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Qu’est-ce qu’une langue créole ? Marie-Christine Hazaël- Massieux Université de Provence [email protected]

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Qu’est-ce qu’une langue créole ?

Marie-Christine Hazaël-Massieux

Université de Provence

[email protected]

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Antilles

Océan Indien

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Les principaux créoles français dans le monde (ZAC puis OI)

• Louisiane 4 000 000 habitants (mais peu de créolophones)

• Haïti 7 000 000 habitants • Guadeloupe 422 496 habitants • La Dominique 100 000 habitants• Martinique 381 441 habitants• Sainte-Lucie 150 000 habitants• Guyane 157 277 habitants• Réunion 707 758 habitants• Maurice 1 100 000 habitants• Seychelles 70 000 habitants

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1) Définition socio-historique

On appelle « créoles » des langues nées au cours des siècles de la colonisation française (européenne), dans le contact de langues entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un français régional et populaire) et esclaves (le plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts de langues étaient exclusivement oraux, s’exerçaient hors de toute pression normative, dans le contexte d’une domination socio-culturelle des maîtres français.

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Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas créoles :

Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique, physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

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Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines, désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient blancs ou noirs.

Les premières attestations du terme de « créole » appliqué aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero, le tagalog, le sranan…

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Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme de « mélange de langues » (idée largement répandue dans le grand public)

idée qui entraîne d’ailleurs une certaine dévalorisation : langues bâtardes ?

mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus juste conception de leur développement ? – car les créoles évoluent comme toutes les langues

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Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine, sont des langues bien distinctes du français.

Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le lexique que la grammaire. Un exemple simple :

2° Des exemples dans divers créoles français

La bête la mangeaOu pé ké manjé-moin

La bête la tuaOu pé ké kué-moin

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Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs origines multiples.

Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peut-être que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les langues romanes ???)

Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes », différents des langues d’origine : systèmes originaux et complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de structuration, leurs significations organisées différemment des langues souches.

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Un exemple : le verbe (comparaison des structures de base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe Haïti

Mwen ka manjé / an ka manjé

M’ap manjé

Mwen manjé M manjé

Mwen té manjé M té manjé

Mwen ké manjé M a manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé

Mwen té ka manjé M t ap manjé

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Tab-la Tab-la Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan Fanm-nan

Pon-la Pon-(l)an Pon-(l)an

Tè-ya

Fimen-yan

Le déterminant défini en gpéen, mquais, haïtien

Cela ne vient en droite ligne de rien ! Déstructuration / restructuration ?

Et que dire de la nouvelle évolution du créole haïtien : tab-lan / zwazo-lan / fanm lan / pon – lan ?

Gua Mar Haï

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Pour comparer les pronoms dans les différents créoles français :

http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

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An grin té dri asou redoutI té an ba-y san parapliMan té ni yonn volé an woutE pétèt menm kay an zanmi

Man vansé bò-y près a la kousPou mwen té ba-y tibwen labriChivé-y té ja bwè dlo kon mousI pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen parapliPou an kwen paradiSi an non té fèt pou-y sé anj

An ti kwen paradiPou an kwen parapliEs ti ni pli bel chanjjodi ?

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3) Recherche d’une définition typologique ?

Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a pas un « type » créole : des traits toujours présents qui caractériseraient les langues créoles quelles que soient leurs bases : française, anglaise, portugaise…

…qui caractériseraient des langues, quelles que soient leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de « créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

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Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?

•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication était principalement lexicale et la base française encore très perceptible, la structuration grammaticale progressive, propre à chaque langue, rend de moins en moins possible l’appartenance à un même type.

•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

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Comment certaines ressemblances superficielles

poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.

le verbe copule ; antéposition ou postposition

du déterminant.

Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne sont-elles pas liées à la « parenté »  ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1, 1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies sans allusion à leur histoire ? »

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Méditer sur Meillet :

« … La parenté n’implique aucune ressemblance actuelle des langues considérées, ni surtout du système général des langues considérées ; et inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit de structure générale, soit de vocabulaire, qui n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

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Un schéma pour expliquer les développements des créoles dans

la Caraïbe : vers une nouvelle définition des créoles ?

• Des contacts entre populations déportées• Une histoire mouvementée et diverse• La nécessité de communiquer• Des rapports sociolinguistiques particuliers

(colonisation, esclavage)• Des textes de différentes époques à interpréter

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FrançaisLangues africaines1ère rupture : du français au créole

2e rupture : du « créole » marqué par la variation aux langues diverses

Forces qui s’exercent sur le créole visible (écrit) des colons : les esclaves, libérés, les mulâtres, les engagés libres…arrivés d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole (différent du créole des maîtres) se mettent à écrire ou à influencer l’écrit).

1700-1750…

1820…

Époque du « créole »

Se dégagent paradigmes caractéristiques de chaque nouvelle langue

Cr. parlé par les maîtres : témoi-gnages écrits

Cr. parlés par les esclaves

gua

hai

mar

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Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une langue :

• quand la « créolisation » est en cours ?

• quand elle est achevée ?

Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a plus après quelques siècles ! On a de « vraies langues » (cf. Parkvall)

NB : Des systèmes proches (quand ils étaient élémentaires) se séparent de plus en plus.

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Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?

Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner certaines langues au moment de leur naissance, et « créolisation » un certain type de « genèse » : conditions de contacts de langues très diverses, obligation de communiquer, domination de l’une des langues sur les autres, transmission orale, etc.

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Conclusions

• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce que toutes les langues qui émergent dans des situations de contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne pas transposer sur toutes les genèses.

• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la linguistique générale

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• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans doute de nombreux types : en établir l’inventaire.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans les mêmes conditions – peut-être pas tous par « créolisation » !

• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le temps de la genèse proprement dite (cf. notions de pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute langue…

• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la fécondité.

Urgence de travailler sur les langues « émergentes » !!!

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Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole : http://creoles.free.fr/Cours