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Quel futur pour la prise en charge des sténoses carotides ? David Calvet, Jean-Louis Mas Université Paris-Descartes, centre hospitalier Sainte-Anne, service de neurologie, centre de psychiatrie et neurosciences, Inserm UMR 894, 75014 Paris, France Correspondance : David Calvet, Centre hospitalier Sainte-Anne, service de neurologie, 1, rue Cabanis, 75674 Paris cedex 14, France. [email protected] Disponible sur internet le : 13 juin 2014 Presse Med. 2014; 43: 789795 ß 2014 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com JOURNÉES EUROPÉENNES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE Dossier thématique 789 Mise au point Key points What future for carotid stenosis management? Surgery remains the first choice intervention in patients with severe symptomatic carotid stenosis. Stenting is associated with a higher periprocedural risk of stroke compared with surgery. This excess risk of stroke with stenting mainly concerns patients older than 70 years, where- as the risk seems to be similar in patients younger than 70 years. After the procedural period, both surgery and stenting appear to be as effective to prevent stroke. Studies are ongoing to identify patients who benefit most from carotid surgery or stenting. In patients with asymptomatic carotid stenosis, the risk of first ipsilateral stroke on medical treatment alone is currently lower (less than 1% per year) than it was at the time of randomized clinical trials, which showed a modest benefit of carotid surgery over medical treatment alone. Randomized trials are ongoing to re-assess the benefit of carotid revascu- larization in patients with asymptomatic carotid stenosis. Pending results of these trials, carotid revascularization should remain a case by case decision, taking into account the individ- ual risk of ispilateral stroke, the risk of revascularization, the predicted life expectancy, and patient’s preferences. Points essentiels La chirurgie reste le traitement de première intention des sténoses carotides serrées, récemment symptomatiques. Le stenting carotide comporte un risque d’AVC périopératoire plus élevé que la chirurgie. Cet excès de risque semble concer- ner essentiellement les patients âgés de plus de 70 ans, alors qu’avant 70 ans le risque du stenting semble identique à celui de la chirurgie. Au-delà de la période périopératoire, les deux techniques semblent aussi efficaces pour prévenir les récidives. Les travaux se poursuivent pour identifier les patients bénéfi- ciant préférentiellement de l’une ou l’autre technique. Le risque de premier infarctus cérébral ipsilatéral à une sténose carotide asymptomatique sous traitement médical seul est plus faible actuellement (< 1 % par an) qu’il ne l’était au temps des essais randomisés ayant montré un bénéfice (modeste) de la chirurgie carotide par rapport au traitement médical. De nouveaux essais sont en cours pour réévaluer le bénéfice de la revascularisation des sténoses carotides asymp- tomatiques par rapport au traitement médical seul. En attendant les résultats de ces essais, la décision d’une revascularisation doit être prise au cas par cas en tenant compte des facteurs de risque d’infarctus cérébral ipsilatéral, des risques de la revascularisation, de l’espérance de vie du patient et de ses préférences. tome 43 > n878 > juilletaoût 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.05.002

Quel futur pour la prise en charge des sténoses carotides ?

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Presse Med. 2014; 43: 789–795� 2014 Elsevier Masson SASTous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com JOURNÉES EUROPÉENNES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE

CARDIOLOGIE

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Key points

What future for carotid stenos

Surgery remains the first choicesevere symptomatic carotid stenStenting is associated with a

stroke compared with surgery. Tstenting mainly concerns patientas the risk seems to be simil70 years.After the procedural period, botto be as effective to prevent strStudies are ongoing to identiffrom carotid surgery or stentingIn patients with asymptomaticfirst ipsilateral stroke on medicalower (less than 1% per year)randomized clinical trials, whichcarotid surgery over medical trtrials are ongoing to re-assess tlarization in patients with asymPending results of these trials, cremain a case by case decision, tual risk of ispilateral stroke, thepredicted life expectancy, and pa

tome 43 > n87–8 > juillet–août 2014http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.05.002

Quel futur pour la prise en charge dessténoses carotides ?

David Calvet, Jean-Louis Mas

Université Paris-Descartes, centre hospitalier Sainte-Anne, service de neurologie,centre de psychiatrie et neurosciences, Inserm UMR 894, 75014 Paris, France

Correspondance :David Calvet, Centre hospitalier Sainte-Anne, service de neurologie, 1, rue Cabanis,75674 Paris cedex 14, [email protected]

Disponible sur internet le :13 juin 2014

is management?

intervention in patients withosis.

higher periprocedural risk ofhis excess risk of stroke withs older than 70 years, where-ar in patients younger than

h surgery and stenting appearoke.y patients who benefit most.

carotid stenosis, the risk ofl treatment alone is currently

than it was at the time of showed a modest benefit ofeatment alone. Randomizedhe benefit of carotid revascu-ptomatic carotid stenosis.arotid revascularization shouldaking into account the individ-

risk of revascularization, thetient’s preferences.

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Points essentiels

La chirurgie reste le traitement de première intention dessténoses carotides serrées, récemment symptomatiques.Le stenting carotide comporte un risque d’AVC périopératoireplus élevé que la chirurgie. Cet excès de risque semble concer-ner essentiellement les patients âgés de plus de 70 ans, alorsqu’avant 70 ans le risque du stenting semble identique à celuide la chirurgie.Au-delà de la période périopératoire, les deux techniquessemblent aussi efficaces pour prévenir les récidives.Les travaux se poursuivent pour identifier les patients bénéfi-ciant préférentiellement de l’une ou l’autre technique.Le risque de premier infarctus cérébral ipsilatéral à unesténose carotide asymptomatique sous traitement médical seulest plus faible actuellement (< 1 % par an) qu’il ne l’était autemps des essais randomisés ayant montré un bénéfice(modeste) de la chirurgie carotide par rapport au traitementmédical. De nouveaux essais sont en cours pour réévaluer lebénéfice de la revascularisation des sténoses carotides asymp-tomatiques par rapport au traitement médical seul.En attendant les résultats de ces essais, la décision d’unerevascularisation doit être prise au cas par cas en tenant comptedes facteurs de risque d’infarctus cérébral ipsilatéral, desrisques de la revascularisation, de l’espérance de vie du patientet de ses préférences.

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La découverte d’une sténose carotide athéroscléreuse estune situation fréquente, que ce soit dans le cadre du bilansystématique chez un patient ayant une autre localisation de lamaladie athéroscléreuse (coronaire, artères des membresinférieurs, aorte), du bilan d’un souffle cervical, ou du bilanétiologique d’un infarctus cérébral.L’athérosclérose des artères carotides est une des causesmajeures d’infarctus cérébral. Elle est aussi un marqueur derisque indépendant d’infarctus du myocarde et de décès d’ori-gine vasculaire. Les mesures thérapeutiques ont donc pourobjectif la prévention des différentes complications vasculairesde cette maladie.Les progrès du traitement médical de prévention des évène-ments vasculaires et l’avènement de nouvelles techniques derevascularisation ont amené à reconsidérer l’intérêt de lachirurgie carotide.

Sténoses carotides symptomatiquesLes sténoses athéroscléreuses de l’artère carotide sont la caused’environ 15 % des infarctus cérébraux et des accidents isché-miques transitoires (AIT). Le risque de récidive augmente avecle degré de sténose et diminue pour les sténoses les plusserrées. Dans l’étude NASCET, le risque annuel de récidived’accident vasculaire cérébral (AVC) ipsilatéral était de 3,7 %pour les patients ayant une sténose de moins de 50 %, de 4,4 %

Figure 1

Sténose carotide symptomatique. Bénéfice et risque de la chirurgie caindividuelles de 3 grands essais randomisés [3]AVC : accident vasculaire cérébral ; ARR : réduction absolue du risque.

pour les sténoses de 50 à 70 % et de 13 % pour celles de plus de70 %. Ce risque revient à un niveau proche de celui dessténoses asymptomatiques après environ 6 mois à un an,possiblement du fait de la cicatrisation de la plaque instableet de la mise en jeu des suppléances artérielles du côté del’infarctus cérébral [1].

Bénéfices et risques de la revascularisation carotideChirurgiePlusieurs essais randomisés ont étudié le bénéfice de la chi-rurgie chez les patients ayant une sténose carotide récemmentsymptomatique [1,2]. Une méta-analyse sur données indivi-duelles des 6092 patients inclus dans les trois plus grands essaisa montré que la mortalité opératoire était de 1,1 % et le risqued’AVC et de décès périopératoire de 7,1 % [3]. Les risquesopératoires étaient indépendants du degré de sténose. Cetteméta-analyse a montré que le bénéfice de la chirurgie est trèsimportant pour les sténoses de 70 % ou plus sans hypoplasiepost-sténotique (réduction absolue de risque à 5 ans d’infarctusipsilatéral et de décès et AVC périopératoires de 15,9 %). Lebénéfice est modeste pour les sténoses de 50 à 69 % (réductionabsolue du risque de 4,6 % à 5 ans) et nul si la sténose estinférieure à 50 %, lorsque la sténose est mesurée en critèreNASCET. Pour les patients ayant une sténose très serrée avechypoplasie post-sténotique, le bénéfice est faible à court terme(2 ans) et incertain à plus long terme (5 ans) (figure 1). Dansces essais, le bénéfice de la chirurgie était plus important chez

rotide versus traitement médical seul. Méta-analyse sur données

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les hommes, les patients âgés de plus de 75 ans et chez ceuxayant été randomisés dans les 2 semaines suivant l’évènementqualifiant [4]. Ainsi, pour éviter une récidive ipsilatérale à 5 anschez les patients ayant une sténose de 50 % ou plus, il fallaitopérer 9 hommes contre 36 femmes, 5 patients âgés de 75 ansou plus contre 18 âgés de moins de 65 ans et 5 patientsrandomisés dans les 15 jours suivant l’évènement neurolo-gique contre 125 chez ceux randomisés plus de 3 mois aprèsl’évènement [4].

Stenting carotide (versus chirurgie carotide)

Les trois principaux essais randomisés européens (EVA-3S,SPACE et ICSS) [5–7], menés chez des patients ayant unesténose récemment symptomatique, ont montré que le stent-ing (vs la chirurgie) est associé à un surrisque d’AVC ou de décèsau cours ou dans les suites immédiates du traitement (figure 2).Selon une méta-analyse sur données individuelles de ces troisessais randomisés (Carotid Stenting Trialists’ Collaboration) [8],le risque d’AVC ou de décès dans les 30 jours est augmenté de74 % (7,7 vs 4,4 % ; RR : 1,74 ; IC à 95 % :1,32–2,30 ;p = 0,0001). La différence absolue du risque observée corres-pond à environ un AVC ou décès supplémentaire chaque foisque 30 patients sont traités par stenting plutôt que par chi-rurgie. Une étude ancillaire d’ICSS a mis en évidence que lespatients traités par stenting avaient aussi un excès de lésions

Figure 2

Sténose carotide symptomatique. Bénéfice et risque du stenting (verssuivant l’intervention)AVC : accident vasculaire cérébral ; CAS : carotid artery stenting ; CEA : carotid endarte

Adapté de [8].

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ischémiques cérébrales récentes en IRM, pour la plupart asymp-tomatiques, comparativement aux patients traités par chirurgie(50 vs 17 % ; OR : 5,21 ; IC à 95 % :2,78–9,79 ; p < 0,001) [9].L’étude américaine CREST a confirmé l’excès de risque d’AVC oude décès associé au stenting (6 vs 3,2 % pour la chirurgie ; HR :1,89 ; IC à 95 % : 1,11–1,21) [10]. Cet excès était en partie« compensé » par un moindre risque d’infarctus du myocardedans les 30 jours du traitement (1,1 vs 2,3 %), si bien que lasurvenue du critère de jugement principal de cette étudeincluant l’infarctus du myocarde ne différait pas significative-ment entre les deux groupes. L’inclusion de l’infarctus dumyocarde dans le critère de jugement principal a suscité denombreuses controverses. Le taux d’infarctus du myocardeétait nettement plus élevé dans CREST que dans les autresessais randomisés, en raison notamment d’un dépistagesystématique d’anomalies ECG ou biologiques. Contrairementaux AVC, les infarctus du myocarde, qui étaient asymptoma-tiques dans près de 40 % des cas, n’avaient pas deconséquence sur les échelles de qualité de vie réalisées à1 an. Il est donc discutable de mettre sur le même piedd’égalité un infarctus du myocarde mineur et un AVC lourde-ment invalidant. Enfin, la comparaison eût été plus valide si lesinfarctus cérébraux asymptomatiques (beaucoup plus fréquentschez les patients stentés) avaient aussi été inclus dans le critèrede jugement principal.

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us chirurgie carotide) au cours de la période procédurale (30 jours

rectomy.

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Figure 3

Sténose carotide symptomatique. Effet de l’âge au cours de larevascularisation carotide. Méta-analyse sur donnéesindividuelles de 3 essais randomisés [8]AVC : accident vasculaire cérébral ; CAS : carotid artery stenting ; CEA : carotid

endarterectomy ; RR : risque relatif.

D Calvet, J-L Mas

Au-delà de la période périopératoire, le risque de récidivesemble faible aussi bien chez les patients traités par stentingque par chirurgie, au moins pendant les premières annéessuivant le traitement [10–12]. Le risque de resténose (� 70 %)ou d’occlusion semble également faible aussi bien chez lespatients traités par chirurgie que par stenting [13,14]. Lesrésultats du suivi à long terme des patients inclus dans cesessais thérapeutiques permettront de préciser ces données.Une mise à jour de la méta-analyse Cochrane (7572 patients,16 essais contrôlés) [15] a montré que le stenting carotide étaitassocié à un risque accru d’AVC ou décès au cours des 30 jourssuivant le geste de revascularisation (OR = 1,72, IC à 95 % :1,29–2,31), d’AVC, de décès ou d’infarctus du myocarde(OR = 1,44, IC à 95 % :1,40–2,34), et d’AVC (OR = 1,81, IC à95 % :1,40–2,34). Le risque de décès ou d’AVC invalidant nedifférait pas selon la technique (OR = 1,28, IC à 95 % :0,93–

1,77). Le stenting carotide était associé à un moindre risqued’infarctus du myocarde (OR = 0,44, IC à 95 % :0,23–0,87), deparalysie des nerfs crâniens (OR = 0,08, IC à 95 % :0,05–0,14) etd’hématome cervical ou au point de ponction (OR = 0,37, IC à95 % :0,18–0,77). Le critère combinant sécurité (AVC ou décèsdans les 30 jours du traitement) et efficacité (AVC ipsilatéral audécours de cette période) était en faveur de la chirurgie(OR = 1,39, IC à 95 % :1,10–1,75) mais le taux d’AVC ipsilatéralaprès la période périprocédurale ne différait pas selon latechnique (OR = 0,93, IC à 95 % :0,60–1,45).

Quel futur pour la revascularisation des sténosessymptomatiques ?Améliorer le rapport bénéfices/risques du stentingLe stenting carotide étant aussi efficace que la chirurgie caro-tide pour prévenir les récidives d’infarctus cérébral à long termeaprès la période péri-interventionnelle, il est désormais cruciald’identifier les facteurs liés au patient ou à la technique elle-même expliquant le surrisque d’AVC péri-interventionnelassocié à cette procédure. La méta-analyse sur données indi-viduelles réalisée par le CSTC a montré que le risque d’AVC ou dedécès périopératoire était deux fois plus élevé chez les patientsde 70 ans ou plus traités par stenting (12 vs 5,9 %, risquerelatif : 2,04 ; IC à 95 % : 1,48–2,82), alors qu’il était équivalentchez les patients de moins de 70 ans (5,8 vs 5,7 %) (figure 3)[8]. Les résultats de CREST [10] et de la méta-analyse Cochrane[15] vont dans le même sens. Cette interaction s’expliqueprobablement par une augmentation avec l’âge de lasévérité de l’athérosclérose, des calcifications et des tortuositésartérielles, qui compliquent le geste technique et élèvent lerisque de complications emboliques. Dans ICSS, les anomaliesmarquées de la substance blanche étaient un facteur de risqued’AVC périopératoire uniquement chez les patients traités parstenting (HR = 2,76 ; IC à 95 % :1,17–6,51) [16], alors que chezles patients ayant moins d’anomalies de la substance blanche,le risque d’AVC ou de décès périopératoire était similaire chez

ceux traités par stenting et chirurgie, quel que soit l’âge. Lesaspects anatomiques et techniques ont vraisemblablement unimpact sur le risque de complications périprocédurales dustenting carotide. Un angle entre la carotide interne et lacarotide commune de plus de 608 et une sténose carotidelongue (> 10 mm) ont été associés à un excès d’AVC ou dedécès au cours des 30 jours suivant le geste [17]. Des progrèsconcernant le matériel (stents, systèmes de protectioncérébrale) pourraient réduire le risque embolique. L’utilitédes systèmes de protection reste cependant incertaine enl’absence d’essai randomisé. Le traitement médical optimalentourant la procédure reste aussi à déterminer. Enfin,l’expérience de l’angioplasticien est probablement un facteurimportant, mais le niveau minimal d’expérience requis reste àdéfinir. Une méta-analyse sur données individuelles des essaisthérapeutiques a montré que le risque d’AVC ou de décèspériopératoires était plus faible chez les patients traités pardes angioplasticiens qui avaient réalisé ce geste régulièrementau cours des essais (au moins 6 par an), alors que le risquen’était pas différent selon l’expérience antérieure des angio-plasticiens [18]. Cependant, tous les angioplasticiens ayantparticipé aux essais thérapeutiques étaient déjà formés à latechnique ou étaient supervisés.Depuis les essais thérapeutiques NASCET et ECST [1,2] réalisés ily a 20 ans, le traitement médical de prévention a beaucoupprogressé avec désormais une large utilisation des statines, desobjectifs de pression artérielle plus bas, un traitement anti-plaquettaire plus efficace et une meilleure prise en charge desmesures hygiéno-diététiques avec en particulier une diminu-tion du tabagisme actif. La morbi-mortalité au décours de lachirurgie carotide était également plus faible dans les essaisthérapeutiques récents [5–7,10], en comparaison des essais

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NASCET et ECST [1,2]. L’intérêt de la revascularisation carotidepour les sténoses symptomatiques modérées (50 à 69 %), pourlesquelles le bénéfice absolu de la chirurgie est plus modeste,est de nouveau discuté et un essai thérapeutique est en courspour répondre à cette question.

Sténoses carotides asymptomatiquesDans la population générale, la prévalence des sténoses caro-tides asymptomatiques varie de 0,5 % chez les patients de 50 à69 ans à 10 % chez les plus de 80 ans [19]. La prévalenceaugmente avec les facteurs de risque vasculaire et en présenced’une autre localisation de la maladie athéroscléreuse. Elle estde 4 à 13 % en cas de coronaropathie et de 12 à 38 % en casd’artériopathie des membres inférieurs pour les sténoses d’aumoins 50 % [20,21].

Bénéfices et risques de la revascularisation carotideChirurgieDeux grands essais ont étudié le bénéfice de la chirurgiecarotide en cas de sténose carotide asymptomatique de plusde 60 % [22,23]. Leurs résultats sont globalement concordantsavec une réduction absolue du risque d’AVC (et de décèsopératoire) à 5 ans d’environ 5 % chez les patients opérés.La réduction absolue est donc modeste car le risque d’AVCipsilatéral sous traitement médical seul est faible, de l’ordre de2 % par an dans ces essais (tableau I). Ainsi, il faut opérer40 patients pour éviter un infarctus cérébral fatal ou invalidantà 5 ans. À la différence des sténoses symptomatiques, le degréde sténose, au-delà de 60 %, ne semble pas jouer un rôle pour lebénéfice de la chirurgie. Ces études n’ont pas montré de bénéficesignificatif chez la femme dont le risque spontané est plus faibleet le risque chirurgical plus important que chez l’homme.Aucune étude n’a démontré le bénéfice de la chirurgie préven-tive chez les patients devant subir un pontage aorto-coronaire.Le risque d’AVC au cours et au décours immédiat du pontage estd’environ 2 %. Le risque est estimé à 3 % en cas de sténosecarotide unilatérale de 50 à 99 % et d’environ 10 % en casd’occlusions, mais le risque d’AVC ipsilatéral à une sténosecarotide est mal connu. De plus, dans 60 % des cas, l’infarctus

Tableau I

Sténose carotide asymptomatique. Essais thérapeutiques randomiséDonnées à 5 ans

Essai n Risque opératoire(%)

Risque d’AVC sotraitement médi

ACAS [23] 1662 2,3 11,01

ACST [24] 3120 2,8 11,8

1 Ipsilatéral.

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cérébral ne peut être attribué à une sténose carotide. Ladécision de traiter la sténose carotide lorsqu’il existe un reten-tissement hémodynamique et que l’urgence cardiaque le per-met doit être prise au cas par cas.

Stenting carotide

Environ la moitié des patients inclus dans l’étude CREST étaitasymptomatique [10]. Chez ces patients, le risque d’AVC oude décès dans les 30 jours suivant la procédure était aug-menté de 88 % (2,5 vs 1,4 % ; HR : 1,88 ; IC à 95 % :0,79–

4,42 ; p = 0,15). La différence absolue du risque observéecorrespond à environ un AVC ou décès supplémentaire chaquefois que 90 patients sont traités par stenting plutôt que parchirurgie. La même controverse concernant l’excès de risqued’IDM périprocédural existe chez les patients asymptomati-ques. Le bénéfice absolu de la chirurgie étant au mieuxmodeste, en particulier chez la femme, l’excès de risqueactuellement associé au stenting ne peut que diminuer,annuler ou inverser un bénéfice potentiel de la revascularisa-tion par rapport au traitement médical qui a bénéficié deprogrès récents [22,23].

Patients à haut risque chirurgical

Les principaux facteurs augmentant le risque de la chirurgiecarotide ou la contre-indiquant sont d’ordre général (comorbi-dités cardiaques ou pulmonaires sévères) ou local (antécédentde chirurgie ou de radiothérapie cervicale, resténose carotideaprès chirurgie, occlusion carotide controlatérale). L’étude SAP-PHIRE, qui a porté sur des patients à haut risque chirurgicalayant pour la plupart une sténose carotide asymptomatique, aconclu que le stenting n’était pas inférieur à la chirurgie pourprévenir les évènements vasculaires majeurs [24]. Aucuneétude n’a cependant montré que les patients à haut risquechirurgical tiraient un bénéfice d’une revascularisation carotideprophylactique, qu’elle soit chirurgicale ou endovasculaire, parrapport au traitement médical. En effet, l’excès de risqueassocié à la revascularisation pourrait annuler voire inverserle faible bénéfice de la revascularisation chez les patientsasymptomatiques par rapport au traitement médical seul. LaHaute Autorité de santé (2007) recommande d’envisager le

793

s ayant comparé la chirurgie carotide au traitement médical seul.

uscal

Réduction relative durisque avec chirurgie (%)

Réduction absolu du risqueavec chirurgie (%)

54 5,9

46 5,4

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D Calvet, J-L Mas

stenting, lorsque le chirurgien juge l’intervention contre-indiquée pour des raisons techniques ou anatomiques ou siles conditions médico-chirurgicales sont jugées à risque (cli-nique, thérapeutique, hémodynamique), après discussion plu-ridisciplinaire, avec notamment avis du chirurgien vasculaire etdu neurologue.

Quel futur pour la revascularisation des sténosesasymptomatiques ?

Compte tenu de la diminution du risque de premier infarctuscérébral ipsilatéral sous traitement médical seul (actuellementinférieur à 1 % par an) et du bénéfice modeste de la chirurgiecarotide observé dans les essais randomisé anciens, l’intérêtd’une revascularisation prophylactique est de plus en plusdiscuté. Cela explique en partie les grandes divergences depratiques constatées d’un pays à un autre [25]. La proportiond’endartérectomies carotides, réalisées pour une sténose caro-tide asymptomatique, varie de 0 % au Danemark à presque90 % aux États-Unis [25,26]. Plusieurs essais thérapeutiquessont en cours en Europe et en Amérique du Nord pour évaluer ànouveau l’intérêt de la revascularisation carotide prophylac-tique associée au traitement médical optimal en comparaisondu traitement médical optimal seul chez des patients ayant unesténose carotide asymptomatique.De nombreux travaux ont été consacrés à différencier, parmi lespatients ayant une sténose carotide asymptomatique, ceuxayant un risque plus élevé d’infarctus cérébral ipsilatéral etsusceptibles de bénéficier d’une revascularisation carotide.Parmi les marqueurs de risque accru de premier infarctuscérébral ipsilatéral figurent l’existence d’un retentissementhémodynamique cérébral, d’infarctus cérébraux asymptoma-tiques, d’une évolutivité rapide de la sténose, de signaux micro-emboliques en doppler transcrânien, ou d’une hémorragieintra-plaque en IRM haute résolution [27–30]. D’autresmarqueurs biologiques ou en imagerie sont en cours

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d’identification. Compte tenu du délai nécessaire pour observerun éventuel bénéfice d’une revascularisation prophylactique,cette intervention ne doit être envisagée que chez des patientsdont l’espérance de vie est au moins 5 ans. Des scores dérivéset validés dans des populations de patients ayant une sténosecarotide asymptomatique ont été développés pour estimer lamortalité à moyen terme de ces patients [31].L’intérêt d’une stratégie visant à revasculariser une sténosecarotide asymptomatique présumée à haut risque d’infarctuscérébral ipsilatéral chez des patients ayant une espérance devie supérieure à 5 ans doit désormais être évalué dans un essairandomisé. Dans l’attente des résultats des essais thérapeuti-ques, la décision de proposer un geste de revascularisationprophylactique doit être prise au cas par cas au décours d’uneréunion de concertation pluridisciplinaire et doit tenir comptedes facteurs de risque d’infarctus cérébral ipsilatéral, desrisques de la revascularisation, de l’espérance de vie du patientet de ses choix.

ConclusionConcernant les patients ayant une sténose carotide sympto-matique serrée pour qui un geste de revascularisation estindiqué, les travaux se poursuivent dans le but de mieuxidentifier ceux chez qui le stenting carotide pourrait être unealternative sûre et efficace. Chez les patients ayant une sténosecarotide asymptomatique, mais aussi chez ceux ayant unesténose carotide symptomatique mais modérée (50 à 69 %),les études futures nous diront chez quels patients une revas-cularisation carotide apporte un bénéfice par rapport à untraitement médical seul. Chez tous les patients, un effortparticulier doit être fait pour optimiser la prise en chargemédicale.

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HJ. Estennd t-24., BeyBecversmpEngl

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Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

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Quel futur pour la prise en charge des sténoses carotides ?Journees europeennes de la Societ e française de cardiologie

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