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Reflexions critiques sur la prevention soi-disant gknerale OLOF KINBERG (Stockholm) L e terme de prevention generale est employe, parait-il, pour designer l’influence anticriminelle qu’on suppose exercee sur les citoyens en general par le fait que le Code penal punit certains comportements humains et que la force publique e x h t e les peines ordonnees par le tribunal. On ne connait pas A quelle phase d’Cvolution de la societk hu- maine I’idCe d’une prevention generale ait commence A se des- siner dans l’esprit humain. Neanmoins, il est A supposer que se fut pendant l’antiquite la plus reculee. Pendant l’epoque de l’em- pire mmain elle etait d6jA nettement formulee. Ainsi Sineque il y a pres de 1900 ans resume succinctement les tkhes de la loi penale de cette manicre: ameliorer celui qu’elle punit, ameliorer par sa punition les autres citoyens, donner ii ceux-ci plus de s6- curit6 en supprimaat les crimine1s.l En continuant, SCneque donne A Neron des conseils sur le traitement du dklinquant. .I1 te sera plus facile d’amdiorer le delinquant par une punition legere. Car celui qui possede une valeur personnelle est plus enclin A mener une vie irreprochable. L. Annaeus Seneca: De dementia. Lib. 111. Cap. XX: BTranseamus ad alienas iniurias, in quibus uindicandis haec tria lex secuta est, quae princeps quoque se- qui debet: aut eum quem punit emendat, aut ut poena eius ceteros meliores reddat, aut ut sublatis malis securiores ceteri uiuant.,

Réflexions critiques sur la prévention soi-disant générale

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Reflexions critiques sur la prevention soi-disant gknerale

OLOF KINBERG (Stockholm)

L e terme de prevention generale est employe, parait-il, pour designer l’influence anticriminelle qu’on suppose exercee sur les citoyens en general par le fait que le Code penal punit certains comportements humains et que la force publique e x h t e les peines ordonnees par le tribunal.

On ne connait pas A quelle phase d’Cvolution de la societk hu- maine I’idCe d’une prevention generale ait commence A se des- siner dans l’esprit humain. Neanmoins, il est A supposer que se fut pendant l’antiquite la plus reculee. Pendant l’epoque de l’em- pire mmain elle etait d6jA nettement formulee. Ainsi Sineque il y a pres de 1900 ans resume succinctement les tkhes de la loi penale de cette manicre: ameliorer celui qu’elle punit, ameliorer par sa punition les autres citoyens, donner ii ceux-ci plus de s6- curit6 en supprimaat les crimine1s.l

En continuant, SCneque donne A Neron des conseils sur le traitement du dklinquant. .I1 te sera plus facile d’amdiorer le delinquant par une punition legere. Car celui qui possede une valeur personnelle est plus enclin A mener une vie irreprochable.

L. Annaeus Seneca: De dementia. Lib. 111. Cap. XX: BTranseamus ad alienas iniurias, in quibus uindicandis haec tria lex secuta est, quae princeps quoque se- qui debet: aut eum quem punit emendat, aut ut poena eius ceteros meliores reddat, aut ut sublatis malis securiores ceteri uiuant.,

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Personne ne s’abstient de quelque chose pour sauvegarder son honneur s’il l’a dCjA perdu. Ne pas pouvoir Ctre puni d’une peke plus sCv6re que ceIle dCj2i subie est une espke de lettre en franchise d’impunitC.

En Cconomisant les punitions on leur donne plus dinfluence sur le comportement des citoyens. S’il est connu que beaucoup dhornmes commettent des crimes, la delinquence devient facile- ment une habitude. Aussi une punition se fait-elle moins sentir si elle est rendue insignifiante par le fait d’6tre appliquee ti un grand nombre de personnes.. Dans ce mCme livre SCn2que dit: Kroyez-moi, il est dangereux de faire savoir aux citoyens com- bien dentre eux sont des criminels.x2

En indiquant les fins des punitions SCn6que ne parle pas des effets intimidants qu’elle auraient sur les citoyens, mais seule- ment de leur influence morale. Or, dans les discussions conti- nuCes depuis longtemps sur la soi-disant prCvention gCn6rale des codes pCnals et des punitions c’est surtout l’intimidation qui a attire l’attention.

En Su6de pendant la discussion juridique influencCe par cer- taines thhries philosophiques il a CtC soutenu depuis quelques dCcades de certains c6tCs que l’effet prCpondCrant de l’existence du code et de son application serait de crCer des valeurs morales et de renforcer des r6gles morales dCj& existantes. A croire cer- tains partisans extremistes de cette thCorie, l’effet moralisateur des sanctions pCnales serait si dominant que lertraitement prati- que applique aux dClinquants n’aurait que peu d’importance comme moyen de protection sociale.

Dans une publication parue il y a une vingtaine d’annkes j’ai critiquC cette thCorie en soutenant que sauf certaines exceptions ce sont les opinions morales d6ji existantes qui creent les codes pCnaux, et que les effets gCnCraux de l’application du code ptnal varient CnormCment d’individu 2i individu selon la structure de la

* )>Periculum est, mihi crede, ostendere civitati, quanto plures mali sint., Op. cit. lib. 111. Cap. XXI.

%nPque est aussi I’auteur dune parole souvent cit6e dans les oeuvres de la philosophie de droit: PNerno prudens punit qrriu perraturn est, sed ne pecretrtr.,

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personnalite individuelle.3 Mes objections contre les theories courantes sur la pr6vention generale ont souleve en Suede une petite litterature juridique A la defense de ces thbries. En w e du caractere abstrait de la defense de cette theorie il m’a paru inutile de m’engager dans une discussion. Dans une publication parue en 1946 et traitant un autre theme j’ai pourtant indique en pas- sant pourquoi la theorie de la prevention generale telle qu’elle a ete presentee dans mon pays me semble insatisfaisante? En voici les points de vue essentiels.

Dans tous les cas oii des crimes ont 6te commis, l’influence preventive du code penal a ete insuffisante. En 1950 le nombre des crimes commis en Suede pendant cette annee et connus i la police etait 192.261 (ivresse sur la voie publique, des contra- ventions, des infractions aux reglements administratifs ne pou- vant pas entrainer des peines privatives de liberte n’entrent pas dans ce chiffre) . Donc, ce n’est pas dans un nombre de cas tout fait insignifiant que le code n’a pu empscher des actes dilictueux. Mais ce sont les seuls oh il existe une connaissance sfire de l’effet preventif du code, et 1i cet effet est nul.

Le nombre des cas 06 il a reellement .ernpCche des actes delic- tueux est absolument inconnu. Parfois des particuliers declarent qu’en telle ou telle situation le code penal les aurait abstenus de commettre des delits. Or, il est tres difficile A savoir quels fac- teurs individuels ou mesologiques ont e m p a 6 un homme de commettre un certain crime vers lequel sa situation l’a pouss6. Si quelqu’un soutient que dans telle ou telle situation impliquant une pulsion vers un certain crime il s’abstiendrait de commettre ce crime par la menace d’une punition ou par I’effet moralisateur du code, il y a lieu de douter de cette confession. Car personne en sait jamais de quelle manicre il se comportera dans une situa- tion oii il ne s’est jamais trouve auparavant.

0. Kinberg: Aktuella kriminalitetsproblem i psykologisk belysning, Srock- holm 1930. (Publit en anglais SOU le titre de ,Basic problems of Criminology)). London & Copenhagen 1935.)

* 0. Kinberg: Punishment or Impunity? (Acta psychiatrica et neurologica, Copenhagen 1946).

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Probablement il n’y a aucune methode sociologique ii l’aide de laquelle il serait possible de connaitre dans quelle mesure le code penal et son application auraient un effet anticriminel sur tous les citoyens; peut-hre est-il douteux qu’une telle technique puisse jamais Stre inventee.

Pendant le Congrts International de Criminologie, tenu ii Paris en 1950, il n’y avait pas une seule conference traitant la question de la prevention g6ntrale, ce qui signifie peut-etre que l’on con- sidcre ce probltme comme pas encore apte B &re trait6 d’une manitre scientifique.

souligner que les objections que j’ai faites contre la thhrie de la prevention generale ne signifient pas que je serais de l’opinion que le code penal et son application seraient sans aucune influence sur le comportement des citoyens. Seulement le fait qu’un trcs grand nombre de citoyens commettent des crimes montre que la sup- position que le code et son application auraient une influence anticriminelle effective sur tous les citoyens manque de fonde- merit empirique.

Ici comme en toutes recherches scientifiques il est necessaire de poser le problcme d’une manitre correcte. Autrement les re- ponses seront ambigiies ou errodes.

Pour me garder contre des malentendus, je tiens

A quelles conditions le code peut-il auoir uno influence anti- criminelle plus ou moins &endue s w les citoyens?

Le code penal et son application font part du milieu psycho- social des citoyens. Afin qu’ils y exercent quelqu’inf hence psy- chologique il faut donc que son contenu et la manicre de son application leur soient connus, du moins B un certain degre.

La plupart des hommes adultes et sains desprit savent que certaines attaques contre les personnes et contre la propriete d‘autrui, comme assassinat, incendie volontaire, vol, sont punies par la loi. La signification juridique dautres crimes, comme cer- taines formes d’escroquerie, de detournement, de diffamation n’est que vaguement connue ii un grand nombre de citoyens.

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D’autres encore, comme certains dClits Cconomiques subtils, ne sont probablement connus qu’i des hommes verses dans des transactions economiques compliquees.

Mtme B l’egard de certains crimes considires par le code comme assez graves il existe une ignorance plus ou moins com- pl6te. D’une etude sur l’inceste faite B ma clinique il rCsulte que parmi 58 individus qui avaient commis inceste avec leurs filles 10 ignoraient que de telles actions sont pun is sable^.^ En de- mandant ii un d’eux dont la femme lui avait refuse les rapports maritaux, pourquoi il n’avait pas cherche en dehors de la famille des moyens de satisfaire ii ses besoins sexuels, il repondit que c’etait defendu et que sa femme aurait pu ))le jeter en prison,. I1 ignorait par contre que l’inceste est defendu.

Quant B la maniPre dont est applique le code penal les con- naissances du citoyen ordinaire sont assez vagues. Peu dentre eux ont assist6 ii un procb criminel. Ce qu’ils en savent est reduit B ce qu’ils ont lu dans les journaux ou entendu dire B d’autres per- sonnes. Mais la presse ne s’occupe que des causes cClCbres et en rapporte surtout des details curieux, etranges, sensationnels. Les cas ordinaires, B savoir la grande majorite des procb criminels, n’interesse personne en dehors du personnel de la justice, l’in- culpe, ses complices, sa famille et ses amis s’il en a. Mtme lors- qu’un procb a fait beaucoup de bruit dans la presse les peines auxquelles ont 6t6 condamnes les inculpCs sont vite oubliees. I1 est donc probable que l’effet anticriminel que puisse exercer la peine infligCe pour un certain crime ne depend que trcs peu de la quantite de la peine.

Par quels moyens psycbologiques le code pe‘nal peut-il agiv suv les citoyens?

I. lntimidation Depuis tres longtemps on a consider6 l’intimidation comme le

principal facteur prhentif du code penal. La menace d’une puni-

0. Kinberg, G. Inghe, Sv. Riemer: Incestproblemet i Sverige (Le problPme de I’inceste en Suede) Stockholm 1943.

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tion a 6t6 de temps immdmoriaux un des piliers de 1’6ducation. Aussi la souffrance qui est provoqu6e par la peine et en est le but propre a-t-elle 6t6 considCree comme le barrage par excellence contre la pulsion criminelle.

En Angleterre plus de deux cents formes de crimes 6taient punis de la mort au commencement du dix-neuvicme sikle. h r s - qu’un projet d’abolir la peine de mort pour vol de 5 shillings commis dans une boutique fut trait6 A La Chambre des Lords, le Lord Chief Justice Ellenborough, mit la Chambre en garde contre un projet de loi si rempli de dangers pour le droit de pro- priCt6. Dans son opposition & cette attaque contre la peine de mort il fut soutenu par un archevi2que et six 6v$ues.

Les exkutions publiques abondaient et mCme au milieu du dix-neuviPme siPcle il 6tait coutume en SuPde que la jeunesse des Ccoles ait cong6 pour assister & ces spectacles moralisateurs.

Margery Fry raconte qu’un pasteur de prison anglais, vivant pendant le dix-neuviPme siPcle, avait demand6 A 167 personnes condamn6es & mort si elles avaient assist6 & une execution et que toutes & l’exception de trois avaient donne une reponse affirma- tive. Pendant le dix-huitiPme siPcle un h o m e , Smith, avait 6t6 condamn6 A mort pour cambriolage. I1 fut amen6 & Tyburn et pendu. Un quart d’heure aprPs un courrier arriva avec la decision du gouvernement qu’il avait 6t6 grgci6. I1 fut descendu et I’on trouva qu’il n’6tait pas tout A fait mort. Selon les moeurs du temps on pratiqua des saign6es et h i appliquad’autres mesures curatives de sorte qu’il fut sauv6. Quelque temps plus tard cet bhalfhanged,, Smith commit un autre cambriolage, fut poursuivi en justice mais acquitt6 par le jury. I1 commit un troisiPme cam- briolage fut poursuivi mais eut la bonne chance que le procureur du roi mourut le jour pr6cCdant la session du tribunal, de sorte qu’elle fut suspendue. AprPs cela Bhalfhangeds Smith disparait de l’histoire.e

On sait que les executions publiques en Angleterre 6taient trPs appr6ciEes par les voleurs & la tire qui avaient des occasions

Margery Fry: Arms of the Law. London 1952.

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excellentes de vider les poches des assistants done l’attention etait captivee par les evenements interessants qui se developpaient sur l’ckhafaud. La certitude d’Ctre executes eux-mCmes s’ils etaient pris ne les emgchait pas d’exercer leur metier.

Depuis longtemps le terme de .menace de punition. a it6 em- ploy6 comme designant le f acteur psychologique qui abstiendrait les citoyens de commettre des crimes. Pendant les dernieres dC- cades, des mesures de shete, comme l’internement des delin- quants malades ou alcooliques dans des asiles ou dans des Etablis- sements affect& au traitement des alcooliques, la detention pre- ventive des criminels anormaux dangereux ou rkcidivistes aprPs condamnation etc. . . . ont eu une application de plus en plus Ctendue, surtout peut-Ctre en SuPde. Or, quoique ces mesures de politique criminelle ne soient pas des punitions dans le sens juri- dique elles sont en general plus redoutees que les peines priva- tives de libertt en raison de leur duree plus ou moins indeter- minee. Le terme de .menace de punition, est donc trop etroit et devrait Ctre remplace par celui de .menace de sanction,.

Cependant le terme .menace. n’est pas bien choisi non plus. Car le mot semble impliquer que l’objet de la menace ait l’idee que quelqu’un ou quelque chose ait l’intention de lui causer cer- tain dommage. Seulement les citoyens qui n’ont aucune idCe de commettre des crimes ne se sentent pas objets d’aucunes inten- tions nocives de la part du code.

Afin que les sanctions stipulees par le code puissent avoir une influence anticriminelle il faut que les citoyens les eprouvent comme qelque chose qui pourra les frapper, ii savoir comme un rique. C’est pourquoi le terme de ,risque de sanction. me semble plus appropri6.

Or, ce terme a deux significations distinctes. I1 peut designer le ri.rque objectif, reel, dCtre depiste, apprehend6 et poursuivi au cas oii le sujet aura commis un crime. Ce risque objectif est determine par nombre de circumstances inconnues au sujet ou difficiles ii apprkier.

De cela s’ensuit que le facteur qui peut influencer les citoyens n’est pas le risque reel, objectif qui pour la plupart leur est in-

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connu, mais les idCes qu’ils peuvent avoir sur le risque d‘Ctre punis c’est B dire le risque de sanction subjectif. S’il a &value correcte- ment le risque de sanction objectif ou il s’en est tromp6 n’a aucune importance sur son comportement, puisque ce qui peut l’inf luencer psychologiquement n’est que son idCe sur le risque.

Le risque de sanction dam certaines formes de crime I1 y a certaines formes de ddinquance oh le risque d’Ctre de-

piste et appr6hendC est tres grand et correctement halue par ceux qui sont disposb A commettre des delits de ce genre. Et pourtant le code ne semble pas exercer sur eux aucun ou peu d’effet anticriminel. C’est ce qui se trouve A l’6gard de certaines formes de criminalit6 professionelle.

Un petit livre amCricain en donne des renseignements tres in- structifs.’ Ce livre est ecrit par un .con-manu (,confidence manu = escroc, chevalier d’industrie) amiricain qui apr& une activite criminelle reussie et continuee pendant des annees a commence B mener une vie honnCte.

La rubrique de ,voleur professionelu signifie un grand nombre de sp6cialistes en ddinquance contre la propriCt6 (voleurs B la tire, voleurs travaillant dans des hotels, dans les grandes maga-’ sins, maitres chanteurs, escrocs, chevaliers d’industrie etc.) .

Certaines qualifications c6rebrales caractkrisent le voleur pro- fessionel de ce genre: l’intelligence vive, la prCsunce d’esprit, la facilitC de repartie, l’esprit inventif, la fertilite en expedients, l’exterieur agreable (.front>), la connaissance des hommes. D’autres voleurs, mCme ceux qui sont des voleurs d’habitude ou ceux dont le succes depend dune habilete manuelle ou de force musculaire, ne sont pas reconnus comme de vrais professionnels par le groupe en question. BN’importe qui peut presser un re- volver contre le ventre d’un homme et le forcer B livrer son ar- gent..

7 The Professional Thief by a Professional Press. Forth Imprime 1950. Interpretation and land.

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Thief. The University of Chicago Conclusions by Edwin H. Suther-

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11s se regardent eux-mtmes non comme des criminels mais comme des hommes daffaires. Ayant une intelligence p6nEtrante i l’bgard des choses ordinaires de la vie, ils savent parfaitement que bien des vrais hommes d’affaires se servent de mCthodes peu scrupuleuses ou decidement criminelles ; aussi sont-ils bien au courant de la corruption politique et administrative qui existe dans la societe OG ils exercent leur metier et n’ignorent point que ceux qui en profitent sont souvent des personnes jouissant d’une considCration generale et d’une grande influence konomique, ad- ministrative et politique. Les voleurs professionnels se voient donc sinon en sbonnen, du moins en grande compagnie.

11s travaillent en de petits groupes, mobs, ne depassant que rarement quatre personnes. Leur genre d’activite rend tres grand le risque d’ttre apprehend6 sur le fait. Leur trafic serait donc impossible comme gagne-pain sans des possibilites d’Cchapper i des condamnations. A ce probleme ils trouvent une solution g6ce i certains traits de la societe americaine. Dans chaque ville oh ils travaillent ils collaborent avec un fixer qui possPde les moyens de les tirer d’affaire lorsqu’ils ont 6t6 pris sur le fait. Le fixer ne travaille pas gratuitement. C’est pourquoi la moitie jus- qu’aux deux tiers du gain d’un mob passent dans les poches du fixer. Mais griice i celui-ci ils evitent le plus souvent des con- damnations sCrieuses.

Lattitude que prennent ces hommes vers le code penal et ses serviteurs est tres instructive. Selon eux la police arrtte des gens pour montrer qu’elle fait son service, mais pas pour assister la justice. Le ministere publique tMie de provoquer des condamna- tions, les inculpCs s’efforcent i ttre acquittCs mais aucun d’eux ne desire soutenir la justice. Ce mot n’existe mtme pas dans le voca- bulaire de ces criminels. S’il arrive parfois que quelqu’un d’entre eux est condamn6 pour un crime qu’il n’a pas commis, il ne parle pas d’injustice. 11s n’ont aucun sentiment de haine contre les policiers incorruptibles, ni damitiC vers ceux qui se laissent cor- rompre. 11s ne considPrent pas le policier venal c o m e un traitre i 1’6gard du bien commun, mais comme un homme raisonnable qui joue le jeu intelligemment.

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Leur attitude enticre & la justice et au droit penal est froide et cynique. Leur metier est une profession excitante et dangereuse, mais les hommes d’affaires se servent de methodes aussi peu scrupuleuses. 11s contrebalancent le risque de sanction en pro- fitant de la corruption administrative et politique regnant dans la socikte oii ils vivent et sans laquelle leur trafic serait im- possible.

L’evaluation du risque objectif d’hre arrCt6 sur le fait est donc correcte chez les criminels, ainsi que leur connaissance que la procedure sera epuisee avant qu’une condamnation n’ait lieu. 11s savent aussi qu’il leur est impossible d’exercer leur metier dans des villes oG ils ne peuvent pas avoir recours A un fixer d’oii ils tirent la conclusion pratique d’kviter de Btravailler, dans de telles villes. L‘effet inhibiteur du code est donc limit6 aux loca- lit& oii le risque de sanction subjectif peut agir.

Cela ne veut pas dire que le risque de sanction subjectif ait tou- jours un effet inhibiteur sur la pulsion criminelle. Comme on verra plus loin, cet effet est conditionne par la structure psychc- logique des hommes. Pourtant serait il manquer de sagesse de Bbannir toute crainte de la ville, car quel mortel reste juste s’il ne redoute riem.8

La crkation de valeurs morales attribue‘e au code La maniere froide et cynique dont sont envisages le code et les

agents de la justice par les voleurs professionnelsemble montrer qu’ils sont immunes & l’influence moralisatrice supposee du code.

I1 existe un autre groupe de criminels dont les reactions sur le code et son application donnent aussi des renseignements utiles sur cette influence supposee. Ce sont les personnes jouissant d’une consideration genetale et d’une situation socio-economique elevee et qui enfreignent les lois contre les trusts, celles qui reg- lent les brevets industriels, les annonces, les marques de fabrica-

Esrbyle: Les Eumenides, oh Athhe dit: nNi anarchie, ni despotisme, telle est la maxime que je conseille aux citoyens de pratiquer et vknerer, et aussi de ne point bannir toute crainte de la ville, car quel mortel reste juste, s’il ne redoute rien!n (Traduction par Emile Chambxy.)

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tion la legislation Cconomique provoqde par la guerre le .copy right., l’abus de confiance, les escroqueries financi2res etc. Aux crimes de ce genre Sutherland a proposC la dCnomination pro- visoire de >>White Collar Crime, (W. C. C.)?

Dans une etude sur soixante-dix grandes societes industrielles, mini2res et commerciales aux Etats Unis, Sutherland a montre que toutes avaient commis des crimes de cette esece. Trente d’entre elles Ctaient fondCes de maniere illegale ou avaient com- mence leurs activitks illCgales immkdiatement apr2s leur dCbut. Dome soci6tCs avaient subi 25-30 condamnations. Soixante pour cent avaient 6tC condamnees par des tribunaux correction- nels et avaient subi en moyenne quatre condamnations. Si l’on regarde quatre condamnations comme preuve de rkcidivisme, alors soixante pour cent de ces entreprises sont des recidivistes. Seulement d e w sociCtCs sur les soixante-dix n’avaient subi qu’une seule condamnation.

De ces faits il s’ensuit que l’influence anticriminelle du code exercee sur ce groupe de dClinquants est assez faible. Du point de vue psychologique l’influence d’un certain facteur sur le com- portement d’un homme depend de sa force vive en comparaison de la force d’autres facteurs qui s’y opposent. Or, dans ces cas les forces contraires sont tr2s grandes. Les chefs des grandes entreprises dont parle Sutherland n’agissent pas isolement. Cha- cun d’eux est appuyC par une direction composee des hommes i poigne. DerriCre elle il y a la foule des actionnaires qui gagnent de I’argent par l’activitk criminelle du chef et qui partant ap- prouvent ses manoeuvres criminelles. Puis, ils ne le regardent pas comme un criminel mais comme un homme fort qui sait bien sauvegarder leurs intCrCt. Tous savent que les autres grandes entreprises agissent de la mCme mani2re et que leur propre so- ciCtC se mettrait dans une situation dCfavorable en s’abstenant des techniques criminelles employCes par les autres. A cote de la tendance i augmenter les gains directs il y en a d’autres qui s’opposent 2 l’influence moralisatrice du code : le dCsir d’Ctendre

* Edw, H . Sutherland: White Collar Crime. New York 1949.

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son activite, de se faire valoir comme des h o m e s d’affakes forts, de vaincre les concurrents, d’augmenter leur pouvoir etc. Contre toutes ces forces psychologiques le code a peu de chance d’agir.

Quoique le code dCfende les opinions morales dont il est l’ex- pression avec des arguments assez eloquents, ces opinions ne sont pas immortelles. Dans les societes de culture occidentale, l’avorte- ment a et6 pendant de sitcles puni avec une s6vErit6 extreme. . Ce qui n’emptche que l’emancipation de la femme et d’autres changements de la structure sociale A l’egard de la maternite, du droit de la femme de decider si et quand elle deviendra mtre etc. aient affaibli l’opinion morale representee par le code, de sorte qu’en Sutde le code a dQ ceder et reconnaitre l’avortement comme mesure legale dans bien des cas.

De mtme, sous l’influence de nouvelles attitudes morales, les sanctions contre l’adulttre, les actes homosexuels entre des adultes et la bestialit; ont disparu du code suedois. Lon peut donc con- clure que si le code a une influence moralisatrice sur les citoyens, elle est limitke aux genres d’actes par lui prohibes et que mtme cette influence est neutralishe si elle se heurte contre des opinions morales opposees et plus fortes.

Si les lois soutiennent avec une certaine effectivite les opinions morales anciennes qu’elles ont codifiees et si elles sont par 1A un facteur moralisateur elles peuvent aussi, dans certains cas, avoir une influence contraire. .1

lnfluence de‘moralisatrice du code et de so?? application Si des lois qui expriment passablement les opinions morales du

peuple sont appliquees d’une maniere inconsidede, si le juge chicane par servilite vis-A-vis le pouvoir exCcutif, pour en pro- teger les favoris ou pour 6craser des sujets ma1 vus, le respect pour la justice @fit. Le mtme effet se produit si les lois man- quent de bon sens. Ainsi par exemple les tentatives d’imposer aux citoyens une abstinence totale de l’usage des boissons alcooliques, faites aux Etats Unis et en Finlande, ont cause un dommage mo- ral probablement difficile A eliminer.

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Sous l’influence des crises socioiconomiques qui viennent ebranler la solidite de la structure sociale un deluge de sanctions a envahi les societes occidentales, en criminalisant des actes auparavant consid6rCs non seulement comme neutres mais comme meritoires meme. En defendant trop de comportements plus ou moins indifferents du point de m e moral, le legislateur produit une espece de fatigue et de scepticisme moraux. Le citoyen n’etant plus B mCme de connaitre toutes les formes de comporte- ments prohibCes se desinteresse de savoir quels ades sont permis ou non. Cet agnosticisme moral mcne facilement B une espke de sommeil moral mcle de dedain pour les lois et engendrant l’idee que puisque presque tout est prohibe, meme bien des actions ne- cessaires pour vivre, cela 6quivaut B la maxime pratique que tout est permis.

Position du problPnze Si quelqu’un soutient que le code a une influence gknerale sur

les citoyens de sorte qu’il met un obstacle absolu au crime il est evident que cette assertion est fausse. D’autre part, personne douC d’un peu de bon sens pretend que le code n’ait aucune in- fluence anticriminelle. Pour resoudre ce probleme important il faut donc pourvoir la question de qualifications prCcises afin d’at- teindre B des renseignements exacts, univoques et pratiquem- ment utilisables.

L‘idCe d’une influence anticriminelle vraiment generale du code presupposerait que les hommes fussent Qaux bio-psycho- logiquement. Mais cette condition n’existant pas, il faut d’abord chercher une reponse B la question suivante.

Quels groupes de citoyem sont influencables par le code? Dans chaque population il y a un groupe tres etendu dont la

structure biopsychologique implique une sensibilite developpee B une desapprobation morale g6nerale. Cette ouie fine aux exi- gences morales equivaut en general B une bonne adaptation sociale ainsi qu’B une normalite et sante mentales. I1 parait evident que des personnes de ce genre sont aussi sensibles aux exigences

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morales dont Ie code est une expression. Seulement une telle adaptation signifie que leur risque de devenir criminelles est asset petit, ce qui veut dire que l’influence anticriminelle est plus grande lh oh elle est moins utile.

Inversement on peut conclure que les hommes mentalement anormaux ou malades sont moins susceptibles h l’influence anti- criminelle du code. Car plus un homme a perdu le contact avec le monde exterieur, plus I’activitC cCr6brale favorisant des re- ponses adCquates et appropriees aux stimuli sociaux et autres est bloquee ou dCtruite, plus son comportement devient excessif ou dCsordonnC, moins est-il sensible h une desapprobation morale d’autrui et partant h l’influence anticriminelle du code. Ainsi non seulement les personnes se trouvant dans des etats con- fusionnels ou obnubiles ou souffrant de dClires qui leur don- nent des conceptions errodes du monde reel, mais aussi ceux qui se trouvent dans des Ctats Cmotionnels d’une grande intensite, dans des 6tats d’intoxication graves etc. sont plus ou moins rC- fractaires h l’influence du code.

En dehors des ,grands lCsCs c6rCbraux. chez qui les fonctions c6rCbrales sont entravees par des lesions massives, I’action inhi- bitrice du code est bloquCe dans chaque cas oh une surcharge cer6brale entrainant des Emotions fortes et des rCactions motrices subites et vCh6mentes oh le temps manque pour des considkra- tions sur la nature d’un ade et sur ses consCquences sociales et morales. *

Cela veut dire que cette action fait defaut precisement lh oh elle serait le plus nCcessaire.

L’activite‘ anticriminelle du code est-elle e‘gale d I’kgard de diff kents genres de crimes?

Pour rCpondre A cette question prenons d’abord comme exemple I’assassinat avec vol. Dans les pays dont le niveau de civilisation est celui qui se trouve dans 1’Europe occidentale, le nombre des individus qui ont seulement effleurC la pensee de commettre un tel crime est extrcmement restreint. Cela veut dire, je pense, que des hommes normaux et sains sont incapables

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dentrer dans une banque, tuer le caissier et enlever la caisse. Si l’on demandait h une centaine d’entre eux, si la raison pour la- quelle ils n’ont pas commis ou mCme pens6 h la possibilite de commettre un tel crime etait la crainte d’Ctre apprehendis et con- dam& ii des travaux forcCs h perpetuite, ils y repondraient tous par un mom decide. Probablement quelques-uns d’entre e m ajouteraient qu’ils eprouvent une desapprobation morale et une repugnance quasi physique si fortes envers de tels actes qu’elles seules y sont une barriere absolue et que le risque dune sanction ne contri,buerait point du tout ii leur resistance contre ce type de comportement.

En dehors du nombre dindividus pas tout ii fait insignifiant qui ont reellement commis un cambriolage, il y a sfirement un groupe d’hommes probablement plus grand pour qui ce type d’action ne serait pas impossible, mais pour qui le risque d’une sanction est une barriPre, ii moins que la pulsion ne soit trPs grande (un homme affame se trouvant dans un endroit desert oii il trouve une maison inhabitee qui lui donnerait un gite et peut- Ctre de la nourriture).

A l’ggard de l’avalanche des delits ,adrninistratifs, crCCs sous la pression des derangements recents de la vie economique, la r6sistance intcrieure est encore moindre, ce qui est prouve par le grand nombre de personnes qui sont punies pour de tels delits, nombre qui d’ailleurs est fort inferieur h celui des personnes les ay an t reellemen t commis .

I1 parait donc que plus un crime est grave, plus la resistance interieure est grande et, partant, moins l’influence anticriminelle du code est necessaire, tandis que la resistance interieure se 1-6- duisant h mesure qu’un dClit est insignifiant, la force inhibitrice est moins grande Ih o i ~ elle serait le plus utile.

Les mesures prises d I’e‘gard de criminels d‘un certain genre in- fluencent-elles d’autres personnes dispose‘es 2 commettre

des crimes d‘un autre genre? Pour repondre h cette question il faut recourir h des exemples

concrets. Si un tribunal a condamn6 un sujet qui a commis un in-

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ceste B une peine s6vPre, est-il probable qu’un autre sujet qui se trouve dans une situation precriminelle impliquant une pulsion vers le dClit de dCtournement, soit influencC par la peine in- fligee A l’incestueux ou B l’exemption de peine si celui-ci a CtC dklar6 malade d’esprit? Non, car dans les deux cas il se dirait que puisqu’il n’a jamais pens6 B commettre des actes incestueux, la manicre dont on traite de tels gens n’a rien B faire avec lui. C’est donc que le traitement d’un criminel n’influence pas des criminels Cventuels qu’B mesure que ceux-ci s’y identifient.

De mCme, si un assassin a Ct6 dCclart exempt de punition, un autre homme qui mCdite de commettre un assassinat ne comptera pas sur l’impunit6 au cas 06 il sera poursuivi, car il ne se regarde pas lui-mCme comme alien6 et ne profitera donc pas de l’im- punit6 accord6e aux malades mentaux.

Une diff6rence de situation sociale peut aussi influer sur l’at- titude de l’individu B 1’6gard du code.

Du c6tC juridique on a citC un criminel trPs connu dans les pays scandinaves comme une esece de paradigme pour dC- montrer la nCcessitC de faire valoir en pratique le principe de la soi-disant prkvention gCnCrale. I1 s’agit d’un homme qui Ctait depuis des annCes ministre de la justice et qui profitait de sa po- sition of ficielle pour s’approprier par des manipulations fraudu- leuses 7 B 8 millions de couronnes, c’est B dire plus d u n milliard de francs frangais actuels. Apr6s la dkcouverte de ses manoeuvres il ne serait plus dangereux, disait-on, puisque personne n’oserait faire des affaires avec lui. Cela Ctant, une peine ne serait pas nkessaire du point de vue pr6ventive individuelle. Alors est-ce qu’on devait s’abstenir de toute sanction au lieu de le condamner B une peine sCvPre?10

En soutenant I’opinion selon laquelle l’effet anticriminel dif- fus du code et de son application se ferait valoir surtout B l’Cgard de personnes se trouvant dans la mCme situation socio-Cconomi- que que le criminel, on aurait B se demander s’il Ctait nkessaire de frapper ce ministre de justice d’une punition s6vPre pour em-

lo En d a l i d il fut condamnt & des travaux forcCs pendant huit ans.

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pCcher d’autres ministres de faire des escroqueries semblables. I1 parait inutile de repondre B cette question.

Mais de quelle manicre des pauvres diables tent& de com- mettre des petites escroqueries B leur portee reagiraient-ils s’ils avaient su que le ministre avait CchappC B toute sanction? Est-il probable qu’ils se diraient qu’ils pourraient agir frauduleusement sans aucun risque puisque le ministre n’avait pas etC puni? Cer- tainement pas. 11s ne s’identifieraient pas avec le ministre, seule- ment ils citeraient, non sans une certaine amertume, la vieille rengaine des petits voleurs qui sont pendus et des grands qu’on Iaisse courir.

I1 reste une question pratique de premier ordre.

En quelle mesure /influence anticriminelle diffuse, attribue‘e ail

code pe‘nal, doit-elle gtre prise en conside‘ration 2 l’e‘gard de Papplication du code?

D’une manicre plus concrete cette question pourrait Ctre for- mulee ainsi:

1:o Est-il utile que des delinquants peu ou pas dangereux soient trait& plus durement qu’il ne faut pour faciliter leur re- adaptation B une vie conforme aux lois, afin de renforcer l’in- fluence anticriminelle diffuse suppoge du code penal? Si oui:

2:o Dans quels cas et en quelle mesure faut-il agir selon ce principe ?

ad 1. Comme j’ai tiiche de le montrer plus haut, des sujets dis- posCs B des actes delictueux sont influeniables par le code B mesure qu’ils sont mentalement sains et normaux, qu’ils s’identi- fient avec d’autres personnes ayant commis des actes du meme genre que ceux vers lesquels ils se sentent poussCs et que le code statue des sanctions B l’egard du meme genre d’actes qu’ils sont disposes B executer.

Si un alcoolique ixophdnique (&pileptoide,) et jaloux, jus- qu’ici impuni, tue sa femme ou sa maitresse pendant un accPs d e fureur, survenu dans quelques secondes aprb une dispute banale, le traitement rationnel serait de le dklarer exempt de punition et

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de le soumettre aux mesures prescrites par la loi sur le traitement des alcooliques qui permet un internement de trois ans maximum dans un etablissement pour les alcooliques. Est-il probable qu’en le condamnant i des travaux forces de plusieures annees on puisse emptcher dautres alcooliques ixophrkniques et jaloux de commettre de tels actes pendant des etats de fureur subits? Evi- demment non, car l’emotion qui monte comme une Cruption vol- canique est le signe de forces se ruant comme une avalanche qui balaie tout devant elle, ne laissant que destruction.

I1 serait facile de multiplier ‘les exemples mais cela ne pardt pas necessaire.

Pour les crimes retentissants, comme assassinats, meurtres, in- cendies volontaires, les grands vol avec sautage de coffre-forts, et d’autres crimes consider& graves (inceste, viol etc.) les peines infligees ou les mesures de sQrete appliquees sont en general si serieuses que la reaction individuelle contre les auteurs des crimes est suffisante pour rappeler au public les prohibitions sCveres sta- tuees par la loi et qui attendent ceux qui les enfreignent. La petite delinquance, d’autre part, est frCquente et appartient aux EvCne- ments de tous les jours et par ce fait elle n’attirepas l’attention du public. On sait que ces malfaiteurs sont punis ou soumis i d’autres mesures plus ou moins coercitives et on n’y pense pas beaucoup. Pour la plupart il ne s’agit pas, dans ces cas, de rendre plus sEv6res les reactions pour renforcer l’inf hence anticriminelle diffuse du code. I1 y a peut-Ctre une excepti0n.i cette regle, le sursis sans mesures coercitives daucune espece, mais ce probkme est trop vaste pour ttre trait6 ici.

ad 2. Selon mon exerience pratique des criminels et de leur traitement les cas sont tres r a m oh il serait approprie de rendre plus severe la reaction individuelle afin de renforcer l’influence anticriminelle diffuse du code.

Dans le cas du ministre de la justice que j’ai nommC plus haut il y avait en realit6 de trCs bonnes raisons pour le soumettre i une sanction serieuse. Comme l’ont montre ses actes criminels il avait un esprit frauduleux, c’est i dire un trait de caract6re dif- ficile i faire disparaitre. Encore qu’une fois dCmasqut il n’eQt

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pas pu voler des millions en employant les mCmes techniques qu’auparavant, il aurait certainement pu trouver d’autres moyens de s’approprier des biens d’autrui. Puis, il avait montre d’autre maniere qu’il Ctait un homme moralement froid et cynique, c’est ii dire un homme asocial ou antisocial. Cest donc une erreur de le considerer comme inoffensif. C’est pourquoi il fallait rOagir serieusement contre lui, independamment de toute consideration de la soi-disant prevention generale.

Rhrne‘ Cette etude bade sur une exgrience concrete et pratique mais

trop sommaire peut Ctre resumee ainsi. 1:o En parlant dune .prevention gCn6rale. sans y donner des

qualifications precises, l’on pose le problPme de maniere B rendre impossible toute reponse, affirmative ou negative. Si l’influence anticriminelle du code etait universelle il n’existerait pas de crimes. D’autre part, nier toute influence anticriminelle du code et de son application serait absurde. Puisque le terme de preven- tion g6nerale est errone et entretient des malentendus, il doit Ctre supprime dans le langage scientifique.

2:o Lorsque le code a une influence anticriminelle diffuse, c’est par le risque de sanction subjectif.

3 :o Son influence anticriminelle diffuse est limitee B certains groupes de citoyens.

4:o Elle est plus grande parmi les hommes mentalement normaux et sains et bien adapt& ii la vie sociale, c’est B dire lh oh elle est le moins utile. Elle est plus faible parmi les anormaux, les malades desprit et les ma1 adapt&, c’est B dire lii oii elle serait le plus nCc6ssaire.

5:o Pour que les hommes disposes ii commettre un certain genre de crimes soient influences par les sanctions appliquees B d’autres personnes qui ont commis les mCmes crimes, il faut qu’ils s’identifient avec elles B certains Cgards.

6:o L’influence anticriminelle diffuse du code, exercee par moyen d’une creation ou raffermissement des fonctions morales

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chet les citoyens, n’est possible qu’i mesure que les opinions morales exprimees par le code ne soient pas neutralisees par des opinions morales antagonistes repandues parmi les citoyens.

7 :o L’influence anticriminelle diffuse du code s’exerce surtout i mesure que les autorites auxquelles incombent la legislation et les dkisions concernant les moyens budgetaires necessaires aux fonctions de la politique criminelle, montrent par leur ac- tivite qu’elles prennent la criminalite au serieux et qu’elles font leur mieux pour la supprimer.

8:o En dehors des fonctions utiles du code et de ses agents pratiques, la legislation et son application peuvent produire des effets nuisibles i la moralitt du peuple et i l’obeissance aux lois, en statuant des sanctions contre des comportements neutres ou m h e meritoires ou en permettant aux tribunaux de rendre des arr6ts ma1 fond& pour favoriser des personnes agrkables au pou- voir exkutif ou pour rendre inoffensifs ceux qui lui deplaisent.

9:o A l’exception de quelques cas trks rares l’influence anticri- minelle diffuse du code est soutenue par un traitement des delin- quants i la fois rationnel, effectif et humanitaire.

Cela peut se faire de plusieurs manikres. a. En appliquant, chaque fois qu’un crime est commis et le cri-

mine1 poursuivi, la meilleure reaction individuelle et sociale qui soit i portee.

b. En ameliorant successivement le systPme de reactions vers le plus haut degre d’utilite.

c. En augmentant les ressources personnelles et techniques de la police afin de renforcer son activite anticriminelle, preventive et reparative.

d. En ameliorant les moyens curatifs et educateurs des Ctablis- sements de politique criminelle ainsi que les expedients et les mesures de traitement preventif ambulant et en eliminant autant que possible les conditions sociales favorisant la criminalite.

e. En ne permettant pas que des criminels connus aux autorites judicikres continuent pendant des mois ou des annees leur activite criminelle, sans qu’aucune mesure serieuse ne soit prise i leur egard.

L

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f. En hitant autant que possible d’adopter des mesures legis- latives qui peuvent faire croire au public que la sociCtC ne prend pas aus serieux la criminaliti.

En appliquant ainsi aux criminels des mesures pratiques suf fi- santes et rationnelles du point de vue privention individuelle on renforce aussi l’influence anticriminelle diffuse du code sauf dans des cas tout ii fait exceptionnels.