

(A)

C’est pourquoi, on peut, comme Bettelheim le fait d’ailleurs, poser la question de la corrélation du père avec les hélices, à condition de mettre le Nom-du-Père en avant comme agent de la signification phallique et non pas la réalité sociale. Car une chaîne signifiante, non capitonnée par le signifiant distingué qu’est le Nom-du-Père, s’affole. Elle ne permet pas d’atteindre à la signification phallique et à tout ce qui en découle concernant les modes d’être affectés par lui. L’amour règle le désir. Hors de cela, le sujet est voué à la jouissance mortifère dans le corps sans organe, ou bien les organes sont interchangeables, aucun n’est le siège d’une jouissance spéciale ; notamment le phallus. Donc suppléant plutôt à la carence du Nom-du-Père, sans caractériser les relations de cet enfant avec l’Autre, ce sont les objets de la science. Si le délire est une tentative de guérison, de reconstruction du symbolique, une reconstitution d’une pacification avec le signifiant – dans le signifiant, on y est avec Joe, mais ce rapport n’est pas pacifié, faute justement du signifiant du Nom-du-Père dont c’est la fonction de faire la paix. Au contraire, la scansion montage/démontage des appareils suivie de dépressions graves de Joe, est là pour nous montrer l’apparition/disparition de l’enfant freudien avec sa bobine, jouant à apparaître et à disparaître devant la glace. C’est lui-même. Si l’on considère que l’enfant autiste est à cette place comme une bobine, on ne peut pas considérer comme le dit Bettelheim que se brancher consiste pour lui à se relier aux sources qui entretiennent la vie. Ainsi identifié au pur "automaton", c’est bien plutôt la pulsion mort en acte qui se manifeste dans le réel, le réel du symbolique, quand le signifiant court tout seul, c’est le sujet lui-même qui devient machine à influence. D’autres analystes d’enfant ont pu le noter : M. MAHLER par exemple, à propos du cas Stanley qui reprend l’analogie de l’enfant machine avec la machine à influencer de TAUSK. Elle montre que l’adulte est influencé par une machine alors que l’enfant est cette machine. Commentant cet article,

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Eric LAURENT précisait que la structure de la psychose est celle de l’automatisme mental ; et que la psychose dite symbiotique ne caractérise pas la psychose de l’enfant, que toute psychose est symbiose avec le signifiant. L’affolement de l’enfant n’a rien d’un chaos, d’un désordre moteur, il est au contraire assujetti à la loi du montage/démontage, dans le cas où le sujet est à la place de cet objet attiré ou repoussé. Comment alors s’opère cette réconciliation avec la face signifiante ou comment relire cette observation de Bettelheim munie de cette clef particulière ? Relecture du cas : un forçage Comment faire apparaître les objets du fantasme, tentative de reconstruction du fantasme, comment faire en sorte que ça équivaille à l’objet cause du désir ? Parce qu’enfin ces objets vont apparaître car, quand le désir montre le bout de son nez, le gosse explose. J’ai fait beaucoup d’analogies avec le président SCHREBER, je pense à cet égard qu’il n’y a pas à se casser la tête sur la spécificité absolue d’une psychose telle que Joe. On peut très bien relire le chapitre consacré aux hallucinations pour se rendre compte de cette aliénation signifiante également à l’œuvre dans le cas de Joe. On se souvient que 5CHREBER nous assure que la seule nature des rayons est de parler, que l’essence des rayons et des nerfs de dieu, c’est du langage, du signifiant désarrimé de sa signification phallique. Et l’on sait qu’en retour, la seule image phallique qui peut surgir est celle de SCHREBER en femme. Alors il faut donc faire un détour par l’évolution de Joe à l’école orthogénique : arrivé à 9 ans, il met en place son petit laboratoire, il n’a d’attention que pour ses machines et leur prête des sentiments, selon Bettelheim par projection. Les réactions par rapport aux machines dépendent du nom qu’il leur a donné, pas de raison que les machines soient persécutrices en elles-mêmes (…) D’où la thèse enregistrée par Bettelheim, ce sont les mots, ce sont les noms qui font peur. Mais du coup, ayant transféré dans ses lampes et ses engins tous ses sentiments, tout se passe comme si lui était mort et que les machines vivaient à sa place. Alors évidemment, on pourrait se demander pourquoi tout cela va bouger, mais ça n’a bougé que pour une seule raison, c’est que tout le monde joue le jeu. Et c’est ça la caractéristique de l’institution : tout le monde a l’air de trouver cela très amusant. On lui allume ses lampes, on les lui branche, on les lui remplace ; quand il engueule ses machines, hé bien les collaborateurs de Bettelheim

font la même chose et cette "socialisation" du délire aboutit non pas à une sédation, mais à un certain nombre de mouvements. De transformations : par exemple il commence à manger sans assistance mécanique, il supprime un certain nombre d’intermédiaires entre les organes du corps et par exemple la nourriture. En même temps il établit un clivage, tout à fait kleinien, entre le bon et le mauvais ustensile, le nuisible et l’utile. Il y a une mauvaise et une bonne lampe ; donc il y a un ordre humain qui est instauré dans son monde jusqu’à l’âge de 10 ans. Puis, il y a toute une mythologie dans son monde : des lampes qui s’éteignent, des lampes qui s’allument, des ténèbres, l’effroi de Joe quand les lampes s’éteignent. On lui fait alors le coup de la scène primitive, on lui fait le coup de l’observation du colt des parents. Tout y est, le regard, au moment où la lampe s’allume, le phallus en érection du père et on s’imagine que ça rend les enfants psychotiques. Bettelheim n’est pas complètement dupe de ce forçage, dont au reste on ne sait pas trop comment il est advenu à la pensée du sujet. Bettelheim soutient néanmoins le côté un peu guindé, automatisé, automatique du récit ; l’accent de vérité manque comme si au fond toute cette histoire d’homme aux loups qu’on voulait lui refiler ne lui faisait ni chaud ni froid, peut-être au fond un manque de personnel… De l’objet Plus intéressant que l’apparition supposée, hypothétique de l’objet phallique dans le champ œdipien, est l’objet, appelons le par son nom, est l’objet merde. En effet, il y a des appareils du type moteur à deux temps, dont Joe ne se débarrasse jamais, qui lui servent à aller aux chiottes. Des appareils qui fonctionnent par rapport à ses excréments, il y a tout un détour par l’excrément qui va être au centre d’un nouveau rapport à l’Autre, plus précisément à la toute puissance de l’Autre. Et corrélativement, la puissance des machines va diminuer et du coup c’est un Autre anthropologisé qui va surgir. Il est clair que la connexion entre l’institution et cette avalanche de merde, il est clair que c’est la définition lacanienne de la demande. La demande de l’Autre fait en sorte que cet objet se distingue des autres. Il y a le signifiant distingué, c’est le père ; il y a aussi l’objet distingué par rapport à la demande de l’Autre : c’est la merde. Joe utilise donc des machines complexes pour évacuer par crainte, nous dit-on, d’être avalé par les cabinets. Bettelheim fait là une remarque très intéressante : ce n’était pas, dit-il, par peur de se vider, mais plutôt

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par crainte d’être aspiré par le trou parce que plus rien ne le retenait. Sa mère sans doute l’ayant laissé tomber. Bettelheim parle du trou non pas du tout comme orifice, mais comme vide donc comme appel. Plus loin on verra que Bettelheim essaye de distinguer plusieurs espèces de trous. A cet égard, il est vrai qu’une autre topologie que celle de la sphère serait requise pour essayer d’y voir un peu plus clair dans la position de l’enfant vis-à-vis notamment du trou des chiottes. En tout cas, il suffit que l’Autre de la demande s’absente pour que ce soit Joe qui passe dans le trou. Aussi lui donne-t-on le loisir de chier partout où il veut, et il commence à transformer cet objet en signe qui le représente, en tout cas ça représente son passage. En même temps, il commence à dessiner, là ce n’est plus le corps sans organe d’ARTAUD, DELEUZE et GUATTARI, mais un corps dont certains organes semblent comme ça affectés par la castration. Par exemple, il n’a plus besoin de se fermer l’anus quand il pisse, ce qui était le cas avant, il lui fallait une fermeture là où il y avait une fermeture. Donc vous voyez que l’excrément n’est pas du tout en place d’objet partiel type kleinien, c’est un monde, c’est un univers qui par conséquent disqualifie une topologie type intérieur/extérieur. Là du coup, le rapport à la merde requiert une topologie moebienne, passage continu de l’intérieur et de l’extérieur ou du sujet et de l’objet. Quoiqu’il en soit de cet effort dans cette réalisation, cela aboutit à une humanisation du monde de Joe dans lequel il commence à retrouver sa propre image narcissique. On nous dit que le monde entier devient ses cabinets. Bettelheim nous dit : son corps était partout, tout orifice se confondait avec l’orifice du corps. Plus rien n’y était debout, il était encore une machine, il n’était pas un être humain dans un univers, le self était encore petit néanmoins il avait renoncé à son délire. Donc naissance du self là plutôt que naissance de l’Autre, c’est noté par Bettelheim naissance eu self comme trou. Et là, trou autant que bord. Donc se dessinent maintenant les conditions symboliques pour que la relation imaginaire au partenaire soit possible. Les choses sont, peuvent être énoncées de cette façon-là, tandis que rien de la signification du phallus n’ait pourtant affleuré. Puisque Joe considère que le vagin est une chose menaçante, qui va faire tout exploser :"Le vagin de quelqu’un va exploser, dit-il, va nous faire tuer". On n’a aucune raison de penser qu’il est moins fou qu’avant : ce qui laisse à penser que Joe n’est pas, dans sa lente remontée, parvenu au stade phallique. Bettelheim essaye de nous présenter la chose comme une remontée du fond vers la lumière à travers tous les stades œdipiens.

Assez habilement d’ailleurs, il commence par l’anal plutôt que l’oral, par la demande de l’Autre, ensuite la demande à l’autre et on sent que le stade phallique pointe à l’horizon. Néanmoins, on est toujours, comme dirait Freud, dans la théorie cloacale et le phallus est loin de pointer à l’horizon. Le maître, un discours Ce qui s’y manifeste, ce n’est pas le phallus, un des noms du phallus c’est le Nom-du-Père, c’est un maître. C’est le maître de Joe, il a un nom, c’est un compagnon de l’école orthogénique, il s’appelle Kenrad qui est surnommé "Kenrad le Terrible" par Joe. De même qu’on allait du réel à l’imaginaire par le symbolique, on a maintenant rencontré la tyrannie de l’Autre non barré. Kenrad qui a trois ans de plus que Joe, c’est pour Bettelheim son ça inaudible… C’est la grande lampe. Le rôle de Joe en l’occurrence qui est toujours identifié à une machine, c’est de servir de machine à Ken. Quant à Ken, sa merde se répand partout jusqu’à Chicago, ce qui explique que les trottoirs soient glissants là-bas. Dons Ken, dit Bettelheim, sans bornes, et Joe était tout en matières fécales. Puis un autre épisode apparaît, c’est le fameux Papoose humain, le papoose en indien, c’est quand même le bébé, de l’excrément on passe au bébé, selon l’équivalence freudienne bien connue, et le bébé, c’est lui. Il s’enveloppe dans des couvertures, commence à jouer au lieu de faire exploser le monde et se nomme le "papoose du Connecticut". Là il faut noter la finesse clinique de Bettelheim, il fait un sort à ce signifiant, il le décompose selon les lignes de clivage choisies par Joe qui sont célèbres "Connect-I -cut ", on voit l’index, l’apparition du sujet dans ce mot qui a sa signification propre : connecter, couper, et la place du shifter, du sujet. Bref, on voit là un Bettelheim attentif au signifiant, au néologisme, à la place du sujet. Là aussi, dans DELEUZE, et GUATTARI, il y a un long développement sur le Connect I Cut qui, selon eux, disqualifie le signifiant au profit de la machine, sans voir précisément qu’il y a le signifiant du sujet qui est placé entre les rouages. Néanmoins, il ne quitte pas ses lampes pour autant, il les dessine, il se contente de piles électriques qu’il a dans ses poches. Et dans les dessins, remarquables, que vous trouvez à la fin de l’observation, il n’est plus vraiment composé de fils comme c’était le cas avant, sa matière, sa substance était des" rayons ", comme les rayons du président SCHREBER, mais devient une personne protégée par le verre, suspendue dans le vide tout en continuant à produire de la merde. Le jour même où

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il explique ce qu’est, il se met à se masturber, ce qu’il appellera mettre le pénis en marche à la manivelle. On ne voit pas là encore une fois la moindre acquisition de la signification phallique. Ce même" papoose "circule dans un wagon, puis dans un "scenic cruiser", une sorte d’autocar : il observe le monde, un monde du wagon qu’il appelle d’un signifiant à lui : chickenIcan (…) c’est-à-dire" poule-je-peux : traduction :"je peux être une poule", je peux m’identifier à une pondeuse, une mère, et voilà les conditions imaginaires remplies pour que le sujet se produise lui-même, s’auto-engendre. Il va renaître par une poule pondeuse ; déjà les machines le faisaient renaître par l’électricité sans mère, mais maintenant il revient au monde par quelque chose de vivant. Cependant, une vie sans coquille, nous dit Bettelheim, est impensable encore pour Joe et c’est une autre figure de l’ego qui va nous permettre cette sortie ; c’est un autre enfant qui est alors le moi. Ce n’est plus le ça, ni le surmoi, c’est maintenant l’alter ego Mitchell, Mitchell-ego qui, à la différence du personnage précédent, c’est le compagnon de Joe et leur relation est de type pacifiée. Compagnonnage de bon ton qui active un certain nombre de rêves chez l’enfant. (…) Rêve du type : d’où viennent les enfants, et il faut dire que, à ce moment. là se développe le fantasme de naître dans les W. C… et non plus de tomber dedans. Il stationne devant un trou qui est maintenant un bord et non plus un vide. Alors c’est intéressant de constater que c’est toujours un même trou mais que sa fonction topologique est tout à fait différente. Muni de cet ego, cette sorte de prothèse imaginaire qu’est Mitchelle, Joe s’invente une famille. Tout sauf sa famille sinon Bettelheim y mettrait bon ordre : elle a un nom, c’est la famille "Carr" composée de lui-même, Mitchell et une femme à qui il va bientôt s’identifier mais tout sauf papa, maman. Néanmoins il critique ses parents et demande qu’on le punisse : phase dépressive, dirait M. KLEIN. Puis demande à voir des bébés in utéro. Voilà qu’il se socialise, mais il s’occupe un peu trop des excréments de son copain Mitchell qui, un jour, le repousse. C’est là où il dit "il a cassé mes sentiments" ; ça signe pour Bettelheim la sortie du poussin de sa sphère. Le trou symbolique sert là, dans son langage à lui, à la naissance du self. Là, il faut bien dire, on sort du cauchemar pour entrer dans les contes d’enfant : il substitue des poules aux lampes, il s’identifie donc à cette femme de cette famille qu’il a nommée Bertha, on le voit jouer sur le mot "chicken-pot" qui veut dire boîte à poussin, qui en fait est une petite boîte à l’intérieur d’une cour qui est l’utérus. Cette boite a une histoire, elle évolue d’année en année,

finalement on obtient le fantasme suivant : la poule du sein et la poule électrique enceinte d’un fœtus électrique. Bettelheim trouve ça formidable et l’enfant raconte ainsi sa naissance : nous sommes sortis à coups de bec, quand nous sommes nés, nous n’étions pas frères siamois, nous étions très proches. Donc une naissance qui entoure l’imaginaire de la gémellité. Cela dit, les vagins continuent d’exploser très tranquillement, les cannibales autour de tout ça, il écrit sur un papier : une poule est morte. Bettelheim donne un tas de significations à tout ça jusqu’à tant que le gosse dise "j’ai donné naissance à moi". Bettelheim considère qu’à ce moment-là, l’enfant a accompli sa régénération, sa renaissance et qu’au fond il peut repartir dans la vie. Alors il y a un côté "happy-end" qui se conclut sur une visite de Joe à l’âge de 16 ans : il est étudiant en électronique, il a inventé une machine qui transforme le courant alternatif en courant continu. Cette machine réalise une sorte de relation pacifiée homéostatique au signifiant. Mais c’est ce type d’apaisement qui ne doit pas nous leurrer et en guise de conclusion, je pense poser deux questions. Deux questions à ce cas. 1. La première : y a-t-il eu analyse ? C’est une question qui rassemble un peu tous les comptes-rendus de cas. Il y a quand même une forte objection à une telle prétention, c’est que dans l’institution de Bettelheim, on ne parle pas du transfert. Ou plus exactement aucune interprétation n’est transférentielle, ce ne sont pas des interprétations de transfert. Les seules interprétations qu’il y ait, ce sont les rêves de Joe : on se contente de noter les identifications, d’interpréter les indentifications au ça, au surmoi, au moi. Voilà ce qui sert et le seul transfert qui existe, c’est le transfert à Bettelheim, c’est le transfert latéral. Même en laissant de côté la question de ce qui est dit, on peut dire que c’est un délire psychotique avec un effet saisissant de pacification à la fin, de tranquillité avec, il faut bien dire, un côté un peut bêtasse dont il faut bien noter le côté lamentable. On n’a pas le sentiment que s’ouvre la brèche qui donne accès à un monde réglé par l’objet du désir. 2. Deuxièmement : sur la métaphore délirante. On a parlé de prothèse symbolique dans ce fantasme de régénération par la poule. A partir du moment où cette poule reste toujours aussi électrifiée que les machines, le rapport au symbolique reste toujours aussi pauvre, on n’a pas un type de réconciliation

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comparable à celui de SCHREBER : du genre Verleugnung que Lacan tirait du côté du sacrifice (se sacrifier pour Dieu, en servant à sa jouissance). Au moins il y a dans SCHREBER un type de réconciliation comme dit Freud, qui fait apparaître presque en clair l’objet de la jouissance. Ce n’est pas une jouissance phallique, c’est une autre jouissance avec fading de Dieu et il y a une sorte de rétablissement du fantasme qui est un type de fantasme inversé : SCHREBER en "au et Dieu en place de fading, de 1. Il n’y a rien de ce type dans le cas de Bettelheim et par conséquent on ne peut guère en tirer d’enseignement sur" comment y faire pour guérir l’autisme", comment fabriquer un fantasme pour suppléer à la carence du Nom-du-Père. STEVENS : Il y a quelque chose qui se trouve en position de suppléer et c’est son délire à propos des machines et puis à la fin, ça ne change pas grand chose que ce mientles poules à la place des machines, il n’y pas grand chose de changé. Il y a un moment où il commence à manger des machines et il relie son corps à des machines imaginaires. Alors vous disiez que ce changement vient du fait que dans l’institution tout le monde joue le jeu. Moi, j’étais passé du fait qu’au moment où commence à se passer de machine, vient de l’institution une intervention à contre-pied, je dirais, de son délire où on lui dit à table "ça ne va plus"… S. COTTET : Oui, à un moment, on supprime autoritairement, ce qui n’est pas le genre de la maison. STEVENS : Est-ce que cette intervention n’est pas ce qui a changé son délire ? S. COTTET : moi, j’aurais tendance à penser que les interventions extérieures ne lui font ni chaud ni froid. Qu’elles soient du type interprétatif, précisément parce que le transfert ne joue aucun rôle ou qu'elles soient du type "les machines, on va te les retirer". Au fond, tout est fait dans l’institution pour permettre à Joe de reconstruire un fantasme ou un symptôme sans que la famille y fasse objection. Donc on a là un type d’auto-guérison, c’est pourquoi je faisais souvent mention du président SCHREBER qui, lui, n’était pas dans les meilleures conditions pour édifier son délire. C’est avec le signifiant seul qu’il s’est dépatouillé, si on avait le sentiment qu’un geste ou un dispositif aurait fait interprétation, je pense qu’effectivement on pourrait parler là de coupure. Aucune des interprétations ne fait coupure. On a l’impression d’une autogestion du délire. Freud après tout l’appelait un travail.

Évidemment, ça nous oblige à considérer qu’il y a des lignes de force, contrairement à ce que dit Bettelheim, il ne tourne pas en rond. Il a tendance à présenter les choses comme si c’était la présence de l’Autre réel de la Demande c’est-à-dire Bettelheim en position de bonne-mère qui était le moteur de la transformation du délire. Mais on peut considérer que le délire a ses lois, des lignes de force qui sont celles d’une pacification avec le symbolique suivant Lacan ou tentative de guérison de Freud. Ou encore tentative de suppléance à la carence du Nom-du-Père, qu’est-ce qui tient lieu de Nom-du-Père chez Joe, c’est un père imaginaire, féroce, qui sidère Joe, qui l’assujettit à la place des machines. Joe nous est présenté comme "je n’y suis pour personne" et ne s’attachant pas au grand manitou qu’est Bettelheim dans son institution. L’enfant est beaucoup plus freudien que Bettelheimien, il n’attend pas grand chose des petits autres mais beaucoup plus du travail qu’il peut effectuer lui-même sur le signifiant. M. LIART : Est-ce que vous pensez que cette guérison aurait pu se faire dans une relation de transfert ? S. COTTET : Je n’en sais rien, ça dépend par quel bout on prend le transfert. Si on prend le transfert par le bout sujet supposé savoir, ce qui est sûr, c’est que Bettelheim suppose beaucoup de choses. Précisément, il n’est pas considéré comme sujet supposé savoir par l’enfant, qui a un rapport de transfert avec Bettelheim, ce sont les pédagogues et les psychologues. Le transfert est dans le cas de Joe uniquement latéralisé, tout le monde est en transfert avec tout le monde. En 55, quand Bettelheim a renouvelé son institution, il a fichu dehors tous les infirmiers, il a fait venir un personnel spécialisé dûment endoctriné par lui, Il est en même temps professeur de psychologie à Chicago, il a avec son personnel un rapport de maître. S’il y en a un qui n’a pas de rapport transférentiel, c’est bien Joe. Alors, deuxièmement, si on prend la chose par le bout psychanalyse objet a. Est-ce qu’il y en a un parmi tous ces ego qui soit pour Joe cause de son désir ? Dans un sens oui, il y a Mitchell et il y a Ken, mais ce sont des transferts qui sont amenés et pas du tout des transferts analytiques créés par Bettelheim. Dans les psychoses, il n’est pas certain qu’on puisse suppléer par du symbolique à la carence du Nom-du-Père. Au fond, on peut imaginer bien d’autres modes de suppléance, par exemple un symptôme obsessionnel et c’est l’hypothèse d’autres théoriciens (TUSTIN ou METZER). De même dans les psychoses, ça ne se termine jamais par l’apparition d’un père réel mais plutôt d’un père imaginaire du style Ken le Terrible. C’est

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pourquoi chez PINEL, on voyait des tas de fous s’identifier à Napoléon, c’est comme ça qu’ils tenaient le coup. En aucun cas l’identification à cette figure féroce n’équivalait à une suppléance symbolique de la carence, le 18-12-82

(transcription de J.P. Dupont non revue par l’auteur)

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