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3 et 4 mars 2009-02-10 Alger (Algérie) Quelques pistes de réflexion à propos de l internationalisation des PME de la rive sud de la Méditerranée. Nadine Levratto Université de Paris Ouest Nanterre La Défense 200, avenue de la République F-92001 Nanterre Cedex Mel : [email protected] Ces dernières décennies ont vu des changements radicaux dans l’environnement des entreprises. La mondialisation passe en effet par une diminution des barrières commerciales, une accélération des opportunités d’affaires et une concurrence croissante. En réponse à cette pression de l’environnement, les échanges internationaux ont commencé à changer. Des accords commerciaux ont été signés entre les pays pour éliminer les barrières à l’entrée sur les marchés. Le résultat en a été un processus d’intégration croissante et de mondialisation. Désormais, un nombre croissant d’entreprises est à la recherche de marchés plus vastes, pour réaliser des économies d’échelle, développer de nouveaux produits, réduire les coûts de production, conquérir de nouveaux marchés etc. Même si cette ouverture peut quelquefois mettre en péril leur existence dans la mesure elle s’accompagne souvent de nouvelles menaces et de risques supplémentaires, elle est jugée par les économistes, les entrepreneurs eux-mêmes et les institutions publiques comme une condition sine qua non de leur compétitivité bien sûr, mais aussi de leur survie. La question n'est donc pas tant de savoir s'il est opportun ou non de s'internationaliser mais plutôt de s'interroger sur la nature des risques qui l'accompagne et sur les moyens à mettre en œuvre pour les déceler, les analyser et, si possible, les maîtriser.

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3 et 4 mars 2009-02-10 Alger (Algérie)

Quelques pistes de réflexion à propos de l’internationalisation

des PME de la rive sud de la Méditerranée.

Nadine Levratto

Université de Paris Ouest Nanterre La Défense

200, avenue de la République F-92001 Nanterre Cedex

Mel : [email protected]

Ces dernières décennies ont vu des changements radicaux dans l’environnement des entreprises. La mondialisation passe en effet par une diminution des barrières commerciales, une accélération des opportunités d’affaires et une concurrence croissante. En réponse à cette pression de l’environnement, les échanges internationaux ont commencé à changer. Des accords commerciaux ont été signés entre les pays pour éliminer les barrières à l’entrée sur les marchés. Le résultat en a été un processus d’intégration croissante et de mondialisation. Désormais, un nombre croissant d’entreprises est à la recherche de marchés plus vastes, pour réaliser des économies d’échelle, développer de nouveaux produits, réduire les coûts de production, conquérir de nouveaux marchés etc. Même si cette ouverture peut quelquefois mettre en péril leur existence dans la mesure où elle s’accompagne souvent de nouvelles menaces et de risques supplémentaires, elle est jugée par les économistes, les entrepreneurs eux-mêmes et les institutions publiques comme une condition sine qua non de leur compétitivité bien sûr, mais aussi de leur survie. La question n'est donc pas tant de savoir s'il est opportun ou non de s'internationaliser mais plutôt de s'interroger sur la nature des risques qui l'accompagne et sur les moyens à mettre en œuvre pour les déceler, les analyser et, si possible, les maîtriser.

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Les PME n'échappent pas à cette logique. L’attention qui est portée à leur internationalisation est proportionnelle à leur contribution à l’activité et à la création de croissance économique. Les PME sont en effet unanimement considérées comme l’une des forces principales du développement économique (OCDE, 2004) en raison de leur contribution à la création de richesse et d'emplois aussi bien dans les pays de l'OCDE que dans les pays en développement. Si leur rôle dans le premier groupe d'états est bien documenté, la contribution des PME au développement des échanges internationaux et des performances globales des pays en développement est moins connue quoique souvent soulignée. La recherche sur l'internationalisation des PME des pays en développement est encore à un stade embryonnaire (Kuada et Sörensen, 2000). La connaissance approfondie que les travaux réalisés sur l’internationalisation dans les pays développés contraste avec la rareté des travaux empiriques portant sur l’ouverture internationale des entreprises implantées dans les pays en développement. S’il est devenu courant de lire que l’internationalisation est à la fois un facteur d’apaisement du climat international et de prospérité, ces conclusions sont fondées sur un petit nombre de travaux extrêmement parcellaires (Torrès, 2007). Ces lacunes bibliographiques sont particulièrement flagrantes dans les pays du bassin méditerranéen, l’ensemble de la région et le pays cité étant pourtant réputés pour leur contribution historique aux échanges internationaux (Braudel 1977 et 1978).

L’actualité économique justifie pourtant que l’on s’intéresse à cette question. Selon les enquêtes des chambres de commerce et des associations de producteurs locaux, un nombre considérable de PME libanaises s’est lancé à l’international et, en dépit de leur petite taille et de leur manque de ressources, parviennent à conquérir des marchés étrangers. Or, le rôle des facteurs institutionnels, économiques mais aussi culturels dans la dynamisation de l’internationalisation a rarement fait l’objet d’une étude approfondie La question de la spécificité éventuelle de l’internationalisation de ces entreprises mérite donc d’être posée. C’est pourquoi à travers cet article nous ambitionnons de poser les premiers jalons d’une étude sur les formes de l’internationalisation des PME dans l’espace méditerranéen.

1. Les différentes origines de l’internationalisation des PME1 Le processus d‘internationalisation est depuis longtemps au cœur des intérêts des

recherches sur le commerce international. L’internationalisation des PME n’est pas facilement explicable par une seule théorie, car il s’agit d’un phénomène trop vaste et dynamique (Axinn et Matthyssens, 2002) qui, pour des raisons de commodité, a souvent été réduit à la seule question de l’exportation. Or, en accord avec des travaux récents sur la question (Perrault et St-Pierre, 2008; Julien 2008), le centrage exclusif de l’internationalisation sur la pratique de l’exportation est à la fois erroné théoriquement et porte en germe les risques d’une mauvaises orientation des politiques publiques destinées à promouvoir l’ouverture des PME. Nous voulons montrer ici que la question de l’internationalisation des PME renvoie à une approche globale résultant de la prise en compte conjointe de trois écoles de pensée : la pensée incrémentale développée par l’approche béhaviorale, la pensée des alliances avec les théories des réseaux et enfin la pensée économique avec les théories des investissements direct étrangers (IDE). La figure ci-dessous décrit comment ces trois écoles se combinent pour contribuer à l’émergence d’une théorie unifiée de l’internationalisation des PME.

1 Cette partie est tirée de l’article de N. Levratto et M. Ramadan « L’internationalisation des PME dans les pays en développement : un modèle conceptuel des PME libanaises », 2009.

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Figure 1 : Les caractéristiques des trois écoles de pensée dans la théorie de l’internationalisation

Les principaux enseignements de ces trois écoles sont exposés dans cette première partie de

notre communication. Elle vise à identifier les principales composantes du processus d’internationalisation, préalable nécessaire à la mise en lumière d’un modèle conceptuel de l’internationalisation des PME libanaises.

1.1. La théorie incrémentale

La théorie incrémentale a fait l'objet de nombreux travaux dont le plus connu est à l’origine du modèle d'Uppsala. En se fondant sur les conclusions d’une étude concernant les opérations internationales de quatre entreprises suédoises, ils conceptualisent le processus d’internationalisation comme un processus progressif qui comporte quatre étapes.

Comment s’articulent-elles ? Une PME accroît sa présence sur les marchés étrangers progressivement, en évoluant vers

des stratégies de plus en plus sophistiquées au gré de l’acquisition de connaissances et d’expérience sur la scène internationale. L’entreprise va commencer par l’exportation puis la création de filiales et enfin l’établissement d’unités de production à l’étranger. Cette étude est élaborée sur la base des hypothèses suivantes :

L’entreprise est développée sur le marché local,

L’internationalisation est la conséquence d’une série des décisions incrémentales,

Le terme international fait référence à une attitude de la société envers l’activité à l’étranger ou à la réalisation effective des activités à l’étranger.

Les chercheurs de l’école suédoise ont révélé que la connaissance et l’engagement ont été

des concepts centraux pour expliquer la décision de l’entreprise à l’étranger et c’est autour de ces deux concepts que leur processus a été construit. Les entreprises sont dans une situation d’incertitude et cherchent à minimiser leur risque et cette tendance à la prudence va modeler leur engagement sur les marchés extérieurs. L'accumulation de connaissances sur les marchés étrangers permet ainsi à l'entreprise d'augmenter ses capacités d'apprentissage, de réduire l'incertitude et le risque souvent associés aux affaires internationales tout en améliorant sa position à l’égard de ses concurrents et en décelant des opportunités pour d'autres activités d'affaires.

Cette théorie montre que la plupart des entreprises cherchent à lever la barrière de l’absence

de connaissance en pénétrant des marchés étrangers dont les caractéristiques sont proches de celles de leur marché domestique. Cette proximité des marchés qualifiée de distance psychique2 ou distance psychologique par Johanson et Vahlne (1977), se définit en termes de différences de langage, de culture, de système politique, de niveaux d’éducation. Comme elle perturbe et empêche l’échange d’information avec les marchés étrangers, l’entreprise va dès lors être amenée à faire ses

2 La distance psychique est généralement mesurée à partir d’indicateurs variés sur le degré d’éloignement ou de similitude des niveaux de développement économique, des canaux de distribution, de l’intensité des flux commerciaux antérieures et des critères socioculturels (langues, système éducatif, etc.)

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premiers pas à l’export dans des pays proches psychologiquement, pour ensuite s’engager, avec l’expérience, vers des pays plus lointains.

Cette approche a dominé les théories de l’internationalisation et la validité empirique a été

largement confirmée (Hutchinson et al., 2005). Toutefois, avec le développement des marchés internationaux et les activités liées à l’internationalisation des entreprises, les limites de cette théorie à expliquer certains comportements des PME à l’international ont ouvert la voie à des critiques multiples. Il ne s’agit pas ici de les présenter en détail mais de montrer sur quels points elles se sont concentrées et comment les théories alternatives ont cherché à les éviter. Elles portent sur :

son incapacité à prendre en compte la dimension entrepreneuriale dans le processus d’internationalisation,

son déterminisme,

son impuissance à traiter du cas des entreprises « nées globales » qui s’internationalisent dès leur naissance,

son attention quasi-exclusive sur l’exportation vue comme une activité indépendante du portefeuille d’activités de l’entreprise,

son manque de considération pour le scénario de dés-internationalisation,

son échec à définir les conditions du passage d’un stade du processus à l’autre, ce qui empêche de penser correctement l’échec puisque l’internationalisation devient de fait présentée comme un engagement quasi automatique vers une étape ultime : la Firme multi-nationale.

Malgré ses limites, l’approche de l’école suédoise est encore considérée comme la première

à avoir proposé une explication du processus d’internationalisation en tant que tel. Cette approche s’inscrit davantage dans le cas des entreprises « classiques » dont le succès à l’étranger est en fonction de l’accumulation de connaissances pour diminuer le risque. Avec le temps, on s’est aperçu qu’elle ne correspondait guère à la situation rencontrée par la plupart des PME. C’est dans le but de mieux coller à la réalité des entreprises de dimension petite et moyenne que s’est développée la théorie des réseaux.

1.2. La théorie des réseaux

L’approche des réseaux doit être considérée comme une perspective prolongée du modèle Uppsala. Elle voit l’internationalisation comme un processus de connaissance du marché et le développement d’une entreprise focale avec d’autres acteurs aux marchés étrangers (Johanson et Vahlne, 2006). Ils considèrent le processus de façon intra-organisationnelle et inter-organisationnelle. Les réseaux sont ainsi divisés dans un système de rapports d’échange entre les acteurs industriels et le système de production où les ressources sont employées et développées dans la production. La perspective de réseau introduit un élément multilatéral plutôt qu’unilatéral dans le processus d’internationalisation.

Cette approche explique la formation d'accords internationaux par l'appartenance des

dirigeants et des entreprises à des réseaux. En effet, les liens formels et informels des dirigeants avec d'autres individus jouent un rôle important dans l'internationalisation des entreprises, notamment par les informations qu'ils procurent (Casper, 2007). Dans ce cas, le processus de l’internationalisation est le résultat des comportements et des choix d’entrepreneurs influencés par les relations formelles et informelles qu’ils nouent avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise. Selon le degré d’implication de l’entrepreneur dans un système réticulaire, deux formes possibles de stratégies peuvent être identifiées : l’une dite en « cavalier seul » l’autre qualifiée de coopérative (Laghzaoui, 2006).

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Ces réseaux ont clairement des répercussions positives sur le développement international des PME. Ils permettraient en particulier de compenser leur déficit de ressources. La figure suivante met en évidence les principales caractéristiques d’un système de réseaux industriels.

Figure 2. Les caractéristiques d’un système des réseaux industriels

Source: Johanson et Mattsson (1992), adapté par nous.

En concentrant l’analyse sur l’engagement en réseau ou entre partenaires on peut montrer que l’implication dans un collectif contribue à réduire l’incertitude et à développer des opportunités d’affaires, l’un et l’autre de ces éléments se révélant profitables pour l’entreprise. Deux propositions sont alors avancées. La première est que le développement d’opportunités sur un marché est positivement lié aux engagements mutuels avec les entreprises qui y sont déjà implantées. La deuxième proposition est que le développement d’opportunités dans un pays est positivement rattaché au réseau d’entreprises qui sont intercalées entre l’entreprise et le marché ciblé. A ce propos, Knight et Cavusgil (2004) soulignent que le rôle croissant des réseaux au sein des PME facilite une internationalisation précoce, rapide et substantielle notamment pour les PME avec une avancée technologique.

En résumé, la théorie des réseaux apporte une compréhension élargie des motifs qui

poussent les PME à conclure des accords avec des autres entreprises locales ou étrangères. Le réseau procure des avantages informationnels qui prédisposent les entreprises à développer leur présence internationale. De plus, la position de l'entreprise au sein de ce réseau influence sa capacité à collaborer et les partenaires qui lui sont accessibles. Ainsi, l’approche réseau nous renvoie à un concept important à savoir le « capital social » qui initialement apparu dans les études sociales des entreprises. Le concept de capital social, appliqué récemment à un large éventail d’études sur l’organisation, est souvent défini comme la somme des ressources auxquelles une entreprise peut accéder ou mobiliser, en vertu de la possession d'un réseau de relations durables. Les entreprises qui s’internationalisent peuvent alors utiliser leur capital social pour accéder à des informations pertinentes et l’accès à ces informations se révèle moins coûteux et plus efficaces que lorsqu’elles sont obtenues par la mobilisation de mécanismes formels.

En poussant cette idée, on peut inscrire la théorie des réseaux dans une logique qualifiée de

« lobbyienne » qui traite plus spécifiquement des entreprises qui s’internationalisent après être passées par une phase de forte concentration sur le marché local. Leur ouverture internationale s’explique alors par la combinaison d’un choc ou d’une opportunité exogène à laquelle elles répondent en mobilisant leurs ressources. Loin d’être séquentielle, l’internationalisation de l’entreprise s’effectue, « grâce à un événement déterminant, comme le développement d’un réseau de relations ou l’achat d’une autre entreprise ayant un réseau de relations déjà établi, qui lui apporte des ressources informationnelles et financières supplémentaires » (Bodolica et Spraggon 2006). La contextualisation de la stratégie d’internationalisation de la PME à travers la prise en compte des réseaux d’acteurs auxquels participe le dirigeant permet de mettre en évidence l’importance du milieu comme élément déterminant des choix individuels. Elle ne suffit cependant pas à expliquer les différences sectorielles ou géographiques que seule l’introduction de phénomènes

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macroéconomiques permet d’analyser. C’est à cette fin que les spécialistes de l’internationalisation des entreprises se sont tournés vers les théories des échanges internationaux.

1.3. Les investissements directs étrangers

L'école de pensée économique à laquelle les auteurs cherchant à éclairer le processus d’internationalisation des PME empruntent le plus souvent est la théorie du commerce international et plus particulièrement la partie qui concerne les Investissements directs étrangers (IDE, ci-dessous).

Un investissement direct étranger désigne un investissement qui vise à acquérir un intérêt

durable dans une entreprise exploitée dans un pays autre que celui de l'investisseur, le but de ce dernier étant d'influer effectivement sur la gestion de l'entreprise. Loin d’attendre d’avoir accumulé de l’expérience sur des marchés de proximité, l’entreprise va s’internationaliser créant ou acquérant un site de production dans un pays autre que son pays d’origine. Souvent, les entreprises de ce type créent leurs filiales à l’étranger sans faire appel à des partenaires locaux ni mobiliser les ressources d’un quelconque réseau (Bodolica et Spraggon 2006). Les raisons de cette stratégie sans alliance s’expliquent par la recherche des bénéfices que peut procurer une distribution asymétrique de l’information. La divulgation aux membres d’un réseau de renseignements relatifs aux actifs ou aux produits de l’entreprise potentiellement internationalisée risque en effet d’entamer sérieusement l’avantage comparatif si chèrement acquis. Elle s’explique également par le risque de perte d’autonomie qu’elle fait encourir à une entreprise qui se mettrait en situation de dépendance vis-à-vis d’autres membres du réseau.

A partir de ce schéma global, les tenants d’une théorie de l’internationalisation empruntant à la théorie des IDE vont envisager l'entreprise comme une combinaison de ressources hétérogènes, imparfaites et mobiles. Les différences de performance entre les firmes sont alors dues à l’hétérogénéité des combinaisons de ressources possibles et à la disponibilité ou l’accessibilité des ressources nécessaires à la mise en place du processus de production. Même si les organisations ne sont pas en mesure de générer à l'interne l'ensemble des ressources ou des fonctions essentielles pour prospérer et croître, elles parviennent à accumuler quelques ressources clefs à l’intérieur de l’entreprise. Celles-ci sont alors perçues comme des avantages concurrentiels qu’il convient de protéger, notamment en refusant de les partager. C’est par l’accent qu’elle met sur cette notion d’avantage comparatif qu’il est possible de rapprocher cette démarche de la vaste catégorie de la théorie des IDE.

Parmi les sources d’avantages concurrentiels dont dispose la firme, les actifs intangibles

jouent un rôle particulier que différents auteurs ont cherché à préciser et à combiner avec la stratégie et la structure de l'organisation. La marque commerciale, les brevets, l’accès privilégié aux sources d’approvisionnement, la possibilité de réaliser d’économies d’échelle constituent alors autant de facteurs qui justifient de la présence d’une entreprise sur un marché étranger et qui sont fortement liés Leur incorporation à l’analyse est à l’origine de l’identification de deux sortes d’avantages :

Les premiers, liés aux imperfections structurelles des marchés, sont spécifiques à l’entreprise et lui permettent de se distinguer des firmes concurrentes,

Les seconds, centrés sur les imperfections transactionnelles, sont relatifs et se traduisent par l’obtention de gains liés à la réalisation même des opérations d’échange. La préférence actuelle des entreprises occidentales, y compris des entreprises débutantes sur

un plan international pour cette forme d'IDE, s'explique essentiellement par quatre raisons liées à la rapidité, au risque, à la sous-capitalisation des entreprises cibles et enfin à la nécessité de contourner d'importantes barrières à l'entrée. Les motifs qui expliquent la croissance de l'investissement direct selon trois logiques :

Une logique industrielle : recherche des facteurs de production les moins chers ;

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Une logique de marché : accès plus aisé au client et contournement des barrières à l'entrée du marché ;

Une logique d'entreprise en tant qu'organisation constituée de ressources et de savoir-faire plus ou moins transmissibles. Ces stratégies sont d’autant plus fréquemment rencontrées que la mobilité intrinsèque de la

connaissance permet de bénéficier d'une plus précoce et plus rapide internationalisation pour des entreprises « nées globales » (Ramadan, 2008). Une entreprise « née globale » se définit comme une organisation qui, dès sa création, vise à tirer un avantage concurrentiel significatif de l’utilisation des ressources et de la vente dans plusieurs pays. L'apparition de « nées globales » soulève des questions quant à la validité et l'efficacité des théories existantes, particulièrement la théorie par étapes. Ces entreprises ne semblent pas suivre une longue période de croissance des entreprises dans le marché intérieur avant l'entrée initiale dans des marchés internationaux, n'entrent pas toujours aux marchés étrangers graduellement selon le concept de distance psychique et ne suivent pas nécessairement les étapes de développement en termes de mode d'entrée.

Les théories présentées précédemment nous donnent une idée de la diversité des formes et

de la complexité du processus d’internationalisation des entreprises. L’écartèlement théorique des travaux mentionnés explique d’ailleurs qu’à ce jour il n’existe pas de théorie unifiée de l’internationalisation des PME. La difficulté à faire émerger un modèle unique est encore renforcée par les spécificités institutionnelles et locales qui contribuent fortement à la détermination des choix des entreprises. Les facteurs liés au développement international des PME sont diffèrent d’un pays à l’autre. Seule l’analyse empirique nous semble à même d’apporter un éclairage in situ du processus d’internationalisation.

2. Quelle spécificité du système de production -méditerranéen ? Considérée comme un "système relationnel dans l'espace mondial" ainsi que l'annonce le

séminaire mis en place à la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme qui définit la Méditeranée comme un objet scientifique "au carrefour de la linguistique, de la sociologie et de l’anthropologie" (Cf. la plaquette de présentation de la MMSH), l'espace méditerranéen est connu depuis Braudel comme un système d'échanges intenses (voir Levratto, 2007), marqué par la mobilité de la main d'œuvre, l'importance de l'agriculture et de la métallurgie, le rôle clé des flottes et de la thalassocratie qui en découle et l'influence des Etats dans le développement de l'activité (Braudel, 1978, Tome 2 pp. 83-122). Cette somme de caractéristiques ne suffit pas toutefois à dégager un modèle d'entreprise spécifiquement associé à ce système géophysique, d'où nos interrogations sur la portée de la transposition de la démarche macro qui porte sur le territoire à un objet micro, la firme. Afin de tenter de jeter un pont entre ces deux niveaux d'analyse pour l'objet ici considéré, nous chercherons à déterminer si l'espace euro-méditerranéen peut être considéré comme un système de production territorialisé. Après en avoir présenté les ingrédients de base, nous montrerons que loin d'être homogène, l'espace euro-méditerranéen se compose d'une mosaïque de territoires qui auxquels les entreprises doivent s’adapter pour pouvoir y accéder par les ventes, les achats et les autres formes d’internationalisation précédemment envisagées.

2.1. Des systèmes de production régionaux à plusieurs niveaux

Trois niveaux de structuration interviennent conjointement pour déterminer la spécificité d'une région. Celle-ci est donc la résultante d'un faisceau d'influences de nature productive, réglementaire et matérielles.

L'impact des facteurs productifs sur les travaux systèmes de production territorialisés est connu et abondant. Parmi l'ensemble des conditions du développement local qu'ils ont identifiées, quatre facteurs qui apparaissent de manière récurrente :

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la nature de l'activité : elle s'apprécie à l'aide de plusieurs indicateurs parmi lesquels sont le plus souvent cités la structure par branche du système productif (spécialisation, dispersion), le type de production habituellement rencontré (production de masse, manufactures de petite production ou production à la demande), l'orientation des marchés (marchés de masse, marchés spécifiques ou niches…) et la forme de diffusion des innovations (hiérarchique ou en réseau). A coté de ces indicateurs partiels, l'analyse du degré d'intégration des activités revêt la plus haute importance puisqu'il est d'usage de considérer que le potentiel de développement d'une région dépend de la présence sur son territoire d'entreprises et d'établissements industriels pourvus de fonctions entrepreneuriales complètes.

la spécificité institutionnelle de l'économie régionale : elle est mesurée à partir du degré de division du travail intrarégionale au sein d'une branche suivant la domination d'une variété de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) ou la domination de quelques (grandes) compagnies

la forme du contrôle de et par les entreprises : ce facteur importe également car la force économique et les perspectives de développement d'une région peuvent être déterminées par la possession d'établissements "quartiers généraux" du secteur des affaires et par la possession d'établissements du secteur financier de haut niveau. La viabilité des services financiers régionaux est cruciale car, dans bon nombre de régions, un tissu d'entreprises, essentiellement des PME, a pu se développer grâce à l'aide d'institutions financières qui font preuve d'un "engagement régional", ce qui n'est pas le cas dans les régions où le secteur financier est dominé par de grandes institutions financières peu impliquées dans le développement local. Il apparaît toutefois que ces pôles qui concentrent les services financiers aux entreprises relèvent le plus souvent de la catégorie des "régions métropolitaines".

les caractéristiques et les qualités de la main d'œuvre régionale et son aptitude à répondre aux besoins des entreprises régionales en termes de savoir-faire et de compétences industrielles

Deuxième élément clé dans le repérage des caractéristiques spatiales, le système de régulation régional est, comme le précédent, un élément composite dans la mesure où il ne fait pas seulement référence aux règles formelles mais prend également en compte les aspects informels qui prennent naissance chaque fois que le formel est insuffisamment développé. Il résulte de quatre influences :

La forme de la coordination interentreprises détermine le degré d'ancrage régional des réseaux et grappes d'entreprises qui, lorsqu'ils se sont formée, minimisent les coûts de transaction et parviennent d'une part à assurer la flexibilité de l'espace régional tout en permettant, d'autre part, un rayonnement des activités locales. L’efficacité productive repose sur la formation d’unités spécialisées (souvent petites) et réactives capables en permanence de reconfigurer le réseau de leurs relations intersectorielles au gré de l’évolution des contraintes et des opportunités offertes par le marché. La spécialisation flexible est ainsi associée à la constitution d’un réseau étroitement maillé de firmes sur un espace privilégié au sein duquel les interactions productives sont denses et profondément réactives. Les districts industriels italiens, la Silicon Valley, la Route 128… constituent autant d’exemples magnifiés à la preuve de la démonstration

La qualité des relations de travail apparaît comme un facteur primordial dans la construction du concept de secteur en ce qu'elles affectent la productivité.

Le milieu socio-culturel, la culture d'entreprise, la capacité industrielle et autres formes de conventions forment une ressource immatérielle importante pour les activités économiques régionales dans la mesure où la forme revêtue par les réseaux informels entre acteurs affecte la place de la région dans les circuits de production internationaux. Dans ce domaine, la résilience est forte. Ainsi, dans les régions à forte tradition

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économiques dans lesquelles les PME constituent un élément essentiel de la culture régionale, elles ont favorisé la sédimentation d'un comportement économique et une reconnaissance des compétences dans le domaine de la gestion des affaires qui marquent le processus de coordination effectivement observé. L'opposé semble également vrai puisque, comme le montre les échecs récurrents des politiques régionales en certains lieux, le manque de tradition d'entreprise semble constituer une entrave durable à l'implantation et à la pérennisation d'activités économiques.

Les institutions constituent le quatrième facteur de base affectant le système de régulation régional. Fortement marqué par la contribution de l'école historique allemande et tout particulièrement par les travaux de Sombart qui élargit l'explication de la localisation des firmes à la prise en compte du système économique construit historiquement, cette approche permet d'analyser l'appropriation de l'espace par les institutions. Elle débouche sur une conception du potentiel de développement d'une région comme résultant de la qualité du soutien apporté aux établissements créés au niveau régional. Dans ce contexte, la région est vue comme un acteur collectif dans la rationalité duquel lequel l'existence d'un réseau dense d'organismes de soutien (la "densité institutionnelle"), qui promeut la formation de structures de communication et de négociation viables entre les acteurs économiques régionaux et la diffusion intrarégionale des avancées innovatrices est décisive. Ces organismes de soutien sont divers ; il s'agit d'organismes de coopération de l'économie régionale qui travaillent au renforcement des liens économiques intrarégionaux, d'établissements de formation pour la main-d'oeuvre régionale, pour la diffusion des connaissances et du transfert de technologie et, surtout, d'institutions nationales-régionales pour le développement régional (Cf. Lamy et Levratto, 2005).

Troisième élément clé constitutif de la dimension régionale au plan économique, l'équipement d'un territoire va sceller la compétition entre régions partant de niveaux de départ très différents en ce qui concerne l'équipement spatial et la qualité de la localisation. Ces conditions initiales qui touchent à la démographie, la densité et la qualité des infrastructures, la situation en termes de transport, d'approvisionnement énergétique, de télécommunications… et la qualité de l'environnement constituent alors autant d'aspects affectant les avantages relatifs d'un territoire donné. Evoqués comme des éléments explicatifs essentiels dans l'analyse des écarts de productivité entre régions et susceptibles d'être largement renforcés par les effets de débordement liés à la proximité de régions elles-mêmes largement dotées d'équipements structurants (Dall'Erba et Le Gallo, 2004), l'urbanisation et les économies d'agglomération qui en découlent, les infrastructures qui conditionnent les interactions économiques et la qualité environnementale qui s'émancipe de plus en plus des seuls effets d'agglomération négatifs pour se traduire en termes de "scores" ou de "balances" permettent de hiérarchiser les régions dans une vision compétitive. Toutefois, une collection exhaustive des éléments de l'équipement régional, comme la liste traditionnelle des facteurs de localisation d'une région, ne sont pas la base de la puissance économique d'une région. C'est la configuration du développement régional (le système de production et de régulation spécifique de la région et son équipement ainsi que le déploiement spatial particulier) qui forme la base du succès économique d'une région.

2.2. Des entreprises qui doivent s’adapter à cette complexité

La question des objectifs de l'entreprise reçoit des réponses variant avec le point de vue duquel on se place, de la nature de la firme et de son insertion dans le système d'échange. Le caractère contingent de l'organisation ne permet par conséquent pas de considérer la minimisation des coûts comme le but unique de toutes les entreprises, de même que l'efficacité ne peut être strictement assimilée au résultat d'un programme de minimisation d'une fonction de coûts. Par exemple, les stratégies des firmes tournées vers l'innovation technologique relèvent plus de la recherche d'une position de monopoleur susceptible de procurer la perception d'une rente, alors que

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celles engagées dans la production de masse ont besoin de mettre en place des processus de production compatibles avec un objectif de minimisation des prix de revient. Toutefois, si l'entreprise dispose en interne d'une grande latitude, ses choix se révèlent également contraints par le contexte institutionnel (Doloreux et Parto, 2004), les mécanismes de régulation et la nature des relations inter-firmes, ces trois facteurs déterminant conjointement le monde de production d'appartenance d'une entreprise donnée.

Ce travail de compilation d’analyses factuelles et de littérature académique permet d’identifier quatre grandes familles de petites entreprises articulées, comme chez Salais et Storper (1993) autour de deux axes principaux. Le premier concerne la nature des produits, alors que la seconde dimension fait référence au processus de production. L’axe des produits distingue les biens génériques définis comme des produits anonymes quant à leur destination et définis indépendamment des personnes, contrairement aux produits dédiés qui correspondent à un segment particulier de la demande et/ou à des demandes individualisées. Le second axe oppose deux types de modes de production. La production est dite standard si elle n’exige aucune compétence spécifique de la part des employés ; elle est au contraire considérée comme spécialisée lorsque chaque personne mobilise des compétences et des savoir-faire particuliers.

La combinaison de ces axes est à l’origine de quatre modes de coordination possibles qui définissent chacun des univers productifs dans lesquels différentes tailles d’entreprises peuvent cohabiter et se révéler performantes du point de vue des critères de gestion habituellement retenus par les analystes financiers. Il s’agit de l’univers de l’adaptation, de l’univers de la commande, de l’univers de la grande série et de l’univers de la conception. Ces espaces marchands peuvent être perçus comme des lieux de cohérence entre la nature des produits, celle du marché et le mode de traitement de l’incertitude et des risques par l’entreprise.

Le graphique suivant offre une représentation de ces espaces de production et des caractéristiques dont ils résultent.

Figure 3. Les univers possibles des PME

L’univers de la commande est le monde des produits dédiés selon un processus spécialisé dans lequel les entreprises sont orientées par le client. Les produits fabriqués dans cet univers sont réalisés selon des compétences et savoirs spécialisés propres à des personnes ou à des firmes données et accordés aux besoins de demandeurs spécifiés. Par voie de conséquence, la forme de sous-traitance dominante est dite de spécialité : le donneur d’ordres externalise une production sur laquelle il dispose de la maîtrise du métier. Le cahier des charges est alors normé et l’autonomie du sous-traitant plus réduite. Compte tenu de la spécificité des produits, l’évaluation de la qualité ne permet pas de disposer de repères préexistants si bien qu'un processus de compréhension mutuelle entre les différents acteurs est nécessaire et engendre une expérience commune qui servira de

Univers de la

commande

Univers de

l’adaptation

Univers de la

grande série Univers de la

conception Produit

générique

Produit

dédié

Processus

spécialisé

Processus

standardisé

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référence partagée. Les rapports entre demandeurs et producteurs, ainsi que ceux qui se nouent au sein de la firme, reposent sur la confiance, la réputation, le partage de valeurs communes, la particularité d’individualités partageant une même histoire. En revanche les relations entre producteurs sont modelées par une concurrence qui porte sur la qualité et la fiabilité du produit ainsi que sur le service après-vente. Les entreprises sont caractérisées par une grande flexibilité de leur production par rapport aux exigences spécifiques de leurs clients, une taille relativement limitée, une spécialisation élevée, une forte flexibilité, et des fonctions d’assistance à la clientèle importantes. Des exemples aujourd'hui classiques peuvent être trouvés parmi les industries de la mécanique de précision, des instruments de mesure, de l’appareillage biomédical, etc.

L’univers de l’adaptation regroupe des entreprises souvent qualifiées de traditionnelles. Elles offrent des produits standardisés mais qui, à un moment donné, répondent à une demande particulière. Comme dans la plupart des cas de sous-traitance d’activité, le désir du demandeur détermine la coordination des tâches à accomplir. C’est pourquoi l’environnement concurrentiel est non seulement déterminé par le facteur prix mais aussi par des facteurs hors prix tels que le design, la qualité, la fiabilité, la variété de gamme, la compétence des services marketing et des réseaux de distribution commerciale. Aussi, si les innovations de procédés observées dans ce groupe s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie de réduction des coûts, la réponse aux variations de la demande des clients requise par la réalisation de la performance dans cet espace de marché, oblige les entreprises de cet univers à atteindre une forte flexibilité. La rapidité de la réponse aux changements de préférence des clients ne pouvant passer par l’élaboration de programmes d’innovation lourds dont les effets sont perceptibles à moyen terme, les petites entreprises de l’univers de l’adaptation mobilisent relativement peu de moyens en faveur du poste Recherche et développement mais se révèlent en revanche utilisatrices nettes d’innovations produits et procédés développées dans les autres mondes. Comme exemples, nous citerons les industries de l’habillement (prêt à porter, chaussure, textile, cuirs et peaux, ...), de l’ameublement, du jouet et des instruments de musique.

L’univers de la grande série, composé d’entreprises caractérisées par une dimension organisationnelle élevée, décrit la production de masse à travers des produits à la fois standards et génériques destinés à des marchés étendus composés de demandeurs considérés comme anonymes. Les unités réalisent d’importants volumes de productions, des investissements conséquents pour réaliser des économies d’échelle et une intense activité de recherche appliquée aux innovations de procédés. Ces engagements sur la durée, a priori risqués pour des entreprises présentant une faible surface industrielle, commerciale et financière sont rendus possibles par la standardisation industrielle et la prévisibilité du marché qui permettent de planifier le risque économique. Les entreprises de ce groupe subissent une concurrence sur les prix relativement élevée et réalisent de fortes dépenses en liaison avec la publicité, le marketing, les services après-vente de manière à se différencier de leurs concurrents. Elles présentent également une grande flexibilité de gamme, une forte propension à incorporer des innovations de produits issues d’autres secteurs et une dynamique de l’innovation de procédés et/ou organisationnelle contrainte par une grande sensibilité aux coûts des inputs (énergie, travail, matières premières). Les industries automobile, de l’électroménager « blanc », ainsi qu’une large part des industries de la pharmacie, constituent quelques exemples de secteurs scale-intensive.

L’univers de la création regroupe les firmes caractérisées par une intensité élevée de recherche de base. Ce monde est celui de la création au sens large. Y naissent de nouvelles technologies, de nouvelles familles de produits et parfois même de nouveaux besoins. Les entreprises qui s’y rattachent sont caractérisées par une forte activité de recherche de base que ce soit au niveau de l’entreprise elle même ou encore de structures plus larges telles que les technopoles, une lente « gestation » des projets innovants opposée à un cycle de vie des produits très rapide, une très forte dépendance par rapport aux structures de recherche publiques et/ou privées, ainsi qu’une faible sensibilité par rapport aux facteurs de compétitivité prix. Elles fabriquent des produits spécialisés et génériques et lorsqu’elles travaillent pour un donneur d’ordres, elles

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assurent pour son compte une production pour laquelle il ne dispose pas de la maîtrise du métier. Reposant sur l'innovation, la coordination qui se fait jour dans ce monde requiert des règles de méthodologie de nature scientifique. Des exemples classiques peuvent être trouvés parmi les industries des télécommunications, des composants actifs, de l’aérospatiale, de l’informatique, des nouveaux matériaux de synthèse, des diverses applications des biotechnologies.

Aucun espace géographique n'est en effet caractérisé par la présence exclusive de l'un des quatre mondes précités, les grandes entités typiques du monde industriel déterminant l'activité et l'organisation d'un tissu plus ou moins dense de PME et TPE lesquelles peuvent également répondre à des besoins strictement locaux et, dans ce cas, être majoritairement rattachées au monde marchand. Outre son caractère explicatif qui rend compte de la diversité des modes de coordination observés, cette prégnance des modes marchand et interpersonnel possède également une dimension normative qui peut être transformée en avantage comparatif dans un monde globalisé grâce à la mise en œuvre de politiques de développement régional adaptées.

En guise de conclusion : quelques pistes en faveur de l’internationalisation des PME Malgré le phénomène de mondialisation des économies, pour de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME), les frontières nationales constituent toujours un important obstacle à l’expansion de leur activité, et elles restent donc largement, voire exclusivement, tributaires de leur marché domestique. Or, nombre de travaux ont mis en évidence le lien direct existant entre l’internationalisation et la performance accrue des PME. L’internationalisation proactive renforce la croissance, améliore la compétitivité et soutient la viabilité à long terme de l’entreprise. En dépit de ses avantages, l’internationalisation reste un grand pas à franchir pour la plupart des petites entreprises. Celles-ci ne disposent simplement ni des ressources ni des contacts qui leur permettraient d’être informées des possibilités d’affaires, des partenaires potentiels et des ouvertures sur les marchés étrangers. L’investissement financier requis pour se lancer sur la scène internationale peut également constituer un obstacle important pour de nombreuses PME. Le caractère dynamique des entraves signifie également que les difficultés vont évoluer avec le degré d’internationalisation de l’entreprise. Ces difficultés s’expriment de manière intensifiée dans les pays en développement, c’est pourquoi les politiques publiques doivent non seulement aller dans le sens d’une ouverture des frontières mais aussi ont pour mission de favoriser l’adaptation des entreprises aux univers dans lesquels elles veulent se positionner. Références

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