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EDITO « LA LIGNE D’UNE TENTATIVE EST INVRAISEMBLABLEMENT UTOPISTE. C’EST SÛR QU’ELLE RÊVE. ELLE RÊVE LES YEUX OUVERTS. » « (…) Une tentative, c’est un petit événement prématuré. Alors qu’il faut aux événements politiques considérables une certaine maturation, voilà que sur un point très particulier de l’horlogerie de l'État et des projets politiques en cours de développement dans leur stratégie de prise du pouvoir se pointe une initiative on ne peut plus précaire qui prend corps et persiste ». Le Fes- tival Hybrides est sans doute l’une des ces lignes, magnifiquement décrites par Fernand Deligny, la ligne d’une tentative qui cherche à nous faire voir ce que nous ne voyons pas encore. Depuis une semaine maintenant, nous rencontrons des univers étranges, qui rêvent les yeux ouverts, et nous embarquent dans leur rêve. Ou pas. La scène n’a jamais eu pour tâche d’unifier les êtres, mais bien au contraire de les diviser, en eux et entre eux. La scène est le lieu de ces combats, qui nous ressemblent, souvent sans que nous le sachions. Les œuvres sont souvent ces « petits événements prématurés », inouïs, inédits, au sens littéral, mais qui persistent. Depuis samedi, les spectacles d’Hybrides me font penser à cette ligne d’une tentative, et c’est plein d’espoir. Une force et une promesse. C’est le dernier numéro d’EMREINTE, qui trouve enfin son rythme, au moment de s’arrêter. De nombreux spectateurs nous envoient des contributions. Vic- times de notre succès, nous ne pouvons tous les publier dans ce numéro. Par contre ils seront tous en ligne, sur le blog du Festival Hybrides. Vous y trouve- rez aussi l’ensemble des numéros du journal, ainsi que sur jtduoff.fr, la web TV de la culture off, animée par Jean-Pascal Girou, que toute l’équipe d’Hy- brides remercie pour sa disponibilité. Nous nous entretenons aujourd’hui avec Señor Serrano, qui nous parle de nos relations compliquées à la nature, et avec Dorian Rossel, qui nous embarque dans l’incroyable histoire vraie d’un homme coupable d’un meurtre qu’on n’a jamais pu prouver. Et nous ter- minons en beauté, avec la suite des réflexions sidérantes de l’astrophysicien Michel Cassé. La ligne d’une autre tentative. Bonne fin de Festival, et longue vie à Hybrides, pour de nombreuses lignes à venir ! BRUNO TACKELS PROGRAMMATION AUJOURD’HUI 19h Breaking Théâtre de Grammont 19h Too late ! La Chapelle 19h AJR Un autre jour sans rembobiner Théâtre de Grammont 21h Soupçons Théâtre de Grammont 23h Breaking Théâtre de Grammont DEMAIN 10h Rencontre professionnelle Arts numériques Kawenga 10h Emulation (master class) La Salle 3 13h Making up Galerie St Ravy 15h L’émission du spectateur Musée Fabre 19h Breaking Théâtre de Grammont 19h Too late ! La Chapelle 19h AJR Un autre jour sans rembobiner Théâtre de Grammont 21h Soupçons Théâtre de Grammont 21h Contra.Natura Théâtre Jean Vilar 23h Breaking Théâtre de Grammont ZOOMS SUR SENSATIONS DE SPECTATEURS POINTS DE VUE DIRECTION DE PUBLICATION : Compagnie Adesso e Sempre - 42 rue Adam de Craponne 34000 Montpellier RÉDACTEUR EN CHEF : Bruno Tackels SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : Lise Mullot COMITÉ DE RÉDACTION : Bérengère Arnal, Nicolas Balague, Laureen Barret, Michel Cassé, Gwendoline Courtade, Sa- lomé Eon, Jessy Granvorka, Maÿlis Jallaguier, Anne-Marie Joullié, Zoé Lemonnier, Delphine Liabeuf, Armelle Majouga, Lise Mullot, Jean-Mary Nicolas, Laetitia Orlowski, Jo Papini, Loréna Schlicht, Christine Tachie, Bruno Tackels GRAPHISTE : Christophe Caffier CRÉDITS PHOTOS : Mathieu Ducros, Marc Ginot Ce journal est imprimé grâce à notre partenaire Arts Hélio à suivre 1 N'4 - JEUDI 1 ER AVRIL 2010 EMPREINTE EMPREINTE Adesso e Sempre présente le festival Hybrides 2 du 27 mars au 2 avril 2010 à Montpellier Réservation : 04 67 99 25 00 Retrouvez l’actu du festival sur http://hybrides.over-blog.com Contact journal : [email protected] d' N'4

r n E u 1 EmprEInTEn'4 r L r 0 - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/2/14/65/60/Empreinte04_1avril10.pdf · EDITO « La LIgnE D’unE TEnTaTIvE EsT InvraIsEmbLabLEmEnT uTOpIsTE

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EDITO« La LIgnE D’unE TEnTaTIvE EsT InvraIsEmbLabLEmEnT uTOpIsTE. C’EsT sûr qu’ELLE rêvE. ELLE rêvE LEs yEux OuvErTs. »

« (…) Une tentative, c’est un petit événement prématuré. Alors qu’il faut aux événements politiques considérables une certaine maturation, voilà que sur un point très particulier de l’horlogerie de l'État et des projets politiques en cours de développement dans leur stratégie de prise du pouvoir se pointe une initiative on ne peut plus précaire qui prend corps et persiste ». Le Fes-tival Hybrides est sans doute l’une des ces lignes, magnifiquement décrites par Fernand Deligny, la ligne d’une tentative qui cherche à nous faire voir ce que nous ne voyons pas encore. Depuis une semaine maintenant, nous rencontrons des univers étranges, qui rêvent les yeux ouverts, et nous embarquent dans leur rêve. Ou pas. La scène n’a jamais eu pour tâche d’unifier les êtres, mais bien au contraire de les diviser, en eux et entre eux. La scène est le lieu de ces combats, qui nous ressemblent, souvent sans que nous le sachions. Les œuvres sont souvent ces « petits événements prématurés », inouïs, inédits, au sens littéral, mais qui persistent. Depuis samedi, les spectacles d’Hybrides me font penser à cette ligne d’une tentative, et c’est plein d’espoir. Une force et une promesse.C’est le dernier numéro d’EMREINTE, qui trouve enfin son rythme, au moment de s’arrêter. De nombreux spectateurs nous envoient des contributions. Vic-times de notre succès, nous ne pouvons tous les publier dans ce numéro. Par contre ils seront tous en ligne, sur le blog du Festival Hybrides. Vous y trouve-rez aussi l’ensemble des numéros du journal, ainsi que sur jtduoff.fr, la web TV de la culture off, animée par Jean-Pascal Girou, que toute l’équipe d’Hy-brides remercie pour sa disponibilité. Nous nous entretenons aujourd’hui avec Señor Serrano, qui nous parle de nos relations compliquées à la nature, et avec Dorian Rossel, qui nous embarque dans l’incroyable histoire vraie d’un homme coupable d’un meurtre qu’on n’a jamais pu prouver. Et nous ter-minons en beauté, avec la suite des réflexions sidérantes de l’astrophysicien Michel Cassé. La ligne d’une autre tentative. Bonne fin de Festival, et longue vie à Hybrides, pour de nombreuses lignes à venir !

Bruno Tackels

prOgrammaTIOn

aujOurD’huI

19h Breaking Théâtre de Grammont

19h Too late ! La Chapelle

19h AJR Un autre jour sans rembobiner Théâtre de Grammont

21h Soupçons Théâtre de Grammont

23h Breaking Théâtre de Grammont

DEmaIn

10h Rencontre professionnelle Arts numériques Kawenga

10h Emulation (master class) La Salle 3

13h Making up Galerie St Ravy

15h L’émission du spectateur Musée Fabre

19h Breaking Théâtre de Grammont

19h Too late ! La Chapelle

19h AJR Un autre jour sans rembobiner Théâtre de Grammont

21h Soupçons Théâtre de Grammont

21h Contra.Natura Théâtre Jean Vilar

23h Breaking Théâtre de Grammont

ZOOms sursEnsaTIOns DE spECTaTEurs

pOInTs DE vuE

Direction De publication : Compagnie Adesso e Sempre - 42 rue Adam de Craponne 34000 MontpellierréDacteur en chef : Bruno TackelsSecrétaire De réDaction : Lise Mullotcomité De réDaction : Bérengère Arnal, Nicolas Balague, Laureen Barret, Michel Cassé, Gwendoline Courtade, Sa-lomé Eon, Jessy Granvorka, Maÿlis Jallaguier, Anne-Marie Joullié, Zoé Lemonnier, Delphine Liabeuf, Armelle Majouga, Lise Mullot, Jean-Mary Nicolas, Laetitia Orlowski, Jo Papini, Loréna Schlicht, Christine Tachie, Bruno TackelsGraphiSte : Christophe CaffiercréDitS photoS : Mathieu Ducros, Marc Ginot

Ce journal est imprimé grâce à notre partenaire Arts Hélio

à suivre

1

n'4 - jEu

DI 1

Er avr

IL 2010Em

pr

EInTE

EmprEInTE

Adesso e Sempre présente le festival Hybrides2

du 27 mars au 2 avril 2010 à MontpellierRéservation : 04 67 99 25 00Retrouvez l’actu du festival sur http://hybrides.over-blog.comContact journal : [email protected]

d'

n'4

ZOOms sur

InTErvIEw DE DOrIan rOssELprOpOs rECuEILLIs par brunO TaCkELsNous sommes à quelques heures de « Soupçons », le spectacle que vous avez créé à Genève. Un petit mot sur le processus de création du spectacle ? « Soupçons », c’est une écriture particulière. Vous êtes metteur en scène, écrivain à votre ma-nière. Comment expliquer votre rapport aux productions des spectacles ? C’est un peu singulier, on ne peut pas seulement dire metteur en scène de texte.

Une des particularités de la compagnie, c’est que nous avons toujours monté des textes

qui n’étaient pas destinés au théâtre. Nous nous posons nécessairement la question de

l’adaptation au théâtre lorsque nous montons une BD, un film ou encore, pour ce spec-

tacle, une série documentaire. Ici, il s’agit d’images du réel et de gens qui ont une parole

orale. Comment raconte-t-on ça au théâtre ? Qu’est ce qui reste au théâtre ? Qu’est ce

qui est encore pertinent au théâtre ? Que doit-on inventer ?

C’est une traduction ?C’est un documentaire sur un fait divers qui s’est déroulé aux Etats-Unis, et dont il y

avait déjà une traduction. Nous sommes partis, bien sûr, des sous-titres et aussi de tout

ce qui est généré au-delà de la langue. Nous avons écrit en faisant un va-et-vient entre

le travail au plateau, le travail à la table et les sessions de recherche, en expérimentant

avec nos comédiens les premiers jets. Nous testons les scènes, celles que l’on a écrites

et celles du film. Il s’agit de traduire le très fort impact que ce film a eu sur nous.

Quand je parle de traduction, ça veut dire langue étrangère mais ça veut dire aussi, qu’il y a un point commun entre le monde d’un procès, puisqu’il s’agit bien de cela, d’un homme soupçonné du pire, le meurtre de sa femme, et l’espace du théâtre qui d’une certaine manière a toujours été une forme de tribunal.

Quand j’ai parlé du projet à Jean-Xavier de Lestrade, le documentariste, réalisateur du

film, je lui ai demandé s’il aurait une objection. Il m’a répondu que non seulement il

n’aurait aucune objection mais qu’il trouvait que c’était une excellente idée, dans la me-

sure où, durant tout le temps où il avait été là-bas, il avait eu l’impression que tout le

monde se regardait, se mettait en scène, essayait d’étudier une manière convaincante

de raconter une histoire. Tout se joue entre l’accusation et la défense, à partir d’une

inconnue, puisque finalement on ne saura jamais le fin mot de cette histoire.

L’homme a-t-il ou pas tué sa femme ?On ne sait toujours pas. Il y a deux histoires qui se construisent du côté de l’accusation

et de la défense, autour du seul objectif de rendre plausible chaque version. Dans le do-

Deux rencontres auront lieu demain

vendredi, sur des thématiques for-

tement actives de la programmation

d’Hybrides. A 10 heures du matin à

Kawenga, en partenariat avec Ré-

seau en Scène Languedoc-Roussillon,

différents professionnels des arts

numériques proposent un dialogue

avec leurs homologues du spectacle

vivant. L’indiscipline gagne du ter-

rain et les pratiques se frottent de

plus en plus. Encore faut-il se donner

des occasions de rencontre ! A cette

occasion, la compagnie Les Faiseurs de Pluie présentera une étape de

travail, dans le prolongement de sa

résidence/rencontre avec la société

Mythe à Kawenga.

L’après-midi à 15 heures, le débat

se prolongera avec « L’Emission du spectateur », construite en lien étroit

avec le public. Ce sera à l’auditorium

du Musée Fabre, en partenariat avec

le Centre National des Ecritures du

Spectacle/La Chartreuse de Ville-

neuve lez Avignon. En présence des

artistes du festival, de Franck Bau-

chard, directeur du CNES, et de Bruno

Tackels, rédacteur en chef du journal

EMPREINTE, sera lancée la réflexion

autour de cette question centrale

dans la programmation d’Hybrides :

la place du spectateur se trouve-t-elle

déplacée dans les formes scéniques

actuelles ? De quelle manière ? Et

dans quel but ?

Soupçons

rEnCOnTrEs ET FrICTIOns

cumentaire, les protagonistes se posaient plus la question de savoir ce qu’un jury était

prêt à croire ou à ne pas croire, plutôt que de chercher d’éventuelles démonstrations ou

preuves scientifiques. Dans ce sens-là, la parole est donc plus orale. Cette volonté de

construire un discours crédible pour justifier de tout et de n’importe quoi, nous renvoie

à ce que nous connaissons aujourd’hui plus largement. Finalement, peu importe ce que

l’on dit, du moment qu’on le dit de manière convaincante.

Le documentaire nous interroge aussi sur notre refus à accepter l’inconnu, les mystères

de nos vies ? Il révèle la manière dont on construit nos identités et comment elles peu-

vent vaciller du jour au lendemain. Un petit doute, une suspicion et on commence à

regarder, à remettre en cause, à jauger tout ce qui constituait votre vie jusqu’à mainte-

nant. Michael Peterson, l’accusé du documentaire, est un écrivain. Il sait raconter des

histoires et il devient suspect à cause de cela.

Parce qu’il sait raconter des histoires ?Oui. Tout d’un coup, on s’aperçoit que, sous les apparences du couple parfait, de famille

idéale, famille recomposée, qui vit très bien ça, de manière libérale, Michael Peterson

était aussi bisexuel. Cela ne lui posait aucun problème mais dans cette société-là, la

Caroline du Nord, parce que cela se passe dans un endroit et un système juridique très

particuliers aux Etats-Unis, tout d’un coup, cela devient louche. On ne croit pas qu’il est

possible d’être heureux en étant si particulier. On est tous particulier, mais on essaie

tous, comme dans « Desperate Housewives », de construire une apparence acceptable

pour le milieu dans lequel on vit. On doit construire un discours, une manière d’être au

monde.

Pour les acteurs cela doit être difficile de jouer dans cet espace, un tribunal, où au fond, le vrai peut devenir le faux et inversement, puisqu’il ne s’agit pas de jouer des gens de la vie réelle mais des personnes déjà en situation de scénarisation ?

Nous savons que devant une caméra, nous ne sommes pas totalement naturels. Le fait

que cela soit une écriture de plateau, c’est déjà une situation inconfortable pour les

acteurs, puisque rien n’est jamais totalement fixé. A chaque nouvelle représentation, on

doit reconstruire le lien avec l’espace, avec la ville, avec le public, réécouter le public, en-

tendre comment cette histoire passe. C’est une première difficulté. Nous n’arrivons pas

avec un texte distribué, cela se construit au fur et à mesure afin de recréer cet impact

dont je parlais. La deuxième difficulté, c’est que nous évoquons des gens qui existent

vraiment, qui ont une vie maintenant, qui continuent à vivre avec cette histoire. Nous

avons rencontré des personnes qui ont vécu dans l’intimité des protagonistes et nous

nous sommes rendu compte qu’il y avait quelque chose d’indécent à trop les incarner.

Les acteurs sont avant tout eux-mêmes et ils transmettent cette parole à partir de ce

qu’ils sont. Nous leur demandons d’être humbles, de garder une certaine distance par

rapport à ça. Il s’agit de construire ensemble quelque chose dans la tête des spectateurs

sans que la scène prenne tout en charge. C’est dans la tête des spectateurs que cela

doit se construire. Le personnage principal – dans la vie Michael Peterson, dans notre

spectacle Mike Paulson – est comme un homme-miroir, sur lequel on peut tout proje-

ter, comme n’importe quel être humain, avec cette particularité que plus on connaît les

gens, plus ils sont surprenants, mystérieux et insaisissables, parce que l’homme est

toujours plus complexe que la réalité. Nous n’avançons pas avec des certitudes mais

par tentatives d’être au plus proche de la vie et de travailler avec nous-mêmes.

2

ZOOm sur sEñOr sErranOprOpOs rECuEILLIs par brunO TaCkELsET aImabLEmEnT TraDuITs DE L’EspagnOL par sarah ChaumETTEBonsoir Alex Serrano. Racontez-nous votre parcours en quelques mots.

C’est un parcours un peu bizarre ; j’ai commencé avec des études de design

industriel, après j’ai étudié la communication en audiovisuel à Barcelone, et

ensuite j’ai été chef d’entreprise, dans le domaine de la publicité, et du cinéma,

en particulier en post-production. Je n’ai commencé le théâtre qu’à 27 ans !

Quel a été le déclic ?J’ai rencontré une fille (rires) ! J’ai commencé comme performer, puis comme

comédien, et ce n’est qu’ensuite que j’ai pris la décision de faire de la mise en

scène.

Quels étaient vos premiers projets ? Qu’est-ce qui vous a fait dire « je dois passer par la scène pour raconter ce que je veux raconter » ?

En fait, j’ai travaillé dans la publicité pendant très longtemps, et j’étais fatigué

de ce milieu : il y a beaucoup d’argent, mais c’est très pauvre spirituellement.

Pour moi, le théâtre, c’est le contraire : il n’y a pas d’argent en Espagne, mais il

y a la possibilité de faire des choses, car il n’y a pas de limites, tout est possible

sur la scène. J’avais largement exploré les possibilités du multimédia, et je sen-

tais que le théâtre allait me permettre de m’exprimer davantage.

Il me semble que s’il y a un mot qui cristallise votre travail, c’est le rapport à la nature, le rapport entre nature et culture. Ce ne sont pas des concepts abstraits, c’est très concret dans votre travail.

Oui, « Artefacto », la pièce que j’ai présentée hier, parle de la même chose, de

la notion d’échec, mais c’était déjà le cas pour mes cinq derniers travaux ! Nous

choisissons en fait des thèmes qui sont des sur-thèmes, des méta-thèmes. Il y

a le thème de l’échec puis celui de la nature ; celui de la résurrection dans la

pièce « Europa », la culpabilité avec « Mille tristes tigres » et enfin la solitude

avec « Autopsia ». Mais en fait tous ces projets revenaient toujours à la même

chose : l’idée de l’échec. Dans « Contra.Natura », mais aussi dans « Artefacto »,

mais plus encore dans « Contra.Natura », quelque chose comme un désastre

attend toute la création : nos conversations, la caméra qui nous filme, jusqu’aux

« Ménines » de Vélasquez, tout va disparaître ! Peut-être que dans cent ans ou

dans un million d’années, toutes ces choses auront disparu, tout comme toi et

Breaking

moi, et nos souvenirs. C’est ça la question : toute l’humanité disparaîtra.

On assiste déjà à de nombreuses disparitions ! Oui, mais pas celle de la nature. Peut-être que nous pensons que la nature est

quelque chose comme un Eden, un paradis absolument parfait, que nous vou-

lons conserver pour vivre. Si on admet que la nature s’inscrit dans un cosmos,

plus grand, il est possible qu’elle disparaisse avec notre planète, le cosmos par

contre lui survivra. Là est l’idée de l’échec : continuer à conserver cette conver-

sation avec la caméra, préserver « Les Ménines » de Vélasquez — là se trouve

déjà programmé l’échec.

Dans « Artefacto », il y a une scène très belle, qui raconte parfaitement cette idée. Dans un grand vase, des petites maisons sont progressivement recouvertes par différentes matières, naturelles ou artificielles. La petite maison est filmée par une caméra, et à chaque fois, on assiste à ce petit événement humain, progressivement recouvert, qui disparaît et qui renaît. C’est un travail très artisanal, c’est un travail qui entrecroise l’installation et la manipulation, c’est presque un travail de marionnettiste.

Oui, je travaille essentiellement à partir de sensations, je n’aime pas beaucoup

m’appuyer sur des textes — peut-être parce que j’ai fait beaucoup d’études

scientifiques.

Vous n’avez jamais monté de texte ?Non, hormis « Mille tristes tigres » et « Europa », où nous avons travaillé avec

quelques fragments. Dans « Contra.Natura », « Artefacto » ainsi que dans la

prochaine pièce, « Mémo » (qui questionnera le phénomène de la mémoire),

il n’y a pas de texte. J’aime beaucoup m’exprimer par le mime. Le texte, c’est

très concret, et en même temps, la parole est peu de chose. Nous commençons

le spectacle « Artefacto » avec les lettres « WORDS » en glace, sur le parvis du

théâtre. Elles fondent, se fissurent, et tombent sur le sol. Cela dit beaucoup de

choses.

Hier, cette scène a eu lieu devant cinquante jeunes gens médusés, en plein quartier de la Paillade.

Ce sont les paroles d’Hamlet « words, words, words ». Qu’est ce qu’il reste de la

parole ? Peut-être rien.

Dans ces différentes manipulations et projections d’objets, on sent qu’il y a du texte autour. C’est très construit, il y a une sorte de discours, du récit,

comme si c’était à nous de le faire apparaître.Dans « Artefacto » et « Contra.Natura », ce n’est pas un jeu visuel, pas un jeu

multimédia pour nous. Nous commençons avec la conceptualisation et l’écri-

ture de la pièce.

La conception est très longue.Un long processus de conception et peu de temps de répétitions. «  Artefacto »

et « Contra.Natura » ont la même conception, nous avons pris la décision de

séparer et de créer deux pièces. Une pièce pour une salle : « Contra.Natura »,

qui a une ambiance de danse ou de théâtre physique. Et « Artefacto » : c’est la

« sieste scénique ». On avait envie d’expliquer le concept de contre nature qui

est le concept évident du choc entre la nature et la culture. On ne voulait pas

que deux acteurs soient face à un public, mais que le public fasse partie de la

pièce, de la forêt, du bois, des petits objets.

Qu’est-ce qui se développe dans « Contra.Natura », qui n’est pas dans « Ar-tefacto » ?

J’aime beaucoup « Contra.Natura » parce que c’est une pièce dure, peu aimable.

Le concept s’appuie davantage sur le public.

Il est moins confortable, moins agréable.« Artefacto » est confortable, « Contra.Natura » non.

3

n'4 - jEu

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Er avr

IL 2010Em

pr

EInTE

sEnsaTIOns DE spECTaTEurs

« makIng up »sEnsIbLEs s’absTEnIr…

« The Skin doesn’t get any harder »

Une phrase tirée du court métrage, retraçant

la vie d’une femme brutalisée.

hELLOPaula, une petite fille puis une adolescente

joyeuse. Une sonnerie retentit, des bruits de

pas, une rétrospective de photos, avant et

après la déchéance. Le schéma se répète,

chaque son nous faisant sursauter.

Les images résonnent dans notre tête au

rythme des pas qui claquent, et des chan-

sons d’enfants. Le quotidien d’une femme,

intérieurement marquée par de multiples

blessures, montrées sous forme de flash,

nous frappant à la vitesse d’un coup de fouet !

hELLLes images de blessures sont plus fré-

quentes, cadencées, le souffle artificiel, les

chansons qu’elle se chante nous enfoncent

encore plus dans notre malaise…

On est projeté dans le corps de cette femme,

ouvrant les yeux après chaque violence su-

bie. Sa mort, une renaissance, une porte qui

s’ouvre, elle se relève, c’est la libération…

Gwendoline courTade eT laureen BarreT

« brEakIng »Ou LEs nEws «nET-gEnEra-TIOn»...

Dans un concept novateur où la liberté et le

choix du spectateur sont privilégiés, Eli Com-

mins nous confronte en live à la brutalité de

notre actualité la plus immédiate, en nous

faisant revivre trois événements prélevés qui

ont récemment mobilisé l’attention des mé-

dia. Est évoquée une expérience singulière

qui nous fait prendre conscience de notre

étrange rapport à l’actualité où se mêlent

voyeurisme et indifférence.

A l'image du très moderne théâtre des Treize

Vents, « Breaking » nous entraine dans un

univers entièrement construit par les nou-

velles technologies, en particulier Internet

et les réseaux sociaux tels que Twitter et Fa-

cebook. Lorsque la médiatrice emmène les

spectateurs dans une petite salle annexe, à

l’extérieur du théâtre, c’est pour les plonger

dans une sorte de voyage spatial, qui nous

fait voir la réalité par un angle pour le moins

inattendu.

Une heure durant, nous revivons trois évé-

nements de l’actualité récente : le séisme en

Haïti, celui du Chili et l’expédition de la station

spatiale internationale.

Trois « protagonistes » nous adressent en

temps réel et de façon aléatoire des témoi-

gnages de ces différents événements, no-

tamment postés sur le site Twitter. Toutes

les paroles échangées proviennent du croi-

sement de plusieurs média : radio, satellite,

internet, images TV. C’est au spectateur de

les organiser, de les hiérarchiser en se dépla-

çant dans l’espace. Appelé à construire son

chemin et sa propre interprétation, il peut

passer librement d'un monde à un autre. Ces

sources sonores et visuelles nous parvien-

nent de manière brute, et sont poignantes

de vérité.

Jean-Mary nicolas

« ajr un auTrE jOur sans rEmbObInEr »Installation interactive qui nous met dans la

peau soit d’une personne sur le point d’être

expulsée de chez elle, soit de son expulseur

en alternance à chaque passage, AJR est une

expérience unique où le spectateur est à l’ori-

gine de l’action. Lâché seul dans la reconstitu-

tion d’un salon, c’est à lui de fouiller, tripoter,

explorer chaque recoin afin de déclencher ce

que je ne dévoilerai pas ici, effet de surprise

oblige. Certes encore assez expérimental et

incomplet, ce dispositif vaut le détour, ne se-

rait-ce que par curiosité. Justement, curieux, il

faudra l’être pour vivre l’expérience à 100%,

et n’hésitez pas à prendre votre temps, afin

de ne rien manquer. Malgré quelques dé-

fauts techniques qu’on ne peut pas imputer

à cette installation encore récente, AJR est un

concept novateur, une perquisition divertis-

sante et ludique, que je recommande à ceux

qui sont las de subir un spectacle sans avoir

leur mot à dire. Lancez-vous dans l’aventure !

arMelle MaJouGa

N'avez-vous jamais eu envie, par curiosité,

dans un lieu qui n'est pas le vôtre, de vous

approcher, de toucher, de fouiller et de dé-

couvrir un autre univers ? Si oui, le dispositif

« AJR » vous offre la possibilité de vous appro-

prier un monde inconnu. Malgré quelques

petites minutes d'attente à cause de petits

bugs informatiques, l'expérience est inté-

ressante et riche en sensations. C'est dans

l’une des salles du sous-sol du théâtre des

Treize Vents de Grammont, endroit qui nous

prépare déjà à cette ambiance confinée et

sombre dans laquelle nous allons nous re-

trouver, que se dressent quatre pans de mur

délimitant notre futur et néanmoins court

« chez nous ». Un réveil sonne, une lampe

s'allume et une pièce se découvre à nous.

C'est un petit studio d’étudiant peuplé d’une

multitude d'objets, que l'on doit envisager

comme les nôtres. Des appels téléphoniques

du propriétaire réclamant le loyer, des voisins

en détresse que l'on peut entendre de l'autre

côté de la cloison. C'est un véritable univers

en éveil et un mélange de découvertes

et d'interrogations. Ce projet, pas encore

totalement abouti, contient un potentiel

incroyable, et compte bien s'étendre pour

créer une histoire plus longue, qui permet

au spectateur de se retrouver véritablement

au sein de « sa propre histoire ». L'interaction

entre ces deux univers, l'inconnu et le connu,

est une idée qui a de beaux jours devant elle.

Nous avons aussi eu l'occasion de rencontrer

les réalisateurs de ce projet. Peinés des pro-

blèmes techniques survenus, ils nous ont ac-

cordé un second passage pour pouvoir vrai-

ment profiter de l'interactivité de cette pièce.

Depuis 2005 le collectif NUZ tente de faire

« LET ThE sunshInE In »Dans un ancien lycée désaffecté, nous atten-

dons que le soleil se couche. Nous entrons

dans la grande salle, les comédiens sont en

place, ils murmurent. Nous nous asseyons

au centre, en deux groupes, face à face. An-

tigone et Polynice se regardent par-dessus

le public, la bouche ouverte, les bras écartés

comme des ailes, effet souligné par leurs

vestes trop grandes, on entend leur souffle.

Cette image sollicite notre imaginaire, en

évoquant des oiseaux, image reprise par

Antigone, de dos, dévêtue, déployant

ses bras comme un oiseau aux ailes trop

courtes. Symbole de liberté réprimée dans

leur société où tout est dicté ? Deux person-

nages, seuls, dont la révolte ne semble plus

pouvoir se contenir. Les deux comédiens

déambulent dans la salle au point qu’on ne

les aperçoit parfois plus, l’espace étant trop

petit pour contenir leur désir de rébellion.

Plusieurs situations conflictuelles se succè-

dent : Antigone réagissant à l'amour de son

frère Polynice, l'affrontement entre les deux

frères Etéocle et Polynice puis le face à face

des sœurs Antigone et Ismène.

Ce spectacle comme beaucoup d'autres

au cours du festival interroge la place du

spectateur : parfois l'intrigue est suspendue,

comme si le spectateur était face à une ré-

pétition. De même, lorsqu'Antigone décide

d’enterrer son frère malgré les interdictions,

elle prend les chaises des spectateurs afin de

construire la sépulture, les mettant ainsi en

situation d'inconfort et d’action. Le comédien

interpelle ensuite le public : que doit-je faire

maintenant ? Assimilés au chœur antique,

nous sommes les témoins impuissants de la

tragédie. Cette impression est accentuée par

l'utilisation de l'espace occupé en son centre

par le public.

Techniquement, le spectacle donne à voir :

jeu d’ombres amplifiant les silhouettes, fumi-

gènes colorés qui entourent le corps d'Anti-

gone, flammes qui interviennent comme un

rite de purification. Il donne aussi à entendre :

des bruits, des coups, des souffles et des cris.

Le spectacle se termine à l’extérieur, nous

suivons la voix d’Antigone/Silvia Calde-

roni chantant « Let the sun shine » sous les

arbres en enflammant son micro. Polynice/

Benno Steinegger la rejoint sous une pluie

de paillettes, invitant le public à chanter avec

eux, mais ce soir-là le public n’avait visible-

ment pas envie de pousser la chansonnette,

dommage !

laeTiTia orlowski

Merci, merci à la compagnie Motus… Bon, je

suis un peu partiale, ayant participé à « Récits

cruels de la jeunesse », lors de Hybrides1. La

vieille dame, c’était moi. J’ai pu voir de l’in-

térieur le professionnalisme, l’implication

totale des intervenants – techniciens ou

« acteurs » – la chaleur humaine, mais exi-

geante irradiée par les metteurs en scène, le

respect des autres et l’ouverture d’esprit qui

émanaient de toute l’équipe. Cela restera un

souvenir magique, plein d’émotions.

Je suis allée voir « Let the Sunshine In », j’irai

bien sûr voir  « Too late ! »… Mais là, dès le

début, le Cri Souffle… Prodigieux… J’ai bien

retrouvé Sylvia… Il émane d’elle quelque

chose de magique. Et l’autre acteur est par-

faitement cohérent, on ressent le travail de

groupe, le message est entendu, et l’on ne

peut qu’attendre impatiemment la suite de

leurs recherches. Antigone est sans aucun

doute un bon prétexte pour entrer dans le su-

jet brûlant de la révolte. Le dialogue enflam-

mé entre l’héroïne, ses frères et sa sœur nous

fait percevoir d’autres types de contestation

plus actuels. La fin, surprenante, interroge la

position de l’acteur par rapport au specta-

teur, la chanson entonnée « gaiement » m’a

semblé un pied de nez…

Je m’incline devant cette équipe. Une tech-

nique très au point qui sait se faire oublier. La

traduction simultanée par Claire Engel était

remarquable, mais forcément, cela apporte

quand même une certaine gêne… Che viva

Italia, car il y a là quelque chose de très Italien.

anne-Marie Joullié

C'est dans la confusion que l'on trouve de

l'ordre, voilà la première impression qui me

vient, en repensant à cette représentation.

Le lieu y était déjà propice : les locaux d'un ly-

cée désaffecté, laissant entrevoir les vestiges

d'un passé mêlé à l' histoire antique d'Anti-

gone, un passé remis au goût du jour.

Qui est l'Antigone d'aujourd'hui ? Se pourrait-

il qu'à travers le temps, les hommes se re-

trouvent encore et toujours dans les mêmes

problématiques morales ? N'y a t'il aucune

issue ?

La pièce de la compagnie italienne Motus

semblait vouloir faire part des sentiments

immuables qui nous traversent. Ils nous

avaient l'année dernière éblouis sur le thème

d'une jeunesse qui tente désespérément de

trouver sa place dans une société rude, par

un travail très technique, jouant sur le rap-

port entre l’image projetée et le corps. « Let

the Sunshine In » laisse davantage la place

au travail des acteurs ; ils ne subissent plus

l'environnement, le domptent et s'affirment

dans cet espace comme un cri de rébellion.

Ce qui nous fascine, c'est la présence in-

croyable des acteurs, ils nous touchent par

la justesse de leurs propos, par leur présence

sur la scène. Ils se mettent à nu devant nous :

leurs peurs, leurs faiblesses, leurs joies, le

spectateur les ressent plus que jamais.

Nos sens se perdent, les questions se suc-

cèdent, les acteurs sont à la fois le miroir de

l'autre et son complément au milieu d'un

brouillard de fumigènes et d'un brouillard

spirituel.

C'est à l’extérieur, à l'air libre, comme l'espoir

d'un jour meilleur, qu’à la fin du spectacle re-

tentit la chanson « Let the sun shine ».

Où tout ne semble plus que poussière, le

spectateur peut enfin entrevoir la lumière.

loréna schlichT

4

Ethnographiques

naître ce projet singulier. Malheureusement,

les subventions sont rares, mais leur détermi-

nation s’est avérée payante, puisqu’ils sont

finalement présents lors du festival Hybrides.

Maÿlis JallaGuier

pErFOrmanCE « vOLOn-TaIrE »

samEDI 27 mars 2010La performance « Volontaire » est issue d’un

processus animé par des professionnels du

théâtre, de la danse, du cirque, de la photo-

graphie, proposé aux amateurs de leur com-

pagnie respective. Plusieurs rencontres ont

précédé ce court moment d’Hybrides, où un

travail a été mis en œuvre, relatif au position-

nement de l’individu dans le groupe.

L’expression de la détermination de l’en-

semble des sujets, libres d’agir ou de s’abste-

nir, suivant leurs désirs, envies, associations

d’idées exprimés « hic et nunc », a été l’élé-

ment récurrent de ce processus. Le tableau

mouvant et éphémère qui en résulte est à

l’image d’un tissu vivant sous le microscope :

un entremêlement de trajectoires singulières

qui se dessinent sous nos yeux.

La volonté de chaque électron libre guide

ses trajectoires, évoluant au contact perma-

nent des autres. L’ensemble réagissant aux

paroles, silences, mouvements, immobi-

lité de l’autre par une association libre de ces

mêmes postures et éléments d’expression

qu’il s’approprie. Des combinaisons défilent,

imprévisibles, constituant un tissu ferme et

tonique à un temps t, souple et flexible la se-

conde suivante.

Dans cette micro-société d’un moment,

la singularité de l’autre, sa différence, son

poids (dans tous les sens du terme), son

positionnement physique ou verbal aussi im-

promptu soit-il, sont tolérés par les membres

du groupe et cette tolérance en conditionne

le fonctionnement.

Fluidité, osmose, respiration régissent cet

univers éphémère qui s’auto-génère par l’ac-

tion de la foule-même, mettant à l’épreuve,

sans préjugé, ses règles de fonctionnement

pour trouver son rythme.

Etre acteur et Volontaire dans ce processus,

c’est échanger, rencontrer des gens sensibles

à la nécessité de questionner son propre

positionnement en société, éprouver le re-

gard des autres, assumer une position et la

faire respecter telle quelle, ici et maintenant,

comme une condition existentielle.

Si aujourd’hui des artistes jugent pertinent

de créer un « précipité » d’éléments aussi

basiques de la vie en société, comme pour

rappeler une évidence oubliée,

Si le quidam que je suis, éprouve le besoin

de participer à cette simulation, comme pour

m'assurer que ces bases existent encore…

Est-ce un signe que l’altérité et la liberté doi-

vent se réapprendre dans notre société ?

Si ce qui résulte de ce travail commun est

qualifié de « performance » par leurs auteurs,

Est-ce le témoin de ce que l’individualisme

est si prégnant aujourd’hui, qu’être en-

semble et faire sa place en société relèvent

de l’artifice et/ou de l’exploit ?

BérenGère arnal

« sOupçOns »Inspiré d’un fait réel, « Soupçons » est le pro-

cès d’un romancier célèbre accusé d’avoir

assassiné son épouse. Le spectacle nous

happe en une fraction de seconde, nous

transporte dans différents lieux avec de mul-

tiples personnages.

Les comédiens jouent leur rôle avec une

telle intensité qu’ils nous amènent à n’avoir

d’autre choix que de nous mettre dans la

peau des jurés. Du début à la fin, nous nous

poserons la question de la culpabilité ou non

de l’accusé.

« Soupçons », histoire énigmatique… où

l’humour n’est pas en reste. Le spectateur

est interpelé sur l’impartialité de la justice

et la grave responsabilité des jurés dans un

procès.

Subtile combinaison entre texte, mise en

scène, jeux de lumière, et musique.

Quoi dire de plus que : « Allez voir Soup-

çons ! »

Jessy Granvorka

« arTEFaCTO »Surprise générale, rendez-vous étonnant !

Ce spectacle place le public dans une atmos-

phère intrigante. Celui-ci est intégré dans la

mise en scène du spectacle. Les deux perfor-

mers nous plongent dans un « décor » inquié-

tant, en nous délivrant des messages sym-

boliques et abstraits, qui laissent libre cours

à l’imagination du public. Le regard du spec-

tateur passe sans cesse de la table de mani-

pulation où défile un cortège d’objets plantés

dans des pots de fleurs à un immense écran

noir qui envahit les trois murs de l’espace.

Chaque objet filmé s’y trouve projeté, grossi,

démultiplié. Les jeux de la bande sonore, de

la lumière et des images embarquent le spec-

tateur dans leur univers énigmatique.

Plus qu'un spectacle, cette performance

nous amène à nous poser des questions sur

la condition humaine, et l'incidence qu'elle

peut avoir sur la nature. Le moins que l'on

puisse dire est que l'association de la qualité

visuelle, sonore et idéologique ne nous laisse

pas indifférents puisqu'elle donne de l'inten-

sité aux messages métaphoriques que ces

deux guides d'un soir nous transmettent.

Zoé leMonnier, delphine liaBeuf, nicolas BalaGue,

saloMé eon

> Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la cri-tique : on se laisse tellement influencer...

> Oscar Wilde

5

n'4 - jEu

DI 1

Er avr

IL 2010Em

pr

EInTE

pOInTs DE vuE

Le J.T d'Hybrides

Artefacto

COnFérEnCE DE mIChEL Cassé, asTrOphysICIEnmECanIquE DE L’InCErTITuDEDEuxIèmE parTIE

La science devient subtile. Elle n’est pas nécessairement attachée à démontrer

que les seules choses qui existent sont ce que nous voyons. Elle a fait un saut

gigantesque ces dernières années, tout en gardant sa vertu prédictive. Elle ne

peut pas encore être traduite en langage, les technologies avancent si vite, et

les mentalités cheminent si lentement qu’il appartient à des physiciens consé-

quents d’essayer de combler ce fossé, sinon c’est la fin de la démocratie — et

je considère ma présence ici comme une acte démocratique.

La mécanique quantique, c’est exactement cela. On ne nie pas les règles, on

les transgresse. Ce qui était classique était mort, et s’énonçait comme définitif.

La mécanique quantique est une pensée qui est née au siècle précédent ; elle

a d’abord donné naissance à la bombe atomique, mais aussi à l’électronique, à

Internet, au Laser, etc…. Tout ceci n’existerait pas sans cette pensée-là. Et elle

se perpétue. Ce que je vous présente, c’est la pensée du vingt et unième siècle,

à coup sûr. Ceux qui accepteront de l’étudier seront les bienvenus et seront

peut-être moins aveugles que les autres. Et vous êtes libres de l’espérer.

Depuis quelque temps, c’est extraordinairement récent, moins de dix ans, il ap-

paraît que l’harmonie physico-mathématique, c’est-à-dire la réconciliation de

la relativité générale et de la mécanique antique n’est accessible que si l’on

renonce à penser qu’il y a trois dimensions de l’espace. En fait, il y en aurait

dix. Où sont les dimensions cachées de l’espace ? Les trois dimensions appa-

rentes de l’espace dont nous avons l’usage et la perception sont l’étendue, et

6

les droites. Sept dimensions supplémentaires sont en relation elles-mêmes, et

absolument minuscules. Alors il faut trouver des archets minuscules pour les

faire vibrer, et alors nous les ferons chanter. Nous avons conçu des expériences

pour qu’elles s’expriment. Il faut les exciter.

Pourriez-vous nous parler de la remise en cause de la Genèse ?Oui. Tout d’abord, l’élément premier n’est pas la lumière. L’élément premier,

c’est le vide quantique plein de particules potentielles, et celui-ci a une ouver-

ture explosive. L’univers est en expansion, l’espace se dilate entre les galaxies.

Notre galaxie, la voie lactée, s’écarte des autres galaxies parce que l’espace se

dilate comme après une explosion. J’y vois la métaphore de la violence, ou la

cause de notre violence. Notre matière a été produite par une explosion. Nous

portons l’enfer dans la chair.

Au commencement est quelque chose sans commencement, le vide. Le vide,

dans une région minuscule, crée l’espace qui entre en extension. Et le vide à

l’intérieur de cet espace se sacrifie et devient lumière. Cette lumière crée la ma-

tière et l’antimatière, double antagoniste et mortel de la matière. Les êtres sont

nés doubles, comme le dit Platon dans « Le Banquet ». Aristophane explique

que les êtres sont nés avec deux polarités. Ils étaient tellement parfaits que

Zeus demanda à Arès, le dieu de la guerre, de les couper en deux. Ils n’auront

de cesse de se réunir. On appelle cela la théorie de l’Amour.

Pour en revenir à la Genèse, dans l’univers, matière et antimatière s’attirent.

Une fois que la matière élémentaire, faite de quarks U et D, jaillit, cette matière

constitue des protons et des neutrons, qui s’assemblent dans le feu des étoiles

pour créer tous les éléments de la nature, c’est-à-dire les différentes catégories

d’atomes ainsi que l’or. Tous les éléments qui nous composent viennent des

étoiles. Nous sommes de la poussière, peut-être, mais de la poussière d’étoile.

Et le vide revient. Nous avons, à notre grande surprise, réalisé en 1798 que l’ex-

pansion de l’univers s’accélérait, ce qui veut dire que le vide revient. Le vide

était au début, le vide sera à la fin. La genèse physique se présente ainsi : le

vide, la lumière, la matière, le vide.

Ceci est vrai pour un univers, mais il n’y a aucune raison de supposer que l’uni-

vers est unique. Le Big bang ne saurait être unique. On est amené à récuser

l’unicité de l’univers. La tolérance s’étend, il y a d’autres planètes. Nous avons

franchi une nouvelle étape dans le renoncement à notre centralité, au centra-

lisme du monde, qui consiste à dire : nous ne sommes au centre de rien. Les

révolutions coperniciennes se sont succédées. La terre n’est pas au centre du

système solaire, pourtant nous continuons à dire « le soleil se lève », ce qui est

une aberration. Le soleil n’est pas au centre de la république des soleils, qu’on

appelle la Voie Lactée, il est sur le bord. La Voie Lactée n’est pas au centre de

l’univers qui n’a ni bord ni centre. La gravité que l’on croyait absolument at-

tractive se voit compensée par le vide quantique qui a une vertu répulsive, et

entraîne une diaspora de l’écartement. La force de la chute est compensée par

la force de l’envol.

Notre matière, celle des étoiles et des galaxies, ne constitue que 5% de la ma-

tière universelle. Tout le reste est appelé matière noire ou énergie noire. Nous

ne sommes que l’écume de la matière. Nous pensions que le monde était fait de

trois dimensions. Nous avons avancé que la dimension réelle du monde, c’est

dix. Nous étions convaincus que l’univers était unique, eh bien non, nous avons

tendance à remplacer la notion d’univers par celle de « plurivers ». La science

est une longue lutte contre l’anthropocentrisme et l’anthropomorphisme. Cer-

tains considèrent cela comme une blessure narcissique : « je ne suis pas au

centre ». C’est l’inverse que je ressens, l’ouverture de la cage aux oiseaux, parce

que l’imaginaire gagne : calculer à dix dimensions… quel délice !

Comment toutes ces découvertes s’articulent-elles avec les religions ?Je pense qu’il faut commencer, en ce qui concerne la science, par faire un mea

culpa : les hommes de sciences sont hautains et les mathématiques ont été

utilisées pour mesurer soi-disant l’intelligence. Les professeurs de mathéma-

tiques, peut-être malgré eux, se sont conduits de manière cruelle par rapport à

des esprits qui n’étaient pas nécessairement créés pour accueillir des chiffres.

Si bien que la science et les mathématiques ont été considérées comme des

purges par beaucoup de littéraires, par beaucoup d’êtres subtils et délicats.

Le temps est venu de dire que la science est douce. Elle peut être subtile, elle

peut être très dure. La science, c’est la science du pouvoir. Si l’on ne réalise pas

le pouvoir que le citoyen met entre les mains du physicien, qui peut s’allier au

pouvoir. Le physicien peut être un poète, un prophète, il peut chercher à parta-

ger la beauté du ciel. Mais pour un physicien de ce genre, philosophe, un peu

prophète, mille physiciens se dressent, les armes à la main.

Pour en venir au créationnisme, la cosmologie est une mythologie. Il faut com-

mencer par dire que ce que je dis ne vaut rien, sinon en tant que métaphore. Il

ne s’agit pas d’une messe, ou de graver sur une plaque de bronze la vérité ab-

solue. Je serais contradictoire si je ne revendiquais pas pour moi-même l’incer-

titude et l’imperfection. Il ne s’agit pas d’un dogmatisme ; il s’agit de l’inverse,

il s’agit de l’usage critique et permanent du doute, mais aussi d’un éblouisse-

ment, d’un ravissement, et d’un vol sur les ailes de la beauté. Maintenant, cette

chose-là peut être partagée ou non. Il s’agit d’une discipline férocement abs-

traite, mais en même temps terriblement matérielle puisque c’est notre histoire

qui est en jeu. Si je la dis de cette manière, c’est pour qu’elle soit accueillie,

sans pour autant me croire prophétique. Je ne fais que refléter la fine pointe de

la recherche. Ce que je dis, les autres le disent, mais avec d’autres mots. En fait

ils ne le disent pas, car la position qui pèse sur les esprits scientifiques, depuis

l’enfance, c’est « tais-toi et calcule » ou « calcule et tais-toi ».

Nous vivons classiquement. Il n’est pas pensable de parler de mécanique quan-

tique en langage commun. Je le fais pour donner un parfum. En réalité, c’est une

incitation à aller fouiller les livres, et à pratiquer soi-même des calculs, pour at-

teindre cette forme profonde d’existence, sinon on ne comprend rien. Si on veut

comprendre la biologie, il faut comprendre la chimie ; si on veut comprendre la

chimie, il faut comprendre la physique quantique.

Je ne dis pas que c’est un modèle social, je dis que c’est un modèle quasiment

moral. Il y a à penser la liberté. Chacun est libre de sa liberté. Ce n’est pas une

doctrine du Salut, ni une doctrine politique. C’est un éclairage, une manière

de rester vibrant, vivant – éclairage qui nous permet de ne jamais considérer

l’échec comme définitif.

AJR Un Autre Jour sans Rembobiner

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n'4 - jEu

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Er avr

IL 2010Em

pr

EInTE

A la base de ce théâtreil y a le cirque.Un comique qui n'entre pasdans les convenances,violent,clownesque,criard.L'acteur,filtredes choses humaines,les purifie,les décompose,les porte à l'évidence,empêchequ'elles ne s'effacent. > Tadeusz Kantor

>

Artefacto

Artefacto

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