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D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2 RDC : ENJEUX Collectif ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

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D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2

RDC : ENJEUX Collectif

ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT

ÉLECTORAL

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© Groupe de recherche et d’informationsur la paix et la sécurité

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Le Groupe de recherche et d’informationsur la paix et la sécurité (GRIP)est une association sans but lucratif.

La reproduction est autorisée,moyennant mention de la source et de l’auteurPhoto de couverture : Bureau de vote au lycée Molière de Kinshasa lors des élections de 2006 (crédit : UN Photo/Kevin Jordan)

Prix : 8 euros

ISSN : 2466-6734 ISBN : 978-2-87291-081-6

Version PDF : http://www.grip.org/fr/node/2272

Les rapports du GRIP sont également diffusés sur www.i6doc.com, l’édition universitaire en ligne.

Le GRIP bénéficie du soutiendu Service de l’Éducation permanentede la Fédération Wallonie-Bruxelleswww.educationpermanente.cfwb.be

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RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2

Collectif

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 3

LES DIALOGUES DU GLISSEMENT 5

PORTRAITS 11 1. Étienne Tshisekedi 11 2. Fred Bauma et la LUCHA 15 3. Edem Kodjo 19 4. La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) 22 5. Samy Badibanga Ntita 25 6. Joseph Kabila 29 7. Moïse Katumbi 33

ÉCLAIRAGES THÉMATIQUES 37 1. FARDC entre inaction etcomplicité:lecasdesADF  37 2. Droits fondamentaux : La RDC au-dessus des lois ?  41 3. Économie congolaise : entre une croissance en trompe-l’œil et un social déconnecté 46 4.Lasociétécivileetlesdéfis de la nouvelle transition congolaise 51 5. La Justice rongée de l’intérieur 55

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INTRODUCTION

Le 20 décembre 2016, la République démocratique du Congo aurait dû connaître le nom de son nouveau Président. Il n’en a rien été. Violée ou mal interprétée – les avis divergent –, la Constitution congolaise n’a pu, comme elle l’aurait dû, jouer un rôle arbitral sans équivoque dans le processus électoral présidentiel.

Et pourtant, le moment aurait pu être historique.

Après de premières élections relativement libres et démocratiques en 2006, suivies d’un deuxième scrutin présidentiel en 2011 au résultat contesté, le départ du président Joseph Kabila au terme de ses deux mandats aurait pu être un signal démocratique fort, adressé non seulement à son successeur mais aussi aux nombreux autres chefs d’État africains concernés par une échéance constitutionnelle.

Au contraire, l’acharnement de Joseph Kabila et de son entourage a brisé net l’élan de démocratisation et l’espoir d’un peuple de savourer pleinement les avancées démocratiques de son pays. Descendu une première fois dans la rue le 19 janvier 2015 pour manifester contre la réforme de la loi électorale, il a réitéré avec conviction son désir de changement les 19 et 20 septembre, et à nouveau le 20 décembre 2016, à Kinshasa et d’autres villes du pays. Chacun de ces appels citoyens au respect de l’ordre constitutionnel a été brutalement réprimé, causant la mort de dizaines de manifestants.

Ce non-respect de la Constitution est bien évidemment dénoncé par l’opposition, qui peine toutefois à s’organiser face aux multiples « pièges » tendus par Joseph Kabila.

C’est ainsi que, pour désamorcer la colère populaire et faire baisser la pression de la« communautéinternationale»,lepouvoiraconsentiànégocieravecl’oppositionpolitique et la société civile. Ceci a donné lieu à deux processus de « dialogue » : le premier avec une frange minoritaire de l’opposition, menée par Vital Kamerhe, le second incluant toutes les principales forces politiques congolaises, dont Étienne Tshisekedi. Ce dernier « dialogue » a abouti le 31 décembre à un nouvel accord de répartition du pouvoir, l’opposition obtenant notamment les postes de Premier ministre et de président d’un comité de suivi dudit accord, cette dernière fonction étant attribuée à Tshisekedi lui-même, alors que le mode de désignation du chef du gouvernement continuait à bloquer la mise en œuvre de l’accord. En contrepartie, le présidentKabila–quis’estenfinengagéàneplussereprésenter–estconfirméàson poste jusqu’au prochain scrutin, reporté à décembre 2017, simultanément à des élections législatives.

Mais cet accord, qui a bel et bien réussi à éviter que la RDC sombre dans le chaos sanglant redouté par de nombreux observateurs, est loin d’avoir réglé tous les problèmesetdegarantirlatenueeffectivedesélectionsd’icilafin2017.

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Enparticulier,on imaginedifficilementque l’État pourra lesfinanceradéquatement,alors que le coût du processus électoral n’est pas inscrit dans le budget courant, un budget par ailleurs fortement réduit pour 2017 et équivalent à un quart de celui du Grand-Duché de Luxembourg, un pays plus de 200 fois moins peuplé que le géant d’Afrique centrale ! En outre, le décès subit de Tshisekedi est venu semer des doutes sur la solidité de l’accord, en particulier sur la capacité de l’opposition à maintenir une façade d’unité.

Pour faire le point sur ce dossier complexe, le GRIP publie le présent rapport, consacré aux principaux acteurs en présence, à des thématiques à prendre en compte pour toute analyse de la situation politique et à une synthèse du processus de dialogue entre les partisans de Kabila et ses opposants. La plupart de ces textes ont déjà été édités, entre novembre 2016 et janvier 2017, dans le format des « Éclairages » du GRIP, et sont republiés, le cas échéant avec une actualisation tenant compte des derniers événements.

Nous espérons que ce document, fruit d’un travail collectif de plusieurs chercheurs du GRIP et collaborateurs associés, pourra non seulement permettre au lecteur de mieux déchiffrerl’actualitérécente,maisaussid’avoirunemeilleureconscienceducontexteet des enjeux à l’œuvre dans un pays dont la démocratisation et une juste répartition de ses immenses ressources représenteraient un grand espoir pour toute l’Afrique.

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LES DIALOGUES DU GLISSEMENTpar Georges Berghezan

Le président Joseph Kabila est aux commandes du pays depuis janvier 2001. Il a étééluunepremière foisen2006,bénéficiantde l’auradesonpère,Laurent-DésiréKabila, auquel il a succédé après son assassinat, puis du prestige de l’homme qui a réussiàrétablirlapaixetréunifierlaRépubliquedémocratiqueduCongo.Cependant,à la veille du scrutin suivant de novembre 2011, sa popularité est en chute libre auprès d’unepopulationquinebénéficiepasdu relèvementéconomiquedupaysetvoit sedévelopper une corruption digne de l’époque de Mobutu. Aussi, pour garantir sa victoire face à une opposition divisée, il recourt à des amendements constitutionnels, ramenant l’élection à un seul tour, ainsi qu’à une vaste campagne de fraude1.

La stratégie du glissementCinq ans plus tard, alors qu’il n’a que 45 ans et que son entourage familial et lui-même ont amassé une immense fortune2, Joseph Kabila ne semble pas désireux de passer la main. Pourtant, la Constitution lui interdit de briguer un troisième mandat. Aussi, en 2013 et 2014, des ballons d’essai sont lancés pour abroger cette disposition constitutionnelle. C’estunéchec :l’oppositionpolitique,l’Églisecatholique,lasociétécivile,diverspaysoccidentaux et même des membres de l’entourage présidentiel s’opposent à cette idée.

Nouvellemanœuvreenjanvier2015 :leParlementvoteunamendementconstitutionnelprévoyant d’organiser, avant toute nouvelle élection, un recensement de la population, une procédure qui durerait environ trois ans. En réaction, des émeutes éclatent, surtout à Kinshasa et à Goma, et la répression fait au moins plusieurs dizaines de tués. Mais le Parlement enclenche une marche arrière et abandonne l’amendement contesté.

Face à l’impossibilité de changer la Constitution, Kabila et sa Majorité présidentielle (MP),lacoalitiondepartisquiluiestfidèle,changentdetactique.Laseulesolutionquiresteestd’empêcherl’électiond’unsuccesseurenretardantindéfinimentleprochainscrutin présidentiel. Tout simplement en ne dotant pas la Commission électorale nationale indépendante (CENI), chargée de l’organiser, des moyens nécessaires à sa tâche, c’est-à-dire au moins un milliard de dollars3,laCENIréclamantmême1,8 milliard4.

1. Voir, par exemple, RDC : Élections tronquées en République démocratique du Congo, Ligue des électeurs / Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), 30 mars 2012 ou RDC : la crédibilité des résultats des élections de 2011 mise en cause par l’UE, RFI, 30 mars 2012.

2. Michael Kavanagh, Thomas Wilson et Franz Wild, With His Family’s Fortune at Stake, President Kabila Digs In, Bloomberg, 15 décembre 2016.

3. Alors que le budget de l’État, de quelque 9 milliards USD en 2015, a été réduit à 4,5 milliards en 2017. Voir RDC : le projet de budget 2017 à nouveau sérieusement revu à la baisse, RTBF, 25 octobre 2016.

4. ÉlectionsenRDC :laCENIprésenteunbudgetde1,8milliardUSD,Radio Okapi, 6 décembre 2016.

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En outre, une firme franco-néerlandaise, Gemalto, a été contractée, non pas pour actualiserlefichierélectoralutiliséen2011,maispourencréerunnouveau5. Cela coûte pluscher,maisal’avantagedejustifierunallongementdesdélais.

Enfin, pour bétonner ce «  glissement  » des délais légaux, la Cour constitutionnelleinvoque,dansunarrêtdu11mai2016,l’article70delaConstitutionquiaffirmeque« LeprésidentdelaRépubliqueestéluausuffrageuniverseldirectpourunmandatdecinqansrenouvelableuneseulefois »,maisaussique,« àlafindesonmandat,leprésidentdelaRépubliqueresteenfonctionjusqu’àl’installationeffectivedunouveauprésidentélu».Autrement dit, pas d’élection, pas de successeur, et Kabila reste en place.

Restentdeuxpetitsproblèmesà régler  : lapopulation,à travers tout lepays,etplusseulement dans l’Ouest traditionnellement hostile à Kabila, est éreintée par ses seize ans de règne, tandis que l’opposition politique est impatiente de voir un représentant issu de ses rangs lui succéder. La stratégie du glissement doit donc être complétée par un semblant d’ouverture politique et des compromis avec l’opposition, d’autant plus que, à partir du 19 septembre 2016, date théorique de convocation du corps électoral, Kinshasa a de nouveau été ensanglantée par des émeutes lourdement réprimées.

Le premier dialogue et l’accord du 18 octobreC’est ainsi que, en vue de parvenir à un consensus pour l’organisation d’élections « crédibles et apaisées », s’est ouvert le 1er septembre, après plusieurs semaines de tractations,un« dialogue »entrelaMPetl’opposition,oudumoinscertainesfrangesde celle-ci. En effet, les principaux ténors de l’opposition, dont Étienne Tshisekedi, président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et arrivé en seconde position à la présidentielle de 2011, et Moïse Katumbi, dernier gouverneur del’ex-provinceduKatanga,hommed’affairesetpropriétaired’undesmeilleursclubsde football d’Afrique, le TP Mazembe, ont refusé d’y participer. Notons que ces deux hommes, longtemps rivaux, ont scellé une alliance, en juin 2016 lors du conclave de Genval (Belgique), en formant, avec d’autres chefs de file de l’opposition, unRassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. En dehors du Rassemblement, la plupart des représentants du Mouvement de libération du Congo (MLC), le principal parti d’opposition au Parlement, se sont également abstenus departiciperàcesnégociations.Parmilesraisonsinvoquéesparce« frontdurefus »,on trouve notamment une hostilité marquée à l’encontre du médiateur délégué par l’Union africaine (UA), l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo, perçu comme un proche de Kabila, les entraves mises à la liberté des médias ou le maintien en détention de prisonniers politiques.

Dans l’opposition, le principal parti à s’être joint à ces négociations tenues à la Cité de l’UA à Kinshasa a été l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, arrivé en troisième place à l’élection présidentielle de 2011.

5. Coupable implication européenne dans le glissement de Kabila : Une tricherie CENI – Gemalto, Le Potentiel, repris par 7sur7.cd, 12 septembre 2016.

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Y ont également participé quelques transfuges de l’UDPS et du MLC, promptement désavoués par leurs partis respectifs, ainsi que certains représentants de la société civile. En outre, après avoir longtemps tergiversé, un parti moins important, l’Opposition républicaine deKengowaDondo, ancienPremierministredeMobutu, a finalementaccepté de participer aux négociations. Elles ont abouti, le 18 octobre, à la signature d’un accord prévoyant principalement la formation d’un gouvernement d’union nationale présidéparunreprésentantdel’opposition ;lereportdel’électionprésidentielleenavril2018,simultanémentàdesscrutinslégislatifsnationauxetprovinciaux ;lemaintienàsonposteduprésidentKabilajusqu’àcettedate ;laconstitutiond’unnouveaufichierélectoral ;laréformedelaCENI ;etlamiseenplaced’uncomitédesuivi6.

Il fallut attendre encore un mois pour que Kabila nomme le Premier ministre, en la personne de Samy Badibanga, un dissident de l’UDPS, alors qu’on s’attendait plutôt à ce que le poste échoie à Kamerhe. Un nouveau mois a été nécessaire au nouveau Premier ministre pour former son gouvernement, comportant la bagatelle de 67 membres, 44 ministres – dont seulement 17 provenant des rangs de l’(ex-)opposition – et 23 vice-ministres7.

Le 19 décembre, jour de l’annonce de la composition du nouveau gouvernement, coïncidait avec le dernier jour théorique du mandat de Kabila. À l’appel de l’opposition, et malgré le blocage des médias sociaux et un quadrillage intense des forces de sécurité, une journée«  villemorte » aparalyséKinshasa, tandisquedes violenceséclataientle lendemain dans la capitale, mais aussi à Lubumbashi et dans les principales villes du Kongo central, le nouveau nom de la province du Bas-Congo. Mais le soulèvement généralisé que d’aucuns annonçaient n’a pas eu lieu. Plus que la répression et le déploiement sécuritaire massif, le facteur primordial qui semble l’avoir désamorcé est ledébutd’undialoguequalifié,cettefois-ci,d’« inclusif ».

Le second dialogue et l’accord du 31 décembreCe nouveau dialogue, sous les auspices de la Conférence épiscopale nationale du Congo(CENCO),émanationdelatrèsinfluenteÉglise catholique de RDC, a débuté le 8 décembre au Centre interdiocésain de Kinshasa, siège de cette même CENCO. La crainte d’une situation échappant à tout contrôle a certainement beaucoup joué, à la fois du côté du pouvoir que de l’opposition, pour accepter d’entamer ces pourparlers, qualifiés« deladernièrechance ».Yontparticipé,outredesreprésentantsdelasociétécivile, l’essentiel des forces politiques congolaises, tant celles qui ont signé l’accord du 18 octobre, c’est-à-dire la MP et la frange minoritaire de l’opposition, regroupée dans une nouvelle plateforme, l’Opposition politique signataire de l’accord (OPSA), que celles qui ne l’ont pas signé, principalement le MLC et ses alliés, coalisés dans un Front pour le respect de la constitution (FRC) créé entretemps, et le Rassemblement.

6. Unecopienonofficielledel’accorddu18octobreestdisponiblesous: http://www.mediacongo.net/dpics/files/2016-10-19-03-32-44_Dialogue_Accord_politique.pdf.

7. RDC : Samy Badibanga publie son gouvernement, Radio Okapi, 20 décembre 2016 et Gouvernement Badibanga : le PPRD en tête avec dix ministères, Radio Okapi, 22 décembre 2016.

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Après avoir opté pour un travail en commissions et au bout de plusieurs prolongations, lesnégociationssesontachevées, le31décembre,par laconclusiond’un« accordpolitiqueglobaletinclusif »,prévoyantexplicitementque,enapplicationdel’article70delaConstitution,« ayantaccomplideuxmandats »,Kabila« nepeutdoncenbrigueruntroisième »,maisestnéanmoinsautoriséàrester« enfonctionjusqu’àl’installationeffectivedesonsuccesseurélu ».Lamême règles’appliquerapour lessénateursetdéputés nationaux et provinciaux.Quant au Premierministre, il sera «  présenté parl’oppositionpolitiquenonsignatairedel’accorddu18octobre2016/Rassemblement »8. Exit donc Badibanga et place à un Premier ministre vraisemblablement issu de l’UDPS.

Comme dans l’accord précédent, les élections présidentielles et législatives nationales etprovincialessetiendrontsimultanément,mais« auplustardendécembre2017 »,soit quatre mois plus tôt que ce qui avait été convenu en octobre. En outre, il est précisé que des élections locales, encore jamais organisées depuis le renversement deMobutu,setiendronten2018.Concernantlefinancementdecesscrutins,l’accordse limite à des recommandations, exhortations et encouragements, et à une exigence de transparencede lapartde laCENI,quidevraêtre«  redynamisée »dans le sensque recommandera le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA), une structure de 28 membres qui sera dirigée par le président du Conseil des sages du Rassemblement, c’est-à-dire Étienne Tshisekedi. Le CNSA sera donc responsable de la mise en œuvre de l’accord, mais ne sera pas doté de pouvoirs contraignants.

Parmi les autres points principaux de l’accord de la Saint-Sylvestre, notons la nomination, «  dans le respect de l’inclusivité  », de nouveauxmembres du Conseil supérieur del’audiovisuel et de la communication (CSAC), qui devra garantir un accès équitable auxmédiaspublics,etdesmesuresde« décrispationpolitique »,soitessentiellementl’examen, par une Commission de hauts magistrats, des dossiers de prisonniers politiques.Lesparties« ontprisacteavecsatisfaction »quelespoursuitesengagéescontre quatre opposants ont déjà été traités. Parmi ceux-ci, Roger Lumbala, accusé de connivence avec les rebelles du M-23, a pu revenir sans problème à Kinshasa après une période d’exil en Belgique. Par contre, Moïse Moni Della, un proche de Moïse Katumbi, a dû patienter jusqu’au 28 janvier pour quitter sa geôle à Makala, principale prison de la capitalecongolaise.Enfin,laCENCOétaitchargéede« poursuivresesbonsoffices »pour résoudre deux autres «  cas emblématiques  », dont celui de Moïse Katumbi,égalementenexilenBelgiqueaprèssacondamnationdansuneaffairecontroverséede spoliation immobilière.

La troisième mi-tempsL’accord conclu, restait à le signer. Si la plupart des participants au dialogue – en particulier ceux de la MP et du Rassemblement – l’ont fait le jour-même de sa conclusion, les représentants du FRC ont attendu jusqu’au 14 janvier pour y apposer leur signature, après un ordre émis par le président du MLC, Jean-Pierre Bemba, depuis sa

8. Unecopienonofficielledel’accordestdisponiblesoushttp://www.africanewsrdc.com/wp-content/uploads/2017/01/DOC-20170102-WA0011.pdf.

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cellule néerlandaise de La Haye. Les trois derniers signataires, qui ont attendu jusqu’au 27 janvier pour s’exécuter, proviennent des rangs de l’OPSA et sont tous trois ministres du gouvernement de Samy Badibanga. Ce dernier, qui n’est pas partie prenante à l’accord, semble continuer à le récuser, dissimulant mal que sa principale motivation est de rester quelques semaines supplémentaires à la tête du gouvernement, visant vraisemblablement la session parlementaire ordinaire devant débuter le 15 mars 2017. Parcontre,VitalKamerhe,chefdefiledel’OPSA,maisnonsélectionnépourparticiperau gouvernement Badibanga, a bel et bien signé l’accord, et ce dès le 31 décembre.

Ces réticences et cet échelonnement des signatures ont poussé les délégués de la MP à déclarer, dès le lendemain de la conclusion de l’accord, qu’ils ne l’avaient signé que« sousréserve »,avançantqu’iln’étaitpassuffisamment«  inclusif ».Parailleurs,lavolontédeconclureledialogueavantlafindel’annéeaempêchéderéglerplusieurspoints cruciaux. Aussi, il a été annoncé que certaines questions devraient faire l’objet d’un « arrangement particulier », autrement dit d’un nouveau cycle de négociations, qui a débuté le 6 janvier.

Près de trois semaines plus tard, une des principales questions en suspens demeurait le mode de désignation du nouveau Premier ministre. D’un côté, le Rassemblement – auquel échoit ce poste – demande que le président Kabila entérine purement et simplement la nomination de son candidat, probablement Félix Tshisekedi, le filsd’Étienne. En face, la MP demande qu’une liste de cinq noms soit soumise au Président pourqu’ilypuiselenomquiluisembleleplusacceptable.Siunaccordafinalementpu être trouvé sur la taille du gouvernement, qui devrait comporter 53 ministres et vice-ministres, ainsi que sur le nombre de portefeuilles attribués à chaque partie9, leur répartition continuait à alimenter le débat, les deux principaux acteurs réclamant chacun queleursoientattribuésquelques« gros »ministères,dontl’Intérieur,laJusticeetlesMines, tous trois aux mains de partisans de la MP dans le gouvernement Badibanga.

Un autre point de blocage porte sur la composition du CNSA, ce comité de surveillance de la mise en œuvre de l’accord, en particulier sur le choix de ses trois vice-présidents. En outre, le décès inopiné d’Étienne Tshisekedi le 1er février à Bruxelles entraîne la disparition de son président, le seul poste qui ait été nommément attribué dans l’Accord de la Saint-Sylvestre. Logiquement, avant de trouver un remplaçant au Sphinx de Limete à la tête du CNSA, il faudra d’abord que le Rassemblement s’accorde sur le nom du président de son Comité des sages, puisque le titulaire de cette dernière fonction est automatiquement celui de l’autre. Le processus menant à cette nomination sera probablement le premier stress test important de la cohésion d’un Rassemblement orphelindesafigurecharismatique.

9. D’après RDC: accord sur la répartition des postes au sein du gouvernement d’union, RFI,27janvier2017;cetterépartitionest la suivante : MP : 21, Rassemblement : 16, OPSA : 11, Opposition républicaine : 3 et société civile : 2.

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Un mois après le début des négociations d’arrangement particulier, et alors que le décès de Tshisekedi a entraîné leur suspension pour une durée indéterminée, quelques avancéessontconfirmées :laquasi-totalitédesparticipantsaudialoguedelaCENCOont signé l’Accord de la Saint-Sylvestre, la MP a cessé de rechigner à propos de sa supposée «  non-inclusivité  » et les quelques « mesures dedécrispation  »mises enœuvre par le pouvoir semblent satisfaire le Rassemblement.

Toutefois,l’objectifétantd’organiserdesélectionsapaiséesavantlafindel’année,desquestions cruciales demeurent sans réponse, car pratiquement passées sous silence par l’Accord de la Saint-Sylvestre, principalement un calendrier précis du processus électoral, alors que la révision du fichier électoral n’a que fort timidement débuté,et dans quelques provinces seulement, et le problème apparemment insoluble du financement.Àmoinsd’unapportmassifdefondsdela« communautéinternationale »,cequ’ellefitlorsdupremierscrutinprésidentielde2006,oud’unrapatriement-surprisedes sommes pharamineuses détournées par les caciques du régime vers des paradis fiscaux,onnevoitvraimentpascommentlerachitiquebudget2017del’État congolais permettra de dégager les centaines de millions de dollars nécessaires à l’organisation des élections.

En attendant, le processus de négociations sans fin en vue, les retards accumulésen querelles de répartition de postes et le laps de temps qui sera nécessaire au Rassemblement pour «  digérer  » la disparition de Tshisekedi ont, au moinsprovisoirement, réussi à désamorcer la colère populaire et à faire baisser la pression internationale sur Kabila, maintenant assuré de rester au pouvoir, en toute légitimité, au moins une année supplémentaire.

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PORTRAITS

1. ÉTIENNE TSHISEKEDI10

par Clément Hut

Étienne Tshisekedi, le « président » comme se plaisait à l’appeler son entourage, a créé la surprise en mettant, en juillet 2016, un terme à sa convalescence en Belgique, où il séjournait depuis 2014, pour rentrer à Kinshasa et diriger l’opposition dans sa passe d’armes avec la Majorité présidentielle (MP). Opposant des gouvernements Mobutu à partir des années 1980, puis de ceux de Laurent et Joseph Kabila, le fondateur de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) cristallise et rassemble autour de lui une opposition réfractaire aux conclusions du premier « dialogue politique ». Jusqu’à son décès, à 84 ans, celui qui, tour à tour, a été un ordonnateur et un observateur de la viepolitiquecongolaise,disposaittoujoursd’uneconsidérableinfluence.

Du gouvernement à l’opposition, un récit politique tourmentéNé en 1932 au Kasaï-Oriental, dans ce qui était alors le Congo belge, Étienne Tshisekedi wa Mulumba poursuit des études au Kasaï-Occidental puis à Kinshasa, et devient le premier docteur en droit du pays.

C’est à la suite du départ précipité de l’administration coloniale belge et de l’éviction du Premier ministre Patrice Lumumba que l’étudiant se retrouve propulsé dans l’arène politique. Il prend le poste de Commissaire adjoint à la Justice dans le Collège des Commissaires généraux, un gouvernement temporaire mis en place par Mobutu, alors colonel. Jusqu’en 1965, sa formation juridique le conduit à occuper diverses positions dans la nouvelle administration, et lui permet d’entrer dans le cercle rapproché de Mobutu, promu entretemps au grade de général. Au sein des gouvernements successifs, Tshisekedi occupe les rôles de ministre de l’Intérieur (1965-1968), de la Justice (1968-1969) et de ministre d’État chargé du plan (1969). Ce passage dans l’administration mobutiste laissera des traces dans sa carrière politique. En plus de son rôle dans la pendaisondes« Martyrsde laPentecôte »11, il est déchu de ses droits politiques en 1998 pour son rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba.

10. Ce texte a initialement été publié, le 25 novembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques»duGRIP,sousl’adressehttp://www.grip.org/fr/node/2154.Ilasubidiversesmodificationsafindetenircompte de l’actualité.

11. Le 2 juin 1966, quatre hauts fonctionnaires de la République du Congo, accusés d’avoir comploté contre le chef de l’État, sont pendus publiquement. Tshisekedi, alors ministre de l’Intérieur, déclarait à leur propos : « L’action pénale ne doit pas toujours être répressive, mais préventive : il faut prévenir tous ceux qui étaient dans le coup, et ceux qui attendaient leur tour, pour qu’ils puissent voir avec quelle sévérité on punit ce genre d’infraction (…) notamment de connivence avec les milieuxdelahautefinanceétrangèrequenouscombattonspourlesintérêtssupérieursdelanation.»

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Au cours de ces années, des dissonances se font progressivement sentir avec le Maréchal-Président. L’imposition du monolithisme politique, avec la mise en place d’un systèmedeparti unique, concourt à séparer lesdeuxhommes.En effet, Tshisekediavait contribué à la rédaction de la version initiale du manifeste de la N’Sele prévoyant notamment un système bipartite. Le massacre des étudiants de Lovanium en 196912 contribue à consommer la rupture entre les deux caciques du régime, et Tshisekedi est écarté du pouvoir exécutif.

S’ouvre alors, pour celui qui a été très proche de Mobutu pendant une vingtaine d’années, une période d’alternance entre emprisonnement et exil intérieur, alors que son engagementdansl’oppositionseconfirme.Cettemiseaubanestprogressive : Étienne Tshisekediestdansunpremiertempsécartédupouvoirexécutifetnommé ambassadeurduZaïreauMaroc,pendantmoinsd’unan.IlofficieparlasuiteentantquedéputéduKasaï-Oriental jusqu’à son arrestation en 1980. Le 1er novembre 1980, la Lettre ouverte adressée au Maréchal-Président qu’il cosigne avec douze autres parlementaires, souligne sa distanciation avec l’exécutif et constitue l’acte fondateur de l’UDPS. Dans cette lettre, Tshisekedi et les parlementaires s’opposent à la toute-puissance du parti présidentiel,leMouvementpopulairedelarévolution (MPR),etavancentunesériedepropositions pour démocratiser le pays. En tant que président de l’UDPS, Tshisekedi dénonce le système de parti unique et la mainmise de Mobutu sur le pays, à travers son partiauquelchaqueZaïroisdoitadhérer. Cettefrondeassuméeluivaudrad’êtrearrêtésix fois entre 1983 et 1988. C’est à la suite de quatorze mois d’assignation en résidence surveillée, en 1991, qu’il entame une tournée politique qui le porte en Amérique du NordetenEuropedel’Ouestetl’érigeenfiguredeproueinternationaledel’oppositionau Maréchal-Président.

Trois fois Premier ministre en six ansLe pouvoir exécutif, qui vacille déjà au début des années 1990, tente alors de tempérer une contestation populaire qui enfle. Pour ce faire,Mobutu coopte unilatéralementTshisekedi qui devient alors Premier ministre, une première expérience de courte durée entre septembre et novembre 1991. L’année suivante, la Conférence nationale souveraine13 le réélit à ce poste le 15 août. Son passage est tout aussi bref, miné par des différences irréconciliables avec les caciques du régime. Une fois restructurée,l’opposition à Mobutu le nomme chef de l’Opposition démocratique interne en 1993, alors que la vie politique se polarise entre les tenants du mobutisme et une opposition large et diverse.

12. Le 4 juin 1969, les étudiants de l’Université de Lovanium (Kinshasa) descendent dans les rues pour demander une plus grande autonomie universitaire ainsi que l’amélioration des conditions matérielles des étudiants. La répression sanglante decettemanifestationpacifiquefait30morts.

13. Sous la pression internationale, le régime a consenti à organiser cette conférence rassemblant, entre 1990 et 1992, des délégués représentant toutes les couches de la population dans le but de démocratiser la société zaïroise.

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Alors qu’est sur le point de s’achever la première guerre du Congo14, Tshisekedi reprend, très brièvement en avril 1997 ses fonctions de Premier ministre à l’initiative du Parlement de transition. La main tendue par Tshisekedi à l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila plait peu au Président malade quichoisitdel’écarterunenouvellefois.Ceténièmepassageéclairluiôtedéfinitivementl’envie d’occuper un poste dans un gouvernement qui ne lui serait pleinement acquis.

À la suite d’une nouvelle période d’alternance entre exil interne et emprisonnement dans ce qui est maintenant la République démocratique du Congo (RDC), il refuse, en 2003, de participer au gouvernement de Joseph Kabila qui occupe le pouvoir laissé vacant par l’assassinat de son père.

Uneavancéedémocratiqueseprofileavec ledialogue intercongolaisorganiséàSunCity en Afrique du Sud et la signature d’un accord global et exclusif qui prévoient des élections multipartites en 2006. Alors qu’il l’avait appelé de ses vœux pendant trois décennies, l’opposant historique fait cependant le choix d’emmener l’UDPS dans le boycott du scrutin. Moins d’un an après la victoire de Joseph Kabila, il doit quitter laRDCdansunavionmédicalisé.Cetexilprendfinen2010,alorsquelemandatduPrésidenttoucheàsafinetquelespréparatifspourlesélectionsde2011sontentamés.Cette fois-ci, l’UDPS se lance à corps perdu dans la bataille présidentielle. Candidat malheureux face au président sortant réélu, il dénonce avec véhémence les résultats de l’élection dès le lendemain du scrutin, s’arrogeant unilatéralement et dès cet instant le titrede« président »,qualificatifquinel’apasquittédepuis.

L’éternel chantre de l’opposition ? En 2014, le chef de l’UDPS doit de nouveau quitter son pays pour raisons médicales. Cette période est marquée par sa quasi-disparition du paysage médiatique, seules de raresvidéosoù il apparaitaffaibli témoignentde lapersistancedesoncombat.Cetteabsence de la vie publique et cet éloignement du Congo ne semblent toutefois pas affecter sa popularité  : c’est en effet une foule en liesse, massivement présente dèsl’aéroport de N’Djili et sur tout le parcours, qui l’accueille lors de son retour à Kinshasa le 27juillet2016,témoignantdelacapacitédu« sphinxdeLimete »àmobiliserlesmasses.Entretemps, il a marqué de son empreinte le colloque de Genval (Belgique) qui a permis la formation d’un « Rassemblement des forces politiques et sociales de la RDC acquises au changement »,regroupantlamajoritédesforcesd’opposition,dontl’UDPS,etexigeantlatenue de l’élection présidentielle selon les termes prévus par la Constitution.

Le « dialogue politique »convoquéparKabila,afinderassemblerautourdelamêmetable l’ensemble des forces politiques de la RDC, officiellement pour préparer des«  élections apaisées  », en réalité pour entériner leur report, est donc boudé par leRassemblement.

14. LapremièreguerreduCongoestunconflitintervenud’octobre1996àmai1997,autermeduquelMobutuSeseSekofutchassé du pouvoir par des troupes rebelles soutenues par le Rwanda et l’Ouganda et remplacé par Laurent-Désiré Kabila. La deuxième guerre du Congo (1998-2003) résulta de la rupture de l’alliance entre L-D Kabila et ces deux pays, qui envahirent le Congo et placèrent aux commandes de près de la moitié de son territoire des mouvements rebelles à leur solde.

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Tshisekedi se pose en pourfendeur de ce «  dialogue  », que seuls ont rejoint lamouvance présidentielle et une portion minime de l’opposition. Les appels répétés du gouvernement et du médiateur Edem Kodjo pour que l’UDPS et Tshisekedi s’y joignent sont restés sans réponse.

Sepositionnantenporte-à-fauxde lastratégiede« glissement »adoptéparKabila,il ordonne par voie de presse au président de respecter les délais constitutionnels, affirmantque«le20décembre,lamaisondoitêtrelibre».

Cependant, à quelques semaines de cette date fatidique, à laquelle un nouveau Président aurait dû entrer en fonction, il parvient à arracher à Kabila un second dialogue, inclusif cette fois. Sous la médiation de la Conférence épiscopale congolaise (CENCO), MP et opposition parviennent à trouver un accord dans la nuit de la Saint-Sylvestre. Un nouveau calendrier électoral et une refonte du partage du pouvoir politique durant la transition sont convenus. En particulier, en sa qualité de président du comité des sages du Rassemblement, Tshisekedi est nommé président du Comité national de suivi de l’Accord. Mais sa mise en œuvre pose problème, ce qui ouvre un nouveau volet de négociations sur les « arrangementsparticuliers  » jugés nécessaires. Alors que des avancées décisives sont obtenues – en ce qui concerne notamment la clé de répartition des postes au sein du nouveau gouvernement –, Tshisekedi doit quitter, pour la troisième foisendixans,leCongoetsefairehospitaliserenBelgique.Le« président »s’éteintàBruxelles le 1er février 2017, victime d’une embolie pulmonaire.

Alors que les différentes composantes politiques butent encore sur le mode dedésignation du nouveau Premier ministre, la mort du Sphinx soulève de nouvelles incertitudes. L’UDPS, parti qui domine le Rassemblement, semble avoir évité l’écueil que représente la succession de la présidence du parti, en se rassemblant derrière le filsdudéfunt,FélixAntoineTshisekedi.Lorsdelacérémoniequis’esttenueauPalaisduHeyselàBruxelles,enmémoiredel’opposant,lesdifférentesdélégationsdupartionteneffetplébiscitélefils.Lesnégociationsautourdelamiseenœuvredel’accorddu31décembreont,elles,étésuspenduesjusqu’àlafindesfunérailles.Ladatedeleurrepriseest cependant bien incertaine. À l’UDPS, qui réclame que ce soit un nouveau Premier ministre issu de ses rangs qui accueille la dépouille de Tshisekedi, la MP répond qu’elle refuseratoutenégociationjusqu’àlafindesfunérailles.Enl’état,ilsemblebienincertainquelesdifférentespartiesseplientàl’appeldel’anciennesecrétairedel’Unionafricaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, qui enjoignait les forces politiques congolaises à mettre en œuvre l’accord dans les plus brefs délais, dans un dernier hommage à la constance de l’engagement d’Étienne Tshisekedi en faveur de la démocratie.

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2. FRED BAUMA ET LA LUCHA15

par Clément Hut

Libéré le 29 août 2016 après près de dix-huit mois d’incarcération, Fred Bauma, militant de la toute première heure de la Lutte pour le changement (LUCHA) est devenu l’un des visages d’une nouvelle génération congolaise, exigeante et porteuse de changement. Aucun portrait de Fred Bauma ne saurait omettre la place prioritaire qu’occupe désormais le mouvement dans sa vie ni faire l’impasse sur l’histoire particulière de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu.

La LUCHA tout d’abord. Si Fred Bauma en est devenu l’une des personnalités visibles, c’est davantage dû à son parcours, marqué par un long emprisonnement, que par sa position dans un mouvement caractérisé par son horizontalité et son absence de hiérarchie. Goma ensuite, car l’engagement du jeune militant – et aussi la raison d’être delaLUCHA–,s’enracinentdanslesconflictualitésquistructurentlarégion.

Retour sur l’un de ces jeunes qui entendent façonner le Congo d’aujourd’hui et de demain.

Opposer la résilience à la violence politique : genèse de la LUCHA La LUCHA, jeune et audacieux collectif citoyen créé en 2012, souhaite opposer à la violencequiendeuillelesKivusunenouvellemanièrepacifiquedefairedelapolitiqueetde créer un destin commun. On peut la lire comme une contre-émanation de l’histoire sanglante de la région, une réaction contraire aux groupes qui entendent faire porter leur voix et imposer leur vision par les armes. Ancienne perle urbaine du lac Kivu, la ville de Goma a connu depuis les années 1990 une succession quasi ininterrompue de violences, produit des tensions régionales et locales.

Dès 1994, elle bascule dans le chaos dès les premières heures du génocide rwandais, étant frontalière de Gisenyi et à seulement 75 kilomètres de l’Ouganda. Alors que le génocideprendfin, sous l’effetde l’offensiveduFrontpatriotique rwandais, prèsde650 000réfugiésyaffluentets’installentdansdescampsdefortuneauxabordsdelaville. Deux ans plus tard, alors que le règne de Mobutu vacille, les rebelles de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) y pénètrent puis poursuivent leuroffensivesurKinshasa,dontilss’emparentenmai1997.L’accessionaupouvoirdeLaurent-DésiréKabilamarquelafindela« premièreguerreduCongo ».

15. Ce texte a initialement été publié, le 5 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2170.

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Mais la paix ne dure pas et une seconde guerre éclate après la rupture de l’alliance entre Kabila et ses mentors rwandais et ougandais. Ceux-ci envahissent à nouveau la RDC et Goma devient le centre nerveux de l’occupation rwandaise, avec notamment la mise en placed’un« Rassemblementcongolaispourladémocratie »pro-Kigali.

Les accords de Sun City, signés en 2003 en Afrique du Sud, mettent un terme au second conflit et prévoient la création d’une nouvelle force armée nationale, intégrant desélémentsdesdifférentsgroupesenconflitjusqu’alors.Cependant,particulièrementauKivu, des groupes armés, congolais et de pays voisins, vont proliférer et multiplier les exactions contre les civils, surtout dans les campagnes. Un de ces groupes, le M-23, composé de déserteurs de l’armée congolaise soutenus par le Rwanda et l’Ouganda, va même s’emparer de Goma pendant une dizaine de jours en novembre 2012.

Fred Bauma : visage d’un « mouvement sans leader16 » 

L’histoire de la région apparait comme essentielle pour comprendre la forme actuelle de la LUCHA, et ses méthodes d’actions. Composé de jeunes, témoins de deux décennies de violences et désemparés face à l’état déplorable du pays et à l’avenir qu’il leur réserve, le collectif apparait comme une alternative crédible mais aussi comme undéfiàtousceuxquicontinuentdevouloirforgerledestindupaysparlaforcedesarmes.L’organisationentendpromouvoirun« Congodeliberté,unCongodejustice,un Congo de paix, un Congo prospère, un Congo véritablement indépendant17 ».

FredBaumaestàGomaenmai2012lorsqu’ils’agitderéfléchir,avecd’autresjeunesdela ville, aux responsabilités de l’État mais aussi à celles des citoyens eux-mêmes face au délitementdupays.Eneffet,selonlui,être citoyen vous donne des droits mais aussi des devoirs auxquels vous ne pouvez manquer.C’estdoncsansmoyensfinanciers,maisavec des idées et de la conviction, que lui et ses camarades décident de se mobiliser une première fois, le 1er mai à l’occasion de la fête du travail. Tout un symbole pour un pays qui n’en propose pas à sa jeunesse.

Le collectif est en marche. Dès cet instant, Fred Bauma ne cessera de s’y investir, identifiantlesunsaprèslesautreslesdéfismajeurs–améliorationdelasituationsocio-économique par une plus grande redevabilité des autorités – du pays et les actions les pluspertinentesetsymboliquespourlesprésenter.Marchespacifiques,sit-in ;malgréleur caractère non violent, ces actions ont été parfois l’occasion de confrontations avec les autorités publiques et même d’arrestations.

Ouvertesurlecontinent,s’inspirantdesesfigurestutélaires–àl’instardeMandela –,la LUCHA garde des liens ténus avec d’autres organisations qui façonnent une Afrique nouvelle, comme le Balai citoyen au Burkina Faso ou Y’en a Marre au Sénégal.

16. Interview de Fred Bauma par Michel Luntumbue et Pierre Martinot, le 10 octobre 2016, paru dans l’ouvrage collectif « Une jeunesse africaine en quête de changement ».

17. Manifeste de la LUCHA.

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C’est d’ailleurs dans le cadre d’un atelier avec ces mouvements à Kinshasa, à l’occasion du lancement d’un autre collectif, Filimbi – qui regroupe plusieurs associations congolaises – que Fred Bauma est arrêté le 15 mars 2015. Détenu près de trois mois par l’Agence nationale de renseignements dans une prison secrète, sans droit de visiteniavocat,il estparlasuitetransféréàMakala.C’estdanslaplusgrandeprisondupays,àKinshasa,qu’ilpassequinzemois,accuséd’« avoircomplotécontrelavieoucontre lapersonneduchefde l’État »,selon leministèrepublic.Sous lapressionconjointe des chancelleries nord-américaines et européennes, la Cour suprême décide salibérationconditionnelle,le29 août2016.Silalibérationdesprisonnierspolitiquesestuneconditiondel’oppositionpourrallierle« dialogue »,FredBaumaestnéanmoinsl’undesraresàbénéficierdecetteamnistie.Leschargesretenuescontre luinesontcependantpasabandonnéesetladatedesonprocèsdoittoujoursêtrefixée.Lafragilitéde sa situation juridique ne l’empêche pourtant pas de reprendre très vite ses activités militantes.C’estainsiquelaLUCHAn’aeneffetpassouhaitésejoindreau« dialoguepolitique »18, estimant que les conditions préalables pour un dialogue constructif n’ont pas été remplies. L’organisation estime également ne pas avoir eu de garantie que celui-ci n’aboutisse pas à un partage du pouvoir et parvienne à organiser des élections dans les délais constitutionnels.

FredBauma faitéchode lapositionde l’organisation,qui jugequ’au-delàdeseffetsd’annonce, les mesures de décrispation politique n’ont pas porté leurs fruits. Il fustige ainsi lefaitque« pendantqu’onlibèredespersonnes,onenarrêted’autres »19. Pour lemilitant, lastratégiedugouvernement,alternant« crispation »et« décrispation »,contribue à un climat délétère, où le dialogue ne saurait être serein, alors que les voix dissidentessontleplussouventétouffées.

Son organisation reproche aux autorités la répression qui s’est abattue sur les médias dontlesligneséditorialesn’ontpasétéjugéessuffisammentfavorablesauxautorités.Eneffet,depuis2015,lesfermeturesdejournaux,radioslocalesetstationsdetélévisionse sont multipliées. En 2016, les radios étrangères ont aussi été visées. À plusieurs reprises, le pouvoir coupe le signal de Radio France internationale (RFI) et celui de Radio Okapi, qui dépend de l’ONU, puis perturbe les fréquences de RFI au Congo-Brazzaville, écoutée à Kinshasa. Dans le même élan, Lambert Mende, le ministre de la Communication du gouvernement Matata sortant signera un arrêté stipulant que la diffusiondesmédiasinternationauxenRDCestconditionnéeàuneprisedecontrôledes Congolais sur leur entreprise.

En novembre 2016, Fred Bauma dénonce la restriction de l’espace démocratique auprès de l’Union européenne et devant le Congrès américain et plaide pour un renforcement de la pression internationale sur le régime.

18. Georges Berghezan, Le glissement suffira-t-il à éviter la chute de Kabila ?, Éclairage du GRIP, 25 novembre 2016.19. TrésorKibangula,FredBauma:«LaLUCHAattenddepiedfermeunnouveauprésidentenRDCàlafindel’année»,Jeune

Afrique, 5 septembre 2016.

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Àmesure qu’approche la date du 19 décembre 2016 signifiant la fin du deuxièmemandat du président Kabila, Fred Bauma est plus actif que jamais. Avec une dizaine de mouvements citoyens, dont la LUCHA et Filimbi, il s’investit à présent dans la campagne deladernièrechance,« ByeByeKabila ».Lancéele26novembre,elleinvitelePrésident à quitter son poste.

On sait désormais que les élections ont été reportées pour de nombreux mois. En attendant, la LUCHA continue de marteler sa volonté de voir Kabila quitter ses fonctions. Selon Fred Bauma, «  la Loi fondamentale a prévu des mécanismes depassationdepouvoiraucasoùlaprésidentielleneseraitpasorganiséedanslesdélais :le présidentduSénatpeutêtreamenéàfairel’intérim.D’autantqu’ilestinconcevablequ’une transition soit conduite par les mêmes dirigeants qui ont tout fait pour bloquer leprocessusélectoral »20.

Malgré son emprisonnement et les pressions qu’il subit quotidiennement, Fred Bauma entend bien poursuivre ses actions militantes, en dépit des dangers. Celui qui se dit inspiré par la philosophie de l’action non violente prônée par Gandhi et Martin Luther King, poursuivra son engagement pour conscientiser la jeunesse congolaise. Car, commeil lerépèteà l’envi  :« Unejeunesseconscienteetunpeupleexigeantsont lemeilleurgarde-foudémocratique. »21

20. Ibid.21. Interview de Fred Bauma par Michel Luntumbue et Pierre Martinot, loc. cit.

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3. EDEM KODJO22

par Clément Hut

Edem Kodjo est un homme politique togolais. Ancien Premier ministre de son pays, il a été désignéparl’Unionafricainepour« faciliter »ledialogueentrelepouvoiretl’oppositioncongolaise. À l’instar d’Étienne Tshisekedi, il fait partie d’une génération d’hommes politiques dont l’engagement a été marqué par le développement du multipartisme en Afrique à partir de 1990. Il est loin de faire consensus dans une RDC minée par la crise.

Entre cénacles du pouvoir, exil et opposition « modérée »Néen1938àSokodé,aunordduTogo,EdemKodjoaeffectuésesétudessecondairesau Ghana voisin, puis entamé des études supérieures en France en 1957. Diplômé de l’ENA en 1964, il est ensuite engagé à la Télévision française (ORTF). Il retourne au Togo en 1967, juste après le coup d’État du colonel Étienne Eyadéma Gnassingbé.

S’ouvre alors une période trouble pour le Togo, qui sera marquée par la présidence interrompue de Gnassingbé pendant trente-huit ans. C’est dans l’ombre de ce dernier qu’Edem Kodjo fait ses premières armes. Nommé Secrétaire général du ministère des Finances, il devient gouverneur auprès du Fonds monétaire international, poste qu’il occupera pendant six ans. En 1969, il est un des fondateurs et devient un des principaux dirigeants du Rassemblement du peuple togolais (RPT), unique parti autorisé au Togo pendant plus de vingt ans.

Durantlesannées1970,ildevientsuccessivementministredesFinancesetdesAffairesétrangères. En 1978, il est élu Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Pendant les cinq ans de son mandat, il est confronté à la délicate crise du Sahara occidental, devenu indépendant et immédiatement occupé par le Maroc.

Durant son mandat à l’OUA, il se distancie du régime d’Eyadéma, dont il critique l’autoritarisme. En 1983, il choisit l’exil et revient en France, où il enseigne à la Sorbonne et fonde le magazine Afrique 2000. En 1991, alors qu’un vent de liberté se lève sur l’Afrique, il retourne au pays et fonde l’Union togolaise pour la démocratie (UTD). Deux ans plus tard, il est désigné candidat unique de l’opposition à l’élection présidentielle mais, craignant desfraudesmassives,ilprônefinalementleboycottduscrutin,remportéparEyadéma.En 1994, le RPT perd sa majorité parlementaire absolue et Kodjo devient Premier ministre d’un gouvernement de coalition entre le RPT et l’UTD, jusqu’à sa démission, deux ans plus tard, lorsque le RPT retrouve sa majorité à la faveur d’un scrutin partiel.

22. Ce texte a initialement été publié, le 12 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2183.

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Edem Kodjo retourne donc à l’opposition et, en 1999, il fond son UTD dans une nouvelle formation, la Convergence patriotique panafricaine (CPP). Après avoir été candidat malheureuxàl’électionprésidentiellede2003(0,96 %desvoixselonlesrésultatsofficiels,qu’il dénonce comme frauduleux), il retrouve, deux ans plus tard, le fauteuil de Premier ministre,cettefois-ciàl’appeldeFaureGnassingbé,filsetsuccesseurd’Eyadémadécédéen février 2005. Il reste une bonne année à ce poste, avant de devenir ministre d’État à la présidenceen2006.Bienqueconsidéréscomme lesfiguresdeprouede l’opposition« modérée »,KodjoetsaCPPn’obtiennentaucunsiègeauxlégislativesde2007.Deuxansplus tard, le septuagénaire annonce son retrait de la scène politique intérieure togolaise et son désir de se consacrer à ses projets panafricains, ainsi qu’à ses deux passions, la littérature et la théologie23. Jusqu’à ce que la crise de RDC le rattrape…

Échec de la « décrispation » du climat politiqueEn tant que facilitateur du dialogue inter-congolais, Edem Kodjo a été confronté à de nombreux obstacles dès sa désignation, le 16 janvier 2016, par l’Union africaine (UA). Dès le lendemain, la plupart des partis de l’opposition politique, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et les coalitions de la Dynamique de l’opposition et du G7, font savoir qu’ils s’y opposent, dénonçant la médiation de l’UA, jugée trop favorable au président Kabila, et un processus qui ne servirait qu’à entériner le glissement du calendrier électoral. Le premier semestre du mandat d’Edem Kodjo consiste dès lors à concilier deux mouvances opposées, qui se rejettent mutuellement la responsabilité du retard dans l’organisation de l’élection.

Les blocages sont nombreux dans ce processus. L’UDPS et son président, Étienne Tshisekedi, initialement favorables au dialogue, soumettent leur participation à une sériedeconditions.EdemKodjo,pourqui«  iln’yaurapasdedialoguepolitiquesansl’UDPS »24, plaide auprès du gouvernement pour que ce dernier réponde aux demandes de l’opposition, dont la libération des prisonniers politiques, la liberté des médias, puis l’abandon des poursuites engagées contre Moïse Katumbi. Ces conditions font écho aux demandes de plusieurs mouvements citoyens et organisations de défense des droits de l’homme, qui réclament l’abandon complet des charges contre tous les prisonniers politiques – et non plus seulement la libération – en contrepartie de leur participation.

La convocation, pour le 23 août, du comité préparatoire au dialogue à l’initiative de Kodjo, alors que les doléances de l’opposition n’ont pas été rencontrées, contribue à la crispation du climat politique et conduit de nombreuses formations à refuser toute participation.Silefacilitateuradéclaréle15juilletque« l’essentielestfait »encequiconcerne les demandes de l’opposition, la lecture des différentes plateformes esttoute autre. Par la voix de son secrétaire, l’UDPS – membre de la nouvelle coalition du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement fondé à Genval (Belgique)en juin–dénonce«  laprécipitationavec laquelleMonsieurKodjo

23. La quatrième vie d’Edem Kodjo, Jeune Afrique, 20 mai 2009.24. Edem Kodjo : il n’y aura pas de dialogue sans l’UDPS, Radio Okapi, 21 mai 2016.

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alancé,unilatéralement,l’invitationpourlestravauxpréparatoiresdudialogue »25. Ce dernier débute finalement le 1er septembre, quelques jours après la libération d’une poignée de prisonniers politiques. Par ailleurs, les médias jugés proches de l’opposition n’ont pas été rouverts, et les charges qui pèsent contre Moïse Katumbi sont maintenues. Les conditions posées par les principales formations n’ayant pas été remplies, le Rassemblement, la Dynamique et le G7 déclinent l’invitation du facilitateur.

Facilitateur d’un dialogue dénaturéDe fait, le dialogue qui s’est tenu en septembre et octobre a été marqué par l’absence de la plupart des partis de l’opposition et des représentants de la société civile. Déjà, selon les conclusions du comité préparatoire, l’objet du dialogue portait davantage sur lafinalisationd’unnouvelaccorddepartagedupouvoirquesur la tenued’électionsselon les termes constitutionnels – avant le 19 décembre 2016.

Si à la faveur de la médiation d’Edem Kodjo, un nombre limité de prisonniers politiques ont été libérés, il n’en demeure pas moins que ceux-ci bénéficient d’une libertéconditionnelle et que les charges n’ont pas été abandonnées.Malgré les efforts dufacilitateur auprès de Kabila pour que les médias pro-opposition rouvrent, la répression et la censure s’accroissent. Ces constats, couplés aux conclusions du comité préparatoire – à l’opposé des attentes d’une majorité de l’opposition – ont contribué à détourner cette dernière du dialogue.

Le dialogue, qui se voulait lieu de discussions de l’ensemble des forces politiques congolaises, s’en trouve dénaturé. Les accords qui en sont issus et ont été signés le 18 octobre entérinent le glissement du calendrier électoral. Les chances d’organiser les élections dans les délais constitutionnels s’évaporent. Les participants au dialogue se sont accordés pour « préparer et organiser les élections présidentielle, législatives et provinciales dans un délai de six mois dès la convocation des scrutins le 30 octobre 2017 »26. De fait, le pouvoir a tendu une main timide vers une partie de l’opposition, et  nommé unPremierministre issu de ses rangs.Ce dernier, SamyBadibanga, estcependant loin de faire l’unanimité.

S’il n’en a pas été l’architecte, Edem Kodjo s’est révélé être un acteur important du dialogue. En dépit de ses succès relatifs, ses nombreuses maladresses – de communication notamment–ontcontribuéàproduireunaccordquel’onnepourraitqualifierd’apaisant.Entémoignentlesharanguesd’ÉtienneTshisekedi,quin’adecessed’affirmerqu’ilconvoquera,lui,un« vrai »dialogueinclusif.Alorsquel’encredesraressignaturesdesconclusionsdudialogue est maintenant bien sèche, le rôle du facilitateur dans la crise congolaise semble se terminer. Son appel au respect de l’accord semble être jusqu’à maintenant écouté par la majoritéprésidentielle :unPremierministreissudel’oppositionaéténommé.Pourcequienestdelatenued’électionsd’icifin2017,l’énarquetogolaisdevrapatienter.

25. Bruno Mavungu, Communiqué de presse de l’UDPS, Kinshasa, 24 juillet 2016.26. Accord politique pour l’organisation d’élections apaisées, crédibles et transparentes en République démocratique du

Congo, Primature de la RDC, 18 octobre 2016.

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4. LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE NATIONALE DU CONGO (CENCO)27

par Clément Hut

Depuisle8décembre,le« dialoguedeladernièrechance »adébutéentre,d’unepart,les signataires de l’accord du 17 octobre ayant accordé le poste de Premier ministre à un représentant de l’opposition, Samy Badibanga, et, d’autre part, la grande partie des opposants ayant refusé de cautionner ce processus. Ce second dialogue, dit inclusif, n’auraitpuavoirlieusansleseffortsdelaConférenceépiscopalenationaleduCongo(CENCO), une structure rassemblant la hiérarchie de l’Église catholique.

Dans un pays d’environ 80 millions d’habitants, l’Église catholique, qui revendique parmi ses fidèles plus de 40%de la population congolaise, dispose d’une voix puissante.Forte d’un maillage poussé, présente sur l’ensemble du territoire – là où parfois l’État nepeutsefaireentendre–,l’Églisefaitfigured’acteurpolitiqueincontournable,commeen témoigne son rôle lors des nombreuses crises qu’a connues le pays durant ces dernières décennies. Alors que la carte religieuse du pays subit des changements profonds, le clergé catholique, représenté par la CENCO, témoigne d’une vitalité et d’un engagement politique sans relâche, puisant ses sources dans une volonté constante de prévenir les violences dans une société congolaise profondément divisée.

Un acteur politique historiqueMalgré la montée en puissance de nombreux autres cultes – notamment le protestantisme et sa multitude d’églises du réveil, le kimbanguisme et l’islam –, l’Église catholique est parvenue à demeurer le premier interlocuteur religieux des autorités successives.

SisarelationaveclepouvoircentralàKinshasaaétéfluctuante–destensionsayantnotamment émaillé ses relations avec le régime de Mobutu, avant un rapprochement au début des années 1990 –, le rôle primordial joué par le clergé dans l’actuelle crise congolaise souligne l’autorité morale dont jouit encore l’institution.

Il serait outrancier de confiner le rôlede l’Église à celui d’unmédiateur uniquementcapable de réunir à la même table des forces politiques que tout semble opposer. L’Église catholique de RDC, représentée par ses évêques organisés au sein de la CENCO, s’est en effet ponctuellement illustrée par ses prises de position politiques.Mais,malgréses nombreux plaidoyers en faveur du respect des institutions politiques et de la Constitution, il serait erroné de la classer comme un énième acteur de l’opposition, tant certainsecclésiastiquesn’hésitentpasàafficherleurproximitéaveclepouvoirenplace.

27. Ce texte a initialement été publié, le 16 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2195.

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Ainsi,unlongconflitaopposéladirectiondel’Égliseàl’abbéMalu-Malu,présidentdela commission électorale entre 2003 et 2015 et décédé en juin 2016, qu’elle accusait d’être à la solde du pouvoir. Il est vrai que cette commission a joué un rôle moteur dans le glissement du calendrier électoral,à l’originedelacrisepolitiqueactuelle.

La compromission de certains hommes d’Église avec le pouvoir ne saurait occulter les nombreuses foisoù laCENCOs’estopposéeau régimeenplace,dansuneffortdesortiedecrise.En1991déjà,unpouvoiràboutdesouffleconvoquait laConférencenationale souveraine (CNS), dans une manœuvre politique visant à redorer le blason d’un Mobutu Sese Seko vieillissant. C’est l’archevêque de Kisangani, Laurent Monsengwo, qui se retrouve alors à la tête du bureau national de la CNS. Il deviendra par la suite président du Haut Conseil de la République, de 1992 à 1994, tenant lieu de Parlement de transition. Près de vingt ans plus tard, devenu cardinal, le prélat est une des multiples voix qui dénoncent l’irrégularité de l’élection présidentielle de 2011 s’étant soldée par l’octroi d’un second mandat à Joseph Kabila. Le cardinal s’exprime alors au nom de laCENCO,qui officie en tant qu’observateurdes élections, et s’emporte contredesélectionsqui« ne sontconformesniàlavériténiàlajustice »28.

La CENCO, nouveau garde-fou constitutionnel ? Dès les premières années du second mandat de Joseph Kabila, la CENCO n’hésite pas à tirer la sonnette d’alarme lorsque des doutes planent sur la volonté du président de se conformer à la Constitution – et de ne pas solliciter de troisième mandat. Appelant la population à la vigilance, la Conférence épiscopale adopte en 2014, à l’issue de sa 51e assembléeplénière,undocumentintitulé« Protégeonsnotrenation ».Dansceplaidoyervibrant, les évêques dénoncent le non-respect des processus électoraux. Leur première cible  : l’élection des sénateurs et des gouverneurs de province, que laCommissionélectorale nationale indépendante (CENI) souhaite soumettre au suffrage indirect.La conférencedéclareainsis’opposerà«toutmodedescrutinquipriveraitlepeuplede son droit de désigner ses gouvernants et de participer directement à la gestion de lacité »29.LaConférenceappelledanslemêmetexteànepasmodifierl’article220dela Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs pour unmême individu.Enfiligrane, laCENCOquestionne l’indépendancede laCENIetexprimedéjàdesdoutessurlavolontédupouvoird’organiserlesdifférentesélectionsprévues dans les délais impartis.

Alors que la non-tenue des élections provinciales, prévues en 2012, reportées en juin 2015, puis en octobre 2015, laissait déjà présager d’un glissement généralisé du calendrier électoral, la CENCO est conviée à participer au dialogue politique convoqué le 1er septembre2016.Seposantenélément rassembleur,à l’heureoù lemédiateurdésigné par l’Union africaine, Edem Kodjo, peine à convaincre les forces de l’opposition à se joindre au dialogue, la CENCO appelle dès juillet « tous les acteurs politiques (…)

28. « Les élections en RDC ne sont conformes ni à la vérité ni à la justice », La Croix, 12 décembre 2011.29. Protégeons notre nation, 51e Assemblée plénière de la Conférence épiscopale nationale du Congo, 27 juin 2014.

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à privilégier l’intérêt supérieur de la nation plutôt que de rechercher les postes et des positionnements individuels »30.

Tandisqu’uneoppositiontoujoursplusvasteboude ledialogue, laCENCOintensifieses efforts pour que le pouvoir libère les prisonniers politiques et autorise laréouverture des médias interdits, mesures s’inscrivant dans une dynamique plus large de «  décrispation  » politique. Emmenée par l’abbé Donatien Nshole, la CENCO sejoint, à contrecœur à un dialogue loin d’être aussi inclusif qu’elle ne l’aurait souhaité. Après la répression violente des manifestations des 19 et 20 septembre, la CENCO se retire immédiatement de ce processus, déjà boycotté par plusieurs grandes forces de l’oppositionpolitique,essentiellement le« Rassemblement »,comprenant l’UDPSd’Étienne Tshisekedi, le G7 et le Mouvement de libération du Congo de Jean-Pierre Bemba, ainsi que par une grande partie de la société civile. Signé le 17 octobre, l’accord quiscellelafindestravauxdudialoguesembledavantageattiserleconflitquel’apaiser.Lessignatairessesonteneffetaccordéssurunnouveaupartagedupouvoir,permettantau président Kabila de rester en place au moins jusqu’en avril 2018.

Face à cette impasse et aux risques de violence incontrôlée à partir du 19 décembre, date théorique de l’entrée en fonction du successeur de Joseph Kabila, la CENCO a réussi à convaincre tous les principaux acteurs de la crise congolaise – partis pro-gouvernementaux, frange de l’opposition ayant conclu l’accord du 17 octobre, partie de l’opposition ne s’étant pas jointe à cet accord et société civile – à reprendre desnégociationsafind’éviterl’explosionsocialeredoutée.Cettemédiationauntripleobjectif  : déterminer lemodèle de gouvernance des institutions pendant la périodeaprès le 19 décembre, traiter des questions relatives au processus électoral et soutenir le processus de décrispation politique.

L’enjeu de ce nouveau dialogue va bien au-delà d’une simple réconciliation entre acteurs politiques que tout oppose. En trame de fond, la peur – partagée aussi bien par la majorité présidentielle que l’opposition radicale – que l’on assiste à une alternance « par la rue ». Les manifestations de Kinshasa en janvier 2015 avaient déjà montré combien les frustrations et les attentes de simples citoyens pouvaient s’avérer dangereuses pour le pouvoir. En dépit du quadrillage de la capitale par les forces de sécurité, les quartiers périphériques s’étaient retrouvés en première ligne pour contester le régime, en dehors de toute canalisation par les acteurs politiques traditionnels de l’opposition.

Là est bien l’enjeu de ce nouveau dialogue. Comment expliquer autrement le revirement de Kabila à la demande de la CENCO et son acceptation de dialoguer avec ses opposantslesplusfarouches?Aprèslesgravesviolencesdes19et20septembreàKinshasa, l’ensemble des acteurs se garderaient bien d’un nouvel embrasement du pays. Plus qu’un nouveau partage du pouvoir et l’établissement d’un calendrier électoral consensuel,ce dialoguedeladernièrechancetentedegarderunsemblantdepaixdansles rues de la RDC. Alors qu’il devrait être sur le point de se conclure, les achoppements constatés ces derniers jours, en particulier les divergences sur le calendrier électoral, suggèrent cependant des jours sombres à venir.

30. «LaCENCOappelletouslesacteursàprivilégier‘‘l’intérêtsupérieurdelanation’’ »,Radio Okapi, 25 juillet 2016.

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5. SAMY BADIBANGA NTITA 31

par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Par une ordonnance présidentielle du 17 novembre 2016, le président Joseph Kabila a nommé Samy Badibanga Ntita au poste de Premier ministre conformément à l’accord politique conclu un mois plus tôt entre les partis progouvernementaux et une frange de l’opposition. Cet accord prévoit la mise en place d’un gouvernement intérimaire jusqu’en avril 2018, quand devraient être organisées des élections générales. Cette nomination est une grande surprise. Les analystes s’attendaient plutôt à voir l’ancien président de l’Assemblée nationale et président de l’Union pour la nation congolaise (UNC), l’opposant Vital Kamerhe, occuper cette fonction. Badibanga va diriger un gouvernement éléphantesque de 67 ministres et vice-ministres.

Une jeunesse embourgeoisée, entre la RDC et l’EuropeNé à Kinshasa en 1962, il est le sixième enfant d’une fratrie dont il porte le nom original desonpère,SamuelBadibanga,unanciennotableet« évolué »duGrandKasaï.ÀKinshasa, sa famille a principalement vécu dans le quartier huppé de Binza Ma Campagne, dans la commune de Mont-Ngaliema. Un ami de jeunesse, Michel Gallet, ledécritcommeunhommedeculture,nonconflictuelmaisaudacieux.Parcontre,unhautcadredel’UDPS,sonpartid’origine,voitenluiunaffairiste,« prêtàtoutpourdel’argent,propreousale ».

Badibangaestoriginairede lachefferiedeBakwanga,dans le territoiredeKatanda,près de la ville de Mbuji-Mayi dans le Kasaï-Oriental. Le Kasaï, un des principaux fiefsde l’UDPS,dontestégalementoriginairesonprésident,ÉtienneTshisekedi,estaussi connu pour être le centre congolais du diamant. Ces deux caractéristiques vont impacter les carrières socioprofessionnelle et politique du nouveau Premier ministre.

Au début des années 1980, Badibanga part poursuivre ses études supérieures à Anvers, où il obtient notamment un diplôme de l’école du Hoge Raad voor Diamant32 et de l’International Gemological Institute33. Il débute sa carrière en 1986 en tant qu’administrateur délégué de la SOCODAM SPRL, puis devient en 1995 administrateur et directeur général de la SAMEX TRADING SPRL, partenaire en joint-venture de BHP-Billiton34, premier groupe minier mondial35.

31. Ce texte a initialement été publié, le 23 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques»duGRIP,sousl’adressehttp://www.grip.org/fr/node/2204.Lesderniersparagraphesontétéremaniésafinde tenir compte de l’actualité.

32. Haut conseil du diamant, en français.33. QuiestSamyBadibanga,lenouveauPremierministre?biographie,Actualité.cd, 18 novembre 2016.34. Bientôt la publication du gouvernement Badibanga, Berger-Media.info, 17 novembre 2016.35. Au 16 décembre 2016. Voir Présentation de la Société BHP BILLITON PLC, Le Figaro.

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Consultant pour ce groupe, il est également directeur général de la société LUMI (Lubi Mining), créée à la suite d’une joint-venture entre BHP Billiton et la MIBA, société contrôlant l’essentiel de l’exploitation diamantaire en RDC36. À ce poste, il promeut l’introduction de BHP Billiton dans des partenariats avec les entreprises publiques congolaises. Plus tard, il évoluera aussi comme consultant auprès du De Beers Group, le leader mondial du diamant37. Est-ce donc la dépression actuelle dans ce secteur qui l’a incité à troquer son posted’expertminierinternationalpourlecostumedePremierministre ?

De l’expertise minière aux balbutiements politiques À l’instar de la plupart des ressortissants Luba, Samy Badibanga milite à l’UDPS pour lutter contre le système Mobutu. Paradoxalement, durant son séjour en Europe, c’est danslesmilieuxmobutistesqu’iltissesonréseaud’affairesdansununiversoùsemêlentpolitique, sexe, business, escroquerie, blanchiment d’argent et délits d’influence. Àcette époque Badibanga évolue entre la Suisse, la France et la Belgique où il possède une résidence dans la commune chic de Waterloo.

Sa relation avec l’UDPS vient aussi de son amitié avec Félix Tshisekedi, l’actuel secrétaire général adjoint du parti. Les deux hommes se fréquentent à Bruxelles durant les années d’exil intermittent des fils Tshisekedi. Il devient membre sympathisant de l’UDPSen1994etmembred’honneurà laveilledesélectionsde2011.Vers lafinde2009,il intègre l’inner circle politico-familial du parti et se rapproche d’Étienne Tshisekedi, alors en soin médical à Bruxelles. Dès cet instant, il joue un rôle stratégique dans la redynamisation des activités de l’UDPS et son ouverture vers le monde extérieur. Cette sorte de realpolitik opportuniste à la congolaise sera payante dans un parti où le militantisme de terrain prime sur tout.

Conseiller stratégique de TshisekediLa stratégie de Samy Badibanga au sein de l’UDPS consiste à y évoluer, non comme un adepte du parti, mais comme un partenaire. À ce titre, il joue un rôle majeur dans la campagne pour l’élection présidentielle du candidat Étienne Tshisekedi en novembre 2011.

Fort de ses connexions politico-économiques, Badibanga a tissé un large réseau de contacts en Europe et dans le monde. C’est grâce à son carnet d’adresses que Tshisekedi a accès aux médias internationaux ou aux sphères du pouvoir comme l’Élysée38 et le Quai d’Orsay. En 2011, il est aux côtés de Tshisekedi au Département d’État états-unien et aux Nations unies avec Ban Ki-moon. Il est nommé conseiller stratégique d’Étienne Tshisekedi après le premier

36. Candidatporte-paroledel’opposition/UDPS:SamyBadibangaofficiellementinvesti!,La Prospérité, republié sur Onewo-vision, 18 juin 2012.

37. Jean-Jacques Wondo, Badibanga dame le pion à Kamerhe : épilogue d’une saga politique à la congolaise, Desc-Wondo, 23 novembre 2016.

38. Tshisekedi à l’Élysée, Jeune Afrique, 25 novembre 2010.

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congrès de l’UDPS, parti qu’il aide à sortir de l’isolement diplomatique. Ce titre lui permet de conduire la liste de l’UDPS aux législatives de 2011 au Mont-Amba, la circonscription électorale kinoise où se trouvent à la fois la résidence du Sphinx de Limete et le siège de son parti. Élu députénational,iln’aguèrededifficultéàs’imposerprésidentdugroupeparlementaireUDPSet alliés, le plus important groupe d’opposition à l’Assemblée nationale.

Des relations en dents de scie avec l’UDPSLa première tension entre Badibanga et Étienne Tshisekedi remonte au lendemain des élections de 2011. Autoproclamé chef de l’État alors que la commission électorale a adoubé Joseph Kabila, Tshisekedi appelle les députés de l’UDPS à boycotter l’Assemblée nationale. Mais Badibanga et une trentaine de députés bravent cette consigne, conduisant à leur expulsion du parti. Il continue néanmoins d’entretenir en coulisses des liens étroits avec les Tshisekedi, particulièrement avec Félix, pressenti à la succession de son père à la tête de l’UDPS.

Ces relations discrètes vont se manifester au Parlement européen, où Badibanga est invité le 20 février 2014 au nom de l’UDPS pour faire le point sur la situation générale de la RDC39. À Paris, le 10 décembre 2015 et en compagnie de Félix Tshisekedi, Badibanga s’afficheensuiteavecMoïseKatumbi,quivientdefairedéfectionducampprésidentielpour rallier l’aile dure de l’opposition congolaise. On le revoit encore en décembre 2015 à la conférence de Gorée40 qui accouche du Front citoyen 2016. Cette initiative cavalière, nonsoutenueofficiellementpar ledirectoiredupartiquirefusederatifier lacharteduFront41, va hérisser Étienne Tshisekedi qui tient à garder le contrôle de l’opposition congolaise. C’est alors que, grâce au Front citoyen 2016, Moïse Katumbi, Vital Kamerhe, FélixTshisekedietSamyBadibangavonttenterdemutualiserleursefforts42.

De l’exil forcé à la primature : une promotion politique insolite Cette radicalisation de Badibanga mécontente la majorité présidentielle. En mars 2016, le  président de l’Assembléenationale, AubinMinaku, à la suite d’une requêtedu procureur général de la République, tente d’initier une procédure de levée de son immunitéparlementairepouruneaffairedefaussesignatureàl’Assembléenationale43.

Lorsd’unerencontreàBruxellesenjanvier2016,Badibangaconfieàl’auteurqu’ilestendangeretrisquedeperdresonposteparlementaireetsesaffaires.

39. Samy Badibanga au Parlement européen, YouTube,21février2014;ÉlectionsendangerUDPS&Alliés,SamyBadibangasensibiliseleParlementeuropéen !,CongoForum, 24 février 2014.

40. La conférence de Gorée a été organisée du 11 au 14 décembre 2015 par la Fondation Konrad Adenauer.41. Présidentielle en RDC : comment le « Front citoyen 2016 » compte faire respecter la Constitution, Jeune Afrique, 15 janvier 2016.42. RDC : Moïse Katumbi et Félix Tshisekedi s’unissent à Paris pour le départ de Joseph Kabila en 2016, Jeune Afrique,

10 décembre2015.43. Levée d’immunité des opposants Samy Badibanga, Mohindo Nzangi et Fabien Mutond : la démocratie est en danger,

Courrier des Afriques, reprenant Le Potentiel, 27 mars 2016.

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Il connait alors une courte période d’exil politique forcé en Belgique au cours de laquelle on peut situer son revirement politique et son rapprochement avec le camp présidentiel, en échange de l’abandon des poursuites et des menaces à son encontre44.

La lune demiel de l’opposition tourne donc court, aggravée par un conflit latent deleadership entre Katumbi et Kamerhe, mais aussi entre ce dernier et l’UDPS après le Conclave de Genval qui accouche du Rassemblement45. Fait curieux, Badibanga, qui accompagnaitlesTshisekedilorsderendez-vouspolitiquesofficieux,estabsentàGenval,tout comme Kamerhe. Par contre, l’un et l’autre seront les principaux représentants de l’oppositionau« dialogue »concluenoctobre2016parunaccordprévoyantunpartagedu pouvoir entre la Majorité présidentielle (MP) et l’Opposition signataire de l’Accord du 18 octobre (OPSA). Désavoué par les autres membres du groupe parlementaire UDPS et alliés, dont il est démis de la présidence et même exclu le 10 octobre, Badibanga est cependant récompensé par sa nomination à la tête du nouveau gouvernement.

Quel atout pour Kabila avec Badibanga ?Cette nomination-surprise semble procéder d’un subtil calcul de Kabila qui viserait d’abord à déstabiliser et à diviser l’UDPS, qui reste la force politique qui contrôle Kinshasa la frondeuse. On peut aussi avancer que la nomination de Badibanga s’inscrit dans une éternelle stratégie de débauchage des opposants, initiée par Mobutu. D’un autre côté, il ne faudrait pas minimiser l’enjeu minier et énergétique qui reste au cœur de la géostratégie des grandes puissances en RDC. La nomination de Badibanga peut aussi être interprétée comme un signal d’assurance lancé par Kabila aux multinationales minières.

La tâche du nouveau Premier ministre est très ardue et sa marge de manœuvre réduite. Non seulement, le Parlement et le gouvernement restent dominés par la MP mais, surtout,l’accorddu31décembre2016offresonfauteuilàsesrivauxduRassemblement. Cela explique son opposition à cet accord, après avoir tenté en vain de convaincre trois de ses principaux ministres issus de l’opposition de refuser de le signer.

Cependant, comme pratiquement toutes les autres forces politiques soutiennent l’accord de la CENCO qui rend pratiquement caduc, malgré les blocages actuels, l’accord du 18 octobre 2016, son rôle se limite à gérer une sorte de gouvernement en affairescourantes.Ledécèsd’Étienne Tshisekedinedevraitpasnonplusbénéficierpolitiquement à Badibanga, à moyen ou à long terme. De ce fait, il reste tributaire de cet accord et devra tôt ou tard céder son poste, son jeu se limitant à gagner quelques semaines à la tête du gouvernement, vraisemblablement jusqu’à la prochaine session parlementaire, qui doit s’ouvrir le 15 mars. Et à espérer pouvoir conserver un portefeuille-clé dans le prochain gouvernement, dont – aux dernières nouvelles – 11 des 53 futurs ministres et vice-ministres devraient être issus de son groupe de l’OPSA.

44. Cet entretien est relaté dans Jean-Jacques Wondo, op. cit.45. Jean-JacquesWondo,Opinion:LarencontredetouslesenjeuxàGenval:versl’unitédel’oppositioncongolaise?,Desc-

Wondo, 9 juin 2016.

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6. JOSEPH KABILA 46

par Marcel-Héritier Kapitene

Son deuxième et dernier quinquennat a expiré le 19 décembre 2016. Mais Joseph Kabila, président depuis le 26 janvier 2001, ne semble guère disposé à passer la main, en dépit de la pression internationale et des tensions internes suscitées par ses manœuvres.

Taiseux et discret, Joseph Kabila est l’un des hommes les plus riches du continent. D’une origine mal connue, qui suscite encore souvent la controverse, il oscille entre plusieurs zonesd’influenceslinguistiquesetgéostratégiques.L’hommeabâtisafortunegrâceàunréseauimpliquantdepuissantsmilieuxd’affairesdontfontnotammentpartiel’IsraélienDan Gertler, le Groupe Blattner Elwyn ou Albert Yuma. À la tête d’un territoire couvrant prèsde8 %del’Afriqueetpartageantprèsde11 000kmdefrontièresavecneufvoisins,ila assumé, durant sa quinzaine d’années passées au pouvoir, la présidence d’organisations sous-régionales, dont la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), ainsi que la vice-présidence de l’Union africaine.

D’un passé controversé à un leadership évitantNé le 4 juin 1971 à Mpiki au Sud-Kivu, en territoire de Fizi, dans un maquis des rebelles zaïrois de l’époque, il est l’un des enfants de Laurent-Désiré Kabila (dont l’identité a également été controversée), maquisard d’inspiration socialiste et marxiste. Joseph Kabilapassedoncunebonnepartiedesajeunesseentrelesarmesetlestrafics.

Originaire de l’actuelle province du Tanganyika, Laurent-Désiré Kabila rencontre plusieursfemmesdanssonparcoursdemaquisardettrafiquant,dontSifaMahanya,originaire du Maniema. De leur union sont nés Joseph, sa jumelle Jaynet et son frère cadet Zoé, ces deux derniers siégeant comme députés au Parlement congolais. Joseph n’est pas le seul prénom connu de l’actuel Président. Pour des raisons de sécurité47, il en portaitd’autres :Mtwale,Christopher,Hyppolite,etc.C’estplustardquelepatronymede« Kabange »–portéparleseconddesjumeauxchezlesBaluba du Katanga – lui a été adjoint par des hommes politiques katangais, qui avaient pour mission d’asseoir l’image politique de Joseph Kabila au Katanga48.

Celui à qui on attribue – à tort ou à raison – des nationalités de pays voisins a passé une partie de son enfance en Tanzanie, dans les pêcheries clandestines de son père sur le lac

46. Ce texte a été initialement publié, le 3 janvier 2017, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques»duGRIP,sousl’adressehttp://www.grip.org/fr/node/2215.Leparagraphefinalaétéremaniépourtenircompte de l’actualité.

47. Colette Braeckman, « On ne connaît pas le président Kabila », Le Soir, 6 décembre 2006.48. Trésor Kibangula, « RDC : une vidéo refait surface et met le ministre des Hydrocarbures dans l’embarras vis-à-vis de

Kabila »,Jeune Afrique, 7 décembre 2015.

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Tanganyika,ainsiqu’enOugandaoùilfitunbrefpassageàlafacultédedroitdel’UniversitédeMakerere,avantderejoindreleRwandaen1996,oùilaétéconfiéàJamesKabarebe–futur chef d’état-major congolais et ministre rwandais de la Défense – qui l’initie brièvement aux armes et au commandementmilitaire. « Afande Hyppo », comme l’appelaient ses compagnons d’armes, rentre en RDC à la suite des troupes de l’AFDL à la mi-1996.

Sa vision politique n’est pas claire. Lorsqu’il prend le pouvoir, Joseph Kabila promet de poursuivre l’agenda politique de son père. Mais, très vite, ce n’est pas le jeune bercé de marxismequiapparaît :illèvelemonopoled’Étatsurl’exploitationminièreetramènelefranccongolaisaurégimedechangeflottant.Enmars2002,ilcréeunpartisedéfinissantsocial-démocrate, mais son enracinement dans la classe laborieuse chancèle suite à sa vision inconstante et à ses liens privilégiés avec l’élite du pays. Par ailleurs, ses liens économiques poussés avec la Chine n’ont pas plu aux partenaires traditionnels de la RDC. Diplomatiquement, Joseph Kabila maintient une coopération étroite avec l’Angola, qui trouve bien des avantages à être le garant d’une RDC faible mais stable, tandis que le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi trouvent en Joseph Kabila un bon atout quant au maintien de l’instabilité à la frontière orientale de la RDC.

D’une transition instable à deux élections chahutéesEntre1998et2002,après l’éclatementde la« deuxièmeguerreduCongo », lepaysest morcelé en zones administrées par plusieurs rébellions et des troupes étrangères. En novembre 2000, Joseph Kabila, alors commandant des forces terrestres, supervise avecJohn Numbi,alorssonadjointchargéduKatanga,labatailledePwetocontrelesforces du RCD-Goma, une rébellion soutenue par le Rwanda. La bataille se déroule à la frontière zambienne près du lac Moero. Les forces gouvernementales subissent une cuisante défaite, menaçant Lubumbashi49, deuxième ville du pays. Kabila et Numbi s’échappent en hélicoptère via la Zambie50. Pour Laurent-Désiré Kabila, son fils estcoupable de trahison et, pour le punir, il l’envoie parfaire son cursus militaire à Pékin.

Lorsque, deux mois plus tard, Laurent-Désiré est assassiné, Joseph rentre de Chine et est désigné président de la République par l’entourage de son père, soutenu par le président du Zimbabwe, Robert Mugabe51. Une nouvelle phase s’ouvre dans l’histoire delaRDC.Unhommede29ans,sansexpériencepolitique,estconfrontéaudéfidepacifier, réunifier et reconstruire un pays dont les autorités légitimes ne contrôlentmême pas la moitié du territoire.

À l’issue d’un accord conclu en Afrique du Sud, les troupes étrangères quittent le Congo,la« deuxièmeguerre »prendfinetun gouvernementdetransitionprésidéparJosephKabilaetincluantlesprincipauxchefsrebelles estmisenplaceen2003.

49. Colette Braeckman, « La chute de Pweto relance la guerre et menace Lumumbashi. Congo: le président Kabila monte au front », Le Soir, 6 décembre 2000.

50. Freddy Mulongo, En toute liberté, Tome II : Citoyenneté, droits et libertés, Paris, éd. Édilivre, Coll. classique, 2012.51. Colette Braeckman, « La mort de Kabila : nouvelle donne dans la guerre en RDC », Politique africaine, 2/2001 (n° 82), p. 151-159.

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Cependant, la paix est loin d’être rétablie, en particulier au Kivu, en proie à divers groupes armés, dont certains sont téléguidés par le Rwanda et l’Ouganda voisins.

Malgré de multiples tiraillements, la transition aboutit à l’adoption, en février 2006, de la Constitution de la 3e République. Ceci ouvre la voie aux premières élections présidentielles et législatives libres de l’histoire congolaise. Présenté comme l’homme de la rupture par ses supporters, Joseph Kabila arrive en tête du premier tour des présidentielles avec 44,81 % des voix, précédant l’ancien chef rebelle, Jean-Pierre Bemba, qui en obtient20,03 %. Le second tour se joue dans un climat debalkanisation sociologique de la RDC. Kabila, en tête dans les provinces swahiliphones de l’Est, remporte les élections avec 58,05 % des voix, alors que son challenger est plébiscité dans l’Ouest, sauf auBandundu, grâce à l’alliance du camp de Kabila avec Antoine Gizenga, l’un des derniers lieutenants de Lumumba encore actif sur la scène politique congolaise. Mais Bemba refuse de reconnaître l’élection de Kabila et Kinshasa sombre dans la confusion. Les gardes rapprochées de deux candidats se combattent férocement, entraînant la mort de nombreux civils et des dégâts matériels importants52. En avril 2007, Bemba s’exile au Portugal, puis est arrêté en mai 2008 à Bruxelles et extradé à la Cour pénale internationale.

Antoine Gizenga devient alors Premier ministre. L’aura dont dispose le compagnon de Lumumba n’empêche pas un discrédit grandissant du pouvoir au sein de la population. En 2010, après plusieurs scandales de corruption53, les affaires Chebeya et BunduDia Kongo, une insécurité persistante dans l’Est et l’entrée en lice de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi, qui avaient boycotté les électionsde2006,lacotedepopularitédeKabilaestenchutelibre.Afind’augmenterses chances de remporter les élections suivantes et malgré la propagation de la contestation jusque dans les rangs de sa majorité54, il fait modifier la Constitution,ramenant l’élection du Président de la République à un seul tour.

Les élections de 2011 se tiennent dans un climat tout sauf apaisé. Le jour du scrutin, le 28 novembre, de nombreux cas de fraude sont signalés55. Quelques jours plus tard, laCommissionélectoraleproclameJosephKabilavainqueuravec48,95 %desvoix.ÉtienneTshisekedienauraitobtenu32,33%,maiss’autoproclameprésidentélu56.

Le maintien au pouvoir à tout prix ?Kabila dispose ainsi de temps pour explorer de nouveaux moyens de se maintenir au pouvoir. En 2013 et 2014, sa majorité propose une révision de la Constitution incluant notammentlafindelalimitationdunombredemandatsduprésidentdelaRépublique.

52. Anneke Van Woudenberg, « Diary: Congo », London Review of Books, vol. 28, n°20, 19 octobre 2006.53. PierreJacquemot,«Larésistanceàla‘‘bonnegouvernance’’dansunÉtatafricain.Réflexionsautourducascongolais

(RDC) », Revue Tiers Monde, 4/2010 (n°204), p. 129-146.54. En 2010, plusieurs anciens alliés de Kabila ont tenté de créer un nouveau courant politique, le Centre libéral et patriotique. Cf.

Jean-Jacques Wondo, « La Majorité présidentielle : Dire non à un troisième mandat de Kabila », DESC, 30 septembre 2014.55. Dieudonné Diumi Shutsha, « La question de la fraude électorale en République démocratique du Congo », Analyses et

Études – Monde et Droits de l’homme, SIREAS, 2011/16.56. «RDCongo/présidentielle :Kabilavainqueurofficiel,Tshisekedi‘‘présidentélu’’»,La Libre Belgique, 10 décembre 2011.

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Mais, très vite, le régime doit faire face à la société civile qui essaie de lui barrer la route. Lors qu’en janvier 2015, la majorité présidentielle tente un forcing à l’Assemblée nationale avecuneloiélectoralemodifiéedisposantquelalistedesélecteurs«doitêtreactualiséeentenantcomptedel’évolutiondesdonnéesdémographiquesetdel’identificationdelapopulation »57, consacrant ainsi un probable report des élections58, la grogne politique se mue en insurrection populaire qui aboutit au retrait de la disposition contestée, mais aussi à de nombreux morts et à des arrestations d’opposants et d’activistes.

Ces événements coïncident avec la parution d’un article de Forbes Afrique qui estime à 15 milliards la fortune personnelle connue de Joseph Kabila59. Tout ceci fragilise sa majorité qui enregistre d’abord une fronde, puis la perte d’un allié majeur, Moïse Katumbi, le gouverneur du Katanga, qui quitte le parti présidentiel.

Néanmoins, en mai 2016, un arrêt de la Cour constitutionnelle autorise Joseph Kabila à rester au pouvoir au-delà de son mandat, au cas où les élections ne sont pas organisées dans les délais prévus60. En septembre 2016, après le retour de Tshisekedi à Kinshasa, desmanifestationsmassives appellentKabila à démissionner à la fin de sonmandat61. Cependant, dix jours plus tard, la Commission électorale annonce que l’élection ne pourra se tenir avant 201862. Les États-Unis et l’Union européenne prennent alors des sanctions contre des membres de l’entourage de Kabila impliqués dans la répression de l’opposition.

À l’issue d’un accord politique conclu le 18 octobre avec une frange de l’opposition, lamajorité présidentielle tente d’avaliser le report des élections,mais sansmodifierla Constitution. Cependant, le 12 novembre, recevant une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies, Kabila évoque un éventuel amendement à la Constitution, laissant entrevoir qu’il briguera un troisième mandat63. Par contre, l’Accord de la St-Sylvestre conclu avec l’ensemble de l’opposition politique précise qu’il n’est pas autorisé à briguer de troisième mandat, mais bien à rester en fonction jusqu’à l’installation de son successeur, au plus tard en décembre 2017.

Ceci n’empêche pas les proches du Président de continuer à agiter l’hypothèse d’un référendum qui court-circuiterait les accords conclus et permettrait d’adapter la Constitution aux ambitions du chef de l’État64. Cependant, s’il veut faire appel à la légitimité populaire, le pouvoir risque de rencontrer une opposition résolue d’une population dont les «  dialogues  » ont certes réfréné, mais nullement étouffé, lesaspirations à un changement profond du système politico-économique congolais.

57. « RDC : Déjà 42 morts dans les manifestations contre la loi électorale », FIDH, 21 janvier 2015.58. « Le gouvernement congolais n’exclut pas un report de la présidentielle », France24, 16 janvier 2015.59. Arif Hakim, « Joseph Kabila : un dictateur qui vaut 15 milliards de dollars », Le Huffington Post, 2 septembre 2014.60. «RDCongo:laCourconstitutionnelleestimequeKabilapeutresterenfonctionaprèslafindesonmandat»,Jeune

Afrique/AFP, 11 mai 2016.61. « DR Congo election: 17 dead in anti-Kabila protests », BBC News, 19 septembre 2016.62. Thomas Wilson et Amogelgang Mbatha, « Congo Election Body Proposes Two-Year Wait for Presidential Vote », Bloomberg

BusinessWeek, 29 septembre 2016.63. Carole Kouassi, « Devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Joseph Kabila évoque un possible amendement de la

Constitution », Africanews, 12 novembre 2016.64. Dialogue en RD Congo : les blocages persistent, l’hypothèse du référendum refait surface, Jeune Afrique, 28 janvier 2017.

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7. MOÏSE KATUMBI65

par Clément Hut et Marcel-Héritier Kapitene

Moïse Katumbi est de la génération des opposants que craint le régime de Joseph Kabila. Issu de l’actuelle majorité présidentielle, l’ancien gouverneur du Katanga incarnelafiguredudauphinrévolté.L’hommeaunprofilcontrasté ;s’illuiestarrivédenombreuses fois de s’opposer frontalement aux multinationales opérant au Katanga, ainsi qu’aux élites de Kinshasa – avec parfois une brutalité particulière –, il sait également se faire aduler des foules.

Fils d’un immigré grec et d’une femme congolaise, il s’est d’abord imposé dans le milieu katangaisdesaffaires,avantd’userdelapopularitédontjouit leclubdefootballqu’ildirige et devenir, à 53 ans, un des principaux leaders de la tumultueuse arène politique congolaise.

Entre affaires, football et politiqueC’estdanslesaffairesqueMoïseKatumbiserévèle.Ildébutesacarrièreenfournissanten poissons les internats catholiques autour de Lubumbashi. Son commerce ne prend cependant réellement son essor qu’avec la signature de son premier contrat de fourniture de denrées alimentaires à la Gécamines, la société minière d’État opérant au Katanga. À la croisée entre les mines, le transport, la construction et le commerce des poissons, il bâtit son empire sur les traces de son demi-frère Raphaël Soriano Katebe – celui-ci ayant été obligé de s’exiler, à la suite d’une disgrâce sous le régime de Mobutu.

Impliquédanslescircuitsdefinancementdel’AFDL66, Moïse Katumbi serait entré en conflitavecLaurent-DésiréKabilapourunesombreaffairede fournituresd’armes. Ils’exilealorsenZambie,oùilentretientdesrelationsd’affairesavecleprésidentFrederickChiluba, notamment dans le domaine des minerais.

Àlafindel’année2003,Katumbifaitsonentréeenpolitique.Sixansplustôt, ilavaitremplacé Raphaël Katebe à la présidence du plus célèbre club de football de la RDC, le ToutPuissant(TP)Mazembe.Commesondemi-frère,ilmêlelesaffaires,lemécénatetlesjeuxpolitiques,usantdel’unauprofitdel’autre,selonlescirconstances.

65. Ce texte a été initialement publié, le 6 janvier 2017, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2226. Certains passages ont été remaniés pour tenir compte de l’actualité.

66. L’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) est la coalition politico-militaire, dirigée par Laurent-Désiré Kabila, qui renversa le régime de Mobutu en 1997.

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Si, à l’époque, c’est sous la casquette de directeur de campagne de Katebe67 que Katumbi a fait ses premières armes en politique, c’est véritablement son passage au parti de Joseph Kabila qui le révèle au public non-katangais.

Eneffet,en2006,ilrejointlePartidupeuplepourlareconstructionetladémocratie68 (PPRD) et soutient la candidature de Joseph Kabila à la présidence. Lui-même candidat au gouvernorat de la province minière du Katanga, il mène une campagne ciblant les franges lesplusdémuniesde lapopulation,n’hésitantpasàutiliser la« machineélectorale »duTPMazembepourattirerdessuffrages.

Il est élu gouverneur en janvier 2007. Voulant développer un climat propice aux investissements, c’est en chef d’entreprise qu’il gouverne sa province. Ses pratiques en ce sens contribuent rapidement à l’apparition de tensions avec le Président, par exemple sa lutte contre l’exportation de minerais bruts et ses tentatives de démantèlement des réseauxde fraudedouanièreetfiscale,d’autantplusqu’iln’hésitepasàmenacerdefermeture les entreprises qui ne se conforment pas à la loi. Son intransigeance sur ces points lui vaut d’être combattu par une partie de l’entourage du Président, alors quecesderniersbénéficiaientjusque-làdelamainmisesurlesentreprisesétatiquespour s’enrichir personnellement et entretenir des réseaux clientélistes. Alors que les concessions minières d’État sont envahies par des creuseurs clandestins entre 2008 et 2009, Moïse Katumbi prend leur défense, au grand dam de Kinshasa. Il soutient que ces creuseurs contribuent à résorber le chômage69 et s’oppose à Kinshasa, qui ordonne leur expulsion des mines d’État, concédées à des multinationales.

Katumbi doit sa survie politique, en dépit de ses brouilles avec le pouvoir central, à ses relations. Lié à Augustin Katumba Mwanke70 et auxmilieux financiers prochesde laprésidence, il parvient à se maintenir au pouvoir malgré l’hostilité de Kabila. Comme ce dernier, le gouverneur du Katanga est proche de Jacob Zuma, de Dan Gertler et de George Arthur Forrest, impliqués à divers degrés dans l’exploitation minière et pétrolière en RDC71. En 2011, Katumba Mwanke72, mais aussi Dan Gertler, se déclarent favorables à ce que Katumbi succède en 2016 à JosephKabila afin de pérenniser le systèmepatrimonialaupouvoir.Leursavisnefontpourtantpasconsensus ;d’autresprochesdurégimevoientenKatumbiun« Katangaisdetrop »,quiutiliselapopularitéqu’iltiredesonclubdefootpourinfluencerl’opinioncongolaise,au-delàduseulKatanga.

67. Katebe a été candidat à la vice-présidence de la RDC lors la transition de 2003-2006 pour le compte de l’Alliance pour la sauvegarde du Dialogue inter-congolais (ASD), un regroupement unissant l’UDPS et l’ex-rébellion du RCD-Goma lors du Dialogue inter-congolais de 2002-2003.

68. Parti fondé en 2002 par l’actuel président en exercice, Joseph Kabila.69. Colette Braeckman, « La République démocratique du Congo tente d’empêcher le pillage de ses ressources – Manœuvres

spéculatives dans un Katanga en reconstruction », Le Monde diplomatique, juillet 2008.70. « RD Congo : quand Katumbi plaque tout pour Katumba », Jeune Afrique, 26 janvier 2016.71. JoanTilouine,«Panamapapers:DanGertler,roiduCongoetdel’offshore»,Le Monde Afrique, 7 avril 2016.72. « Feu Augustin Katumba, ses révélations publiées dans son livre post mortem », 7sur7.cd, 23 juillet 2013.

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Par ailleurs, l’homme d’affaires-gouverneur ne peut se targuer d’une gestionirréprochable de sa province. En 2009-2010, un rapport de la Cour des comptes dénonce sa gouvernance opaque. Il s’agit notamment des barèmes salariaux de l’exécutif provincialquinesontpasrenduspublics,detraficsd’influencedanslanégociationdemarchés publics et d’irrégularités majeures entre les comptes du gouvernorat et de l’assemblée provinciale du Katanga.

Le temps de la disgrâceLe 29 septembre 2015, l’homme fort du Katanga démissionne, à la fois de son poste de gouverneur provincial et du PPRD. L’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle, sous la bannière du G7 – regroupement de partis dissidents de la majorité présidentielle –, n’interviendra qu’en mars 2016. Le Katangais dispose de sérieuxatouts.SaprésidenceduTPMazembe–finalistedelaCoupedumondedesclubs en 2010 – lui offre une formidable visibilité, ainsi qu’unmoyen efficace pourécartersesopposantspolitiques.En2013,Katumbis’étaitoffusquédespropostenuspar Jean-Claude Muyambo73 lors d’une interview pour un documentaire de Thierry Michelencoursdetournage.Lelendemain,descentainesde« fanatiques »duclubavaient vandalisé et incendié sa maison.

Au-delà du football, l’image parfois messianique que Katumbi a su habilement créer autour de sa personne, tranche avec le caractère austère et parfois lointain de Kabila. Au Katanga, chacune de ses apparitions publiques draine des foules en liesse, attirées notamment par son charisme et ses talents d’orateur, qualités dont Kabila pourrait difficilement se targuer. Cette image de sauveur, Katumbi l’a aussi savammententretenue par sa gestion patrimoniale de sa province d’origine. Rien n’y échappe  :distribution de dollars à chaque rassemblement en période électorale, refus de toucher à son salaire de gouverneur qu’il préfère reverser à des associations œuvrant pour les personnes handicapées… L’entrepreneur devenu homme politique représente un adversaire de poids pour le président en exercice.

Dès l’annonce de sa candidature, Katumbi devient la bête noire de Kabila et du clan présidentiel. La campagne d’intimidation dont il sera victime, s’amorce dès le lendemain. Deux informations judiciaires sont alors ouvertes, pilotées de façon grossière par Kinshasa. Les vices de procédure sont nombreux et une juge dénonce la pression qu’elle a subie pour condamner Katumbi, qui est condamné à trente-six mois de prison, assorti d’une amende d’un million de dollars. Cette condamnation le rend, de fait, inéligible.

73. ActuellementenprisonàKinshasa,Jean-ClaudeMuyamboKyassaestunavocatd’affairesetunancienministre.EntréenconflitavecKatumbilorsqu’ilsétaientensembleauseindelaMP,ils’enestensuiterapprochéquandilsbasculèrenttousdeux dans l’opposition.

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Leharcèlement juridiquedont il est victime le soustrait temporairement auxaffairespolitiques. Blessé par les forces de sécurité à la sortie d’une audience, il affirmedevoir quitter le pays pour bénéficier de soins adaptés, arguant d’une tentatived’empoisonnement après avoir été piqué avec une seringue contaminée74. Le durcissement de la situation en RDC l’empêche de prendre le chemin du retour, alors que le pouvoir semble déterminé à faire appliquer la peine d’emprisonnement à laquelle il a été condamné.

C’est donc de loin – vivant apparemment entre Londres et Bruxelles – qu’il suit les tractations qui conduisent au premier dialogue politique. Absent des travaux préparatoires, son ombre plane néanmoins sur les débats. En effet, le sort desprisonniers politiques et le sien sont au cœur du refus du Rassemblement de l’opposition fédérée autour d’Étienne Tshisekedi et de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de participer à ce premier dialogue, conclu le 18 octobre par un accord jugé « noninclusif »parlamajoritédesreprésentantsdel’opposition.

L’avenir de Katumbi est de nouveau au cœur du second dialogue, auquel participe notamment le Rassemblement. Sous la médiation de la CENCO, l’opposition et le pouvoir se mettent d’accord sur un nouveau calendrier électoral, s’achevant en 2017, et un partage du pouvoir durant l’actuelle période de transition. Cependant, aucun consensus n’est trouvé, ni sur la libération des prisonniers politiques, ni sur la cessation des poursuites contre l’ex-gouverneur.

La force de Katumbi lors de ce dialogue aura probablement été sa capacité à mettre de côté son cas personnel. En refusant que l’accord soit conditionné à l’abandon des charges qui pèsent contre lui, il a certainement facilité la conciliation entre des acteurs que tout oppose.

Quoiqu’honorable, sa mise en retrait ne garantit en rien l’amélioration de la situation politique en RDC, à l’heure où les agissements de la majorité présidentielle sèment des doutes sur sa volonté d’honorer l’accord. Ce qui n’a pas manqué de faire bondir le milliardaire katangais  : «  nul retard volontaire, nul subterfuge, nul blocage neseront tolérés dans l’application de l’accord »75. Moïse Katumbi – qui a annoncé qu’il accompagnerait la dépouille de Tshisekedi lors de son rapatriement à Kinshasa76 – semble prêt à engager un bras de fer avec Kinshasa. Si l’issue en est incertaine, la politique qu’il mènerait en cas de victoire l’est encore plus.

74. Moïse Katumbi, « Kabila peut encore sortir par la grande porte », Jeune Afrique, 1er août 2016.75. Application de l’accord en RDC : la Majorité présidentielle pose ses conditions, Jeune Afrique, 3 janvier 2017.76. Moïse Katumbi: « Je vais rentrer avec la dépouille de Tshisekedi à Kinshasa », Politico.cd, 9 février 2017.

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ÉCLAIRAGES THÉMATIQUES

1. FARDC ENTRE INACTION ET COMPLICITÉ : LE CAS DES ADF 77

par Georges Berghezan

En RDC, les craintes d’une explosion de violence sont de plus en plus vives à l’approche du 20 décembre, date théorique et constitutionnelle d’expiration du mandat du président Kabila. Cependant, depuis plus de deux décennies, l’est du pays n’a cessé d’être en proie à des tueries, commises le plus souvent par des groupes armés non étatiques, congolais ou issus de pays voisins. Un des groupes les plus violents et sans doute le plus opaque semble être les Forces démocratiques alliées, connues sous leur acronyme anglophone d’ADF (Allied Democratic Forces).

Qui sont les Allied Democratic Forces ?Les ADF sont issues d’un conflit inter-musulman, au cours duquel Jamil Mukulu etd’autres dirigeants de la secte des Tabligh ont été arrêtés à Kampala au début des années 1990. À leur libération, en 1993, ils ont fondé, à l’ouest de l’Ouganda, une milice qui a reçu le soutien du Soudan, qui ripostait ainsi à l’appui ougandais à la guérilla indépendantiste du Sud-Soudan. Dès 1995, ils ont franchi la frontière et se sont installés sur le sol zaïrois, plus précisément dans le territoire de Beni au nord de la province du Nord-Kivu. Ils se sont alliés à un autre groupe ougandais arrivé dans la région quelques années plus tôt, l’Armée nationale de libération de l’Ouganda (NALU), composé surtout de membres de la communauté Konjo, elle-même proche des Nande, majoritaires dans cette partie du Nord-Kivu. Les ADF-NALU ont donc facilement pu s’intégrer dans cette zone au pied des monts Rwenzori et ont tissé des liens étroits – basés notamment sur letrafictransfrontalierdeboisetdeminerais–avecdesresponsableslocaux,dontdesmembres de la famille de Mbusa Nyamwisi.

En 1998, ce dernier est un des fondateurs de la rébellion du Rassemblement congolais pourladémocratie(RCD),paraventpourcamouflerl’invasionrwando-ougandaisedela RDC. Lorsque, l’année suivante, Kigali et Kampala se disputent le contrôle de la ville de Kisangani, Nyamwisi choisit – vu la proximité du territoire de Beni avec l’Ouganda – le camp de Kampala et fonde le RCD/Kisangani-Mouvement de libération (RCD/K-ML), ce qui l’oblige à se montrer plus discret dans ses relations avec les ADF-NALU.

77. Ce texte a été initialement publié, le 12 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2177.

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Après la guerre, il se rallie à Joseph Kabila, dont il devient le ministre des Affairesétrangères en 2007. Mais, cinq ans plus tard, il soutient ouvertement la rébellion du Mouvement du 23 mars (M-23), rassemblant essentiellement des éléments rwandophones des Forces armées de RDC (FARDC), et choisit l’exil après sa défaite en 2013.

Quant aux ADF-NALU, elles consolident durant cette période leur implantation au Congo, en particulier dans le nord et l’est du territoire de Beni, et ne tentent plus la moindre incursion en Ouganda. Vers 2007-2008, cédant à la pression militaire et à des concessions politiques de Kampala, la NALU renonce à la lutte armée et la plupart de ses membres retournent en Ouganda. On pense alors que les ADF vont bientôt devenir un groupe marginal parmi les multiples acteurs armés actifs au Kivu. Cependant, vers lafin2012,ellesentamentunecampagnederecrutementet,dèsl’annéesuivante,unerecrudescence de leurs activités est constatée.

Aussi, après l’expulsion du M-23 du territoire congolais, les FARDC poursuivent leur collaboration avec la Brigade d’intervention de la MONUSCO, la force de l’ONU déployée enRDC,etlancentSukola-1,opérationdechasseauxgroupesarmés« étrangers »,enparticulier les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et les ADF. Cependant, dès le début de celle-ci en janvier 2014, la cheville ouvrière de la victoire sur le M-23, le très populaire colonel Mamadou Ndala, est assassiné à la sortie de la ville de Beni. Le meurtre est initialement attribué aux ADF, mais il s’avère bientôt que des élémentsdesFARDCsontlourdementimpliqués :ennovembre2014,sontcondamnésaussi bien des responsables des ADF que de hauts officiers des FARDC. Pourtant,Sukola-1semblaitavoirbiencommencé :laplupartdesbasesdesADFontétéprisespar l’armée et le groupe a dû se disperser au-delà de ses bastions traditionnels et jusqu’en Ituri.

En août 2014, la direction des FARDC encaisse un nouveau coup dur avec la mort, vue par certains comme suspecte, du général Lucien Bahuma, commandant de l’armée au Nord-Kivu et de Sukola-1. Son remplacement, à la tête de l’opération, par le général Charles Muhindo Akilimali, alias Mundos, coïncide avec une nette baisse de régime des actions contre les ADF. Ces dernières reviennent sur leurs anciennes positions, sans toutefois parvenir à recréer un commandement unique, d’autant plus que leur chef historique, Jamil Mukulu, est arrêté en Tanzanie quelques mois plus tard. Et, à partir d’octobre 2014, débute la pire vague de tueries jamais attribuée aux ADF. Ainsi, selon la MONUSCO, 482 civils ont été tués entre octobre 2014 et janvier 2016, soit plus d’un mort par jour. D’autres sources évoquent plus de 500 morts sur une période légèrement plus courte.

Plus d’un mort par jour depuis deux ans !Selon nos propres recherches, sur la base de dépêches et d’informations collectées par des organisations de la société civile de Beni, durant le trimestre courant du 1er août au 31octobre2016,de« présumésADF »ontmonté19attaques,ayantprovoquélamortde 99 à 134 civils et de 6 à 8 militaires.

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En outre, plus de 23 civils, 5 à 12 militaires congolais et 2 soldats de la MONUSCO ontétéblessés,tandisqu’aumoinsunedizainedecivilsontdisparu.Deleurcôté,8 à14 combattants des ADF auraient été tués, tandis que 8 autres étaient capturés. Par ailleurs, durant le même trimestre, la ville de Beni a été le témoin de deux incidents meurtriers directement liés aux ADF  : unemanifestation contre l’insécurité entraînela mort, le 17 août, de deux civils et d’un policier, tandis que, le 24 septembre, 17 à 18 personnes perdent la vie dans un mouvement de panique causé par une rumeur d’attaque rebelle.

Même si un seul assaut, le 13 août en périphérie de Beni-ville, a causé la mort de près de la moitié des victimes du trimestre, ce bilan de plus d’un mort par jour attribué à un seul des dizaines de groupes armés actifs dans l’est de la RDC n’en demeure pas moins effrayant.Ilfautaussinoterquelamoyennedecetrimestreestpratiquementidentiqueà celle constatée au cours des deux années écoulées et que la plupart des tueries sont commises de nuit et à l’arme blanche.

La sauvagerie de ces attaques est parfois attribuée à un désir de vengeance des ADF en représailles à la collaboration des populations locales avec les FARDC au début de Sukula-1. Cependant, des habitants, des représentants de la société civile et des enquêteurs, à la fois locaux et internationaux, ont relevé une série de faits troublants qui donnent à penser que les ADF n’ont pas commis tous les massacres qui leur sont attribués.

Ainsi, selon le Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, le massacre au village de Ngadi enoctobre2014 (31morts)auraitétéorganiséparunchef local,enconflitavec lesautorités du parc national des Virunga, qui traverse la plus grande partie du Nord-Kivu, et allié de longue date des anciens miliciens du RCD/K-ML, eux-mêmes intégrés dans une faction des ADF. Toujours selon ces experts, une autre faction des ADF aurait recruté, à partir du début 2015, des dizaines de combattants expérimentés parlant le kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda, également utilisée par les Hutu et Tutsi congolais. Il s’agirait peut-être d’anciens éléments du M-23, ayant fui au Rwanda ou en Ougandaaprèsleurdéroutede2013.Lesconstatsdesexpertsonusienssontconfirméspar un rapport du Groupe d’étude sur le Congo qui, se fondant sur les témoignages derescapés,affirmequ’unepartsubstantielle (prèsde20 %)desauteursde tueriesrécentes parlait kinyarwanda. Plus logiquement, près de la moitié des présumés ADF pratiquait le swahili, abondamment parlé dans tout l’est de la RDC et dans certaines régionsd’Ouganda,etunepartiemoinsimportante(environ12%)leluganda,languepratiquéeenOuganda.Par contre,ilestassezsurprenantd’apprendrequeprèsde15 %des rescapés ont reconnu le lingala comme langue de leurs agresseurs.

L’utilisation du lingala – parlé dans l’ouest du pays et par les régiments qui en sont originaires – par les auteurs de certains massacres, notamment entre octobre 2014 et mai 2015, ne peut s’expliquer que par la participation directe de membres des FARDC à ceux-ci. C’est en tout cas ce que n’hésite pas à avancer un rapport du Bureau conjoint del’ONUsurlesdroitsdel’homme,unautre–confidentiel–duGrouped’expertsdel’ONU au Conseil de sécurité et une enquête de la Police nationale congolaise.

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Demêmepourl’usagedukinyarwanda :environlamoitiédesrégimentsdéployésdansleterritoiredeBenisontcomposésd’officiersetdesoldats« rwandophones ».

On s’éloigne fortement de la vision – encore défendue par certains observateurs internationaux et les autorités de Kinshasa – qui ferait des ADF un groupe islamiste ougandais et seul responsable des massacres de la région. Certes, les membres des ADF sont musulmans d’origine ou convertis à l’islam. Mais leurs liens avec l’internationale djihadiste, notamment avec les Shebab somaliens, semblent avoir été exagérés et ils n’ont jamais déclaré vouloir imposer des principes comme la Sharia. Et si les chefs des diverses factions semblent bien Ougandais, bon nombre de leurs hommes sont originaires du Congo.

Mais, surtout, il n’est plus crédible d’attribuer aux seuls ADF toutes les tueries du territoire de Beni. N’ayant ni porte-parole, ni site Internet, ni revendication précise, les buts des ADF demeurent particulièrement flous. Divers groupes – milices instrumentaliséespour des objectifs d’appropriation de terres ou de conquête du pouvoir local, anciens rebelles du RCD/K-ML, unités des FARDC déployées dans la région – semblent avoir profitédecetteopacitépourimposerleurpropreagenda,dansuncontextedeconflitsfonciers et de complicité des élites politico-économiques avec les groupes armés.

QuantauxFARDCetà l’opérationSukola-1, letableauestparticulièrementsombre :outre la participation directe de certaines unités à des tueries, de nombreuses accusations de collaboration avec les «  vrais ADF  » ont été portées, notamment lalivraison d’armes et de munitions. Et, dans de très nombreux cas depuis août 2014, le refus d’intervenir lors des massacres semble être la règle plutôt que l’exception, ce dont ont témoigné de nombreux soldats, menacés par leurs supérieurs s’ils osaient porter secours aux villageois en train d’être découpés à la machette par leurs mystérieux agresseurs nocturnes.

La problématique des «  présumés ADF  » est révélatrice de la situation chaotiquevécue par l’est de la RDC et, au niveau des FARDC, symptomatique d’une armée tiraillée par des rivalités et des intérêts divergents. Si certaines unités, comme la Garde républicaine, mieux équipée, mieux payée, mais absente des régions troublées du Kivu, demeurent à la solde du pouvoir en place, de nombreuses autres évoluent selon les intérêts des commandants de terrain, eux-mêmes imbriqués dans un jeu complexe où les arrangements avec les notables locaux et l’enrichissement personnel priment, et de loin, sur la protection des populations de la région de Beni.

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2. DROITS FONDAMENTAUX : LA RDC AU-DESSUS DES LOIS ? 78

par Pierre Martinot

Depuis 2015 et dans le contexte tendu d’une transition à l’échéance incertaine, comment lescitoyenscongolaisont-ils l’occasiond’exprimerleurspointsdevue,de fairevaloirleurslibertésfondamentalesouencored’accéderàuneinformationneutreetplurielle ?Lespossibilitésontété rares, toutevoixcritiqueà l’égarddesautoritéss’esteneffetconfrontée à un appareil sécuritaire et judiciaire très répressif.

Un régime de plus en plus répressif Durant ces deux dernières années, les associations de défense des droits de l’homme ou de la liberté de presse, ou encore les agences des Nations unies, n’ont cessé de compter les arrestations arbitraires, les violences physiques et psychologiques, les détentions dans les cellules de l’Agence nationale de renseignements (ANR) ou les procès reposant sur de faux témoignages79.

Bien qu’inscrits dans la Constitution80 ou dans les traités internationaux que la RDC a ratifiés81, de nombreux droits fondamentaux82 – tels ceux relatifs à la liberté d’expression, d’opinion,d’associationetderéunionpacifique–garantissantpourtantauxcitoyenslapossibilité de s’exprimer et d’agir ont été violés par les autorités congolaises.

L’interdiction de manifester83, les emprisonnements d’opposants ainsi que les pressions exercées sur les médias nationaux et internationaux84 ne constituent que les derniers exemples en date. Mais, en réalité, c’est dès 2015 que les autorités, relayées sur le terrainparlesagentsdel’ANR,de lapolice,delagarderépublicaineoudel’armée,sesont montrées de plus en plus actives pour intimider, réprimer voire tuer des citoyens soucieux d’exprimer leur inquiétude face à la marche autoritaire d’un pouvoir déterminé à se maintenir à la tête du pays au-delà des délais constitutionnels.

78. Ce texte a été initialement publié, le 16 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2194.Afindetenircomptedel’actualité,ilasubiquelquesmodifications,enparticulierdanssonintroductionetsaconclusion.

79. Ils sont traités comme des criminels, Amnesty International, 25 novembre 2015.80. La Constitution de la RDC.81. Aperçu des traitésinternationauxratifiésparlaRDC.82. Lignes directrices sur la liberté d’expression et de réunion en RD Congo, HRW, 18 novembre 2016.83. Cette interdiction a été imposée le 22 septembre 2016 après les manifestations des 19 et 20 septembre. 84. Le 5 novembre 2016, coupure du signal FM de RFI et brouillage de Radio Okapi à Kinshasa.

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Chronologie d’une répression

Le 16 janvier 2015, Canal Kin TV (CKTV) et Radio-télévision catholique Elikya (RTCE), deuxtélévisionsdiffusantàKinshasa,voientleursignaldediffusioncoupésanspréavisparl’ANR.Illeurestreprochéd’avoirdiffusédesmessages«appelantlapopulationàmanifester contre un projet de la loi électorale » susceptible de prolonger le mandat du président Joseph Kabila85.

Quelques jours plus tard, entre les 19 et 21 janvier 2015, soit deux jours après que l’Assembléenationaleadopteunprojetdeloimodifiantetcomplétantlaloiélectorale(décision reportant de facto l’élection présidentielle initialement prévue en 2016), 36 personnessonttuéeslorsdemanifestationsdeprotestationàKinshasa.Desdizainesd’arrestations arbitraires ont lieu, notamment celles du défenseur des droits de l’homme, Christopher Ngoy, ou des deux leaders de l’opposition, Vital Kamerhe, président de l’Union pour la nation congolaise (UNC) et Jean-Claude Muyambo, président de Solidarité congolaise pour le développement (SCODE). Presqu’instantanément, les opérateurs de télécommunication sont contraints par les autorités de suspendre pendant plusieurs jours l’accès à internet et aux SMS.

Le 15 mars 2015, lors de la création du mouvement Filimbi, une quarantaine de personnes sont arrêtées, sans aucun chef d’accusation. Certaines seront libérées le jour-même ou dans les jours qui suivent. D’autres, comme trois des initiateurs, Floribert Anzuluni, Yangu Kiakwama et Franck Otete, seront obligées de fuir vers la Belgique afindegarantir leursécurité.Égalementprésents, troismembresd’unautrecollectifcitoyen, la LUCHA, seront aussi arrêtés. Deux d’entre eux, Fred Bauma et Le Mak, ne seront libérés que le 29 août 2016 sur décision de la Cour suprême, après une intense mobilisation sociale.

Les membres de la LUCHA paieront un lourd tribut pour leur détermination à revendiquer le respect de la démocratie. Le 8 avril 2015 et le 15 mars 2016, lors d’une marche silencieuse pour la libération de leurs camarades et le respect des libertés publiques, plusieurs d’entre eux sont arrêtés à Goma, pour trouble à l’ordre public.

À maintes reprises, le gouvernement brandira la menace du complot international et évoquera la main étrangère désirant « déstabiliser les institutions de la RDC »86. Il cible le Sénégal qui, en décembre 2015 sur l’île de Gorée, a abrité une rencontre de l’opposition et de certains acteurs de la société civile en vue de structurer la réponse au glissement du calendrier électoral et jeter les bases d’un Front citoyen.

85. L’Assembléenationalemodifieetadoptelaloiélectorale, Assemblée nationale de la RDC, 18 janvier 2015.86. « RDC:legouvernementaccuseleSénégald’accueilliruneréuniondestinéeà‘‘déstabiliser’’lepays », Jeune Afrique,

13 décembre2015.

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La même rhétorique est utilisée en juin 2016 en qualifiant de «  tentative de coup d’État institutionnel  » le conclave de Genval, cette réunion ayant réuni dans la périphérie bruxelloise la quasi-totalité de l’opposition congolaise87 en vue de créer un « Rassemblement desforcespolitiquesetsociales».

La violence comme unique réponse Enfin,faut-ilrappelerle19septembre2016,datefixéeparlaConstitutionpourl’annoncepar laCENIde ladatede l’électionprésidentielle ?LeRassemblementachoisicettedate symbolique pour organiser une journée de manifestation appelant au respect des délais constitutionnels. ÀKinshasa, elledégénèreenaffrontementsmeurtriersentreopposants et forces étatiques. Entre les 19 et 21 septembre, 53 personnes, dont sept femmes, deux enfants mais aussi quatre policiers, sont tuées88.

Mais au total, sur ces trois journées, ce sont plus de 400 personnes qui sont victimes de graves violations des droits de l’homme89.

Ces multiples exemples illustrant l’usage disproportionné et excessif de la force, y compris létale, à l’égard de l’opposition politique, de la société civile, des médias et des citoyens montrent comment les autorités congolaises ont tenté, depuis deux ans, de bâillonner la parole de ceux et celles qui dénoncent leurs dérives autoritaires. Depuis le 1er janvier 2015, le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) a ainsi enregistré 1  006 cas de violation des droits de l’homme dont lagrande majorité concerne des membres de partis politiques et d’organisations de la société civile90. Le secteur des médias n’est pas en reste. Pour l’ONG de défense de la liberté de presse, Journalistes en danger (JED), le secteur connaît l’une de ses années les plus noires avec 87 cas d’attaques documentées contre des journalistes nationaux et internationaux91. Ces divers rapports indiquent que les auteurs présumés de ces violations sont principalement des agents de la garde républicaine, de la Police nationale, de l’ANR, des autorités politico-administratives et des éléments des FARDC.

Quellesréactionsdelacommunautéinternationale ?Face à un tel tableau répressif et le maintien en prison de plusieurs prisonniers politiques, la réponse de la communauté internationale paraît bien timide. Sur la scène africaine, au SommetdeLuanda–conjointementorganiséparlaConférenceinternationalesurlarégion des Grands Lacs (CIRGL), les Nations unies, la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et l’Union africaine (UA) – le 26 octobre dernier, le président Kabila a reçu le soutien de ses homologues africains dont certains, pour mémoire,

87. « RDC : la majorité accuse l’opposition de fomenter un coup d’État institutionnel »,RFI, 11 juin 2016.88. Données du Rapport du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH).89. Rapport préliminaire d’enquête sur les violations des droits de l’homme perpétrées les 19 et 21 septembre 2016. 90. Lire les Rapports du BCNUDH.91. Rapport 2016, la pire saison pour la presse en RDC, Journalistes en danger, novembre 2016.

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ont modifiéleurConstitutionousontaupouvoirdepuis20ou30ans92. D’autres acteurs de la communauté internationale tentent de faire pression sur le président en ciblant son entourage direct. En février 2016, les États-Unis se sont dits inquiets des atteintes à la liberté d’expression et du rétrécissement de l’espace politique. Pour le Département d’État, « ériger en infraction la contestation et les manifestations constitue une violation de la Constitution de la RDC »93. Le 28 septembre 2016, ils ont traduit leurs inquiétudes ensanctionsfinancièresàl’encontredesgénérauxGabrielKumbaetJohnNumbi94.

Pourleurpart,lesdéputéseuropéensontrappelé« la responsabilité du gouvernement de prévenir tout approfondissement de la crise politique actuelle et toute escalade de la violence et de respecter, protéger et promouvoir les droits civils et politiques de ses citoyens  »95. La pression européenne a débouché, le 12 décembre 2016, sur l’adoption, par le Conseil de l’Union européenne d’un régime de sanctions (interdictions devisaetgelsdesavoirs)« à l’égard de sept individus qui occupent des positions de responsabilité dans la chaine de commandement des forces de sécurité congolaises quiontfaitunusagedisproportionnédelaforce »96.

L’inquiétude est également bien présente parmi les acteurs de la société civile. Le monde associatif congolais opposé au troisième mandat, bien que fragmenté, reste mobilisé malgré les risques pesant sur lui. Pour l’un de ses représentants, Jonas Tshombela de la Nouvelle société civile congolaise(NSCC),« il faut maintenir la pression. La voix de la rue peut donner l’impulsion à la communauté internationale et Kabila peut se montrer attentif à la rue  ». Pour laNSCC, l’apaisement pourrait venir d’un renoncement de Kabila autroisième mandat, d’un calendrier électoral contraignant ou encore de la non-candidature des acteurs ayant participé aux dialogues d’octobre et de décembre 2016.

Pour Amnesty International, l’après-20 décembre reste très inquiétant et l’ensemble des acteurs s’étant mobilisés contre le troisième mandat doivent s’apprêter à travailler dans un climatencoreplushostile.« La fermeture de ces espaces d’expression risque fort d’entraîner une escalade des tensions politiques, avec éventuellement à la clef des troubles civils. »97

Dans les rues de Kinshasa et des autres grandes villes, la colère et la frustration sont omniprésentes. Dans les petits commerces, au marché ou dans les bus surnommés Esprits de mort, paradoxalement, jamais la liberté d’expression n’a été aussi vive pour réclamer le respect de la démocratie. Pour beaucoup de citoyens, la solution ne sortira pas du dialogue mais du rapport de force qui pourrait opposer l’armée, dont l’un des devoirsestdeprotégerlapopulation,etlaGarderépublicainerestantfidèleauPrésident.

92. « Rencontre de Luanda, un sommet pour avaliser la forfaiture de Kabila »,Le Pays, 25 octobre 2016.93. « La situation de la liberté d’expression en RDC inquiète les États-Unis », RFI, 20 février 2016.

94. « RDC : les généraux Gabriel Amisi et John Numbi sanctionnés par les États-Unis », Radio Okapi, 28 septembre 2016. 95. Droitsdel’homme:libertéd’expressionenRDC », Parlement européen, 10 mars 2016.96. L’UE adopte des sanctions à l’encontre de 7 personnes responsables des violences, Conseil de l’UE, 12 décembre 2012.97. Démantèlement de la dissidence, Amnesty International, 15 septembre 2016.

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Cependant, l’Accord du 31 décembre négocié par la CENCO semble avoir provisoirement réussi à étouffer la colèrepopulaire.Déjà, lesmanifestationsdu19décembreetdulendemain, dénonçant le maintien à son poste de Kabila, si elles ont à nouveau été sévèrement réprimées à Kinshasa et dans plusieurs autres villes98, n’ont cette fois pas été soutenues par l’opposition politique, davantage mobilisée par les discussions au Centre interdiocésain.

Faut-il dès lors se réjouir que le processus de négociations ait, jusqu’à présent, réussi à éviterunbaindesang ?Oubieninterpréterlesaccordsconcluscommedesmanœuvresde retardement d’un Président qui n’a de toute façon pas l’intention de céder son poste sans y êtrephysiquement contraint  ?Etquel sera lepoidsde lapopulationetde lasociétécivilefaceauxambitionsdespoliticiensprofessionnels ?Sansnuldoute,l’année2017 fournira des réponses plus ou moins précises à ces questions.

98. Manifestationsdu20décembre :aumoins26personnestuéesparballesselonHRW, Actualité.cd, 22 décembre2016.

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3. ÉCONOMIE CONGOLAISE : ENTRE UNE CROISSANCE EN TROMPE-L’ŒIL ET UN SOCIAL DÉCONNECTÉ99

par Marcel-Héritier Kapitene

Malgré l’amélioration du cadre macroéconomique vanté jusqu’à la mi-2015 par le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC), le tableau socioéconomique du pays reste particulièrement sombre : des conditions de vie dégradées, une monnaie en pleine dépréciation, des infrastructures en ruines, etc. Les espoirsnésdel’avènementdesgouvernementsMatata1&2sesontécrouléstelunchâteaudecartes.Les« technocrates »100 n’ont pas su poser les jalons pour faire de la RDC un pays à revenu intermédiaire en 2016, dernière année de la législature en cours.

Malgré les performances enregistrées, la situation sociale de la population en RDC demeure en-deçà des Objectifs du millénaire pour le développement, avec la traditionnelle justificationselon laquelle les ressourcesdevantfinancer ledéveloppementet la luttecontre la pauvreté ont souvent été évincés par les dépenses sécuritaires101.Eneffet, lacroissance de l’économie congolaise demeure vigoureuse, bien qu’elle ait décéléré à 7,7 %en2015contre9,2 %en2014102. Alors que la Banque africaine du développement (BAD) prévoit néanmoins une poursuite de la croissance en 2016 et 2017, la pauvreté reste largement répandue dans le pays.

Si Kinshasa connaît un boom immobilier, le sentiment d’exclusion reste puissant chez un grandnombre de citoyens, qui ne bénéficient pas des retombées de la croissance. Lesdifférents indicateurs de pauvretémontrent une situation plus dramatique encore dansl’ex-province Orientale et dans l’ex-Équateur que dans le reste du pays103. La pauvreté en RDC est encore essentiellement rurale, mais elle augmente rapidement dans les villes. Dans quelques années, la pauvreté urbaine pourrait dominer, les plus pauvres ayant quitté le milieu rural pour rejoindre les villes, si rien n’est fait pour développer davantage l’agriculture et pour relever le secteur urbain et faire des villes de vrais pôles de développement.

99. Ce texte a été initialement publié, le 23 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques »duGRIP,sousl’adressehttp://www.grip.org/fr/node/2178.

100.Pierre-FrançoisNaudé,« RDC :AugustinMatataPonyo,untechnocratenomméPremierministre », Jeune Afrique/AFP, 19 avril2012.

101. PNUD, Rapport OMD 2000-2015 – Évaluation des progrès accomplis par la République démocratique du Congo dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement, septembre 2015.

102.« Perspectives économiques en Afrique 2016 »,Banqueafricainededéveloppement,15eédition,2016.103.J.Herderschee,D.Mukoko&M.Tshimenga(2012),Résilience d’un géant africain. Accélérer la croissance et promouvoir

l’emploi en République démocratique du Congo, vol. 2 : études sectorielles, Kinshasa, Banque mondiale.

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La croissance actuelle repose sur l’exploitation des mines et sur les sociétés de télécommunications, qui génèrent beaucoup moins d’emplois que l’agriculture familiale, négligée par rapport aux projets d’infrastructures104. À part les investissements miniers et la réhabilitation de quelques infrastructures en dehors de la capitale, la plupart des investissements étrangers sont concentrés à Kinshasa105, dans des secteurs tels que la télécommunication, la construction, les banques, le commerce de détail et les services.

Globalement,cesclivagessontprincipalementliésauxeffetsdeladécroissancechinoise,àuneadministrationfiscalepeu rigoureuseetà lamauvaiseapplicationdespolitiquesstructurelles et sectorielles en matière de gouvernance publique, de passation des marchés

Ralentissement chinois et cours des métauxLes principaux partenaires commerciaux de la RDC sont l’Union européenne dont, principalement, la Belgique et la France, suivis de la Chine, de l’Afrique du Sud et des États-Unis106. Mais la majorité des importations ont pour provenance la Chine, et actuellement l’Angola pour l’approvisionnement de Kinshasa, notamment en ciment gris, en produits d’alimentations et d’autres produits de grande consommation, via le poste frontalier de Lufu au Kongo-Central. La RDC est l’un des principaux points d’entrée de la Chine en Afrique centrale107. Les activités de commerce et d’investissement chinois dans les secteurs minier, forestier et des infrastructures en RDC ont considérablement augmenté ces dix dernières années108. D’autres investissements importants pourraient se concrétiser au cours des prochaines années. Les chiffres sont difficiles à vérifiermais93 %ducobaltutiliséparlaChineproviendraitdirectementdeRDC109.

Les effets du ralentissement de l’économie  chinoise se font cruellement sentir dans lesecteur minier. Le premier trimestre 2016 a été marqué par une chute importante de la productionminièreparrapportaumêmetrimestre2015:cuivre(-11,8 %),cobalt(-16,3 %),or(-16 %),diamant(-16,8 %),zinc(-50,3 %),cassitérite(-12,7 %),colombo-tantalite(-26,2 %)etwolframite(-100 %)110, ainsi que du cours de ces métaux et minerais. Plusieurs entreprises ontarrêtéleurproductionauKatanga,certainestemporairement,d’autresdéfinitivement.

La chute des recettes minières, principalement celle du cuivre, a entraîné un regain de l’inflation,de11 %depuisjuillet2016,égalementdueàl’accroissementdelademandedesdevisesparrapportàl’offresurlemarchéinterbancaireetparallèle.

104.ColetteBraeckman,« En République démocratique du Congo, un double scandale. »Un monde d’inégalité. L’état du monde en 2016,Paris,LaDécouverte,2015,p. 220-226.

105.« VivreettravaillerenRDC », Mobilité professionnelle entre la Belgique et la RDC, Ministère fédéral de l’intégration sociale belge, 2007.

106. Organisation mondiale du commerce, Examen des politiques commerciales - Rapport de la République démocratique du Congo, WT/TPR/G/240(10-5376),20octobre2010,p. 5.

107.« Oùestpassél’argentchinoisinvestienRDC ? »,Le Monde, 5 juillet 2016.108. IIED, « LasituationdesinvestissementschinoisenRépubliquedémocratiqueduCongo », Briefing – Projet Gouvernance

forestière Chine-Afrique, juin 2015.109. « NavigatingtheNewNormal:ChinaandGlobalResourceGovernance », Chatham House, 28 janvier 2016.110.« IndustrieminièreenRDC–Premiertrimestre2016 », Chambre des Mines – Fédération des entreprises du Congo, mai 2016.

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TVA, traçabilité, bancarisation et prédation voilée

Dans le but d’accroitre son assiette fiscale et de générer plus de recettes, la RDCa, dès janvier 2012, opté pour l’imposition d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en remplacementde l’Impôt sur le chiffred’affairesqui affichait ses limites. Il s’agissaitégalement de s’aligner sur les normes de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique dudroitdesaffaires (OHADA),àlaquelleellevenaitd’adhérer111. S’il est évident que la facturation permettant la traçabilité de cet impôt pose problème, il apparaît clairement que le gouvernement a davantage déboursé pour rembourser la TVA qu’il n’a réalisé de gains entre 2015 et 2016112. Il faut néanmoins noter que le recours à la TVA est considéré comme l’un des facteurs ayant permis d’augmenter les recettes fiscales,dont la part dans le PIB a triplé entre 2003 et 2012, alors que la TVA constituait près de50%de l’impôt indirectcollectéen2013113.Enoutre, lamécaniquedesfinancespubliques est défaillante car les différents services administratifs ne travaillent pasen synergie. Les trois régies financières d’envergure nationale (laDirection généraledes impôts, la Direction générale des douanes et accises et la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations) ne sont pas interconnectées entre elles, encoremoins avec les régiesdesfinancesprovinciales.Avecun systèmefiscal où l’opérateur économiqueou social disposed’une sortedelibre arbitre dans la déclaration et le paiement de ses impôts, le poids économique de lagestiondesrecettesfiscalesetl’expositionàlafraudesontdesrisquesmajeurs.Lecontribuableestsupposédéclarer lamatière imposableet l’administrationfiscaleouparafiscaledoitrecevoirettraiterlesdéclarations.

Àl’èredesTIC,unebonneadministrationfiscaletransparenteprésumeaussiquelesventessont informatisées et que la fourniture de factures, pour tout achat, est obligatoire. Ce n’est pasencorelecasenRDC.D’où,desressourcesconsidérablesquiéchappentaufisc.

Le secteur minier est le plus important contributeur au PIB. En 2012, cette contribution sesitueautourde30%par rapportàunPIBévaluéàenviron29milliardsdedollarsUS114. En dépit de cette importante contribution, les recettes minières ne représentent qu’à peine 10 %des recettes budgétaires de 2012, soit 349,2milliards sur 3  612,7milliards de francs congolais (soit environ 4 milliards de dollars américains).

Cette augmentation pourrait être générée par un meilleur encadrement des régies financières et la traçabilité des ressources minières. Actuellement le processus detraçabilité n’a pour cible que les exploitants artisanaux. Mais les grandes sociétés minières installées au Katanga, en Ituri et dans le Haut-Uélé sont aussi impliquées dans des scandales de corruption, parfois avec la complicité de l’élite locale.

111. Athanase Matenda, L’introduction de la TVA en République démocratique du Congo, L’Harmattan, 2015.112.« BahaticritiquelechoixdeMatata », 7sur7.cd, 6 avril 2016.113. Stéphane Ballong, « RDCongo:leras-le-bolfiscaldespatrons »,Jeune Afrique, 27 mai 2014.114.FerdinandMuhigirwaRusembuka,« Vers une ‘‘bonne gouvernance’’ du secteur minier de la République démocratique du

Congo ? »,Alternatives Sud, vol. 20-2013/99.

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En novembre 2016, un rapport de l’ONG Global Witness115 a révélé qu’en 2015 la Gécamines a cédé des droits de redevances d’un projet minier estimé à 880 millions dedollarsdétenuetopéréparuneentreprisecotéeàlaBoursedeLondresàunefirmeoffshore appartenant à Dan Gertler, un proche du président de RDC – presque deux fois l’allocation budgétaire aux dépenses de l’enseignement primaire et secondaire en 2016116.

Par ailleurs, la bancarisation117 de la paie du personnel de la fonction publique a permis d’élargir le secteur financier et bancaire.Mais lagestiondes reliquats– salairesquiétaientjadisversésàunpersonnelfictif118 – pose encore problème, d’où la nécessité de mettre en place un mécanisme de suivi et de contrôle, entre la Banque centrale, le ministère de la Fonction publique et le ministère du Budget.

Épurer l’économie informelle ?Dans un contexte national complexe, disparate et insaisissable, le pays doit revoir considérablement le mode de gestion de ses ressources naturelles pour que les dividendes de celles-ci puissent servir au développement et bénéficier à toute la population. Uneexploitation rationnelle de ces ressources devrait générer des revenus suffisammentimportants afin de soutenir des activités socio-économiques capables de contribuerà la réduction de la pauvreté. Afin de faire entrer le secteur informel dans l’économieformelle–cequ’onappelle« processusdeformalisation »119 – des approches novatrices sontnécessaires,notammentgrâceaurecoursà lamicrofinance.Danslamicrofinance,les prêts, les dépôts et les autres contrats de services doivent contenir des éléments de l’économie formelle, sans être aussi sophistiqués que les services des banques classiques.

En outre, un cadre national de politiques intégrées devrait être adopté pour lutter contre la pauvreté, afind’offrir un exemplede formalisation rapide.Celapermettraitd’accélérer la création d’emplois dans l’économie formelle d’une manière plus rapide que dans l’informel. Des politiques publiques innovantes devraient cibler des catégoriesdepersonnesdifficilesàatteindre,commelestravailleursindépendantsetles PME, pour faciliter leur transition vers l’économie formelle. Néanmoins, tant que les dispositions interdisant le cumuldesmargesbénéficiaireset le commercededétailpar les ressortissants étrangers120 ne seront pas formellement mises en application, le relèvement du niveau de vie de la population congolaise posera problème.

115. « Congosignsoverpotential$880mofroyaltiesinGlencoreprojecttooffshorecompanybelongingtofriendofCongolesepresident », Global Whitness, 15 novembre 2016.

116. Loi de finances n°15/021 du 31 décembre 2015 pour l’exercice 2016.117. En RDC, ce terme désigne la paie des taxes et salaires par voie bancaire, contrairement à la période avant 2010 où elles

étaient faites au comptant, avec les risques inhérents de détournement et de corruption.118. Labancarisationdelapaiedesfonctionnairesdel’Étatavaitpermisàl’Étatcongolaisd’économiser5 millionsUSD,mais

aussidedénicher3 500fonctionnairesfictifs,selonl’ancienPremierministreMatataPonyoquin’apaspréciséoùcetteéconomieseraitréaffectée. Lire « 874 142agentsetfonctionnairesdel’Étatbancarisésen2013,ledurrestedanslesfinsfondsdesprovinces », Business et Finances, 8 février 2014.

119. CD Echaudemaison, Dictionnaire d’Économie et des Sciences sociales,Nathan,Paris,1993, p. 143.120.Loin°73/009du5janvier1973modifiéeparlaloin°74-014du10juillet1974.

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En violation de ces dispositions, des Chinois, des Indiens et des Libanais exercent aussi le « petit commerce  »et appliquentdesprix trèsbasetdessalairesendessousduSMIG121, bloqué depuis des années à l’équivalant de trois dollars américains par jour122, ce qui a un impact sur le volume de création et de maintien des nouveaux emplois.

121. « RDC :desChinoisprispourcibleàKinshasa »,Le Monde, 28 janvier 2015.122. Ordonnancen°08/040du30avril2008portantfixationdusalaireminimuminterprofessionnelgaranti,desallocations

familialesminimaetdelacontre-valeurdulogement du10mai2008&BabsGuillain,« Le désaccord persiste sur le réajustementduSMIG », Business & Finances, 23 septembre 2015.

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4. LA SOCIÉTÉ CIVILE ET LES DÉFIS DE LA NOUVELLE TRANSITION CONGOLAISE123

par Michel Luntumbue

Depuisletournantdesannées1990,unesociétécivileplurielles’estaffirméeenRDC,dans le sillage de la libéralisation de l’espace politique. Succédant aux cycles des mouvements de contestation étudiants des années soixante à quatre-vingt, puis à l’émergence de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), les organisations de la société civile (OSC) ont été aux avant-gardes des luttes pour l’élargissement de l’espace politique et des libertés civiles. L’avènement plus récent de mouvements citoyens animés par la jeunesse et dotés de modes d’organisation et de stratégies d’action moins conventionnels semble cependant bousculer le rôle de garde-fou et de contrepouvoir démocratique, traditionnellement assuré par la société civile institutionnalisée. Dans le contexte de crise de légitimité que traverse actuellement le Congo,lesOSCpeinenteneffetàtrouverunevisibilitéentrelesforcesdelaMajoritéprésidentielleetcellesde l’opposition,en  luttepour lagestionde la transitionaprèsl’expiration du mandat du président Kabila, arrivé à échéance le 19 décembre 2016. Dans ce nouveau contexte particulièrement volatile, la question est aussi celle du poids réeldelasociétécivileetsacapacitéàinfluencerl’agendapolitique.

Diversité et controversesLa notion de société civile renvoie en réalité à une grande diversité d’initiatives dans des champs d’activité aussi variés que le développement, la défense et la promotion des droits humains, ou encore le secteur des organisations socioprofessionnelles, des organisations de la jeunesse, des organisations des femmes et des confessions religieuses. En dépit de l’existence d’une multitude de plates-formes et structures faîtières, la représentativité des acteurs de la société civile congolaise est régulièrement miseendébat.Ilestreprochéànombred’OSCd’être« alignées »,c’est-à-direpolitiséeset dépourvues d’une réelle indépendance124.

Ainsi, la Nouvelle société civile congolaise (NSCC), animée par Jonas Tshiombela, présente aux rencontres de Gorée, de Genval et au « dialogue  » achevé enoctobresous la médiation d’Edem Kodjo, a été tour à tour accusée d’être proche de l’opposition radicale, puis de la Majorité présidentielle125.

123.CetÉclairagefaitpartieduprojetduGRIP« DossierélectionsRDC :portraitsetéclairagesthématiques ».Ilestpubliéparallèlement au portrait de Joseph Kabila rédigé par Marcel-Héritier Kapitene.

124. Jonas Tshiombela, entretien avec le GRIP, 9 décembre 2016.125. La NSCC s’est retirée de ce dialogue après l’incendie de son siège, lors des journées de violence des 19 et 20 septembre 2016.

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Maggy Kiala, animatrice de la Société civile forces vives de la RDC (SCFV), et Me Marie-Madeleine Kalala126, signataires de l’accord d’octobre, sont considérées comme proches de la Majorité présidentielle. Me Georges Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) et Christopher Ngoy Mutamba (Société civile delaRDC),présentsau« dialogueinclusif »initiéparlaConférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), sont eux réputés proches du Rassemblement, regroupant l’UDPS et unepartiedel’oppositionditeradicale.Enfin,unestructuretellequeleCadre permanent de concertation de la femme congolaise (CAFCO),qui regroupelesfemmesissuesdela Majorité présidentielle, de l’opposition et de la société civile, synthétise à elle seule les ambivalences de cette société civile et l’absence d’une démarcation claire entre certaines structures et l’espace politique.

Lasociétécivilecongolaisereflèteainsilesclivagessociopolitiquesavérésousupposésqui façonnent le pays. Aussi, au moment où débutaient les travaux du second dialogue politique, sous l’égide de la CENCO, une coalition de la société civile, Droits pour tous, animéeparMe HubertTshiswaka,directeurdel’Institutderechercheendroitshumains(IRDH), basé à Lubumbashi, interpellait les délégués de la société civile sur leur rôle danslecadredecesassisesdeladernièrechance.Rappelantquelasociétécivile« est l’ensemble d’organisations à base sociale dont l’objet n’est pas de conquérir le pouvoir, mais d’assurer la promotion et protection des intérêts de la population »,lacoalitioninvitaitses délégués au sens des responsabilités et à privilégier les questions relatives à l’État de droit et la démocratie.Selonelle,lerôledecesdéléguésest« defaire pression, ensemble, sur les acteurs politiques, afin que ceux-ci trouvent un compromis nécessaire à la gestion du pays dans la paix et la cohésion nationale, en respectant le cadre constitutionnel »127.

La rue, l’Église et la « communauté internationale » comme contrepouvoirs ? À l’heure où se confirmait l’espoir d’un compromis sur les contours de la transitionpolitique, il  restait difficile de distinguer l’apport spécifique de la société civile danscetteavancée.Au coursdecesdeuxprocessusde« dialogue »,lareprésentationdesOSC est restée limitée, respectivement à trois délégués dans le premier dialogue et à cinq dans le second, sur une trentaine de participants. De plus, la polarisation du débat entre les positions initialement inconciliables128 de la majorité et de l’opposition radicale – notamment sur le statut du président Kabila après le 19 décembre et sur le calendrier électoral –, ont rendu inaudibles les positions médianes de certains acteurs de la société civile.

126. Marie-Madeleine Kalala est la vice-présidente du Cadre de concertation nationale des organisations de la société civile (CCNOSC) et coordonnatrice nationale de Cause commune. Cette plate-forme d’associations féminines a pour mission de défendre et de promouvoir les droits et la représentation des femmes aux postes de prise de décision.

127. Dialogue II : la société civile interpelle ses cinq délégués, mediacongo.net, 9 décembre 2016. 128. L’opposition qui a boycotté le premier dialogue proposait un régime spécial avec ou sans Kabila, dont les pouvoirs seraient

sensiblementréduits,ainsiquelatenuedesélectionsen2017.La majoritéetlessignatairesdel’accorddu18octobredéfendaient eux le renvoi des élections en 2018, ainsi que les termes de l’arrêt de la Cour constitutionnelle selon lequel le président Kabila restera à son poste aussi longtemps qu’un nouveau chef de l’État ne sera pas élu.

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Pour Jonas Tshiombela de la NSCC, la Constitution congolaise n’est pas explicite sur lasituationsingulièred’absenced’élections :«Ellenedemandepasqueleprésidentparte,maisqu’ilyaitpréalablementdesélections »129.Cequijustifiait,selonlaNSCC,larecherched’uncompromispermettantdegérerpacifiquementcettepériodetransitoire.

Le dialogue direct entre les signataires et non-signataires de l’accord du 18 octobre a étéenpartielerésultatdeplusieursfacteurs :lamobilisationdel’Égliseetdecertainsacteurs régionaux, la pression de la rue, sans négliger les pressions diplomatiques croissantes.Ainsi,finoctobre2016àLuanda,enmargedusommetdeschefsd’Étatde la région, les présidents Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et José EduardodosSantos(Angola)auraientsuggéréàJosephKabilade« tendrelamainauRassemblementdel’opposition,vialaCENCO ».Commelesoulignel’ancienmédiateurEdemKodjo,« tout le monde [était] un peu tétanisé à l’idée qu’il se passe quelque chose le 19 décembre à minuit et (…) chacun cherche à conjurer les risques de dérapages »130. Les événements tragiques des 19 et 20 septembre 2016 restent en mémoire comme un premier coup de semonce. Parallèlement, les nouveaux mouvements citoyens, animés par la jeunesse, se sont imposés dans l’agenda du pouvoir par leur stratégie de « harcèlementpacifique »etdemanifestationspubliquesrégulièrementrépriméesparles autorités. Si l’apocalypse tant redoutée n’a pas (encore) eu lieu, ni le soulèvement populaire annoncé par certains, pour faire échec au maintien de Joseph Kabila au pouvoir, la nuit du 19 au 20 décembre, à Kinshasa, a été émaillée par un concert de casseroles et de sifflets.Une nouvelle formedeprotestation politiquepacifique, quirépondait à la proclamation à 23h59, du nouveau gouvernement congolais dirigé par Samy Badibanga, Premier ministre issu du premier processus de dialogue.

L’appeld’ÉtienneTshisekediàlarésistancepacifique,diffuséparvidéole20décembrene s’est pas traduit par une mobilisation notable dans l’ensemble du pays, dont les villes étaient quadrillées par un important dispositif sécuritaire, tandis que le gouvernement avaitdemandéauxopérateursinternetdefiltreroucouperlesréseauxsociauxlaveilleàpartirde23h59.LaNSCCavaitàceteffetappeléàunejournée« villemorte »,lelundi19 décembre, pour protester contre le blocage des réseaux sociaux et l’interdiction de tenirdesréunionsdansdifférentsendroitsdeKinshasasansl’autorisationdesservicesde renseignement131.

Une situation toujours instableSelon Human Rights Watch, les forces de sécurité congolaises auraient tué au moins 34 personnes lors de tentatives de manifestations survenues à Kinshasa (19 personnes), à Lubumbashi (5 personnes), à Boma (6 personnes) et à Matadi (4 personnes), et procédé à l’arrestation de plusieurs centaines d’autres, dont des activistes des mouvements citoyens132.

129. Entretien avec le GRIP, 9 décembre 2016.130. Kabila, Tshisekedi, Katumbi… L’ex-médiateur Edem Kodjo dit tout, Jeune Afrique, 19 décembre 2016.131. Blocage des réseaux sociaux : la NSCC appelle à la ville morte le 19 décembre, Actualité.CD, 16 décembre2016.132. Le bilan des morts en RD Congo s’alourdit, des arrestations massives après les manifestations, HRW, 22 décembre 2016.

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Les risques d’un isolement diplomatique et d’une dégradation de la situation générale du pays semblent en partie avoir joué en faveur de l’apaisement. Le compromis conclu le soir de la Saint-Sylvestre rencontre ainsi nombre d’attentes et signaux d’apaisement préconisés par les représentants de la société civile : adoption d’un calendrier électoral raccourci, prévoyant une transition d’un an seulement ponctuée par des élections en2017 au lieu d’avril 2018 comme stipulé dans l’accorddu18 octobre  ;engagement du Président sortant à ne pas briguer de troisième mandat et à ne pas initierunquelconquechangementdelaConstitutiondurantlapériodedetransition ;remaniement du gouvernement central et des gouvernements provinciaux pour intégrer les représentants du Rassemblement et du Mouvement de libération du Congo, les deux principaux acteurs politiques d’opposition engagés dans le processus133.

Parmi les obstacles qui restent à surmonter, citons le choix du nouveau Premier ministre,posterevendiquéparl’UDPSauprofitdeFélixTshisekedi,etlaréformedelacommission électorale, dont le Rassemblement exige le remplacement du président, Corneille Nangaa134, et même la succession d’Étienne Tshidekedi, décédé le 1er février 2017, au poste de président du Conseil national de suivi de l’Accord du 31 décembre (CNSA)135.

En dépit de cet apaisement relatif, qui reste à confirmer dans la durée, certainsobservateurs soulignent par ailleurs la persistance d’un des écueils à l’origine de la criseactuelle  : laquestiondufinancementdesélections…Toutenouvelledifficultéàmobiliserdes fondspourraitdevenir lacaused’unnouveau« glissement » électoral, déjà amorcé avec le décès inopiné du leader de l’UDPS.

133. Dialogue II : suivez l’évolution des négociations depuis hier vendredi, mediacongo.net,23 décembre2016.134. Suspensiondudialoguemaisl’accord« àportéedemain »selonlaCENCO, RFI, 25 décembre 2016.135. MendeausujetduPostedePrésidentduCNSA :« LaCENCOn’apasdepouvoirdanscepays », Actualité.cd, 10 février 2017.

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5. LA JUSTICE RONGÉE DE L’INTÉRIEUR136

par Marcel Yabili

La nouvelle crise politique en RDC marque l’échec des réformes et des nouvelles institutions issues de la Constitution de 2006137. Les causes de cet enlisement et les thérapiesappropriéesontétéidentifiéesetmaintesfoisrépétées : ilyatoujoursuneabsence de volonté politique et une culture de la ruse, dans l’indiscipline et l’impunité.

Dans les principes et les mécanismes nouveaux, les institutions reposent sur l’avènement de l’État de Droit, proclamé par trois fois dans la Constitution138. Il s’agit d’un système de l’égalité de tous devant des lois que tous doivent appliquer, y compris les plus hautes autorités, et sous la surveillance de juges indépendants, intègres et compétents. Ainsi la Justice est au cœur des institutions139 et des réformes de la RDC.

Dans la vie quotidienne, la Justice a pour fonction de maintenir et de restaurer la paix sociale. La possibilité d’y recourir apporte la sécurité juridique dans le privé et dans les affaires.L’institutionestcommesacrée :ons’interditdesefairejusticeetonsesoumetà ses décisions, quand bien même des juges commettraient des erreurs140. L’institution estsurtoutpuissante :unpetitjugealespouvoirsdenieroudereconnaîtredesdroitsaux plus humbles comme à de puissants fortunés, de les obliger de faire ceci ou de leurinterdiredefairecela.Maisdansunpaysaffaibli,cepouvoirénormeetredoutablepeut être neutralisé ou détourné par les dirigeants politiques ou des individus ou des groupes d’intérêts, ou dévoyé par les juges eux-mêmes. C’est ainsi que la Justice, un remède,a pudevenirunpoisondelasociétécongolaise.

Comment en est-on arrivé là ?La Justice congolaise est organisée depuis 1886. Quelques docteurs en droit, des agents territoriaux, ainsi qu’une multitude de sages et de notables autochtones l’ont fait fonctionner avec satisfaction. Elle est épargnée dans les condamnations habituelles du système colonial.

Par la suite, toute la Justice ne fut composée que de juristes sortis des universités. Mais lorsque Mobutu prit la tête de toutes les institutions, les magistrats furent enrôlés comme membres du parti unique et dépouillés de leur indépendance.

136. Ce texte a été initialement publié, le 6 janvier 2017, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2222.

137.« RéformeauCongo–Attentesetdésillusion »,MRAC,L’Harmattan,2009.138. Dans le préambule, l’exposé des motifs et son article premier.139.Suivantlepartageconstitutionneletclassiquedespouvoirsen« exécutif »,« législatif »et« judiciaire ».140. Raison pour laquelle on a le droit d’être jugé deux fois.

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Aprèsavoirservileprinceetlerégime,ils prirentgoûtàavantagerd’autresintérêtsetles leurs propres. À titre d’exemple, ils avaient déformé le formalisme de la procédure en le renforçant pour rejeter le recours de la banque belge Socobanque et en faciliter l’expropriation. Encore aujourd’hui, des juges véreux recourent à ce formalisme tatillon pour refuser d’examiner des dossiers et donner de l’effet à des situations iniques  ;souvent,ilsfalsifientlesfaits,enénonçantdansleurjugementdessituationsinconnuesdes pièces du procès.

Mais à partir de 2006, toutes les institutions ont été remises à plat  ; tous devaientobtenir une légitimité nouvelle, et périodiquement renouvelable  ; on élit le chef del’État ;legouvernementetleParlement(députésetsénateurs)sontissusd’élections.Cependant, sous prétexte d’indépendance de la Justice, on a omis de renouveler la magistrature, d’organiser des mécanismes de tri et de certification des aptitudeset des prédispositions des magistrats à exercer leur énorme pouvoir. Ils reçurent, en prime, la mention dans la Constitution de l’interdiction faite à l’exécutif d’entraver leurs jugements. Désormais, ils se gèrent entièrement en vase clos  : le chef de l’État nefait plus partie du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui est exclusivement composédemagistrats.Cettecollégialitéexclusiveestdangereuse ;elle n’existepasen Belgique, par exemple.

Depuis dix ans, la Justice aurait pu être rebâtie et rétablie par les magistrats eux-mêmes, s’ils l’avaient voulu. Mais ils restèrent en fonction avec l’héritage du passé. Les lois ont continué à être infléchies pour plaire au prince. On peut citer le maintien en prisonpréventive de l’ancien bâtonnier Jean-Claude Muyambo sur base d’une loi coloniale qui, à l’opposé, organise la liberté comme étant la règle, et la détention, comme une exception. De même, pour sauvegarder les attributs d’un régime autoritaire révolu, des civils sont toujours jugés par des tribunaux militaires, alors que la Constitution l’interdit clairement.

Cetteallégeanceaupouvoirestvolontaire :iln’yajamaiseudebrasdefer,maisdessignaux contraires. Le tout premier discours du Procureur général de la République141 futunproposdecomplaisancesur lesoffensesenvers le chefde l’État.En2007et2009,leParquetavoléausecoursdesconflitsd’intérêtdupouvoirdanslesressourcesnaturelles et émis illégalement des réquisitions qui avaient valeur de jugements exécutoires d’annulation de titres miniers142. Pour avoir ouvert un dossier réclamant ses droits miniers, la First Quantum Minerals fut condamnée par la Cour suprême de Justice à une amende colossale et mise en liquidation. En décembre 2016, un tribunal a décapité la direction du plus important investissement minier, la Tenke Fungurume Mining  ; toutefois, la nomination d’un administrateur provisoire a été suspendue inextremis par une décision administrative. Les exemples foisonnent.

141. Mercuriale de la rentrée judiciaire 2007-2008 de la Cour suprême de justice.142. Dossiers des titres miniers de Boss Mining,puisdesfilialesdeFirst Quantum Minerals.

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Souffler le chaud et le froid

Les magistrats eux-mêmes enfoncent le clou. Ils se plaignent d’être mal payés. Ce qui est vrai. Mais si plusieurs se débrouillent pour se rémunérer grassement, très peu se donnent des occasions d’équité et de générosité envers les démunis. Ils reconnaissent queleurcorpssouffred’un« déficiténormeencompétence :lesmagistratssontpourlaplupartdesnovicesetsansexpériencerequise…lesdécisionsrenduessouffrentquantaustyle,laqualitéetlahauteurderaisonnementtechnique »143.

Le pouvoir suprême, habituellement suspecté de manipuler les juges, déclare que «  la justice est au banc des accusés. Abusant de l’indépendance liée pourtant àla délicatesse et la noblesse de sa charge, le magistrat se rend coupable de dol, de concussion, de corruption… Il est temps que les opérateurs judiciaires choisissent leur camp ;celuideserviroudemartyriserdavantageunpeupledéjàmeurtri… »144.

Moïse Katumbi, alors gouverneur de province, avait demandé au Parquet d’organiser un procès-spectacleaubénéficedelaveuveUmbaKyamitala,ancienPDGdeGécamines, parceque«  les jugesimpliquésdansledossier n’avaientpasdeplaceauKatanga ».Indignés, des magistrats syndicalistes avaient protesté et exigé des excuses, mais ils furent l’objet de poursuites disciplinaires par leur hiérarchie, soucieuse de plaire à l’autoritéprovinciale.Dansuneautreactionspectaculaire,Katumbifitdémolirdesconstructionsdeparticuliers ;lorsquelesvictimessaisirentlestribunaux,legouverneurobtint du procureur général d’interdire la tenue du procès. Profiter de la Justice, larendre complice et ensuite la vilipender se pratique à tous les échelons du pouvoir et dans tous les cercles politiques.

Actuellement, l’opposition politique brandit la première partie de l’article 70 de la Constitutiondisantque« lePrésidentdelaRépubliqueestéluausuffrageuniverseldirectpourunmandatdecinqansrenouvelableuneseulefois ».MaislaCourConstitutionnellealuletexteenentierquiditqu’« àlafindesonmandat,leprésidentdelaRépubliqueresteenfonctionjusqu’àl’installationeffectivedunouveauPrésidentélu ».Commelaloinerencontrepassarhétorique,l’oppositionqualifieleshautsmagistratsdevendus,auxordresdupouvoir etdecomplicesd’uncoupd’État.Cefaisant,ellenourritlemêmeesprit d’instrumentalisation de la Justice… Selon certains observateurs, elle aurait mieux fait de se concentrer sur les responsables de la non-tenue des élections.

L’égalité devant l’impunitéÀ son investiture en 2006, Joseph Kabila avait annoncé qu’il lutterait contre l’impunité. Mais, après dix ans, rares sont ceux qui ont été poursuivis ou sanctionnés. Dans ce contexte, tous réclament la généralisation de l’impunité, érigée en règle. Toute interpellationdepoliticienestqualifiéedepoursuitepolitique.

143. Pétition de magistrats de 2011. 144. Discours présidentiel de juin 2009.

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Ce fut le cas du député et président de la Démocratie chrétienne, Eugène Diomi Ndongala, condamné à dix ans de prison. Il incarne, non pas le martyre politique, mais d’avoir eu un trèsmauvais dossier. Pris en flagrant délit de viol aggravé, ce proched’Étienne Tshisekedi fut exposé à l’arrestation immédiate et à une procédure accélérée. En outre, sa qualité de député l’a privé de la possibilité de faire appel.

On a aussi parlé du harcèlement judiciaire à l’encontre de Moïse Katumbi. Le 4 mai 2016, furent annoncées l’ouverture d’une enquête pour recrutement de mercenaires par l’ancien gouverneur et sa candidature à la présidence de la république. Le lendemain, il déclarait que le Parquet avait été commandité pour empêcher son élection. Il fut placé sousmandatd’arrêt.Maisuntelmandatn’estvalablequecinqjours  ;au-delà, ildoitêtre converti en détention préventive, elle-même prorogeable de mois en mois. Dans un second dossier, Katumbi a été condamné à trois ans de prison avec arrestation immédiate ;c’étaituneprocédurelégalededédommagementcontournantleParquetet s’adressant directement aux juges. La rapidité et les excès de la sentence ont été imputés à la répression politique, mais juridiquement, elles en faciliteront l’annulation lors d’un appel. De même, les délais de recours et de cassation empêchent que la condamnationdeKatumbi, qui n’estpasdéfinitive,puisse lepriverde sondroit àl’éligibilité.

Le ver qui ronge le haricotLe véritable intérêt du cas Katumbi vient de la juge Ramazani Wazuri qui a lu le jugement. Elle a dénoncé des pressions politiques, qu’elle a imputé à l’Agence nationale de renseignements et à son administrateur général. Mais elle a aussi clairement parlé de ses contacts avec sa hiérarchie. Dans tout le pays, les projets de jugements sont contrôlésetvisésparlahiérarchie.Cespressionsinternespeuventprovenirderéflexesde servilité envers le pouvoir politique ou d’autres intérêts ou arrangements. Légalement, cette censure de la hiérarchie viole l’indépendance des juges145. Finalement, la multitude de décisions iniques indique que les dysfonctionnements de la Justice seraient l’œuvre dequelquescenseursbienidentifiables.Plusquejamaislesortdel’institutionestentresespropresmains.Etunadage leditsibien  : leverqui ronge leharicotestdans leharicot…

145.LeParquetn’estpasindépendant ;ilpeutrecevoirdesinjonctionsduministredelaJustice.Cecisignifieaussiqu’unbonministrepourrait donner des instructions positives pour améliorer ce corps de la Justice.

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LES RAPPORTS DU GRIP

Abonnez-vous en quelques clics aux « Rapports du GRIP » : www.grip.org10 numéros par an pour 60 € (frais de port inclus)

2013/11 Groupes armés actifs en R. D. Congo – Situation dans le « Grand Kivu » au 2e semestre 2013, Georges Berghezan, 36 p., 6 €

2014/1 L’Iran et la question syrienne – Des « Printemps arabes » à Genève II, Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner, 32 p., 6 €

2014/2 Le programme nucléaire iranien : Rétrospective sur les accords conclus avec l’AIEA et le « P5+1 », Bérangère Rouppert, 35 p., 6 €

2014/3 Dépenses militaires, production et transferts d’armes – compendium 2014, Sophie Durut et Luc Mampaey, 52 p., 8 €

2014/4 Répertoire des entreprises du secteur de l’armement en Belgique, Louis Discors et Luc Mampaey, 48 p., 7 €

2014/5 Initiatives de l’UE pour le contrôle des armes légères : vers une meilleure coordination, Cédric Poitevin, 40 p., 7 €

2014/6 Le traçage des armes sur les lieux de conflits : leçons et perspectives, Claudio Gramizzi, 22 p., 6 €

2014/7 Au vent mauvais : Comment la vente des Mistral à la Russie sape les efforts de l’Union européenne, Roy Isbister et Yannick Quéau, 20 p., 6 €

2015/1 Quelle place occupe la Turquie sur les marchés de défense ?, Yannick Quéau, 28 p., 7 €

2015/2 Armes artisanales en RDC : enquête au Bandundu et au Maniema, Georges Berghezan, 44 p., 7 €

2015/3 Groupes armés au Katanga : épicentre de multiples conflits, Georges Berghezan, 38 p., 7 €

2015/4 Traité de non-prolifération nucléaire : l’échec de 2015 mènera-t-il au succès de la première commission ?, Jean-Marie Collin, 32 p., 6 €

2016/1 Conseil de coopération du Golfe, une politique de puissance en trompe-l’œil, Léo Géhin, 32 p., 6 €

2016/2 Dépenses militaires, production et transferts d’armes. Compendium 2015, Luc Mampaey et Christophe Stiernon, 56 p., 8 €

2016/3 Armes nucléaires américaines en europe : les raisons du statu quo, Maïka Skjønsberg, 48 p., 8 €

2016/4 Contrôle de l’utilisation finale des armes: pratiques et perspectives, An Vranckx, 36 p., 6 €

2016/4 Containing diversion: arms end-use and post-delivery controls, An Vranckx, 40 p., 6 €

2016/5 Le Japon, nouvel exportateur d’armements : histoire, régulations et perspectives stratégiques Bruno Hellendorff, 48 p., 8 €

2016/6 Résumé du SIPRI Yearbook 2016 - Armements, désarmement et sécurité internationale Traduction GRIP, 32 p., gratuit

2016/7 Rapport de forces au Haut-Karabakh Frictions, dissuasion et risque de déflagration, Léo Gehin, 36 p., 6 €

2016/8 Dépenses militaires, production et transferts d’armes. Compendium 2016, Luc Mampaey et Christophe Stiernon, 56 p. , 8 €

2016/9 Crise nord-coréenne : diplomatie, menace nucléaire et défense antimissile, Bruno Hellendorff et Thierry Kellner, 44 p. , 8 €

2016/10 RDC : les enjeux du redécoupage territorial. Décentralisation, équilibres des pouvoirs, calculs électoraux et risques sécuritaires, Michel Luntumbue, 28 p., 6 €

2017/1 Défense européenne. L’enjeu de la coopération structurée permanente, Frédéric Mauro, 52 p., 8 €

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ISBN 978-2-87291-081-6LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2

RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

Le 20 décembre 2016, la République démocratique du Congo aurait dû connaître le nom de son nouveau Président. Il n’en a rien été. Violée ou mal interprétée – les avis divergent –, la Constitution congolaise n’a pas pu jouer son rôle dans le processus électoral. L’acharnement de Joseph Kabila et de son entourage a brisé l’élan de démocratisation et l’espoir d’un peuple de savourer les avancées démocratiques de son pays.

En face, la population est descendue plusieurs fois dans la rue pour exprimer son désir de changement. Mais chacun de ces appels au respect de l’ordre constitutionnel a été brutalement réprimé, causant la mort de dizaines de manifestants.

Quant à l’opposition politique, elle peine à s’organiser face aux multiples pièges tendus par le Président. Ses divisions et rivalités ne sont pas sur le point de s’effacer après la disparition d’Étienne Tshisekedi et avec l’exil prolongé de Moïse Katumbi, ses deux principaux leaders.

Un accord «  inclusif  » en vue d’élections avant la fin de l’année 2017 a bien été conclu. Mais la lenteur de sa mise en œuvre et l’absence de financement adéquat mettent d’ores et déjà en doute le respect de cette échéance.

Pour faire le point sur ce dossier complexe, le GRIP publie le présent rapport, consacré aux principaux acteurs en présence, à des thématiques à prendre en compte et à une synthèse du processus de dialogue. La plupart de ces textes ont déjà été édités, entre novembre 2016 et janvier 2017, dans le format des « Éclairages » du GRIP, et sont republiés, parfois après adaptation en fonction de l’actualité.

Ce document, fruit d’un travail collectif de plusieurs chercheurs du GRIP et collaborateurs associés, devrait permettre au lecteur de mieux déchiffrer l’actualité récente et d’avoir une meilleure compréhension du contexte et des enjeux à l’œuvre dans un pays dont la démocratisation et une juste répartition des fabuleuses ressources représenterait un immense espoir pour toute l’Afrique.

Ce rapport a été réalisé par Georges Berghezan, Clément  Hut, Marcel-Héritier Kapitene, Michel Luntumbue, Pierre Martinot, Jean-Jacques Wondo Omanyundu et Marcel Yabili (tous chercheurs ou chercheurs associés au GRIP).