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HO TON TRINH RECHERCHES LITTERAIRES AU V1ET-NAM ET CERTAINS PROBLEMES CONCERNANT LA LITTERATURE COMPAREE* La litt6rature vietnamienne, objet de nos &udes a son origine historique plurimiU6naire. L'616ment fondamental et dynamique qui a pr6sid6/t sa naissance est le labeur tenace et courageux du peuple travailleur qui bgtit le pays en connexion avec les luttes arm6es fr6quentes et parfois longues d'une dizaine de si~cles qu'il lui a fallu soutenir contre l'agresseur chinois pour reconqu6rir l'ind6pendance et la souverainet6 nationales. Plus prbs de nous, la litt6rature r6volutionnaire vietnamienne a re- tenu nos grands efforts qu'elle m6rite bien par son rayonnement; le 4r Congr6s de notre Parti en effet, l'a ainsi appr6ci6: ~... notre litt6rature etnos arts m6ritent de prendre place ~t l'avant-garde des lettres et des arts anti-imp6rialistes de l'6poque actuelle ~)(Rapport politique). Un point crucial sur lequel nos milieux d'6tudes sont tomb, s unanirfiement d'accord, c'est clue dans la succession des ages, notre litt&ature s'honore d'instaurer et d'observer une tradition immuable: lier &roitement l'art aux probl~mes de l'homme, de la vie, de l'6poque. Droit de l'homme ins6parable du droit de l'entit6 nationale, patriotisme 6troitement li6 h l'amour du peuple, r6sistance farouche ~t l'agression 6trang&e mais vif attachement ~t la paix et h l'amiti6 entre les peuples, lutte pour un humanisme et tm amour authentiques, nobles, fid~les, tels sont les contenus vivants et constants qui caract6risent la toile * Discours prononc6devant le Pr6sidium de l'Acad6miedes Sciencesde Hongrie h Budapest~ roccasion do la r6ception pour la collation du titre de membre honoris eausa, de l'Acad6mie. 14

Recherches litteraires au Viet-Nam et certains problemes concernant la litterature comparee

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H O T O N T R I N H

RECHERCHES LITTERAIRES AU V1ET-NAM ET CERTAINS PROBLEMES CONCERNANT LA LITTERATURE COMPAREE*

La litt6rature vietnamienne, objet de nos &udes a son origine historique plurimiU6naire. L'616ment fondamental et dynamique qui a pr6sid6/t sa naissance est le labeur tenace et courageux du peuple travailleur qui bgtit le pays en connexion avec les luttes arm6es fr6quentes et parfois longues d'une dizaine de si~cles qu'il lui a fallu soutenir contre l'agresseur chinois pour reconqu6rir l'ind6pendance et la souverainet6 nationales. Plus prbs de nous, la litt6rature r6volutionnaire vietnamienne a re- tenu nos grands efforts qu'elle m6rite bien par son rayonnement; le 4 r Congr6s de notre Parti en effet, l'a ainsi appr6ci6: ~ . . . notre litt6rature e tnos arts m6ritent de prendre place ~t l'avant-garde des lettres et des arts anti-imp6rialistes de l'6poque actuelle ~) (Rapport politique).

Un point crucial sur lequel nos milieux d'6tudes sont tomb, s unanirfiement d'accord, c'est clue dans la succession des ages, notre litt&ature s'honore d'instaurer et d'observer une tradition immuable: lier &roitement l'art aux probl~mes de l'homme, de la vie, de l'6poque. Droit de l'homme ins6parable du droit de l'entit6 nationale, patriotisme 6troitement li6 h l'amour du peuple, r6sistance farouche ~t l'agression 6trang&e mais vif attachement ~t la paix et h l'amiti6 entre les peuples, lutte pour un humanisme et tm amour authentiques, nobles, fid~les, tels sont les contenus vivants et constants qui caract6risent la toile

* Discours prononc6 devant le Pr6sidium de l'Acad6mie des Sciences de Hongrie h Budapest ~ roccasion do la r6ception pour la collation du titre de membre honoris eausa, de l'Acad6mie.

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de fond historiqne de notre vaste panorama litt6raire h travers les si~cles, de la litt&atnre du folklore de nos minorit6s natio- hales ~ notre litt6rature contemporaine.

Cette sp6cificit6 historique de notre htt6ratnre fair que de ses angles et horizon nationaux, celle-ci reste toujours en con- nexion &roite avec les lois g6n6rales de d6veloppement de la pen- s6e, de l'id6e, de la cognition et du sens esth&ique de l'humanit& La formation du cachet national, de la personnalit6 nationale des Iitt6ratures dans des contextes historico-sociaux concrets et d6finis est une loi universelle. Les conditions de vie, de travail, de lutte, les traditions nationales d'ordre psychologique, carac- t&iel, culturel, les probl~mes sociaux, humains qui se posent dans le conrs de la vie d 'un penple, sont autant de fondements structuraux dans la formation du seeau sp&ifiquement national de la cr6ation litt6raire. D'autre part, dans ce sceau sp6cifique, il y a toujours le trait commun ~t toutes les productions norma- les de l'esprit. A notre avis, ~ la litt&ature et l'art sont tin aspect de l'activit6 humaine visant tt conna~tre, ~ d~couvrir, /~ cr6er au sujet des r6alit6s sociales, essentiellement de l 'homme, de la vie humaine et des luttes men6es par l'homme.~> 1 Aussi les litt&atures authentiques, dignes de ce nora, se rencontrent-elles dans un consensus unanime refl&ant la soil humaine de l'ind6- pendance, de la libert6, du bonheur et Ies luttes que l ' homme en- gage pour r6aliser ces aspirations. C'est pr6cis6ment ceconsen- sus qui fait clue les litt&atures tout en &ant diversifi6es par leur couleur nationale, se rapprochent-elles pour constituer ~ la lit- t6rature universelle >> dont a parl6 Goethe il y a longtemps dans ses conversations avec E c k e r m a n n . . .

Permettez-moi maintenant d'ouvrir une parenth~se pour ex- poser quelques-unes de nos id6es sur l'accueil r6serv6 aux diverses disciplines en rue d'enrichir notre m&hodologie en science

1 Pham Van Dong, Ve van hoa, van nohe (Sur la culture, la litt~rature, FarO. Editions Culture, Hanoi, I972~ p. 398.

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litt6raire. Nous voudrions aborder la question de litt6rature compar& dans les recherches en litt6rature.

La litt6rature compar6e a ses probl~mes sur sa propre m6tho- dologie, probl6me que le comparatiste se doit d'aborder et de r6soudre en rue d'aeeroltre l'effieacit6 de ses travaux de con- frontation.

Au sujet des perspectives de la litt6rature compar6e au Viet- nam, nous nous permettons de eirconscrire le sujet dans un certain nombre d'exemples de comparaison des objets ayant des rapports binaires cons6eutifs ~ la r6ception de la litt6rature 6trang~re. Nous nous en autoriserons pour exposer quelques- unes de nos id6es sur l'importance de la m6thodologie 6voqu6e plus haut.

Dans l'histoire de l'6volution des litt6ratures des pays du monde, faire accueil aux litt6ratures 6trang~res est un ph6no- m~ne courant dans le cadre g6n6ral des 6changes culturels inter-pays.

Par lui-m~me, le fait de recevoir est, bien entendu, fort di- versifi6. La r6ception, d'autre part, se situe ~t des niveaux diff& rents dont l'6cart peut aller jusqu'~t devenir deux p61es opposes. II est des r6ceptions marqu6es de servilit6, de snobisme, voire m~me d'ossianisme. Par contre, des eas sont apparus off rac- cueil est un effort construetif tendant ~t ~ faire sien ~> ce qui vient d'autrui, mais qui n'abdique rien de sa volont6 de rester soi- mSme, de demeurer le maitre chez sol.

En fait, l'imitation par passivit6 ou par dilettantisme, n'ap- porte pas grand'chose c o m m e contribution, n'en laisse 6ven- tuellement qu e fort peu qui ait une valeur intrins~que. Par eontre, la r6ception subordonn6e ~t la critique et li6e ~ des efforts de s6- lection et de cr6ation est une attitude vraiment active et f6conde.

A la diff6rence des cas d'imitation, d'adaptation, on peut dire que clans les cas d'accueil marqu6s d'une s61ection 6clair6e, la litt6rature eompar6e peut constater une ~ tension dialectique ~> dans le ~ passage ~>, ou - pour plus de pr6cision - d a n s ~ l'acte de r6ception ~> qui donne lieu h u n ph6nom~ne remarquable d'auto-dynamisme et de vitalit6 du c6t6 de la partie r6ceptrice.

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On y remarque, en effet, ~t la lois le sceau de la pattie 6mettrice et le nouveau (~ sujet ~> - la partie r6eeptrice - d a n s sa posture de maitre et dans sa personnalit6 propre. L'accueil devient, de la sorte, un acre de ~ multiplication >> ou, pour mieux dire, de cr6ation. Recevoir pour pouvoir cr6er une nouvelle ~ informa- tion ~> dont ~ le coefficient ~> sera d&ermin6 par la (~ main de maitre >> de la pattie r&eptrice. En roceurrence, il ne s'agit pas d 'une ~ violence ~> da la forme vis-h-vis d 'un contenu, mais bien d 'une ~verbalisation ~) se produisant effectivement dans la structure interne m~me de l'ceuvre qui va na]tre.

A eet 6gard, eomme l'ont indiqu6 plusieurs ~ eomparatistes ~> clans le monde, deux cas sont partieuli~rement dignes d'atter~- tion.

Dans le premier de ees eas, les rapports ~ binaires ~ sont as- sez simples, et, serait-on tent6 de dire, ~ non 6quilibr6 ~>. La pro- duction de la partie 6mettriee n'est qu'une suggestion, un mo- dule tr~s g~n6ral, parfois fort sommaire. La partie r&eptrice, par sa propre capacit6 de ~ verbalisation >>, a construit de chefs-d'0~uvre portant le seeau marquant de l'6poque, de la personnalit6. Ainsi il en allait d 'un certain nombre de trag6dies de Shakespeare compar6es aux r&its populaires qu'il exploitait; de Don Juan de Moli~re, de Byron, de Faust de Goethe . . . Sur les confrontations de ces creations de g6nie ~t leurs <~ anc&res }~, plus ou rnoins lointains, bon nornbre de comparatistes dans Ie monde ont donn6 leurs avis.

La production venant de la partie 6mettrice joue le r61e d 'un << catalyseur ~> ou <~ d 'une ~ chiquenaude ini t ia le , si l 'on peut dire. Le pouvoir <~ procr6ateur >> proprement dit appartient h la pattie r6ceptriee. Sur le plan qualitatif, l'6crivain r6cepteur a cr66 des oeuvres totalement diff&entes des mod~les-m~res. Un << avoir d~ >> minime qui a << fructifi6 }> dans d'immenses pro- portions, essentieUement par l'effort personnel.

I1 va de soi que le travail de eomparaison ne vise pas/~ mar- quer ~ l'inf&iorit6 ~ ou ~ la sup6riorit~ ~> d 'une production par rapport h l 'autre. La confrontation se propose surtout de saisir et de montrer Ies causes, Ies conditions, les fondements de l'acte

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de ~ multiplication ~>, de ~ procr6ation ~> dans les rapports entre ~ 6mission ~> et ~ r6ception ~>.

Dans certaines conjonctures, l'6metteur est un auteur dont la production exerce une profonde influence. Par sa capaeit6 ~ vernalisatrice ~>, l'&rivain r6cepteur en a tir6 une cr6ation off- ginale. Le ~ pouvoir de r6fraetion ~> du chef-d'oeuvre exploit6 ainsi rencontr6 t~ un milieu ~> propice: ~ la haute ma~trise ~> du r6cepteur. Le travail comparatif devient alors assez complexe en raison des rapports binaires relativement ~ 6quilibr6s ~>, des rapports entre ~ homologues ~> pour ainsi dire. L'influence de la partie 6mettrice est, sans doute, incontestable, mais routes les deux parties - 6mettrice, r~ceptrice - dans des contextes diff&ents, ont donn6 la pleine mesure de leur procr6ativit& Par ses contributions, la pattie receptrice a fait grandement hon- ~eur ~ l'~metteur.

L'Iphigdnie de Racine et lphig~nie en Tauride de Goethe par rapport aux deux Iphig6nie d'Euripide, Antigone de Jean Anouilh mis h c6t6 de celui de Sophocle, Manon Lescaut de V. Nezval compar6e ~t la violente ~ C166patre ~> de rabb6 Pr6vost (pour employer un mot d'Alfred de Musset en parlant de Ma- n o 1 0 . . , en sont bien d'illustres t6moignages.

Les r6flexions suscit~es par un tel cas et d'autres analogues nous am~nent ~t penser ~ une efficience nullement n6gligeable des &udes compar6es si elles arrivent ~ d&eler les facteurs cr6a- tifs de la pattie r6ceptrice, les 616ments de base, les conditions objectives et subjectives conduisant ~t la cr6ation.

En g&~&al, l 'auteur qui accueille une production &rang6re avec une conscience de maStre, se tient constamment sur la plate-forme des r6alit6s nationales, des questions qui se posent dans la vie de son pays et m~me du niveau culturel et des m~eurs de son temps pour d6terminer les exigences, les buts et l'esprit devant presider ~t l'aecueil. Le bon sens et la raison du si~cle de Racine ne pouvaient pas supporter ~ la biche ~> d'Euripide. Aussi le grand classique franCais devait avoir reeours/t l'infor- tun6e Eriphile de Pausanias pour pouvoir 6vincer de la sc~ne le vieux deux-ex-machina euripidien. Mais Ce qui est plus im-

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portant c'est qu'avec Racine, le conftit entre l 'amour et le sen- timent du devoir avait rendu Iphig6nie plus humaine et partant plus actueUe, plus proche du si~ele de eelui qui l 'a enfant6e.

Ceci &ant, le chercheur d6eouvrira dans l'oeuvre accueillie des valeurs ~t r&at de puissance que le r6cepteur s'est assimil6es. I1 verra une inertie relative de r oeuvre en 6gard ~t la dure 6preuve du temps mais d6couvrira simultan~ment un v6ritable << boom }} qui nait de l'oeuvre devant un acre de r6eeption de nature po- sitive, c'est-~t-dire de fructification, de cr6ation.

Et si le chercheur examine encore l'oeuvre regue sous l'angle d 'un objet s6miotique, alors apparattront certainement bien vivants ~t ses yeux le caract~re pluriel, les strates de signifiance, le caract~re de << re-production }} 61argie dans la litt6rature en raison des rapports et des 6changes culturels. Car les grandes oeuvres litt6raires ne sont pas des syst~mes clos mais << des oeuvres ouvertes ~> (Umberto Eco). Ce sont des r6serves vivan- tes, << submergeantes }> in6puisables de pens6es, de sentiments, de repr6sentations de l ' a r t . . , confi6es, ~t des couches de langage connotatif ayant la nature de figures de rh&orique et suscepti- bles de naitre, de grandir darts des r6alit6s perques diff6remment. Et pour les auteurs des g6n~rations suivantes, et, sous n'importe quel ciel og ces oeuvres magistrales puissent se trouver du fait de l'interaction humaine, elles ne se r6p&ent pas. Elles sont autant de courants d'H6raclite.

Intercommunication, succession, r6ception tendent, en der- nitre analyse, ~ er6er du nouveau qui, cependant, vient essentiel- lement de soi-m~me. Tout vrai auteur part toujours de la r6alit6 et de la vie de son propre pays, des exigences des lettres et des arts darts leur d6veloppement, pour poser la question de la r6cep- tion quelle que soit la forme sous laquelle celle-ei se r6alisera.

Dans ses oeuvres po&iques, Pouchkine a fait sien maints th~mes vari6s sur les statues provenant des litt6ratures et arts &rangers. Mais <~ on ne peut trouver les statues de Pouehkine darts aucune glyptoth~que }> (R. Jakobson)3

Roman Jakobson: Questions de po6tique, Ed. du Seuil, Paris, 1975, page 189.

RECI-IER.CFIES L t T r ~ k [ R E ~ AU v [ E r - N ~ I 215

Les points de rue du mat6rialisme dialeetique et du mat6ria- lisme historique aideront les comparatistes h mener leurs tra- vaux de confrontation selon des rep~res et des normes d'exae- titude assur6s. Pour ne pas tomber dans l'emb~che du positi- visme, il y a lieu de consid6rer les rapports entre deux ou plu- sieurs oeuvres ou auteurs dans le eontexte g6n6ral politico- social-eulturel des intercommunications qui ont abouti aux re- lations entre les oeuvres et les auteurs que le comparatiste se propose de confronter. Selon la conception de Istv~n SSt6r, c'est l~t ~ la m&hode de recherche synth6tique * dont la mise en oeuvre est indispensable pour de tels eas.

Nous venons de citer quelques cas de r6ception de la litt& rature &rang~re dans lesquels sont apparus les rapports reee- vant-requ, et essentiellement pour exposer quelques-unes de nos id6es sur la m&hodologie en litt6rature eompar6e.

Comme dit plus haut, la m&hodologie consiste ici h d6tinir le point de vue et l'objeetif, le caract~re, les limites et les 616- ments de base de la eomparaison, afin d'atteindre ~t sa plus haute effieacit~ seientifique et ~t sa significatiou pleine et enti~re.

Abordant ce probl~me et le rapprochant de la litt6rature vietnamienne d'autrefois, nous ne pouvons pas ne pas 6voquer les opinions 6raises par eertains personnages chinois sur les rap- ports entre la culture vietnamienne et la culture ehinoise, rap- ports dans lesquels s'ins~rent, bien entendu, les rapports entre les litt6ratures proprement dites des deux pays, dans les temps r6volus de rhistoire.

C'est 1~ sans doute, une question qui relive du pass& Mais comme elle n'est pas sans avoir des attaches pr6cises avee le probl~me g6n6ral que j'ai pos6, je me permets d'6mettre lh-dessus quelques id6es, non pour p6n&rer profond6ment dans ee fait eoncret, mais pour m'en autoriser afin de poursuivre mon ex- pos6 sur le probl~me de la m6thodologie.

Traitant sur les rapports entre la culture r et la culture vietnamienne eertains mandarins et lettr6s de Chine prdten-

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daient que ce fut ~t partir du moment o~ des ~ personnages chi- nois de haute culture ~> s'&aient rendus dans la suite des procon- suls d6sign6s par la Cour CAleste pour aller gouverner notre pays agress6 o/~ les dits personnages chinois se seraient employ6s ~t diffuser la culture chinoise clue notre pays eommen~ait alors

- et alors seulement - ~t savoir une litt6rature. Et le comble, c'est que de telles pr&entions gonfl6es du pr6jug6 imp6rialiste et raciste &aient mentionn6es dans des textes chinois plus ou moins officiels. On comprend que nos hommes de lettres e tnos 6rudits n'aient pas manqu6 de les critiquer et de les rejeter, a

Depuis que les pays du Sud-Est Asiatique - dont le Vietnam, sont devenus objet d'&udes des 6rudits occidentaux, outre des travaux men6s consciencieusement, marqu6s par maintes r6- v61ations d'ordre scientifique, sont apparues 6galement des rues r6actionnaires d6niant rexistence des civilisations des pays de la p6ninsule indochinoise ~t c6t6 des civilisations chinoise et hindoue 4 - ou les attitudes par trop enelins ~t d6montrer le caract~re t~ sino~de >> de la culture vietnamienne quand il s'agis- salt d'aborder la question de r6ception de la culture chinoise par des Vietnamiens.

Pour l'&ude des rapports entre les litt6ratures de divers pays, nous pensons qu'il faut, en premier lieu poss6der de fa~on pour ainsi dire exhaustive, l'histoire de la formation et de l'6volution des peuples dans le contexte historico-social concret de chaque pays. Les traditions d'ordre id6ologique, psychologique, caract6- riel des nations et des peuples, consid6r6es sous l'angle de l'his- toire, de la psychologie, de la sociologie, de l 'anthropologie sont autant d'aspects qu'il importe d'&udier avec lane probit6 et une rectitude inteUectuelles au-dessus de tout soupgon. Prenons l'exemple des rapports entre la culture, la litt6rature vietna- mienne et la culture, la litt6rature ehinoise des temps anciens. Avant toute chose, il est indispensable de se rendre compte que

8 Le Quy Don: Kien van tieu luc -- Thien Chuong (Pr6cis de connais- sance. Chapitre sur la litt6rature)Edition d'Histoire, Hanoi 1972.

, Bulletin de l'Ecole fran~aise de l'ExtrSme Orient (BEFEO) tome XXI. 1921, p. 4.

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la nation vietnamienne, comme beaucoup d'autres nations, s'est form6e tr~s t 6 t . , Au Vietnam, la nation s'est constitu6e d~s la formation de l'Etat, et non depuis la p6n&ration du capitalisme. De 1~, nous, Vietnamiens, nous avons le caract~re national tr~s- profond et l'esprit national tr~s puissant ~r

Le peuple du Vietnam a une histoire d'6volution continue et une culture qui remonte h une vieille date. La civilisation du Fleuve Rouge et la culture dongsonienne du Vietnam 6 sont apparues au cours de l'histoire dans les mill~naires qui pr~c6- daient l'~re chr6tienne.

Darts l'ordre chronologique, parallNement 5 la fin du Moyen- Age et h la p6riode de transition vers la Pr~-Renaissance dans les pays de l'Europe Occidentale, c'6tait au Vietnam l'~poque de la culture de Thang Long, de la culture du Dai Viet qui s'annongait avecla Premibre D6claration d'ind6pendance re- pr6sent6e par le po~me immortel de Ly Thuong Kiet, le h6ros vainqueur des agresseurs chinois Song.

Le peuple du Vietnam a dfi, au cours des mill6naires, et en- core aujourd'hui, r6sister h l'invasion &rang~re. I1 en r6sulte que les traditions de patriotisme, de r6sistance 6nergique l'agresseur allant de pair avec les traditions d'efforts d6ploy6s pour l'amiti6 entre les peuples, embrassent l'ensemble de la vie politique et culturelle de notre peuple.

Avec le fait historique ci-dessus, a surgi une base scientifique r~aliste et fondamentale au premier chef h l'6gard de toute ten- tative de comparaison - fait historique que les 6rudits r6action- naires chinois en question plus haut, comme certains chercheurs des pays d'Occident, ont m6connu et naturellement, n'en ont pas tenu compte. Or c'est 15 en dernibre analyse l'esprit d'ind6- pendance et de souverainet6 nationale du peuple vietnamien et des dynasties royales patriotiques, des pontes, des &dvains vietnamiens au cours des si~cles. Cet esprit, n6 sur le plan poli- tique, a conduit au mSme esprit sur les plans culturel, litt6raire.

5 Le Duan -- Lajeunesse et la rdvolution socialiste. 3 e ~dition. Editions de la Jeunesse. Hanoi, 1968. p. 30 (texte en vietnamien).

Dong son, un des grands berceaux de la civilisation vietnamienne.

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Ici, somme toute, pas de conformisme servile, pas d'accep- tation a priori, pas de rnagister dixit; mais toujours (~ apprendre autrui pour soi ~> et se tenir bien d'aplomb sur sa personnalit6, sur son iderttit6 nationale dans une position essentiellement s61ective.

Bien entendu, dans eertaines p6riodes, il y a eu des cas de <~ culte ~, d'imitation vis-~t-vis de la culture et de la litt6rature chinoise (comme ult6rieurement vis-h-vis de la culture fran~aise) qui faisaient penser h une sorte de (~ p&rarquisme ~>. Mais dans l'histoire ces manifestations ont toujours 6t6 vivement critiqu6es.

Au Vietnam, des po~mes e61~bres d'inspiration patriotique, martiale, humaniste eomme le quatrain Nam quoc son ha (Les monts et les eaux du Vietnam) (C'est ~t dire la terre du Viet Nam) de Ly Thuong Kiet, le huitain ~t heptam&res Qua cua bien Bach dan# (En passant l'embouehure du fleuve Bach dang) de Nguyen Trai, le morceau de prose rythm6e Phu son# Bach dang (Ode inspir6e par le fleuve Bach dang), de Truong Han Sieu, rappel patriotique et martial Hich tuon# si (Appel solennel aux g6n6raux et combattants) de Tran Hung Da, la Grande Pro- elamation Binh ngo dai cao (Grande Proclamation de victoire sur les agresseurs chinois) de Nguyen Trai, le long chant lyrique Chinh phu n#arn (Complainte de l'6pouse du guerrier) etc. em- pruatent, comme mode d'expression purement formelle, la m6- trique chinoise Han-Tang mais tiennent absolument ~t garder leur contenu vietnamien, en sorte clue la forrne mSme n'est pas sans porter le sceau national.

L'6criture d6motique N6m est une cr6ation vietnamienne qui transforme les id6ogrammes savants ehinois pour 6laborer des caract~res enti~rement diff6rents au triple point devue: morphologique, s6mantique, phon&ique et destin6s exelusive- ment au peuple vietnamien comme v6hieule de la pens6e.

Au Vietnam, le Kieu repr6sente, sans eontredit, un de ces cas modules de prodigieuse mutation op6r6e ~t partir de la litt6ra- ture 6trang~re. I1 est certain que l'auteur Nguyea Du a eompul~, 6tudi6 soigneusement le texte du r6cit ehinois Kim Van Kieu truyen (R6cit sur Kim, Van et Kieu) de Thanh Tam tai nhan.

RECFIERGHES LITT~RATRE$ AU VIET-NAM 2~9

Mais sons la plume du maitre, le r&it est transfigur6 en devenant un chef-d'0euvre in6gal6 de r6alisme de la litt6rature vietnamien- ne du XVIII ~ si~cle.

Ainsi nous estimons qu'une m&hode d'investigation qui ne vise, par pr6vention, qu'~t d6montrer le caract~re de subordina- tion de la culture de tels pays dits (( petits >> vis-~t-vis de la culture de tels autres pays dits (( grands )>dans les rapports culturels inter-pays - est entiSrement anti-scientifique. Cette m6thode conduit tout droit ~t consid6rer la culture de tel ou tels pays comme une 6manation, un appendice, une copie de la culture de tel antre pays. EUe omet la loi g6n6rale sur la formation nor- male et r6guli~re de la culture des peuples dans le contexte de leur vie nationale et de leur cr$ativit6.

I1 est vrai que le grec H6phaistos est venu au mont Etna pour devenir le romain Vulcain et que l'Oronte (( s'est d6vers6 *> sur le Tibre (Juv6nal). Mais mSme dans ce cas de p6n6tration profonde, Rome n'est pas tout simplement une ombre de la Grace et ne s'est pas du tout retir6 du monde de l'art comme ra voulu Virgile. La Renaissance a (( fait rena~tre ~) les anciennes valeurs gr6co-latines, mais eUe a ses (~ g6ants ~) qui sont un titre de fiert6 pour toute l'humanit6.

La litt6rature hongroise a des rapports 6troits avee les litt6ra- tares des pays avoisinants. Mais, par elle-mSme, par sa puissante vitalit6, par ses PetSfi, Imre Mad~ch, Endre Ady, Zsigmond M6ricz, Attila J6zsef, elle n'a pas peu eontribu6 au d6veloppe- ment de la litt6rature universelle.

Par ailleurs, il est un point de la plus haute port6e darts les domaines culturel et litt6raire que ces chercheurs trop press6s dans leurs d&tuctions h~tives, ont m6connu ou sous-estim6, c'est le ~ berceau folklorique ~) de la culture et de la litt6rature du Vietnam - berceau qui fait justement l 'admiration de eertains 6rudits oecidentaux. ~ Du nord au sud de notre pays, les ethnics nationales-majoritaires, minoritaires poss6dent un fonds litt6- raire du folklore ri~he, diversifi6, 6minemment significatif par

7 V. note 6.

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l'optimisme, la vigueur, la fnesse de la pens~e nationale, de la philosophie populaire et de l'art de masse qu'il inclut. Le fonds litt~raire folklorique est le lait nourrieier, la source de jouvence qui entretient la force et l 'ardeur de nos po&es, de nos ~crivains

travers les ages. I1 revigore constamment le sentiment de di- gnit6 nationale, d'autodynamisme et de confiance en sol dans la cr6ation litt&aire. C'est en pattie gr~tce ~t ce palladium que, vivant h c6t6 d 'un grand pays d&enteur d 'une culture qui ne laisse pas d'imposer par ses dimensions, nos anc~tres sont tou- jours rest6s maitres de leur culture, de leur litt6rature comme de leur ligne de d6veloppement.

Ainsi, h notre avis, pour l'&ude des rapports binaires dans lesquels il y a l e pays ~ r&epteur ~) et le pays ~ 6metteur ~, il est bien des cas o~ l'on ne pourra 6mettre une appr6ciation judi- cieuse sur la part revue qu'apr~s avoir &udi6 sereinement et p6n6tr6 pleinement: le fonds national et les traditions culturelles du pays r&epteur; ce qui est re~u comme apport ext6rieur ou qui est en cours de r6ception; et par voie de cons6quence, ce qui ne relive pas de cet apport; ce qui dans l'influence du pays 6metteur est sujet ~t l'opposition du pays r&epteur. Ce sont l~t des besognes qui postulent de la patience et de la s~r6nit6 d'es- prit pour &iter de tomber dans un sec positivisme ou dans le put simplisme formel.

Bien entendu, on peut soumettre ~t l'&ude compar& l'in- fluence de certains ~euvres, auteurs, courants l i t t&ai res . . . comme par exemple les probl~mes shakespeariens, goeth6ens, tolsto~ens . . . dans divers pays. Mais nous estimons que pour le cas pr6eis6 qui concerne la culture et la litt6rature de deux entit& nationales, toute d6marche visant h d6terminer a priori un centre, t~ un module r6gnant ~) et ~t chercher son (~ rayonne- ment ~) ~t sens unique sur les pays environnants, s'av~re totale- ment erron6e. En g6n&al, les &udes dites ~ eirculaires de source ~ men6es d'tme mani~re route formelle et sous l'6gide d 'un pr& jug6, ne constituent pas de modbles heureux pour les compara- tistes.

Encore une fois, qu'il nous soit permis de souligner que si

RECHERCHES LtTTI~RATRES AU VIET-NAM 221

l'on ne prend pas soin de d6finir judicieusement l 'attitude ~t observer et l'objectif/t atteindre dans le travail de comparaison, comme le caract~re, la sphere et les 616ments de base de ce tra- vail consid6r6 sous l'angle de la m6thodologie raise en oeuvre, la comparaison pourra conduire h des erreurs comme celles relev6es dans les exemples cit6s plus haut.

Que la comparaison porte sur des oeuvres, sur des auteurs, ou sur des courants litt6raires ayant ou non des rapports entre eux, elle ne eonsiste pas purement et simplement h consid6rer les unit6s (~ ou entit6s >) litt6raires en particulier et entre elles seules. I1 est de toute ~videnee que le caraet~re, le domaine et les ~16ments de base de la comparaison d~passent de loin en port~e les objets compares consid6r6s en eux-mSmes. I1 n'est possible d'atteindre, dans le travail comparatif, ~t la plus haute efficienee seientifique et ~t sa signification pleine et enti6re, qu'en plagant les unit6s ~t comparer dans leur totalit6 dialeetique, ainsi que nous le concevons et pr6sentons ci-dessus.