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Réaction psychique à la
maladie somatique
Dr Mathilde Morisod Harari
Médecin associé, Pédopsychiatrie de liaison-CHUV, SUPEA
Cours CEPUSPP général de pédopsychiatrie 2018-2019
4 avril 2019
La rencontre de la famille avec l’hôpital
pédiatrique
• On se situe dans une clinique du traumatisme.
• Sidération, déliaison, trou dans les représentations,angoisses.
• Difficultés à symboliser
• Pour les enfants, pour les parents, pour les équipes
• Réalité écrasante et omniprésence de la mort
Repères en pédopsychiatrie de Liaison
• Deux axes:
1) décryptage du sens de la maladie
2) travail d’historicisation
• Entendre l’enfant/l’adolescent
• Soutenir les parents
• Soutenir les équipes: la routine du drame et de la rupture, aider à penser et se distancer du réel
• Eviter le clivage psyché/soma
• Derrière la maladie, le handicap, le blessé il y a un enfant/un adolescent!!!
• Histoire familiale pré-existante qui fait lien ou pas avec le diagnostic
• Rester vivant!
Travail de la maladie
L’annonce
• Véritable traumatisme, moment de rupture
• Reste gravé dans la mémoire
• Trois phases (Bowlby, 1984):
– 1. phase d’engourdissement
– 2 . Phase d’incrédulité: colère/activité
– 3. phase de désorganisation-réorganisation: travail de deuil
• Situation particulière des annonces en prénatal
Tomber malade
• Pourquoi elle? Pourquoi lui? Pourquoi moi?
• Etre malade: question du corps
• Double travail:
1)deuil de la santé
2)appropriation de la maladie
• Travail de la maladie: récit subjectif
• Intégration de la maladie dans l’histoire: tentative deliaison entre affect et représentation
• Théories médicales infantiles / construction d’unmythe
Théories médicales infantiles
• Conception du chaos
• Théories anthropocentriques
• Théories traumatiques
• Théorie du plaisir puni
• Théorie de la transmission familiale
• Théories médicales
Recherche d’une vérité
Un événement insensé qui conduit à rechercher une théorie étiologique.
Différents types de maladies
• Maladie aigues/ interventions chirurgicales
• maladies graves/maladies chroniques
• Problème double;
1)investissement par l’enfant de son corps
malade
2)investissement des parents de l’enfant malade
Chez l’enfant
Maladies aigues:
Choc direct
Choc indirect: traumatisme après-coup
Réactions multiples:
Anxiété
Régression: égocentrisme, tyrannie, instrumentalisation
de l’environnement
Inhibition
Dépression
Chez l’enfant
Maladies chroniques:
Va modifier durablement l’histoire de l’enfant et de sa famille.
Risque d’entraver les étapes développementales normales.
Maladies à rechutes: difficile de quitter le statut de malade.
Risque+++ de dépression ou de déni, dépendance.
Maladies mortelles
Il n’y a pas de parallélisme entre la gravité de la maladie
somatique et les effets psychiques qu’elle produit.
Chez l’enfant
De l’histoire de la maladie à l’histoire de l’enfant
Pas de profil de personnalité propre à un type de maladie
Maladies chroniques:
Surexposition
Angoisses (de séparation, d’abandon, de mort, de
morcellement, de castration)
Culpabilité
Colères et révoltes silencieuses
Vécu de solitude
Chez l’enfant
• 3 types de défenses classiques:
1)L’opposition
2)La soumission et l’inhibition
3)La sublimation et la collaboration « faute-
culpabilité/agression-punition »
Chez l’enfant
Mécanismes d’adaptation:
La projection
L’agressivité et l’impulsivité retournées contre soi
La soumission passive
Le déni
La régression
L’obsessionnalisation
L’identification à l’agresseur
Tentatives de maîtrise du corps
Le clivage entre corps et psyché
La sublimation « faute-culpabilité/agression-punition »
La douleur
• Difficile à repérer plus l’enfant est jeune
• Peut se manifester soit sous forme de troubles moteurs
(agitation, agressivité) soit sous forme de troubles
relationnels (opposition)
• Caractéristiques sémiologiques communes avec la
dépression DD
• Importance de bien observer l’enfant
• Utilisation d’échelles de mesure
Chez l’adolescent
• Une double rupture:
• Le temps suspendu au diagnostic.
• Puberté physique et puberté psychique.
« J’ai raté le train »
• Maladie chronique et individuation: le défi de l’autonomie:– Liens parents-adolescent
– Lien adolescent-pairs
– Lien ado-médecin-équipe médicale
Chez l’adolescent
A. Entre régression et maturité:
Besoin d’étayage, entraves à l’autonomisation.
Réactualisation de l’Œdipe et enjeux.
Culpabilisation possible
B. Recherche d’identifications dans un monde clos
C. Le corps en rupture:
Entre pudeur et corps à disposition de la médecine.
Changements pubertaires et effets secondaires (avec
aussi, la stérilité).
Retard pubertaire, scolaire,…
Chez l’adolescent
D. La notion de honte:
Corps.
Associée à culpabilité, p.ex. face aux proches, à la
régression.
Jalousie et désir d’échanger sa place.
E. Les refus de soins, les manques de compliance
Détresse.
Entendre les limites du supportable, mais ne pas s’en
contenter.
Se réapproprier sa vie, ôter du pouvoir à la maladie
et à autrui.
Expérience ordalique (Attention aux traitements
d’excellents pronostic et courts!).
À l’adolescence: psychopathologie
• Pas de déterminisme
Mais risque de
• Clinique de l’adolescence évitée/supprimée
• Clinique de la non-observance
• Les troubles anxieux
• Les troubles dépressifs
• Les attaques au corps: toute puissance paradoxale
Chez les parents
• La place de la mère: qui « soigne? », rivalité dans le maternage?
• La place du père: face à l’impuissance, n’être plus dans le faire.
• La place du couple: ce qui les lie, ce qui est à l’origine de l’enfant.
• Atteinte du narcissisme parental
• Angoisses parentales
• Culpabilité+++
• Entre surprotection et dénégation
• Psychopathologie parentale
• Imaginaire parental comme un obstacle à l’activité fantasmatique de
l’enfant / le mythe parental
• CAVE: transformer la maladie chronique en un système explicatif
permanent et total
La fratrie
• La maladie exacerbe les clivages et les projections sur chacun des membres de la fratrie.
• Culpabilité qui émane de la rivalité et des fantasmes agressifs inconscients normaux
• Implications dans les soins et la guérison
Souffrance psychique de la fratrie
• Quelle place psychique et réelle donner à la fratrie?
• Groupes fratrie
La guérison
• La guérison entraîne des réaménagements aussi bien
intrapsychiques que relationnels:
– Nouveau rapport au temps
– Sensation de vide relationnel et objectal: deuil de la maladie
– L’enfant guéri doit aussi être réinvesti par les parents pour ce
qu’il est.
Importance d’un accompagnement thérapeutique
La guérison
La guérison n’est pas toujours synonyme de dépassement de la
maladie. L’enfant peut y rester aliéné:
• Préservation figée de la mémoire de l’épreuve.
• Oubli forcené.
Il faut un temps de réappropriation de son corps. Question identitaire.
• Acceptation par lui et autrui qu’il ne soit plus le même,
physiquement et psychiquement.
• Reconnaissance de l’expérience acquise.
Culpabilité.
• Un nouveau « pourquoi moi? ».
La mort
• L’irréversibilité (la mort est définitive)
• L’universalité ( nul n’y échappe)
• La causalité ( elle a une cause)
• Sa propre mortalité
On est face à un impensable, un irreprésentable
• Un des phénomènes essentiels de l’existence humaine,
qu’il tente de comprendre, d’apprivoiser.
• Illustré par des expériences de pertes successives
auxquelles il a survécu.
La notion de mort en fonction de l’âge
0 à 3 ans: incompréhension totale: pas de représentation, réaction à la séparation
4 à 6 ans: perception mythique: mort provisoire, temporaire et réversible
6 à 9 ans: réalisme infantile: questions, représentations, jeux comme défenses contre l’angoisse et comme travail psychique nécessaire. Images réalistes, représentations concrètes (squelettes, cimetières,…).
9 à 11 ans: angoisse existentielle: accès à la symbolisation de la mort. Crainte de la perte réelle. Issue de son propre destin. Passage d’une référence individuelle à l’universel, du temporaire au définitif, de l’idée de punition au cycle naturel.
La mort
« Quand un enfant a la possibilité de s’exprimer librement
avec un adulte, il aborde sans gêne le sujet de la mort »
Ginette Raimbault
• L’enfant n’est pas ignorant de la mort, il en sait quasi
autant que les adultes: c’est à dire rien.
• Si la possibilité lui en est donnée, il en parle volontiers,
surtout au travers des effets de celle-ci sur ses proches:
absence, tristesse…
• Crainte de l’exclusion, de l’abandon, de la perte d’amour.
Attention au désinvestissement parental (deuil anticipé)
ou à la surprotection (acharnement thérapeutique).
• La question de la mort pour les soignants.
La mort
• Ne pas laisser la question de la mort rester un
traumatisme qui se fige: en parler, entendre au delà du
pied de la lettre.
• Ecouter les limites de l’enfant.
• Ne pas enfermer dans des pronostics.
• Ce que gagne l’enfant est un savoir sur la vie.
• Jusqu’au bout, il reste un être désirant: le considérer
comme tel!!!
Dans la maladie chronique, la mort n’est pas
forcément la mort physique
• Les séparations
• Enfant et parents idéaux, toute-puissance
• Inquiétudes pour ses parents, sa famille
• Corps, puberté
• Chaque effet secondaire, retentissement du traitement,
séquelle (stérilité).
• Mais aussi, difficulté à se projeter dans le futur: le
« hors-temps » du traumatisme.
Les comportements comme appels à être reconnu
vivant dans le lien à l’autre.
Vignette clinique
• Syndrome de Rokitansky-Küster-Hauser
– Adolescente de 16 ans, intervention chirurgicale prévue
• Mucoviscidose
– Jeune garçon de 6 ans, crises de colère à l’école et avec la
mère
• Maladie de Crohn
– Adolescente de 16 ans, passivité et manque d’énergie
Prise en charge thérapeutique
• La réalité ne doit pas écraser la disponibilité psychique.
• Qu’est-ce qui fait crise dans la crise? Où se situe
l’enjeu?
• Tout ce qui vient de l’enfant n’est pas à priori en lien
avec la maladie.
• Que voit-on de lui? Corps réel versus corps subjectif et
désirant.
• Peut-on supporter la vision de sa maladie et de son
traitement?
Prise en charge thérapeutique
• Multidisciplinaire
• Réseau de soignants = regroupement symbolique des divers fragments de l’enfant/adolescent
• La place des soignants: richesse, transferts, identifications, rivalité, clivage
• Le psychothérapeute = le garant du sujet
• Voie thérapeutique: perspective d’intégration psychique de l’expérience traumatique. Le sujet ne peut advenir que de ce qu’il était
• Que l’enfant trouve sa place de sujet désirant
• Eviter à tout prix que la maladie triomphe du sujet dans une aliénation définitive à son statut de malade
Consultation psychothérapeutique
• L’enfant peut donner du sens à ce qui lui arrive s’il garde une placedans l’histoire familiale et une place active dans son traitement.
• Ce qui angoisse l’enfant est avant tout la solitude:
• Dans sa chambre,
• Dans son questionnement,
• Dans celui de savoir quelle est sa place au sein du désirparental,
• Dans la mort,
• Dans la guérison.
• Explorer sa vie fantasmatique.
• Eviter les trous dans ses représentations.
• Préserver sa capacité d’autonomie, sa capacité de révolte, seslimites/souffrances, ses remises en question.
Conclusion
• L’absence de discours est déshumanisant.
• Sans discours, le corps devient étranger et la maladie toute-puissante.
• « Lorsque l’enfant cherche à traduire et communiquer la réalité de ce qu’il ressent dans son corps, il cherche à représenter dans le fantasme la maladie et la mort. C’est la seule façon de les intégrer dans les mythes personnels, non pas comme savoir objectif et médical, mais comme savoir de l’inconscient. » (Daniel Oppenheim)
• Surtout, l’enfant doit pouvoir constater que sa confrontation à l’impensable a été reconnu dans le dialogue et qu’il n’est pas fou.
Bibliographie
• Psychopathologie en service de pédiatrie,
pédopsychiatrie de liaison, Philippe Duverger, Collection
les âges de la vie, Elsevier Masson, 2011.
• Enfance et psychopathologie, 8ème édition, Daniel
Marcelli, Collection les âges de la vie, Masson, 2009.
• Adolescence et psychopathologie, 7ème édition, Daniel
Marcelli et Alain Braconnier, Collection les âges de la
vie, Masson, 2008.
• Traité européen de psychiatrie et de psychopathologie
de l’enfant et de l’adolescent, sous la direction de Pierre
Ferrari, Médecine Sciences Publications, Lavoisier,
2013.