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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 1—4 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com FAITES LE POINT Qu’est-ce que l’hypnose ? Processus et induction What about hypnosis? Process et Induction Jean-Marc Benhaiem a,,b a Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France b Hôtel-Dieu, 1, place Jean-Paul-II, 75004 Paris, France Rec ¸u le 11 juin 2013 ; accepté le 4 octobre 2013 Disponible sur Internet le 22 novembre 2013 MOTS CLÉS Hypnose ; Attention ; Dissociation Résumé Les soignants s’intéressent de plus en plus à l’hypnose médicale. Pourquoi ? Parce que trop de techniques avaient déshumanisé le soin ? Parce que c’est à la mode de dénigrer les médicaments ? Parce que considérer les patients comme des objets n’est pas acceptable ? Parce que c’est le retour au magique, au merveilleux qui attire les soignants ? Les raisons seraient multiples. Dès lors qu’un médecin ou une infirmière a recours à l’hypnose, tout est bouleversé dans le soin. Le patient se sent entendu, compris. Le thérapeute se sent plus à l’aise ; sa fac ¸on de soigner change radicalement. L’hypnose est une expérience. Inutile d’en parler trop longuement sur un plan théorique si on veut transmettre ce savoir. Elle ne se situe pas dans la technique pure, ni dans l’intellectualisme. Elle est à la croisée de ces chemins. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Hypnosis; Attention; Dissociation Summary Nowadays more and more medical practitioners are interested in medical hypnosis. But why is that? Is it due to too many dehumanized medical treatments? Has it become trendy to cut down on medicine? Is it because considering patients as objects is no longer acceptable? Or because therapists are looking for magical, supernatural experiences? Clearly there are multiple reasons. As soon as a doctor or a nurse uses hypnosis on a patient, treatment is disrupt. The patient feels understood, taken into consideration. The therapist feels more comfortable; his treating methods are radically different. Hypnosis is an experience. No use debating too much about it in order to pass on the knowledge. It is not pure technique nor just intellectualism. It is somewhere in between. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Cet article a fait l’objet d’une communication lors du 12 e congrès de la SFETD en novembre 2012. Correspondance. 1624-5687/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.10.004

Qu’est-ce que l’hypnose ? Processus et induction

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 1—4

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

FAITES LE POINT

Qu’est-ce que l’hypnose ? Processuset induction�

What about hypnosis? Process et Induction

Jean-Marc Benhaiema,∗,b

a Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Ambroise-Paré, 9, avenueCharles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, Franceb Hôtel-Dieu, 1, place Jean-Paul-II, 75004 Paris, France

Recu le 11 juin 2013 ; accepté le 4 octobre 2013Disponible sur Internet le 22 novembre 2013

MOTS CLÉSHypnose ;Attention ;Dissociation

Résumé Les soignants s’intéressent de plus en plus à l’hypnose médicale. Pourquoi ? Parceque trop de techniques avaient déshumanisé le soin ? Parce que c’est à la mode de dénigrer lesmédicaments ? Parce que considérer les patients comme des objets n’est pas acceptable ? Parceque c’est le retour au magique, au merveilleux qui attire les soignants ? Les raisons seraientmultiples. Dès lors qu’un médecin ou une infirmière a recours à l’hypnose, tout est bouleversédans le soin. Le patient se sent entendu, compris. Le thérapeute se sent plus à l’aise ; safacon de soigner change radicalement. L’hypnose est une expérience. Inutile d’en parler troplonguement sur un plan théorique si on veut transmettre ce savoir. Elle ne se situe pas dans latechnique pure, ni dans l’intellectualisme. Elle est à la croisée de ces chemins.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSHypnosis;Attention;Dissociation

Summary Nowadays more and more medical practitioners are interested in medical hypnosis.But why is that? Is it due to too many dehumanized medical treatments? Has it become trendy tocut down on medicine? Is it because considering patients as objects is no longer acceptable? Orbecause therapists are looking for magical, supernatural experiences? Clearly there are multiplereasons. As soon as a doctor or a nurse uses hypnosis on a patient, treatment is disrupt. The

patient feels understood, taken into consideration. The therapist feels more comfortable; histreating methods are radically different. Hypnosis is an experience. No use debating too muchabout it in order to pass on the kIt is somewhere in between.© 2013 Elsevier Masson SAS. All r

� Cet article a fait l’objet d’une communication lors du 12e congrès de∗ Correspondance.

1624-5687/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droitshttp://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.10.004

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istorique

ranz Anton Mesmer, médecin autrichien, inventeur etécouvreur d’une méthode thérapeutique dénomméeagnétisme animal, décida de l’appliquer en 1775 à tous lesésordres pathologiques. Il affirmait que cette cure pouvaitésoudre tous les problèmes de santé.

Dès 1850, l’invention de l’éther, puis plustard du protoxyde d’azote et les divers progrèsde la médecine ont détourné les médecins de la

pratique de l’hypnose.

Est-ce que cela signifie que l’hypnose est une méde-ine d’un autre temps ? Comment comprendre le retourctuel de sa pratique dans le milieu scientifique ? En France,e développement actuel des centres de traitement de laouleur a sans doute contribué à étendre les indicationst la pratique de l’hypnose médicale plus spécifiquementour la douleur chronique. Aujourd’hui, devant l’aide ines-imable que l’hypnose apporte dans l’art du soin, nous nousemandons comment une thérapie si efficace a pu litté-alement disparaître de la pratique médicale ? C’est avecoulagement que nous la voyons réapparaître dans l’arsenalédical.

es phases du processus

a description d’une séance d’hypnose permet de préci-er le processus de l’hypnose [1]. Elle apporte aussi uneeilleure compréhension de la psychopathologie et de ce

ait, ouvre à plus de possibilités de soigner. La séance’hypnose comporte plusieurs phases qui forment un pro-essus composé de trois étapes.

Le point de départ est « la veille ordinaire » (selon laerminologie proposée par Francois Roustang) qui convient

l’accomplissement des tâches du quotidien. La per-onne utilise ses sens et sa raison pour appréhender leonde.Le premier mouvement est l’« induction » ; l’hypnotiseur

ropose à son patient de fixer son attention ou son regardur un objet ou sur une partie de son corps. La fixationrolongée visuelle ou mentale provoque une restrictionu champ perceptif comme dans le cas d’un enfant quiegarde la télévision et qui se coupe ainsi de son environne-ent. Une attention prolongée lui fait perdre le contexte ;’ailleurs, il en oublie de faire ses devoirs et d’apprendre sesecons !

La fixation prolongée sans balayage trouble la vision quievient floue. L’espace autour de la zone qui est fixée, etarfois la zone elle-même finit par devenir confuse, et laersonne a l’air absente, « dans les nuages », dans une sortee rêverie.

Vous pouvez tenter vous-même cette expérience.orsqu’on interroge un groupe de personnes sur cet exer-ice, nous recevons les réponses suivantes. « Le point fixé

e déplace. . . tourne. . . avance. . . change de couleur. . . tout’environnement disparaît. . . mes yeux se fatiguent. . . j’ainvie de dormir. . . de fermer les yeux. . . mes muscles seelâchent. . . ». Tout un autre monde s’ouvre. Un monde où la

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J.-M. Benhaiem

ogique a disparu pour laisser la place à la sensation. C’est leérite de l’hypnose de mettre en évidence ces deux modese perception.

Cette deuxième phase est nommée diversement dissociation, confusion ». Le patient s’est séparé de sonttention liée aux fonctions réflexives, intellectuelles etensorielles. Il est coupé de ses perceptions auditives,isuelles, tactiles, gustatives. La focalisation fait perdre leontexte. En pratique clinique, cette situation est connue.ne personne fixe un problème ou une douleur, ce qui aomme conséquence de faire disparaître la « périphérie ».r c’est là que se situent les solutions de ses problèmes.on seulement ce qu’il regarde peut se déformer, grossir,ourner au catastrophisme, mais encore il perd sa visonlargie, il n’a plus le recul.

Son corps est engourdi et immobile. Parfois une anky-ose des membres apparaît. Cet état, en général agréable,st proche de la relaxation. Il est possible d’en rester là.ans le cas d’un soin douloureux : pansement, infiltration,ose d’une perfusion, cette forme de dissociation possèden effet antalgique suffisant pour permettre le soin. La per-onne se « dissocie » temporairement d’une partie de sonorps qu’elle confie au soignant dans un contexte bien-eillant.

La troisième étape est « une ouverture ». La personne’installe dans une « sensorialité première » qui fonctionnen dehors de la raison. L’humain pour y accéder doit uti-iser ressources, inventivité et imagination. Il faut en faire’expérience pour comprendre quelque chose à l’hypnose.

Se mettre dans un état hypnotique, seul ou guidé par unhérapeute, a comme unique objectif de mettre en relation’être humain avec la totalité de son corps, de son espacet de son savoir qui sont les éléments constitutifs de sononde. Et entrer en relation avec son corps, est la condi-

ion nécessaire pour guérir. Paradoxalement, pour retrouvere corps, il fallait commencer par le quitter par une phasee dissociation. Faire l’expérience est une démarche banalen Extrême Orient. En Occident, on veut surtout compren-re. La pratique de l’hypnose nous rapproche du mode deie des asiatiques qui placent l’expérience au cœur de toutavoir.

ode d’installation d’une pathologie

i l’on comprend bien le mode d’installation et les parti-ularités d’une pathologie, il devient possible d’intervenirlus facilement avec l’hypnose et plus précocement, poura désamorcer.

Toutes ces étapes du processus hypnotique se sont dérou-ées dans un contexte de soins empreint de bienveillance.ela contraste avec traumatismes et douleurs qui peuventgalement induirent une fascination hypnoïde mais dans unontexte pénible et violent. On parle alors d’une sidération,ui immobilise la personne. À force de fixer un problème oun organe blessé, la douleur et la souffrance s’installent,ccupant tout le champ de perception de la personne.

es effets de la fixation prolongée

’immobilisation d’un sens aboutit à une confusion. Unxemple, si le doigt touche un objet sans se déplacer, il finit

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Qu’est-ce que l’hypnose ? Processus et induction

par ne plus rien sentir. Les sens sont inopérants en l’absencede mouvement. Le mouvement permet une exploration quiprécise les différences et les contrastes. C’est l’expositionprolongée qui crée la pathologie. On peut risquer une autrecomparaison : passer le doigt dans la flamme d’une bougie nebrûle pas, sauf si on s’y arrête ! Là encore c’est l’immobilitédans l’exposition qui induit une blessure.

Si une personne fixe un épisode de sa vie avec intensité etde manière prolongée, cet événement devient vite flou etimpossible à analyser clairement. Le désir profond et réelde guérir n’y change rien. Les patients pensent qu’il fautfixer pour résoudre, et ne quitter des yeux que lorsque leproblème sera résolu ; alors que le soin demande un balayagequi clarifie la vision et ouvre l’espace de perception danslequel la réponse se situe. Dans cet espace se trouvent tousles autres liens qui tiennent une personne en vie et qui sontautant de réponses aux difficultés rencontrées.

Une pensée triste n’est rien, sauf si elle dure.Une douleur n’est rien sauf si elle s’installe. Une

peur n’est rien sauf si elle se renouvelle tropfréquemment. Finalement, ce que l’on soigne àchaque fois c’est l’immobilisation, la sidération,

la focalisation.

Ces particularités se retrouvent dans l’attitude despatients qui répètent leur histoire à qui veut l’entendre. Lediscours évolue vers la plainte. Même entendue et reconnuecette plainte prend les caractéristiques d’une obsession.

L’importance du contexte

La focalisation de l’attention sur un élément, isole cetélément qui devient impossible à comprendre sans soncontexte. Un exemple : une personne est obsédée parun événement difficile de sa vie. Peu à peu, ce qu’elleregarde par la pensée devient complexe et insoluble. Seulle balayage permettrait de voir à la périphérie d’autreséléments qui pourraient apporter des solutions au dit pro-blème. Dans un espace large de perception, il existeraitdes réponses d’adaptation au problème. Pour guérir, ladémarche globale devra aboutir à un processus d’ouverture.

Exemple : un homme de 35 ans a perdu une jambe dansun accident. S’il pense à ce qu’il a perdu, à l’injustice, àl’handicap, il est assuré de souffrir indéfiniment. S’il refusede penser et se met à agir avec son corps comme il est, sansexigence aucune, le soulagement lui vient. Il a élargi sonchamp de perception.

Exemple : une femme de 40 ans, mère de famille, asi mal à son côlon, qu’une intervention d’hémicolectomieest envisagée. Pendant la séance d’hypnose, elle est ame-née à comparer son côlon douloureux avec un de sesenfants qui serait pénible. Elle décide finalement de gar-der les deux. Ses douleurs diminuent aussitôt et deviennentsupportables.

La survenue d’un problème de santé oblige à intensi-fier la vigilance et l’inquiétude. Cela se traduit par une

méfiance envers le corps et par un contrôle permanentqui ferme l’accès à la sensorialité première. Ce contrôleest un système de défense qui résulte du besoin de seprotéger de la souffrance et des souffrances éventuelles

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venir. Ce contrôle est aussi une rigidité qui rend touthangement impossible. Les exercices d’hypnose visent àéduire ou à modifier ce contrôle. La particularité dea sensorialité première est d’être un accès vers uneotale liberté de perception et donc de réaménagementu corps intégrant le handicap. La souffrance proviente ce qu’une personne s’oppose à ce qui lui arrive. Elle’en veut pas ! À l’inverse, le soulagement survient dèsors que cette opposition s’annule. Elle adhère à la réa-ité.

es deux perceptions

’est le mérite du philosophe et hypnothérapeute Francoisoustang, de mettre l’accent sur ces deux modes perceptifsévélés par l’induction d’hypnose. Le philosophe allemandegel écrivait que le magnétisme animal avait pour bute séparer « la conscience d’entendement » de « l’âme sen-ante ». Roustang s’en inspire dans son ouvrage, « Qu’est-ceue l’hypnose ? » [2] lorsqu’il écrit que l’hypnose trans-orme la veille restreinte en veille généralisée. On parleujourd’hui de pleine conscience. Si l’on a bien idée dee qu’est un mode de contrôle, de vigilance, ou de raison-ement, on remarque que peu de praticiens de l’hypnoseErickson, Chertok, Mesmer, Freud) ont décrit cette phase’aboutissement d’une séance d’hypnose. On parle d’unieu de ressources, de possibilités en réserve, sans plus’éclairage. Roustang décrit cette étape comme un lieu’indétermination propre à ce que ressent l’artiste quirée ou le nourrisson qui découvre le monde. Une totaleiberté de se mouvoir dans les perceptions et d’en créere nouvelles. Autant le pôle contrôle est figé et répéti-if, autant à l’opposé la veille généralisée est inventivet originale comme peut l’être la vie. L’hypnose nousemet en contact avec le monde vivant comme il est, sansoncession.

n conclusion

’hypnose ne s’occupe pas du corps anatomique, celui duhirurgien. Elle est orientée vers un corps vivant en relationvec ce qui l’environne. La pratique de l’hypnose montre etonfirme que tout ce qui est vivant est en liens. L’hypnoseoigne les liens défectueux.

Elle est une expérience relationnelle mettant en jeu desécanismes physiologiques et psychologiques permettant

l’individu de mieux vivre, d’atténuer ou de suppri-er une pathologie aiguë ou chronique. Ce n’est pas unealadie ou un organe que l’on soigne mais le terrain

omposé de tout l’être en relation avec ses croyances,es sensations, en résumé tout son espace intérieur etxtérieur. Soigner le contexte peut faire disparaître le pro-lème.

L’hypnose est la possibilité d’entrer en relation avec uneersonne qui souffre. Elle pousse à s’intéresser à la per-onne. L’hypnothérapeute s’intéresse à tout : le passé, les

motions, les causes, les ressources, l’envie de guérir, maisans protocole systématique. La diversité des personnes quionsultent est telle qu’il est déconseillé d’avoir une attitudeodifiée ou préétablie. Les patients souffrent de rigidité,

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’obsession et de focalisation, donc un thérapeute avertioit tout faire pour éviter ces trois écueils. Par quel moyen ?n entrant lui-même dans le processus hypnotique pourrouver cette créativité nécessaire pour ouvrir les voies duoulagement.

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

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J.-M. Benhaiem

éférences

1] Benhaiem JM. L’hypnose ou les portes de la guérison. Paris:Édition Odile Jacob; 2012.

2] Roustang F. Qu’est-ce que l’hypnose. Paris: Édition de Minuit;1990.

our en savoir plus

ite : www.hypnose-medicale.com.