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Recréer la Côte est une revue publiée par le cercle · 2018. 9. 30. · du comité de la revue, et ils conservent les droits rattachés à leurs écrits, sous condition d’avis

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Recréer la Côte est une revue publiée par le cercle d’écriture du même nom. Les auteures et auteurs sont responsables de leurs propos, qui ne sont pas ceux du comité de la revue, et ils conservent les droits rattachés à leurs écrits, sous condition d’avis écrit. Pour reproduire une partie ou l’intégralité de la revue, vous devez nous en faire la demande par courriel, au [email protected].

Cercle d’écriture Recréer la CôteBaie-Comeau (Québec)[email protected]

Site Webrecreerlacote.wordpress.com

Copyright © 2018Cercle d’écriture Recréer la Côte

Dépôt légalBibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018

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Sommaire________________________________

Les équipes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7Le cercle d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9Mot du directeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11Mot de la codirectrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Thème de cette édition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13Mot du partenaire Desjardins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15Mot du partenaire Radio-Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16Un texte mis en images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Venir de loin nous définit toujours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 NOÉMIE POMERLEAU-CLOUTIERPoèmes Maison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 SIMON FORTINRessac . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 MARCELLE BEAUDINDépression hivernale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 DANICK MORINTraversée des secteurs résidentiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 FRANCIS PARADISRêvez l’aurore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 MIRELLA FAUBERTDe long en large . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 KARINE BEAULIEUMon paradis bleu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 DANY CHARTRANDLa belle attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 GUILLAUME HUBERMONTSoixante-trois marches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 MARIE-CLAUDE BÉLANGERrevenir icitte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 WILLIAM LESSARD MORINNouvelle littorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 SIMON CAMERON Refuges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 MÉLISSA BÉCHARD PELLETIER

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Aller-retour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 ÉLOÏSE DEMERS PINARDHorizon nordique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 AMÉLIE LANGLOISPremière neige . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 EMILIE PEDNEAULTTu es une jeune autrice néomontréalaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 ALEXANDRA TREMBLAY

Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

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LA REVUEDirection William Lessard MorinCodirection Tania Boudreau Comité de sélection Mélissa Béchard Pelletier, Tania Boudreau, Josée Chaboillez, Simon Fortin, Michèle Jomphe, Virginie Lamontagne & Julie St-PierreIllustrations Marie-Claude Dubé & Bélinda Lessard Montage et mise en page Paméla Couture

ILLUSTRATIONSCouverture Marie-Claude Dubé, « Champ de bataille », photographie, 2018Illustration accompagnant le 1er prix Bélinda Lessard, « Cajolage », dessin, 2018Illustration accompagnant le 2e prix Marie-Claude Dubé, « Nautile », dessin, 2018

CONSEIL D’ADMINISTRATION Présidence William Lessard MorinVice-présidence Tania BoudreauFinances Bélinda LessardAdministrateurs Marie-Josée Arsenault, Marie-Claude Dubé & Olivier Thomas

Les équipes________________________________

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Le cercle d’écriture Recréer la Côte est né en 2015 du désir d’offrir aux gens de la région de Baie-Comeau une plateforme nouvelle pour leur permettre d’explorer leur expression artistique par l’intermédiaire de la littérature. Grâce à des ateliers variés, les participants sont poussés à s’interroger sur leur processus créatif et à parfaire leurs méthodes. De plus, le cercle s’investit pour la diffusion du travail des écrivaines et écrivains en devenir.

Nous souhaitons célébrer la création d’ici, pour contribuer

au sentiment d’appartenance d’une région créative dont la singularité mérite d’être mise à l’honneur !

Enfin, le cercle d’écriture a également pour objectif

d’encourager les échanges entre divers acteurs du milieu culturel d’ici et d’ailleurs, afin d’inclure le plus grand nombre d’individus possible dans la réalisation et la diffusion des projets qu’il chapeaute. Par la création d’un réseau ancré dans la réalité des pratiques actuelles et futures, Recréer la Côte souhaite s’assurer une place durable dans notre milieu.

Le cercle d’écriture________________________________

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Cette année encore, par vos textes soumis avec audace et générosité, vous prouvez à tout un chacun que notre Côte-Nord est un terreau propice à une création littéraire de grande qualité !

Ceux et celles d’entre vous qui me connaissent savent que je suis

revenu ici à reculons après mes études. Revenir à Baie-Comeau, une pénitence, un mal pour un bien, le prix à payer pour entamer ma carrière de prof. Deux ans maximum, que je me disais. Et ça fait plus de quatre ans déjà !

Je n’aurais pas plus cru, il y a quatre ans, que je dirigerais un jour

une revue sur le thème de l’appartenance. Pour tout vous dire, ça me faisait rire, les gens fiers d’habiter ici, tout comme la plupart des habitudes des Nord-côtiers m’irritaient : leur passion pour le hockey, les pailles dans le café (c’est toxique !), le « plein air » en ski-doo et – comble de l’horreur – les têtes d’orignaux sur les toits de pickup. Faut dire que je donnais beaucoup trop d’importance à ce que je voyais comme les travers de ma région et que j’ignorais sciemment tout ce qui aurait pu me faire aimer vivre ici. Je ne voulais surtout pas ça !

Je ne sais pas exactement comment ça s’est produit, mais l’an

dernier, de la noble hauteur de mes vingt-huit ans, j’ai commencé à voir les choses différemment. J’ai accepté de me laisser toucher (au sens figuré, je le précise), par l’énergie des gens un peu partout autour de moi, par la passion débordante de ces êtres improbables qui carburent à la culture. Par la chance qu’on a ici de pouvoir mener de front les projets les plus fous et de se savoir soutenus dans nos idées de grandeur. Il y a quelque chose d’unique chez nous. Et je peux enfin dire « chez nous » tout en le pensant pour vrai.

Alors voilà, c’est le temps de céder la parole à celles et ceux qui

contribuent à me rendre fier de me dire Nord-Côtier. Les dix-sept textes qui composent cette édition sont autant d’univers que je vous invite à parcourir avec ouverture et aplomb. Bonne exploration !

William Lessard Morin

Directeur de la revuePrésident de Recréer la Côte

Mot du directeur________________________________________________________________

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La sélection des textes de la revue que vous tenez entre vos mains (ou lisez sur votre écran) a été telle l’ouverture d’un immense sac à surprises pour nous. Vous nous avez offert des textes aux saveurs variées, votre talent, vos imaginaires et, surtout, votre confiance, et tout ça sur un plateau d’argent ! C’est aussi avec bonheur que nous avons pu constater que cet ICI dont nous avons fait notre thème a su résonner au plus profond de bon nombre d’entre vous. Par la variété de vos créations, vous nous permettez de dresser un portrait plus juste des identités multiples qui constituent le kaléidoscope des auteurs de la relève littéraire nord-côtière.

Sur ce, je ne peux que vous souhaiter, chers lecteurs

d’ici et d’ailleurs, de belles et inspirantes lectures !

Tania BoudreauCodirectrice de la revue

Mot de la codirectrice________________________________________________________________

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J’aurais pu vous écouter encore raconter votre Ici. Celui de la Pointe, du Nitassinan ou du Vert Feuillage. L’ici des Deux Tours, de l’Auberge du Roc et du bout du quai. L’Ici, façonné par Ti-Basse St-Onge, Alice, Robert, Brian et nos pionniers, tout comme celui coloré par Bébé Papillon, Ti-Cul et nos légendes. J’aurais souhaité entrelacer vos récits, marier leurs odeurs salines et boréales. J’aurais voulu tisser des toiles infinies entre vos histoires, et j’y suis quelque peu arrivée. Grâce à vos partages, l’élan est lancé par votre plume. Merci de garder vivante cette identité unique de la terre nord-côtière.

Marie-Josée ArsenaultAdministratrice au CA de Recréer la Côte

Thème de cette édition________________________________

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LA CAISSE DESJARDINS DE BAIE-COMEAUFIÈRE PARTENAIRE DE RECRÉER LA CÔTE

C’est avec un grand engouement que la Caisse populaire Desjardins de Baie-Comeau s’associe au Cercle d’écriture baie-comois Recréer la Côte, pour permettre à la population de la Manicouagan et des environs d’affirmer leur soif créative par l’écriture.

L’éducation et la coopération font partie intégrante des

valeurs du Mouvement Desjardins et expriment le sens profond du savoir et de l’agir. Source de développement de nombreuses communautés, les caisses sont devenues, au fil des ans, de véritables pépinières de formation où hommes, femmes et enfants ont appris les rouages de la vie coopérative.

Aujourd’hui plus que jamais, l’engagement de Desjardins,

tant en éducation qu’en coopération, contribue à la prospérité durable. Nous sommes fiers d’accompagner ces artistes dans leur processus de création et de permettre aux lecteurs d’apprécier ce recueil.

Nous désirons souhaiter à cet organisme le plus grand

des succès.

Christine Turcotte

Directrice généraleCaisse Desjardins de Baie-Comeau

Mot du partenaire________________________________________________________________

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ICI CÔTE-NORD, FIER PARTENAIRE DE RECRÉER LA CÔTE

Le lien allait de soi. Être partenaire du 3e numéro de la revue Recréer la Côte, numéro ayant pour thème l’appartenance et l’identité, le justement nommé « ici ».

Depuis maintenant 35 ans, ICI Côte-Nord contribue à

dire et redire la Côte, à la parcourir, à témoigner de ce qui la traverse, la transforme et la porte. Au-delà du clin d’œil, être ici, pour nous, c’est être présent le plus possible partout sur ce territoire, c’est faire preuve de curiosité et d’intérêt renouvelés, c’est être attentif aux vents. Ceux qui soufflent jusqu’à nous, ceux qui nous transportent ailleurs.

Raconter le monde, avec les images et les mots. C’est

notre raison d’être, ce avec quoi nous travaillons chaque jour. C’est aussi le matériau de la littérature, celui qui permet de créer et recréer, tant la Côte que ses nouvelles voix.

Merci de nous y avoir invités.

Josée ChaboillezChef des Services françaisRadio-Canada Côte-Nord

Mot du partenaire________________________________________________________________

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UNE CAPSULE VIDÉO SIGNÉE LA FABRIQUE CULTURELLE

Parfois l’immensité du territoire opaque qui enserre une ville n’a rien d’un champ des possibles. On se tient à l’orée du bois, puis on revient sur nos pas, chasser l’ennui au centre d’achats.

Quand les rues ne sont pas assez longues pour notre fuite, sortir du manège. Quitter la Côte, pour mieux la Recréer. Et depuis l’autre côté de la Côte apparaît la poésie des chaînes de restauration, des décorations en vinyle et des fumées d’usine.

La Fabrique culturelle de Télé-Québec sur la Côte-Nord est heureuse de soutenir et d’amplifier les voix émergentes et, pour cette troisième édition de la Revue, de joindre ses images aux mots de Francis Paradis, auteur du texte « Traversée des secteurs résidentiels », dans une capsule vidéo réalisée pour l’occasion. Pour la visionner, rendez-vous sur notre site Web, au lafabriqueculturelle.tv/regions/cote-nord.

Au plaisir de partager ces instants de beauté avec vous !

Virginie LamontagneRéalisatrice à la Fabrique culturelle

Télé-Québec Côte-Nord

Un texte mis en images________________________________________________________________

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Venir de loin nous définit toujoursNOÉMIE POMERLEAU-CLOUTIER

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1er prix

Quand on te d’mande d’où tu viens, tu dis que t’es un pur produit des régions. C’est pas faux, t’as quand même été conçue en Abitibi, t’es née en Estrie, t’as vécu ta première année en Beauce, t’as été une enfant du retour à la terre en Gaspésie, t’as fini ta croissance sur la Côte-Nord, pis t’es devenue adulte à Chicoutimi. Un beau melting pot que personne arrive à deviner parce que ton accent d’icitte, ton accent de sable, de résineux pis d’glaciers, ça t’prend au moins deux gin-tonics ben forts pour qu’on l’entende. Y r’soud pas d’même, ç’a l’air.

Fait que pour simplifier la patente, ben, tu dis qu’tu viens d’la Côte-Nord. Anyway, c’est d’là que t’as crissé le camp en dernier avant de devenir une femme. Me semble que la place de ta première grande mue, ben, ça devrait être significatif. En tout cas, pour toé, c’est aussi clair que les stries roses dans l’granite. Tu viens d’icitte. Même si quand tu retournes voir ta famille, tu vois ben din z’yeux du monde d’icitte que pour eux autres, ben, t’es une fille d’la ville, de la gran’ ville. C’est pas d’leur faute, au monde d’icitte, le salin qui t’coule din veines, ben, ça s’voit pas à l’œil nu. Faut dire que tu t’aides pas, tu bois presque pus pis tu manges pas d’bourgots ni d’clams, pis tu dis pas crâbe quand tu vas en manger. Le monde d’icitte, ils le savent pas qu’tu cherches le fleuve partout où tu vas. Même quand t’as vécu en Afrique, la place où t’es restée le plus longtemps, ben, c’tait à Niamey, au Niger. Y a l’fleuve à Niamey. Quand il pleut assez pour ça, y a l’fleuve. Pis, les soirs que t’allais regarder le fleuve, ben, c’est les seuls moments de paix qu’t’avais. Pis avant ça, ben, ça faisait ben rire le monde au Togo quand tu disais que l’fleuve chez vous, ben y est presque plus large que leur pays. Y te croyaient pas. Remarque, c’est ben compréhensible, quand c’est large de même, une étendue d’eau, ben, c’pas un fleuve, ni un estuaire, ni un golfe. C’est la mer.

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Des fois, quand tu dis que tu viens d’icitte, y a des Montréalais qui pensent que Baie-Comeau, ben, c’est proche de Châteauguay. Tu t’dis que c’est presque pareil, chez vous aussi, les gens habitent à côté d’une réserve, sur le territoire d’une autre gang qu’y connaissent pas, qui reconnaissent pas. Y a juste plus d’épinettes pis de crans. C’est juste un tit peu plus loin. Tsé, quand tu calcules la distance en heures, pis que ça dépasse six, ben, c’est un tit peu plus loin que Châteauguay, là. En fait, quand tu calcules la distance avec le nombre de pauses que tu peux faire pour pas que ça t’prenne neuf-dix heures te rendre chez vous ou en jours de congé que ça t’prend pour te rendre pis passer un tit peu d’temps chez vous, ben, chez vous, c’est loin.

Tu l’as, le passeport d’icitte. T’as toutes les teintes : le blanc, le vert, le bleu, le gris coulé de rose, le noir. Toutes. T’as même des épinettes tatouées dans l’dos. C’t’un mot de passe. Si un gars te voit toute nue pis qu’y t’flatte le dos, ben y te demande : « Pourquoi les épinettes ? ». Pis tu y demandes si y aime ça, les épinettes noires. Si y t’part son discours sur la beauté des feuillus, tu sais qu’y f’ra pas long feu dans ta vie. C’est d’même que tu juges les gars, ast’heure. Si y aime les épinettes, ben là, tu y sors ta charpente de silences pis ton armée de vents hurlants. Si y reste, ben c’t’un solide. C’t’un lichen. Tu peux enlever le frasil de ton sourire, c’te gars-là, que tu veuilles ou pas, y va te t’nir le cœur ben fort dans’ poudrerie. Surtout si y vient pas d’icitte.

Parce que même si t’as les courbes de la 138 gravées sur tes côtes, tu sais que tu reviendras jamais planter tes pieds d’argile icitte. T’es ben trop friable. Derrière l’armure de bois d’grève, y a juste des galettes de mica. C’est beau le mica, mais ça part vague après vague. T’as pas assez la couenne dure pour icitte, fille.

Fait que, tu vas continuer à chercher l’estuaire partout où tu vas aller. Parce que venir d’aussi loin pis pas s’y planter, ben ça nous définit toujours, mais ça nous ancre jamais.

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Poèmes MaisonSIMON FORTIN

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2e prix

I

à la roulotte du Parc Parentles amis vont et viennent

enfreindre la nuit ici

ce sera toujours la fêteet

pendant qu’ils coulent l’aluminium dans le vieux Baie-Comeau

nous nous coulons des jours heureux

comme la Manic la face en plein soleilà boire le vin rouge

du dépanneur et à manger le caviar

de tes yeux qui ultraviolent ma vie

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IIà la Pointe-aux-Outardes

de nous deuxdans casser la gueule des anges

ce qu’il y a d’importancedans le monde

disparait par amourau grand dénouement

de t’avoirpour la vie

iciavec moi

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IIIje t’ai dans la paupière

jusqu’à la moelleà déjouer l’asthme des choses

de la routineil n’y a plus de détail

qui m’échappeplus d’angle qui ne porte pas

la carrure de tes yeuxici

c’est partout la lumièredont tu tiens l’écharde

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RessacMARCELLE BEAUDIN

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Ne plus rien ressentir, ne plus me souvenir. Fuir. N’importe où. Ailleurs.

Je suis allée m’éteindre à 800 kilomètres d’ici.

Il n’y a plus d’horizon, plus de mer, plus de goélands, plus d’air salin, plus rien de ce que j’ai toujours connu.

Des montagnes et moi qui étouffe au milieu. Parfois un lac, jamais la mer.

Plus de famille, plus d’enfance, plus d’amis, je n’ai plus de repères. Je suis en fugue de moi.

J’habite quelqu’un d’autre. Dans les bars et les paradis artificiels où je me réfugie chaque nuit, une enfant perdue voudrait croire tout ce qu’on lui raconte. Même qu’on peut l’aimer. J’ai besoin de me serrer dans les bras de quelqu’un. Certains soirs, c’est presque n’importe qui. Je fuis jusqu’à ne plus me reconnaitre. Écrasée au fond de ma chambre, déchirée de solitude, le souvenir des vagues qui s’éclatent sur les rochers rallume en moi la dernière étincelle, celle qui me remet debout et me fait enfin relever la tête.

Je fais ma valise. J’ai même plus de valises, je fais des sacs verts. Je vends quelques affaires, juste ce qu’il faut pour le plein d’essence. Direction Côte-Nord. Me sauver la vie.

Je conduis comme un automate jusqu’à Baie-Sainte-Catherine. J’attends que le traversier me délivre, le cri perçant des oiseaux marins et La cinquième saison d’Harmonium en fond sonore. De l’autre côté du Saguenay, chez nous. Rien de plus doux à l’oreille que « chez nous ». C’est à pleurer.

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Le Saguenay. J’embarque enfin.

Le traversier s’arrache du débarcadère, les portes des voitures claquent, un attroupement à l’avant, la force du vent, la beauté du fjord. Des sourires, des regards bienveillants, des cris d’enfants, des chiens qui aboient. Des bélugas nous escortent jusqu’à l’autre rive. Le bleu du ciel comme nulle part ailleurs. L’air. Cet air vivifiant. Les poumons se gonflent, le diaphragme s’ouvre. Première bolée d’air depuis un an. Le vent se calme, le tablier de métal se déploie. Bienvenue à Tadoussac.

Le long de la 138, la beauté pure, sauvage. Le fleuve entre les talles d’épinettes, les villages défilent. Des enfants jouent au bord de la route. Des draps blancs volent au vent. Des quatre-roues remontent de la grève, chargés de sceaux débordant de clams.

J’ai faim. Au dépanneur, toujours vérifier les dates d’expiration. Instinct de survie. Je fais une pause.

Assise sur une table à pique-nique, mes yeux se perdent sur la mer infinie. Je mords dans un coin de sandwich aux œufs. Les bulles de liqueur éclatent dans ma bouche. Le festival des saveurs sous un ciel sans nuages et un soleil de plomb.

Et je reprends la route.

Des Innus se promènent à vélo. Une courbe en épingle. Mon cœur s’ouvre, mon âme s’élève. Je suis arrivée.

Une vieille maison en bardeaux de cèdre gris se dresse sur une pointe de terre qui avance dans la mer. Chez nous ! Les boites à fleurs sont vides. Les fenêtres ont gardé leur dentelle. La grande galerie s’étend sur toute la devanture. Des élymes des sables protègent la plage qui longe la côte sur des kilomètres. La mer s’étend à perte de vue.

À l’intérieur, le temps s’est arrêté.

La poussière danse dans les rayons de soleil. Au fond de la cuisine, un poêle à bois. Au centre, une table entourée d’un paquet de chaises disparates. Le contenu des armoires caché derrière des rideaux de coton jauni. Les murs et le

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plafond en lattes de bois, peintes en blanc il y a longtemps. Sur le plancher, on distingue à peine les motifs d’un prélart qui date du siècle dernier. Ça craque de partout. Comme si la maison tout entière frémissait à l’idée de me revoir.

Sur les murs, des photos en noir et blanc. Mes racines. Des pêcheurs hissent leurs barques sur le rivage, des femmes éviscèrent le poisson sur des étals au grand air, des cabanes délabrées et des enfants en guenilles, la face sale, fixent l’objectif, l’air de se demander ce qu’on peut bien leur vouloir. Les sourires sont rares. Les regards sont durs. Ça transpire la grosse misère. Calligraphié au bas d’une des photos : 19 juillet 1927.

Sous les combles, une chambre toute simple, la mienne : un plafond blanc, quatre murs bleu ciel, un lit recouvert d’une catalogne, une commode, une table de chevet. Sur le mur du fond, le Christ en croix. Le supplicié est accroché là depuis une éternité. Pauvre homme…

Je m’étends sur le lit, épuisée. La nuit sera bonne.

Quatre heures et demie du matin. Le soleil émerge de la mer et traverse le rideau de dentelle. Une magnifique tapisserie danse sur les murs de ma chambre.

Je sors m’assoir sur la plage.

Le ciel est en feu.

Toujours me lever aux aurores, ne plus rien manquer, tout est tellement plus beau.

Une mer d’huile. Pas une vague, un vrai miroir. Une baleine transperce la surface bleu métallique et expulse son souffle, déchirant du même coup le silence de ce petit matin de juillet. Elle replonge, refermant doucement derrière. Plus aucune trace. J’attends. La revoilà, une dizaine de mètres plus loin. Les goélands arrivent de partout et essaient d’attraper les poissons qu’elle fait remonter à la surface et qui se tirent désespérément dans tous les sens. Une deuxième baleine la rejoint, puis une troisième. À tour de rôle, elles se projettent hors de l’eau, gueules grandes ouvertes avant de se laisser tomber sur le côté, faisant claquer leurs queues et éclaboussant du

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même coup les oiseaux agglutinés au-dessus. Puis elles repartent vers le large.

La mer est redevenue calme. Des canards se laissent bercer à la surface, pendant que d’autres volent en rase-mottes. Des lambeaux d’algues brunes, des coquillages et des petits cailloux roulent dans les entrailles des vagues avant d’être crachés sur le rivage. Inlassablement. Des goélands examinent les débris à la recherche d’une vie à prendre. Je respire profondément.

Je suis dans une sorte de flou, comme un arrachis échoué sur la plage. Je perds la notion du temps. Je suis là, c’est tout.

Je m’enveloppe dans ce bout du monde, je ne partirai plus jamais.

Je suis chez nous.

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Dépression hivernaleDANICK MORIN

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des chemins de pourpres sinueux en suspens sur un lac phosphorescentsouffrant d’une aurore-boréalite à mon nord magnétiquefigé entre ciel et penséespris quelque part entre te vouloiret m’en vouloir

dehors la neige chauffée à blancle froid extérieur braisécomme une fournaise frigorifiquede paysages trafiqués

ici sous ma peau antarctique papillons aux ailes givréessurgelées par ton blocage incorporelmauvais marché entre tes sentiments et les miens

ici résiste l’espace entre nousl’immense séparation de nos corps si proches

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Traversée des secteurs résidentielsFRANCIS PARADIS

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Lancer des recherches Google sur Baie-Comeau. Hauterive n’est-il plus qu’un nom embossé sur les plaques d’égout ? Je reconnais les paysages filmés par un drone : c’est notre territoire planté là, sur YouTube. Aucune information sur les jours sans vents qui concordent avec l’odeur de pâtes et papiers tombée sur le centre-ville. Les résultats Internet se font attendre et une épaisse fumée continue de blanchir le ciel. Je te prends par la main. Allons rédiger des Post-it anonymes et érotiques à la bibliothèque municipale. Nous y serons à l’abri.

Faire du char et jouer à vérité ou conséquence. Danser des slows avec les terrains vagues. S’embrasser de justesse. La neige est en flannelette. Une palette de couleur pastel domine le parc de maisons mobiles. Nous passons d’un parking à un autre, brulons des feux jaunes en frappant du poing contre le feutre du toit. La traversée des secteurs résidentiels n’a d’égal que la fuite. Sacrer son camp à répétition. Vois comment je me fous de demain prévisible comme un lunch de dépanneur. J’approuve chaque évènement relaté sur une napkin du Tim Hortons comme bel et bien véridique. Je prends des droits, n’admire rien. N’espère pas d’autre chose que de la poutine ici.

Ma qualité de vie est un Kinder Surprise. Suis-je le manège du dauphin rose dans le centre d’achat à moitié vide ? Nous fixons les murs en stucco. La contemplation est une activité de base au milieu de nos sous-sols respectifs. Crois-tu aux échos prolongés du geste commis ? Mes caresses partent sur des chires. Mes becs soufflés se perdent et ne t’atteignent pas. Le soleil se lève dans un grand blast de clarté matinale. Tu t’en vas. Tu me fais un signe de devil en guise d’adieu.

Tu ris de moi à mon souper de fête avec tes fausses prières et tes mains jointes ensemble toutes croches. Ce n’est pas

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un party comme à MusiquePlus. Où sont les stroboscopes sur nos maquillages emo ? L’ourlet de la nappe glisse sous mes doigts. Ton retard a causé le refroidissement de ma pizza faite maison. Mes frites ramollissent. Je souffle les bougies en ne faisant aucun vœu.

Résister un fuck you à la fois. Je lave mes mains avec le savon-mousse des toilettes publiques et passe tout droit devant les propos haineux. Les commentaires Facebook sont des rangées de sandwichs emballés dans de la pellicule plastique. Savais-tu que la rage possédait une propriété coagulante ? Regarde, le jour est jammé avec plein de trucks qui lui reculent dedans.

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Rêvez l’auroreMIRELLA FAUBERT

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me conduirez-vous là où vous allez

nos montres à reculons les cordages qui se défont jusqu’à laisser éclore l’audace d’une rencontre

je dissans vous je n’appartiens à aucune saisonsans vous je ne suis nulle partsans vous je disparais sans cesse

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le froid comme une extaseexplose, se révèlegrandit et me bercedevant la mer

du sable teinté de neige soudain l’étéle souffle des baleines une danse dans vos bras

les soleils milliers de cymbaleschantent le vacarme du Nord assourdissant jusqu’à me perforer le crâne par sa majestéétrange

j’existesur vos côtes

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ici comme une comptineon a semé des villages sur fond blanc on a cultivé des habitants aux corps indomptésaux visages burinés par la flamme polaire

ici l’anonymat est impossible

je vais à vos côtés comme on consoleen silence et doucement le cœur roulé en boule la vérité blottie tout au fond

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impossible de dépecer un territoire de déconstruire son peuple

déjà les paroles se coincent les corps se heurtenttemps mort il fait vingt sous zéro

je cours devant le golfe, l’écarte de mes doigtsle soupèse puis l’assois devant vousexactementlà où il doit êtreposé à même vos genoux

tout est là sous vos regards percés d’Histoirevos têtes toutes neuves accueillent les marées

vos souffles sur l’aube

ça y esttout recommence

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De long en largeKARINE BEAULIEU

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Née entre la vague et l’écorceOn m’a appris tes saisonsLe capelan rouleLes perdrix tombentLa neige s’effiloche jusqu’aux pâles solsticesDe tes plages en chair de poule

Tu es partout, entêtéDessin d’enfants rebellesAncré au bord de l’unique routeTu es partout, entêtéÉclaboussant mes certitudes

J’ai filé vers le mirage de l’ouest, une foisTu mimais une rivière infimeLéchant les faux rivages des insulairesTu hésitaisChuchotant que tout irait bienJe ne t’ai pas cru

Le nord au ventreBoussole pointée vers les ressacs du cœurJe voulais te revoir ici

Depuis mon retourJ’amasse mousse sur ton flancTe caches dans ma poche arrièreL’as que je sors quand je suis au tapis Je t’explose alors, te cajole en largeFluviale. Pour toujours

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Mon paradis bleuDANY CHARTRAND

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Aux élèves de l’école St-Joseph de Baie-Trinité et à leur enseignante, Mme Angela, qui m’ont ouvert leur porte et

leurs cœurs.

Encore trois semaines et c’est fini. Ce n’est pas une fin d’année scolaire comme d’habitude. Pas pour moi. Ce ne sera pas des vacances comme les autres. Je m’apprête à décoller pour m’envoler loin du nid, comme dit ma mère. J’ai hâte et ça me fait peur en même temps. J’ai douze ans, mais je suis plus mature que mon âge, je comprends beaucoup plus de choses qu’on pense. Je comprends, par exemple, que c’est ma vie d’enfant qui se termine, que plus jamais les choses ne seront tout à fait pareilles. Je rentre au secondaire, je quitte ma petite école pour toujours. Ma petite école de mer. Son vrai nom c’est l’école St-Paul, mais moi je l’appelle ma petite école de mer parce que justement il y a la mer au bout de la rue. Au bout de la mienne aussi il y a la mer et au bout de toutes les rues de mon village. La mer et une longue plage de sable où je vais lire et regarder les paquebots géants glisser lentement au large. De ma chambre, les soirs de brouillard, j’entends leur corne de brume, c’est comme un appel. Je voudrais embarquer sur l’un d’eux, partir loin, faire le tour de la terre.

Dans mon village, nous sommes cinq-cent-trente-sept habitants exactement. Je sais qui est le frère ou la sœur de qui, la tante, le cousin et le père de qui. Je pourrais nommer au moins la moitié par cœur, un par un. Mme Marie-Ange, mon enseignante, dit que j’ai une vraie mémoire d’éléphante. Je connais toutes les rues, chaque maison, chaque arbre. À l’entrée du village, il y a une église en bois, toute blanche, avec un vieux clocher « de l’ancien temps de la télé en noir et blanc », comme dit

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William. Il y a aussi un poste à essence, un motel, une cantine, un dépanneur et même un phare. Mais aucune école secondaire. Je n’ai pas le choix, je dois aller à la ville, à cent kilomètres d’ici, dans la grosse polyvalente de six-cents élèves. Juste d’y penser, ça m’étourdit. Rien ne va disparaitre, il n’y a que moi qui vais bouger, mais quelque chose va se transformer pour toujours. Quelque chose de très important. Je le sais, je le sens. Et c’est « ça » que je veux mettre dans des mots. Pour être sure et certaine de ne pas le perdre, pour en garder un morceau, même minuscule, pour l’éternité.

À ma petite école de mer, nous sommes dix-sept enfants, de la maternelle à la sixième année. En plus, comme je suis l’unique élève de sixième, je suis la seule à partir. J’aurais préféré que William vienne avec moi. Il est grand et très costaud pour ses douze ans. Mais William est en cinquième, il me rejoindra seulement l’année suivante. Il va me manquer. Et les autres de ma classe : Matis, Tyler, Alexia, Lysanne, Morgane, Coralie, Zachary... Et les petits : Nathan, Aurélie, Antoine, Josianne, Jasmin, Emma, Noha et Thomas... Quand je pense à eux, j’ai envie de courir les voir, là, tout de suite, les serrer dans mes bras, ne plus les lâcher. Mme Marie-Ange dit souvent que nous sommes une famille. Elle dit que l’école c’est un bateau, qu’elle est la capitaine et nous, les moussaillons. Elle dit que si nous ramons de toutes nos forces, en s’épaulant les uns les autres, aucune tempête ne peut nous arrêter. Hier, pendant notre piquenique sur la plage, Mme Marie-Ange a dit aussi qu’il n’y a rien de plus beau ni de plus grand que d’être ensemble. Elle souriait, mais je voyais que ses yeux étaient tristes. Mme Marie-Ange est la personne la plus intelligente et encourageante que je connais. Elle me répète toujours « Toi, Laurie, tu vas aller loin ».

C’est Mme Marie-Ange qui m’a encouragée à écrire. Elle prétend que j’aime trop les livres et que quand on aime autant lire, on est bon également pour écrire. C’est vrai. Depuis que ma mère m’a offert ce cahier mauve pour ma fête, je ne peux plus m’arrêter. J’écris dès que j’ai deux minutes. Je me demande si je pourrais devenir écrivaine plus tard. En tout cas, je ne cesserai jamais de lire de toute ma vie, ça c’est certain. Surtout sur la plage avec le soleil et le bleu de la mer plein le visage. S’il y a un paradis après la mort, comme le jure ma grand-mère Tremblay, je suis

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sure qu’il est bleu. Hier, sur Internet, j’ai lu ce poème :

Tout s’ouvre sur la meret s’étale jusqu’à l’essoufflement du regard

Du plus profond émerge chaque vaguecomme un chant séculier 1

Je ne comprends pas tout, mais je trouve ça beau. Je l’ai lu, relu et re-relu. Je l’ai même copié dans mon cahier. Ce matin, il est arrivé quelque chose d’étrange. Peut-être à cause du poème ? C’est difficile à expliquer. Dès neuf heures, l’envie m’a prise d’aller à la plage. Les dimanches matin, il n’y a pas un chat, tout le monde regarde la télé. Je m’habille, dépose mon livre dans mon sac à dos, avertis ma mère.

— Wo ! Tu vas pas à la plage sans mettre de la crème solaire !

Ma mère est une obsédée de la crème solaire. Ma mère m’énerve de plus en plus. Elle me dit continuellement quoi faire, ça m’énerve assez. En tout cas. Je me crème vite pour avoir la paix. En sortant, je lâche la porte exprès pour qu’elle se ferme en claquant.

— Ah Seigneur Laurie ! J’t’ai dit cent fois de fermer la porte doucement !

Je saute sur le trottoir et m’éloigne rapidement, enfin seule. Là, je prends bien mon temps. Avant, je courais tout le long. Maintenant, je préfère lambiner, regarder autour. La pente est douce, ça ressemble à un long serpent qui ondule jusqu’à la mer. Le soleil chauffe mon visage, je regrette de ne pas avoir mis mes sandales, mais pas question de revenir à la maison, des plans pour que ma mère m’achale encore avec la crème solaire ou mille autres affaires. Tant pis, je continue. C’est calme rare autour. Je dois bien être la seule humaine dehors d’aussi bonne heure, et à part les cigales et une bande de corneilles qui gueulent comme des bonnes, c’est le désert total. Un peu plus loin, quelque chose de noir bouge. C’est Jackson, le chien de William. Il bondit de son balcon et me rejoint sur le trottoir en se tortillant comme un ver à soie. On jurerait que ça fait cent ans qu’il ne m’a pas vue ! Je le flatte, lui donne des becs, lui répète qu’il est beau. Il devient fou

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raide. À la fenêtre, Mme Therrien me salue au travers la moustiquaire.

— Tu t’en vas-tu encore lire sur la plage ma belle Laurie ? Décroche-toi pas un œil, là !

Derrière elle, la télé est allumée. Je sais que William est écrasé sur le sofa en train de regarder les bonshommes. Sa face apparait dans le bas de la fenêtre avec ses yeux d’endormi. Sa voix est pâteuse.

— M’a t’chercher talleur, Zach a eu son bike, on va pouvoir aller au phare.

Je fais OK de la tête puis je m’éloigne. Jackson retourne se coucher sur le balcon. Je passe devant chez les Bérard, les Dufour, les Boulianne. Devant moi, par intervalle, la mer réapparait. Plus je m’approche, plus on dirait une énorme bête qui respire lentement. Ça m’attire comme un aimant, je presse un peu le pas. Une dernière descente, puis c’est la montée vers ce point culminant, là où plus rien n’obstrue la vue. Je monte, je monte, mon cœur s’accélère et lorsqu’enfin j’atteins le sommet de la butte, d’un seul coup l’univers au complet se change en bleu, partout, je vois loin, loin, loin, sans aucune fin du monde. C’est là que cette chose arrive, comme si la mer au grand complet entrait dans mon corps et qu’une vague géante me décollait de la terre, je grimpe très haut, mon cœur explose, je ferme les yeux. C’est trop fort.

Je suis restée longtemps assise sur la plage, les pieds nus dans le chaud du sable. J’ai oublié l’heure et je suis arrivée en retard pour diner. Ma mère m’a chicanée, mais pas trop, parce que ma grand-mère Tremblay était là. Plus tard, William est venu me chercher avec Zachary et sa nouvelle bicyclette. J’ai enfourché la mienne et on a pédalé comme des malades jusqu’au phare. Demain, c’est lundi. Dans trois semaines, ma petite école de mer est finie.

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La belle attitudeGUILLAUME HUBERMONT

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il n’y a pas de ventredans la villequelques relais – j’attendsde te croiser le soirau bar le plus à l’est

on snique aux fenêtreson pense te voirtourner le coinpar le terrain sans vaguesdevant les shops fermées

notre moment préféré :on attend ton retourau hublot de Louison t’attend pour

chercher le ventrechercher la dansefaire tanguer les copainscracher les piassesdes machines à glacer

faune frimée et vapeurs de gazcomptoir de métal lourd

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le lendemain,comme pour la Manicj’ai fait les comptes :un garage par secteurl’horizon onduléun lac à nagerpour le camp de vase

C’est une chanson de route

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on pense à l’échapperbelle attitudese faire une plageavec la patienceet l’attente qui ne revient jamaisavant le soir

tout est resté pareiltu disqu’on s’y retrouveles heures dans le désordreet les terres reculent

j’ai des phrases plein la boucheicioù la rivière se briseet les marées avancent

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Soixante-trois marchesMARIE-CLAUDE BÉLANGER

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Je n’ai pas été l’adolescente « normale » qui voulait à tout prix quitter sa région triste et éloignée pour vivre l’euphorie de la grande ville. J’y suis allée, en ville, mais du peu de certitudes que j’ai eues dans ma vie, il y a eu celle-ci : un jour, je reviendrais.

Ados, la plupart mes amis se plaignaient de vivre dans un trou perdu. « Baie-Comeau, c’est trou. » « La Côte-Nord, c’est trou. » C’était plate, ça manquait d’excitation. Ça manquait de tout. Je ne comprenais pas trop ce dégout envers mes origines qui, à mes yeux, n’étaient pas si extraordinaires... mais c’était les miennes. Cracher sur ma ville, c’était (et c’est encore) un peu cracher sur moi.

Certains sont partis sans jamais regarder en arrière. Certains sont restés. D’autres sont revenus. Moi, je suis allée dans la région de la Capitale-Nationale, un peu perdue de me retrouver dans un endroit où je ne connaissais personne à des centaines de kilomètres à la ronde, alors qu’ici, j’avais toute une famille à moins de dix kilomètres de la maison.

Je ne me suis jamais vraiment sentie chez moi ailleurs que chez nous. Je n’étais pas mal là-bas. J’en garde des amitiés précieuses et des souvenirs tout aussi riches. Mais un petit bout de moi était resté ici et je ne pouvais tout simplement pas l’emporter avec moi. Si je voulais être complète, c’était ici et nulle part ailleurs.

Quand j’étais petite, mes grands-parents avaient un chalet à Pointe-aux-Outardes. Avant eux, il avait appartenu à mon arrière-grand-père Napoléon. Un pionnier arrivé ici dans les années 1940, au temps où Baie-Comeau était encore trop petite pour mériter le titre de trou. C’était même exotique de venir s’installer ici, ou peut-être fou, c’est selon.

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J’ai passé beaucoup de temps sur la rue Labrie, entre le boisé qui s’étendait devant le chalet et les vagues qui roulaient à l’arrière. Les heures défilaient au ralenti, à jouer au Nintendo sur la télévision douze pouces en noir et blanc, à équeuter des fraises avec ma grand-mère, à faire une sieste sur une chaise longue, pendant que mon gros labrador blond se faisait sécher au soleil. Dans une garde-robe, il y avait un énorme rouleau de papier journal provenant de l’usine où mon grand-père avait travaillé toute sa vie. J’en déchirais des morceaux pour dessiner. Comme le temps au chalet, il se déroulait tellement lentement qu’on aurait pu l’étirer jusqu’à l’infini et qu’on n’en serait jamais venu à bout.

Soixante-trois marches nous séparaient de la plage… pas soixante-deux ni soixante-quatre. Je le sais parce c’était chiant de les remonter quand tu oubliais ton sceau et ta pelle en haut, ou que l’envie d’aller aux toilettes te prenait juste en arrivant en bas… La seule chose à faire pour s’occuper durant la remontée, c’était de les compter les soi-xan-te-trois marches pendant que tu maudissais les planches et que les cuisses te chauffaient. Les pires, c’étaient les numéros 45 à 61. Les deux dernières étaient légères, on voyait réapparaitre le boisé devant, en signe de victoire. On y était.

Pourtant, quand on descendait les soixante-trois marches, avec la vue des vagues et la gravité aidant, on ne voyait pas leur nombre. Elles disparaissaient sous nos pas, parce qu’on avait l’immensité sous nos yeux. C’est elle qui prenait toute la place. C’est plus facile quand on voit au loin. C’est plus dur lorsqu’on tourne le dos à ce qui nous entoure.

Quand je me promenais sur la terrasse Dufferin, mes idées flottaient dans les embruns du fleuve et se rendaient jusqu’à chez-moi. L’odeur des algues à marée basse me manquait. Ça ne sent pas si bon, les algues, mais c’est une odeur remplie des souvenirs d’une époque où tout était plus simple dans ma vie de petite fille. Je regardais l’eau d’en haut, accotée sur la rambarde, comme pendant mon enfance… mais les escaliers casse-cous ne menaient pas à la plage et le fleuve n’était pas assez large à mon gout pour mériter ce nom. Ma coloc de l’Abitibi ne comprenait pas pourquoi je disais que ce n’était pas « ça », le fleuve.

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Pour moi, ça signifiait des vagues à perte de vue, avec au loin une pâle silhouette de la Rive-Sud, les journées plus claires. Mon fleuve, il change de couleur chaque jour, selon les heures qui passent et la météo qui change. Bleu, gris, vert, turquoise, calme ou agité.

Avoir les deux pieds dans le fleuve, c’est marcher sur les bancs de sable et surveiller la marée pour ne pas se faire prendre lorsqu’elle remonte à la vitesse d’un cheval au galop. C’est attraper des écrevisses et les mettre dans les douves d’un château de sable pour qu’ils y montent la garde. C’est se baigner et avaler une gorgée d’eau salée par mégarde. C’est ramasser des coquillages que les oiseaux ont laissé tomber en vol. C’est émietter la croute de sable séché au soleil entre ses doigts, juste parce que la sensation est agréable. C’est le bruit des vagues qui cassent doucement sur le rivage. Quand on s’en approche, le fleuve donne le rythme, il impose qu’on prenne son temps, simplement.

Ce n’est pas seulement le fleuve et la nature qui m’ont ramenée chez moi. C’est la chaleur des gens qui contraste avec la froideur du climat. Ici, on n’est jamais complètement seul. Dès qu’on sort pour faire des emplettes ou simplement faire une promenade, on récolte des bonjours et des sourires qu’on garde en poche pour se réchauffer jusqu’à la prochaine fois.

On dit qu’il faut savoir d’où on vient pour savoir où on va. Je viens de loin, mais pas d’un trou. Je viens d’un coin perdu entre les montagnes d’épinettes et l’immensité de l’eau. Loin, mais proche des gens qui sont vrais, proche de mes racines.

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revenir icitteWILLIAM LESSARD MORIN

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côte-nord de sable rayons esseuléscôte-nord de pierre les reins boucliers

pas fitter dans l’décorjuste inadéquat chat juif dans l’eau bénitesans fantasmes en 4 par 4sans pailles dans le café du tim ou de l’autre timjamais ben jacké pour un ski-doojamais ben jacké dans un fille cheap de bar cheap de

ville cheap

t’avais la gueule à terre quand j’t’ai dit que j’revenaistu trouvais ça wack en esti retourner en arrière comme un kid qui sait pus respirer tout seul s’arranger

comme un grand marcher drettetu disais faut qu’t’aies rien vécu pour qu’la vie icitte soit vivable

moi c’est toute la laideur d’avant qui m’faisait peur solidetoutes les images indélébiles de ma criss de chienne de

p’tit chigneux de douze anstoute la rage ravalée pour pas crever entre trois-quat’

sarcasmes qui t’pognent à gorgetoute la bullshit que j’ai gobée qu’j’ai savourée qu’j’ai

crue mienne juste pour survivrepour pas fondre dans leur criss de moulepour pas devenir comme euxpour pas m’effondrer à deux degrés d’libertél’anonymat noyé su’ la rampe du traversier

côte-mort entre deux souffles fleuves d’eau froidurecôte-for intérieur fissuré le ressac sur la chair émaciée

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quand j’tais tit culles réponses étaient toutes tellement clairesmes amis qui juraient que linkin park c’tait l’meilleur

band d’la terremes parents qui disaient que j’resterais gros si j’allais

pas plus jouer dehorsles matchs de lutte poches que j’faisais semblant d’aimer

dans l’sous-sol de mon ami(avant d’faire semblant d’dormir pendant qui s’crossait

su’l divan-lit)les vidéos d’cul de trente secondes qui prenaient trente

minutes à loader su’l dial-upmon frère qui parlait d’faire sauter la réserve parce que

tséles esti de kawichs y crissent fuck all pis y nous volent

not’ cash (y’a pas de poésie assez large pour l’idiotie)tout était tellement clairpis donnait envie d’mourir

côte-tort à travers tes tumeurs méduses harnachéescôte-outardes aux départs de tes dunes improbables

pourtant c’est icitteque j’ai aimé pour la première foispis pour la première vraie de vraie fois aussipourtant c’est icitteque j’ai appris ça voulait dire quoifaire partie de queq’chose d’un peu plus grand que sa

très p’tite personneexister dans la présence des autresêtre bien tellement fucking bien en-dehors de moiaimer pour une fois c’que j’suis au-delà d’la game(et qu’j’aurais p’t’être jamais su admettre ailleurs)être plus que moirespirer à m’en déchirer l’ventreexister pour vrai

côte-d’azurs en traveling dérives interminablescôte-dors la tête épuisée sous tes aurores terribles

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Nouvelle littoraleSIMON CAMERON

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Dans notre nord, les jours après jours se lèvent sur le Fleuve. Un fleuve d’éloignements, de familles décousues, raccommodées, la tuque attachée avec de la broche. Un tissu social boréal. Les hommes et les femmes qui m’entourent font depuis longtemps partie du paysage. L’avantage de nos tissages et métissages nordiques. Ils sont rocs, rivages infinis. Gravés par le glaciaire qu’ils domptent à coups de saisons, à coups d’ouvrage. Enracinés. Ils se sont amourachés de cet air vif et frais, filtré par les montagnes de Charlevoix et salé par les Gaspésiens d’en face.

Leurs ancêtres l’avaient compris bien avant.

Et pour en profiter longtemps, ils s’étaient acheté des barrages et des barrages. Ils se sont inventé des usines pour transformer toute l’énergie avalée des rivières en tout ce qu’elles pouvaient produire. Des choses à vendre. Et ils en ont vendu. Ils en ont vendu tant et si bien, qu’une ville, un point sur une carte, est venue s’imposer discrètement. Histoire d’épater les visiteurs, les pionniers ont même creusé un fjord, un fjord si profond que personne ne pourrait y construire de pont. Tout le monde en a été satisfait. Un temps.

Quelque chose manquait. Au fil des saisons, les hommes et les femmes qui prenaient toujours la forme du paysage ont dû payer le prix pour habiter ce territoire dont on avait trop longtemps tout vendu.

J’y suis arrivé à huit ans. Ils étaient un quai à la dérive, elles marchaient sur une scène de guerre biologique devant l’usine. La peau de ces gens ressemblait à la tôle qui recouvre trop de nos bâtiments. Les marées battaient sur une population vieillissante et sur la vitrine des commerces assoupis. Victimes, peut-être, de la distance et des blizzards de la vallée des coquillages.

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Plus tard, pour se prémunir de l’ennui et de la complaisance, des hommes et des femmes ont décidé de promouvoir la peinture, le théâtre, de donner une place aux musiciens. Les citoyens s’en sont trouvé mieux. Un nouvel élan. Ils ont construit des parcs sur l’improbable. Un jour, j’ai cru entendre poésie. Puis j’ai appris à accepter que mon voisin puisse aimer sa motoneige. Et je suis resté ici. Parmi ces hommes et ces femmes.

Je reste encore. De plus en plus paysage. À coup d’amour et d’enfants. Un chez-moi entouré de chez eux réconfortants. L’été, la bière, des sourires partagés. De bons moments qui s’ajoutent aux autres beaux moments. Puis l’hiver. La soif de nos chaleurs qui nous tourne vers la famille. De l’intérieur vers l’intérieur. Refuges accueillants et ardemment inclusifs. En attendant encore un printemps. Tout est si simple.

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RefugesMÉLISSA BÉCHARD PELLETIER

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LandeLe territoire m’avaleMa source s’est tarieDes lambeaux de moi s’accrochentAux arbres de la forêt boréaleMa soif rencontre la tienneJe m’abreuve dans ton regardEt me baigne dans notre désert Discussion tardive dans ton appartement dénudéÀ mon départTu replaces une mèche derrière mon oreilleDoucementDeux grands brulés prêts à s’embraser de nouveau

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LittoralTu as échoué iciDevant la Manic qui coule et coule sans cesseSans se soucier de ton ennuiEt de ta solitude qui s’enracine dans cette terre stérileUn soirTon mal se reconnait dans une autreElle t’intrigueCette femme à perte de vueSur la ManicAprès son départTu lui as écrit un poème Comme une fissure Perce la surface du lac gelé de la vie

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ForêtDevant le fleuve aux reflets de nuitNos salives s’entremêlentLa tienne a un gout de cigaretteÇa m’a marquéeJe ne sais pas pourquoiL’automne nous enlace Nos corps se cherchent dans la chaleur de l’autreTu me soulèves et me portes jusque sur la grèveTout se termine chez toiTu me berces comme une enfantNous restons silencieuxSilencieusement À écrire l’histoire des fleursDans le ciment de nos détresses

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Aller-retourÉLOÏSE DEMERS PINARD

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tu m’auras tracée chemins d’épavesarrachée d’émeutes mitraillette de pluiedes restes de chaloupescornent mon couet tentent les amarrés d’idylles

le jeûne s’excuse pour le manqued’alinéaspour la manie des jours liquideset les frasques des échassières tu ne m’écriras plus

tu ne m’écriras plus les parcours seront des caniveaux de la Côte à l’oraclejour soir noir jourla nuit pour mémoire

les candélabres pleurent lugubre ton ombreles monstres prennent ta place à la gauche du litle matin sonne la victoire de l’insomnie

je ne reflète aucune imageje suis le spectre croisé dans un miroir en allant aux toilettes à 4 h du matin

maintenant je te reconnais au silence de celui qui ne peut choisir entre une pomme ou un fruitentre un leurre ou la chairmirage cru reprise sourde

tu m’avais montré à nommer les mousses des paspêcher à la mouchechoisir le plus beau galet

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mal le lancermanger les nuages pour le bleu du cielles algues aux pieds dans la marée du bain nu

les goélands ne sont pas les mêmes iciils se disputent pour autre chosepas pour la mer mais charognent une place pour la mie

il me reste l’odeur du paillis tes flotsbleu gris confondus ciel et merun phare statique en exilta peau d’horizon flasque

mes cheveux te mordent te mentent toujourson revient on repart on s’invente sauvagece n’est pas une rosec’est un barbelé que je suis

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Horizon nordiqueAMÉLIE LANGLOIS

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je m’insère des paysages dans les yeuxà la recherche de repèresles arbres, découpés noir sur blancet le silence des forêts désertesje n’entends que l’écho de ma voix

repasser sur mes pas cent foisla noirceur du ciel appuyée sur mes épaulesj’ai cherché dans ma mémoireles chemins déjà empruntés

le visage inconnu des lieuxn’a plus la même résonanceentre mes côtes

la fumée des usinesme pique les yeuxune pelote d’angoissecoincée dans la gorge

j’ai posé la tête sur les rocherstandis qu’ils semblaient se dérobersous le poids de mes songesle craquement des coquillages et n’avoir que mes dentspour ronger mon angoisse

l’eau de la rivière est glacialeaucun bain chaud n’arriveà faire fondre le givrequi recouvre mon épiderme

malgré la grandiosité des lieux rien ici n’a assez d’amplitudepour enlacer le vide qui hurledans mon ventre

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je ne sais que fairepour capturer à nouveaul’horizon nordique

pourrait-on allumerun feu sur la plagese baigner dans les braisesoublier la chair de pouleet la marée haute

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Première neigeEMILIE PEDNEAULT

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Convaincue que c’est la bouffée d’air frais dont tu avais besoin, tu sors du surpeuplé appartement 8 pour tenter de braver l’imbravable. Déjà presque sept ans que tu habites Montréal et tu continues à être surprise chaque fois ; tu ne t’y habitues pas. L’humidité d’un hiver sans bancs de ouates, les cristaux nordiques et le soleil à bras-le-corps te rentrent dans les os. Ta Côte-Nord te manque. C’était Marc que tu voyais dans la Grande Ourse, comme engourdie par le souvenir de ta blessure. Marc sentait le cèdre, ou l’épinette, voilà pourquoi tu ne pouvais plus passer par ta forêt préférée pour te rendre au café. Tu devais emprunter la ville, les nombreuses rues courtes qui forment un hexagone, y aller et essayer de ne pas y penser, ou de ne pas ne pas y penser, en relisant la poésie scolaire que vous vous envoyiez, la semaine du 14-02, par la poste mise sur pied par monsieur Nadault, le vieux prof de techno. Voilà aussi pourquoi tu te retrouves là, dans une vraie ville en géométrie.

C’est une journée ordinaire, tu marches droit devant et te rends jusqu’à La flèche rouge sur Ontario, où tu achètes la dernière bédé de Jimmy Beaulieu pour l’anniversaire de Claudine. Tu ne t’attardes pas et te revoilà les pieds dans la neige fondante qui se défait sous tes bottes de rubber. Tu penses que tu donnerais tout pour les tremper plutôt dans le fleuve bleu froid, les microglaciers te dérivant devant les yeux. Et tu te souviens de cette fois où les touristes du sud s’étaient fait piéger par sa beauté. « Piégés par la montée des eaux » avait été le gros titre du journal local, cette semaine-là.

À la première neige, ils y étaient allés. C’était à la longue pointe qui se découvrait à force que la marée baissait. On avait tout juste le temps de s’y rendre que déjà, elle se changeait en ile et on se retrouvait coincés en son milieu. Les touristes amoureux avaient dû marcher longtemps

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dans l’eau glacée, leurs manteaux devenant de plus en plus lourds du poids de l’eau salée. C’était un mont Saint-Michel en capsule, un presque mirage. Tout le monde les avait trouvés ridicules, mais toi tu comprenais. La douce musique de la marée t’avait souvent détournée de tes obligations, toi aussi. Et la beauté, ce n’était tout de même pas la première fois que quelqu’un risquait sa vie à cause d’elle. De toute façon, n’était-ce pas romantique de mourir engloutis par le fleuve, les pieds enterrés dans le sable, les doigts entrelacés ? Tu aimais cette idée.

Tu devrais retourner à l’appartement pour terminer les préparatifs. Claudine est seule à cuisiner le repas, elle te reproche souvent ton manque d’enthousiasme pour les tâches quotidiennes. Tu n’es pas d’accord avec elle. Tu aimais bien aider ton père à fendre le bois et à le corder en lignes bien droites. Il faut faire bien attention à laisser l’air passer entre les cordes, pour que le bois sèche bien et qu’il craque fort quand le feu le saisit. Tu te souviens de cette fois où, avec Marc, vous aviez travaillé sur la terre de son père à répéter cet exercice de précision. Vous aviez aussi mis en tas les feuilles d’arbres tombées, les arbres tombés et le foin sec pour les faire bruler et humer l’odeur de l’automne. Ça sentait les vers de terre et la propreté aussi : un étrange mélange, mais un mélange parfait.

Tu marches sans vraiment voir ce qu’il y a autour. Tu marches pour l’exercice, pour ne pas t’enfoncer. Les rues sont maintenant remplies d’eau. Tu finis par te retrouver devant l’Atomic café. Tu entres, commandes un café filtre et enlèves ton manteau. Tu t’assois à une table près de la fenêtre pour pouvoir regarder les gens marcher, t’attarder à leur style vestimentaire, leur inventer une personnalité en fonction du motif de leur chemise et une histoire familiale d’après leurs chaussures.

Dans ton sac, tu as ce livre que tu traines partout. S’aimer un jour à la fois. C’est ton père qui te l’a donné, le jour où tu as décidé de quitter ton froid pays. Tu ne le lis pas vraiment, mais tu le gardes avec toi comme soutien moral, pour te donner une impression de stabilité. Un jour à la fois, vivre le moment présent, la prière de sérénité. Même si tu te dis athée, tu te surprends toi-même à le réciter souvent, rapidement. Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne puis changer, le courage de

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changer les choses que je peux et la sagesse d’en connaitre la différence. Tu n’es pas une personne sage. Tu ne sais pas faire la différence. Parallèlement à cette prière, ton père a toujours prôné le « quand on veut, on peut ». Tu n’aimes pas beaucoup ce dicton, tu le trouves facile. Aide-toi, le ciel t’aidera. Depuis que tu vis ici, tu réalises bien qu’on ne nait pas tous avec la même chance. Le plus souvent, les docteurs font des docteurs et les BS font des BS.

Claudine te sort de ta rêverie. Elle entre dans le café, avance de ses grandes jambes vêtues de bottes qui n’ont pas de fin. Elle est séduisante. Elle porte l’écharpe continue que tu lui as fabriquée pour ses 34 ans. Elle te décoche un sourire, commande son café, vient te rejoindre à la table. Tu t’avances pour l’embrasser, elle sent bon. Claudine a toujours cette odeur de camphre réconfortante, comme si chaque matin elle s’enduisait le corps de Tiger Balm.

— Allo, ma puce, j’pensais pas te voir ici. J’ai terminé ma recette, c’est au four.

— ...— Est-ce que ça va ? — Oui, oui. J’ai eu envie de marcher un peu. J’avais

besoin d’air. — T’as prévu quoi pour ce soir ? J’avais pensé qu’on

pourrait sortir un jeu. Quelques Arpents de Pièges et dictionnaire, ça serait bien, non ?

— Oui, oui, bonne idée.— Ça va-tu ? Parle-moi.— J’ai rien à dire, Claudine, ça va bien.

Tu lui souris. Elle te sourit, t’embrasse sur la joue et sort son livre Les Tranchées, un essai de Fanny Britt sur la maternité. Vous en avez discuté déjà, de la maternité. Tu penses à lui acheter un chien à la place. Tu aimes bien les bergers australiens et les braques allemands, mais ces races-là ne conviennent pas à votre « mode de vie ». Un lévrier afghan s’agencerait mieux à Claudine. Il irait bien avec ses beaux habits, et ça ne lui demanderait pas trop d’exercice. Tu n’as plus envie d’être maman. Tu te demandes parfois si tu ne devrais pas partir, quitter Claudine, lui offrir la chance de faire ce qu’elle souhaite, même si c’est sans toi, parce que tu l’aimes. Tu aimerais voir le nord, le vrai. Tu as une amie qui vit à Yellowknife, dans un boat-house. Ça te semble être une belle aventure.

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Ou tu pourrais partir pour l’Islande. Ou la Norvège. Non, tu aimerais aller vivre au Danemark. Tu as vu ce documentaire dernièrement, Le bonheur en Scandinavie, et tu avais choisi ce pays-là. Là-bas, il y a une quasi-ville où tout le monde se déplace à vélo et où on partage et on s’aime. Un immense quartier de néohippies. Tout le monde s’occupe des enfants de tout le monde, c’est beau. Être mère dans ce monde-là te plairait. Tu ne serais pas responsable de la vie d’un petit être parfait, mais tu pourrais tout de même donner. Tu serais une mère à temps partiel. Quand la sienne devrait aller à la buanderie ou au marché, tu serais là pour la remplacer. Tu pourrais y aller avec Claudine, mais ça ne lui suffirait pas. Elle veut qu’une vie germe dans son ventre à elle. Elle veut jardiner. Tailler des fleurs, les aider à devenir frênes.

Tu te lèves, tu t’excuses, un oubli, une commission à faire. Tu demandes à Claudine de régler, c’est une urgence. Puis un sourire, un baiser, un à tantôt. Tu sors rapidement du café. Tu prends à droite, te déplaces d’un pas rapide. Tu ne regardes personne, fixes le sol. Tu vois ta vie passée défiler devant tes yeux. Ton enfance, ton adolescence, ton entrée dans la vie d’adulte. Ton premier amour, tes rêves évaporés, tes larmes. L’accident, ton toddler parti. Ton départ pour oublier. Tu arrives face à la station Frontenac et t’y engouffres. Tu dévales les escaliers d’un pas rapide. Tu passes devant ce trompettiste qui fait des covers de blues à la B.B. King. Tu penses à ton père, seul là-bas. Il comprendra. Le hall du métro est plein à craquer. Il y a foule et personne ne peut passer. Tu entends jacasser et commences à déchiffrer les mots. Tu comprends, ça vient du bourdonnement. Quelqu’un l’a fait, avant toi. La déception te gagne. Ou le soulagement. Peut-être une autre fois ? Peut-être l’année prochaine.

Oui, l’année prochaine, de façon belle et tragique, et poétique, tu marcheras droit devant sans que personne ne t’arrête. Il y aura ce bourdonnement, on déchiffrera les mots et l’on dira alors de toi qu’elle s’est jetée devant le métro à la première neige.

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Tu es une jeune autrice néomontréalaise

ALEXANDRA TREMBLAY________________________________

Tu es une jeune autrice. Bravo ! On te dit que tu fais partie de la relève littéraire dorée de Montréal. Bravo, bravo ! Tu viens d’y déménager et tu sens que c’est comme si on te fourrait le ciel au complet dans la bouche. Habituellement. Mais ce soir ton village te semble bien loin. Tu cherches ta mère dans ton angle mort. Tu reviens du concert d’une jeune artiste noire queer anglophone et tu n’as pas compris tout de suite que c’était aux femmes de couleur qu’elle demandait d’applaudir. Que ce n’était pas à toi qu’elle s’adressait quand elle parlait de « Stay true ! / Stay True ! / Stay True ! ». Tu as honte de ton anglais. Tu n’avais jamais vu de personnes noires dans la vraie vie. Plus tard, tu vas dire que l’artiste queer noire anglophone t’a « vraiment influencée dans ta pratique », mais tu ne sais pas si ta présence à ce concert était adéquate.

Tu reviens du concert d’une jeune artiste queer noire anglophone et tu marches sur la rue Ontario pour revenir chez toi, à minuit et demi. Une femme crie au loin. Il y a toujours une femme qui crie au loin, la nuit, à Hochelaga. Tu penses à ton village. L’autre jour, coin Préfontaine et Ontario, un homme t’a suivie longtemps dans son char et te demandait combien coûte ton pussy. Tu lui as lancé, à travers sa vitre ouverte, le contenu de ta bouteille d’eau. It was not very effective parce qu’il t’a talonnée jusqu’à ta ruelle. Tu aurais aimé avoir un pot de salsa douce du Dollorama à portée de main pour le fracasser sur son windshield. Ça aurait beurré en criss pis senti la tomate épicée longtemps. Le lendemain, il se réveillerait hungover et voyant les mottons rouge pâle, se demanderait si c’est ton crâne qu’il a fracassé sur son windshield. Pour chaque femme qui crie au loin à Hochelaga, il y a un bonhomme qui prend le volant soul pour se chercher une prostituée dans le coin de l’église et peut-être foncer sur un artiste qui marche au milieu de la rue parce que le trottoir est barré.

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Tu es une jeune autrice néomontréalaise, tu es le visage de l’exode rural et ce ne sont pas tes petits textes cutes sur ta région qui vont l’empêcher de fermer dans cinq ans.

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MARCELLE BEAUDINJe suis native de Baie-Comeau et j’y ai toujours vécu, à l’exception de quelques années passées dans les Laurentides. J’étouffais ! Pas d’horizon. Je suis retraitée depuis quelques mois, et je redécouvre le grand bonheur de ne plus avoir de contrainte de temps. J’ai de l’espace. Je lis, j’écris, je vois mes amies, je prends l’air, je me retrouve.

KARINE BEAULIEUJ’aime lire, écrire, peindre et dessiner. Parce que la vie va trop vite, je me tourne souvent vers le fleuve.

MÉLISSA BÉCHARD PELLETIERJe suis née sur la Côte-Nord et mes racines y prolifèrent jusqu’à Rivière-au-Tonnerre. J’ai quitté la région pour étudier la littérature et la création littéraire. J’y suis revenue pour bâtir ma vie d’adulte. Une forte fibre artistique m’habite. Je suis une touche-à-tout (danse, chant, cinéma, dessin…), mais mon cœur appartient à l’écriture et au théâtre. J’enseigne la littérature au Cégep de Baie-Comeau et, depuis deux ans, je m’occupe de la mise en scène de la troupe de théâtre étudiante.

MARIE-CLAUDE BÉLANGEREnfant unique, mon imagination a toujours été ma meilleure amie. Amoureuse de la créativité, je crains la routine. Partie de la Côte-Nord durant quelques années pour mieux y revenir et y fonder ma famille, j’élève aujourd’hui mes deux filles dans la maison de mes grands-parents, les deux pieds dans le bonheur et dans mes racines.

Les auteurs________________________________

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SIMON CAMERONMa personne s’offre peu, en plus d’être partisane. Je propose au lecteur le dénuement surréaliste et le mensonge assumé. Mon cheminement est celui de ceux qui disent et parlent fort sans écrire. Tout le sens de cette littérature réside dans la chance d’aimer ces gens qui pensent et qui rêvent.

DANY CHARTRANDJ’ai fait des études en création littéraire, et je travaille comme médiatrice culturelle et communautaire depuis toujours, mais aussi comme conteuse et créatrice de projets en médiation littéraire. J’ai une longue histoire d’amour avec la Côte-Nord. Depuis plus de 30 ans, je réside et travaille tous les étés à Tadoussac, où j’écris, vis, aime et en raconte des belles aux enfants, à la Biblio-plage de Mme Chose, mais aussi un peu partout sur la Côte, de Sacré-Coeur à Sept-Îles. « Mon paradis bleu » a été fortement inspiré fortement par les élèves et les enseignantes de la petite école St-Joseph à Baie-Trinité, où j’ai eu le bonheur de réaliser un projet scolaire de création littéraire, en 2017.

ÉLOÏSE DEMERS PINARDJe suis poète et artiste multidisciplinaire par l’écriture, le documentaire, les arts vivants et la création sonore. J’ai travaillé sur la Côte-Nord, m’y suis éprise et y suis tombée amoureuse. J’y fais des projets artistiques depuis, y travaille et y habite la moitié de l’année.

MIRELLA FAUBERTRésidente de la Côte-Nord depuis trois ans, j’ai plaisir à découvrir ses beautés naturelles et la chaleur des gens qui l’habitent. Le golfe du Saint-Laurent et ses îles prennent racine en moi et m’offrent un espace où respirer plus librement.

SIMON FORTINNé en 1983, je suis coupable de deux recueils de poésie jugés impropres à la publication. En 2016, je suis mort d’amour. J’enseigne aussi les mathématiques, pour gagner la vie que ma mère m’a donnée. Et le plus clair de mon temps, je pellette la neige qui tombe.

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GUILLAUME HUBERMONTOriginaire de Belgique, je suis arrivé à Natashquan en 2007. En 2015, je me suis installé à Sept-Îles pour y faire de la radio.

AMÉLIE LANGLOISNative de Baie-Comeau, je suis conseillère d’orientation et j’aspire à devenir psychothérapeute. Autant dans l’art que dans la relation d’aide, je m’intéresse à ce qui est singulier, authentique, à ce qui cherche à être entendu. Écrire me permet de mettre des images sur ce qui est diffus et de rendre assimilable ce qui m’échappe.

WILLIAM LESSARD MORINEnseignant de littérature au Cégep de Baie-Comeau, je suis également l’auteur du recueil de nouvelles Ici la chair est partout, paru aux éditions La Mèche en 2015. Je suis aussi, comme vous le savez probablement déjà, le fondateur du cercle d’écriture Recréer la Côte. Au printemps 2017, j’ai eu l’honneur de recevoir le prix « Œuvre de l’année sur la Côte-Nord » du Conseil des arts et des lettres du Québec. Mon prochain livre, un recueil de poésie, paraitra à l’automne 2019.

DANICK MORINJe suis un étudiant de 18 ans en Arts, lettres et communication au Cégep de Baie-Comeau. J’ai toujours vécu à Baie-Comeau. L’écriture a commencé pour moi comme une source de blague ou je pouvais jouer avec les mots pour parler de dragons et d’alcool, mais ça s’est maintenant transformé en un réel intérêt.

FRANCIS PARADISJ’ai quitté la région pour poursuivre mes études à la formation supérieure de l’École de danse de Québec. Je m’ennuie de la Côte-Nord et de ses espaces inspirants. Boursier du programme Première Ovation Arts littéraires à l’été 2017, je perçois l’expérience du corps comme un motif principal à l’émergence et au travail du texte.

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EMILIE PEDNEAULTNée en 1987, originaire du Saguenay, je suis une artiste multidisciplinaire vivant et travaillant sur la Côte-Nord depuis presque une décennie. Ma démarche s’articule autour du tangible, du sensible, de la transmission, du partage d’humain à humain, par l’objet matériel, l’écrit, l’illustration, la poésie visuelle et l’objet immatériel. J’affectionne particulièrement le souffle Nord-Côtier qui m’aide à respirer et avancer.

NOÉMIE POMERLEAU-CLOUTIERJe suis originaire de Baie-Comeau, où je retourne périodiquement pour inspirer l’estuaire et pour m’en inspirer. J’habite maintenant Montréal et je suis formatrice en alphabétisation populaire. Je m’implique pour l’accès à l’éducation à tout âge et dans des projets qui démocratisent la poésie. Mon premier recueil de poésie, Brasser le varech, est paru à La Peuplade, en octobre 2017.

ALEXANDRA TREMBLAYOriginaire de Colombier, sur la Côte-Nord, j’habite présentement à Montréal, où je suis candidate à la maîtrise en création littéraire et travaille pour le Laboratoire NT2 de l’UQAM,. Lorsque je ne suis pas en train de faire ma fine lors d’un vernissage, je rédige un, deux ou trois premiers romans artsy-postinternet-psychédéliques.

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Nous tenons à remercier toutes celles et tous ceux qui ont permis ce merveilleux projet et qui continuent d’appuyer les projets créatifs dans notre région.

Un immense merci à nos généreux partenaires d’honneur, la Caisse Desjardins de Baie-Comeau et ICI Côte-Nord.

Merci également à nos autres très estimés partenaires : la Fabrique culturelle de Télé-Québec Côte-Nord, le Cégep de Baie-Comeau, L’Ouvre-Boîte culturel et la Ville de Baie-Comeau.

Enfin, merci à vous, chères lectrices et chers lecteurs, parce que votre amour de la littérature est notre raison d’exister !

Remerciements________________________________

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Page 76: Recréer la Côte est une revue publiée par le cercle · 2018. 9. 30. · du comité de la revue, et ils conservent les droits rattachés à leurs écrits, sous condition d’avis
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