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RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

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RCHT Volume 25, numéro 1, printemps 1999

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Page 2: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

Sommaire ·-UNIY nr- M Tl---.

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ARTICLES BL3~ f

Éric Lafrmiùe Grève dans l'industrie papetière de l'Est du Canada, 1975-1976. . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . 3

Dominic Duford L'industrie du tabac dans la ville de Granby: Étude iconographique . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . 21

Jean-Man: Thibault Aimé Gucrtin, les travailleurs forestiers ct la grève du Clériœ, 1933-1934 . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

DOCUMENT Peter Bischofi

Leure inédite de Tctence V. Powd~ly. Gnmd-maître de l'Ordre des chevaliers du Travail, à William Kcys, chevalier montréalais (13 janvier 1885) ... .. . :. . . . . . . . . . . . . . . 45

VITRINE DU LIVRE

• Craig Heron (sous laditectioo de), Tht Womn' Revoit fn Canada, 1917-1925, Toronto, University ofTorœto Press, 1998, par~ Danscreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

• Émile Boudteau, Un enfant tk la grande dtpressfon. Autobiographie. Montréal, Lanct6t Éditeur, 1998. 389 p. Jacques Kcable, IA montk stlon Marot/ Pepin. MOD!réal, Lanct6t Éditeur, 1998, par Êric Leroux . . . . . . . . . . . . . • . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

• Luc Desroc:hcrs, Une histoire dt dlgJJiti : FAS (CSN) 1935-1973. Btauport, MNH, 1997, par Jacques Roui1lard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 1

Page 3: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

Le bulletin du Regroupement des cbercheurs.cbercheures en histoire des travailleurs et travailleuses est publit deux fois l'an par le RCHTQ.

Adresse tlectronique: http://mistral.ere.umontreal.ca/-rouillaj/rchtq.html

ABONNEMENTS

Pour deux numtros: individu: instirution:

15,00$ 20,00$

(Les anciens nurntros sont disponibles au coOt de 7,00$le numtro)

Envoyer votre cb~ue au nom du RCHTQ, dtpartement d'hîsto.ire, Universi~ du Qutbec à Montrtal, c.P. 8888, Suce Centre-ville. Montrtal, Qutbec, H3C 3P8

Envoyer tout manuscrit, information ou annonce à l'attention de: Peter Bischoff, RCHTQ, dtpartement d'histoire, Universitt d'Ottawa. C.P. 450, Suce. A, Ottawa. Ontario, KlN 6N5

(De prtftrence sur disquette, sous format WordPerfect ou Word, accompagnte d'une sortie papier)

Responsable du BuUetln (1998-1999): Peter Bischorr Responsable de la Vitrine du Livre: Éric Leroux

Mise en page: Peter Biscbolf

L'illustration de la page couverture est tirée du livre de Jacques Rouillard, Histoire de la C.S.N., 1921-1981, Montréal. Bo~al. 1981, p. 137.

Dtpot légal Biblioth~ue nationale du Canada Bibliothèque nationale du Qutbec lSSN 1187-6484

2 Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1

Page 4: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

ARTICLE

Grève dans l'Industrie papetière de l'Est du Canada, 1975-1976

Par Éric Lafrenière, département d'histoire, Université de Montrèal

R6cemment, au mois de novembre 1998, s'est terminé un conflit de travail qui perdurait depuis plus de quatre mois dans les usines de l'Est àl Canada de la compagnie papetière A.blttbi-Consolldated. Avant celui-ci, le dernier conflit de travail d'envetgiii'C à être survenu dans l'industrie papetière canadienne remontait aux années 1975-1976, alors que plus que les travaiUeuri d'une seule comp88Jlie, c'est la quasi-totalité des effectifs de travailleurs de l'Est du Canada qui avait eu recours à la grève.

Pour notre part, nous avons cherché à comprendre cette dernière grève, à l'interpréter. Toutefois, la tâche ne fut pas si simple puisque, d'une part, aucune étude et aucune analyse portant sur la grève de 1975-1976 n'avait été réalisée à ce jour, et que d'autre part, nous avons nous-mêmes menés nos propres recherches alors que la grève dans les usines de la compagnie A.blttbf­Consolldated était en cours. Cette dernière situation eut pour conséquence de rendre inaccessible les « areb.ives >> du Syndicat Canadien de I'ÉMrgfe et du Papltr portant SIU la grève de 1975·1976. L'étude suivante ne se veut donc qu'une ~banche interprétative de ce conflit et rien de plus. Loin de nous la prétention d'expliciter l'ensemble du conflit, l la lumière de ses dimensions les plus négligées. Bien au contraire, une simple lecture originale des faits plus ou moins connus, voilà ce que nous proposons.'

Par ailleurs, notre volonté de ne faire qu'une lcàUre interprétative des faits n'évacue

1 Cc texte est le résultat d'un ttavail qui a été produit dans le cadre d'un coun portant sur le mouvement ouvrier au Québec. Nous avoos """Hicii! des conseils de M Bemanl Danscreau. professeur de ce cours, lors de la rédaction du œxte. Qu'il nous soit permis ici de l'en œmt~œ Enfin, veuiJ.1ez noter qu'un oenaiD nombre de notes 0111 été flimjnfes afin d'ail4er la leclure du texte.

en aucun temps J'objec:tif de la démonstration d'une thèse. Ainsi, à propos de la gtève quasi­générale de 1975-1976, nous chercherons à montrer que l'anêt de travail est survenu alors que prévalaient certaines conditions objectives pour Je moins détàvozables à la cause défendue par les travailleurs. Nous démontrerons aussi que maJgtè Je prolongement de la grève sous la présence de telles conditions, Je règlement in­tervenu à la fin du conflit de travail était tout à l'avan~e des travailleurs de l'industrie papetière.

Pour s'en convaincre, nous proposons le p.Jan suivant. Dans un premier temps, nous ex­poserons quelques données générales relatives à la grève, ainsi que les principes directeurs intervenant à l'intérieur du processus de négo­ciation dans l'industrie papetière. Dans un second temps, nous tenterons de cemer trois conditions objectives en montrant ce en quoi elles ont été défavozables aux travailleurs et à la conclusion rapide d'une entente entre patronat et syndicat. Ces conditions étaient la conséquence immédiate à la canadianisation de l' Oll!anisatioo syndicale des travailleurs <il papier, l'impact de la lutte menée par le gouvernement ~ à l'inflation, et le front commun non-réceptif manifesté par le patronat de l'industrie papetière. Dans un troisième temps, nous montrerons que la solidarité des travailleurs, que l'entente entérinée en décembre 1975 à l'usine lrwlng Pulp et que la stratégie syndicale adoptée durant la grève sont intervenues de telle sorte qu'eUes ont mis à l'épreuve Je contexte créé par les trois conditions susmentionnées. Enfin, dans un dernier temps, nous illustrerons à la lumière des gains nets et demi victoire obtenus par les travailleurs de l'usine Belge de Shawinigao2

, une fois le conflit de travail

' L'usine Bdgo a été folld6c en l'an 1900. Des capicaux investis par ta Banque d'Oun-mu de Belgique sont à l'origine de sa construction le long

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dénoué, que la nouvelle convention collective signée leur était. plutôt favorable.

1. QUELQUES CONSIDÊRATIONS PRÉALABLES

Une erève quasi-eénérale et le contexte shawinieanais

Au cours du mois de juillet 1975, les syndi­qués des huit usines de la compagnie Abitibi Paper ont été les premiers travailleurs de l' industrie papetière de l'Est du Canada à recourir à la grève. Cette initiative visait à faire progresser les discussions qui avaient été amorcées deux mois plus tôt entre les différentes parties de l' industrie. n est nécessaire ici de souligner que le contrat de travail de tous les employés des usines papetières de l'Est du Canada était échu depuis le 30 avril 1975.

Par ailleurs, au mois de novembre 1975, alors que la grève quasi-générale devait survenir, ce sont plus de cinquante usines qui allaient être en anet de production. Au cours de ce même mois, le nombre de travailleurs impliqués dans le conflit devait grimper à plus de 28 700 grévistes. Parmi ces grévistes, nous incluons les 1025 travailleurs de la Belgo, sortis en grève le 11 octobre 1975. L'usine

de la Petite Rivière Shawinigan. Les travai1Jews de l'usine œ se sont syudiqués que .!!lUS tard au COIIIS du siècle, soit le 5 avril 1956. À l'époque, deux sectioDS locales regroupaient les syndiqu& de l'usine : la seœon locale 256 de la Fraternité Intemationale des ll'availleurs tk l'industrie des P4tes et Papiers, et la seœon locale 145 de l'Union des Papetiers et Ouvriers till Papier, tous deux membres du Sjftdicot International des Travailleurs Unis till Papier. Cette dc.tnière o7pnisarion syndicale était ~ à l'intmeurdu CIO-FAT, etaffilio!e au CTC. En 1973, les deux seœons syndicales sont de>enues teSpeCtivemcnt la section locale 1256, ptisidé par monsieur Réjean Paquin, et la section locale 1455, présidé par moDSieur Laurent Beaulieu. Conso/idated­Bathurst, Convention de tl'avail entl'e Consolldated­Bathurst Limitle, division Be/go et le Sjftdicat Intemationa/ des Travailleurs Unis till Papier, IOCOJD: 1256 et 1455, 1973-1975, (s. t), 1973, pp. 1-2. Cette demière convention, nous la désignerons désormais cotDIDe ceci : CC2. Fabien, Larochelle, Shawinigan depuis 75 ans, Sbawinigan, Publicité Pâquet inc., 1976, pp. 512-517.

Belgo de Shawinigan constituait, à l'époque, l'une des quatre divisions mauriciennes de la compagnie Consolidated-Bathurst. 3 La grève amorcée par ces employés devait paralyser à ce moment l'équivalent de 23 % de l'économie régionale centre-mauricienne.

Outre des améliorations aux conditions de travail, les syndiqués de l'industrie papetière de l' Est du Canada revendiquaient l'obtention d'un contrat visant à assurer la parité salariale avec leurs confrères de l' industrie forestière . Ces demieiS avaient obtenu plus tôt au cours de l'année 1975 une importante hausse de salaire qui n'avait pas laissé indifférent les travailleurs du secteur papetier.

De plus, l'augmentation de salaire réclamée par ces derniers était justifiée par l' importance des pertes encourues dans leur pouvoir d 'achat, des pertes explicables en raison de l'inflation galopante qui prévalait à l'époque. D'ailleurs, à ce sujet, les travailleurs de l'industrie papetière n' avaient pas tout à fait tort. En effet, à la lumière de l'augmentation de 8,4 % obtenue par les travailleurs de l'usine Belgo en 1974, on ne peut que constater l 'écart appréciable séparant cette hausse de l'augmentation connue par les prix à la consommation au cours de cette même année, une augmentation de prés de 12,3 %. Par conséquent, et vu l' état inflationniste de l'économie, les travailleurs revendiquaient également la signature d'un contrat de travail valable pour une année, chose que ne voulait leur consentir le patronat des difftrentes compagnies papetières, qui recherchait pour sa part la signature d'un contrat de trois ans.

Enfin, et cette revendication prévalait surtout pour la grande majorité des travailleurs de l'usine Belgo, les grévistes de l'endroit étaient à la recherche d'une révision du régime

' Ces divisions élan! la Laurenlitk à Gland-~ la Wayagamak à Trois-Rivières et Cap«-ia-Madelcine; et la Be/go à Shawinigan. En tout, la Mauricie comptait sept usiœs productrlces de papier. A elles seules, ces usines produisaient pour plus de 7% de tout le papier produit annuellement au Canada; 85% du papier produit par ces usiœs élait destiné aJ

marché américain.

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horaire. Depuis l'adoption de l'opération continue par la direction de l'usine à la fin des années 1960, le régime horaire 7-117-217-4• avait ÎD!roduÎt une rotation horaire qui exigeait des travailleurs un effort non négligeable que ne pouvait soulager sept jours de coogé par mois.

Par ailleurs, cette hausse substantielle des salaires revendiquée, les sections syndic:ales des cli.mrentes compagnies papetières l'avaient réclamée coDDaissant pour l'époque les capacités financières do ces compagnies à payer plus déc:c:mmentleurs travailleurs. Ainsi, Je papier journal produit à l'usine Bclgo • papier export6 en grande partie aux États-Unis • avait w son prix augntenter de 23 % au cows do la seule année 1974, alors que comme nous J'avons mentiollDé plus tôt, les salaires des employés de l'usine n'avaient grimp6 que de seulement 8,4 %. Qui plus cS!, au cows de J'année 197S, le prix du papier journal allait CODDaitre une hausse de plus de 30 %. Durant la mSmc p6riodc, les travailleurs de l'usine ne devaient recevoir aucune hausse de salaire.' Pendant ce temps, du moins en 1974, une compagnie comme la Consoltdated-Batlrunt avait vu ses profits doubler, atteignant 47,7 $ millions de dollars, pour des ventes nettes d'environ 689 $ millions do dollars. Les sections synd.ic:ales des compagnies papetières de l'Est du Canada connaissaient donc l'étendue des profits réalisés par lews employeurs. Que les travailleurs puissent aussi

• Le rtgime bollire 7-117-'117-4 signifiait œc:i : l'employé travaillait sept jolll'S d'affilb: de 8:00h à 16:00h, puis obtenait un congé d'une jolllD!e; eœuile il uavaillait sept jours d'aflil6e de 16:00h l mim1i1, puis il obte:Dail deux jolllD!es de coo&é; enflD, cet bommc devait travailler sept jours d'affilb: de DIÎDllit à 8:00h, pour obtenir par la suite quatte jout'Œes de congé. Ce demier régime. mo: le reoouvellemcDI du c:ontnll de travail en 1975, les uavailiCUIS cie l'usine Belgo out voulu le voir eue remplacê par un régime bonûre « 6-3/6-3/6-3 » • que nous réduirons à l'expressio.n « 6-3 " . ' En elli::t, la dcmiàe hausse RÇue, ces lllMiillcœs l'avaleot eue le 1• novembre 1974. Jusqu'à ce que soit~leocbéelagme à la mi«Ulbre 1975, ax:uœ 8lliQXDiatioo de salaire n'aura ~ aocottl6e et c'est seulement après ladite pe, en février 1976, que les travailleurs oot obtenu une telle hausse.

toucher leurs parts des profits, voilà ce qu'eUes réclamaient.

Un proc.essus de d&ociation

Bien avant le déclenchement de la grève quasi-générale, le processus de négociation dans l' industrie papetière s'était amon:é localement (avril et mai 197S), c'est·à-dire auprès de cha-cune des usines impliquées par le renouveUement du contrat de travail. A l'usine Belgo, cette premi~rc étape des négociations devait permettre aux deux présidents ~ sections syndicales • Laurent Beaulieu (section 14SS) et Rtjean Paquin (section 12S6) • , de mSme qu'aux délégués d'ateliers• de rencontrer le directeur-général de l'usine (Jean-Paul Carrier) et le persoDDel responsable des ressources humaines afin de leur soumettre les revendications fonn.ulées à l' interne par les travailleurs mSmes de l' usine.' Aussi les ententes locales intervenues à la suite d'une teUe rencontre préparaient le terrain aux d.ismssions suivantes, celles du groupe de négociation Consolidated-Bathurst, en élimi­nant par le règlement un certain nombre de demandes particulières à ch•cune des usines, des demandes que le syndicat n • await pas à justifier à la table principale dud.it groupe de négociation. Néanmoins, les revend.ieatiollS rejetées localement par l'employeur ne devenaient pas lettres mortes et étaient donc discutées à DOUveau auprès du groupe de négociation concerné .

Un groupe de négociation était constitué à la fois ~ prèsidents et des représentants syndicaux des sections locales d'une compagnie, ainsi que des représentants de la

• Les dtléglâ d'ateliers étaient ces bommes clés assurant la colllDIUIÙeation, la Uaison entre le sytKiieat et les dilfé=ts dtpanemeDts de l'usine. Ces d&gués œleYaietlt et IJant!T!Ht.!lelll au syndicat les reveDdlcations paltieuüères des II1IVailleurs d'une usine. 7 Ces CJ!!tD!es locales CO!X"'maieù l'amélioration des cond.ilions de II1Miil et des coDd.itioos de sécurité, l' inscription des heures de dîner et des heures de repos dsns la coovelllion collective, etc.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 5

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partie patronale de cene même compagnie. En plus, un représenlallt de l'organisation syndicale nationale des travailleurs de l'industrie papetière' se joignait au groupe de ntgociation pour assister les responsables syndicaux dam leur d~mazchc auptès de la compagnie.

Lors de la gréve quasi-g~~rale de 1975, les différents groupes de n~gociation constitués9 ont ntgoeié sur la base des attentes fonnulées par la partie patronale ct à la lumière des tléments revendicatifs syndicaux inscrits dam l'agenda principal. Cet (( agenda» en question regroupait les items et les revendications unifonnes à l'ensemble des travailleurs de l ' industrie papetière de l' Est dl Canada Ces items concernaient donc les hausses de salaires, la révision souhaitée dl régime de retraite, la bonification des divers régimes d' assurances, l'amélioration du régime de vacance, ete. Cbacune des parties syndicales des groupes de négociation constitu6s discutait de ces divers items, cherchant par la meme occasion l'~tablissement d'un pattern.

Le pattern, cc devait être le contrat-type, l'entente modèle conclue se rapprochant le plus possible des revendications syndicales contenues dam l'agenda principal. Au terme de ses discussiOilS avec la compagnie papetière engageant les syndiqués qu'elle représentait, la première partie syndicale des différents groupes de négociation qui réussissait à obtenir une telle entente, définissait de la sorte le pattern. Par la suite, ce modèle était repris par les autres groupes de négociation afin de conclure une entente semblable.

Avec l 'arrivée de l'été 1975, le processus de négociation est entré dans une phase de stagnation : de part ct d 'autre, l'inflexibilité était devenue le mot d'ordre. Puisque les négociations ne semblaient donc pas annoncer la conclusion éventuelle d 'une entente ch.ez

1 Lors de la grève de 197S, œtte OtpDiation était le $)oldJcaJ Canadien des Ti't1W1JIIIun till Papier. ' Chez Consolldated-Bathurst, miW aussi cbez &utem Canadlan Newsprfnt Group (ECNG), cbez Abitibi Paper, cbcz Prtœ Paper, chez &waters, cœ:z Domtar, cbcz Kruger ...

aucun des groupes de négociation, l'organisation syndicale nationale des travailleurs de l'industrie papetière devait demander aux représenlallts des sections locales de l'un de ces groupes de procéder à un vote de gréve aup~s de ses membres. C'est à ce moment que les travailleurs des usines . d'Abitibi Paper ont entrepris leur gréve, cherchant par la même occasion à mettre la pression sur la partie patronale des différents groupes de négociation encore en discussion.

Plus tard, au mois d 'octobre 1975, lorsque aucune entente ne semblait se dessiner chez ces autres groupes de négociation, le vote de grève a alors été effectué auprès de l'ensemble des autres sections syndicales impliquées dans le renouvellement du contrat de travail. Nul n'est besoin ici de rsppeler qu' une gréve quasi­générale d'une durée de plus de quatre mois devait s'ensuivre. Parmi les nouveaux grévistes qui rejoignaient les travailleurs des nsines d'Abitibi Paper, nous retrouvions les 1025 travailleurs de l'usine Belgo de Shawinigan. Tout au long de la période au cours de laquelle allait durer l'arrêt de travail quasi-généralisé, un seul groupe de négociation est demeuré en activité. Ce groupe, c'était cehù constitué par les représenlallts syndicaux et patronaux des usines de la East Canadlan Newsprlnt Group.

n. DIS CONDmONS D!FAVORABLES

Le conœxte dans lequel est survenu le conflit de travail de 1975-1976 ne pouvait guère garantir - du moins à court tenne - la conclusion d'une entente favorable à la cause défendue par les travailleurs. Assurément, quiconque chercherait à analyser cette conjoncture sous laquelle s'est présentée la ~e ici étudiée rencontrerait un certain nombre de conditions défavorables à l'établissement d'une telle entente conclue hâtivement. Bien que ces conditions étaient entre autres apparu à l'époque afin de satisfaire des exigences pressantes pour le moment, celles-ci ont constitué des obstacles certains, excluant toute possibilité qu'intervienne rapidement un règlement au conflit Tout au

6 Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1

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cours de la grève, ces conditions défavorables devaient maintenir dans une situation précaire l'ensemble des travailleun ayant entrepris de tenir tête au patronat du secteur papetier. Ces conditions étaient au nombre de trois.

La constitution d'un syndicat canadien : du SITUP au SCTP

Au début des années 1970, la majorité des sections locales qui représentaient les intérêts des travailleun de l' industtie papetière cana­dienne recevait leurs directives d 'une autorité américaine. Cette autorité, la United Paper Worfœn (ou le Syndicat International des Travatlleurs Unis du Papier- d'où SITUP), qui avait pour président Joseph P. Tonnelli10

,

regroupait alors à l' échelle nationale canadienne quelques S 1 340 travailleurs, répartis à travers 210 sections locales. Panai celles-ci, on dénombrait les locaux. 1256 ct 1455 de l ' usine Belgo.

Puis, les années sc sont écoulées, cmmellllllt avec eUes, peu avant 1975, la fondation d 'une organisation syndicale canadienne, le Syndicat Canadien des Travatlleun du Papier (SCTP).11 Au cours de la première année d'existence de celui-ci (1974-1975), près de 56 000 travailleurs de l' industrie papetière canadienne devaient reconnaître la nouvelle autorité syndicale et donc joindre les rangs du SCI'P. Cela représentait 217 sections locales au Canada, dont 70 au Québec, parmi lesquelles on comptait bien entendu les deux locaux. syndicaux de l'usine Belgo. Quant au SITUP, il ne devait conserver que 3 250 membres

10 Selon M. Réjean l'aquin. cet homme exerçait aloiS une véritable ~ dictalllre » sur le SmJP. 11 Tout commo l'avait él6 avant lui le SITUP, le SCTP était une orpnisatiou syndicale aflili6e au CTC. Sa création s' insa:ivait dans le lllOUVCIIICIII de " ""nadi•nisation » des orp.aisations syndicales qu'a initié le CTC au cours des aiBes 1970. Ia:ques RouiUard, Hl.r(oîre du syndicalisme qulblcois, Mollll'éal, Les Editions du Bo1Û]. 1989, pp. 311-315.

canadiens répartis à travers 10 sections locales. 11

Par ailleurs, rapporter cc qui s 'est produit au cours de la première moitié de la décennie 1970 pour qu'un tel revirement survienne ne doit pas ici monopoliser notre propos. En fait, ce qu' il importe de retenir pour le moment se résume en deux points. D'une part, la volonté de faire sécession avec le SITIJP était très fortement appuyée par les membres canadiens de ce syndicat, surtout depuis que le président Tonnelli avait refusé de soutenir financièrement une grève initiée par les papetiers des Maritimes (début 1970). En effet, lors du conglès de fondation du SCTPa, les résulws d 'un vote préalable effectué auprès des membres canadiens du SI1UP devaient révéler que près de 86% de ceux-ci approuvaient le projet de séparation."

D'autre part, l'autonomie décisionnelle conférte alors aux autorités canadiennes nouvellement reconnues devait simultanément contribuer à mettre en place une première condition défavorable à la future grève. Certes, l'autorité américaine n 'a que peu manifesté de résistance face à la constitution de l'entité syndicale canadienne indépendante. Toutefois, cette autorité s' est véritablement montrée non réceptive face au désir exprimé par les dirigeants du SCTP de rapatrier au C;mada, outre le pouvoii décisionnel, les sommes ayant été versées par les anciens syndiqués canadiens au SITUP en guise de cotisations syndicales. Ces sommes, qui selon le SCJP devaient être calculées au prorata des membre.s eanadicns quittant avec la séparation, le SITIJP allait refuser de les lui remettre. 14

" Rouillanl, op. cil. , pp. 311-315. Tr.lvai1 Canada, Organfsallon tks fl'tZWJJI/nn QI/ CanodD, 1974-1975, 63' édition, Ottawa. Ministère du Tr.JVail, 1975, pp. Xl-Xll, xvn, 2.2-23 et 91. Itkm, « Une séparation», lA gazette du trovail, vol 74, no 7. ~uillct 1974, pp. 327-328. 1 Ce congrès fut 1t1111 à Torolllo eDile le 3 et le 7 juin 1974. " Selon M. Réjcan Paquin, ces sommes devaient totali.scr approximalivemenl 2 000 OOOS. Cette ioformadon, oou.s ne pouvons la mentionner avec certilude, n'ayant pu menrc la main sur un documem précisalllledit molllanl.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 7

Page 9: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

Lors de son congrès tenu au début de l 'année 1975, Je SITUP devait rejeter le principe de la séparation avec compensation, prétextant que rien à l'Îlltérieur de la constitution du syndicat n • octroyait le droit et le pouvoir à ses dirigeants de disposer de la sorte des fonds recueillis. Par conséquent, suite à la séparation, les ex-syndiq~ canadiens àJ S~ se son~ retrouvés sans tOnd de gréve. Et qwn.ze mols aprés l'entérinement de la canadjanisarion, lorsque la gréve quasi-gtoérale a été déclenchée, Je SCTP n • avait pu réussir à amas~r des sommes assez considérables pour constJtuer un tOnd de gréve capable de supporter Je geste alors posé par les travailleurs. u

L' offensive du eouveroement ftdtral contre l'inflation

Au cours des années 1970, le gouvernement libéral de Pierre-Elliott Trudeau a chetcllé à contrôler les conditions salariales ntgociées entre patronat et syndicat, et plus particulièrement les augmentations de salaires obtenues, afin de réduire l'augmentation rapide de l'inflation. C'est dans ce sens que le projet de lois C. 73, proposé par le ministre des finances M~~~:Donald, a été déposé à la Chambre des Communes au mois de décembre 1975. Entre autres, ce projet de loi visait à limiter l'augmentation annuelle du salaire des particuli.ers à un pourcentage qui, tout au plus, ne d~llt dép~r 12 %. En outre, ce projet de lOI. ~ folS adopté, prévoyait s'appliquer rétroactivement aux augmentations salariales obtenues à partir du 14 oetobre 1975.

16 Par

ailleurs, en échange de ces concessions demandées aux travailleurs canadiens, le gouvernement redéral entendait maintenir un

11 Informations tmc5 d'UDC J'enuevue rêalisée lMC

M. .Réjean Paquin. Jacques GiDgms, «La capi1ale du paplCf psmlysée »,lA Ntn~WIIi.sre, 11 Oddlre 1975 r.· 1. • Po~ 511: pan, Je sCTP devait oontester l'appllcabllité

des pnoopes de ce projet de loi daiiS les oégocialioos alors .en oours elllre patronat ct syndicat du seaeur papeüer, prétexlanll'anlériodté de la gréve d6cleu:bée par ses membres.

contrôle plus serré sur l'augmentation des prix à la consommation.

Aussi, toujours pour contrer l'inflation, Je gouvernement Trudeau avait Îllstitué une commission anti-inflation, la Commission Pépin.11 Cette dernière, ÎllStÎtuée alors que la gréve quasi-générale se déroulait, avait reçu pour mandat d'étudier les ententes contractuelles Îlltervenues entre patronat et syndi.cat, et plus particulièrement d'examiner les clauses relatives aux augmentations salariales. Le verdic:t qu'elle rendait sur ses ententes, parfois approbateur, parfois désapprobaleUt, devait inciter toutes industries négociant le contrat de travail de ses travailleurs à le faire à l'intérieur des normes fixées par le gouvernement. De la sorte cette . . . comm1ss1on a joué un r61e important lors des négociations qui avaient cours dans J'industrie papetière.

Somme toute, l'offensive menée par le gouvernement redéral contre l'inflation a elle aussi constitué une condition défavorable à la renégociation du contrat de travail dans le sec:teur papetier. Alors que les travailleurs de l'industrie papetière étaient en gréve quasi­général.e, Trudeau lui-même est Îlltervenu dans cette optique en menaçant d'effectuer une saisie ~es gains salariaux obtenus qui excéderucnt les normes prescrites par son gouvernement. Trudeau devait d'ailleurs préciser que son gouvememellt allait contrôler de tels gains en les soustrayant direc:tement aux ~nus des ouvriers de l'industrie papetière sort en votant une taxe direc:te qui toucheraient les salariés concernés, soit en adoptant un décret qui ordo1111eraient aux compagnies papetières non conformes aux directives gouvernementales de déduire à la source les excédents salariaux de leurs employés, ou enfin en procédant tout simplement à un prélèvemellt monétaire direct auprés des compagnies concernées. Le gouvernement redéral apparaissait donc sérieux dans ses Îlltentions, ce qui rendait la tâclle plus

" No!DIDée aussi la Commission de Lutte co~ l'ÎJiflatiOD.

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difficile pour les nombn:ux n:préseotants syndicaux alors en négociation.11

Le front commun patronal contre les revendications des travailleurs de l'industrie papeti~re

A priori, les discussions au sein du groupe de négociation Consolldated-Bathlll'st ont été rompues par la partie patronale le 10 octobn: 1975. Cette rupture des négociations n'a pourtant pas été Je fait que de cc seul groupe. En effet, les parties patronales des ~s groupes de négociation, à l'exception de celui d'Abitibi Paper dont les travailleurs avaient initié la grève, devaient en fain: tout autant a1

cours de cc même moi$ d'octobre 1975. Par ces gestes, la din:ction des compagnies papetières entendait signifier aux syndicats qu'eUe n:fù.serait toute n:prise des négociations sur la base des revendications formulées dans leur agenda principal.

Qui plus est, avec l'adoption des mesures anti-inflationnistes par le gouvernement fédéral au cours dC la grève quasi-générale, le patronat de l'industrie papetière de l'Est ch Canada allait maintenir son attitude, ce front commun non-réceptif aux demandes des syndiqués du SCI'P, en se retranchant denièn: les exigences fixées par le gouvernement canadien. Ici, l'annonce faite par le gouvernement en matièn: de lutte à l' inflation est venue en quelque sorte conférer un appui suppl6mentain: à la position intransigeante défendue alors depuis d6j1 quelques mois par la haute din:ction des compapies papetières. Dans cette optique, nous pouvons donc aflirmer que les mesures anti-i.nflationnistes se sont avérées profitables pour le patronat de l'industrie papetière. Le refus de négocier manifesté par cc dernier a par conséquent constitué une troisième condition défavorable à la cause des grévistes.19

" Presse canadieonc, « Les accords salariaux trop élevés : reprise des excédeDIS "• lA Nowflllste, 22 octobre 197S, p. 1. " Pour sa pan, le SCll' devait expliquer que oe œ6IS de négocier avait été à l'origine de la grève quasi­générale. Par le làit mème, il idenrifiai\ la baule

De plus, avec la création du SCI'P, les compagnies papetièn:s avaient pressenti et vu poindre à l'horizon l'éventualité d'une gr6ve prochaine de leurs employés. Dès lors, ces compagnies papetières, dont la Consolldated­Batlturst, avaient entrepris d'accumuler des stocks de papiers afin de constituer une impor­tante réserve. De la sorte, les compagnies espéraient se prémunir des conséquences d 'un éventuel &mt de travail en assurant le maintien de l'approvisionnement de lews principaux clients. Par conséquent, une fois octobre 1975 venu, les compagnies papetières étaient donc piStes à fain: face à une grève de leurs travaiUeurs, et cc peu importe son ampleur, puisqu'elles avaient préalablement pris les moyens de maintenir leur position intransi-geante.20

Sans aucun doute, les trois conditions défa­vorables relevées et brièvement exposées ici n'auront pas permis aux travailleurs d'éviter l'amt de travail. La haute din:ction des compagnies papetièn:s, sachant que ccuxo(;i ne toucheraient aucune allocation de gréve s'ils en déclenchaient une, croyait pouvoir mettre aJ

pas la détermination revendicatrice de lews employés. Qui plus est, cette même haute direction allait recevoir un appui non négligeable dwant la gr6ve avec l 'entrée en scène du gouvemement fédéral et de sa législation en matièn: de lutte à l' inflation. Par ailleurs, tout au cours de la grève eUe­même, les trois conditions relevées devaient passablement influer le cours des événements.

m . LI DtllOVUMBNT DE LA GREVE

Grosso moda, la pc quasi-générale s'est échelonnée sur un peu plus de seize semaines, entre la mi-octobre 1975 et le début du mois de février 1976. A cc sujet, le cas shawiniganais of&e des balises temporelles assez

dùectiondescompagnies papetières comme la gr.mdc ~le du d6c:lm:bemem de la ptve. ,. Jacques Saint.ODg~C, « Le papier : Cluttien blâme sévèremenl les compe.guies pour leur ll:fus de négocier», lA Nowdllstc, 3 janvier 1976, p. 1. And.rt Gaudleault, « Les réserve$ finirom bien PŒ s'q,uiser : les papetiea attendroot patiemment,., LA NOIM!IIIstc, 1• dlœmbre 197S, p. 3.

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L

significatives, le déclenchement de la grève à cet endroit étant survenu le Il octobre 1975 et le règlement du conflit, lui, le 4 février 1976. L'analyse de cette période au cours de laquelle s'est déroulée la grève quasi-générale permet de cerner l'évolution des différentes conditions défavorables susmentionnées, de même que les conséquences immédiates de celles-<:i.

La solidarité pour pallier l'absence d'un rond de grève

Tout d'abord, l'absence d'un fond de grève eut pour effet de. consolider la solidarité ou­vrière. A ce propos, la grève quasi-générale fournit quatre faits notoires. Premièrement, M. Réjean Paquin précise que cette solidarité s 'est manifestée à travers la dètermination exprimèe par les travailleurs à soutenir fermement leur nouvelle organisation syndicale, le SCTP. D'une certaine manière, cette dernière en était à ses prerni#:res offensives contre les compagnies papetières. En ce sens, en rejoignant les grèvistes d'Abitibi Paper en amt de travail, et ce malgré le fait qu'ils savaient qu' ils ne recevraient aucune allocation de grève, les travailleurs de l' industrie papetière est-<:anadienne ont donc participé à la solidification des assises encore fragiles de la nouvelle organisation SYDdicale.

Deuxièmement, la solidarité est aussi intervenue à l'intérieur des usines. A ce sujet, le cas des locaux 1256 et 1455 de l 'usine Belgo offie quatre gestes qui méritent d 'etre signalés. D'abord, en décembre 1975, les membres de ces deux sections locales ont refusé leur part d 'un montant de 12 000 $ dollars qui leur avait été offert par les travailleurs de l'usine Kruger de Trois-Rivières, une usine dont les employés avaient refusé de joindre les rangs des grèvistes au mois d 'octobre 1975. Aussi, les SYDdiqués de ses deux sections locales se sont soutenus mutuellement en effectuant des collectes d'articles (vêtements, nourriture ... ) auprès des marchands de la ville, des articles qui ont bien entendu été redistribués par la suite aux travailleurs dans le besoin. Dans la même veine, ils ont également organisé des « soirées

récréatives >> au cours desquelles· les profits réalisés ont été remis aux travailleurs nécessiteux sous forme de bons échangeables dans les épiceries de la ville. La valeur de ces bons était d'environ une dizaine de dollars. Enfin, notons qu'au tout début de la grève, l'exécutif syndical de ces deux sections locales avait pris l' initiative de rencontrer les institutions bancaires du Centre-Mauricie afin de les inciter à ne pas pénaliser les travailleurs qui prendraient du retard dans l'acquittement de leurs obligations financières.

Troisi#:mement, et toujours à la lumière de l'exemple sbawiniganais, la solidarité est égale­ment venue des travailleurs de la région mauricienne oeuvrant dans d 'autres secteurs que le papier. Ceux-<:i, répondant entre autres à l'appellancé en janvier 1976 par le président du CTC, M. Morris, devaient offrir une aide financière aux travailleurs en grève. Leurs dons, additionnés aux cotisations versées par les travailleurs de l ' industrie papetière de l'Ouest canadien ont permis aux grèvistes de l'usine Belgo de recevoir tout au plus, pendant les quatre mois qu'aura duré la glève, un montant inférieur à lOO $ dollars.21

Finalement, la solidarité s 'est aussi ex­primée outre-mer. En effet, les travailleurs syndiqués de l'industrie papetière européenne ont appuyé l 'effort de grève canadien en refu­sant, tout au cours de la grève quasi-g~n~rale, d'accroître la production de papier dans leurs usines. De la sorte, en refusant d' accroître leur propre productivité, ces travailleurs ont emp­êché à la production européenne de papier de venir combler l'ensemble de la demande mon­diale, et plus particulièrement de combler cette forte demande américaine qui s'approvisionnait généralement au Canada 22

Le précéden t avorté : le contrat obtenu à la Irwlng Pulp and Paper

21 Ce momam, M Paquin nous en a fourni l'information. Presse canadienne, << Appel en faveor des grèvi.stes du papier», La Presse, 14 janvier 1976, p. 14. Tmvail Canada, La gazette du .. . , loc. cil., janvier 1976, PJ'· 69-70. 22 Le N011Velllste, 1 décembre 1975, p. 3.

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Durant les mois de décembre 1975 et de janvier 1976, l'offensive du gouvernement fédéral contre les ententes salariales excédant ses nonnes a porté fruit. Ainsi, après avoir re­jeté en décembre 1975 l'entente intervenue entre les deux parties négociatrices d'une usine du Nouveau-Brunswick, la lrwing Pulp and Paper, la Commission Pépin a statué, dans un ultimatum lancé en janvier 1976 à cette compagnie, qu'aucune augmentation salariale excédant 14 % la première année n'allait Stre approuvée. Par ce refus, la commission an ti­inflation r:êitérait donc son intention de ne fléchir sous aucun prétexte.

Par ailleurs, si la Commission avait reconnu l' entente initiale intervenue entre la partie patronale et la partie syndicale de la lrwing Pulp - entente qui assurait une augmentation . de salaire d'environ 23,8 % la première année - , alors le pa"em recherché aurait été établi. Ce pr:êcédent recherché par le SCIP et par la partie syndicale de tous les autres groupes de négociation qui avaient été constitués, la /rwing Pulp l'aurait ainsi établi. A ce moment, la partie syndicale des différents groupes de négociation aurait pu reprendre ce contrat-type pour entamer les discussions et tenter de conclure une entente au profit de leurs membres. Or, le pr:êcédent ne fut pas établi et la gr:êve se poursuivit.,

La stratéeje syndicale face au refus de néeocier de la partie patronale

En répoose au refus de négocier exprimé par la partie parronale des différents groupes

" Marcel AubJY, « Le conflit du papier est déssmoroé », u NoliVtlliste, 22 janvier 1976, p. 1. Paul Bennet, « La décision de la commission allli­inflalion : les papetien en appelleroot », LA Nowelliste, 19 décembre 1975, p. Il. Presse "'"'adienne, « Elle pourrait influer sur les négociations en cours : révision du cas UwiDg Pulp », LA Nowe/llste, 2 février 1976, p. 1. Presse canadienne, « La Commission Pépin donne à la Irwing PuJp jusqu'au 2 féviier pour obtempérer», LA Devoir, 22 janvier 1976, p. 1. Presse canadjrone, «Espoir pour les papetiers>>, LA NoliVelliste, 21 janvier 1976, p. 1. Le NoliVelllste, l" déœmbre 1975, p. 3. La Presse, 14 janvier 1976, p. 14.

de négociation, le SCIP a incité ses· membres à refuser tout retour au travail jusqu'à ce que ces mSmes parties patronales aient consenti à re· prendre les discussions sur la base des revendications contenues dans l'agenda princi­pal. En agissant ainsi, le SCIP et les grévistes espéraient exercer une pression certaine sur les compagnies papetières, qui en raison de l' arrSt de travail allaient voir s'épuiser à long terme leurs r:êserves de papier.

Ce manque de papier anticipé, autant dans les r:êserves accumulées par les compagnies pa­petières que chez leurs principaux acheteurs, les grands quotidiens américains et canadiens, il devait survenir à la mi-janvier 1976. A ce mo­ment, les grands journaux américains et canadiens, qui n'avaient pas Iéduit leur nombre de pages par publication avec le déclenchement de la gr:êve quasi-générale, ont entrevu l'épuisement total de leurs propres réserves pour le printemps 1976. Une autre pression allait être exercée alors sur les compagnies papetières canadiennes.

En effet, pour ces entreprises journalisti­ques, une solution de rechange comme l'approvisionnement en Europe comportait un inconvénient de taille. Pour celles-ci, les frais de transport portaient le prix de la tonne de papier à 330 $ dollars et non plus à 260 $ dol­lars. Certains journaux ont même été contraint de majorer le prix de vente de leurs exemplaires afin d 'assurer les co(lts supplémentaires reliés à l ' approvisionnement ailleurs qu'auprès des usines de l'Est du Canada A ce propos, notons que le journal Le Nouvelliste de Trois-Rivières, un client régulier de l'usine Belgo, a haussé le prix de vente de ses exemplaires «vu l'augmentation des co(lts >>. Somme toute, l' impasse dans laquelle se retrouvaient alors les compagnies papetières canadiennes ne pouvait que les inciter à reprendre tôt ou tard les négociations sur la base des revendications contenues dans l'agenda principale.

En outre, les conséquences de la gr:êve pour les compagnies papetières ne se sont pas limitées à ces quelques pressions exercées de toute part. Le refus de retourner au travail e t la continuation de la greve par les syndiqués du

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SCI'P auront contribué également à rédum le revenu annuel des compagnies papetières. A la Consolldated-Bathurst, en 1975, les profits ont chuté de 32 % par rapport à l' année précédente.24 Les ventes nettes de la compagnie lors du dernier trimestre de l 'année 1975 ne se sont élevées qu'à 136,4 $ millions de · dollan, alors qu'au m&ne trimestre un an plus tôt, la compagnie avait réalisé des ventes nettes de l'ordre de 189,6 $millions de dollars. Ainsi les dommages causés par la grève étaient bel et bien réels. Avec l'avènement du mois de janvier 1976, il apparaissait donc nécessaire et impératif qu'un réglement intervienne.

Et le processus de néeoc:iationl

Le déclenchement de la grève quasi­générale au mois d 'octobre 1975 était survenu, comme nous l'avons expliqué plus tôt, à la suite de la rupture des négociations par les parties patronales au sein des différents groupes de négociation. Toutefois, rappelons qu'1m de ces groupes n'avait pas suspendu ses activités. Ce gtoupe de négociation était celui réunissant patrons et syndicats des usines de la compagnie ECNG.25 Jusqu'à ce qu'~me entente de. principe ait été convenue entre les deux parties de ce groupe de négociation (17 janvier 1976), aucun autre groupe de négociation -celui de la Consolldated-Bathurst inclus -n' aura repris les discussions. Par conséquent, c'est donc cette entente de principe intervenue au sein du groupe de négociation ECNG, entente qui devait être entérinée par les travailleurs de cette compagnie le 22 janvier 1976, qui allait constituer le patrem, le contrat-type à partir duquel les autres groupes de négociation devaient reprendre leurs discussions.

"' En 1974, les profits de la Qmsolidattd-Bathurst s'étaieDt élevés à 47,7 millions de dollars. L'anœe sui-vante, ils n'étaient plus que de 32,6 millions de dollars. " Sept locaux syndicaux desservaiert les quatre usiœs de la East Conada Newsprlnl Group, ces usi,nes &nt l'usine Reed à Quo!bec; l'usine DomtoT de Dolbeau; la Quebtc North Sho~ de Baie-Comeau; et l'usineMcLaren de Bnc!àngbam

Otez Consolidated-Bathurst, les négo­ciations ont repris le 21 janvier 1976, d'abord à Grand-Mère, puis à Shawinigan. Pendant treize jours, lors de séances intensives de négociations allant jusqu'à dix et parfois même douze heures de discussions, patrons et syndicats ont tenté de dénouer l' impasse ct de régler le conflit de travail. Les offres finales de la compagnie, et non pas une entente de principe intervenue entre les deux parties négociatrices, devaient être déposées dans la nuit du t• au 2 février 1976. Au cours des deux joumées qui ont suivies, les travailleurs des quatre usines de la Consolldated-Bathurst en Mauricie se sont prononcés à 81,9 % en faveur d'un retour au travail sur la base des conditions contenues dans ces offres patronales.

Cettes, le principe du pattern avait été respecté, mais pouvait-on parler d 'une victoire remportée par les syndiqués de la Consolldated-Bathurst? La grève avait en tout duré seize semaines et chacune des deux parties négociatrices avaient été lourdement affectées par celle-ci. De part et d 'autre, il y avait eu concession. Et malgré les concessions faites par la partie syndicale, il peut certes Stre aflirmé que les termes du nouveau contrat de travail étaient tout à l'avantage de ces hommes qui avaient eu recours à la gréve.

IV. GAINS IMPORTANTS ET DEMI-VICTOIRE: LIS POINTS SAILLANTS DE LA NOUVEUJ! CONVENTION COLLECTIVlt

A la suite de l'entérinement par les travailleurs des usines de la compagnie ECNG du nouveau contrat de travail convenu entre leurs patrons et leurs représentants syndicaux, le mois de février qui a suivi devait voir survenir la résolution de la plupart des autres conflits de travail dans l' industrie papetière de l'Est du Can•da 26 A ce propos, afin de bien

" En fait, quatre usines d'Abitibi Paper, œux de la COmpagiiÎC Domtl11', une de la Consolldated-.Balhurst - une usine non sitnée en Mauricie - et quelques autres usines ça et là à ttavœ l'Est du Canada n'avaienl pas réglé leur conflit de ttavail 1espectif à la fin dn mois de févtier 1976. Travail Canada, La

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cerner les gains et demi victoire obtenus par les travailleurs de l' industrie papetière à la suite de cette grève quasi-générale, ct puisque nous avoos constamment cherché à situer - lorsqu'il eo était possible - le déroulement du coofl.it à l'usine Belgo de Shawinigan, notre analyse de «l'après-grève 11 portera sur les points saillants de la nouvelle convention collective obtenue par les travailleun de cette usine.21

Une dem i-victoire : de nouvelles conditions salariales ou le respect d ' un pattern fidéral

Tout d'abord, en ce qui concerne les conditioos salariales, la nouvelle convention collective prévoyait les augmeotatioos de salaire suivantes : 14% à la première année dl contrat de travail, 10 % à la seconde et 8 % pour la troisième.11 Ces pourcentages

gaztllt du travail, vol 76, no 6, juin 1976, pp. 347-350. " Celle analyse de « l'aprb-grève », nous la foDDUieroos donc à putir des pins tt demi-victoire obteuus par les tmvaillcurs de l'usine Belgo avec l'eDIJée en vigueur de leur nouvelle convCIIIioo collective. D ' ai.I.Jcurs, c'est à partir de cdJe.ci et de œlle qui l'a pr6 Mie que nous avons bâti DOire argumenwion. La Convention de tr(IIIQ/1 mn ConsolldDted-Bathunt Limitée, division Btlgo tl lt Syndieat Canadien des Trovallltvn du Papia, Jocma 12J6 et U JJ, /977S-1978 (désormais CC3) est eDIJée en vigueur le 25 matS 1976. Elle a ét6 signée par messieurs JeaJioPaul Cauier, di.recleuJ­géné2al de la division Belgo; JeaJioLouis DeCarufd, vi~ du SCTP pour la section ~gioœle no Il; SeJEC Lord, itpn'*"'a"' syndical des usines de la Consolldattd-Bathurst en Maw:icie; Lame!X Beaulieu. président elu locall455 elu SCTP à l'usine Belgo; et, cDfin, Réjcan Paquin, présideDI du local 1256 du SCTP à l ' usine Belgo. CC3, op. ciL, p. 47. "Avec ces augmentations, le taux boraile de base est passé de 5,06$ à 5,88$ la ~àe ~; à 6,47$ le le mai 1976; à 6,99$ Je l mai lm. Quanl au 13UX bor.lire moyen, il est passé de 5,58$ à 6,64$ la ~~;à 7,30$ le 1• mai 1976; à 7,88$ le L" mai 1977. Aussi, il est à noter qu'une clause relative à l'augmen~alion de salaire COJiéJ6e la première année pr6:isait que cdJe.ci était lo!uœ::tNe aux beute:s tmvai!Ues entre le 1• mai 1975 et le 10 octobre 1975. Enfin, noums qu'en plus des po=elllages d'augxneDialion salariale obteuus, les tmvailleurs ont ltÇU 0,24 centS de l' beure à tilre d'indemnit~ de vie cbm, au COUIS de la première ~ du conli1ll Cene indemnité constituait une

d'augmcnt31ion salariale s'avéraient confonnes aux nonnes prescrites par le gouvernement fédéral. De plus, ces pourcentages d 'augment31ion salariale n 'étaient plus octroyés en deux temps, c'est-à­dire deux fois par année comme sous les deux conventions collectives p~cédentes, mais bel ct bien une seule fois par année.

Par ailleurs, les parties négociatrices s'étaient entendues sur la possibilité de procéder, au cours de la période couverte par la nouvelle convention collective, à un réaménagement des clauses salariales contenues à l' intérieur de celle-ci. Ce réaménagement, s ' il devait survenir, s'effectuerait au profit des travailleurs.

Ainsi, cette convention contenait trois disposition.s particulières, c 'est-à-dire trois clauses qui p~isaient les conditioos ct les modalités entourant une éventuelle modification apportée aux salaires des travailleurs. La première de ces clauses expliquait que si l'un des groupes de négociation n'ayant pas encore convenu d'une entente ou si la lrwing Pulp venait qu'à conclure une entente dont les clauses salariales s 'avéreraient supérieures aux augmentatioos obtenues par ses propres travailleurs, la Consolldated-Bathurst entendait alors majorer le salaire de oes derniers en fonction dl nouveau contrat-type établi et approuvé par le gouvernement fédéral.

La seconde clause inscrite dans la convention p~cisait que si les lois anti­inflatioonistes étaient abrogées ou si la Commission Pépin était destituée, le syndicat des travailleurs des usines de la Consolldared­Bathurst disposerait de trente jours pour réclamer une réouverture de la convention. Une telle rèouverture devait permettre de revoir à la hausse l'augmentation de salaire établie pour la troisième année du contrat de travail.

Quant à la troisième clause relative à une révision des conditioos salariales obtenues, elle spécifiait que la compagnie ajusterait à la

« allocation lloUanle filc6: par l'usine ». CC3, op. cil., p. 48.

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hausse le salaire de son personnel ouvrier si le taux national de productiviti, au cours des années 1976 et 1977, s'élevait à plus de 2 o/o.

Malgré le fait que le syndicat ait réussi à faire inscrire oes trois clauses claus la convention collective, il serait non approprié d'y voir là une victoire remportée par celui-ci au niveau strictement salarial Trois raisons motiveut une telle assertion. Premièrement, à la lumière des pourcentages d'augmentation obtenus par les travailleurs, nous pouvons constater l'obtention d'un contrat de travail d'une durée de trois ans, allant lhll ... mai 1975 au 30 avril 1978. Compte tenu du liùt que les travailleurs recherchaient l 'obtention d'un contrat de travail d'une durée maximale d'une année, l'acceptation d'un contrat d'une durée de trois ans a constitué un revers. Qui plus est, cette pariti salariale avec les ouvriers di secteur forestier qu'ils revendiquaient, les travailleurs de l'industrie papetière n.e l'auront pas obtenue, le pourcentage d'augmentation salariale obtenu pour la première année étant nettement inférieur à leur revendication initiale.

Deuxièmement, nous pouvons aussi observer que l'offensive menée par le gouvernement fédéral aura eu raison de ces revendications salariales initiales, dans la mesure où les syndicats n'auront pu soutirer plus que le 14 o/o d'augmentation de salaire fixé par la Commission Pépin. A ce compte, il peut donc are affirmé sans trop se tromper que c'est le gouvernement tedéral qui a véritablement fixé au niveau salarial les pourcentages d'augmentation octroyés, et qui par conséquent a établi le pa11em.29

Finalement, les augmentations obtenues n'~ront pas permis aux travailleurs de

,. D'ailleurs, à ce sujet, M Andl6 Cbarest, p~ du local 216 à l'usine Wayagamak, a pœcis6 ~ l'elllérincment des c4lies paii'Onales par les syndi~ de la Consolidared-Both~~rst, que lonquc les ~ons on! repris le 21 janvier 1976, c:eQes.ci s'étaient ~ulées «à l'inttrieur du cartan de la loi anli·inflationniste du gouvc::memem Ttudeau. » Maitd AubJY, « Dans les quarnnte-huit heures, papetier : lueur d'espoir d'un règlement •. TA NtntWUistt, 3 février 1976, p. L

rattraper ce pouvoir d'achat qui leur avait écllappé au cours de la période couverte par la convention collective précédente. Qui plus est, à la lumière de 1 'indice des prix à la consommation pour les mois de mars 1976, mars 1977 et mars 1978, nous avons pu noter que les bausses de salaire octroyées par la compagnie Consolldated-Bathurst aprés la grévc de ses travailleurs s'étaient avérées légèrement insuffisante'0 ou déficilaire31 par rappon à la hausse du prix des biens et services.

En somme, c'est à la lumière de ces dernières raisons invoquées, de même qu'à la lumière de l'inscription dans la convention collective des trois clauses susmentionnées, qu'il nous aura éli permis de considérer l'aspect salarial de cette convention comme une simple demi victoire pour les travailleurs.

Un &ain important : la révision du réejme bora ire

S'il est une reveudication que les travailleurs de l'usine Belgo de Sbawinig;m voulaient voir are acceptie par leur employeur, c'était bel et bien celle de la révision <hl régime boraire alors en place. Ce régime, le 7-tn-2n-4, avait été mis en place à la toute fin de la décennie 1960, alors que la baute direction de l'usine, afin de combler la demande croissante de papier-joumal, avait adopti l'« opération continue » de l'usine. Or, lorsque vint le moment de renouveler le contrat de travail en mai 197S, l' exécutif syndical de la Bclgo, à la demande de ses membres, avait formulé une revendication visant l'établissement d'un régime boraire plus souple et où les jours de congé seraient mieux répartis. Ce régime boraire réclamé, les

,. De lD3IS 1976 à mars lm, l'iDflation s'est éJeo.ie â 10,8%, alors que l'augmelllatioo de salaire des ttavailleurs n'a été que de 10%. "De lD3IS 1m à mars 1978, l'inflation s'est éJeo.ie à 13,8o/., alors que l'augmelllation de salaire des ttavaillews n'a été que de 8''/o.

14 Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1

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S)IDdiqués de la Bel go devaient 1 'obtcoir avec l'entn!e eo vigueur du régime horaüe 6-3 (25 juin 1976). Toutefois, il ne devait être établi que progrcssivcmcot à l' intérieur des différents départements de l'usine.

Le réaménagement des horaires de travail co fonction de la fonnulc 6-3 comportait selon nous trois avantages notoires, faisant ainsi de cette clause relative à la révision di régime horaire, un gain important pour les travailleurs. Dans un premier temps, ce régime horaire demandait sur sensiblement la même période» que pour le régime 7-117-2!7-4, moins d'heures de labeur aux travailleurs. Ainsi, plutôt que de totaliser sept jours de congé par vingt-huit jours, le travailleur gagnait désormais deux jours de plus de congé, pour un total de neuf con~és sur vingt-sept jours."

Aussi, dans un second temps, la mise co place du régime horaire 6-3 aura permis la promotion de la majorité des travailleurs de l'usine. En effet, à l'exception des travailleurs occupant les premiers postes sur les lignes de promotion des différents départements, la grande majorité des employés de l'usine ont gravi un ou même deux échelons au sein de leur département. A ce moment, le maintien de l'opération continue de l'usine a donc nécessité la foœarion des employés oeçupaot les échelons inférieurs des différentes lignes de promotion aux postes supérieurs de lems départements, et ce parce que 1 'ensemble des travailleurs avait obtenu davantage de journées de congé avee la mise en place de la formule 6-3. Par conséqueot, soit ces travailleurs promus ont obtenu une rémunération supérieure avec l'avènement de cette fonnule, soit ils sc sont rapprochés des échelons supérieurs de leur département, en gagnant des positions sur la ligne de promotion.

" C'est-à-dire 27 jows pour l'ensemble de la rotation 6-3/6-3/6-3 et 28 jows pour l'ensemble de la rotation 7-117-2!7-4 . ., Certes, une relle révision, en plus d 'augmelller le oombre de congés, a eu pour d&:t de mluire la semaine de travail, qui est passée de qo-Jtr bcuRslsemaine à une moyenne bcbdomadaire de tmlle-sept be=s.

Enfin, dans un troisième temps, afin de remplacer oes ouvriers qui occupaient les derniers échelons et qui ont donc eux aussi gradué avec la révision du régime horaire, l'usine Belgo s'est vue devant l 'obligation d'embaucher et de former de nouveaux employés. Selon M. Réjean Paquin, c'est un peu plus de 75 nouveaux travailleurs qui ont été embauché par l'usine en raison de la mise en place de la formule 6-3. Cette vague d'embauches à l'usine Belgo est d'ailleurs survenue à un excellent moment car, comme l 'a démontré l'historien Pierre Laothier, aprés le démantélcmcot de la Shawinigan Water and Power (SWP) en 1963, le milieu industriel shawinigaoais s'est effondré. Avee ce démantélcment s'était donc acceotué le mouvement de fenneturcs d'usines et d'entreprises au Ceotre-Mauricie, un mouvement qui avait été amorcé plus tôt a1

cours de la décennie 1950. Or, au cours de la décennie 1970, ce mouvement avait pris de l'ampleur. Par conséquent, à l'issu de la mise co place le régime horaire 6-3, l'embauche de nouveaux travailleurs par l'usine Belgo s'est avérée bénéfique pour le milieu ouvrier shawiniganais.3•

Outre oes dernières explications, nous pouvons affinner que la révision du régime horaire a constitué un gain important à l'époque pour les travailleurs de l'usine Belgo, et ce pour deux autres raisons. Tout d'abord, en obtenant cette revision, les travailleurs ont obtenu plus que ce que le pattern établi par le groupe de négociation ECNG contenait En effet, rien dans ce contrat-type établi plus tôt oc f.aisait référence à une quelconque révision du régime horaire des usines papetières. De plus, compte tenu du f.ait que, d'une part, les dirigeants de la Omsolidated-Bathunt avaient refusé de négocier sur la base des revendications fonnulées par les syndicats de ses usines et que, d'autre part, ceux-ci ont di accepter au mois de février 1976 l'une de ses

,. Pierre Lan!hier, « Stratégie industrielle et ~ pement régional : le cas de la Mauriçie au XX' siècle lt, 1/rNe d'histoirt de I'Amérl({lle française, vol 37, DO 1, j uin 1983, pp. 3·19. Le D&oir, 6 févticr 1976, p. 1. Le Nouvelliste, S février 1976, p. 1.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 15

Page 17: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

revendications - la formule 6-3 - , il peut certes être affirm6 qu'à ce niveau les syndiqués de l'usine Belgo ont eu raison de l ' intransigeance de leur employeur.u

Les autres points saillants

a) L • amélioration des conditions de travail

En ce qui concerne, maintenant, les clauses de la nouvelle convention collective relatives à l'amélioration des conditions de travail, nous en retiendrons deux. Une première clause visait dans l' immédiat à apporter des changements sur les lieux de travail mêmes. Ainsi, dans le cadre de l'entente locale conclue entre la direction de l'usine Belgo et l'exêeutifsyndical de l'endroit, il a été convenu de doter certains départements d' tme salle à manger climatisée (avec poSle et rtfrigérateur), d'endroits propres pour se reposer, de toilettes, etc. Ces gains négociés et donc obtenus à 1' interne, les deux sections syndicales de l'usine Belgo réussissaient à les obtenir progressi vemeot pour chacun des départements de travail, d 'une renégociatioo de contrat à l'autre.

Quant à la seconde clause relative à l'amélioration des conditions de travail, eUe prévoyait la mise sur pied d'un Comité Chaleur et Bruit, un comité constitu6 de deux

" MarœJ Aul>Jy, • Les paperiezs a<XqiCeD' les offies pauoDales : au travai.ll », u Nowo/Jist•, S !éYtîer 1976, p. 1. Par ailleuis, UD dernier élément relativemenc aux botaires m&ite d'être meoliollDé. E.a. effet. c'est 3\ICC cette cooveotion eoUective que l'en!reprise sbawiniganaise a amorcé le ""'~- des botaires de certains dqmtcmcnls afin d 'élaler, d 'abord sur ODe demi-bewe, puis plus laid sur ODe beure, les heures d'~ et de sortie des lr.IVailleurs à l'idérieur de l 'usine. A l 'q,oque. quatre dépalœaw:ms - püle m6::aiâqœ, pttpuation dn bois, salle d'appel et pite chimique - ODI VU leur boi3Î.Ie ligulier - minuit à 8:00 b; 8:00 h à 16:00 b; 16:00 b à minuit - reculer d'une demi-beure • 23:30 b à 7:30 b; 7:30 h à IS:30 b; IS:30 b A 23:30 h. E.a. plus d'éviter l'encombrement à l'~ et à la sortie de l'usine, ce rtao:tM8"""""' fCJmettaÎI d'éviter l' eoeombremem des llaVailleurs dans les vestiaires et les salles de douches. CC3, op. cil., p. 79. Supplémtnl de la CC3, op. ciL, p. 1.

représentants de la direction de l'usine et de deux représentants syndicaux. Ces derniers, en plus de faire de la prévention en milieu de travail - i.e. informer les travailleurs des risques qu'ils courraient et intervenir auprès des ouvriers ne respectant pas les règles de sécurit6 - , devaient étudier les conditions apparentes relatives au bruit et à la chaleur afin de formuler des propositions visant l'amélioration de ces conditions. Les propositions devaient être soumises à la fois à la direction de l'usine et au syndicat.

b) Les congés et vacan ces

Pour sa part, le régime de vacance des travailleurs de l'usine Belgo avait CODJlu un réaméoasement favorable à ceux-ci sous les deux conventions collectives précédentes. Toutefois, ces deux dernières conventions oc contenaient que les opérations de réaménagement dn plan de vacaru:e et non la mise en place finale et définitive de celui-ci. Par « opérations de rbménagement 1>, nous entendons ces clauses qui ont iojtié le réaménasement, en ramenant l'éligibilité des travailleurs aux deux premiers paliers du plan de huit à cinq années de service et de dix-huit à quinze années de service. Dans ce sens, ce n'est véritablement qu'avec la signature de la convention collective convenue entre les parties négociatrices après la gréve de 1975-1976, que le plan de vacance réaménagé est entré en vigueur.

Ce plan, il octroyait donc tme semaine de vaance de plus par année aux travailleurs ayant plus de cinq ans et quinze ans de service. Par conséquent, ces travailleurs obtenaient respectivement trois semaines de vacance annuellement et 6 % de leur revenu brut co rémunération ou quatre semaines de vacance et 8 % de leur revenu brut. Pour leur part, les travailleurs COD!ptant plus de vingt-cinq années de service ont conservé leurs acquis, soit cinq semaines de vacance et 10 % de leur revenu brut.

Aussi, en plus de ce réaménasement du plan de vacance, les travailleurs ont obtenu le maintien des semaines de vacance non prises au oours de la première année dn nouveau

16 Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1

Page 18: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

conlrat de ttavail (mai 1975 - avril 1976). Bien entendu, ces semaines de vacance, ils n' avaient pu les prendre en raison de la grève. En outre, en prenant ces semaines de vacance, les tiavaillews devaient recevoir, en plus d 'une rémunération correspondant au pourcentage déterminé de leur revenu brut. l'équivalent de seize heures de ttavail payées par la compagnie.

Enfin, mentionnons au passage qu'avec cette nouvelle convention collective, les ttavaillews de l'usine Belgo ont w leur nombre de congés mobiles augDlenter, passant de quaire à cinq. Ce type de congé, un ttavailleur pouvait les prendre à n ' importe quel moment durant l'année . Cependant, ces congés mobiles, il ne pouvait les prendre que s ' il avait avisé les responsables aux horaires quelques jours auparavant et que si ces responsables avaient pu trouver quelqu'un pour Je remplacer à son poste de tnvail ..

c) Le régime d'indemnité hebdomadaire

A pnon, le régime d'indemnité hebdomadaire avait été mis en place avec la convention collective précédente afin de venir compléter les i.nsuflisances du plan d 'assur.mœ-maladie déjà établi. Or, avec la nouvelle convention collective, ce régime devait connaître une certaine révision caractérisée, entre autres, par l'ajout d 'un certain nombre de clauses compensatoires devant profiter aux tnvailleurs souffrant d'une maladie ou étant victimes d 'un accident de ttavail. Bien entendu, l'obtention à chaque semaine par l'employé blessé ou m•lade de 70 % de son laUX horaire, multiplié par quarante heures fictives de tnvail, demeurait tel quel. Ce que nous relèverons ici, ce sont surtout l'apparition de deux nouvelles clauses.

La première de ces deux clauses prévoyait une majoration de 1 ' indemnité hebdomadaire reçue par un tJavailleur blessé ou malade si celui-ci, durant les douze mois ayant précédé son incapacité à travailler, avait occupé plus de 50% de son temps de tnvail un poste plus rémunérateur que celui auquel il était habituellement assigné. Ainsi, si tel était le cas, l ' indemnité hebdomadaire qu' il allait

recevoir serait fixée non pas en fonction de son taux horaire régulier, mais à la lumière de cc taux horaire supérieur qu' il recevait.

Quant à la seconde clause, eUe précisait que l'ouvrier blessé ou malade devait recevoir ses indemnités à partir du quatrième jour d' incapacité à travailler, et noo plus à partir du septième jour. De plus, pour les tnvaillews qui avaient été hospitalisés, il était désormais établi que ceux-ci devaient recevoir leur indemnité hebdomadaire à compter du premier jour d' incapacité à tJavailler. En somme, à ce niveau, le gain en a donc été un assez important.

d) Raison de l'absence de modifications au r é&ime de retraite

À la lumière de la convention collective précédente et de celle entérinée après la greve de 1975-1976, nous avons pu observer qu'aucune modification, ne serait-ce que de moindre ampleur, n 'a été apportée au régime de retraite des travaillews de l'usine Belgo. En fait, cc qu'il faut savoir ici c'est qu'afin de faire avancer les négociations lors de la reprise des discussions entre les parties négociatrices en janvier 1976, les représentants syndicaux des usines de la Consolidated-Bathurst avaient retiré toutes les revendications, tous les items relatifs à l'amélioration du plan de retraite. Lors de notre entrevue réalisée avec M. Réjcan Paquin, celui-ci nous a expliqué que la partie syndicale du groupe de négociation Consoltdated-Bathurst avait renoncé 1111

rèaménagcment du règime de retraite afin de concentrer ses efforts sur la modification du régime horaire de l'usine Belgo. Cene modification,laparticpatronalenevoulaitpas l'accorder parce qu'eUe savait que cela nécessiterait la formation massive de la majorité des tnvailleurs de J'usine, ainsi que l'embauche et la formation des effectifs manquants nécessaiies au mamùen de l'opération continue. Par conséquent, les tJavailleurs de l'usine Belgo ont obtenu le régime horaire 6-3 au détriment de l'amélioration du régime de retraite, qui ne fut modifié qu'avec les conventions collectives subséquentes.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 17

Page 19: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

L • obtention du respect du patronat de l'industrie pape,tièr e l l'égard du SCTP d de ses sections locales

Dans l'ensemble, les conditions présentes dans la convention collective obtenue après la grève de 1975-1976 auront certes permis aux travailleurs de l'usine Belgo de Sbawini.gan de sortit gagnant de ce conflit de travail. Or, de l'aveu de M. Réjean Paquin, le gain le plus important réalisé à la suite de cette grève aura été celui du respect obtenu par le SCI'P et ses représentants locaux, respect consenti par la haute direction des compagnies et des usines papetières de l'Est du Cao•da Eo effet, croyant au départ pouvoir parvenir à faire passer ses considérations à l'avant-plan, paree que devant elles se dressaient des grévistes dq,ourvus de food de grève, les directions locales • dont celle de la division Belgo • , ainsi que la haute direction des compagnies papetières - dont celle de la Consolldated· Bathurst • auront échoué dans leur tentative de mettre au pas leurs travailleurs. Dans ce sens, l'effort de grève prolongé, la détermination manifestée par les travailleurs et la solidarité conférée par ceux-ci à l'endroit de leurs dirigeants syndicaux auront permis aux grévistes d'avoir eu raison à terme de cette condition défavorable qu'avait constitué dès le départ l'absence d'un fond de grève. Qui plus est, les parties panonales des différents groupes de négociation n'auront pas réussi à faire << mettre à genoux » leurs travailleurs, si bien que le respect obtenu par la suite par le SCI'P devait lui permettre de consolider ses assises et de s ' imposer auprès de la direction des entreprises papetières comme 1 'orgnnisa.t:ion syndicale représentant et défendant les intérêts de leurs employés.

Par ailleurs, ce respect obtenu par les locaux syndicaux et syndiqués de l'industrie papetière aura amené la direction des compagnies de cette industrie à mettre sur pied, à l' intérieur de chacune de ses usines, un comité conjoint réunissaot à la fois des représentants patronaux et des représentants syndicaux. Ce comité devait recevoir pour mandat premier de travailler à l'amélioration des procédures de négociation collective tant à

l'intérieur des différentes usines que dans l'industrie papetière en général. Dès lors, les travailleurs de l'industrie papetière, tant au Centre-Mauricie que de l'Est du Canada, allaient disposer d 'un écho véritable auprès de leur employeur respectif.

Conclusion

A priori, les pages précédentes ont fait l'exposition d'un essai d'interprétation portant sur l'un des conflits de travail les plus importants à être surven.u dans l' industrie papetière canadienne. La méthode employée pour rendre compte de ce con.Oit de travail nous aura permis, d'une part, de montrer que la grève quasi-générale de 1975-1976 est survenue alors que prévalaient des conditions objectives défavorables, et d 'autre part, d 'expliquer que malgré ces dernières, les travailleurs du secteur papetier ont su soutirer à leurs employeurs une série de gains relatifs.

Pour s'en convaincre, aplès y avoir ~é de quelques considérations générales se rapportant au conflit • contexte général de la grève, contexte particulier sbawiniganais, terminologie relative au processus de négociation dans l'industrie papetière - , notre démonstration s'est attardée à présenter comment les trois conditions défavorables relevées ont été mises en place. Ces trois con.ditions étaient, rappelons-le, la fondation du SCI'P et sa principale conséquence • l'absence d'un fond de gteve • , l'offensive menée par le gouvernement fédtral contre 1' inflation ct le refus de négocier manifesté par la partie patronale des diflërents groupes de négociation.

Par la suite, nous avons observé que la solidarité des travailleurs, le précédent avorté de la lrwing Pulp ct la stratégie syndicale sont venus mettre à l'épreuve le contexte établi par ces trois conditions. Qui plus est, ils devaient passablement influer à la fois sur le cours des événements durant la grève et sur les termes de l'entente conclue à la suite de celle-<:i.

Enfin, à la lumière de la convention collective obtenue par les travailleurs de l'usine

18 Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1

Page 20: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

Belgo, nous avons pu cooSlater que malgré la dw-te du coo.fiit de travail. ce demier 3llla été bénéfique pour les travailleurs daos la mesure où c:eux.çi oot réussi à surmonter le contexte défavorable pour obtenir une série de gains plus ou moins considérables.

Par ailleW$, cette dernière recherche nous a permis de prendre connaissance de toute la dynamique entourant la négociation collective co milieu industriel. Croyant au départ étudier uoe simple partie de bras de fer cotre la direction d'une usine et le syndicat représentant ses travaiUeurs36

, nous nous sommes plutôt butés à un affrontement digne des J.iaues majeures, uo affrontement opposant la haute direction d'une série de compagnies papetières aux dirigeants hauts-gradés d 'une o~gaoisatioo syndicale pan-<:anadienoe. D'ailleurs, l'étude d'uo tel affrontement soulève la question de l'élitisme dans le mouvement syndical contemporain. En effet, à l' instar des petites o~gaoisations de travailleurs spécialisés du début du siècle, nous avons pu cooSlater que les travailleurs les plus nombreux d'uo secteur d'activité économique -comme les travailleurs de l'industrie papetière au Canada - constituaient désormais les plus privilégi~. parce que disposant - pourrait-on dire - d'uo moyen de pression de masse.

Certes, l'expansion connue par cette forme d'élitisme a c:ootribué au cours des dernières déceonies à démocratiser le syndicalisme, rejoignant ainsi autant des travailleurs qualifiés, que des travailleurs semi­quali.fi~ OU DOD~és. Or, cet élitisme version fin XX'- siècle n'est-il pas malsain socialement dans la mesure où il contribue à renforcer les disparités cotre les groupes de travailleurs? Est.çc que l'expansion connue par cet élitisme oe s'est-eUe pas effectuée au détriment des petits syndicats présents dans les secteurs moins importants de l'activité économique? Et ces petits syndicats, peuvent­ils encore espérer pouvoir obtenir uo jour des conditions semblables à oeUes de leurs confrères représentés par des organisations

"À l'origioe, nous oe devions éludier que le ooofli1 sbawioig1nais, et oon la grève quasi-géoérale dans sa totalité.

syndicales regroupant plus de membres? Faute de o 'avoir de réponses à ces quelques questions, nous laisserons ici la parole à qui voudra bien la prendre ...

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 19

Page 21: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

LE CENTENAIRE DELA VILLE D'ASBESTOS INC.

LA SOCIÉTt D' HISTOIRE D'ASBESTOS

Afin de souligner les fêtes du Ceatenaire d' Asbestos et Je 50- de la Grève de r Amiante, la Société d'Histoire d' Asbestos lance un appel Son objectif est de recueillir un grand nombre d'articles, afin de constituer le cataiogue qui doit accompagner l'exposition intitulée : La Gme au quotidien.

Les articles retenus démontreront la Gme vécue de l'iutérieur : ils appartiendront à l'histoire des mentalités (école des Annales). Ds devront également êlre inédits et faire preuve d'originalité dans leur approche du sujet. Nous porterons une attention toute particulière aux textes ayant comme sujet le rôle des femmes lors de la grève.

Les textes devront nous parvenir au plus tard le 30 mai 1999. Chaque envoi doit componer Je nom de l'auteur, son stanrt, son adresse complète et son courrieL Les textes devront êlre envoyés SUl' support informatique.

Pour de plus amples informations, veuillez contacter :

Élise GRIMA!U> Responsable Comité de Lecture Société d 'Histoire d'Asbestos 2920 La Dauversière •s Sherbrooke (Québec) JIL 188

Courriel : ygrim@videotron .ca

342, rue Pnnne1on. Asbes1os (Québec) JIT 4VI Tél. : (819) 879- 1999 Fax : (819) 879-6574

Page 22: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

ARTICLE

L'INDUSTRIE DU TABAC DANS LA VILLE DE GRANBY: ÉTUDE ICONOGRAPHIQUE

par Dominic Duford, département d'histoire, U niversité de Montréal

Dans les pages qui suivent, nous présentons,

à 1 'aide de photographies', les différentes étapes du

travail dans 1 'industrie du tabac. Cette indusaie, qui t

s'établit dès le début du XX siècle, constitue un des

grands secteurs de l'activité industrielle de Granby.

Après avoir expliqué le contexte du

développement de l'industrie dans cette ville sise à la

limite de la Montérégie et des Cantons de l'Est, nous

aborderons l'industrie du tabac proprement dite.

Nous disposons du témoignage d'un ancien cigarier

de la Payne Cigars, qui viendra nous renseigner sur le processus de travail dans une manufacture avant

l'avènement de la mécanisation. Nous verrons

ensuite un processus de travail différent, dans une

usine mécanisée, celle de 1 'Imperial Tobacco Co.

Nous étudierons son établissement à Granby et sa production !l'écanisée Tout comme pour la Payne

Cigars, nous analyserons aussi les conditions de

travail des ouvriers jusqu 'à la disparition de

1 'industrie du tabac i Granby, a la fin des années

soiltante.

'Toutes les photographies utilisées dans cene étude sont tirées des archives de la Société d"histoire de la Haute-Y amas/ca (S.H.H.Y.) à Granby. Sincères remerciements à Richard Racine, Johanne Rochon, Mario Gendron et Chantal Leduc pour leur collaboration à la Société d'histoire. Merci aussi à Bernard Dansereau, qui a rendu possible cette publication, et mes précieuses relectrices.

CONTEXTE DU DÉVELOPPEMENT

INDUSTRIEL À GRANBY

Avant de nous lancer dans l'étude de la

production indusaielle du tabac à Granby, établissons

le contexte particulier de son industrialisation.

Les facteurs matériels de l'iudustriali.satlon

Le comté de Shefford, dans lequel se situe la

ville de Granby, fait partie des Cantons de l'Est.

Cette région fut peuplée, à l'origine, par des fermiers

américains en manque de terres2• Jusque vers la

moitié du XIXe siècle, la population y était peu

nombreuse et essentiellement rurale. Dès les années

1830, de petits hameaux, où l'eau était disponible et

où des industries artisanales (comme les moulins à

scie et à farine) tiraient l 'énergie hydraulique des

chutes d'eau, couvrirent le territoire en bordure des

quelques routes, de peuplement et d 'échanges,

tracées dans le comté). Ces agglomérations étaient

avant tout des centres d'échange et de production

pour le marché que constituaient les habit:mts des

campagnes environnantes•.

2 Jean-Pierre Kesteman dans Yves Fortin, Houses in Eastern Townships, les Cantons de /"Est des origines à /900, Synercom téléproductions, Montréal, cl995, vidéo cassette, (25min. 30sec.).

) Robert Gagnon, Les Cantons de l"Est.lnitiation à la géographie régionale, MontréaVToronto, Holt Rinehart et Winston, 1970, p.l5.

• Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, Histoire du Québec Contemporain, de la

Bulletin du RCHTO. no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 21

Page 23: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

Le village de Granby est avantageusement

établi à la limite de deux régions géographiques: la

plaine de Montréal, dans sa partie occidentale, et le

bas plateau appalachien, à l'est. Elle est donc au

centre de l'axe Montréal - Sherbrooke (qui est déjà

un centre régional de plus de 3000 âmes en 1871)5•

La rivière qui traverse la ville d'est en ouest est la

branche nord de la Yarnaska, qui fournit alors une

bonne force hydraulique aux différents moulins.

Dans les années 1860, aux côtés

d'entreprises plus traditionnelles (moulins à scie,

moulins à farine ... ), en apparaissent de nouvelles

comme les tanneries qui utilisent l'écorce de proche,

une ressource très abondante du comté de Shefford.

C'est la famille Miner qui a établi ces premières

tanneries, constituant la base de l'industrie à Granby.

Cet essor de l' industrie se déploie à l' intérieur d'une

deuxième phase industrielle, où les fonctions de la

ville vont se transformer avec la révolution des

transports. Granby devient alors un petit centre

industriel. Des industries légères de transformation

du caoutchouc, du tabac et des textiles, viennent alors

prendre Je re.lais des industries pionnières.

Ce type d 'industrie de transformation s'était

d'abord développé dans les grands centres urbains

dès les années 1850. C'est alors à Montréal que se

concentre plus de la moitié de la production

manufacturière du Québec6• La plupart des industries

qui s'établissent au Canada sont situées dans l'axe

Saint-Laurent - Grands-Lacs, mais elles n 'ont pas le

Confédération à la crise (1867-1929), Montréal, Boréal, 1989, tome 1, p.l65.

5 John A. Dickinson, Brian Young, Brève histoire soc•o-economique du Québec, Septentrion, Sillery, 1995, p.l76.

6 Linteau, Durocher, Robert, Histoire du Québec Contemporain ... , tome 1, p. l69.

port de mer, ouvert à l'année, dont elles ont besoin

pour rivaliser avec les villes de la Côte est des États­

Unis. Le chemin de fer représente donc la solution

idéale pour contrer leur isolement hivernal.

Rappelons que l'avènement du rail constitue

une véritable révolution dans l'histoire des transports.

La vitesse de déplacement passe de moins de 10

milles à l'heure (traction animale), à plus de 50 en

train. De plus, les caprices de la température ne

l'arrêtent pas et <<il est aussi régulier que l 'horloge»'.

Les Cantons de l'Est, situés entre Montréal et

l'Atlantique, furent ainsi couverts d'un réseau

ferroviaire relativement dense, qui faisait le lien avec

les ports de mer canadiens et américains'. Avec

l'arrivée du Stanstead, Shefford & Chambly Railroad

vers 1859-1861, le village de Granby est donc relié

au réseau ferroviaire. Une voie de prolongement est

construite en 1878 pour atteindre les autres centres

industriels des Cantons de l'Est, comme Magog et

Sherbrooke, et enfin rejoindre les États-Unis'. Mais

si la construction du réseau de transport ferroviaire

semble d'abord répondre aux intérêts des grands

industriels, le financement privé et les levées de

fonds municipales ont interpellé les élites locales.

Tableau 110

~T tM1 l 1Mt : t.oot ; , .,,,

1 Thomas Coltrin Keefer, Philosophy of railroads and other essays, University of Toronto Press, c.l972, p.xxvii.

• Gagnon, Les Cantons de l'Est ... , p.l3-14. ' J.Dereck Booth, Rai/ways of Southem Québec,

vol.l, Railfare, Toronto, 1982, p.79. 10 Statistiques Canada, Recensement de 1911,

<<manufactures», vol.3 , p.362 et 364.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 22

Page 24: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

Lors de la deuxième phase industrielle, on

assiste aussi à un grand mouvement de concentration

industrielle, qui mènera à la domination de la grande

entreprise. Au tableau 1, on remarque que le nombre

d 'établissements manufacturiers diminue à Granby

au cours des années 1881-1911, alors que le capital

engagé, le nombre d 'employés et la masse salariale

augmentent Les entreprises prennent de l'envergure

et emploient d'avantage de travailleurs pour produire

à une plus grande échelle. C'est pendant cette phase

que se développent les grands secteurs de l' industrie

de Granby, ainsi que leurs grandes entreprises: la

Granby Rubber, la Miner Rubber, la Granby E/astic

Web pour le caoutchouc, l'Empire puis l'Impérial

Tobacco Co. pour le tabac. Ainsi, la spécialisation

dans l'industrie du caoutchouc et du tabac à Granby a

été une base industrielle solide, qui employait, dans

quatre grandes entreprises, plus de la moitié de la

main d'oeuvre de la ville en 1911 11 •

Les effets de l'économie de guerre ( 1914-

1918) nous montrent la consécration de Granby

comme pôle industriel de premier plan dans sa

région. Les vagues de concentration des entreprises

ainsi que le développement des transports routiers

viennent accentuer la réalité industrielle de la ville.

Granby attire alors des entreprises de l' industrie

légère comme la Giddings Limited, qui fabrique des

meubles ( 1929). Dans le secteur du textile, la Carl

Stohn of Canada Ltd. (1924), la Nordic Hosiery

(1929) et I'Esmond Mills (1930) comptent aussi

parmi les grands employeurs de la ville".

11 Richard Racine, Johanne Rochon, De la «Main» à la Principale, Société d'histoire de Shefford, 1995, p. lO.

12 H.W. Gendreau, Tne Granby Directory 1930, Montréal, H.W. Gendreau, 1930, p.20.

Les fac.teurs humains de l' industrialisa tion

Le chemin de fer n'est pas à lui seul une

garantie de progrès économique et social: <dl n'est

qu'une clé du développement, c 'est aux

entrepreneurs d 'ouvrir les portes>>". L'action des

entrepreneurs locaux est donc fondamentale pour le

développement de l' industrie. À Granby, le

développement industriel demeure strictement local

jusque dans les années 1880. À partir de là, des

hommes influents pourvus de capitaux, des

commerçants et des industriels (du village, de la

région ou de l'extérieur), sont intéressés à investir

dans de nouvelles entreprises, selon les avantages

qu'on leur offre. Les différentes villes se font

compétition pour attirer ces investisseurs. On vote

des exemptions de taxes, des subventions à la

construction, des rabais sur l'énergie ... la meilleure

offre l'emporte.

Sur ce plan, Granby s'est vite imposée

comme pôle industriel régional, drainant vers elle les

capitaux et la main d 'oeuvre. Une grande part de ce

succès est attribuable à l' implication des élites

locales dans le processus d ' industrialisation.

D'ailleurs, plusieurs hommes d'affaires importants

furent maires. Un très bon exemple pamù ceux-<:i est

Stephen Henderson Campbell (S.H.C.) Miner (1835-

1911). C'est lui qui a donné un visage industriel à la

ville. Après avoir pris en main la tannerie de son

père, il se lance dans diverses industries qui le

mènent à la fondation de la Granby Rubber, une

usine de transformation du caoutchouc en 1883. On a

dit que c 'est avec cette entreprise que s 'enclenche le

processus d' industrialisation à Granby. S.H.C. Miner

a été maire de 1873 à 1877 et de 1893 à 1911, mais

u Booth, Rai/ways of Southem Québec ... , p. 54.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 23

Page 25: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

ce personnage dépasse largement le cadre régional

par son influence. Ses liens avec la Eastern Township

Bank, ses relations avec les bourgeoisies de Montréal

et de Boston, de même que ses parts dans des

entreprises minières dans l'Ouest (Yukon, Colombie

Britannique ... ), en font un ambassadeur actif et

efficace.'•

Après les anglophones, ce sont maintenant

des membres de la bourgeoisie canadienne-française

locale qui prennent la relève à la mairie. Pierre­

Ernest Boivin dirige la ville de 1917 à 1933. En

1911, il avait fondé la Granby Elastic Web, une autre

entreprise du secteur du caoutchouc. On y emploie

300 travailleurs en 193015• Son fils, Pierre-Horace

Boivin, sera maire de Granby de 1939 à 1964. Ce

dernier continuera à administrer la ville dans

l'optique du développement de la grande industrie.'6

À l'autre bout de l 'échelle sociale, la

disponibilité de main d'oeuvre ouvrière est

extrêmement importante pour le développement des

usines. Comme le bassin de population qui entoure

Granby est vaste, et que l'industrialisation vient

accentuer l'exode rural, la municipalité attire une

bonne part de ce nouveau prolétariat fortement

francophone. On le voit à l'aide des données de la

population rurale par rapport à la population urbaine

dans le comté de Shefford au tableau 2.

•• La Société d'histoire de Shefford, La MRC de la Haute-Yamaska : une histoire à découvrir, M.R.C. de la Haute-Yamaska, [s.!.], 1993, p.38.

IS Gendreau, The Granby Directory 1930 ... , p.20. 16 Aimé Dorion, dir., Les bâtisseurs de Granby, Un

siècle d 'histoire 1859-1959. La Voix de l'Est, Granby, c.l960, p.23-25.

Tableau 217

1 POPUI.A T'K)N RURALE ET tJRBA.toiE (SHEF"FOA:D)

"'"~·.~~:· • • • 10000 1 ft

.......................... :~·::-.. ~·-

,~

·~~~~~~~~~ 1111 tNt nt1 1to1 1111 ANH~S

Avec l'arrivée de la main d'oeuvre

canadienne-française à Granby, c'est aussi l'équilibre

qui s'était établi entre les anglophones et les

francophones à l' intérieur de la municipalité qui se

transforme. En effet, depuis les années 1870, les

francophones représentaient environ la moitié de la

population urbaine. lls atteignent la proportion de

72% en 1901 et celle de 86% et 193118•

En somme, le développement des grands

secteurs industriels à Granby (caoutchouc, tabac,

textile) a été favorisé par des facteurs géographiques,

comme le bon débit de la rivière, nécessaire pour

1 'énergie hydraulique, et sa position centrale entre les

pôles industriels de Sherbrooke et de Montréal, dont

les marchés sont rendus accessibles par le chemin de

fer, mis en place au XIX' siécle, et par le réseau

routier, qui se développe au X:XC siécle. Au plan

humain, le grand bassin de main d 'oeuvre ouvrière à

bon marché des villes et campagnes environnantes a

permis aux élites locales de mener à bien leur idéal

de développement industriel à Granby.

11 Statistiques Canada, Recensement de 1931. "La Société d 'histoire de Shefford, La MRC de la

Haute-Yamaska ... , p.39-40.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 24

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Page 26: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

L 'industrie du tabac à Granby

Maintenant que nous avons une idée du

mtexte d'industrialisation de Granby, nous pouvons

tuer dans le monde des manufactures de tabac qui

pèrent dans cette ville. Le secteur industriel du tabac

st t'un des trois plus importants qu'on retrouve à

iranby. Il est aussi l'un des géants industriels du

~ébec. Bien que concentrées à Montréal, les usines

te transfonnaùon du tabac sont aussi répanies à

ravers le Québec. Dans les années 1950, on en

retrouve à l'Assomption, à Joliette, à Napierville, à

Qu~bec et à Granby19

LA PREMIÈRE MANUFACTURE DE CIGARES :

LAPAYNECIGARS

La manufacture de cigares Payn11 Bros. &

MacfarlaM: Licensed Cigar F ac tory a été fondée en

1886 par Savage et McCanna de Granby. En 1889

George F. Payne, son frère J. Bruce et J. McFarlane

ta rachètent. En 1900, on y fabriquait à la main

environ 12. 000 cigares par jour, fruit du travail de

110 employb. Cette manufacture a foncùonné jusque

dans les années 1930. Elle n'aurait jamais été

mécani*, l'électricité ne servant qu'à l'éclairage110

Comme le montre ta photographie 1, datée

de 1900, on avait recours à une main d 'oeuvre peu

spécialisée. où les femmes et les enfants abondaient..

Pour rendre compte des conditions de travail dans

ceue usine, nous nous référons au t~moignage de

1"r.ucien Perreault, Le syndicat dans l'industrie manufacturiùe du tllbac, Thèse de Relations industrielles, Université de Montréal, 1952., p.lO.

"'Mario Gendron et Dan.iel Beauregard, «Un travailleur de c~ "Payne cigars" nous raconte. .. », La Revue d'Histoire du comté de Shefford, vol.2, no.!, 1981, p.9.

Arthur Morris, qui a accordé une entrevue Qu

personnel de la Société d'histoire de Shefford, alors

qu'il ~tait âgé de 94 ans21•

M. Morris a commencé à travailler à la

cigarerie à l'âge de 13 ans, le 28 août 1901. Il a eu

une fonnaùon d'apprenti sous la supervision d'un

«teacher» (contremaître) qui dura trois ans. Son

salai.re était alors inférieur à celui des hommes de

métier. Toutefois, il affirme qu'il savait son travail

bien avant que les trois années d'apprentissage soient

terminées. Devenu cigarier, il était payé à la pièce.

soit 8$ pour mille cigares. La moyenne de production

par jour est de 250 selon lui, ce qui correspond à un

salaire de 2$ par jour. Les semaines étaient de 55

heures. A partir du mois d'octobre, les ouvriers

devaient travailler le soir, pour combler la forte

demande du temps des fêtes.

Cependant, il faut prendre en com.pte que

plusieurs restrictions s'appliquaient sur les salaires.

Si l'ouvrier utilisait trop de tabac pour faire ses

cigares ou encore s'il faisait des cigares ne répondant

pas aux normes de qualité, il devait les payer de sa

poche. Les salaires baissaient l'hiver à 7$ pour mille

cigares car on retenait une partie des salaires pour

21Gendron et Beauregard, «Un travailleur de chez "Payne cigars" nàus raconte ... » ... , p.9-14.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 25

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Page 27: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

chauffer l'usine. L'ouvrier devait aussi payer ses

outils dès son entrée à l'usine, alors qu'un montant

était retenu à cette fin sur sa paye. Les femmes

formaient environ la moitié de la main d'œuvre:

elles étaient 60 à 75 employées sur un total d'environ

110, mais elles gagnaient moins que les hommes.

Dans cene manufacture d'une centaine

d'employés, la syndicalisation ne semble pas avoir

été un enjeu important. À un certain moment, les

ouvriers auraient revendiqué une hausse de salaires et

voulu faire la grève, selon M. Morris. Mais ce matin

là, la police était déjà sur place et la situation

n 'aurait pas duré plus de quelques semaines. Est-ce

qu'il y a eu grève? On ne le sais pas vraiment, mais

M. Payne, le propriétaire, aurait exposé aux

employés ses dépenses et démontré qu'il ne pouvait

pas hausser les salaires. Alors les ouvriers ont

regagné leur travail <d'air contents que ça soit fini>>22•

Du point de vue de 1' organisation de la

production, en plus de savoir que tout se faisait à la

main, on apprend que l'usine était en bois (on le voit

sur la photo). Dy avait une section de brique destinée

au séchage du tabac en provenance de Joliette et de

Saint-Césaire. Au deuxième étage, les cigariers

avaient chacun leur table de travail, sur environ

quinze rangées. Les «écotonneuses», ces filles qui

triaient Je bbac et qui éb.ient payées :1 b liv-re,

occupaient le reste du plancher. L'étage supérieur

était destiné au séchage du «filler» (le tabac dont on

remplissait les cigares), on en faisait aussi le tri, en

préparation de son utilisation par les cigariers. Au

premier plancher, on retrouvait les bureaux du

propriétaire et le département de l'emballage.

22 Gendron et Beauregard, «Un travailleur de chez "Payne cigars" nous raconte ... » ... , p.l3.

Finalement, des commis voyageurs vendaient la

production de cigares dans divers points de vente. On

comprend bien que le procédé de production à la

main n'a pas pu longtemps faire face à la production

mécanisée qui était bien plus rentable. L'usine ferme

donc ses portes vers 1930.

M. Morris quitta la cigarerie Payne en 1918.

Il se disait tout de même très heureux dans cet

emploi, mais il n'y voyait plus de possibilités

d'avancement. Il transféra alors à l'Impérial Tobacco

Co., où il travailla au département des expéditions

jusqu'en 1950. Nous suivrons le même chemin que

M. Morris, en nous dirigeant maintenant vers une

nouvelle entreprise établie à Granby.

LA GRANDE INDUSTRIE DANS LE SECTEUR

DU TABAC : L' IMPERIAL TOBACCO CO. 23

Nous entrons maintenant, avec l'Imperial

Tobacco Co., dans le monde de la grande industrie du

tabac. En effet, cette entreprise s'est affiliée, au cours

des vagues de concentration industrielle, aux grandes

entrepri.ses du tabac établies à Montréal, et par son

envergure, elle sera le deuxième plus grand

employeur de Granby, après la Miner Rubber.

L 'étab lissement de l'entreprise

L'usine s'installe à Granby en 1896, grâce à

l'action directe du maire S.H.C. Miner, qui a usé de

ses importants contacts dans le monde des affaires

pour convaincre John Archibald, propriétaire d' une

23 Les informations .concernant l'Impérial Tobacco Co. sont tirés de divers dossiers de la S.H.H.Y. lls sont identifiés selon la méthodologie habituelle, sinon ils le sont par la mention «Dossiers de la S.H.H.Y. sur l' Impérial Tobacco Co.)>.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 26

usine

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Pt

Page 28: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

! ;ine de transformation du labac à Montréal qui a

rûlé en 1895, de reconsuuire son usine à Granby. n li promet en ~e une subvention à la

.onstruction des installations (25 000$), une

1

:Xemption de taxes et l'assurance d'une main

l'oeuvre abordable et abondante. Une résolution en

::e sens est passée au conseil du village de Granby le

25 juillet 1895, où siégeait le maire Miner, et les

arrangements sont conclus avec M. Archibald.

L'usine de l'Empire Tobacco Company est alors

construite sur la rive nord de la rivière Yamaska, au

coùt de 14 390$lol. On peut voir une photo aérienne

des installations en 1931 à la photo 2.

Photo 2

Pour commencer la production, l'entreprise

avait besoin de main d'oeuvre spécialisée. Comme

les nouveaux employés de Granby ne connaissaient

pas la production manufacturée et mécanisée des

produits du tabac. l'entreprise a «importé» de ses

anciens ouvriers de Montréal pour qu'ils transmettent

leur savoir faire. lls se sont rapidement intégrés à la

loi E.A. Graham, His tory of the Empire Branch of The Imperial Tobacco Company of CaNula LimiUd, Granby, Quebec, For Granby Ceruenary, 19 march 1959, p.l. (Dossiers de la S.H.H.Y sur l'Impérial Tobacco Co.).

population ouvrière de Granby"'. La photo 3 nous

montre des employés photographiés devant l'usine

vers 1910. Encore une fois, on remarque le nombre

élevé de femmes et d'enfants qui y travaillent.

Photo 3

Lors des vagues de concentration

industrielle, les parts de la compagnie sont rachetées

en 1898 par la American Tobacco Company of

CaNula Limited et en 1908, l'Empire Tobacco est

rachetée par Imperial Tobacco of CaNula Limited.

Dans l'usage commun, on continue toutefois à

appeler l'usine de l'Imperial Tobacco Co. qui se

uouve à Granby la «branche Empire». L 'entreprise

compte alors 225 employés et elle est en constant

développemen?4.

Manquant d'espace dés 1896, l'usine doit

agrandir ses locaux. Sans faire un inventaire détaillé

du développement des bâtiments, disons qu'en 1955,

elle compte trois bâtiments principaux destinés à la

production manufacturière, un dépôt, une centrale

électrique et 13 entrepôts, qui couvrent au total

environ 350 000 pieds carrés de surface21•

zs Graham, History of the Empire Branch of The Imperial Tobacco Co ... , p.2.

u Idem., p.4. 21 Phil Glanz.er, «lmperial's Granby Plant», Tobacco,

The international MagtU:ine (U.S.), December 16, 1955, p.lO.

Bulletin du RCHTO, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 27

------ - ------ ------------------

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Page 29: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

La production industrielle

La production industrielle est un mystère qui

se cache derrière chaque produit de consommation.

mais elle constitue une réalité qui touche de près la

vie des ouvriers qui y travaillent. Voyons maintenant,

à l'aide de la photographie, les étapes de

transformation des produits du tabac, du milieu

agricole jusque dans les caisses du département des

expéditions de l'usine de Granby. Nous nous sommes

basés sur un article de 1955, où l'on décrivait

quelques procédés de transformation du tabac23•

Photo 4

D'abord, on retrouve le tabac au niveau de

l'industrie primaire, datl$ les champs. A la photo 4,

nous voyons des femmes qui étendent les feuilles de

tabac. La production agricole du tabac n'existe pas à

Granby, ni datl$ la région immédiate. C'est surtout

dans la région de Joliette, dans le sud-ouest du

Québec et en Ontario que se situe ce type de

production29• On entrepose ensuite le tabac dans des

séchoirs pendant plusieurs années pour qu'il

23 Glanz.er, «lmperial's Granby PlantJt ... , p.ll. 29 Lucien Perreault, Le syndical dans l'industrie

manufacturière du tabac ... , p.9.

fermente. On peut apprécier les proportions d'une de

ces installations à la photo 5.

PhotoS

Après cene étape de séchage, le tabac est

transporté à l' usine en barils de 900 livres chacun.

C'est alors qu'on humidifie le tabac à l'aide du

«Thermo-Vactor», une machine qui permet de rendre

les feuilles de tabac pliables sans qu'elles ne se

cassent (p.boto 6).

Photo6

On sélectionne ensuite les boMes feuilles de

tabac, on les coupe et on fait «resécher» ce tabac.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 28

Page 30: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

C'est ensuite qu'on mélange les divers grades de

tabac dans une machine prévue à cette fin (photo 7).

Photo7

Une fois ces opérations de traitement de la

matière première effectuées, on entre dans la

fabrication usinée des produits du tabac. Si on ne

produit pas de cigarettes à l'usine de Granby, les

cigares et le tabac en tablettes (pour la pipe ou à

chiquer) constituent des spécialités de l'entreprise.

On voii à la photo 9 un exemple de la production de

cigares où, contrairement à ce qu'on voyait à la

cigarerie Payne, la maclùne est au centre de la

production. Cette machine sert à rouler les cigares.

Photo9

La dernière étape dans la chaîne de

production à l'usine est celle de l'empaquetage

(photos 10 et 11). Il s'agit d'une étape qui varie

selon le type de produit à emballer, car chaque

produit a son propre emballage. Une fois les produits

empaquetés, ils sont expêdiés dans les points de

vente. Nous sortons alors du cadre de la production.

Photos 10 et 11

Une spéclallté: le tabac à chiquer

Pour revenir à la production, le tabac à

chiquer était la grande spécialité de l'usine de

Granby, qui produisait «<a plus grande partie du tabac

à chiquer au Canada»30• Voici donc, tiré ·des dossiers

30 Dossiers de la S.H.H.Y sur l'Imperial To!Jacco Co., Feuillet sur la production du tabac à chiquer, p.l.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 29

Page 31: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

de la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, le

processus de fabrication du Jabac à chiquer,

qu'exécutent les travailleurs de l'Imperial Tobacco

Co. de Granby.

D'abord, le tabac nécessaire à la fabrication

du tabac à chiquer en est un à feuilles épaisses

provenant des exploitations agricoles ontariennes. Ce

tabac séchait de 7 à 8 semaines à l'air libre puis était

accroché dans de vastes hangars. Aprés cene étape de

séchage, on l'envoyait à l'usine pour le traitement

manufacturier.

Des feuilles sans trous étaient alors

sélectionnées pour servir d'enveloppes extérieures

(photo 12) , car le tabac à chiquer se présentait

généralement en !ablettes enveloppées d'une feuille

de Jabac. cLes feuilles sélectionnées devaient être

suffisamment souples et robustes pour envelopper

uniformément la tablette de Jabac sans se briser aux

pliures»31•

Photo 12

Pour le Jabac à chiquer proprement dit,

plusieurs étapes de traitement étaient nécessaires.

31 Dossiers de la S.H.H.Y sur l'Imperial Tobacco Co., Feuillet sur la production du tabac à chiquer, p.L

D'abord, le Jabac était trempé dans un mélange de

réglisse, mélasse et autres ingrédients où on le laissait

macérer pendant 5 jours. Les feui.lles collantes de

tabac qui sortaient du mélange étaient alors pesées et

séparées (p h.oto 13), avant d'être enveloppées sous la

forme de tablettes dans les feuilles préddemment

sélectionnées (photo 14).

Photo 14

On pressait alors les Jableues dans des

presses de fonte pendant environ une heure (photo

15) et on les faisait macérer à nouveau dans des

contenants de bois pour 3 autres jours. «La chaleur

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 30

Page 32: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

qui y régnait mûrissait et scellait la saveur et la

qualité du produit» l2. La dernière étape est

l'emballage et la distribution dans les différents

points de vente.

Photo 15

La production du tabac à chiquer était la

s~alilé à l'usine de Granby, mais on reconnaît dés

les années 1950 que sa vogue va en diminuantn. Ce

type paniculier de tabac garderait toutefois ses

adeptes traditionnels parmi les pêcheurs, les mineurs,

les bûcherons et les joueurs de base-ball34•

Les ouvriers et les conditions de travail

En dehors de la production manufacturière,

les ouvriers de rimperia/ Tobacco Co. forment un

groupe social qui se distingue sur plusieurs aspects.

L'appanenance à l'entreprise, les amitiés qui s'y

forment et l'encadrement qu'on leur offre constituent

l2 Dossiers de la S.H.H.Y sur l'Imperial Tobacco Co., Feuillet sur la production du tabac à chiquer, p.2.

33 Glanzer, «lmperial's Granby Plant» ... , p.11 34 Dossiers de la S.H.H.Y sur l'Imperial Tobacco

Co., Feuillet sur la production du tabac à chiquer, p.2.

une sociabilité toute particulière au milieu de travail.

La photographie 16 montre des ouvriers qui sortent

de l'usine après leur journée de travaiL On remarque

même un homme, en bas à droite ... avec sa cigarene!

Photo 16

En relation avec le développement de

l'entreprise, les effec.tifs ouvriers augmentent. En

1930, on compte 700 employés dans l'usine de

l'Imperial Tobacco Co. à Granby35• En 1947, la

compagnie fait du recrutement auprés des femmes

dans les pages féminines d'un quotidien local. Cette

demande d'employées montre encore les besoins

croissants de cene entreprise en expansion:

«Demande des jeunes filles pour travail de manufacture. Salaire, plus de 17,50$ par semaine en commençant, semaine de 5 jours, samedi libre. Augmentations dues d'aprês expérience acquise. Plusieurs autres avantages.»".

En 1955, on compte 690 employés au service

de rusine de Granby, dont 19% font partie du club

des «quart de siècle,., qui regroupe les employés qui

35 Gendreau, The Granby Direccory 1930 ... , p.ZO. 36 La Voix de l'Est, 31 juilletl947.

Bulletin du RCHTO, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 31

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Page 33: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

ont 25 ans et plus de service. En 1959, ce sont 160

des 600 employés qui cumulent les 25 années de

service, soient 27% des employés. n s 'agit d'une

preuve des bonnes conditions de travail des ouvriers

selon la compagnie, mais cela nous montre aussi le

vieillissement de la main d'oeuvre dans

l'entreprise".

À la fin des années 1950, les employés

profitent de nombreux avantages sociaux fournis par

la compagnie, qui dit veiller sur la santé, la sécurité

et le bien-être de ses employés. Un plan de pension,

l'assurance hospitalisation, l'assurance médicale et

l'assurance vie, des vacances payées, une clinique

médicale avec un médecin attitré et des rayons X à

tous les deux ans sont des mesures sociales que

l'entreprise se vante de fournir à ses employésn.

Mais si 1' entreprise veut faire miroiter les

conditions de travail idéales qu'elle offre à ses

employés, il faut aussi voir le rôle qu'ont joué les

employés dans l'obtention de ces mêmes conditions

de travail. Les employés de l'Imperial Tobacco Co.

de Granby sont syndiqués, contrairement aux

employés de la cigarerie Payne au début du siècle.

En effet, le syndicat international des Tobacco

Workers International Union, dont le siège social est

à WashingtOn, représente les employés à l'intérieur

de la section locale 242. Ce syndicat est affilié à

l' AFL (American Federation of Labour) et au CMTC

(Congrès des Métiers et du Travail du Canada).

Lucien Perreault, dans sa thèse sur le syndicalisme

dans l'industrie du tabac à Montréal, compte qu'en

1942, 29% des employés du tabac dans les grandes

"Glanzer, «lmperial's Granby Plant>> ... , p. II. 31 Graham, History of the Empire Branch of The

Imperial Tobacco Co ... , pp.5-6.

entreprises du Québec étaient représentés par ce

syndicat. Ce nombre s 'est accru de 33% en sept ans

pour atteindre 62% en 1949, ce qui constitue une

forte poussée de la syndicalisation, 9•

On peut retracer la fondation du syndicat du

tabac à Granby en 1943, d'après les données

officielles du ministère du Travail du Canada, au

moment où l'on indique pour la première fois qu'il y

a un local du syndicat international des Tobacco

Workers International Union, à Granby'".

Le 14 août 1951, les employés syndiqués de

4 établissements affiliés au syndicat international des

Tobacco Worlœrs International Union (une section à

Hamilton, une autre à Granby et deux à Montréal),

sortent en grève contre 1 'Imperial Tobacco Co. À

Granby, ce sont 715 ouvriers qui n'entrent pas à

l'ouvrage41• lls réclament une nouvelle convention

collective, avec une augmentation salariale.. une

diminution de la semaine de travail de 42 à 40 heures

avec le même salaire net, la rêmunération de 12

congés statuaires, 3 semaines de vacances après 15

ans de services en plus d'un fond de retraite42• En

novembre, on évalue que 70% de la perte globale du

temps de travail au Québec est due à 2 cessations de

travail dont celle des travailleurs du tabac. On voit

l'envergure du conflit avec 3 690 travailleurs en

grève et 55 000 journées de travail individuelles

39 Perreault, Le syndicat dans l'industrie manufaClurière du tabac ... , tableau XVII.

'" Ottawa, Canada, Syndicalisme ouvrier au Canada, 1943, Ministère du travail du Canada, 1945, p.42.

41 «Strike at Granby Branch of Imperial Tobacco is called>>, Granby Leader-Mail, August 23, 1951, p.J.

42 Ottawa, Canada, Gazette du Travail, Octobre 1951, Ministère du travail du Canada, juillet­décembre 1951, p.1404.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 32

Page 34: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

perdues•'. Le conflit se règle fmalement le 24

septembre 1951, devant Je ministre québécois du

travail et conciliateur, M. Antonio Bnrrerte".

Nous n'avons malheureusement pas réussi à

mettre la main sur des photographies du syndicat ou

du conflit syndical de 1951.

LA FIN DE L'INDUSTRIE DUT ABAC

À GRANBY

L'usine de l'Imperial Tobacco Co. à Granby

fenne définitivement ses portes en 1969-197045•

Aprés 75 ans d'activités à Granby, toutes les

opérations sont transférées dans les usines de

Monlréal.

Ce qui reste aujourd'hui de l'activité

industrielle du tabac à Granby, c'est une partie des

Mifices du complexe de l'Imperial Tobacco Co.,

d'où leur signification historique pour la collectivité.

Ces bâtiments ont tout de même été menacés de

démolition pendant les années 1970, lors du vaste

mouvement de rénovation urbaine, qui visait la

<anodernisation» des infrastructures. La priorité était

alors accordée à l'augmentation des espaces de

stationnement, à l'élargissement et à la percée de rues

en vue d'un futur développement urbain qui n'a,

d'ailleurs, jamais eu l'ampleur escomptée.

•• Ottawa, Canada, Gazette du Travail, Novembre /951, Ministère du travail du Canada, juillet­décembre 1951, p.1531.

44 «Strike believed near settlement as Labor Minister

issues statement this afternoom>, Granby Leader­Mail, september20, 1951, p.l.

45 Ward McKenna, «A trip down Memmy Lane, Granby plant revisitem>, Leaflet, published by Imperial Tobacco Limited, vol.21, no.2, March 1985, p.S.

Heureusement, les principaux bâtiments, c 'est à dire

les plus représentatifs de leur fonction de production

industrielle (et qui s'avèrent Stre les plus grands et les

plus anciens), ont été préservés". Par contre,

plusieurs entrepôts du complexe de l'Imperial

Tobacco Co. ont été démolis.

Pendant un certain temps, les locaux ont

servi d'entrepôts à d'autres usines. L'Esmond Mills

est l 'une d'elles. Mais c'est à la fin des années 1970

qu • on prend conscience du potentiel de ces bâtiments

industriels désaffectés. On les recycle alors dans

diverses autres fonctions: des bureaux d'entreprise,

des ateliers, un restaurant, un bar, des boutiques et

même un centre d'art, le Haut ~ Imperial. La

conversion en appartements de type lofts aurait aussi

été tentée, mais avec peu de succés.

On reconnaît aujourd'hui que les édifices du

patrimoine industriel de ce type peuvent etre recyclés

de façon constructive et profitable pour la

communauté. ns ne sont plus nécessairement voués à

la démolition quand ils perdent leur fonction

d'origine. Comme les photographies d'archives

concernant l'industrie du tabac, ils constituent un

héritage majeur et témoignent, dans l'espace urbain,

de ce passé industriel qui a été Je quotidien de

plusieurs générations depuis plus d 'un siècle.

46 F.B.-P., «Ancienne Impérial: Les démolisseurs s'affairent sur la propriété de Chasco>>, La Voix de l'Est, 14 mai 1975.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 33

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Page 35: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

BffiLIOGRAPHIE

1· Sourus imprimées

DO$$itn de la S.H.H.Y sur l'Imperial Tobacco. Feuillet sut la production du tabac à chiquer. 2 pages.

Gendzttu, H.W. The Granby Dlrectory 1930. Montréal, H.W. Gendzttu, 1930.

Gralwn, E.A. History of the Empire Brando of The Imperial Toba«c O!mpany of Canada Umited, Granby, Quel>«. For Granby Centen.uy, 19 mareb 1959, p. l. ('Dœsim de la S.H.H. Y sur l'lmptrlal Tobacco ).

2· Publications offieleUes

Canada. Ottawa. Statistiques Canada, recensement de 1911.

Ctn•d• Ottawa. Swi.stiques Canada, =t de 1931.

Canada. Ottawa. Syndicolisme oiiVrier au Q!nada, 1943, Minimre du travail du Canada, v.33, 1945. p.42.

Canada. Ottawa. Gazette du Travail, Ministère du trava.il du Canada, v.Ll, juillet-décembre 1951.

3- Ouvrages géaérau

LiDreau, Paul-André, Dwocher, ~ Robert, Jean­Claude. Histoire d11 Qutb« O!ntmrporaÎll, tk la O!nftdbatton à la crùe (1867-1919). Éditions du Boréal, Montréal, 1989. Tome 1. 758 pages. (Coll. <dlorhl compacn> ).

Dickinaon, John A., Youug, Brian. BrM histoire socio­iconomiqlle d11 Québec. Septentrion. Sillery, 1995. 386 pages.

4- l\fonocraphles et ouvnges spéelaliUs

Booth, J.Dereck. Rail"'fZYS of Southern Qutb«. voll. Ra.il/are, Toronto, 1982. 160 pages.

Dorion, Aimé Les bâtisseurs de Granby. Un siècle d'histoire, 1859-1959. La Voix de l'Est, Granby, c.l960. 160 pages.

Fornn, Yves. Houses in ûutern Tow11Ships. les O>nto11S de l'Est des origines à 1900. Synereom téléproduetions, Montréal, c1995. 1 video cassette, (25 min 30 sec).

Gagnon, Robert. Les O!nto11S de l'Est, lnitiatit>n à la giographie régionale. Hoh Rineba.n et Winston, Montréal, Toronto, 1970. 84 pages.

l<eefer, Thomas Coltrin. Philosophy of railroads and other essays. University of Toronto Press, c.1972. 185 pages.

Perreault, Lucien. Le syndicOJ diUIS l'mdustrie manllfaawière d11 tabac. Thése de Relations industrielles, Université de Montréal, 1952. 110 pages.

Racine, Richard, Rocbon, Jolwme. De la ' MaÙI:o à la Principale. Société d'histoire de Shefford, 1995. 103 pages.

Soci~t~ d'histoire de Sbefford. La MRC de la Haute· Yamaska: une histoire à découvrir. MRC de la Haute­Yamaslca, [s.!.], 1993. 68 pages.

~Articles

Gendron, Mario et Beauregard, Daniel. «Un travailleur de chez "Payne cigan" nous raconte ... ». La Rev~~e d 'Histoire d11 comté de Shefford, vol.2, no.!, 1981. pages.9·14.

Glanzer, Pb.il. <dmperial's Granby Plant>> Tobacco, The International Magazine (U.S.), December 16, 1955. pages 10-13.

Mcl<enna, Ward. «A trip dovm Memory Lane, Granby plant revisitecbt. Leojlec, publisbed by Imperial Tobacco Limited, vol21, oo.2, March 1985. pages 4-5.

6- Joumaw:

«<ffre d'emploi de l'Imperial Tobacco».La Voix de l 'Est, 31 juillet1947.

«Strilce at Granby Bn.n<h of Irnperial Tobacco is caUecbt. Grt:nby Leatkr-Mail, August 23, 1951. p.l.

«Strilce believed near ~ttlement u Labor Minister issues statcment this aftemooD>t. Granby Leader-Mail, septembet20,1951.p.l.

F.B.-P. <<Ancienne Impérial: Les démolisseurs s'afthlrent sut la propriété de Cbasco». La Voix de l'Est, 14 mai 1975.

Bulletin du RCHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 34

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ARTICLE

Alm6 Guertln, lee travallleura foreatlera et la grtve du Cl6rton, 1833-1834

Par Jean-Marc Thibwlt, dép.nement d'histoire, Université d'Ottawa

L'augmentation chastique du taux de chômage ainsi que la détérioration des conditions de travail demeurent certes panni les conséquences les plus malheureuses de la Grande Crise économique des années 1930. Le secteur de l'industrie forestière ne tilt pas épa.tgné par la crise et les ouvrier.; forestier.; du Témiscamingue ont dénoncé cette situation lo:rs d 'une gtève qui, en décembre 1933, se termina dans la violence.

Le rôle du député de l'Assemblée Nationale Aimé Guenin dans l'amélioration des conditions des bûcherons du Clérion snite à leur ~ve de 1933 demeure plutôt méconnu. Quel a été l' impact immédiat des interventions du député bullais en ce qui a trait aux conditions de travail des bûcherons? n s'agira ici d 'établir quels ont été les principaux motifs idéologiques et politiques justifiant son engagement envers les travailleurs forestiers.

n est possible que l'implication de Guertin soit attribuable à ses fonctions à titre de député de l'opposition, ou encore à un désir d 'accumuler du capital politique. Qui plus est, il est fort probable que le député Guenin ait été motivé par la crainte d'une éventuelle popularisation des idées communistes.

Afin de répondre aux questions soul.evées, il importe tout d'abord d 'identifier quelles étaient les grandes lignes du contexte socio~oomiquc ct politique dans lequel s'est déroulée la gréve dl Clérion. Aprés avoir identifié les faits saillants de la carrière politique d'Aimé Guertin, nous recenserons les principaux motifs idéologiques justifiant l'engagement du député dans la cause des travailleurs forestiers, puis nous retracerons les grandes lignes du dénouement de la ~ve dl Clérion, pour ensuite examiner quels étaient les principales solutions préconisées par le député bullais.

Pour ce faire, la présente étude repose sur des sources variées, à savoir des coupures de presse, des documents officiels, ainsi que des

notes manuscrites ayant appartenues Ill

député. L'originalité de ces deux dernières catégories de sources conftre au travail une certaine complémentarité par rapport aux études déjà existantes' . Outre la singularité des sources consultées, mentionnons enfin que l'historio-graphie n'a que trés rarement évoqué le discou:rs que tenait l'opposition officielle lo:rs de ce cooflit. Nous croyons donc qu'une analyse de sources tirées du fond personnel de celui qui fût <<Whip» du Parti conservateur du Québec serait susceptible de pallier à cette lacune.

De l'exploitatio n forestièr e au Témiscamin,ue : le contexte socio­étonomique de la grève du Clérion

n importe tout d 'abord de tracer un portrait sommaire du contexte socin­économique de la grive du Clérion.

n est possible de résumer en trois gr.mdcs périodes l'évolution de J'exploitation forestière au Témiscamiogue, de ses origiDcs à la grève du Clérion. Les expériences de coupe du premier XIXc siècle, soit celles de la Compagnies de la Baie d 'Hudson et de quelques llllllChands de bois, demeuraient des

1 Jcao-Micbel CATI A, La grtve des bl1cherons de Rouyn, 1933, Rouyn, Coll~ge de I'Abioôi­T~JOiscamin&ue. coii.«Les cahit:rs du Dépanemem d'Histoire et de Géo8JllpbiC)>, 1985, 1S p. et Béatrice RICHARD, <<Péril communiste aJ Tbnisçamiogue: 1933-1934», dans Robert COMEAU ct Bemald DIONNF. lA droit th • taire: Histoire des ct>mmllllistu at1 Qulbec, th la Prm~iln Guern Mondiah d la /Uvolulion tranqullfe, coll. «Études Qoébécoises>t. Outremom, VLB Editeur, 1989, pp.422-433. Le lee~= IJQO\'e!l, dans la bibliograpbic, les iéCtlews ardlivistiqœs compl~ de tous les volumes clépouillés aux Aichivcs Naliooale du Québec à Hull (ANQ). Eofin le geon: masodin 5e111 utilist exc!USÎVCDICIII ici dans le but d'all~ger Je texte.

Bulletin du RGHTQ, no 69, printemps 1999, Vol. 25, no 1 35

Page 37: RCHT - Centre d'histoire des régulations sociales

enaeprises marginales. Ce n'est qu'à paitir de 1850 que des compagnies forestières opérant au sud de la vallée de l'Outaouais commencèrent à s ' intéresser à des régions plus septentrionales. Ces ambitions ont été encouragées par les autorités gouvernementales qui ont vendu aux enchères, en 1868, 1880, 1885, puis 1905, d ' immenses étendues de forêt. Plus d'une douzaine de compagnies opéraient alors dans la région, sans compter celles qui exploitaient les ressowccs fon:stièn:s de la rive ontariCIUic du lac Témiscamingue. Initialement, les concessions accordées couvraient les abords des lacs Kipawa, Témiseamiogue, Des Quinzes et Simard, puis s'étendirent rapidement pour atteindre, vers 1890, la presque totalité de la région témisca­mienoe. L'exploitation des concessions était si massive qu'au début du siècle l'épinette et le sapin vion:nt s 'ajouter à la liste des espéces exploitées, soit le sapin blanc, jaune et rouge. 2

L 'aooées 1917 marqua une étape décisive dans l'évolution de l'exploitation fon:stière dl Témiscamingue, avec l 'arrivée dans la région de la Riordoo Pulp and Paper. Cette compagnie effectua deux réalisations qui eurent d ' importantes répercussions sur l'évolution de l'exploitation forestière. D ' une part, la Riordon construisit au sud du lac nmiscamingue une pulperie, ainsi qu'uoe ville moderne dans le but d 'y loger ses cadres et ses travailleurs. D'auae part, la Riordon fit, au cours de la même aooées, l'acquisition de oeuf compagnies afin d 'approvisionner sa nouvelle usine de Témiscaming. Enfin, la compagnie introduisit dans la région, en 1922, le système de la coupe du bois à contrat en remplacement du salariat, ce qui lui permettait d 'exploiter au maximum son immense territoire forestier.

En 1925, la Caoadiao Iottmational Paper (CJ.P.) fit l'acquisition de la Riordon Pulp and Papcr qui coooaissait alors des difficultés fioao­cière. La C.I.P ., qui était une filiale de la compagnie américaine International Paper, ex­ploita d'abord les mêmes concessions que la Riordon, puis en acheta de nouvelles dans la

région de l'Outaouais supérieur.' A partir de 1927, la construction de la mine ct de l'usine de smeltage Home de Rouya incita la C.I.P. à accentuer ses activités au." sources de la rivière Kinojevis.

Par ailleurs, l 'exploitation forestière témiscamienne s'est déroulés, à plusieurs ~. en étroite corrélation avec l'évolution de la colonisation agricole. Dès les années 1890, des coo.flits éclatérent entre des enaeprises et des colons de la région concernant l'exploitation des ressources forestières. Ce genre de coo.flits tendit à dispanûae à partir de 1920, étant donné l'éloignement des cbaotiers qui se retrouvaient de plus en plus loin des secteurs de colonisation, ainsi que l'adoption de mesures l.égislatives favorable aux colons.

Malgré un ralentissement au cours des années 1920, la première moitié du Xxe siècle fût caractérisée par un important accroissement démographique. En effet, la population du Témiscamingue passa de 8,293 habitants CD 1911 à 11,764 CD 1921, puis à 20,609 en 1931.• Ce bassin de population constituait une masse de main-d'oeuvre à la disposition des enaeprises foresti!res de la région. D'autant plus que les saisons annueUes de récoltes et de coupes ne se chevauchaient pas et que le travail dans les chantiers représentait pour le cultivateur une source de revenu supplémentaire non­n~gligeable, voir même essentiel à la subsistance de sa famille.'

Une précision s ' impose au sujet du profil de l'ouvrier forestier du Témiscamiogue. Il est en effet possible de distinguer deux grandes catégories de bûcherons qui

' Parmi les muveUes zones d'exploitation au long de l'Outaouais supèrieur se aouve le camon de Cltrion. Voir la carte intitulée <<Comté de Témiscamingue 1937», dans GOURD, B.B ., op.cir., p.lO. • Voir le tableau intitulé «Évolution de la

' Le déc:ollpilgC cbromlogiquc utilisé ici est œlui population du TéJilis«!mingue, de l'Abitibi ct de la élaboré par GOURD, B.B., Anglitn et le nmorqueur région de l'Abilibi-TroùscamiDgiiC de 1871 à T.A. Drapu, Rouyn, Collège de l'Abitibi- 1976•, dans GOURD, B.B., Ibid., p. li. Témiscamingue, coU. «Cahiers du DqJanement ' «Le travail en foret coll1titue leur principal d 'Hi.stoize et de Géographie», 1983, passim pp.14-38. reveDW>, d'après GOURD, B.B., ibid., p.46.

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oeuvraient sur le territoire témiscamien6. Le

premier type peut être qualifié de bûcheron voyageur, ou encore de bûcheron itinérant. Ces expressions englobent les tiavailleurs forestiers en provenance des autres regions, ainsi que les nouveaux immigrants. Certains étaient d 'anciens tiavailleurs du secteur minier. Les tiavailleurs forestiers de cette catégorie n 'avaient pas d' attaches locales. Ds faisaient preuve d'une grande mobilité et ce, autant d'une saison à l'autre qu'au courant d'une même saison. Qui plus est, ils avaient souvent une meilleure connaissance, voir même une certaine expérience de la revendication SYDdicale que leurs confrères du secteur agricole.

Ces derniers constituent notre seconde caté­gorie de bûcherons. Ds avaient une double vocation dans la mesure où ils étaient à la fois agriculteurs et bûcherons. Leur lieu d'origine était beaucoup moins éparse que celui des bûcherons itinérants; il se réduisait essentiellement aux paroisses agricoles du vieux Témiscamingue. Les entrepreneurs forestiers issus du secteur agricole recrutaient la plupart de leur main-d'oeuvre dans leur propre paroisse d'origine. D'étroits liens sociaux, économiques et parfois familiaux, reliaient alors l'entrepreneur à l'ouvrier forestier. La main­d' oeuvre forestière d'origine agricole était donc plus homogène et beaucoup moins mobile que les bûcherons itinérants. Elle était, au milieu des années 1930, plus nombreuse sur les chantiers <il Témiscamingue que celle composée de bûche­rons voyageurs.7

D va sans ellie que la crise économique de 1929 n'épargna pas l' industrie forestière québécoise. Au Témiscamingue, la production de 1933 retomba au niveau de 1893, alors que la production chutait de 40% sur l'ensemble <il

territoire de la Belle Province• Néanmoins, les plans de colonisation instaurés peu après le déclenchement de la criSe avaient favorisé l'accroissement démographique de la region témiscamienne et ainsi augmenté le volume du bassin de main-d'oeuvre agricole disponible.

C'est parce qu' ils furent appauvris par la crise que les bûcherons du Clérion firent la grève en 1933. Ce conflit ne constituait pas un phénomène marginal. Au contraire, il est possible de dénombrer, à la même époque, plusieurs greves semblables dans le secteur forestier. C'est ainsi que des grèves de bûcherons sévirent également dans les regions de Thunder Bay, Fort Fxancis, Hearst, Kapuskasing et Iroquois Falls. Ces conflits présentaient plusieurs similitudes avec la gréve du Clérion. D'abord, un bon nombre d'entre eux furent caractérisés par la présence d 'agitateurs communistes.• Ensuite, les revendications des grevistes étaient presque toujours axées sur les conditions salariales. Enfin, dans la plupart de ces grèves, une intervention de la police provinciale en accélérait le dénouement. La greve du Clérion s' inscrivait dans un mouvement généralisé de contestation de la condition des tiavailleurs forestiers.10

Ces conflits dans la foresterie s ' inscrivent eux-mêmes dans un C<ldre revendicatif plus large. Les conséquences de la dépression de 1929 avaient provoqué l'éclatement de conflits dans d 'autres secteurs. En meme temps que se déroulait la greve du Clérion, les ouvriers du meuble de

' Voir GOURD, B.B., Ibid., p.2S. ' Voir CATIA, Jean-Micbel, La grtvt des bûcherons de Rouyn. 1933, Rouyn, Collège de l' Abilll>i-TI!miscamingue, coll. <<cahiers du

6 La division des travailleurs forestiers en deux Département d'Histoire et de Géographie», 1985, catégories n'est pas uniquement applicable à la seule p.l9 et pour la grève du Clérion. l'étude de région du témiscamingue, voir. PROULX, Louise, Les RICHARD, Béatrice, Péril Rouge au Témis-chanJitrs__forestitrs de la Rlmousld (193~1940) camingue· la grève des bücberons de Rouyn-Ttchniques traditionnelles et culture matérielle, Noranda 1933-1934, RCHlQ, 1986,[ ... ] Rimouski, GRIDEQ, 1983, pp.46-48, ainsi que 10 Bien entendu, une telle constalalion ne peut HARDY, René et Normand SEGUIN, Fortt et société s'etfectuer qu'en faisait abstnlction des fmltièrcs en Mmtricie: La fonnatlon de /Q région de Trois- politiques provinciales. Voir RADFORTII, lau, Rivières, 183~1930, Moottéal, Boreal Express1Musée Bush Worken and Bosses: Logging in Nor/hem national de l'HoJJUDe, 1984, pp.ll4-134. Ontario 1900-1980, Toronto, University If 7 Voir GOURD, B.B., Ibid., pp.4S-46. Toronto Press, 1987, passim pp.l26-128.

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Stratford en Onrario obtenaient gain de cause dans leurs revendications syndicales et salariales. Quelques mois plus tan!, soit en janvier 1934, une grève impliquant des travailleurs du secteur minier de la Noranda se déroulait de la même façon que eeUe des bûcherons du Clérion.11 En bref, la grève du Clérion de décembre 1933 s' inscrit dans le cadre d'un mouvement de revendications salariales et syndicales pour de meilleures conditions de travail. Ce mouvement ne fût limité ni au secteur forestier, ni à la région témiseamieone.

Le contexte politique de la grhe et la carrièr e politique du député Aim é Guertin

Sur la scène politique, les vieux partis politi­ques étaient en proie aux dissensions alors que de nouvelles organisations de droite et de gauche s 'organisaient. Au cours de l ' année 1929-1930, le P.C.C. abandonna ses activités auprès des cen­trales syndicales existantes pour créer une organisation autonome, indépendante des autres syndicats qu' il jugeait trop réactionnaires; la Ligue d'Unité Ouvrière (L.U.O.). Cette organisation fût très active durant les années 1930-1932 dans ses efforts d'encadrement des travailleurs des secteurs agricoles, miniers et forestiers. 11

Malgré tout, aucune rupture majeure ne semble caractériser l ' évolution de la scène

politique provinciale du début des années 1930. En effet, à l ' aide de sa puissante machine électorale et grâce à sa longue tradition de patronage, le Parti Libéral remporta facilement les élections provinciales de 1931 en récoltant 55.6% des votes. Le Parti Libéral occupait alors 79 des 90 sièges de l'Assemblée Nationale, ce qui ne laissait que ll sièges à la petite opposition conservatrice dont faisait partie Aimé Guertin.u

En ce qui a trait à la carrière politique d 'Aimé Guertin, eUe fût brève mais mouvementée. Né le 7 j uin 1898 dans la paroisse Saint-Paul d' Aylmer, il fit ses études à l'école Labelle, situé dans la mSme municipalité. <<Homme minutieux, d'une grande rigueur intellectuelle, il s'était, ayant dû quitter tôt l ' école, fonné lui-même. C 'était un autodidacte. n était particulièrement soucieux de la qualité de sa tangue, le français, écrit et parlé.»14 Aimé Guertin fût, dès 1916, télégmphiste à l'emploi du Canadien Pacifique, puis courtier d'assurances sous la raison sociale d 'Assunlllees Guertin Ltée à partir de 1925. D a été élu, pour la première fois, député conservateur dans la circonscription de HuU en 1927. L'aonée suivante il était nommé <<Whip» du Parti conservateur à l'Assemblée législative."

Les 9 et 10 juillet 1929, Aimé Gucrtin organisait au Château Frontenac le congrès de leadership des conservateurs, qui réunissait à Québec 1,200 délégués en provenance de partout dans la province. C 'est Camillien Houde, dont Guertin était un ardent partisan,

11 <<[ ... ] exactement le m~me scénario que six mois plus tôt avec les bûcberons: refus calégorique de la compagxlie de reconnailre le syiJdicat et de av'~cier avec une organisation commamiste, refus auquel répondent les syndiqués par le piqueœge devant la mine et pamlysie totale des activités sootenaincs; -aaaque de la Noranda par l'envoi de brisew1 de grè-.-es; intervention policière brutale et am:station de dix-neuf dirigeaniS et mililanls syndica!isres. Comme en " Voir Je lllbleau intitulé «Résultats des élecûoas décembre 1933, la grève est matée en dix jours et le qu&écoises, 1927-1939», dans LINTEAU, Paul-syndicat communiste complètement démantelé~, Andre et al., Histoire du Qulbec contemporain: Le RICHARD, Béatri<:e, <<Péril commnoisre aa Québec depuis 1930, Montréal, Boréal Compact, Témiscamingue: 1933-1934», dans COMEAU, Robert 1989, p.134. et Bemard OlONNE, Le droit <k se tain: Histoire du " LESSARD, George, «Aimé Guen,in», dans communistes au Québec, dt la Prtntlère Gue"~ mon- AsriÇQtL 00.44, septembre 1993, pp. ll-12. dlale cl la Rivolution tran'l'.'lllt, coU. "Etudes ., Voir ALLAIRE, SuzaDne et Dominique ~ises·, Outremont, VLB Éditeur, 1989, p.436. JOHNSON (sous la direction de}, Dictionnaire du 1 Voir RADFORTh, lan, op.cil., pp.l26·128. La Parlementaires dw Québec 1792-1992, Sainte-Foy, L.U.O. uavaillait aussi en étroite collaboration 3\'CC Presses de l'Université Laval, 1993, p.346. Puisque une autre organisalion; la Lumbn- Worlro:s Jndustrial Guenin fiiloommé «Whip» de son parti. il nous Union of Canada, sur ee point, nous sommes est permis de aoire que le député bullois devait RAD FORTH, lan, Ibid. , p. l20. faire preuve d'une rigueur idéologique exemplaire.

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qui rempona l' investitute lors du congrès. Par la suite, malgré la dépression, Guertin réalisa l'un des plus grands projet de sa carrière, soit la construction à Hull du sanatorium St-Laurent. aujowd'hui le centre hospitalier Pierre-Janet.16

n lüt réélu dans la même circonscription en 1931. Lors du congrès du parti tenue à Sherbrooke en 1932, le député de Hull se présenta contre nul autre que Maurice Duplessis qui devait l'emporter et devenir son chef: La carrière politique de Guertin se déroulait comme membre d'une faible opposition. Elle se termina en 1936 lorsque, après avoir démissionné de son siège à 1 'Assemblée législative, Guertin perdit les élections fédérales à titre de représentant cll Parti de la Restauration de H.H. Stevens.'1

Les motivations politiques et personnelles de l'implitation du déput~ Guertin auprh des travailleurs forestiers

En second lieu, il importe maintenant d'établir quels étaient les principaux motifs politiques et personnels expliquant l'implication du député Guertin dans la situation des travailleurs forestiers par rapport à leur grève de 1933.

n est possible d'affirmer que l'implication du député Guertin face à la situation des travailleurs forestiers ne traduisait pas uniquement un désir d'accumuler du capital politique. En effet, la grève des bûcherons di Clérion survint en décembre 1933 ct les procès des grévistes se terminèrent au cours di printemps 1934. Or, l'implication du déput6 Guertin n'a pu se dérouler dans un contexte de campagne électorale puisque les élections provinciales suivantes n'eurent lieu qu'en novembre 1935.11

" Voir LESSARD, George, op. cil., p.12. 11 Sur les cooglès de leadership de 1929 et 1932, voir

En outre, Guertin entretenait une volumineuse correspondance avec des individus impliqués auprès des travailleurs forestiers. Guertin était donc, bien avant le déclenchement de la grève du Clérion, au courant de J'existence de conflits entre la C.I.P. et cenains témiscamiens, en plus de connaître J'ampleur de l' influence exercée par cette compagnie.

Plusieurs de ces lettres précédaient le déclenchement de la grève des bûcherons di Clérion. C'est ainsi que, le 5 avril 1933, Je docteur Louis-Félix Dubé, de Notre-Dame du Lac dans le comté de Témiscouata, écrivait une longue lettre au député Guertin, dans laquelle il dénonçait plusieurs injustices commises envers les travailleurs forestiers. L'auteur de la lettre faisait entre autre mention des bas salaires que recevaient les ouvriers forestiers, ainsi que le prix exorbitmt des frais médicaux qui leur était . posé 19 un .

En ntai 1933, une lettre écrite par l'un des membres du conseil municipal de Notre­Dame des Quinzes (aujowd'bui Notre-Dame du Nord), dans le comté de Témiscamingue, informait le député Guertin des conflits opposants les colons à la compagnie Canadian International Paper à propos di système de taxation des cordes de bois coupées sur les lots qui lui ont été concédés: <<Ù: conseil de Notre-Dame des Quinzes est entré en difficulté avec la Compagnie International Paper [sic] à propos de taxes depuis plès de deux ans ( ... ) >> .'0 Qui plus est, l'auteur de la lettre affirmait que certains de ces collègues soupçonnaient l'avocat, eng38é par le conseil municipal pour défendre leur cause, d'avoir des intérêts dans la dite compagnie.

SAINT-AUBIN, Bernard, Duplusls t t son lpoqut, n'est pas possible d'approfoodir dans le cadre de coll «Jadis et naguère», Mo~ Les éditions La notre étude. SW' les années d'élections provinciales, Presse, 1979, p.39 et 59. Nous a>'ODS d'aillews voir AU.AIRE, Suzanne et Dominique JOHNSON démoltlt, clans une étude encore iŒdite, la collliouité (sous la direction de), ibid., p.794. idéologique du discoUIS que tellBÎt le clq>ulé Guenin à " Leare de Louis-Félix Oubé à Guel1in, 5 avril J'endroit de l'exploitation des petits aavailleurs lors 1933, ANQ PS-111-21 Travail: conditions des élections fédérales de 1936. bûcherons (comspoodance) 11 n n'est pas complètemeot Caux de croire que les 10 Lettre de Descoteaux â Guel1in, mai 1933, ANQ politiciens ne courtisaient pas seulemetlll'électo.131lors PS-l/1-21 Travail: cooditioos bûcherons des c:atnp'lgllCS électorales. Voilà oertes un débat qu'il (comspoodance).

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En bref, il est clair que le député Guertin démontrait un fort intérêt pour J' amélioration du statut des travailleurs forestiers. Non seulement la correspondance qu'il entretenait avaiH:lle souvent une origine précédant la gréve des bûcherons du Clérion, eUe provenait aussi de diverses régions de la province. À titre d'exemple, certaines de ces lettres parvenait de comtés comme le Témiscouata ou encore le Saguenay.'1 De par ces initiatives, Je député de HUll désirait mieux comprendre 1 'état des conditions de travail des travailleurs forestiers et ce, pour l'ensemble du territoire de la province.

Le dénouement de la grève et la réaction de Guertin:

La gréve du Clérion s'est terminée le Il décembre 1933 par une brutale intervention policiére qui conduisit à l'arrestation de 7 1 grévistes. Au même moment ou le lendemain, l'exécutif du comité de gréve, ainsi que les principaux «agitateurs», soit Joseph Ellinuk, Georges Evanik et Jeanne Corbin, étaient arrêtés. Au cours des jours suivant, les grévistes de Rouyn étaient réembauchés par les entrepreneurs, tout comme les bûcherons d'origine agricole du sud du Témiscamingue. Le travail reprenait alors exactement comme auparavant, les conditions salariales et de travail ne subissant aucun changement."

Pendant que se déroulait les derniers épisodes de la gréve du Clérion, le député Guertin invita le ministre des terres et forêts à intervenir à Rouyn. Sur l'une des nombreuses coupures de presse que Guertin avait coutume de conserver minutieusement, il notait:

<<Le même jour à llhrs AM je me présentais au bureau de l'hon. Arcand à Montréal pour l' inviter à venir à Rouyn avec moi. ll était absent, à Québec pour une réunion du cabinet, son secrétaire lui télégraphia, demandant une réponse par téléphone. Réponse fût "Dites à M. Guertin

que je m 'en occupe", équivalant à un refus. Dans l'PM je lis la nouvelle ci· haut.>>"

ll s'agissait d'un article publié dans La Patrie du 13 décembre 1933. Intitulé «Voyage gratuit en avion>>, l'article annonçait le transport à Ville-Marie des 76 bûcherons arrêtés à Rouyn, alors que la violence de la gréve atteignait son apogée. Guertin souhaitait dès lors une intervention rapide ru gouvernement.

Afin de bien préparer ses interventions en chambre, Guertin sollicita, dans les jours suivants la fin de la gréve du Clérion, des infonnations à diverses personnes impliquées auprés des travailleurs forestiers œ Témiscamingue. Dans une lettre datant du 2 janvier 1934, adressée au secrétaire de l'Association conservatrice de Rouyn et Noranda, Guertin affinnait:

«Les maigres détails que nous ont donnés les journaux sur les incidents graves qui se sont produits à Rouyn récemment, relativement à la gréve des bûcherons, ne sont pas bien satisfàisants, et je suis à me demander si vous ne pourriez pas me fournir tous les détails sur cette malheureuse affai.re.»24

Au même moment, le député hullois sollicitait pour les mSmes raison deux autres «bleus» de la région, à savoir R.-A. Tasset de Ville-Marie et J.A. Raymond de Rouyn. Cette initiative lui permettait d 'approfondir ses connaissances sur les conditions de travail des bûcherons témiscamiens, ainsi que sur le déroulement et le dénouement de la grève.25

u Les abtêviations de cet exttait son de Guenin, voir ANQ PS-1/1-22 Travail: grève biicber<lŒ (documents de grève, c:onespondaoce, C:Ouptlli:S de presses et rappons au gouvemement).Les ootes manuscrites de Gucrtin ont ici la même valeur historique que les mémoires, dans la mesure où elles DOUS tettansmettent le point de vue de Guertin et ses impressions sur une question ou eœore un événement précis.

" Voir ootammclllles Jeures du dr. Louis-Félix Dubé "Lettre de Guertin à E. Lemire, le 2 janvier 1934: à Guenin, S avril 1933 et de Godbout à Guertin, élé ANQ PS-1/1-21 Travail: conditions bûcberoDS !933 (comté de Saguenay), A.N.Q. PS-111-21 Ttavail: hc:orrespondaœe). c:oœtions b'OcberoDS (c:onespondanœ). Lettre de Guertin à E. Lemire du 2 janvier 1934 "Voir CATI A, Jean-Mîcbel, op.cit., pp.«-45. et lettre de Guertin à R.A Tasse!, le 4 janvier

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Par aillews, il importe de souligner l'implication du député Guertin daus les débats à l'Assemblée Nationale entourant l'élaboration du projet de loi 44. Lors d'un disoours du trône, Guertin réaffinnait son désir d'encourager le développement de lois sociales plus généreuses. n appuyait les concessions faites par le gouvernement en matière de travail forestier mais doutait tout de même que ces nouvelles lois soient respectées. Pendant l'élaboration de la loi relative aux opérations forestières, Guertin déplorait que la commission d'enquête mise sur pied par le gouvernement, soit la commission Morin, n 'était qu'investie du pouvoir d'enquêter. Sur une page de notes de travail, Guertin écrivait: «Bill 44, loi re bûcherons, Corns a pouvoir d'enquêter seulement>>.26 Le député aurait préféré une intervention plus active de la part du gouvernement.27

Les motifs idéologiq ues du dép uté G u e r t in:

Mais quels étaient les principaux motifs idéologiques ayant motivé l'implication dJ député Guertin dans la cause des travailleurs forestiers? Cette question devrait par le fait même nous donner un bon aperçu de la position du Parti conservateur du Québec par rapport à la situation des bûcherons.

Mentionnons tout d'abord qu'à certains égards, le député Guertin subissait l'influence dJ discours ecclésiastique. Sur une page de note ma­nuscrite intitulé «Re. bûcherons», Guertin écrivait:

«Pie XI Nous [ne) pouvons voir sans une profonde douleur l'incurie de ceux qui apparemment insouciants de ce danger im­minent, et lâchement passifs, laissent se propager des doctrines qui, par la violence et le meurtre, vont à la destruction de la société tout entière. Le socialisme éducateur a pour

père le libéralisme et pour héritier le bolchevisme.>?'

Cet extrait montre que de l'encyclique papale de Pie XI. Aimé Guertin retient une haine dJ bolchevisme, communisme et leurs dérivés. Un autre extrait de ses notes confirme aussi l'influence du clergé canadien français sur son implication auprés des travailleurs forestiers.:

«Père Chagnon: Le peuple souffre, il est désespéré, découragé; il a besoin

d 'entendre autre chose que les réfutations de communisme et socialisme. n fàut leur apporter des paroles d'espérance, il faut leur montrer des améliorations positives. n fuut offrir au regard de la foule la vision d'un avenir meilleur, la perspective d'un régime plus social, plus juste et plus chrétien.>>,.

Son discours rejoignait donc celui du clergé en ce qui a trait au désir d'instaurer une plus grande justice sociale.

Aimé Guertin était loin d'être le seul politicien canadien français à détester les communistes. Le Gouvernement Taschereau, tout comme le patronat d'ailleurs, a justifié ses actions durant la grève du Clérion en invoquant la présence d'agitateurs communistes parmi les grévistes. Dans La ~du 5 décembre 1933, Guertin apprenait que la compagnie Canadian International Paper avait tout lieu de croire que les communistes étaient responsables des présents troubles.30 Quant au gouvernement Taschereau, il établissait, pendant l'élaboration de la loi 44, que des agitateurs communistes se trouvaient permis les grévistes du Clérion. Dans un article de La ~du 9 mars 1934, intitulé <<L'Hon. M.

•• Les passages souligDés sont de Guertin:; ANQ PS-Ul-22 Travail: grève bûcherons (documents de gJève, comspondance, coupures de presses et ~rts au gouvemement)

1934: ANQ PS-1/1-21 Travail: conditions bûcberoDS " Voir ANQ PS-111-22 Travail: grève· bûcberom !.comspoOOaœes). (documents de glève, conespoodance, coup=s de

Les abléviations sont de Guenin. Voir les notes ma- ~resse et mpports au gouvernement) nuscrites du député se trouvant dails ANQ P8-U3-28 Toutes les coupwes de presse utilisées dans la Notes de travail du député (1934). présente étude sont tiiées de la collection du député " Voir les notes manuscrites du député, ainsi que la Guertin: ANQ PS-1/1-22 Travail: grève bûcberom version publiée de son discows proooncé le Il janvier ( docwnents de grève, conespoodance, coup=s de 1934: ANQ PS-113-28 Notes de travail du député. presse et mpports au gouvernement)

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Men:ier prouve que la greve de Rouyn est l'oeuvre de communistes», le ministre des terres et forêts trouvait curieux que de nombreuses grèves éclataient dans l' industrie forestière aJ

moment où le bois canadien remplaçait le bois russe sur le marché anglais.1 1 En bref, si la présence d'éléments communistes dans la grève du Clérion a servi de prétexte au patronat pour ne pas oégocier avec les grévistes, elle fut aussi invoqué par le gouvernement pour justifier la violence de la répression de la greve et la lenteur de son intervention auprès de cette calégorie de travailleurs.

Le député Guertin craignait une éventueUe popularisation des idées socialistes et cette crainte était augmentée par le fait que l'activiste Jeanne Corbin ne s'était pas présentée à l'opinion publique comme étant une militante communiste. Résultat: lorsque le secrétaire de l' Association Conservalrice de Rouyn et Noranda répondit au député en janvier 1934 afin de lui décrire le dénouement de la grève, il présenta Jeanne Corbin comme étant une jeune fille canadienne française «très délicate et petite, mais très patriote». Aucune mention n'était faite de ses aUégeanees communistes. Au contraire, le secrétaire prenait position en faveur de la démarcbe des bûcberons.n L' Auociation Conservalriee de Rouyn et Noranda était mal informée sur l'origine et les antécédents de Corbin et son interprétation à.l dénouement de la grève allait influencer ceUe qu'allait en fain: le député Guertin.

Les solutions préconisées par Guertin:

Le mercredi 7 mars 1934, Guertin pronon­çait à l' A$$emblée législative un long discours de plus d'une beure et demi sur la loi 44 concernant les bûcberons. Par l'entremise de cc discours, le député désirait essentieUement démontrer que, non seulement les conditions de travail des ou­vriers forestiers étaient déplorables, mais que le gouvernement avait le pouvoir de les atnéliorer. Gu.ertin affirma ensuite que le gouvernement

" ANQ PS-l/1-22 T!avail: grève bûcberoDs (docWiiC!DIS de gxève, COln:$PDDdanœ, GOUpWeS de ~et rapports au JP'uvememenl)

LciiJe d 'E. Lemire à Guertin, jaDvier 1934: ~ PS-l/3-28 Notes de ttavail du déPulé (1934)

avait le devoir d ' intervenir à titre de conciliateur entre les bûcherons et la compagnie. Le député termina son plaidoyer en affirmant que la lecture de l'acte des émeutes était un geste illégal et réprébensi­blc.n

Lors de cc même discours, le député de Hull faillit commettre une erreur qui aurait pu nuire sérieusement à sa carrière: il s'apprêtait à fain: l'éloge de Jeanne Corbin en la présentant comme une martyre pour les bûcberons canadien français. Cette bévue, il l ' admettait lui-même dans une note manuscrite qu'il consigna sur une copie de son discours:

<<Partie nyée de discours aprés levée de séance à six brs. après avoir appris de Uo Léveillé [ .. . ] journaliste que Jeanne Corbin avait u.o dossier judiciaire. Avenrure extraordinaire, ai suspendu mon discours juste à cc chapitre, sans cette information, je me sciais probablement tué en politique. Corbin agent communiste prouyé»14

Même si Guertin avait remis une copie de son discours aux représentants de la presse, il ne füt pas tenu, selon les réglements de la Chambre, de répondre à autre cbose que ce dont il avait discuté en Chambre.1'

Tout en détestant les efforts déployés par les communistes auprès des travaiUeurs forestiers, le député Guertin reconnaissait la gnvité de la situation et le besoin d'encadrement de cette catégorie de travaiUeurs. Pour Guertin, la section des bûçberons de l'Union des Cultivateurs Catboliques représentait une alternative i.ntéressante au projet des communistes. Le député entretenait d 'aiUeurs une cordiale et fort amicale correspondance avec L .P. Côté,

» Voir l'article iolitulé «M. Taschereau défend le bill des bùcbcroiiS», dans lA Presse du 8 mars 1934: ANQ PS-1/1-23 Travail: grève (coupures de 2n:sse)

Les exttaits soulignés et les abréviations soot de Guenin: ANQ PS-113-28 Notes de ttavail du député i/934)

Voir le même ;uticle daDS lA l'n:s# du 8 mars 1934: ANQ PS-111-23 Travail: gm.e (coupures de presse)

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de Matane, le principal organisateur de la section des bûcherons de l'U.C.C. Dans une lettre du 18 août 1934, Côté explique en détail à Guertin le fonctionnement du système de cotisa­tion de son otganisme, ainsi que le processus de recrutement des membres. L'auteur de la lettre foumissait <<SOUS pli>> au destinataire une copie de la charte de la section bûcherons de l'U.C.C.36

L'analyse de cette charte, dont la rédaction remonte à juillet 1934, révèle que la section bûcherons était une partie intégrante de l'organisation:

«La section bûcherons, fundée sous l'autorité de la constitution de l'U.C.C. Inc., accepte la direction du bureau central et de l'exécutif de cette union, et se soumet à ses réglements et statuts lesquels s' appHquent mutatis mutandis»37

Avec cette charte, l'U.C.C. désirait intégrer une nouvelle catégorie de ttavailleurs à ses structures existantes. Le document, d 'une longueur de deux pages, comportait les sections suivantes: <<But de la section», «Journal», <<Devise et drapeaw>, <<Nom», «Composition», «èotisation», «Cercles», «Division de la Province en six districts». Ce syndicat visait à promouvoir les intérêts professionnels des bûcherons et ce, tout en veillant à l'éducation morale et religieuse de ses membres.

De plus, l'U.C.C. exploitait l'origine agricole de plusieurs bûcherons afin de justifier leur encadrement:

«L'otganisation de cette section a pour but de grouper dans une association professionnelle les ttavailleurs de la forêt et ceux qui s' intéressent à leur sort, les bûcherons se recrutant surtout parmi les colons, les cultivateurs et leurs fils, il est

36 Cette correspondance enne L.P. Coté et le député de Hull remo.mait à la mi-juillet 1934, dès le début des activités de la section bûcberon de I'U.C.C.: ANQ PS-111-22 Travail: grève bûcherons (documerus de grève, coJ;IeSpOndance, coupures de presse et rapports w ~emement)

Voir la réglemenlation de la section des bûcberons:

surtout logique que leur association soit un prolongement de l'U.C.C.»31

Cette prise de position de I'U.C.C. était très adaptée à l'évolution de la main d'oeuvre forestière québécoise du début des années 1930, dans la mesure où les bûcherons voyageurs étaient alors moins nombreux sur les chantiers que les bûcherons en provenance du secteur agricole. Enfin. il semble que cette nouvelle formule d'encadrement rut populaire auprès des travailleurs forestiers puisqu'en 1934-1935, elle regroup,ait 3,608 bûcherons et 7,038 en 1937-1938. 9

En bret; l'implication du député Guertin auprés des ouvriers forestiers prend la forme de différentes initiatives. Ce dernier a d'abord, lors du conflit, préconisé une intervention du gouvernement dans le processus de négociation entre 1 'entreprise et les travailleurs concernés. L' implication ch député de Hull s'est ensuite déplacé vers le processus législatif entourant l'élaboration ch Bill 44. Parallèlement à ce processus législatif, Guertin préconisait un encadrement des ttavailleurs forestiers par une organisation dont la structure et les objectifs s'apparenteraient au ~dicalisme catholique.

C ONCLUSION:

L'implication du député Guertin auprès des ttavailleurs forestiers ne traduisait pas uniquement un désir d'accumuler du capital politique. Les nombreuses correspondances que Guertin entretenait sont d'ailleurs très révélatrices à ce sujet et ce, pour deux raisons. D'une part, la quête d'informations ayant trait à la condition des travailleurs forestiers avait été entreprise par le député bien avant le déclenchement de la grève ch Clérion. D'autre part, les sollicitations ch député n • étaient pas limitées à la seule région du Témiscamingue mais s'adressaient à des individus en provenance de plusieurs comtés de la province.

De plus, des motifs idéologiques justifiaient l'engagement de Guertin auprès

ANQ P8-111-22 Travail: grève bOcberons (cloorments de glève, correspondance, coupures de presses et ,. Ibid. rapports au gouvernement). "Voir CATI A. Jean-Michel, op.clt., p.63.

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des travailleurs forestiers. n est certain que le député de Hull subissait une profonde influence de l'anticommunisme véhiculé par le discours ecclésiastique. Les paroles du pape Pie XI et de certains membres du clergé canadien français, ont encouragé Guertin à s ' impliquer dans la cause des bûcherons. Qui plus est, Guertin craignait une éventuelle popularisation des idées socialistes et la propagation du syndicalisme révolutionnaire. Cette crainte s'expliquait entre autre par le fait que l'activiste Jeanne Corbin avait cachée sa vraie nature en ne se présentant pas à l'opinion publique comme étant une communiste.

Pour Guertin, l'exploitation des petits tra­vailleurs par les grandes entreprises représentait certes une aberration. n existe à cet égard de

BffiLIOGRAPHJE

Références archivist iefles: • ANQ P&-111-20 (0,025m.) Travail: condtions

bûcherons (dis:ours, lois. brochmes, rapports offiCiels au gouvernement).

• ANQ P8-111-2 1 (0,010m.) Travail: condtions bûcherons (correspondmce).

• ANQ PS-111-22 (0,025m.) Travail: grève bûcherons (doQJillents de grève, corres­pondimce, coupures de presse et rapports au gouvernement).

• ANQ P8-111-23 {0,015m.) Travail: grève (cotpuresde presse) .

• ANQ P8-113-28 (0,003m.) Notes de travail du déprté (1934) .

nombreuses similitudes entre le discours dl député Guertin et celui du chef du Parti de la Restauration Nationale, Henry Herbert Stevens (1878-1973). Ce demier, qui a présidé la fameuse commission d'enquête sur l'écart des prix, est reconnu pour avoir tenue, au cours des années 1930, un discours dénonçant les abus effectués par grandes entreprises vis-à-vis les commerçants et les travailleurs. Guertin se présenta d'ailleurs aux élections fédérales de 1935 sous la bannière de ce parti qui allait diviser 1 'électorat conservateur.

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(SOIS la direction de) Dlclionnalre des Parle- • RICHARD, Béatrice, «Péril comm1miste au mentllres du Quél>ec 1792-1992, Sainte-Foy, Témiscaminp: 1933-1934», dans P.UL., 1993, 854pages. COMEAU, Robert et Bernard OlONNE, Le

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DOCUMENT

Lettre inédite de Terence V. Powderly, Grand-maître de l'Ordre des chevaliers du Travail, à William Keys, chevalier montréalais, 13 janvier 1885

Prtsenté par Peter Bischoff, département d'histoire, Université d'Ouawa

A la fin de sa vie Terence V. Powdcrly ltgua à la Calholic University of America une masse impo­sante de documents, dont une volumineuse correspondance, témoignant de sa vive activité comme Grand-maître de l'Ordre des Chevaliers dl Travail de 1879 à 1893. Les chercheurs se soot ce­pendaot rendus compte en examinant les lettres, qu'une petite partie du courrier envoyé et reçu manque à l'appel: des index annuels refërent à des lettres qui ne figurent plus dans les cahiers de corres­pondance. Certains en ont d6duit que Powderly avait lui-même épuré de sa correspondance des lettres qui auraient pu s'avére compromettantes pour lui ou pour d'autres. C'est fort possible.

Lors de nos recherches aux Archives de l'Ar­chevêché de Montreal, nous avons trouvé un exemple d'une lettre manquant à la collection: il s'agit d'un document envoyé à William Kcys, machiniste au Grand Tronc, l'un des deux fondateurs de l'Ordre des Olevaliers du Travail à Montreal. La lettre porte sur l'une des questions qui a le plus accaparé l'attention de Powderly: soit les relations avec le cle~gé catholique. Le document, intéressant, est reproduit dans le Bulletin pour faciliter sa consultation par à une auditoire plus vaste.

Dans cette lettre T.V. Powderly montre sa surprise et soD incompréheosioD &ce à la CODdamnation de l'Ordre par l'archevêché de Québec (circulaire du 17 octobre 1884): une "grave erreur a été faite à quelque part, mais je De peux l'identifier". 11 ajoute: "notre Ordre D'a pas de secret pour le clergé catholique, dans le coofessioDDal ou hors de celui-a, et si des changements sont requis, que votre évêque les ideotifie ct je vous promets que j'utiliserai mon humble influence à cette fin. •

Le Grand-maître ne veut rien laisser au hasard. Il indique à Keys qu'il joint à la lettre une enveloppe destinée à l'évêque Fabre, conteDant un circulaire secret de l'Ordre et une copie d'une longue lettre en­voyée le 24 octobre 1884 à l'archevêque Ryan de Philadelphie. La circulai.re démontre que l'Ordre, dl

moins son dirigeant, est modéré: socialistes et anarchistes sont dénoncés. Le second document, plus important, porte à l'attentioD de Fabre des arguments qui ODt désauné un eoclésiastique américain parmi les principaux opposants des Chevaliers aux Etats-Unis. Powderly y pr&he la modération de son mouvement et son utilité pour les ouvriers catholiques qui constituent plus de la moitié des membres. n souligne également qu'advenaDt la persistance de l'hostilité de l'église catholique, l'Ordre pourrait bien se transformer CD puissante o~ganisatioD exclusivement protestante. Le document se termine par la soumission du Gnmd­maître aux autorités eoclésiastiques: "si on m'ordoODe de quitter l'Ordre, je suis disposé à le faire mais j'espère ct prie pour que le Concile de Baltimore ne le commande pas ... " Enfin, Powderly clos sa lettre à Keys par une admonition contre l'admission d'"élémeots dangereux", d'"ivrognes ou de vagahoDds", qui DC peuvent que justifier les critiques du clergé.

Ce courrier est fascinant notamment parce qu'il souligne la grande déféreDce de Powdcrly vis-à-vis ~ clergé. Et il De faut pas s'en surprendre. Des dirigeants canadiens des Chevaliers comme Daniel J. O'Donoghue, à Toronto, ou John Rcdmond ct William Keys, à Mo11treal, ont aussi évoqué que leur militantisme était conditioDDel à l'accord de leur évêque. Eo fait, l'aDalysc de l'attitude des Chevaliers canadiens envers le clergé catholique reste encore à écrire ... SOURCES: A CAM, 7&9.106.885, leme de T. V, Powderly à W. Keys, 13 janvier 1885. ACAM, 789.106.884, leme de T.v . Powderty à rarcœ.'è­que P.J. Ryan,. ACAM, 789.106.884, Noble Orcier of the Knights of Laber, Secret Circulm No. 2, lS décembre !884. ANC, microfilm M-4314, Lettre de W. Keys à T.V. Powderly, 25 janvier 1887. ANC, microfilm M-4302, Lettre de D. J. O'Donoghue à T.V. Powderly, 1 novembre 1884

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Lettre adressée par Terence V. Powder1y à Wùliam Keys, 13 janvier 1885. ACAM, 789.106.884.

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VITRINE DU LIVRE

Craig Heron (sous la direction de), The Workers' Revoit ln Canada, 1917-1925, Toronto, University of Toronto P ress, 1998,382 p.

Craig Heron réunit dans ce recueil six textes d'auteurs différents en plus de l'introduction et de la conclusion qu'il signe lui-même. L'ouvrage relate la période la plus dramatique et la plus exaltante de l'histoire ouvrière canadienne - pour ne pas dire mondiale - soit celle de l'après Pre­mière Guerre mondiale.

La révolte ouvrière au Canada s'inscrit dans le vaste mouvement de révolte ouvrière qui conteste le pouvoir de la bourgeoisie dans la ma­jeure des pays capitalistes, appelle à l'insurrection armée et culmine par la prise du pouvoir par les bolcheviques en Russie et durant quelques temps en Bavière et en Hongrie. Si la grève génèrale de Winnipeg de 1919 illustre la révolte ouvrière ca­nadienne, partout ailleurs au pays, des ouvriers et des ouvrières se sont levés pour revendiquer leurs droits, s'organiser en syndicat, et en groupes poli­tiques et ultimement, remettre en cause l'ordre établi. Apeuré par cette levée ouvrière, la bour­geoisie canadienne sombre dans la panique et cherche principalement dans la répression la réponse aux revendications ouvrières. Elle reçoit l'appui de la majorité des dirigeants des syndicats de métiers qui, eux aussi, avaient tout à craindre de la révolte ouvrière. Ces dirigeants réussissent à contenir le mouvement ouvrier dans des voix légales et peu dangereuses pour le pouvoir de la bourgeoisie canadienne.

Le développement du mouvement ouvrier de chacune des régions canadiennes fait l'objet d'un chapitre. Ian McKay et Suzanne Morton brossent le portrait du mouvement ouvrier dans les Mariti­mes. Leur étude est suivie de celles de James Naylor sur le sud ontarien, de Tom Mitchell et James Naylor sur les prairies et d'Allan Seager et David Roth sur la Colombie-Britannique. Greg Heron et Myer Siemiatycki ont pris soin de réunir, dans un premier chapitre, les considérations générales sur la période. Ils analysent la période de la guerre et le rôle du gouvernement canadien qui délaisse la politique libérale de laisser-faire et

opte pour une politique résolument intervention­niste. À cet égard., le gouvernement canadien modèle son intervention à l'exemple du gouver­nement américain.

Heron et Siemiatycki traitent de la contesta­tion sociale autour de la question de la conscrip­tion canalisée notamment lors des élections de 1917. À leurs yeux, les causes de la révolte ou­vrière de l'après-guerre prennent leurs racines dans les années de guerre et culmine. Cette mise en contexte permet aux autres rédacteurs de se concentrer sur l'analyse de leur région et évite les nombreuses redites si fréquentes dans ce genre de recueil.

Le mouvement ouvrier québécois est abordé par Geoffiey Ewen qui vient de déposer sa thèse de doctorat à l'Université York. Dans son article, Ewen reprend l'analyse et les conclusions qui ja­lonnent sa thèse. L'obstacle majeur que constitue la fragmentation de la classe ouvrière québécoise est au coeur de son analyse. Selon lui, trois ni­veaux de fragmentation caractérisent le mouve­ment ouvrier québécois: une division régionale où Montréal occupe une place prédominante; une répartition ethnique marquée par une concen­tration dans la région montréalaise des groupes non francophones; enfin une division occupation­Delle définie, elle aussi, par une distribution ethni­que différenciée.

Cette réalité n'empêche pas les travailleurs montréalais de faire partie du même mouvement de contestation sociale que les autres travailleurs canadiens. L'auteur se penche ensuite sur les mou­vements des travailleurs de la base (rank and file) qui, par leurs actions spontanées, provoquent un renouvellement du militantisme syndical et politi­que. Les grèves de la Canadian Vickers en 1916, des mineurs de Thetford Mines et du vêtement de 1917, ainsi que de l'organisation des travailleurs de la construction navale, regroupés dans la Ma­rine Trade Federation, et des employés munici-

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paux et des travailleurs du tramway, illustre son propos. L'organisation syndicale, qui connaît cer­tains succès dans le secteur industriel (salaisons, caoutchouc, Dominion Textile Co., industrie du vêtement pour dames et buanderies) et dans celui de nombreux services (employés municipaux, camionneurs, travailleurs du gaz, marins), ren­force sa démonstration.

Au Québec, ce mouvement de révolte ou­vrière s'exprime notamment par un fort contingent de grèves qui compte deux fois plus de victoires que de défaites. Toutefois, ce bilan est toutefois quelque peu trompeur, car les victoires sont obte­nues lors de petits con11its. Dans les gréves majeu­res, la situation est différente ct moins en­COW<I8C8Dte. Le mouvement se continue jusqu'au milieu de 1920, freiné par la suite par une campa­gne patronale antisyndicale qui domine toute l'Amérique. Un élément de cette tactique réside dans les recours aux tribunaux et l'utilisation de plus en plus fréquente des injonctions. Pour les travailleurs, cette offensive signifie des baisses de salaires et la disparition de certains syndicats.

Au Québec, la révolte ouvrière sc trouve li­mitée par l'incapacité des ouvriers de proposer une voix unie au niveau politique. Selon Ewen, plu­sieurs facteurs expliquent cette inaptitude. Pre­mièrement, les orientations idéologiques sont définies selon des clivages ethniques ce qui nuit à l'organisation politique des ouvriers. Les Cana­diens français pencheraient vers le travaillisme alors que le socialisme serait l'apanage des tra­vailleurs anglo-celtiques et des immigrants. En

second lieu, Ewen soutient que le travaillisme implique la séparation du politique et de l'écono­mique et se caractérise au Québec par des liens privilégiés avec le Parti libéral. Les conséquences se feront amèrement sentir lorsque l'OBU contes­tera le syndicalisme de métier. En plus d'avoir à combattre les dirigeants des syndicats de métier, les militants de l'OBU devront s'opposer aux tra­vaillistes, qui, à l'intérieur du Parti ouvrier rejet­tent le syndicalisme industriel.

Finalement, la révolte ouvrière de l'aprés­gucrre au Québec ressemble à celle du reste du Canada. Elle procède d'un même désir de s'organi­ser en syndicats, d'un même désir de former des conseils conjoints, d'une même propension à la grève et d'une même volonté de déclencher une grève générale. Toutefois, les divisions de la classe ouvrière apparaissent comme un obstacle à la formation d'un mouvement ouvrier unitaire, selon l'auteur.

L'ouvrage dirigé par Craig Heron ouvrage améliore notre compréhension de la réalité cana­dienne et québécoise lors de ces années charnières de l'histoire ouvrière et politique. En tenant compte du contexte général d'une époque ainsi que des spécificités propres au Québec et aux autres régions canadiennes, les divers auteurs réinsèrent le mouvement ouvrier canadien et québécois dans la lutte politique canadienne et dans l'ensemble du mouvement ouvrier international

Bernard Danscreau Université de Montréal

Émile Boudreau, Un enfant tk la grande dépression. Autobiographie. Montréal, Lanctôt Éditeur, 1998, m~ , Jacques lœable, Le montk selon Marcel Pepin. Montréal, Lanctôt Éditeur, 1998, 340 p.

À l'automne 1998, Lanctôt Éditeur publiait deux "portraits" de syndicalistes québécois qui, bien qu'ayant suivi des parcours forts différents et ayant œuvré dans des univers distincts, out en commun leur passion pout Je mouvement ouvrier et le milieu syndical.

Dans le premier tome de son autobiographie, Émile Boudrcau nous raconte les 36 premières années de sa vie, de sa naissance en 1915 jusqu'à

son engagement total et définitif dans le mouve­ment syndical en décembre 195 1. Ainsi, il faudra le deuxième tome pour suivre la carriére de Bou­drcau au syndicat des Métallos et à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) où il a œuvré durant plus de 32 ans.

De sa plume colorée, Boudreau trace le récit de son enfance au Nouveau-Brunswick, de ses premiers emplois dans les chantiers de la Mauri-

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cie, jusqu'à son établissement en Abitibi comme colon. L'histoire d'Émile Boudreau, c'est aussi l'histoire de la génération de nos grands-parents. Ainsi, comment ne pas se passiollller pour ce récit dans lequel l'auteur nous nwoate avec force détails ses diverses expériences. Pensons seulement à son travail de draveur sur la Saint-Maurice ca 1935-1936 - des journées de travail de Il heures pour 1,25 $par jour et des coaditioos de travail diffici­les-; ou encore aux années p~ en Abitibi à partir du milieu des années 1930, où Boudreau exen:e tout d'abord le métier de "jobbeur" (grâce à l'achat de deux chevaux pour 32S $), puis celui de mineur à la Normétal à partir de 1944. Enfin, la dernière portion de l'ouvrage, qui aborde les débuts de Boudreau dans le syudicalisme (et l'ac­créditation des Steelworkers à Noraada), prépare déjà le lectelU' au prochain tome. Si l'ouvrage a les défauts de ses qualités, les nombreux détails par exemple diminuent à l'occ.asioo l'intbêt du lecteur, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un récit passionnant qui nous fait découvrir (ou nous rap­pelle) la survivance des familles québécoises au moment de la crise des années 1930.

De facture différente, l'ouvrage du journaliste Jacques Keable est tiré d'une série d'entrevues avec l'ancien dirigeant de la CSN, Marcel Pepin. Ces entrevues sont entrecoupées de passages per­mettant à l'auteur de cooteXIUal.iser les di.ffaeotes périodes de l'histoire du mouvement syudical québécois que commente Pepin. Dans la préface, qui se veut un avertissement au lecteW', Keable explique qu'il n'a pas voulu tracer la biographie de Pepin ("on n'écrit pas sérieusement la biographie d'un personnage vivant", précise-t-il), mais qu'il préférait plutôt le laisser se raconter "en lui don­nant la parole, en le laissant expliquer, librement, ce qu'il a été et voulu être, ce qu'il a vécu, ce qu'il en pense .. ." (p. 15). Le résultat donne à lire un texte intéressant. mais plutôt anecdotique, où Pe­pin retrace de façon chronologique et thématique ses 40 ans de vie syudicale.

Tour à tour secrétaire général de la CSN de 1961 à 1965 et président de la centrale de 1965 à 1976, Pepin termine sa carrière syudicale à la CSN co 1980 aprés avoir occupé un poste de conseiller spécial auprés de SOli successelU' Norbert Rodrigue

entre 1976 et 1980. SW' la seme politique, Marcel Pepin est un des fondatelU'S du Mouvement socia­liste, organisation dont il occupe la présidence durant de nombreuses années (de 1977 à 1985). Né dans la mouvance du Comité des cent. ce re­groupement se voulait une alternative au Parti québécois. Si Pepin est volubile en ce qui a trait à sa carrière syudicale, il est plutôt avare de com­mentaires lorsqu'il est question de sa carrière poli­tique. D'ailleurs, même si Keable fait appel aux témoignages de Jacques Dofuy, d'Alfred Dubuc et de Lina Trudel pour C()lllbler ce "silence", le lec­teur reste SW' sa faim en ce qui touche le Mouve­ment socialiste. Par contre, Pepin est intéressant lorsqu'il raconte ses 8Dllées de jeunesse et de for­mation en sciences sociales, lorsqu'il trace des portraits des anciens dirigeants de la CTCC-CSN (Alfred Charpentier, Gérard Picard et Jean Mar­chand, qu'il juge sévèremeot), lorsqu'il commente ses rondes de négociations avec les différents gouvemements dans le secteur public, ou encore lorsqu'il nous doonc un cours sur l'art de la négo­ciation. Nous avons également apprécié la présentation de Keable des célèbres rapports mo­raux de Pepin, ainsi que de certains textes qui ont marqué l'époque comme la Lettre aux militants (1970) et surtout Ne comptons que sur nos propres moyens (1971). Enfin, soulignons que l'auteur aurait eu intérêt à inclure à l'épilogue (ou en an­nexe) le texte que Pepin avait lu lors du colloque soulignant le 75e anniversaire de la CTCC-CSN à l'UQAM au printemps 1997. Dénonçant la collu­sion entre le gouvernement péquiste et les centra­les syudicales suite au Sommet socio-écoaomique (à saveur corporatiste) de l'automne 1996 organisé par le gouvemement Bouchard, Pepin avait re­c:ueilli un aceueiJ. chalelU'CUX de la salle.

Rares sont les ouvrages portant sur les diri­geants ouvriers. Au Québec, on compte sur les doigts d'une seule main les biographies de diri­geants ou de militants syndicaux. Dans cette pers­pective, ces deux livres, qui sont des dérivés du genre biographique, constiruent un apport non négligeable au domaine.

Éric Leroux Université de Montréal

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Luc Desrochers, Une hütoire de dignili : FAS (CSN) 1935-1973, Beauport, MNH, 1997, 389p.

Le titre de l'ouvrage est plus compliqué qu'il n 'apparait ci-dessus car on lui a ajouté : La FUération des affaires sociales telle que vue pas ses président (e)s (1974-1996), portion prépuée par Jacques Keable, Claude Saint-George et Heori Jalbert qui ont consigné dans les cinquante der­nières pages une chronologie et les témoignages des sept présidents qui ont dirigé la Fédération de 1974 à 1997. Il va sans dire que la portion la plus substantielle du volume revient à Luc Desrocbers qui a voulu au départ présenter un historique ex­haustif de la"Fédération des affaires sociales, de­venue la plus importante fédération de la CSN dans les années 1960. Son historique ne couvre fJ.Daiement que la période 1935-1973, n'ayant pu le terminer complètement pour des raisons de santé. Comme la Fédération a mis également beaucoup de temps à publier 1 'ouvrage, elle a fi­nalement décidé d'y ajouter quelques pages de témoignages qui ne sont pas sans intérat mais qui ne se comparent en rien avec le texte de Desro­cbers. On est donc en face d'un historique partiel et inachevé.

L'ouvrage fait partie des historiques de fédérations de la CSN rendus possibles grice au financement généré par le Protocole UQAM-CSN­FTQ des Services aux collectivités de l'UQAM. Dans le cadre de ce protocole, on a déjà eu droit à une Histoire de la Fédération des travailleurs du papier et de la forêt de Gilbert V anasse et à celle de La Fédération des employées et employés de services publics de Bruno Bouchard. Le premier volume est de qualité, le deuxième plutôt bâclé parce que terminé en catastrophe. L'ouvrage de Desrochers se situe heureusement dans la première catégorie et repose sur une recherche extensive des sources documentaires.

L'auteur a voulu entreprendre un ouvrage de grande envergure, de trop grande envergure, pour­rait-on dire, car il faut beaucoup de temps pour dresser un historique aussi complet sur une longue période. Comme la portion du volume qui s'étend jusqu'en 1974 compte déjà 287 pages, il fallait prévoir ajouter deux cents pages pour le compléter

de la même manière jusqu'à la fin des années 1980. Rédiger un ouvrage de prés de 500 pages devient une tAche colossale pour une seule per­sonne et exige un temps considérable. Les diri­geants de la FAS n'en demandaient probablement pas autant et ils ont du trouver le manuscrit plutôt indigeste.

Pour les historiens du syndicalisme par contre, l'ouvrage devient une source très utile d'informations sur la négociation collective et l'évolution des conditions de travail en milieu hospitalier. L'auteur trace avec moult détails la fondation des syndicats chez les infirmières et les employés généraux et s'attarde à juste titre sur la législation du travail qui est capitale pour com­prendre l'amélioration du sort de ces travailleurs. Les décrets sous la loi d'extension juridique des conventions collectives de 1934 et l' arbitrage permis par loi des services publics de 1944 ont fait faire un bond considérable à ces travailleurs mal­gré que le gouvernement Duplessis ait cherché à en restreindre l'application. D'autre part, les pages sur les années 1960 et 1970 sont particulièrement éclairantes car les syndiqués de la Fédération sont au centre des revendications des travailleurs du secteur public et parapublic. Pour cette période, 1 'auteur fait bien ressortir la main tentaculaire de l'État-employeur et la centralisation de la négo­ciation au niveau provincial qui s'est traduite par des gains extrêmement significatifs pour ces tra­vailleurs. Les revers viendront plus tard dans les années 1980, une décennie qui n'est pas traitée dans l'ouvrage.

A la lecture du volume, on se rend compte que tracer l'historique d'une fédération comme la FAS n'est pas de tout repos car pendant longtemps la négociation se fait indépendamment pour cha­que hôpital et que chaque institution compte de nombreuses catégories d'employés qui vont des journaliers aux infirmières en passant par les em­ployés de bureau et les cuisiniers. C'est pourquoi, dans le texte, il devient difficile de suivre l'évolution des salaires et des conditions de tra­vail. A notre avis, l'auteur aurait eu intérêt à

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présenter parfois un tableau des salaires et des principaux éléments de la convention collective dans les institutions les plus repRselltatives. Une comparaison devient alors possible avec les tra­vailleurs et travailleuses d'autres scclturs indus­triels, ce qui permet de jauger plus adéqualtment l'évolution de lew situation. On regrette aussi que le texte ne situe pas mieux l'histoire de la Fédéra­tion dans le contexte de l'histoire du Québec et dans celle de la CTCC-CSN.

Enfin, il est bon de signaler que l'inltrprétation générale me semble plutôt ma­nichéenne: les autorités hospitalières sœt souvent dépeinlts comme mesquines et intraitables, alors que la Fédération poursuit des objectifs nobles ct généreux tout en recherchant le bien commun même lorsque ses membres déclenchent une grève générale. On regrette que ne soit abordé le débat suscité dans la population sur la légitimité de la grève dans un sectcw aussi névralgique ct essen­tiel que le scctew hospitalier.

Néanmoins, ces réserves ne doivent pas faire oublier que l'ouvrage constitue un travail de pre­mier ordre qÙi enrichit la compréhension du syn­dicalisme québécois et dont les membres de la Fédération peuvent être fiers.

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Jacques Rouil.lard Dépanement d'histoire Université de Montréal

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