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INSTITUT REGIONAL D’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE RECHERCHE EN DEVELOPPEMNT CULTUREL IRES-RDEC LOME - TOGO Revue scientifique semestrielle de l’IRES-RDEC N° 001 Décembre 2012 Ingénierie culturelle ISSN23039167 PRESSES DE L’IRES-RDEC

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INSTITUT REGIONAL D’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE

RECHERCHE EN DEVELOPPEMNT CULTUREL

IRES-RDEC

LOME - TOGO

Revue scientifique semestrielle de l’IRES-RDEC N° 001 Décembre 2012

Ingénierie culturelle

ISSN—2303– 9167

PRESSES DE L’IRES-RDEC

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I

SOMMAIRE

Sommaire………………………………………………………….......….I

Note à l’attention des lecteurs…………………………………………...II

Administration et normes éditoriales ….…………….………………….V

La politique culturelle de la Côte d’Ivoire en questions, KAMATE

Banhouman (Université de Cocody-Abidjan).....................................11

La politique togolaise du recours à l’authenticité culturelle (1974-1990),

BATCHANA Essohanam (Université de Lomé)…….........................35

La recherche scientifique et la musique africaine, 50 ans après : bilan et

perspectives, HIEN Sié (Université de Cocody-Abidjan)……............61

De l’émergence des territoires créatifs en Afrique, SECK Sidy

(Direction générale des manufactures sénégalaises des arts

décoratifs, Sénégal)……………………………………………….......85

Discours et responsabilité de la presse d’informations générales dans la

crise postélectorale en Côte d’Ivoire, ATCHOUA N’Guessan Julien

(Université de Cocody-Abidjan)…………………………………….109

Traces matérielles liées à l’esclavage et à la traite négrière au Togo,

AGUIGAH Dola Angèle (Université de Lomé).……………………139

Un patrimoine culturel immatériel du Togo à l’épreuve du temps : cas du

pays guin, KADANGA Kodjona (Université de Lomé)…………….165

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II

NOTE A L’ATTENTION DES LECTEURS

Dans les années 1960, la plupart des pays d’Afrique

subsaharienne souffrait d’un déficit important de ressources humaines, en

particulier dans le domaine de la culture. Cette situation, du fait colonial

se comprenait car le colonisateur n’avait pas fait de l’existence et de

l’émergence de la culture africaine une priorité, ce qui eût été d’ailleurs

paradoxal.

Les Etats africains en ont pris conscience de ce fait,

progressivement mais lentement. Il a fallu attendre les années 1980 pour

que la dimension culturelle du développement soit affirmée et mise au

jour. C’était la conséquence logique des échecs répétés des politiques

nationales de développement qui n’intégraient pas les valeurs

socioculturelles dans leur processus.

Au nombre des efforts qui attestent de cette prise de conscience,

on peut citer, dès 1975, à Accra, la Déclaration de la Conférence

Intergouvernementale sur les Politiques Culturelles en Afrique

(AFRICACULT) dans laquelle des Etats africains décident « d’accorder

à la Culture, la place déterminante qui lui revient dans le processus du

développement intégral, dont l’homme est à la fois l’agent et la finalité ».

C’est dans cet élan qu’a été créé le Centre Régional d’Action

Culturelle (CRAC) en 1976 dont la mission a été de former des cadres

supérieurs et agents en développement culturel. Institution

intergouvernementale africaine, le Centre fut un cadre culturel dont

l’expertise s’est exprimée grandement dans l’ingénierie culturelle, dans

les recherches et publications culturelles, et enfin dans la formation en

développement culturel. Il est ouvert à tous les citoyens du monde.

Son programme de formation prend en compte toutes les

préoccupations actuelles : environnement, droits humains,

développement local (rural et urbain), gestion des conflits, culture de la

paix, etc. A ce jour plus de six cents (600) cadres africains ont été formés

par le CRAC et ceux-ci excellent dans leur métier tant au niveau national

que dans les institutions internationales.

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III

Au regard de la qualité de la formation et de la recherche, le

CRAC a été accréditée par le Conseil Africain et Malgache pour

l’Enseignement Supérieur (CAMES) en sa 26ème

session du Programme

de Reconnaissance et d’Equivalence des Diplômes (PRED) qui s’est

tenue du 15 au 18 mai 2012 à Parakou (Bénin).

Pour faire face aux nouveaux enjeux et défis, la Session

extraordinaire de la conférence générale des ministres de la culture des

Etats membres et représentants des institutions partenaires du CRAC,

tenue à Lomé au Togo du 29 au 31 octobre 2012, a transformé le Centre

en un Institut Régional d’Enseignement Supérieur dénommé Institut

Régional d’Enseignement Supérieur et de Recherche en Développement

Culturel (IRES-RDEC). Outre la vocation professionnelle, l’Institution

Interétatique prend désormais en compte la dimension recherche en

Développement Culturel et Culture de la Paix. L’IRES-RDEC est par

ailleurs doté d’une école doctorale.

L’IRES-RDEC (ex-CRAC) est donc devenu, au fil des années,

une structure de référence. Toutefois, il nous semble qu’il manque un

espace permanent de communication, d’échange et de critique ; cet

espace où foisonneraient les résultats des recherches et réflexions des

élites africaines sur tous les aspects en lien avec le développement

culturel en Afrique et dans le monde, un lieu de mise en commun et de

mutualisation des expériences des acteurs de la Culture. C’est de là

qu’est née l’idée d’une revue scientifique dénommée Ingénierie

Culturelle.

Ingénierie culturelle est une revue semestrielle qui aborde tous

les aspects fondamentaux et professionnels de la culture et du

développement : Droit de la culture, Economie de la culture, Veille

informationnelle, Grands problèmes de la culture et du développement,

Patrimoine, Sciences muséographiques et muséologiques, Animation

culturelle, Sciences de l’information, Arts vivants, Arts plastiques,

Politique culturelle, industries culturelles, etc. Bref, elle intègre dans ses

publications la dimension du développement culturel, mais aussi les

questions d’ordre philosophique, littéraire et des sciences sociales et

humaines.

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IV

C’est une revue de réflexion et de production de savoir qui

propose à ses lecteurs des résultats des études de recherche ainsi que des

« notes de lecture » et des rencontres avec des personnalités du monde

culturel.

Merci de l’accueil que vous voudrez bien accorder à Ingénierie

Culturelle ainsi qu’à toute son équipe rédactionnelle.

Professeur Kodjona KADANGA,

Directeur de publication

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V

ADMINISTRATION ET NORMES EDITORIALES

1. Administration et rédaction

Directeur de publication : Professeur KADANGA Kodjona,

Université de Lomé

Comité scientifique de lecture

DIABI Yahaya, Professeur titulaire, Université de Cocody-Abidjan (Côte

d’Ivoire) ; DIKENOU K. Christophe, Professeur titulaire, Université de

Lomé (Togo) ; DUPUIS Xavier, Professeur titulaire, Université de Paris-

Dauphine (France) ; GAYIBOR L. Nicoué Professeur titulaire,

Université de Lomé (Togo), GBIKPI-BENISSAN F. Datè, Professeur

titulaire, Université de Lomé (Togo) ; GOEH-AKUE N. Adovi

Professeur titulaire, Université de Lomé (Togo), KADANGA Kodjona,

Professeur titulaire, Université de Lomé (Togo) ; KOSSI-TITRIKOU

Komi, Professeur titulaire, Université de Lomé (Togo) ; MOUCKAGA

Hugues, Professeur titulaire, Université de Libreville (Gabon) ; NAPON

Abou, Professeur titulaire, Université de Ouagadougou (Burkina Faso),

TAKASSI Issa, Professeur titulaire, Université de Lomé (Togo) ;

TCHAM Badjow, Professeur titulaire, Université de Lomé (Togo) ;

TCHAMIE Thiou, Professeur titulaire, Université de Lomé (Togo) ;

TCHITCHI Toussaint, Professeur titulaire, Université d’Abomey-Calavi

(Bénin) ; ALONOU Kokou, Maître de conférences, Université de Lomé

(Togo) ; ASSIMA-KPATCHA Essoham, Maître de Conférences,

Université de Lomé (Togo) ; DIANZINGA Scholastique, Maître de

Conférences, Université Marien Ngouabi (Congo-Brazzaville) ; LARE

Lalle Yendoukoa, Maître de Conférences, Université de Lomé (Togo) ;

OWAYE Jean-François, Maître de Conférences, Université Omar Bongo,

Libreville (Gabon) ; PEWISSI Ataféi, Maître de Conférences, Université

de Lomé (Togo) ; TCHASSIM Koutchoukalo, Maître de Conférences,

Université de Lomé (Togo).

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VI

Coordinateur du secrétariat de rédaction : BATCHANA

Essohanam

Courriel : [email protected]/[email protected]

Secrétariat de rédaction : AMON Benjamin Adon, KPAYE

Bakayota, HETCHELI Kokou Folly Lolowou

Coordination, conception, révision : Institut Régional

d’Enseignement Supérieur et de Recherche en Développement Culturel

(IRES-RDEC).

2. Option éditoriale

Ingénierie Culturelle est une revue scientifique appartenant à

l’Institut Régional d’Enseignement Supérieur et de Recherche en

Développement Culturel (IRES-RDEC), un Institut Interétatique de

formation et de recherche en Développement Culturel en Afrique.

Elle paraît semestriellement et, au besoin, en hors série et en

édition spéciale. Elle publie prioritairement les textes portant sur tous les

aspects du développement culturel et culture de paix et les comptes-

rendus des activités de l’Institut. Mais, elle reçoit aussi les travaux

philosophique, littéraire et sciences humaines.

Les textes sont sélectionnés par un comité scientifique de lecture

en raison de leur originalité, de leur intérêt et de leur rigueur scientifique,

puis publiés sur décision de l’administration de la revue.

Les avis et opinions scientifiques émis dans les articles

n’engagent que leurs propres auteurs.

Les articles à soumettre à la revue doivent être conformes aux

normes suivantes :

1. Le volume et la typographie : le volume d’un article : 10 à 20

pages environ ; l’interligne : 1,5 ; la police : Times new romans ;

la taille de police : 12 (10 en bas de page) ; le format : A4 ; les

marges de haut, de bas, de gauche et de droite : 2,5 cm.

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VII

2. L’ordre logique du texte : le manuscrit soumis doit comporter les

mentions suivantes :

- titre de l’article en caractère d’imprimerie ;

- une signature comportant le nom de l’auteur en minuscules

avec une initiale majuscule, le nom et l’adresse complète de

l’institution d’attache, le courriel et le téléphone de l’auteur

présenté avec l’indicatif international ;

- un résumé en français de 10 lignes au maximum ;

- un minimum de trois et un maximum de cinq mots clés ;

- une introduction ;

- un développement ;

- une conclusion ;

- une partie source et bibliographie.

3. Les articulations du développement du texte. Les titres et sous-

titres sont à présenter ainsi :

1. pour le titre de la première section ;

1.1. pour le premier sous-titre de la première section ;

1.2. pour le deuxième sous-titre de la première section, etc.

2. pour le titre de la deuxième section ;

2.1. pour le premier sous-titre de la deuxième section ;

2.2. pour le deuxième sous-titre de la deuxième section, etc.

4. Les titres, les sous-titres et chaque début de paragraphe doivent

être mis en retrait (1 cm). Les sous-sous-titres sont à éviter autant

que possible. Pour faciliter le montage final de la revue, il est

exigé de faire manuellement la numérotation des titres, des

tableaux, de toutes les figures, etc.

5. La conclusion doit être brève et insister sur les résultats et l’apport

original de la recherche.

6. La référence bibliographique adoptée est celle des notes intégrées

au texte. Elle se présente comme suit : (nom de l’auteur année de

publication : page à laquelle l’information a été prise).

7. La référence aux sources (sources orales, archives, ouvrages-

sources, périodiques ou publications officielles) dans le corps du

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VIII

texte se met en note de bas de page, en mentionnant si possible le

ou les pages contenant les informations données.

8. Pour les documents d’archives, indiquer le dépôt (le service), le

lieu, la cote (série et sous-série en précisant le numéro), le

document utilisé avec les précisions de date, d’auteur et, si

possible, de page où se trouve l’information donnée.

9. Dans la rubrique sources et bibliographie, les sources consistent à

montrer, d’une façon détaillée, les sources orales et autres

documents primaires ou de premières mains consultés et/ou cités.

Elles sont à présenter comme suit :

- pour les sources orales : dans l’ordre alphabétique des noms

des informateurs, dans un tableau comportant un numéro

d’ordre, nom et prénoms des informateurs, la date et le lieu de

l’entretien, la qualité et la profession des informateurs, leur

âge ou leur date de naissance ;

- pour les publications officielles, suivre la logique des livres si

c’est un ouvrage ancien ; mais dans le cas des périodiques,

mentionner l’institution ou l’auteur, le titre en italique, l’année

et toutes les autres informations nécessaires à l’indentification

(numéro, nature, etc.) ;

- pour les documents d’archives, indiquer le dépôt (le service),

le lieu, la cote (série et sous-série en précisant le numéro), titre

du dossier.

10. La bibliographie consiste à indiquer les ouvrages consultés et/ou

cités. Elle est classée par ordre alphabétique (en référence aux

noms des auteurs). La présentation suivante est recommandée :

- pour un livre : nom (en minuscule avec une initiale en

majuscule) et l’initiale en majuscule du prénom, année

d’édition : titre (en italique), lieu d’édition, édition, nombre

total de pages facultatif ;

- pour un article : nom (en minuscule avec une initiale en

majuscule) et l’initiale du prénom, année : « le titre de l’article

entre guillemets » (sans italique), le titre de la revue en

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IX

italique, le numéro, le lieu d’édition, l’identification des pages

du début et de la fin de l’article dans la revue.

11. La langue de publication de la revue est le français. La

publication d’un texte en une langue autre que le français est

soumise à autorisation exceptionnelle de l’administration de la

revue. Les termes étrangers au français sont en italique et sans

guillemets.

12. Toutes les citations doivent être mises entre guillemets et sans

italique. Les citations de plus de quatre lignes sont mises en

retrait, en interligne simple, taille 11.

13. Les mots étrangers au français sont à mettre en italique et sans

guillemets, exceptées les citations en langue étrangère (qui sont à

la fois en italique et entre guillemets.

14. La revue s’interdit l’usage du soulignement qui est remplacé par

la mise en italique.

15. La présentation des figures, cartes, graphiques, etc. doit respecter

le miroir de la revue Ingénierie Culturelle qui est de 16×24. Ces

documents doivent porter la mention de la source, de l’année et

de l’échelle (pour les cartes).

16. Les articles doivent parvenir au secrétariat de la revue au plus tard

à la fin du mois de janvier pour la publication de juin et à la fin du

mois de juillet pour celle de décembre.

17. La rédaction ne donne suite qu’aux textes qui lui sont envoyés

directement sans passer par des intermédiaires.

18. Contact : Ingénierie Culturelle, Revue de l’Institut Régional

d’Enseignement Supérieur et de Recherche en Développement

Culturel (IRES-RDEC), BP : 3253, Lomé Togo ; Téléphone :

(228) 22-22-44-33 ; Fax : (228) 22 20 72 45 ; E-mail :

[email protected]/[email protected]

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11

LA POLITIQUE CULTURELLE DE LA COTE D’IVOIRE EN

QUESTIONS

KAMATE Banhouman

UFR Information communication et arts (UFRICA)

Université Félix Houphouët-Boigny

Abidjan (Côte d’Ivoire)

E-mail : [email protected]

Résumé

La Côte d’Ivoire, depuis son accession à la souveraineté

nationale, a entrepris un certain nombre d’actions sur le plan culturel et

artistique, sans que celles-ci ne soient inscrites dans le cadre d’une

politique parfaitement planifiée. Cette absence de politique culturelle a

été longtemps décriée par des politiciens et des intellectuels.

Ainsi, comme ayant pris enfin toute la mesure de l’importance

d’une politique, le gouvernement ivoirien a élaboré en 2007 un projet de

politique culturelle nationale devant soutenir l’émergence d’un Ivoirien

de type nouveau et permettre au pays de connaître un développement

durable et intégré.

En attendant son adoption, il m’a semblé opportun d’analyser ce

projet, sous le prisme des recommandations de l’Observatoire des

Politiques Culturelles en Afrique (OCPA).

Mots clés : politique, ivoirien nouveau, développement, OCPA.

Introduction

En Côte d’Ivoire, pays d’Afrique Occidentale aux multiples

facettes culturelles, la place des arts et de la culture dans le processus de

développement global a toujours constitué une préoccupation majeure

pour des intellectuels, des artistes et quelques fois des politiques. En

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12

témoignent les nombreux fora dédiés à la réflexion sur les thématiques

culturelles et artistiques.

S’intéressant à la question, Zadi (2007 : 10).faisait le constat

suivant :

« … Depuis 1971, date de la création du Secrétariat d’Etat qui s’est

transformé en actuel Ministère de la Culture et de la Francophonie, le

vaste et si précieux secteur de la Culture n’a jamais eu, de manière

significative, le soutien politique, matériel et financier de la part de l’Etat

ivoirien. Conséquence : une existence épileptique marquée par des

convulsions périodiques ».

Aussi, pour sortir le pays de cette situation, les dirigeants

politiques, notamment ceux en charge de la Culture, ont-ils initié un

document cadre intitulé Projet de Politique culturelle Nationale de la

Côte d’Ivoire, assorti d’un projet de loi d’orientation portant politique

culturelle nationale pour un développement intégré et durable.

Ce projet de loi ne manque pas d’intérêt d’analyse ; surtout que sa

visée est de « construire un Ivoirien de type nouveau », tout en cherchant

à combler de prime abord le déficit de document de politique culturelle

nationale. En outre, au-delà de son but avoué, ce texte présente une

structuration et un contenu problématiques au regard des

recommandations de l’Observatoire des politiques culturelles en Afrique

(OCPA1).

Ainsi, notre réflexion, dont l’objectif in fine est d’établir la

connivence entre les énoncés du projet de texte de loi et la vision qu’il

1 L’OCPA a été créé en 2002 au Mozambique avec le soutien de l’Union africaine, la

Fondation Ford et l’UNESCO. Il est une organisation internationale panafricaine non-gouvernementale dont le but est de suivre l'évolution de la culture et des politiques

culturelles en Afrique. A ce titre, il poursuit ses objectifs stratégiques en articulant les

besoins prioritaires des Etats africains et de leur vie culturelle, avec les résultats

attendus et les ressources disponibles, pour offrir les informations requises, des critères

scientifiques et des services opérationnels au développement des politiques culturelles

en Afrique, en conjuguant les principes de la qualité et de l’efficacité. Pour cette

réflexion, il représente le cadre de référence qui permettra d’apprécier, dans une

démarche comparative et critique, la politique culturelle nationale de la Côte d’Ivoire.

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13

porte, va s’axer pour l’essentiel sur la question relative à l’existence

d’une politique culturelle en Côte d’Ivoire. Pour répondre donc à cette

interrogation, notre démarche de type comparatiste consiste à exposer

successivement la situation de la politique culturelle ivoirienne, ainsi que

sa critique en vue de l’élaboration d’une véritable politique culturelle, à

la fois systématique et prospective, pour une Côte d’Ivoire développée et

intégrée.

1. Présentation du projet de politique culturelle nationale

Avant de présenter le projet de politique culturelle nationale, il

importe de poser en question l’existence d’une politique culturelle

nationale en Côte d’Ivoire.

1.1. Existe-t-il une politique culturelle nationale en Côte

d’Ivoire?

La réponse à cette question nécessite un recul dans le temps et une

interrogation des variables historiques d’une part ; et l’analyse des thèses

définissant la politique culturelle d’autre part.

En ce qui concerne les variables historiques, il faut noter que les

recherches visant à trouver des traces d’organisation administrative ou

politique chargée de prendre en compte la dimension culturelle dans le

processus de développement de la Côte d’Ivoire remontent loin dans le

temps. En effet, c’est en 1971, date de création du Secrétariat d’Etat

chargé des Affaires culturelles (soit onze (11) ans après l’accession de la

Côte d’Ivoire à la souveraineté nationale), que commencèrent les

premières réflexions autour de la nécessité d’asseoir une politique

culturelle qui, à l’instar de la France, va contribuer à l’édification de

l’identité culturelle nationale. Dans l’élan de cette réflexion, le

Secrétariat d’Etat chargé des Affaires culturelles est transformé en

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14

Ministère de la Culture en 1977. De nombreux documents1 vont être

élaborés en vue d’encadrer des actions de terrain.

La théorie précédant la pratique, l’on a pu noter que ces différents

textes ont induit la conduite de certaines actions relevant tout aussi de la

protection, de la diffusion du patrimoine, de la production artistique que

de l’action culturelle. Mais cela suffit-il à dire qu’il existe une politique

culturelle en Côte d’Ivoire ?

Relativement à cette question, l’on pourrait répondre sans ambages

par la négative. Une raison pourrait expliquer le fait que la Côte d’Ivoire

n’a jamais disposé de document de politique culturelle nationale. C’est le

fait qu’à l’état actuel des choses, aucun texte, de nature systématique et

prospective, n’a été proposé au peuple de Côte d’Ivoire en vue de son

adoption comme un référent politique en matière d’art et de culture. Car,

ainsi que le recommande l’OCPA, tout texte ayant prétention à être

reconnu comme Document de Politique Culturelle Nationale doit faire,

entre autres conditions, l’objet d’une large consultation, tant au niveau de

son élaboration qu’à celui de son adoption. Mieux, la Côte d’Ivoire ne

dispose pas encore de législation qui lui soit propre dans le domaine des

Arts et de la Culture, nonobstant la ratification de conventions

internationales2 et l’existence de textes dont certains ont été évoqués

supra.

1 Au titre des documents ayant pour vocation d’intervenir, d’une manière ou d’une

autre, dans la conduite des affaires culturelles, la recherche documentaire a permis de

mettre à la lumière les textes suivants : 1. Le Plan de développement (1975-1980) ; 2.

Le Séminaire de Grand-Bassam sur le rôle et la place de la culture dans la nation

ivoirienne (1978); 3. La Politique culturelle (rapport de consultance) par Gabriel Faivre

d’Arcier (1978) ; 4. Le Rapport sur le développement culturel en Côte d’Ivoire (1980) ;

5. Le Séminaire sur la dimension culturelle du développement en Afrique, organisé à Abidjan (1992) ; 6. L’Introduction à la politique culturelle de la République de Côte

d’Ivoire de Bernard Zadi Zaourou (1998) ; 7. Le Colloque sur le financement de la

culture organisé par l’OUA (2000) ; 8. Les études sectorielles commandées par le PSIC-

Côte d’Ivoire sur la musique, la danse, le théâtre, l’animation culturelle, l’édition et les

arts plastiques (2000). 2 La Côte d’Ivoire est partie à plusieurs instruments juridiques internationaux relatifs à

la protection des biens culturels. Ce sont par exemple :

- organisation africaine de la propriété intellectuelle, ratifiée le 24 mai 1960 ;

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15

C’est donc en connaissance de l’inexistence d’une politique

culturelle nationale en Côte d’Ivoire que le Ministère de la culture et la

francophonie a entrepris en 2007 l’élaboration d’une politique adéquate

permettant à l’Etat d’avoir les moyens indispensables à la promotion et à

la protection de la Culture Nationale. Pour l’heure, cette politique

n’existe qu’à l’état de projet dont l’économie est ainsi exposée dans les

lignes qui suivent.

1.2. Raisons d’une politique culturelle nationale en Côte

d’Ivoire

L’élaboration d’une politique culturelle nationale en Côte d’Ivoire

est fondée sur plusieurs raisons. La première est en rapport avec la

contribution1 de la culture dans le processus de développement global

durable du pays. Justifiant cette initiative qu’il a qualifiée d’historique,

Komoé (2007: 6) avance :

« Notre souci est de parvenir à l’émergence d’Ivoiriens capables de

prendre en charge le développement de la Côte d’Ivoire à tous les

niveaux et de le faire correspondre à leurs aspirations, elles-mêmes

inspirées par l’amour fraternel inconditionnel qui devra faire école sous

toutes les latitudes, d’une part. De l’autre, cela suppose une intégration

aux valeurs culturelles nationales expurgées des éléments devenus caducs

- convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, ratifiée

le 25 novembre 1980 ;

- convention pour la protection des biens culturels, ratifiée le 24 janvier 1980 ;

- convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher

l’importation et le transfert des propriétés illicites des biens culturels, ratifiée le 26 décembre 1989. 1 Il faut apprécier la contribution de la culture au développement du pays et au bien-être

des populations sous trois angles. D’abord, en tant qu’elle participe à la sauvegarde et à

la valorisation des traditions, ainsi qu’à la création et l’innovation artistique et

culturelle ; ensuite, en tant qu’elle joue un rôle civique en aidant au développement de la

citoyenneté ; et enfin, en tant qu’elle constitue un facteur du développement durable du

territoire, parce que agissant sur les plans humain, économique, social, éducatif mais

aussi environnemental et urbanistique.

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et inhibiteurs, mais aussi débarrassées des rapports extérieurs aberrants et

aliénateurs ».

L’exposé d’une telle ambition ne va pas sans un état des lieux

illustrateur de la situation des arts et de la culture qui, de prime abord,

dégage deux constats. Le premier constat permet de noter qu’ « au plan

sectoriel, les actions menées jusqu’à ce jour ont privilégié la dimension

artistique et festive, au détriment des industries, des infrastructures

culturelles et d’une participation effective de la culture au processus de

développement » (Komoé 2007: 6).

Quant au second constat, il se révèle sous deux aspects. Il s’agit

d’une part de l’insuffisance des infrastructures et des lieux d’expressions

artistiques ; et d’autre part de la faiblesse des dotations budgétaires ne

permettant pas de mettre en place et de conduire une politique culturelle

dynamique susceptible d’insuffler un développement culturel efficient.

La deuxième raison est d’ordre purement juridique. En effet,

l’article 7 de la constitution ivoirienne du 1er août 2000 dispose que :

« Tout être humain a droit au développement et au plein épanouissement

de sa personnalité dans ses dimensions matérielle, intellectuelle et

spirituelle. L’Etat assure à tous les citoyens l'égal accès à la santé, à

l’éducation, à la culture, à l'information, à la formation professionnelle et

à l'emploi. L'Etat a le devoir de sauvegarder et de promouvoir les valeurs

nationales de civilisation ainsi que les traditions culturelles non contraires

à la loi et aux bonnes mœurs ».

Pris dans sa dimension culturelle, cela suppose que l’Etat doit

reconnaître à tout individu le droit de participer à la vie culturelle et

d’adhérer aux valeurs culturelles et coutumières du peuple de Côte

d’Ivoire. Pour ce faire, tous les citoyens devront être assurés d’avoir

accès à la connaissance et aux informations dans tous les domaines des

arts et de la culture.

Une telle mission ne peut être accomplie que dans un cadre

politique et juridique qui présente clairement la vision, les ambitions, les

orientations stratégiques de la Côte d’Ivoire en matière culturelle en vue

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d’un développement intégral et durable. D’où le présent projet de

politique culturelle de la République de Côte d’Ivoire.

1.3. Structuration du projet de politique culturelle nationale

Le projet de politique culturelle nationale de la Côte d’Ivoire est

organisé autour de dix (10) axes stratégiques dont voici les lignes :

- Orientations générales : elles énoncent les fondements socio-

anthropologiques et juridiques de la politique culturelle, en même temps

qu’elles mettent en relief les qualités et les valeurs républicaines que

revêt la culture en tant qu’elle contribue non seulement à renforcer le

sentiment d’appartenance à une même nation, mais aussi et surtout au

développement socio-économique du pays.

- Organisation et gestion de l’action culturelle : cet axe précise

d’une part les missions du Ministère en charge de la Culture à qui

incombe la responsabilité de mettre en œuvre la politique culturelle, et

indique d’autre part les domaines couverts par l’administration culturelle.

- Identification, conservation et promotion du patrimoine

culturel national : dans cette partie, un accent particulier est mis sur la

sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel national. Il y est fixé

les modalités et les procédures adéquates à ces opérations de sauvegarde

et de valorisation ; lesquelles s’apprécient en termes de tenue des

archives dans tous les ministères et structures décentralisées de

l’administration, de diffusion et de promotion de la culture ivoirienne par

le biais des Technologies de l’information et de la communication (TIC),

d’aménagement culturel du territoire à travers la construction de

monuments, d’habitations et d’infrastructures publics inspirés du

patrimoine culturel national et de faits marquants de l’histoire de la Côte

d’Ivoire.

- Appui à la création : il est précisé dans cet axe que non

seulement l’Etat ivoirien mais aussi les collectivités territoriales, les

opérateurs économiques, les personnes physiques et/morales devront

apporter leur contribution au développement culturel de la Côte d’Ivoire,

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à travers une aide à la création pouvant se traduire par des mesures telles

que :

« La détaxation complète ou partielle des moyens de production ou de

reproduction des œuvres artistiques et des biens culturels ou tout autre

forme d’allègement fiscal destiné à encourager le secteur privé à

soutenir la vie culturelle ; la mise en place d’infrastructures appropriées

et l’accroissement des moyens des organismes de défense des droits du

créateur d’œuvres d’art et de l’esprit ; la création d’un fonds destiné au

soutien des opérateurs culturels, au renforcement de leurs capacités et à

la structuration du secteur culturel en Côte d’Ivoire1 ».

- Promotion culturelle : elle consiste à faire connaître et

apprécier la richesse du patrimoine culturel de la Côte d’Ivoire au moyen

de stratégies multiples tels que l’animation culturelle, la diffusion des

produits culturels et artistiques, le développement des industries

culturelles, le développement du tourisme culturel et de la

communication.

- Education et formation artistique et culturelle : ici, l’accent

est mis sur l’importance de l’éducation et la formation culturelle en tant

qu’elles constituent des courroies de transmission des valeurs culturelles

aux jeunes générations. D’où l’insistance sur la prise en compte des

programmes de formation tout comme l’amélioration de l’accès aux

infrastructures de formation artistique et culturelle.

- Financement de la culture : engageant la responsabilité non

exclusive de l’Etat, la question du financement de la culture s’entend

comme le soutien que l’Etat et ses structures centrales, déconcentrées et

décentralisées, ainsi que le secteur privé et les partenaires au

développement doivent apporter au secteur de la culture. Il convient de

noter que le financement de la culture se distingue de l’appui à la

création, en ce sens que le second se précise comme une aide à apporter

au créateur ; tandis que le premier dépasse le seul cadre de la création

1 Actes du séminaire relatif à la politique culturelle nationale 2007, p. 31.

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pour embrasser à la fois les domaines de la diffusion (médiation) et de la

réception (marché) du produit culturel.

- Cadre juridique et institutionnel : pour l’avènement d’une

culture nationale qui soit dynamique et compétitive, cet axe met en relief

la nécessité de favoriser l’émergence d’un cadre juridique et

institutionnel en vue de « réglementer, organiser, stimuler et favoriser le

développement continu de la vie culturelle1 ».

- Recherche culturelle : cet axe précise les axes majeurs de la

recherche dans le domaine artistique et culturelle. Celle-ci devra être

pluridisciplinaire et contribuer au développement culturel et à

l’épanouissement de l’Ivoirien ; à travers notamment la mise en place de

sociétés savantes, l’inventaire et l’analyse des pratiques traditionnelles et

coutumières, la réactivation des formes anciennes des traditions orales, la

poursuite de la politique d’étude, de transcription et d’enseignement des

langues nationales.

- Coopération culturelle : elle devra se déployer à deux

niveaux : national et international. Au plan national, dans le cadre de la

planification des programmes de développement, l’Etat est appelé à

favoriser la coopération entre les différents ministères d’une part, et avec

les structures publiques ou privées d’autre part. Au plan international, il

est encouragé la recherche et/ou la poursuite des relations bilatérales et

multilatérales susceptibles de contribuer significativement non seulement

à l’enrichissement de la culture ivoirienne, mais également à son

épanouissement et à son rayonnement à travers le monde.

Après avoir présenté le projet de texte portant politique culturelle

nationale de la Côte d’Ivoire, tant sur le plan de son contenu que de sa

structuration stratégique ; il nous faut à présent jeter un regard théorique

sur la notion de politique culturelle vue sous d’autres cieux.

1 Actes du séminaire relatif à la politique culturelle nationale 2007, p. 34.

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2. Exposé théorique sur la politique culturelle

2.1. Qu’est-ce qu’une politique culturelle ?

Définir l’expression « politique culturelle » n’est pas une

sinécure, en raison même du mot « culture » dont on sait qu’il renvoie à

plusieurs signifiés. En effet, la polysémie du mot « culture », ainsi que

son étymologie tirée du latin cultura, qui signifie « travailler la terre, la

rendre productive », malheureusement le plongent dans une confusion

telle qu’il est quasi-impossible de lui trouver une définition dogmatique.

Il en va de même pour le concept de politique culturelle qui hérite

également, comme par contagion, de cette difficulté à cerner

sémantiquement un signifiant aussi volatile que diffus, caractérisé selon

les mots d’Alexandra Dilys1 par son hypersémie, l’éclatement et la

déperdition sémantique.

Toutefois, s’il n’existe pas de définition « officielle »,

démocratiquement acceptée par tous, de la notion de politique

culturelle2 ; il n’en demeure pas moins que des théories ont tenté de lui

donner du sens. On peut, à titre illustratif, évoquer certaines approches.

Pour Charpentreau (1967 : 8), la politique culturelle est « une conduite

calculée (aux fins) d’arriver à un but particulier ». A sa suite,

l’Encyclopédie canadienne présente la politique culturelle comme ayant

« trait aux mesures adoptées par un gouvernement pour appuyer ou

protéger les activités dans des secteurs considérés comme culturels3 ».

Quant à l’UNESCO, elle définit la politique culturelle comme « …

1 Alexandra Dilys, Traduire la notion de politique culturelle, in http://www.lycee-

chateaubriand.fr/cru-atala/publications/dilys.htm. 2 Pour comprendre la problématique relative à l’existence d’une définition démocratique et universelle du terme de politique culturelle, il importe de lire la communication

d’Alexandra Dilys ci-dessus référencée. Participant à ce débat dont les contours

philosophiques veulent en imposer à ses ressorts sociologiques, elle s’intéresse

légitimement à la possibilité de définir un référent unique à la notion de politique

culturelle, entendu que tous les peuples du monde n’ont pas la même compréhension du

concept de « culture ». 3 Encyclopédie canadienne /encyclopédie de la musique au Canada, in

http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/politique-culturelle.

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l’ensemble des usages et de l’action ou absence d’action pratiqués

consciemment et délibérément, dans une société, destinés à satisfaire

certains besoins culturels par l’utilisation optimale de toutes les

ressources matérielles et humaines se trouvant à la disposition de cette

société à un moment donné1 ».

Intervenant dans le débat, Alexandre Mirlesse et Arthur Anglade

semblent connaître l’origine de la politique culturelle quand ils affirment

que «… la politique culturelle est, quant à elle, une invention

essentiellement moderne : elle a même une date de naissance, le 24 juillet

1959, qui voit paraître le décret « portant organisation du Ministère

chargé des Affaires Culturelles2 ».

Ces définitions proposées ci-dessus semblent opérantes seulement

pour les vieilles nations comme le Canada et la France. De plus, la

définition donnée par l’UNESCO souffre de légitimité de la part des

États décolonisés, qui dès leur indépendance, vont chercher à définir leur

identité culturelle nationale selon leurs propres termes.

S’inscrivant dans cette quête de l’authenticité et revendiquant le

libre choix par l’Etat de ses moyens pour atteindre son développement

culturel conformément aux recommandations des assises de Africacult3,

Kouadio Komoé Augustin4 va tenter une définition de la politique

culturelle nationale en la présentant comme « … la codification de

pratiques sociales et d’actions concertées dont la finalité est de satisfaire

1 Cf. http://www.gestiondesarts.com/index.php. 2 Alexandre Mirlesse et Arthur Anglade, Quelle politique culturelle pour la France ?, in

http://www.eleves.ens.fr/pollens/seminaire/seances/politique-culturelle/politique-

culturelle-francaise.pdf. 2 Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles en Afrique, organisée

par l’UNESCO en collaboration avec l’OUA, à Accra (Ghana) du 27 octobre au 6

novembre 1975. 3 Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles en Afrique, organisée

par l’UNESCO en collaboration avec l’OUA, à Accra (Ghana) du 27 octobre au 6

novembre 1975. 4 Il fut ministre de la culture et de la francophonie en République de Côte d’Ivoire. C’est

sous son mandat qu’a été adopté le projet de Politique culturelle nationale.

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des besoins culturels par l’utilisation optimale de toutes les ressources

matérielles et humaines disponibles » (Komoé 2007 : 5).

Cette définition localisée de la politique culturelle trouve son

fondement normatif dans la Déclaration Universelle de l’UNESCO sur la

diversité culturelle adoptée officiellement le 2 novembre 2001. En effet,

l’article 9 de ce texte majeur de portée mondiale déclare qu’ « Il revient à

chaque Etat, dans le respect de ses obligations internationales, de définir

sa politique culturelle et de la mettre en œuvre par les moyens d'action

qu'il juge les mieux adaptés, qu'il s'agisse de soutiens opérationnels ou de

cadres réglementaires appropriés ».

Au regard de ces multiples approches, on pourrait, dans un souci

d’économie, définir la politique culturelle comme une action ou un

ensemble d’actions menées par les pouvoirs publics, notamment ceux en

charge des arts et de la culture, visant à reconnaitre l'importante

contribution de la culture à l’épanouissement d’un groupe, d'une

collectivité, d’une nation.

Après avoir tenté de cerner sémantiquement le concept de politique

culturelle nationale, il convient à présent de voir ce qu’il en est de sa

typologie.

2.2. Les modèles de politique culturelle

En matière de politique culturelle, l’on en dénombre globalement

trois (3) types. Ce sont les modèles américain, français et anglo-saxon.

D’abord, le modèle américain. Il tire son fondement idéologique de

l’analyse de l’utilitarisme1, théorie dont les tenants les plus illustres sont

les Anglais John Stuart Mill et Jeremy Bentham. La thèse défendue par

ces intellectuels anglais repose sur le postulat suivant : « La culture est un

1 L’utilitarisme de John Stuart Mill (1806-1873) et de son parrain Jeremy Bentham

(1748-1832) se présente comme une forme de conséquentialisme pour laquelle l’on doit

évaluer une action (ou une règle) uniquement en fonction de ses conséquences.

Autrement dit, l’utilitarisme pose le principe de l’utilité selon lequel toute action doit

être appréciée en fonction de sa tendance à augmenter ou à réduire le bonheur collectif

(et non individuel) des parties concernées par l'action.

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moyen pour l’homme d’accéder à plus de bonheur, et la manière de l’Etat

de donner aux hommes l’accès à ce droit constitutionnel est de laisser à la

société la liberté entière de soutenir les formes culturelles dans lesquelles

elle se reconnaît1 ».

Ainsi, les Américains, qui ont été fortement influencés par les idées

venues de l’Angleterre (ancienne puissance colonisatrice), vont

construire leur politique culturelle sur le principe de la souveraineté du

marché, en faisant prévaloir le mécénat privé et le sponsoring

d’entreprises, fonctionnant en partenariat avec des structures telles des

fondations qui soutiennent financièrement les projets et initiatives

culturels.

A côté du modèle américain, l’on trouve ensuite le modèle français,

qui lui-même s’inscrit dans un cadre plus vaste défini par le Conseil de

l’Europe en matière de politique. En effet, si la politique culturelle

française partage avec les autres politiques culturelles européennes des

valeurs communes comme la démocratie, la justice, l’égalité et le

pluralisme, il n’en demeure pas moins qu’elle s’en démarque par

l’affirmation du volontarisme culturel de l’Etat. Autrement dit, prenant

appui sur l’idée selon laquelle « la culture n’est pas une marchandise

comme une autre, et qu’à ce titre, les produits culturels ne doivent pas

être libéralisés2», l’Etat français va concevoir sa politique culturelle sur la

base d’une forte intervention publique par le truchement de structures

ayant des relations de type pyramidal au sommet duquel se trouve le

Ministère de la Culture3, dont les directives sont relayées et exécutées à

la base par les collectivités territoriales décentralisées.

1 Alexandra Dilys, Op.cit., in www.lycee-chateaubriand.fr/cru-atala/publications/dilys. 2 Cette idée avancée par le gouvernement français tient de la question de la défense de l’exception culturelle, que l’on rapproche d’ailleurs de la notion de diversité culturelle.

Cette thèse française a fait des émules au sein de l’Union européenne (1999) et de

l’UNESCO (2001) qui ont fini par l’adopter. 3 La création du Ministère de la culture est d’origine française. C’est dans les années

1960 que le Général de Gaulle demanda à l’écrivain et amoureux des arts, André

Malraux, d’occuper la fonction de Ministre de la culture. On lui doit d’avoir, durant son

mandat ministériel, porté à un haut niveau la participation de l’Etat à la démocratisation

culturelle en France et ailleurs dans le monde.

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Entre les modèles américain et français, il y a enfin le modèle des

pays anglo-saxons. Dans ces Etats, pour gérer la politique culturelle, l’on

note l’existence d’un organisme semi-public, dénommé Conseil des Arts

où siègent des personnalités ayant fait leurs preuves dans des domaines

artistiques et culturels, dont les avis et décisions sont déterminants dans

l’éligibilité, voire l’élection de projets culturels devant bénéficier de

financements. Dans nombre de ces pays, Alexandra Dilys observe que «

Ce Conseil des Arts a été plus récemment doublé d’un ministère de la

Culture1 ».

L’exposé des trois modèles de politique culturelle montre à souhait

qu’ils reflètent différentes conceptions des Etats. Appréciées ou non, ces

conceptions dégagent tout de même une constante : la culture et les arts

sont tellement importants qu’ils ne sauraient acceptés d’être pilotés à vue.

D’où l’intérêt de montrer dans les lignes qui suivent les principales

raisons d’élaborer une politique culturelle.

2.3. Pourquoi élaborer une politique culturelle ?

Il est de notoriété aujourd’hui que la culture constitue une

dimension essentielle du développement durable, c’est-à-dire qu’elle est

au centre de tout développement ayant pour but ultime l’épanouissement

de l’homme, de tout homme et tout l’homme. Il apparaît dès lors que sa

prise en compte, qu’elle soit au niveau local (communes, conseils

régionaux et départementaux), national (Etats) ou régional (Afrique,

Europe, Asie, etc.), soit manifeste dans l’élaboration d’un document de

politique.

Ainsi, à l’intérieur d’un Etat, l’élaboration d’une politique

culturelle nationale est une exigence vitale en ce sens qu’elle doit

impulser la réflexion sur le devenir de la nation en lien avec ses

fondements historiques et ses valeurs traditionnelles. Charpentreau (1967

: 13-14), en pensant à la France, pays de référence de la Côte d’Ivoire à

1 Alexandra Dilys, Op.cit., in www.lycee-chateaubriand.fr/cru-atala/publications/dilys.

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bien des égards, se fait l’écho de cette indispensable politique culturelle

nationale et en en fixe les conditions de réussite en ces termes :

« Il est temps de définir une politique culturelle qui matérialiserait la

réflexion actuelle sur la finalité de notre civilisation. Cette politique doit

s’appuyer sur des réalités, et tout d’abord il faut dégager les besoins et les

aspirations :

- La responsabilité de l’Etat est grande et ses tâches multiples.

Lui seul peut donner à la culture son vrai visage, en combattant le

profit. Son rôle essentiel est d’équiper, d’animer et de coordonner.

- Dans toute création, il faut exiger une qualité intransigeante,

bien que l’accès des couches populaires à une vie culturelle plus

riche doive faire appel à des moyens d’interventions et de diffusion

de masse.

Une telle politique ne réussira que dans la mesure où sera compris

que la culture fait partie de la vie quotidienne (…). L’émancipation

sociale, qui était liée à la conquête du savoir, s’attachera

maintenant à la conquête de l’art et du droit à la culture ».

Cette longue interpellation de Charpentreau campe si bien

l’intérêt de l’élaboration d’une politique culturelle nationale devant servir

principalement trois intérêts :

- l’intégration de la culture à l'ensemble des préoccupations de la

nation, en établissant des priorités, d’abord à l'intérieur des

secteurs culturels, mais aussi et surtout au regard d'autres secteurs

d'intervention pour lesquels l’aide et les ressources de l’Etat sont

indispensables ;

- la construction d’une identité culturelle nationale qui soit un

véritable référent à la fois individuel et collectif dans lequel se

reconnaissent et se définissent les citoyens ;

- la définition d’une vision à long terme permettant de mieux

planifier les services culturels à offrir aux membres de la

communauté nationale.

Pour arriver à servir ces intérêts, la politique culturelle nationale

devrait placer au centre de ses préoccupations aussi bien la

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problématique de la sauvegarde et de la valorisation des traditions que

celle de la création et de l’innovation dans les modes d’expression

propres tant à chacun qu’à l’ensemble des membres de la nation.

Au regard donc de cette indispensable contribution de la politique

culturelle à l’émancipation sociale des individus et des groupes, il semble

opportun de s’interroger si celle proposée par la Côte d’Ivoire est capable

d’atteindre les nobles objectifs ci-dessus énoncés. Pour ce faire, nous

l’analyserons sous les prismes de l’OCPA en tant que cadre référentiel de

comparaison.

3. Critiques du projet de politique culturelle nationale de la

Côte d’Ivoire

3.1. Au regard des recommandations de l’OCPA

Dans le Guide pour la formulation et l’évaluation des politiques

culturelles nationales en Afrique, l’OCPA a indiqué un certain nombre

d’éléments dont les gouvernements africains devront tenir compte dans

l’élaboration de leur politique culturelle nationale. Il s’agira à ce stade de

la réflexion de faire passer le document de politique culturelle de Côte

d’Ivoire aux prismes du Guide de l’OCPA, à l’effet d’y repérer les

éléments fondamentaux d’une politique culture nationale.

Ainsi, pour chaque axe stratégique de l’OCPA, nous tenterons de

mettre en relief le correspondant (en termes de présence de point

structurant) du Projet de politique culturelle ivoirienne. Pour l’analyse

critique, douze (12) axes stratégiques ont été dégagés par l’OCPA. Ce

sont :

- Principes généraux de la politique culturelle : dans le projet

ivoirien, les principes généraux de la politique culturelle ivoirienne sont

énoncés dans le Préambule, l’Introduction et les Orientations générales

(I).

- Perspectives historiques : les perspectives historiques sont

perceptibles dans le Préambule (I).

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- Description de la vie culturelle actuelle : la description de la

vie culturelle telle que vécue actuellement en Côte d’Ivoire est évoquée

dans le Préambule, l’Organisation et la Gestion de l’Action culturelle

(II) et l’Identification, la conservation et la promotion du patrimoine

culturel national (III) du projet de la Côte d’Ivoire.

- Objectifs spécifiques de la politique culturelle nationale : les

objectifs spécifiques de la politique culturelle nationale de Côte d’Ivoire

sont présentés de façon claire et précise dans un autre document intitulé

Projet de loi d’orientation portant politique culturelle national pour un

développement intégré et durable. Cependant, on en trouve en grands

traits dans l’axe Orientations générales (I) du Projet de Politique

culturelle nationale.

- Législation : la législation est évoquée dans les axes Préambule,

Orientations générales (I) et Cadre juridique et institutionnel (VIII).

- Rôles des acteurs ou structures de la mise en œuvre et de

l’administration de la politique culturelle : ces rôles sont précisés par

le point Organisation et Gestion de l’Action culturelle (II).

- Soutien du Gouvernement au secteur de la culture : les axes

Appui à la création (IV), Promotion culturelle (V) et Financement de la

Culture (VII) mettent en relief le soutien du Gouvernement ivoirien au

secteur de la culture.

- Recherche, information et formation : la recherche,

l’information et la formation dans le domaine artistique et culturel sont

évoquées dans les points suivants : Recherche culturelle (IX),

Coopération culturelle (X) et Education et formation artistique et

culturelle (VI).

- Mécanismes et instruments de suivi et d’évaluation des

politiques culturelles : il est prévu une loi de programmation en matière

de politique culturelle que l’on retrouve dans le Cadre juridique et

institutionnel (VIII).

- Echanges, diplomatie et coopération culturels : la question

des échanges, de la diplomatie et de la coopération culturels est prise en

compte dans l’axe Coopération culturelle (X).

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- Perspectives : les perspectives sont perceptibles dans le

Préambule et les Orientations Générales (I).

- Données statistiques, sources d’information et listes des

organisations culturelles : il n’y a pas de données chiffrées et de listes

d’organisations culturelles dans le projet de Politique culturelle nationale.

Cependant, on note dans la partie Organisation et Gestion de l’Action

culturelle (II) que le Ministère en charge de la Politique culturelle devra

travailler avec les organisations culturelles de la Société civile.

A l’analyse de ce qui précède, l’on constate qu’à chaque axe

stratégique fixé par l’OCPA, correspondent des informations plus ou

moins précises, qui autorisent à dire que les rédacteurs du document de

politique culturelle nationale de la Côte d’Ivoire se sont largement

inspirés des recommandations de l’Organisme panafricain. Cependant,

nonobstant ces similitudes dignes de la discipline scolastique, on peut

relever que le projet de politique culturelle nationale de la Côte d’Ivoire

présente des traits définitoires spécifiques.

3.2. Les spécificités ivoiriennes

Ces spécificités ivoiriennes s’expriment en termes de présence de

vision, d’estimation de besoins financiers, de recherche d’une adhésion

parlementaire et de volonté de programmation de la politique culturelle

nationale.

3.2.1. Expression d’une vision

La première spécificité de la politique culturelle nationale est la

présence d’une vision clairement exprimée ; et qui pourrait se résumer en

la quête d’un développement intégré et durable de la Côte d’Ivoire grâce

aux multiples ressorts intérieurs de la culture et des arts du pays. Komoé

(2007: 6) énonce cette vision en des termes très précis :

« Notre souci (dit-il) est de parvenir à l’émergence d’Ivoiriens capables

de prendre en charge le développement de la Côte d’Ivoire à tous les

niveaux et de la faire correspondre à leurs aspirations, elles-mêmes

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inspirées par l’amour fraternel inconditionnel qui devra faire école sous

toutes les latitudes, d’une part. De l’autre, cela suppose une intégration

aux valeurs culturelles nationales expurgées des éléments devenus caducs

et inhibiteurs, mais aussi débarrassées des apports extérieurs aberrants et

aliénateurs. Cet équilibre à réaliser de façon permanente et qui consiste à

assumer l’héritage culturel médiéval tout en se projetant résolument dans

la modernité sur fond de quête inlassable du bonheur de chacun et de

tous, est la condition d’un développement exemplaire que nous voulons

‘’intégré et durable’’».

3.2.2. Estimation des besoins financiers

La seconde spécificité réside dans l’oscillation que devrait opérer la

politique culturelle entre un économisme ravageur de l’identité naturelle

des créations artistiques et des manifestations culturelles et leur savante

exploitation à des fins économiques indispensables au développement du

pays. Pour ce faire, le Projet ivoirien est beaucoup plus audacieux, lui qui

réclame 1% sur le budget national. Ce qui représenterait un montant d’à

peu près trois (3) milliards de francs CFA rapporté au budget national

2012 de trois mille cinquante (3050) milliards de francs CFA. Cette

importante somme d’argent pourrait alors servir à financer tous les

projets initiés dans les domaines couverts par la Politique culturelle

nationale tels que l’organisation et la gestion de l’action culturelle, la

sauvegarde et la valorisation du patrimoine national, l’appui à la création,

l’éducation et la formation artistique et culturelle ; la promotion des

industries culturelles, etc.

3.2.3. Recherche d’adhésion parlementaire

La troisième spécificité est en rapport avec le mode d’adhésion des

populations à la Politique culturelle nationale. L’OCPA recommande que

les documents de politique nationale, une fois adoptés par les experts,

soient soumis à l’appréciation des populations à l’occasion de

consultations populaires. Souscrivant à cette idée, les experts ivoiriens

ont proposé un document intitulé Projet de loi d’orientation portant

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politique culturelle nationale pour un développement intégré et durable,

destiné à être adopté par les parlementaires au nom du peuple ; excluant

par là la voie du referendum qui a l’avantage d’être populaire.

3.2.4. Volonté de programmer le développement de la culture

La quatrième spécificité est l’intégration au projet de loi d’un

Programme National de Développement de la Culture dont la durée est

de cinq (5). A ce programme national, sont dévolues des missions

précises tel que rapportées en ces lignes :

« Le Programme National de Développement de la Culture a pour objet

de :

- Proposer les orientations et les objectifs des composantes, sous

composantes et filières de la culture ;

- Déterminer le plan d’exécution ;

- Organiser la table ronde des partenaires au développement et des

experts nationaux par composantes, sous composantes en fonction

des filières et des métiers des arts et de la culture ;

- Concevoir les matrices d’action et les manuels d’exécution par

composantes, sous composantes en fonction des filières et des

métiers des arts et de la culture ;

-Mettre à la disposition des responsables de composantes et de sous

composantes des manuels d’exécution1 ».

3.3. Ce qui manque

S’il y a lieu de se réjouir de ses spécificités, il faut également

relever dans le projet de politique culturelle nationale de la Côte d’Ivoire

l’absence de certains aspects.

1 Actes du séminaire relatif à la politique culturelle nationale 2007, p. 25.

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31

3.3.1. Faible développement de la perspective historique

Il s’agit dans un premier temps de la faiblesse du développement de

la perspective historique dont il est dit par l’OCPA qu’elle devrait surtout

d’analyser l’évolution de la politique culturelle nationale. En la matière,

même s’il a été déjà avancé que la Côte d’Ivoire, depuis son accession à

la souveraineté nationale, n’avait pas de véritable politique culturelle (ce

qui n’exclut pas qu’il a quand même existé des actions publiques en

faveur du rayonnement de la culture ivoirienne), l’on s’est retrouvé dans

une situation de quasi-impossibilité d’analyser l’évolution de quelque

chose qui n’existe pas réellement. Se lancer dans une telle aventure,

serait alors naviguer à vue, entendu que ce qui faisait office de politique

culturelle souffrait d’un manque de structuration, de logique

développementaliste et de coordination cohérente au somment de l’Etat,

notamment au Ministère en charge des Arts et de la Culture.

En effet, contrairement au Sénégal qui, dès son accession à

l’indépendance, a très tôt pris en compte la dimension culturelle dans

l’élaboration de sa politique de développement global1, la Côte d’Ivoire a

attendu les années 1970 pour commencer à problématiser la culture et les

arts.

3.3.2. L’absence d’une politique d’aménagement culturel

cohérente

En second lieu, l’on peut relever la non prise en compte d’une

politique d’aménagement culturel qui privilégie les réalisations

consensuelles répondant à de réels besoins ou ayant des référents à la fois

historiques et anthropologiques dans lesquels se reconnaissent les

populations.

1 Dr Omar Ndoye affirmait à ce sujet que « Le Sénégal, dès son accession à la

Souveraineté Internationale, a inscrit la diversité culturelle dans le préambule de sa

Constitution. Ainsi, la Culture est devenue le socle de son développement ». Propos

tenus au Québec (Canada) les 30 et 31 janvier 2011 à l’occasion de l’Assemblée

parlementaire de la Francophonie consacrée au thème « Diversité culturelle sénégalaise

et convention de l’UNESCO : quelles limites ? ».

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En effet, on a pu constater ces dernières décennies que ces

exigences n’ont pas été considérées dans les réalisations monumentales,

notamment dans la ville d’Abidjan. Pour illustrer cette idée, l’on peut

citer les monuments construits dans les principaux carrefours de la ville

sans que les maires aient consulté leurs administrés. A la chute du régime

incarné par le Front populaire ivoirien (FPI), les nouveaux maîtres ont

détruit la quasi-totalité de ces monuments au motif qu’ils étaient

fétichisés.

3.3.3. Absence d’une politique de protection de la culture

En troisième position, s’il faut saluer l’évocation des stratégies de

promotion culturelle dans le Projet de Politique culturelle nationale, il

faut en revanche regretter le silence observé sur les stratégies de

protection de la culture et des arts. En effet, nul ne peut nier le fait que

les cultures du Sud sont constamment objet de violations graves et

massives de la part du Nord, dans un contexte dit de mondialisation et de

globalisation dominé par un capitalisme à visage « inhumain » dont le

but unique est la recherche du profit tout azimut, même au prix de

l’existence culturelle des peuples.

Les exemples de chaînes cryptées de télévision qui déversent à

longueur d’heures des musiques et des films occidentaux et de

« touristes » prêts à tout pour emporter, outre mer, nos produits

artistiques sont fort évocateurs des menaces qui planent sur les arts et les

cultures d’Afrique.

Conclusion

Pour conclure, il nous faut saluer l’initiative des pouvoirs publics

de doter la Côte d’Ivoire d’un document de référence pour conduire sa

politique de développement global en intégrant à part plus entière les arts

et la culture dans ce processus d’épanouissent et de bien-être individuel

et collectif. L’élaboration du projet de politique culturelle nationale

répond à ce désir et participe à sa réalisation.

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Ainsi, si dans sa structuration comme dans la présentation de son

contenu, le Projet de Politique culturelle nationale, reste fidèle aux

recommandations de l’OCPA, il faut également noter qu’il s’en

démarque sur bien de points ; ce qui lui confère des spécificités en lien

avec les réalités du pays. Parmi ces spécificités, l’on peut évoquer la

présence d’une vision clairement exprimée se résumant à l’édification

d’un Ivoirien de type nouveau dont la conscience citoyenne n’a d’égal

que la sauvegarde de l’intérêt national et la source de financement de la

politique culturelle arrimée au budget de l’Etat à hauteur de 1%.

A côté de ces aspects novateurs, le projet de Politique culturelle

nationale présente quelques carences dont le comble pourrait le

revitaliser. Il s’agit, entre autres, de l’absence de planification rigoureuse

de l’aménagement culturel du territoire, et de stratégie de protection de la

culture nationale.

En attendant donc l’adoption du texte par le parlement, il urge que

des débats soient à nouveau ouverts sur la question en vue de trouver des

solutions idoines aux insuffisances dont notre réflexion n’a fait que

relever le caractère problématique.

Sources et bibliographie

1. Sources

Actes du Séminaire relatif à la politique culturelle nationale 2007.

Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles en

Afrique, organisée par l’UNESCO en collaboration avec l’OUA, à Accra

(Ghana) du 27 octobre au 6 novembre 1975.

Rapport sur le développement culturel en Côte d’Ivoire (1980), Abidjan.

Séminaire sur la dimension culturelle du développement (1992), Abidjan.

2. Bibliographie

Charpentreau J., 1967 : Pour une politique culturelle, Paris, les Éditions

Ouvrières.

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34

Dilys A., « Traduire la notion de politique culturelle », in

http://www.lycee- chateaubriand.fr

Djian J-M., « Politique culturelle Française », in http://fr.wikipedia.org.

Encyclopédie canadienne /encyclopédie de la musique au Canada,

in http://www.thecanadianencyclopedia.com.

Faivre d’Arcier G., 1978 : La politique culturelle (Rapport de

consultance), (inédit).

Komoé K. A., 2007 : « Mot du Ministre », in Actes du Séminaire relatif à

la politique culturelle nationale pour un développement intégré et

durable, (inédit).

Kovacs M., 2009 : Politiques culturelles en Afrique, Recueil de

documents de références, Madrid, ACERCA.

Mirlesse A. et Anglade A., Quelle politique culturelle pour la France ?,

in http://www.eleves.ens.fr .

Ndoye O., « Diversité culturelle sénégalaise et convention de

l’UNESCO : quelles limites ? » in

http://apf.francophonie.org/IMG/pdf/2011_cecac_diversite_senegal

_2.pdf.

OCPA, 2008 : Guide pour la formulation et l’évaluation des politiques

culturelles nationales, Maputo.

Taylor C., 2005 : Multiculturalisme, Différence et Démocratie, Paris,

Flammarion.

Zadi Z. B., 2007 : « Notes sur le cadre référentiel du projet de politique

culturelle nationale », in Actes du Séminaire relatif à la politique

culturelle nationale pour un développement intégré et durable,

(inédit)

Zadi Z. B., 1998 : Introduction à la politique culturelle de la République

de Côte d’Ivoire, (manuscrit).

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LA POLITIQUE TOGOLAISE DU RECOURS A

L’AUTHENTICITE CULTURELLE (1974-1990)

BATCHANA Essohanam

Département d’Histoire et d’Archéologie

Université de Lomé

E-mail : [email protected]

Résumé

Le 27 octobre 1971 au Congo belge, le président Mobutu

inaugura la politique de l’authenticité culturelle, présentée comme un

antidote à l’imposition de la civilisation européenne. En même temps que

le gouvernement Mobutu se forçait à créer une image et une identité

nationale unifiée (zaïroise), il insistait sur une « prise de conscience » qui

pourrait servir de « moteur » au développement social, politique,

économique ou culturel du Zaïre.

L’authenticité s’exporta dans certains pays africains. Au Togo, le

président Eyadema s’y engagea à partir de 1974, en procédant à la

décolonisation toponymique, à l’abandon des prénoms chrétiens dits

« importés » et à la réforme de l’enseignement. L’animation politique et

culturelle domina la sphère politique du pays. L’imposition de ce

phénomène dans tous les aspects de la vie publique (écoles, entreprises

privées, entreprises d’Etat, télévision et radio, associations de quartier) a

permis au président togolais de consolider son autorité. L’objet de cette

étude est de montrer que l’authenticité a dévoyé la culture africaine et la

politique du « recours aux sources » n’a pas permis un développement

endogène du Togo.

Mots clés : Politique culturelle, authenticité, décolonisation

toponymique, animation politique, langues nationales.

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Introduction

L’un des thèmes dominant du discours politique entre 1970 et

1990 en Afrique et particulièrement au Zaïre et au Togo, fut celui de

l’authenticité. Ce concept a été utilisé dans les textes politiques de cette

période, qu’il s’agisse des discours, des meetings, des conférences, des

exposés politiques, ou d’articles de journaux (surtout des éditoriaux) ou

encore des chansons dites « patriotiques ».

L’authenticité qui était à l’origine, la version zaïroise de la

décolonisation culturelle, a fait fortune dans d’autres pays d’Afrique : au

Rwanda, au Tchad, au Togo, etc. (Kakama 1983). C’était une doctrine

politique et culturelle ayant prôné la désaliénation par le recours aux

valeurs proprement africaines mis à la mode dans le cadre de la

révolution culturelle de diverses nations africaines, sous l’impulsion du

Zaïre (Aupelf 1980 : 89-90). Au Togo, le président Eyadema, initiateur

de cette politique du recours à l’authenticité, entendait forger un « Togo-

Nouveau », dans lequel le Togolais amoureux de son pays devrait être

prêt à mourir pour sa patrie. Pour accompagner l’acte à la parole des

Togolais furent invités à abandonner leurs prénoms chrétiens dits

« étrangers », à apprendre les langues nationales dans les écoles. Afin de

mobiliser le peuple derrière son président, l’animation politique fut

introduite. Cette politique fut vertement contestée au début de la décennie

1990. Ainsi, l’authenticité telle que pratiquée au Togo n’a-t-elle pas

dévoyé la culture nationale ?

Le corpus de nos sources est constitué de discours officiels

(principalement ceux du président Eyadema) prononcés entre 1974 et

1990, de la presse de la même époque, ainsi que des travaux portant sur

la politique de l’authenticité en Afrique. Nos repères chronologiques

(1974-1990) s’expliquent par le fait qu’au Togo, le mot authenticité fut

employé pour la première fois par le Président Eyadema le 2 février

1974, au cours de l’allocution prononcée lors de son retour « triomphal »

après l’accident de Sarakawa. Depuis cette date jusqu’au soulèvement

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populaire du 5 octobre 19901, ce concept a fait la « Une » des journaux

publiés par les autorités2.

Cette étude est abordée suivant un plan bipartite. La première

partie évoque l’origine zaïroise du concept « authenticité » et son

introduction au Togo à la suite de l’accident de Sarakawa. La deuxième

partie analyse sa mise en œuvre au Togo et fait le bilan de seize ans de

pratique de la politique du recours à l’authenticité culturelle.

1. Le recours aux valeurs culturelles africaines, contexte et

évolution au Togo

La politique de l’authenticité en Afrique a sans doute une origine

zaïroise. Cette philosophie politique et culturelle, version zaïroise de la

décolonisation culturelle s’est exportée dans d’autres pays dont le Togo.

1.1. Le Zaïre, point de départ de la politique africaine du

« recours à l’authenticité ?»

Des auteurs (Nyunda ya Rubango 1976, Toulabor 1986, Kakama

1983, Ngalasso 1986, M’Boukou 2007, etc.) pensent que le concept de

l’authenticité a une origine zaïroise. En effet, lorsque l’armée a pris le

pouvoir le 24 novembre 1965, il existait en République du Zaïre

plusieurs partis qui refusaient de s’aligner sur les idéologies étrangères.

La ligne générale que ces formations politiques prétendaient suivre était

le « neutralisme positif » ou le « non-alignement3 », alors qu’en réalité

ces partis s’inspiraient des idéologies déjà existantes (Nyunda ya

Rubango 1976 : 109-120). La création en 1967 du Mouvement populaire

1 Le 5 octobre 1990, des jeunes se soulevèrent contre l’autorité en marge du verdict des jeunes arrêtés le 23 août 1990 pour distribution de tracts « séditieux et d’appartenance à

une organisation illégale au Togo, la CDPA ». Lire Tcham 1992, Kadanga 2007, Tété-

Adjalogo 2006, etc. 2 Togo Presse/Nouvelle marche, Togo-Dialogue, Espoir de la Nation Togolaise, etc. 3 Position adoptée à partir des années 1950 par les pays du tiers-monde décolonisés qui

refusent de s’engager dans la guerre froide opposant les deux blocs menés par les Etats-

Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Cette idéologie a été

définie à la suite de la Conférence de Bandoeng en Indonésie en avril 1955.

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de la révolution (MPR) mit fin à l’existence de ces partis. Pour le

président Mobutu, il fallait trouver à ce nouveau parti, une idéologie

explicite et combler ainsi le vide qui caractérisait la politique nationale

depuis sa prise de pouvoir :

« Tout le sens de notre quête, tout le sens de notre effort, tout le sens de

notre pèlerinage sur cette terre d’Afrique, c’est que nous sommes à la

recherche de notre authenticité, et que nous la trouverons parce que

nous voulons, par chacune des fibres de notre être profond, la découvrir

et la découvrir chaque jour davantage. En un mot, nous voulons, nous

autres Congolais, être des Congolais authentiques1 ».

L’authenticité fut alors présentée comme une prise de conscience

du peuple zaïrois recourant à ses sources propres, cherchant les valeurs

de ses ancêtres afin d’en apprécier celles qui contribuent à son

développement harmonieux et naturel :

« C’est l’affirmation de l’homme zaïrois ou de l’homme tout court, là

où il est, tel qu’il est, avec ses structures mentales et sociales propres.

L’authenticité est non seulement une connaissance approfondie de sa

propre culture, mais aussi un respect du patrimoine culturel d’autrui2 ».

Mobutu matérialisa la mise en œuvre de cette politique d’action

(Botombele 1975 : 45), par trois chantiers : la décolonisation

toponymique et vestimentaire, la réforme de l’enseignement et

l’animation politique.

En effet le 27 octobre 1971, le président zaïrois décida une

nouvelle dénomination « authentique » des institutions congolaises.

Ainsi, le nom du pays, le principal cours d’eau et la monnaie, devinrent

Zaïre3. Le même jour, l’hymne national, Debout Congolais, devint La

1 Discours prononcé à Dakar devant le Congrès national de l’Union progressiste

sénégalaise (UPS), in Discours, allocutions..., pp. 100-101. 2 Mobutu, discours, allocutions..., pp. 362-363. 3 Sa déformation dans la prononciation par les Européens donna le Zaïre qui engloba à

la fois le nom du pays, du fleuve, et de la monnaie comme chanté dans les slogans, « les

trois Z ».

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Zaïroise. Mobutu alla plus loin en « zaïrianisant » les noms des grandes

villes à consonance étrangère. Le tableau n°1 montre cette réalité.

Tableau n°1 : Ré-baptême des noms des villes zaïroises à

consonance étrangère

Ancienne dénomination Dénomination « authentique »

Léopoldville Kinshasa

Elisabethville Lubumbashi

Coquilhatville Mbandaka

Stanleyville Kisangani

Jadotville Likasi

Albertville Kalemie

Luluabourg Kananga

Port-Franqui Ilebo

Source : Réalisé par nous, d’après Missi (1975 : 264).

Ce tableau montre que les huit principales villes du pays

changèrent d’adresse. Les grands lacs Albert, Edouard et Léopold II

furent aussi rebaptisés. Ils prirent respectivement les noms de lacs

Mobutu, Idi Amin Dada et Mai Ndombe. Le parc national Albert devint,

parc national des Virunga (Missi 1975 : 264).

En 1972, le Zaïre franchit un autre pallié dans la politique du

recours à l’authenticité. Le 5 janvier 1972, le pouvoir zaïrois exigea que

les mulâtres prennent des noms africains (Ndaywel 1998 : 678-679). Le

16 janvier 1972, le président zaïrois changea de prénom et devint Mobutu

Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga1 et à sa suite, toute la population

zaïroise2. Les insignes chrétiens, crucifix et statues, objets de dévotion

populaire, furent enlevés des places publiques et remplacés par les

images ou les monuments du Président que le mouvement considérait

comme le messie libérateur. Les solennités de Noël, de l’Ascension, de

1 En effet, dans un article du 6 janvier 1972, La Libre Belgique, quotidien catholique

s’était demandée pourquoi Mobutu qui se prétendait « authentique », conservait encore

ses prénoms chrétiens, « Joseph-Désiré ?». 2 Seuls, les noms musulmans furent tolérés.

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l’Assomption et de la Toussaint ne pouvaient plus être célébrées en jours

de semaine. Les processions du Saint Sacrement furent prohibées, de

même que le culte et la manifestation publique de la religion chrétienne.

La messe scolaire fut interdite (Ndaywel 1998 : 250-264).

Les établissements d’enseignement furent nationalisés. Les trois

universités, l’Université Lovanium de Kinshasa, l’Université officielle du

Congo à Lubumbashi et l’Université libre du Congo à Kisangani sont

fondues en une seule, l’Université nationale du Zaïre (UNAZA). Les

termes d’adresse, « monsieur, madame ou mademoiselle » furent

remplacés, par « citoyen, citoyenne (ou maman) ». Les mots « septante,

nonante », de tradition belge, devinrent « soixante-dix, quatre-vingt-

dix ». Plus importante encore fut l’apparition de toute une nouvelle

terminologie dans le domaine du vocabulaire politique et administratif.

Le parlement devint, le conseil législatif, le gouvernement, conseil

exécutif, les députés, commissaire du peuple, le ministre, commissaire

d’Etat, gouverneur, commissaire de région, le maire, le délégué,

commissaire de zone, directeur de société privée ou paraétatique

président délégué général, d’où PDG, etc. (Ngalasso 1986 : 21). Au cours

de cette période, le port d’habits traditionnels africains fut recommandé.

Le port de la veste et de la cravate, puis seulement de la cravate, fut

interdit aux hommes qui devaient se vêtir en abacost1. Chez les femmes,

le port de la robe, de la jupe, du pantalon, de la perruque et de tout autre

postiche fut prohibé. Elles devraient obligatoirement s’habiller en robes

de style africain (Ndaywel 1998 : 679).

La musique servit de cheville ouvrière à cette politique. White

(2006), Callaghy (1987), Kapalanga (1989), etc. ont traité de la place

qu’a occupé l’animation politique et culturelle au Zaïre. Ils montrent qu’à

partir de ses débuts officiels dans les années 1970 jusqu’à ce qu’elle

1 Costume léger comportant une veste avec ou sans doublure, à manches longues ou

courtes. Ce « Costume national » a été introduit au Zaïre en 1973. Le terme « abacost »

dérive de l’expression « à bas les costumes ». De tels néologismes étaient également

fréquents quand il s’agissait de créer des noms propres « authentiques » (Ndaywel 1998

: 679).

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commence à s’essouffler à la fin des années 1980, des milliers de

personnes ont participé à l’organisation ou à l’exécution de cette forme

de spectacle politique, certaines de leur plein gré, d’autres forcées.

Durant cette période, les chants et la danse en l’honneur du parti unique

et de son chef, devinrent les principales manifestations de l’animation

politique (White 2006 : 53).

Le Zaïre ne fut pas le seul pays africain à avoir recours à

l’authenticité dans les décennies 1970 et 1980. Avec des fortunes

diverses, la plupart des dirigeants africains de cette période imitèrent

l’exemple zaïrois. Au Tchad par exemple, François Tombalbye au nom

de la « tchaditude1 » rebaptisa des localités : Fort-Archambaud devint

Sahr, la capitale Fort-Lamy, N’Djaména2 et la radio tchadienne devint La

Voix des ancêtres (Toulabor 1986 : 177). A Madagascar, le président

Didier Ratsiraka fit recouvrer à une dizaine de villes leurs appellations

originelles : Antananarivo, Toléary, Faradofay, Antséranana, etc. prirent

respectivement le nom de : Tananarive, Tuléar, Fort-Dauphin, Diégo-

Suarez (Toulabor 1986 : 177).

Le Togo ne resta pas en marge de cette politique de « recours aux

sources africaines ». Sa classe politique, à partir de 1974, lança la

politique de l’authenticité.

1.2. L’accident de Sarakawa, le prétexte à la politique

d’authenticité au Togo ?

Le 24 janvier 1974, le DC-3 qui conduisait le chef de l’Etat

togolais à Pya3, s’écrasa à Sarakawa

4. Le pouvoir interpréta cet accident

comme « un acte ignoble de l’impérialisme organisé par la haute finance

internationale » visant à liquider physiquement le président togolais5.

1 La révolution culturelle tchadienne. 2 Qui signifie « Reposons-nous en paix » (Toulabor 1986 : 176) 3 Situé à 15 Km au nord de Kara, Pya est le village natal du président Eyadéma. Celui-ci

régna sur le Togo du 14 avril 1967 jusqu’à sa mort le 5 février 2005. 4 Une petite localité située à 25 kilomètres au nord-ouest de Kara. 5 Togo-Dialogue, n° 43, décembre 1979-janvier 1980, p. 35.

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En effet depuis 1969, le Togo chercha à augmenter sa part au

capital social de la Compagnie togolaise des mines du Bénin (CTMB), la

société minière chargée de l’exploitation des phosphates du pays. La

Compagnie s’abrita derrière la convention du 12 septembre 19571. En

1969, le Togo réussit à porter sa part de 1 à 19,9% (Labanté 2002 : 104).

Le 28 novembre 1972, l’Etat togolais signa un avenant en rachetant les

parts sociales libérées par Grâce, un des principaux actionnaires de la

CTMB2. Ce faisant, il porta sa participation aux actions de la société à

35%3. Mais, dans les nouveaux Etats indépendants, la nationalisation des

sociétés était perçue par les autorités comme un acte de souveraineté. Les

autorités togolaises à défaut d’une nationalisation de la CTMB,

manifestèrent en décembre 1973, leur volonté d’avoir au moins une

participation majoritaire de 51% au capital de la compagnie minière. Le

président togolais engagea des négociations avec Max Robert,

l’administrateur-délégué de la compagnie minière. Celles-ci s’étant

soldées par un échec4, le chef de l’Etat togolais décida de se tailler

unilatéralement la part du lion dans le capital de la CTMB (Labanté

2002 :106) en portant la participation togolaise à 51% et en créant

1 Le 12 septembre 1957 en effet, alors que le Togo était encore une colonie, fut signée

une convention le liant à la CTMB. Ce contrat passé entre Français, stipulait que le

Togo ne pouvait accéder à plus de 25% du capital social de la CTMB (Toulabor 1986 :

108). 2 Dans son allocution prononcée lors du retour triomphal à Lomé après l’attentat de

Sarakawa, le 2 février 1974, le président Eyadema déclara : « En 1972, un des

actionnaires voulait vendre ses actions. Le Togo était candidat. L’achat lui en a été

refusé. J’ai alors dit : s’il en est ainsi, nous serons obligés de passer par d’autres voies.

Ils ont été ainsi amenés à assouplir leurs positions. Nous avons alors porté notre

participation au capital social de 19 à 35%. Cela nous a coûté 1 milliard 500 millions

CFA ». Lire, Allocutions et discours du président-fondateur (1969-1979), tome II, p. 603. 3 L’article 1er de l’accord avait défini en effet un échéancier sur l’augmentation de la

part éventuelle de l’Etat togolais : 35% au 1er janvier 1973, 42% au 1er janvier 1981,

47% au 1er janvier 1984, 51% au 1er janvier 1987 (Labanté 2002 : 105). 4 Selon la version officielle, Max Robert aurait proposé une somme allant de 1,5 à 4

milliards de francs CFA. Le chef de l’Etat togolais aurait été atteint dans son honneur de

soldat par ces propositions suspectes : « Prendre 1 milliard 500 millions et sacrifier les

intérêts de mon peuple, c’est ce qu’on appelle de la haute trahison » (Feuillet 1976 : 21).

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43

l’Office togolais des phosphates (OTP), chargé du monopole de

commercialisation. Le 10 janvier 19741, dans un discours, le général

Eyadema informa ses concitoyens de sa décision :

« A compter du 1er janvier 1974, la participation du Togo au capital

social de la Compagnie togolaise des mines du Bénin est fixé à 51% par

apport au gisement, conformément à la réglementation minière en

vigueur, tandis que, 49% du capital resteront entre les mains des

partenaires2 ».

Le 24 janvier 1974, soit deux semaines après cette annonce du

président togolais, son DC-3 s’écrasa à Sarakawa. Les autorités lièrent

cet accident à un complot de l’impérialisme international d’autant que les

deux copilotes, le Commandant Bertrand Delaire et le Capitaine Jean

Cattin, étaient des Français3. Sorti indemne de l’accident

4, le président

Eyadema annonça le 2 février 1974, la nationalisation de la société

minière : « Les ressources togolaises doivent profiter aux Togolais. Et

puisqu’après tout on nous a mésestimés, on a dit que nous avons

nationalisé, nous avons fait ceci et cela, eh bien, à partir de ce lundi, nous

décidons de prendre les 49% restants5 ».

1 Togo Presse du 11 janvier 1974. 2 Allocution prononcée à l’occasion de la fête du 11e anniversaire de la libération, 13

janvier 1974, in Allocutions et discours du président-fondateur (1969-1979), tome II, p.

590. 3 Toulabor (1986 : 108) pense que cet accident serait dû à une défaillance technique de

l’appareil, lequel aurait déjà manifesté au sol des signes de défaillance consécutifs à une

surcharge du DC-3 exagérément rempli de victuailles pour prolonger, les festivités du

13 janvier au village natal du Président. Tété-Adjalogo (2006 : 111) est du même avis.

Pour lui : « le DC-3 présidentiel était tout simplement trop chargé … le pilote français

en avait avisé qui de droit ». Il pense aussi que les « impérialistes » n’oseraient pas sacrifier un aviateur français pour les phosphates togolais alors que cette matière

première abonde au Maroc et au Sénégal. Cette thèse de surcharge de l’avion

présidentiel défendue par des auteurs engagés n’est pas confirmée par d’autres sources. 4 Le pilote français, le copilote togolais, Kokou Désiré Gnémégna, le garde du corps du

Président (surnommé de Gaulle), perdirent la vie (Tété-Adjalogo 2006 : 110). 5 Discours prononcé lors du retour triomphal à Lomé après l’attentat de Sarakawa, le 2

février 1974, in Allocutions et discours du président-fondateur (1969-1979), tome II, pp.

607-608.

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Allant plus loin que la nationalisation de la CTMB, le chef de

l’Etat togolais invita ses compatriotes à être des Togolais

« authentiques ». Il expliqua le sens qu’il donne à ce concept:

« Qu’est-ce cela veut dire ? Cela veut dire qu’il faut se dire ‘’Moi je

suis togolais, j’aime mon pays, je mourrai togolais. Je ne veux pas avoir

un pied dedans, un pied dehors’’. Avoir un pied dedans et un pied

dehors, c’est l’attitude de ceux qui n’ont pas encore l’esprit décolonisé.

Il est temps qu’ils le fassent avant qu’il ne soit trop tard. Vous savez,

mes chers compatriotes, de quoi je veux parler. Vous savez, qu’il y a

encore des gens qui après leurs études optent pour la nationalité

française…. Si vraiment on aime son pays, du moment qu’on y vit, il

faut le prouver. Certains ne le prouvent pas. On est là moitié français,

moitié togolais. Quand ça ne va pas au Togo on dit : je suis français1 ».

Dans cet élan de nationalisation, l’authenticité se confond avec la

lutte contre l’impérialisme. Le concept exclut la double nationalité et

surtout la nationalité française dont la détention était synonyme de

trahison. Le 3 février 1974, Eyadema renonça à son prénom chrétien

(Etienne) au profit de celui dit « authentiquement Kabiyè », Gnassingbé2.

Lors des festivités marquant le 14e anniversaire de l’accession du Togo à

la souveraineté internationale, le Président Mobutu, « fils authentique de

l’Afrique et guide éclairé du grand peuple Zaïrois3» fut l’invité

d’honneur du « peuple togolais et son président ». Eyadema se félicita de

l’excellence de la coopération zaïro-togolaise :

« La coopération entre les Etats africains procède d’une éthique plus

affective que rationnelle et c’est pourquoi l’amitié et la fraternité des

chefs précèdent et consolident l’amitié et la fraternité des peuples…. Il

est toujours encourageant de citer en exemple nos journalistes de la

1 Discours prononcé lors du retour triomphal à Lomé après l’attentat de Sarakawa, le 2

février 1974, in Allocutions et discours du président-fondateur (1969-1979), tome II, p.

608. 2 Qui est en réalité le prénom de son père (Danioué 2010 : 74). 3 Discours de bienvenue au président Mobutu Sésé Séko du Zaïre, le 27 avril 1974, in

Allocutions et discours du président-fondateur (1969-1979), tome II, p. 622.

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radio et de la télévision qui ont été formés dans les services de la Voix

du Zaïre, dans des conditions conformes aux réalisations africaines….

Très tôt les militants et animateurs du Rassemblement du Peuple

Togolais ont été reçus au Zaïre pour confronter leurs expériences avec

celles plus anciennes des militants et animateurs du Mouvement

Populaire de la Révolution….1 ».

Après cette visite du président zaïrois au Togo, la politique de

l’authenticité entra dans sa phase active.

2. Du discours aux actes : l’authenticité culturelle dans sa

phase active au Togo

La volonté des Togolais de rester authentique ne date pas de

l’année 1974. Sous la période coloniale en effet, ils exprimèrent leur

souhait de rester togolais à chaque fois qu’ils avaient l’occasion. Les 11

et 12 mai 1945 par exemple, lorsque la nationalité française fut proposée

aux ressortissants du territoire, ils refusèrent cette offre préférant la

nationalité togolaise à celle de la France (Gayibor éd 2005 : 552). Mais

une politique affirmée du recours à l’authenticité est apparut au Togo en

1974 comme la traduction de la radicalisation du discours politique du

général Eyadema (Aithnard 1975 : 17-31). Les Togolais furent invités à

observer des pratiques « authentiquement » africaines.

2.1. L’« authenticité culturelle » au Togo, une copie du

« mobutisme ?»

Dans la pratique, l’authenticité s’est manifestée au Togo, comme

au Zaïre, par l’abandon des prénoms chrétiens dits « importés » et la

décolonisation toponymique, l’animation politique et la réforme de

l’enseignement.

Le « pas révolutionnaire du guide » (Toulabor 1986 : 174), fut le

début du processus de « rejet catégorique des prénoms importés ». Cette

1 Discours de bienvenue au président Mobutu Sésé Séko du Zaïre, le 27 avril 1974, in

Allocutions et discours du président-fondateur (1969-1979), tome II, pp. 620-621.

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politique fut définitivement déclenchée au second semestre de l’année

1974. Le 16 août 1974, dans une action collective, tous les membres du

gouvernement, les cadres civils et militaires décidèrent « unanimement »

de renoncer à leur « prénom d’emprunt1». Le mouvement fut étendu à

tous les fonctionnaires et agents de l’Etat dont le maintien au poste était

subordonné à l’imitation du geste présidentiel (Toulabor 1986 : 174).

D’août 1974 jusqu’au début de l’année suivante, la presse et la radio2

furent mobilisées dans cette campagne de « prénoms authentiques ». En

juillet 1976, une circulaire du ministre de l’Intérieur, Y. K. Eklo,

adressée aux services de Sûreté nationale, subordonna toute délivrance de

passeport et de pièces d’identité aux « prénoms authentiques ». Le

changement de prénom devint un phénomène obligatoire au point que

tout « dossier présenté par un citoyen togolais avec un prénom

« importé » était purement et simplement rejeté et son acte considéré

comme une provocation contre le régime Eyadema » (Yagla 1978 : 182).

Cette « renaissance du Togolais authentique3» toucha aussi les

toponymes. Ainsi, l’orthographe des villes comme Anécho, Palimé,

Atapamé, Sansané-Mango, Dapango etc. fut modifiée. Ces villes

devinrent respectivement Aného, Kpalimé, Atakpamé, Mango, Dapaong,

etc. Dès 1975, l’autorité procéda aussi à une organisation administrative

du Togo4. Mais c’est surtout en 1981, que les changements de

1 Togo-Presse du 17 août 1974. 2 Togo-Presse, Togo-Dialogue, Radio Lomé. 3 Expression utilisée par la presse togolaise (Togo-Presse, Togo-Dialogue, Radio Lomé)

pour qualifier cette politique de l’authenticité. 4 Par l’ordonnance n° 9 du 3 février 1975 (JORT, 1975, p. 92), le poste administratif de

Tchamba qui dépendait de la circonscription de Sokodé fut transformé en

circonscription administrative. Le décret n° 75-120 du 23 avril 1975 (JORT, 1975, p.

92) porta création d’un poste administratif à Mandouri dans la circonscription

administrative de Dapango. Le décret n° 75-121 du 23 avril 1975, créa un poste

administratif à Dayes-Apéyémé, dans la circonscription administrative de Klouto, et

celui de la même date n° 75-122, le poste administratif de Piya, dans le ressort territorial

de Lama-Kara.

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dénominations intervinrent dans le découpage administratif1. Le tableau

n°2 montre les nouvelles appellations et les chefs lieux des préfectures

créés le 23 juin 1981.

Tableau n°2 : Les nouvelles appellations des préfectures et

leurs chefs-lieux (1981)

d’ordre

Anciennes appellations Nouvelles

appellations

Chefs-lieux

1 Circonscription administrative

de Lomé

Préfecture du Golfe Lomé

2 Circonscription administrative

d’Aneho

Préfecture des Lacs Aneho

3 Circonscription administrative

de Tabligbo

Préfecture de Yoto Tabligbo

4 Circonscription administrative

de Vogan

Préfecture de Vogan Vogan

5 Circonscription Administrative

de Tsévie

Préfecture de Zio Tsevié

6 Circonscription administrative

d’Atakpamé

Préfecture de l’Ogou Atakpamé

7 Circonscription administrative

de Klouto

Préfecture de Kloto Kpalimé

8 Circonscription Administrative

d’Amlamé

Préfecture d’Amou Amlamé

9 Circonscription administrative

de Badou

Préfecture de Wawa Badou

10 Circonscription administrative

de Nuadja

Préfecture de Haho Notsé

11 Circonscription Administrative

de Sokodé

Préfecture de

Tchaoudjo

Sokodé

12 Circonscription administrative

de Sotouboua

Préfecture Sotouboua Sotouboua

13 Circonscription Administrative

de Bassari

Préfecture de Bassar Bassar

1 Par la loi n° 81-8 du 23 juin1981, les régions et circonscriptions administratives

changèrent de dénomination dans le cadre de « l’africanisation » des dénominations

(Dimobé 2011 : 49).

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14 Circonscription administrative

de Tchamba

Préfecture de Nyala Tchamba

15 Circonscription administrative

de Bafilo

Préfecture d’Assoli Bafilo

16 Circonscription administrative

de Lama-Kara

Préfecture de la Kozah Kara

17 Circonscription administrative

de Pagouda

Préfecture de la Binah Pagouda

18 Circonscription administrative

de Niamtougou

Préfecture de

Doufelgou

Niamtougou

19 Circonscription administrative

de Kandé

Préfecture de la Kéran Kandé

20 Circonscription administrative

de Mango

Préfecture de l’Oti Sansanné-

Mango

21 Circonscription administrative

de Dapango

Préfecture de Tône Dapaong

Source : Réalisé par nous, d’après JORT du 6 juillet 1981.

Le tableau n°2 révèle que, la « décolonisation » des unités

territoriales passa par leur rebaptême. Les circonscriptions

administratives devinrent les préfectures. Les commandants de

circonscriptions, désignés par le terme de chefs-sir, devinrent des préfets

et les commandants de poste administratifs, les sous-préfets1.

Comme au Zaïre, c’est surtout les nouvelles appellations qui

marquèrent la rupture avec l’héritage colonial. Les préfectures prirent le

nom du cours d’eau qui les traverse. Ainsi, la circonscription

administrative de Sansanné-Mango devint préfecture de l’Oti2. La rivière

Kara donna son nom à la région de la Kara, la Binah à Pagouda, la Kéran

à Kandé, Soutouboua à Sotouboua, Est-Mono et Moyen-Mono à

Elavagno et Tohoun, Ogou à Atakpamé, Amou à Amlamé, Wawa à

Badou, Haho à Notsè, Zio à Tsévié, Yoto à Tabligbo, Lacs à Aného, etc.

1 C’est par une loi du 10 février 1960, que les appellations de Cercle et de subdivision

avaient été remplacées respectivement par les dénominations des circonscriptions

administratives et de postes administratifs (Dimobé 2011 : 35). 2 L’Oti est le second cours d’eau le plus important du Togo après le Mono.

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Un autre aspect de la politique de l’authenticité fut l’introduction

au Togo de l’animation politique à la suite de la première visite officielle

du président zaïrois à Lomé. L’orchestre Ok Jazz de Franco qui

l’accompagnait composa à l’occasion la première chanson d’éloge en

lingala au président Eyadema et qui signifiait : « Président Eyadéma,

c’est toi qui as apporté la paix… ». En janvier 1973, un autre orchestre

zaïrois, le Trio Madjéri vint au Togo et en juin 1974, un groupe

d’animateurs furent envoyés en stage au Zaïre (Anani 2009 : 65).

Constitués de deux divisions : l’une constituée de responsables (Eklo,

Waguéna, Amados Djokos) et l’autre d’animateurs, ce groupe avait pour

mission d’apprendre l’animation politique et à faire de la propagande

politique et des slogans (Segoh 2010 : 43).

Quatre structures d’animation, furent créées comme relais au

discours sur l’authenticité. Il s’agit des Animateurs de la révolution

togolaise (ARETO), des groupes-chocs, des groupes d’animation de

circonscription, des groupes d’animation de cellule.

Le groupe ARETO est né le 28 juillet 1974, à la suite de

l’Accident de Sarakawa. Composé de 300 membres environ, il relevait

directement de la compétence du secrétariat général de la Jeunesse du

rassemblement du peuple togolais (JRPT). Pratiquement semi-

professionnels, ils furent « à l’avant-garde de ce domaine de reconversion

des mentalités. Leurs répertoires marient admirablement les richesses

culturelles de toutes les régions 1». Les groupes-chocs étaient composés

de 300 à 500 membres. Ceux-ci sont « choisis en fonction de leur

sincérité, de leur régularité et de leur disponibilité » (Toulabor 1986 :

216), et relevaient directement des instances centrales du parti. Les

groupes d’animation de circonscriptions, dénommés en juillet 1981,

Groupe d’animation de préfecture (GAP), étaient du ressort du préfet qui

est statutairement le commissaire régional du parti. Les effectifs des GAP

1 Allossounuma B, Ministre de l’Education nationale et de la recherche scientifique, in

La reconversion des mentalités et les problèmes de l’université nationale, Séminaire

national de formation politique des cadres, p. 11.

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varient extrêmement d’une préfecture à l’autre1. Enfin, à la base, il était

exigé de chaque cellule un groupe d’animation de 50 membres environ.

Yagla (1978 : 185-186), se satisfait de cette organisation à la base : « A

l’heure actuelle, le moindre hameau du pays a son groupe d’animation

qui, chaque soir, rassemble les militants autour des tambours sur la place

publique, dans la cour de l’école, ou dans un coin de la maison du chef

coutumier ».

Des groupes semi-professionnels se créèrent : l’« Orchestre Radio

Lomé », née en mars 1978, et les « As du Bénin2 », rivalisèrent d’ardeur

à la modernisation du folklore traditionnel. Leurs compositions « 24

janvier » et Mawu ne na mi lame se3 étaient des mélodies à la gloire du

« père du Togo nouveau4 ».

Dans l’enseignement, une Réforme5, accorda une place

importante aux langues africaines en général, togolaises en particulier

(Afeli 2003 : 237). Dans cet esprit, le Gouvernement choisit deux langues

togolaises, l’Ewé et le Kabiyè, qu’il promeut au statut de « langues

nationales », destinées à être introduites dans l’enseignement dès la

rentrée de 1975-1976. L’ordonnance n° 16 du 6 mai 1975 qui promulgua

cette reforme, identifia 5 objectifs à atteindre : politiques6,

philosophiques7, socio-culturels

8 économiques

9, pédagogiques

1 (Afeli

1 Le GAP de la préfecture du Golfe, en l’occurrence Lomé, comptait près de 700

membres (Toulabor 1986 : 216). 2 Issus de l’éclatement du célèbre « Mélo-Togo ». 3 Que Dieu nous accorde la santé. 4 Nom donné au président de la République. 5 La réforme de l’enseignement de 1975, fut présentée comme une reforme pour adapter

l’école togolaise aux réalités du pays. 6 Rechercher l’unité nationale, enraciner l’élève et l’école dans le milieu par la

réhabilitation et la promotion des langues nationales traitées avec mépris par la colonisation, désaliéner la personnalité africaine en général, togolaise en particulier,

démocratiser le savoir. 7 Donner une vision originale du monde à travers les langues nationales. 8 Revaloriser le patrimoine culturel authentiquement africain qui ne constitue pas un

frein au développement socio-économique. 9 Rentabiliser le système scolaire en l’adaptant à la vie et aux besoins réels des

populations, démocratiser le savoir pour permettre la plus large participation possible de

la population au développement du pays.

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2003 : 238). Le souci de l’unité nationale2 fut avancé pour justifier le

choix des deux langues ». Gnon (1988 : 4), évoque d’autres arguments :

« Les deux langues retenues, l’Ewé et le Kabyè, avec leurs variantes

sont aussi communes au Ghana et au Bénin. D'autre part, depuis

l'époque coloniale, pour des raisons d'évangélisation, elles ont bénéficié

d'importants travaux de recherche qui continuent de faire autorité. Pour

ce qui est de l'Ewé, on sait que le Ghana à une inestimable expérience

dans le domaine de la recherche et de l'enseignement ».

La position officielle voulait par ailleurs que, ces langues

partagent le pays en deux zones linguistiques égales : la « zone

éwéphone », couvrant la moitié Sud du pays, de Lomé à Blitta, et la

« zone kabiyèphone », couvrant la moitié Nord du pays, de Blitta à

Dapaong (Afeli 2003 : 241). Par conséquent, au cours primaire, l’Ewé

serait enseigné en zone éwéphone et ne serait introduit en zone

kabiyèphone qu’au cours secondaire. Pareillement, le Kabiyè serait

d’abord enseigné en zone kabiyèphone au cours primaire et ne le serait en

zone éwéphone qu’au secondaire.

Au demeurant, tout élève togolais quelle que soit sa zone

d’éducation, devrait être à même de parler et d’écrire l’Ewé et le Kabiyè

au terme de ses études secondaires. Les autres langues du Togo,

considérées comme langues maternelles ne furent pas ignorées. La

Réforme a prévu aussi que les enfants seraient éveillés dans les écoles

maternelles dans les langues du milieu : « Dès la rentrée scolaire 1975,

l’enseignement dans les Jardins d’enfants sera donné dans la langue de la

localité 3». Par arrêté n° 163 /MENRS du 18 mai 1977, deux Comités de

1 Utiliser le milieu comme support pédagogique, et les langues nationales comme un

outil pédagogique par excellence, faciliter chez l’élève par l’enseignement des langues

nationales l’acquisition des connaissances instrumentales à l’école et des langues

étrangères 2 La Réforme 1975, p. 19. 3 La Réforme 1975, p. 19.

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52

langues nationales furent créés et chargés de l’exécution de la politique

d’enseignement des langues nationales1.

Il s’agissait donc d’un programme ambitieux. Mais comment cette

politique a-t-elle été exécutée et comment les Togolais l’ont-elles

accueilli?

2.2. Une politique offensive pour quels résultats ?

Analysons les trois chantiers ouverts dans le cadre de la politique

de l’authenticité culturelle au Togo.

Sur le premier chantier, c’est-à-dire, l’« africanisation » des noms,

Aithnard 1975, Toulabor 1986 et Tété-Adjalogo 2006, etc. ont montré les

difficultés et la réticence des Togolais à changer leur état civil. Bien plus,

l’on nota le peu d’empressement des autorités à assumer cette politique.

En 1991, lorsque l’abandon de prénoms chrétiens était condamné par les

délégués à la CNS2, le Président Eyadema déclara qu’il n’avait obligé

personne à se débarrasser de son prénom d’origine occidentale (Tété-

Adjalogo 2006 : 1093). De même, il est curieux de constater que des fils

du président nés avant 1990 sont désignés par leur prénom chrétien :

Ernest, Faure, Rock, Emmanuel, Yvonne, Augustine, Simeone, etc4.

Le portrait standard des animateurs5, mobilisables « 24 heures sur

24, quel que soit le lieu où ils se trouvent1 », ne prédisposait pas

1 Il s’agit du Comité de langue nationale Ewé (CLNE) et du Comité de langue nationale

Kabiyè (CLNK), respectivement dénommés au départ, Groupe d’étude de langue Ewé

(GELE) et Groupe d’étude de langue Kabiyè (GELK). 2 Conférence nationale souveraine. Elle s’est tenue à la Salle Fazao de l’Hôtel de 2

Février du 8 juillet au 28 août 1991 (Agboyibo 1999 : 151-154). 3 Il faut reconnaître tout de même qu’il n’a jamais pris un décret dans ce sens. Cette absence d’un texte officiel témoigne de l’ambiguïté de cette politique dite d’« abandon

des prénoms importés » au Togo. 4 On attribue au président Eyadéma, une dizaine de femmes avec qui, il aurait eu une

quarantaine d’enfants dont 35 sont encore en vie (Danioué 2010 : 75). 5 Le « loyalisme envers les autorités de son pays », « dénoncer mais calmement,

poliment les abus d’autorités, déni de justice, détournement de deniers publics,

régionalisme, séditions, complots », « rejeter l’esprit de révolte, partisan » etc. Lire,

Séminaire national de formation politique des cadres tenu à Lomé du 3 au 4 août 1980

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l’animation politique au succès. Chansons, slogans et danses célébrèrent

le « miraculeux de Sarakawa », renforçant le culte de sa personnalité2.

L’animation politique pesa sur l’économie et le budget de l’Etat. La

célébration de la fête du 13 janvier mobilisait à Lomé en plus des

animateurs de la capitale, 5 000 animateurs venus de l’intérieur (Segoh

2010 : 57). Chaque animateur était gratifié d’une perdîmes de 10 000 F

CFA en plus des fonds alloués pour la confection des uniformes. Par

ailleurs, les préfets et les comités d’organisation recevaient aussi des

millions de francs CFA pour l’entretien des animateurs au niveau

préfectoral (Segoh 2010 : 57).

L’administration a été aussi affectée par l’animation politique.

Pour s’assurer de la bonne préparation des animateurs, des chefs de

services assistaient personnellement aux séances d’entraînements qui

pouvaient durer des semaines. Au niveau scolaire, l’animation politique

perturba le bon déroulement des programmes. Les cours pouvaient être

suspendus pour deux ou trois semaines afin de permettre aux élèves-

animateurs de se consacrer aux séances de répétitions (Segoh 2010 : 61).

Dans les chefs lieux des préfectures, les séances hebdomadaires

d’animation commençaient en général aux environs de 18 heures pour

finir au-delà de 23 heures, au mépris des études (Anani 2009 : 66).

L’enseignement des langues nationales ne fut pas un succès. Afeli

(2003 : 352) dresse la liste non exhaustive des difficultés : la non-

professionnalisation des Comités de langues nationales (CLN), la

situation financière dérisoire des CLN, le problème de compétence

sur le thème : « La reconversion des mentalités et les problèmes de l’université

nationale », p. 6. 1 Togo-Dialogue, n° 42, novembre 1979, p. 11. 2 Des objets de culte du président tels que les montres-bracelets à l’effigie présidentielle

et les macarons portant cette même effigie ou emblème du parti furent produits. Le

secrétaire administratif du parti, dans son rapport moral de novembre 1976, fait ses

comptes : « Dans le cadre de la sensibilisation, le secrétariat administratif, sur

autorisation du Président-Fondateur du RPT, a commandé 200 000 macarons à l’effigie

du Président, 560 000 insignes à l’emblème du RPT, 20 000 montres à l’effigie du

Président ». Se référer au Deuxième congrès statutaire du RPT, tenu à Lama-Kara, du

26 au 29 novembre 1976, Lomé, Secrétariat administratif du RPT, 1979, p. 112.

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technique des membres des CLN, le manque ou l’insuffisance

d’enseignants des langues nationales, le manque ou l’insuffisance du

matériel pédagogique et didactique, l’inexistence d’un Institut de langues

nationales (ILN), les problèmes sociopolitiques, le subtil conflit entre les

deux CLN, l’attitude linguistique des autorités vis-à-vis de la politique

des langues nationales, etc. A cette longue liste de difficultés, il faut

ajouter le manque de conviction de l’autorité politique et des cadres de

l’éducation, qui furent les premiers à ne pas croire à la capacité des

langues africaines à faire face aux exigences du monde moderne. Ainsi,

les cadres du Ministère de l’éducation nationale censés mener à bien cette

politique, mirent souterrainement tout en œuvre pour la saboter. Bien

plus, ceux d’entre eux dont les langues maternelles n’avaient pas été

choisies et qui se sentaient ainsi frustrés ne s’étaient guère montrés

pressés d’appliquer cette politique. Hazoumé (1993 : 74) résume bien la

situation :

« Ceux à qui la valorisation des langues africaines ferait perdre des

privilèges ou pour qui elle ferait passer au second plan la promotion du

français dans nos pays au nom d'une francophonie mal comprise,

constitueront le mur principal. Il y a aussi ceux qui, de bonne foi, n’en

sont pas convaincus et n’en perçoivent pas l'importance et l'utilité1 ».

Au bout du compte, la politique de l’authenticité ne fut qu’un

simple feu de paille. Ses chantiers ont été abandonnés depuis le début du

processus de démocratisation dans lequel le pays s’est engagé.

1 Il en est résulté une démotivation pour l’enseignement des langues nationales, une

raréfaction des enseignants, beaucoup de bricolage et d’amateurisme de la part des

quelques rares enseignants restants et sans moyens, le tout contribuant à renforcer en

eux l’image dévalorisée et dévalorisante des langues africaines en général, des langues

nationales en particulier, image qu’ils transmettent à leur tour à leurs élèves.

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55

Conclusion

Au total, la décennie 1970 fut sans doute contemporaine de

l’affirmation des identités culturelles fleuries aux Etats-Unis1 et en

Europe2. En Afrique, ces mouvements culturels et politiques

d’affirmation identitaire furent lancés par les nouveaux dirigeants pour

marquer une rupture avec l’héritage colonial : Senghor prôna la

Négritude, Sékou Touré imposa la Guinée comme haut lieu de la culture

révolutionnaire, enfin Fela était au firmament du panafricanisme

artistique avec Afro-beat (Boa Thiemele 2003). C’est dans ce contexte

que Mobutu lança en 1971, la philosophie de l’authenticité. Le

« mobutisme » se caractérisa par un discours anticolonial, la

nationalisation des sociétés zaïroises, mais surtout par l’abandon des

prénoms dits « importés », de la cravate et l’introduction de l’animation

politique et culturelle. Cette politique de l’authenticité s’exporta dans

plusieurs pays africains dont, le Togo.

Dans ce pays, à la suite de l’accident de Sarakawa et la

nationalisation de la CTMB, les autorités durcirent le discours contre

« l’impérialisme occidental ». Le recours aux valeurs culturelles

africaines, devrait favoriser l’unité nationale avec le rejet de la culture

occidentale. Dans ce cadre, trois chantiers avaient été inaugurés : la

décolonisation toponymique, l’animation politique et la réforme de

l’enseignement. Ces « nobles » chantiers, devraient permettre la

valorisation de la culture africaine, la promotion d’un développement

endogène et favoriser la cohésion nationale. Mais, dans la pratique, cette

politique montra ses limites, les Togolais n’ayant pas épousé cette

politique « imposée ». Ils firent réticents à abandonner leur prénom de

baptême et à épouser entièrement la politique des langues nationales.

L’animation politique qui en apparence mobilisait beaucoup de Togolais

1 Les Black Panthers, le « Soul to Soul », la mode Afro et son slogan « Black is

beautiful » (Boa Thiemele 2003). 2 Le Mouvement de libération de la femme, la mode Hippy (Boa Thiemele 2003).

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ne fut non plus un vrai succès. Malgré l’opposition de ses adeptes comme

Yao Kunalé Eklo (Segoh 2010 : 62), la conférence nationale sonna la fin

de la « récréation de certaines pratiques jugées dictatoriales » dont

l’animation politique. Celle-ci fut considérée par les conférenciers

comme une pratique de soumission et de vénération du peuple à un être.

Ainsi, en 1990, ces chantiers « construits sur du sable » ne résistèrent pas

à la tempête du vent de l’est.

Sources et bibliographie

1. Sources

1.1. JORT, Décrets, ordonnances

Ordonnance n° 9 du 3 février 1975.

JORT, 1975.

JORT du 6 juillet 1981.

Décret n° 75-120 du 23 avril 1975 portant création d’un poste

administratif à Mandouri.

Décret n° 75-121 du 23 avril 1975 portant création du poste administratif

à Dayes-Apéyémé.

Décret n° 75-122, du 23 avril 1975 portant création du poste administratif

de Piya.

Décret n°74/71/PR/MJSC-RS du 8 avril 1974, portant création du Musée

national au Togo.

Loi n° 81-8 du 23 juin1981, portant découpage administratif du Togo.

La Réforme de l’enseignement de 1975.

1.2. Journaux et périodiques

Elima, 5 septembre 1972.

Libre Belgique du 6 janvier 1972.

Togo Presse du 11 janvier 1974.

Togo-Presse du 17 août 1974.

Togo-Dialogue, n° 42, novembre 1979.

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57

Togo-Dialogue, n° 43, décembre 1979-janvier 1980.

La Nouvelle Marche du 15 septembre 1982.

1.3. Discours et allocutions

MOBUTU S. S, Discours, allocutions et messages. Bureau du Président-

fondateur du Zaïre Tomes I, II, III. Kinshasa.

Allocutions et discours du président-fondateur (1969-1979), Tome II,

dixième anniversaire du RPT.

Deuxième congrès statutaire du RPT, tenu à Lama-Kara, du 26 au 29

novembre 1976, Lomé, Secrétariat administratif du RPT.

Séminaire national de formation politique des cadres tenu à Lomé du 3

au 4 aout 1980 sur le thème : « La reconversion des mentalités et

les problèmes de l’université nationale ».

2. Bibliographie

Afeli A., 2003 : Politique et aménagement linguistiques au Togo: Bilan

et perspectives, Thèse de Doctorat d’Etat, Université de Lomé.

Aithnard K. M., 1975 : Aspects de la politique culturelle au Togo, Paris,

Les Presses de l’Unesco.

Anani S. K. C., 2009 : Musique moderne et musiciens à Lomé (1965-

2000), Mémoire de Maîtrise en histoire, Université de Lomé.

Aupelf, 1980 : Inventaire des particularités lexicales du français en

Afrique noire, Paris, IFA, pp. 89-90.

Boa Thiemele, R. L., 2003 : L’ivoirité entre culture et politique, Paris,

L’Harmattan.

Callaghy T., 1987: Politics and Culture in Zaire, Center for Political

Studies and Institute for Social Research, Ann Arbor, University of

Michigan.

Danioué R., 2010 : Le général et le diplomate. Essai de sociologie

historique des relations extérieures du Togo sous Eyadema. Presses

Universitaires de Ouagadougou.

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58

Dimobé Y., 2011 : L’évolution du découpage du territoire togolais de

1884 à 1981, Mémoire de Maîtrise en histoire, Université de Lomé.

Feuillet C., 1976 : Le Togo « en général », la longue marche du général

Gnassingbé Eyadema, Paris, ABC.

Gayibor N. L., (éd), 2005 : Histoire des Togolais de 1884 à 1960,

Volume II, Tome II, Presse de l’Université de Lomé.

Hazoumé M-L., 1993 : Politique linguistique et développement. Cas du

Bénin, Cotonou, Editions du Flamboyant.

Kadanga K., 2007 : Formations associatives et politiques au Togo de

1990 à 1991 : approche historique, Presses de l’Université de

Lomé.

Kakama M., 1983 : « Authenticité», un système lexical dans le discours

politique au Zaïre », in Mots, pp. 31-58.

Kapalanga G. S. A., 1989 : Les spectacles d’animation politique en

République du Zaïre, Louvain- la-Neuve, Cahiers théâtre Louvain.

Labanté N., 2002 : Territoires français d’outre-mer et investissements

privés : le Togo et la Compagnie togolaise des mines du Bénin de

1954 à 1974, Mémoire de Maîtrise en histoire, Université de Lomé.

M’Boukou S., 2007 : « Mobutu, roi du Zaïre. Essai de socio-

anthropologie politique à partir d’une figure dictatoriale », in Le

Politique [http://leportique.revues.org/index1379.html], URL,

consulté le 17 février 2012, à 17h30.

Ndaywel N. I., 1998 : Histoire générale du Congo. De l’héritage ancien

à la République Démocratique. Bruxelles, Duculot.

Ngalasso N. M., 1986 : « Etat des langues et langues de l’Etat au Zaïre »,

in Politique Africaine, n° 23, Paris, Karthala, pp.6-27.

Nyunda ya Rubango, 1976 : Analyse du vocabulaire politique du Zaïre

de 1960 à 1965. Essai de sociolinguistique immédiate, Thèse de

doctorat en langue et littérature françaises, Lubumbashi, Université

nationale du Zaïre.

Segoh K. M., 2010 : Histoire d’un militant et animateur politique

togolais : Michel Yao KUNALE-EKLO (1931-2008). Mémoire de

Maîtrise en histoire, Université de Lomé.

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59

Tcham B., 1992 : Les troubles sociopolitiques au Togo depuis 1990,

Kara, Editions graphic Express.

Tété-Adjalogo T., 2006 : Histoire du Togo. La longue nuit de terreur

(1963-2003), Paris, A. J. Presse, 2 vol.

Toulabor C., 1986 : Le Togo sous Eyadema, Paris, Karthala.

White B. W., 2006 : « L’incroyable machine d’authenticité : l’animation

politique et l’usage public de la culture dans le Zaïre de Mobutu »,

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http://id.erudit.org/iderudit/014113ar, consulté le 15 mars 2012 à

17h.

Yagla W. O., 1978 : L’édification de la nation togolaise, Paris,

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LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET LA MUSIQUE

AFRICAINE, 50 ANS APRES : BILAN ET PERSPECTIVES

HIEN Sié

UFR Information communication et arts (UFRICA)

Université de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire)

E-mail : [email protected]

Résumé

A l’instar des nombreux domaines de l’activité humaine qui ont

intéressé les chercheurs occidentaux et plus tard les africains depuis

l’accession des Etats Africains à l’indépendance, se trouve en bonne

place la musique. Ce champ, en raison de sa richesse, a suscité des

regards variés et multiformes dont les approches théoriques, les

démarches méthodologiques et les interactions disciplinaires permettent

aujourd’hui, non seulement d’avoir des connaissances inespérées sur les

modalités de fonctionnement de l’art musical dans les sociétés africaines,

mais surtout de comprendre que la musique est un art qui favorise la

célébration de l’interdisciplinarité comme moyen d’investigation et de

compréhension de ces sociétés africaines. Les différentes démarches

épistémologiques de nombre de chercheurs, conjuguées les unes aux

autres, ont permis des résultats intéressants et, les auteurs des travaux

portant sur ce domaine particulier qu’est la musique, méritent

reconnaissance de la part de la communauté scientifique africaine.

Cependant, il y a un fait à considérer quand on aborde le terrain africain :

la société africaine est orale et, à ce titre, elle a ceci de particulier que la

vérité d’un jour n’est pas forcement celle d’un autre jour quand bien

même l’objet que l’on étudie est le même, comme c’est le cas en

musique. C’est pourquoi, après avoir parcouru des travaux de chercheurs

tant occidentaux qu’africains qui ne manquent pas d’intérêt, sur la

question de la musique traditionnelle, nous voudrions à l’occasion de cet

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article faire le bilan des recherches sur l’Afrique et, rendre hommage à

ces chercheurs, en revisitant certains de leurs travaux, mais aussi et

surtout, en tant qu’Africain et chercheur en ethnomusicologie, soulever

quelques interrogations que nous suggère notre regard sur ces travaux, en

vue d’une meilleure contribution de ceux-ci au développement des

sociétés africaines, si tant est que toute recherche vise le développement

de l’humanité.

Mots-clés : Recherches scientifiques, occidentaux, indépendance,

musique africaine, ethnomusicologie, bilan.

Introduction

A peine les indépendances acquises que les Etats Africains vont

devenir des centres d’intérêt pour les chercheurs occidentaux. Voulant

poursuivre et enrichir les recherches entreprises à l’époque précoloniale

et coloniale par les missionnaires et administrateurs coloniaux, pour

certains, ou explorer et expérimenter certaines théories pour d’autres, des

chercheurs européens et principalement Français, vont investir quasiment

tous les champs de connaissance en vue d’aider ces Etats nouvellement

autonomes à accéder aux moyens de développement susceptibles de

favoriser leur intégration dans le concert des nations dites modernes.

Parmi les champs visités figure en bonne place la musique dont les

travaux des chercheurs foisonnent dans les laboratoires occidentaux,

justifiant ainsi l’intérêt de cette activité dans le développement des

savoirs de l’universel.

Pour l’Africain que nous sommes, il est heureux et même

honorable de voir notre continent et ses cultures être l’objet de tant

d’intérêt, devenant ainsi une préoccupation pour les sommités

universitaires du monde entier. Cependant, notre regard endogène sur les

résultats de ces travaux formatés dans les laboratoires occidentaux avec

des référents exogènes nous incline à nuancer notre enthousiasme.

Certes, les problématiques abordées par nombre des chercheurs, ainsi que

les résultats atteints sont d’une richesse et d’un intérêt inestimables pour

l’évolution des études africaines, mais force est de reconnaître qu’à

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l’épreuve du terrain, certains de ces travaux semblent laisser entrevoir

des insuffisances qu’il serait opportun d’approfondir pour plus

d’efficacité scientifique dans le domaine qui nous intéresse, c’est-à-dire

la musique. Si aujourd’hui avec l’interdisciplinarité, il est probable

d’accroitre les chances de minimiser certaines faiblesses dans l’étude de

certains objets musicaux, nous ne devons pas perdre de vue que nous

sommes ici dans un domaine des sciences sociales et que le taux de

réussite scientifique à cent pour cent des recherches ne peut qu’être une

profession de foi, surtout quand il s’agit d’étudier les musiques des

sociétés marquées par le sceau du non-dit (silence) et où la théorisation

n’est pas certaine.

D’où le sens de notre contribution à cette problématique de

recherches africaines durant les cinquante années d’indépendance des

Etats Africains. Nous voulons saisir cette opportunité pour revisiter et

célébrer les principaux travaux de recherche entrepris dans le domaine de

la musique africaine par des chercheurs occidentaux et africains.

Au niveau méthodologique, nous voudrions établir un

récapitulatif1 de certains travaux réalisés sur les musiques de l’Afrique

pour en révéler les qualités, d’une part. Et d’autre part, à partir de notre

expérience de terrain, fruit de nos observations directes, opérer une

confrontation entre les acquis de ces résultats et quelques considérations

africaines pour en situer les limites. En d’autres termes, notre démarche

consistera en la mise en exergue des enseignements que les travaux de

chercheurs africanistes nous procurent, mais aussi, en la présentation des

interrogations qui en découlent, le but de l’exercice étant d’amener

modestement les chercheurs qui s’intéressent encore à ce volet de la vie

africaine à repenser, voire envisager des problématiques et approches

plus pertinentes sur certains objets.

1 Il s’agit ici d’un récapitulatif non exhaustif qui, tout en engageant notre responsabilité,

sera la boussole de notre travail.

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1. Hommage aux musicologues africanistes

Aux chercheurs occidentaux (précurseurs et actuels1), à tous ces

honorables adeptes du terrain africain connus ou anonymes qui, pour des

raisons objectives ou subjectives, n’ont ménagé aucun effort pour investir

ce continent africain à une époque où les difficultés d’ordre climatique,

religieux et infrastructurel décourageaient les audacieux du risque, nous

adressons ces lignes en mémoire à la part prise dans la construction de ce

continent aux valeurs indomptées, malgré les exploits déjà réalisés et qui

donnent d’espérer en des lendemains enchanteurs tant pour les africains

que pour tous les férus de la connaissance et des savoirs millénaires

encore inexplorés. Que leur action continue d’inspirer et de stimuler les

futures recherches sur l’Afrique, car pour nous, les résultats de leurs

travaux ne doivent pas constituer des cendres du passé, mais plutôt, le

fumier qui enrichit cette quête permanente de savoir sur ce continent. Car

comme le dit un proverbe africain, un seul bras ne fait pas le tour du

baobab. Qu’ils considèrent donc que leurs différentes œuvres réalisées

sur l’Afrique constituent ces bras qui, mis bout en bout sont les maillons

de la chaine sur lesquels viendront s’ajouter ceux de leurs successeurs et

disciples pour encercler ce baobab.

Nous voudrions particulièrement saluer et célébrer tous ceux qui

parmi ces chercheurs ont bien voulu s’attaquer au champ qui nous

intéresse, à savoir la musique africaine. Que gagneraient des chercheurs

formés à la civilisation hellénique à investir le monde de la musique

traditionnelle africaine où, faute de fondements normés2, au sens

occidental du terme, tout n’est que superfétatoire et aléatoire. Ils ont

surmonté cet obstacle psychologique et leur approche du terrain nous

permet de mieux appréhender la portée de leur action qui vise la

conservation et la diffusion de la musique négro-africaine.

1 La société des africanistes qui regroupe des chercheurs de tous les domaines, a permis

aux savants occidentaux, notamment ethnologues, anthropologues, archéologues,

historiens, etc. d’investir le terrain africain. 2 La musique africaine était considérée par les occidentaux comme un amas de sons, de

bruits exotiques qui n’obéissent à aucun principe de règles et d’écriture musicale.

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65

A ce stade de notre intervention, nous voudrions saluer

respectueusement les personnalités suivantes : Gilbert Rouget, Charles

Duvelle, Michel de Lannoy, Hugo Zemp, Bernard Lortat Jacob, Suzanne

Fûrniss, Simkha Arom, Geneviève Taurelle, Blacking John, Alain

Daniélou, During Jean, Monique Brandly, Sylvie Le Bomin, Dournon

Geneviève, Michel Guignard, Rasalia Martinez, Sandrine Loncke, Julien

Mallet. Appartenant à des écoles différentes1, ils ont, par leurs approches

scientifiques, leur sens d’interdisciplinarité et surtout leur don de soi

permis à l’Afrique musicale et surtout aux universitaires et chercheurs

africains de découvrir les trésors cachés dans leurs musiques du terroir et

de commencer à s’y intéresser à travers les programmes élaborés pour la

formation de l’élite africaine. Que ceux, encore nombreux qui travaillent

aussi sur le terrain africain et que nous ne pourrions citer ici de peur d’en

omettre, reçoivent nos pensées et notre gratitude.

Aux chercheurs africains, peu nombreux hélas ! Qui ont compris

le message que la communauté savante occidentale leur a laissé en

empruntant son chemin, nous voudrions traduire toute notre admiration

pour avoir osé choisir d’étudier la musique, contre toutes les pesanteurs

sociologiques2 africaines qui, au contraire, privilégient les études dans les

domaines dits nobles. Hommage à Francis Bebey dont l’œuvre combien

importante dans ce monde en perpétuel recadrage épistémologique, est

suspendue par sa mort prématurée. Qu’il nous soit permis de remercier

ensuite Messieurs Kwabena Nketia, Agawou Kofi, David Coplan qui

continuent, comme de beaux diables, d’aider par leurs réflexions,

l’Afrique à se faire une place dans ce monde de la recherche où la rigueur

ne tolère plus les considérations pigmentaires et héréditaires3. Nous ne

saurions terminer cette énumération sans adresser une mention spéciale

1 Ces différents chercheurs appartiennent à des laboratoires de musique qui se

distinguent les uns des autres par leurs différentes approches méthodologiques. 2 La musique est classée parmi les disciplines dites mineures dont l’étude n’intéresserait

que ceux qui n’ont pas les capacités d’étudier les sciences valorisantes. 3 Des chercheurs que nous avons rencontrés en Europe ne comprennent, par exemple,

pas qu’un africain qui, de surcroit, n’a aucun parent musicien ou musicologue, puisse

embrasser la carrière de chercheur dans ce domaine.

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66

au professeur Elikia M’Bokolo, Directeur des études à l’EHESS.

Historien de son état, sa connaissance de l’Afrique, en témoignent ses

regards multiformes sur ce continent, ne laisse personne indifférent. Nous

tenons à lui témoigner toute notre gratitude et notre admiration pour sa

connaissance de l’art africain en général et la musique en particulier où

ses éclairages nous édifient à chaque symposium du FESPAM1 quand

nous avons l’occasion de suivre ses interventions qui sont source de

motivation pour nous.

2. Cinquante ans de recherches musicologiques en Afrique :

revue synthétique de quelques travaux.

Il serait prétentieux de notre part, en tant que jeune chercheur de

vouloir établir un bilan des recherches menées sur la musique africaine

depuis les indépendances jusqu’à nos jours. Cependant, nous voudrions

au travers de cette revue non exhaustive, mettre en exergue quelques

travaux dont les résultats, s’ils ne sont pas considérés par les chercheurs

comme dignes d’une bible, sont simplement des données incontournables

pour quiconque voudrait s’aventurer sur le dure chemin de l’étude des

musiques des peuples traditionnels d’Afrique. Si les différents chercheurs

qui ont investi le continent africain dans différents domaines, l’ont fait à

partir de problématiques très diversifiées et selon le champ qui intéresse

chacun, cette règle l’est pour la musique et, notre propos ne visera pas à

exposer ici toutes les problématiques ou études qui ont été abordées par

les uns et les autres dans ce champ de recherche. C’est pourquoi, nous

allons nous référer à la méthodologie qu’Hugo Zemp a savamment

décrite dans son livre sur « la musique dan » qui, dans son souci de

délimiter son angle d’approche, nous édifie en un clin d’œil sur

l’essentiel de ces problèmes abordés par les musicologues africanistes et

qu’il résume ainsi que suit :

« La musique des Dan s’inscrit dans le domaine d’études de

l’ethnomusicologie, discipline nouvelle qui comme l’écrit C. Marcel

1 Festival panafricain de musique(FESPAM) qui se tient au Congo-Brazzaville.

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67

Dubois, considère les phénomènes de musique, et en général tout

phénomène sonore raisonné, relevant de la tradition orale et affectant la

vie socio-culturelle et les techniques des différents groupes ethniques.

Sa vocation est de détecter, d’observer, de récolter, d’étudier enfin les

faits relatifs au son et à la musique incorporée dans les croyances et les

mythes d’un peuple dans ses institutions et ses rites, dans ses activités

en général(…). Par son domaine le plus classique, l’ethnomusicologie

concourt au tracé de l’histoire d’une civilisation vivante, de ses activités

techniques aussi bien que culturelles, et à celui de l’organisation sociale

d’un groupe ; ce faisant il convient d’y insister, elle dépasse la seule

étude analytique du contenu musical, étude qui, si elle ne doit pas être

négligée, n’est pas pour l’ethnomusicologie une fin en soi. Si dans notre

ouvrage nous négligeons l’analyse du matériel musical et son

organisation (échelle, mélodie, rythmes, polyphonie, styles, etc.), c’est

que nous avons choisi pour commencer d’étudier le contexte socio-

culturel de la musique, ce qui n’exclue nullement des analyses de

laboratoires ultérieures. Dans le domaine qui nous intéresse, A. P.

Merriam propose pour une étude intensive de la musique dans un cadre

géographique restreint, six champs d’investigation principaux :1)

instruments, 2) paroles des chants, 3) classification de la musique), 4)

musicien (son éducation, rôle et statut), 5) fonctions de la musique en

relation avec d’autres aspects de la culture, et 6) musique en tant

qu’activité créatrice ».

A travers cette précision d’Hugo Zemp, on découvre aisément que

le champ musical est vaste et les chercheurs ne peuvent que s’en délecter.

Mais malgré cet éclairage, nous nous rendons compte que ce domaine

suggère deux paramètres essentiels à prendre en compte dans l’étude des

musiques africaines ; il s’agit de la dimension de la systématique externe

qui intéresse ici notre chercheur à travers ce qu’il désigne sous le nom de

l’angle socioculturel et, la systématique interne impliquant toute la

dynamique du son en terme d’échelle, d’organisation des sons, des

rythmes. Ces deux domaines qui ne s’excluent pas mais plutôt se

complètent, offrent la possibilité au chercheur de manipuler ses objets

d’étude sans trop de risque d’incompatibilité de paradigmes.

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Il en découle que les travaux dont les résultats nous intéressent

dans cette présentation épouseront pour la plupart cette approche

dualiste, même si, comme on pourra le vérifier, cela ne constitue pas une

obligation pour les chercheurs. Notre travail s’appuiera sur un corpus de

onze titres choisis arbitrairement, nous le reconnaissons, et qui ne prétend

pas non plus constituer un tableau représentatif des travaux effectués sur

ce continent, mais les matériaux de notre discours.

2.1. Travaux des chercheurs occidentaux

La musique et la transe. Esquisse d’une théorie générale des

relations de la musique et de la possession de Gilbert Rouget. Dans ses

interrogations, fruit d’observations directes sur le pouvoir de la musique

dans le déclenchement de la transe, phénomène universel, il a essayé de

passer en revue les différentes problématiques qui ont orienté les

réflexions sur ce sujet depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours sur tous les

terrains où la pratique de la transe a cours. Il a préféré mettre de côté la

question de la transe telle qu’elle s’observe dans le monde occidental

contemporain, et se consacrer à cette dimension dans les sociétés de

l’oralité et en l’occurrence le Benin, où la pratique des musiques des

cultes de possession a retenu son attention. De ses réflexions, on note

qu’après avoir défini les différents types de transe et leur manifestation,

Gilbert Rouget a proposé une théorie générale de la transe de possession

qui postule que « la transe est une conduite socialisée résultant de la

conjonction de plusieurs constituants » qui, bien qu’ayant des

caractéristiques propres peuvent se résumer aux deux points suivants : au

niveau de l’individu et au niveau des représentations collectives. En

définitive, on retient de ce livre que si « la musique est le seul langage à

parler à la fois à la tête et aux jambes, il n’ya aucun mystère. S’il y en a

un, c’est dans la transe elle-même, comme fait de conscience qu’il réside

et, s’il faut en chercher une explication, c’est apparemment dans la

toute-puissance d’une certaine conjonction de l’émotion et de

l’imaginaire qu’on le trouvera. C’est d’elle que naît la transe. La musique

ne fait que la socialiser et lui permettre de s’épanouir ».

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Hugo Zemp, dans Musique Dan, la musique dans la pensée et la

vie sociale d’une société africaine a effectué ses recherches sur le peuple

Dan de la Côte d’Ivoire, notamment dans son aspect musique, avec un

regard d’ethnomusicologue. Sous cet angle, Hugo Zemp choisit d’étudier

le contexte socioculturel de la musique, tout en n’ignorant pas les autres

dimensions des phénomènes sonores qui pourraient être abordées en

laboratoire. Dans cette optique, il s’est intéressé aux instruments de

musique dan, dans un premier temps, puis dans un second temps, aux

conceptions relatives à la musique. Par cette approche culturaliste ou du

moins ethnomusicologique, Hugo Zemp nous a instruit sur les

interrelations existant entre la musique et la vie socioculturelle dans

toutes ses réalités au sein de cette communauté, mais aussi, sur la place

de cet art dans la formation des Dan. Ainsi, constatera-il que, même si

certaines valeurs musicales demeurent inchangées chez les Dan, force est

de reconnaître que la modernisation que connaît la Côte d’Ivoire a

fortement bouleversé certaines pratiques musicales qui ont tendance

aujourd’hui à être abandonnées par les nouvelles générations au profit de

musiques d’influence étrangère.

Musique honneur et plaisir du Sahara : Musique et musiciens

dans la société maure de Michel Guignard. Après avoir passé quelques

années en Mauritanie, Michel Guignard a éprouvé le besoin de mieux

connaître le peuple maure qu’il a côtoyé tant dans son organisation

sociale que dans sa logique interne de fonctionnement. Mais,

contrairement à sa formation de base1, ce sont ses différentes rencontres

avec les musiciens professionnels maures qui vont le convaincre quant à

la capacité de la musique à éclairer l’opinion sur toute cette société, peut-

être plus que tout autre aspect culturel de ce peuple. Pour mener son

étude sur ce peuple, il va dans sa démarche, conjuguer l’approche

psychosociologique et l’approche musicologique qui, parce que «

s’éclairant mutuellement, peuvent intéresser à la fois les musicologues,

les sociologues et les ethnologues », car pour lui « à travers la musique et

1 Michel Guignard est polytechnicien de formation et a effectué une mission en

Mauritanie dans le cadre de son service militaire.

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le musicien, c’est tout un aspect fort important de la société qui apparait

». On retiendra de ce travail que, même si l’auteur n’a pas omis de «

déchiffrer les principales structures de cette musique, il a mis un accent

particulier à démontrer que la musique savante des griots et la poésie

étaient au cœur de la culture et jouaient aussi un rôle politique essentiel

en exaltant l’honneur des chefs par les louanges ». Et que de ce fait, « il

s’agit d’une musique profondément originale, jalon précieux pour

comprendre les interactions culturelles dans cette région au carrefour des

mondes arabe, berbère et soudanais ».

La musique orientale en Afrique noire de Charles Duvelle. Dans

une approche diachronique, Charles Duvelle a, à travers cette étude, «

essayé de déterminer, parfois même d’imaginer dans quels cas, de quelle

manière et sous quelles formes les musiques traditionnelles d’Afrique

noire telles qu’on les connait actuellement ont été ou ont pu être

marquées, au cours de leur évolution historique, par des cultures

musicales orientales. Il ressort de ses investigations qu’en Afrique

comme ailleurs, l’histoire de la musique a été mouvementée. Et que

contrairement à ce que disent les légendes, les traditions musicales telles

qu’elles se perpétuent actuellement en Afrique noire, n’ont pas été

inventées à un moment précis par un héros, un poète ou un dieu, pour

être transmises fidèlement sans altération de génération en génération, de

siècle en siècle, jusqu’à nos jours. Les traditions musicales négro-

africaines ne se sont surement pas développées en vase clos du champ

d’influence des civilisations orientales. Il est établi que divers contacts

ont eu lieu entre l’Afrique et l’Asie bien avant la naissance de l’islam.

Cependant avec la pénétration et le développement de l’islam en Afrique

noire, un important courant d’échanges avec le monde méditerranéen et

oriental a remodelé la physionomie musicale de l’Afrique soudanaise ».

La conception de la musique vocale chez les Aka : Terminologie

et combinatoires de paramètres de Susanne Fûrniss. Elle a jeté, à travers

ce travail, un regard averti sur l’art du chant des pygmées Aka de la

Centrafrique. Elle a pu dénouer la complexité musicale de ce peuple, en

établissant des principes qui en facilitent le décryptage et la

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compréhension. En effet, selon elle, en suivant les parties constitutives

des chants aka à travers leurs combinaisons possibles, elle a pu illustrer la

diversité des formes mises en œuvre. Qu’elles soient chantées ou

déclamées, les pièces à plusieurs voix se construisent à partir des deux

parties principales, auxquelles s’ajoutent une ou deux autres, selon le cas.

L’analyse a révélé que les parties principales nommées màtàngàlè et

àsèsè entretiennent des rapports variables et contribuent à des

constructions musicales bien différentes. Les catégories fondées sur deux

parties sont ici les plus intéressantes, puisqu’elles s’inscrivent dans les

deux formes possibles, à savoir le bloc contrapuntique et l’alternance

responsoriale. En définitive, Susanne Fûrniss, à travers sa méthode de

déconstruction du système qui gouverne la structure de la musique chez

les Aka, nous a permis de nous rendre compte que, bien que ce peuple

soit traditionnel, sa musique repose sur une systématique rigoureusement

réglée, même si celle-ci est tacite.

Le sens de la musicalité chez les Peul Jelgoobe du Burkina Faso :

la catégorie de puissance vocale de Sandrine Loncke. Résumant son

article sur le doohi considéré comme un jeu musical chez les jelgoobe du

Burkina Faso, Sandrine Loncke précise qu’« à partir de l’exemple d’un

répertoire de musique vocale peul, son travail illustre la façon dont les

catégories musicales vernaculaires qui caractérisent une réalisation

canonique du genre permettent à l’ethnomusicologue d’appréhender la

forme musicale, non seulement en restituant l’intentionnalité esthétique

de ses dépositaires, mais également en rendant compte des conceptions

culturelles qui la sous-tendent et la motivent ». L’action de Sandrine

Loncke ici n’est pas seulement d’expliquer l’organisation de voix dans

les chants de ce peuple, mais aussi et surtout, d’expliquer toutes les

dimensions sociologiques qui en fondent l’existence.

Musiques traditionnelles et significations de J. J. Nattiez. A

travers cette réflexion, il propose une sémantique des musiques

traditionnelles, en réaction à l’école de Berlin qui se consacrait sur le

matériau purement musical, mettant un accent particulier sur la

comparaison des échelles et des structures des nouveaux systèmes

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musicaux qu’elle découvrait. Sa réflexion prend appui sur l’émergence

de l’orientation anthropologique en ethnomusicologie. En effet, à partir

du moment où l’ethnomusicologue s’intéresse aux valeurs véhiculées par

la musique dans une société donnée et aux liens que l’autochtone établit

entre la musique et son vécu, la question de la signification musicale

apparait. Dans cette perspective, même si Nattiez n’ignore pas les

significations intrinsèques qui ont longtemps été le centre d’intérêt des

ethnomusicologues, c’est aux significations extrinsèques qu’il accordera

la part belle dans son approche d’analyse des rapports entre musiques et

cultures dans les sociétés traditionnelles. Pour lui, le fonctionnement de

ces significations dans le contexte de musiques traditionnelles peut

s’appréhender en référence à la taxinomie proposée par Jean Paulus, qu’il

allège en proposant quatre traits qui sont : le recours à des procédés

substitutifs du langage ; la dimension signalétique des signes ; les aspects

symboliques dénotatifs et connotatifs ; les traits fonctionnant comme

indices du politico-social et de l’idéologique. En conclusion de son

article Nattiez précise :

« Parce qu’elles sont dépendantes des personnes, des contextes et des

changements historiques, les associations sémantiques dans les

musiques traditionnelles n’ont pas le caractère de stabilité qu’elles ont

dans le langage naturel. Il n’en reste pas moins, comme on peut le

constater, qu’elles constituent une dimension essentielle de la manière

dont elles sont vécues par les autochtones qui les produisent et qui les

écoutent, et que, à ce titre, on ne saurait les ignorer si l’on veut

comprendre en profondeur la nature des relations entre musiques et

cultures ».

Ethnomusicologie des « Jeunes musiques » ou « Asio Elany !le

tsapiky, une jeune musique qui fait danser les ancêtres » de Julien

Mallet. Loin des schémas habituels et classiques utilisés sur le terrain par

les ethnomusicologues, pour étudier les musiques du monde, Julien

Mallet nous donne un autre angle de lecture et de compréhension de

nouveaux types de musiques contemporaines qui émergent depuis

quelques temps dans les milieux des jeunes. A travers son exemple du

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tsapiky, musique de la région de Tuléar de Madagascar, nous découvrons

un genre de musique de jeunes en Afrique dont, si les caractéristiques

multiformes rendent la catégorisation difficile, a au moins « des vertus

heuristiques évidentes. Identité, tradition, appartenance, acculturation,

syncrétisme, frontières, espaces recomposés, métissage, sont autant de

notions centrales pour la discipline que les jeunes musiques permettent

de réinterroger ».

2.2. Travaux des chercheurs africains

Musique de l’Afrique de Francis Bebey. Par cette œuvre, Francis

Bebey entreprend une initiation à la musique africaine, comme il le

précise « non en connaisseur désireux de partager le rare fruit d’une

passion véritable, mais en homme convaincu de la nécessité pour d’autres

hommes de pénétrer dans un monde réellement passionnant. Car la

connaissance de l’homme habite ce monde-là. Car la connaissance du

surnaturel est fortement suggérée par ce monde-là, qui surprend par sa

vérité dépouillée, seuil propret du plus grand bonheur de l’homme ».

Ainsi, par une approche conjuguant description et analyse, Francis Bebey

aborda-t-il la musique africaine sous divers angles : « expression de la

vie », « le musicien africain », « les instruments de musique », « la voix

humaine » et enfin « la musique » elle-même. C’est un travail de fourmis

que Francis Bebey nous a livré à travers son regard qui nous éclaire sur

toutes les dimensions de l’art musical africain. Et ce regard de l’intérieur

doit servir à notre sens de guide à tous ceux qui voudraient s’intéresser au

terrain africain. Nombre d’aspects de ce travail mériteraient d’être

approfondis par des chercheurs avec un regard plus neutre, car il n’est

pas exclu que dans ce riche apport, il y ait quelques dominances

subjectives1.

1 Africain et parlant de la musique de son continent, il est évident qu’il ne saurait

totalement se départir de certains sentiments subjectifs qui entament très souvent la

fiabilité de certains travaux en sciences humaines.

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Les sources de documentation historique sur les traditions

musicales de l’Afrique de J. H. Kwabena Nketia. Ici, le chercheur nous

enseigne que :

« L’histoire de la musique de l’Afrique peut être entreprise sur plusieurs

plans. On peut la considérer sous l’angle de l’interaction des sociétés

africaines qui a conduit à des emprunts et des adaptations d’instruments

ou de caractéristiques de styles. L’intéressant du point de vue africain,

n’est pas d’isoler purement et simplement les influences subies ou

exercées : les anthropologues nous enseignent qu’il n’existe guère de

cultures rigides et figées. Etudier l’histoire de la musique en Afrique est

donc une tâche colossale qui réclame le concours d’un grand nombre de

spécialistes de plusieurs disciplines. Il faut dégager de façon

systématique les renseignements historiques contenus dans les traditions

orales, les études linguistiques, ethnologiques et archéologiques et dans

tous les documents disponibles. Les études ethnographiques sur les

cultures musicales sont fondamentales et la connaissance des travaux

des sociologues et des économistes constituent un appoint, car l’histoire

de la musique ne peut être séparée de l’histoire sociologique et

culturelle. Il reste à espérer qu’un plan d’action concerté sera élaboré et

exécuté dans ce domaine par des érudits et des musiciens ».

David Coplan : De ces travaux, on peut retenir cette précision de

Julien Mallet : « David Coplan, dans son livre In Township Tonigt.

Musique et théâtre dans les villes noires d’Afrique du Sud (1992 : 146),

montre comment le développement de la musique :

« Marabi fut fortement influencée par les conditions économiques et

sociales que subissait la classe ouvrière. Il insiste sur le rôle des lieux de

concentration de populations ouvrières noires dans l’apparition d’une

culture noire citadine qui s’exprime tout particulièrement à travers la

musique. Mineurs et ouvriers issus de différents groupes ethniques

installés depuis longtemps en ville, formèrent une nouvelle classe de

musiciens. Ces musiciens fondirent des éléments provenant de toutes les

traditions dont ils pouvaient disposer en un style unique de musique

africaine urbaine que l’on appelait marabi ».

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Par ailleurs, David Coplan pense que, si l’analyse des musiques

populaires permet souvent d’appréhender des communautés émergentes,

cela est lié à la capacité des genres spécifiques à incarner ou à exprimer

la position sociale de communautés ou de catégories d’auditeurs

particulières ».

2.3. Les enseignements tirés de ces travaux

L’ethnomusicologie est une discipline datant du XVIIIème

au

XIXème

siècle qui a commencé à trouver ses véritables marques dans les

cinquante dernières années. Des recherches entreprises par la plupart des

chercheurs sur le terrain musical, on retient qu’au départ les approches

qui étaient divergentes et obéissant à l’angle de recherche de chaque

chercheur, étaient surtout marquées par le sceau des diverses écoles1 qui

s’affrontaient dans ce domaine. Mais, avec la prise en compte de la

dimension anthropologique dans l’étude des musiques des sociétés

traditionnelles, les chercheurs ont emprunté la voie de l’interdisciplinarité

qui permet des approches plus critiques et ouvertes des phénomènes

musicaux étudiés.

Ainsi, munis d’instruments d’investigation plus crédibles, les

ethnomusicologues ont investi presque toute l’Afrique de part en part. Et,

il est heureux de constater qu’aucune grande zone de civilisation de ce

continent n’a été épargnée par les recherches musicales. Aujourd’hui,

même si tous les peuples n’ont pu voir leur musique étudiée, on peut

affirmer que depuis les travaux de Gilbert Rouget des années 1960 sur le

Dahomey, en passant par ceux d’Hugo Zemp sur les Dan de la Côte

d’Ivoire, de Susanne Furniss sur les Pygmées Aka de Centrafrique, et

autres jeunes chercheurs qui suivent leurs traces, ainsi que les travaux

d’Africains tels que Francis Bebey, Kwabena Nketia, entre autres, les

résultats obtenus nous donnent des informations édifiantes sur la musique

des sociétés traditionnelles africaines, tant dans sa conception, son

organisation que dans sa consommation. De telle sorte qu’il est acquis

1 Les écoles allemande, anglaise et française, notamment.

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que dans ces sociétés africaines, la musique, loin d’être de l’art pour l’art,

est un véritable vecteur de connaissance et de compréhension de la

cosmovision des peuples qui en sont les utilisateurs. En définitive, à

l’instar de la musique occidentale, la musique africaine est un langage

qui, comme l’affirme Kwabena Nketia (1970 : 8) « possède non

seulement un système de sons, mais aussi un vocabulaire et une

grammaire ou une syntaxe » qui mérite d’être étudié avec la rigueur

scientifique qui caractérise la démarche cartésienne. L’étude des

musiques africaines ne vise plus la découverte de l’exotisme ou de

l’inhabituel, mais plutôt la quête d’éléments nouveaux qui enrichissent la

connaissance du savoir musical universel.

3. Les limites et les perspectives

3.1. Les limites des études musicales en Afrique

3.1.1. La musique comme objet d’étude

Comme on peut le constater, l’étude de la musique s’articule

autour de deux angles fondamentaux : l’analyse du matériau musical et

l’étude du contexte socioculturel de la création et/ou de la consommation

de la musique. Les différentes études menées par les chercheurs sus cités

nous confirment cette orientation méthodologique. Cependant, il est

indiscutable que la plupart des travaux tournent autour de la dimension

culturelle des musiques étudiées, certainement pour obéir à l’orientation

anthropologique qui caractérise la nouvelle approche

ethnomusicologique. Certes selon Hugo Zemp, cette démarche favorise

la connaissance et la compréhension de la vie socioculturelle des groupes

ethniques dont la musique est étudiée, étant entendu que ceux-ci ne

conçoivent leur musique que sous l’angle fonctionnel, une dimension

importante dans l’étude de ces sociétés. Mais, peut-on réellement

soutenir que les résultats auxquels parviennent ces chercheurs,

notamment occidentaux, ne souffrent d’aucune insuffisance, quand l’on

sait que chez la quasi totalité des peuples étudiés, le discours sur la

musique, s’il n’est pas ésotérique, ne donne pas lieu à une théorisation

évidente. Par ailleurs, les interprètes qui aident nos chercheurs à récolter

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les informations, faute de formation adéquate, donnent des

renseignements qui ne reflètent pas parfois les réalités décrites, les mots

pour désigner ce dont on parle étant difficiles à trouver. Alors, comment

peut-on dans ces conditions, prétendre posséder suffisamment de données

fiables pour aboutir à des résultats acceptables, même si le fait d’avoir

fait le terrain est censé être le gage d’une relative réussite de la recherche.

Certains chercheurs, pour justement avoir fait du terrain et côtoyé des

peuples cibles, estiment qu’en maîtrisant quelques éléments de la langue

de leurs hôtes, ils peuvent accéder à la vérité, parlant des informations

recueillies. Mais là encore l’énigme demeure : quand la musique étudiée

est religieuse ou destinée à des initiés comme c’est le cas qu’a connu

Gilbert Rouget à Gbèfa (Dahomey)1, comment attester la fiabilité des

informations reçues sans tenir compte de nombreux silences2 qui

émaillent en général, les échanges ?

3.1.2. Le musical et le non musical en Afrique

Le deuxième aspect de notre observation a trait au concept de

musique elle-même. Sauf méprise de notre part, nous n’avons pas encore

connaissance d’un mot africain qui désignerait le mot musique au sens où

l’entend l’occident. En Afrique, en effet, la musique est à la fois chanson,

danse, poésie, rythme et jeu. Devant un tel concept polysémique, qui du

chercheur ou de l’exécutant accorde-t-il le statut de musique à tel ou tel

phénomène sonore que l’on veut étudier ? Suffit-il qu’un système sonore

remplisse les critères d’une musique pour l’être ? Nous avons pu

observer que dans nombre de sociétés africaines des pratiques que l’on

pourrait taxer de musicales sont catégoriquement logées dans des

domaines qui n’ont rien à voir avec la musique. Il ne viendra jamais à

l’idée des femmes Lobi3, par exemple, pilant le maïs de se dire en

1 Gilbert Rouget a étudié au Bénin deux chants initiatiques pour le culte des Vôdoun. 2 Ces silences sont en fait des interdits qui s’imposent aux informateurs qui ne doivent

pas les transgresser sous peine d’être sanctionnés par les esprits. 3 Les Lobi sont un peuple vivant à cheval sur la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le

Ghana.

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situation d’exécution musicale, même si leurs coups de pilons laissent

entrevoir des rythmes bien agencés, alors que cela pourrait intéresser un

chercheur non averti qui trouvera là matière à réflexion. En définitive, si

l’existence de la musique en tant qu’art ne fait l’ombre d’aucun doute en

Afrique, les chercheurs avant d’aborder une étude quelconque d’un

phénomène sonore qui les intéresse doivent au préalable s’accorder avec

les exécutants sur la nature réelle de l’objet étudié, car la classification

que les Africains font de leur musique ne cadre pas forcément avec les

contours occidentaux de la musique. Et on comprend dès lors pourquoi

l’analyse des phénomènes sonores recueillis en Afrique en laboratoire

bute sur la qualité des paramètres1 qui donnent au son musical son sens.

Dans tous les cas, les chercheurs sont libres de donner un statut musical à

tout phénomène qu’ils veulent étudier pourvu que celui-ci entre dans l’un

des critères retenus comme fait musical sur la plan universel, mais ils

doivent retenir que la confusion entre le musical et le non musical est

facilement établie en Afrique.

3.1.3. La transcription des sons et rythmes des instruments de

musique

S’il y a un pan de la musique africaine qui fait l’unanimité chez

les ethnomusicologues, c’est celui des instruments de musique. Malgré

leur diversité tant au niveau formel qu’au niveau de leur technique de jeu,

l’adoption de la classification Sachs-Hornbostel par les différents

chercheurs a permis une synthèse de l’étude organologique des

instruments africains. Toutefois, la transcription fidèle des sons et

rythmes produits par nombre de ces instruments demeure un problème

pour les techniciens. Non seulement la palette sonore qu’offre la gamme

tempérée ne permet pas de représenter certains sons d’instruments

africains, mais pire la technologie actuelle n’a pas encore mis en place un

système qui en facilite la transcription. D’où le caractère approximatif

1 C’est très souvent que des sons musicaux recueillis en Afrique admettent difficilement

des correspondances avec des notes occidentales, toute chose qui rend difficile leur

transcription.

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des transcriptions des jeux des instruments traditionnels et la trop grande

liberté de procédés de transcription laissée aux chercheurs qui mettent à

nu leur incapacité à pouvoir dompter les sons des instruments africains.

Si ceci constitue un défi pour les chercheurs occidentaux, il l’est

beaucoup plus pour les chercheurs africains qui se doivent de trouver une

réponse plus pertinente à cette question de l’écriture et du décodage de la

musique africaine prise dans son ensemble, par des actions concertées.

3.1.4. La dépendance des chercheurs africains vis-à-vis des

schémas occidentaux

Les chercheurs musicologues ou ethnomusicologues africains ont

pour la plupart étudié dans les écoles occidentales. Et ceux qui n’ont pas

étudié en occident ont été formés en Afrique par des enseignants

occidentaux. La conséquence de cette situation est que même si l’on sent

le besoin chez les Africains de s’affranchir des méthodes classiques

apprises durant leur formation, ils restent encore trop tributaires des

connaissances de leurs maîtres. Si bien que si on ne peut dénier aux

chercheurs africains leur capacité à réfléchir par eux-mêmes, les modèles

que constituent ces maîtres pour eux, demeurent un sérieux handicap à

leur liberté de pensée. Certes, des chercheurs tentent aujourd’hui de

s’autodéterminer par des méthodes plus proches des réalités africaines,

mais la plupart restent attachés aux théories des disciplines occidentales

dont la maîtrise pour eux est le gage d’une bonne formation scientifique.

La preuve dans le domaine musical, est que rares sont les chercheurs qui

réussissent à sortir des schémas occidentaux pour imposer de nouveaux

angles d’études convaincants à leurs homologues. On est toujours dans

les redites qui ne permettent pas aux recherches africaines de se

démarquer des résultats déjà obtenus par les prédécesseurs. Et c’est à

juste titre qu’un collègue occidental se rendant compte de ce qu’un

collègue africain ne faisait que citer servilement des auteurs occidentaux

bien connus sur des sujets africains, lui demanda de donner un avis

d’Africain sur les réflexions émises. Ce collègue s’est senti un peu

désorienté, lui qui, sûr de son affaire, ne pouvait s’attendre à une telle

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réaction d’un européen sur des sujets touchant directement l’Afrique. Il

venait de se rendre à l’évidence que mêmes les occidentaux ont le souci

de se voir contredire par des recherches nouvelles menées par des

Africains sur des questions déjà évoquées par d’autres chercheurs.

Ceci traduit l’impérieuse nécessité pour les chercheurs africains

d’être suffisamment formés pour porter la réplique. Et si en la matière

l’Afrique peut être fière d’avoir des cadres formés et compétents, dans le

domaine musical et précisément dans celui de la recherche

musicologique, l’Afrique cherche encore ses marques. L’apport des

études musicales dans le développement scientifique des Etats africains

(recherche universitaire, développement culturel et économique…) est

pratiquement imperceptible. Les quelques rares pays qui donnent la

chance à leurs nationaux de se former dans ce domaine, n’offrent pas

toutes les garanties d’une formation sérieuse. Les programmes de

formation n’obéissent à aucune véritable politique de résultat et la

recherche dans ce domaine est l’affaire des téméraires. Toutefois, ces

réalités ne doivent pas constituer des entraves au développement de la

recherche musicologique en Afrique, car de plus en plus d’efforts sont

faits par des Etats Africains pour faire des arts en général les véritables

leviers de leur développement, d’où le renforcement des structures de

formation et de recherche dans ce domaine.

3.2. Perspectives pour l’efficacité des recherches sur la

musique africaine

Les recherches effectuées sur le terrain africain depuis ces

cinquante dernières années montrent évidemment la part importante prise

par les chercheurs occidentaux et Africains dans la compréhension et la

connaissance de l’art musical africain. Mais comme toute œuvre

humaine, peut-on dire attester de leur perfection ? C’est pourquoi en

tenant compte de ce caractère perfectible des travaux effectués, nous

pensons que si beaucoup a été dit et écrit en la matière, beaucoup reste

encore à faire, comme l’attestent les propos de Jean Rouch (1993 : 30)

que nous citons : « Et après cinquante ans, s’il y a beaucoup de choses

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que j’ai comprises, il y a énormément que je ne comprends absolument

pas. Je me suis peu à peu aperçu que toutes les explications rationnelles

que l’on peut avoir, c’est nous qui les projetions ». Et nous voudrions à la

suite de Rouch, pour démontrer l’ampleur des tâches qui restent à

exécuter, nous approprier la synthèse que nous fait Charles Duvelle dans

son compte rendu de la réunion de Yaoundé1 :

« La pratique musicale est une nécessité impérieuse en tant

qu’expérience communautaire. La musique africaine se présente comme

un élément important, indispensable du « tout » vivant qu’est la société

traditionnelle dans laquelle elle se situe. La diversité de ses aspects et la

variété des formes qu’elle revêt dans l’ensemble de l’Afrique devraient

être approchées de manière systématique. Ainsi, pour éviter la

dispersion des efforts, une concentration des études par grandes aires

culturelles serait souhaitable. Des recherches pluridisciplinaires

permettant des échanges dans les différents domaines d’étude des

civilisations africaines favoriseraient la connaissance approfondie de la

musique dans son cadre vivant tandis que, réciproquement, la recherche

musicologique pourrait apporter une contribution importante à d’autres

disciplines telles que l’histoire de l’Afrique ».

Comme on peut le constater la tâche n’est pas aisée et, il serait

indiqué que de nouveaux moyens plus adaptés aux études des musiques

africaines soient envisagées par les africanistes.

Conclusion

Au terme de notre réflexion, l’on peut retenir que l’intérêt que

suscite l’étude de la musique africaine chez les chercheurs africanistes

tant Occidentaux qu’Africains est sans équivoque au regard des travaux

déjà entrepris. Par ailleurs, il est heureux de constater que des sommités

du domaine ethnomusicologique ont investi le chant musical africain et y

ont abordé des sujets aussi divers et diversifiés dont les résultats ont force

1 Compte rendu de la réunion de Yaoundé organisée par l’Unesco en 1970 sur la

musique africaine qui a vu la participation d’experts venus du monde entier dont

Charles Duvelle.

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de loi aujourd’hui. Cependant, la complexité de la musique africaine

revêt encore des zones d’ombre à explorer. Et si les chercheurs

africanistes sont encouragés à poursuivre les réflexions dans les champs

qui sont les leurs d’une part et, à améliorer l’existant par des travaux de

laboratoires plus poussés d’autre part, il ressort la nécessité pour les

ethnomusicologues africains ainsi que les chercheurs des autres domaines

des sciences humaines de s’approprier cette bataille et mener des études

complémentaires qui permettent d’apporter des réponses africaines aux

problèmes que les chercheurs occidentaux posent aux regard des

difficultés de tous ordres qu’ils rencontrent sur le terrain et qui sont réels.

Car cinquante ans après le début des travaux des africanistes, on peut

affirmer que si des problèmes d’ordre structurel, épistémologique et

institutionnel subsistent encore et freinent l’élan des chercheurs

musicologues sur le terrain africain, il n’en demeure pas moins que les

perspectives s’annoncent intéressantes, tous étant conscients des efforts à

mener en vue d’obtenir des résultats plus satisfaisants dans ce domaine et

de permettre ainsi à la musique africaine d’apporter sa part à la

connaissance de l’universel.

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DE L’EMERGENCE DE TERRITOIRES CREATIFS EN

AFRIQUE

SECK Sidy

Direction générale des Manufactures sénégalaises des arts décoratifs

(MSAD); Sénégal

E mail : [email protected]

Résumé

Depuis presque deux décennies, au Sénégal comme dans nombre

de pays d’Afrique, la problématique du « territoire » est au cœur des

projets de développement. Seulement, des paradigmes environnementaux

difficilement maîtrisables et le manque de discernement face à ce qu’il

convient d’appeler « le génie du territoire » ne facilitent pas toujours

l’émergence de territoires culturellement identifiables et

économiquement forts. Certes, la volonté est manifeste de mettre sur

orbite des périmètres de classes créatives, de produits et de services

culturels porteurs de richesses (promotion de la diversité culturelle) mais,

force est de reconnaître que l’émergence de territoires créatifs passe

nécessairement par l’identification, la priorisation, la valorisation et la

mobilisation des ressources locales, partant d’une vision, d’une stratégie

et d’un modèle organisationnel pertinents portés par un leadership de

type transformatif.

Mots clés : Développement local, vision, territoire, cluster

culturel, modèle organisationnel.

Introduction

La problématique du développement a longtemps été au cœur de

la gouvernance locale dans beaucoup de pays en Afrique. Toutefois,

malgré la volonté des uns et des autres, nombre de territoires ont encore

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du mal à faire de leurs produits et / ou de leurs services culturels de

véritables leviers de croissance économique. La conjugaison des effets

perturbateurs de la globalisation et des crises de toutes sortes de ces

dernières années semble dynamiter les certitudes les mieux établies des

acteurs au développement. Nombre d’études prospectives ont achevé de

montrer leurs limites par manque de flexibilité et par mégarde sur la

pertinence, l’efficacité et l’efficience des leviers, des stratégies et des

modèles organisationnels devant sous-tendre les processus de

développement. Depuis les premières lueurs de l’indépendance, un pays

comme le Sénégal a misé sur le secteur des arts et de la culture. Le but

d’un choix aussi courageux est, entre autres, de faire émerger des

territoires culturellement attractifs et économiquement porteurs, fondés

sur des arguments concurrentiels solides et des avantages compétitifs

réels et portés par un dispositif institutionnel bien structuré.

Les dispositifs politiques, institutionnels et juridiques mis en

place en son temps par Léopold Sédar Senghor, premier Président de la

République du Sénégal, seront renforcés plus tard par différentes autres

mesures, aussi importantes les unes que les autres. Il s’agit, pour n’en

évoquer que quelques-unes, de la loi relative aux domaines de

compétences de la région (compétences générales et compétences

transférées 1994), celle portant sur la Stratégie de croissance accélérée

(SCA 2008) et des grands projets culturels du Président Me Abdoulaye

Wade1. A ces exemples tirés au volet parmi tant d’autres, s’ajoutent

quelques autres faits non moins importants aussi éloquents les uns que les

autres tels que :

- les ateliers internationaux de maîtrise d’œuvre urbaine tenus

d’abord à Saint-Louis (avril 2010), puis à Thiès (20 octobre/ 03

novembre 2012) ;

- la tenue à Dakar du 4 au 8 décembre 2012 du 6éme

Sommet

Africités sur la gouvernance locale et portant sur le thème des

« territoires » ;

1 Se référer aux sept merveilles du Parc culturel, le Monument de la Renaissance

africaine, la Place du Souvenir africain etc.

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- les nouvelles orientations politiques définies par Macky Sall,

actuel Président de la République du Sénégal, fondamentalement

axées sur « la territorialisation ».

A la lumière de ce qui précède, la puissance publique semble

avoir bien compris que dans certains domaines d’activités, le territoire

peut mieux faire que l’Etat. Mieux, ce que le territoire symbolise sur le

plan culturel, en termes de diversités, de spécificités, de services et de

produits (mobiles, immobiles, matériels et immatériels) constitue des

niches insoupçonnées de richesses et d’humanité à valoriser.

C’est tout le sens des différentes lettres de politique sectorielle

conçues ces dernières années, des centres culturels érigés dans les

régions, des différents fonds mis à la disposition des acteurs culturels, des

festivals et autres rencontres nationales et internationales à caractère

culturel.

Il est donc permis de croire, même si c’est selon le contexte et

avec des fortunes diverses, que le génie artistique et culturel fait l’objet

d’attention dans l’élaboration des projets de développement local.

Cependant, malgré la bonne volonté des uns et des autres et les nombreux

investissements consentis ici et là, l’émergence de classes créatives

réelles au service de territoires culturellement labellisés et d’une

économie culturelle territoriale florissante a encore du mal à se réaliser.

Pour mieux comprendre les raisons d’un tel constat, nous nous

proposons, dans les pages qui suivent, d’aborder dans un premier temps,

le contexte dans lequel devrait se produire l’émergence de territoires

créatifs, ensuite, les dysfonctionnements notés entre la volonté du champ

politico-juridique (Etat central) et le pessimisme du champ des opérations

(Territoires), enfin, quelques enjeux majeurs pour un développement

culturel inspiré du modèle organisationnel des clusters1

et porté par des

produits culturels mobiles et immobiles, matériels et immatériels propres

à chaque territoire (génie territorial).

1 Périmètre géographique qui abrite plusieurs domaines d’activités culturelles partageant

la même vision et une même communauté d’intérêt (grappe, pôle).

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1. Contexte

Les réalités endogènes varient d’un pays à un autre et s’apprécient

différemment selon le périmètre géographique dans lequel on se situe en

Afrique. Le contexte peut ainsi être favorable ici et défavorable là.

Toutefois, aucun des Etats africains n’est épargné par les cascades de

crises qui secouent le monde. Ces crises d’ordres financier et économique

ont profondément affecté les systèmes de valeurs culturelles, sociales,

identitaires et les espérances dans l’appropriation par les acteurs culturels

africains des opportunités qu’offrent les technologies de l’information et

de la communication. Le monde subit des mutations profondes pour

diverses raisons. Et de cette logique de mutation, procède une crise

statutaire très aigüe qui pourrait avoir à long terme de graves

conséquences sur la compétitivité et la solvabilité des entreprises

culturelles en Afrique.

En effet, le secteur des arts et de la culture devient le point de

chute - de prédilection - de beaucoup de jeunes sans formation

professionnelle, sans vocation et sans aptitude en la matière. Par la faveur

d’animateurs de radios et de télévisions peu ou pas au fait des enjeux

mondiaux, ces jeunes artistes et autres acteurs culturels de circonstance

occupent à longueur de journée le paysage médiatique. Ce contexte de

sauve-qui-peut tous azimuts vers les médias et les arts renvoie à une

nouvelle forme de libéralisation professionnelle qui contribue, lentement

mais sûrement, à banaliser la production culturelle et les statuts des corps

des métiers de la culture.

D’autre part, le contexte est aussi caractérisé par la force de

clichés du genre « l’art ne nourrit pas son homme », qui ont fini de

s’incruster dans la conscience collective et qui entravent sérieusement le

processus d’émergence de territoires créatifs. Ici, l’environnement

sociologique secrète lui-même ses propres pesanteurs sociales.

De plus, au grand dam des principes élémentaires de gestion, le

facteur « temps » fait l’objet d’une méprise au quotidien, alors qu’il est

devenu, par la force des choses, une ressource d’une extrême importance

pour tout processus de développement.

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L’analyse du contexte ne saurait faire abstraction de l’absence de

données statistiques fiables sur les arts et la culture. La primauté des

indicateurs qualitatifs sur les indicateurs quantitatifs favorise-t-elle une

gestion pertinente, efficace et efficiente du secteur ? Tout ce qui se gère

se mesure ! Et la culture d’entreprise des artistes qui sont supposés être à

la base de toute entreprise éminemment culturelle ne rassure guère.

Car, pour l’essentiel, ces derniers ne s’identifient pas comme étant

des travailleurs autrement dit des entrepreneurs - avec leurs spécificités -

capables de produire des œuvres à forte valeur ajoutée, marchandes et

compétitives dans le marché des arts. Une telle acception classique de

l’artiste permet-elle de percevoir avec exactitude l’énorme potentialité du

secteur, d’organiser des marchés nationaux, sous-régionaux et régionaux

et de bien contribuer à la croissance économique en Afrique ? Si l’on

ajoute à ce tableau peu reluisant la porosité de nos frontières, portes

d’entrée des produits hollywoodiens et bollywoodiens, les incohérences

de la politique de décentralisation et le déficit quantitatif et qualitatif des

ressources génériques, n’est-il pas permis de penser que tous les

ingrédients sont réunis pour dévoyer le secteur de la culture dans

l’expression totale et entière de sa diversité ?

Pourtant, malgré ce contexte qui a l’air d’être défavorable à tout

point de vue, l’Union économique et monétaire ouest africaine

(UEMOA), à l’instar d’autres organismes comme l’UNESCO,

l’Organisation internationale de la francophonie, l’Union européenne,

l’Union africaine, etc., tente de renverser la tendance.

C’est pour dire, en définitive, que même si le contexte apparaît

critique du fait d’un dérèglement généralisé des repères, il ne ferme pas

pour autant toutes les issues de secours aux acteurs au développement au

rang desquels comptent les acteurs culturels. Dans le but de rendre

favorable le contexte national et de placer le Sénégal sur les voies d’un

développement humain durable, des dispositifs (DSRP I, DSRP II 2006

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et 2010 / DPES 2011-2015 / SCA, etc.1) sont mis en place, intégrant ainsi

le secteur de la culture dans les politiques publiques de développement.

Mieux, des problématiques aussi brûlantes que celles relatives à

l’économie de la culture et à l’aménagement culturel (territoires ou pôles

culturels) y sont devenues des préoccupations majeures. La prégnance

des enjeux territoriaux et économiques de la culture est aujourd’hui telle

que les Etats africains n’ont d’autres choix que de faire en sorte que la

production culturelle, le génie de leurs territoires (le patrimoine culturel

territorial entre autre) devienne à la fois un output (produit) et un input

(ressource) capables de :

- produire un capital créatif dynamique, générateur de croissance,

d’équité et de mieux-être à partir de vertus territoriales labellisées

et d’un pouvoir attractif ;

- se reproduire dans une logique de régénération permanente, gage

de créativité, de régularité et de jouissance esthétique sans cesse

renouvelée.

Pour y arriver, il faudrait prendre à bras le corps un certain

nombre de dysfonctionnements notés entre les orientations stratégiques et

les plans opérationnels.

2. Trilogie des dysfonctionnements

Les batteries de mesures stratégiques et opérationnelles de la

gouvernance d’Etat ou de la gouvernance locale (offre culturelle de l’Etat

central ou celle des Collectivités locales) restent souvent très en-deçà du

niveau de satisfaction des populations cibles (demande des acteurs

culturels publics et privés). Les raisons d’un tel hiatus entre l’offre et la

demande sont certes diverses et complexes mais nous nous en référons

juste à trois types de dysfonctionnements liés les uns les autres et dont les

effets conjugués peuvent entraver toute volonté de développement

culturel.

1 DSRP: Document de stratégie pour la croissance et la réduction de la pauvreté. DPES :

Document de politique économique et sociale. SCA : Stratégie de croissance accélérée.

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2.1. Dysfonctionnement stratégique

Suite au séminaire tenu à Dakar au mois de juillet 2008 sur le

thème : « Culture et stratégies de développement local » et qui a vu la

participation de l’Union économique et monétaire ouest africaine

(UEMOA), la ville de Dakar, le Ministère en charge de la Culture,

l’Agenda 21 de la Culture, les Cités et Gouvernements locaux unis et

alliés, il y a lieu de se demander si nos Etats ne donnent pas l’impression

de s’être installés dans un éternel recommencement. Depuis plusieurs

décennies, les cadres africains sont en quête de stratégies pour le secteur

de la culture. Ne se pose-t-il pas un problème de vision ?

Les politiques culturelles - si tant est qu’il en existe formellement

sur le plan opérationnel - sont conceptualisées sous forme de grandes

orientations et à des niveaux institutionnels élevés avant d’être mises en

œuvre à partir de structures déconcentrées et décentralisées. Cet

important travail de conceptualisation s’inspire pour l’essentiel de ce

qu’il convient d’appeler « la vision », terme aujourd’hui réduit à sa plus

simple expression.

Le premier dysfonctionnement porte sur l’acception du concept

de « vision » et de la « re-présentation » à laquelle elle renvoie

généralement. Pour rappel, au sens managérial du terme, deux éléments

inséparables d’un binôme composent la « vision ». Elle procède de la

conjugaison intelligente d’un futur désiré (ambitions) et d’un socle

culturel (valeurs et mission) adapté à ce futur désiré (Brilman 2003 : 70).

Du fait de la complexité du processus d’acculturation qui

accompagne toute « vision » et de sa durée relativement longue, les uns

et les autres semblent bien s’accommoder du premier terme du binôme à

savoir le futur désiré (ambitions). Ainsi, le second terme, étant peu ou pas

du tout pris en compte, par son absence ou son caractère non

opérationnel, fait gripper le processus (mission, socle culturel, système

de valeurs) devant permettre la réalisation pertinente, efficiente et

efficace de ce « futur désiré ».

Sous un autre angle, assujettis à des contraintes de délais et de

résultats à présenter à un électorat, certains décideurs politiques ne

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s’attardent nullement sur les obligations du binôme. Etant souvent jugés

sur pièce, ici et maintenant, en fonction des réalisations effectuées durant

leur mandat, ces leaders politiques s’adonnent à un modèle de

management « par à-coups ». Ce dernier semble bien leur convenir eu

égard aux urgences, à ce qui leur paraît prioritaire et à la pression

populaire. Ils subissent ainsi les dures réalités sociales tant et si bien

qu’ils finissent par adopter un pilotage institutionnel informel.

Seulement, s’il faut quelques années pour juger sur pièce un régime au

pouvoir, il n’en faut pas moins d’un quart de siècle pour changer le mode

de comportement et de penser la culture d’un peuple. Car, comme dit

l’économiste britannique John Maynard Keynes dans son ouvrage intitulé

Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (préface de la

première édition anglaise) paru en 1935 et cité par Menard Marc (2004 :

72) « la difficulté n’est pas de comprendre les nouvelles idées, elle est

d’échapper aux idées anciennes ».

Dans le domaine de la culture, les pouvoirs politiques ne font

assurément pas leur ce propos de Keynes et encore moins les principes

modernes de gestion et les grandes fonctions de l’économie (Cohen

2001 : 132).

Comment donner au secteur de la culture une orientation

économique alors que l’environnement social secrète lui-même ses

propres pesanteurs ? Pour preuve, tous ou presque semblent s’accorder

sur le fait que « l’art ne nourrit pas son homme ». N’est-ce pas sur l’art et

sur les artistes - entre autres - que les entreprises et les industries

culturelles comptent s’appuyer pour arriver à un meilleur taux de

croissance économique ? Ce genre de cliché qui hante la conscience

collective des uns et le dysfonctionnement stratégique introduit par les

autres font que le secteur de la culture donne toujours l’impression d’être

piloté à vue.

Ceci expliquant cela, par mégarde, par méprise ou par la

commodité de certains raccourcis, les deux composantes du binôme de la

vision se voient dissociées, sans liens apparents. Ainsi, des

infrastructures culturelles aux coûts très onéreux peuvent être érigées ici

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et là, inaugurées avec faste, sous les feux de la rampe, sans une étude en

amont de leurs formes juridiques, de leurs objets sociaux et des

contraintes liées aux ressources au sens générique, aux modes de

fonctionnement, aux approches organisationnelles et aux modèles

managériaux. Que dire des nombreux projets culturels financés à coups

de millions de francs non remboursables, sans un seul dispositif de

contrôle ?

Malgré les différentes résolutions de telles ou de telles autres

institutions communautaires, les nombreuses conventions internationales,

les apports féconds de la coopération bi ou multilatérales et les études

prospectives nationales sur la culture, beaucoup reste à faire dans la

définition des stratégies de développement du secteur de la culture. De ce

dysfonctionnement stratégique semble procéder un dysfonctionnement

structurel.

Indépendamment des grandes ambitions (futur désiré) qui

consistent à faire du secteur de la culture un important levier de

croissance économique en sus de ses missions traditionnelles, existe-il

des cadres structurés et structurants pouvant servir de passerelles entre

l’offre du « génie du territoire » (local) et la demande du marché des arts

et de la culture (global) ?

2.2. Dysfonctionnement structurel

Dans le document intitulé L’emploi et l’économie du savoir - cas

du Sénégal1, l’Etat du Sénégal a adopté des stratégies qui prennent en

compte le secteur de la culture et qui, à long terme, sont susceptibles de

le hisser au rang des pays dits émergents. Entre autres, la stratégie de

croissance accélérée (SCA) en est une.

Elle intègre les industries culturelles dans l’une de ses cinq

grappes. Les deux objectifs majeurs assignés à la SCA permettent

l’accélération de la croissance économique, la diversification, la

sécurisation et la pérennisation des sources de croissance (dont la

1 TIC dans l’emploi et l’économie du savoir - cas du Sénégal-avril 2007, p. 24 ; Etat du

Sénégal et Commission économique pour l’Afrique CEA.

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culture). Cette vision stratégique s’appuie donc essentiellement sur les

acteurs de développement au rang desquels devraient figurer en bonne

place les professionnels du secteur des arts et de la culture. Y sont-ils

bien préparés au moment où les cadres de la SCA sont en train de

dérouler des formes de clusters riches d’enseignements dans d’autres

domaines d’activités comme l’agriculture ? De plus, les collectivités

locales sont-elles bien outillées afin de pouvoir circonscrire leurs

territoires physiques en territoires culturels (pôles créatifs), labellisés,

attractifs et compétitifs ?

S’il est vrai qu’il existe bel et bien « un futur désiré » et un

potentiel culturel inestimable (classe créative et génie du territoire), le

modèle de structuration administrative ne permet pas d’identifier de

façon nette et précise ce potentiel. Pis, les centres culturels régionaux

sont dans un état de dénuement quasi - général avec des locaux inadaptés,

des équipements obsolètes ou inexistants et un environnement peu

clément. De plus, le peu de ressources humaines dont ils disposent, bien

que très volontaires, ne sont pas suffisamment formées sur les

problématiques liées à l’économie et au management culturels. Certes,

nombre de sortants de l’école nationale des arts de Dakar bénéficient

actuellement de formations complémentaires à l’intérieur comme à

l’extérieur du Sénégal, mais celles-là gagneraient à être orientées tant et

si bien qu’elles répondent aux besoins clairement exprimés dans les

orientations stratégiques.

A cet état de fait, vient s’ajouter l’absence de structures

culturelles dans les départements et dans les communautés rurales ; ce

qui rend encore plus difficile l’identification et la valorisation de tout ce

dont le Sénégal dispose comme génies artistiques et culturels. Dans ces

territoires, la dépréciation à long terme du génie et de tous les fœtus qui

pourraient, lentement mais sûrement, contribuer à l’émergence et à

l’affirmation de classes créatives au service du développement culturel et

économique est inévitable.

Le manque de dispositifs bien structurés, à vocation structurante,

favorise ainsi d’importantes pertes de gisements culturels qui auraient pu

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95

constituer des arguments compétitifs et des avantages concurrentiels en

faveur des missions économiques dévolues à la culture.

De l’avis de nombre d’acteurs au développement, dans certains

domaines d’activités, les territoires font mieux que l’Etat central. Certes !

Mais, le manque de cohérence et de mesures d’accompagnement entre le

pouvoir central et les collectivités locales dans le transfert des

compétences ouvre la voie au dernier élément de la trilogie des

dysfonctionnements, à savoir le dysfonctionnement opérationnel.

2. 3. Dysfonctionnement opérationnel

La culture n’a pas de prix mais elle a un coût. Le coût n’est pas

que financier. Il s’exprime aussi en termes de ressources humaines et

matérielles, de recherches et développement, d’informations, de temps

(disponibilité, phasage, échéancier, périodicité, etc.).

S’il est salutaire de la part d’un Etat d’avoir de réelles ambitions

(futur désiré) dans le domaine de la culture, la mise en œuvre de celles-là

l’est encore plus. Le dysfonctionnement opérationnel est évident et les

raisons peuvent être diverses et variées. Les plus perceptibles procèdent

du fait que les vases communicants qui devraient, en permanence, relier

l’Etat central aux collectivités locales - sur les sujets à caractère

éminemment culturel - sont souvent coupés, si tant est qu’ils existent. Ce

hiatus administratif et institutionnel s’ajoute à l’absence d’une politique

d’accompagnement de ces collectivités locales en matière de ressources

(au sens générique) pour constituer un véritable frein à une bonne mise

en œuvre des politiques de décentralisation. Dans un pays comme le

Sénégal, même si l’Etat est un et indivisible - la nation également -, les

centres culturels régionaux, qui sont des démembrements (structures

déconcentrées) du Ministère en charge de la culture, n’entretiennent

aucune relation de type hiérarchique avec les commissions culturelles des

collectivités locales. La mise en place d’une politique culturelle

concertée avec des ressources à la dimension des ambitions (futur désiré)

aurait permis de rendre moins évident le dysfonctionnement opérationnel.

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96

Indépendamment des questions liées au mode inadapté de

l’organisation administrative et institutionnelle, l’autre difficulté majeure

réside dans le manque de dispositifs logistiques et de compétences

techniques pouvant aider à identifier les gisements culturels (génie) et les

exploiter comme des patrimoines culturels propres à des territoires

(pôles) bien déterminés d’abord et ensuite comme des leviers de

croissance économique (destinés à des marchés nationaux, régionaux et

internationaux).

A défaut de modèles organisationnels concertés, consensuels et

bien élaborés, chaque frange du secteur de la culture, à la manière de

Sisyphe, y va de sa stratégie aux fins d’en tirer le meilleur parti.

La trilogie des dysfonctionnements est une réalité complexe qui

cache l’essentiel des efforts des uns et des autres dans le domaine des

politiques culturelles de manière générale. Si, par le passé, les activités

culturelles étaient encore considérées, dans l’entendement populaire,

comme des activités superflues de prestige et de dilettante, les enjeux de

l’heure devraient interpeller tous les acteurs sans exclusive.

3. Enjeux

Plus actuel que jamais, ce propos du savant sénégalais, Cheikh

Anta Diop, campe avec beaucoup de clairvoyance, les véritables enjeux

de l’art et par ricochet, ceux de la culture : « Quelle que soit sa

signification dans le passé, il (l’art) doit nous aider aujourd’hui à

résoudre les problèmes actuels, à nous adapter aux nouvelles conditions

d’existence. Dans le domaine de la vie politique et sociale sans jamais

renoncer à son idéal d’esthétique, il doit poser les problèmes brûlants de

l’heure1 ».

Abstraction faite de l’idéal esthétique qui est un impératif

catégorique, les enjeux peuvent être situés à plusieurs niveaux. Nous en

retenons principalement trois :

- les enjeux territoriaux ;

1 In Alerte sous les tropiques, Présence Africaine, p. 120.

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- les enjeux économiques ;

- les enjeux liés à la flexibilité du capital humain et au modèle

organisationnel de ce capital.

3.1. Enjeux territoriaux

Lorsqu’il s’agit de faire du secteur de la culture un levier de

croissance économique, il y a lieu de s’imprégner du potentiel de chaque

territoire et de se faire une représentation objective du génie créateur réel.

Nous entendons ici par territoires la région, la ville, le quartier,

l’agglomération, le pôle, l’unité culturelle géographique, etc. Le territoire

est généralement un incubateur de talents de toutes sortes, stratifié en

plusieurs espaces créatifs porteurs (potentiellement bien sûr) de

croissance et de richesses.

L’intérêt de cette approche géographique réside dans le fait que la

concurrence mondiale met de moins en moins aux prises les pays entre

eux. Elle s’opère du local (territoire) vers le global (mondial). C’est grâce

à cette approche géographique de l’économie de la culture traduite par

une forme spécifiée de labellisation et de marketing territorial que des

villes sont devenues d’importants pôles (culturels) d’attraction, de

convergence et de croissance, pourvoyeurs de richesses.

Paris s’est ainsi cristallisé dans la mémoire collective pour sa

mode, Bombay pour son cinéma, Angoulême pour son festival de bande

dessinée, Rotterdam pour ses projets architecturaux, Barcelone pour son

design, Venise pour sa biennale d’art, Montréal pour son cirque du Soleil

et son industrie des jeux vidéo, Ouagadougou pour son FESPACO,

Bamako pour sa biennale de la photographie, etc.

L’exploitation marchande de symboles culturels et de la créativité

artistique participe au développement de ces villes qui, par la force du

génie créatif dont elles regorgent, deviennent des maillons centraux pour

l’économie de leurs pays respectifs.

A l’Afrique et aux Africains de tirer le meilleur profit du génie de

leurs territoires afin d’exercer toute l’attraction nécessaire pour mobiliser

et fidéliser - par la culture - les facteurs de production de richesses et de

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98

croissance. Car l’émergence d’une réelle économie culturelle passe

nécessairement par l’émergence et l’apport fécond de territoires créatifs.

Dans cette logique de concurrence territoriale, la maîtrise de la

ressource artistique et culturelle (génie du territoire) est fondamentale

pour le développement et l’ancrage des arguments concurrentiels et des

avantages compétitifs (Scott et Leriche 2005). Les arts et la culture,

longtemps considérés comme des activités de dilettante, sont ainsi

devenus de véritables leviers de croissance économique pour le

développement local comme en attestent les correspondances du tableau

ci-après.

Villes / Territoires /

Pôles

Options / Arguments concurrentiels / Avantages

compétitifs

Barcelone Design

Paris Gastronomie / Tour Eiffel / Musée du Louvre

New-York Statue de la liberté

Venise Biennale d’art

Sao Paulo Biennale d’art

Angoulême Festival de bandes dessinées

Montréal Jeux vidéo / Cirque du Soleil

Amsterdam Industrie de la publicité

Rotterdam Projets architecturaux

SiliconValley Industrie électronique

Cannes Festival de cinéma

Ouagadougou FESPACO

Bombay Industrie du cinéma

Hollywood Industrie du cinéma

Lagos Industrie du cinéma

Shangaï Festival universel : Meilleure ville ; meilleure vie

Bamako Biennale de photographie

Thiès Festival des Danses sacrées / SARGAL

Marseille Capitale européenne de la culture

Nantes La Folle Journée (Festival de musique classique)

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99

Un tel parti-pris permet d’identifier, de mobiliser et de valoriser

ce que chaque territoire a de spécifique tant au niveau des hommes

(classes créatives) qu’à celui des produits et des services culturels (génie

mobile, immobile, matériel, immatériel).

Indépendamment de la qualité du label culturel mis en valeur par

le territoire de référence (Biennale de la photographie de Bamako au

Mali, par exemple), des œuvres présentées à chaque édition (jouissance

esthétique) et de leur valeur marchande (création de richesses et lutte

contre la pauvreté), l’évènement en lui-même (objet d’attraction et

d’affluence) est un produit composite (package artistique et culturel)

appelé à se reproduire de façon pérenne (régularité) et soumis de fait, à

une logique de régénération permanente (créativité et renouvellement).

Mieux, il est doté d’un capital humain créatif inestimable (possibilités de

réseautage de différentes classes créatives), à même de créer les effets

d’entraînement et les conditions requises pour rendre le territoire

(Bamako) attractif et le transformer à long terme en une zone

économique et culturelle spéciale (territoire labellisé). Ce n’est donc pas

un hasard si, par l’activation de ressorts géographiques de l’économie des

arts et de la culture et par le marketing territorial et la labellisation, des

noms de villes sont devenus de prestigieuses marques d’identités

culturelles reconnues de par le monde. Ainsi, pour faire face à la

concurrence mondiale, des métropoles comme Paris, Amsterdam, New

York, Rotterdam, Venise, São Paulo, le Caire, etc. ont développé des

stratégies d’exploitation marchande de symboles culturels et de la

créativité artistique, esthétique et sémiotique, dans le but de mobiliser, au

profit de leurs territoires respectifs, des arguments concurrentiels et des

avantages compétitifs.

C’est pour dire toute l’importance des enjeux territoriaux qui sont

d’ailleurs étroitement liés aux enjeux économiques.

3.2. Enjeux économiques

Les territoires qui ont réussi à se doter d’un cadre d’échanges

(marché, espaces de convergence) autour d’un label culturel territorial

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100

fort (produits et / ou services) sont en droit d’attendre des retombées

économiques. Selon les opportunités de l’offre et de la demande, il

s’agira de bien œuvrer pour l’identification en amont des différents

acteurs dudit marché ou de ces espaces de convergence, du tracé et de

l’accessibilité du périmètre géographique, de l’effectivité et de la fluidité

des supports technologiques (échanges en ligne), de la spécification des

produits et / ou des services culturels (à mettre en marché ou objets de

convergence), de la périodicité, de la durée et des conditions de

faisabilité. Car, à la suite d’Alain Lefebvre in Economie culturelle et ses

territoires 2008, nous sommes amené à croire que la culture gagnerait à

se présenter comme étant à la fois un output (produit) et un input

(ressource) pouvant fédérer des communautés humaines ayant en partage

un seul et même territoire et se révéler potentiellement active dans

l’identification et la mobilisation de ressources (au sens générique). C’est

à ce prix que les produits et les services culturels de tels ou de tels autres

territoires au Sénégal ou en Afrique parviendront à apporter une

contribution significative dans le taux de croissance des économies

nationales, à l’instar de Paris et de Bombay. Et cela passe

inéluctablement par le capital humain et par des modèles organisationnels

bien adaptés aux territoires.

3.3. Enjeux liés à la flexibilité du capital humain et à

l’organisation

L’enjeu est aussi de créer les conditions qui permettent de

disposer d’un capital humain caractérisé par une flexibilité maximale du

fait des changements intempestifs de l’environnement mondial et de la

nécessité de toujours produire, pour chaque nouveau contexte, un

nouveau modèle organisationnel. Aussi, est-il important de travailler

dans le sens d’une diversification des profils de compétences capables de

prendre la juste mesure de la complexité de l’environnement mondial, du

rapport « global »/« local » et du rôle des artistes et des entreprises

culturelles dans les stratégies de développement local. Seulement, le

génie d’un territoire ne peut éclore de façon optimale que lorsque le

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101

processus créatif qui s’y déploie intègre suffisamment l’identification,

l’implication et l’imbrication de trois niveaux de couches sociales

(Florida 2002, Cohendet et Simon 2008). Il s’agit :

- du niveau de l’individu (performances individuelles) ou

l’ensemble des activités créatives, artistiques et culturelles ayant

lieu en dehors des organisations ou institutions formelles basées

sur la production, la diffusion ou l’exploitation ;

- du niveau des organisations ou des institutions formelles ;

- du niveau des communautés ou du groupe intermédiaire reliant les

deux premiers niveaux.

D’un niveau de couche sociale à l’autre, les rôles diffèrent.

Toutefois, pour les besoins de cohérence et d’efficacité au sein du

processus de conception, de production et d’exploitation des idées

créatives, les trois niveaux se doivent d’entrer en synergie au profit du

développement du même territoire qu’ils ont en partage. Dans ce

dispositif, l’apport des artistes et le dynamisme des entreprises culturelles

sont plus que déterminants en ce qu’ils constituent une somme

importante d’avantages compétitifs et d’arguments concurrentiels au

service du territoire à faire émerger.

Plus qu’un simple choix politique à faire en direction d’une

communauté humaine, c’est tout un processus à construire avec celle-là,

un système de valeurs à partager, une culture à créer à partir d’une

démarche innovante et pour l’émergence de nouveaux comportements et

de nouveaux modes de penser la culture et d’agir. La mobilisation du

capital humain nécessaire à l’émergence de territoires créatifs procède

dès lors d’un véritable processus complexe d’acculturation dans la

mesure où une culture cède la place à une autre. Le pari ne peut être

gagné d’avance si l’on sait que toute innovation est vouée à des forces de

résistances et de conservation. D’où la nécessité de reconsidérer, avec

juste mesure, les véritables contours du type de profil des leaders

transformatifs et le niveau de flexibilité que requiert l’émergence de

territoires créatifs en Afrique.

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102

Pour en arriver à un niveau de conception de politique culturelle

aussi achevé (vision) et à une telle capacité de transformation du capital

humain (classe créative) en agent de développement, il faudrait faire

recours à une bonne culture du benchmarking1.

Les modèles d’inspiration qui sont à même d’impulser une

nouvelle dynamique productive locale, favorable à l’innovation et à la

compétitivité ne manquent pas.

Ici, la ville de Montréal (Canada) a commandité auprès du

chercheur américain Richard Florida et de ses collègues, une étude qui a

apporté plus de lisibilité sur l’existence de liens plus directs entre l’art, la

culture et le développement économique des collectivités territoriales

(Myrtille Roy-Valex in L’Economie Culturelle et ses Territoires). Là, la

ville d’Angoulême, en 1970, a choisi la bande dessinée comme créneau.

Et, malgré le caractère éphémère du festival, la Mairie en fera le point de

départ d’une véritable politique de développement économique en

décidant d’en pérenniser les retombées.

Comparaison n’est peut-être pas raison et Ngaay Mékhé (capitale

des chaussures en cuir au Sénégal) n’est pas Montréal et encore moins

Angoulême. Toutefois, l’esprit qui sous-tend ces deux exemples est à

méditer. Il reflète l’importance de la volonté politique (vision) et le sens

de l’innovation et du risque de la part de leaders transformatifs.

Au Sénégal comme partout ailleurs en Afrique, il est évident que

les territoires regorgent de gisements culturels, mais ceux-là ne sont pas

toujours bien identifiés en tant que potentiels produits ou services

marchands pouvant être mis au service d’une économie locale ou

nationale.

A l’aide de l’outil du benchmarking, les Etats africains pourraient

réaliser d’importants gains (coûts social, financier, matériel, temporel et

informationnel) en expérimentant le modèle organisationnel des clusters

culturels. En effet, les clusters culturels ont l’avantage d’être des

1 Identification des politiques de développement local, d’aspects positifs pouvant être

adaptés et adoptés aux fins d’améliorer de manière importante les performances d’une

fonction, d’un métier ou d’un processus.

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103

périmètres géographiques bien délimités au sein desquels se concentrent

un nombre important de corps de métiers et d’activités à caractère

culturel (pôles culturels et classes créatives) avec un système de

traitement de l’information bien articulé (par pression et par aspiration) et

une option d’orientation vers le marché susceptible de générer de grandes

performances commerciales.

A long terme, avec l’implication des Etats et des collectivités

locales, ces clusters finiront par traduire l’expression d’une vision

commune et d’une communauté d’intérêt culturel et économique.

Sans avoir la prétention de proposer un modèle type de cluster

culturel, nous présentons en annexe et sous forme de schémas, un type

de modèle organisationnel d’une zone culturelle spéciale à vocation

économique à Thiès au Sénégal, ville carrefour, modèle conçu à partir

des concepts de « cluster » et de « territoire ».

Conclusion

En conclusion, il est important de rappeler qu’en Afrique, comme

partout ailleurs dans le monde, aucun projet de développement ne peut

prospérer si le paradigme culturel (spécificités territoriales) n’est pas

placé au cœur des stratégies à mettre en place. L’émergence de territoires

créatifs ne peut procéder que de la volonté des Etats centraux. Celle-là se

traduit naturellement dans la définition des axes prioritaires de politiques

culturelles, les modèles organisationnels, la mise en place des

infrastructures, l’assainissement de l’environnement générique des arts et

de la culture, la formation, la mobilisation de fonds, l’appui aux

initiatives privées et une politique cohérente de décentralisation.

A cet effet, l’adoption d’une nouvelle démarche créative des

politiques publiques de développement est d’une extrême urgence. Elle

permet de donner du sens et de la valeur au génie de chaque territoire et

de poser, partout où besoin est, les conditions nécessaires à l’émergence

de nouvelles classes créatives, agents de développement et porteuses de

richesses.

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104

Partant du génie des territoires et des identités locales

(patrimoines culturels), l’Afrique deviendra un consortium de clusters

culturels spécifiques (zones culturelles spéciales), et de bassins

d’activités et d’expressions créatrices, dynamiques, génératrices de

richesses, d’équité, de qualité de vie et de bien-être social.

Bibliographie sélective

Armstrong C. et al, 1990 : Groupes, Mouvements, Tendances de l’Art

Contemporain depuis 1945, Paris, Ecole Nationale Supérieure des

Beaux-Arts, 187 p.

Bloche P. et al, 2002 : La Culture quand même ! Turin, Canale & SPA,

158 p.

Bollinger D. et al, 1987 : Les différences culturelles dans le management,

Comment chaque pays gère-t-il ses hommes ?, Paris, Les Editions

d’Organisation, 268 p.

Brilman J., 2003 : Les Meilleures pratiques de Management, Paris, Les

Editions d’Organisation, 550 p.

Cohen E., 2001 : Dictionnaire de Gestion, Paris, La Découverte, 132 p.

Cohendet et Simon 2008 : « Les Villes créatives : Une comparaison

Barcelone – Montréal », in Management International, Volume 3,

Numéro spécial sur les Villes créatives.

Colbert F., 2000 : Le Marketing des arts et de la Culture, Québec, Gaetan

Morin éditeur, 317 p.

Commission européenne pour l’Afrique, 2007 : L’emploi et l’économie

du savoir en Afrique : cas du Sénégal, 24 p.

Diop C. A, 1990 : Alerte sous les tropiques, Paris, Présence

Africaine, 150 p.

Florida R., 2002 : « The Rise of the Creative Class », in Management

International, Volume 3, Numéro spécial sur les Villes créatives.

Gotteland D, 2005 : L’orientation marché, Editions d’Organisation, 187

p.

Kossou B. et al, 1985 : La dimension culturelle du développement,

Collection CAURIS NEA/UNESCO, 176 p.

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105

Lefebvre A., 2008 : Economie culturelle et ses territoires, Toulouse,

Presses Universitaires du Mirail, 381 p

Management International, 2009 : Volume 3, Numéro spécial sur les

Villes créatives, 173 p.

Menard M., 2004 : Eléments pour une économie des industries

culturelles, Québec, SODEC, 167 p.

OIF., 2004 : Les Industries Culturelles des Pays du Sud Enjeux du Projet

de Convention Internationale sur la Diversité Culturelle, AIF, 79 p.

Predal R., 1988 : La Critique Des Spectacles, Paris, CFPJ, 125 p.

Ramonet I. et alli., 2001 : « La culture à l’ère de l’Internet », in Manière

de voir, n° 57, 98 p.

Regourd S., 2002 : L’Exception Culturelle, Paris, Puf, 127 p.

Sanchez J. C. et al. 1983 : La Culture clé du Développement, Paris,

Harmattan, 265 p.

Scott et Leriche 2005 : 2008 Economie culturelle et ses territoires,

Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 20 p.

UNESCO, 2000 : Culture, Commerce et Mondialisation, Paris, Editions

UNESCO, 79 p.

Warnier J. P., 1999 : La Mondialisation de la Culture, Paris, Editions La

Découverte, 185 p.

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106

Annexes

26/01/2012 11:59 Espace Ombres et Lumières

E.O.L.

SUP DECO

IMMACULE CONCEPTION

GARE ROUTIERE

CASERNE DES SAPEURS POMPIERS

MARINE FRANCAISE

CERCLE MESS

DES OFFICIERS

HOTEL FAIDHERBE INTENDANCE MILITAIRE

2S TV

EIFFAGE

PATISEN

SOBOA

SUNEOR

PUBLICS COMPOSITES ET ESPACES INFORMELS

ENVIRONNEMENT DU PARC CULTUREL

PARC CULTUREL

INSTITUTIONS BANCAIRES

DAKARNAVEILE DE GOREE

CENTRE COMMERCIAL DU PORT

HOTEL DE VILLE

EMBARCADERE

Ce schéma présente quelques unes des nombreuses structures qui

gravitent autour du Parc culturel de Dakar au Sénégal et qui sont des

niches à explorer à des fins de performances commerciales dans le cadre

de l’orientation marché. La liste des structures n’est pas exhaustive.

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107

Modèle organisationnel du parc culturel

Ce modèle présente le Parc culturel sous forme de cluster culturel. Il a

pour but de regrouper dans un même périmètre géographique un aspect

représentatif du génie d’un territoire. Il a l’avantage de rendre beaucoup

plus rationnel – avec une flexibilité maximale - le management général

de plusieurs structures, évoluant sur le même territoire et ayant la même

vision et les mêmes intérêts.

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108

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109

DISCOURS ET RESPONSABILITE DE LA PRESSE

D’INFORMATIONS GENERALES DANS LA CRISE

POSTELECTORALE EN COTE D’IVOIRE

ATCHOUA N’Guessan Julien

UFR Information communication et arts (UFRICA)

Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan

E-mail : [email protected]

Résumé

Comme d’autres observations, cette étude est une interrogation sur

le rôle de la presse dans la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Plongés,

en effet, dans des contradictions multiples à l’instar des hommes

politiques dont ils relaient les discours, les quotidiens d’informations

générales apparaissent comme l’un des principaux acteurs de cette crise

postélectorale même si chaque ivoirien y a joué sa partition. La

dynamique conflictuelle s’est donc mise en place de manière progressive

dans une période sociopolitique et économique où la problématique de la

régulation des discours politiques de la presse appelle à une réflexion

permanente.

Notre étude doit permettre d’amener les décideurs, les acteurs

politiques ivoiriens et les professionnels des médias à une prise de

conscience de l’état de la presse en Côte d’Ivoire et des enjeux

sociopolitiques qu’elle incarne.

Mots clés : Presse ivoirienne, discours politique, crise

postélectorale, jeu démocratique, responsabilité.

Introduction

Dans les sociétés dites démocratiques, le temps des élections

constitue un moment particulier où s’exerce le rôle des organes de presse.

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110

Les informations éventuellement contradictoires qu'ils diffusent

contribuent à augmenter les connaissances des citoyens sur les différents

programmes de gouvernement des candidats en lice et les choix

électoraux des citoyens. En d’autres termes « la presse contribue à

l’élaboration du contexte dans lequel et à partir duquel se forme la pensée

du citoyen » (Schudson 2001 : 22).

Cependant, force est de reconnaître que dans la réalité, la presse a

toujours été perçue, que ce soit par les propriétaires, par les journalistes

ou par le public, comme un moyen pour peser sur les décisions, un mode

d’influence ou comme un instrument transparent de délibération

collective (Diégou 1996, Zio 2001, Cabral 2009).

Le cas ivoirien en est une parfaite illustration. La presse ivoirienne

est certes fondamentale dans la conquête du pouvoir d’Etat, mais, le plus

souvent, le rôle qu’elle joue n’est pas à la mesure des enjeux d’une

élection apaisée. De dérapages en dérives, elle se décrédibilise aux yeux

des Ivoiriens qui lui reprochent son manque d’indépendance,

d’impartialité, ses erreurs professionnelles (Zio 2005, Théroux-Bénoni et

Bahi 2008, Théroux-Bénoni 2009).

La presse exerce donc une responsabilité accrue de nos jours face à

des citoyens devenus plus autonomes, plus libres de leurs choix et plus

changeants, et qui ont cependant besoin d’elle pour comprendre et

décrypter un monde complexe. Le système politique et social tout entier

semble, de ce fait, chavirer et s’abandonner à la facilité du jeu

médiatique. Il est donc temps de réagir, de comprendre ce qui se passe, et

de trouver des solutions durables au nécessaire débat citoyen sur le rôle

de la presse dans nos sociétés.

Aujourd’hui, comme l’écrit Kotoudi (2004 : 1), on se pose

beaucoup de questions sur la rapide descente aux enfers que connaît la

Côte d’Ivoire, sur cette image pâlie, sur cette icône brisée de « pays de la

paix ». On s’interroge également, poursuit-il, sur l’avenir de cet Etat, hier

construit autour « d’identités convergentes », et qui aujourd’hui se détruit

dans ses multiples contradictions politiques. Un peu partout dans les

démocraties émergentes également, la mise en place d’un processus

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démocratique à conduit à des heurts politiques qui ont le plus souvent fait

de nombreuses victimes. Cette crise ivoirienne a donc ses antécédents

politiques, économiques, culturels et sociaux qui se sont sédimentés au fil

du temps pour connaître une explosion soudaine et violente montrant

ainsi que « quand elle brillait de ses succès économiques et de sa stabilité

politique, la médaille avait un revers moins reluisant » et « là où

l’engrenage a pu être stoppé à temps, la machine ivoirienne, elle, s’est

emballée » (Kotoudi 2004 : 1).

En Côte d’Ivoire, plus spécifiquement, les tensions politiques,

économiques et ethniques qui se sont cumulées en 2002, ont violemment

fait irruption à la veille, pendant et au lendemain de l’élection

présidentielle de fin 2010 ; élection dont la légitimité a été sérieusement

compromise par l’installation de deux Présidents à la tête du pays au

second tour de cette élection : ce sont les candidats Laurent Gbagbo,

proclamé par le Conseil constitutionnel ivoirien et Alassane Ouattara, par

la Commission Electorale Indépendante (CEI) et reconnu par la

Communauté internationale. Cette situation politique à relent bicéphaliste

au sommet de l’Etat a installé une crise postélectorale sans précédent en

Côte d’Ivoire. Les journaux ivoiriens et les discours politiques qu’ils

relaient ou construisent, n’ont-ils pas contribué à mettre « le feu » aux

sentiments populaires d’insécurité dans cette période d’exacerbation de la

crise ? Quelle est donc la part de responsabilité de la presse dans la crise

postélectorale en Côte d’Ivoire ? Quels types de discours et de médiation

a-t-elle construit entre le citoyen et le politique en cette période de crise ?

En réponse à ces préoccupations, ce travail se propose d’atteindre

l’objectif de déterminer le niveau d’implication de la presse ivoirienne

dans la crise postélectorale de décembre 2010 à avril 2011. La démarche

méthodologique adoptée, dans ce sens, a été celle de faire l’analyse de

contenu thématique et qualitative d’un corpus significatif de discours

politiques des quotidiens d’informations générales avant et pendant la

manifestation de la crise postélectorale ainsi que des interviews réalisées

(dans le cadre de la présente recherche) auprès de personnalités

politiques et de professionnels des médias. A cette méthode d’analyse de

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contenu, nous avons adjoint la « grille de lecture » aux neuf (9) points1 de

l'Observatoire de la liberté de la presse, de l'éthique et de la déontologie

(OLPED) qui permet, selon cette structure nationale d’autorégulation des

médias, de juger des manquements à l'éthique et à la déontologie de la

presse (Zio 2001 : 14-18). Il s’est agi également, en amont de cette

démarche méthodologique, de faire l’état de la question des travaux de

recherche, des conférences, des ateliers et autres littératures sur le rôle de

la presse en période de crise.

Sur le plan théorique, notre étude met en relief l’épineuse question

des « effets idéologiques » des médias où, selon Theodore Adorno et

Max Horkheimer de l’école de francfort (Sacriste 2007 : 309), de part

leur environnement culturel et politique, les médias ont un rôle

idéologique. Ils renforcent l’ordre établi et légitiment les rapports sociaux

existants. En outre, « La spirale du silence » de Noëlle Neumann dans la

conclusion que les médias sont des distributeurs d’opinions légitimes et

1 Ce sont : 1. L’injure : définie comme une offense grave, une parole blessante,

grossière, une expression outrageante sans imputation de fait ; 2. L'incitation à la révolte

et à la violence : Ce sont les écrits guerriers qui créent les conditions favorables à un surcroît de tensions, d'incompréhension et d'affrontements physiques ; 3. L'incitation au

tribalisme et à la xénophobie : par de petits calculs mercantiles, des quotidiens jouent

sur la fibre tribaliste et xénophobe, en opposant les tribus les unes aux autres, et en

reprenant la thèse de l'étranger envahisseur à leur compte ; 4. L’incitation au fanatisme

religieux : les écrits qui encouragent des pratiques qui, au nom de la religion,

n'admettent aucune contradiction, ne supportent pas d'autres pratiques religieuses et

tiennent toute autre forme de foi pour l'œuvre de Satan qui doit être combattu par

l'’invocation, sur lui, des malédictions divines, et même par la guerre ; 5. Le non-respect

de l'équilibre dans le traitement de l'information : l'exigence de l'équilibre de

l'information réduisait les risques de partis-pris, de traitement partiel et partial de

l'information ; 6. Le non-respect de l'esprit de confraternité : la non observation du

climat d'entente, de fraternité, d'amitié et de respect mutuel entre différentes rédactions d'une part et entre les rédacteurs d’autre part. 7. L'incitation à la débauche : faire la

promotion de tous les travers sexuels et même de ce qui peut être considéré comme un

crime en la matière : voyeurisme, inceste, viol, etc.) ; 8. L'atteinte aux bonnes mœurs et

à la morale : ce point de la grille de lecture se distingue par le fait qu'il ne constitue pas

un appel à commettre un acte considéré comme un crime ou un travers sexuel. Il reste

que la frontière entre ces deux points de la grille de lecture est ténue. 9. L’atteinte à la

dignité humaine : la publication de photos particulièrement choquantes pour illustrer des

faits divers.

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limitent le sens critique des individus (Rieffel 2005) est, dans cette étude,

une théorie complémentaire à la précédente. Ces théories qui nous sont

utiles dans nos analyses sur les discours de la presse en période de crise

rééditent toute l’hypothèse que les médias influencent le comportement

des individus. Quelle fut donc la part de responsabilité des médias

ivoiriens, et pour le cas qui nous concerne ici, de la presse dans la crise

postélectorale qu’à connue le pays sur la période de décembre 2010 à

avril 2011 ?

Cette étude doit permettre, en plus de présenter des résultats

d’analyses, de réitérer les incessants appels à la responsabilité, « au

désarmement des plumes » et au professionnalisme des médias et de

mûrir davantage l’idée de la nécessité et de l’urgence de l’éducation des

populations aux médias dans ce cycle de réconciliation nationale entamée

par les autorités ivoiriennes. La démarche méthodologique nous amène,

pour l’heure, à présenter les résultats de nos analyses tels que structurés

ci-dessous.

1. La presse ivoirienne d’avant l’indépendance : un media du

colon et de l’élite africaine

L’histoire de l’avènement de la presse en Côte d’Ivoire peut être

étudiée sous deux angles : la presse de l’époque coloniale et celle de la

période postcoloniale. Sous l’angle colonial, notons, selon des archives

de l’Agence ivoirienne de presse (AIP) et de l’Edipress en Côte d’Ivoire,

que le journal La Côte d’Ivoire né à Grand-Bassam (une province de la

ville d’Abidjan) au début des années 19001 est considéré comme le

1 Le premier journal ivoirien appelé La Côte d’Ivoire, serait né à Grand-Bassam (une province de la ville d’Abidjan) au début des années 1900, sur l’initiative du Français

Charles Ostench, celui-là même qui, le 11 septembre 1910, représentait la presse à

l’inauguration officielle de la gare ferroviaire de Dimbokro, une ville du centre de la

Côte d’Ivoire. Une thèse situe sans autres précisions, la naissance du journal « La Côte

d’Ivoire » en 1906. Cette affirmation a pu d’ailleurs être vérifiée grâce à un exemplaire

du journal, datant de 1913, et portant la mention « septième année ». Cet exemplaire

dédicacé par Charles Ostench lui-même a été présenté du 16 au 30 mai 1983 au Centre

culturel français d’Abidjan dans une exposition consacrée à la presse francophone.

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premier titre édité en terre ivoirienne sous la colonisation. Plus

globalement, la presse était animée par les colons (planteurs,

commerçants, fonctionnaires) et parfois par les mouvements politiques

comme le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA, ex-parti

unique). L’ère coloniale a donc connu un nombre relativement élevé de

publications. Des titres comme France Afrique (1934), Africa (1946),

Kpatchibo (1946), La Vérité, Abidjan Matin (1951-1964), Fraternité

Matin (depuis 1957), etc. ont marqué cette presse coloniale. Les

recherches menées çà et là par les professionnels des médias et par des

universitaires révèlent en effet qu’entre 1895 et 1960 plus de quarante

titres ont vu le jour en Côte d’Ivoire. La plupart de ces publications

appartenait aux colons. Cette presse ivoirienne de l’époque coloniale était

avant tout une presse d’opinion et partisane qui soutenait les intérêts

coloniaux (pour la presse proche des colons) et les intérêts politiques des

élites africaines (pour les journaux qui leur étaient proches). Ces

publications se caractérisaient, en outre, par une parution intermittente et

une existence souvent de courte durée. Cette presse de l’ère coloniale,

presse d’opinion à parution irrégulière, pouvait difficilement survivre à la

décolonisation qui marque un changement de contexte politique et fait

apparaître de nouveaux défis. L’avènement de la presse postcoloniale

s’amorçait, quant à elle, dès 1959 avant de réapparaître plus ou moins

diversifiée à partir de la proclamation du multipartisme en 1990. La

presse ivoirienne d’avant l’indépendance apparaît en définitive comme

l’affaire d’une minorité privilégiée, reflétant les conflits d’intérêt et les

luttes politiques.

Il faut indiquer qu’au lendemain des indépendances en Afrique,

c’est la loi de 1960 qui va régir le monde de la presse en Côte d’Ivoire.

Cette période est, comme dans beaucoup de pays africains nouvellement

indépendants, marquée par l’absence d’une presse critique à l’égard du

régime en place. La seule presse présente servait l’intérêt du régime en

place incarné en Côte d’Ivoire par le PDCI-RDA. C’est en effet, le

(Sources : les archives de l’Agence ivoirienne de presse (AIP) et de l’Edipress en Côte

d’Ivoire).

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quotidien progouvernemental Fraternité Matin qui, durant plusieurs

années, a occupé seul le marché de la presse ivoirienne servant ainsi de

relais à une seule opinion : celle du pouvoir en place. La liberté

d’expression était donc absente en Côte d’Ivoire. Ce monopole voulu par

les autorités de l’époque va s’estomper en 1990 avec la transition vers la

démocratie1.

2. La presse ivoirienne à l’heure de la démocratie : le

« printemps de la presse » et les affinités politiques

Depuis 1990, l’avènement du multipartisme a installé en Côte

d’Ivoire une ère nouvelle de liberté d’expression et de diffusion des idées

et des opinions politiques. Mieux, des discours politiques nouveaux sont

apparus comme s’opposer à ceux qui étaient servis jusque-là aux

citoyens. Puis, à la multiplication des partis politiques, s’est profilée

également une évolution dans le domaine médiatique où, à côté de la

presse étatique, va naître une floraison de titres de journaux et

d’entreprises de presse. Le processus de démocratisation de 1990 a

entraîné, en d’autres termes, des mutations profondes tant sur le plan

politique que dans le paysage médiatique. On parle même de « printemps

de la presse » en Côte d’Ivoire (Dan Moussa et Berthod 2007) qui se

caractérise par la prolifération des publications indépendantes, d’ailleurs

très critiques à l’égard du pouvoir en place qui aura de ce fait perdu le

monopole du marché de la presse. Ce sont plus d’une centaine de

journaux qui verront le jour. La plupart de ces publications vont

cependant disparaître des kiosques à journaux après seulement quelques

mois d’apparition sur le marché. Ceux qui continueront de paraître

devront faire face à l’adversité des autorités de l’époque encore hostiles

aux critiques exigées par les principes de la nouvelle donne politique en

cours.

1 Par exemple, entre 1990 et 1996, on a enregistré 187 publications. Du 1er janvier au 31

décembre 2009, le Conseil national de la presse a enregistré cent trois (103) titres de

journaux sur le marché contre cent deux (102) en 2008 et quatre-vingt (80) en 2007.

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Au niveau de leur caractéristique, il est à noter qu’il existe

plusieurs catégories de journaux en Côte d’Ivoire. Ce sont : les journaux

d’informations générales, les journaux de divertissement, les journaux de

sport, les journaux people, etc. Les journaux dits d’informations

générales sont pour la plupart des journaux officiels des partis politiques.

Ceux-ci véhiculent les idéaux de leur parti à leurs lecteurs. Par exemple,

Le Nouveau Réveil est le journal du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire

(PDCI), Le Patriote appartient au Rassemblement des républicains

(RDR), Notre Voie est l’organe du Front populaire ivoirien (FPI). En

dehors de ces journaux officiels des partis politiques, on note un certain

nombre de journaux dits indépendants mais qui en réalité se sont affiliés

aux partis politiques et en ont épousé les couleurs. On a ainsi les

journaux « verts » qui paraissent sous les couleurs du PDCI, les journaux

« bleus » pour indiquer ceux qui appartiennent au FPI, les journaux

« rouges » pour le RDR. A côté de ces journaux, il y a Fraternité Matin

qui est l’organe de l’Etat de Côte d’Ivoire. Enfin, la dernière catégorie de

journaux d’informations générales qu’on peut relever sont les journaux

comme L’Inter et Soir Info qui n’appartiennent ni à des partis ni affiliés à

ceux-ci.

En somme, de 1990 à nos jours, la presse ivoirienne s’est enrichie

au niveau des titres qui passent de quatre (4) à plus d’une centaine de

quotidiens et de périodiques. La plupart de ces supports médiatiques de la

presse ne paraissent plus. Une liste des journaux portant sur la période de

2000 à 2005, à l’occasion d’une étude en 2005 sur la formation des

journalistes fait une illustration de cette situation des journaux ivoiriens

que nous rapportons comme suit :

1 Frat-Mat (P1) 15 24 Heures (P) 29 Verdict Populaire

(P)

2 Notre Voie (P) 16 L’Intelligent (P) 30 Prestige (P)

3 L’Inter (P) 17 Le Courrier (P) 31 Progrès (A)

4 Soir Info (P) 18 National Plus (A) 32 Bûcheron (A)

1 L’indication (P), signifie présent sur le marché.

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5 Patriote (P) 19 Toujours (A) 33 L’Essor (P)

6 N. Réveil3 (P) 20 Go Magazine (P) 34 Le Libéral (A)

7 Le Jour Plus (P) 21 Le Sport (P) 35 Aiglon (P)

8 L’Evènement (P) 22 Top Visage (P) 36 Mimos (P)

9 Echos- Matin (A1) 23 Déclic (P) 37 Foot (A)

10 Nord-Sud (P) 24 Gbich ! (P) 38 Crapouillot (P)

11 Le Temps (P) 25 Elite Actuelle (P) 39 Mousso (P)

12 D. Heure (A) 26 Le Matin

d’Abidjan (P)

40 Dagbê (P)

13 DNA (P) 27 Le Journal des

Journaux (P)

41 Le Repère (A)

14 Le Front (P) 28 Monde des Stars

(P)

42 Le Reflet (A)

Source : Zio (2007 : 13-14).

La presse ivoirienne s’est, en quelque sorte, diversifiée et se

compose de la presse d’Etat ou pro-gouvernementale, de la presse

d’opinion (qu’on pourrait présenter comme une presse « inféodée aux

partis politiques »), de la presse relativement « neutre » et de la presse

spécialisée. L’univers de la presse spécialisée est constitué des journaux

qui traitent des thèmes spécifiques liés à l’actualité sportive, religieuse,

économique, à la vie des stars, à la mode et autres2. Quant à la presse

quotidienne d’Etat, elle ne s’est pas enrichie en nombre malgré quelques

tentatives infructueuses de palier ce déficit. C’est Fraternité Matin qui

demeure le seul quotidien d’Etat sur le marché. La mission de Fraternité

Matin comme sous le parti unique n’a pas varié. Il est toujours un organe

pro-gouvernemental. Il se met au-dessus des batailles d’intérêt des partis

politiques pour se consacrer à la promotion des actions des gouvernants.

1 L’indication (A), signifie absent ou ne paraît plus sur le marché. 2 Par exemple l’actualité sportive est traitée par des journaux comme Le Sport, Elite

Actuelle, Le match, etc. ; l’actualité économique par La tribune des marchés publics, La

tribune de l’économie, Le nouveau navire, Au travail, etc. ; l’actualité religieuse par

Islam Info.

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La presse quotidienne d’opinion occupe la plus importante part du

marché et se classe en deux grandes catégories : d’un côté, la presse

proche du parti au pouvoir ou appartenant à celui-ci et d’un autre côté, la

presse appartenant aux partis de l’opposition ou proches de l’opposition.

Cette presse représente à elle seule 80% de part de marché. La presse

neutre est celle qui se situe à équidistance des partis politiques mais

également du pouvoir en place. Les positions de la presse « neutre » ne

sont pas linéaires. Elle rame à contre-courant des tendances politiques en

Côte d’Ivoire. On la verra tirer à boulets rouges tantôt sur le parti au

pouvoir tantôt sur les partis d’opposition. Imprévisible, la presse

« neutre » ou plus expressivement apolitique (c’est-à-dire non attachée à

une chapelle politique) est la propriété d’hommes d’affaires dont elle

défend surtout les intérêts. Aujourd’hui, deux quotidiens peuvent être

retenus comme faisant partie de la presse relativement « neutre » ou

apolitique en Côte d’Ivoire : les quotidiens Soir’ Info et L’Inter du

groupe Olympe.

En somme, comme les médias dans leur ensemble, la presse

ivoirienne à une mission d’information dans l’espace public. Et telle que

le précise Tarde (Sacriste 2007 : 281), la presse à une influence

« indéniable » sur l’opinion publique ; un public apparemment « cultivé

et critique » (comparativement à la foule) des journaux qui diffusent des

opinions orientées et qui suscitent, de fait, de nombreuses conversations.

Quelle a donc été la mission de la presse d’information générale

dans la crise qu’à connue la Côte d’Ivoire aux heures de la proclamation

des résultats de la présidentielle de 2010 à celle de la chute de Laurent

Gbagbo en avril 2011 ?

3. Missions et discours politiques de la presse en Côte d’Ivoire

3.1. Les missions de la presse : une tradition perpétuée pendant

la crise postélectorale

Selon Stœtzel (1973 : 277), « la presse est une institution sociale,

un trait culturel intégré à un certain type de civilisation (…). La presse

est un instrument parmi d’autres du système de régulation ». En d’autres

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termes, la presse joue un rôle de grande importance dans la société. Bien

qu’elle tienne compte des contraintes financières, la presse est avant tout

une « place publique », une agora, un service à la collectivité où l’on

retrouve tout ce que les journalistes estiment important pour la société et

pour ses membres. La presse joue, à l’égard de la société, plusieurs

fonctions qui sont : informer, renseigner, prendre position, divertir,

mobiliser et instruire.

Leclerc et alli. (1991 : 6-16) identifient, pour leur part, six (6)

fonctions de la presse. Elle informe car elle nous tient au courant des

événements importants pour la collectivité. La presse rapporte les

derniers développements d’une guerre, les résultats d’une élection, etc. la

fonction d’information est celle qui parait la plus évidente aux yeux des

gens. Selon toujours ces auteurs, la presse renseigne en offrant à chacun

ce qu’il recherche ou tente de faire. Par exemple, au consommateur, elle

annonce les prix, les soldes ; au travailleur ou à celui qui est à la

recherche d’un emploi, les offres d’emploi, à l’entrepreneur, elle

explique la situation économique, la naissance de nouveaux marchés. En

outre, la presse prend position sur des sujets et des évènements qui

marquent l’actualité ; cela à travers les éditoriaux ou par le biais

d’articles confiés à des spécialistes. C’est en cela qu’elle joue le rôle

d’analyste et suscite la réflexion. De plus, la presse mobilise. Elle

participe à développer, chez le lecteur, un sentiment d’appartenance à

une collectivité, à une famille politique en lui faisant partager le destin de

sa collectivité ou de son parti. Par ailleurs, poursuivent Leclerc et alli.

(1991 : 6-16), la presse tout comme les autres médias dits traditionnels

remplissent une quatrième fonction qui est celle de divertir (sourire du

jour, feuilleton, mots croisés, etc.). De même, la presse instruit car elle

remplit un rôle éducatif quand elle sert, en quelque sorte, de centre de

documentation.

Aussi, eu égard au fait que la presse développe en profondeur les

sujets, elle satisfait la curiosité du lecteur qui veut savoir plus sur un sujet

qui constitue son centre d’intérêt. Dix (10) ans auparavant, en 1989 donc,

Bergdhahl écrivait que « l’information est devenue une ressource

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tellement précieuse que le destin des nations modernes est lié à leur

capacité de la développer et de l’exploiter1 ». En d’autres termes, notre

vision de la vie politique, économique, sociale et culturelle semble être

façonnée voire conditionnée par l’information que nous consommons à

travers les médias de manière générale et précisément à travers la presse

quotidienne (Esquenazi 2002).

Comme pour préciser ce rôle fondamental de la presse dans le

contexte politique ivoirien, pour le ministre ivoirien de la communication

Koné Ibrahim (2008), dans son intervention sur le thème « l’information

en période électorale : engagement des politiques et des journalistes », de

nombreuses enquêtes révèlent, à l’occasion des campagnes électorales,

que c’est à travers la communication des médias ou des politiques dans

les médias que les citoyens se font une idée plus claire des enjeux de la

vie politique de leur pays (les messages politiques, les problèmes qui

suscitent des oppositions ou manifestations politiques, etc.) ainsi que des

thèmes autour desquels s’organisent les compétitions électorales.

La presse ivoirienne est, pour ainsi dire, appelée à jouer un rôle

permanent de médiation entre le système politique et l’ensemble des

citoyens.

On le voit bien, ailleurs comme en Côte d’Ivoire, la communication

politique moderne tend à confier aux médias, soutient Koné Ibrahim

(2008), un rôle essentiel dans la sélection des enjeux autour desquels doit

tourner le débat de la société politique. En lui assurant son rythme et en

ponctuant ses moments clés, la presse donne de plus en plus le ton de la

vie politique dans la société ivoirienne. Par exemple, les grands débats

radiodiffusés ou télévisés comme « Face aux électeurs », organisés par la

Radio télévision ivoirienne (RTI) au premier et au second tour de la

présidentielle de 2010 et rapportés ou commentés par les quotidiens

d’informations générales comme Fraternité Matin, Soir Info, Le Patriote,

Notre Voie, etc. ont constitué des moments clés de cette période de la vie

politique en Côte d’Ivoire. De part leur position de médias attachés aux

1 www.adadb.bj.refer.org/spip.php?article23, consulté le 14 juin 2011.

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partis politiques, du moins pour une grande partie d’entre eux, les

organes de la presse ivoirienne se sont faits les échos des discours

politiques tantôt d’apaisement (les appels à discussion pour trouver une

issue favorable aux conflits qui ont opposé les acteurs politiques par

exemple) tantôt des discours les plus « guerriers » d’appel à la

confrontation civile et militaire. Ainsi sur le plan des cas de discours

d’apaisement, les lecteurs de la presse ivoirienne ont pu s’enquérir des

titres comme « Le chef de l’Etat rassure les Atchans : il n’y aura pas de

guerre1 », « Alphonse Djédjé Mady : Engageons le combat pacifique

2

« Présidentielle, le RHDP lance son programme commun de

gouvernement3 », « Les ivoiriens aux urnes, la fête ou le Chaos ?

Guillaume Soro veut un scrutin apaisé4 ».

Sur le plan des discours d’appel à la belligérance, des citoyens ont

pu lire, sur les journaux, des titres comme « Départ de Gbagbo/Toutes les

voies de diplomaties épuisées, il ne reste que la force, appel de Soro à la

communauté internationale5 », « Alassane Dramane Ouattara, le père de

la rébellion, un témoignage exclusif6». Tous ces écrits de la presse ont,

pour la plupart, pour sources des discours politiques, voire même des

discours de la « rue » véhiculés sous la forme de rumeurs et qui sont

relayés par celles-ci. Ces publications sont diffusées en dépit des

recommandations conjointes du Conseil national de la communication

audiovisuelle (CNCA), du Conseil national de la presse (CNP) et de la

Commission électorale indépendante (CEI) au séminaire-atelier sur la

couverture médiatique des élections en Côte d’Ivoire. Ce séminaire-

atelier qui s’est soldé par l’élaboration d’un guide de la couverture

médiatique des élections en Côte d’Ivoire stipule, en ses articles 8 et 9,

que « Le professionnel de la presse doit respecter les droits et devoirs

fondamentaux du métier de journaliste tels que prévus par le code de

1 Notre Voie, n°3753 du vendredi 10 décembre 2010, p. 1. 2 Le Patriote, n° 3347 du mercredi 15 décembre 2010, p. 1. 3 Fraternité Matin, n° 13784 du mardi 19 octobre 2010, p. 1. 4 Nord Sud, n° 1637 du samedi 30 octobre au 1er novembre 2010, p. 1. 5 Le patriote, n°3352 du jeudi 23 décembre 2010, p. 1. 6 Notre Voie, n° 3741 du vendredi 26 novembre 2010, p. 4.

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déontologie du journaliste et la loi n° 2004-643 du 14 décembre, portant

régime juridique de la presse. Selon cette même disposition, le

professionnel de la presse doit « s’abstenir de publier des propos et de

faire des commentaires susceptibles de jeter le trouble dans l’opinion

nationale et d’envenimer le climat social1 ».

Ainsi, comme à la présidentielle togolaise du 4 mars 2010 où des

recommandations ont été faites à la presse sur la nécessité du respect du

code de bonne conduite des médias ; de l’abstention à l’incitation et à la

violence ; de la promotion des idéaux de paix et de démocratie; de la

recherche du bon ton2 » par les organisations de la société civile (OSC) et

la Communauté économique des Etat de l’Afrique de l’Ouest

(CEDEAO), les médias ivoiriens ont été également sensibilisés sur les

enjeux de leur mission.

Cette option de la presse d’information générale à outrepasser ces

recommandations et autres règles élémentaires de l’éthique et de la

déontologie des médias pour accompagner les politiques dans la

confrontation fratricide a laissé couver « un espace public déstructuré »

(Kabran 2007 : 228) où le climat social est apparu comme hanté par la

perversion du discours politique construit par les adversaires politiques

du second tour de la présidentielle ivoirienne de 2010 et leurs soutiens

respectifs. La presse aura ainsi contribué à pervertir l’espace public

ivoirien en pleine convulsion politique en y instaurant des incertitudes

par la construction de discours politiques partisans. La presse est de ce

fait « à “exorciser“ et pour qu’elle cesse d’être un vecteur d’intolérance

et pour parvenir à contribuer positivement à l’émancipation de la

conscience collective ivoirienne, elle doit, tout d’abord, se consacrer

entièrement au noble métier d’informer, c’est-à-dire rendre compte des

faits, rien que des faits » (Atchoua 2011 : 101).

1 CNCA, CNP, CEI, Guide de la couverture médiatique des élections en Côte d’Ivoire,

Abidjan, 2009, p. 79. 2 http://www.cefci.org/component/content/article/13-actualites/50-election-pdt-

togo.html, consulté le 1er novembre 2012 à 22h GMT.

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123

Dans ce même ordre mais dans une perspective plus globale,

Rieffel (2005 : 107), soutient que « les conflits armés constituent sans nul

doute un terrain d’étude particulièrement propice pour évaluer le rôle des

médias dans nos sociétés. Depuis que la presse existe, ils sont l’occasion

pour les journaux d’accroître sensiblement leur tirage et de susciter

l’intérêt des lecteurs ». L’explication, selon l’auteur, est que les conflits

soulèvent des passions, favorisent l’exaltation des valeurs nationales,

suscitent la haine ou la compassion, font appel aux sentiments

humanitaires et le public, avide de connaissance sur l’évolution de la

situation qui prévaut, reste plutôt soucieux d’en saisir les enjeux

politiques et économiques, curieux d’en connaître l’issue possible. La

presse jouerait donc sur tous les registres pour capter l’attention des

lecteurs et pour accroître son audience par son discours qui devient ainsi

un enjeu majeur de conflits.

A quels types de discours de presse le citoyen ivoirien a-t-il été

exposé pendant cette période électorale qui a débouché sur des

affrontements armés ?

Selon Abolou (2009), les conflits entre l’Etat et le citoyen

produisent des discours au travers desquels des unités lexicales se

révèlent pour refléter « durablement » les événements « douloureux », et

pour traduire les actes politiques dévoyés. Les droits civils et politiques

des citoyens ivoiriens ont été occultés. Les inégalités sociales, selon

l’auteur, étaient habilement gérées dans l’idéologie de la propension

ethnique et les complots qui couvaient ont ressurgi sous forme de

violences politiques récurrentes qu’il définit avec de nombreux auteurs,

comme étant des actes de désorganisation, de destructions, de blessures,

ayant une signification politique. Leurs effets transparaissent dans les

discours des citoyens et des régimes en place. Ces discours deviennent

des actes de représentation des univers d’expériences, de reproduction

des situations et des contextes. Et pour Ngalasso (cité par Abolou 2009 :

2), les discours sont, en tout état de cause, constitués de « mots qui ont

donc un pouvoir et d’abord celui de dire, de vouloir dire, de signifier. Les

mots disent toujours les choses ou les concepts qu’ils désignent par

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convention sociale, ce qui constitue leur contenu sémantique

fondamental. Mais, bien souvent, ils veulent dire ce qu’on veut bien leur

faire dire, ce qui constitue leur valeur contextuelle ou situationnelle. Les

mots n’ont pas de signification, comme chacun sait, ils n’ont que des

sens que leur octroie celui qui les emploie en fonction de son

appartenance sociale de pouvoir. En cela, les mots sont objets de

multiples manipulations, de divers réglages de sens. Ces mots, ou en

d’autres termes, ces discours circulant dans l’espace public investi par les

médias nationaux et internationaux (Dacheux cité par Abolou 2009) sont

ainsi surchargés, saturés de sens ambigus et contigus qui semblent défier

la citoyenneté démocratique et l’autorité de l’Etat.

Il s’agit donc d’appréhender ici le discours comme un ensemble de

mots, un développement écrit et destiné à un public sur un sujet bien

déterminé. Le discours occupe une place de choix dans la presse qui,

comme les autres médias, en constitue un canal important de

transmission dans le sens où il s’agit non seulement « d’informer, mais

aussi de persuader, de manipuler, de faire croire, de faire aimer et

détester, de faire faire, et de transformer la réalité sociale et politique »

(Austin 1970 : 52).

A ce titre, on peut indiquer que l’omniprésence des médias dans

notre environnement explique notre dépendance vis-à-vis de ceux-ci.

Mais, plus encore notre besoin de parler, de savoir, de communiquer, etc.

font finalement de ces supports d’information des « compagnons de notre

vie quotidienne, des sentinelles de notre curiosité à l’égard du monde » et

les guides familiers de notre participation à la vie sociopolitique,

économique et culturelle de notre environnement (Riéffel 2005 : 9). Ces

supports se révèlent être des véhicules indispensables d’informations des

individus sur leur environnement mais dans une certaine mesure, des

producteurs de rumeurs, des « ont dit », des propos du « café du

commerce » (Mathien 2003 : 16) et autres malversations qui constituent

des actes de dérives dans notre pays.

Sur la question donc des dérives de la presse, il faut indiquer

qu’elles sont liées à plusieurs facteurs dont trois sont les plus essentiels :

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125

les journaux appartiennent pour la plupart aux partis politiques ou sont

affiliés à des partis politiques ; il y a également la précarité financière et

le manque de professionnalisme des journalistes qui constituent de

sérieux handicaps à l’épanouissement de ces organes de presse. La presse

ivoirienne a régulièrement eu la réputation d’être « partisane,

discourtoise, irrévérencieuse : pendant que certains journalistes font

preuve d’ignorance et d’incompétences, d’autres bien formés rivalisent

d’ardeurs militantes » (Dan Moussa et Berthod 2007 : 14). Lors du forum

de la réconciliation nationale en 2001, Fero Bi Bally1 fera remarquer

dans cette perspective que : « les Ivoiriens ont les médias qu’ils méritent

». Il stigmatisait ainsi le comportement du public des médias car selon

lui : « les mauvais élèves de l’OLPED, c’est-à-dire les organes les plus

cités ou épinglés sont les bons élèves des consommateurs de

l’information … ». L’influence de la presse sur son public reste donc

sans équivoque tout autant qu’il est à la base de la création de nombreux

concepts et phénomènes de « rue » comme celui des « Titrologues2 »

(Zio 2005 : 4, Théroux-Bénoni et Bahi 2008 : 199-217) ou phénomène de

lecture des Unes de la presse pour des commentaires sur les faits

d’actualité sociale et politique. Récupéré et chanté par le groupe musical

« Les Garagistes» comme une science, ce phénomène connaîtra un

développement en Côte d’Ivoire surtout en période de tension

sociopolitique. Selon Zio (2005 : 4), la section Côte d’Ivoire de

l’Association internationale pour la démocratie (AID-CI), dans sa

1 Maurice Fero Bi Bally « Les ivoiriens ont les médias qu’ils méritent » in le quotidien

Le Jour, n° 1974 du mardi 16 octobre 2001, p. 4. 2 Les « titrologues » prennent d'assaut, chaque jour, les kiosques et étals à journaux. Ils

lisent juste les seules UNES de tous les titres pour satisfaire leur besoin d'information,

mais surtout d’interprétation de l'actualité. Aussi, se transforment-ils en « relais » d'informations dont ils ont, dans le meilleur des cas, une idée approximative, vague à

travers des titres trop souvent contradictoires d'un journal à un autre. Des journaux

engagés et militants, excessifs, outranciers. Les « titrologues », à partir des UNES,

fabriquent ou réécrivent l'information qui, à son origine, n’est pas toujours exacte, ni

vérifiée. Ils l’interprètent et l'injectent dans le plus puissant réseau de communication de

tous les temps : le bouche à oreille. Les UNES servent ainsi de source à la rumeur qui,

dans le cas d'espèce, devient « vérité » parce que c'est écrit dans les journaux. La

fascination de la chose écrite (Zio 2005 : 4, Théroux-Bénoni et Bahi 2008 : 199-217).

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déclaration du 17 octobre 2001 affirmait, au sujet d’une telle vision de la

« Titrologie », que « Certains médias n'ont pas toujours agi dans le sens

de l'apaisement du climat social. Il y a des journaux qui propagent

volontairement des rumeurs. Si la « titrologie » est une science, comme

le chante le [genre musical] « zouglou », il faut dire qu'elle est une

mauvaise et dangereuse science, parce que, bien souvent, les titres ne

reflètent pas le contenu des articles ».

Ces propos, comme un état du discours de la presse en Côte

d’Ivoire, pointe un regard accusateur sur cette presse dans l’émergence et

la gestion de la fracture sociopolitique que traverse la Côte d’Ivoire.

En somme, de l’opinion publique au chercheur en passant par les

professionnels des médias, la presse en Côte d’Ivoire semble avoir terni

son image aux yeux de son public et des observateurs qui dénoncent,

quand ils le peuvent, les dérives « du militantisme, de la rumeur, du

sensationnalisme… » (Zio 2005 : 8). La presse apparaît donc comme

perpétuer une tradition de manquement à l’éthique et au code de la

déontologie du métier du journalisme. Diégou (1996 : 35), affirmait lors

d’un séminaire sur l’état des médias en Côte d’Ivoire et dans le même

sens des propos accusateurs ci-dessus, que : « depuis la réinstauration du

multipartisme en 1990, les médias nationaux se sont rangés, pour la

plupart, derrière les partis et les hommes politiques dont ils sont devenus

les porte-voix ». Char (1999 : 50), ironise pour sa part que « le

journalisme de caniveau fait florès sous toutes ses latitudes à Abidjan ».

Pour s’en convaincre, l’analyse des discours de la presse ivoirienne

apparait importante.

3.2. Les discours de la presse ivoirienne au rythme des conflits

sociopolitiques

Dès le déclenchement de la crise le 19 septembre 2002, il leur a

donc simplement suffi de suivre, pour paraphraser Diégou (1996 : 35), ce

penchant naturel de servilité pour se ranger en ordres de bataille derrière

les belligérants de cette crise. Cette situation a entrainé comme

conséquence, une presse sensiblement subdivisée en deux camps

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opposés : d’un côté, une presse proche du parti au pouvoir et taxée de

« médias patriotiques » et une autre, proche de l’opposition et traitée de

« médias rebelles et pro-rebelles ».

Les médias rebelles et pro-rebelles sont ceux qui ont contribué à

diffuser les idéaux des mouvements rebelles, à donner la parole à leurs

leaders au détriment des autorités gouvernementales. Parmi ceux-ci, on

compte les journaux créés par les rebelles eux-mêmes et les journaux

accusées de s’être rangés du côté des rebelles, c’est-à-dire ceux qui

existaient avant la rébellion mais qui ont été pris de sympathie pour elle.

Le quotidien Le Patriote du groupe Mayama Editions a été le plus

engagé et le plus déterminé de la presse nationale pro-rebelle. Ce journal

proche du Rassemblement des républicains (RDR) et de Alassane

Ouattara avait déjà, le 12 décembre 2000, à l’occasion des élections

législatives, présenté à sa « Une » la carte de la Côte d’Ivoire coupée

entre le Nord et le Sud du pays à partir de Bouaké (centre de la Côte

d’Ivoire). Aussi, au fil des articles, Le Patriote a laissé libre cours à sa

sympathie pour les mouvements rebelles contre le régime de Laurent

Gbagbo. Cette prise de position a suscité le sentiment dans une partie de

l’opinion publique ivoirienne et relayée par les médias dits

« patriotiques » d’être à l’origine du « feu » qui brûle et consume la Côte

d’Ivoire.

Sur l’échelle du patriotisme, des journaux comme Le National,

Notre voie, L’œil du peuple, etc. proches du régime de Laurent Gbagbo

sont considérés comme des éveilleurs de conscience et défenseurs des

intérêts de la nation ivoirienne dans cette crise qui oppose des Ivoiriens

entre eux. Un certain nombre de médias privés se sont illustrés par des

propos à relent racistes et haineux. Leurs cibles : les étrangers et

l’opposition politique.

Le quotidien Le National s’était distingué dans ce schéma où les

leaders de l’opposition et certains membres de leur famille sont

vilipendés dans les colonnes qui leur sont consacrées à cet effet. Ces

propos irrévérencieux et qui marquent les traces d’une presse

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profondément divisée et de manquement à l’éthique et au code de

déontologie se sont répétés jusqu’à l’élection présidentielle de 2010.

Comme exacerbé par ce qu’elle observe sur cet aspect de la presse

en Côte d’Ivoire, l’organisation internationale Reporter sans frontière

(RSF) rapporte les propos suivants : « La presse ivoirienne est à la fois

victime et responsable de la crise que connaît aujourd’hui le pays. Depuis

la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002, de nombreux reporters

nationaux ou étrangers ont été pris à partie, tant par les forces de l’ordre

que par les mouvements rebelles. Les arrestations, agressions ou menaces

à l’encontre des professionnels de la presse sont quasi quotidiennes. Mais

la presse joue également un rôle néfaste dans cette crise. « Nous les

journalistes ivoiriens, nous avons préparé la guerre. Il faut assumer nos

responsabilités. Avec nos verbes haineux, nos diatribes, on a préparé la

guerre dans l’esprit des Ivoiriens », confiait un ancien directeur de

publication à Reporters sans frontières, lors d’une mission d’enquête, en

octobre 20021 ».

L’organisation, par ses écrits, entend appeler les acteurs politiques

et les médias ivoiriens à prendre de véritables engagements pour assurer

l’instauration d’une presse plus libre et plus responsable dans le pays et

pour assurer la sécurité de tous les journalistes - ivoiriens ou étrangers -

qui travaillent en Côte d’Ivoire.

En effet, comme le rapportent des professionnels des médias et

d’autres voix plus autorisées sur les questions liées à la presse ivoirienne,

les titres, à l’intérieur des journaux, coiffent des articles qui développent

des attaques contre des citoyens. Les motivations d'une telle pratique sont

au premier chef politiques. Il s’agit, pour le détenteur de la plume, de

disqualifier l’adversaire politique du parti dont le journal est proche ou

dont il se réclame et se proclame défenseur. Cette volonté de disqualifier

l’adversaire autorise tous les coups. Ainsi, la lettre et l'esprit des articles

1 Reporters sans frontières (RSF), « Reporters sans frontières lance un appel aux

participants de la Table ronde ivoirienne », La liberté de la presse au quotidien,

communiqué Afrique, http://arabia.reporters-sans-

frontieres.org/article.php3?id_article=4745, 16 janvier 2003, consulté le 24 juin 2011.

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écrits n'ont rien à voir avec le jeu politique : l'accent étant mis sur la vie

privée des personnes concernées. Le but est d'atteindre et de blesser

moralement l'adversaire transformé en ennemi. Aussi, les écrits se font-

ils vulgaires; et jamais, dans cette presse d'opinion et partisane, aucune

place n'est faite aux débats contradictoires. Derrière ce qui, au premier

degré, peut être assimilé à des insultes banales, apparaît plutôt comme la

disqualification politique, mais aussi et surtout une forme de

négationnisme de l'humanité de ceux à qui la presse s'attaque. Ce procédé

utilisé au Rwanda où les Tutsi étaient réduits, dans les propos des

extrémistes Hutu, à des cancrelats a entrainé ce que l’on a appelé « le

génocide Rwandais ». Dans les titres ivoiriens, ce sont généralement les

vertus humaines qui sont déniées aux adversaires politiques (Diégou

1996, Zio 2001, 2005, 2007, Dan Moussa 2007).

Les « Unes » de ces journaux ivoiriens, pour reprendre les

expressions des auteurs ci-dessus, constituent des vitrines guerrières qui,

aussi mauvais soient-elles, sont accessibles, et attirent des

consommateurs (Agney 2003). Or, justement, la « Une » des journaux, la

partie la plus exposée, la plus parcourue et la plus lue aussi bien par ceux

qui achètent les journaux que par les « titrologues » (ou les simples

curieux qui ne se contentent que de ces Unes comme information) est la

vitrine de tous les manquements aux règles d’éthiques et aux codes

déontologiques. Le « printemps de la presse » ivoirienne a donc donné

naissance à une presse d'opinion au détriment de la presse d’information.

Les enquêtes et les reportages ont disparu, laissant trop souvent la place

au seul « commentaire » militant et politicien qui caractérise la presse de

combat (Diégou 1996, Zio 2001, 2005, 2007, Dan Moussa 2007, Cabral

2009, Théroux-Bénoni et Bahi 2008, Kotoudi 2004).

Somme toute, les parutions de la presse ivoirienne jouent un rôle

néfaste dans la situation de crise que connaît le pays en participant à son

émergence ou en l’exacerbant. Outils de propagande des partis politiques

et des individus, ces organes de presse contribuent ainsi, pour une large

part, à la désinformation du public. Face donc à un tel enjeu et ses effets

directs ou indirects sur les populations ivoiriennes, d’autres analyses

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apparaissent nécessaires pour une plus large lisibilité de la situation telle

que présentée : celle des rapports de la presse avec les organes

d’autorégulation et la question de la sécurité des rédactions elles-mêmes.

4. Impuissance des organes d’autorégulation et insécurité dans

les rédactions comme prémices de la crise ivoirienne

Face aux situations de manquements de la presse ivoirienne aux

règles du journalisme et au souci d’améliorer les conditions de travail et

de vie des médias eux-mêmes, des organes de régulation (CNP, CNCA,

OLPED) et des associations de presse comme l’Union des journaliste de

Côte d’Ivoire (UNJCI) ont vu le jour en Côte d’Ivoire. Ces organisations

de presse, quoique contribuant, même à un faible niveau, à l’amélioration

de l’image de la presse en Côte d’Ivoire, semblent cependant butter sur

des obstacles de tous ordres qui empêchent d’atteindre les objectifs

qu’elles se sont assignés. Notons, à titre illustratif, que les communiqués

de l’Observatoire de la liberté de la presse, de l’éthique et de la

déontologie (OLPED) ne semblent pas assez efficaces face aux attitudes

de manquements aux règles du journalisme. Cela s’expliquerait par le fait

que cette instance « indépendante » d’autorégulation de la presse a un

pouvoir d’arbitrage et non de sanction selon les dispositions juridiques de

cette organisation. L’OLPED épingle les journaux qui foulent au pied les

règles d’éthiques et du code de déontologie pour les sensibiliser au

respect de ces dispositions. Quant au Conseil national de la presse (CNP),

le second organe de régulation de la presse, qui est l’instance de contrôle

de l’Etat, il est crédité de « partialité ». Les sanctions infligées par le

CNP sont diversement interprétées par les journalistes qui, par moments,

observent des arrêts de travail pour soutenir des confrères. C’est le cas de

huit (8) titres qui ont suspendu leur parution en solidarité avec Le

Nouveau Réveil, journal pro-Ouattara sanctionné par le CNP à une

suspension de publication et à une amende d’un million de francs CFA

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pour avoir publié des « images insoutenables et choquantes » et fait

« l’apologie de la violence et de la révolte1 ».

Dans cette ambiance de crise, les journalistes font eux-mêmes le

constat de l’insécurité qui guette leur rédaction en témoignent les

déclarations suivantes :

« Il y a quelques jours, le chauffeur du quotidien Nord-Sud, proche du

camp Ouattara, a été enlevé. Depuis, la rédaction demeure sans nouvelles.

Mais les employés des publications qui soutiennent le président élu

reconnu par la communauté internationale ne sont pas les seuls à pâtir de

l’ambiance de guerre civile qui envahit peu à peu le pays (…). Que ce

soient des journalistes proches de Ouattara ou de Gbagbo, personne ne se

sent en sécurité », affirme André Silver Konan du quotidien Le Nouveau

Réveil2.

En outre, selon les affirmations de Reporters sans frontière (RSF3),

un salarié de l’imprimerie du groupe La Refondation, proche du camp de

Laurent Gbagbo, a été assassiné à coups de machettes et de gourdins.

Dans un communiqué, l’organisation de défense des droits de l’homme

se dit « chaque jour plus inquiète pour la situation de la liberté de la

presse en Côte d’Ivoire ». Une situation qui, au dire de Kah Zion4

n’encourage pas à aller travailler à en croire ce journaliste à travers cette

déclaration : « Je préfèrerais presque croupir en prison que de continuer à

vivre comme ça », s’exprime-t-il avant d’indiquer en ces termes qu’il

doit malgré tout s’accrocher à l’exercice de son métier : « Si on baisse les

1 Dié Kacou (Eugène), décision n° 008 du 1er juillet 2011, portant sanction applicable

au quotidien Le Nouveau Réveil édité par Les Editions Aujourd’hui Suarl, Conseil

national de la presse (CNP), Abidjan, http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/m-dia-apr-s-les-bl-mes-le-cnp, vendredi 15 juillet 2011. 2 Reporters Sans Frontière (RSF), la presse ivoirienne, nouvelle victime de la crise

politique, Afrik Online, http://www.afrik-online.com/?p=4620, mars 2011, consulté le

24 juin 2011. 3 Reporters sans frontière (RSF), la presse ivoirienne, nouvelle victime de la crise

politique, Afrik Online, http://www.afrik-online.com/?p=4620, mars 2011, consulté le

24 juin 2011. 4 Idem.

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132

bras, c’est la catastrophe. On pourrait mourir sans que personne n’en

sache rien. Si on se tait, c’est la fin ».

Au regard de ce qui précède, on peut conclure de la présence de

l’insécurité physique dans la presse comme signe de l’instauration de la

crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, cible de l’insécurité

grandissante qu’elle aura contribué à installer, la presse doit toujours

s’interroger sur la finalité de l’information à livrer ; information dont le

traitement et la diffusion doivent être entourés d’un certain nombre de

précautions en vue de contribuer effectivement à la crédibilisation du

débat démocratique.

Dans ce sens, en période électorale, la responsabilité du journaliste

apparaît comme d’autant plus accrue que les besoins en informations des

électeurs sont immenses. Dès lors que le journaliste s’avise de parler en

lieu et place du politique et d’argumenter ses positions et dès lors qu’il se

détourne de sa mission d’informateur, il provoque souvent des tragédies

et par ricochet l’insécurité « partagée ».

Au total, la presse ivoirienne peut être inscrite dans la logique d’un

média à problème. Née depuis la colonisation en tant qu’instrument de

propagande du colonisateur et par la suite comme un média de combat de

libération du joug du colon, puis comme un outil de développement au

lendemain de l’indépendance, la presse en Côte d’Ivoire a subi de

profondes mutations qui ne sont pas toujours en faveur de la préservation

de la paix sociale dans notre pays. Comme les partis politiques, la presse

dans sa pluralité est d’abord apparue comme un symbole de démocratie

qui aura par conséquent participé à mettre fin au système de gestion

politique par la pensée unique. Mais, elle s’est très vite attachée aux

chapelles politiques pour des raisons idéologiques, économiques et même

de manque de qualification professionnelle dans le rang des journalistes.

Une grande partie de cette presse d’information générale manquera donc

à ses devoirs en se détournant de ses prérogatives d’informer, de divertir

et d’éduquer pour se révéler comme un acteur principal de la crise

postélectorale qu’elle aura participé, de ce fait, à construire par ses

discours politiques incendiaires. C’est ce visage de la presse que notre

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travail s’est attelé à cerner et à démontrer dans la perspective d’une

participation à la dénonciation des dérives des médias en Côte d’Ivoire et

en Afrique.

Conclusion

Depuis l’instauration du multipartisme en Côte d’Ivoire, la presse

ivoirienne a connu un développement fulgurant. La diversité des

quotidiens et autres périodiques ainsi que la naissance massive des

entreprises de presse que l’on constate dans le paysage médiatique

ivoirien attestent de ce progrès réalisé par notre pays en matière de

presse. Ainsi, l’abondance des titres des journaux et de leurs lignes

éditoriales quelques années après l’avènement du multipartisme laissent

envisager un processus démocratique en marche.

Cependant, si la presse peut être considérée comme un média de

développement eu égard aux nobles missions sociales,

communicationnelles et d’autres qui lui sont assignées, force est de

constater néanmoins qu’en Côte d’Ivoire, elle n’a pas toujours joué son

rôle de socialisation du citoyen et celui d’acteur de la « démocratie

apaisée » que les Ivoiriens sont en droit d’attendre d’elle. La presse

d’information générale, plus spécifiquement, est plutôt apparue comme

acteur de la dégradation du climat social par ses discours politiques

conflictuels et autres propos désobligeants. L’incitation à la violence, des

discours manipulatoires, la propagande, la désinformation, la rumeur, etc.

ont investi le monde de la presse en Côte d’Ivoire bien qu’elle se soit

positionnée à l’époque coloniale comme une presse de combat et autour

des années 1990 comme un symbole de l’émergence de la démocratie.

Tout apparaît comme si ce média perpétuait l’héritage colonial d’une

presse propagandiste aux ordres d’un groupe d’individus et de partis

politiques.

Aussi, face à ces dérapages qui la caractérisent et qui sont

considérés comme un manquement aux lettres de noblesses, les organes

d’autorégulation comme l’Observatoire de la liberté de la presse, de

l’éthique et de la déontologie (OLPED) et le Conseil national de la presse

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(CNP) ainsi que des organisations de la société civile nationale et

internationale n’ont eu de cesse d’interpeller les acteurs et les autorités

compétentes sur la question des nombreuses maladresses de cette presse1.

Et cela, eu égard à leur persistance et à leur multiplication à des périodes

sociologiquement sensibles que constitue la période électorale en Afrique

et en Côte d’Ivoire également. La presse joue pour ainsi dire un rôle

primordial en période électorale ; rôle qui appelle à une prise de

conscience professionnelle de la part du journaliste. Ce qui ne fut pas

toujours le cas en Côte d’Ivoire où la problématique de la régulation de

l’information dans notre pays suscite des réflexions permanentes. C’est

dans cette perspective qu’a été réalisée la présente étude qui révèle

également que nombreux sont les cas où la presse a contribué à fragiliser

la paix et la stabilité sociale en terre ivoirienne et surtout à l’élection

présidentielle de 2010 qui a débouché sur une crise postélectorale. La

presse ivoirienne a dérogé, en d’autres termes, à sa mission essentielle de

respect de la différence, de l’éthique et de la déontologie dans le

traitement de l’information.

Notre étude, loin d’avoir cependant cerné tout le contour de la

problématique des questions liées à la presse, fait le même constat que

d’autres observations sur cette question du dérapage de nos médias et se

veut être une piste de réflexion sur ces épineux problèmes qui menacent

leur maturité et notre environnement.

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injures au public, 383 injures de confrère à confrère, 243 incitations au tribalisme et à la

xénophobie, 78 incitations à la débauche, etc. (OLPED cité par Agney 2003).

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TRACES MATERIELLES LIEES A L’ESCLAVAGE ET A LA

TRAITE NEGRIERE AU TOGO

AGUIGAH Dola Angèle

Département d’Histoire et d’Archéologie

Université de Lomé

E-mail : [email protected]

Résumé

Contrairement à une idée très répandue, le territoire aujourd’hui

togolais a connu la traite négrière à l’instar des autres pays de la côte des

esclaves. Celle-ci a laissé des traces aussi bien matérielles

qu’immatérielles à des endroits bien spécifiques du pays. Les recherches

de terrain menées jusqu’à ce jour ont permis d’apporter des résultats

substantiels exposés dans le présent article.

Mots-clés : Archéologie de l’esclavage - Traces matérielles -

Eléments immatériels - tourisme culturel.

Introduction

Le Togo, à l’instar des autres pays situés sur la côte des esclaves

comme l’indique le nom, a connu l’histoire de la traite négrière. Très

active entre les XVIème

et XVIIIème

siècles chez les voisins de l’Est et de

l’Ouest à savoir le Bénin et le Ghana, elle n’a pris de l’ampleur au Togo

qu’au XIXème

siècle. Elle a, bien entendu, laissé des traces aussi bien

matérielles qu’immatérielles, qui jalonnent tout le territoire aujourd’hui

togolais. Les recherches menées jusqu’à ce jour ont pu apporter des

résultats substantiels qui caractérisent divers lieux et vestiges trouvés.

La communication s’attellera à trois points : d’abord, les

principaux sites résultant des reconnaissances et prospections, ensuite,

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l’aperçu des objets collectés en surface ou trouvés en sondages et

fouilles et enfin, les perspectives de recherches ultérieures.

1. Reconnaissance et identification des principaux sites liés à

l’esclavage

Le commerce des esclaves a été pratiqué par des populations

basées sur la Côte et relayé à l’intérieur du pays par des guerriers et ou

des rois en quête de biens manufacturés ou de gains faciles ou d’autres

raisons d’hégémonie. De ce phénomène, apparaissent les sites qui

matérialisent ce commerce : les lieux de prélèvement, de résistance, de

transit, de transaction et d’entrepôts de casernement d’esclaves pour

l’ultime départ de non retour comme l’indique la carte des sites liés à

l’esclavage.

1.1. Lieux de prélèvement d’esclaves

L’arrière pays (au sud comme au nord) a servi de réservoir pour la

marchandise humaine. Les principaux centres se retrouvent sur des pistes

caravanières des produits suivants : sel, cola et fer. Les populations

visées en général sont en général celles de l’arrière-pays : au-delà de

l’actuel pays moba, Moba, Kabyè, Tchamba, Tem, Aja que razziaient les

trafiquants, considérés comme des mercenaires Sémassi, Bariba,

Haoussa. Mais, dans leur conquête violente, ils ont connu des moments

de résistance et des lieux de refuge ou de résistance y ont laissé des

traces.

1.2. Lieux de refuge et/ou de résistance

Dans la partie septentrionale, sont retrouvés des sites aménagés

qui auraient servi également de lieux de refuge et de résistance contre

d’éventuels agresseurs et razzieurs d’esclaves. Il s’agit des grottes de

Nok et de Mamproug dans la préfecture de Tandjouaré.

En effet, d’une part, les populations de cette zone ont construit

des greniers dans le creux de la falaise de Bombouaka pour mettre à

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l’abri des vivres et des personnes fragiles et vulnérables, afin que les plus

forts puissent défendre énergiquement toute la communauté. D’autre

part, les maisons fortifiées des Batammariba du Koutammakou ont aussi

servi quelques fois de lieux de refuge et de défense contre les razzieurs

qui ravageaient la région à la recherche des esclaves.

Un autre lieu de refuge est la forêt de Bè sur la côte (actuel

quartier bè de Lomé), où les captifs allaient se cacher et demander la

protection des divinités de l’avé. Après avoir obtenu la protection

souhaitée, ces fugitifs sont marqués d’un signe de reconnaissance sur la

tempe appelé en éwé tonougba, ce signe distinctif les met à l’abri de tout

danger à partir de ce moment.

Par contre, d’autres localités se sont prêtées aux regroupements

d’esclaves, et ont servi de lieux de transit, avant leur transport par voies

terrestres et fluviales vers la côte.

1.3. Lieux de transit

Les vestiges marquant les lieux de passage ou voie de

communication sont des cours d’eau et pistes terrestres. Ces dernières

sont aujourd’hui perdues dans les champs ou dans des villes autrefois

traversés. En ce qui concerne les cours d’eau, les enquêtes orales ont

désigné les rivières Aou (préfecture de Sotouboua), Mono et une partie

du lac Togo comme des voies de communication des esclaves vers la

côte. En effet, ces sites de transit des marchands d’esclaves sont marqués

par des toponymies liées à l’esclavage.

La rivière Aou est désignée comme un lieu d’escale technique

pour un bref repos, avant la poursuite du trajet. Les esclaves désespérés

pleuraient et se lamentaient en cet endroit d’où le nom de Ewida c’est-à-

dire là où on pleure. Ainsi, Aou serait un lieu de lamentations. La localité

fut désignée du même nom lors de la période coloniale selon Samke

Yelboutcho Batabou, chef canton actuel. La population d’Aouda ne

résulte pas des esclaves qui étaient déportés, néanmoins, elle offre

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périodiquement des sacrifices pour apaiser les esprits des esclaves.

Notons qu’il existe une autre signification de Aouda1.

Le Mono, le Haho et quelques affluents du lac Togo ont été

parfois utilisés pour faire passer des esclaves par pirogue jusqu’à leur

destination. Il faut signaler qu’avant d’emprunter ces moyens de

communication, les captifs devaient d’abord être parqués dans des lieux

aujourd’hui clairement identifiés.

1 Aouda selon la seconde version dérive de Aouta, un terme en Anyanga qui veut dire

nous sommes vaincus en référence aux conflits qui opposaient les populations Anyanga

et les Kabyè qui occupaient Aouda avant l’arrivée de ces derniers.

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143

1.4. Lieux de transactions1

Les captifs étaient acheminés d’abord vers les lieux où on pouvait

les échanger ou les livrer avant la destination vers la côte. Yomaboua

dont la signification est « rivière des esclaves » a été un site de

transaction et d’échanges entre les marchands du nord et ceux du sud qui

vendaient les esclaves. Ceux-ci prenaient leur bain dans cette rivière

avant de poursuivre le trajet vers la côte. Tchamba au centre, situé sur la

rive gauche du Mono, a été l’un des marchés importants d’esclaves dans

l’arrière-pays. C’était un carrefour de regroupement où les cavaliers

Haoussa et Bariba, les guerriers de Tchaoudjo et les reîtres Tchokossi

allaient livrer leurs produits (esclaves).

Les sources orales rapportent que les riches hommes ou chefs de

tribu transformaient les cours de leurs maisons en lieux de

rassemblement d’esclaves. Ils pouvaient recevoir des esclaves à gage,

voire les achetaient. Mais, ils ne pouvaient être relâchés seulement

qu’après acquittement.

Contrairement à d’autres localités, ici à Tchamba, aucune place

n’a été désignée spécifiquement comme avoir servi de marché

d’esclaves. L’urbanisation et les nouvelles constructions, de même que

l’occupation de la ville ont engendré de nombreux réaménagements des

anciens marchés d’esclaves. Cependant, les descendants des anciens

trafiquants reconnaissent que leurs domiciles avaient servi sur une longue

période à ces pratiques.

Dékpo au sud, localisé à Kpogamé, est le second centre désigné

comme grand marché d’esclaves après Tchamba. Le commerce se faisait

à Blokotigomé où les négociants venaient de Kéta sur la Côte à l’Ouest,

pour s’approvisionner en esclaves. Ce lieu est matérialisé par un grand

arbre nommé blokoti en éwé. Cet arbre, actuellement disparu, a laissé sa

place à un arbuste du même nom.

1 Il faut ajouter les localités tels, Kétao, K’gbafulu ou Bafilo, Kparatao, Agbandi aux

marchés où s’achetaient des esclaves.

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144

1.4. Lieux d’entrepôt ou de « stockage » ou de casernement

des esclaves

Les esclaves achetés et ramenés de l’intérieur étaient gardés dans

des lieux sûrs avant leur embarquement vers outre-mer. Certains sont

gardés dans des fermes et d’autres sont acheminés vers des ports. Ces

fermes appartenaient aux négriers européens et aux esclaves affranchis.

Comme exemples, nous avons :

- la ferme de Joaquim d’Almeida alias Zoki Azata située à Atoêta à

15 km au nord-est d’Aného, sur la route Aného-Aklakou. Elle a

été un lieu d’entrepôt régulier qui fournissait une main d’œuvre

servile au service de l’agriculture, dont les produits sont destinés

à l’exportation. Les esclaves entretenaient les plantations de

manioc de leur maître et produisaient de petites cultures vivrières

pour leur subsistance. Après l’abolition de l’esclavage, le maître

(d’Almeida) organisa son propre commerce bilatéral directement

avec le Brésil. Aujourd’hui, Atoéta est devenu un village

cosmopolite à cause de l’intégration des descendants d’esclaves

de diverses origines, mais à dominance et à patronyme yorouba ;

- Pédro Kwadjo Lanzékpo da Sylveira, un autre grand trafiquant

d’esclaves, avait également des fermes « Landjo » où étaient

parqués des esclaves. Nous ne retenons ici que le site du

mémorial d’Adokoinkpadji où sont exposés les canons qu’il avait

acquis à cette époque ;

- les bâtiments appartenant au négrier brésilien Félicio Francisco de

Souza, à Adjigo au nord-est d’Anéhogan ont été détruits lors des

réaménagements urbanistiques au cours de la période coloniale

allemande ;

- la maison Wood, appelée Wood Home, est à l’étape actuelle, la

seule bâtisse qui servit à garder des esclaves dans un souterrain.

Elle se trouve aujourd’hui en bon état de conservation acceptable.

Le bâtiment fait 21,60 m de long et 9,95 m de large. Il est

composé de 6 chambres, d’un salon, des couloirs de 1,50 m de

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large et un souterrain d’environ 1,50 m de hauteur sur tout le

pourtour de l’édifice. Au milieu du salon recouvert d’un plancher

en bois, on aperçoit une ouverture d’environ 60 m de long et 45 m

de large, fermée par une planche également en bois. Ce trou sert

d’entrée à la cache souterraine. Les esclaves y étaient introduits et

ne pouvaient rester qu’allongés, accroupis ou assis. On observe

aussi des trous d’aération à la base du bâtiment (Photos 1et 2). A

cette maison, est lié un autre site qui serait un lieu rituel.

Photos 1 et 2 : Maison Wood avant la restauration et après la restauration

Source : Cliché Aguigah, 2006

1.6. Lieux de culte ou lieux rituels

Gatovoudo est un puits localisé à Nimagna et dont l’histoire se

rapporte à un dernier bain rituel que les esclaves prenaient au moment du

départ ultime pour l’outre-Atlantique (Photo 3).

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146

Photo 3 : Gatovoudo ou puits de l’enchaîné à Nimagna

Source : Cliché Aguigah 2009.

Les autels des divinités adoptées conservées dans certaines

familles au sud du pays. Ces vodu ou divinités tchamba1 arrachés à leur

terre natale domestiqués et supposés aussi puissants que les vodu

autochtones sont légion dans le sud du Togo et continuent d’être vénérés

avec ferveur par ses adeptes (Photo 4).

En effet, dans l’agglomération Aného-Glidji et dans les villages

environnants, des autels des divinités telles : Mama Tchamba, Adoko,

Ala, Yendi, Boubloumè, Borga, vodou Hlan, etc. sont aménagés en

l’honneur des dieux protecteurs des esclaves.

1 Le pays « tchamba » est localisé au centre-Est du Togo.

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Photo 4 : Culte Mama Tchamba à Agbodrafo

Source : Cliché Aguigah 2009

Ces noms sont rattachés aux lieux de prélèvement des esclaves

sur toute l’étendue du territoire. A Tchamba, la divinité s’appelle Tandja

« qui tient ses promesses ». Ce culte est répandu dans l’aire culturelle

guin.

Dans la maison royale des familles Lawson, à Lolanmé (Aného),

Gounkpanou est la forge du fils du négrier Félix Francisco de Souza où

les esclaves sont marqués au fer chaud des initiales de divers négriers

acheteurs. Les vestiges de cette forge existent encore aujourd’hui et

considéré comme un lieu de culte. Ces ateliers sont considérés comme

des divinités (Gun ou Egun) de la cosmogonie guin comme dieux de la

foudre, de la guerre et de la violence, d’où le nom Gounkpanou, la

maison de la divinité gun (Photo 5).

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Photo 5 : Atelier de forge d’objets de marquage (initiales de

l’acheteur ou du négrier) des esclaves à Aného

Source : Cliché Aguigah 2009

Tous ces sites sont identifiés par des traces matérielles et

immatérielles qui nécessitent des recherches plus approfondies, avec des

méthodes scientifiques pluridisciplinaires, afin de cerner tous les aspects

liés à l’esclavage et à la traite négrière au Togo (Photo 6 et 7). D’ores et

déjà, des recherches archéologiques ont démarré sur le site de Wood

Home en juillet 2006.

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149

Photo 6 : Mémorial de Pédro

Kwadjo Lanzékpo da Sylveira

d’Adokoinkpadji à Aného1

Photo 7 : Mémorial de Joaquim

d’ALMEIDA à Atoêta

Source : Cliché Aguigah 2009

2. Recherches archéologiques dans la zone côtière (maison

wood) et ses environs et leurs résultats

Les recherches archéologiques sont entreprises sur les sites de

l’esclavage dans la zone, notamment dans le secteur d’Agbodrafo et ses

environs. Les objectifs de ces travaux archéologiques sont les suivants :

- contribuer à une meilleure connaissance de l’histoire de la traite et

de l’esclavage sur cette partie de la côte des Esclaves en

s’appuyant sur l’archéologie et ses résultats ;

- appréhender l’histoire de l’esclavage et de la traite négrière à

travers les vestiges laissés pendant cette période, afin de

contribuer à la réflexion sur les sociétés actuelles, multiethniques

et multiculturelles ;

1 Canon acquis par Pédro K. L. da SYLVEIRA

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150

- contribuer à la culture de la paix et à la coexistence pacifique

entre les peuples du Togo, afin de consolider la nation togolaise.

Les recherches archéologiques ont donc commencé dans les zones

indiquées par les sources orales comme étant encore en bon état de

conservation. La maison Wood (Wood Home) et des sites environnants

ont servi de lieux d’implantation des sondages et /ou des fouilles. Ces

recherches ont donc été effectuées par l’Association « les Amis du

Patrimoine » dans le cadre de la première phase de restauration de Wood

Home en juillet-août 2006, grâce à l’appui financier du Programme

Africa 20091 avec l’autorisation du ministère togolais en charge de la

culture.

2.1. Reconnaissance et prospection

Les travaux ont démarré par la prospection extensive et intensive,

tant à Wood Home que dans les zones environnantes circonscrites, afin

de repérer des traces et des vestiges en surface et de cerner d’éventuels

sites, pouvant permettre d’effectuer des sondages et/des fouilles. En effet,

de nombreux bâtiments ou lieux liés à l’esclavage et au passé colonial

d’Agbodrafo et ses environs ont été ainsi repérés :

- le palais royal où sont conservées des chaînes d’amarrage et des

canons ainsi que de grandes cuves en acier ayant servi au

traitement de l’huile de palme ;

- la grande maison des ancêtres fondateurs d’Agbodrafo où se

regroupe chaque année la population, à l’occasion de la fête de

Yaka-Yokè, fête rituelle des Guins-Mina ;

- une autre bâtisse, de style afro-brésilien, construite en matériaux

durs se trouve en dégradation avancée. Elle appartient à la famille

Fumey, originaire de la localité ;

1 Programme œuvrant pour la conservation et la gestion du patrimoine culturel

immobilier en Afrique Subsaharienne.

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151

- le site de Gatovoudo à Nimagnan est un puits présenté comme

l’emplacement où les captifs prenaient un dernier bain rituel,

avant leur embarquement dans les cales des navires négriers.

A Agbodrafo, on trouve partout de nombreuses ruines de murs en

briques rouges, comme ceux qui ont servi à construire le puits de

gatovoudo. Une sorte de monument, sous la forme d’une rotonde, est

érigée au milieu de la cour de l’Eglise catholique et marque

l’emplacement où les premiers missionnaires catholiques se sont

installés, à leur arrivée dans la localité, le 13 février 1895.

Cette prospection a également permis de noter des informations

relatives aux concessions ou quartiers des Portugais, Brésiliens, Anglais

et Français jouxtaient la Maison Wood. Aussi, un français du nom de

Cyprien Fabre s’y était installé et avait construit une factorerie.

Malheureusement, ce bâtiment d’époque coloniale française a été détruit

et il en n’existe aucune trace aujourd’hui.

2.2. Ramassage de surface et informations complémentaires

Les vestiges visibles au sol ont été collectés au cours de la

prospection intensive : tessons de poterie avec des décors variés, des

petits flacons en verre, quelques objets décoratifs, des objets en

porcelaine et une pièce de monnaie, etc.

Quelques objets ont été remis par les populations au cours des

enquête pour études : deux bouteilles de boisson, (de marque schnaps).

Celles-ci portent des inscriptions, dessins et dates qui permettent de

remonter à leur provenance, l’usine et la date de production.

Par ailleurs, suite aux prospections et ramassages de surface,

quelques informations précieuses ont été révélées par Mensah Robert,

l’une des personnes ressources de la famille Assiakoley. Selon lui, il

existe une documentation familiale constituée de textes fondamentaux de

la chefferie d’Agbodrafo, de correspondances, de registres de commerce,

de contrats de bail, etc. Ces documents importants signalés ne sont pas

retrouvés dans la maison Wood. De toute évidence, la première messe

catholique a été célébrée à Wood Home par les premiers prêtres

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152

européens. L’informateur affirme posséder une documentation non

négligeable sur ces évènements.

En outre, deux sceptres présentés sont des témoins matériels de la

pratique de l’esclavage et du commerce (Photo 8) :

- un sceptre envoyé par la reine Victoire d’Angleterre au roi

Mensah d’Agbodrafo, en 1852, pour exiger l’abolition de

l’esclavage ;

- un sceptre d’accord commercial reçu de John Mensah, chef de

Porto-Séguro par John Henry Wood (1863).

Parallèlement aux entretiens avec les personnes ressources, des

sondages ont été effectués à l’intérieur et aux environnants de Wood

home.

Photo 8 : Les deux sceptres royaux à Agbodrafo

Source: Cliché Aguigah 2009

2.3. Sondages archéologiques autour de la maison Wood et

résultats

A la suite de la prospection intensive, trois sondages ont été

effectués sur le site Wood Home et le sous-sol de la maison, puis sur le

site de la concession française. Les zones identifiées comme de probables

dépotoirs ont été investies chacune d’une fosse de 4 m2, fractionnée en

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153

quatre et décapée par petites couches jusqu’à une profondeur allant de 40

cm à un mètre environ. Chaque couche de terre fut ensuite tamisée pour

recueillir les objets retenus sur le tamis. La couche stérile n’a pas été

atteinte avant la fin de la campagne. Le premier sondage dénommé « Site

AGB-WOOD n°1, Sondage 1 » est situé sur les terrains cultivés au nord

de la maison Wood, a livré environ 140 objets de différentes natures ; le

second caractérisé par « Site AGB-WOOD n°1, Sondage 2 » est situé au

sud entre la maison et sa clôture, aussi 140 objets ont été recensés.

Ces deux sondages ont livré près de 280 témoins variés composés

de tessons de poterie locale ou de tessons de porcelaine, de perles, de

coquillages, de fourneaux et tuyaux de pipe, d’ossements d’animaux et

divers autres objets. (Tableau 1 et 2).

Le sondage du site de la concession française : « AGB-WOOD

n°2 Sondage 1 » qui a livré près de 360 objets de même nature que ceux

présentés ci-dessus ont été recueillis en plus de deux chaînettes (l’une en

perle et l’autre en métal), un galet et une douille de munition (Tableau 3).

2.4. Fouille dans les sous-sols et les couloirs de Wood Home

Afin de vérifier l’éventuelle mise en captivité d’esclaves dans les

sous-sols de la maison Wood avant leur embarquement, une

reconnaissance minutieuse a été effectuée dans les gravas sur les deux

zones du sous-sol de la véranda, au nord et dans la chambre sud-ouest

(Photos 9 à 16). Un éclairage à la lampe torche sous le salon a été

nécessaire, afin d’apporter la luminosité à ces lieux obscurs et lugubres.

La collecte n’a livré que des débris de briques rouge et en ciment et de

sable très fin provenant de l’effritement du mortier argileux. Il s’agit des

matériaux qui ont servi à fabriquer les planchers et les plafonds de la

maison. Le pommeau de porcelaine d’une poignée de porte est le seul

objet significatif trouvé dans le souterrain.

Photos 9, 10, 11 et 12: Etapes de fouilles archéologiques dans les

sous-sols et couloirs de Wood Home

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154

Source : Cliché Amis du Patrimoine 2006

Tableau 1 : Site AGB-Wood n° 1- Sondage 1

Site 1

S1

Surface N1 N2 N3 N4 N5 N6 N7 N8 Total

Tessons de

poteries

4 6 11 6 27

Tessons de

porcelaine

1 4 17 4 3 33

Perles 6 3 4 1 16

Coquillage 8 7 1 11 27

Cauris 2 3 5

Tuyau de

pipes

1 1 2

Fourneau 1 1 1 3

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155

de pipes

Os

d’animaux

23 23

Dents 2 1 1 3

Galet

d’océan

1 1

Total 10 2 11 20 58 17 16 140

Tableau 2 : Site AGB-WOOD n° 1 Sondage 2

Site 1

S2

Surface N1 N2 N3 N4 N5 N6 N7 Total

Tessons de

poteries

2 7 11 17 11 48

Tessons de

porcelaine

3 10 11 3 6 2 2 37

Perles 1 1 6 8

Coquillage 8 1 1 1 1 1 13

Cauris 1 1 3 2 7

Tuyau de

pipes

1 1

Fourneau

de pipes

1 1 1 3

Os

d’animaux

1 1 16 2 20

Dents 3 3

Total 3 23 23 15 52 20 4 140

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156

Tableau 3 : Site AGB-WOOD n° 2 sondage n° 1

Site 2

S1

Surface N1 N2 N3 N4 N5 N6 Total

Tessons de

poteries

2 7 27 58 40 56 190

Tessons de

porcelaine

4 8 16 10 13 51

Perles 24 24

Chaînette 2 2

Coquillage 2 2 8 4 16

Cauris 3 2 1 6

Fourneau

de pipe

1 1

Tuyau de

pipe

1 2 1 5 1 10

Os

d’animaux

4 17 15 19 55

Dents 2 1 3

Douille de

munition

1 1

Galet

d’océan

1 1

Total 31 11 43 104 76 95 360

Dans l’ensemble, les témoins quoique quantitativement peu

nombreux, renseignent sur la culturelle matérielle des populations et

leurs voisins et sur les relations entretenues avec les commerçants

européens : les tessons de poterie locale, les fragments de porcelaine, de

pipes européennes, de bouteilles de boisson alcoolisées, de perles

importées, des objets décoratifs et autres divers objets témoignent de la

présence des Européens sur la côte pendant cette période (Photos 13 à

16). Elle montre clairement que les négriers approvisionnaient les

populations de la côte et leurs intermédiaires de l’arrière-pays de ces

pacotilles en échanges des esclaves.

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157

Des recherches ultérieures permettront d’appréhender les relations

que Agbodrafo entretenaient avec les régions voisines ou lointaines,

surtout avec les zones de provenance des esclaves.

Photos 13, 14, 15 et 16: Vestiges exhumés des fouilles

archéologiques de la Maison Wood (Agbodrafo

Chaînette

Perles

Pipe

Cartouches

Source : Cliché Amis du Patrimoine 2006

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158

Photo 17 : Caricature d’un abolitionnisme libérant un esclave

3. Perspectives de recherches

Le matériel recueilli au cours de ces travaux archéologiques est en

cours d’étude (ossements d’animaux, poterie, bouteilles avec inscription,

etc.). Quelques échantillons de charbon ont été prélevés et seront soumis

aux analyses par le radiocarbone.

L’approche pluridisciplinaire adoptée dans le cadre des

recherches sur les sites de la côte notamment « Maison Wood » a permis

d’apprécier l’importance de « l’archéologie de l’esclavage », afin de

rassembler le maximum possible de données substantielles à la

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159

compréhension des sources orales et des traces matérielles relatives à la

traite négrière et à l’esclavage.

Afin de compléter les résultats à ce jour obtenus sur cette période

de l’histoire du Togo, d’autres séries de recherche s’avèrent

indispensables. Il s’agit de repérer sur toute l’étendue du territoire :

- les grands marchés régionaux et d’autres petits marchés

locaux d’esclaves avec des points d’escale des commerçants ;

- les voies (cours d’eau et pistes) d’acheminement ou de

passage des convois d’esclaves vers les différents points

d’embarquement ;

- d’autres lieux d’entrepôts ou de transit des esclaves, comme la

maison Wood ;

- les lieux de refuge des esclaves en fuite, comme les forêts de

Togoville et de Bè ;

- les objets matériels (chaînes, câbles, canons, cannes, sièges,

etc.), précieux témoins de l’activité esclavagiste de certaines

populations du territoire aujourd’hui togolais ;

- le patrimoine immatériel lié à la pratique de l’esclavage et la

traite négrière ;

- l’élaboration d’un circuit régional de la route de l’esclave

reliant les autres lieux de mémoire connus : Gorée, Cape

Coast, Elmina, Ouidah, Maison Wood…. pour une

connaissance globale de ces lieux de triste mémoire ;

- la délimitation et le tracé du parcours qui mène de la Maison

Wood à Gatovoudo, chemin autrefois emprunté par les

esclaves avant l’ultime embarquement.

Une phase importante de ces recherches archéologiques portera

sur la cartographie des lieux repérés ou supposés avoir servi à pratiquer

cette activité. Elle doit permettre de localiser sur des cartes les différents

sites et lieux de mémoire liés à l’esclavage et à la traite négrière, ainsi

que les voies d’acheminement des esclaves de l’intérieur des terres

jusqu’à la côte.

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160

D’un autre côté, le tourisme culturel et tourisme des lieux de

Mémoire doivent être dynamisés. A cet effet, l’aménagement des lieux

de mémoire liés à la traite négrière et à l’esclavage et un circuit

touristique doivent être élaborés à partir de : Maison Wood, Gatovoudo

ou «puits des esclaves», Nimagna, des monuments comme ceux érigés

par da Sylveira Landjékpo à Aného-Adokoinkpadji et le mémorial de

Joachim d’Almeida à Atoeta, les restes de la forge de Souza Tchatcha au

palais royal des familles Lawson à Badji. Cette route de l’esclave passera

à Ave Gbatso à Glidji pour rejoindre Dékpo blokotimé, le marché aux

esclaves, avant de suivre l’itinéraire vers l’intérieur du pays, pour

atteindre la zone sahélienne.

D’autres sites de mémoire repérés sur la côte et à l’intérieur du

pays doivent être aménagés et matérialisés par des panneaux, afin de

créer des scènes relatifs à cette pratique. Il faudra aussi :

- reconstituer les espaces et les lieux encore visibles, rechercher

et replanter les espèces végétales, afin de reconstruire les

modèles des marchés d’esclaves, les places publiques, comme

à Ouidah (le marché aux enchères) ;

- représenter des scènes liées à l’esclavage et à la traite négrière

sous forme de fresques ou de sculpture représentant les scènes

d’embarquement des esclaves, au cours des traversées, dans

les zones de débarquement, et dans leurs lieux de travail ;

organiser un colloque au plan sous-régional et continental sur

l’esclavage et la traite négrière en Afrique ;

- reproduire des objets liés à cette tragédie pour exorciser la

douleur et les vendre dans le monde, afin d’éviter que pareil

crime ne se répète dans l’histoire de l’humanité ;

- organiser une exposition itinérante dans les pays d’anciens

esclavagistes et dans les pays victimes de l’esclavage pour

consolider la paix entre les hommes ;

- confectionner des prospectus et cartes postales sur les objets

liés à l’esclavage ;

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161

- collaborer avec les villes négrières européennes (Liverpool,

Bordeaux, Nantes, etc.) ou américaines pour promouvoir les

résultats des recherches ;

- enfin, le projet « Route de l’esclave » devrait élaborer une

carte géante de toute l’Afrique, afin de matérialiser ces sites et

lieux de mémoire, qui sont, pour l’essentiel en voie de

disparition.

Ces reconstitutions ont un but pédagogique, culturel, voire

économique. Il est aussi utile de rassembler l’ensemble des

connaissances dans des publications, afin de les vulgariser et de les

rendre accessibles pour une utilisation multifonctionnelle : enseignement

de la question de l’esclavage et de la traite négrière dans les programmes

scolaires et universitaires, promotion du tourisme culturel et de mémoire,

revalorisation des lieux de mémoires, rapprochement des peuples par un

catharsis de réconciliation, afin d’éloigner les ressentiments de haine, qui

enveniment les relations inter ethniques entre les victimes et les

coupables au Togo.

Conclusion

Dans l’état actuel des recherches sur l’esclavage et la traite

négrière au Togo, les travaux archéologiques doivent se poursuivre, afin

de disposer de substantiels vestiges et informations sur cette période de

notre histoire. A l’étape actuelle de l’avancement des travaux, beaucoup

reste encore à faire dans ce domaine. En effet, tous ces lieux et vestiges

répertoriés doivent être matérialisés et représentés sur une carte, afin de

promouvoir le tourisme culturel et le tourisme de mémoire. Les artéfacts

recueillis serviront de collections au musée de l’esclavage dont la

création est imminente, probablement sur le site de la Maison Wood.

Dans tous les cas, l’espace aujourd’hui togolais a connu, comme

ailleurs, l’esclavage sous ses diverses formes traditionnelles, ainsi que la

traite négrière renforcée par la demande transatlantique. Sur cet espace,

on a identifié des circuits empruntés par les razzieurs et les traitants, mais

aussi des lieux forts de cet odieux commerce. Les souvenirs liés à

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162

l’esclavage et à la traite négrière restent encore présents dans le vécu

quotidien de nombreuses populations et se manifestent à travers les

rituels, la langue, le folklore, l’art culinaire dans notre pays. En somme, il

est aujourd’hui indispensable de sensibiliser les générations présentes et

futures à s’estimer et à se respecter, afin de promouvoir la réconciliation,

la paix et le dialogue entre les cultures.

Sources et bibliographie

1. Sources

1.1. Sources orales

d’ordre

Nom et prénoms Titre de

l’informateur

Date de

l’entretien

Lieu de

l’entretien

1 ABRAGAO

Akibou

Chef de village

de Kpatakpani

21 mars 2009 Tchamba

2 AGADOU

Mensah Jules

Infirmier à la

retraite

20 mars 2009 Blitta

3 ALIASSIM

Karim

Notable

patakpani

21 mars 2009 Tchamba

4 ALIOU Ibrahim Notable à

Tchamba

21 mars 2009 Tchamba

5 ALONOU

François

Notable à Blitta 20 mars 2009 Blitta

6 AROUNA

Allasane

Notable à

Tchamba

21 mars 2009 Tchamba

7 BA-MOLA

Aladji Issa

Chef de

Kparatao

21 mars 2009 Kparatao

8 BAMASSI

Kangantou

? 20 mars 2009 Lama-Fing /

Kara

9 DJATO Soulé Chef de

quartier

21 mars 2009 Kparatao

10 KOLA Akessou Notable Lama-

fing / Kara

20 mars 2009 Lama-fing /

Kara

11 MAMAM Gado

Abdoulaye

Chef de canton 21 mars 2009 Krikri

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163

12 OURO Agouda

Boukari

Notable de

Kparatao

21 mars 2009 Kparatao

13 OURO Agouda

Mohamed

Notable de

Kparatao

21 mars 2009 Kparatao

14 OURO Ayeva

Azibou

Notable de

Kparatao

21 mars 2009 Kparatao

15 OURO Bagna

Alassani

Notable de

Kparatao

21 mars 2009 Kpartao

16 OUTANDAH

Abdou Samed

Enseignant

école

coranique, à

Tchamba

21 mars 2009 Tchamba

17 SAMATA OURO

Gnawo

Notable de

Kparatao

21 mars 2009 Tchamba

18 SAMKE

Yelboutcho

Batabou

Chef de canton

d’Aouda

20 mars 2009 Aouda

19 YAFOUNTA

Antoine

Chef de village

de Bassamba

mars 2009 Koutamakou

1.2. Sources écrites

Esquisse de plan de gestion, Route de l’Esclave, Ouidah, 6ème

cours

régional, AFRICA 2009, Porto-Novo, Bénin 2004, 70 p.

Restauration de Wood Home, Agbodrafo, Togo Phase 1 : travaux

d’urgence : rapport final juillet-août 2006, site web africa 2009 :

www.iccrom.org/Africa2009

2. Bibliographie

Couchouro F., 1998 : L’esclave, Lomé, Editions Akpagnon, 299 p.

Gayibor N. L. (éd), 1990 : Toponymie historique et glossonymes actuels

de l’ancienne côte des esclaves (XVè XIX

è siècles), Lomé, Presses

de l’UB, 142 p.

Gayibor N. L., 1991 : Le Genyi, un royaume oublié de la côte de Guinée

au temps de la traite des Noirs, Lomé, Edition Haho, 321 p.

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164

Gayibor N. L. (éd), 1997 : Histoire des Togolais, des origines à 1884,

Lomé, Presses de l’UB, 443 p.

Gayibor N. L. (éd), 2001 : Le Tricentenaire d’Aného et du pays Guin, II

vol., Presses de l’UB, 679 p.

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165

UN PATRIMOINE CULTUREL IMMATERIEL DU TOGO A

L’EPREUVE DU TEMPS : CAS DU PAYS GUIN1

KADANGA Kodjona

Département d’Histoire et d’Archéologie

Université de Lomé

E-mail : [email protected]

Résumé

Le Togo compte plusieurs peuples, mais leur contact avec les

Européens et avec leurs voisins ne s’est pas fait au même moment. Le

peuple guin, qui dès le 17ème

siècle, est entré en contact avec les Blancs a

vu son patrimoine culturel très affecté au fil du temps. Les profondes

mutations socioculturelles induites ne sont pas sans conséquences.

Il y a donc lieu de s’interroger sur l’impact de ces emprunts

extérieurs sur le patrimoine culturel immatériel des Guin et la politique

qu’il faut élaborer pour le préserver.

Mots clés : Patrimoine culturel immatériel, mutations

socioculturelles, folklorique, artistique, sauvegarde.

Introduction

Les concepts patrimoine, patrimoine culturel, patrimoine culturel

immatériel, tangible, intangible, matériel, etc. ont évolué à travers

l’espace et le temps. Le concept de patrimoine immatériel couvre un

domaine immense. Les traditions et expressions orales, y compris la

langue ; les arts du spectacle, arts plastiques, musique, danses, chansons ;

les pratiques sociales, rituelles, cérémoniales et évènements festifs,

1 Ce texte est une version revue et corrigée d’une communication présentée lors d’un

colloque sur « le tricentenaire du pays guin » et publiée en 2001 dans les Presses de

l’Université du Bénin.

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contes ; les connaissances, croyances et pratiques concernant la nature et

les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel. C’est de ce concept dont il

est question dans cette étude (Tchamié éd 2006 : 84-93).

En effet, le pays guin (Gayibor 1991, Agbano II, 1982, 1991) qui

eut ses premières rencontres a subi des mutations socioculturelles : « Les

Mina subissaient donc le contact direct de ces Européens. Ils voyaient à

leur façon de s’habiller, de se comporter, de raisonner, de se nourrir,

qu’ils leur étaient supérieurs au point de vue du mode de vie. Ils ont donc

éprouvé naturellement le besoin de se débarrasser de la plupart de leurs

coutumes, d’apprendre à mieux faire la cuisine, à mieux s’habiller et

d’apprendre même des langues européennes » (Gayibor 1992 : 239).

Il y a lieu de s’interroger sur les conséquences des emprunts

extérieurs au sein du peuple guin. Le domaine culturel étant vaste et

complexe, ce travail se limite à certains aspects de la culture

traditionnelle en l’occurrence le patrimoine folklorique et artistique.

1. Les menaces qui pèsent sur nos traditions

Le Révérend Père Engelbert Mveng (1976), dans une

communication intitulée : « Mort ou survie culturelle » a distingué

remarquablement trois graves menaces que nous résumons : un

phénomène interne qu’il a dénommé « la désapprobation culturelle ».

C’est la perte volontaire ou inconsciente de l’identité culturelle qu’on

peut remplacer par identité d’emprunt :

« Malgré les slogans mille fois répété, écrit-il, nos langues, notre art,

notre droit, nos systèmes de pensée, nos littératures sont encore relégués

parmi les curiosités et les accessoires, à côté des langues, de l’art, du

droit, des systèmes de pensée, des littératures étrangères qui envahissent

de façon impudique tous les aspects de notre vie publique et privée ».

De ce fait, la culture soumise au pouvoir de l’argent, subit sa

domination. Cette mutation se fait malheureusement avec la complicité

des Africains eux-mêmes, qui sont enclins à dévaloriser leurs propres

cultures. Par le snobisme, tout ce qui vient du dehors brille.

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Sous couvert de modernisme ou d’universalisme, écrit N’diaye

(1975 : 30), l’Africain devient un « clochard culturel ».

Une autre menace vient de l’extérieur, sous la forme du néo-

colonialisme culturel. Mveng écrit :

« Les Occidentaux ont repris à leur compte nos techniques de tissage,

de teinture d’étoffe, de fabrication de bijoux. Ils étudient notre

médecine traditionnelle tandis que nous palabrons pour savoir qui est

sorcier, féticheur ou guérisseur. Il apprenne à leurs enfants la faune et la

flore du continent africain, tandis que nos enfants ignorent tout de leur

environnement naturel et sont incapables de nommer les animaux

domestiques ou les plantes du jardin dans la langue du pays ».

Enfin :

« L’aliénation culturelle est la menace la plus directe, la plus lourde de

conséquence, qui pèsent sur nos traditions. En effet, l’Afrique est

envahie par les produits et sous-produits de la civilisation de

consommation occidentale : les populations africaines jusqu’au fond des

brousses et les endorment en leur donnant l’illusion du confort et de

l’abondance ».

Le constat est amer mais il est pertinent. Les éléments de réponses

pour l’éradication de notre patrimoine ne peuvent être recherchés que par

les différentes politiques culturelles au niveau de chaque pays et partant,

du continent africain.

Au Togo, les bonnes intentions ont été dévoyées. Nos valeurs

culturelles sont loin de connaître une dynamique. Et chaque jour qui

passe nous enfonce davantage dans la perte de notre identité. Le peuple

guin qui a un riche patrimoine folklorique et artistique n’a pas échappé à

cette situation.

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2. Aperçu du patrimoine folklorique et artistique

2.1. Le folklore (ehunpopowo)

En dehors des contacts avec les Blancs, il y a eu beaucoup

d’échanges culturels entre Aného et le royaume fon. Les chansons qui

accompagnent les jeux folkloriques des grandes familles (Lawson,

d’Almeida, Ajavon, etc.) sont en langue fon (Gayibor 1992 : 249).

Le patrimoine culturel vivant se manifeste au niveau des danses

populaires et rituelles : elles sont exécutées lors des réjouissances

(mariages, anniversaire, funérailles etc.). Parmi celles-ci, l’on peut citer :

adjogbo, danse accompagnée de gestes rituels ; aguélé ou les échassiers

sont réservés aux hommes car, leur exécution requiert de longues

échasses aux pieds ; agbadja, atsavu ou atimevu font parties de ces

manifestations de joie ; enfin djokoto est une danse d’exception (c’est le

tam-tam du roi) au cours de laquelle le chef peux rentrer dans l’arène et

danser.

Quant à la danse vodou (divinité), elle accompagne presque toutes

les cérémonies des Guin : en appui aux manifestations vodou, l’adifo est

célébrée en l’honneur de hébiésso (dieu du tonnerre) ou à la sortie du

couvent des jeunes adeptes. Il en est de même du brèkètè. Enfin, les

adeptes du culte kokou utilisent les couteaux et les coupe-coupe pour

frapper tout leur corps sans se blesser.

Au total, ces musiques traditionnelles dont les dispositions nous

sont transmises par le folklore sont en voie de disparition au point de vue

technique. Elles sont de plus en plus mal exécutées alors qu’elles

constituent pour ce milieu le référentiel culturel fondé essentiellement sur

l’oralité.

Comment les préserver ? La recherche doit être mise au service de

la tradition afin de la fixer, de la sauvegarder et de la rendre plus

dynamique. Il s’agit de prendre conscience de cet héritage culturel, de

l’étudier, de l’actualiser et de le faire fructifier pour en faire une base

d’inspiration pour les générations futures. Pour atteindre ces objectifs, les

projets de recherches musicologiques doivent être soutenus.

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Ces valeurs traditionnelles naguère mises en exergue lors des

semaines culturelles, ont impliqué de jeune gens, relève de demain. Celle

de 1975 à Aného s’est achevée sur le constat ci-après :

« La semaine culturelle qui vient de s’achever est un évènement sans

précédent, par le fait qu’elle constitue pour chacun de nous une réelle

prise de conscience de nous-mêmes d’abord, puis des hautes valeurs

morales de notre patrimoine folklorique. La signification des différentes

salutations dans une journée et la façon de les prononcer, de les faire,

n’était-elle pas ignorée de beaucoup d’entre nous ? Comme l’a si

remarquablement démontré notre grand frère Kponton1, le port du

pagne traditionnel, la pratique de certaines danses de nos villages ne

sont-elles pas considérées par nous-mêmes comme des choses vilaines,

honteuses et réservées aux autres ? » (Aithnard 1975 : 94).

En effet, le retour aux sources ne signifie pas une régression car,

le monde évolue, et il faut évoluer avec lui tout en conservant ce qui fait

notre identité. Le rôle des pouvoirs publics doit être déterminant et

redéfini dans l'intérêt des populations intéressées. Cette situation est aussi

palpable dans les activités artistiques des Guin.

2.2. Activités artistiques

Une œuvre d'art est une création à laquelle l'homme transmet

quelque chose de sa personnalité par le truchement d'un matériau, d'une

forme et d'un contenu, qu'il s'agisse d'une composition spatiale (plastique

et graphique), littéraire ou musicale. Les œuvres d'art africain prises

séparément ou dans leur ensemble diffèrent des formes nées dans d'autres

régions du monde. Dans les milieux traditionnels, cet art est au cœur de

la vie, de la culture. L'art n'est-il pas l'écriture de l'Afrique dans la mesure

où il est fonctionnel et non figuratif ? N’diaye (1975 : 60) écrit à juste

titre :

« Les objets artistiques, du plus utilitaire au plus élevé, définissent les

relations entre les individus, la nature et les dieux. L'art est unité

1 Hubert Messanvi Kponton (1905-1981) fut instituteur et artiste.

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rythmique qui lie l’homme au monde visible et invisible, à la nature

extérieure et intérieure. Il est un instrument pédagogique chargé de

transmettre le savoir par les ancêtres, de génération en génération ».

Chez les Guin, il existe diverses formes d’art sur lesquelles

l’esthétique traditionnelle yorouba exerce sa puissante influence (Holas

1976 : 162). Dans ce secteur côtier occupé par les Guin et les Ewé, les

œuvres artistiques avaient stimulé la chorégraphie sacrée tout en servant

de conservatoires du riche patrimoine oral.

La peinture (amadodo)

Le peintre est doué d’un savoir-faire qui traduit sa pensée et le

sens de l’esthétique. L’on peut constater que les œuvres dérivent

directement des bas-reliefs qui ornent les murs des palais et des temples

(Holas 1976 : 163 : 164). Sur les murs du palais royal par exemple le

peintre représente un animal féroce, symbole de la puissance du roi, ou

un dessin d’un serpent sur le temple du vodou da (dieu-serpent). Le

brèkètè, instrument de musique est décoré avec des bandes de tissus

tricolores, de couleurs blanche, bleu et rouge. Elles symbolisent

l'emblème de) a divinité Brèkètè.

La forge1 (nututu ou yollo)

C’est une profession pratiquée par des individus de la même

famille. Elle se transmet du père au fils. Ce sont les fractions éwé et fon

venues de Notsè et du Bénin qui en détiennent le monopole. Le forgeron

produit des outils : (houe, coupe-coupe, couteau, hameçon), des armes:

(épée royale, lance) ; des ornements: couvre chef, chapeau en bronze,

clochettes utilisées par les adifossi dans les couvents.

Certains forgerons sont célèbres dans la fabrication des masques

en cuivre, en bronze pour immortaliser des ancêtres et des animaux

totémiques. Le forgeron est craint et considéré en Afrique occidentale.

1 Les informations qui suivent ont été recueillies pour la plupart auprès de l'artiste-

peintre Ahlin Ayaogan et de Edohr Noviti, président du Conseil du peuple guin.

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Comme exemple, awaga composé de deux entonnoirs métalliques ayant

leurs embouchures soudées l'une et l'autre, accompagne les incantations

et chants des adeptes de yewe (vodou) dans les préfectures des Lacs, Vo

et Yoto. Il en est de même de kodzoe : il ressemble beaucoup à une coupe

en miniature renversée, amputée de son pied et renfermant une languette

qui produit des sons monotones lorsqu'il est secoué. Il accompagne les

chants et les incantations des adeptes des divinités hebiesso, agbui, etc.

La sculpture (atikpakpa ou énuwokpakpa)

Dans les travaux du bois, la gravure ou pyrogravure des

calebasses, est un art mineur, perfectionné qui donne souvent des

résultats et une harmonie pictographique parfaite.

L’artiste produit des statues et des masques en bois qui

représentent les dieux. Le sculpteur est en même temps le menuisier qui

fabrique des pirogues, des tabourets pour immortaliser des ancêtres.

Atumpani ou tam-tam parlant est fabriqué à partir d'un tronc d'arbre

monobloc, écorcé, évidé et taillé en forme de cylindre. Le dessous est

fermé. Une peau de mouton (de préférence) après assouplissement dans

l'eau est tendue sur l'ouverture ayant le plus grand diamètre. Il sert à

transmettre des messages (louer les dignitaires, annoncer les événements

importants: décès d'un notable ou d’un chef, les guerres, l'arrivée d'une

autorité à la cour royale, etc.).

L’artiste produit aussi les objets cérémonials comme les gobelets

en bois, les pipes et les boîtes qui témoignent d’un sens artistique fin.

La poterie (ézememe)

Elle est réservée aux femmes et surtout à celles des forgerons.

Elles utilisent la terre glaise battue pour la fabrication des marmites, des

assiettes et des pipes. Cette terre battue est utilisée par les hommes pour

la représentation du légba ou des légba puisque dans certaines familles à

Aného chaque membre de la famille a son légba.

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Les poteries occupent une place importante dans la société. Pour

donner une résistance à leurs produits, ces femmes les faisaient cuir et les

teintaient à l'indigo pour leur beauté certaine.

Le tissage (avololo)

Cette activité est réalisée par les hommes qui connaissent ce

métier. Chez les Guin et les Ewé, le tissage est une activité secondaire

pour le cultivateur et le pêcheur. Après le filage et le teintage du coton

par les vieilles femmes, il revient aux hommes de cette catégorie de

démontrer leur savoir-faire pour la production des pagnes (kenté), des

tissus pour la confection des grands boubous. Un homme qui possède un

ou plusieurs pagnes de ce genre est très respecté. Actuellement, à cause

de l'importation des pagnes et tissus produits par les Européens,

l’importance de ce métier est réduite.

Ce sont ces mêmes artistes qui fabriquent les filets pour les

pêcheurs. Certains sont également.des tailleurs réputés dans le domaine

des modes; ils produisaient des vêtements dont le tsanka (culotte avec

une queue longue).

C’est un artisanat rural qui est lent dans son développement et

tend à disparaître.

La maçonnerie traditionnelle : Les Guin utilisent la terre glaise

pétrie pour la construction des murs des maisons. Certains clôturaient

tout le village et surtout la maison royale avec un mur d'une épaisseur

considérable.

L’artisanat en cuir : Le Guin fabrique des sandales pour l’usage

de la population. Exemple de tsokota, sandales de luxe décoré que

portaient les rois. Ils fabriquaient aussi des sacs en cuir et utilisaient des

peaux tannées des bêtes comme matières premières. Cet artisanat est

actuellement influencé par les importations.

C’est l’état dans lequel se trouvait l’artisanat du peuple guin avant

le contact avec les Blancs. En effet, avec leur arrivée sur la côte des

esclaves, toutes les formes traditionnelles d'art ont connu des évolutions

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en leur sein. Certains ont pratiquement disparu ou en train de disparaître.

C’est l’exemple de la maçonnerie traditionnelle et le tissage. D’autres

formes sont en train de naître pour s’adapter au monde moderne, c’est le

cas de la peinture et de la sculpture, vidée de leur sens premier et

répondant à la loi de l'offre et de la demande.

3. Le vécu culturel en pays guin : ni traditionnel ni moderne?

Cette interrogation peut s’étendre à toutes les régions de l’Afrique

noire; mais elle est plus prononcée dans les régions côtières, à l’instar des

Guin. Ceci est dû d’une part aux contacts avec les Fon, les Ouatchi et les

Ewé et d’autre part avec les Européens depuis le 17e siècle.

En effet, les immigrants guin venant d'Accra avaient acquis lors

de leur séjour sur la côte, une suprématie sur leurs voisins. A l’arrivée

des Européens, ils ont appris à lire, à écrire et détenaient le monopole du

commerce. Ils servaient d'intermédiaires entre les Négriers et l'arrière-

pays. Le pouvoir de l'argent a entraîné très tôt l'apparition de

l'individualisme.

Le sens de l'hospitalité s’est estompé : l'anecdote « wodofoa? (tu

as déjà mangé ?) est significative. Dans la coutume, un étranger est servi

sans qu'on lui pose ce genre de questions. Ceci n’est-il pas la perte d'une

valeur essentielle de notre identité culturelle? Mais peut-il en être

autrement dans ce monde mouvant ?

Dans le domaine religieux, les missionnaires ont interdit des

cérémonies rituelles. Certains les ont suivis, d'autres pas. Dans tous les

cas, la plupart ne se trouvent ni dans la tradition ni dans le christianisme.

Pour ce qui est du folklore (evufofowu) en l'occurrence les danses

populaires (dzidzovuwo) et les danses rituelles (kotavuwo), si l'essentiel a

été préservé, les circonstances dans lesquelles elles sont exécutées sont

discutables et enlèvent leur caractère original : c'est l’influence du

tourisme et donc l'appât du gain.

Quant aux œuvres artistiques, elles ont perdu leur fonction rituelle

et religieuse; l'art acquiert un caractère esthétique et commercial (Holas

1976 :168, N’Diaye 1975 : 68). Cette richesse accumulée au fil des

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années est bradée1 ou profanée. Il subit le poids du tourisme international

qui impose aux artistes le travail rapide et désacralisé de l'objet d'art. Le

tourisme a produit « l'art des aéroports » (N’diaye 1975 : 62) : masques,

colliers, objets d'artisanat locaux selon le seul critère de la quantité et de

l'érotisme.

Compte tenu de ce qui précède, quelle est la place de la culture

traditionnelle guin dans ce monde moderne?

Pour Edorh Noviti Félix2 , sur le plan religieux, « la majorité de la

population est restée fidèle à la religion traditionnelle malgré l'influence

du christianisme. L’exemple de la fête religieuse épé-ékpé3 nous édifie

mieux, toutes les populations affluent de partout pour assister à cette fête

annuelle ». Peut-on parler de fidélité, d'une curiosité ou plutôt d'une

redécouverte·? Qu'en sera-t-il dans quelques années?

C’est ici que doivent intervenir les pouvoirs publics. A ce propos

Aithnard (1975 : 70-71) écrit :

« Notre école forme des citoyens déracinés et aliénés. Elle tourne le dos

à nos valeurs culturelles, philosophiques, artistiques et technologiques.

Il n'est pas question de ressusciter ou d'encourager nos coutumes

désuètes. Par exemple, couvrir d'un secret homicide les recettes de notre

riche pharmacopée constitue l'une des pratiques à bannir. Il faut donc

absolument soumettre toutes nos valeurs culturelles au crible de

l’analyse critique, en extraire et réhabiliter celles qui sont compatibles

avec les exigences modernes du progrès scientifique, technique,

économique et social. Toutes les valeurs philosophiques positives

doivent pouvoir s’exprimer à l'école ainsi que toutes les formes

d'expression proprement togolaises et africaines : expression orale,

plastique, musicale, technologique, etc. ».

Cependant, si la politique culturelle du Togo reste encore floue,

certains togolais apportent leur contribution pour cette revalorisation.

Comme disait A. Hampaté Ba (1975 : 45-46) :

1 Le marché aux fétiches d’Akodessewa (à l’est de Lomé). 2 Président du conseil du trône du peuple guin. 3 Fête qui marque le début de la nouvelle année guin.

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« Depuis l'indépendance, l'artiste africain moderne lutte pour s'affirmer.

Sa recherche d'authenticité et d'originalité est à la fois difficile et

émouvante car elle n'échappe pas toujours aux influences extérieures.

Ces artistes africains d'aujourd'hui sont situés à une époque charnière et

leur rôle sera extrêmement important selon la façon dont ils

l'exerceront. L'idéal serait sans doute qu'ils puissent plonger leurs

racines aux sources mêmes de la tradition africaine, en allant, auprès

des maîtres qui existent encore, s'instruire, non pas tellement dans une

technique, niais dans une certaine façon de se mettre à l'écoute du

monde, etc. Apprends à écouter le silence, dit la vieille Afrique, et tu

découvriras qu'il est musique ».

Ainsi, sur le pays guin, nous trouvons par exemple au musée

national:

- une sculpture en bois représentant un homme chargé d'un

serpent et tenant une bible et un chapelet qui signifie: le Guin

est chrétien et « animiste » à la fois, c'est du syncrétisme

religieux ;

- une sculpture en bois d'un adepte du serpent « Da » vénéré ;

- une statuette en bois sculpté représentant un jumeau décédé ;

- une statue d’un adepte de vodou en pays éwé ;

- une divinité à trois têtes, sculptée en bois. Elle est sensée

protéger ou punir ses adeptes selon leurs actes. C'est une

croyance guin appelée densou ;

- un gongophone (hadziga-hu),

- un vase éclairant fabriqué par Monsieur Paul Ayi qui

représente la divinité hébiesso ;

- ayroloe : petites clochettes utilisées par les adifossi d’Aného ;

- pagne traditionnel teinté à l'indigo par les femmes d'Aného.

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Paul Ayi, Ahlin Kuawu Ayaogan1 et d'autres artistes ont produit

de nombreuses œuvres pour démontrer et traduire l'éveil et l'attention de

toute l'Afrique et du Togo en particulier.

L'art du peuple guin, dans ce qu'il a d'authentique, d'essentiel et de

classique, n'imite pas le réel ou l'imaginaire. Il est dynamique et

multidimensionnel, il s'identifie à lui. L'art anonyme représente des

archétypes significatifs bien plus que des portraits ressemblants. Il faut

les soustraire de l'oubli et de l'anonymat, leur assurer une large diffusion

au moyen du livre, de la presse, du théâtre et du film afin de les mettre en

valeur et les promouvoir2 .

Conclusion

Le pays guin ouvert sur la mer à l'instar des autres peuples ayant

la même situation géographique a subi l'influence impitoyable de la

culture occidentale dès le l7ème

siècle mais aussi de ses voisins fon,

ouatchi et éwé. Les Guin ont intégré volontairement ou non certains

éléments culturels extérieurs dans leur vécu quotidien. Certes, la

préservation de nos valeurs culturelles ne signifie pas une régression car

nul ne doit être en marge de l'évolution de l'humanité. Mais cette

évolution ne doit pas être non plus synonyme de perte d'identité.

C'est ici qu'intervient le rôle des pouvoirs publics dans la

préservation et la sauvegarde des diversités culturelles car l'élaboration

des politiques en la matière leur incombe. Il leur appartient d'organiser

des recherches en créant des structures (instituts, fondations, directions et

services), de stimuler les culturels et de systématiser la concertation à

partir de la base de la société : jeunes, classes d'âge, groupes ethniques,

groupes linguistiques, communautés religieuses et associations

socioculturelles. Faute de prendre ces dispositions, nos peuples risquent à

plus ou moins longue échéance d'être dépossédés de leurs propres

cultures. Toutefois, cette prise de conscience semble être amorcée dans le

1 Artistes peintres togolais. 2 Rapport sur les coutumes, mœurs et langues (ANT) : étude sociologique et linguistique

des peuples mina.

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pays guin. L'exemple de l'organisation du festival des danses

traditionnelles est un indice encourageant1

Bibliographie

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UNESCO, 109 p.

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Gayibor N. L., 1992: Traditions historiques du Bas-Togo, Niamey, Gel.

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Tchamié T. T. K., 2006 : Lexique du patrimoine culturel, Presses se l’Ul,

132 p.

1 Il s'est tenu en décembre J 999 dans les préfectures des Lacs, de Vô et de Yoto.

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