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Recueil de nouvelles Mlf/OSUI 2013

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"Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir" (Matisse)

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Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir | Henri Matisse

concours de nouvelles 2013

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Concours de nouvelles

Introduction .....................................................................5

Un nouveau jour ..............................................................9

De l’obscurité à la lumière ................................................15

Prison à ciel ouvert ...........................................................25

Point de vue ......................................................................33

Ma sœur pour toujours ....................................................41

Maxime à la campagne ....................................................53

Points de vie .....................................................................59

Bonheur à Paris ................................................................71

Le village ..........................................................................85

3Sommaire

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Les bonnes nouvelles 2013 ne le sont peut-être pas beaucoup plus que tant d’autres suscitées par la phrase de Matisse. Leur lec-ture permet toutefois de vérifier une fois de plus que le charme de l’écriture opère quand il vous fait passer de l’autre côté d’un miroir dont vous ne voyiez pas la surface.

Version douce : « En Italie, tout près de Naples, se trouve le village de Torsiana ».

Ou bien, en plus brutal : « quelle journée exécrable ! ».Et c’est parti. Toute la différence tient en ce que le texte n’est pas enroulé

autour de la phrase présumée le déclencher, mais se déploie tout à coup, inattendu, comme ces figures de papier découpé dont les enfants s’étonnent de la forme quand ils les déplient.

Parfois docile à la phrase qui la fait naître, la nouvelle fonc-tionne par des noms qui, le temps d’une page, animent de vrais personnages, ou par une mise en situation qui tire les mots vers un début de fiction. Pour d’autres, l’incipit claque, décide, donne le ton, le temps, la couleur et le son, il imprime le texte, et tant pis si l’automatisme affleure pourvu qu’il fonctionne  : « nous sommes arrivés au lycée ; nous étions aussi heureux que deux végétariens dans une boucherie »…

La nouvelle n’est jamais si loin d’une morale ou d’une le-çon, et c’est un art difficile. L’exercice de l’écriture se conquiert, comme l’œil apprend à discerner, les sens à goûter, l’esprit à comprendre. En effet : « il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir ». C’est une bonne nouvelle, au fond. Mais vous l’avez compris, il faut s’y mettre car ce qui vous est donné n’est pas vôtre.

Une fois de plus, ce concours démontre que l’écriture est une

5Introduction

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initiation et l’usage de la langue l’outil de la liberté, du plaisir aussi, on ne le boude jamais. Bravo, 2013 !

Jean-Christophe DeberreDirecteur général

Concours de nouvelles 20126

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Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir | Henri Matisse

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Lucas TortoraClasse de 5e

Lycée international

Boston

états-Unis

catégorie > 6e / 5e

1er prix

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En Italie, tout près de Naples, se trouve le village de Torsiana. C’est une bourgade italienne classique : maisons en vieilles pierres, épiceries disposées tous les dix mètres les unes à côté des autres, de chaque côté de la route principale. Le paradis sur terre !

C’est dans ce village qu’est né Shin Lo. C’est le fils de Tai Li Hushiwaka et d’Ariane Quintès. Shin Lo est une copie de son père : cheveux noirs, presque violets, yeux marron, teint jaune-blanc. Il aime porter un chignon, à la manière asiatique. Mais, malheureusement, Tai Li est mort quelques jours après la nais-sance de Shin Lo. Ce jour-là, Ariane, effondrée, ne voulait plus vivre mais elle a finalement décidé de s’occuper de Shin Lo pour honorer son mari défunt.

Malheureusement, la mort de Tai Li a quand même laissé des cicatrices qui ne s’en iront jamais. Ariane a élevé Shin Lo d’une manière stricte et a souvent privé son fils de tendresse. Elle l’ignore et ne passe que peu de temps avec lui. Mais elle s’est promis de l’éduquer du mieux qu’elle peut…

Quatorze ans après la mort de Tai Li et après quatorze ans d’une vie malheureuse auprès de sa mère, Shin Lo est devenu un

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Un nouveau jour

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brillant élève. à son entrée au collège français, il s’est fait rejeter par ses camarades. Roger, professeur polyvalent et jardinier, s’est intéressé à son potentiel lorsqu’il a vu l’examen d’entrée de Shin Lo. Il a alors décidé de le prendre en cours particulier. Shin Lo a hésité avant d’accepter. Il est vrai que le physique de son profes-seur n’a rien de très attirant : ses cheveux, tout comme sa barbe, sont marron-noir. Il est toujours vêtu très simplement. Ses rides et l’expression de ses yeux laissent penser qu’il a dû avoir une vie dure.

Shin Lo trouve que l’école est vraiment petite, que les couloirs sont étroits. Pourtant sa classe est plus grande que la bibliothèque !

« Tu devras trouver un proverbe sur lequel tu pourras méditer », déclare Roger alors que la cloche sonne.

« Pour quand ? » demande Shin Lo en essayant de dissimuler sa grimace.

« Pour mercredi, répond Roger. Efface-moi cette grimace. Tu ne te reposes pas assez. Tu dois méditer. C’est pourtant une tra-dition en Asie, non ? »

Shin Lo part sans répondre. Aujourd’hui, c’est le 5 mai. Il fait beau dehors, le soleil rayonne. Mais cela fait quatorze ans que son père est mort. Roger l’a touché au cœur en parlant de ses origines asiatiques.

« Méditer, alors que je pourrais aller me reposer sous l’ombre d’un arbre… », pense Shin Lo en fixant le sol.

En arrivant chez lui, il dit bonjour à sa mère.« Bonjour, fils… », répond-elle d’un ton absent.« Elle aurait pu me regarder…, grogne Shin Lo à voix basse.

Elle se plaint de moi, mais je ne fais rien de mal… Un jour, je vais me révolter. »

Lucas Tortora10

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« Qu’est-ce que tu disais, fils ? demanda Ariane.– Rien. Je me demandais si vous aviez un livre à me prêter…,

demande Shin Lo.– Attrape, s’exclame-t-elle en lui lançant un ouvrage qu’elle

a devant elle.– Merci, répond-il.– Pas si vite, l’arrête-t-elle alors que Shin Lo s’apprête à partir.

Fais-moi un expresso. » Elle est presque devenue italienne. Il lui faut un café à 16h

pour tenir jusqu’à 20h.Dès qu’il a fini, il part dans la campagne et s’assoit sous un fi-

guier. Ce livre parle de politique et ne l’aidera pas pour son travail.« De toute façon, pense Shin Lo, j’ai encore un jour. » Mais il

ne veut pas partir. La campagne, en ces longues journées d’été, est recouverte d’un jaune manteau de blé. Le soleil frappe fort sur sa peau. La terre est sèche. Shin Lo cueille une figue et s’éloigne.

Le lendemain, en rentrant de l’école, il fait un détour par la bibliothèque de Naples. Il se dirige vers la section « littérature » et va voir la bibliothécaire.

« Auriez-vous des livres comportant des proverbes ? demande Shin Lo en italien.

– Oui, mais ce n’est pas de votre niveau. Je pense que vous devriez aller dans la rubrique « école ».

– Merci, répond-il. »Une demi-heure plus tard, il a fouillé les trois quarts du meuble

que la bibliothécaire lui a indiqué et il n’a malheureusement rien trouvé d’intéressant.

C’est mercredi matin, 7h. Shin Lo est déjà parti de chez lui pour retrouver son professeur.

Un nouveau jour 11

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« Roger, je voulais m’excuser pour lundi…, murmure l’adolescent.– Non, ce n’est rien, répond Roger. Mais pourquoi es-tu venu

jusque chez moi ?– Je n’ai… pas fini… le travail.– Quoi ? ! C’était pourtant facile…, s’exclame Roger.– Je suis désolé.– Bon, je vais t’aider. Je pense que tu as eu une vie dure et

triste. J’ai trouvé une phrase pour toi qui aimes dessiner car c’est un grand peintre français qui l’a écrite : " Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir ". Réfléchis à ce qu’elle veut dire… 

– Je ne vois pas ce que cette phrase peut signifier… », pense Shin Lo en se mordant les lèvres.

Il est sur le chemin du retour. Roger lui a fait sauter l’école car il a besoin de s’occuper de ses plantes. Dès qu’il arrive chez lui, le jeune garçon monte dans sa chambre et s’assoit sur son fauteuil de cuir bleu. C’est le seul vrai cadeau qu’il ait reçu de sa mère. Il sombre dans le sommeil et lorsqu’il se réveille, deux heures plus tard, il se met à dessiner.

Dessiner lui permet de résoudre les énigmes les plus dures. Peut-être que cela veut dire, au sens figuré, que des fleurs se trouvent en chaque personne. En tout cas, il n’a que cette idée à proposer à Roger.

Il va se coucher et cette nuit-là, il voit en rêve sa mère, recou-verte de fleurs…

Quand il arrive à l’école le lendemain, Roger lui demande :« Alors, as-tu fait ton travail ?– Je ne suis pas sûr… mais je pense que cette phrase veut dire

que le bien est partout et qu’il suffit de le vouloir pour le voir.– Quel philosophe ! s’exclame Roger en souriant.

Lucas Tortora12

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– Hier, j’ai rêvé de ma mère… EIIe était recouverte de fleurs…, déclare Shin Lo.

– Mmh… as-tu réfléchis pourquoi tu as rêvé ça ? demande Roger.– Peut-être que… qu’il faudrait que je cherche à savoir pour-

quoi ma mère est fâchée ?– Bien, je te laisse la journée de libre. Utilise-la à bon escient ! ».Shin Lo s’en va et rentre chez lui. Assis dans le salon, il est

plongé dans une rêverie. Et son regard est attiré par une photo qu’il connaît bien. Il y voit son père, sa mère et lui tout petit. Et il remarque pour la première fois que sa mère sourit. D’un sourire lumineux. Alors, il sent la joie et la confiance l’envahir et sou-dain, il a envie de découvrir tout sous un nouvel aspect.

Il veut connaître mieux sa mère, ses voisins, ses camarades… Shin Lo est sorti de son cocon, de sa peine, et il peut maintenant voler de ses propres ailes.

13Askeladd et le vieux troll

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Mianda ErbettaClasse de 6e

école Total - Mlf

Balikpapan

Indonésie

catégorie > 6e / 5e

2e prix

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Mon grand-père souffrait. Mes parents étaient absents, depuis longtemps déjà, il y avait dix ans qu'ils étaient partis, un vendredi ou un mardi, je ne le savais plus. En moi, tout était si vague, je n'avais plus aucun souvenir précis me rappelant ma famille. Mon père, ma mère qu'étaient-ils devenus ? Pourquoi m'avaient-ils abandonné ?

Étais-je condamné à ne rien savoir de cette vie antérieure réinventée dans mes rêves ? Par la force des choses mon grand-père était devenu ma seule famille.

« William, dit-il un jour d'une voix chevrotante, viens ici près de moi. C'est dur à admettre mais tu le sais, bientôt sera venue mon heure. Je sais aussi que jusqu'à présent la vie ne t'a pas épargné. Je sais aussi que tu aurais voulu connaître tes parents, savoir ce qu'ils sont devenus. J'aurais bien voulu t'offrir cette possibilité mais je ne peux pas. »

Nous n'avions jamais parlé de mes parents auparavant. Je ressentis une crainte au plus profond de moi, comme un pres-sentiment d'un malheur à venir. La toux de mon grand père mit fin à mes sombres pensées. Il reprit :

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De l'obscurité à la lumière

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« William, tu dois être courageux. Sache que la vie est un défi perpétuel, un combat. Il faut faire des choix justes et dignes et aussi se dépasser pour atteindre les étoiles. Le chemin est dif-ficile, jalonné d'embûches. Mon enfant, rapproche-toi encore. »

Je m'approchai, mon oreille tout près de sa bouche édentée, et il me chuchota : « Mais à la croisée des chemins à chaque car-refour de la vie, rappelle-toi bien qu'il y a des fleurs partout pour celui qui veut bien les voir. »

Ces phrases étaient bien énigmatiques pour moi qui n'étais encore qu'un jeune adolescent. Il me sourit une dernière fois, confiant, et se tut… Il ne bougeait plus. Il n'était plus de ce monde.

Nous avions déjà envisagé ce scénario et j'appelai donc les urgences. Tout s'enchaîna très vite, trop vite comme dans un mauvais film. Quand l'ambulance arriva, il était déjà trop tard. Sans réaction, comme anesthésié par ce nouveau coup du sort, je regardais s'affairer les secouristes, les vains efforts tentés pour réanimer mon grand-père. Puis j'entendis qu'on me disait « Votre grand-père est mort, je suis désolé. »

On me laissa seul dans ma chambre alors que le médecin essayait de prévenir une vieille tante éloignée, que je ne connais-sais même pas.

Dans cet univers si vaste je me sentais horriblement seul, une nouvelle fois abandonné par le seul être que j'aimais. Étais-je donc condamné à cette solitude ? Qu'avais-je fait pour méri-ter un pareil sort ? Pourquoi tout ce mystère à propos de mes parents ? Que signifiaient les derniers mots de mon grand-père ?

Je restais avec toutes mes questions qui tournaient en faran-dole dans ma tête. J'en voulais à la terre entière, à cette famille qui n'avait jamais pu me protéger. Je me révoltais contre un destin si

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cruel, si injuste. Sans réponse à mes interrogations, je m'écroulai en larme sur le parquet de ma petite chambre. Puis ivre de tris-tesse et de fatigue, je finis par sombrer dans un sommeil agité. Une fois de plus, je revis mes parents dans mon rêve, plutôt des silhouettes floues qui m'appelaient doucement pour que je les rejoigne. Comme à chaque fois, je m'approchais paisible et quand j'étais assez près pour voir leurs visages, les silhouettes disparais-saient dans la nuit. Cette fois mon grand-père apparut alors et il me dit : Toi seul peux remédier à tes questions. Cherche bien et tu trouveras les fleurs sur ton chemin.

Je m'éveillais. Combien de temps avais-je dormi, plusieurs heures ou quelques minutes ? Je réfléchis longuement avant d'al-ler revoir la dépouille de mon grand-père. Je relevais le drap qui couvrait son visage. Il était allongé sur son lit, le visage paisible avec presque un sourire figé. Ses deux mains étaient jointes sur sa poitrine. Et l'index de sa main droite était tendu dans la direc-tion du tableau au-dessus de la tête de son lit.

Ce tableau était un autoportrait que je trouvais très réussi. Mon grand-père l'avait peint quelques années plus tôt.

Je montais sur une chaise pour m'approcher du tableau et soulevais délicatement le cadre. Une lettre tomba.

Je l'ouvris fébrilement et lus :« Très Cher William,Nous t'avons laissé pour ton bien, pardonne-nous pour ce que nous

te faisons subir. Quand tu liras cette lettre tu vas sans doute penser que nous t'avons abandonné. Pourtant c'est par amour pour toi et pour te protéger que nous te laissons la mort dans l'âme. Tu apprendras la vérité un jour et peut-être tu comprendras… Nous t'aimons.

Tes parents »

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L'écriture était brouillonne, avec des ratures et des tâches ça et là, comme des traces de larmes qui auraient dilué l'encre fraîche. Il y avait donc un espoir que je trouve un jour la clé du mystère.

Je sursautai, les gendarmes frappaient à la porte.« Est-ce toi, William Wisper ?– Oui– Tu viens avec nous.– Mais pourquoi, je n'ai rien fait.– Prends tes affaires. »Je pris mes affaires et la lettre. Et nous partîmes. Le voyage

me sembla long. Je regardais par la fenêtre de la fourgonnette les paysages qui défilaient rapidement. Je ne connaissais pas cette route. Enfin le véhicule s'arrêta devant un portail bizarre, je le-vais les yeux et vis écrit « orphelinat de garçons ».

« Nous sommes arrivés.– Mais pourquoi suis-je là ? »Les gendarmes ne me répondirent point. Mais on me présen-

ta une assistante sociale qui m'expliqua gentiment qu'à défaut d'avoir pu joindre quelqu'un de ma famille, la juge des enfants avait dû prendre une décision en urgence et m'envoyer à l'orpheli-nat. Elle m'expliqua aussi que cette situation n'était certainement que provisoire puisque des recherches de parents étaient engagées et qu'on allait trouver certainement quelqu'un pour me prendre en charge. Même si elle avait l'air sincère et paraissait convaincue, je l'écoutais poliment sans me faire beaucoup d'illusion sur une issue rapide et heureuse. Elle me promit qu'elle viendrait réguliè-rement prendre de mes nouvelles et m'informer du résultat des investigations pour retrouver des parents.

Puis elle m'accompagna jusqu'au bureau de la directrice.

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Une grande vieille femme sèche et déjà âgée nous ouvrit la porte. Elle n'avait pas l'air très commode ni très sympathique malgré un sourire forcé.

« Alors c'est toi William.– Hum.– Je sens que tu vas bien te plaire ici. Merci de l'avoir accompa-

gné mademoiselle. Je pense que vous pouvez nous laisser main-tenant.

– De rien madame, je viendrais prendre des nouvelles régu-lièrement, je vous le laisse à présent. Au revoir.

– Oui, c'est cela – on va bien s'occuper de lui, au revoir. »à peine l'assistante sociale avait-elle refermé la porte derrière

elle, que le sourire crispé de la directrice disparut pour se muer en vilain rictus.

«  Viens ici, petit imbécile. Tu vas voir, ici on va te dresser. Finie la belle vie ! »

Pendant que je la suivais dans les longs couloirs et escaliers, j'écoutais sa voie autoritaire :

« Alors ici, on se réveille tous les matins à 5 heures, là ce sont les toilettes pour les grands, tu as droit comme les autres à une douche par semaine après le sport le samedi après midi – petit déjeuner à 6 heures ; corvée de chiottes jusqu'à 7h30. Prières jusqu'à 8 heures dans le préau de l'école. Puis c'est le collège. 12h30 déjeuner à la cantine – 13 heures corvée de vaisselle jusqu'à 13h30 puis reprise des cours jusqu'à 18 heures – devoirs jusqu'à 19h30. Souper – 20 heures corvée de vaisselle ou de repassage jusqu'à 21 heures – 21h15 tout le monde doit être couché. 21 h45 extinction des feux. »

« Voici ta chambre. Tu as intérêt à la tenir propre et bien ran-gée il n'y a ni maman, ni bonniche ici. Et tu as un régime de

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faveur vue ta condition. Mais si tu deviens pensionnaire tu dor-miras comme tes camarades en chambrée de 25. Ici on n'aime pas les tire-au-flanc, et les retardataires, l'emploi du temps est très strict et doit être respecté pour le bien de tous. Sinon on s'expose à des punitions sévères. »

« J'espère que tu as bien tout enregistré. Pas de questions ? Alors c'est parfait. »

L'endroit était très sale. Il n'y avait aucune fenêtre. ça sentait mauvais et ça ressemblait à un vrai trou à rats et à cafards. Il fal-lait à tout prix m'échapper de cette prison et retrouver ma famille d'une façon ou d'une autre. J'étais sûr qu'ils étaient vivants.

Ma décision était prise et penser à mon grand père me déter-minait à m'enfuir, à la première occasion.

Quelques instants plus tard la vieille directrice acariâtre re-vint pour me dire qu'il fallait que je la suive. Elle me présenta à la cantine à mes camarades. Je voyais des visages hostiles et peu amicaux. J'essayais de m'asseoir avec mon plateau repas mais on me refusait la place à chaque table.

« Je peux m'asseoir ?– Non ! On ne veut pas de toi. »Enfin un jeune garçon plus âgé que moi et un peu taciturne

m'accepta à sa table. Un peu après il me demanda :« Tu n'as pas une tête d'orphelin à rester ici ; tu veux t'enfuir hein ?– Oui à tout prix. Je dois retrouver mes parents.– Tout le monde répète cela quand on arrive ici mais je ne

connais personne qui a réussi à tromper la surveillance de la di-rectrice et des gardiens. Crois-moi la prison est bien gardée. Les plus chanceux se font adopter mais c'est surtout les petits qui partent. Pas nous, on est trop vieux. »

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Même si ces mots me désespéraient un peu, j'appréciais la franchise de mon nouveau camarade. Le temps passa et nous nous liâmes d'amitié.

Je savais que ma vie durant je pourrais compter sur cet ami si précieux qui savait me redonner le sourire et m'aidait pour mes devoirs.

Six mois s'étaient écoulés et mes rêves continuaient à me hanter. Je relisais souvent le mot laissé par mes parents et pensais aux phrases de mon grand-père. La vie n'était pas bien rose entre les corvées, les cours, la discipline de fer et l'emploi du temps très strict.

Un jour, on m'appela au bureau de la directrice. Un couple discutait avec elle. Je distinguais leur silhouette à contre jour. On me fit entrer et on me présenta Mr et Mrs Spencer. Lui était grand et présentait un regard vaguement familier derrière des lunettes.

On aurait dit un journaliste. Elle, était menue, pâle et blonde, très élégante. Elle paraissait forte mais visiblement elle semblait contenir difficilement ses émotions. Nous nous serrâmes la main poliment discutant de la pluie et du beau temps en attendant que madame la directrice revienne avec mon dossier. Je fus sous le choc quand on m'annonça que ce couple venait de déposer un dossier d'adoption pour que je devienne leur fils.

« Mais pourquoi ? Vous ne me connaissez pas et puis je suis trop vieux pour être adopté » m'écriai-je violemment.

« Vous n'avez pas le droit, mes vrais parents viendront me chercher. »

L'homme demanda à me parler en privé. La femme essuya une larme qui malgré elle roula sur sa joue.

Je suivis l'homme dans un bureau. Nous nous assîmes face à

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face. Il me regarda un moment puis il enleva ses lunettes. Mais ce regard, cette expression des sourcils, je connaissais ce visage. En face de moi se trouvait mon grand père mais avec 30 ans de moins. Se pouvait-il que… ?

« Écoute-moi bien William, dit-il. Je sais que tu es fort car je te connais bien. »

« Je n'ai jamais cessé de veiller sur toi car je suis… Je suis ton père et cette femme qui m'accompagne est aussi ta mère. »

« Nous étions elle et moi des agents de notre Majesté la Reine et nous avons travaillé sous couverture pendant près de 12 ans. Notre mission était vitale pour notre pays et je ne peux t'en dire plus. Ta vie comme la nôtre était terriblement menacée si nous restions ensemble et c'est pourquoi nous avons été contraints de te laisser aux bons soins de mon père – ton grand-père – pendant si longtemps. »

«  Nous sommes venus te chercher car tout danger est au-jourd'hui écarté à condition de garder le secret et de jouer le jeu de l'adoption car tu as bien compris que nous avons dû changer d'identité. Je sais comme tu as souffert par notre faute et tu as le droit de nous en vouloir, de nous haïr même. »

«  Mais sache que durant toutes ces années, nous n'avons jamais cessé de penser à toi et de t'aimer. Je prenais des nou-velles discrètement. Nous recevions des informations codées de ton grand père. »

« Tu dois me croire, mon fils, dit-il en écartant les bras. Nous sommes venus te chercher. »

« Plus jamais nous ne nous séparerons. »Je lui tendis le petit billet trouvé derrière le cadre de mon grand-

père. Très ému l'homme me récita de mémoire ce qui était écrit.

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Alors je sus… Oui, c'était lui, il n'y avait pas de doute possible.Ma mère vint nous rejoindre dans le bureau. Submergés par

l'émotion, les yeux pleins de larmes et de bonheur, nous nous em-brassâmes.

Je savais à présent que je n'étais plus seul. En relevant la tête et en fixant le lustre suspendu au plafond, je les voyais enfin les fleurs de mon grand père, toutes scintillantes dans la lumière.

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Maxime PoupetClasse de 6e

Lycée français Mlf

Stavanger

Norvège

catégorie > 6e / 5e

3e prix

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Un soir de mars humide et froid, comme on en rencontre sou-vent en Norvège, assis au coin du feu de cheminée du salon, mes parents m’annoncèrent notre prochain départ de Scandinavie. Nous allions quitter Stavanger pour partir vivre en Australie. Le grand déménagement était prévu pour la fin de l’année scolaire. J’étais très excité car l’Australie fait rêver. J’imaginais déjà les plages de sable chaud, les eaux turquoises, la plongée sur la grande bar-rière de corail, le surf, les barbecues sur la plage, le soleil, la chaleur, la douceur de vivre australienne, etc. Les derniers mois en Norvège passèrent très vite, profitant au maximum des charmes nordiques que je ne retrouverais pas en Australie comme le ski, le patinage sur les lacs gelés et surtout m’amusant avec tous mes amis de Stavan-ger. Enfin le grand jour arriva…

En embarquant à l’aéroport, j’étais triste de laisser derrière moi les maisons de bois du port du vieux Stavanger, d’abandon-ner les fjords, de quitter cette ville cosmopolite et de dire adieu à tous mes camarades de football, de hockey, de la fanfare et de l’école française avec lesquels j’avais passé de si bons moments… Je m’étais tellement amusé ici.

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Prison à ciel ouvert

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Une fois arrivé à Sydney après un interminable voyage de vingt quatre heures aux multiples escales, j’étais émerveillé par cette ville exceptionnelle. La mer baignait la cité, on s’y déplaçait en ferry pour passer d’un quartier à l’autre. La vue de l’opéra depuis le célèbre pont au coucher de soleil était fantastique. Sydney me plut instantanément. Ses plages, les restaurants, la gentillesse de la population me plongeaient dans un véritable paradis terrestre. Finalement je me dis que j’allais vite oublier la Norvège ! Mais hé-las mes espoirs allaient rapidement s’écrouler. Nous n’allions pas habiter à Sydney. Notre destination finale se situait quelque part à environ deux mille kilomètres au nord…

Après quelques bonnes nuits de sommeil à l’hôtel et d’agréables journées de repos consacrées à flâner et à explorer la ville pour récupérer du décalage horaire, nous nous mîmes en route avec le véhicule tout terrain que mon père avait acheté après notre arrivée. Très vite le 4x4 s’avéra fort utile car les routes cédèrent rapidement la place aux pistes de terre… Après trois jours de voyage éprouvant nous arrivâmes enfin à destination… C’était un minuscule village avec pas plus de deux cents habitants. Notre maison était toute petite et ressemblait plus à un bungalow qu’à une véritable mai-son… Ma chambre était minuscule. J’étais très déçu, moi qui avais rêvé de vivre dans une villa, dans une grande ville comme Sydney avec des plages, des parcs d’attraction, des musées, des cinémas, des zoos, des fast-food, pour profiter des plaisirs de la vie moderne ! Je me retrouvais quasi enfermé dans un camp à dix heures de route de la première petite ville, perdu avec ma famille au milieu du bush australien. J’étais libre, mais où aller ?

Le lendemain matin, mon père prit ses fonctions à la mine d’uranium pour laquelle il travaillait. Comme l’école n’avait pas

Maxime Poupet26

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encore commencé, je décidai donc de sortir visiter les lieux et d’explorer la région autour du village. Le seuil de la porte à peine franchi, un serpent surgit de derrière les broussailles et m’effraya. Terrifié je me réfugiai sur le champ dans ma chambre où je restais enfermé pour la journée. Le lendemain je pris mon courage à 2 mains et je ressortis protégé par de hautes bottes et armé d’un bâton. Je réalisai alors qu’autour de notre bungalow il n’y avait rien d’autre que des eucalyptus et des termitières… La forêt vierge nous entourait. Nous étions perdus au fin fond de l’outback aus-tralien et du bush. Un soir quand mon père rentra du travail, il m’invita à l’accompagner à la minuscule boutique du village, seule sortie possible… Mais mis à part quelques conserves et sodas il n’y avait aucune sucrerie pour enfants… Cette nouvelle vie ne me plaisait pas du tout. J’étais nostalgique du froid, de la pluie, du vent de la Norvège. Le soleil me brûlait, la chaleur me fatiguait, mes amis me manquaient. Au bord du désespoir je me sentais comme enfermé dans une prison à ciel ouvert, comme la mine de mon père… Je m’ennuyais car je ne trouvais rien à faire. Sans sorties possibles, je restais assis sur mon lit. Ma vie scolaire ne m’offrait pas plus d’échappatoire. En effet à l’école j’étais seul ou presque. Il n’y avait que deux aborigènes dans ma classe mais comment communiquer avec eux ? Il n’y avait pas non plus de professeur car je suivais mes cours grâce à un écran vidéo et une webcam par correspondance… C’est ainsi que s’écoula lentement le pre-mier trimestre de ma vie australienne où je ne trouvais aucun des plaisirs que j’avais espérés. Les vacances scolaires mirent fin tem-porairement à mon calvaire. Je partis passer les congés chez mes grands-parents en France. J’étais très heureux car j’allais enfin retrouver mes amis d’enfance et m’amuser. J’allais enfin revivre…

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Dès le premier soir j’expliquai à mon grand-père que j’étais triste en Australie, que ma vie était devenue un enfer et que je n’avais aucun ami là-bas ni rien à faire pour me distraire. Je lui de-mandais aussi s’il pouvait m’aider et s’il avait une solution à mes problèmes.

« Bien sûr répondit-il, quand j’étais un petit garçon comme toi j’ai grandi dans un pays communiste, derrière le rideau de fer. La vie n’était pas facile et pendant longtemps aussi j’ai senti qu’on me vo-lait mon enfance. Il n’y avait aucune distraction, aucun jouet sous le sapin à Noël. Les programmes à la télévision étaient rares, nous mangions toujours les mêmes plats nourrissants mais sans goût. Et mon temps libre je le passais aux champs à travailler pour l’État. J’étais malheureux, comme toi en ce moment, car je pensais sans cesse à la vie des autres enfants à l’Ouest. J’en oubliais de regarder autour de moi. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce qui compte vraiment dans la vie c’est d’être positif, de voir le bon côté des choses, de rechercher le bonheur partout et de ne pas attendre trop des autres. Pour que les choses deviennent possibles, il faudra que tu apprennes d’abord à les rêver. Il faut ouvrir ton cœur pour bien ouvrir les yeux… »

Je montais me coucher perplexe après les conseils de mon grand-père. Il avait lui aussi souffert mais il avait trouvé la solution. Cette réussite me consola et me redonna espoir, même si j’ignorais encore comment j’allais m’y prendre. Au cours des jours suivants, il m’expliqua toute la richesse de l’écosystème australien, me mon-tra dans ses livres toutes les plantes et animaux magnifiques qui y vivent mais que je n’avais pas su découvrir. Il m’expliqua la richesse de la culture ancestrale aborigène et m’encouragea à inviter les en-fants aborigènes voisins de ma maison. Il me conseilla de passer du

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temps avec eux, même si tout semblait nous séparer à commencer par la langue… Avant de le quitter et de remonter dans l’avion à la fin des vacances, il me souffla à l’oreille :

« N’oublie pas, il y a des fleurs partout pour ceux qui veulent bien les voir »

Ces paroles me hantèrent tout le vol de retour mais à mon arrivée je tenais enfin l’explication.

Une fois de retour dans mon village australien je cherchais aussitôt à mettre en application les conseils de mon grand-père.

J’ai commencé par essayer d’améliorer un peu plus mon an-glais et à apprendre quelques mots du dialecte local pour pouvoir parler à mes camarades de classe aborigènes. Au début je voyais bien qu’ils ne comprenaient pas tout. Puis, petit à petit, ils com-mencèrent à me répondre en utilisant des mots simples. On se ser-vait de nos mains quand la parole nous manquait. Ils m’apprirent aussi des phrases de leur langue et moi je leur enseignai des ex-pressions françaises. Ils devinrent vite mes amis. On riait beaucoup ensemble. On commença aussi à échanger la nourriture de notre panier repas. Je découvrais ainsi de nouveaux plats inconnus. Puis après la classe ou le week end on partait en bande explorer la forêt, voir les koalas, chasser des perdrix ou des lapins, pêcher dans les lacs. Sans eux je n’aurais jamais vu ni attrapé le moindre gibier. La forêt qui m’avait tant effrayé était un terrain de jeu infini. Mes nou-veaux amis me permirent ainsi de voir mes premiers crocodiles. Je dus patienter jusqu’à une randonnée nocturne en leur compagnie pour apercevoir une famille de kangourous, invisibles en journée. Ils me montrèrent aussi comment trouver de l’eau et boire dans la tige de plantes riches en sucre et désaltérantes quand il n’y avait pas de source et que le soleil brûlait.

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Ce n’était plus grave s’il n’y avait pas de plage de sable blanc car je m’amusais beaucoup plus à plonger sous les cascades. Pas de sortie au cinéma le soir mais les images et les couleurs illumi-naient le ciel au crépuscule lors de couchers de soleil extraordi-naires. Les friandises chocolatées, burgers et pizzas des fast-food ne me manquaient plus car je les avais vite remplacés par les spé-cialités locales beaucoup plus goûteuses que mes amis me firent découvrir comme les chenilles et sauterelles grillées ou toutes ces baies qu’on ne trouve que dans le bush.

Je ne m’ennuyais plus désormais car je m’étais fait de vrais amis. Ce qui m’effrayait au début m’amusait désormais. Je n’avais plus peur des serpents ni des grosses araignées qui hantaient la forêt. à l’école je retrouvais le goût d’étudier et appréciais les avan-tages de me trouver dans une toute petite classe avec des contacts privilégiés entre élèves et une grande complicité entre nous.

Grâce à l’expérience et aux conseils de mon grand-père j’avais réussi à trouver au fond de l’Australie la fleur qui s’y ca-chait et qui ne m’était pas apparue à mon arrivée.

Voilà pourquoi depuis, chaque année, à la date anniversaire de mon arrivée en Australie, si vous passez me rendre visite vous trouverez dans ma chambre une mystérieuse fleur d’eucalyp-tus… Mais ne le dites à personne, c’est mon secret !

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fleur LecœurClasse de 4e

Lycée français international Aflec

Dubaï

émirats Arabes Unis

catégorie > 4e / 3e

1er prix

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PARTIE 1

« Mais n’oublie pas, murmura alors la voix…, cherche autour de toi et tu trouveras. »

Thomas de Varenne se réveilla en sueur, agacé par ce rêve qui lui arrivait si souvent ces derniers temps. Il était question d’explorateurs qui semblaient chercher frénétiquement quelque chose dans une vaste caverne. Mais ils ne trouvaient pas. Et puis il y avait cette voix, si intense, si profonde. Il secoua la tête. Ce n’était qu’un rêve. Il se décida enfin à se lever et prit un air mé-content lorsqu’il vit l’orage s’annoncer sur Paris. « Encore ? pen-sa-t-il. Il a déjà plu hier ! Dire que si je ne travaillais pas, je dor-mirais ! »

Il alla prendre son petit-déjeuner dans un coin de son studio dans lequel il venait d’emménager. Ses parents l’avaient aidé à l’acquérir, espérant que cela lui permettrait de bien démarrer sa vie. Thomas avait été un enfant difficile, impossible à contenter puis un adolescent batailleur, systématiquement de mauvaise hu-meur. Aujourd’hui, à vingt cinq ans, il était toujours aussi revêche

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Points de vue

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et c’est en soupirant qu’il se servit un bol de céréales avant de partir travailler.

Ce jour là, sa station de métro était en rénovation et il dut marcher jusqu’à la prochaine.

Ayant toujours détesté la marche, cela le mit d’une humeur massacrante. Il atteignit enfin son bureau avec une demi-heure de retard, ce qui lui valut les remarques appuyées de son supérieur. « Comment voulez-vous travailler sur la conception de nouvelles montres si vous ne parvenez pas à être à l’heure ? Et d’ailleurs, votre avocat demande à vous voir demain à neuf heures » lui assé-na-t-il avec son petit accent anglais. Thomas pinça les lèvres mais ne dit rien puis se dirigea vers son bureau tout en pensant que son métier lui demandait bien trop d’efforts.

« Thomas ! l’interrompit une voix. Tu as le temps de prendre un café avec nous ?

– Non, je vais travailler et je n’ai aucun besoin qu’on me re-tarde encore » répondit-il à son collègue, qui en resta bouche bée.

« Ah, d’accord répondit ce dernier. Eh bien, une prochaine fois !»Et il s’éloigna en soupirant. Son collègue n’était pas facile à

vivre. Depuis que Thomas était arrivé dans l’industrie de l’horlo-gerie, quelques mois plus tôt, son département faisait des efforts considérables pour l’aider à s’intégrer. II n’était pas mauvais et bien au contraire, parvenait à réaliser des projets qu’eux-mêmes ne savaient faire. Mais leur patience était à bout. Un violent cla-quement de porte indiqua que Thomas s’était mis au travail.

Alors qu’il s’installait à son bureau, il vit de l’eau s’échapper de sa sacoche. « Oh non pas encore une catastrophe !  » s’écria t-il. Il sortit précipitamment ses dossiers et sa bouteille d’eau. Il lança un coup de pied rageur en se rendant compte que l’eau

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avait mouillé presque l’intégralité de ses papiers. «  Je n’en peux plus » vociféra-t-il. Il regarda plus attentive-

ment la paperasse pour mesurer les dégâts. Ils n’étaient pas très importants mais cela n’empêcha pas Thomas de se lamenter.

«  Quelle mauvaise journée ! Tout le malheur du monde est concentré en moi, pensa-t-il, moi qui suis si innocent, qui n’ai ja-mais fait de mal à personne ! »

Au même moment, le téléphone retentit, lui portant un appel de ses parents qui l’invitaient à pique-niquer au Champ-de-mars le lendemain.

«  Je pense avoir mieux à faire  » répondit-il amèrement. Il regretta aussitôt ses paroles mais son orgueil prit le dessus et il raccrocha. Il passa le reste de la journée, la tête penchée, à rumi-ner de sombres pensées.

PARTIE 2

Il y avait, non loin de là, un homme nommé Jean Beauregard qui se rendait à une audience, au Palais de justice. Il y en avait de plus en plus ces temps-ci, et pas toutes d’une importance cru-ciale. Il aurait pu démissionner mais une petite étincelle l’en em-pêchait et, au contraire, le motivait. C’était grâce à cette même étincelle qu’il avait pu arriver jusque-là.

Il était maintenant un brillant avocat, très estimé dans sa profession. Il nota le temps gris avec indifférence puis, en voyant l’heure, se dit « vite je suis en retard ! » Lorsqu’il arriva dans le corridor menant à la salle d’audience, il fut interpellé par son ami, Bertrand.

« Tu prendras bien un verre avec nous, tout à l’heure ?

Points de vue 35

Page 37: Recueil de nouvelles Mlf/OSUI 2013

– Oui bien sûr, j’essayerai de me libérer lui répondit-il.– Alors, à tout de suite ! » Et il pénétra dans la salle d’audience

dans laquelle on l’attendait.« Vous êtes en retard, fit le juge en regardant sa montre, nous

avons failli commencer sans vous.– Je suis vraiment désolé » lui répondit-il, tout en songeant

que se faire réprimander faisait partie de son travail.L’audience passa lentement mais il était bien parti pour gagner

la cause de son client. Une fois qu’elle fut terminée, il se rendit à la cafétéria, où l’attendaient ses confrères.

« Comment cela s’est-il passé ? lui demandèrent-ils. – Pas trop mal » répondit Jean d’un air guilleret.à cet instant, un serveur maladroit renversa du café sur sa robe.« Je suis désolé monsieur , voulez-vous que j’aille chercher de

quoi vous essuyer ? demanda-t-il, confus.– Ne vous inquiétez pas, la tâche n’est pas trop voyante. Mais

à l’avenir, faites attention !– Oui monsieur, et encore désolé ! »Le serveur s’éloigna et Bertrand dit à Jean :« Au fait, on m’a chargé de te rappeler que tu devais voir un de

tes clients, Thomas de… Varenne, je crois, demain à dix heures. – Ah oui c’est vrai ! Merci de me le rappeler, j’avais complè-

tement oublié !– Il n’y a pas de quoi » répondit Bertrand.Ils parlèrent de tout et de rien puis retournèrent dans leurs

bureaux respectifs. Jean se battit pendant de longues heures avec un dossier, particulièrement coriace, puis rentra chez lui en se di-sant qu’il avait une vie formidable, pas tous les jours facile, mais formidable.

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PARTIE 3

Ce matin-là, Thomas se réveilla après une longue nuit, peu-plée de rêves ennuyeux. Rien que la pensée de devoir quitter son lit douillet pour aller à la rencontre de son avocat le mit de mau-vaise humeur.

Il revêtit rapidement un vague costume, se servit un verre de jus d’orange puis partit.

Il arriva au lieu de rendez-vous où l’attendait déjà son avo-cat, qui n’était autre que Jean Beauregard, puis s’assit.

« Bonjour monsieur, lui dit Jean. Comment allez vous ? Bien,bien… Parlons de l’affaire, voulez vous ?– Heu, répondit Jean avant de se ressaisir immédiatement,

bien sûr ! Il s’agit d’une histoire de contrefaçon concernant votre marque de montre et…

– Ce n’est pas MA marque mais celle de la société, je ne suis pas spécialement concerné !

– Voulez-vous me laisser parler, répliqua Jean avec froideur, et je vous rappelle qu’avoir été choisi pour régler cette affaire prouve la confiance qu’a votre patron en vous. »

Thomas prit une mine offusquée en pensant « Tu parles, c’est juste que cette affaire l’ennuyait et qu’il voulait s’en débarrasser. »

Après avoir débattu pendant ce qui parut des heures à Thomas, ce dernier fit mine de se lever pour rentrer chez lui mais Jean l’inter-pella pour lui poser une question des plus bizarres :

« ça ne va pas trop en ce moment, je me trompe ? »Thomas le regarda, les yeux exorbités, ouvrit la bouche, se

ravisa puis soupira.II n’avait pas envie de se confier, mais cet homme, qui lui

Points de vue 37

Page 39: Recueil de nouvelles Mlf/OSUI 2013

paraissait déterminé, inspirait confiance et étonnamment se mit à dérouler le fil de ses ennuis. Il raconta ce qui lui était arrivé la journée précédente. Il raconta combien il trouvait sa vie difficile et monotone. Il raconta sa malchance…

Dans son long monologue ponctué par les hochements de tête de Jean, son regard s’éclaircit et sa voix se fit plus vive.

Il s’arrêta enfin, essoufflé mais presque de bonne humeur, s’attendant à la compassion de Jean. Mais ce dernier le prit de court en disant :

« Je ne pense pas que votre vie soit aussi horrible que ce que vous vous plaisez à dire, je pense seulement que vous interpré-tez ce qui vous arrive d’une façon qui n’est pas la bonne. »

Thomas, une lueur d’espoir dans le regard demanda :«Et quelle est votre recette ? »Jean le regarda avec un soupçon de surprise, puis lui dit : « Au

moment le plus sombre de mon enfance, mon grand-père me disait : " Il y a des fleurs partout pour celui qui veut bien les voir ". Je pense donc que vous devez voir le bon côté des choses, chercher les fleurs dans votre vie. »

Ces suggestions laissèrent Thomas songeur un bon instant puis, sa légendaire mauvaise humeur au rendez-vous, il décréta :

« je ne peux pas trouver de fleurs dans ma vie, puisqu’il n’y en a pas.

– Ah non, vous n’allez pas recommencer ! s’écria Jean. Com-parez ma vie et la vôtre. Elle sont presque en tous points simi-laires, mais vous vous entêtez à voir le mal partout, tandis que je m’efforce de voir le bien. Vous-rendez-vous seulement compte de la chance que vous avez ? êtes-vous au courant de ce qui se passe actuellement dans le monde ?

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Page 40: Recueil de nouvelles Mlf/OSUI 2013

– Je… enfin…, ne nous fâchons pas, je vous promets de m’ef-forcer de voir le bien. »

En sortant du rendez-vous, le ciel qui menaçait depuis l’aube fit place à une gigantesque averse, l’eau se mêlant aux feuilles mortes qui se mirent à tourbillonner dans les caniveaux.

Thomas esquissa un rictus mauvais puis se ravisa, se força à sourire et dans un rire tonitruant mi-nerveux, mi-libérateur, sauta à pieds joints dans une flaque dans laquelle il abandonna pêle-mêle la brillante patine de ses chaussures neuves et sa mauvaise humeur.

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Marion BeckerClasse de 4e

école internationale Mlf

Dallas

états-Unis

catégorie > 4e / 3e

2e prix

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« Vincent, à table !– Oui j’arrive ! »Le plat de spaghetti bolognaises trônait déjà sur la table quand

j’arrivai en bas. Mes parents étaient attablés, ils m’attendaient pour débuter le repas, et il y avait aussi Maëva, mon horrible sœur.

« Vincent, nous avons un truc à te dire, dirent mes parents d’un air sérieux.

– Oh la, je n’aime pas trop quand vous dites cela ! Si vous vou-lez parler des 5€ que j’ai volés… je suis désolé, de toute façon, je comptais les rendre ! criai-je, pas très rassuré.

– Euh non, ce n’était pas ce dont on voulait te parler… Mais tu as volé 5€ ? ! enchaîna mon père.

– Euh non pas du tout… répliquai-je en rougissant.– Bref, tu sais que les vacances d’avril approchent à grands

pas, n’est-ce pas ?– Oui et même que l’on va aller en Bretagne avec Jérémy et

que l’on va passer deux semaines de rêve… »Jérémy est mon cousin et chaque année, nous partons en-

semble en vacances. Nous nous amusons toujours car il me

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Ma sœur pour toujours

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ressemble beaucoup.« Et bien justement, non. Ton père et moi devons travailler

pendant ces vacances et nous allons devoir t’envoyer dans une famille qui t’accueillera, à la campagne. Ne t’inquiète pas, il y a un enfant de ton âge et les parents vont bien s’occuper de toi. Je suis désolée…

– J’espère que c’est une blague ? ! répondis-je, la gorge serrée.– Non. Mais je suis sûre que tu vas bien t’amuser, et même si

nous n’avons pas beaucoup d’informations, les parents sont très sympathiques. »

Je faillis défaillir. Je leur expliquai alors que je voulais vrai-ment partir en Bretagne avec mon cousin et que je ne voulais pas aller à la campagne passer mes vacances avec de pauvres inconnus.

Maëva se pavana de partir en Angleterre avec ses amies parce qu’elle avait 17 ans, donc j’étais tout seul dans cette aventure.

« Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir, ajouta ma mère.

– Qu’est-ce que cela veut dire ? Je me moque de tes fleurs.– C’est une citation d’un célèbre peintre. Cela signifie que tu

dois voir les choses du bon côté. Regarde, moi par exemple, je préfèrerais partir à la campagne plutôt que de travailler, mais je reste positive… »

Nous finîmes le repas dans une ambiance glaciale. Moi, Vincent, quatorze ans, étais condamné à partir deux semaines chez des in-connus. Je crois que j’aurais même préféré aller chez mes grands-parents (ce qui d’habitude, ne me réjouit pas trop) plutôt que de partir dans cette famille d’accueil.

Le moment que je redoutais tant, finalement, arriva. J’étais

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là, à la gare, avec mes valises et je m’apprêtais à couper tout contact avec ma famille pour deux semaines.

Après trois interminables heures de voyage, j’arrivai enfin dans une gare minuscule, au beau milieu de la campagne. Dès que je descendis les marches du train, je vis un homme frais à l’air joyeux qui tenait une pancarte avec indiqué dessus les mots suivants  : « Vincent Beaujois ». ça y est, mon voyage vers un monde com-plètement différent allait commencer. Je m’approchai timidement vers l’inconnu :

« Bonjour Monsieur, je suis Vincent.– Ah bonjour bonhomme ! Je m’appelle Rémy et je vais m’occu-

per de toi pendant ces vacances ! Tu vas voir, on va bien s’amuser ! »Il m’emmena ensuite dans sa voiture, ou plutôt son pick-up,

nous étions maintenant sur le chemin de la maison. Pendant tout le trajet, je ne dis pas un mot, je n’avais pas envie de parler à ceux qui m’avaient volé mes vacances.

Et puis, enfin, nous arrivâmes. Rémy gara le pick-up devant la maison. Cette dernière était jolie, spacieuse et joviale. En fait, nous étions à la ferme. Je savais que j’allais à la campagne, mais je ne m’attendais pas à cela.

« Et voilà bonhomme, on est arrivés ! Ahh… On va passer de superbes vacances ! »

Et là un enfant d’une dizaine d’année surgit, suivi d’une jeune fille et d’une autre femme.

« Bonjour mon grand, dit cette dernière en m’embrassant cha-leureusement.

– Coucou ! cria le garçon.– Salut ! continua l’adolescente en souriant. »« Je suis Ambre, la femme de Rémy, et voici Sylvestre le petit

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voisin de la ferme d’à côté et enfin il y a Mélodie, notre fille, elle a ton âge. Vous allez bien vous entendre. »

J’attendis quelques secondes mais je compris que cette Mélodie était la seule enfant du couple. J’étais sidéré… Alors… l’enfant soi-disant de mon âge était… une fille ! Non seulement je devais pas-ser mes vacances loin de chez moi et de tous ceux que je connais-sais mais en plus avec une fille ! Elle était évidemment la seule personne susceptible de s’entendre assez bien avec moi, Sylvestre étant trop jeune et les parents… sont des parents quoi ! Je n’avais pas envie de passer deux semaines avec cette pauvre inconnue.

Comme il était déjà tard quand j’arrivai chez eux, il y eut, rapi-dement, visite de la maison, détente et souper. Pendant le repas ils essayèrent d’entrer en contact avec moi. Mais je restais distant, froid et méprisant. Les parents essayèrent d’abord de faire connais-sance mais, voyant que je n’avais pas envie de parler, ils abandon-nèrent, tout de même en ajoutant que j’étais libre et que je devais faire comme chez moi. Quant à Mélodie, elle essaya de me parler à mon arrivée mais après l’avoir rabaissée sèchement, elle ne fit pas de deuxième tentative. Toute la famille, ainsi que le petit Syl-vestre étaient plutôt rustiques mais extrêmement joyeux, joviaux et chaleureux. Ils semblaient un peu dans leur petit monde, sans se préoccuper du reste. Et moi, j’étais juste là dans un coin en train de ronchonner.

Le lendemain, je me réveillai avec le lever du soleil. à la cuisine, tous les trois étaient déjà en train de manger, ils m’accueillirent affablement. Ambre me demanda ce que je voulais faire ce jour-là, je lui répondis que je m’en fichais.

« Mélodie pourrait te faire visiter la ferme, proposa-t-elle.– Je n’ai rien envie de faire, répondis-je fermement.

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L’adolescente me dévisagea mystérieusement avant de quitter la salle en souriant. Pendant toute la journée, je restai assis à ne rien faire. Je jouai vaguement à la console, lus un petit peu, et sur-tout, j’observai longuement les champs à perte de vue. Je fis aussi la connaissance d’Écho, le chien de la famille. J’avais aussi un peu regardé ce que faisait ma famille de remplacement. Ambre avait fait la cuisine et les tâches ménagères mais avait aussi pris un peu de temps pour elle. Rémy avait passé beaucoup de temps sur son tracteur et s’était certainement occupé de la ferme. Et Mélodie s’était aussi occupée de la ferme et avait joué sur le tracteur de son père. Mais tous souriaient, rigolaient, s’amusaient.

Le deuxième jour, il plut. Rien ne changea au niveau de mon at-titude, j’étais toujours aussi antisocial et distant. Les activités exté-rieures étant annulées, ils étaient tous activement occupés à jouer à divers jeux de société. Le petit voisin Sylvestre était là aussi, il s’entendait drôlement bien avec Mélodie, cette dernière ne m’avait pas adressé la parole depuis que j’avais rejeté sa proposition de Monopoly. Le père essaya de me faire parler, il s’inquiéta pour moi, me demanda comment j’allais, mais je lui répondis seulement que j’avais le mal du pays et le cafard.

« Bah si tu essayais de t’amuser un peu avec nous, peut-être que tu l’aurais un peu moins, ton mal du pays, non ? me dit-il avec un clin d’œil.

– S’il y a quoi que ce soit que nous puissions faire pour toi, exprime-toi mon grand, tu es l’invité et ton bonheur est notre premier problème durant ces deux semaines ! ajouta sa femme. »

Leur attitude me toucha, l’attention y était, mais cela ne chan-gea rien.

Le troisième jour de cet affreux séjour, je me décidai enfin à

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visiter les nombreux recoins de la ferme. La jeune fille, accompa-gnée de son complice, me fit faire le tour, ils rigolèrent beaucoup de moi et de ma peur des cochons et autres animaux ou de mes quelques chutes. Tout ce que je prenais mal (tout en fait), ils le prenaient bien. Je tombai dans la boue, me fis mordre l’arrière train par une oie et poursuivre par Écho, qui avait une soudaine affection pour moi. Je m’endormis, épuisé, triste et ennuyé.

Je décidai d’envoyer une lettre à ma mère. Et je n’y allai pas avec le dos de la cuillère. J’avais dit ni plus ni moins ce que je pen-sais. J’avais parlé de la pluie du deuxième jour, de la petite famille, de la ferme et des catastrophes qui m’étaient arrivées mais j’avais aussi mentionné l’hospitalité et la gentillesse de mon foyer d’ac-cueil. J’étais peut-être mécontent, mais franc. Et enfin j’exprimai ma tristesse et mon obscurité, même ma sœur me manquait !

Quelques jours plus tard je reçus la réponse, que voici :« Mon cher Vincent,Je suis sincèrement désolée de t’avoir envoyé là-bas. Certes, tu es

triste mais regarde le bon côté des choses, les parents sont amicaux, aimables, et pleins d’entrain. Ils auraient pu être sadiques, hypocrites et cruels. Oui j’exagère mais s’il te plaît, fais un effort. Souviens-toi de ce que je t’avais dit avant ton départ : Il y a des fleurs partout pour celui qui veut bien les voir. Sinon, à la maison, tout va bien, et Maëva se porte bien aussi. Je t’aime fort, ta Maman .»

Et finalement, j’eus un déclic. Je compris que ma mère avait raison. Je m’étais décidé à suivre son conseil, à m’amuser et à voir les choses du bon côté, au moins un jour. Je n’étais pas idiot, je savais pertinemment que je n’allais trouver le bonheur qu’à la condition que j’y mette du mien aussi, et que même si cela ne marchait pas, au moins j’aurais essayé.

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Et donc, à partir du jour suivant, j’essayai vraiment de faire par-tie de leur monde et de m’amuser. Je commençai par une excuse :

«  Salut Mélodie ! Écoute, je suis vraiment désolé de mon odieuse attitude, c’était vraiment injuste de ma part de te rabais-ser comme je l’ai fait, si tu pouvais s’il te plaît me pardonner…

– Ehh Vincent, ce n’est pas grave ! Je suis contente que l’on puisse recommencer sur de nouvelles bases !

– Ah merci de me laisser une seconde chance ! Alors, on l’a revisite cette ferme ? » finis-je avec un clin d’œil.

Et elle me fit son plus beau sourire. Ce jour-là, je fis comme le troisième jour, je visitai la ferme, mais, cette fois, c’était complète-ment différent. Je ne tombai pas dans la boue et je ne me fis pas non plus attaquer. Je passai toute la journée dehors, et je m’étais extrêmement amusée avec ma nouvelle amie. Nous mangeâmes des fruits directement des arbres puis montâmes dans ces der-niers ; ensuite, nous courûmes dans les champs jusqu’à perdre notre souffle, nous jouâmes avec les animaux.

Mélodie était sociable, et très gentille et agréable envers moi. Elle ressemblait beaucoup à ses parents, elle avait le même dynamisme, la même joie de vivre et la même bienveillance. Physiquement, elle était grande, plutôt jolie et elle avait elle aussi cette apparence de campagnarde : salopette, chemise ample, bottes en caoutchouc… Mais elle savait bien s’habiller et elle avait un certain style. Elle était simple mais elle avait son charme.

Ambre et Rémy formaient un très beau couple, ils se com-plétaient à la perfection. La mère avait l’air de vivre sur son petit nuage empli de bonheur. Elle cuisinait à la perfection et faisait une excellente hôte. Quant à Rémy, il prenait son travail de fer-mier très à cœur mais était aussi très attachant et farceur.

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Je présentai mes excuses à mes « parents de remplacement ». Ils les acceptèrent avec joie et pour la première fois, le dîner se fit dans une bonne humeur et une gaité absolue. Désormais, je m’étais intégré et j’en étais fier. Je m’endormis ce soir-là le cœur léger.

Cela faisait bientôt une semaine que j’étais à la campagne. Autrement dit, une semaine de gâchée. Une semaine passée à bougonner, passée à m’apitoyer sur mon sort au lieu d’essayer de créer une liaison avec ma nouvelle famille.

En ce magnifique samedi, le matin était dédié au fonctionne-ment de la ferme. Entre autre, j’appris à traire une vache avec l’aide de Rémy et de Mélodie. Il y eut plus de lait sur mes vêtements et sur le sol que dans le seau mais ce fut une bonne partie de rigolade. L’après midi, Ambre nous emmena à la piscine municipale – je ne savais même pas qu’il y en avait une dans ce coin perdu au milieu de nulle part. Là aussi, ce ne fut qu’allégresse et fou rire à volonté.

Ce soir-là, après le repas, pendant que je lisais un magazine, j’eus la surprise de voir Mélodie complètement différente. Elle était bien habillée, maquillée même, elle avait presque perdu son air campagnard. Elle ne portait plus ses habits amples et décon-tractés, même ses habituelles couettes avaient disparu, elle pa-raissait beaucoup plus que quatorze ans.

« Euh c’est la fête ce soir ? demandai-je intrigué.– Non, je vais au cinéma avec mes amis. Tu veux venir ? pro-

posa-t-elle en souriant– Non ça va aller… répondis-je en rougissant– Allez ! Je suis sûre que tu en as envie ! Et puis je pourrai te

présenter mes amis… »Elle avait raison, évidemment que j’en avais envie. Je n’avais

juste pas envie de rester en plan tout seul et de me prendre la honte

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devant ses amis. C’est fou comme elle pouvait me comprendre.Cette soirée-là fut géniale. Contrairement à ce que je craignais,

Mélodie resta avec moi et s’assura que je ne m’ennuyais pas.Et puis, je recommençai à être triste. Mais pas pour les mêmes

raisons. Il restait moins d’une semaine. Dans moins d’une semaine j’allais quitter pour toujours Ambre et Rémy, ces deux êtres si bons et généreux, le petit Sylvestre qui était devenu mon complice, et celle qui était devenue presque ma deuxième sœur, la pétillante Mélodie.

En ce beau jour d’avril, c’était journée de balade à cheval. Au programme, balade dans une forêt sur ces animaux fort sympa-thiques, puis pique-nique dans une clairière, ensuite baignade dans la cascade et enfin retour à la ferme. Cette journée passée « en famille » avait créé en moi des souvenirs inoubliables, tout comme le reste du séjour d’ailleurs.

Le jour suivant, nous passâmes la journée en centre-ville avec le petit voisin. Je découvris le coté citadin de ce village et j’achetai des souvenirs pour ma famille, la vraie, celle que j’avais un peu oubliée…

Plus que trois jours avant le fatal départ. Mélodie, Rémy et moi allâmes au parc d’attraction. Enfin surtout Mélodie et moi, vu que l’homme passa sa journée je ne sais trop où, ce qui fait qu’on ne le vit pas de la journée.

« Tu sais Vincent, tu vas me manquer quand même hein… me dit-elle pendant une attraction.

– Toi aussi, beaucoup même, et je regrette toujours mon hor-rible conduite, j’étais un idiot…

– Un idiot que j’adore ! Ne t’inquiète pas, c’est pardonné de-puis longtemps ! finit-elle par dire. »

En rentrant à la maison, une délicieuse tarte aux pommes

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trônait sur la table. Ahh, le retour allait être terriblement difficile. Les derniers jours furent consacrés à la détente à la ferme. Entre autre, je nourrissais les poules, je trayais les vaches – je devenais plutôt bon ! –  et je jouais avec mes amis. Il n’y avait plus de gêne entre nous tous, tout le monde s’aimait et chaque moment passé avec cette famille était un pur plaisir.

Le moment tant redouté et attendu arriva enfin. Vendredi, dé-but d’après-midi, exactement deux semaines après ma fameuse arrivée, je devais reprendre le train pour retourner chez moi. Lundi école. J’avais une grosse boule dans la gorge, avec cette folle envie de crier et de pleurer.

Nous étions tous dehors, tous mes bagages à terre. Pour la première fois, je vis Rémy et Ambre être tristes. Même Sylvestre était là. C’est lui qui commença les adieux :

« à bientôt ! Tu étais mon complice, mon nouveau meilleur ami ! Tu vas me manquer ! » dit-il en versant une larme.

Puis ce fut au tour de Rémy :« Vincent, sache que je suis très content que tu sois venu ici,

tu es incroyable, et je crois que je t’aime comme j’aurais aimé mon propre fils, dit-il les yeux brillants.

–  Vincent, mon chéri, je suis tellement heureuse de te connaître ! Je partage l’avis de mon mari, tu es notre fils adoptif ! Mais juste, promettons-nous qu’on se reverra, quoi qu’il advienne. Oui, je promets que je ferai mon possible pour qu’on se revoie ! » continua Ambre en m’enlaçant.

« Vincent, tu es le frère que je n’ai jamais eu. Oui je ne me suis jamais autant lié avec une personne. Je t’aime comme j’aurais aimé mon frère. Je fais la même promesse que ma mère, oui on se reverra c’est sûr. Tu es mon frère pour toujours » finit-elle en sanglotant.

Marion Becker50

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à mon tour, je leur répondis qu’ils étaient ma deuxième fa-mille, que je les aimais tous tellement et que je partageais la pro-messe. Je m’excusai une dernière fois pour mon comportement insupportable en début de séjour. En effet, j’avais honte. Honte de moi, honte de cette personnalité cassante, méprisante et arro-gante. J’espérais tellement qu’ils aient vu en moi le Vincent drôle, sympathique et heureux et non pas le Vincent froid et méprisant. Et je répondis à Mélodie qu’elle était ma sœur pour toujours.

Cela me faisait un horrible pincement au cœur de devoir quit-ter cet endroit. Cette maison était baignée de bonheur et j’avais été trop aveugle pour le voir. Maintenant c’était évident pour moi et j’étais infiniment heureux ici.

Je compris tout simplement que ma mère avait raison. La citation que je méprisais au départ était donc bien vraie : « Il y a des fleurs partout pour celui qui veut bien les voir ».

Ma sœur pour toujours 51

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Arthur SeghezziClasse de 4e

école Total - Mlf

Puerto La Cruz

Venezuela

catégorie > 4e / 3e

3e prix

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ChAPITRE 1

La cloche sonne dans les couloirs du collège Jules Verne à Paris. C’est le début des grandes vacances mais curieusement Maxime, 13 ans, n’est pas content. Il doit passer ses vacances d’été à la campagne en Normandie chez ses grands-parents. Maxime déteste la campagne, il a toujours vécu en ville et voudrait pour ses vacances aller à la mer. Après avoir rassemblé ses affaires, il rejoint son copain Arthur qui lui dit :

« Ben dis donc mon vieux t’as vraiment pas de chance de par-tir à la campagne chez tes grands-parents. Y’a même pas de télé, y’a que des bouts de bois morts et en plus il paraît qu’il ne va pas faire beau. »

Maxime lui répond alors :« Ouais, t’as raison, j’aurais préféré aller à la mer, faire un

stage de voile avec mes cousins comme l’année dernière. Toi, au moins t’as de la chance, tu vas à Banyuls comme tous les ans. Bon salut mec, je suis arrivé chez moi, on se voit à la rentrée.

– Ok, salut. »

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Maxime à la campagne

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Maxime rentre chez lui et sa mère lui demande de préparer son sac car ils partent le lendemain et ne veut surtout pas que ce soit la pagaille au moment du départ.

ChAPITRE 2

Le lendemain, Maxime se réveille contrarié car il vient de se rappeler qu’il part à la campagne. Rapidement, il s’habille et prend son petit-déjeuner. Il se dirige vers la voiture en traînant les pieds. Sa mère et son père l’attendent déjà. Ils prennent alors la direction de l’autoroute Al3.

Après un certain temps, alors que Maxime joue à la PSP, sa mère lui dit :

« Arrête de jouer, on arrive bientôt. Profites-en plutôt pour regarder le paysage. »

Maxime arrête alors sa console et se met à regarder à travers la fenêtre de la voiture. Il ne voit que des champs à perte de vue avec de banales grosses vaches. Il se dit alors que cet endroit n’a aucun intérêt et en prime, il se dégage une odeur épouvantable.

Enfin, il reconnaît le porche d’entrée de la ferme de ses grands-parents. La voiture s’arrête alors devant la maison. Sa grand-mère est devant la porte pour les accueillir. Maxime descend de la voi-ture et s’étire. Puis, il va directement dire bonjour à sa grand-mère.

« Qu’est ce que tu as grandi depuis la dernière fois que je t’ai vu ! Tu es un vrai jeune homme maintenant.

– Oui, c’est vrai que j’ai pris cinq centimètres depuis ma der-nière visite.

– Oh,mais suis-je bête,tu dois sûrement mourir de faim. Allez, file à la maison. »

Arthur Seghezzi54

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Dans la cuisine, sur la table, Maxime trouve des tartines de pain et du chocolat. Un vrai goûter de roi !

Ses parents restent le week-end et repartiront le dimanche à Paris.

Les vacances à la campagne allaient maintenant commencer. Le soir venu, Maxime prit sa douche, se coucha et se mit à réfléchir. Comment se passeraient les jours à venir ? Il se dit que son séjour serait très ennuyeux car il n’avait ni ami ni connexion internet.

Lundi, ses grands-parents sont occupés et Maxime doit se débrouiller tout seul. Il décide d’aller se promener dans le bois à côté de la maison. Mais au bout d’une heure de marche, il s’en-nuie et ne trouve rien à faire pour se distraire. Seul, les bois n’ont pas beaucoup d’intérêt. Il rentre à la maison et cherche quelque chose à faire mais là non plus rien ne l’attire. Décidément, son premier jour à la campagne est un vrai désastre.

Mardi, il pleut des cordes, Maxime aimerait bien regarder la télévision mais il n’y en a pas. La journée est très longue. Heu-reusement, il peut quand même jouer au scrabble avec sa grand-mère. Les vacances vont être longues s’il ne se passe rien.

ChAPITRE 3

Mercredi, alors qu’il fait beau temps pour la première fois, son grand-père lui dit :

« Allez viens mon petit bonhomme, on va se promener dans la forêt et je vais aussi te montrer quelques petites choses.

– Mais, il n’y a rien à faire dans la forêt papi !– Ah, tu crois ça ! Et bien, suis-moi, je vais te prouver que l’on

peut énormément s’amuser dans les bois ».

Maxime à la campagne 55

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Maxime suit alors son grand-père dans la grande forêt dont chaque petit recoin se ressemble. Heureusement, son grand-père la connaît comme sa poche et il conduit Maxime à son repère secret d’enfance. Il sort ensuite un couteau suisse de sa poche, ramasse un bâton de bois et dit :

« Regarde bien, je vais sculpter une petite maison ».Après un quart d’heure de travail, son grand-père lui montre

la maison miniature. Maxime,passionné, lui dit :« Waou ! T’es trop fort papi. Est-ce que tu sais faire d’autres

figurines ?– Bien sûr, regarde, je vais te montrer. »Il prend alors un autre bout de bois et construit en deux temps

trois mouvements un petit avion de la seconde guerre mondiale.« S’il te plaît, apprends-moi comment faire !– D’accord, observe bien. »Ce jour-là, bizarrement le temps passa très vite.En fin de journée, Maxime et son grand-père avaient confec-

tionné une dizaine d’objets, ils prirent le chemin du retour. Son grand-père lui dit :

« Tu vois Maxime, il y a des fleurs partout pour celui qui veut bien les voir.

– Mais de quoi me parles-tu ?– Ce que j’essaie de te dire c’est qu’à ton arrivée, tu n’aimais

pas la campagne donc tu n’en voyais que les côtés négatifs, mais aujourd’hui, tu as appris que l’on pouvait s’amuser et y trouver du plaisir ».

Ce soir-là quand Maxime s’endormit, il eut hâte d’être au lendemain pour poursuivre son activité dans les bois.

Arthur Seghezzi56

Page 58: Recueil de nouvelles Mlf/OSUI 2013

Pendant le reste de ses vacances à la campagne, Maxime tailla toutes sortes d’objets : des avions, des voitures, des bateaux, des maisons…

à la fin de l’été, lorsque ses parents vinrent le chercher, Maxime possédait une grande collection d’objets en bois.

ÉPIloguE

à la rentrée, Maxime retrouve Arthur devant chez lui. Arthur lui raconte ses vacances à la mer, tout heureux et lui dit :

« Et toi, mon pauvre,tu n’as pas dû beaucoup t’amuser à la campagne. »

Maxime lui montre un petit avion en bois de sa fabrication. Il lui explique qu’il en a fait beaucoup d’autres.

Arthur s’exclame : « C’est pas possible, tu n’as pas pu faire ça, tout seul. »Maxime lui explique, sur le chemin de l’école que c’est son papi

qui lui a montré comment tailler un petit objet avec un simple cou-teau suisse.

Arthur lui dit alors avec un brin de jalousie :« Moi aussi je voudrais aller à la campagne aux prochaines

vacances pour apprendre à faire des figurines comme toi… »Arthur rajouta alors :« Je n’aime pas la mer ! »

Maxime à la campagne 57

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Baptiste AmatoClasse de 2nde

Lycée français Mlf

Al Khobar

Arabie Saoudite

catégorie > 2nde / 1re / Tle

1er prix

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Quelle journée exécrable ! Je réalise aujourd’hui combien les journées les plus anodines peuvent être désastreuses et pourtant je ne suis pas acariâtre !

Ce matin, je devais me lever tôt – six heures et demie – pour aller au lycée. J’étais de très mauvaise humeur ; je déteste le mercredi. J’étais le seul levé car mes parents, enseignants au pri-maire, et mon petit frère en Cm1 n’avaient pas cours. Que celui qui pense qu’il y a une justice en ce monde me le prouve…

J’ai pris un déjeuner très rapide – les cours me coupent l’ap-pétit – en visionnant une ânerie à la télévision… Pub…

« Que voyez-vous ? Regardez ! Regardez bien ! Il y a des fleurs partout pour celui qui veut bien les voir… Optical Center, révélons notre acuité visuelle ! »

J’ai préféré couper… J’ai déjà de très bonnes lunettes.Je me suis préparé en un battement de cils – un rien m’ha-

bille… Je suis sorti de ma maison – une ancienne ferme. Il faisait frais mais un peu gris dehors, le froid m’a fait du bien ; j’émergeais enfin dans le monde réel.

J’habite Tréfols, petite bourgade égarée entre mornes champs et

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Points de vie

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vaches hagardes. Dans ce village, nulle épicerie ou commerce ; c’est animé comme les plages du Nord-Pas-de-Calais le 13 décembre.

J’ai pris mon vélo et me suis dirigé vers l’arrêt de bus qui n’est pas loin de chez moi. En arrivant devant l’église du village, j’ai vu Corentin, un ami. Il a un an de plus que moi, il est en première L et s’exhibe dans des vêtements noirs. Corentin à Tréfols, c’est un peu comme regarder un remake de La Petite Maison dans la Prairie ver-sion gothique avec Marylin Manson dans le rôle de Laura lngalls. J’ai donc attaché mon vélo et me suis dirigé vers lui.

Nous avons échangé sur nos profs, camarades de classe, et diverses anecdotes. Discuter avec Corentin, c’est renverser une grosse bouteille d’encre sur le monde. Ni lui ni moi n’aimons grand-chose, surtout pas notre quotidien.

Le bus est arrivé et nous nous sommes installés à l’arrière  : nous n’aimons pas non plus être dos aux gens. à l’avant-dernier arrêt, un groupe de jeunes est monté dans le bus en vocalisant à tue-tête, une véritable volée de coquelets « justinbieberisés »… Corentin et moi nous nous sommes regardés en soupirant ; si le silence est d’or, ces paysans sont sur la paille…

Un spécimen de ce groupe s’est dirigé vers nous, radotant – à son âge, c’est navrant – la même réplique quotidienne, aussi subtile qu’un coup de corne de rhinocéros dans le fondement.

« Salut les ploucs, on vous voit quand dans l’Amour est dans le Pré ? »

Dire que Tréfols n’est pas très considéré par les jeunes de notre âge est un euphémisme… Nous n’avons pas répondu et je me suis mis à étudier : j’avais un devoir sur table de Svt.

Nous sommes arrivés au lycée ; nous étions aussi heureux que deux végétariens dans une boucherie.

Baptiste Amato60

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Il y a du monde dans le lycée, je n’aime pas. Il y a du bruit aussi, je n’aime pas non plus. Les gens n’arrêtent pas de se sau-ter dessus, j’aime encore moins… mais il y a une salle pour les lycéens et ça, ça console. C’est notre « foyer ». Seuls les lycéens ont le droit d’y entrer ; ils s’affaissent sur les canapés, se jettent les coussins, liquident la bonbonne d’eau… Le design est assez réussi ; c’est rouge sur les murs saturés de phrases pseudo-philo-sophiques – la plupart sont tirées de chansons commerciales. On s’y retrouve très souvent pendant les récrés et les permanences.

Corentin et moi nous nous sommes assis sur un canapé et les autres lycéens sont arrivés avec leurs ordinateurs pour mettre leurs musiques… le drame. Nos goûts musicaux vont du pop folk au hard rock, styles incompatibles avec ceux de nos alter ego. Nos oreilles ont échappé de justesse à la presbyacousie grâce à la cloche annonçant le début des cours. Nous avons échangé des paroles de soutien pour cette journée de labeur avant de nous séparer.

Anglais en salle 250… Début prometteur avec un échange décontracté concernant notre futur voyage pour Londres qui coûte très cher. Personnellement, aller grelotter dans un maré-cage indigeste m’enthousiasme autant que de visionner tous les épisodes de Derrick… Il ne s’est pas passé grand chose pendant ce cours ; je me suis presque assoupi sur ma table en entendant vaguement les « bilingues » qui veulent se faire remarquer avec leur accent hyper british…

La récréation a succédé à un cours d’histoire soporifique… Je retrouvais Corentin, compagnon d’infortune, devant le lycée. Nous n’avons pas voulu retourner au foyer pour le bien de nos tympans.

Je tentais d’améliorer mon record d’extension en gravissant le plus de marches possibles en une seule enjambée quand tout

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à coup… le bruit caractéristique d’un pantalon qui se fend a stoppé net mon élan. Je suis devenu pâle et me suis assis, jambes croisées. Je regardais mon pantalon en toile dont les deux jambes avaient entamé une procédure de divorce… La journée tournait définitivement au cauchemar…

Corentin a vu que j’avais un problème, et heureusement, il déborde d’imagination. Après un fou rire, il m’a proposé d’offrir bénévolement mes services aux élèves de ma classe pour porter leurs sacs de manière à cacher la déchirure de mon pantalon d’où s’échappait le magnifique tissu turquoise du caleçon que j’avais eu la magique idée d’enfiler ce jour-là…

Nous sommes donc rentrés dans le foyer, le sac de Corentin devant moi et mon sac derrière. La cloche a sonné et je me suis posté devant la porte avec un sourire de commercial. Le succès a été total.

J’ai reçu cinq sacs d’un poids conséquent et j’ai supporté ce supplice héroïquement. De toute façon, je n’avais pas le choix : ou bien je prenais les sacs et sortais victorieux de cette journée ou je laissais tomber les sacs et par la même occasion ma fierté…

Je redoutais que mon professeur de mathématiques – M. Rivière – me dise d’aller corriger un des exercices au tableau…

Je me suis assis au dernier rang avec mon sac entre les jambes. M. Rivière nous a salués, il a ensuite pris un sourire de prédateur et a demandé d’une voix charmeuse comme celle du serpent dans le livre de la jungle :

« Qui va aller corriger les exercices ? »J’ai croisé tous mes doigts. Je ne voulais pas être désigné pour

deux raisons : premièrement, j’aime les maths autant qu’un rasta aime du Metallica et deuxio, s’il m’interrogeait, j’aurais vraiment

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été dans une situation terrible – autant demander à un prêtre d’entrer dans le sauna des dames…

Hélas, croiser les doigts ne sert à rien, M. Rivière avait très bien vu que j’étais tétanisé, son sourire de fauve s’est élargi et il m’a désigné. J’ai donc inventé une excuse absolument désolante car manquant cruellement d’imagination :

«  Je n’ai pas réussi à faire les exercices, monsieur.  » Mais l’animal insistait ; j’ai donc avoué :

« J’ai un problème… »Les rires ont fusé ; tous les élèves étaient en train de se moquer

de moi. Je ne voulais même pas essayer de savoir ce qu’ils compre-naient dans la phrase « J’ai un problème » mais ma fierté en prenait un sacré coup. Finalement, le prof avait eu ce qu’il voulait  : me voir ridiculisé. Il a savouré l’hilarité générale tel Pythagore venant de démontrer son fantastique théorème et il m’a laissé tranquille jusqu’à la fin du cours.

Onze heures. Deux heures de cours avant que je puisse en-fin… changer de pantalon ! Ces deux heures étaient consacrées à la Svt. Contrôle ; ça passerait vite car pour moi un contrôle de Svt c’est aussi rapide qu’un épisode de « Bref ». Je me suis dirigé vers la salle de Svt qui n’est pas très loin mais en portant cinq sacs, c’est un véritable supplice… J’avais mal partout quand je me suis assis.

Mon professeur nous a distribué nos sujets ; ça n’avait pas l’air difficile. J’ai sorti mon stylo plume offert par mon petit frère – mon stylo fétiche – et j’ai répondu aux questions. Le devoir ne me posait aucun problème mais tout à coup mon stylo n’a plus écrit : panne d’encre. Je n’avais plus de cartouche dans ma trousse pour ce format de stylo plume. J’ai eu l’idée, pas très fructueuse,

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de prendre une cartouche plus grande qui était restée dans mon ancien stylo plume cassé, j’ai essayé de la sortir de ce dernier mais elle était coincée ; j’ai forcé et pouf ! elle est sortie. Mon tee-shirt a généreusement recueilli plusieurs grosses gouttes d’encre. Non seulement mon tee-shirt était maculé mais ma main était tachée : impossible d’écrire sur ma feuille de contrôle, j’allais la salir et donc perdre des points. L’Amoco Cadiz en plein cours de sciences de la vie et de la terre !

J’ai sorti un vieux mouchoir pas très net et lorsque ma main droite a été à peu près sèche, j’ai recommencé à écrire le plus rapidement possible. J’allais entamer le dernier exercice – le plus payant quand la prof a annoncé la fin de l’examen. Treize heures, les cours étaient terminés et j’avais raté mon devoir.

Voilà.à la maison, heureusement, personne n’est là.J’intègre ma chambre, arrache mon tee-shirt de ma poitrine et

déchire mon pantalon, je fais une grosse boule de l’ensemble que j’expédie dans un coin de ma chambre et je m’allonge sur mon lit. Dormir, le seul remède quand on a le moral à zéro.

Et voilà que le téléphone me réveille :« On est coincé dans les embouteillages. On ne sera pas là

avant 2 heures. Il faudrait que tu ailles chez ta grand-mère : ma-dame Chocron est malade, ta grand-mère est restée toute seule aujourd’hui ; j’aimerais que tu ailles l’aider et que tu lui tiennes un peu compagnie. »

Je n’ai aucune envie d’aller voir ma grand-mère, elle est à moitie gâteuse et chez elle tout est vieux…

« Mais mam… »Mais elle a raccroché, je n’ai pas le choix ! Je change mes

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vêtements et hop ! Je prends mon vélo. Ma grand-mère n’habite pas très loin.

J’arrive devant chez elle. Je passe par le côté potager. Je veux ouvrir le portail mais il est bloqué par les racines de cette saleté de poirier. Je force et tout en méditant sur la pertinence de planter un arbre à cet endroit, je me retrouve devant sa porte. Ma grand-mère me crie d’entrer sans que je sonne.

Ma grand-mère est bulgare ; lorsqu’elle me voit, sur son visage se dessine un grand sourire et elle m’embrasse très fort, trop à mon goût. Puis elle retombe sur le canapé.

« Oh moy moumche, kak si, kak si ? »Ce qui veut dire « Oh mon garçon comment vas-tu ? ». On ne

peut pas dire que je partage sa joie mais je fais un effort pour sourire et lui répondre dans sa langue :

« Da, da dobre, sum mnogo dobre, baba ! »Ce qui signifie : « oui oui bien, je vais très bien,mamie ! »Je continue à lui parler mais en français cette fois :« La journée n’a pas été trop dure ? Maman m’a dit que ma-

dame Chocron n’était pas venue t’aider, elle est malade ?– Oui, oui, j’ai enfin pu faire comme je voulais… Aider ! Assieds-

toi, je vais te raconter cela !Je prends place sur le vieux fauteuil beige de ma grand-mère.

Je grimace. Je n’aime pas sa maison ; elle est sombre, elle fleure le vieux, il y a des tapisseries absolument partout, des vitrines avec de la vaisselle en porcelaine : tout le kit de la mamie confirmée !

Je n’ai absolument aucune envie d’écouter ma grand-mère, mais je me dis que je ne la connais pas vraiment, alors pourquoi pas…

« Je me suis levée tôt ce matin : 6 heures ! L’heure de la mésange

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bleue ; il y en a une qui niche juste sous l’appentis – je te montrerai tout à l’heure. à mon âge, je n’arrive plus à faire la grasse matinée, et même si je me sens faible et que je veux dormir encore, je me souviens de cette phrase de mon père : "Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt". Je me suis habillée tant bien que mal : cette jambe me fait un mal de cochon et je perds souvent l’équilibre à jouer le flamand rose. Mais j’ai été fière de moi quand je suis sortie de ma chambre au bout d’une heure ! »

«  Je suis descendue dans le salon pour attendre Mme Cho-cron ; tu sais, c’est l’un de mes rares privilèges de vieille femme je peux rouspéter sur qui je veux ; comme je suis âgée, personne ne dira rien ! Mme Chocron devait venir à 7h30 et il était 7h15. J’avais le temps de lire un peu le magazine que m’a prêté ma voisine, madame Nercy. J’ai lu un article intéressant ; regarde : "Le mariage pour tous". Je suis très étonnée, dis-moi, je croyais que le mariage n’avait plus la cote et là, je lis que des gens se battent pour avoir le droit de se marier ! Ah ! Le monde va mieux, mon petit Mumché ! Je suis bien contente ! Où en étais-je donc… Ah oui ! Avec tout ça, il était 8 heures et Madame Chocron n’était toujours pas là. Je me suis donc fait un petit déjeuner à la bulgare, que du bonheur : du saucisson, quelques tranches de jambon de pays, un morceau de fromage Kachkava et, bien sûr, un bon yaourt bulgare. Tu en veux un ? Il m’en reste…

– Non, non, merci, je n’ai pas faim !–  Je peux te dire que ça m’a changé de la vieille bouillie

d’avoine, "bonne pour la santé" d’après madame Chocron ! Beurk ! Ensuite, j’ai voulu sortir cahin-caha dans le jardin, ça faisait longtemps que je n’y avais pas mis les pieds ! J’ai cru ne jamais arriver à la porte d’entrée ! Je me suis assise un moment sur la

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chaise à l’entrée mais je n’ai pas mis mes souliers ; je suis res-tée en babouches ! J’ai retrouvé toutes mes plantations  : mes géraniums, mes roses, mes lilas, mes hortensias, mon seringa et mon forsythia ! J’en avais le vertige ! La tête m’a tourné mais heureusement, j’avais pris la canne de papi et j’ai réussi à ne pas me casser la binette ! Je ne savais même plus l’heure qu’il était, mais j’étais si bien à respirer l’air pur de la nature… à petits pas, je suis arrivée au potager. J’ai constaté que monsieur Vié s’en occupait bien : mes tomates, mes framboises… tout pousse mer-veilleusement. Je suis restée très longtemps dans mon jardin ; je n’ai même pas pensé à rentrer déjeuner : mon petit déjeuner bulgare m’avait été plus que suffisant – j’ai tout de même gri-gnoté quelques baies juteuses, je te l’avoue… J’étais très investie à la tâche, trop même lorsque je m’occupais de mes tomates ; j’ai eu un malaise, ma vue s’est embrouillée, il y a eu comme des petites lumières autour de moi, ma respiration s’est accélé-rée et je me suis sentie tomber. Heureusement j’étais à côté du poirier, je me suis appuyée dessus pour m’empêcher de chuter. Ma respiration s’est calmée, les lumières se sont dissipées et j’ai retrouvé ma vue. Tu vas me prendre pour une folle mais je crois que l’arbre m’a transmis son énergie pour que je guérisse, que je reprenne conscience… Brave poirier ! Bizarrement ma vue n’était toujours pas très nette ; je n’avais plus mes lunettes. J’ai entendu miauler à mes pieds et j’ai vu ma petite Kismi. Elle s’est frottée contre mes jambes en ronronnant comme à son habitude ; cela m’a réconfortée. J’ai cherché partout près de l’arbre et j’ai retrou-vé mes lunettes brisées ; dans mon malaise j’avais dû les faire tomber puis les écraser. J’étais folle de joie ! De toute façon, il était temps de remplacer mes verres. Je m’étais bien salie contre

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l’arbre, j’ai réalisé que j’avais oublié de me coiffer et de faire ma toilette… j’ai eu peur que quelqu’un arrive et me voit dans cet état-là… Alors, je suis rentrée, Kismi sur mes talons… ou devant moi, parfois… souvent… comme pour me montrer le chemin. En rentrant, j’ai juste eu la force de rejoindre le canapé où tu me vois là… ça a vraiment été une merveilleuse journée, pleine d’aventures ! Tu te rends compte ? à 95 ans, toujours capable de me débrouiller toute seule ! Je t’ai entendu arriver. Tu as eu du mal à ouvrir le portail ?

– Non, non aucun problème.–  Tu sais, j’ai peut-être la vue d’une taupe mais j’ai l’ouïe

d’une chouette ! »Elle sourit en me regardant ; ses yeux pétillent de bonheur et

de fierté. Bizarrement, je me sens un peu mal à l’aise. J’admire ma grand-mère mais je ne dis rien.

« Tiens, donne donc un peu de croquettes à Kismi, tu veux bien ? Je n’ai pas eu le temps de m’en occuper, avec toutes ces péripéties ! »

Dans la cuisine, en caressant doucement la petite chatte, je frissonne. J’ai l’impression qu’une graine germe au fond de moi à une vitesse folle, une graine qui me fait ouvrir les yeux. La pièce s’illumine petit à petit. Je me mets à observer. Je me sens un peu mieux mais troublé.

Kismi me lèche la main et elle retourne vers le fauteuil de Baba. Je vais avec elle. Mon portable sonne, ma mère me demande de rentrer. Il se fait tard.

Je caresse une dernière fois Kismi, j’embrasse chaleureuse-ment Baba en la remerciant et je lui dis que je repasserai pendant le week-end. Elle est heureuse. Moi aussi. Je sors de la maison et je

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m’attarde dans son jardin. Je n’avais jamais remarqué qu’il y avait tant de fleurs.

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Appoline PiquardClasse de 2nde

école française Mlf - Psa

Kalouga

Russie

catégorie > 2nde / 1re / Tle

2e prix

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Notre histoire se passe à Paris dans le vie arrondissement. C’est l’hiver. Les rues sont désertes à cause du froid. à l’angle de la rue d’Assas et de Rennes se trouve une très mignonne maison. De ses quatre étages, elle domine le carrefour. Le crépi est blanc cassé et les volets sont peints en bleu lavande. Sa hauteur ainsi que son étroitesse la rendent fragile. En journée, on peut croire en la voyant qu’elle est inhabitée. Mais dès que la nuit recouvre Paris de son voile bleu foncé et que chaque fenêtre s’éclaire l’une après l’autre, elle vit. On peut voir à travers les carreaux épais le sapin de Noël cligno-ter, toutes sortes de bougies aussi belles les unes que les autres. Les enfants jouent, les adultes discutent. La cheminée, au sommet du toit, fume toutes les nuits. La maison a l’air ainsi d’un petit cocon familial où il fait bon vivre.

La propriété appartient à Monsieur et Madame Beviatro. lls sont connus de tous les alentours. On peut les croiser en fin de journée dans le parc du Luxembourg lors de leur balade quotidienne. Jacques Beviatro travaille dans un cabinet d’avocat. C’est un homme calme et intelligent. Il déteste attendre au feu rouge avant de traverser. Il aime entendre le bruit du papier de l’enveloppe que l’on déchire

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Bonheur à Paris

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avec un coupe lettre. Ce qu’il aime plus que tout au monde ? Son épouse ! Marie Beviatro est à l’image de la grand-mère que vous et moi aimons tant : attendrissante et douce. Elle est à la retraite afin de s’occuper pleinement de leur petit chez eux. Elle déteste le voisin lorsqu’il tond la pelouse. Elle aime sentir le linge propre qui sort de la machine à laver. Ce qu’elle aime plus que tout au monde ? Son mari ! Ces deux-là sont inséparables. Lorsque M. Beviatro part pour le travail le matin, à peine fait-il dix mètres dehors qu’il manque déjà à sa femme. Elle cuisine pour son mari la journée et l’attend tous les soirs. Depuis leur mariage en juillet 1956, ils ne se quittent plus. Leur amour est toujours aussi fort, « comme un jeune couple » dirait-on de nos jours. Ensemble, ils ont donné naissance à quatre branches de leur arbre généalogique. Durant les fêtes de fin d’an-née, toutes les familles se réunissent chez leurs parents. La maison est alors vivante comme elle ne l’est jamais d’habitude. Petits et grands rient, discutent, jouent…

Aujourd’hui, toute la famille est allée se promener dans la capi-tale. Seule la petite dernière de la fratrie des Beviatro, Charlotte, est restée avec sa grand-mère au chaud. Marie s’est installée auprès du feu et fait du tricot. Charlotte, elle, joue avec les vieux jouets de la maison. Tout est calme. On entend seulement le feu qui crépite et les rires de la fillette. Dans le four, les gâteaux de Marie cuisant et leur odeur alléchante se répand dans toute la maison. Dans le sa-lon, Mme Beviatro est plongée dans son tricot. Tellement absorbée par sa tâche qu’elle n’a pas vu sa petite-fille venir à elle sur la pointe des pieds. Elle se fait interrompre par une petite voix :

« Dis mamie, ça veut dire quoi Il y a des fleurs partout pour celui qui veut bien les voir ?

– Où as-tu entendu cette bien jolie phrase ma chérie ?

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– Mademoiselle Broyet écrit chaque semaine une phrase en haut du tableau. Elle nous a dit que pour Noël, cette phrase lui plaisait bien. Mais mamie, les fleurs poussent au printemps et en été. Et puis si elles ne sont pas là, on ne peut pas les voir !

– Et bien oui, tu as raison au fond, mais quand je te parle des fleurs, à quoi penses-tu ?

– Dans une fleur, il y a les pétales, le cœur et la tige, n’est-ce-pas ?– En effet, et cela nous rend-il triste de voir des fleurs ?– Non ! Maman aime bien que je lui fasse des bouquets de

fleurs !– Viens par là, je vais te raconter quelque chose pour t’éclairer. »La petite s’approche et s’assoit sur les genoux de sa grand-

mère. Elle s’installe dans ses bras et l’écoute. Alors, Marie lui explique que les fleurs dans cette phrase d’Henri Matisse sont utilisées pour représenter des choses qui font du bien. Tout comme les odeurs variées et les multiples couleurs des fleurs ; c’est agréable. Elle commence à raconter son histoire du bonheur à Charlotte :

« Antoine de Saint-Exupéry a dit que si tu veux comprendre le mot bonheur, il faut l’entendre comme une récompense et non comme un but. Tu te souviens de notre visite au musée du Luxembourg ?

– Oui, répond l’enfant.– Très bien ! Il y a dix ans, l’artiste de l’exposition que l’on a

vue commença à publier ses œuvres. Il ne s’y attendait pas mais il eut un succès fou. Aujourd’hui, il est très connu dans le monde pour son talent. Dernièrement, un journaliste, assis sur une chaise verte posée sur le gravier gris du grand parc du Luxem-bourg lui a demandé lors d’une interview comment il se sentait aujourd’hui. L’artiste lui répondit qu’il était heureux. Le journa-

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liste avait l’air de comprendre et lui demanda s’il avait toujours recherché ce bonheur. Le concerné fit une moue que même un nouveau-né aurait pu comprendre  : il paraissait fort étonné. Heureusement, la demoiselle du 5e d’un immeuble du boulevard St Germain interrompit la conversation et calma l’ambiance en lui demandant une signature. La pointe du stylo glissa sur sa feuille en tournoyant et donna naissance à l’autographe de l’artiste. Tenant son papier dans la main droite, la jeune fille à la jupe bleue remercia et s’excusa pour le dérangement auprès des deux personnes et s’éloigna. Sa démarche était d’une élé-gance sans pareille. On aurait pu voir les pieds d’un funambule marchant sur un fil. Mais revenons à notre vedette. Il demanda au feuilletoniste de bien vouloir répéter sa question bien qu’au fond, il s’en souvenait parfaitement. Il prit soudainement un air concentré et lui répondit alors  : "  Vous savez, je n’ai jamais fait quoi que ce soit dans le but d’être heureux. C’est ce que j’ai pu faire et ce que je fais qui me comblent et me rendent heureux. Le bonheur ne se cherche pas, il se trouve lorsque vous ne vous y attendez pas. Mais attention, il ne se montre pas d’un seul coup. Le temps ne le presse pas. Il faut l’accueillir dans notre vie quand il vient ". Le rédacteur ne sut quoi lui répondre. Il le remercia et relut un grand nombre de fois ses notes.

–  Mais mamie, qu’est-ce que je peux faire alors pour être heureuse ?

– Sois toi ma chérie.– Tu sais, quand je suis chez vous, je suis heureuse.– Nous aussi nous le sommes. »Elle marqua un temps d’arrêt et reprit :« Tu vois la jeune fille à la jupe bleue ?

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– Oui, je l’imagine assise au bord de la fontaine du parc.– Imagine maintenant qu’elle se lève. Elle marche avec dis-

tinction comme tout à l’heure. Elle sort à présent du parc par la rue de Vaugirard. Elle tourne à droite, marche en faisant claquer ses talons sur cent mètres. Elle va à présent au 38, rue de Vaugi-rard. Elle y rejoint son groupe d’amis. Tout le monde les appelle le club des cinq. Bien entendu, le cinquième membre du groupe n’est pas un chien. Tu as déjà lu une de leurs aventures ?

– Maman m’a lu un passage, c’était bien !– Et bien ces cinq amis ne sont pas détectives mais insépa-

rables ! Et sais-tu quelle est leur spécialité ?– On dirait que tu parles d’une spécialité à manger, dit-elle

en riant.– On dit culinaire madame, la corrige sa grand-mère en lui

tapotant le bout du nez. Je vais te dire leur spécialité : ils sont gais comme des pinsons ! Un auteur très connu, nommé Bernard Wer-ber a dit que " Le moment le plus important c’est le présent car si on ne s’occupe pas de son présent, on manque son futur ". Ne pense pas au bonheur à venir sans que celui d’aujourd’hui soit accompli. Prends la vie comme elle vient ! Et donc, ces amis se sont donné rendez-vous cet après midi, comme tous les samedis après-midi.

– Mais qu’est-ce qu’ils font ?– Ils ne savent pas ce qu’ils vont faire cette fois-ci mais tous

savent qu’ils vont passer du bon temps. Tiens, ils quittent le café à présent et partent… On ne sait pas où mais cela n’importe pas, tant qu’ils profitent du présent ensemble !

– Il faut donc voir le bonheur au présent ?– Pas forcément ! Mais tu sais, les gens qui se posent trop de

questions sur tout ce qui leur vient à l’esprit ne vont généralement

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pas très bien. Ils se tourmentent alors qu’ils devraient plutôt profi-ter de ce qu’ils ont et vivre sainement.

– C’est donc plutôt en vivant au présent que l’on détient une clé du bonheur ?

– Oui. On voit une très belle fleur pour en revenir à ta pre-mière question. La personne qui se tracasse repousse les fleurs, ne peut pas les voir. Et donc le groupe d’amis laissent en partant une rue déserte. Seul l’employé municipal chargé de nettoyer les trottoirs, que les Parisiens se chargent de salir, est présent. Il ramasse des mégots, des canettes, des papiers… Mais un violent coup de vent permet au papier rose, égaré par une fillette de sept ans, d’entamer un long voyage. Il voltige tout le long du boule-vard Saint-Michel, traverse les ponts du boulevard du Palais sans tomber dans le fleuve de la capitale. Il enchaîne les boulevards de Sébastopol, de Magenta et de Rochechouart, emprunte la rue de Steinkerque et rentre dans un parc. Il achève son parcours en tombant dans une flaque d’eau à côté du vieux manège du square Louise Michel devant Montmartre. à quelques pas de cette flaque se trouve une casquette retournée, posée par terre et contenant des pièces de monnaie. Tout autour de cette flaque et de cette casquette se tient un public, composé de personnes de tout âge, de toutes catégories sociales. Toutes fixent deux jeunes hommes d’une trentaine d’années. L’un joue de l’accordéon, l’autre réalise des figures aussi spectaculaires les unes que les autres. Ils sont tous les deux vêtus d’habits sales. Ici, on les appelle Sdf.

– ça veut dire quoi Sdf ?– Sans Domicile Fixe. Ce sont des personnes qui n’ont plus de

quoi vivre dans une maison. Leur maison, c’est la rue. lls réus-sissent malgré leur tenue à tenir l’attention de tous. Et la casquette

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se remplit peu à peu. On entend des oh ! et des ah ! Ils ont tous les deux des yeux d’un marron ébène qui leur donne un regard si pro-fond ! Leurs sourires inondent leurs visages de gaieté. Ils paraissent tellement contents de ce qu’ils font que cela fait plaisir à voir. Un oiseau au plumage orangé vient profiter aussi du spectacle et se pose à un mètre et demi de la casquette. C’est étrange comme il ne craint pas les humains. Il participe à la partie et chante de tout cœur. Les figures s’enchaînent, les rires éclatent, le sourire des ar-tistes s’accentue ! Ils sont dans leur monde, là où ils aiment être. Tu vois ce que je veux dire ?

– Que même si on est dans la rue, on peut quand même être heureux ?

–  Exactement. Cela me fait penser à une citation de Paul Eluard que j’aime beaucoup.

– Et il dit quoi ?– Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et

rien d’autre. Même sans maison, sans argent, sans beaux habits, tu peux être heureux !

– Je l’aime bien aussi la phrase de Paul ! Elle est très jolie, c’est vrai. »

Marie marque un petit temps d’arrêt. Elles se taisent et écoutent le feu crépiter. Puis elle continue :

« Le spectacle est à présent fini. Le public applaudit, félicite et s’en va peu à peu. L’oiseau au plumage orangé s’en va aussi. Il survole Paris sur quelques mètres et se pose sur le parvis de l’église Saint-Pierre de Montmartre. Il est mal à l’aise car l’at-mosphère est lugubre, contrairement au spectacle précédent. En effet, toutes les personnes présentes, excepté le prêtre, sont vêtues de couleurs sombres. à l’inverse de ce que l’on pourrait

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penser, les gens ne pleurent pas tous. Quatre hommes grands et musclés, habillés d’un costume gris foncé, sortent de l’église avec un cercueil sur leurs épaules. Ils avancent parmi la foule qui se sépare en deux pour les laisser passer et déposent la grande boîte en bois dans le corbillard. Après être allée au cimetière pour faire leurs derniers adieux à la personne défunte, la famille de Mme Angallo se dirige à présent dans son ancienne maison pour y partager du temps autour d’un buffet. Leurs visages sont pâles. Seuls les tout-petits naïfs égaient la scène. On sent comme une flamme qui vit en eux. Il s’agit de la même flamme. On dit bien souvent qu’il faut tourner la page après avoir perdu quelqu’un.

–  Mais c’est faux ! Ce n’est pas parce qu’une personne est morte qu’il faut l’oublier !

– Tout à fait ! Il faut essayer de vivre sans. Avant de décéder, la vieille dame de l’histoire a confié à son fils aîné un message à transmettre à toute sa famille avant la cérémonie d’enterrement. C’est grâce à ce message que la flamme reste allumée en tous.

– Qu’est-ce qu’il dit, le message ?– Ma chère famille, lorsqu’on vous lira ce message, je serai déjà

auprès de Dieu tout là-haut. Ne soyez pas triste. Dans la vie, on naît, on vit et on meurt. J’ai eu une vie ô combien merveilleuse ! Je meurs en paix. N’oubliez jamais ce qu’a dit Marguerite Yourcenar, « Il ne faut pas pleurer pour ce qui n’est plus mais être heureux pour ce qui a été. » J’ai été, je suis et je serai toujours aussi fière et comblée de ma famille. Continuez à vivre heureux ! Je veille sur vous tous. Je vous aime. Yvonne, Maman, Grand-Mère. Tu comprends pourquoi la flamme est animée ?

– Oui, c’est la flamme du passé qui ne cessera jamais de vivre. – Au grand jamais ! »

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Marie serre sa petite-fille dans ses bras. Et elle continue son parcours de Paris :

« Devant la maison dans laquelle se trouve la famille est ga-rée une magnifique Maserati noire. Au même instant, la même voiture se gare devant le Pont des Arts. Un homme en costume sort par la portière avant. Il fait le tour de la voiture et ouvre la porte arrière droite avec son bras droit, il tient son gauche dans son dos. Une série d’autres voitures passent devant le pont, pro-duisant un concert de klaxons. La nuit tombe sur la ville. Les vieux lampadaires s’allument et éclairent la capitale. Le vieux pont de bois est ravissant. La porte arrière gauche de la voiture s’ouvre aussi et un très bel homme en costume noir en sort. Son nom est Evgueni Sakanovka. Il est originaire de la ville de Kalou-ga, en Russie. La tradition de sa ville natale veut que les couples se mariant traversent le pont de Kalouga à pied, le marié portant sa jeune épouse dans ses bras. Le Pont des Arts ramène Evgueni en enfance et il a tenu à suivre la tradition, même à Paris. Il faut savoir que ces ponts ont quelque chose en commun : ils gardent les cadenas des jeunes amoureux. Sa bien-aimée sort à son tour de la voiture. Comme toutes les femmes lors de leurs mariages, elle est ravissante. Sa robe est longue et blanche écrue. Un voile en dentelle fleuri recouvre le satin qui lui est près du corps. Elle porte un gilet court en fourrure blanche. Son visage est resplen-dissant. On sent en elle de l’émotion, du plaisir, du bonheur, de l’amour… Elle rejoint son époux, son regard plongé dans ses yeux. Elle tient dans sa main droite son bouquet et dans sa main gauche un cadenas ainsi qu’un feutre indélébile. La voiture part afin de les rejoindre de l’autre côté du fleuve. Les flashs des appa-reils photos sortent de partout. Le jeune marié enlace sa femme,

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Christina. Ils sont sur leur petit nuage, croient en l’amour et s’aiment tellement. Evgueni soulève la mariée dans ses bras et avance. Le bonheur envahit leurs visages. Arrivés au milieu du pont, ils s’appuient sur la barrière et écrivent leurs initiales sur leur cadenas. Puis ils inscrivent le bonheur, c’est quand le temps s’arrête. Ils accrochent ensemble le cadenas au grillage qui rejoint les centaines de cadenas déjà présents. Enfin, ils jettent la clé dans la Seine, éclairés par le faisceau de lumière de la tour Eiffel. Puis ils regagnent la voiture, Christina dans les bras de Evgueni. Le faisceau, lui, continue son tour de Paris, éclaire le boulevard Haussman, les Champs-Élysées et passe devant un bâtiment au crépi jaunâtre. Sur la façade de ce bâtiment, il y a comme un tableau de fenêtres. Elles ont les mêmes dimensions, sont espa-cées également et sont alignées. La seule différence qu’il peut y avoir c’est que certaines sont éclairées, d’autres non. Au travers de la troisième fenêtre en partant de la gauche, sur la quatrième colonne de fenêtres, on aperçoit un enfant de six ans assis sur son lit. Dans une autre pièce se trouvent deux enfants. L’un a dix ans, l’autre quatre. Ainsi, à chaque fenêtre éclairée, on peut voir un ou plusieurs visages différents d’enfants souriants. Il y a aussi des adultes souriants qui s’occupent des enfants. Sais-tu de quel lieu il s’agit ?

– D’un centre aéré ?– Je ne pense pas que les centres aérés soient ouverts le soir. – C’est vrai.–  Il s’agit d’une maison de l’enfance. Avant, on appelait ça

un orphelinat. Dans cette maison, il y a beaucoup d’enfants qui n’ont plus de parents.

– Ils y restent toute la journée ?

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Non, ils vont à l’école comme toi pendant la journée. Le soir, ils attendent Alexandra. Alexandra est une jeune fille de seize ans. Elle est en première au lycée Stanislas. Tu sais, le lycée pas très loin de chez nous où ton papa a fait ses études. Quand elle a du temps libre, elle vient s’occuper des enfants. Les orphelins l’adorent. On lui demande très souvent pourquoi elle va travail-ler gratuitement. On lui dit qu’elle perd son temps, qu’elle ferait mieux de travailler et de gagner de l’argent. On peut toujours lui parler comme cela, elle continuera à aller voir ces bouilles d’anges qu’elle aime tant. Elle garde en tête une phrase de Khalib Gibran : vous ne donnez que peu lorsque vous donnez vos biens. C’est lorsque vous donnez de vous-même que vous donnez réellement. Puis le faisceau de la tour Eiffel continue son tour et passe devant une famille revenant chez eux d’une balade.

– Je crois que l’histoire est alors finie.– Je pense aussi. »La porte d’entrée s’ouvre et tous se déchaussent et se dévê-

tissent tout en continuant leurs conversations. à peine la porte d’entrée refermée, les enfants sont déjà montés à l’étage pour jouer. Jacques entre dans le salon et s’exclame :

« Et bien alors, vous laissez mourir le feu mes maies ! »Ils en rient tous les trois et réaniment la flamme tous en-

semble. Puis, tandis que les hommes s’installent au salon et dis-cutent de choses d’adultes, les femmes, elles, vont à la cuisine. Elles aident Marie et papotent d’affaires bien plus intéressantes : la manucure, les chaussures, les salons de thé… Tout le monde est à présent assis autour de la table, prêt à déguster le bon repas de Marie. Tous, exceptée Charlotte. Elle va voir sa grand-mère encore dans la cuisine et lui dit :

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« Merci mamie pour l’histoire de tout à l’heure ! J’ai mainte-nant compris la phrase de ma maîtresse. Il peut toujours y avoir une fleur tant que l’on veut bien la voir et qu’on l’aide à fleurir. Tu sais, quand je suis ici, c’est comme si j’étais dans une prairie en fleurs. »

Elle embrasse sa grand-mère et lui dit doucement :« Je t’aime ! » et part en courant telle une voleuse. Elle serait alors une voleuse de bisous. Mais la porte de la

cuisine s’ouvre et Charlotte fait dépasser sa tête entre le mur et la porte.

« Tu sais à quoi ça me fait penser mamie ?– Non, mais je vais bientôt le savoir.–  Don’t worry, be happy, papapalapapa… » et elle s’en va en

chantonnant un air.Marie sourit et rejoint sa famille avec le repas. lls partagent le

repas, du temps ; ils sont heureux tous ensemble.

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Agathe MaldonadoClasse de 2nde

école Total - Mlf

Puerto La Cruz

Venezuela

catégorie > 2nde / 1re / Tle

3e prix

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« Mademoiselle, vous êtes renvoyée. »Ces quelques mots suffirent à changer le cours de sa vie. Élo-

die avait consacré toute sa jeunesse à ses études de journalisme, et son métier était sa vie. Née dans une famille aisée, mais rejetée de ses parents, elle s’était renfermée dans le travail. C’était pour elle le seul moyen de parvenir à son accomplissement personnel. Elle avait gravi les échelons de la réussite professionnelle en ne comptant que sur elle-même, mais elle payait désormais le prix de multiples différents avec le patron de la rédaction  : il l’avait poliment écartée, alors qu’ils étaient en voyage d’affaires dans un pays étranger ; à croire qu’il attendait le moindre faux pas pour la renvoyer.

Elle se retrouvait sans travail, dans un endroit qui lui était inconnu, loin de tous ses repères.

« La vie est comme un océan, lui disait sa mère, avec ses trésors enfouis, son calme apparent et ses tempêtes déchaînées. »

Elle comprenait bien à présent le sens de ces mots.Élodie se retrouvait donc seule, dans cette immense et ter-

rifiante ville, ne sachant que faire. Elle allait sûrement rentrer,

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Le village

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trouver une place dans le prochain vol pour Paris.La jeune femme se mit en route. Elle ne bénéficiait plus des

chauffeurs de sa société et ne voyait aucun taxi. Elle arpenta les rues pendant près de deux heures, cherchant l’hôtel ; la nuit al-lait bientôt tomber, les rues se vidaient.

Elle se retrouva seule dans une ville qu’elle ne connaissait pas. Élodie était dans un quartier miséreux qui ressemblait plu-tôt à un village. Les maisons étaient en tôle et protégées de fil barbelé, des détritus jonchaient le sol poussiéreux et l’odeur pestilentielle des égouts emplissait l’air. Elle commença à fris-sonner ; cela ne lui disait rien qui vaille. Le ciel s’assombrissait, des nuages gris et menaçants apparurent, cachant les derniers rayons de soleil de la journée. Il faisait presque nuit. Un éclair illumina le ciel, rendant le village plus angoissant encore, suivi d’un terrifiant grondement de tonnerre ; l’orage tropical se rap-prochait. Élodie avait peur. Une grosse goutte s’écrasa sur son nez, puis une autre sur son bras nu. Elle courut sous la pluie battante, à la recherche d’un porche ou d’un auvent sous lequel s’abriter. Malheureusement, les misérables maisons du quartier n’offraient guère d’abri efficace. Elle trébucha sur un trottoir dé-foncé et s’écorcha un genou. Le talon de sa chaussure était cassé, son tailleur autrefois bleu marine maculé de boue, ses cheveux bruns trempés et décoiffés ; elle sentait la colère monter.

Mais que faisait-elle donc dans un endroit aussi répugnant ? Elle se releva, boitant légèrement et s’adossa à un mur de pisé. La bourrasque ne cessait pas ; elle avait froid et une sourde angoisse montait en elle.

Enfin, après ce qui lui parut des heures entières, la pluie cessa. L’orage se retirait, satisfait des dégâts matériels qu’il avait

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causés. Les ruelles du «  village  » étaient inondées et certaines maisons étaient dépourvues de toit, le vent les ayant emportés.

Des visages apparurent derrière les rideaux des fenêtres gril-lagées de certaines maisons, mesurant probablement les dom-mages de la tempête.

Élodie ne les regardait pas et avançait, la tête haute, vers ce qui lui semblait être la sortie de cet horrible quartier. Malheureu-sement, elle s’était enfoncée encore plus avant dans le bidon-ville  : les maisons en pisé étaient plus nombreuses et les rues plus étroites encore. Pourquoi donc le sort s’acharnait-il contre elle ? Qu’avait-elle fait pour se retrouver perdue et sous la pluie ?

Elle ne parlait pas la langue du pays et n’avait donc aucun moyen de sortir d’ici. à part, bien sûr, qu’un miracle ne se produise !

Un rire enfantin la sortit de ses pensées ; à sa gauche, une petite fille jouait dans la boue, souriant allègrement, indifférente aux regards réprobateurs des voisins. Elle avait des cheveux cou-leur chocolat et de grands yeux noirs qui lui dévoraient le visage. Elle portait une robe dont on n’eut su dire ni la forme, ni la cou-leur. La petite fille sauta allègrement, à pieds joints dans la boue. Sa joie et sa naïveté créaient un tel contraste avec la pauvreté du quartier ! Bien qu’elle soit habillée de guenilles, bien qu’elle vive dans un misérable taudis, elle riait aux éclats, et s’émerveillait face à une simple flaque de boue.

La petite fille remarqua Élodie, l’observa pendant un long moment, sa curiosité piquée à vif. Soudain, l’enfant s’avança vers elle et d’un geste de la main, toujours souriante, l’invita à la suivre. Que voulait-elle ? Elle n’avait pas l’air méchant, mais pourquoi donc lui proposait-elle de venir ? Elle n’eut pas le temps de réfléchir davantage ; la petite fille lui avait pris la main et l’en-

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traînait avec douceur vers l’une des maisons délabrées, juste en face. Élodie se laissa faire. Après tout, que risquait-elle ? Elle avait besoin d’aide, et l’occasion de sortir d’ici se présentait, elle n’avait d’autre choix que de la saisir.

Passée la porte, Élodie resta stupéfaite. Ce qu’elle appelait une maison était en réalité une pièce tout en longueur et étroite. Plusieurs couvertures, trouées par endroits, jonchaient le sol crasseux. Au fond, un fin matelas était isolé de la pièce et à moi-tié caché par un drap jaunâtre suspendu sur un fil à linge. La cuisine, si on pouvait la nommer cuisine, se trouvait à droite de la porte d’entrée, dans un petit coin reculé. Il y avait, à côté de la cuisine, une table, des chaises modestes et un canapé trônait en face d’un vieux téléviseur.

Une dizaine de personnes étaient regroupées autour. La pe-tite fille se dirigea vers une femme d’une quarantaine d’années, sans doute sa mère. Cette dernière regarda Élodie, et toute la famille l’imita. Qui était cette femme ? Qu’avait-elle ? La mère de la petite fille, dont la jeune femme apprit plus tard qu’elle s’appelait Awa, lui sourit. Élodie lui sourit en retour, plus mala-droitement. Elle était mal à l’aise. Ces gens lui offraient leur hos-pitalité alors qu’ils étaient dans le besoin et ne la connaissaient pas. Avait-elle l’air si désemparé ? Peut être. Elle n’en savait rien.

« 0, meunome é Sansa. Como é que se chama voce?– É-lo-die », articula-t-elle lentement.Sansa lui proposa gentiment de s’asseoir sur le canapé, où elle

fut bientôt rejointe par Awa. Cette dernière manifestait une cer-taine curiosité envers la femme blanche, comme elle l’appelait. La petite fille lui montra une poupée toute rafistolée et entreprit de jouer avec. Pendant ce temps, une fillette d’une dizaine d’années

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s’était rapprochée et avait présenté un xylophone à Élodie. La jeune femme lui expliqua tant bien que mal qu’elle ne savait pas en jouer et la fillette n’insista pas. Elle entama alors un morceau très gai, et son frère l’accompagna au tambour.

Awa se mit à danser avec sa poupée, emportant Élodie avec elle. La petite fille riait aux éclats lorsqu’elle la faisait virevolter ; elle était heureuse. Sansa vint les rejoindre et se déhancha sur la douce mélopée qui venait d’être entamée ; elle était belle.

La jeune femme passa un moment très agréable à danser et à jouer de quelques instruments avec cette famille si accueillante.

Vint alors le moment de manger. Tout le monde s’assit autour de la table sur laquelle était posée une marmite et Sansa servit un gros bol de soupe à Élodie. Le repas s’avéra être délicieux.

Elle essaya d’expliquer sa mésaventure en mimant les mo-ments qu’elle ne savait comment raconter. Tout le monde l’écou-tait avec attention. On lui posait de nombreuses questions, aux-quelles Élodie tentait de répondre. Les enfants s’intéressèrent tout particulièrement à l’avion, lorsqu’elle leur expliqua comment elle était arrivée dans leur pays.

Ils voulaient savoir comment cet objet réussissait à voler dans les airs, si ce n’était pas de la magie, comme l’avait fait remarquer Awa. Ils étaient également très curieux quant à son pays natal. Comment était-ce ? Les gens étaient -ils tous comme elle ? Y avait-il d’autres moyens de transport tout aussi étranges, à part les voitures ?

Élodie répondait à leurs questions de la manière la plus dé-taillée possible. Elle connut ce soir-là une culture complétement différente de la sienne, un autre mode de vie, d’une grande sim-plicité, mais tout aussi agréable que le sien. Ces pauvres gens,

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bien qu’ils ne possédaient pas grand-chose, n’hésitaient pas à partager leurs biens avec les autres. Ils étaient d’une bonté et d’une générosité sans égal.

Vers neuf heures du soir, Élodie dut se retirer. Elle devait ab-solument rentrer à l’hôtel, et le temps était passé tellement vite !

« Je vous remercie pour votre accueil à tous, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans vous, dit-elle en portugais à la famille. Mais je dois maintenant retourner à l’hôtel. Merci encore. »

Awa se dirigea vers elle et lui tendit une feuille très colorée. C’était un dessin qu’elle avait fait pour Élodie, « pour que tu ne nous oublies pas » avait-elle dit. Il représentait toute la famille, se tenant par la main. Il y avait des instruments de musique, des fleurs et des cœurs un peu partout sur la feuille. Au milieu du dessin, tenant la main à une petite fille, se tenait Élodie, sem-blait-il. Tout le monde souriait.

La jeune femme remercia chaleureusement Awa pour ce beau dessin, dit au revoir à tout le monde et s’apprêtait à partir lorsque Sansa tint à la raccompagner à la sortie du « village ».

Élodie accepta, et les deux femmes se mirent en route. Arrivées à l’orée du quartier, elles purent voir la rue bétonnée et un peu plus loin, un des nombreux gratte-ciels illuminés de la mégapole.

Avant de se quitter, Élodie posa une question à Sansa:« Mais… comment faites-vous pour vivre aussi heureux ? »La mère de famille ne lui répondit pas tout de suite, réfléchis-

sant certainement à la réponse qu’elle pourrait lui fournir. Enfin, elle déclara :« Meninha, a vida e bella, e teem flores por todo lado para aqueles

que as querem ver. »Élodie ne comprit pas le sens de ces mots, mais garda la phrase

Agathe Maldonado90

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en mémoire et remercia Sansa pour son chaleureux accueil :«  Encore merci beaucoup, lui dit-elle du mieux qu’elle put

en portugais, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans vous… je ne vous oublierai pas. »

Pour seule réponse, Sansa sourit et étreignit Élodie. Elle la re-garda partir, toujours souriante jusqu’à ce qu’on ne vit d’elle plus qu’une sombre silhouette parmi les ombres du « village ». Même de loin, on pouvait la reconnaître à sa démarche chaloupée et gracieuse.

Deux jours plus tard, Élodie était de retour chez elle. Elle ne raconta à personne son excursion dans le village, mais garda ce secret pour elle, comme un objet précieux qu’on ne veut qu’au-cune autre personne ne touche ni n’admire.

Elle avait cherché sur son ordinateur la traduction de la phrase que lui avait dite Sansa et avait été étonnée par sa signification.

La mère d’Awa lui avait dit : « Ma petite, la vie est belle et il y a des fleurs partout pour celui qui veut bien les voir ».

En comprenant le sens littéraire de cette phrase, elle en avait compris le sens caché.

Sansa et sa famille avaient vu les fleurs, dès le début et en prenaient soin avec beaucoup de douceur, faisant attention à ce qu’elles ne se fanent pas. Cette famille pauvre était riche de bon-heur et belle par sa générosité, son hospitalité et son amour de la musique et de la vie.

Elle sourit en y repensant ; c’est sûr, elle ne les oublierait jamais.Journal A Republica, 17 décembre 2012 :« Le journal a été informé qu’hier soir, les autorités angolaises ont

procédé à la destruction complète du quartier insalubre d’Ibewa, com-munément appelé "le village". »

Le village 91

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