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RÉFLEXIONS SUR LA RECHERCHE DU PLEIN EMPLOI EN EUROPE Bertrand de Largentaye De Boeck Supérieur | Innovations 2006/1 - no 23 pages 70 à 77 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2006-1-page-70.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- de Largentaye Bertrand, « Réflexions sur la recherche du plein emploi en Europe », Innovations, 2006/1 no 23, p. 70-77. DOI : 10.3917/inno.023.0070 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h07. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h07. © De Boeck Supérieur

Réflexions sur la recherche du plein emploi en Europe

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RÉFLEXIONS SUR LA RECHERCHE DU PLEIN EMPLOI EN EUROPE Bertrand de Largentaye De Boeck Supérieur | Innovations 2006/1 - no 23pages 70 à 77

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2006-1-page-70.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------de Largentaye Bertrand, « Réflexions sur la recherche du plein emploi en Europe »,

Innovations, 2006/1 no 23, p. 70-77. DOI : 10.3917/inno.023.0070

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Réflexions sur la recherche du plein emploi en Europe

Bertrand de LARGENTAYE1 Association « Notre Europe »

Le chômage de masse menace la cohésion sociale européenne

Le chômage de masse est au centre des préoccupations de la population européenne : aux « trente glorieuses » ont succédé, en Europe, sauf exception, trente années de léthargie écono-mique. Les jeunes, même qualifiés, éprouvent des difficultés à trouver leur premier emploi : beaucoup doivent se contenter de situations précaires ou envisager l’expatriation. Les retraites anticipées, plus ou moins volontaires, sont légion, tout comme les temps partiels contraints, alors même que les intéressés sont dans la force de l’âge, et, dans le secteur privé, nombreux sont ceux qui vivent dans la hantise d’un dépôt de bilan ou d’une délocalisation. C’est sans doute la raison principale pour laquelle le projet européen qui, à tort ou à raison, est associé à cet état de fait, ne fait plus recette. L’atteinte la plus grave à la cohésion sociale européenne est assurément le chômage de masse. C’est en même temps la cause principale d’attitudes restrictives, frileuses, et pour tout dire manquant de dignité, à l’égard de l’immigration. Le grand défi pour l’Europe sociale est de faire reculer le chômage de masse et de favoriser la croissance dans les 25 pays membres de l’Union. La politique européenne de l’emploi à l’épreuve des faits

L’Europe a beaucoup fait avec ses fonds structurels et ses fonds régionaux pour atténuer le coût social, en termes de chômage en particulier, des grandes transitions économiques associées à l’exode rural et à l’urbanisation ou au déclin de certaines activités industrielles. Le Fonds Social Européen a repris les objectifs de la politique européenne de l’emploi dans le cadre de sa programmation pour la période 2000-2006. Des considérations liées à la situation de l’emploi ont concouru à faire accepter les réseaux transeuropéens et d’autres program-mes d’infrastructures, même si ces initiatives étaient d’abord motivées par la volonté de consolider le grand marché intérieur. Ce n’est que lorsque la question de l’emploi est posée en termes macroéconomiques et en termes de demande qu’on est conduit à critiquer l’action, ou plutôt l’inaction, de l’Union européenne. Comme Jean Pisani-Ferry l’écrivait il y a quelques mois

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…L’économie européenne va mal et les citoyens ne savent plus guère si l’Union fait partie du problème ou de la solution… La tension entre des objectifs légitimement ambitieux et des réali-sations plus que modestes est trop grande pour être soutenue longtemps. Soit les objectifs seront révisés en baisse – pour admettre que la croissance, l’emploi et la cohésion sociale sont fondamentalement des objectifs nationaux –, soit l’Union se dotera de moyens nouveaux au service des objectifs communs. L’économie de marché a triomphé mais sans parvenir à vaincre le chômage

La planification centrale a été défaite par l’économie de marché et le verdict est sans appel, du moins pour des éco-nomies ayant atteint un certain niveau de développement. Mais comme la première, contrairement à la seconde, était synonyme de plein emploi, il en est résulté, comme par association, un scepticisme encore plus marqué dans les esprits à l’égard de l’idée qu’il était possible de mettre fin aux loisirs forcés. Même les syndicats paraissent gagnés par la résignation. En Suède le parti social-démocrate, longtemps intransigeant en la matière, a tempéré récemment le niveau de ses aspirations. La planifica-tion centrale assurait le plein emploi et une grande stabilité des prix dans une économie où le rôle moteur revenait à l’offre. L’économie de marché s’est avérée plus performante sur la longue durée malgré le chômage qui lui était associé : en d’autres termes, la force de travail disponible n’était pas entièrement mobilisée, mais celle qui l’était, l’était davantage. La loi de l’offre et de la demande, et son expression, la liberté des prix, a établi sa supériorité pour allouer les ressources de manière à obtenir le meilleur rendement, mais l’économie de marché n’est pas parvenue pour autant à concilier stabilité des prix et plein emploi. Les raisons du succès relatif de la politique de l’emploi américaine

Depuis trente ans on assiste à une certaine divergence entre professions de foi affichées, et aussi entre politiques écono-miques effectivement appliquées, de part et d’autre de l’Atlan-tique. Du côté européen, la dérive est surtout manifeste dans les pays de la zone euro et du côté américain elle paraît plus pro-fondément marquée depuis qu’Alan Greenspan a pris la direc-tion des affaires monétaires. Quoi qu’il en soit, les résultats obtenus sur l’autre rive de l’océan sont nettement meilleurs que ceux que l’on observe sur celle-ci. On est dès lors tenté de chercher les raisons de cet état de fait, en se demandant s’il n’y

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a pas lieu de transposer ici tout ou partie de la théorie et de la pratique qui ont cours là-bas. Quelles sont les raisons qui expliquent le dynamisme américain et quelles sont les leçons que l’Europe pourrait en tirer ?

On notera d’abord que le plein emploi occupe une place plus centrale dans le dispositif juridique américain, qu’il s’agisse de la loi proprement dite ou des statuts du système fédéral de réserve, que dans son correspondant européen. Cela tient sans doute en partie à la conversion au keynésianisme des républi-cains. On se souviendra du Président Nixon affirmant « Nous sommes tous keynésiens maintenant » ou du qualificatif « tur-bokeynésianisme » appliqué à la politique budgétaire du Pré-sident Reagan. Les convictions qui se dégagent à la lecture des ouvrages de John Kenneth Galbraith ne sont pas étrangères à cette conversion spectaculaire des adversaires politiques. De fait, les raisonnements keynésiens, axés sur la gestion de la demande effective pour gouverner le niveau de l’emploi, ne prêtent plus vraiment à controverse aux Etats-Unis et le discrédit dans lequel y est tombée la loi de Say est complet. L’histoire économique américaine, en particulier celle de la fin du XIXème siècle et celle de la grande crise, a été marquée par des affrontements sérieux entre agriculteurs et petits entrepre-neurs, partisans de l’argent bon marché, et représentants des intérêts financiers et industriels, disposés, selon l’expression célèbre de William Jennings Bryan, « à crucifier l’humanité sur une croix en or », et ces conflits ont laissé des traces, qu’il s’agisse des lois anti-trust, de la loi Glass-Steagall restreignant l’activité des banques, qui n’a été abrogée que récemment, ou d’une réglementation sur les faillites beaucoup moins favorable aux créanciers qu’en Europe. L’expansion de l’économie amé-ricaine n’a pas été contrariée jusqu’à présent par l’existence d’une contrainte extérieure. L’attitude à l’égard du budget et des finances extérieures a été assez désinvolte, pour ne pas dire irresponsable (James Baker disait « le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème »). Le risque d’un dérapage des prix a été le seul frein que la recherche du plein emploi a trouvé sur sa voie aux Etats-Unis.

Une autre donnée à prendre en considération est le caractère moins rigide, plus flexible, de l’offre de travail, et donc de la notion de plein emploi elle-même, aux Etats-Unis, en raison de l’existence d’un important réservoir de main-d’œuvre en Amé-rique latine et ailleurs. Aux Etats-Unis une bonne conjoncture a pour effet d’encourager l’immigration, ce qui correspond à un relèvement du plafond qu’est censé représenter le plein emploi. Et puis, la simple conviction que les pouvoirs publics se sont fixé pour objectif le plein emploi et entendent mettre en œuvre les moyens d’y parvenir produit des effets bénéfiques, en ce

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sens qu’elle doit normalement inciter les particuliers à réduire leur épargne de précaution : la propension à consommer s’en trouve renforcée d’autant et l’emploi stimulé. L’Europe aux prises avec le chômage de masse

L’univers intellectuel dans lequel baigne l’Europe économi-que depuis trente ans est un univers bien différent : c’est un univers néoclassique. Nous sommes loin des « trente glorieu-ses », époque marquée par le dirigisme et le pragmatisme, par le plein emploi et peut-être même par le suremploi, si l’on en juge d’après le nombre d’immigrés, mais aussi par une certaine désinvolture à l’égard de la monnaie, dont la stabilité interne et externe n’était pas la première préoccupation des dirigeants : l’heure était à la reconstruction et à l’équipement du territoire. Les critères de Maastricht et ceux du pacte de stabilité, les statuts de la Banque Centrale Européenne, sont l’expression d’une conception tout autre des équilibres économiques, une conception néoclassique où le plein emploi est présumé ou oublié. La manière de voir de la Bundesbank a prévalu.

La politique des taux d’intérêt de la Banque Centrale Euro-péenne a été nettement moins entreprenante, nettement moins interventionniste, que ne l’a été celle de la Fed, ce qui traduit une attitude plus détachée, ou plus sceptique, à l’égard de toute idée d’action sur le niveau de la demande effective. On ne peut trop le lui reprocher dans la mesure où elle ne faisait à son sens que se conformer à ses statuts, qui lui fixaient comme mission d’assurer la stabilité des prix. Or si l’Allemagne était au bord de la déflation, d’autres membres de la zone euro affichaient des taux de hausse des prix nettement supérieurs au niveau de référence de 2%, et l’opinion qui prévalait à Francfort était qu’une baisse des taux d’intérêt ne ferait qu’attiser cette hausse, malgré l’existence de facteurs de production inemployés. Pour déterminer sa politique du taux d’intérêt, la BCE pensait ainsi se trouver en situation de devoir rendre un arbitrage. Cette position fut vivement contestée par Oskar Lafontaine, au point qu’il ne tarda pas à remettre sa démission.

Le gouvernement de la monnaie européenne n’est pas en prise sur la conjoncture comme l’est le gouvernement du dollar sous Alan Greenspan. James Galbraith développe dans une étude récente l’idée que les règles qui gouvernent actuellement l’euro expliquent la faiblesse de la croissance économique dans la zone du même nom. Il trouve là la justification a contrario du combat qu’il a mené en son temps aux Etats-Unis pour empê-cher que la Fed ne reçoive un mandat comparable et voie sa responsabilité limitée à la seule défense de la stabilité des prix. Pour Jacques Delors, l’erreur a consisté à ne pas tenir l’enga-

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gement implicite contenu dans l’appellation union économique et monétaire : si l’Europe s’est bien dotée d’une monnaie commune, elle est loin de disposer de ce gouvernement écono-mique qui aurait dû être son pendant. L’Europe, dit-il, ne mar-che que sur une jambe. Représentant à peine 1% de la somme des produits nationaux, le budget européen n’a pas la dimen-sion requise pour peser sur la conjoncture et ne peut donc faire partie du « policy mix » approprié pour redresser la situation de l’emploi. L’effet de masse nécessaire lui fait défaut. Dès lors la solution réside dans la coordination des politiques budgétaires nationales.

Jacques Delors s’est prononcé en faveur d’un pacte de coopération des politiques économiques qui prendrait place à côté du pacte de stabilité et de croissance et qu’on pourrait bien imaginer dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. On notera incidemment, après les avatars de l’année passée, que la né-cessité de réformer ce dernier en profondeur ne fait plus de doute : le pacte de stabilité n’a de sens et ne peut être défendu que s’il se présente comme un instrument anti-cyclique, on en est aujourd’hui convaincu, alors que ceux qui l’ont conçu ne semblent pas l’avoir été. Encore convient-il de ne pas s’arrêter à mi-chemin : l’idée selon laquelle des excédents budgétaires en période de crois-sance devraient servir en priorité à amortir la dette n’est pas recevable tant que le niveau de la production reste éloigné du plein emploi. La réforme du pacte de stabilité et de croissance sera sans doute à l’ordre du jour de la pro-chaine présidence, celle du Luxembourg, qui commence le pre-mier janvier 2005. Mais, en revenant à l’analogie de la jambe manquante, il faut bien reconnaître que le traité constitutionnel européen, qui devrait être signé le mois prochain à Rome, n’a pas fait avancer la cause de l’union économique : sur le volet fiscal en particulier le blocage est complet. Plein emploi et stabilité des prix, deux objectifs qui paraissent difficiles à concilier en économie de marché avec la monnaie actuelle

Il serait opportun de revenir à la Théorie Générale en se posant quelques questions sur son actualité. L’impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement, davantage de ce côté ci de l’Atlantique que de l’autre, résulte de la difficulté qu’il y a à concilier deux objectifs de politique économique, plein emploi et stabilité des prix, dans le cadre d’une économie de marché. Un sigle barbare, le NAIRU ou « non accelerating inflation rate of unemployment », a même été créé pour ca-ractériser cette incompatibilité. De fait, on constate que les marchés deviennent nerveux lorsque le taux de chômage descend en dessous de 5-

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6% et on ne peut que louer le courage d’Alan Greenspan et du Président Clinton qui ont persévéré et ont réussi un moment à le faire passer sous la barre des 4%. De fait, une certaine stabilité des prix est nécessaire au bon fonctionnement d’une économie de marché et elle est certai-nement une des revendications premières des établissements financiers, et, plus généralement, des créanciers. Keynes vers la fin de sa vie aurait concédé qu’un taux de chômage de 5% était le prix de la liberté, en d’autres termes que la Théorie Générale ne permettait pas d’atteindre l’objectif qu’elle s’était fixée.

Les espoirs suscités allaient être déçus, de l’aveu même de l’auteur. Ce qui est clair, c’est que dans les situations où le plein emploi est un impératif national, comme c’est le cas en situation de guerre où un pays doit mobiliser toutes ses res-sources parce que sa survie est en jeu, la liberté économique et l’orthodoxie financière se trouvent rapidement mises entre parenthèses. John Kenneth Galbraith en sait quelque chose, lui qui était chargé d’administrer les prix aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale. On rappellera en passant que c’est au conflit, et non au New Deal, que les Etats-Unis doivent d’être sortis de la grande crise. Une remise en cause de la nature de la monnaie

On est en droit de se demander si la grande incompatibilité indiquée ne tient pas à la nature de la monnaie qui est la nôtre, une monnaie non gagée, une monnaie de crédit. Le caractère arbitraire du niveau général des prix est déjà clairement pour sa part un reflet de cette réalité : si la monnaie était gagée, les prix seraient dérivés des coûts de production de l’étalon monétaire et ne seraient pas susceptibles de varier comme ils le font sous le régime actuel. Avec la monnaie qui est la nôtre aujourd’hui, le niveau général des prix est dépourvu de point d’ancrage. La Théorie Générale, c’est son originalité et son intérêt, est d’a-bord une théorie de la monnaie de crédit. Avec une monnaie de ce type, on aboutit au renversement de grandes relations de causalité : ce sont les crédits qui font les dépôts, et non l’in-verse, et c’est l’investissement qui créé et détermine l’épargne, contrairement à ce qu’enseigne la théorie classique. Avec la monnaie actuelle l’acte d’épargne est un acte stérile, en ce sens qu’il ne contribue pas à la demande effective et qu’il pèse par conséquent sur l’emploi. En première analyse, il n’a aucune incidence sur l’épargne collective, puisque celle-ci, encore une fois, est déterminée par le volume de l’investissement. Les repères moraux traditionnels sont bousculés pour ne pas dire anéantis : si l’on assimile l’acte d’épargne à un acte de vertu, on est conduit avec Mandeville et sa fable des abeilles, à conclure

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que l’acte de vertu individuel conduit à la misère col-lective, et qu’il faut au contraire encourager les comportements dispendieux si l’on veut maintenir la ruche en activité. Avec une monnaie de crédit, la masse monétaire ne constitue pas une réserve d’épargne. Il suffit pour s’en persuader de constater que, si tous les crédits étaient remboursés, les dépôts dispa-raîtraient : la désépargne des uns, les emprunteurs, détenteurs de crédits, est la contrepartie de l’épargne des autres, les dépo-sants.

Sur le plan international, le fait que la monnaie de réserve soit elle-même une monnaie de crédit, aujourd’hui le dollar, demain, peut-être, l’euro, n’est pas innocent : il incite les pays autres que le pays émetteur à accumuler des créances, tandis que le pays d’émission, lui, découvre les avantages de la vie à crédit. Le système est vicié dans la mesure où il conduit à la situation que nous connaissons aujourd’hui, où le pays le plus riche du monde affiche un déficit de sa balance des transactions courantes de plus de 500 milliards de dollars, tandis que des pays beaucoup moins bien équipés, notamment sur le continent africain, enregistrent des excédents et jouent donc, objective-ment, le rôle de financiers du premier. C’est pour proposer un ordre plus rationnel et plus juste que trois grands économistes, Hart, Tinbergen et Kaldor, ont présenté aux Nations unies, il y a quarante ans en 2004, un rapport où ils se faisaient les avocats d’une monnaie internationale assise sur un étalon composite, formé de produits de base. Le moment est peut-être venu, dans le cadre d’une refonte du système des Nations unies, et de la globalisation, de reprendre l’examen de ce projet de monnaie marchandise. En attendant cette révolution monétaire, comment rendre la politique européenne de l’emploi plus efficace ?

Le rapport de James Galbraith et d’Enrique Garcilazo1 sur le chômage, l’inégalité et la politique de l’Europe de 1984 à 2000 montre de manière assez convaincante que la clef d’une meilleure situation de l’emploi ne réside pas là où l’OCDE, le Fonds monétaire et le Trésor américain voudraient le situer, c’est-à-dire dans une déréglementation, ou une plus grande flexibilité du marché du travail, qui se traduirait par de plus grandes inégalités économiques et sociales. Les deux auteurs se réfèrent à un rapport établissant une corrélation positive entre négociation de conventions collectives et emploi. Ils montrent

1 James Galbraith and Enrique Garcilazo, Unemployment, Inequality and the Policy of Europe, 1984-2000, Banca Nazionale del Lavoro Quarterly Review, vol. LVII, n°228, March 2004, 3-28.

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que, toutes choses égales d’ailleurs, les régions où les éventails de salaires sont le moins ouverts sont aussi les régions les moins affectées par le chômage. L’égalité économique favorise l’emploi, de même que le caractère plus sédentaire d’une population déterminée le défavorise.

Il faut équilibrer les réflexes financiers orthodoxes de l’au-torité monétaire par les positions plus dynamiques, sans doute plus risquées mais aussi et surtout plus démocratiquement responsables que les autorités économiques sont conduites à prendre. Jacques Delors parle de la dialectique fructueuse qui peut et doit s’instaurer entre les deux. Les grandes orientations de la politique économique ne doivent pas résulter, par défaut, de la seule volonté de la banque centrale. Dans la zone euro, il faut parvenir sans tarder, par le biais sans doute d’une coopé-ration renforcée, à cette coordination des politiques écono-miques dont il a été question plus haut et qui permettrait d'établir l'équilibre souhaité.

Sur un plan plus particulier on peut considérer que l’eutha-nasie du rentier est moins avancée en Europe qu’aux Etats-Unis. Peut-être faudrait-il emprunter certaines recettes à l’autre rive de l’Atlantique pour favoriser davantage la consommation et l’investissement et pour réduire la propension à l’épargne. On peut penser par exemple à un développement du recours aux prêts hypothécaires et à une révision de la législation sur les faillites.

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