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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2011) 10, 325—330 MÉTHODOLOGIE Recherche et évaluation en soins palliatifs : panorama et réflexions Research and assessment in palliative care: Overview and reflections Vincent Gamblin a,1,, Franc ¸ois-Xavier Derousseaux b,2 , Serge Blond c,3 , Magali Pierrat b,4 , Sara Balagny d,5 a Unité de soins palliatifs, centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale, BP 307, 59020 Lille cedex, France b Unité de soins palliatifs, hôpital cardiologique, CHRU de Lille, boulevard du Pr-Leclercq, 59037 Lille, France c Hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue Émile-Laine, 59037 Lille, France d Hôpital Calmette, CHRU de Lille, boulevard du Pr-Leclercq, 59037 Lille, France Rec ¸u le 26 novembre 2010 ; accepté le 8 avril 2011 Disponible sur Internet le 18 mai 2011 MOTS CLÉS Soins palliatifs ; Recherche ; Évaluation quantitative ; Évaluation qualitative ; Éthique Résumé Cet article a pour but, à partir de données issues de la littérature, de présenter de fac ¸on synthétique un certain nombre d’éléments de réflexion sur l’intérêt et les limites de la recherche et de l’évaluation — tant quantitative que qualitative — dans le contexte des soins palliatifs. L’emploi d’outils de recherche et d’évaluation, tout à la fois porteurs d’une image idéale d’un « bien mourir » et prétendant objectiver ce qui relève fondamentalement d’un vécu subjectif, nécessite en effet le maintien d’une certaine distance critique afin de ne pas se substituer à la relation avec le patient. Dans cette optique, il paraît ainsi essentiel d’intégrer des approches méthodologiques issues des sciences sociales, conjointement à une réflexion d’ordre éthique. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Gamblin). 1 Praticien CLCC. Photo. 2 Praticien hospitalier, responsable de la clinique de soins palliatifs. 3 PUPH, chef du service de neurochirurgie fonctionnelle (B) et responsable du CETD. 4 PH, unité de soins palliatifs. 5 PH, équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs, responsable du service d’hospitalisation à domicile. 1636-6522/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2011.04.001

Recherche et évaluation en soins palliatifs : panorama et réflexions

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Page 1: Recherche et évaluation en soins palliatifs : panorama et réflexions

Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2011) 10, 325—330

MÉTHODOLOGIE

Recherche et évaluation en soins palliatifs :panorama et réflexions

Research and assessment in palliative care: Overview and reflections

Vincent Gamblina,1,∗,Francois-Xavier Derousseauxb,2, Serge Blondc,3,Magali Pierratb,4, Sara Balagnyd,5

a Unité de soins palliatifs, centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale,BP 307, 59020 Lille cedex, Franceb Unité de soins palliatifs, hôpital cardiologique, CHRU de Lille, boulevard du Pr-Leclercq,59037 Lille, Francec Hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue Émile-Laine, 59037 Lille, Franced Hôpital Calmette, CHRU de Lille, boulevard du Pr-Leclercq, 59037 Lille, France

Recu le 26 novembre 2010 ; accepté le 8 avril 2011Disponible sur Internet le 18 mai 2011

MOTS CLÉSSoins palliatifs ;Recherche ;Évaluationquantitative ;Évaluation

Résumé Cet article a pour but, à partir de données issues de la littérature, de présenterde facon synthétique un certain nombre d’éléments de réflexion sur l’intérêt et les limitesde la recherche et de l’évaluation — tant quantitative que qualitative — dans le contexte dessoins palliatifs. L’emploi d’outils de recherche et d’évaluation, tout à la fois porteurs d’uneimage idéale d’un « bien mourir » et prétendant objectiver ce qui relève fondamentalementd’un vécu subjectif, nécessite en effet le maintien d’une certaine distance critique afin dene pas se substituer à la relation avec le patient. Dans cette optique, il paraît ainsi essentiel

qualitative ;

Éthique d’intégrer des approches méthodologiques issues des sciences sociales, conjointement à une

réflexion d’ordre éthique. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (V. Gamblin).

1 Praticien CLCC. Photo.2 Praticien hospitalier, responsable de la clinique de soins palliatifs.3 PUPH, chef du service de neurochirurgie fonctionnelle (B) et responsable du CETD.4 PH, unité de soins palliatifs.5 PH, équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs, responsable du service d’hospitalisation à domicile.

1636-6522/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.medpal.2011.04.001

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KEYWORDSPalliative care;Research;Qualitativeevaluation;Quantitativeevaluation;Ethics

Summary The purpose of this article is to present synthetically, based on literary data, someitems of reflection on the interest and the limits of the evaluation process in palliative care,whether it be a qualitative or quantitative approach. The use of evaluation techniques is ques-tionable for they imply an ideal depiction of a ‘‘proper way of dying’’ and because they claimto objectivate a fundamental subjective matter. Therefore it is necessary to keep a criticaldistance with this evaluation process not to alter the relationship with the patient. As a result,it proves essential to integrate the methodological approach issuing from social sciences intoan ethical reflexion.© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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ntroduction

a nécessité de la recherche en soins palliatifs s’impose pourn grand nombre d’équipes, afin non seulement d’améliorera prise en charge des patients mais aussi d’optimiser leonctionnement de ces équipes et d’assurer leur reconnais-ance par le monde médical. Toutes les structures de soinsalliatifs ont en effet une vocation de recherche, mais quioulève des interrogations et trouve des limites en rapportvec leur sujet même, la personne gravement malade et sonntourage [1—5].

De plus, dans le contexte actuel de santé publique visante respect des « bonnes » pratiques soignantes dans le doublebjectif d’offrir une prise en charge uniforme et optimalees patients et de maîtriser les dépenses de santé (tari-cation à l’activité), les soins palliatifs sont tout autantoncernés par ces exigences d’évaluation. Toute la difficultéa donc consister à associer à l’évaluation de résultats àartir d’indicateurs objectivement mesurables ce qui fait lapécificité des soins palliatifs, à savoir l’accompagnementlobal des patients, y compris dans leurs dimensions psycho-ociale et spirituelle. Le défi actuel des soins palliatifs estlors d’envisager de nouveaux modèles, de facon alternativeais néanmoins complémentaire aux approches classiques

6,7].

rincipes de la recherche quantitative (ouommative) — Essais contrôlés randomisésECR)

e paradigme à la base du modèle biomédical dominantst représenté par une vision du monde positiviste, où leut fondamental est la recherche de la vérité. Celle-ci estonsidérée comme étant unique, objective, mais surtoutbservable, mesurable, et ne dépendant aucunement ni duhercheur ni des moyens mis en œuvre pour la trouver.

Ainsi, afin de déterminer si un phénomène donné est liéu non au seul effet du hasard, le chercheur va utiliser unertain nombre de critères validés et définir un cadre métho-ologique artificiel lui permettant de contrôler le plus grandombre de paramètres possibles susceptibles d’influencer sa

echerche. L’étude portant sur un échantillon randomisé,n modèle statistique permettra enfin de généraliser lesésultats à la population totale d’où provient cet échan-illon. Dans le cadre de l’Evidence Based Medicine, les ECR

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eprésentent la procédure autorisant le plus haut niveau dereuve [1,8].

ifficultés d’application des essaisontrôlés randomisés en soins palliatifs

ependant, dans le contexte des soins palliatifs (mouvementui s’est développé au moins partiellement en oppositionvec cette conception positiviste), les ECR posent un certainombre de problèmes en raison du caractère multidimen-ionnel de la prise en charge des personnes en fin de vie.n effet, moins de 5 % des études publiées en soins palliatifsnt utilisé les ECR [1]. On peut ainsi identifier un certainombre de biais [1,5,6,8,9].

ans la sélection des patients

es échantillons sont bien souvent de petite taille dans leas de patients suivis en soins palliatifs. Si, pour corrigere biais, on s’intéresse à des échantillons plus grands dealades non suivis en soins palliatifs mais susceptibles deénéficier de ce type de soins (par le biais d’équipes mobilesu de soignants formés aux soins palliatifs), se pose alors leroblème de l’hétérogénéité des prises en charge.

Afin que les groupes comparés soient les plus homogènesossibles, on s’efforce de définir des critères d’inclusionrécis. Cependant en soins palliatifs, il existe une trèsrande disparité entre les patients selon la pathologie, letade d’évolution, la symptomatologie, le contexte sociofa-ilial, compromettant ainsi la représentativité des groupes.De nombreux médecins de soins palliatifs sont opposés

la randomisation pour des raisons éthiques, considérantu’ils doivent offrir le meilleur traitement possible à leursatients. De même selon les études, 10 à 67 % des maladesefusent de participer aux recherches cliniques [5].

ans le recueil des données

a période de suivi est limitée par la médiane de survie,elle-ci étant de plus particulièrement difficile à estimer,’où des patients parfois inclus ou exclus à tort.

Le taux d’abandon est élevé et varie de 34 à 80 % selones études [5], et est à mettre en rapport avec la rapideégradation physique et/ou psychique des patients. Ainsi’utilisation de questionnaires d’autoévaluation, à première

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vue les plus adaptés, n’est pas facilitée lorsque la maladieévolue.

La plupart des indicateurs de santé habituellement uti-lisés ne sont pas validés pour une utilisation dans un cadrepalliatif et risquent de ne pas être sensibles à ces soins.

La subjectivité des mesures effectuées compromet lareproductibilité de ces études. Les problèmes rencontréssont en effet souvent situés à l’intersection de plusieursdomaines, médical, relationnel, social, éthique. . .

Dans le cas d’une comparaison prise en charge pallia-tive/non palliative, la diffusion de plus en plus généraliséed’un certain « savoir-faire » en soins palliatifs rend parfoisdifficile la mise en évidence d’une différence significativeentre les procédures de soins.

Enfin, bien souvent dans les structures de soins palliatifsles moyens humains ou financiers dévolus à la recherche sontencore insuffisants.

Cependant, même si le modèle biomédicalclassique d’évaluation des résultats n’est pas

particulièrement adapté aux soins palliatifs, lesECR restent pour la plupart des auteurs un idéal

vers lequel tendre.

La prise en charge palliative, par définition complexecar de nature médico-psychosociale, voire spirituelle, nepeut être simplement évaluée comme une procédure desoins techniques. Les spécificités des soins palliatifs rendentdonc nécessaires l’adjonction d’autres méthodes, notam-ment des méthodologies de recherche qualitative utiliséesdans le domaine des sciences sociales. Au regard de la défi-nition du principe de « souffrance globale », il apparaît doncindispensable d’associer autant que possible ces deux typesd’approches, quantitative et qualitative, l’expérience deséquipes de soins palliatifs en termes de multidisciplinaritéet de non-étanchéité des pratiques étant sur ce point unatout majeur.

Principes de la recherche qualitative (ouformative)

Dans ce cas, la vérité n’apparaît pas comme un phé-nomène unique, objectivable, mesurable, extérieur àl’expérimentateur. Elle est au contraire une constructionbasée sur les représentations, conceptions et perceptionsdes personnes impliquées.

La recherche qualitative va ainsi s’intéresser surtout aucontexte, à l’environnement d’un système, et aux interac-tions qui vont s’établir entre ses différents composants. Elleva chercher à connaître et comprendre des phénomènes sub-jectifs, des expériences, des opinions, des motivations, descomportements. Elle se base fondamentalement sur deuxnotions principales [10,11].

Le concept de réflexivité

La vérité n’étant donc pas considérée comme un phéno-mène extérieur, objectif, l’évaluateur fait partie intégrantedu système étudié, et chaque participant va accepter de

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e transformer, d’évoluer au contact de l’autre. La distan-iation sujet—objet n’a donc plus lieu d’être. Chacun estla fois chercheur et objet de la recherche. Cette notion

e retrouve dans le principe de la recherche—action, quionsiste à générer des changements en association avec leecueil de données.

e concept de triangulation

l s’agit de multiplier les sources de données, les méthodo-ogies (entretiens, études statistiques, observation directe,tc.), mais aussi les observateurs, afin de recueillir le maxi-um d’informations. Un même système est alors étudié

elon différentes approches, chacune ayant ses spécificitéséthodologiques tout en étant complémentaires les unesar rapport aux autres. Et les éventuelles divergences deésultats, loin d’invalider l’étude, permettent au contraire’apporter un surcroît de renseignements.

Dans cette logique « d’enquête », l’entretien ouinterview » reste l’outil le plus souvent employé. Élaborépartir d’un guide spécifique, il présente des degrés de

irectivité variables selon la liberté d’expression laisséela personne enquêtée : entretien libre (ou non directif),

ntretien guidé (ou semi-directif), entretien directif, voireême questionnaire structuré [1].Tout autant que la recherche quantitative, la recherche

ualitative répond à un certain nombre de critères deigueur [11] :

la reproductibilité : elle se vérifie par une double inter-prétation des résultats reposant sur une triangulation desinvestigateurs ;la validité : elle repose sur la comparaison des résultatsde plusieurs méthodes ;la transférabilité : transposition de la généralisation desétudes quantitatives, elle se vérifie par l’application dela théorie dans un contexte analogue à celui de l’étudeinitiale.

Plusieurs stratégies peuvent être proposées afin de res-ecter au mieux ces trois critères [7,12] :utilisation d’un cycle de recherche : de facon régulière lechercheur passera de la réflexion à l’action et de l’actionà la réflexion dans un mouvement de va-et-vient afind’adapter et d’équilibrer de facon continue chacun deces deux pôles du travail ;la prise en charge des projections inconscientes : larecherche en soins palliatifs peut générer des émotionspénibles chez le chercheur, réveiller des difficultés per-sonnelles et ainsi diminuer la validité de l’étude. Unesupervision avec un suivi psychologique peut alors pré-venir toute situation de détresse [12] ;une recherche collaborative : l’équipe doit travailler dansun contexte de multidisciplinarité et organiser régulière-ment des rencontres entre tous les participants.

Au total, la recherche qualitative est essentiellementn cadre méthodologique centré sur un dispositif plu-ôt que sur des performances, et impliquant les acteursux-mêmes. À titre d’illustration, une enquête qualita-

ive publiée en 2009 réalisée sous la forme d’entretiensemi-directifs auprès de professionnels et bénévoles de dif-érentes équipes de soins palliatifs a cherché à analyser laacon dont ces derniers concevaient leur activité en fonction
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es besoins et attentes des malades et de leurs proches, etpermis d’identifier différents modèles de prise en charge

13].

émarche qualité et soins palliatifs

echerche et évaluation, tant quantitatives que qualita-ives, concourent finalement dans le domaine des soins à laecherche du critère de qualité, dimension incontournablee la politique de santé actuelle, s’exprimant en particuliertravers les démarches de certification [14]. Sous cet angle,

’évaluation concerne les deux aspects suivants [15] :qualité de vie du patient ;qualité des soins.

Les soins palliatifs, en tant que partieintégrante de la pratique médicale

contemporaine, ne peuvent faire l’économied’une telle démarche s’ils souhaitent conserver

et affermir leur légitimité.

valuation de la qualité de vie du patient

a notion de qualité de vie reste particulièrement subjec-ive, mais pourrait se définir comme étant « l’inverse de laistance qui sépare les buts de la vie d’un individu, de laapacité qu’il a de les atteindre » [16]. Il s’agit d’un conceptultidimensionnel, couvrant tout à la fois les champs duien-être physique, psychique, familial, social et spirituel.

De nombreux instruments de mesure sont actuellementisponibles sous forme de questionnaires remplis par leatient lui-même, et les études concernant ce sujet se sontultipliées ces dernières années, témoignant ainsi à la foise son importance mais aussi de sa complexité. Il faut éga-ement rappeler qu’il n’existe à l’heure actuelle aucunechelle de qualité de vie validée en francais pour le patientelevant de soins palliatifs. Une étude multicentrique ayantour principal objectif de valider différents questionnairesnglo-saxons de qualité de vie en phase palliative avancéehez des patients atteints de cancer est en cours (Protocoleancer End of Life Evaluation : CEOLE).

Ces outils peuvent être schématiquement classés dansrois catégories selon leur domaine d’application [16—18] :

des mesures génériques, qui ne sont pas spécifiquesd’une population ou d’une maladie. L’Edmonton SymptomAssessment System (ESAS) utilise neuf échelles visuellesanalogiques correspondant chacune à un symptôme (dou-leur, fatigue, nausée, dépression, anxiété, somnolence,appétit, bien-être, respiration) [19] ;des mesures pour des populations ou des pathologies par-ticulières, comme le European Organisation for Researchinto the Treatment of Cancer Quality of Life Questionnaire(EORTC-QLQ-C30), très souvent cité, ou le FunctionalAssessment of Cancer - General Version (FACT-G) ;

des mesures concernant des symptômes spécifiques,comme la douleur (McGill Pain Questionnaire), l’anxiétéet la dépression (Hospital Anxiety and Depression Scale[HADS]), ou encore l’asthénie.

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V. Gamblin et al.

Quelques instruments ont été développés spécifiquementour une utilisation dans le cadre des soins palliatifs : lechedule for the Evaluation of Individual Quality of Life (SEI-OL), le McGill Quality of Life Questionnaire (MQOL), le Lifevaluation Questionnaire (LEQ), le Assessment of Quality ofife at the End of Life (AQEL).

Actuellement, les derniers outils élaborés cherchent à’intéresser plus au vécu subjectif des patients, à leur propreerception de la maladie, qu’à la description de leurs symp-ômes. Deux orientations peuvent être distinguées sur lelan méthodologique :l’approche multidimensionnelle, qui concerne la majoritédes questionnaires, où la qualité de vie est définie selonplusieurs items ;l’approche individualisée, qui permet au patient de pon-dérer chaque item en fonction de l’importance qu’il luiaccorde. Appartiennent à cette catégorie le SEIQOL, lePatient Evaluated Problem Score (PEPS), le profil de qua-lité de vie subjective (PQVS) [16—18].

valuation de la qualité des soins

e second volet de la démarche qualité est représenté par’évaluation de la qualité des soins, l’objectif des profes-ionnels étant de répondre aux besoins du patient et deeconnaître ses attentes.

Le Support Team Assessment Schedule (STAS) reste l’outile plus souvent utilisé, et le seul publié et validé à de nom-reuses reprises. Élaboré en 1990 en Angleterre sous forme’un « audit clinique » prospectif des soignants, il s’adresseux équipes de soins palliatifs à domicile [20].

Ce questionnaire comprend 16 items (neuf concernente patient et sa famille, et sept les services fournis), cha-un étant côté de 0 à 4 (douleurs, symptômes, angoisseu patient, angoisse de la famille, conscience du patientur son espérance de vie, conscience de la famille sur’espérance de vie, communication entre le patient et saamille, communication entre les professionnels, communi-ation entre les professionnels et le patient et/ou la famille,rojets personnels, aides pratiques, finances, temps perdu,ie intérieure, anxiété des professionnels). Ainsi, remplisar chacun des membres de l’équipe lors de réunions heb-omadaires, le STAS permet de mettre en évidence lesifficultés de prise en charge d’un patient donné et donce mesurer la qualité des soins.

On assiste également depuis peu à l’apparition d’outils’évaluation de nouvelle génération comme le Palliativeare Outcome Scale (POS), élaboré par les auteurs du STAS. Ile propose de regrouper dans un même instrument mesuree la qualité de vie et évaluation de la qualité des soins,atient et équipe soignante répondant à une même série deuestions [20].

Cette dernière approche « intégrée » illustre le fait que’évaluation de la qualité des soins nécessite d’analyser’adéquation de ceux-ci aux besoins du malade et de sonntourage, tout en ayant conscience que les paroles etttitudes des soignants eux-mêmes peuvent majorer laouffrance directement générée par la maladie [21]. Des

chelles de mesure prenant en compte ces besoins semblentonc plus adaptées à la fin de vie [20]. L’étude qualitativeenée par Yaël Tibi-Levi de 2005 à 2006 dans cinq unitése soins palliatifs s’est ainsi intéressée au point de vue des
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« usagers », en recueillant par des entretiens semi-directifsauprès de patients et de familles les qualités que doit possé-der à leurs yeux une unité (équipe et environnement) pourêtre jugée « performante » [22].

Limites de la démarche qualité en soinspalliatifs, quelques réflexions éthiques

L’utilisation d’outils d’évaluation de la qualité de vie et de laqualité des soins soulève déjà dans la plupart des disciplinesun certain nombre de difficultés d’ordre méthodologique,pratique ou même éthique, d’autant plus dans le cadre dela médecine palliative [15—18,20,23,24] :• l’interprétation des résultats reste particulièrement sub-

jective, notamment dans le recueil de certains itemscomme par exemple le bien-être spirituel ou social ;

• l’abondance des outils disponibles rend parfois difficile lechoix de l’instrument le plus adapté ;

• certains items peuvent sembler inappropriés à despatients en fin de vie, comme l’activité professionnelleou la sexualité ;

• concernant les autoquestionnaires patients, certaineséchelles trop longues ou complexes peuvent être difficilesà faire remplir ;

• les conséquences de la mesure de la qualité de viesur le patient restent mal évaluées et influent surl’acceptabilité des questionnaires ;

• enfin, trop souvent ces instruments sont établis à partir del’avis d’experts, et non selon le vécu propre des patients.

Ainsi, les auteurs s’accordent sur la nécessité depoursuivre l’évaluation de ces outils de mesure et surl’importance de la comparaison de leur efficacité res-pective. Mais ces échelles qualité doivent demeurercomplémentaires à la relation patient-soignant et ne pass’y substituer, le malade demeurant au centre de la prise encharge multidisciplinaire.

Cependant, et cette fois sur le plan de la réflexionéthique, se pose la question à travers cette démarche qua-lité de la distance entre soins palliatifs et modèle biomédicalclassique. Deux interrogations principales paraissent pou-voir être soulevées [15,16,20,23,25] :• dans quelle mesure ces outils sont-ils porteurs d’une

vision idéalisée de la fin de vie, d’un « bien mourir », visionnormative d’une société du paraître et de l’image faisantparfois peser sur les soignants une responsabilité exces-sive ? La fin de vie reste inévitablement remplie de peurs,d’incertitudes, voire même de mystères, et parler de« qualité de vie » durant cette période peut sembler para-doxal. La démarche qualité peut alors apparaître dans unecertaine mesure comme un moyen de réassurance face ànos doutes et nos peurs. La plupart des critères communé-ment admis pour définir une « bonne mort » apparaissentpeu pertinents ou peu réalistes, voire ne sont pas avancéspar les malades eux-mêmes : contrôle et confort de la finde vie, accès conscient à sa propre fin, absence de far-deau pour l’entourage, optimisation de ses relations avecses proches, mort « naturelle » [26] ;

• de quelle objectivité parle t-on alors que l’on prétend« mesurer », « évaluer », ce qui relève d’un vécu subjec-tif ? Une étude originale avait justement mis en évidencela difficulté de prétendre évaluer les besoins spirituels

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des patients en soins palliatifs [27]. Ce qui ne serait pasmesurable, donc en dehors de la démarche Qualité, neserait-il plus de la Qualité [15] ? Alors que la rencontreavec le patient se veut singulière, au nom précisémentde ce qui fait l’unicité de chaque malade, le risque pourla pratique palliative serait de chercher une « objectivitéà tout prix », y compris dans des domaines tels que le vécupsychologique, la spiritualité, ou le sentiment religieux.Ces outils doivent donc demeurer, sous peine même deperdre toute validité, des occasions de rencontre avec lepatient, de récit d’une histoire clinique, où la « valeurétalon », le « gold standard », serait représenté par unrecueil fidèle de la parole du malade, axé sur son vécu,comme par exemple dans le cadre de l’étude Qalidovie,basée sur des entretiens non directifs [16].

onclusion

Afin de respecter la spécificité de la médecinepalliative, il semble indispensable d’être

particulièrement attentif au maintien de ladimension qualitative de l’évaluation,

fondamentalement basée sur le dialogue et larelation.

Toutefois, dans ce contexte, l’emploi d’outils’évaluation (évaluation de la qualité de vie et de laualité des soins), tout à la fois porteurs d’une imagedéale d’un « bien mourir » et prétendant objectiver ce quielève fondamentalement d’un vécu subjectif, nécessite leaintien d’une certaine distance critique afin de ne pas se

ubstituer à la relation avec le patient. Il existe sans aucunoute un « mystère » inhérent à la fin de vie de chacun, que’on peut tenter d’approcher précisément en acceptant dene pas savoir ».

Il s’agira donc pour les soignants impliqués dans’évaluation de rester conscients de leurs propres limites etncertitudes, tout en visant une médecine palliative de qua-ité sans cesse en questionnement et cherchant à amélioreres prises en charge.

Une démarche d’évaluation nécessite ainsi d’adopter uneéritable attitude éthique, s’intégrant dans un contexte plu-idisciplinaire et présupposant écoute de l’autre et écoutee soi, où chacun accepte de se transformer et d’évoluer àravers la relation.

La question de la démarche d’évaluation paraît alorsrouver son origine dans la problématique du rapport à’altérité et à la différence, la difficulté essentielle étantnalement, dans un double mouvement d’engagement ete désengagement, de trouver dans la relation avec l’autre,a juste mesure entre deux extrêmes : l’autre en tant quetout autre », et l’autre en tant que « autre moi » [28].

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

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