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n°172 Trimestriel d’information de la Fédération des Amis de la Morale Laïque 3 ème trimestre 2011 3 Bureau de dépôt Bruxelles X BELGIQUE - BELGIË P.P. BRUXELLES X 1/2281 Quelle rentrée ?

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n°172 Trimestriel d’information de la Fédération des Amis de la Morale Laïque 3ème trimestre 2011 3 €

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BELGIQUE - BELGIËP.P.

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Quelle rentrée ?

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ÉDITO Après leur été 3 Roger Thirion

le CRI de la hulotte Indécences 4

DOSSIER Quelle rentrée ? 5

Quels concepts se cachent derrière la dignité humaine ? 6 Charles Susanne et Myriam Wauters

La reconquête 10 Claude Javeau

Bart De Wever négationniste ? 12 Philippe Brewaeys

La Chine, une évolution pas si extraordinaire 15 Chu Chi How

LAICITE Les médias portent parfois les mêmes lunettes que les partis nationalistes 17 Julie Van Garsse

Nouvelles des AML 20 AML Schaerbeek

REGARDS CRITIQUES La religion des seigneurs 21 Guy Jaspart

Morale laïque, comme la FAML dont elle est

l’expression écrite principale, est une revue engagée dans la défense

et la promotion des laïcités philosophique et politique.

Les articles publiés s’inscrivent dans une ligne

rédactionnelle cohérente et solidaire, en même temps

qu’ils sont l’expression de la liberté intellectuelle de leurs

auteurs.

Nos lecteurs voudront bien comprendre que ces textes

obéissent aux “lois du genre” adopté: une étude, un

dossier, une note de lecture, un éditorial, un texte

d’humeur ne sont à l’éviden-ce pas de même nature.

C’est toujours avec plaisir et intérêt que nous accueillons

en libres penseurs leurs observations, remarques et

critiques.

Le comité de rédaction

Trimestriel d’information de la Fédération des Amis de la Morale Laïque

rédacteur en chef: Marie-France Coumont

comité de rédaction: Philippe Brewaeys, Christian Du Pré, Maryane Fondu, Daniel Leclercq, Christine Mironczyk, Michel Parisel, Roger Thirion

ont collaboré à ce numéro: Philippe Brewaeys, Chu Chi How, Guy Jaspart, Claude Javeau, La Hulotte, Sylvie Schoetens, Charles Susanne, Roger Thirion, Julie Van Garsse, Myriam Wauters

crédits graphiques: biewoef, dcjc57, jmjvincente, Eric Hossinger, ip2u

abonnements et secrétariat de rédaction: Myriam Goossens

maquette et mise en page: Anne De Wolf - Daniel Leclercq

Morale laïque est uniquement disponible par abonnement annuel de 4 numéros. Belgique: 10 € - Union européenne: 15 € dexia: 068-2030844-79 54, Avenue de Stalingrad, 1000 Bruxelles tél. 02/476 92 83 - fax 02/476 94 35 [email protected]

éditeur responsable: Christine Mironczyk, 54, Avenue de Stalingrad, 1000 Bruxelles

avec l’appui du Ministère de la Communauté française

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Après leur été….

Cette note éditoriale ne sera lue qu’aux environs de l’équinoxe d’automne ! Après quel été ? De manière prospective, nous avons évoqué, par ailleurs, le « soleil noir » qui aura

sans doute été notre lot, avec ses « bruits et ses fureurs » de toutes sortes, plus ou moins « naturelles », mais aussi « culturelles » au sens anthropologique du terme.

A ce propos, le capitalisme dans sa composante financière opaque1 échappant à tout contrôle démocratique réel impose sa loi, partout où il le peut, mettant à mal les restes de ce qu’avec un relatif mépris d’aucuns appelaient l’ « Etat providence » : pour commencer au Portugal, en Espagne, en Grèce, en Irlande, où à des degrés divers le retour à la précarité, voire à la misère sont à l’ordre du jour. Ce qui apparaissait inimaginable avant la crise des subprimes est aujourd’hui une insupportable réalité, un « talon de fer », comme l’aurait écrit Jack Lon-don, et dont le programme est planétaire.2

Mais les colères montent : classiques, via les syndicats ; plus à la marge via les groupes radicaux anciens ou plus récents. L’ « indignation » qu’a relancée le toujours jeune vieux militant Stephane Hessel s’organise, qui élargit de manière significative le gouffre qui sé-pare désormais les laissés pour compte du système, des élus issus du suffrage universel, y compris de gauche (l’exemple du seul député du PASOK, refusant de voter le plan d’aus-térité, exclu immédiatement du parti est éloquent et consternant). Les formules faciles et confortables de « cohésion sociale » et du « vivre ensemble » pour autant qu’elles aient eu jamais de la signification sont désormais obsolètes.

Qu’en sera-t-il, au temps de l’équinoxe, de « notre » crise ?

L’éditorialiste serait bien tenté d’écrire « leur » crise, tant le mélange nauséeux de cette crise institutionnelle et sociale lui impose une distance libre exaministe et sceptique à l’égard de cette Belgique « fédérale » dotée d’une frontière linguistique quasi frontière d’Etat. L’époque n’est passionnante que pour les politologues universitaires de plus en plus souvent sollicités jusqu’à l’embarras- sans oublier les constitutionnalistes- face à une situation sans précé-dent : un gouvernement démissionnaire (qui vote malgré tout un budget, qui participe à une guerre « humanitaire » en Libye…) aux prises avec un parlement nerveux, plus libre que jamais, et qui se livre à des retrouvailles idéologiques « étonnantes », souvent antisociales (en dépit de cette fameuse frontière linguistique) et qui répondent si bien aux exigences des maîtres mondiaux de l’économie…mais qui ne pourrait renverser un gouvernement déjà dé-missionaire !

Le patron de la social-démocratie francophone, Elio Di Rupo, vient de déposer sa note de travail, jugée déjà acceptable par la « famille » libérale du Nord et du Sud, mais rejetée en termes non véhéments, mais fermes par les trois syndicats….Que fait Di Rupo dans cette galère se demandait en substance Egidio di Panfilo, secrétaire général du SETCA-Liège ?3

Une bonne question : combien seront-ils en automne parmi les chômeurs, les malades, les pensionnés, les fonctionnaires, et tant d’autres travailleurs à se la poser ?

Roger Thirion7 juillet 2011

1 Voir à ce sujet le remarquable ouvrage de Daniel Cohen, La Prospérité du vice. Une introduc-tion (inquiète) à l’économie, Albin Michel, 2009, et Livre de Poche, préface inédite2 Lire le Blé n° 73, entre autres l’éditorial d’Ariane Hassid3 Sa « carte blanche » in Le Soir du 29 juin 2011

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Pour savoir à quel point la haine peut tordre un visage, il faut aller voir les images montrant le député MR De-

nis Ducarme invectivant à la tribune de la Chambre, le 26 mai dernier, ses collègues du PS1. La raison ? Ils avaient décidé de s’abstenir lors du vote de la loi réformant – pour la 250e fois depuis trente ans ! – les conditions du re-groupement familial des populations immigrées. Ce que M. Ducarme considérait comme haïssable n’était pas tant le fait que le PS avait mangé sa parole (il avait voté pour le projet en commission) mais que ce parti voulait perpétuer ainsi une situation scandaleuse. Imaginez donc: laisser entrer sur notre territoire des proches parents de Belges, d’origine turque et marocaine essentiellement, qui n’étaient pas « une plus-value pour notre pays » et seraient donc « à charge de la collectivité ». En un mot : des pauvres ! Il fallait donc voter cette loi même si elle établit une discrimination entre les citoyens belges et les autres citoyens de l’Union Européenne en imposant aux premiers des conditions beaucoup plus dures de revenus pour la personne accueillante. Et la proposition fut donc votée par la NVA, le CD&V, le SP.A, l’Open VLD et, bien sûr, le MR. La seule consolation pour les démocrates respec-tueux de la Constitution et des règles institutionnelles de l’Union Européenne, c’est que cette loi scélérate sera pro-bablement annulée par la Cour constitutionnelle devant laquelle plusieurs recours sont annoncés.Ce souci d’éviter de grever le budget de l’État par des dé-penses inconsidérées honore sans doute le chevalier bleu Ducarme et ses amis des partis flamands... Mais nous ai-merions savoir ce que pensent tous ces gardiens farouches des finances publiques de certains dérapages budgétaires plutôt sévères en comparaison de ce que représente l’aide sociale aux plus démunis, y compris l’accueil des immi-grés. Sur un budget global de 46 milliards, l’État fédéral y consacre à peine 1,1 milliards.2 En revanche existe un certain nombre de dérapages, volontaires ou non, « à charge de la collectivité », dont on peut se demander dans l’intérêt de qui ou de quoi ils se produisent. Commençons par le sommet des gabegies tolérées depuis toujours : la fraude fiscale. Une étude récente, fort pru-dente, la situe entre 15 et 20 milliards par an, soit 5 à 6% du PIB. Elle conclut aussi que le «faible niveau de pression

1 Voir http://www.rtbf.be/info/belgique/de-t a i l _ c h a m b r e - d e b a t - a n i m e - s u r - l e - r e g r o u p e m e n t -familial?id=61753232 Chiffres de 2007. Voir Nicolas BEDNAR, Ordre de grandeurs macroéconomiques, http://www.etopia.be/spip.php?article808

exercée par les contrôles fiscaux sur les contribuables belges joue un rôle non négligeable dans l’explication des taux élevés de fraude fiscale en Belgique par rapport aux autres pays européens.»3 A quand donc le grand débat parlementaire où les vertueux ténors de la chasse aux abus en tous genres pourront donner de la voix ?Autre gouffre à milliards : les intérêts notionnels. Ce sys-tème, mis en place depuis 2006, permet à une entreprise de déduire de ses bénéfices le paiement d’intérêts fictifs sur des emprunts tout aussi fictifs qu’elle aurait contrac-tés pour investir sur fonds propres. Le montant de ces emprunts imaginaires représente un pourcentage de son capital (entre 3 et 5% selon les années et le type d’entre-prise). Mauvais calcul : le gouvernement tablait sur 500 millions pour couvrir ces largesses fiscales. Or ils coû-tent en réalité, près de neuf fois plus, soit 4,25 milliards4. Ce dépassement considérable n’est pas dû seulement à l’incurie étonnante des responsables de nos finances pu-bliques, il inclut aussi l’énorme fraude mise en place par certaines entreprises pour toucher deux fois le rabatte-ment fiscal.5 La fraude est estimée, par le sénateur PS Ahmed Laaouej, à 180 millions au bas mot.6 Si encore ce somptueux cadeau fait aux entreprises était créateur d’emplois pour tous… Mais il n’en est rien : les bénéfi-ciaires n’ont jamais été tenus de respecter cette condition. Il s’agit donc ni plus ni moins d’une spoliation à l’encontre du peuple belge, organisée par l’état fédéral au profit des entreprises, dont la plupart engrangeaient déjà de somp-tueux profits.Mais il y a plus imbécile, ou plus odieux, en matière de gaspillage. Que penser, en effet, d’un pays qui prétend de-voir trouver à tout prix quelque 22 milliards pour atteindre l’équilibre budgétaire exigé par l’UE à l’horizon 2015 et qui, depuis dix ans, s’est engagé dans une guerre pourrie – y en a-t-il d’autres ? – en Afghanistan ; puis a remis ça en

3 Voir DULBEA, Estimation de la fraude fiscale en Belgique,pp.49-50 http://dev.ulb.ac.be/dulbea/documents/1462.pdf4 Voir http://www.lesoir.be/actualite/econo-mie/2011-04-30/les-interets-notionnels-coutent-4-25-mil-liards-selon-ecolo-837350.php5 Notamment par le système dit du « double dip » qui consiste à créer, à côté de l’entreprise, une entreprise écran, ce qui permet d’encaisser deux fois l’abattement fiscal. Voir la brochure éditée par la FGTB en février 2008 : La vérité sur les intérêts notionnels, pp.4-5, en version pdf.6 Voir Le Soir du 14/06/2011, p.4.

Indécences

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6MORALE LAÏQUEN°172 - 3/2011

Quels concepts se cachent derrière

la dignité humaine ?

La définition de la vie humaine conduit à des prises de position très différentes. Au début de la vie, il faut distinguer le point de vue traditionnel chrétien où la personne est présente dès la conception1, de la posi-tion où l’embryon a une valeur croissante au fur et à mesure de son développement et où le jugement de la mère est consi-déré comme essentiel. Dans le premier cas, la vie humaine, y compris l’âme et l’esprit, est présente depuis la féconda-tion : le statut est universel et non discutable, puisque fondé sur des facteurs théologiques et transcendantaux. Dans le se-cond cas, le statut est déterminé par la mère elle-même et par un projet parental : le choix dépend donc de facteurs personnels et subjectifs et non de facteurs ab-solus.

1 Cette position n’est prise qu’en 1869 par Pie X et reste la posi-tion actuelle de l’Eglise catholique. Elle est aussi la position de l’Acadé-mie pontificale pour la vie créée le 11 février 1994 par Jean-Paul II. Certains théologiens nuancent ce discours en disant ne pas savoir quand l’âme s’in-corpore mais que le doute doit profiter à l’embryon, nous devrions donc faire comme si dès la conception une per-sonne humaine existait.

En fin de vie, les prises de posi-tion sont tout aussi différentes,

il faut ainsi distinguer trois attitudes face à la mort ; on décide de recou-rir au droit de mourir dans la dignité par euthanasie active ou par aide au suicide ou on laisse le «Créateur» dé-cider de l’instant du mourir avec les conséquences d’une longue agonie pour certains ou encore, on soulage la souffrance par des antalgiques qui finiront par provoquer une apnée fatale, étant donné que pour qu’ils restent efficaces, il faut augmenter les doses. La vie humaine n’est pas que biologique, elle est aussi sociale ; le sens social de la vie humaine va-riera en fonction de l’importance que cette vie a pour d’autres individus conscients et responsables. Dans la littérature, on trouve sou-vent des « vérités » sans que l’auteur définisse sa position philosophico-religieuse. Il en va de même en bioé-thique, et particulièrement à propos d’une expression, aussi commune que vague, de « dignité humaine ». La dignité humaine est, en effet, essentielle puisqu’elle est mention-née dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948) et dans le Pacte des droits écono-miques, sociaux et politiques (ONU, 1966). La notion apparaît aussi dans des Conventions de bioéthique, telles que la Convention pour la protection des droits de l’homme et la dignité de l’être humain à l’égard des applica-tions de la biologie et de la médecine (Conseil de l’Europe) et la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme » (UNESCO).La notion de dignité est cependant plurielle, elle est indéterminée dans la mesure où elle implique des enjeux sociaux et politiques. Qui décide de la

dignité ? Dignité de l’embryon, du gé-nome, des organes humains ? Le droit à mourir dans la dignité ou le refus de

l’euthanasie1 au nom de la dignité de la vie ? Avant de définir la dignité hu-maine, encore faudrait-il s’entendre sur la définition de l’homme ! Les religieux, les philosophes, les poli-tiques aiment jouer sur ces termes en évitant souvent de définir les enjeux

et les arrière-plans idéologiques.Dans des milieux chrétiens, la dignité humaine est souvent liée à l’origine divine de l’homme et à sa nature spirituelle et est alors utilisée pour défendre des conceptions sans de-voir les argumenter : il s’agit d’une sorte de tabou utilisé pour proposer des interdictions considérées comme

universelles2. Au nom d’un contenu religieux, on prétend mettre fin à tout débat argumenté puisque la dignité humaine aurait une valeur absolue.

Au niveau philosophique, on se ré-fère souvent à Kant, qui distingue les choses et les personnes : les per-sonnes ne pouvant être instrumen-

1 A l’euthanasie, le Vatican op-pose souvent les soins palliatifs, alors que tous, quelle que soit notre philoso-phie, nous y sommes favorables. Ce qui importe est la liberté de pouvoir mourir dans la dignité, et de ne pas donner un pouvoir rédemption à la douleur. 2 Le comble que nous avons pu entendre est ce que le père Morerod dé-clarait dans l’émission d’Arte du 30 mars 2010 «Les bébés éprouvettes sont-ils des enfants du Bon Dieu ?». Il faut comprendre la décision de parents d’avorter un em-bryon mal formé, mais de cette façon on fait rater la résurrection de son enfant !! Le Vatican, dans la même émission, dé-clare qu’il ne faut pas aider la nature mais la respecter «Les embryons sont traités comme des esclaves» !!

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talisées, elles ont une valeur intrin-sèque, à savoir la dignité. Mais c’est passer sous silence les postulats kantiens de spiritualisme, de dua-lisme et de foi chrétienne en l’immor-talité de l’âme. Kant se trouve dans une vision pré-darwinienne, proche du créationnisme.C’est aussi oublier que la définition de la vie, et de la vie humaine en particu-lier, dépend également de présuppo-sés philosophiques. Ces références à la dignité humaine ne sont donc le plus souvent pas neutres, elles sont réductrices et elles sont manipu-lées par un parti pris philosophique reprenant des conceptions spiritua-listes chrétiennes et se basant sur un plan finalisé de la nature. La dignité humaine, si elle n’est pas couplée à l’autonomie de la personne, cor-respondrait alors à la sacralité de la vie. Dans le concept du droit à mourir dans la dignité par exemple, la dignité ne peut être que couplée à l’autono-mie de la personne pour évaluer sa qualité de vie.Il est naturellement légitime de rap-peler que toute personne a le droit au respect et donc à la dignité. Mais il n’est pas normal que l’on utilise ce concept noble des droits de l’homme pour promouvoir des interdits à pro-pos de l’avortement, l’euthanasie, le clonage… et pour, dans les faits, limiter, voire diaboliser, toute pensée libre et tout débat critique. On essaie

par ce concept, utile dans certaines conventions, de clore un débat et d’exclure des positions évolution-nistes, laïques, athées. Comme dans le cas du créationnisme, le danger est donc qu’une tendance religieuse impose à toute la société sa propre conception de la dignité humaine. C’est clairement le cas dans des dé-bats concernant l’euthanasie ou le statut de l’embryon. Tout individu doit être respecté, mais qui décide de la dignité humaine ?

Procréatique

La reproduction humaine s’est, de-puis des millénaires, déroulée suivant des règles uniquement naturelles, impliquant l’enfantement dans la douleur et aussi une mortalité élevée de la mère et de l’enfant. Par après, la médecine moderne est parvenue à mieux la contrôler, à diminuer les taux de mortalité, à proposer des techniques contraceptives. Actuelle-ment, cette médecine propose bien d’autres possibilités court-circuitant la « nature » humaine via l’insémi-nation artificielle, la fécondation in vitro, le diagnostic préimplantatoire, la mère porteuse, la grossesse post-ménopause et bientôt le clonage. La fécondation in vitro permet de contrôler la première semaine du développement embryonnaire. Le transfert dans l’utérus se fait géné-

ralement au 2ème ou 3ème jour, mais peut se faire tout au long de la 1ère semaine, même au stade blastocyste. Les embryons non transférés peu-vent être aussi congelés à tous ces stades. En pratique, ils peuvent être utilisés pour un projet parental des géniteurs, être adoptés par un autre couple, être détruits, être utilisés dans un projet de recherche (relatif au traitement de stérilité, au déve-loppement embryonnaire précoce, aux cellules embryonnaires à usage thérapeutique, au clonage de cellules souches). Le fœtus d’une femme dé-sirant un enfant a une importance considérable ; il sera chargé d’amour et toute la cellule familiale le prendra en charge, mais l’inverse peut être vrai également, le fœtus peut être considéré comme quelque chose de dérangeant, de mal venu, de pénible. La vie humaine est liée à l’intention de donner la vie. Le plan d’une ville n’est pas une ville, le plan d’une vie hu-maine n’est pas une vie. La femme est la seule qui, en dernier ressort, dé-termine la situation sociale du fœtus. La fertilisation in vitro, la mère por-teuse éventuellement et même le clo-nage ne changent rien à ce principe.

Admettre cela, admettre que la vie humaine est un phénomène continu, implique que chacun puisse libre-ment définir la vie d’un être humain à concevoir en fonction de ses propres

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concepts philosophiques.Les réactions vis-à-vis du clonage, notamment thérapeutique, ne sont-elles pas dogmatiques ? Ne parle-t-on pas d’attentat à la condition hu-maine ? Même dans le domaine du clonage, ne pouvons-nous pas cou-pler science et conscience et propo-ser un humanisme de réflexions cri-tiques ? Pourquoi faut-il, de manière presque théocratique, condamner de manière véhémente et définitive le clonage thérapeutique ?Les interdits absolus et définitifs veulent être des réponses à des an-goisses existentielles, mais en même temps, ils imposent des limites aux libertés fondamentales. Défendre l’expérimentation humaine du clo-nage thérapeutique devient presque un délit d’opinion. Cependant, les possibilités de plus en plus précises du clonage thérapeutique commen-cent à « amadouer » les positions ab-solutistes du début. Et les angoisses du départ font petit à petit place à des espoirs thérapeutiques.Certains ont même proposé l’intan-gibilité du génome humain, lui accor-dant pratiquement un statut sacré. C’est abandonner tout raisonnement au niveau de la biologie moléculaire, c’est par exemple faire comme si les mutations n’existaient pas, ou les différents types de recombinaisons génétiques, ou la sélection naturelle de certains gènes, ou l’influence de certaines activités humaines telles que la médecine. L’Histoire (actuelle) montre que l’être humain intervien-dra (de plus en plus) sur le génome

humain et même que la thérapie génique et le clonage thérapeutique seront d’application dans le futur. L’évolution des sciences de la vie ne correspond plus aux présupposés religieux d’une intervention trans-cendante dans la vie humaine. Mais les a priori théologiques continuent à influencer les législateurs et à dres-ser des interdits. Les progrès des sciences de la vie sont cependant irréversibles et les interdits sont ra-pidement discrédités, de plus ce qui est interdit ici ne l’est pas ailleurs, induisant des inégalités entre les hommes. S’agit-il toujours de réels raisonne-ments en bioéthique ? Conscients ou inconscients ? A moins que ce soit parfois de l’hypocrisie. Quel raison-nement tenir devant les recherches sur les cellules souches ? Comment expliquer qu’en France, la loi de 2004 interdise toute forme de clonage, mais que la loi de 2006 permette une dérogation ; qu’en Allemagne, Autriche, Italie, il soit interdit de pro-duire des cellules souches embryon-naires, mais qu’elles puissent être importées ! Hypocrisie ! Non ?

L’ euthanasie

L’être humain en fin de vie qui ne sou-haite perdre ni sa dignité ni son au-tonomie pour cause de maladie incu-rable peut avoir recours à l’euthana-sie. Ce droit à mourir dans la dignité se réfère à trois concepts : - la liberté de l’individu et son autonomie dans

l’évaluation de sa fin de vie, le droit donc à son autodétermination, - le jugement personnel de la qualité de sa propre vie, considérée éventuel-lement comme insupportable, - la dignité de la vie à son propre regard, son estime de soi, mais aussi au re-gard des autres. Ce qui implique que la personne reste maîtresse de son corps et d’elle-même, ce qui suppose qu’elle ne soit pas aliénée ou asser-vie. Sa vie ne doit pas être instrumen-talisée par autrui, par un directeur de conscience de quelque religion que ce soit qui nous parle de la dignité comme étant une valeur absolue sur laquelle l’homme individuel n’aurait aucun pouvoir puisqu’elle appartien-drait à Dieu, à Allah... Ces détenteurs de vérités occultent la possibilité d’euthanasie par la mise en place de soins palliatifs en prétendant que dès lors la demande d’euthanasie ne se justifie plus.Il est bien entendu que tout malade doit bénéficier de soins de confort et de soins adaptés à son cas, mais qui sont-ils, ces soignants, pour décider de la dignité du mourant et de son désir ou non de survie. Ils prétendent les assister jusqu’au bout ! Ils aiment particulièrement l’image idyllique de la personne mourant avec le sourire, entourée des siens. Se posent-ils des questions concernant cette philoso-phie de bienfaisance qui date d’Hippo-crate? Jusqu’où assister la personne sans tomber dans le paternalisme?Le pape Jean-Paul II soulignait le caractère salvateur de la souffrance, mais qui a vu souffrir un proche mou-

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rant sait très bien que la souffrance avilit toujours, dépersonnalise et ne sanctifie jamais.En ce qui concerne les soins palliatifs, on se voile la face et on parlera d’ef-fets secondaires aux morphiniques, ce qui évitera d’utiliser le mot tabou d’euthanasie, même en termes pas-sifs.

Conclusions

Les sciences du vivant et de la santé font des avancées rapides, considé-rables et parfois même audacieuses, qui mettent la nature humaine en question. La fixité de la nature hu-maine, présente chez le philosophe Aristote et devenue un des dogmes de la théologie chrétienne, n’existe plus ! Darwin a « animalisé » l’homme, résultat d’une évolution commune à toutes les espèces animales. L’homme dorénavant manipule (voire dirige) la matière vivante et même l’esprit, depuis les développements de la neurobiologie.Mais vie et mort sont encore des thèmes où les religions veulent don-ner « un sens ». Comment expliquer qu’en septembre 1995, à la quatrième conférence mondiale de l’ONU à Pé-kin, il y eut une alliance entre des pays catholiques (naturellement le Vatican) et islamiques pour contes-ter le texte suivant : « La femme doit avoir la possibilité de contrôler et de décider librement de sa sexualité ainsi que de gérer sa santé sexuelle sans coercition, discrimination ou violence » ? Phrase trop révolution-naire probablement ? Curieux de dire que la sexualité est liée à la seule re-production, car, en fait, c’est revenir à une sexualité animale. La sexualité humaine (et celle des pongidés) s’en éloigne par une recherche du plaisir. L’humanisme politique est et a tou-jours été une conquête ; toute liberté qui n’est pas défendue finit par dis-paraître. Nous devons garder le goût de la liberté et continuer à oser dé-molir les stéréotypes si largement présents. L’humaniste doit rester autonome, il est en recherche per-pétuelle. C’est l’autonomie de l’exis-tence et la réflexion sur le monde qui s’opposent aux projets de vie clé sur porte proposés par les clergés. Chacun est libre de se réfugier dans des croyances mais que chacun soit libre également de refuser l’irration-nel, de refuser d’interpréter l’inex-pliqué par l’inexplicable et de le dire haut et fort, de mener l’être humain non vers un dessein (non) intelligent mais vers un destin intelligent. Il ne

doit pas être question de critiquer les croyants, mais d’être ferme sur le re-fus que les Eglises puissent imposer leurs morales dogmatiques et d’exi-ger une claire séparation de l’Eglise et de l’Etat. Depuis les Lumières (Enlightenment, Aufklärung), les sciences servent de modèle, voire d’idéal, à la société. Sans retomber dans le scientisme, il est cependant évident que les pro-grès récents dépendent de ce déve-loppement scientifique, et de l’édu-cation qui y est liée. Les sciences forment un savoir objectif, possédant une méthodologie universelle non dépendante d’intérêts particuliers. Mais les applications de plus en plus nombreuses (de la thérapie génique au clonage, de l’ADN recombinant à la neurobiologie, des techniques pro-créatiques aux xénogreffes…) ont des implications économiques, sociales et éthiques, ce qui justifie le contrôle par des commissions éthiques. La bioéthique de tradition judéo-chré-tienne considère encore l’être humain comme un être dualiste symbolique (matériel corporel et spirituel avec l’âme), comme un être de langage qui ne peut évoluer que par le langage. L’être humain est donc celui du logos, du langage. L’évolution à d’autres ni-veaux, comme par des manipulations génétiques, est ressentie dès lors comme dangereuse et immorale, car modifiant l’identité de l’être humain. Celui-ci ne pourrait évoluer humaine-ment que par des voies symboliques, il serait en dehors d’une évolution biologique. Au lieu de vouloir inter-dire ces « manipulations » de manière absolue, mieux vaudrait développer une culture scientifique dans nos so-ciétés pour éliminer des préjugés et des perceptions erronées. Toutes les découvertes humaines ont toujours donné lieu à des évaluations et si à chaque découverte, on avait appliqué des principes d’extrême précaution, aucun progrès n’aurait été possible. C’est une observation qui peut ai-sément s’étendre à l’ensemble des discussions bioéthiques : on est peut-être encore dans la fatalité de l’arbre de la connaissance et des fruits dé-fendus. Trop souvent, certains philo-sophes proposent des interdits sur la connaissance (clonage par exemple) ou des contrôles des consciences (sexualité, procréatique, euthanasie).Dans toutes les discussions bioé-thiques et dans celles relatives à la dignité humaine, il existe une oppo-sition entre une tendance désirant ne pas limiter les libertés individuelles et les progrès technoscientifiques et

une autre voulant limiter ces libertés au nom d’une conception religieuse de la vie humaine. Ce qui revient à dire que ceux qui ne reconnaissent pas la liberté individuelle et la dignité humaine confondent en réalité dignité et sacralité de la vie. Or la dignité est un principe, non une règle. Sa valeur est absolue, mais il est préférable que son sens demeure multiple sous peine de devenir une idéologie.Toute démocratie doit préserver la liberté de conscience des individus, quelle que soit leur religion ou l’ab-sence de religion. Il s’agit là tout simplement du principe laïque de séparation des Eglises et de l’Etat. Ce ne sont pas les religions qui nous donnent un ciment collectif, mais la politique qui, au-delà de nos diffé-rences, nous propose, croyants ou non, l’égalité.

Charles SusanneMyriam Wauters

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Nous ne nous préoccuperons pas ici de l’essence même du phéno-mène religieux. On peut dire de la religion qu’elle est la quête de ce qui importe pour fonder la réalité. « Ce qui importe » est du domaine de la foi, peu chaut quel en soit l’objet : il ne serait pas illégitime d’affirmer que tout un chacun en a fait l’expérience et l’a au moins gardée en réserve pour éclairer les moments fatidiques de l’existence. Cette expérience renvoie aux profondeurs les plus essentielles de l’être, à ce qui constitue ce que l’on a coutume d’appeler la dimension ontolo-gique. Il n’est pas certain que la démarche psychanalytique dans ce qu’elle a de plus pointu puisse rendre compte de cette dimen-sion-là.

La reconquête

Tout différent est l’univers de la croyance, bien que la confusion

soit souvent entretenue sur une base lexicale, lorsque « fidèle » et « croyant » sont utilisés de manière interchangeable. Les religions repo-sent sur des croyances, lesquelles consistent en contenus contingents à des lieux et époques donnés ve-nant alimenter les fois individuelles, pour souvent se constituer en corpus autonomes. Les croyances ont pour socles des dogmes : ceux-ci ne condi-tionnent pas seulement des proposi-tions intellectuelles (« Dieu est un »), mais, dans la foulée, des prescrip-tions de comportement et de pensée (« Tu prieras cinq fois par jour », ou « Tu ne mangeras pas de viande le vendredi »). Des agents spécialisés composent ce que l’on désigne habi-tuellement par « clergé ».1 Ces « gar-diens de la croyance » (par erreur appelés « gardiens de la foi » : celle-ci se garde en principe bien toute seule) exercent sur leurs ouailles des pressions plus ou moins fortes pour que se maintiennent dans les repré-sentations du monde et les conduites collectives la plus grande orthodoxie possible. Les prescriptions qu’ils édictent sont souvent d’ordre irration-nel et arbitraire, et peuvent évoquer d’antiques superstitions. Ce n’est pas sur ce terrain que je vais bâtir ici mon argumentation. L’obligation pour les femmes de porter le voile, dans l’islam, ou, pour tous les croyants, celle d’observer un jeûne de quelques heures avant d’ingurgiter un bout de pain censé contenir le corps du fils de Dieu, chez les chrétiens, font partie, avec bien d’autres, de cet arbitraire.

1 Au sens durkheimien du terme, de personnel spécifique au service d’une institution ecclésiastique, ne consistant pas nécessairement en « prêtres » mais bien à tout le moins en « ministres » du culte.

Mais on trouvera de l’arbitraire dans les domaines de l’existence en socié-té qui ne sont pas directement reliés aux religions, entre autres dans les phénomènes de mode, notamment vestimentaire.

Le retour des dogmes

L’Occident aurait vécu depuis deux bons siècles sous l’égide de la sécu-larisation, caractérisée par le phéno-mène du désenchantement décrit il y a déjà longtemps par le grand so-ciologue allemand Max Weber. Cette notion concerne le retrait progressif, et pas toujours sans heurts et sans retours en arrière, des religions hors de l’espace public (pris ici dans son sens métaphorique d’agora), du moins dans les pays occidentaux conquis tout aussi progressivement aux idées démocratiques. Les Eglises ont vu se rétrécir leur champ d’inter-vention, tout en conservant quelques lambeaux encore souvent de portée considérable, comme l’enseignement dans notre pays (mais cette influence y est devenue davantage institution-nelle qu’idéologique). La majorité des citoyens des régions sécularisées, même s’ils se déclarent encore à l’occasion « croyants », ne prêtent plus guère grande attention aux in-jonctions des magistères ecclésias-tiques. Il s’agit là, dit d’une manière lapidaire qui mériterait un examen plus approfondi, d’un héritage -dure-ment acquis- des Lumières.C’est un héritage actuellement for-tement menacé. L’arrivée dans nos contrées d’une immigration mar-quée par l’islam, provenant des pays qui n’ont pas connu l’ensemble des phénomènes que l’on subsume dans cette appellation de Lumières, a sin-gulièrement modifié la donne en ce qui concerne la place des croyances dans les débats publics. Car, si l’on

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envisage la sécularisation « comme un processus de séparation de l’Etat, du droit, de l’enseignement (et des vérités enseignables), des mœurs publiques, des valeurs morales offi-cielles ou prédominantes »2, celle-ci est fortement battue en brèche par diverses tentatives de réappropria-tion de l’espace public, dont les mou-vements généralement dits « isla-mistes » constituent le fer de lance. Mais il n’est pas nécessaire d’être un fanatique du jihad collectif pour mettre en cause divers aspects de la-dite séparation, tels par exemple les matières enseignables (l’évolution biologique), les mœurs publiques (le port du voile), etc. Le temps n’est plus où l’on pouvait affirmer que le monde séculier et l’Etat ont « arraché » ainsi au bout du compte aux Eglises (au sens d’institutions religieuses orga-nisées) la partie rationnelle de leurs activités (conserver et recopier des manuscrits, gérer des asiles et des hôpitaux, enseigner aux enfants), ne leur laissant – tangentiellement- que le magique (transsubstantier le pain et le vin, effacer les péchés) »�. En-core que cet arrachage n’ait pour ainsi dire jamais été complet, sauf parfois dans les pays du socialisme dit « réel » ; il s’est agi, plutôt, étalé sur plusieurs siècles, d’un combat jamais achevé, dont l’issue semble moins certaine qu’autrefois. La ten-dance est actuellement en voie d’être renversée, grâce notamment au sou-tien de personnalités comme Nicolas Sarkozy, dont on se rappellera les propos tenus au Vatican et ailleurs, en contradiction avec l’esprit des lois de séparation des Eglises et de l’Etat.L’islam orthodoxe, du reste, n’est pas le seul porteur de cette esquisse de renversement de tendance. Il sert de « tracteur » à d’autres mouvements issus d’autres mouvances religieuses marquées du sceau du retour : Juifs orthodoxes, intégristes catholiques, fondamentalistes protestants. Ces mouvements piétinent d’impatience dans la brèche ouverte par les acti-vistes musulmans, avec parfois l’ap-pui des dirigeants de leur institution de référence à l’exemple du pape Benoît XVI, zélé promoteur d’un re-virement par rapport aux avancées nées du Concile de Vatican II.Si on voit le radicalisme islamique, au nom de dogmes réactivés, récla-mer des repas hallal dans les écoles, la séparation des genres dans les

2 ANGENOT,M, En quoi sommes-nous encore pieux ? Sur l’état présent des croyances en Occident, Québec, Presses de l’Université de Laval, 2009, p. 12.

piscines, la répression de textes ou d’images supposées blasphé-matoires, dans le même temps, les courants réactionnaires de l’Eglise catholique repartent à l’assaut des dispositions légales concernant l’avortement ou stigmatisent les homosexuels, tandis que les sectes évangéliques proclament la fausseté de la théorie de l’évolution issue des travaux de Darwin, pouvant ainsi se réclamer de personnalités comme Sarah Palin. Chez nous, le nouvel archevêque de Malines –Bruxelles, Mgr Léonard, est à la pointe de cette entreprise de reconquête. Le radica-lisme islamique lui aura été fort utile comme à tous les autres partisans de la réaffirmation du primat des dogmes sur les lois régissant le fonc-tionnement de l’espace public. Les dogmes, en effet, sont ainsi appelés à quitter la sphère privée pour revenir en tant qu’ « univers symboliques de légitimation » des conduites, tant in-dividuelles que collectives.

Les idiots utiles

Dans leur entreprise de reconquête, ceux et celles qui en sont les pro-moteurs sont aidés par les « idiots utiles », pour reprendre une ex-pression née au sein du marxisme-léninisme. Seront ainsi désignés ceux et celles qui plaideront pour la conclusion, avec les activistes reli-gieux, d’ « accommodements raison-nables », notamment en matière de repas scolaires, de mixité dans di-vers lieux publics, etc.3 L’illustration la plus frappante de leur action se donne à voir dans les débats autour du « voile islamique », dans ses divers avatars. Refusant d’y voir l’affirma-tion d’une prise de position politique -qu’elle soit ou non consciente de la part de ses protagonistes importe peu ici-, les idiots utiles, en l’occurrence, se focalisent sur la défense d’une liberté individuelle, celle, pour une femme, de se couvrir ou non la tête au nom d’une injonction religieuse. Ils se refusent à considérer qu’une valeur collective, en l’occurrence l’égalité proclamée entre femmes et hommes, devrait l’emporter sur une valeur reposant sur une détermina-tion individuelle : égalité commune contre liberté singulière. Cette éga-lité, du reste, ne devrait être observée que dans les espaces où la puissance publique se manifeste expressément. Nul adversaire du voile, que je sache,

3 Voir sur cette notion mon ar-ticle « Est-ce bien raisonnable ? » dans Morale Laïque, N°164, 3e trimestre 2009.

n’a jamais réclamé que celui-ci soit proscrit en rue.4 Il ne s’agit que d’en interdire le port, de même que celui d’autres signes ostentatoirement re-ligieux ou idéologiques, dans les lieux où doit s’affirmer la neutralité de l’Etat et des institutions qui relèvent de son autorité.5

Il est piquant de constater que les « idiots utiles » se réclament souvent d’un positionnement net à gauche sur l’échiquier politique, ce qui rend surprenant leur défense d’un droit individuel, eux qui ont souvent mé-prisé les libertés dites « formelles », au détriment d’une ressource englo-bante concernant tous les citoyens6. Il est vrai que leur choix procède souvent de considérations plus pro-saïquement partisanes. Ce faisant, ils consolident toutefois la fragmen-tation de la société en « communau-tés » plus ou moins imperméables les unes aux autres. La perspective d’ethnicisation des rapports sociaux ne favorise certes pas l’intégration des populations venues d’ailleurs. Notons que leurs prises de position ne concernent pas que le seul port du voile. La ghettoïsation est rampante. Dans certains pays, on a cru que c’était le prix à payer pour garantir le maintien de la paix sociale. Tant au Royaume-Uni qu’aux Pays-Bas, les thuriféraires de cette fragmentation sur base « communautaire » ont dû déchanter.Encore un mot : si la reconquête est le fait de dispositifs religieux installés, il ne faudrait pas en conclure au retour des religions. C’est de religiosité qu’il s’agit, donc de respect des dogmes et des pratiques que ceux-ci comman-dent. Pour ce qui est des religions proprement dites, elles restent dans leurs fondements théologiques et philosophiques inconnues du plus grand nombre. On ne sait s’il faut vraiment s’en réjouir.

Claude Javeau

4 Il n’en va pas de même de la burka ou du niquab, qui peuvent être considérés comme dangereux pour la sé-curité publique.5 Voir GEERTS, N., Fichu voile, Bruxelles, Ed. Luc Pire, 20106 Avec François Julien, je pré-fèrerais parler de « ressources » plutôt que de « valeurs », terme fort galvaudé de nos jours (JULIEN, Fr., Le Pont aux singes, Paris, Galilée, 2010).

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Depuis janvier 2008, une procé-dure judiciaire oppose l’écrivain Pierre Mertens au leader na-tionaliste flamand, le premier ayant accusé le second de néga-tionnisme, ce dont ce dernier se défend. Au printemps dernier, le parquet demandait l’extinction des poursuites. Pierre Mertens réclame, lui, la tenue du procès. Polémique.

Petit rappel des faits. Le dimanche 28 octobre 2007, Patrick Jans-

sens, ancien président du SP.A et bourgmestre d’Anvers, présentait au nom du collège échevinal les excuses officielles des autorités de la métro-pole portuaire pour le rôle joué par celles-ci dans la persécution et la dé-portation des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale. Une déclaration si-milaire à celle du Président français Jacques Chirac concernant la rafle du Vel’d’Hiv à Paris. Janssens avait déjà présenté ces excuses auparavant, mais à titre personnel. Ce 28 octobre, c’est un message vidéo qui était pro-jeté devant le « Joodse Forum » qui organisait un colloque en mémoire des victimes de la Shoah.Immédiatement, Bart De Wever, pré-sident de la N-VA et conseiller com-munal anversois, qualifiait ces ex-cuses de « gratuites (…) prononcées par opportunisme, la lutte contre le Vlaams Belang. Anvers n’a pas or-ganisé la déportation des Juifs, elle fut la victime de l’occupation nazie. Les responsables anversois devaient prendre des décisions. Les attaquer ne me paraît pas très courageux ». Et d’ajouter qu’ « Israël occupe des territoires palestiniens où ils utilisent des techniques qui me rappellent ce sombre passé ». Tollé dans la com-munauté juive à laquelle De Wever devait à son tour présenter des ex-cuses pour ses propres propos.

Pierre Mertens allume la mèche

Quelques jours plus tard, dans un article publié par le quotidien « Le Monde », Pierre Mertens qualifiait Bart De Wever de « leader résolu-ment négationniste » avant de récidi-ver dans l’hebdomadaire « Knack » : « Quelqu’un qui pense devoir sous-estimer la responsabilité de l’admi-nistration communale anversoise, collaborant dans les poursuites à l’encontre des Juifs, commet un délit négationniste. C’est du même ordre quand les Turcs minimisent le génocide arménien - on parle aussi de négationnisme ». D’où la plainte avec constitution de partie civile du président de la N-VA, qui précise dans celle-ci qu’ « Anvers n’organisa d’ailleurs pas les poursuites contre les Juifs, mais en tant que ville fut aussi victime de l’occupation nazie. Les dirigeants durent prendre des dé-cisions dans des circonstances diffi-ciles. Je ne trouve pas très courageux de frapper ces gens dans le dos ». Une sorte de « persiste et signe », phéno-mène d’autant plus curieux que Bart De Wever insiste très régulièrement sur sa formation d’historien.Au printemps dernier, trois ans et demi plus tard, on croyait la pro-cédure enterrée, d’autant qu’après une enquête qui s’est résumée à

Bart De Wever négationniste ?

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l’audition des deux protagonistes, le parquet de Bruxelles demandait à la Chambre du Conseil de décla-rer les faits prescrits. A la surprise quasi générale, Pierre Mertens et ses conseils réclamaient un débat devant le tribunal correctionnel (ils visaient auparavant la Cour d’Assises pour délit de presse) et son acquittement, « seule façon d’être restauré dans sa dignité de citoyen et d’écrivain suite à la plainte de Monsieur De Wever ».Si ce dernier ne fit pas de commen-taires (la prochaine audience de la Chambre du Conseil se tiendra le 13 décembre prochain), la polémique que l’on croyait éteinte reprit là où on ne l’attendait pas, dans le monde francophone d’une part et dans la communauté juive d’autre part.Sur fond de polémique communau-taire, Olivier Maingain, président du FDF, reprenait le terme de négation-niste en parlant de De Wever. La suite ne manque pas de sel puisque c’est du cabinet de Bernard Maingain, avocat de Pierre Mertens et frère de l’autre, que partit un communiqué de presse dans lequel l’écrivain refusait que son propos soit repris par l’homme politique…

Malaise dans la communauté juive

Du côté de la communauté juive, Si-

mon Gronowski, ancien président de l’Union des déportés juifs, évadé du 20ème convoi de déportation et avo-cat, mettait les pieds dans le plat en publiant une carte blanche dans « Le Soir », y développant un argument non dénué de pertinence : « Mais qui dit procès, dit incertitude. Si Pierre Mertens fait ce procès, il faut espé-rer qu’il le gagne mais il pourrait le perdre et être condamné, ce qui aug-menterait l’antisémitisme tandis que Bart De Wever apparaîtrait comme victime et gagnerait en popularité ». Et d’ajouter que « la Shoah appar-tient à l’universel : personne ne peut la confisquer. On ne peut l’invoquer à des fins étrangères aux souffrances des martyrs, ce serait les tuer une seconde fois. Si Pierre Mertens agit pour lui-même, ce que je ne crois pas, ce serait son droit mais pas au nom de ma mère et de ma sœur mortes dans la chambre à gaz d’Auschwitz-Birkenau, de mon père mort déses-péré en 1945 et de toute ma famille paternelle et maternelle massacrée à l’Est dont le seul tort était d’être nés juifs, sans parler des autres victimes des nazis ».Si Pierre Mertens lui répondait en soulignant que « minimiser le fait est déjà le nier », le Centre Communau-taire Laïc Juif, dans sa revue « Re-gards », exprimait le malaise existant au sein de la communauté : « Le débat est légitime et on peut comprendre

que Simon Gronowski et d’autres considèrent que les propos inaccep-tables de De Wever ne peuvent être rangés dans la catégorie négation-niste ». Quant à l’Association pour la Mémoire de la Shoah, c’est en termes très mesurés qu’elle prenait la dé-fense de l’action judiciaire de Pierre Mertens : « Le leader de la NV-A flirte avec le négationnisme. Un négation-nisme dont le silence politique sur la Shoah en Belgique contribue à faire le lit. Par le débat qu’il impliquerait, le procès relatif au « négationnisme » allégué de Bart De Wever serait, quel qu’en soit le verdict, une occasion bienvenue de faire la lumière sur une responsabilité tragique de notre pays d’une part et sur les dérives et im-passes politiques que sa non-recon-naissance a favorisées ».Alors, Bart De Wever, négationniste ou pas ? En Flandre, il n’est en tout cas pas considéré comme tel. Ainsi, en avril 2009, Patrick Janssens, par-lant du leader nationaliste dans le mensuel « Contact J » du Cercle Ben Gourion, déclarait : « On peut dire beaucoup de choses de lui mais il est intellectuellement honnête. Il peut être populiste mais ce n’est pas un menteur. Quand il dit quelque chose, c’est parce qu’il en est convaincu. Il s’est corrigé car il a compris qu’il avait fait une erreur ». Plus récem-ment, Wouter Van Besien, président de Groen ! et bourgmestre de Borge-

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rhout, une commune de la périphérie anversoise, expliquait dans une in-terview à « La Libre Belgique » que « quand Maingain dit que De Wever est un négationniste, tout le monde sait bien que c’est faux. Je viens d’An-vers, je connais De Wever et je sais bien qu’il n’a jamais nié l’Holocauste. C’est un mensonge et tout le monde le sait parfaitement ».

La spécificité anversoise

La défense de Pierre Mertens pointe encore une petite phrase d’un article de Bart De Wever parue fin 2007 dans « De Standaard », dans laquelle il se dit « conscient de la controverse qui divise les historiens qui se sont concentrés sur l’histoire de l’Holo-causte au cours des dernières dé-cennies ». Curieuse formulation car la seule « controverse » sur l’histoire de l’Holocauste est précisément celle menée par ceux qui nient l’existence du génocide des Juifs. Y aurait-il controverse quant à ce qui s’est passé à Anvers ? Toutes les études historiques mon-trent que non1 et que les Autorités anversoises eurent une attitude spé-cifique par rapport à la persécution des Juifs, née sur le terreau fertile des penchants pour l’Ordre Nouveau des organisations flamingantes. C’est à Anvers qu’est née l’organisation « Volksverwering » dont la tâche prin-cipale était de persécuter les Juifs. En 1938, la « Vlaamsch Volksblok » a mené une campagne électorale anti-sémite. En 1939, le barreau d’Anvers excluait de ses rangs les avocats juifs. En avril 1941, après la projec-tion du film de propagande antisémite

1 On lira par exemple L’Etoile et le fusil de Maxime Steinberg, Ed Vie Ouvrière, 1983 ; Etrangers dans la cité, Anvers et ses Juifs (1880-1944) de Lieve Saerens, Ed Labor, 2005 ; La Belgique docile, Les autorités belges et la persécu-tion des Juifs, Rapport du Centre d’études et de documentation guerres et société contemporaines (Ceges), Ed Luc Pire, 2007.

« Le Juif éternel », ce sont les flamin-gants et non les nazis qui descendent dans les rues de la métropole anver-soise pour y molester les passants israélites et saccager les synagogues et les magasins juifs, sans susciter la moindre réaction des autorités. En juillet 1941, le conseil de l’ordre d’Anvers n’inscrit plus, d’initiative, les avocats juifs au tableau. Au même moment, à Bruxelles, l’ordre décide de ne plus publier son tableau…

En septembre de la même année, les autorités anversoises interdisent aux Juifs de se promener dans les parcs et un an plus tard, de fréquenter les salles de spectacle et de monter dans certains trams. Mais ce sont sur-tout les trois rafles de l’été 1942 qui donnent leur caractère spécifique à l’action antisémite des autorités de la ville d’Anvers : sur ordre du com-missaire en chef Jozef De Potter, lui-même couvert par le bourgmestre Léo Delwaide, les policiers anversois participent avec les nazis aux pre-mière et troisième rafles alors qu’ils agissent de manière autonome lors de la deuxième. Feu l’historien Maxime Steinberg a comparé, par leur am-pleur, les rafles d’août 1942 à Anvers à celle du Vel’d’Hiv à Paris, où la po-lice parisienne joua le même sinistre rôle que son homologue anversoise. Les statistiques de l’horreur sont implacables : à Anvers, 65% des Juifs enregistrés ont été victimes de la so-lution finale contre 37% à Bruxelles, 35% à Liège et 38% à Charleroi.

Lorsque Bart De Wever minimise voire nie le rôle des autorités anver-soises dans la persécution des Juifs, ses motivations sont à l’évidence po-litiques, liées à l’histoire trouble du mouvement flamand. Cela en fait-il pour autant un négationniste au sens de la loi belge ? Ce sera au tribunal de Bruxelles de trancher. Mais c’est loin d’être gagné d’avance.

Philippe Brewaeys

Pierre Mertens viendra faire une conférence à l’AML de Molenbeek sur ce sujet et sur la réédition de son roman « Les éblouisse-ments » en compagnie de l’un de ses avocats francophones (Bernard Maingain et/ou Alain

Berenboom) le 30 novembre prochain

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Dans le courant du premier tri-mestre 2011, la République Po-pulaire de Chine a ravi à son rival de toujours, le Japon, la place de deuxième économie mondiale.

Son poids démographique, même bridé par la politique restrictive

de l’enfant unique mis en place en 1979 par Deng Xiao Ping, mais assez flexible pour s’adapter aux diverses réalités socio-économiques des ré-gions, et largement facilitée par une évolution sociale favorable à une baisse démographique, l’aide beau-coup dans sa volonté de reconquérir son statut de grande puissance com-mencée essentiellement à partir de la Révolution 1949 de Mao Tsé-Toung. Les réussites incontestables qui vont de la bombe atomique en 1964 à l’organisation des Jeux Olympiques de 2008 en passant par l’aventure spatiale ne l’empêchent pas d’être consciente d’un certain nombre de ses faiblesses résultant de sa taille géographique et démographique. La Chine, qui n’a pas un désir particu-lier de devenir une superpuissance, cherche surtout la reconnaissance de sa puissance et de ses intérêts en appliquant avec fermeté et constance les principes de non-intervention-nisme réciproque et de développe-ment pacifique mutuel.Le mouvement constant de la per-manence chinoise s’exprime avec vi-gueur dans ses Constitutions et leurs amendements. Elle est à la fois « la matrice de l’ensemble des lois » et une image assez fidèle de l’évolution du pays en mettant en évidence son sens pragmatique.

Une manière de penser, de voir et d’appréhender le monde, bien dif-férente de celle que l’on nomme par facilité la pensée occidentale, transparaît clairement dans ce texte fondamental qui n’est pas un contrat social à l’instar des Constitutions américaine ou française.Ainsi, un des points les plus sensibles pour le pouvoir chinois, les droits de l’homme, a fait l’objet d’un ajout re-marqué par la communauté interna-tionale en 2004. L’article 33 précise que « l’Etat respecte et protège » ces droits. Cependant, les critiques chinoises à son égard persistent :• l’universalité reconnue des

droits de l’homme ne masque pas son origine occidentale;

• l’absence trop marquée des par-ticularités sociales et culturelles n’accorde pas suffisamment de place à la conception confu-céenne de l’individu, qui valo-rise avant tout l’harmonie entre les êtres humains au sein d’une communauté. La préservation de l’ordre social et naturel se fait par les respects des devoirs et obligations réciproques des différents membres dans les po-sitions qu’ils occupent dans l’en-semble. Tout le contraire pour de nombreux Chinois qui résument la société occidentale par la li-néarité du temps dans lequel se meuvent des individus surtout in-téressés par la défense de leurs intérêts propres. La recherche de l’absolu ne cadre pas avec la volonté de rétablir l’équilibre ori-

La Chine, une évolution pas si extraordinaire

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reconnues par les autorités locales sont initiées par des provinciaux d’ori-gine sociale diverse. Ailleurs, dans la province du Hubei, la baisse des al-locations publiques et l’incapacité à mobiliser les ressources nécessaires conjuguées au manque de volonté politique poussent les autorités pu-bliques à tout simplement vendre la totalité des écoles primaires et se-condaires de base avec des accords de répartition des bénéfices entre enseignants, investisseurs privés et autorités locales.

La Chine, tout au long de la seconde moitié du XXème siècle et dans cette première partie du XXIème, a fourni un effort considérable pour se fa-çonner « un Etat socialiste riche et puissant, démocratique et civilisé ». A mi-parcours de cette réalisation, elle a suivi assez fidèlement les méthodes des pays occidentaux dans l’affirma-tion de leur statut de pays riche en surfant sur cette vague montante du néo-libéralisme des années 80. L’Etat providence chinois a reculé dans tous les domaines et les règles du marché se sont imposées. Les dépenses pu-bliques pour les activités d’intérêts communs n’ont pas connu les mêmes taux de croissance que celui du RNB. Les inégalités se sont accrues par l’accaparement des nouvelles ri-chesses par les nouveaux entrepre-neurs. La Chine s’est aussi occidentalisée dans la vie quotidienne des gens et il n’y a aucun paradoxe ni contradiction dans l’intégration et l’assimilation de certains de ses objets, compor-tements et valeurs qui semblent, a priori, aller à l’encontre de sa propre définition et de son affirmation dans un monde global et globalisant, car sa centralité se définit toujours par rapport à la même périphérie géo-graphique, politique, économique et sociale. Le mandat « céleste » des dirigeants est et restera toujours l’administration harmonieuse, c’est-à-dire sans conflit qui mettrait en danger son existence dans la défi-nition qu’elle s’est donnée de ce qui, dans ce monde, est social et naturel.

Chu Chi How

des approvisionnements tous azimuts qui sont sécurisés par des investisse-ments directs. Ceux-ci se font sous deux principes d’actions largement partagées par les anciennes colonies africaines et autres pays ayant connu des situations similaires, qui sont la non-ingérence totale et une coopéra-tion d’égal à égal.

La satisfaction de la demande de biens de consommation a aussi un prix écologique. L’Empire du Milieu est considéré comme le plus gros consommateur d’énergie du monde devant les États-Unis. D’origine fos-sile principalement, cette consom-mation mise en rapport avec sa popu-lation de référence ne la place qu’à la 39ème car, par habitant, il consomme cinq fois moins que l’ogre américain et trois fois moins que la Belgique. La lutte contre le réchauffement global et la protection des environnements naturels divisent, quant aux efforts à fournir, les pays riches et ceux en voie de développement, dont la Chine fait incontestablement encore partie. La revendication au droit à consommer et à se développer comme les Occi-dentaux et l’obligation de protéger la terre ont du mal à cacher les pa-radoxes et contradictions révélateurs des désirs et intérêts économiques sous-jacents.

Le développement social a égale-ment enregistré des progrès très significatifs. L’école de base tout comme les soins de santé fondamen-taux pour tous imposés par la Chine de Mao se sont libéralisées petit à petit à partir des années 80 pour fi-nalement devenir un vaste marché. L’éventail des modèles et des types d’établissements scolaires va de l’école publique- pilote qui se place de par son recrutement professoral, sa population cible, son budget et ses infrastructures au sommet de la hié-rarchie scolaire à l’école privée qui peut aussi bien être un concurrent de l’école publique-pilote qu’un établis-sement de base rural non reconnu. Entre ces extrêmes, l’éventail des combinaisons public-privé est large et accentue les inégalités à l’image de l’ensemble de la société chinoise. Aussi, une hiérarchie des écoles se dégage explicitement sur base des différences de densité géographique, du statut des établissements, de la population cible et des revenus finan-ciers. Ce véritable marché est ouvert à tous. A Shanghai, les écoles privées dont seulement un quart environ sont

ginel des choses de ce monde;• la primauté des droits socio-

économiques sur les droits poli-tiques.

Mais l’essentiel de cet ajout se situe surtout dans l’obligation étatique de faire respecter les droits de l’homme qui, du coup, deviennent un élément de l’intérêt commun.

Dans les faits, la République Popu-laire de Chine se démocratise à petit pas par les conséquences naturelles de l’évolution socio-économique et une volonté politique de la faire en-trer définitivement dans le cercle des nations modernes. La transmission du pouvoir se fait pacifiquement; l’Armée Populaire de Libération a échangé son complexe militaro-in-dustriel contre sa modernisation, le niveau scolaire s’élève, l’émigration estudiantine s’accroît, les médias audiovisuels et électroniques se dé-veloppent et les libertés individuelles non politiques sont des réalités bien concrètes.

La métamorphose de l’économie chinoise, qui brille aujourd’hui de mille feux, vue de l’Occident, a com-mencé avec Deng Xiao Ping, en 1978, avec son « économie socialiste de marché » et son ouverture au monde extérieur, car l’économie de marché ne serait pas incompatible avec le socialisme et ses performances sont exemplaires. Le PIB, entre 1980 et 2011, explose ; et pourtant, ce rythme de croissance soutenu et très élevé ne permet pas encore au Pays de la Prospérité d’entrer dans le club res-treint des pays dit riches.Le poids de la population ramène tous les indicateurs absolus à des données beaucoup moins exceptionnelles. Cette « usine du monde », qui tra-vaille essentiellement pour l’OCDE, a surtout illuminé sa façade maritime car une bonne partie de l’intérieur du pays s’éclaire encore avec modestie. Plus de la moitié de la population vit hors des villes et l’agriculture repré-sente encore 40% de l’activité écono-mique.En 2005, le PIB relativisé par rap-port à sa population faisait reculer la Chine d’un peu moins de cent places dans le classement des économies du monde loin, derrière le Japon qui était 2ème en absolu et 19ème par habitant. La Chine, qui produit beaucoup avec une efficacité relativement moyenne, est devenue par la force des choses aussi l’un des acteurs principaux sur le marché des matières premières avec

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En 2007, vous avez consacré votre doctorat à l’étude des représen-

tations médiatiques de « l’autre » communauté dans les médias des deux côtés de la frontière linguis-tique belge. Qu’avez-vous pu consta-ter?

Dans ce doctorat, j’ai effectué une analyse à la fois quantitative et qua-litative des journaux télévisés et émissions politiques sur les chaînes flamandes VRT et VTM, ainsi que les chaînes francophones RTBF et RTL-TVI. Pour les JT, il s’agissait de 2003 et 2004. A ce moment-là, les tensions communautaires commençaient à monter, sans qu’on puisse parler de crise. Sur le plan quantitatif, l’at-tention attribuée aux informations qui concernaient l’autre côté de la frontière linguistique était limitée à quelques pour cent. La politique fé-dérale, par contre, était bien sûr sui-vie sur toutes les chaînes. Mais ce qui était assez surprenant, c’est qu’elle était traitée de façon assez différente.

Du côté flamand, 80 pour cent des mi-nistres fédéraux interviewés étaient néerlandophones, par contre, du côté francophone, 80 pour cent des ministres fédéraux étaient franco-phones. Donc, bien que des ministres fédéraux prennent des décisions qui concernent les habitants du pays entier, pour les JT, leur valeur infor-mative dépend de leur appartenance linguistique.»

Une sélection faite par les médias,

qui ne s’avère donc pas complète-ment innocente ?

Cette sélection au niveau des acteurs politiques entraîne inévitablement des conséquences au niveau du contenu de l’information. En effet, le public entend surtout la vision des protagonistes de sa propre commu-nauté linguistique. Ainsi, les médias s’inscrivent dans le consensus poli-tique de cette communauté, ils adhè-rent à la perspective de leur groupe linguistique. Les spectateurs restent ignorants des visions alternatives.

Permettez-moi d’illustrer ceci avec le dossier de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV). En 2004-2005, j’ai analysé tous les débats autour de BHV dans les émissions d’actualité Mise au point (RTBF) et De zevende dag (Eén). Il s’avérait que le dossier était présenté de manière complètement différente dans les deux émissions. A la VRT, tous les débats partaient de la pré-misse que BHV devait être scindé, c’était évident, tandis qu’à la RTBF, la prémisse était que BHV ne pou-vait pas être scindé, c’était tout aussi évident. Des deux côtés, on partait du consensus politique de la propre communauté. On ne pouvait donc ja-mais assister à un débat sur le fond de la question, entre ceux qui veulent scinder et ceux qui ne veulent pas. A la place, on interpellait les politiciens de sa propre communauté pour leur rappeler les promesses non tenues qu’ils avaient faites sur la question.

Plus d’un an sans gouverne-ment. Le dialogue se bloque, les esprits s’échauffent. Dans les médias, les politiciens se jettent la pierre, souvent au-delà de la frontière linguistique. La tête de Turc dans la Belgique franco-phone: Bart De Wever (N-VA), le bouc émissaire en Flandre: Elio Di Rupo (PS). On peut se poser la question de savoir si la repré-sentation de l’autre communauté linguistique dans nos médias est toujours objective. Dave Sinar-det, professeur et politologue à la Vrije Universiteit Brussel et à l’Université d’Anvers, analyse les représentations de l’autre communauté dans les médias flamands et francophones. Inter-view.

Les médias portent parfois les mêmes lunettes que les partis nationalistes

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En mettant les politiciens au pied du mur sans tenir compte du cadre plus large et sans ouvrir le débat aux nouvelles perspectives, les médias contribuent à une radicalisation du dossier. En ce qui concerne B-H-V, il y avait même une représentation différente et incorrecte de certains éléments du dossier. En Flandre, les politiciens renvoyaient souvent à un arrêt de la Cour constitutionnelle, en soulignant que cet arrêt demanderait la scission de B-H-V. Cela n’est pas le cas : l’arrêt appelle seulement à trouver une solution. Les médias ont longtemps repris cette erreur dans leur information, sans doute ne l’ont ils pas bien vérifiée. Par contre, dans le sud, l’arrêt n’était même pas men-tionné, quoiqu’il s’agisse d’un docu-ment important dans ce dossier. Le résultat est une information défec-tueuse qui mène à une polarisation. Peut-on dire que vos conclusions, établies en 2007, valent toujours au-jourd’hui?

Il faut dire que, depuis 2007, les mé-dias sont devenus plus sensibles à la problématique de la représentation de l’autre communauté, ce qui est largement dû au climat communau-taire qui s’est développé à partir de fin 2006. D’abord il y a eu le vrai-faux journal Bye Bye Belgium à la RTBF (13/12/2006, on y annonçait la décla-ration unilatérale d’indépendance de la Flandre, JVG). Cette émission a fait surgir en Flandre la question « mais que pensent-ils de nous? ». Ensuite, il y a eu la crise communautaire. La fusillade de Yves Leterme (CD&V) dans les médias francophones et de Joëlle Milquet (CDH) dans les médias néerlandophones a révélé de manière pénible la représentation stéréoty-pée des politiciens de l’autre côté du pays. Le problème c’est qu’on est sur-tout devenu plus sensible à la ques-tion : « quelle image les médias de l’autre communauté donnent-ils de nous ? », et pas encore suffisamment à la question « quelle image donne-t-on de l’autre communauté ? ».

Et donc, les mêmes mécanismes mé-diatiques continuent à influencer l’in-formation en 2011. Des deux côtés de la frontière linguistique, on retrouve toujours la tendance à adhérer au consensus de sa propre communauté. En plus, on continue à homogénéiser une communauté ou une région. En Flandre, la vision d’Elio Di Rupo est représentée comme celle des franco-phones, comme si la Wallonie consti-

tuait une identité unique. Et dans les médias francophones, les propos de Bart De Wever sont tenus pour l’opi-nion de tous les Flamands, alors que les visions alternatives - socialistes, libérales ou vertes – sont beaucoup moins considérées comme repré-sentatives de « la Flandre ». Ainsi, on aboutit à des images stéréotypées. En plus, les médias ont tendance à cadrer chaque problème à travers des lunettes communautaires. Une querelle entre le PS et l’Open Vld est représentée comme un conflit fran-co-flamand, même si le MR suit la vision d’Open Vld.

J’irais même jusqu‘à dire que, dans la représentation de la politique fédé-rale belge, les médias portent parfois les mêmes lunettes que les partis nationalistes. En effet, la tendance à homogénéiser une communauté, de cadrer chaque problème en termes communautaires, tout comme l’uti-lisation de métaphores guerrières quand on parle des négociations entre nos communautés, correspond aux caractéristiques d’une rhétorique nationaliste, comme celle de la N-VA, mais aussi du FDF. Inconsciemment, les médias reprennent la grille d’ana-lyse de ces partis. De plus, des partis fondés sur des thèmes communau-taires profitent bien évidemment de l’attention excessive portée à ces sujets.

Comment pourrait-on expliquer cette représentation tendancieuse de l’autre communauté dans les mé-dias ?

Le problème s’explique partiellement par une tendance médiatique géné-rale, c’est-à-dire la simplification des dossiers complexes. Il s’agit d’une évolution logique : faute de temps et faute de moyens, les journalistes ont moins d’opportunités pour se spécialiser dans certaines matières. Aujourd’hui il faut écrire sur la crise financière, demain sur BHV et après-demain sur une catastrophe écolo-gique. Cependant, il faut admettre que les médias ont déjà pris des ini-tiatives afin de stimuler le dialogue communautaire, je rappelle la colla-boration entre les journaux De Stan-daard et Le Soir en 2007, mais il s’agit largement d’initiatives isolées. Per-sonnellement, je plaide depuis des années pour l’organisation de débats fédéraux, diffusés simultanément sur les chaînes des deux communautés, notamment au moment des élections fédérales. En effet, le principe démo-

cratique suppose que le public soit au courant des points de vue de tous les politiciens fédéraux qui font ou qui feront partie du gouvernement. L’ab-sence de tels débats constitue donc un déficit démocratique.

Malheureusement, on ne peut que constater qu’un tel débat ne s’orga-nise pas. Et là on touche le fond du problème: notre système politique. Comme les partis sont scindés en fonction de la frontière linguistique, les politiciens n’ont pas besoin du soutien de l’autre côté du pays. Pourquoi alors perdre du temps à se faire remarquer dans les médias de l’autre communauté ? Or, cet effet du système politique sur le système médiatique influence à son tour la dynamique politique, c’est un cercle vicieux. C’est dans ce contexte-là que je plaide également depuis près de dix ans pour l’installation d’une circonscription fédérale. Cela résou-drait le déficit démocratique - le fait de ne pas pouvoir voter pour des poli-ticiens ou pour les partis par lesquels on est gouverné - et cela stimulerait donc également les politiciens à inte-ragir avec les médias de l’autre côté du pays.

Depuis les élections en 2010, la scène politique est dominée par Bart De Wever et Elio Di Rupo. Quelles lois médiatiques pourrait-on appli-quer à eux ?

Ici également, on découvre une in-formation fortement stéréotypée. Di Rupo est plus souvent montré sous un jour défavorable dans les médias flamands et De Wever dans les mé-dias francophones. Parfois de façon subtile. Par exemple, le président du PS est souvent représenté comme « un stratège rusé » dans les médias flamands, ce qui évoque les conno-tations négatives d’un homme roué. Tout ce que dit et fait Di Rupo est analysé comme stratégique, ce qui est moins le cas avec De Wever. Et du côté francophone, c’est l’inverse. On est très peu critique avec Di Rupo, et d’autant plus avec De Wever. Ap-paremment, il est toujours plus dif-ficile d’adapter une attitude critique vis-à-vis des politiques de sa propre communauté, surtout quand ils ont gagné les élections. Cela s’explique bien évidemment également par la nécessité pragmatique d’entretenir de bons contacts avec ces politiciens, fournisseurs d’informations.

Ces phénomènes ont d’ailleurs été

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critiqués par les politiciens eux-mêmes. En décembre, Di Rupo a reproché aux médias flamands un « militantisme autonomiste », alors que De Wever estime que les médias francophones courent derrière leurs politiciens. Cependant, les deux pré-sidents ne voient apparemment pas que ce manque d’objectivité caracté-rise également leurs propres médias. On parle d’une cécité sélective !

On constate une symétrie surpre-nante entre les mécanismes média-tiques dans les deux parties du pays. Cependant, il y a un phénomène qui ne se produit qu’en Flandre. La ten-dance de transformer des politiciens en véritables vedettes de bouquins et de la télévision, comme c’est le cas avec De Wever. Voit-on là aussi un manque de neutralité de la part des médias ?

Sans doute certains journalistes fla-mands stimulent, poussés par une af-finité idéologique, la présence de De Wever dans les médias. Or, la raison principale pour la couverture média-tique de De Wever ne renvoie qu’à la logique médiatique en Flandre. De-puis les années nonante, on voit que les programmes d’actualité adoptent

de plus en plus d’aspects des formats de divertissement et vice versa, que les programmes de divertissement font souvent appel aux politiciens. Ceux-ci se transforment en « BV » (Bekende Vlamingen; Flamands connus), alors que les partis poli-tiques accueillent des stars du milieu artistique et médiatique. Ce bras-sage a créé de véritables vedettes politiques comme Steve Stevaert en 2003, Yves Leterme en 2007 et De Wever ces jours-ci. Leur popula-rité sur l’écran s’explique moins par leur idéologie que par leur facilité de s’adapter aux formats télévisés, de se faire remarquer, d’être une star mé-diatique.

En fait, il est assez remarquable que la N-VA soit devenue si omnipré-sente à la télévision. Le parti a tou-jours fulminé contre cette culture de « Flamands connus », les politiciens qui s’étendent sur leur vie privée dans les magazines et les formats d’ « info-divertissement », ce qu’ils considéraient comme caractéristique des gouvernements Verhofstadt. Et puis De Wever a été invité à des pro-grammes télévisés populaires, il a compris qu’il possédait un certain talent pour ces formats d’info-diver-tissement et toutes les objections

antérieures ont été oubliées. Dans la Belgique francophone, la scission entre la politique et le divertissement reste beaucoup plus stricte. On ne connaît pas cette culture de « WC » ou « Wallons connus », quoique le nom y soit sans doute également pour quelque chose.

Julie Van GarsseStafmedewerker deMens.nu

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Sous ce titre, nous publierons désormais les activités et les projets réalisés par nos AML. Celles-ci sont donc invitées à nous faire parvenir un petit compte rendu des réalisations qu’elles souhaitent répercuter dans Morale Laïque. Nous nous ferons un plaisir de les faire partager par nos lecteurs.

Et pour commencer, Sylvie Schoetens, Présidente des AML de Schaerbeek, nous parle d’une soirée brésilienne organisée pour soutenir un projet de coopération au Brésil.

A propos de la soirée brésilienne organisée par les AML et la Maison de la Laïcité de Schaerbeek le vendredi 27 mai 2011

Nouvelles des AML

A l’origine, Francine De Boeck, membre de notre

comité, nous faisait part de son prochain séjour au Bré-sil dans le cadre d’un projet de coopération cofinancé par le SLCD.

Fin janvier, elle nous revient avec des photos et des ren-seignements concrets. Le village de Corumbau, situé dans l’Etat de Bahia au nord- est du Brésil a fait chavirer son cœur. Son amie, Martine Renwart, a tellement aimé ce village de pêcheurs qu’elle a décidé un jour d’y venir six mois par an et de contribuer à l’amé-lioration du niveau de vie de cette petite communauté dé-pourvue de tout.

Très brièvement, les différents projets qu’elle a menés sont la création d’un puits artésien, d’un réseau électrique, d’un dispensaire et d’une crèche. Au niveau culturel, un projet d’artisanat et celui auquel Francine a participé : un projet d’éducation au développement durable via des cours de dessin et la fabrication de cerfs-volants par les enfants du village.

Alors, pour aider Martine et Francine, les AML de Schaerbeek décident d’organiser une soirée brésilienne.

Au programme : caipirinha (cocktail typiquement brésilien), buffet froid, fromages et dessert. Le tout accompagné de musiques sud-américaines et saupoudré de la bonne humeur inaltérable de notre amie Gracie qui a tenté de nous enseigner quelques rudiments de samba. Le succès fut au rendez-vous et l’ambiance chaleureuse. Martine est venue présenter son projet, Power Point à l’appui, et nous pourrons l’aider à poursuivre son rêve.

D’aucuns diront que ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de la misère humaine. Certes, mais dans le cadre de ce projet-ci, nous sommes certains que l’argent versé aboutira vraiment à ceux qui en ont besoin. Enfin, quelle belle goutte d’eau que celle où se reflète le sourire d’un enfant !

Sylvie SchoetensPrésidente des AML de Schaerbeek

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Eric Stemmelen

La religion des seigneurs : Histoire de l’essor du christianisme entre le Ier et le VIe siècleMichalon éditions, 2010 ; 318 pages

L’ouvrage d’Eric Stemmelen nous offre l’occasion de pro-longer la chronique du n°170 de Morale Laïque où j’abor-dais principalement le processus de divinisation du per-sonnage Jésus. Il s’agit ici de mettre en lumière les causes de l’extension rapide du christianisme à partir du début du 4e siècle au point de devenir religion d’Etat en à peine cent ans alors qu’il stagnait auparavant et ne concernait pas plus de 5% de la population de l’empire vers l’an 300 de notre ère.Comme il est bien résumé en quatrième de couverture, les débuts du christianisme sont traditionnellement ex-pliqués à partir de sources chrétiennes et son essor par un phénomène avant tout spirituel - avec tout de même le coup de pouce de sympathie de l’empereur Constantin. Autrement dit, l’« histoire sainte » continue de parasiter et de déformer notre vision de cette époque. Docteur en sciences économiques, Eric Stemmelen livre au grand public une approche différente qui s’appuie sur de ré-cents travaux de recherche, une relecture des sources grecques et latines et la mise en regard de changements sociaux jusqu’à présent considérés comme simplement concomitants alors qu’une étude en profondeur révèle qu’ils sont liés.Aux premiers siècles de l’empire romain, la fortune de la classe sénatoriale repose sur l’exploitation esclavagiste de domaines agricoles dénommés villae. Mais au cours du 3e siècle, cette économie entre en crise à cause d’un défi-cit démographique qui s’amplifie et qui touche en premier lieu les rangs des esclaves dont les principales sources d’approvisionnement, les conquêtes territoriales, se ta-rissent. Parallèlement, mais avec un décalage chronolo-gique, le pouvoir ancien des sénateurs se fait concurren-cer par l’émergence d’un nouveau groupe social, plus dy-namique, formé de hauts cadres militaires recyclés dans des activités pécuniairement rentables et qu’on a appelés « seniores », terme qui a donné « seigneurs » en français.Ces nouveaux riches vont asseoir leur domination sur trois éléments : une forme originale d’exploitation agri-cole et humaine, le colonat ; le recours aux structures organisationnelles du christianisme, religion certes mino-ritaire mais dont l’idéologie leur convient et à l’expansion de laquelle ils vont s’employer ; l’influence exercée sur l’empereur, dont ils contribuent à assurer le règne, afin de rendre optimale la mise en place des appareils écono-miques, juridiques et autres visant à évincer l’aristocratie traditionnelle qui exerce encore le pouvoir sénatorial.Le système économique qui se fait ainsi jour repose sur la mise en valeur de vastes propriétés agricoles, les la-tifundia, par des paysans libres mais dont les ressources personnelles sont insuffisantes ou inexistantes. Ces pay-sans, les « coloni », groupés en villages, voient leur statut se dégrader, entre autres par divers modes de taxations

Rappelle à tous qu’il faut être soumis aux magistrats et aux autorités, prati-quer l’obéissance. Paul, Epître à Tite (3,1)

C’est une grâce que de supporter, par égard pour Dieu, des peines que l’on souffre injustement. Pierre, Epître 1(2,18-19)

La créature a été ainsi faite qu’il lui est utile d’être soumise, mais pernicieux de faire sa propre volonté. Augustin, La Cité de Dieu (XIV, 12)

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qui les rendent totalement dépendants des latifundistes, et se rapprocher nettement de celui des esclaves. Ainsi, les divers métiers manuels étant, par décret impérial, devenus héréditaires, les coloni, théoriquement libres, insistons-y, ne peuvent plus quitter la terre qu’ils cultivent et sont dans l’obligation de transmettre leurs outils à leur descendance : cette situation est très proche de celle que connurent dans la suite les serfs de la féodalité.Les préoccupations des seniores, outre leur enrichisse-ment et l’exercice du pouvoir, est d’éviter au maximum les révoltes des paysans et d’assurer la relève de ces derniers en encourageant leur reproduction. Et c’est ici qu’interviennent les « bergers » de la nouvelle religion, dont les bases idéologiques plaisent à la nouvelle classe économique et sont d’ailleurs, au fil du temps, affinées et orientées par elle ; c’est en effet en son sein que sont re-crutés et cooptés les hauts responsables ecclésiastiques, à propos desquels on ne peut pas se plaindre de pénurie : en Afrique du Nord, par exemple, on trouve fréquemment un évêque par latifundium, donc par agglomération de colons - il est vrai qu’épiskopos, en grec, ne signifie rien d’autre que « surveillant » Cette idéologie est résumée par E. Stemmelen en une tri-logie qui en rappelle d’autres de sinistre mémoire : « tra-vail, famille, obéissance » Pour faire bref, le travail et la souffrance sont présents dans le monothéisme depuis les textes de la Genèse mais leur exaltation par le biais de l’espoir d’une récompense éternelle dans l’au-delà céleste se met en place avec les textes néotestamen-taires, et principalement les épîtres de Paul de Tarse, par ailleurs grand misogyne. A propos de la famille, ce dernier trouvera de dignes successeurs pour réduire la sexualité à la procréation et donc les femmes à des vases de reproduction. Il n’est donc pas surprenant que, pour renforcer cette volonté nataliste, les premiers empereurs chrétiens aient réprimé avec férocité « les prétendues déviances telles que l’homosexualité, le concubinage, l’adultère, la prostitution, voire le divorce - ensemble de « péchés » qui ne faisaient dans l’Antiquité gréco-romaine que l’objet d’une éventuelle réprobation amusée, et seu-lement s’ils prenaient une tournure excessive, au même titre que l’ivresse ou la gloutonnerie » (p. 189). Quant à l’obéissance, elle trouve ses sources chez le même Paul, qui enjoint à chacun d’obéir à son supérieur et qui juge que l’esclavage est dans l’ordre des choses voulues par Dieu . Le cliché d’un christianisme religion des humbles n’est donc pas tout à fait faux, si on veut bien ne pas oublier qu’ici-bas, ceux qui en tiraient profit étaient les seigneurs domaniaux ainsi que le clergé issu de cette même classe dominante, d’où le titre choisi par E. Stemmelen.Cette union du sabre et du goupillon première mouture n’aurait pas été complète, donc pleinement efficace, sans le rapprochement entre les sphères économique et poli-tique, plus exactement sans l’absorption du pouvoir poli-tique par les nouvelles forces économiques. Quel meilleur moyen pour évincer définitivement l’ancienne caste séna-toriale, encore très majoritairement polythéiste, que de soutenir un empereur sorti de ces nouveaux rangs, tout en le conseillant et le surveillant ? Cette stratégie, pour être cohérente, exige que l’entourage de l’empereur comporte de hauts dignitaires de la religion favorisée par l’aristo-cratie militaro-latifundiste. Mais, comme nous l’avons vu avec la chronique antérieure, le christianisme n’a en ces 3e et 4e siècles pas encore de forme définitive, on peut même parler de christianismes au pluriel. Il n’est en général pas trop relevé qu’à la fin de sa vie, Constantin, de même que son fils et successeur, penchait pour la version arienne, autrement dit un monothéisme strict ne reconnaissant pas de caractère divin à Jésus. Mais cela était trop éloigné de la religion traditionnelle pour le faire admettre sans dommages par les masses à maintenir dans les voies de l’obéissance. C’est donc le credo trinitaire défini au concile de Nicée en 325 qui s’est imposé. Avec, au cours

du 4e siècle, quelques aménagements tels que le culte de Marie « mère de Dieu », apte à remplacer avantageu-sement Isis ou Cybèle, déesses antiques très populaires et objets de cérémonies à mystères, ou encore celui des saints, que l’on prie comme intermédiaires auprès de la divinité, ainsi qu’il en allait avec les « petits dieux » des religions antiques.N’empêche qu’en même pas un siècle, il y a eu forcing pour arriver -au moins publiquement- à éradiquer le polythéisme ainsi que la culture qui y était liée, dont la pensée philosophique, et à imposer le christianisme non seulement comme religion reconnue mais aussi comme religion d’Etat. Autrement dit, il fallait être chrétien pour accéder à un poste quelconque de tous les niveaux admi-nistratifs et politiques et c’était la pensée chrétienne qui régentait l’Etat, la rédaction des lois tout comme l’appareil judiciaire : Louis XIV n’a pas fait mieux en révoquant l’Edit de Nantes et en fermant Port-Royal. E. Stemmelen relève d’ailleurs que les persécutions subies par les « païens » au cours du 4e siècle firent de bien plus nombreuses victimes que ce qu’il en avait été pour les chrétiens durant les trois siècles précédents La pénétration de la nouvelle religion dans les immenses zones rurales pourrait cependant bien avoir été superficielle comme semble le montrer la rapi-dité avec laquelle le Proche-Orient et l’Afrique du Nord se sont convertis à l’islam au cours du 7e siècle. Quant à la partie occidentale de l’empire, elle fut définitivement perdue avec l’arrivée des peuples germaniques, païens ou adeptes de l’arianisme, ce qui réduisit l’influence du christianisme nicéen aux seules villes, elles-mêmes dé-mographiquement fort réduites. Restaient un empire by-zantin, dictature théocratique pompeuse et bigote, et des îlots urbains de catholicité épiscopalo-seigneuriale qui partiront à la (re)conquête des vastitudes paysannes -ou païennes : à l’époque, c‘est tout comme.C’est ainsi que le monde européen, et au-delà, a fonda-mentalement changé. Il faut savoir gré à E . Stemmelen de nous en fournir une explication rationnelle, complexe et dialectique à partir de l’analyse matérialiste de la mon-tée en puissance de cette classe sociale des seigneurs sur base d’un nouveau mode de production économique, donc d’une nouvelle forme d’exploitation humaine grâce à la complicité du religieux pour la mise en forme de sa justification. Comme conclusion, voici une phrase de Nietzsche1, citée par E. Stemmelen, qui ne déparerait pas dans les écrits de Marx ni dans ceux de Freud : « La foi que réclamait le christianisme primitif ( ) est en même temps asservis-sement et dépréciation de soi-même, mutilation de soi-même ». Guy Jaspart

1 Par-delà le bien et le mal, §46.

Prochaine chronique Jack Goody Le vol de l’histoire : Comment l’Europe a imposé le ré-cit de son passé au reste du monde

Rectificatif Le lecteur de la chronique précédente se sera rendu compte que Le manger comme culture, de Massimo Montanari, ne pouvait être édité par Fayard, ainsi qu’en atteste la reproduction jointe de la couverture. Ajou-tons les précisions qui n’y apparaissent pas : l’ouvrage date de 2010 et, avec ses 148 pages, il s’inscrit dans la collection de poche des éditions de l’ULB (UB lire Fon-damentaux).

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entamant une deuxième guerre, vouée à la même pourri-ture, en Libye ? Dont coût : 55 millions d’euros par an pour l’Afghanistan et pratiquement autant pour la Libye. Sans doute la participation belge est-elle présentée comme es-sentiellement « humanitaire » en Afghanistan ; elle vise-rait à pacifier le pays, à le développer et le faire échapper à l’emprise fanatique des Talibans. Or, dix ans après, le bilan se révèle si lamentable que les principaux pays de la coalition – les États-Unis en tête – annoncent un désenga-gement de leurs troupes. Après une décennie de carnages – dont les civils ont souvent fait les frais – on est bien forcé de constater que la seule chose que l’on ait réussi à faire, c’est de créer une résistance armée afghane alliée aux Talibans dont la popularité semble croître, d’autant que la coalition s’appuie, dans sa guerre sainte, sur le gouverne-ment fantoche d’un Hamid Karzai, modèle de corruption absolue, haï de ses compatriotes. Et l’on se voit forcé de négocier avec ces mêmes Talibans qui reviendront peut-être triomphalement au pouvoir, sans doute après s’être engagés à protéger les intérêts occidentaux. Quant à la Lybie, alors que les frappes « humanitaires » étaient prévues pour quelques semaines, on en est au quatrième mois de bombardements meurtriers qui n’épargnent pas, là non plus, les civils et saccagent l’économie, contribuant à appauvrir davantage le pays.Devant ce double gâchis sanglant, on peut se poser la question : quand la Belgique cessera-t-elle de danser à chaque coup de sifflet des États-Unis ? Quand refusera-t-elle d’aider ce pays agressif à accroître, par la terreur, sa domination sur le monde pour satisfaire les exigences de son complexe militaro-industriel, dont le président Ei-senhower – qui n’était pas précisément un pacifiste bêlant – dénonçait déjà les dangers pour la démocratie et la paix dans son discours d’adieu du 17 janvier 1961 ?7

Alors « faisons un rêve », non pas sentimental à la Sacha Guitry, mais politique au sens noble du terme. Supposons que notre gouvernement fasse preuve de courage en déci-dant d’être conforme à l’image humaniste et sociale qu’il

7 Pour ce discours étonnamment prémonitoire, voir notamment http://lestribunationsdefrankie.20minutes-blogs.fr/archive/2007/02/10/un-avertissement-proph%C3%A9tique.html où en est reproduit un large passage et http://lastas.blogspot.com/2011/01/la-mise-en-garde-ignoree-deisenhower.html où les passages principaux sont assortis de commentaires actualisant les propos d’Eisenhower.

aime afficher jusque dans le libellé du nom de deux partis qui le composent… Supposons donc qu’il décide d’abolir tout recours à la violence qui ne résout rien mais contri-bue à plus de violence encore, qu’il renonce immédiate-ment à tout engagement militaire décidé sous le fallacieux prétexte d’aide au développement de la démocratie, sa-chant parfaitement qu’on n’impose jamais la démocratie à un pays en envoyant la soldatesque internationale y com-mettre toutes les exactions propres à la guerre. Et voilà déjà 110 millions d’euros, au moins, utilisables pour des causes plus ragoûtantes.Poursuivant sur sa lancée, que ce même gouvernement – ou celui qui lui succédera un jour peut-être – ose re-garder en face la réalité des chiffres et entreprenne de poursuivre les grands criminels en cols blancs, respon-sables des ravages perpétrés dans les finances publiques, et qu’il entreprenne de récupérer, pour commencer, ne serait-ce que 5 milliards des montants volés par les pré-dateurs financiers. Qu’il abroge enfin ou modifie radicale-ment la loi sur les intérêts notionnels en l’appliquant aux seules PME – les grandes entreprises n’en ont nul besoin – et à la condition, strictement contrôlée, qu’elles créent, grâce à cet avantage, un certain quota d’emplois… On en reviendrait alors au chiffre de 500 millions d’euros prévus initialement.Ainsi l’énorme pactole repris aux fraudeurs et aux pro-fiteurs d’une décennie de « reyndersisme » forcené, se monterait-il chaque année à 8,86 milliards d’euros8 qui permettraient, en trois ans à peine, d’engranger pas moins de 26,58 milliards d’économies, montant largement supérieur aux fatidiques 22 milliards exigés !Alors, M. Di Rupo qui, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, vient de déposer sa note de formateur, n’aurait plus besoin de s’attaquer aux travailleurs, aux pensionnés et prépensionnés, aux chômeurs, aux malades… pour assai-nir nos finances. Et il pourrait enfin, ce qui ne gâte rien, redevenir un tout petit peu « socialiste » … Ou ne serait-ce décidément qu’un beau rêve ?

La Hulotte

8 5 milliards récupérés sur la grande fraude fis-cale + 0,110 milliard sur le budget guerrier + 3,75 milliards récupérés sur le coût des intérêts notionnels.

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