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1 Qui vive ? Le communisme ! « une question intimidante, une question que personne encore au monde n’a pu jamais laisser sans réponse, jusqu’à son dernier souffle : Qui vive ?… » J. Gracq *** « La fin de l’histoire de l’égoïsme absolu marquera la délivrance vers le communisme, [… cet ] idéal politico-social d’un organisme commun à tous dans l’avenir. » R. Wagner (1849-1871) « Je pense toujours à l’avenir communiste. […] En un sens, je suis communiste. » G. M. Hopkins (1871) « L’affaire du communisme est le monde entier. […] Nous parlons au nom de l’humanité toute entière, étant d’elle la partie qui représente non pas ses intérêts particuliers mais ceux de l’humanité toute entière. » B. Brecht (1932) « Il a existé des communes et des communistes de tout temps ; il en existera toujours. » J. Steinbeck (1936) « Je suis communiste par sympathie et conviction. Je suis, de toute certitude, pour un communisme intelligent. » J. Agee (1939) « Il m’intéresserait de voir éclore et s’épanouir la variété africaine du communisme. Il nous proposerait sans doute des variantes utiles, précieuses, originales de la doctrine. » A. Césaire (1956) « Je suis d’un village oublié dont les rues n’ont plus de noms et tous les hommes, au champ et à la carrière, aiment bien le communisme. » M. Darwich (1964) « Commun, du lat. communis, adj., se dit de toute chose à laquelle chacun peut participer : exemple : la Commune de Paris » (Paris, 1971) « Le communisme est le contraire exact d’une utopie, il est le vrai nom du réel comme impossible. » A. Badiou (2011) « Le Communisme, évidemment, il n’y a jamais eu d’autre solution digne des Humains et voulue par eux. » F. Laruelle (2011) « Si on veut être un intellectuel aujourd’hui, on ne peut pas ne pas être communiste. » B. Sobel (2011) « Je reprends à partir du mot “communiste”. » J.-M. Gleize (2011) Bulletin hebdomadaire sur l’actualité politique diffusé le dimanche soir (pour s’inscrire, écrire à « egalite68 [at] numericable.fr » Rédaction : François Nicolas [ƒNi] Numéro 22 : 5 février 2012 (fichier format pdf à télécharger : http://www.egalite68.fr/Qui-vive/22.pdf Sommaire : Maroc ................................................................................................................................................................... 3 Suite des émeutes à Taza ............................................................................................................................... 3 La question des intellectuels arabes… ........................................................................................................ 3 Marrakech : La base arrière des nouveaux coloniaux enfin remise en question ?.............................. 4 Égypte .................................................................................................................................................................. 9 Les derniers événements ............................................................................................................................... 9 Liban .................................................................................................................................................................. 10 « Le peuple veut la chute du régime confessionnel ! » ........................................................................... 10 France ................................................................................................................................................................ 13 Un enjeu sordide de l’agression contre la Libye… ................................................................................. 13 La question des « classes moyennes » ....................................................................................................... 13 Rendre justice à ce dont « Yougoslavie » a été le nom ? (7) ...................................................................... 18 Documentaires mis à la disposition des lecteurs du Qui-vive… ............................................................ 18 Petite enquête sur le nom Azra ................................................................................................................... 18 Début d’une enquête sur le surréalisme serbe : un poème .................................................................... 19 Petit rappel préliminaire ............................................................................................................................................ 19 Spécificité du surréalisme serbe ................................................................................................................................ 19 Turpitude, de Marko Ristic......................................................................................................................................... 20 Marko Ristic (1902-1984) ........................................................................................................................................... 20 Analyse du capitalisme .................................................................................................................................... 24

Qui vive ? Le communisme

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Page 1: Qui vive ? Le communisme

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Qui vive ? Le communisme !

« une question intimidante, une question que personne encore au monde n’a pu jamais laisser sans réponse, jusqu’à son

dernier souffle : Qui vive ?… » J. Gracq ***

« La fin de l’histoire de l’égoïsme absolu marquera la délivrance vers le communisme, [… cet ] idéal politico-social d’un organisme commun à tous dans l’avenir. » R. Wagner (1849-1871)

« Je pense toujours à l’avenir communiste. […] En un sens, je suis communiste. » G. M. Hopkins (1871) « L’affaire du communisme est le monde entier. […] Nous parlons au nom de l’humanité toute entière, étant d’elle la partie

qui représente non pas ses intérêts particuliers mais ceux de l’humanité toute entière. » B. Brecht (1932) « Il a existé des communes et des communistes de tout temps ; il en existera toujours. » J. Steinbeck (1936)

« Je suis communiste par sympathie et conviction. Je suis, de toute certitude, pour un communisme intelligent. » J. Agee (1939)

« Il m’intéresserait de voir éclore et s’épanouir la variété africaine du communisme. Il nous proposerait sans doute des variantes utiles, précieuses, originales de la doctrine. » A. Césaire (1956)

« Je suis d’un village oublié dont les rues n’ont plus de noms et tous les hommes, au champ et à la carrière, aiment bien le communisme. » M. Darwich (1964)

« Commun, du lat. communis, adj., se dit de toute chose à laquelle chacun peut participer : exemple : la Commune de Paris » (Paris, 1971)

« Le communisme est le contraire exact d’une utopie, il est le vrai nom du réel comme impossible. » A. Badiou (2011) «  Le Communisme, évidemment, il n’y a jamais eu d’autre solution digne des Humains et voulue par eux. » F. Laruelle (2011)

« Si on veut être un intellectuel aujourd’hui, on ne peut pas ne pas être communiste. » B. Sobel (2011) « Je reprends à partir du mot “communiste”. » J.-M. Gleize (2011)

Bulletin hebdomadaire sur l’actualité politique

diffusé le dimanche soir (pour s’inscrire, écrire à « egalite68 [at] numericable.fr » Rédaction : François Nicolas [ƒNi]

Numéro 22 : 5 février 2012

(fichier format pdf à télécharger : http://www.egalite68.fr/Qui-vive/22.pdf

Sommaire :

Maroc................................................................................................................................................................... 3 Suite des émeutes à Taza............................................................................................................................... 3 La question des intellectuels arabes… ........................................................................................................ 3 Marrakech : La base arrière des nouveaux coloniaux enfin remise en question ?.............................. 4

Égypte .................................................................................................................................................................. 9 Les derniers événements ............................................................................................................................... 9

Liban .................................................................................................................................................................. 10 « Le peuple veut la chute du régime confessionnel ! » ........................................................................... 10

France ................................................................................................................................................................ 13 Un enjeu sordide de l’agression contre la Libye… ................................................................................. 13 La question des « classes moyennes » ....................................................................................................... 13

Rendre justice à ce dont « Yougoslavie » a été le nom ? (7)...................................................................... 18 Documentaires mis à la disposition des lecteurs du Qui-vive… ............................................................ 18 Petite enquête sur le nom Azra ................................................................................................................... 18 Début d’une enquête sur le surréalisme serbe : un poème.................................................................... 19

Petit rappel préliminaire ............................................................................................................................................19 Spécificité du surréalisme serbe ................................................................................................................................19 Turpitude, de Marko Ristic.........................................................................................................................................20

Marko Ristic (1902-1984)........................................................................................................................................... 20 Analyse du capitalisme.................................................................................................................................... 24

Page 2: Qui vive ? Le communisme

2 Les notes de Artus/Natixis .......................................................................................................................... 24

Divers ................................................................................................................................................................. 27 Sartre.............................................................................................................................................................. 27

Sommes-nous en démocratie ? ...................................................................................................................................27 Actualité d’Alain Badiou ............................................................................................................................ 27

Florence Dupont (Le Monde) ....................................................................................................................................27 Monique Dixsaut (Marianne).....................................................................................................................................28 Robert Maggiori (Libération) ....................................................................................................................................29 Pierre Bance................................................................................................................................................................30 Claude Askolovitch (Le Point) ...................................................................................................................................38

Page 3: Qui vive ? Le communisme

3 MAROC

SUITE DES ÉMEUTES À TAZA

Il a déjà été question de la ville de Taza dans le Qui-vive n°18 (8 janvier) http://www.egalite68.fr/Qui-vive/18.htm

Poursuite ces jours-ci du mouvement : http://www.youtube.com/watch?v=TdEO3mj7jGA http://www.youtube.com/watch?v=ILmVrd59WTc

Ce que colère veut dire : http://www.youtube.com/watch?v=7rUY-P3ByRk

Maroc : 150 blessés lors d’affrontements, appel au calme du gouvernement

vendredi 3 février 2012, par La Rédaction Environ cent cinquante personnes, des policiers et des civils, ont été blessées, vendredi 3 février, lors d’affrontements à Taza, une ville située dans une région pauvre du Maroc, en proie à des accès sporadiques de violences. Plusieurs journaux marocains ont fait état de ces affrontements entre la population et les forces de l’ordre, souvent violents, qui ont commencé mercredi, sur fond de problèmes sociaux et de chômage des jeunes. Ces journaux montraient en ’une’ des photos de véhicules incendiés et d’édifices publics endommagés. Le gouvernement tente de calmer le jeu, alors que la tension restait assez vive dans cette localité. ’On s’achemine vers un contrôle de la situation. Les autorités sont concernées par le maintien de l’ordre et la prise en considération des revendications légitimes de la population’, a ainsi déclaré vendredi le porte-parole et ministre de la communication, Mustapha Khelfi. ’Le dialogue est l’unique moyen pour résoudre ces problèmes. Autant le droit de manifester pacifiquement est garanti, autant le respect des édifices publics doit être assuré’, a ajouté M. Khelfi. Le nouveau gouvernement, qui a officiellement été investi par le Parlement la semaine dernière, est confronté à une situation sociale difficile dans un pays de 33 millions d’habitants. (03 février 2012 - Avec les agences de presse)

LA QUESTION DES INTELLECTUELS ARABES…

Ouverture d’une intéressante question sur les intellectuels arabes par l’organisation (marxiste-léniniste marocaine) La voix démocratique

http://www.annahjaddimocrati.org/index.php/en/accueil/77-fr/527-ali-15

"L'accès à la culture: un enjeu politique.Car l'éducation est l'arme la plus puissante que vous pouvez utilser pour changer le monde" MANDELA

Que les intellectuels osent... Les forces conservatrices l'ont bien compris, c'est pourquoi elles font tout pour inculquer aux futures générations une culture abrutissante, une culture d'assujettissement, une culture du fatalisme, une culture obscurantiste, une culture a-historique... elles apprennent à nos enfants à "penser" avec les moyens d'il y a des siècles, à éviter le questionnement, le raisonnement, l'innovation, à ne regarder que par le rétroviseur, à n'exister que grâce à un passé (lui-même déformé par le rétroviseur en mauvais état), c'est pourquoi, si on continue ainsi, nous resterons toujours dans la médiocrité, dans "l'impasse" de l'Histoire, attendant une remorque qui ne pourra en aucun cas venir du ciel, mais des "impies". La stérilité ou la fécondité des sociétés est le fruit de leur développement culturel, de la qualité de leur savoir, du contenu scientifique de l'enseignement dispensé, de la liberté d'expression, de la liberté de croyance... L'une des causes des trébuchements des forces progressistes marocaines c'est qu'elles ne sont progressistes qu'en politique. Elles sont conservatrices en théorie, en idéologie, en culture, en pratiques sociales, en relations humaines. Sous prétexte de ne pas "choquer la société", de respect de "nos valeurs", de " notre spécificité", les politicards et surtout nos "intellectuels", nos "artistes"...se comportent objectivement en avocats de la médiocrité, de l'immobilisme, du conservatisme.

Page 4: Qui vive ? Le communisme

4 La révolution française de 1789 s'était faite dans le bouillonnement politique-culturel ( déclenché des années avant par Diderot, Voltaire, Rousseau...qui avaient osé remettre en cause tout l'édifice en place et sous tous ses aspects. Un "Jacques le fataliste" de Diderot avait certainement joué un rôle aussi important, sinon plus que, des dizaines de discours politiques enflammés). La révolution bolchevique de 1917, est l'aboutissement d'une lutte de classes non seulement politique, mais aussi idéologique, l'aboutissement d'un épanouissement culturel (nonobstant sa couleur de classe sociale): Tolstoï avec "la guerre et la paix", "Anna Karinine"..., Dostoïevski avec "l'idiot", "les frères Karamazov"...Tchekhov, Gogol, Pouchkine, maxime Gorki ("la mère" a joué un rôle dans le processus révolutionnaires plus important que beaucoup de dissertations enflammées de certains politicard d'alors)... Au Maroc d'aujourd'hui, avec le mouvement du 20 février, mouvement essentiellement politique, mouvement dirigé avec raison contre la tyrannie monarchique, les militants progressistes ne doivent en aucun rester cantonnés dans les luttes politiques (teintées de luttes syndicales et sociales), ils doivent s'attaquer au carcan idéologique, à l'édifice culturel...la lutte pour la laïcité, pour les droits de la femme, pour Tamazight, pour le droit de croyance...est incontournable pour édifier un autre Maroc. Les intellectuels doivent oser REMETTRE TOUT EN CAUSE, sinon ils resteront toujours esclaves du conservatisme. Chercher la considération du peuple et non celle des tyrans. Soyez le miroir de la société dans sa complexité et non une petite "glace" ayant pour rôle l'embellissement artificiel des visage hideux des bourreaux Ali Fkir (5 février 2012)

MARRAKECH : LA BASE ARRIÈRE DES NOUVEAUX COLONIAUX ENFIN REMISE EN QUESTION ?

Certes, rien de bon à attendre d’un tel livre à scandales, mais l’attention désormais portée sur Marrakech, base arrière de BHL et alii, doit être remarquée. Ci-suit des extraits de ce livre publiés sur un site marocain…

Marrakech. Des scandales et des hommes http://www.telquel-online.com/507/couverture_507.shtml

“Paris Marrakech : luxe, pouvoir et réseaux” (éd. Calmann-lévy) des journalistes Jean-Pierre Tuquoi et Ali Amar, qui sort cette semaine en France, revient sur les liens qui relient le royaume à son ancien pays colonisateur, en mettant l’accent sur la nature très “française” de la ville ocre, avec en toile de fond complots politiques, arrangements économiques… et coulisses people. Dans le souci de rapprocher ses lecteurs d’un livre qui risque de faire des vagues, au Maroc et en France, TelQuel en publie de larges extraits en avant-première.

* L’hôtel du roi à Marrakech, le summum, c’est le Royal Mansour, dans le quartier huppé de l’Hivernage, un palace plus discret que la Mamounia et le seul, au fond, qui sait faire la différence entre un millionnaire et un milliardaire. Pour ce réveillon 2010, Cécilia Ciganer-Albeniz et son nouveau mari, Richard Attias, sont descendus au Royal Mansour. Le couple est l’invité de Mohammed VI. Cécilia et Richard Attias ne sont pas des intimes du monarque, mais des “amis” du Maroc. Ils sont logés aux frais de la monarchie dans le “riad d’honneur”, le plus luxueux des cinquante-trois riads qui composent le Royal Mansour : quatre chambres qui donnent sur des jardins, pas moins de deux piscines, un spa, une salle de fitness et en sous-sol un cinéma. Le cadeau est royal : la nuit au riad d’honneur est facturée 34 000 euros. Un tarif très théorique. En réalité, depuis l’ouverture du Royal Mansour en 2010, le riad n’a jamais été loué mais systématiquement offert. Le riad d’honneur est réservé aux amis de Mohammed VI et du Maroc. Il faut le prendre pour ce qu’il est : un présent royal, le témoignage baroque du bon plaisir du souverain. Demain l’Iran ? Le Royal Mansour mérite que l’on s’y attarde. Classé en 2011 parmi les hôtels “les plus extraordinaires du monde” par le Conde Nast Traveler, la bible des voyageurs fortunés, il est d’une certaine façon le fruit d’un

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5 règlement de comptes posthume. Entre un fils et son père, entre deux rois, Mohammed VI et Hassan II. Ce dernier, à l’image d’un sultan oriental, avait fait construire au fil de ses trente-huit années de règne maints palais par ses architectes français fétiches, Michel Pinseau et André Paccard, sans compter les résidences royales, les villas d’été, les villas d’hiver dans lesquelles il séjournait au rythme des saisons et de son humeur, traînant derrière lui un harem et une armée de serviteurs. Mohammed VI s’est détaché de ce patrimoine immobilier. Le nouveau monarque entend lui aussi être un bâtisseur comme son père. Il veut avoir ses propres palais et, dans le même temps, à coups de millions, transformer en hôtels de luxe certains des biens dont il a hérité. Le Royal Mansour est le premier palace griffé Mohammed VI. Combien a coûté cette folie condamnée à n’être jamais rentable ? Le chiffre tient du secret d’Etat. Le Royal Mansour appartient donc à Mohammed VI ou, plus précisément, à Siger – le holding où est investi l’essentiel de sa fortune – à travers une kyrielle de filiales. Peut-être dans la perspective de décliner le Royal Mansour comme une marque, Siger a d’ailleurs déposé le nom dans tous les pays d’Europe, aux Etats-Unis… et même dans l’Iran des mollahs. Sexe, orgies et pédophilie Depuis 2005, les bas-fonds de Marrakech mais aussi les riads repliés sur eux-mêmes, les palaces étoilés, les bars branchés, les night-clubs baroques, les restos chics, les résidences tapageuses et les villas cossues avec leurs vigiles sourcilleux ont supplanté Bangkok, longtemps destination phare du tourisme sexuel. Aujourd’hui, la capitale thaïlandaise est moins attirante. Trop éloignée de l’Europe. Trop exposée aux tsunamis. Et trop turbulente du point de vue politique. A Marrakech la paisible, quel que soit le lieu de sortie, le sexe tarifié est omniprésent et les prix aussi variés que les prestations. Tarif de la soirée pour une “ambianceuse” croisée dans un endroit à la mode dans le quartier huppé de l’Hivernage : environ 200 euros. Au total, elles seraient à Kech plus de 20 000, âgées de 16 à 30 ans, à offrir leurs services avec l’espoir de gagner jusqu’à 15 000 euros par mois pour les plus sollicitées. La passe furtive, elle, se négocie aux alentours de 10 euros dans les bosquets attenants au minaret de la Koutoubia. Tarifs identiques dans les jardins du centre-ville et sur Djema’a el-Fna, rebaptisée “le souk des pédés” par les Marrakchis. Ne dit-on pas sur les sites des tours opérateurs que la sulfureuse Kech est la troisième destination “gay friendly” du monde ? Un riche septuagénaire suisse, ancien dandy homosexuel, raconte au journaliste de passage les folles histoires qu’il a vécues durant des années à Marrakech. Comme celle de ce dîner privé offert par un styliste parisien dans l’un des restaurants les plus courus de la médina où un adolescent nu, porté sur un palanquin, a été offert aux convives en guise de dessert. “C’était comme dans un film de Pasolini”, se rappelle-t-il. Et d’ajouter : “J’ai des amis, des connaissances qui vivent ici et qui sont des célébrités françaises de passage aussi que j’ai souvent croisées en soirée”. DSK et les “amis” du Maroc Le nombre des thuriféraires du royaume fait honneur au professionnalisme des Marocains, passés maîtres dans l’art de s’attacher des “amis” bien mieux que ne le font leurs voisins algériens. Pas de recette unique dans leur approche. Les Marocains jouent sur plusieurs cordes. L’attachement au pays natal en est une, qu’ils savent très sensible. Lorsque DSK lâche tout à trac : “C’est vrai que l’aide que reçoit le Maroc de la France est disproportionnée comparée aux autres pays. Il y a deux poids deux mesures. Mais c’est bien de favoriser le Maroc”. Comment ne pas se souvenir que l’ex-directeur du FMI a grandi dans le royaume. Ainsi que nombre de responsables français : Dominique de Villepin, natif de Rabat, la socialiste Elisabeth Guigou, née et ayant grandi à Marrakech, tout comme Eric Besson, issu du Parti socialiste, aujourd’hui rallié à Nicolas Sarkozy. Les cadeaux petits ou grands sont une autre façon de s’attacher des fidélités. Une invitation, tous frais payés, à un festival de musique, à un colloque de haute volée, à l’inauguration d’un palace à Marrakech, un bout de terrain constructible, une décoration… rien de tel pour se faire des obligés français qui auront à cœur de renvoyer l’ascenseur. Hassan II a appliqué la recette pendant des décennies. Les mœurs du Palais ont-elles tant changé avec Mohammed VI ? Le désintérêt du roi pour la vie politique française, sa méconnaissance profonde des acteurs qui l’animent, l’indifférence qu’il témoigne pour les intellectuels et les journalistes, tout pourrait à première vue laisser croire que l’achat des consciences n’a plus cours. En réalité, il n’en est rien. Si le roi est rarement en première ligne, les conseillers qui gravitent autour de lui et tous ceux qui incarnent le Makhzen sont à la manœuvre. Par leurs soins, les séjours tous frais payés dans les palaces de Marrakech ou d’ailleurs, les invitations à des festivals culturels prestigieux, les voyages de presse en trompe-l’œil continuent. Les “amis du Maroc” sont toujours choyés. Combien sont-ils, d’ailleurs, les “amis du Maroc” ? Les recenser serait une tâche impossible tant la liste est longue, changeante et semée de zones d’ombre.

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6 L’exception marocaine Début septembre 2011, pour la dix-neuvième édition de la grand-messe des ambassadeurs de France réunis dans la grande salle des fêtes de l’Elysée, l’heure est à l’introspection sur les révolutions arabes. Autour de petits fours et d’une coupe de champagne, les langues se délient. Ambassadeur de France au Maroc, venu de la cellule Afrique de l’Elysée, Bruno Joubert analyse en off la situation au Maroc avec ses confrères du Maghreb et une poignée de journalistes qui diffuseront l’essentiel de son analyse. Si le royaume n’a pas été épargné par la contestation sociale, celle-ci a plutôt constitué un atout pour le Palais, explique en substance le diplomate. “Le souverain, précise Bruno Joubert, a trouvé avec ce mouvement l’outil qui lui a permis de balayer des obstacles qui le gênaient pour appliquer les réformes promises depuis des années”. Voici donc expliquée en une phrase la vision diplomatique de la France sur ce “nouveau Maroc” : Mohammed VI est favorable aux réformes mais il serait freiné dans son élan par “des partis qui ne semblent pas prêts à entrer dans le jeu” car, si cela ne tenait qu’à lui, le roi “irait plus loin et plus vite”. Aveuglement ? Mauvaise foi ? La diplomatie française est bien oublieuse : jusqu’à l’étincelle tunisienne qui a bouleversé le monde arabo-musulman, Mohammed VI n’a jamais marqué son intention de réformer la Constitution faisant de lui un roi qui règne et qui gouverne sans partage. De son côté, Paris n’a eu de cesse d’approuver les discours de Mohammed VI où il exaltait l’idée d’une “monarchie exécutive”. Celle qui garantit au Palais la haute main sur les affaires de l’Etat. Les propos terribles d’Yves Aubin de la Messuzière, directeur pour l’Afrique du Nord au Quai d’Orsay, lorsqu’en 2002 il lâcha en petit comité que “le roi ne maîtrisait plus rien”, le monarque comme pris en otage et isolé par un cercle d’intrigants, ne sont manifestement plus d’actualité chez les diplomates français. Eldorado des entreprises françaises Pour les entreprises du CAC 40, le Maroc est un pays de cocagne, généreux et peu exigeant. A condition de ne pas faire de l’ombre au Palais, les bénéfices y sont solides, les aides généreuses et les parts de marché faciles à grignoter. Les groupes tricolores l’ont compris. Presque tous ceux qui sont cotés à la Bourse de Paris se révèlent solidement implantés dans le royaume. Certains ont pris pied au Maroc à la hussarde, profitant d’une aubaine, comme Vivendi, dont l’histoire mérite d’être contée. En 2000, le groupe français, dirigé par Jean-Marie Messier, l’ancien “maître du monde”, avait raflé 35% de l’opérateur de téléphonie marocain au cours d’une transaction hors normes. Trente-cinq pour cent de Maroc Telecom pour 2 milliards de dollars : l’Etat marocain faisait une bonne affaire. Il avait obtenu 10% de plus que la valeur estimée par les analystes financiers. Sauf que la “bonne affaire” n’en était pas vraiment une. La prime acquittée par Jean-Marie Messier cachait une contrepartie : l’Etat quoique légalement majoritaire cédait le contrôle effectif de Maroc Telecom au nouveau venu. Officiellement, Vivendi était un actionnaire minoritaire ; en pratique, c’était désormais le seul maître à bord. La gestion quotidienne de Maroc Telecom et de sa trésorerie lui revenait. Pourquoi l’Etat avait-il abdiqué sans le dire son statut d’actionnaire majoritaire ? Pour une histoire de gros sous : Rabat était à court d’argent pour boucler le budget de l’Etat. La surprime versée par Vivendi avait pour seul objectif de boucher un trou dans les finances, de donner un peu d’air à Rabat. Confidentiel et destiné à le demeurer, l’accord ne fut révélé qu’avec la déconfiture de Vivendi Universal, lorsque les autorités boursières découvrirent un avenant secret au contrat de 2000. Daté du 19 décembre, soit la veille de la privatisation, un courrier de la direction financière de Vivendi expliquait que la manœuvre allait permettre de consolider les résultats de Maroc Telecom, donc de faire remonter dans les comptes de la maison mère la totalité des bénéfices de la filiale marocaine. On apprendra plus tard par Vivendi qu’André Azoulay, le conseiller du roi pour les affaires économiques, était l’artisan, côté marocain, de ce marché de dupes dont le consommateur continue encore à faire des frais : malgré la concurrence, Maroc Telecom occupe toujours une position hégémonique et pratique des tarifs parmi les plus élevés du continent africain et du monde arabe. Le flop des rafale à Alger Le 10 mars 2006, le président russe en visite dans la capitale algérienne signe une lettre d’intention pour la fourniture d’une soixantaine de chasseurs. Vu de Rabat, c’est l’équilibre des forces dans la région qui est menacé par cette commande alors que les relations entre la monarchie marocaine et l’Algérie des généraux – deux régimes aux antipodes – sont empoisonnées depuis des décennies et se cristallisent sur le conflit du Sahara occidental. Mohammed VI va réagir comme n’importe quel chef d’Etat qui voit son voisin réarmer. Il va chercher à l’imiter. La flotte de l’armée de l’air marocaine ne fait plus le poids ? Elle va être renforcée. Elle est vieillissante ? Elle va être modernisée.

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7 Pressé de proposer une offre alléchante aux Marocains qui marquent d’abord leur préférence pour vingt-quatre Mirage 2000 (ceux –là mêmes qu’avait vainement tenté d’acquérir Hassan II auprès de François Mitterrand puis de Jacques Chirac) l’Elysée interroge Dassault. Un problème se pose : l’arrêt de la fabrication de ces appareils est programmé. L’entourage de Chirac recense les pays qui possèdent des Mirage 2000 et consulte les réseaux d’intermédiaires qui grouillent parmi les marchands d’armes : Rabat, passablement désargenté, n’est pas opposé à l’idée d’acquérir des avions de seconde main. La France propose donc de racheter des appareils au Qatar, de les moderniser puis de les céder aux Marocains pour 1 milliard d’euros. Mais l’opération s’annonce peu rentable pour Paris, compliquée à mettre en œuvre et, de toute façon, le Qatar n’est pas vendeur. Les discussions s’orientent dès lors sur le Rafale. Dassault propose de vendre dix-huit Rafale pour 2 milliards d’euros. Mais l’offre française est à revoir. Rabat veut une flotte d’avions de combat dotés de leur armement. Pas des avions nus. La proposition est révisée à la hausse : fin décembre 2006, elle atteint la bagatelle de 2,6 milliards d’euros, soit près de 5% du PIB marocain. Les Etats-Unis sortent du bois et proposent à l’armée de l’air marocaine vingt-quatre F-16 flambant neuf pour 1,6 milliard d’euros. Tels ces bonimenteurs de foire qui, pour vendre un objet coûteux, y ajoutent des produits de pacotille pour faire masse, les Américains accordent en sus à Rabat une enveloppe de 700 millions de dollars d’aide au développement assortie d’un appui – discret – au projet d’“autonomie” au Sahara occidental, que le Maroc s’efforce de “vendre” à la communauté internationale. Le marché sera vite conclu malgré une ultime offre française qui tombera dans le vide. TGV : les secrets d’un contrat Ce que Nicolas Sarkozy ressent, alors que vient de commencer à Marrakech son voyage officiel, ce lundi 22 octobre 2007, au Maroc, c’est de la colère et de l’agacement. Il y a chez lui des gestes qui ne trompent pas et que les journalistes qui couvrent la visite sauront décrypter : l’attitude désinvolte face à Mohammed VI, jambes croisées, donnant du plat de la chaussure. Pour un peu il jouerait avec son téléphone portable devant le Commandeur des croyants. Tout n’est pourtant pas sombre. S’il n’a pas décroché le gros lot, le président français sait qu’il ne va pas pour autant revenir bredouille de sa visite officielle. A défaut d’avions, c’est un navire que vont acheter les Marocains à la France. Plus précisément une frégate de type Fremm, un bâtiment high-tech lui aussi, difficilement repérable par les radars ennemis mais qui coûte la bagatelle de 470 millions de dollars et représente des dizaines de milliers d’heures de travail pour les chantiers français. L’Etat français n’a pas été en reste en offrant la formation des marins marocains (près de 50 millions d’euros) appelés à naviguer sur le Mohammed VI , le nom – obligé – de la future frégate. La signature à Marrakech du contrat pour la vente de la frégate atténuait le dépit de Nicolas Sarkozy. Elle ne le faisait pas disparaître. Il fallait rapporter un autre scalp de cette visite officielle. Mais quoi ? Que proposer de séduisant à Mohammed VI ? Une centrale nucléaire ? Des hélicoptères de combat ? Tout le catalogue du “made in France” avait été épluché avant la visite. Jusqu’à cette idée saugrenue mais plaisante qui allait être retenue et que Nicolas Sarkozy emporterait dans ses bagages : proposer à Rabat de construire au Maroc le premier TGV d’Afrique. Un TGV français, bien entendu. Mohammed VI n’avait pas en tête une telle acquisition, même s’il caressait le rêve de doter un jour son pays d’un tel bijou. Mais l’offre française permettrait de désenclaver le nord du Maroc, frondeur et rétif du temps de Hassan II. Pour la France, ce serait un joli succès commercial que de vendre un TGV dont seules l’Espagne, la Corée du Sud et l’Italie ont adopté le savoir-faire au moment où la concurrence japonaise, chinoise, allemande, canadienne fait rage et taille des croupières aux industriels français comme, tout récemment, en Arabie Saoudite. Du Medef à la CGEM Un des multiples instruments du soutien de la France au Maroc est le Groupe d’impulsion économique France-Maroc (GIEFM), créé en 2005 sous la houlette de Dominique de Villepin, alors Premier ministre de Jacques Chirac, qui, pour l’occasion, avait rappelé être né à Rabat. Le GIEFM est une instance unique en son genre. Elle sert de passerelle entre le Medef et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), son homologue marocaine. “Le nirvana pour les patrons du CAC 40 qui sont chez eux dans le royaume”, pour reprendre l’expression d’un journaliste présent à la première grand-messe de ce club, organisée à l’été 2006 comme une garden-party au golf royal de Dar Es Salam à Rabat. On pouvait y croiser Claude Bébéar, patron d’Axa, Jean-René Fourtou, son alter ego chez Vivendi, ou encore Guillaume Sarkozy, le frère de Nicolas. La couverture médiatique était tout aussi exceptionnelle pour assurer aux agapes l’écho qu’elles méritent en France, avec pour têtes d’affiche des plumes de Paris Match, du Point, du Figaro, certaines déjà habituées à tresser des lauriers à ce “Maroc en mouvement”. Azoulay in & out

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8 Originaire d’Essaouira, cet ancien cadre de la banque Paribas, dont la silhouette mince évoque celle d’un major anglais, a refait sa vie dans son pays natal, jusqu’à obtenir le titre officiel de “conseiller du roi”, mais sous Hassan II. Les temps étaient différents. Le monarque était à la recherche d’un Franco-marocain, homme de réseaux capable de redonner du lustre à la monarchie mise à mal en France pour l’affaire des emmurés de Tazmamart et la captivité interminable de la famille Oufkir. André Azoulay, “le dévot” comme le surnommait le journaliste Jean Daniel, allait réussir dans son entreprise au-delà de tous les espoirs. A sa mort, Hassan II était réhabilité et son image devint celle d’une sorte de Louis XIV devenu sage, évoluant dans un décor des Mille et une nuits. André Azoulay avait fait mieux encore. Professionnel de la communication, il avait vendu à la presse française l’image du prince héritier, le futur Mohammed VI, transfiguré en monarque épris de modernité, démocrate dans l’âme et proche du peuple. Le mythe du roi des pauvres – et l’on sait le succès qu’il a longtemps remporté, jusqu’aux Etats-Unis -, c’est au crédit d’André Azoulay qu’il faut le porter. Une fois monté sur le trône, le jeune monarque a très vite écarté les conseillers hérités d’un père qu’il n’aimait pas. Il l’a fait pour exorciser le passé, poussé par les « quadras » du premier cercle du roi qui, pressés de prendre les commandes du royaume, ne voulaient pas s’embarrasser de gêneurs tel André Azoulay. Figure du “juif de Cour”, comme il existe depuis des siècles dans le monde arabo-musulman, celui-ci s’est retiré sur des terres moins périlleuses à arpenter : l’essor d’Essaouira et le dialogue entre les trois religions monothéistes. Aujourd’hui les affaires du royaume lui échappent. Il n’est plus qu’un agent d’influence de seconde catégorie, oublié des médias. C’est le fisc qui régale En cadeau de bienvenue, tous ceux qui font le choix de s’installer dans le royaume ont droit, quelle que soit leur nationalité, à un abattement de 40% avant la détermination du revenu net imposable. Joli cadeau mais qui n’est qu’une mise en bouche lorsqu’on est français : les pensions de retraite venues de France bénéficient d’une réduction d’impôt de 80% si elles sont rapatriées à titre définitif sur un compte en dirhams, la monnaie nationale, non convertible. Commentaire d’un expert : “Il s’agit en clair d’une exonération presque totale de l’impôt sur le revenu. Le taux d’imposition ne dépasse pas 4% en tout et pour tout”. C’est à peu près ça : un retraité qui déclare un montant d’environ 2000 euros de retraite par mois, pour une seule part, paiera un peu moins de 700 euros par an d’impôts. Cette dernière mesure ne s’applique qu’aux Français. Elle est le fruit d’une convention fiscale entre Paris et Rabat, jamais dépoussiérée, jamais remise en cause, depuis quarante et un ans qu’elle existe. Etonnante convention qui stipule que “les pensions et les rentes viagères ne sont imposables que dans l’Etat contractant où le bénéficiaire a son domicile fiscal”. Donc, pas d’impôts en France, et très, très peu au Maroc. De Jacquot à Sarko À l’automne 2010, Jacques et Bernadette Chirac ont passé quelques jours au Royal Mansour. Hasard de la toute petite histoire, le jour où les Chirac ont quitté l’hôtel et son pavillon luxueux, ils auraient pu croiser Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, qui y arrivaient, invités eux aussi par Mohammed VI. Le temps de changer de literie et le nouveau président et madame occupaient sans le savoir la chambre de son meilleur adversaire politique.

* Amar–Tuquoi. Les deux mousquetaires On ne présente plus les deux auteurs, journalistes réputés critiques envers le régime marocain. Jean-Pierre Tuquoi, bientôt 60 ans (il est né en 1952), est Monsieur Maghreb au quotidien français Le Monde. On lui doit, entre autres livres, deux brûlots dédiés au Maroc : Le dernier roi, crépuscule d'une dynastie (Grasset, 2001) et Majesté, je dois beaucoup à votre père (Albin Michel, 2006). Sans oublier Notre ami Ben Ali (La Découverte, 1999), consacré, cette fois, au Tunisien Zine El Abidine Ben Ali, coécrit avec Nicolas Beau. Ali Amar, lui, est un ancien du défunt Le Journal Hebdomadaire dont il fut l’un des fondateurs. Il est né en 1967 et Paris Marrakech : luxe, pouvoir et réseaux est son deuxième livre après Mohammed VI, le grand malentendu paru en 2009, toujours chez Calmann-Lévy.

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9 ÉGYPTE

LES DERNIERS ÉVÉNEMENTS

Le récit par Sylvie Noly sur son blog… Le scénario du chaos

3 février 2012 Bien difficile de dire ce qui s’est vraiment passé à Port Saïd mercredi soir. On a beau repasser les images, comme ce portfolio d’al-Ahram, les zones d’ombre sont immenses. De toutes façons, ce n’est presque plus le problème car une autre histoire est en train de se jouer ici. Alors que les plus de soixante-dix victimes sont à peine inhumées, il semble que le pays entier n’attendait que ce déclic pour exploser. Jeudi soir des dizaines de milliers de jeunes se sont répandus dans les rues, tout autour du Ministère de l’Intérieur. Des combats aux gaz lacrymogènes ont démarré vers 19h. A 20h, l’hôpital de campagne sur la place (mosquée Makram) lançait son premier appel aux médecins volontaires, puis à 21h pour des médicaments (ventoline, gaze, bétadine…). On annonce ce matin plus de 600 blessés, et deux morts à Suez. “Comment sais-tu ce qui s’est passé ?”. Toute la journée de jeudi j’ai questionné, les jeunes qui manifestaient dès le matin sur Talaat Harb, les commerçants et les passants dont les conversations étaient de toute évidence, plus animées que d’habitude, les femmes qui défilaient l’après-midi. “Premièrement, me dit mon épicier, il y avait deux absents notoires à ce match : le président du gouvernorat, et le chef de la sécurité” alors qu’ils assistent toujours aux matchs. “Deuxièmement, on a vu à la TV, les policiers qui ouvraient la porte aux voyous pour qu’ils rentrent dans le stade”. De toute la journée je n’ai pas rencontré une seule personne qui doute de la réponse à la question : “qui est entré sur le stade pour attaquer les Ahly ?”… “Des felouls !”. Dans la nuit déjà, des jeunes du 6 avril écrivaient sur Facebook : l’armée a voulu provoquer le chaos pour détourner l’attention de la révolution et des manifestations spontanées se formaient dans les rues du centre ville, à 3h ou 4h du matin ! Le fait est qu’hier soir, anniversaire de la “bataille des chameaux”, les jeunes de Kazeboon avaient prévu de projeter sur la place Tahrir les films de l’attaque des manifestants par les nervis à la solde du PND, il y a tout juste un an. La projection a été annulée, si on peut dire, par une séance de cinéma vérité dans la rue d’à côté. En quelques minutes, sur le coup de 19h, la température est montée d’un cran : des cris, des motos qui ramènent des blessés de la rue Falaky, d’autres motos qui partent au front en sens inverse, un hôpital de campagne s’organise… Un scénario qui ressemble aux heures noires de décembre, rue M. Mahmud. Nous étions à Bab el-Luq, après avoir contourné le barrage sur Qasr el-Einy, le barrage sur la rue Falaky, celui sur la rue Majlis al-Sh’ab, celui de Lazurly, celui sur la rue Mansour, celui de Cheikh al-Rihan, celui de la rue Mohamed Mahmud… A chaque barrage, des rouleaux de barbelés. Derrière les barbelés, “protégeant” le Ministère de l’Intérieur, des markazy (sûreté centrale). Devant les barbelés, des centaines, voire des milliers de jeunes, pacifistes, venus parfois au son d’un roulement de tambour (comme sur cette vidéo) mais dont les slogans étaient sans équivoque “La peine capitale pour le maréchal”,”Tantawi, c’est Mubarak”, “Le responsable (de Port Saïd) c’est le Conseil (suprême)”, “A bas, à bas le pouvoir militaire”, et enfin al-dakhilya baltaguya (l’Intérieur, ce sont des voyous). Le divorce entre le peuple et l’armée (celui avec la police est consommé depuis un an) est nettement perceptible depuis le 25. Mais jeudi soir, il a explosé comme une énorme boule de haine accumulée. Déjà la nuit précédente, alors que le train des supporters du Caire arrivait en gare Ramses, ramenant les blessés, un impressionnant rassemblement s’était formé, à 3h du matin. C’est que les victimes ne sont pas n’importe qui : ce sont les supporters des deux grands clubs du Caire, dont les fameux Ultras (altrass en égyptien). Ils ont apportés leur soutien musclé aux révolutionnaires aux pires heures de l’an dernier. Ils étaient encore là mardi soir lorsque des affrontements ont eu lieu du côté de l’assemblée nationale. Leur cortège arrivé sur Tahrir vers 16h aujourd’hui, encadrait une manifestation de femmes dont les slogans condamnaient sans appel le Maréchal et son Scaf. Comment les tireurs de ficelle qui fabriquent depuis plusieurs mois ces scénarios de l’horreur (attaques de voyous préméditées, passivité organisée des forces de l’ordre, répression féroce après coup) ont-ils pu manquer à ce point de psychologie en s’attaquant à l’identité du pays, son équipe de foot ? A cette question des jeunes présents sur les lieux témoignent : “les attaquants ne tapaient pas sur n’importe quel supporter : ils avaient des victimes bien désignées”. On aurait donc voulu, en terrain extérieur, faire leur peau à quelques uns de ces Ultras ? … Mais avait-on prévu un tel dérapage ? Les dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté à travers la ville hier, et qui appellent au million pour aujourd’hui, n’ont, de leur côté, aucun doute sur l’origine du chaos.

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10 LIBAN

« LE PEUPLE VEUT LA CHUTE DU RÉGIME CONFESSIONNEL ! »

Une analyse du mouvement libanais pour faire tomber le confessionnalisme… Analyse sévère ; je ne sais si elle est juste.

« Le peuple veut la chute du régime confessionnel ! »

Empruntant aux révolutions tunisienne et égyptienne le mot d’ordre « Le peuple veut … », de jeunes Liba-

nais ont lancé une campagne pour faire tomber le confessionnalisme, sans grands résultats. Nidal Ayoub 03/02/2012

http://www.babelmed.net/Pais/M%C3%A9diterran%C3%A9e/dictatures_du.php?c=7251&m=34&l=fr Lorsque Bouazizi a décidé de s’immoler par le feu, il ne savait pas ce jour là que ses cendres allaient se dis-perser dans les pays voisins pour faire fleurir le printemps. La marche de mille lieues, Bouazizi l’a ouverte avec son pas ; et, la barrière de la peur ayant été brisée, la contagion s’est étendue, les yeux se sont dessillés et les peuples arabes se sont mis à acclamer la liberté à partir de la Tunisie et de l’Egypte, passant par la Li-

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11 bye, Bahrein et le Yemen, ensuite en Syrie puis au Liban. Avec le commencement des événements et l’éclatement des révolutions, les Libanais ont dû interagir avec leur environnement. Ils ont exprimé tout d’abord leur soutien et leurs encouragements à la révolution égyp-tienne après que la révolution de la Tunisie eut surpris les peuples arabes. Dès les premiers jours de la révo-lution en Egypte, des Libanais ont pris l’initiative d’organiser des manifestations et des sit-in ouverts pour saluer et appuyer les sit-inners des grandes places du Caire. Mais les manifestations de soutien à elles seules ne suffisaient plus ; c’est alors que des activistes libanais ont voulu que ce petit pays arabe ait sa propre révo-lution. Là commence l’histoire. Empruntant aux révolutions tunisienne et égyptienne le slogan : « Le peuple veut … », les Libanais ont en-tamé leur campagne pour faire tomber le confessionnalisme, campagne qui a suscité des réactions diverses, entre partisans qui y ont trouvé une opportunité pour monter à l’assaut d’un système fondé sur les confes-sions et le remplacer par un autre établi sur le concept de la citoyenneté, et adversaires qui estimaient que la campagne est un prélude pour ôter la légitimité à un leader qui les accueille et les protège des « autres ». Entre partisans et adversaires se situe une masse silencieuse dont l’orientation précise n’a pu être déterminée en raison de la courte durée de la campagne. L’éventualité d’un échec de ce mouvement était envisagée dès le début. Un élan révolutionnaire ayant trouvé écho chez des jeunes activistes qui ont cru que le moment était propice pour agir. S’en tenant au slogan : « Le peuple veut la chute du confessionnalisme », et négligeant l’action effective, ils n’ont pu présenter de véritables propositions englobant les questions politiques, sociales et économiques qui suscitent l’intérêt de toutes les classes de la population et rassemblent autour d’elles les « enfants » des confessions. Bien plus, le slogan principal n’a pas réussi à clarifier l’objectif direct de la campagne. En effet, le confes-sionnalisme au Liban ne se réduit pas à la personne du chef de l’Etat ou du gouvernement par exemple, mais constitue une structure socio-culturelle globale, s’étendant de la base (le peuple) pour arriver à la direction (les autorités sous toutes leurs formes). C’est pourquoi le slogan portait en lui-même le germe de son échec puisqu’il n’a su devancer une action qui aurait dû être exercée sur les constituants mêmes de cette structure. Ainsi, les Libanais ont été pris de court, aussi bien les partisans que les adversaires du système, ou encore ceux qui se maintiennent dans la neutralité, n’ayant pas encore pris position. Une rétrospective rapide du déroulement de la campagne révèle les faiblesses qui ont caractérisé le compor-tement de certains organisateurs. Elle permet de constater également qu’une contre-campagne a été menée par certains partis confessionnalistes et par d’autres partis qui tirent profit du système en place à des titres divers. Les premières semaines de la campagne ont connu un succès remarquable attesté par le nombre élevé des participants qui croyaient dans le changement, même si celle-ci n’a pas réussi à entrainer de nouvelles catégories sociales dans le mouvement. Par la suite, sont apparus les signes d’une contre-campagne rendue possible par l’adhésion de certains hommes politiques faisant partie du système à la campagne qui réclamait la chute de ce même système ! L’"exploitation " du mouvement par les hommes politiques a causé, dans les rangs des activistes, une dissen-sion qui n’a cessé de s’approfondir de jour en jour : certains voyant dans les déclarations des hommes politi-ques un aspect positif permettant de réaliser un rassemblement populaire plus grand, tandis que d’autres re-fusaient absolument cette compromission du fait que le confessionnalisme est incarné par ces mêmes per-sonnalités. Le troisième groupe s’en est tenu à un refus de s’allier avec ces partis politiques pour quelque raison que ce soit, tant que la chute du confessionnalisme signifie la chute de toute la classe dirigeante qui le protège. Mais cette attitude de principe s’est heurtée à la réalité, étant donné que la majorité des Libanais soutiennent des partis confessionnalistes dont certaines factions s’allient entre elles pour en affronter d’autres. Il n’est donc pas possible de faire tomber le système confessionnaliste sans avoir attiré auparavant la majorité de la population pour qu’elle se retourne contre ses dirigeants. Ainsi, en dépit de l’enthousiasme soulevé par la campagne chez une grande frange de la jeunesse, cet élan n’a résisté ni aux difficultés, ni aux faiblesses qui ont entravé ce mouvement spontané. La cause la plus importante de l’échec de la campagne tient probablement au fait que les manifestants n’ont usé d’aucun moyen pour convaincre la majorité confessionnaliste de la pertinence de leurs objectifs. Au contraire, ils se sont carrément posés en adversaires de ce système dans un pays qui se caractérise par la mul-tiplicité des despotes. Plusieurs intellectuels libanais ont dénoncé cette réalité, comme l’écrivain et romancier Elias Khoury qui constate que le Liban est un pays particulièrement despotique car soumis au despotisme des confessions. Il y a donc plusieurs dictatures à abattre d’un seul coup car chaque confession a son despote, quand elle ne va pas jusqu’à disposer de plusieurs despotes. Après l’échec de la campagne qui visait à démanteler le confessionnalisme, les Libanais ont à nouveau rem-pli les grandes places pour exprimer leur solidarité avec les révolutions des autres pays arabes dont les peu-ples se sont engagés sur la voie de la liberté. Le confessionnalisme profondément enraciné dans la psycholo-gie des Libanais, tout comme dans leur régime, s’est probablement répercuté sur leurs attitudes vis-à-vis des

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12 révolutions En effet, après que les révolutions arabes en Tunisie et en Egypte ont encouragé et rassemblé les Libanais, les signes de la division ont commencé à apparaître avec l’extension de la révolution à la Syrie, à la Libye et au Bahreïn. C’est la révolution du peuple syrien qui a eu l’effet le plus net dans la consécration de cette division entre partisans de la révolution et alliés du régime. Mais s’il est aisé de comprendre les raisons des partisans de la révolution syrienne, surtout lorsqu’on constate l’adéquation entre cette attitude et l’appui aux révolutions arabes, en revanche, l’analyse de la position des alliés du régime syrien conduit à relever deux aspects fon-damentaux en relation avec la structure de la société libanaise. Tout d’abord, il faut rappeler le soutien d’une large partie de la population libanaise à la révolution égyp-tienne et néanmoins son rejet de tout soutien à la révolution syrienne. Ce groupe de Libanais s’est déterminé en accord avec leurs directions (confessionnelles toujours) comme c’était le cas par exemple pour les deux partis alliées « le mouvement Amal » et le « Hezbollah ». Depuis les débuts des révolutions, le mouvement Amal a pris l’initiative d’adopter la révolution du peuple libyen contre le régime de Mouammar Kaddafi, en dépit de l’intervention militaire étrangère de l’OTAN, en contrepartie de son silence sur les actes commis par le régime syrien sur les frontières orientales du Liban, sous prétexte d’un « complot extérieur » visant la Syrie. Il en est de même pour le Hezbollah, allié de l’Iran, qui élève bien haut la voix pour soutenir le peuple de Bahrein en contrepartie de son soutien clair au régime de Bachar Al-Assad « le résistant ». Par ailleurs, avec l’arrivée des vents de la révolution en Syrie, le discours sur « la crainte des minorités » a autorisé certaines directions politiques et religieuses du Liban à justifier leur soutien au régime syrien. Cette attitude s’est répercutée sur les couches de la population relevant de ces directions. Celle-ci a trouvé dans l’éventualité de l’arrivée au pouvoir des islamistes en Syrie un motif suffisant pour accepter les tueries com-mises par le régime syrien à l’endroit de son peuple. L’exemple le plus clair, dans ce contexte, est sans doute celui de l’archevêque maronite du Liban qui a mis en garde contre le danger de la chute du régime syrien pour ce qu’il a appelé « la minorité chrétienne » (au lieu de parler de citoyenneté). L’attitude du « Courant National Libre » (allié au Hezbollah pour affronter le Courant de l’Avenir et ses alliés du Mouvement du 14 mars), qui a choisi de se tenir aux côtés du régime syrien, est du même ordre. En revanche, on peut dire que l’attitude hostile de certains Libanais au régime syrien, en harmonie avec celle de leurs dirigeants politiques, s’inscrit dans le contexte de la lutte essentiellement intérieure (lutte confes-sionnelle par excellence), surtout lorsqu’on essaie de connaître avec précision la position de ces derniers (silencieuse en général) vis-à-vis des autres pays arabes, et notamment de l’Egypte en raison des liens d’amitié et de communauté d’intérêt qui les unissaient à son président déchu, Hosni Moubarak. Cette scission entre Libanais est à la mesure des conflits qui les divisent et ont pu les menés dans la rue où ont eu lieu des affrontements limités entre partisans de la révolution syrienne et alliés du régime de Bachar Al-Assad. Ces conflits ont été renforcés par l’attitude du gouvernement composé principalement par des forces confessionnalistes qui soutiennent le régime syrien, dont le Hezbollah, le mouvement Amal, le Cou-rant National, et font face à d’autres forces confessionnalistes dans l’opposition. Cette attitude se traduit par une ignorance totale, côté officiel, de ce qui se passe aux frontières du pays, où l’on assiste à une violation de celles-ci par les forces syriennes qui poursuivent en territoire libanais les révolutionnaires et les réfugiés qui fuient la répression du régime et tentent de trouver un abri dans les villages situés à proximité des frontières. Ainsi, les Libanais n’ont pas réussi à tirer profit du climat révolutionnaire arabe et n’ont pu réexaminer les grands principes que les révolutions ont remis sur le tapis, notamment celui de la citoyenneté profondément rattaché aux concepts de liberté, de justice et de démocratie, complètement absents de la société libanaise qui jouit d’une liberté masquée, une liberté qui n’est en réalité qu’un simple chaos régi et dirigé par des confes-sions se situant « en dehors » de l’Etat dans son acception moderne.

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13 FRANCE

UN ENJEU SORDIDE DE L’AGRESSION CONTRE LA LIBYE…

La vente du Rafale à l’Inde nous apprend qu’un intérêt de la récente agression contre la Libye a été de tester les capacités de l'avion militaire. Ces test réussis servent désormais d'argument promotionnel à la vente: "Achetez! Avec cela, vous tuez qui vous voulez ou vous voulez sans risque pour vous!" Cela éclaire un des enjeux non-dits, secondaire bien sûr mais réel, de cette agression néo-coloniale : la rivalité entre puissances impérialistes dans le domaine de l'exportation de leur aéronautique militaire.

Le Monde date du 2 février

L'Inde donne sa chance au Rafale Si les négociations aboutissent, ce sera la première fois que l'avion de Dassault sera vendu à l'exportation Les bonnes nouvelles sont comme les ennuis, elles volent en escadrille. " Par cette formule inspirée de Jac-ques Chirac, Gérard Longuet, ministre de la défense, signifiait l'espoir qu'a soulevé, mardi 31 janvier, l'an-nonce de la sélection du Rafale de Dassault pour la fourniture de 126 avions de combats à l'Inde. " C'est un signal de confiance pour toute l'économie française ", appréciait de son côté Nicolas Sarkozy, en évoquant l'avancée significative de cet appel d'offres, estimé à près de 14 milliards de dollars (10,5 milliards d'euros). En Inde, il est qualifié de " contrat du siècle ". Côté français, on estime que l'usage de l'avion en Libye a pesé dans le choix.

LA QUESTION DES « CLASSES MOYENNES »

Article de Gérard Filoche, dont à mon sens l’intérêt tient moins à son analyse qu’aux chiffres délivrés en cours de route…

http://www.marianne2.fr/gerardfiloche/Il-n-y-a-pas-de-classe-moyenne-ni-des-classes-moyennes_a33.html

Comment ça bosse ? Gérard Filoche sur Marianne2

Il n’y a pas de classe moyenne ni « des » classes moyennes Assez des imprécisions et autres abus de langage concernant « la » classe moyenne, ou encore « les » classes moyennes ! De telles expressions sont vides de sens, et ne correspondent pas à la société actuelle. Explica-

tions. Il est intéressant d’écouter dans l’immense buzz médiatique toutes les imprécisions de vocabulaire de celles et ceux, qui parlent en permanence et à tort et à travers « des classes moyennes ». Parfois ils parlent aussi de « couches » moyennes. Ce n’est pas très nouveau, en fait : Marx était à peine mort que toutes les théories voyaient proliférer une énorme « nouvelle petite bourgeoisie » (sic) de fonctionnaires, d’employés, de ca-dres, d’ingénieurs, de techniciens et de nouvelles professions libérales au sein d’un secteur « tertiaire » hy-pertrophié. Mais ils sont totalement incapables de vous les décrire aujourd’hui et de vous dire de quoi il s’agit. Pourquoi ? Parce qu’elles n’existent pas. Concept impossible. Vouloir les définir, c’est la chasse au dahu. C’est facile à prouver : commencez par leur demander pourquoi ils mettent toujours « les classes moyennes » au pluriel. Il y en a donc plusieurs ? Lesquelles ? Enumérez-les ! Dites lesquelles sont plus ou moins « moyennes » ? Qu’est ce qui les distingue ? Vous n’aurez jamais de réponse claire. Il est assez facile de distinguer la classe supérieure : 5% possède environ 50 % du patrimoine. Elle possède l’essentiel de la rente, des actions, elle est maîtresse de la finance et de la propriété des moyens de production, des biens immobiliers et mobiliers. C’est une toute petite partie de la population. Elle vit de l’exploitation du travail des autres et ses intérêts communs sont puissants : augmenter les profits du capital, baisser le coût du travail. Certains y adjoignent les « cadres su-

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14 périeurs » (appelés parfois à tort « bobos ») mais cela ne rajoute que très peu d‘éléments : les cadres dits « supérieurs » (assimilables aux employeurs, échappant au droit commun du travail) sont moins de 0,2 % des cadres. Il est assez facile de distinguer les « pauvres », encore que… : Là, les instituts prennent, sans s’encombrer, un concept clair, celui du salaire : un chiffre de revenu actuel-lement inférieur à 900 euros. C’est le « seuil » dit « de pauvreté ». Il y a aujourd’hui, en 2012, plus de 8 mil-lions de personnes concernées. Ce sont 10 % de la population qui possèdent moins de 1 % du patrimoine. Mais ces pauvres peuvent devenir salariés, ou rester pauvres à temps partiels, rester smicards pauvres, puis le chômage n’épargnant aucune catégorie, à nouveau pauvres. Ce n’est donc pas une catégorie isolée, séparée du salariat. Jacques Rigaudiat concluait justement, dés 2005 : « Entre chômage, sous-emploi, incertitude de l’activité et précarité financière des “travailleurs pauvres”, c’est très vraisemblablement entre le quart et le tiers de la population, entre 15 et 20 millions de personnes – 7 millions de pauvres et 8 à 12 millions de pré-caires – qui ont, de façon durable, des conditions de vie marquées du sceau de l’extrême difficulté. » Mais entre riches et pauvres où sont les classes moyennes ? Donc 5 % possèdent 50 % des richesses, et 10 % possèdent moins de 1%. Il reste 85 % de la population qui se partage 49 % des richesses. Est-ce cela la « classe moyenne » ? 85% de la population ? Qu’est ce qu’elle fait, que gagne t-elle, comment vit-elle ? Qu’a t elle de commun et de différent pour la « classer » ? Sont-ce les « indépendants » ? Les actifs « indépendants », les « libéraux », les artisans, les commerçants, les petits et moyens agriculteurs, les petits patrons ne sont plus que 7 % des actifs dans ce pays. 7% ! Est-ce là UNE classe ou DES classes moyennes ? Peu convaincant, car ils sont hétérogènes, bien des artisans s’apparentent à des ouvriers du rang y compris du point de vue du salaire, de même pour les petits exploitants en agriculture ou les petits com-merçants. Ces 7 % d’actifs qui ne sont pas salariés sont extrêmement « étirés » socialement, entre le million de petits patrons divers de TPE, le médecin installé à l’acte à honoraire libre, le plombier débordé et l’auto-entrepreneur isolé sans le sou. Toutes les tentatives pour recréer des « travailleurs indépendants » (lois Madelin, Dutreil, Novelli…) contre le salariat ont jusqu’à présent échoué. Il semble bien difficile de voir là une « catégorie » encore moins une « classe » comme concept pertinent. Que veut dire l’expression banalisée sans définition : « les classes populaires » ? À ce propos et en incise, pourquoi les mêmes qui parlent des « classes moyennes » parlent-ils de « classes populaires » au pluriel ? Y a t il plusieurs « classes populaires » ? Ce dernier concept apparaît aussi imprécis que l’autre. A moins que vous ne vous entêtiez dans le flou, involontairement où volontairement, essayez de dire une seule fois combien il y en a et comment vous décrivez « LES » classes populaires ? Qu’est ce qui distingue les « classes populaires » des « classes moyennes » ? Est-ce que « les » classes populaires sont les pauvres et les classes moyennes pas populaires ? La domination salariale Le salariat représente 93 % de la population active occupée Et en plus, il faut rajouter les jeunes qui sont des salariés en formation, les chômeurs qui sont des salariés privés d’emploi, les retraités qui vivent en direct des cotisations des salariés. C’est le salariat qui règne, qui domine sociologiquement dans ce pays : la caractéristique est claire, unique, c’est la grande masse de tous ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre. Les salariés vendent, certes, cette force de travail plus ou moins cher, selon leur âge, qualification, carrière, selon le rapport de force social. Est-ce que cela les différencie en classes ? Alors doit-on chercher à distinguer une « classe moyenne » au sein du salariat ? Les salaires sont compris entre 900 euros et 3 200 euros, avec un salaire médian à 1 580 euros. 97 % des salaires sont en dessous de 3 200 euros. L’écart entre la moyenne des salaires des cadres et la moyenne des

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15 salaires des ouvriers et employés est réduit à 2,3. Comment cerner là, caractériser, à ce niveau, une « catégorie », une « couche », une « classe » moyenne… dont le salaire, le statut bouge et bougera tout au long de la vie et de la carrière ? Sont-ce les cadres ? Il y en a 3,5 millions. Les cadres sont des salariés comme les autres : avec une dégradation de leur statut et de leurs conditions de travail, ils n’échappent pas au lot commun. Les « grilles de notations » et les « para-mètres personnalisés » aboutissent à un barème à la « tête du salarié », et à un système des « primes indivi-duelles », qui finit par toucher les cadres assimilés au reste du salariat au plan de la rémunération. Ils ont aussi des horaires légaux communs au reste du salariat, même si les lois les concernant sont plus souvent violées, contournées. Plus de 40 % d’entre eux sont ainsi passés en dessous du plafond de la Sécurité sociale. L’écart de la moyenne des salaires des cadres avec celle des employés et ouvriers a été abaissé progressive-ment de 3,9 en 1955 à 2,3 en 1998. Alors que les employeurs se targuent, par tous moyens, d’individualiser les salaires, en fait, ils les ont « compactés » ! S’il convient de suivre, avec l’Insee, le rapprochement du « bas des cadres » et du « haut des employés et ouvriers », par contre, les cadres ne sont pas correctement catégorisés par la statistique publique comme ils devraient l’être, c’est-à-dire, séparés entre « cadres » et « cadres supérieurs ». Ce serait pourtant une clarification parmi les plus nécessaires car elle porte sur les critères de définition du statut : le contrat, le salaire et la relation de subordination. Les cadres supérieurs sont assimilables au patro-nat. Mais ils sont peu nombreux et ne renvoient pas plus que le « patronat » à une réalité homogène. Avec le développement de la sous-traitance et une soumission à des donneurs d’ordre résolument du côté du CAC 40, les petits patrons sont loin d’être tous du niveau « cadre supérieurs » et subissent un sort aléatoire proche du salariat. Il existe en France, une pyramide d’entreprises avec une base très large : en haut, mille entreprises de plus de mille salariés (3,4 millions de travailleurs) produisent près de 50 % du PIB ; en bas, un million d’entreprises de moins de dix salariés (3,4 millions de travailleurs également) ont une existence pré-caire et la moitié d’entre elles dépendent d’un seul donneur d’ordre. Les fonctions d’encadrement ont diminué considérablement au profit des tâches de production. Il n’y a plus de coupure entre les « cols blancs » et les « cols bleus » comme dans le passé. L’emploi non qualifié aug-mente sans que l’emploi des moins diplômés reprenne : le paradoxe renvoie à un « déclassement » des di-plômés, qui, à un niveau de diplôme donné, occupent des emplois de moins en moins qualifiés. Quant aux cadres, ils connaissent eux aussi des périodes plus importantes de chômage, l’épée de Damoclès du Pôle emploi règne sur eux comme sur les autres. Le chantage à l’emploi est répandu du haut en bas du salariat « La dégradation des conditions de travail est générale, l’urgence réduit la prévisibilité des tâches et les marges de manœuvre pour les réaliser. La charge mentale s’accroît et la pénibilité du travail » Pour une majorité croissante des salariés, les pressions s’accroissent : augmentation du rythme de travail, multiplication des contraintes, mécanisation plus forte, rapidité d’exécution, demandes multiples, vigilance accrue, contrôle hiérarchique permanent, stress… Sont-ce les « catégories intermédiaires » ? L’INSEE utilise depuis des lustres une catégorie très contestée : celle dite des « catégories intermédiaires ». Mais qu’est ce qu’une « catégorie intermédiaire » ? Le haut du salariat ? Où commence t-il ? Aux contre-maîtres ou ETAM ? Le bas des cadres ? À quel niveau les distinguent-on ? Tous les cadres ? L’INSEE y classe tous les enseignants, la plupart des fonctionnaires à partir des catégories « B ». Pourquoi les catégories « B » seraient-elles « classes moyennes » ? Les instituteurs, les infirmiers, les contrô-leurs des impôts, du travail, ne sont pourtant pas plus « classes moyennes » que les maîtres d’hôtel, les agents de maîtrise, les VRP, ou les techniciens… Sont-ce des employés par opposition aux ouvriers ? Sûre-ment pas puisque même l’INSEE les décompte en dehors des « catégories intermédiaires » ! Lesdites « catégories intermédiaires » avaient une telle disparité interne que depuis fort longtemps les ex-perts contestaient ce classement incertain de l’INSEE. En même temps, ces catégories ont gagné une homo-généité avec les autres salariés qui pousse à ne pas les traiter séparément. Ainsi dans la fonction publique, dans le passé, il y avait quatre catégories A, B, C, D. On analysait ainsi les missions : les « A » cadres

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16 concevaient une lettre, les « B » moyen cadres rédigeaient la lettre, les « C » agents exécutants frappaient la lettre, les « D » manœuvres, l’expédiaient. Cela a été bousculé puisque les A frappent la lettre à l’ordinateur et appuient sur la touche du clavier pour l’expédier. La catégorie « D » a été supprimée un peu comme ont disparu les troisièmes classes dans les trains. Mais toutes les catégories forment le même train, la différence est souvent devenue de niveau salaire. Non seulement le salariat s’est imposé numériquement et proportion-nellement au travers du siècle écoulé, mais il s’est homogénéisé, de façon encore relative mais réelle. 70 % ou 10 % de la population ? Certains disent parfois sans bien réfléchir : « Le nouveau prolétariat, ce sont les femmes ». Ou bien encore : « Ce sont les immigrés » Ou bien « Ce sont les précaires ». Mais cela n’a pas de sens théorique sérieux, global de découper des catégories, sexes ou générations. C’est du point de vue commun et supérieur de la place dans le procès de production et du niveau de vie qu’il faut raisonner. Bien qu’il s’obstine dans la recherche d’une hypothétique « classe moyenne » finalement aussi introuvable que le centre en politique [2], Louis Chauvel pose une question cruciale : « Le portrait social d’une classe moyenne heureuse correspond-il aujourd’hui à 70 % de la population, ou plutôt à 10 % ? Tout semble indi-quer que ce noyau central, idéalement situé aux environs de 2 000 euros de salaire mensuel, doit faire face à un vrai malaise et connaît, comme par capillarité, la remontée de difficultés qui, jusqu’à présent, ne concer-naient que les sans-diplôme, les non-qualifiés, les classes populaires. À la manière d’un sucre dressé au fond d’une tasse, la partie supérieure semble toujours indemne, mais l’érosion continue de la partie immergée la promet à une déliquescence prochaine [3]. » Un « précariat » a t il remplacé le salariat ? Non. Ni par la création manquée d’indépendants non-salariés. Leur nombre régresse malgré les lois qui les poussent à exister (auto-entrepreneurs, etc..). Ni par les 3 millions de précaires (CDD, intérims, saison-niers…). Ni par les 3 millions de temps partiels. Ni par les 5 millions de chômeurs. Evidemment, c’est énorme actuellement. Cela frappe surtout les jeunes, les femmes, les immigrés : c’est donc imposé politi-quement, en tout cas, ça ne vient pas des nécessités de la production. Le « précariat » c’est comme les termi-tes, ça creuse les pieds du meuble du CDI, mais il reste un meuble. 85 % des contrats restent des CDI. Entre 29 ans et 54 ans, 97 % des contrats sont des CDI. Le CDI reste majoritaire de façon écrasante avec Code du travail, statut et/ou conventions collectives. En 25 ans, la durée moyenne du CDI s’est allongée de 9, 6 ans à 11, 6 ans. Les classes moyennes, sont-ce les « employés » et « ouvriers » ? La distinction entre ouvriers et employés, fondamentale au début du xxe siècle, s’est estompée. Tout comme celle avec la majorité des cadres. Le « col bleu » avait les mains dans le cambouis, en bas, à l’atelier ; le « col blanc » avait des manches de lustrine, en haut, dans les bureaux : le premier semblait défavorisé par rap-port au second. Ce clivage si net tout au long du siècle précédent dans l’imagerie populaire, syndicale et politique, a laissé place à un brassage des conditions de travail, de l’hygiène et de la sécurité, des conven-tions collectives, des salaires et des statuts : aujourd’hui, l’ouvrier peut encore porter des bleus de travail mais œuvrer dans un environnement aseptisé de machines informatisées dont la maîtrise exige un haut ni-veau de qualifications, tandis que l’employé peut effectuer des services sales, déqualifiés et mal payés, no-tamment dans l’entretien ou l’aide aux personnes. Il y a environ 9 millions d’employés, et 6 millions d’ouvriers dont 2 millions d’ouvriers d’industrie. Ils sont l’essentiel du salariat selon l’INSEE. Mais des ouvriers d‘industrie qualifiés gagnent plus que des ensei-gnants débutants. Des employés de restauration rapide gagnent nettement moins que des ouvriers. Et en fait, il est impossible de les séparer des autres « catégories intermédiaires » de l’INSEE. L’ensemble du salariat est une sorte de toile tissée avec des mailles qui vont bas en haut et de haut en bas. Il y a plus de points communs que de différenciations. On ne vit pas de la même façon à 900 euros, 1 800 euros ou 3 200 euros, mais on est placé devant les mêmes problèmes fondamentaux d’emploi, de droit, de salaire. Et c’est l’existence qui détermine la conscience et qui fait le lien « objectif ». Reste à ce qu’il soit perçu sub-jectivement : cela ne peut se faire qu’avec une vision claire de la réalité pleine et entière du salariat. Qui la développe ?

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17 Il reste encore une drôle de théorie : ce seraient les salariés qui seraient la « classe moyenne » Ce serait là une « grande couche moyenne centrale » qui, en travaillant normalement, retirerait les bienfaits du système (capitaliste) et n’aspirerait qu’à en bénéficier davantage. Ce serait les 24 millions d’actifs qui composeraient la classe moyenne, par opposition à ceux qui ne le sont pas comme les pauvres et les chô-meurs. Parfaitement intégrés au marché, les salariés n’y seraient pas hostiles et le voudraient au contraire plus efficace, plus rentable. L’horizon du système capitaliste étant indépassable, il suffirait donc de s’efforcer de mieux faire marcher l’industrie, le commerce, les échanges, l’innovation, la production, la compétition, afin de satisfaire les souhaits fondamentaux de cette «grande couche moyenne » salariée qui ne demande que cela. La fonction politique de cette analyse est évidente : elle revient à marginaliser tout projet socialiste de gau-che, à le réduire à la charité compassionnelle d’une part, à une recherche de rentabilité rationalisée d’autre part, saupoudrée d’une légère redistribution des richesses en « constatant » qu’il n’y a plus de force sociale désireuse d’un vrai changement. Finie la révolution et vive la classe moyenne et ses aspirations sacrées ! Les cris, aussi imprécis que pervers, abondent : pas touche aux classes moyennes (sic) ! Et les commentateurs se répandent en assimilant dans la confusion celles-ci à la fois aux riches, à la fois aux salariés du haut de l’échelle. Appeler le « salariat » « classe moyenne » n’a plus aucune autre fonction conceptuelle et descriptive, c’est une manipulation idéologique. C’est contribuer à l’empêcher de prendre conscience de son immense force collective et de ses revendications légitimes communes Cette « théorie » a un immense « hic » : « masquer ce nouveau nom du prolétariat que je ne saurais voir »… elle n’explique pas les mouvements sociaux d’ensemble du salariat de mai 68 à nov-déc 95, de 2003 à 2006 ou 2010… Cela n’explique pas les revendications sociales communes pour les salaires, retraites, durée du travail… ni l’acharnement des employeurs à ne plus vouloir de durée légale commune du travail ni de Smic, à préférer des « retraites à la carte » et des « contrats » plus que des « lois ». Car si le Medef veut diviser, atomiser, rendre invisible le puissant et hégémonique salariat c’est qu’ils ont bien peur de cette force sociale, la plus importante la plus décisive du pays, qui est la classe qui produit de façon dominante les richesses et qui n’en reçoit pas la part qu’elle mérite. En vérité, donc, non il n’y a pas de couche moyenne avec ou sans « s ». Il y a deux classes fondamentales, celle minoritaire et dominante de l’actionnariat et du patronat, et celle majoritaire et dominée du salariat. Les conséquences politiques de cette analyse sont évidemment énormes. A lire : Salariés si vous saviez… Ed La Découverte. GF 2006 (et de nombreux autres articles depuis 20 ans dans la revue mensuelle D&S) Jeudi 2 Février 2012 Gérard Filoche

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18 RENDRE JUSTICE À CE DONT « YOUGOSLAVIE » A ÉTÉ LE NOM ? (7)

DOCUMENTAIRES MIS À LA DISPOSITION DES LECTEURS DU QUI-VIVE…

Suite aux demandes, je laisserai une semaine de plus sur le site en libre téléchargement le documentaire « Première déclinaison : l’Homme » / « Prvi padez-Čovek » (1964)

http://www.entretemps.asso.fr/Pro/Homme.mp4 et j’y réinstalle, également pour une semaine, le film « Azra » de Mirza Idrizovic de 1988 (voir Qui-vive n°17) :

http://www.entretemps.asso.fr/Pro/Azra.m4v

PETITE ENQUÊTE SUR LE NOM AZRA

Je profite de cette « reprise » pour signaler les points suivants : 1) Azra a été le nom d’un groupe rock croate, assez connu semble-t-il, créé dans les années 80 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Azra_%28groupe%29. Il aurait repris son nom, non pas du film d’Idrizovic mais d’un poème très connu de Heine que voici :

Heinrich Heine (1797-1856) : Der Asra (Romanzero - 1. Erstes Buch – Historien ; 1851)

La fille du sultan, belle et sereine Täglich ging die wunderschöne S’en allait chaque jour d’un pas sûr Sultanstochter auf und nieder Vers l’heure du soir à la fontaine Um die Abendzeit am Springbrunn, Où les eaux blanches murmurent. Wo die weißen Wasser plätschern. Chaque jour le jeune esclave demeure Täglich stand der junge Sklave Vers l’heure du soir à la fontaine Um die Abendzeit am Springbrunn, Où les eaux blanches murmurent ; Wo die weißen Wasser plätschern; Il devient chaque jour plus blême. Täglich ward er bleich und bleicher. Un jour la princesse avec un ton Eines Abends trat die Fürstin Soudain s’approche de lui : Auf ihn zu mit raschen Worten: « Je veux connaître ton nom, “Deinen Namen will ich wissen, Celui de ton clan, de ton pays ! » Deine Heimat, deine Sippschaft!” « Je m’appelle », l’esclave répliqua, Und der Sklave sprach: “Ich heiße « Mohammed, je viens du Yémen, Mohamet, ich bin aus Yemmen, Je suis de la tribu d’Asra, Und mein Stamm sind jene Asra, De ceux qui meurent quand ils aiment. » Welche sterben, wenn sie lieben.”

On remarquera au passage que le poème de Heine est systématiquement bâti sur un rythme en trochée (pied constitué d’une longue puis d’une brève) : Täg-lich ging die wun-der-schö-ne…

2) Si l’on suit cette piste, le nom de la femme dans le film renverrait à l’arabe Asra, non à Azra. Or la langue arabe nous offre trois possibilités de comprendre cet Azra/Asra :

En partant de Asra, on n’a qu’une possibilité de prénom : celle qui se greffe sur la racine qu’il faudrait transcrire εaSar (il y a un « aïn » au départ et le « S » est emphatique) et qui renvoie à la notion de temps. Cette racine ne donne, semble-t-il, qu’un prénom masculin : Asr (c’est-à-dire en fait εaSr)

En partant cette fois d’Azra, on a deux possibilités.

o La première, la plus simple a priori, serait la racine qui se translittère bien en ’azr et qui renvoie à la notion de force et de puissance. Mais cette notion suscite, semble-t-il, un prénom

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19 masculin (Asre) plutôt que féminin.

o Deuxième possibilité, qui me semble finalement la bonne : la racine qui se translittère ainsi εazara (le « z » est interdental) et qui renvoie à la notion de virginité. Elle donne en effet le nom

Vierge d’où le prénom féminin attendu, courant, de Azra (la Vierge) Au total, l’Asra de Heine n’a donc guère à voir avec l’Azra du film ! Conclusion de cette petite enquête : L’Asra de Heine est un εaSra, d’orientation plutôt masculine (comme le soutient le poème). L’Azra du film est un εazra qui renvoie à une figure typiquement féminine (comme le soutient le film). Tableau résumé

DÉBUT D’UNE ENQUÊTE SUR LE SURRÉALISME SERBE : UN POÈME

Comme l’exposition de Bruxelles l’a rappelé, le mouvement surréaliste a eu, dans les années 30, une importante et originale contribution serbe. Politiquement, cette contribution serbe se traduira par une singularité dans les années 40 : son immersion rapide dans la résistance armée à l’armée nazie.

Petit rappel préliminaire En France, le rapport du mouvement surréaliste à la politique et à la question du communisme telle qu’elle se donnait d’abord dans les années 20, puis dans les années 30, enfin pendant la seconde guerre mondiale est éminemment divisé et contradictoire. Le lieu n’est pas immédiatement de reprendre en détail cette histoire, par bien des points très éloignée de ma propre expérience (tant de militant que de compositeur) comme de celle de bien de mes amis. Mais deux mots malgré tout. Les surréalistes français, pour une bonne part, se sont constitués en compagnons de route du PCF, escomptant ainsi que la caution « intellectuelle » qu’ils apportaient à une politique – par bien des points détestable – du PCF se monnaierait en échange en une caution idéologico-politique du PCF à leurs propres travaux littéraires. Ainsi d’un côté, ils ne « militaient » pas, ne faisaient pas réellement de politique (comme tout un chacun, qui le décide, est amené à en faire – au sens spécifique du « faire » que veut dire ce « faire de la politique » -), et ne faisaient donc que cautionner de l’extérieur la politique faite par le PCF. Et d’un autre côté, ils attendaient du PCF qu’il les décrète en retour grands poètes et/ou artistes. Soit un échange avec le PCF : « je cautionne ta politique et tu promeus en échange mon travail intellectuel/artistique », échange inscrit sous le signe d’un double « comme si » auquel ma génération s’est attaquée ouvertement : d’un côté faisons comme si un intellectuel ou artiste pouvait se mêler de politique sans avoir à en faire réellement (comme si son rôle était de commenter la politique de l’extérieur), et d’un autre côté faisons comme si la valeur d’un travail intellectuel et/ou artistique pouvait s’attacher à quelque conformité idéologico-politique dont « Le Parti » serait le garant exogène.

Spécificité du surréalisme serbe Il s’agit donc ici d’enquêter sur les spécificités du surréalisme serbe et sur le rôle que

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20 ces spécificités ont pu jouer dans un rapport particulier à l’engagement politique.

Turpitude, de Marko Ristic Voici à ce titre un poème de 1938, fourni par nos amis belges et restitué ici dans son contexte.

Lors de sa publication à Zagreb (1938) Turpituda, "rapsodie paranoïaque-didactique" de Marko Ristic, avec dessins de Krsta Hegedusic, est immédiatement saisie et détruite en raison de la Loi sur la protection de la sécurité et de l’ordre public dans l’État. Les relations entre surréalistes yougoslaves et français furent complexes. Amicales dans un premier temps, elles se sont tendues lorsque les surréalistes yougoslaves ont pris les armes, une situation qui peut expliquer que les surréalistes yougoslaves n’aient pas toute leur place dans les manuels français dédiés au mouvement surréaliste.

Marko Ristic (1902-1984) http://www.serbiansurrealism.com/be15.htm

Issu d’une vieille famille belgradoise, il est un de chevilles ouvrières du mouvement surréaliste yougoslave. Il introduit le premier Manifeste du Surréalisme(1924) dans la revue Svedocanstva, quelques mois après sa parution en France. Il est alors rejoint par pléthore de jeunes écrivains tels que Oskar Davičo, Dusan Matić, Đorđe Kostić, Aleksandar Vučo tous, notons-le, francophones. Le mouvement suscite un vif intérêt dans le milieu intellectuel belgradois et yougoslave, à cette époque royaliste. Cependant, ces jeunes avant-gardistes vont vite être contestés ; d'un coté à cause de leur style anti-académique, mais aussi à cause de leurs convictions communistes qui a valu à tous les membres de la groupe "du 13" prison et tortures dans les prison féroces du Royaume yougoslave (André Gide fut un des initiateurs de pétitions pour l'amnistie des prisonniers yougoslaves de cette époque). Ristic publie ses premiers ouvrages dans les années 30-40 alors que la toute jeune Yougoslavie sort difficilement de cinq siècles de domination extérieure (successivement ottomane et austro-hongroise). Ce

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21 contexte historique rend difficile l’accès aux courants littéraires mondiaux, et le patrimoine culturel yougoslave reste assez modeste. N’oublions pas que la notion de langue littéraire serbo-croate n’apparaît qu’au XIXe siècle avec l’Accord de Vienne, mené par Vuk Karadzic et Ludevit Gaj. En 1941, la plupart des surréalistes yougoslaves entrent dans la lutte armée libératrice des partisans yougoslaves. Après la libération, Marko Ristić devient le premier ambassadeur de la Yougoslavie post-révolutionnaire, en France ( 194-195). Cet extrait du poème Turpituda est assez représentatif de cette génération d’écrivains et de son mouvement : le passé, obscur, sale, décadent, se trouve confronté à un avenir tout aussi brutal que menaçant. De cette confrontation incongrue, d’où émanent anxiété et noirceur, va naître une envolée onirique enivrante et magique. Le texte, malgré toutes ses ombres, insuffle un parfum de rêves, qui fera triompher la Turpitude, fusion d’un passé, encore proche, sombre et archaïque, et d’un monde moderne pré-guerrier, apportant peu d’espoir. 1909–1921 Né dans une ancienne famille belgradoise, Ristic fait ses études à Belgrade et en Suisse. 1922 Avec M. Dedinac et D. Timotijevic il lance la revue Putevi (Chemins). 1924–1925 Rédacteur, avec R. Petrovic, D. Matic et M. Dedinac, de la revue Svedocanstva (Témoigna-

ges). 1926 Mariage avec Seva Zivadinovic à Vrnjacka Banja, leurs témoins sont Aleksandar et Lula Vuco. 1926–1927 Il fait connaissance avec André Breton et les surréalistes français pendant son séjour à Paris

d’où il ramène le cycle de collages La vie mobile. 1927 A l’exposition de Max Ernst à Paris, Seva et Marko Ristic achètent le tableau Le Hibou (L’oiseau

en cage) (Musée d’Art Moderne, Belgrade). 1928 Publication de l’antiroman Bez mere (Sans mesure). Naissance de sa fille Mara. 1928–1929 Il réalise une série de photogrammes avec Vane Bor à Vrnjacka Banja 1930 Ristic est un des fondateurs du groupe des surréalistes de Belgrade et un des signataires du mani-

feste. Rédacteur avec A. Vuco et D. Matic de l’almanach Nemoguce – L’impossible où il publie les col-lages Budilnik (Le réveil) et Ljuskari na prsima (Crustacés sur la poitrine). Avec D. Matic il écrit Pozi-cija nadrealizma (La position du surréalisme) que signent les autres membres du groupe surréaliste bel-gradois.

1931 Avec K. Popovic il publie le livre Nacrt za jednu fenomenologiju iracionalnog (Projet pour une phénoménologie de l’irrationnel).

1931–1932 M. Ristic est un des rédacteurs de la revue Nadrealizam danas i ovde (Le Surréalisme au-jourd’hui et ici).

1932 Avec V. Bor il publie le livre Anti–zid (Anti–Mur). 1933 La revue parisienne Le surréalisme au service de la révolution (n. 6, pp. 36–39) publie sa réponse à

l’enquête « L’humeur est–il une attitude morale? » 1936 Il écrit le texte ”Predgovor za nekoliko nenapisanih romana”. 1938 Publication de son poème Turpituda qui est saisi par la police à Zagreb. 1939 Avec M. Krleza, K. Hegedusic, V. Bogdanov, Z. Rihtman et d’autres il fonde la revue Pecat (Le

sceau). Voyage en Italie avec Seva. 1941–1942 Il vit à Vrnjacka Banja. Il est emprisonné quelques temps à Krusevac. 1944 Il publie des textes politiques dans Politika et Borba et est rédacteur de l’Institut pour les publica-

tions de Yougoslavie. 1945–1951 Il est nommé ambassadeur de Yougoslavie à Paris. 1951 Élu membre correspondant de l’Académie des sciences yougoslave à Zagreb. 1952 Avec O. Bihalji Merin, O. Davico, M. Dedinac, E. Finci, D. Matic et A. Vuco, Ristic fonde la re-

vue Svedocanstva (Témoignages). 1955 Avec A. Vuco, O. Davico, D. "osic et A. Isakovic, il lance la revue Delo (Œuvre). 1956 Publication du livre Nox microcosmica. 1958 Ristic est président du Comité national yougoslave pour UNESCO. 1989 Après sa mort, H. Kapidzic Osmanagic publie ses textes dans le livre Naknadni dnevnik 12 C (Sa-

rajevo). 1993 Legs de Seva et Marko Ristic - expérimentation du groupe des surréalistes de Belgrade (1926–

1939) - déposé au Musée d’ Art Moderne de Belgrade.

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22 http://serbiansurrealism.com/fr.htm

Extraits de Turpitude (1938) http://retors.net/spip.php?article79#nb1

Je raille son abondante et pléthorique rêverie d’un sculptural âge d’or Sa douce et onirique superstition aux marges claires obscures Sur la bordure mélancolique de l’indolence sa main frissonne encore une dernière fois La souffrance se transforme [en ?] otage d’une vision mnémotechnique mutilée et en rien Les traces d’un refrain retentissant contrastent avec le reliquat d’un effréné frisson Un misérable roseau titube et sacrifie son aridité poussiéreuse à des champignons blancs Comme lorsque le soleil exerce un tourbillon d’infamie autour duquel se rassemblent les grillons 1 L’inconsciente écharde d’un devenir ancestral et antérieur dans l’œil d’une locomotive fumigène Le cœur d’avant dernières pantoufles vespérales et la cendre de tous les cendriers diplomatiques Des voiles imaginaires déployées 2 au-dessus d’un plasma en branle dans une passion cul-de-sac Dans les doux bas-fonds des pulsions sexuelles en avalanche contre le roc d’un littoral lunaire La mer flétrie la mer chimérique monotone immonde égouttée labourée fauchée Le spectre de la grande voie lactée dans une éloquente luminosité d’illogisme et l’horreur et l’horreur Je raille sa confiance en la rêverie vide et écumée dans l’œil de grenouille Chacune de ses prédictions de beau parleur sur les rives d’un lac insipide ou [où ?] henni[t ?] un cygne noir Ce perroquet au long cou sans égard pour le jour pourri sa dernière chanson de papier Dans une acrobatique écaille d’éboulement tombe et chancelle un insolent pean [péan] 3 Une nuée d’oiseaux verruqueux dans un râle concourt avec un immense archéoptéryx Les fondations éphémères d’un avant déluge capitaliste se lézardent et craquèlent comme le sel dans la boue Les vertigineux toboggans pneumatiques de l’Histoire se ruent sur chaque mamelle nue Les Dodoles 4 à travers les siècles se déhanchent sur les sentiers et s’enroulent autour de la caverne de

l’homme du paléolithique Autour des forteresses féodales autour des turbines autour du Parthénon autour du palais Riunione à

Belgrade Les forêts préhistoriques et marécageuses dans lesquelles l’inventeur de la machine à coudre 5 s’accroupit

se réveillent Elles s’étirent avec leurs lascives et inextricables lianes et en silence gémissent dans la sueur Suintent alors de leurs pulpeux et gigantesques feuillages tout un tas de boutades Sur l’addition de Bernard Shaw de Sarah Bernhardt et aussi du président de la république d’Uruguay 6 dont

je ne connais pas le nom Son nom à elle est Turpitude et elle vit dans un gratte-ciel imaginaire de cristal d’aluminium et de vernis Qui se dresse élancement sur un tronçon parmi des peaux et des crânes d’agneau qui puent Dans Trstenik elle rêve son rêve paradisiaque et argenté fait d’écume céleste et immaculée Dans Trstenik elle tisse son soyeux tissu de magie opiacée 7 et de bleus fantasmes Là elle veille sur l’extase et le silence par son beuglement délirant tandis que la cloche sonne et somme 8 1 Jeu de mots sur popovi « popes » au pluriel et popci « grillons », soit insectes « habillés » en noir 2 razapeta « déployé » : on perd l’allusion à « crucifié » qui existe dans la polysémie du mot « razapet » 3 Péan : chant en l’honneur d’Apollon 4 Dodoles : jeunes filles qui, en période de sècheresses, chantent pour attirer la pluie tout en versant de l’eau sur les passants et se laissant arroser par eux. 5 Voir Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Paris, Robert Laffont, 1980, chant VI, p.743 : « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » 6 Lautréamont est né et a grandi en Uruguay. 7 Peut-on voir là une référence à l’opium de Baudelaire ? 8 Jeu de mots en serbo-croate, zvono zvoni i zove, littéralement « la cloche sonne et appelle »

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23 Je la raille elle et perfidement je tourne autour de son nombril sournoisement je renifle son odeur Les sabots battent vertement sur le pavé leurs mélodies du vainqueur tels de fringants moreaux Et détonnent les pneus d’automobiles comme des grappes où crépitent la volupté et l’ivresse d’une récolte Regarde le poisson de la solitude mollement et bêtement frappe sur la vitre de son aquarium de verre Dans lequel la Turpitude ronge une quenouille et enduit ses ongles d’un vernis à l’odeur de bonbons De bonbons bons marchés de quelques noms et dans Trstenik où personne ne perd le droit de rêver Je raille la Turpitude à un tel point que ne me dévorent pas petits pourceaux et teignes Alors je vois moi aussi sa vision du bonheur et je déploie sur les portes cochères d’une ville future l’amour Je frémis comme elle à la pensée de la volupté que sur ses seules épaules elle porte comme une fourmi Afin que les villages de nègres chancellent et exultent à travers des bibliothèques embaumées Comme une nuée de sauterelles à travers les fertiles champs banates 9 et comme le choc d’un nuage d’acier

à travers une église Où hagards de sournois diacres pillent le butin de ce monde-ci et de celui-là Afin que se réjouissent les loups auxquels dès aujourd’hui les meilleurs dentistes de l’enfer aiguisent les

dents Pour un festin de folie où tourbillonneront le béton et l’acier des bureaux de changes frontaliers Les mers bouillonnantes et la mappemonde jaillissante de lave peut-être déraillant par la tangente Mais là même où la Turpitude aura son rôle majestueux de la vengeance et de la consolation Traduit par Karine Samardzija

9 Région de Vojvodine

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24 ANALYSE DU CAPITALISME

LES NOTES DE ARTUS/NATIXIS

J’essaie de retenir de ces notes ce qui à chaque fois éclaire un point, certes limité, certes selon un éclairage conventionnel, mais cependant significatif quant à l’état du capitalisme occidental… Premier point : dans la majorité des cas, le tournant économique date bien de la seconde partie des années 70 (je me souviens m’être penché à l’époque sur « le Plan Barre »…).

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Second point : À l’intérieur de la zone euro, l’avenir est plutôt à la divergence qu’à la convergence…

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27 DIVERS

SARTRE

Sommes-nous en démocratie ? Un extrait qui m’a semblé avoir quelque actualité…

Les Temps modernes, 1952 Avant de mourir pour la démocratie, je voudrais être assuré d’y vivre. Il paraît justement que c’est le régime de mon pays : je le veux bien, mais quand j’en cherche des preuves, je m’aperçois qu’elles reposent toutes sur le témoignage d’autrui. […] Si, au lieu d’exercer réellement mon droit de vote, je ne faisais que participer à la cérémonie dérisoire de l’isoloir et du bulletin, bref si mes actes de citoyen se métamorphosaient secrètement en gestes, on m’a si bien endoctriné que je ne m’en apercevrais pas. […] Tout le monde a les mêmes droits, mais tout le monde n’a pas le droit d’en jouir. […] Les réalisations démocratiques marquent un « progrès » […] mais ce progrès même, par les conséquences qu’il engendre, contribue à détruire le régime qui l’a réalisé ; comme si la réalisation intégrale de la démocratie bourgeoise devait coïncider avec sa totale destruction.

ACTUALITÉ D’ALAIN BADIOU

Quelques critiques du livre, ici présentées en désordre…

Florence Dupont (Le Monde) "La République de Platon", d'Alain Badiou : Platon, le remake

LE MONDE DES LIVRES | 26.01.12 | Alain Badiou publie sous son nom un livre au titre déroutant, La République de Platon. Dialogue en un prologue, seize chapitres et un épilogue. Un texte et deux auteurs ? Qu'a fait Badiou avec ce texte chaotique, bien connu des bacheliers, où Socrate affronte un sophiste sur la définition de la justice et invente à l'occasion une utopie communiste, l'allégorie de la caverne et le mythe d'Er ? Est-ce une traduction ? L'auteur avertit en préface que, s'il a lu Platon en grec, sa République n'est pas une traduction, elle en est un écho contemporain. Certaines phrases "sentent" pourtant la version grecque. C'est donc un effet de trompe-l'oeil. Aurions-nous affaire à un simple jeu culturel ? Voire à un canular ? Pour tous les normaliens qui ont traduit du grec jusqu'à la lie, l'anachronisme rigolard et cultivé est depuis Giraudoux une tradition : "Je suis comme le vieux Tolstoï", dit Socrate chez Badiou. Mais la modernisation de cette République est aussi une affaire sérieuse bien que souriante. Lacan, Marx et Shakespeare, la biologie moléculaire et les iPod entrent dans le texte de Badiou à côté d'Homère et des éternels potiers de Socrate. Cette équivalence des deux mondes, ancien et moderne, dans le propos philosophique, implique l'éternité et l'universalité d'une vérité immanente au texte de Platon, indépendamment de son ancrage anthropologique et historique et de sa matérialité verbale. C'est une vieille histoire. La prétendue éternité de Platon a toujours reposé sur des anachronismes volontaires. Badiou écrit une République politiquement correcte. Des filles de bonne famille accompagnent les amis de Socrate : la soeur de Platon, "la belle Amantha", est l'occasion de mettre une pincée de féminisme dans le livre. Et Socrate se réjouit à l'idée de draguer les filles au bal que donne la municipalité du Pirée, ce soir de fête. Juste drôle ? L'égalité sociale des hommes et des femmes qu'imagine Socrate dans sa cité utopique perd son sens, et devient chez Alain Badiou une affaire de sexe et de filles à poil dans les douches communes au sein d'une société majoritairement hétérosexuée : la nôtre. Il est impossible d'identifier ce livre en le lisant à partir du texte de Platon ; c'est une pieuvre socratique qui vous glisse entre les doigts et se retourne comme un gant. On passe du rire pour un anachronisme bien trouvé à l'exaspération pour une analogie abusive. Pitreries et choses sérieuses Une autre approche du livre est possible. Dans La République - l'ancienne -, Platon ne fait que transcrire les paroles de Socrate, seul narrateur. Tout le texte est à la première personne, les autres voix sont enclavées dans la voix de Socrate. Le coup de force - de génie, si l'on veut - d'Alain Badiou consiste à avoir supprimé le narrateur et pris la place de l'auteur, désormais seul principe unificateur du texte. D'un dialogue platonicien dont l'unité était la voix de Socrate, Alain Badiou a fait un roman avec des personnages dont il est le seul maître, libre d'en faire les serviteurs de ses anachronismes.

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28 La première phrase du dialogue était : "J'étais descendu hier au Pirée avec Glaucon, fils d'Ariston, pour prier la déesse..." Le nom de Socrate apparaîtra quand son ami Polémarque lui adressera la parole. La première phrase du roman est : "Le jour où toute cette immense affaire commença, Socrate revenait du quartier du port." "Immense" est une intrusion de l'auteur qui évalue rétrospectivement ce qui est pour lui, aujourd'hui, un événement. "L'affaire", comme il dit. Mais il n'y a d'affaire ou d'événement que par le récit qui le définit et le clôture. Philosophe professionnel, Badiou confond le texte de La République, et son histoire postérieure, avec un événement qui en serait à l'origine et qu'il crée par un récit fictif. Le romancier a éliminé la voix de Socrate : il sera l'auteur de chaque pitrerie comme de ses anachronismes philosophiques sérieux. Platon, qui a disparu avec la voix de Socrate, dont il était le transcripteur, ne peut pas lui servir d'alibi. Comment appeler cette démarche ? Pourquoi pas un remake ? Le terme vient du cinéma et désigne un nouveau film qui reprend les principaux éléments de scénario, le récit et les personnages d'un autre plus ancien. En 1998, Psycho a été réalisé par Gus Van Sant à partir de Psychose, d'Hitchcock (1960). Personne n'imagine un remake de Psychose sans la scène de la douche, ni un remake de La République de Platon sans l'allégorie de la caverne ou le mythe d'Er. Le livre de Badiou s'appuie donc sur des séquences incontournables pour se livrer à tous les écarts que lui permet son statut d'auteur. Un remake est un lieu de mémoire, s'y déposent l'histoire du premier film et les commentaires qui ont suivi. Psycho est destiné aux cinéphiles ; pour bien lire "La-République-de-Platon" de Badiou, il faut non seulement avoir déjà lu celle de Platon - en grec ? - mais avoir aussi son immense culture philosophique et littéraire. LA RÉPUBLIQUE DE PLATON d'Alain Badiou. Fayard, "Ouvertures", 600 p., 25 €. Florence Dupont, latiniste

Monique Dixsaut (Marianne) La meilleure spécialiste de Platon en France a lu pour « Marianne » la traduction de la République effectuée par

le philosophe Alain Badiou. Voici son verdict. Par Monique Dixsaut*

Lire la version qu’Alain Badiou nous offre de la République est un bonheur. Il s’amuse, mais seul celui à qui un tel texte est devenu intimement lié, à force de travail, peut s’amuser avec une telle liberté, une telle justesse ; les interlocuteurs de Socrate – l’insolente Amantha, Glauque le raisonneur – se font personnages de théâtre. En faisant des sophistes et des « amateurs de spectacles » des portraits qui ne nous sont que trop familiers, Badiou démontre l’actualité des diagnostics platoniciens : l’une et l’autre espèce bouchent notre horizon comme du temps de Platon. Une restructuration thématique évite au lecteur de se perdre ; on y gagne en clarté, bien qu’on perde un peu les digressions, les sauts et retours qui sont pour Platon le propre de toute pensée qui se cherche. Mais il faudrait être sacrément grincheux, de mauvaise foi ou pédant, pour résister à la vitalité de ce qui nous est offert. A quoi, d’ailleurs, avons-nous affaire ici ? A une traduction « dépoussiérée » ? La prendre ainsi, ce serait inscrire cette République dans la lignée des « belles infidèles » (la traduction du Banquet par Racine, par exemple) dont le but était d’adapter des textes anciens au goût de lecteurs contemporains. Cela y ressemble à première vue, mais Badiou sait bien que ce qui est moderne est voué à se démoder, et qu’habiller Don Giovanni en complet veston ne fait ni chaud ni froid à la musique de Mozart, elle qui possède la puissance de nous arracher au vacarme de toute modernité et d’ouvrir nos oreilles à l’intempestif. Le but n’est pas de venir au secours de Platon en le modernisant mais de restituer le célèbre dialogue à son éternité véritable « qui est d’être disponible pour le présent ». Pour ce faire, Badiou réécrit la République. Il n’est pas le premier, le dernier en date étant Nietzsche qui, dans Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement (1872), comprend de manière très proche ce que ce livre a d’éternellement contemporain. Il existe pour Platon des vérités absolues, invariantes, mais pour être découvertes celles-ci exigent un sujet qui les aime (philosophia, « amour de la sagesse » en grec), et ne peut lui-même émerger qu’à la faveur d’une certaine forme de vie politique. Faute de cela, nous devenons, comme Platon le prévoyait, les instruments dociles d’une tyrannie d’autant plus efficace qu’elle est plus subtile, inapparente. Tous les régimes de gouvernement existants ou ayant existé y conduisent, à l’exception d’un seul, qui n’existe encore qu’en paroles et est orienté par l’« Idée du Bien ». Une expression, jugée trop théologique, à laquelle Badiou préfère ici « Idée du Vrai ». Une vraie vie est donc une vie polarisée de la sorte. Ainsi que le dit Socrate, tous ceux qui se détournent de la philosophie « mènent une vie qui n’est pas vraie ». C’est pour comprendre cela, qu’aujourd’hui plus que jamais, Platon nous est nécessaire, et Badiou a assez de force pour nous forcer à l’entendre. Une chose, toutefois, le gêne chez Platon au point qu’il le censure ou lui prête l’affirmation contraire, et c’est

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29 ce qui me gêne tout de même chez Badiou. Voir dans la figure du « philosophe » une exception, une rareté, relève certes d’une thèse inégalitaire de la part de Platon. Pourtant cette inégalité n’est ni biologique ni intellectuelle. Elle résulte d’une différence d’intensité entre plusieurs sortes de désirs: chez la plupart des gens, celui d’avoir plus de pouvoir ou d’argent l’emporte sur le désir de vérité, c’est ainsi. Selon Badiou ce fait n’a rien de naturel, c’est une conséquence sociale, et la disposition à la philosophie est à ses yeux aussi universelle que le sont les vérités. On ne peut le démontrer, pas plus qu’on ne peut démontrer que la thèse de Platon est fausse. On peut seulement juger cette dernière scandaleuse, et au fond immorale. Dans cette histoire, c’est plutôt Platon qui semble réaliste. « La République » de Platon, trad. du grec ancien par Alain Badiou, Fayard, 600 p., 25 euros. * Philosophe, professeur émérite à Paris I Panthéon-Sorbonne. Avec « La République », fruit de 6 ans de travail, Alain Badiou introduit dans l’édition un objet philosophique non identifiable : à la fois antique et contemporain, le texte de Platon y est remis au goût du jour par le penseur radical de la rue d’Ulm, découvert par le grand public à travers son pamphlet politique : De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Lignes).

Robert Maggiori (Libération) Alain Badiou renverse «la République» de Platon

CritiqueUn remake contemporain de l’œuvre du philosophe grec Par ROBERT MAGGIORI

Au fond, il ne faut qu’un petit effort pour imaginer Socrate commenter une interview de Sophocle («Alors, Sophocle, où en êtes-vous, côté sexe ?»),faire référence à Nietzsche ou Hitler, citer Mao, se moquer de «ceux qui sont toujours fourrés chez leur psy» ou fustiger les riches, qui, peu soucieux de «pensée et justice», veulent surtout «être en forme», «soigner d’avance toutes les maladies qu’ils risqueraient d’avoir, et sont terrorisés dès qu’ils ont envie, inexplicablement, de se gratter le mollet». Comme Platon a beaucoup fait parler Socrate, il est tentant d’envisager ce qu’il eût pu dire en d’autres occasions, sur d’autres sujets, à d’autres époques. Et comme il parle d’une certaine façon, avec ses tics, ses ruses et ses réfutations diaboliques - qui conduisent l’interlocuteur à opiner du bonnet, «oui, Socrate… certainement Socrate», - il est tout aussi excitant de le pasticher. A l’inverse, si l’on veut savoir «ce qu’il a vraiment dit», ou s’en approcher, on n’a que le recours à la lecture réitérée des dialogues platoniciens, à la traduction, l’interprétation : la tradition philosophique le fait depuis vingt-cinq siècles. Presbyte. Dans la République de Platon, Alain Badiou n’a opté pour rien de tout cela. Il n’a pas donné une nouvelle traduction de l’œuvre du philosophe grec, n’a pas livré un commentaire, n’a pas écrit une parodie, n’a pas «détourné» le texte en le truffant d’anachronismes. Mais il a mis six ans à faire ce qu’il a fait - une «œuvre» qui ne correspond à aucune catégorie familière. Dans la République de Platon, il y a toute la République, mais il n’y a aucune phrase de l’ouvrage de Platon qui soit restituée telle quelle. Approche, à la fois myope et presbyte, qui donne un «objet rare» : la République de Badiou, dira-t-on, établie avec le concours de Platon, d’où la pensée du philosophe, professeur émérite à l’ENS, émerge de façon encore plus nette que dans ses autres livres. Armé de ses «chères études classiques», du dictionnaire Bailly et de quelques traductions (Chambry, Robin, Baccou), Badiou se confronte d’abord avec le texte platonicien. «Je m’acharne, je ne laisse rien passer, je veux que chaque phrase […] fasse sens pour moi.» Ensuite, sur «la page de droite d’un grand cahier de dessin de chez Canson» - il en remplira 57 -, il écrit «ce que délivre [en lui] de pensées et de phrases la compréhension acquise du morceau de texte grec dont [il] estime être venu à bout». Puis il révise ce premier jet, et rédige la nouvelle version sur la page de gauche. Enfin le manuscrit passe dans les mains d’Isabelle Vodoz, laquelle le «peigne», le corrige, en fait un fichier informatique et le retourne à l’auteur, qui le peaufine jusqu’à la version finale. «Souvent, je m’éloigne d’un cran de plus de la lettre du texte original, mais je soutiens que cet éloignement relève d’une fidélité philosophique supérieure.» Une telle «fidélité» incite Badiou à ne respecter ni l’ordre ni la division en 10 chapitres de la République, à introduire un personnage féminin, Amantha, «sœur de Platon» (qui dit «fasciste» au lieu de «tyran»), à jouer d’une liberté totale dans les références («si une thèse est mieux soutenue par une citation de Freud que par une allusion à Hippocrate, on choisira Freud, qu’on supposera connu de Socrate»),à survoler l’histoire («pourquoi en rester aux guerres, révolutions et tyrannies du monde grec, si sont encore plus convaincants la guerre de 14-18, la Commune de Paris ou Staline ?»),à rendre «Idée du Bien» par «Vérité», «âme»par «Sujet», «Dieu»par «Grand Autre», et «Cité idéale» par «politique vraie, communisme et cinquième politique». Si Badiou était traducteur ou philologue, on le pendrait devant le portail de l’Académie. Mais il est

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30 philosophe et, en cela, légitimé à utiliser tous les outils possibles pour mener le «combat spirituel» qui vise à séparer opinions et savoirs et à s’approcher, bon an mal an, du «réel de l’être» et de la vérité. De plus, il est romancier et dramaturge. Aussi sa République de Platon se révèle être un coup de maître. Si on connaît très bien la République du Grec, on apercevra dans son «adaptation philosophique» toute la malice et l’inventivité de Badiou. Si on l’ignore, on lira la République de Platon comme un texte «premier», passionnant, alerte, drôle, «mettant en scène» de façon très contemporaine les questions clés de la philosophie, la lutte contre les sophistes et les manipulateurs de l’opinion, la justice, l’éducation, l’art, la discipline des corps, l’amour, la genèse de la société et de l’Etat, la critique des politiques timocratiques, oligarchiques, tyranniques, démocratiques… «Lumière». Platon nommait «philosophe» celui qui parvient à sortir de la caverne et, par une dialectique ascendante, passe de la trompeuse connaissance des ombres, puis des objets sensibles, à la vraie connaissance des idéalités mathématiques et de l’Idée du Bien. Badiou voudrait que tous - «les ouvriers, les employés, les paysans, les artistes et les intellectuels sincères» - suivent ce même parcours afin d’atteindre… l’Idée du communisme. Mythe éternel, que celui de la caverne, au sens… inépuisable ! Platon le décrit ainsi : «Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux…» Et que lit-on chez Alain Badiou, pour qui ces reclus - «ce sera la même chose en mieux» - sont les «spectateurs-prisonniers du médiatique contemporain» ?Eh bien, ceci : «Imaginez une gigantesque salle de cinéma. En avant l’écran, qui monte jusqu’au plafond, mais c’est si haut que tout ça se perd dans l’ombre, barre toute vision d’autre chose que de lui-même. La salle est comble. Les spectateurs sont, depuis qu’ils existent, emprisonnés sur leurs sièges, les yeux fixés sur l’écran, la tête tenue par des écouteurs rigides qui leur couvrent les oreilles…»

Pierre Bance http://www.autrefutur.org/Badiou-cerne-par-l-anarchisme

Badiou cerné par l’anarchisme

2 février 2012 par Pierre Bance

Alain Badiou a défrayé la chronique, en 2007, avec son pamphlet De quoi Sarkozy est-il le nom ?, sur la lancée, L’Hypothèse communiste, en 2009, reçut un certain écho. Le Réveil de l’histoire qui vient de paraître est passé presque inaperçu. Badiou serait-il passé de mode ? C’est possible mais ses travaux, caricaturés tant par la réaction que par la gauche radicale, méritent mieux qu’un anathème grossier. Une étude de Pierre Bance. Antonio Negri pourrait décourager la lecture d’Alain Badiou. Il qualifie « “l’extrémismeˮ badiousien » d’« utopie entretenant un rapport schizoïde avec l’histoire », en particulier l’histoire du socialisme réel, et le condamne comme « négation de la lutte des classes » [1]. Le lecteur familier des échanges entre philosophes radicaux ne s’arrêtera pas à ce jugement [2]. Il perdrait à ne pas lire ce Badiou habitué à recevoir des coups plus injustes encore. Si sa philosophie est obscure pour les non-philosophes et probablement pour quelques philosophes, sa théorie politique est plus abordable que celle d’un Rancière ou d’un Žižek [3]. Jusqu’en 2007, l’œuvre philosophique d’Alain Badiou l’avait maintenu dans un cercle limité de professeurs, d’étudiants et de quelques militants à la recherche des voies régénératrices du marxisme [4]. Mais la parution du livre, De quoi Sarkozy est-il le nom ? a fait connaître Badiou au-delà des cénacles intellectuels [5]. L’ouvrage n’est pas qu’un pamphlet contre Nicolas Sarkozy et son idéologie associée au pétainisme, on y trouve, en conclusion, l’annonce de l’hypothèse communiste comme alternative au capitalisme symbolisé par l’actuel président de la République. Ce succès de librairie, inespéré aux dires de l’éditeur, Michel Surya [6], s’est accompagné d’une manipulation politico-médiatique dans le but de discréditer l’idée communiste. Pas plus que Slavoj Žižek, Alain Badiou n’est ce stalinien primaire, ce philosophe de la terreur, ce gauchiste dogmatique, ce maoïste attardé que l’on dit pour ne l’avoir pas lu, l’avoir mal lu ou par un anticommunisme résultant de la réduction, consciente ou non, du communisme au stalinisme [7]. Malheureusement, les provocations et les coquetteries de Badiou facilitent ces contrefeux et compliquent le rôle de l’exégète [8] Philosophe marxiste, Alain Badiou ne s’aventure pas à décrire le communisme. Le communisme est une hypothèse heuristique c’est-à-dire qu’elle est toujours provisoire et n’avance que par évaluations successives, rectifications, en se référant à des invariants : égalité, abolition de la propriété privée, antiétatisme [9]. Ces invariants communistes « synthétisent l’aspiration universelle des exploités au renversement de tout principe d’exploitation et d’oppression. Ils naissent sur le terrain de la contradiction entre les masses et l’État » [10]. Pour aller au communisme, il convient d’abord de montrer que l’histoire n’est pas finie, que le capitalisme

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31 n’a pas gagner une fois pour toutes. Ce n’est qu’en ayant compris que l’économie libérale et le parlementarisme ne sont ni naturels ni fatals qu’on pourra imaginer d’autres possibilités, envisager l’idée communiste qui est l’hypothèse de l’émancipation [11], « l’idée d’une société dont le moteur ne soit pas la propriété privé, l’égoïsme et la rapacité » [12]. Il conviendra alors de réinstaller l’hypothèse communiste, la faire exister dans le champ idéologique et militant en contrant le terrorisme intellectuel qui amalgame le communisme au socialisme d’État, associe à toute représentation ou expérience communistes des déviances staliniennes. Badiou s’attelle à cette tâche par ses articles, ses livres, en organisant des rencontres telle la Conférence de Londres de mai 2009 [13]. Il fait de la politique et en donne une définition qui ne déplairait pas à Jacques Rancière : « L’action collective organisée, conforme à quelques principes, et visant à développer dans le réel les conséquences d’une nouvelle possibilité refoulée par l’état dominant des choses » [14]. L’arpenteur communiste Au cœur de l’hypothèse communiste, un constat : L’URSS, la Chine et les démo-craties populaires n’ont pas su réaliser le communisme par la faute du parti. Le parti communiste, grâce à sa discipline quasi militaire, s’est avéré une efficace machine pour réussir l’insurrection et prendre le pouvoir. Mais, celui-ci conquis, le parti, au lieu de mettre en œuvre la théorie de la dictature du prolétariat, moment du dépérissement de l’État, s’est transformé en un parti-État qui perdure et se mue en dictature bureaucratique. « En effet, le parti, approprié à la victoire insurrectionnelle ou militaire remportée contre des pouvoirs réactionnaires affaiblis, s’est révélé inapte à la construction d’un État de dictature du prolétariat au sens de Marx, soit un État organisant la transition vers le non-État, un pouvoir du non-pouvoir, une forme dialectique du dépérissement de l’État » [15] Le bilan déficitaire, tous les marxistes en ont admis l’étendue même si pour beau-coup ce fut dur et tardif. Peu en tirent la conclusion de Badiou : la forme-parti, bolchévique ou non, est une organisation qui, non seulement « a fait son temps, épuisée en un petit siècle, par ses avatars étatiques » mais s’avère néfaste [16]. Le marxisme est-il lui-même dépassé ? Non répond Badiou, il reste un outil d’analyse du capitalisme, de prise de conscience par le prolétariat de son exploitation et un soutien pour son émancipation. Ce qui ne va pas, c’est l’exercice du pouvoir tel que l’a conçu Lénine, et si de ce point de vue « le marxisme est indéfendable, c’est qu’il faut le recommencer », qu’il faut « refaire le Manifeste » [17]. Après de tels propos, Bruno Bosteels peut écrire que « Badiou est d’abord communiste avant d’être, voire sans être en même temps un marxiste » [18]. Toujours est-il que Badiou n’est pas de ces intellectuels qui, après la faillite, débiteurs amers et contraints, répondirent à l’appel des sirènes de la démocratie parlementaire. Pour Badiou, la démocratie est l’expression d’un consensus universalisé du monde occidental [19], d’un consensus implicite entre la droite et la gauche [20]. Un emblème qui sert à justifier l’exploitation capitaliste, à camoufler l’appât du gain, l’avidité, l’égoïsme, le désir de la petite jouissance [21], à faire triompher la corruption sur la vertu [22]. La démocratie utilise des idées louables comme l’État de droit ou les droits de l’homme pour servir « d’idéologie de couverture à des interventions militaires ou de justification à d’intolérables inégalités ou à des persécutions sous couvert de “démocratismeˮ culturel » [23]. Á « démocratie », Badiou préfère « capitalo-parlementarisme » ; l’élection, le Parlement ne sont que des instruments servant la domination du capital, « l’espace parlementaire des partis est en effet une politique de dépolitisation » [24]. Á ceux qui disent que le contraire de la démocratie c’est le totalitarisme, la dictature, Badiou répond que c’est le communisme, lequel « absorbe et surmonte le formalisme des démocraties limitées » [25]. Avec ces propos, dit-il, on prend « le risque de n’être pas un démocrate, et donc d’être réellement mal vu par “tout le mondeˮ » [26]. Mal vu et mal entendu. L’échec du socialisme d’État, l’hypocrisie de la démocratie parlementaire conduisent les penseurs à envisager autre chose telle la démocratie radicale de Lauclau et Mouffe, ou la multitude en réseau de Hardt et Negri, ou l’expectative de la politique de Rancière [27]. Badiou affirme qu’il suffit de reprendre l’hypothèse communiste, la reformuler, envisager d’autres voies d’émancipation qui en finiront « avec le modèle du parti ou des partis » qui s’affirmeront « comme politique “sans partiˮ, sans tomber pour autant dans la figure anarchiste, qui n’a jamais été que la vaine critique, ou le double, ou l’ombre, des partis communistes, comme le drapeau noir n’est que le double ou l’ombre du drapeau rouge » [28]. Derrière cette affiche maoïste, sous la figure anarchiste et le drapeau noir, Badiou réunit abusivement « l’autonomie anarchisante et identitaire des “mouvementsˮ », l’organisation réticulaire souple, toutes formes de spontanéisme, tout ce qui conduit à « la précipitation » [29]. « Il faut se tenir à distance et de la forme-parti et de l’État, et aussi savoir résister au fétichisme du “mouvementˮ, lequel est toujours l’antichambre du désespoir » [30]. Badiou n’entretient pas toujours la confusion entre « mouvements » et anarchisme et ne rejette pas systématiquement la variable anarchiste. Ainsi, écrit-il, et pas n’importe où, dans L’Humanité : « Nous ne pouvons pas en rester à la dispute de la période antérieure entre les tendances anarchisantes, qui

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32 valorisent le mouvement pur, et les tendances plus traditionnellement organisatrices qui valorisaient le parti. Il faudra sans doute retenir quelque chose de ces deux tendances » [31]. Le risque, pour l’hypothèse communiste est que Badiou cantonne l’anarchisme, par de vagues références à Mai 68, à la question culturelle : à la « poussée libertaire concernant les mœurs » [32]. Une tentation à laquelle n’échappent ni les trotskistes ni les communistes rénovateurs [33]. S’organiser, mais comment ? On se souvient que pour Badiou, le moyen pour imaginer, construire et vérifier l’hypothèse communiste, faire qu’elle soit une politique crédible pour une majorité, est l’action collective. Menée sans parti, elle renforcera l’idée que les partis politiques sont corrompus au sens révolutionnaire d’intégrés aux institutions au travers de la machinerie électorale, des alliances, telle « la “gauche unieˮ et autres fariboles » [34]. Politique sans parti ne veut pas dire politique sans organisation, « bien au contraire cela veut dire : politique mesurée par des processus organisés tout à fait réels mais incompatibles avec la logique partidaire » [35] ; la logique partidaire pouvant aller de la participation aux élections parlementaires à la prise du pouvoir d’État par un appareil. Ceci admis, on a du mal à trouver, dans ses travaux, ce que Badiou entend par des « processus organisés » puisqu’il rejette tout aussi vigoureusement que le parti prolétarien, les mouvements organisés ou non en réseaux. Quand il dit que « pour le moment ce qui compte, c’est pratiquer l’organisation politique directe au milieu des masses populaires et d’expérimenter des formes nouvelles d’organisation » [36], on n’est pas davantage avancé sur ce qu’est une « organisation politique directe » ou ce que pourraient être ces « nouvelles formes d’organisation ». Alors, il ajoute qu’« une organisation politique, c’est le Sujet d’une discipline de l’événement, un ordre mis au service du désordre, le gardiennage continu d’une exception » que « c’est en somme ce qui se déclare collectivement adéquat tant à l’événement qu’à l’Idée dans une durée qui est redevenue celle du monde » [37] ; ce qui laisse encore plus perplexe. C’est un philosophe marxiste labellisé qui lui demande « d’éclaircir l’énigme d’un platonisme libertaire, ou plutôt d’un étrange platonisme antiétatique autoritaire » ; Daniel Bensaïd pousse la critique jusqu’à éveiller la suspicion : « Le “fétichisme du mouvement que Badiou dit redouter, n’est-il pas la conséquence du renoncement à donner forme à un projet politique – qu’on l’appelle parti, organisation, front, mouvement, peu importe – sans laquelle la politique si fortement invoquée, ne serait qu’une politique sans politique ? » [38]. L’accusation est grave, car elle revient à dire que Badiou n’est qu’un penseur qui aligne des mots sans comprendre la réalité, suprême injure entre savants marxistes. Que répond-il ? Qu’il s’acquitte de son rôle d’intellectuel dont la mission est d’« assurer la nouvelle existence de l’hypothèse communiste, ou plutôt de l’Idée communiste, dans les consciences individuelles » que, pour ce faire, avec d’autres, il combine « les constructions de la pensée, qui sont toujours globales et universelles, et les expérimentations de fragments de vérité, qui sont locales et singulières, mais universellement transmissibles » [39]. Quant à la forme de l’organisation, Badiou confirme : il ne prétend à rien sinon de dire qu’elle n’est pas trouvée, qu’elle est pourtant la clé de l’entrée dans l’histoire de la troisième séquence de l’Idée communiste [40]. Badiou, faute de le résoudre, sait poser le problème, un problème commun à tous ceux qui ne se résignent pas à maintenir la forme-parti et ne sont pas pour autant convaincu par la forme-autonomie réticulaire. « Notre problème est le mode propre sur lequel la pensée, ordonnée par l’hypothèse, se présente dans les figures de l’action. En somme : un nouveau rapport du subjectif et de l’objectif, qui ne soit ni mouvement multiforme animé par l’intelligence de la multitude (comme le croient Negri et les altermondialistes), ni Parti rénové et démocratisé (comme le croient les trotskystes et les maoïstes ossifiés). Le mouve-ment (ouvrier) du XIXe et le Parti (communiste) au XXe ont été les formes de représentation matérielle de l’hypothèse communiste. Il est impossible de revenir à l’une ou l’autre formule. Quel pourra bien être alors le ressort de cette représentation au XXIe siècle ? » [41]. On remarquera que des trois branches de l’extrême-gauche, Badiou écarte le trotskisme et le maoïsme, mais ne parle pas de l’anarchisme [42]. L’oubli est assez gros pour que l’on ne sente pas combien Badiou est mal à l’aise avec une idéologie qui se présente comme seule réponse concrète et cohérente à ses interrogations et qu’il rejette par atavisme marxiste. C’est pourquoi il ne peut pas clore le débat et va chercher des facteurs qui feront que son projet ne sera pas l’anarchisme mais autre chose à imaginer. Les trouve-t-il dans la discipline et le dépérissement de l’État ? Discipline, discipline… Pour Badiou, « la discipline politique émancipatrice est la question centrale du communisme qui vient » [43] et de la nouvelle organisation qui doit l’amener car « les opprimés n’ont pas d’autre ressources que leur discipline », c’est-à-dire leur unité [44]. Comment concevoir cette discipline politique ? « C’est un vrais problème d’aujourd’hui : inventer une discipline politi-que révolutionnaire qui, bien qu’héritière de la dictature du Vrai qui naît dans l’émeute historique, ne soit pas sur le modèle hiérarchique, autoritaire, et quasiment sans pensée de ce que sont les armées ou les sections d’assaut » [45]. Badiou rassure, pas d’une

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33 discipline « calquée sur le militaire » donc. Si l’on évoque que, cependant, une telle formulation ne préserve pas du centralisme démocratique lequel, jusqu’à preuve du contraire, dans les États comme dans les organisations, n’a jamais été autre chose que le centralisme bureaucratique, autoritarisme révolutionnaire de l’absurde, Badiou se fâche ; il faut, dit-il, rechercher « une nou-velle discipline arrachée au modèle militaire ou bureaucratique » [46] et enchaîne par cette prévention : « Gardons-nous des approches théoriques de la question qui ramènent toujours l’opposition entre le léninisme (l’organisation) et l’anarchisme (la mobilisation informelle). C’est-à-dire à l’opposition entre État et mouvement qui est une impasse » [47]. Impasse peut-être, mais Badiou y conduit par la vacuité de sa proposition. Faut-il rappeler cette formule dérangeante d’Élysée Reclus inlassablement avancée par les anarchistes : « l’anarchie c’est l’ordre ». Un ordre communiste reposant sur une autodiscipline au sein des organisations, des communes, des lieux de production et de leurs fédérations [48]. Badiou échappera-t-il à l’encerclement anarchiste ? Dépérir, dépérir… Il affirme sa conviction que le communisme ne pourra se faire qu’après une phase de dépérissement de l’État et l’on sait que les anarchistes sont opposés à cette phase transitoire considérant qu’elle produit l’effet contraire de celui voulu : l’État plutôt que disparaître se renforce ; ils en sont d’autant plus convaincus que l’histoire leur a donné raison [49]. Alors, Badiou n’hésite pas à recourir à la falsification théorique en affirmant que le dépérissement de l’État est une thèse « commune aux anarchistes et aux communistes » [50]. De quelle manière la nouvelle organisation politique (dont l’image est encore inconnue) s’attache à la dissolution du pouvoir étatique dont elle s’est emparée sans que l’on sache comment ? Quelles formes le dépérissement pourrait-il prendre [51] ? « Tout cela sera élaboré en situation, non comme programme abstrait », dit Badiou ; il esquisse quelques pas : le dépérissement sera motivé par la recherche d’égalité et « cela passe par d’énergiques mesures anticapitalistes, un redéploiement des services publics, une refonte de l’État pour qu’il soit réellement l’État de tous, une nouvelle liaison entre éducation et travail, un internationalisme réinventé… » [52], en somme le programme électoral du Front de gauche ou du Nouveau parti anticapitaliste. Si l’on dépasse ce procès d’intention pour se tenir dans une logique de révolution permanente, un risque n’échappe pas à Badiou qui se réfère à la Révolution culturelle chinoise ; quand celle-ci commence à faillir, que la Commune de Shanghai n’a pas trouvé de relais dans le reste de la Chine, Mao se résigne « parce qu’il n’a pas – et personne n’a – d’hypothèse alternative quant à l’existence de l’État, et que le peuple, après deux années exaltantes mais très éprouvantes, veut, dans son immense majorité, que l’État existe et fasse connaître, au besoin rudement, son existence » [53]. N’ayant pas su concevoir la discipline révolutionnaire le peuple en appelle à la répression de l’État pour rétablir l’ordre. Il est ainsi clair que, pour Badiou, le dépérissement de l’État doit commencer avant la conquête du pouvoir ; tomberait-il dans la conjecture anarchiste de la subversion de l’État [54] ? « C’est pourquoi un des contenus de l’Idée communiste aujourd’hui – et cela contre le motif du communisme comme but à atteindre par le travail d’un nouvel État – est que le dépérissement de l’État est sans doute un principe qui doit être visible dans toute action politique (ce qu’exprime la formule : “politique à distance de l’Étatˮ, comme le refus obligé de toute inclusion directe dans l’État, de toute demande de crédits à l’État, de toute participation aux élections, etc.), mais qu’il est aussi une tâche infinie, car la création de vérités politiques neuves déplacera toujours la ligne de partage entre les faits étatiques, et donc historiques, et les conséquences éternelles d‘un événement » [55]. C’est ce qu’il appelle « les interventions du communisme de mouvement » dont le problème est de savoir comment l’« l’établir dans la durée » [56]. Il faut donc comprendre que la politique révolutionnaire est « organisatrice au sein du peuple rassemblé et actif du dépérissement de l’État et de ses lois » [57] ; c’est une procédure continue qui commence dans l’État bourgeois et se poursuit dans l’État socialiste. Pour l’heure, Badiou place ses espoirs d’installation de l’hypothèse communiste et du commencement du dépérissement de l’État dans une « alliance pratique » entre « les prolétaires nouveaux venus, d’Afrique ou d’ailleurs, et les intellectuels héritiers des batailles politiques des dernières décennies. Elle s’élargira en fonction de ce qu’elle saura faire, point par point. Elle n’entretiendra aucune espèce de rapport organique avec les partis existants et le système, électoral et institutionnel, qui les fait vivre » [58] ; elle se tiendra prête pour répondre à l’événement [59]. Ressurgit la mythologie des maoïstes de France : des masses immigrées éclairées par la bourgeoisie intellectuelle. Le mouvement contre la réforme des retraites d’octobre-novembre 2010 lui apporte un cinglant démenti. Le prolétariat local dans toutes ses composantes a montré qu’il n’avait pas disparu et qu’il possédait une potentialité révolutionnaire tant en puissance qu’en imagination. Les nouveaux prolétaires de Badiou n’ont, comme tels, joué aucun rôle. Et les intellectuels, Badiou compris, ont été particulièrement absents de la lutte et des débats qu’elle a suscités, comme subjugués par la capacité politique retrouvée des classes ouvrières dont on oubliait l’existence. Pourtant ce mouvement aurait dû

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34 convenir à Badiou en ce qu’il a imaginé des formes d’action et d’organisation éloignées des modèle imposés par les bureaucraties syndicales, faisant revivre, par exemple, la solidarité interprofession-nelle ; en ce qu’il s’est tenu à l’écart du parlementarisme et des grossières tentatives de récupération politique de la gauche [60] ; en ce qu’il est un événement annonciateur de la troisième séquence. Peut-être plus que les révolutions arabes en dévoiement : « Dès lors que l’émeute se laisse interpréter comme, et encore mieux finit par être, un désir d’Occident, politiques et médias de chez nous lui feront bon accueil » [61]. L’événement a échappé à Badiou et sa métaphysique de la contingence parce que, déjà avant la chute du mur de Berlin, dans une discrétion honteuse, et plus ouvertement depuis, le marxisme ne peut plus se passer de l’analyse anarchiste pour comprendre la réalité et du projet anarchiste pour espérer parvenir au communisme ; à cette vérité quasi badiousienne, qu’elles l’admettent ou le nient, se confrontent toutes les pensées radicales et celle de Badiou est pourtant une des plus rétives à intégrer la nouvelle donnée qui la cerne, à remettre en cause ses évidences [62]. Il faudra bien, pourtant que toutes les idées nouvelles convergent pour que le communisme ait quelque chance de se présenter comme une hypothèse crédible d’abord, possible ensuite. P.-S. Texte libre de droits avec mention de l’auteur : Pierre Bance, et de la source : Autrefutur.org, site pour un Syndicalisme de base, de lutte, autogestionnaire, anarcho-syndicaliste & syndicaliste révolutionnaire (www.autrefutur.org). Notes 1. [1] Antonio Negri, « Est-il possible d’être communiste sans Marx ? », traduit de l’italien par Jacques

Bidet, Actuel Marx, n° 48, « Communisme », deuxième semestre 2010, page 46 ; citation page 53. On comprend ce que veut dire Negri, au moins pour ce qui est du « rapport schizoïde avec l’histoire », en li-sant une tribune d’un optimisme et d’un idéalisme désarmants d’Alain Badiou, « Tunisie, Égypte : quand un vent d’est balaie l’arrogance de l’Occident » dans Le Monde du 19 février 2011. Le temps passant, Badiou revient quelque peu sur terre dans Le Réveil de l’Histoire, où la tribune précitée est retranscrite ([Fécamp], Nouvelles éditions Lignes, « Circonstances, 6 », 2011, 174 pages). Dans ce dernier livre poli-tique, Badiou développe que, dans sa recherche du profit, le capitalisme s’attaque à tout ce qui contrarie sa folie financière et sombre dans la sauvagerie de ses origines ; y répondent les émeutes – émeutes im-médiates, émeutes historiques – qui vont nourrir une nouvelle idée du communisme en prélude à la révo-lution ; nous sommes en 1850, à l’industrialisation sauvage la classe ouvrière résiste par l’émeute, puis par l’organisation, le capitalisme ne vivra pas en paix pendant cent ans, mais finira par l’emporter dans les années 1980. Nous sommes en 2011, en 2012… « dans le temps des émeutes par lequel se signale et se constitue un réveil de l’Histoire contre la pure et simple répétition du pire » (page 13).

2. [2] Échanges qui, au-delà de la philosophie et de la polémique politique, alimentent leur existence uni-versitaire, quelquefois médiatique.

3. [3] Alain Badiou affirme ne faire que de la philosophie : « Ce livre, je veux y insister, c’est un livre de philosophie. Contrairement aux apparences, il ne traite pas directement de politique (même s’il s’y ré-fère) ni de philosophie politique (même s’il propose une forme de connexion entre la politique et la phi-losophie) » (L’Hypothèse communiste, [Fécamp], Nouvelles éditions Lignes, « Circonstances, 5 », 2009, 208 pages ; citation page 32)

4. [4] Né à Rabat (Maroc) en 1937, Alain Badiou, élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, enseigne dans les années 1960 en lycée puis à la Faculté des lettres de Reims. Après 1968, il rejoint l’Université de Vincennes, à partir de 1999, l’École normale supérieure. Philosophe influencé par Louis Althusser et Jacques Lacan, reconnu par ses pairs comme bâtisseur de systèmes philosophiques autour de la théorie de l’« événement », ses écrits peuvent atteindre un degré d’abstraction les rendant hermétiques au profane ; ses détracteurs dénoncent son élitisme (Adam Garuet, « Radical, chic, et médiatique », Agone, n° 41-42, « Les intellectuels, la critique et le pouvoir », 2009, page 150 ; voir aussi Razmig Keu-cheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Paris, Éditions La Dé-couverte, « Zones », 2010, 318 pages, voir page 216). Il s’essaie au roman, au théâtre dans la veine du réalisme socialiste. Alain Badiou est un militant politique. Comme quelques-uns de ces congénères nor-maliens, il devient maoïste ; en 1971, il est l’un des fondateurs et dirigeants de l’Union communiste de France marxiste-léniniste (UCFML), une organisation qui s’investit dans la lutte pour les droits des tra-vailleurs immigrés et se révèle – elle n’est pas seule à cette époque – sectaire, fractionniste, manipula-trice… Á ce moment, dans le champ des idées, Badiou s’oppose particulièrement aux plus brillants de ses collègues du département de philosophie de Vincennes : ceux qu’ils appellent les anarcho-désirants parce qu’ils croient aux capacités d’autonomie des travailleurs, c’est-à-dire Deleuze, Guattari, Lyotard et Schérer. Les maoïstes s’étant dissous dans la société de communication ou la religion, en 1985, Badiou

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35 fonde une organisation à son image : l’Organisation politique dont on ne sait plus ce qu’elle devient bien qu’il ne cesse d’y faire référence ; encore dans Le Réveil de l’Histoire, précité note (1), page 120. Sur Badiou, Bruno Bosteels, Alain Badiou, une trajectoire polémique, Paris, La Fabrique éditions, 2009, 218 pages. L’ouvrage, difficile, est celui d’un fin connaisseur de Badiou, non d’un apologiste.

5. [5] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, [Fécamp], Nouvelles éditions Lignes, « Circonstances, 4 », 2007, 158 pages.

6. [6] « Il garde la ligne », portrait de Michel Surya par Éric Aeschimann, Libération, 20 décembre 2007. 7. [7] Cette perle de Laurent Joffrin, alors directeur général de Libération, mérite citation : « Certes ses

nouveaux contempteurs [de la démocratie], un Badiou […] ou un Žižek, ogre mangeur d’humanistes bê-lants, remuent de très vieilles idées. De l’expérience totalitaire, ils ont beaucoup oublié et fort peu appris. Leur critique de la “démocratie formelleˮ exhale un parfum rance de sacristie marxiste » (Libération, éditorial, 16 février 2008). Lire encore, parmi d’autres, Yves Charles Zarka, La Destitution des intellec-tuels et autres réflexions intempestives, Paris, Presses universitaires de France, « Intervention philoso-phique », 2010, 298 pages, « Žižek-Badiou : les philosophes de la terreur », page 235. Le mérite que Ba-diou reconnaît à Staline est d’avoir été craint des occidentaux et, ainsi, facilité la lutte des ouvriers des pays capitalistes pour l’amélioration de leur situation matérielle. « Ce sera, dit Badiou, mon seul coup de chapeau à Staline : il faisait peur aux capitalistes » (« Le volontarisme de Sarkozy, c’est d’abord l’oppression des plus faibles », entretien avec Éric Aeschimann et Laurent Joffrin, Libération, 27 janvier 2009).

8. [8] Le Badiou d’aujourd’hui, volontiers mandarin, citant plus que nécessaire sa vie, son œuvre, ses amis, ceux qu’il estime ses égaux, peut susciter de l’antipathie. Ainsi à la lecture de « L’idée communiste », in-tervention qu’il fit à la conférence de Londres de 2009 organisée avec Slavoj Žižek (L’Idée du commu-nisme, [Fécamp], Nouvelles éditions Lignes, 2010, 352 pages), intervention d’Alain Badiou, page 7 ; texte préalablement publié in Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note 3, chapitre IV, pages 178 et suivantes) ; ou encore à celle de l’introduction du Second manifeste pour la philosophie et les no-tes de cet ouvrage (Alain Badiou, Second manifeste pour la philosophie, Paris, Flammarion, « Champs essais », 2010, 132 pages).

9. [9] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, précité note (5), page 132. Parfois Badiou se réfère à d’autres invariants comme « la conviction que l’existence d’un État coercitif n’est pas nécessaire » ou « l’organisation du travail n’implique pas sa division » (Alain Badiou, « Le courage du présent », point de vue in Le Monde, 14 février 2010

10. [10] Bruno Bosteels, Alain Badiou, une trajectoire polémique, précité note (4), page 179. 11. [11] « Il est plus sûr et plus important de dire que le monde tel qu’il est n’est pas nécessaire que de dire

“à videˮ qu’un autre monde est possible », Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note (3), page 54 ; « nécessaire » est souligné par Badiou. Coup de patte gratuit aux altermondialistes.

12. [12] Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, précité note (7). 13. [13] Actes publiés sous la direction d’Alain Badiou et Slavoj Žižek, L’Idée du communisme. Conférence

de Londres, 2009, précité note (8). 14. [14] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, précité note (5), page 12 15. [15] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, précité note (5), page 144. Voir aussi, Alain Badiou,

« L’hypothèse de l’émancipation reste communiste », entretien avec Rosa Moussaoui, L’Humanité, 6 novembre 2007 ; Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, précité note (7).

16. [16] Alain Badiou, Le Réveil de l’Histoire, précité note (1), page 101. 17. [17] Alain Badiou, Peut-on penser la politique ?, Paris, Éditions du Seuil, « Philosophie générale »,

1985, 119 pages ; citations pages 56 et 60. Karl Marx, Friedrich Engel, Manifeste du parti communiste (1848) (Karl Marx, Œuvres I. Économie I, préface par François Perroux, édition établie et annotée par Maximilien Rubel, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1963, tirage 2010, 1822 pages ; Le Manifeste com-muniste, page 158, traduction de Maximilien Rubel et Louis Évrard).

18. [18] Bruno Bosteels, Alain Badiou, une trajectoire polémique, précité note (4), page 173. 19. [19] Alain Badiou, présentation du Colloque de Londres du 12 au 15 mai 2009, L’idée du communisme,

précité note (8), page 5. 20. [20] Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, précité note (7). 21. [21] Alain Badiou, « L’emblème démocratique » in le recueil de textes Démocratie, dans quel état ?,

Paris, La Fabrique éditions, 2009, 152 pages ; observations de Badiou, pages 17 et suivantes 22. [22] Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note (3), page 56. 23. [23] Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, précité note (7) 24. [24] Alain Badiou, « Politique et vérité », entretien avec Daniel Bensaïd in Politiquement incorrect, en-

tretiens du XXIe siècle, recueil de textes sous la direction de Daniel Bensaïd, Paris, Textuel, 2008, 384

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36 pages, entretien page 132, entretien paru précédemment dans la revue Contretemps, n° 15, février 2006.

25. [25] Badiou, « L’emblème démocratique » in le recueil de textes Démocratie, dans quel état ?, précité note (21), page 25.

26. [26] Alain Badiou, « L’emblème démocratique » in le recueil de textes Démocratie, dans quel état ?, précité note (21), page 15.

27. [27] Ernesto Laclau, Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une politique démocratique radicale (1985), traduit de l’anglais par Julien Abriel, Besançon, préface à l’édition française d’Étienne Balibar, Les Solitaires intempestifs, « Expériences philosophiques », 2009, 338 pages. Michael Hardt et Antonio Negri, Empire (Exils, 2000), traduit de l’anglais (États-Unis) par Denis-Armand Canal, Paris, 10/18, « Fait et cause », 2004, 571 pages. Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire (La Dé-couverte, 2004), traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Guilhot, Paris, 10/18, « Fait et cause », 2006, 407 pages. Jacques Rancière, La Haine de la démocratie, Paris, La Fabrique éditions, 2005, 106 pages ; voir aussi Et tant pis pour les gens fatigués. Entretiens, Paris, Éditions d’Amsterdam, 2009, 700 pages.

28. [28] Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note (3), page 126. Est-ce pour cela que les com-munistes libertaires arborent des drapeaux rouge et noir ?

29. [29] Alain Badiou, « Mai 68 à la puissance quatre », Á bâbord !, Québec, n° 24, « Nous sommes héritiers de 1968 », avril-mai 2008, http://ababord.org/spip.php?article125.

30. [30] Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, précité note (7). Ce qui fait dire à l’Organisation communiste libertaire (OCL) : « C’est là la réactivation d’une vieille polémique entre par-ti et mouvement, entre spontanéité et organisation, entre conscience et aliénation, entre raison et désir » (OCL Saint-Nazaire, « Autour des positions politiques d’Alain Badiou », 2 avril 2009, note critique sur l’entretien paru dans Libération du 27 janvier 2009 [précité note 9], http://oclibertaire.free.fr, chercher « badiou »).

31. [31] Alain Badiou, entretien dans L’Humanité du 6 novembre 2007, précité note (15). 32. [32] Le danger est sensible dans l’entretien donné à la revue québécoise, Á bâbord !, n° 24, avril-mai

2008, précité note (29). 33. [33] Voir, par exemple, sur ce site, AutreFutur.org, de l’auteur, « Lecture syndicaliste révolutionnaire de

Daniel Bensaïd » et « Des paradoxes d’une social-démocratie libertaire 34. [34] Alain Badiou, « Politique et vérité », in Politiquement incorrect, entretiens du XXIe siècle, précité

note (24), page 131. Peter Hallward résume, au moins pour la France, l’opinion de Badiou : « Puisque la gauche traditionnelle a depuis longtemps renoncé à toute tentative de formuler un projet émancipateur fondé sur la mobilisation directe des exploités et des opprimés, l’élection de Sarkozy marque la fin de l’ancienne orientation droite/gauche de la vie politique, au profit d’une désorientation dont se servent les riches pour attaquer les pauvres et exclure les opprimés » (Peter Hallward, « L’hypothèse communiste », La Revue internationale des livres et des idées, n° 5, mai-juin 2008, page 28 ; article repris dans le re-cueil de textes Penser à gauche. Figures de la pensée critique aujourd’hui, Paris, Éditions Amsterdam, 2011, 506 pages, article page 267). Le misérable programme du Parti socialiste, si François Hollande ve-nait à être élu, confortera l’opinion d’Alain Badiou

35. [35] Alain Badiou, « Politique et vérité », in Politiquement incorrect, entretiens du XXIe siècle, précité note (24), page 132.

36. [36] Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, précité note (7). 37. [37] Alain Badiou, Le Réveil de l’Histoire, précité note (1), pages 102 et 105. ( ) Daniel Bensaïd, « Un

communisme hypothétique. Á propos de L’Hypothèse communiste d’Alain Badiou », Contretemps, n° 2, mai 2009, page 113.

38. [38] Daniel Bensaïd, « Un communisme hypothétique. Á propos de L’Hypothèse communiste d’Alain Badiou », Contretemps, n° 2, mai 2009, page 113.

39. [39] Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note (3), pages 204 et 205. Dans cette dernière phrase, Badiou fait deux fois référence à l’universalité. Pour lui, l’universalité, en politique, est porteuse de deux idées principales. La première est qu’elle « suppose qu’on résiste simultanément à la fascination pour les pouvoirs établis et à la fascination pour leur destruction inféconde » (Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note 3, page 20). La deuxième est qu’elle rejette « le culte des identi-tés nationales, raciales, sexuelles, religieuses, culturelles, tentant de défaire les droits de l’universel » (Alain Badiou, Second manifeste pour la philosophie, précité note 8, page 9).

40. [40] « Proposons provisoirement [que l’Idée] soit communiste dialectique au XXIe [siècle] : le vrai nom viendra dans les marges du réveil de l’Histoire » (Alain Badiou, Le Réveil de l’Histoire, précité note 1, page 98). Badiou divise l’histoire récente en deux séquences révolutionnaires et deux périodes interval-laires. La première séquence va de la Révolution française (1792) à la Commune (1871), la deuxième de

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37 la Révolution russe (1917) à la fin de la Révolution culturelle chinoise (1976). Nous sommes dans la deuxième période contre-révolutionnaire à la lisière, peut-être, de la troisième séquence du communisme (Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, précité note 5, pages 139 et suivantes). Et les événe-ments du monde arabe en 2011, le confortent dans l’espérance que la période contre-révolutionnaire tou-che à sa fin (Alain Badiou, Le Réveil de l’Histoire, précité note 1).

41. [41] Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, précité note (5), page 151. « Le mode propre […] les figures de l’action » est souligné par Badiou

42. [42] Sauf à considérer que Negri et les altermondialistes représentent l’anarchisme, ce qui serait faire injure à la culture politique de Badiou

43. [43] Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note (3), page 60. « La discipline est la seule arme de ceux qui n’ont rien » (Alain Badiou, Le Monde, 14 février 2010, précité note 9).

44. [44] Alain Badiou, entretien dans L’Humanité du 6 novembre 2007, précité note (15). 45. [45] Alain Badiou, Le Réveil de l’Histoire, précité note (1), page 101. 46. [46] Alain Badiou, Á bâbord !, n° 24, avril-mai 2008, précité note (29). 47. [47] Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, précité note (7). 48. [48] « Être anarchiste commence par le respect du Code de la route », Flora Bance, entretien avec

l’auteur. 49. [49] Au moins partiellement, dans la mesure où eux-mêmes se trouvèrent confrontés à d’inextricables

problèmes d’exercice du pouvoir durant la révolution espagnole. Lire à ce sujet : César M. Lorenzo, Le Mouvement anarchiste en Espagne. Pouvoir et révolution sociale, Saint-Georges-d’Oléron, Les Éditions libertaires, 2e édition revue et augmentée, 2006, 560 pages. La première édition est parue au Seuil, en 1969, sous le titre Les Anarchistes espagnols et le pouvoir. 1868-1969. La deuxième édition couvre éga-lement la période allant de 1970 jusqu’à l’approche des années 2000.

50. [50] Alain Badiou, Le Monde, 14 février 2010, précité note (9). 51. [51] « Quelles doivent être les limites [du pouvoir] de l’État ? Pour le moment, nous ne disposons pas

sur ce point d’une doctrine éclairée » (Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, préci-té note 7) ; « Le problème de l’État est un problème ouvert pour tous ceux qui conservent l’idée commu-niste » (Alain Badiou, entretien dans L’Humanité du 6 novembre 2007, précité note 15).

52. [52] Alain Badiou, entretien dans Libération du 27 janvier 2009, précité note (7). 53. [53] Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note (3), page 121. « Mao et les siens iront jusqu’à

dire que, sans le socialisme, la bourgeoisie se reconstitue et s’organise dans le parti communiste lui-même » (page 96, la fin de la phrase est souligné par Badiou) ; avertissement vérifié aujourd’hui en Chine. Ce qui s’était déjà vu durant la Guerre d’Espagne où la petite bourgeoisie a rejoint le Parti com-muniste pour « rétablir » l’ordre en renforçant la contre-révolution.

54. [54] Ce qui pourrait expliquer sa référence à un dépérissement de l’État envisagé par les anarchistes, voir note (50).

55. [55] Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note (3), page 201. « Un événement est quelque chose qui advient en tant que soustrait à la puissance de l’État » ; les appareils idéologiques d’État (Al-thusser) tendent à « interdire que l’Idée communiste désigne une possibilité » (page 192).

56. [56] Pris dans le feu de l’événement, Badiou en donne un exemple, discutable, avec les mouvements qui agitent le monde arabe en 2011 (Le Monde, 19 février 2011, précité note 1). Badiou explique ce qu’il en-tend par communisme de mouvement. « “Communismeˮ veut dire ici : création en commun du destin collectif. Ce “communˮ a deux traits particuliers. D’abord, il est générique, représentant, en un lieu, de l’humanité toute entière. […] Ensuite, il surmonte toutes les grandes contradictions dont l’État prétend que lui seul peut les gérer sans jamais les dépasser : entre intellectuels et manuels, entre hommes et femmes, entre pauvres et riches, entre musulmans et coptes, entre gens de la province et gens de la capi-tale ».

57. [57] Alain Badiou, « L’emblème démocratique » in le recueil de textes Démocratie, dans quel état ?, précité note (21), page 24.

58. [58] Alain Badiou, L’Hypothèse communiste, précité note (3), page 81 ; citation issue d’un texte préala-blement publié, dans une version simplifiée, dans Le Monde du 18 octobre 2008. Sur le rôle décisif que Badiou attribue aux sans-papiers, Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nou-velles pensées critiques, précité note (4), page 218.

59. [59] Sur l’événement, la part de la contingence dans les processus politiques chez Badiou, lire Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, précité note (4), pa-ges 211 et suivantes. Keucheyan cite Badiou : « Il est de l’essence de l’événement de n’être précédé d’aucun signe, et de nous surprendre de sa grâce, quelle que puisse être notre vigilance » (page 213, ex-trait de Saint-Paul. La fondation de l’universalisme, Paris, Presses universitaires de France, « Les essais

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38 du Collège international de philosophie », 1997, 120 pages, citation page 119). Selon, Keucheyan, « cette thèse rend toute réflexion stratégique impossible » (page 213) ; ce ne paraît pourtant pas être ce point qui rend difficile la stratégie chez Badiou mais bien l’imprécision sur des questions pratiques comme l’organisation ou le dépérissement de l’État ; l’événement est un fait dont l’imprévisibilité n’empêche pas de prévoir une stratégie pour y répondre ; c’est d’ailleurs exactement ce que dit Badiou.

60. [60] En ce qu’il fut, encore, trahi par les bureaucraties syndicales et la gauche parlementaire. Sur ce thème, lire par exemple, Pierre Bance, « Ce n’est pas le moment de désespérer », Le Monde.fr, 5 no-vembre 2010 (http://lemonde.fr/idees/article/201...).

61. [61] Remarque qui montre que le danger n’échappe pas à Badiou ; c’est d’ailleurs la problématique du Réveil de l’Histoire, précitée note (1), citation page 78.

62. [62] Voir cependant la citation de la note (47).

Claude Askolovitch (Le Point)

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