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Créé par la WFSJ et SciDev.Net 1 Cours électronique de journalisme scientifique – Leçon 5 Cours électronique de journalisme scientifique Créé par la WFSJ et SciDev.Net Leçon 5 Qu'est-ce que la science? par Gervais Mbarga et Jean-Marc Fleury

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Cours électronique de journalisme scientifique – Le çon 5

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Leçon 5

Qu'est-ce que la science? par Gervais Mbarga et Jean-Marc Fleury

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Bienvenue au premier cours en ligne de journalisme scientifique. Il a été conçu par la Fédération Mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) en étroite collaboration avec le réseau de Science et Développement SciDev.Net. 5.1 Introduction ......................................................................................................3 5.2 Les différentes voies de la connaissance 5.2.1 Qu'est-ce que le savoir? .................................................................................4 5.2.1 Qu'est-ce que le savoir?(suite) ......................................................................5 5.2.1 Qu'est-ce que le savoir? (suite) .....................................................................6 5.2.2 La connaissance commune .............................................................................7 5.2.2 La connaissance commune (suite) .................................................................8 5.2.3 Au-delà de la connaissance commune ............................................................9 5.2.3 Au-delà de la connaissance commune (suite) ..............................................10 5.2.4 La science comme moyen de répandre le savoir...........................................11 5.2.4 La science comme moyen de répandre le savoir (suite) ...............................12 5.2.5 La méthode scientifique ...............................................................................13 5.2.5 La méthode scientifique (suite)....................................................................14 5.2.5 La méthode scientifique (suite)....................................................................16 5.2.5 La méthode scientifique (suite)....................................................................17 5.2.6 La connaissance journalistique ....................................................................18 5.2.6 La connaissance journalistique (suite).........................................................19 5.2.6 La connaissance journalistique (suite).........................................................20 5.3 Menaces et limites de la science 5.3.1 Introduction .................................................................................................21 5.3.2 Thomas Kuhn (1922 – 1996)........................................................................22 5.3.3 Karl Popper (1902 – 1994)...........................................................................23 5.3 Menaces et limites de la science......................................................................24 5.3.4 Méthode scientifique ....................................................................................25 5.3.5 Paul Feyerabend (1924-1994)......................................................................26 5.3.6 Le constructivisme sociologique...................................................................27 5.3.7 Relativisme culturel et science .....................................................................28 5.4 Comment se construit la science 5.4.1 Introduction .................................................................................................29 5.4.2 Le science est-elle ce qu'on trouve dans les revues scientifiques? ...............30 5.4.3 Les limites de la révision par les pairs..........................................................31 5.4.4 La vérité scientifique par consensus.............................................................32 5.4.5 Liens ............................................................................................................33 5.5 Exercices d'auto-apprentissage (1-2) .............................................................34 5.6 Réponses aux exercices d'auto-apprentissage (1-2) .......................................36 5.7 Travaux pratiques ...........................................................................................38 Ce projet est financé par: Le Centre de recherches pour le développement international (www.crdi.ca) Department for International Development (UK) [ http://www.dfid.gov.uk/ ] Swedish International Development Agency (Sweden) [ http://www.sida.se/ ]

Consultez les cours en ligne: www.wfsj.org/course/

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5.1 Introduction

La science influence profondément le monde moderne. Dans tous les domaines, la science a occasionné des bouleversements si fondamentaux qu’il n’y a plus, dans la civilisation contemporaine, de possibilité d’éviter la science. Pour le meilleur et pour le pire. Dans ce cours en trois volets, nous allons explorer le monde de la science. D’abord, ses bases et sa démarche qui en font la meilleure façon d’appréhender le réel. Nous allons ensuite présenter quelques-uns des penseurs du XXe siècle qui ont souligné les limites et dangers de la science. Le cours se termine par une série d’éléments qui décrivent la science d’aujourd’hui. A la fin de ce cours, vous devriez pouvoir :

1. comprendre ce que la science est et n’est pas; 2. identifier ses zones éclairées et ses zones d’ombre ou de silence; 3. poser des questions différentes sur ses réalisations avec confiance.

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5.2 Les différentes voies de la connaissance 5.2.1 Qu'est-ce que le savoir?

Dans cette partie du cours, vous verrez quelle est la démarche qui aboutit à la science et apprendrez à distinguer cette dernière d’autres formes de connaissance. Vous pourrez également savoir ce qui fait la différence, notamment avec la démarche journalistique. Vous avez raison de vous demander, dès maintenant, comment fixer les frontières de la science? Où commence-t-elle? Où s’achève-t-elle? La science commence par « je veux savoir ». La connaissance est une activité si naturelle qu’il devient presque suspect de tenter de la définir. Si naturelle… mais aussi si complexe. En effet, « connaître » une chose renvoie à une multitude de sens. Si on pouvait dresser une liste de synonymes, on verrait que « connaître » prend tour à tour le sens de savoir, de comprendre, d’avoir lu ou vu, de ressentir, de juger, de « reconnaître », de considérer, d’analyser, de pratiquer, de maîtriser, etc. « Connaître » une personne indique qu’on l’a déjà rencontrée (dans la réalité ou par ses réalisations), que dans une masse d’individus, on peut assez aisément l’identifier ou qu’on est conscient de son existence. Mais la « connaître » vraiment ouvre presque la porte de son intimité, jusqu’à pouvoir prévoir ses réactions et son comportement pour la comprendre et éventuellement l’expliquer. « Connaître » un objet, un fait, un phénomène, c’est savoir les décrire dans leurs aspects visibles et moins visibles, dans les interactions qu’ils établissent avec les objets autour d’eux, dans les influences qu’ils exercent sur leur environnement ou qui s’exercent sur eux. Pour la science, « connaître » suppose que l’on observe que l’on ramasse suffisamment d’informations et de renseignements pour pouvoir discerner, distinguer et révéler les éléments les plus proches possibles de la réalité. Cette réalité peut être réelle, virtuelle, concrète, naturelle, surnaturelle, abstraite, physique ou métaphysique. Souvent, la connaissance permet d’exercer la raison et, éventuellement de prendre des positions rationnelles.

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5.2.1 Qu'est-ce que le savoir?(suite) Êtes-vous rationnel ou irrationnel? La rationalité est la particularité de ce qui est rationnel, c'est-à-dire qui tient de la raison. À son origine, le terme raison (du latin ratio) désigne le calcul. Aujourd’hui encore, un livre de raison désigne le registre des comptes d’une famille. La raison diffère de l’intuition, de la sensation, de la spontanéité, du sentiment, de l’émotion, de la croyance. Elle part du bon sens et se développe dans la capacité à compter, à mesurer, à ordonner, à organiser, à classer, à expliquer, à justifier. Un discours rationnel est par conséquent un discours cohérent, argumenté, fondé sur un raisonnement logique, et non sur une opinion personnelle. Un tel discours doit être valable universellement. L’irrationalité, par contre, est le refus de se soumettre à la raison. Un individu irrationnel ne suit aucune logique, et agit en contradiction avec la logique. Il prend des décisions souvent incohérentes. Dans son extension, l’irrationnel couvre aussi le domaine de l’inexpliqué, de la superstition, du mysticisme, de l’inaccessible ou le champ de ce qui est contraire à la raison.

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5.2.1 Qu'est-ce que le savoir? (suite) Où commencent les croyances? La connaissance objective est lorsque l’on analyse les choses telles qu’elles sont, en se situant hors de ces choses. Elle est une sorte de lucidité pour savoir et juger, c’est-à-dire un pouvoir de rejeter, de réfuter, d’accepter ou d’adopter, de prendre de la distance et de changer les choses éventuellement. Les croyances sont différentes de la connaissance. Plus que simplement l’action de croire, les croyances expliquent l’univers en le considérant comme doué de facultés, de qualités, de sentiments et d’émotions. Les croyances attribuent une signification interne aux choses. Par exemple, le chiffre 13 est, pour certaines personnes, un signe de mauvais augure. Dans certaines cultures, l’arc-en-ciel annonce des malheurs, il est l’épée de Dieu. La connaissance nous oblige à poser des questions et à tester notre ignorance. Les croyances exigent l’acceptation, l’assentiment et relèvent de l’intime conviction. Les énoncés et les propositions des croyances doivent être tenus pour vrais. L’existence de Dieu n’est pas l’objet de la science, mais celle de la croyance parce qu’elle ne peut être ni démontrée, ni réfutée. Il y a une différence entre connaissances objectives et croyances. « Connaître » permet d’exercer sa raison, son sens de l’observation et de l’analyse. La croyance religieuse est souvent une quête personnelle et intime de la vérité, elle suscite ensuite une adhésion à des réalités indémontrables : on parle alors de connaissance religieuse. Quelques grandes religions ont marqué l’histoire : le bouddhisme, le judaïsme, l’indouisme, le christianisme, l’islamisme, etc. Il existe, on le pressent, plusieurs types de connaissances et, en particulier, une connaissance qu’on appelle connaissance commune et une autre, une connaissance plus élaborée.

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5.2.2 La connaissance commune Qu’est-ce que la connaissance commune? En réalité « connaître » c’est se poser des questions, s’interroger et interroger les faits, les objets, les idées. Il existe plusieurs niveaux de questions. Dans la vie de tous les jours, les objets que nous rencontrons nous procurent une première expérience des choses, très concrète et tout de suite. Ce sont mes sens premiers - par exemple ce que je vois, ce que je touche, ce que mon nez sent, ce que ma langue détecte comme goût, ce que j’entends - qui réagissent automatiquement pour donner des réponses évidentes, directes, familières qui sont influencées par la tradition. C’est la connaissance de tous les jours encore appelée connaissance commune ou connaissance sensible ou connaissance première ou connaissance immédiate. Elle donne des explications par des généralités souvent verbales. Ces explications n’aiment pas la contradiction. Elles comprennent des extensions et des généralisations rapides voire abusives. L’observation est simple, sans complications, sans vérifications. Nous disons que le soleil se lève et se couche. Nous voyons que le ciel est vaste. La connaissance commune est en quelque sorte le « sens pratique » ou le « sens commun ». Elle ne veut rien remettre en cause. Elle n’entend pas changer les choses. Comment nous générons de la connaissance commune On peut presque avouer que nous acquerrons la connaissance ordinaire au hasard de la vie. Souvent elle nous est transmise de génération en génération sans changer. La connaissance commune prend naissance dans nos habitudes quotidiennes et simples de vivre dans notre environnement, dans notre culture en reconnaissant les vertus des propriétés de l’univers, en se fondant sur une succession d’impressions imprécises souvent obtenues en désordre, de nos sens ou de ceux nos semblables. Elle se fabrique et se transmet par les familles, les parents, les cercles d’amis, les voisins, les compagnons de jeu, la tribu ou la communauté qui nous fait vivre ses joies, ses craintes, ses peines, ce qu’elle espère de l’avenir, ce qu’elle trouve dans son présent, ce qu’elle a retenu de son passé et de ses traditions. En particulier, dans la connaissance sensible, la nature est douée de qualités et d’émotions, de volontés et de réactions semblables à celles des humains.

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5.2.2 La connaissance commune (suite) Reconnaître la connaissance commune La connaissance de tous les jours puise à la fois dans l’expérience de la vie quotidienne et dans la superstition. Elle veut donner des réponses faciles et pratiques aux questions que les individus, les familles, les groupes, les tribus ou les communautés se posent. Elle se répète (les spécialistes disent qu’elle est tautologique) et dit toujours la même chose qu’il y a dix ans, vingt ans, etc. Elle s’appuie sur des traditions. Elle est monotone. Elle est faite de sentences définitives. La connaissance commune existe dans toutes les cultures et dans toutes les civilisations. Toute personne utilise dans un premier temps la connaissance commune dans sa vie quotidienne pour communiquer avec les autres hommes de son entourage. Les savants eux-mêmes passent d’abord par elle pour vivre parmi nous. Par la suite, ils la dépassent et peuvent y échapper. C’est pour cela que le sociologue français Gaston Bachelard dit que les scientifiques doivent effectuer des « ruptures épistémologiques » pour l’abandonner et accéder à une connaissance plus approfondie. Rencontre avec la connaissance commune Vous pouvez facilement expérimenter la connaissance commune. Partagez avec un ami ou un parent une connaissance acquise dans un article scientifique, légèrement inattendue, du genre : « Savais-tu que si les automobilistes réduisent leur vitesse tous ensemble, on peut accroître la vitesse sur les autoroutes aux heures de pointe? » En général, la première réaction de votre interlocuteur sera de rejeter ce que vous dites. Cette personne vous dira ce qui marche vraiment. Vous venez de frapper le mur de la connaissance commune. L’explication de votre interlocuteur, ce en quoi il tient mordicus, est un morceau de connaissance commune.

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5.2.3 Au-delà de la connaissance commune Qu’est-ce que la connaissance approfondie? La connaissance approfondie commence dès que l’on décide de ne plus accepter la seule dictature de nos yeux, de nos oreilles, de notre bouche, de notre nez, de notre toucher, et de se méfier des impressions morcelées qu’ils nous envoient tous les jours. On décide alors d’approfondir l’observation, par exemple en étant attentif aux détails ordinaires ou en imaginant de nouvelles dimensions, en creusant des détails originaux, en recherchant des qualités inhabituelles, bref en allant au-delà des apparences et des répétitions sempiternelles. La connaissance approfondie ou connaissance seconde sort des voies connues et rapides. Pour elle, ce qu’on sait n’est pas définitif. Des questions sont toujours possibles. Il faut chercher les réponses en creusant. Les choses changent, la manière de les voir évolue. La connaissance veut des preuves. Elle veut des arguments. Elle pose des questions. Elle n’accepte rien d’office. Elle remet perpétuellement ce qu’elle a accepté hier sur la table de discussion. Elle pioche toujours dans ce qui n’est pas connu comme dans ce qui l’est. Elle explore toujours. Sans tabou ni interdit. La connaissance approfondie se construit Contrairement à la connaissance de tous les jours qui se vit tout autour de nous, et spontanément, la connaissance approfondie crée ses institutions. Elle exige une discipline personnelle, parfois des sacrifices. Elle impose un apprentissage avec des étapes et des contenus, dans des écoles, des institutions, des centres d’études, d’apprentissage ou de recherche, qui suivent une pédagogie, expliquent leurs activités aux apprenants et leur inculquent des attitudes d’objectivité, de modestie face aux faits, de patience et de désintéressement. Parfois, le langage est un jargon qui comprend des codes qui ne sont plus ceux de la langue de tous les jours. Souvent, ils délivrent des références, des diplômes, des réalisations, des titres de reconnaissance et des mesures d’évaluation.

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5.2.3 Au-delà de la connaissance commune (suite) Reconnaître la connaissance approfondie La connaissance approfondie cherche à créer, à imaginer, à découvrir ce que l’on ne connaît pas. Elle ne s’appuie plus sur la tradition et réfute la monotonie. Elle critique. Elle prend de la distance dans la manière de regarder, de toucher, de sentir. Elle use de la raison et refuse le superficiel. Elle surveille sa propre démarche qui lui permet d’analyser ou de créer. On dit qu’elle a une méthode. La culture approfondie est celle des intellectuels, des artistes, des auteurs des œuvres de l’esprit et des scientifiques. Mais quelle ressemblance y a-t-il entre un scientifique, un artiste et un écrivain? Par exemple entre Einstein, Mozart et Shakespeare? De prime abord, rien. Pourtant, tous les trois ont atteint un approfondissement soit de l’observation, soit de la vérification, soit de l’expression. Tous ont refusé de voir ou de faire les choses à la manière habituelle de voir ou de faire. Tous ont essayé d’approfondir les connaissances de leur domaine d’activité. Mais peut-on réduire à une seule, leurs trois types de connaissances? Des différences existent en réalité, et la connaissance scientifique a ses particularités.

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5.2.4 La science comme moyen de répandre le savoir Introduction à la connaissance scientifique Bien que la science et l’art fassent partie des connaissances approfondies (ou connaissance seconde), bien qu’il y ait des ressemblances, il y aussi de nettes divergences. Dans le domaine artistique, l’approfondissement est une affaire de goût, de beauté, ou si vous préférez, d’esthétique et d’émotif. Le vrai artiste ou créateur des œuvres de l’esprit dépasse les premières impressions en recherchant et en diffusant à travers ses productions des messages cachés, imaginés, crées de toutes pièces, fictifs, que les gens ordinaires ne perçoivent pas. Une vraie œuvre d’art n’est comprise que par celui qui détient une certaine compétence pour la lire: reconnaître les styles, les genres, les formes, la symbolique, les lieux de production, les époques, pour pouvoir dire ce que l’œuvre veut dire. Les œuvres de l’esprit sont subjectives. Elles sont liées à leurs auteurs et en dépendent nécessairement. L’approfondissement est autre chose en science. Si en art c’est une affaire de goût, en science, c’est une affaire de description vraie de la nature. Approfondir dans ce cas-ci signifie, creuser, peser, mesurer, chronométrer, argumenter, raisonner, construire une logique, refuser la subjectivité c’est-à-dire refuser ses préférences et garder de la distance. Reconnaître la science La connaissance scientifique a pour objet de comprendre la nature et l’univers, à partir de leurs éléments connus, concrets et objectifs. Cette connaissance s’impose des règles. C’est pourquoi on admet que le « savoir scientifique est celui qui a fait ses preuves, il n’y a pas de place en science pour les opinions personnelles, les goûts, les spéculations de l’imagination ». Les « jugements » des scientifiques ont besoin de justifications coordonnées en raisonnement. La forme parfaite du raisonnement scientifique est la démonstration. La démonstration est une argumentation claire, continue, sans vides ni ellipses, sans hâte ni faille. La démonstration scientifique peut aussi être une expérience de laboratoire qui confirme un phénomène concret et fait un lien entre cause et effet. La démonstration établit des résultats avec certitude et possibilité de généraliser, c’est-à-dire des possibilités de prédire. C’est le cas de la science moderne, différente des sciences d’autrefois qui, proche de la religion, usaient des arguments d’autorité et, surtout, recherchaient avant tout, le « pourquoi » des choses.

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5.2.4 La science comme moyen de répandre le savoir (suite) La science moderne expérimentale Le point de départ de la science moderne est le doute systématique ou encore ce que le sociologue américain Robert K. Merton appelle le « scepticisme organisé ». La connaissance dans la science moderne née au 17e siècle, est basée sur des faits ou ce qui peut faire l’objet d’une constatation. Elle cherche à confronter ces faits avec la réalité par la vérification expérimentale. Aussi a-t-elle construit des laboratoires, fabriqué des instruments de mesure ou d’observation et des outils performants pouvant percer l’infiniment petit et l’infiniment grand, le très proche comme le très lointain. Elle met en place des méthodes rigoureuses, c’est-à-dire des moyens connus et des instruments fiables, pour accumuler des preuves après avoir émis des hypothèses. Elle évalue ses propres méthodes. Elle teste ses propres preuves. L’expérience scientifique est indépendante de la personne qui la mène. Elle est dite objective ou impersonnelle. Elle est en accord avec la réalité observée et les autres connaissances confirmées. L’expérience scientifique est indépendante du lieu. On dit qu’elle est universelle. L’expérience scientifique aboutit à des résultats clairs, logiques, sans ambiguïtés. On peut établir qu’ils sont valables, on peut aussi établir qu’ils sont faux sans aucun doute (le philosophe Karl Popper disait qu’ils sont réfutables) avec des arguments ou des instruments de la raison. Elle soumet ces résultats à des épreuves sévères. C’est la rationalité scientifique. Au total, dans la science moderne, la vérité est déduite des faits, vérifiée et confirmée par l’expérimentation méthodique. Cette expérience dit combien les choses mesurent, pèsent, quel temps elles durent, quelles directions elles prennent, etc. Elle est chiffrée. La science ancienne avait la prétention de dire le pourquoi de la nature, la science moderne veut dire le comment des choses.

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5.2.5 La méthode scientifique Avant de décrire comment procède la science moderne, voyons les autres méthodes qui existent pour comprendre l’univers. Qu’est-ce qui existe outre la science pour comprendre l’univers? L’être humain a souvent cherché à comprendre la nature et les humains en société. Parmi les méthodes qu’il a utilisées, on cite la religion. Elle se présente comme une « recherche » de la vérité et voudrait souvent répondre aux questions : qui et où sommes-nous? Où allons-nous? Que faisons-nous sur Terre? Même aujourd’hui, les grandes religions nous donnent leur compréhension de l’univers depuis sa création et jusqu’à sa fin. Le journaliste traitant de la science se doit de respecter les religions qui sont des convictions privées mais se situer en dehors d’elles. La religion n’est pas toujours en accord avec la science. On sait que des savants ont été condamnés pour avoir affirmé une vérité différente de celle de la religion : on peut citer Copernic et Galilée qui affirmaient que la Terre est ronde et qu’elle n’est pas le centre du monde. On a aussi recouru à l’argument d’autorité pour comprendre l’univers. Parce que tel philosophe ou tel sage grec ou égyptien avait affirmé une chose, cela demeurait valable éternellement. Il s’agit souvent de grands philosophes (Platon, Aristote, Pythagore, etc.) ou de grands mystiques (Hermès, Trismégiste). Aujourd’hui, dans nos communautés, on a des sorciers, des guérisseurs, des marabouts qui proposent aussi des explications de l’univers. Nombre d’entre eux détiennent effectivement une connaissance empirique ou mystique de leur milieu. Mais certains suivent des superstitions et des illusions, certains autres développent des connaissances parallèles.

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5.2.5 La méthode scientifique (suite) Comment la science fonctionne-t-elle? En gros, la science moderne établit ses connaissances en suivant les étapes de:

a. l’observation; b. la vérification expérimentale; c. l’explication; d. la généralisation et la prédiction.

A. Observer avec attention

L’observation consiste à:

o Observer attentivement les faits; o Abandonner les opinions personnelles; o Abandonner les spéculations, les prénotions, les préjugés; o Abandonner les croyances, les attentes, les passions; o Abandonner les positions d’autorité; o Se poser des questions logiques; o Émettre des hypothèses.

B. Vérifier minutieusement

Pour comprendre la nature, il faut consulter la nature, disait le scientifique anglais Francis Bacon. La vérification consiste, par l’expérimentation avec des instruments et des méthodes appropriés, à chercher la vérité des faits à faire la démonstration des relations entre les faits. Elle demande que:

o L’observation soit répétée dans diverses situations et avec divers acteurs; o Le résultat soit une avancée dans l’inconnu sans se soumettre à une autorité, à une

passion ou à une opinion quelle qu’elle soit; o L’on montre des relations sans équivoque entre les causes et les effets; o La confirmation de la vérité soit claire et sans ambiguïté; o La vérification soit conforme à la nature et indépendante des illusions.

C. Expliquer clairement

L’explication exige du scientifique:

o De démontrer qu’aucun fait ne rentre en conflit avec les observations; o Démontrer les relations entre les nouvelles observations et les observations antérieures; o De dire pourquoi telle cause suscite tel effet; o Ne laisser aucune faille dans le raisonnement.

D. Généraliser et prédire logiquement

Dès qu’un certain nombre de vérités sont découvertes sur des faits on peut alors procéder à la généralisation, c’est-à-dire :

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o Généraliser les observations faites; o Accepter que les faits démontrés décrivent la réalité; o Tirer des lois et des théories valables partout et en tout temps; o Prédire l’évolution et l’état futur et la forme des faits et leurs relations.

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5.2.5 La méthode scientifique (suite)

Science « dures » et sciences molles Cette méthode s’applique, en principe, à toutes les sciences. Autant celle de la nature (sciences dures?) qu’aux sciences humaines ou sociales (sciences molles?): sociologie, psychologie, sciences politiques, histoire, géographie, théologie, économie ou même la médecine. Cependant, les étapes de la méthode présentent des difficultés particulières selon la spécialité scientifique ou selon l’objet de la recherche. Il est évident, par exemple, que sur des sujets humains, l’expérimentation ne sera pas aussi facile que sur des sujets végétaux ou minéraux. De la même manière, les sciences qui étudient la société pourraient avoir des difficultés de généralisation ou de prédiction. De manière générale, les principes de base de la méthode scientifique restent valides. Ainsi, la démarche scientifique est un incontournable dans tous les champs d’études qui se déclarent scientifique.

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5.2.5 La méthode scientifique (suite) Ce que n’est pas la science La formation rigoureuse exigée pour devenir un scientifique et le jargon utilisé en science a fait de la science le domaine exclusif des initiés. Elle est donc devenue une connaissance fascinante mais exigeante, largement au-dessus des autres surtout parce qu’elle s’approche le plus de la vérité et par les transformations du monde moderne qu’elle a engendrées. La science a redéfini de manière spectaculaire la santé, les communications et les télécommunications, l’habitat, l’énergie, l’agriculture, la guerre et la vie elle-même. Le monde aujourd’hui existe largement grâce à la science, mais pourrait tout autant être détruit par elle. La science moderne n’est pas une succession de recettes magiques qui puisse résoudre n’importe quel problème. Elle n’utilise pas de méthodes occultes. Même si on garde certaines expériences secrètes pour éviter que des idées soient volées, les méthodes scientifiques n’ont rien de secret. Elle ne s’appuie pas, non plus, sur les traditions. Au contraire, si elle a une tradition, c’est de toujours détruire ce qui tend à devenir tradition. La science moderne n’est pas de la superstition, ni de la sorcellerie illusionniste. L’alchimie ne rentre pas dans son domaine d’action. La philosophie spéculative sort de ses pratiques. Même si la science semble s’insinuer partout et s’approprier des pouvoirs autrefois réservés aux Dieux, la science n’est pas une religion et les scientifiques ne sont pas des ministres d’un culte. Bien que la science nécessite des infrastructures et des équipements parfois extrêmement coûteux, les scientifiques, eux, ne sont pas en particulier d’une race, d’un sexe, d’un âge, d’une religion, d’une couleur de peau, d’un niveau de richesse. Quoique recherchant la vérité, la science est la première à clamer que ses résultats ne sont pas une vérité irréfutable ni un commandement divin. Au contraire, les scientifiques poursuivent une quête inlassable et ne se content jamais de ce qu’ils savent. De plus, la publication des résultats de recherche est une invitation à la critique et à la vérification de leur exactitude. La science, activité humaine a des faiblesses. Des erreurs, et même des fraudes, surviennent. La recherche est le théâtre parfois d’expériences truquées, de résultats sollicités, de tricherie ou de plagiat des publications, de disputes de paternité des inventions, de rivalités, de coups bas, etc. Pour une enquête sur ces phénomènes lire : William Broad et Nicolas Wade : La souris truquée, enquête sur la fraude scientifique, Seuil, Paris, 1987. Mais la force distinctive de la science est son habileté à déterrer les erreurs et les corriger dans les expérimentations subséquentes. Comment un journaliste peut-il pénétrer ce monde d’initiés?

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5.2.6 La connaissance journalistique La méthode journalistique Puisqu’il s’adresse à des journalistes déjà sur le terrain, ce cours ne reviendra pas sur l’abc des techniques journalistiques. Il faut cependant rappeler que, comme le scientifique, le journaliste base son travail sur l’observation des faits. On dit souvent en journalisme que « les faits sont sacrés, les commentaires ont moins de valeur ». Comme le scientifique, le journaliste cultive la neutralité et l’objectivité puisqu’il doit mettre de côté ses intérêts personnels et ses préjugés. Dans les techniques de collecte de l’information et dans ses reportages le journaliste recherche avant tout la vérité. De ce point de vue aussi, le journaliste et le scientifique ont le même but. Mais le journaliste apporte surtout un témoignage. Il rapporte un événement à un public absent au moment de l’événement. Ses reportages ne s’adressent pas en priorité aux autres journalistes mais à un public large qui va les recevoir. De plus, le journaliste ne rapporte pas que les faits bruts. Il montre le contexte et fait le lien avec la politique, l’éducation, le droit et la justice, l’éthique ou la société. Les meilleurs journalistes réussissent à laisser les faits parler d’eux-mêmes. Il donne la parole aux acteurs. Il rend les faits intelligibles. Dans la pratique, le journaliste construit la culture parce qu’il ouvre et alimente le débat social et démocratique. Il est constamment, avec la passion d’un sociologue ou l’intuition d’un détective, toujours en train de rechercher s’il y a une vérité alternative, ou plus complète, ou plus compréhensible, ou plus pratique pour les besoins de tous, quitte à déranger et à bousculer les points de vue admis. Les faits qu’il choisit doivent obéir à des critères :

• de réalité ou de vérité: le journaliste ne traite pas de fiction et n’invente pas les faits; • d’actualité ou de nouveauté: la nouvelle c’est l’élément qui est «nouveau» ou qui

modifie le contexte ; • de pertinence: quel sens, quel rapport, quelle conséquence, quelle importance un fait a-

t-il sur le public? • d’intérêt : ce qui étonne, ce qui touche, ce qui excite la curiosité du public.

Les techniques du journalisme dans le traitement de l’information sont différentes de celles du scientifique. Le scientifique expérimente sur un sujet très spécifique, parfois très pointu. Le journaliste quant à lui, enquête et élargit le contexte du débat. Pour permettre un bon jugement du public, il élargit le champ de compréhension et fait appel à d’autres domaines, ou à des acteurs différents. Par exemple, pour mieux comprendre un fait en médecine, on peut faire appel à l’économie, à la géographie ou à la sociologie

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5.2.6 La connaissance journalistique (suite) Ce que représente le journalisme scientifique Les journaux scientifiques ont très vite vu le jour avec la naissance de la science moderne expérimentale au 17e siècle. Succédant aux livres et aux conférences publiques, on a vu apparaître dès 1668 Le journal des savants en France, Philosophical Transactions en 1683 en Angleterre, et Acta eruditorum en 1682 en Allemagne. La forme et le contenu des journaux scientifiques ont changé aujourd’hui. On en compte plusieurs centaines de milliers désormais et ils couvrent tous les aspects de la science. Certains sont réservés à une élite cultivée, d’autres ont un public populaire ou visent des jeunes enfants. Pourquoi un journalisme scientifique est-il nécessaire? On ne posera jamais pareille question sur le journalisme politique ou sportif il est vrai, tant le sport et la politique sont courants. La science elle, semble particulière. Les justifications du journalisme scientifique dépendent des contextes. (Voir à ce propos l’ouvrage de Philippe Roqueplo, Le partage du savoir, Seuil, 1974.) Certains le pratiquent pour « informer sur l’actualité de la science et de la technologie » en procédant par l’explication ou la traduction du langage. D’autres veulent diffuser la science dans une œuvre semblable à celle de l’enseignement de manière à transférer les connaissances scientifiques vers le grand public. D’autres encore veulent rendre la science digeste pour le non initié ou sensibiliser le public à la science. Des journalistes disent aussi faire du journalisme scientifique pour faire connaître au public les résultats de la science, puisqu’il finance, par ses impôts, le travail des chercheurs. C’est donc un impératif de la démocratie. D’autant que la science peut être porteuse d’attitudes et de valeurs démocratiques telles que l’intégrité, l’objectivité ou l’égalité. D’autant que les découvertes de la science ont un impact formidable sur notre vie de tous les jours. Il y a aussi ces journalistes qui, fascinés par la science, veulent diffuser cette passion et partager les spectaculaires réalisations de la science. Les journalistes scientifiques font un effort pour répandre et rendre intelligible le travail des scientifiques, en expliquant les mécanismes de la science, en reliant le monde scientifique au monde en général, en intéressant le public à la science, en créant une attitude positive envers la science.

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5.2.6 La connaissance journalistique (suite) Le rôle du journalisme scientifique On doit distinguer le journalisme scientifique de la communication scientifique. La communication scientifique regroupe les diverses stratégies destinées à promouvoir la science au près du public. Son but est d’éduquer, de faire prendre conscience de la science, et de soutenir la science. La communication scientifique utilise les relations publiques (RP) mais aussi la publicité, les outils de promotion ou même de marketing, des communiqués de presse, des événements, mais aussi des institutions permanentes de vulgarisation de la science (musée, livres, manifestations scientifiques, etc.) Le journaliste scientifique, quant à lui, désire ramener la science aux citoyens et les aide à en bénéficier. La plupart des journalistes scientifiques sont de grands admirateurs de la science, mais surtout, ils cultivent « l’art du doute » pour ne pas devenir une victime de science mauvaise, fausse ou frauduleuse. Il évolue dans deux mondes : «celui où l’on pense et celui où l’on vit» selon l’expression du philosophe français Gaston Bachelard. Comme le critique d’art ou de littérature, le journaliste scientifique critique la science. Être critique signifie poser des questions, examiner, sélectionner, décrire, vérifier, et expliquer les faits scientifiques dans le but de trouver ce qui manque et de commenter les découvertes. Le journaliste scientifique analyse la science de plusieurs perspectives (économique, sociologique, politique, éthique, législative, etc.). Au final, le journaliste scientifique peut remettre en question la pertinence, l’importance et le côté pratique de la science. Par-dessus tout, il met en rapport les découvertes scientifiques et les besoins ou les préoccupations de la communauté. Le journaliste scientifique doit permettre aux citoyens de comprendre la science et d’en tirer des informations qui les aideront à prendre des décisions éclairées dans leur vie. C’est plus que traduire dans des mots simples, avec des métaphores, des analogies, des graphiques. Comme critique, le journaliste scientifique contemporain doit montrer comment se construit la vérité. Ainsi, le journalisme scientifique habile peut aider à déterminer qui croire et qui ne pas croire en science, quand croire et quand ne pas croire à la science. Le journalisme scientifique n’est donc pas un type mineur de journalisme. Il exige talent, ouverture, créativité, imagination, sens du concret, ambition et… modestie.

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5.3 Menaces et limites de la science 5.3.1 Introduction Autant le XXe siècle a vu le triomphe de la science - culminant avec l’empreinte de la botte de l’astronaute Neil Armstrong sur la Lune, autant la science a donné à l’humanité les moyens de s’autodétruire. Hier, Hiroshima et Nagasaki, effrayants rejetons de la pensée d’Einstein, symbole même de la science; puis stérilisation des malades mentaux justifiée par un eugénisme s’appuyant sur la théorie de l’évolution. Aujourd’hui, fragilisation de la vie privée par la puissance de l’informatique et de l’internet et menaces pour la planète. La science a aussi un côté sombre et inquiétant. Cette ambivalente capacité de la science à améliorer notre qualité de vie tout en accroissant nos moyens d’y mettre fin appelle une réflexion sur la nature de la science, pacte avec le diable ou fontaine de connaissances. De nombreux philosophes ont réfléchi sur la véritable nature de la science. À la fin du XXe siècle, des points de vue différents se sont affrontés avec une telle vigueur qu’on a parlé de « guerres de la science ». Heureusement, les victimes se sont limitées à quelques universitaires à la crédibilité et au prestige amoindris. En résumé, la guerre opposait aux scientifiques un groupe de sociologues, historiens, philosophes et féministes s’identifiant à la gauche et dénonçant la science comme l’outil de la répression, du capitalisme sauvage et du machisme guerrier. Non intéressés à s’associer à ces scientifiques mais plutôt intéressés à dénoncer ces excès et utilisations néfastes de la science, ces intellectuels se sont évertués à détruire le statut privilégié de la connaissance scientifique lorsque la science était placée comme la méthode imbattable pour trouver la vérité. Ils ont tourné de bord la première partie de cette leçon. Pour eux, la science n’offre pas une description vraie de la réalité. Pour caricaturer, il ne s’agit que d’une autre religion avec ses rites, croyances, dogmes, chapelles et grands prêtres. Ils entreprirent de « déconstruire » le temple scientifique, de faire connaître la nature véritable de la connaissance scientifique - réduite à une connaissance comme les autres, et de démystifier les véritables pratiques des scientifiques. Les paragraphes qui suivent tentent de résumer l’argumentation de quelques-uns des plus célèbres penseurs contemporains de la science et protagonistes des guerres de la science.

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5.3.2 Thomas Kuhn (1922 – 1996) Le premier et toujours le plus célèbre des penseurs modernes à ébranler l’édifice scientifique a été Thomas Kuhn avec La Structure des révolutions scientifiques, paru en 1962, une œuvre qui séduit toujours. Kuhn a montré que la science n’a rien à voir avec la recherche d’une vérité objective, mais qu’elle se résume à une démarche de solution de problème inscrite dans un système de croyances contemporain. Ce système de croyances et de valeurs se concrétise dans une série de procédures expérimentales dont les résultats renforcent les croyances et valeurs de départ. Kuhn appelle ce système paradigme. Pendant leur vie, la plupart des scientifiques font de la science dite « normale » dans le cadre d’un paradigme donné. Par contre, il arrive que des Copernic, Newton, Darwin et Einstein proposent des systèmes de croyances différents provoquant des révolutions scientifiques : le passage d’une vision du monde plaçant la Terre au centre de l’univers à un monde héliocentrique, la sujétion des phénomènes terrestres et célestes aux mêmes lois, le passage d’un monde créé par un dieu à un monde sans dessein en perpétuelle création, et le passage d’une physique avec un temps uniforme et absolu à un temps élastique dépendant des vitesses relatives de l’observateur et de l’observé. Un nouveau paradigme s’impose non par son mérite « scientifique », mais parce que les adversaires ou partisans du vieux paradigme finissent par mourir, ou que le paradigme lui-même montre ses failles. La relativité générale des einsteiniens s’impose comme la description scientifique de la nature lorsque le temps a décimé les rangs des newtoniens. Thomas Kuhn a brouillé cette image d’une science découvrant le réel de façon graduelle, rationnelle et linéaire. La science y a perdu un verni de rationalité, qui ne bernait que les philosophes; les scientifiques innovateurs ne savent trop bien combien il est difficile de faire accepter leurs idées.

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5.3.3 Karl Popper (1902 – 1994) Fossoyeur des prétentions scientifiques du marxisme et du freudisme, Karl Popper offre ce qui demeure sans doute la plus incisive et la plus éclairante des définitions de la science : la science est ce qui est falsifiable. La science de Popper est un perpétuel effort de réfutation. Chaque test et chaque observation cherche à infirmer la théorie acceptée. La science ne serait que la somme momentanée des théories rescapées des efforts de falsification des scientifiques. Popper inscrit le doute systématique au cœur de la démarche scientifique. Le doute et l’attitude critique alimentent l’ambition de tout scientifique de trouver le phénomène inexplicable dans le cadre du « paradigme du jour ». Puisque le marxisme et le freudisme réussissaient toujours à intégrer n’importe quel phénomène dans un cadre conceptuel de plus en plus élastique - par exemple, la révolution socialiste qui devait d’abord se produire dans les sociétés capitalistes les plus avancées mais qui a eu lieu dans des sociétés paysannes (Russie et Chine), ces systèmes ne sont pas falsifiables, donc non scientifiques. En pratique, la plupart des scientifiques se contentent de vérifier les expériences déjà réalisées afin d’en confirmer les conclusions. En même temps, ils rêvent de trouver la faille qui sera l’amorce d’une nouvelle théorie. Les scientifiques qui attendent impatiemment les premiers essais du Large Hadron Collider du Centre européen de recherche nucléaire (CERN), à Genève, cherchent tout autant une « nouvelle physique », qui les surprendrait et les obligerait à sortir des sentiers battus, que la confirmation de l’existence du fameux boson de Higgs, prédit par le modèle standard.

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5.3 Menaces et limites de la science

L’induction, force et faiblesse de la science Dans la première partie, nous avons vu que les lois et théories scientifiques sont des « généralisations ». Par exemple, une barre de cuivre chauffée augmente en volume; le volume d’une barre de fer dont on augmente la température augmente aussi; de même pour un bloc d’aluminium. Or, cuivre, fer et aluminium sont des métaux. La méthode scientifique « induit » de ces exemples que les métaux dont on augmente la température augmentent aussi en volume. La généralisation, ou pour utiliser le terme savant, l’induction consiste à émettre une loi scientifique, par exemple, « les métaux chauffés augmentent de volume », à partir d’une foule d’observations d’accroissement de métaux soumis à des augmentations de température, sous toutes sortes de conditions. La grande faiblesse de l’induction tient au fait que la loi induite demeure à la merci d’une seule exception. Les lois scientifiques ne peuvent invoquer la force de la logique et de la déduction. Dans une déduction, on prend pour vraie la phrase : « les métaux chauffés augmentent de volume ». Puis on prend pour vraie la phrase : « le cuivre est un métal ». Il s’ensuite logiquement de ces deux prémisses que le volume du cuivre chauffé augmente. La science ne s’exerce pas dans le monde éthéré et purement rationnel de la logique. La véracité scientifique ne peut faire uniquement appel à la logique, elle doit aussi s’appuyer sur une collecte de résultats d’expériences, d’observations et d’exemples. La vérité scientifique est une vérité matérielle, par opposition à la vérité intellectuelle. La vérité scientifique est condamnée à naviguer entre l’imparfaite réalité du monde et la parfaite construction de l’argumentation logique. Puisque les scientifiques ne pourront jamais être certains qu’ils ont testés tous les métaux, l’induction ouvre tout naturellement la porte à la falsification. Le trait de génie de Karl Popper a été de réaliser que cette vulnérabilité définit la nature même de la méthode scientifique.

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5.3.4 Méthode scientifique

Ce diagramme tiré de Qu’est-ce que la science? d’Alan Chalmers (La découverte, 1987), montre comment les scientifiques construisent les théories et les lois scientifiques en utilisant l’induction, puis déduisent des faits et des prédictions des ces lois et théories. Leurs déductions relèvent de la logique, mais elles s’appuient sur des lois et théories de vérité matérielle.

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5.3.5 Paul Feyerabend (1924-1994) Maintenant, une touche d’anarchie. Dans les années 1960, Feyerabend invitait sorcières, créationnistes, darwinistes et cartomanciennes à s’expliquer et débattre devant ses étudiants de Berkeley. Pour lui, « tout est bon ». Pour Feyerabend, la fin justifie les moyens dans le monde de la science. Galilée, par exemple, a autant utilisé le mensonge, la manipulation des données et la propagande que l’observation expérimentale minutieuse rendue possible grâce à un nouvel instrument scientifique de son invention, le télescope. « Galilée, écrit-il, prévaut parce qu’il écrit bien et a le tour de convaincre, parce qu’il écrit en italien plutôt qu’en latin et parce qu’il a la faveur des gens disposés à adopter les idées nouvelles… » Donc, si les scientifiques utilisent les mêmes moyens que tout le monde, la vérité scientifique n’est pas plus véritable que celle de l’astrologue, de la diseuse de bonne aventure ou du mystique. Pour Feyerabend, tout se vaut. La science, surtout la science institutionnalisée, n’a de valeur que comme phénomène historique. Le dogme scientifique est même dangereux. Il faut libérer la société de l’emprise d’une science totalitaire. La voie était pavée pour le constructivisme sociologique

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5.3.6 Le constructivisme sociologique Pourquoi les anthropologues n’observeraient-ils pas les scientifiques comme une tribu aux mœurs particulières? La rigueur de la démarche anthropologique exige de ne pas donner tellement d’importance à ce que les gens disent, mais à noter avec minutie leurs faits et gestes. Les constructivistes reconstruisent une science en tant que pur produit de la société. Ils en concluent que la société détermine en grande partie les « croyances » des scientifiques. Ainsi, une scientifique a beau évoquer ses études et ses travaux, c’est son milieu socioculturel qui explique sa croyance en une certaine théorie. Les sociologues constructivistes prennent pour acquis que les scientifiques se leurrent en affirmant découvrir le réel. Leur discours ne forme rien de moins qu’un discours de pouvoir. La science n’est qu’un outil de domination. Tout juste à côté des constructivistes, il y a les partisans de « la science en action » comme Bruno Latour. Ils disent qu’ils décrivent simplement ce que les scientifiques font dans les laboratoires. Pour eux, lorsqu’un scientifique regarde dans un microscope, que voit-il en réalité? On ne sait pas. Il voit quelque chose, mais il déclare « je vois des bactéries ». Mais les bactéries parlent-elles, s’identifient-elles elles-mêmes? Cela signifie tout simplement, selon « la science en action » qu’une grande partie de la science observée ou expérimentée est presque « inventée » ou, si vous préférez, « préconstruite » dans la tête des scientifiques. L’approche sociologique, tout comme celle de Kuhn, a le mérite d’inscrire les découvertes scientifiques dans leur cadre social historique. Elle explique le peu d’impact de la découverte de l’hérédité par Gregor Mendel et de la dérive des continents par Alfred Wegener, tous deux en avance sur leur temps.

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5.3.7 Relativisme culturel et science Le relativisme culturel selon lequel chaque culture a sa vérité, chaque vérité étant aussi valable l’une que l’autre, a aussi été appliqué à la science. Les deux auteurs de cette leçon se souviennent d’un doyen de la faculté des sciences de l’Université de Yaoundé affirmant que les Africains se devaient d’inventer leur modèle de l’atome. D’autres croient que la faible part de l’effort scientifique dédié aux problèmes des pays en développement serait intrinsèque à une science dominée par des Occidentaux. Des féministes affirment qu’une science faisant plus de place aux femmes serait plus respectueuse de l’environnement. Hossein Nasr, un intellectuel musulman, affirme que la science que l’on connaît présentement est la création d’un Occident décidé à faire cracher la vérité à la nature et à la mettre à son service. Une science islamiste serait bien différente à cause du caractère sacré de la nature dans la religion musulmane. En Inde, un courant de pensée cherche à inventer une science nouvelle basée sur des notions hindoues du temps, de l’espace, de la logique et de la nature. Finalement, la science produit socioculturel, peut être l’instrument d’un groupe dont les intérêts iraient à l’encontre d’autres groupes, d’autres cultures, de la paix ou de l’environnement. Qu’en pensez-vous?

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5.4 Comment se construit la science 5.4.1 Introduction Cette partie de la leçon présente comment se construit la science et la vérité scientifique, en pratique. Vous apprendrez que la science prend forme dans la production d’articles publiés dans les revues scientifiques. Vous apprendrez que la production d’articles scientifiques incorpore un mécanisme de vérification. Vous connaîtrez les limites de la vérité scientifique des grandes revues scientifiques. Enfin, vous serez initié à un mécanisme moderne d’obtention de la vérité scientifique sur des grandes questions complexes et vitales pour l’humanité. Chemin faisant vous maîtriserez quelques concepts qui vous permettront d’évaluer la crédibilité des scientifiques et de leurs publications. Référez-vous aussi au cours 2 Comment trouver et évaluer les sujets scientifiques [ http://www.wfsj.org/course/fr/L2/L2P00.html ].

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5.4.2 Le science est-elle ce qu'on trouve dans les revues scientifiques? Si vous demandez à une scientifique effectuant de la recherche de vous dire ce quel est son travail, elle risque de vous répondre: j’écris des articles pour des revues savantes. On pourrait donc dire que la science, c’est ce qu’on trouve dans les revues savantes. La véracité de cette réponse tient au fait que publier constitue l’activité fondamentale du scientifique. Un scientifique qui ne publie pas n’a pas de statut, pas de subventions pour ses projets ou même, pas d’emploi. L’adage « publier ou périr » caractérise bien la vie des scientifiques. Une fois ses diplômes en poche, la carrière d’un scientifique tient au nombre d’articles publiés, et tout particulièrement au nombre d’articles publiés dans les grandes revues scientifiques, celles dont les articles ont l’index de citation le plus élevé et ont le plus d’impact. Ces grandes revues scientifiques construisent leur réputation en faisant passer deux tests aux articles publiés. D’abord, les éditeurs des publications évaluent rapidement la qualité et aussi l’importance de l’article. Puis, la publication transmet une copie de l’article à plusieurs experts reconnus du domaine qu’on appelle les pairs, d’où l’expression vérification ou révision par les pairs. Les revues scientifiques les moindrement sérieuses soumettent les articles à une révision par les pairs avant de les publier. Révision par les pairs: la révision par les pairs demeure la méthode la plus répandue par laquelle les publications scientifiques s’assurent que les articles publiés sont à la fine pointe d’un domaine de recherche. Chaque article reçu est transmis à d’autres scientifiques œuvrant dans la même discipline, les pairs. Ceux-ci évaluent la qualité scientifique de l’article, sa pertinence pour la revue, et surtout la relation entre la méthodologie décrite et les conclusions. Index de citation: l’index de citation permet de connaître le nombre de fois qu’un article a été cité dans la documentation, c’est-à-dire dans d’autres articles scientifiques. On dit aussi visibilité. Le facteur d’impact: le facteur d’impact est un outil d’évaluation d’un périodique. Le facteur d’impact attribué à un périodique, pour une année donnée, est basé sur le nombre moyen de citations des articles publiés dans ce périodique pendant les deux années précédentes. Le facteur d’impact peut être consulté sur le site suivant : [ http://www.sciencegateway.org/rank/index.html ]. Ce site contient une foule d’autres informations sur la production scientifique des pays, des scientifiques et des universités.

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5.4.3 Les limites de la révision par les pairs La vérification par les pairs confirme que les autres spécialistes du même domaine trouvent que le contenu de l’article est compatible avec ce qui est généralement accepté dans une discipline donnée. En fait, la véritable vérification a lieu lorsque d’autres scientifiques utiliseront la méthodologie décrite dans l’article pour arriver aux mêmes résultats. La « véracité » d’un article vérifié par les pairs demeure temporaire, tant qu’une nouvelle série d’expériences ne l’a pas confirmée, il faut conserver une certaine réserve. Ce n’est qu’une vérité provisoire. Est-ce que les journalistes scientifiques ont une confiance injustifiée dans les articles vérifiés par les pairs? Bien sûr, le processus est loin d’être infaillible. Le cas le plus récent et le plus spectaculaire est l’article du chercheur sud-coréen Hwang Woo-suk, qui prétendait avoir cloné un embryon humain et en avoir produit les premières cellules souches. La revue Science, publiée par l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), avait fait coïncider la parution de cet article avec son assemblée annuelle de 2004, à Washington. L’AAAS avait retiré une immense publicité de cette publication bien orchestrée. Le dommage à sa réputation a été d’autant plus grand. John Rennie, rédacteur en chef de Scientific American émet quatre réserves à l’endroit des revues vérifiées par les pairs.

• la possibilité d’erreur: le contenu d’un article vérifié par les pairs ne tient que lorsque d’autres scientifiques ont reproduit les mêmes résultats avec la même méthodologie;

• la fraude: il est extrêmement difficile pour les vérificateurs de découvrir la tromperie délibérée d’un scientifique. Toute l’entreprise de l’édition scientifique repose sur la bonne foi des scientifiques, mais les journalistes scientifiques ont tendance à être moins critiques des documents scientifiques que les journalistes économiques des rapports financiers des entreprises;

• les biais et la malhonnêteté: par exemple, les scientifiques qui s’arrangent avec un éditeur complaisant;

• la pression politique: par exemple, lorsque les autorités états-uniennes intiment aux revues scientifiques de ne pas publier les articles en provenance de l’Iran, de la Lybie et du Soudan.

Malgré ses réserves, John Rennie conclut que les très rares problèmes des articles des revues scientifiques vérifiées par les pairs ne devraient pas empêcher les journalistes scientifiques d’en faire leurs sources de choix.

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5.4.4 La vérité scientifique par consensus Le journaliste scientifique d’aujourd’hui écrit sur des sujets qui concernent l’humanité entière. Les menaces sur le climat, les ressources en eau, les réserves énergétiques, la vie privée et la santé interpellent les gouvernements de partout. Les politiciens et décideurs se trouvent confrontés à de graves décisions, mettant en jeu des emplois, des façons de vivre et des sommes considérables. Or, il s’avère extrêmement difficile de connaître la vérité sur l’état exact des ressources planétaires en eau, nourriture, pétrole, gaz, forêts, et terres arables et encore plus sur l’évolution à court, moyen et long terme de ces ressources, de notre climat et de la technologie. Devant l’ampleur et l’urgence de ces problèmes planétaires, les scientifiques et les gouvernements ont mis en place des processus permettant d’évaluer ces problèmes et même de faire des recommandations. Ces mécanismes ont en commun de rassembler les meilleurs scientifiques d’un domaine, de les assister en leur fournissant des mécanismes de discussion débouchant sur des consensus (secrétariat, lieux de réunion, soutien logistique, recherchistes et rédacteurs spécialisés), et de leur fournir des moyens de faire connaître leurs conclusions et recommandations. Il peut s’agir d’un comité chargé de faire la synthèse des connaissances sur une question, par exemple sur le guide alimentaire; de comités d’une académie nationale des sciences; d’une commission d’enquête créée à la suite de l’effondrement d’un pont et chargée d’examiner l’état de l’infrastructure routière d’un pays; ou d’un grand rassemblement d’experts comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui vient de se mériter le prix Nobel de la paix 2007 [ http://www.ipcc.ch/languages/french.htm ]. Le GIEC mobilise des milliers de scientifiques. Ils ne reçoivent aucun salaire et travaillent pour la plupart dans l’anonymat. Ils doivent lire et comprendre des études très complexes, rédiger des synthèses d’articles spécialisés, se déplacer pour se rencontrer et réussir à s’entendre sur les données et les recommandations. Dans le cas du GIEC, les scientifiques ont ensuite dû obtenir l’approbation des gouvernements pour chaque rapport. Le travail est épuisant, mais les scientifiques impliqués ont l’occasion de faire vérifier leurs recherches et de côtoyer les meilleurs au monde.

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5.4.5 Liens Site web du GICC : http://www.ipcc.ch/languages/french.htm http://www.ipcc.ch/index.htm Site web du projet d’appui aux académies des sciences africaines : http://www.nationalacademies.org/asadi/ Académie des sciences et techniques du Sénégal : http://www.interacademies.net/CMS/2950/4242.aspx

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5.5 Exercices d'auto-apprentissage (1-2) Question 1 Donnez de courtes réponses à ces questions :

1. Que signifie «connaître un objet»? 2. Quelle est l’origine latine du mot «raison»? 3. Pouvez-vous nommer quelques grandes religions de notre histoire? 4. La connaissance commune critique-t-elle ses acquis ou pense-t-elle que ceux-ci sont

immuables? 5. Pensez-vous que les savants aussi utilisent la connaissance de tous les jours? 6. Comment s’acquiert la connaissance quotidienne? 7. Que veut dire le mot ‘épistémologie’? 8. Où commence la connaissance approfondie? 9. Comment se caractérise la connaissance approfondie? 10. Qui peut vraiment comprendre une œuvre d’art? 11. Quel type d’approfondissement entreprend la science? 12. Quelles sont les caractéristiques de la science expérimentale? 13. Citez quelques autres méthodes de connaissance. 14. Quelles sont les étapes principales de la méthode expérimentale? 15. La science est-elle une religion au sens courante du mot? 16. Quels critères les faits rapportés par un journaliste doivent-ils rencontrer? 17. Donnez quelques représentations du journalisme scientifique. 18. Quelle est la fonction du journaliste scientifique? 19. Comment évaluer la crédibilité d’un scientifique? 20. Comment évaluer le rayonnement et l’influence d’un scientifique? 21. Quelles sont les quatre grandes réserves de John Rennie à l’endroit des revues

scientifiques, même celles vérifiées par les pairs? 22. Quelles sont les avantages et désavantages pour un scientifique de siéger sur un

comité?

Question 2 Donnez de courtes réponses à ces questions :

1. À votre avis, existe-t-il plusieurs manières de «connaître»? 2. Les différentes façons de connaître dépendent-elles des peuples? 3. Dans votre culture, quand dit-on que l’on «connaît»? 4. Pouvez-vous citer quelques croyances de votre milieu? 5. Que désigne-t-on dans votre culture par « une personne raisonnable »? 6. Pour vous, l’astrologie est-elle une croyance? 7. Donnez une connaissance qui vous semble être une connaissance commune. 8. Si j’affirme, « le soleil se lève tous les matins et se couche tous les soirs », de quel type

d’information ai-je tiré cette connaissance? 9. Qui, à votre avis, vous a appris que le soleil se lève et se couche? 10. Pouvez-vous vous rappeler quelques connaissances acquises dans votre enfance dans

les relations avec d’autres enfants? 11. Pensez-vous qu’un physicien et un artiste peintre, ou sculpteur ont quelque chose en

commun? 12. Peut-on approfondir la connaissance d’un phénomène en creusant au-delà des

apparences?

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13. Faites-vous une différence entre la raison et l’émotion? 14. Entre une équation mathématique et un poème y a-t-il des ressemblances? 15. Entre une équation mathématique et un poème y a-t-il des différences? 16. Y a-t-il de la tradition dans la connaissance approfondie? 17. Une personne dit « j’ai assisté en un jour à 36 000 couchers de soleil ». Une autre

affirme : « le soleil ne se couche jamais ».

Quelle est l’affirmation du poète? Quelle est l’affirmation du scientifique? Quelle est la personne dont la connaissance relève de l’esthétique? Quelle est la personne dont la connaissance relève de la vérité démontrable? Quelle est l’affirmation qui est neutre, objective, et universellement vraie? Pourquoi dit-on que la connaissance scientifique est critique et rationnelle? Les scientifiques de votre pays pensent-ils être aussi des artistes?

18. Qu’appelle-t-on méthode expérimentale? 19. À quoi servent les laboratoires scientifiques? 20. Les scientifiques de votre pays vous parlent-ils parfois de leur méthode?

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5.6 Réponses aux exercices d'auto-apprentissage (1-2)

Question 1

1. «Connaître» un objet c’est pouvoir le décrire dans tous ses aspects visibles et moins visibles, dans les interactions qu’il établit avec les autres objets et son environnement.

2. Raison vient d’un mot latin «ratio» qui signifie calcul. Agir de manière rationnelle signifie agir en calculant les effets de ses actes.

3. L’islamisme, le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme, l’hindouisme, etc. 4. Pour la connaissance commune, les acquis connus sont immuables. Ils ne changent pas. 5. Les savants utilisent aussi et d’abord la connaissance commune dans la vie de tous les

jours. Ensuite ils s’en émancipent dans leurs travaux. 6. Elle se fabrique et se transmet par nos familles, par les parents, les cercles d’amis, les

voisins, les compagnons de jeu, la tribu ou la communauté. 7. L’épistémologie est la science de la science. Elle étudie de façon critique les différents

modes de connaissance : philosophies, sciences, etc. Elle les situe dans leur époque et leur culture et les compare. Toute la 5e leçon porte sur l’épistémologie.

8. La connaissance approfondie commence dès que l’on décide de ne plus accepter la seule explication envoyée par nos sens ou de s’en méfier. Nous sommes alors obligés de creuser un peut plus ou de voir différemment.

9. La connaissance approfondie cherche à voir autrement à créer, à imaginer, à découvrir ce que l’on ne connaît pas encore. Elle ne s’appuie plus sur la tradition et rejette la monotonie. Elle est critique.

10. Une vraie œuvre d’art ne peut être bien comprise que par celui qui reconnaît les styles, les genres, les formes, la symbolique, les lieux de production, les époques, pour pouvoir dire ce que l’œuvre exprime ou représente.

11. L’approfondissement en matière de science relève de la vérité conforme à la nature. 12. La science expérimentale est basée sur les faits. Elle vérifie. Elle est objective et

impersonnelle, elle est universelle. Elle est rationnelle. 13. Pour connaître, on a parfois eu recours à la religion, à l’argument d’autorité, au

mysticisme ou à l’empirisme naïf (connaissance commune). 14. La science moderne suit les étapes ci-après : observation, vérification expérimentale,

explication, généralisation et prédiction. 15. Même si la science semble s’insinuer partout et s’approprier des pouvoirs autrefois

réservés aux Dieux, la science n’est pas une religion et les scientifiques ne sont pas des ministres d’un culte. Bien que la science nécessite des infrastructures et des équipements parfois extrêmement coûteux, les scientifiques, eux, ne sont pas en particulier d’une race, d’un sexe, d’un âge, d’une religion, d’une couleur de peau, d’un niveau de richesse.

16. Le fait journaliste obéit aux critères suivants : la réalité et la vérité, l’actualité ou la nouveauté, la pertinence et l’intérêt.

17. Les journalistes scientifiques font un effort pour répandre et rendre intelligible le travail des scientifiques, en expliquant les mécanismes de la science, en reliant le monde scientifique au monde en général, en intéressant le public à la science, en créant une attitude positive envers la science.

18. Faisant œuvre de critique, le journaliste scientifique contemporain doit montrer comment se construit la vérité de telle manière que chacun puisse savoir qui croire et qui ne pas croire en science, quand croire et quand ne pas croire à la science. Il révèle en fait l’état de la science dans ce qui avance, ce qui est un recul ou une impasse.

19. Voici la meilleure façon d’évaluer la crédibilité d’un scientifique. a. demandez des copies de ses articles scientifiques b. vérifiez si les articles sont publiés dans revues vérifiées par les pairs

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20. Demandez et vérifiez les deux indices suivants : a. l’index de citation des ses articles b. le facteur d’impact des revues dans lesquelles les articles sont publiés.

21. 1. la possibilité d’erreur car il ne s’agit que d’une vérité temporaire 2. la fraude, par exemple, des photos trafiquées 3. les biais et la malhonnêteté 4. les pressions politiques empêchant une revue de juger de la pertinence des articles

reçus uniquement en fonction de leur importance et de leur exactitude scientifiques. 22.

a. désavantages : charge de travail, exigence de lire et synthétiser des études, anonymat, besoin de discuter et de s’entendre avec les collègues avec les inévitables tensions et conflits, besoin de se déplacer et (souvent) ne pas être rémunéré. b. avantages : occasions de connaître les recherches les plus récentes et les plus sérieuses, occasions de se déplacer, occasions de rencontrer les plus grands experts, occasions de faire valider ses recherches et prestige.

Question 2 Plusieurs réponses sont valides pour ce type de questions.

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5.7 Travaux pratiques Travail 1 Que pensent les scientifiques de votre pays des journalistes scientifiques locaux? Quelles informations disposez-vous sur la recherche scientifique dans votre pays : ses structures, ses laboratoires, les chercheurs, ses résultats, etc.? Travail 2 Cliquez sur le lien suivant : http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=2892 Écrivez un court article sur la recherche scientifique : sa définition, son histoire, les problèmes de société qu’elle pose, son éthique. Travail 3 Quel est votre philosophe des sciences préféré, Kuhn, Popper, Feyerabend ou le sociologue constructiviste? Pourquoi? Donnez trois raisons de croire que la science est une menace et trois raisons de croire qu’elle sauvera l’humanité. Travail 4 La science est-elle le produit d’une culture ou un savoir universel? Donnez votre point de vue en une page. Travail 5 Interviewez un scientifique qui a réussi (ou n’a pas réussi) à publier dans une revue vérifiée par les pairs. Demandez-lui pourquoi son article a été accepté, quel a été le processus, combien il a fallu de temps avant que l’article ne soit publié, quel a été l’impact de la publication de l’article sur sa carrière Travail 6 Comparez une revue non vérifiée par les pairs avec une revue vérifiée par les pairs. Quelles sont les différences? Travail 7 Si les médias participent à la construction de la culture et de la société, est-ce que le journaliste scientifique intègre la science à la culture de sa société? Y a-t-il une différence culturelle entre le journalisme scientifique pratiqué en Afrique, dans le monde arabe, en Inde ou en Amérique du Nord? Si oui, quelle différence existe-t-il? Travail 8 Trouvez les données sur le nombre de publications produites par les scientifiques de votre pays. Quelles sont les revues scientifiques publiées dans votre pays, qu’elles soient vérifiées par les pairs ou non. Travail 9 Êtes-vous d’accord avec John Rennie? Travail 10 Donnez un exemple de fraude scientifique dans votre pays Travail 11 Donnez un exemple de comité scientifique dans votre pays. Y a-t-il une académie des sciences dans votre pays? Les comités scientifiques et les académies disent-ils la vérité?

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Travail 12 Donnez un exemple de recommandations d’un comité scientifique acceptées et un exemple de recommandations rejetées, de préférence dans votre région ou pays Travail 13 Quelles ressemblances peut-il y avoir entre le journalisme et la science? Y a-t-il des différences? Pensez-vous que le journaliste scientifique est un critique de la science?