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9 société système de santé Actualités pharmaceutiques n° 509 Octobre 2011 Le chantier de la réforme du circuit du médicament et du dispositif de pharmacovigilance est engagé. Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand a présenté, début août, au Conseil des ministres le projet de loi qui sera débattu au Parlement, à la lumière de six rapports sur le Médiator ® , dont ceux de l’Assemblée nationale et du Sénat. R ebâtir un nouveau système du médicament et de sécurité sani- taire afin de ne plus connaître un drame comme celui du benfluorex, tel est l’objectif de Xavier Bertrand, ministre de la Santé. Pour rappel, cette molécule anorexigène commercialisée sous le nom de Médiator ® est accusée d’avoir tué au moins 500 personnes dans l’Hexagone, à la faveur d’une succession de défaillan- ces systémiques dans la chaîne du médicament. Ambition ? Tout remettre à plat. Le ministre l’a réaffirmé à l’issue des travaux des Assises du médicament. Pilotées par Édouard Couty, rapporteur général, ces dernières ont tiré les consé- quences du premier rapport choc de l’Inspection générale des affaires socia- les (Igas) qui avait, en janvier 2011, « mis en évidence des dysfonctionnements dans notre police du médicament » qua- lifiés de « graves ». Les Assises formulent 125 propositions destinées à « rendre notre système plus sûr, plus éthique, plus transparent, plus réactif, plus efficient ». Au total, outre celui des Assises 1 , cinq autres rapports, souvent convergents, sont parus. Du côté des parlementaires, citons celui des députés de la mission pilotée par Gérard Bapt (PS, Haute- Garonne), président, et Jean-Pierre Door (UMP, Loiret ), rapporteur, intitulé Médiator ® : comprendre pour réagir, et qui développe 55 propositions 2 . Mais aussi celui des sénateurs, conduit par François Autain (PC, Loire-Atlantique), président, et Marie-Thérèse Hermange (UMP, Paris), rapporteur : La réforme du système du médicament, enfin, qui fait 65 recommandations 3 . S’ajoutent les rap- ports 1 et 2 de l’Igas 4, 5 et celui des profes- seurs Bernard Debré et Philippe Even 6 . Une réforme d’ampleur Le ministre a, quant à lui, produit son projet de loi en vue d’une “réforme d’ampleur”, lundi 1 er août, lors du dernier conseil des ministres avant la trêve esti- vale. Principe cardinal ? Le doute doit systématiquement bénéficier au patient. Un texte discuté, en cette rentrée, devant les députés en session extraordinaire, puis par le Sénat. Que retiendra la future loi prévue d’ici à la fin de l’année ? Cohérence et transparence du circuit du médicament Le ministre vise tout d’abord la cohé- rence et la transparence du circuit du médicament. Ce dont nul ne conteste la nécessité. Credo ? Clarifier les responsa- bilités et affirmer le retour du politique sur le devant de la scène. « Même si, dit-il, l’expertise apportée par les agences sanitaires est indéniable, il n’en reste pas moins que c’est le politique qui est rede- vable devant les citoyens des décisions prises ». D’où un comité stratégique de la politique des produits de santé et de la sécurité sanitaire qui serait appelé à se réunir chaque semaine en comité opéra- tionnel avec un représentant du ministre, et, tous les trimestres, en comité straté- gique sous la présidence du ministre lui- même. Les agences et administrations concernées seront parties prenantes, ce qui répond au besoin d’une task force réclamée par le rapport Door-Bapt afin de remédier à un « cloisonnement excessif et une relative inefficacité des autorités de santé ». Les instances intervenant dans le circuit du médicament sont sur la sel- lette, à l’instar de l’établissement public créé en 1998, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), puisqu’il délivre, suspend, retire l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et, avec sa commission de pharmacovigilance, éva- lue les informations sur les effets indé- sirables des médicaments. « Plus qu’un changement de structures, un changement culturel doit s’opérer » assène le rapport des sénateurs. La mission des députés en appelle à « une rénovation interne de chaque autorité plus qu’à un remodelage institutionnel ». Clarification des rôles et missions des institutions Xavier Bertrand propose que chaque institution voie ses rôles et missions clai- rement définis. Dans le cas de l’Afssaps, cela commence par un changement de nom : elle deviendra l’Agence nationale de sécurité du médica- ment (ANSM). Cela s’accompagne d’une modification de son mode de financement qui ne passera plus par le versement direct de l’industrie pharmaceutique mais tran- sitera par celui des subventions de l’État. Les députés en font leur proposition n° 1. L’objectif est de soustraire l’ANSM à l’em- prise des fabricants de médicaments qui usent de leur stratégie d’influence pour obtenir l’AMM. La déconnexion va jusqu’au débusquage des éventuels liens d’intérêts que peut nouer tout acteur du monde de la santé, notamment les experts aussi bien externes qu’internes aux agences. Il en va de la qualité et de la crédibilité de l’expertise sanitaire qui, comme le dit l’Igas, « dépend de son impartialité et de la garantie que celle-ci ne résulte pas d’une analyse biai- sée ». Afin d’y parer, le ministre va générali- ser la mise en place d’un formulaire unique Réforme du médicament : vers un système plus sûr, réactif, éthique, transparent, efficient © Sipa/Witt Xavier Bertrand.

Réforme du médicament : vers un système plus sûr, réactif, éthique, transparent, efficient

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système de santé

Actualités pharmaceutiques n° 509 Octobre 2011

Le chantier de la réforme

du circuit du médicament et du

dispositif de pharmacovigilance

est engagé. Le ministre

de la Santé, Xavier Bertrand

a présenté, début août,

au Conseil des ministres

le projet de loi qui sera débattu

au Parlement, à la lumière

de six rapports sur le Médiator®,

dont ceux de l’Assemblée

nationale et du Sénat.

Rebâtir un nouveau système du médicament et de sécurité sani-taire afin de ne plus connaître un

drame comme celui du benfluorex, tel est l’objectif de Xavier Bertrand, ministre de la Santé. Pour rappel, cette molécule anorexigène commercialisée sous le nom de Médiator® est accusée d’avoir tué au moins 500 personnes dans l’Hexagone, à la faveur d’une succession de défaillan-ces systémiques dans la chaîne du médicament. Ambition ? Tout remettre à plat. Le ministre l’a réaffirmé à l’issue des travaux des Assises du médicament. Pilotées par Édouard Couty, rapporteur général, ces dernières ont tiré les consé-quences du premier rapport choc de l’Inspection générale des affaires socia-les (Igas) qui avait, en janvier 2011, « mis en évidence des dysfonctionnements dans notre police du médicament » qua-lifiés de « graves ». Les Assises formulent 125 propo sitions destinées à « rendre notre système plus sûr, plus éthique, plus transparent, plus réactif, plus efficient ».Au total, outre celui des Assises1, cinq autres rapports, souvent convergents, sont parus. Du côté des parlementaires, citons celui des députés de la mission pilotée par Gérard Bapt (PS, Haute-Garonne), président, et Jean-Pierre Door (UMP, Loiret ), rapporteur, intitulé

Médiator® : compren dre pour réagir, et qui développe 55 propositions2. Mais aussi celui des sénateurs, conduit par François Autain (PC, Loire-Atlantique), président, et Marie-Thérèse Hermange (UMP, Paris), rapporteur : La réforme du système du médicament, enfin, qui fait 65 recommandations3. S’ajoutent les rap-ports 1 et 2 de l’Igas4, 5 et celui des profes-seurs Bernard Debré et Philippe Even6.

Une réforme d’ampleurLe ministre a, quant à lui, produit son projet de loi en vue d’une “réforme d’ampleur”, lundi 1er août, lors du dernier conseil des ministres avant la trêve esti-vale. Principe cardinal ? Le doute doit systématiquement bénéficier au patient. Un texte discuté, en cette rentrée, devant les députés en session extraordinaire, puis par le Sénat. Que retiendra la future loi prévue d’ici à la fin de l’année ?

Cohérence et transparence du circuit du médicamentLe ministre vise tout d’abord la cohé-rence et la transparence du circuit du médicament. Ce dont nul ne conteste la nécessité. Credo ? Clarifier les responsa-bilités et affirmer le retour du politique sur le devant de la scène. « Même si, dit-il, l’expertise apportée par les agences sanitaires est indéniable, il n’en reste pas moins que c’est le politique qui est rede-vable devant les citoyens des décisions prises ». D’où un comité stratégique de la politique des produits de santé et de la sécurité sanitaire qui serait appelé à se réunir chaque semaine en comité opéra-tionnel avec un représentant du ministre, et, tous les trimestres, en comité straté-gique sous la présidence du ministre lui-même. Les agences et administrations concernées seront parties prenantes, ce qui répond au besoin d’une task force réclamée par le rapport Door-Bapt afin de remédier à un « cloisonnement excessif et une relative inefficacité des autorités de santé ».

Les instances i n t e r v e n a n t dans le circuit du médicament sont sur la sel-lette, à l’instar de l’établis sement public créé en 1998, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), puisqu’il délivre, suspend, retire l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et, avec sa commis sion de pharmacovigilance, éva-lue les informations sur les effets indé-sirables des médicaments. « Plus qu’un changement de structures, un changement culturel doit s’opérer » assène le rapport des sénateurs. La mission des députés en appelle à « une rénovation interne de chaque autorité plus qu’à un remodelage institutionnel ».

Clarification des rôles et missions des institutionsXavier Bertrand propose que chaque insti tu tion voie ses rôles et missions clai-rement définis.Dans le cas de l’Afssaps, cela commen ce par un changement de nom : elle deviendra l’Agence nationale de sécurité du médica-ment (ANSM). Cela s’accompagne d’une modification de son mode de financement qui ne passera plus par le versement direct de l’industrie pharmaceutique mais tran-sitera par celui des subventions de l’État. Les députés en font leur proposition n° 1. L’objectif est de soustraire l’ANSM à l’em-prise des fabricants de médicaments qui usent de leur stratégie d’influence pour obtenir l’AMM. La déconnexion va jusqu’au débusquage des éventuels liens d’intérêts que peut nouer tout acteur du monde de la santé, notamment les experts aussi bien externes qu’internes aux agences. Il en va de la qualité et de la crédibilité de l’expertise sanitaire qui, comme le dit l’Igas, « dépend de son impartialité et de la garantie que celle-ci ne résulte pas d’une analyse biai-sée ». Afin d’y parer, le ministre va générali-ser la mise en place d’un formulaire unique

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Xavier Bertrand.

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de déclaration publique d’intérêts (DPI), systématiquement rempli auprès de chaque instance d’expertise sanitaire qui devra dis-poser d’une cellu le de déontologie pour les gérer et les contrôler. L’ensemble des DPI pourra être consulté sur base de données publique. L’heure sera à la transparence totale pour toutes les conventions et rétri-butions passées entre les laboratoires, les médecins, les experts, la presse spécialisée, les sociétés savantes et les associations de patients. D’autant que chaque industriel devra, en miroir, publier les informations sur son site. En cas de non-respect de ce “Sunshine Act à la française”, des sanctions tomberont, « à commencer par l’impossi-bilité de siéger dans les commissions ». Celles-ci allant être, par ailleurs, renforcées par des personnalités qualifiées, de spéciali-tés médicales autres que celles directement concernées par le médicament étudié, tout en évitant une dilution des responsabilités.La transparence des décisions devient la règle. Xavier Bertrand veut renforcer la col-légialité des travaux des agences et assu-rer la publicité des débats. Il entend éga-lement renforcer les capacités d’exper tise interne aux agences, notamment à l’ANSM (recrutement d’une vingtaine d’experts de haut niveau – pharmaco logues, épidémio-logistes, statisticiens).

Du nouveau pour l’autorisation de mise sur le marchéL’autre pilier de la réforme est la rénovation de l’attribution de l’AMM et de son suivi « tout au long de la vie du médicament » que Xavier Bertrand veut exigeante.En concordance avec les rapports Door-Bapt et Debré-Even, il retient la réalisation d’essais cliniques contre-comparateurs actifs avec le médicament de référence lorsqu’il existe. Il veut faire intervenir le critè re de la valeur ajoutée thérapeutique. À la clé ? Pas d’AMM pour le médicament qui ne démontrerait pas sa supériorité par rapport aux alternatives thérapeutiques rembour sa bles déjà sur le marché. En cas de service médical rendu insuffisant (SMRI), le médicament ne devrait plus être rem-boursé (sauf avis contraire du ministre).Quant aux prescriptions hors AMM, dont les risques ont été mis en lumière avec le Médiator®, elles ne seront pas interdites,

mais appelées à rester “exceptionnel-les”. La mention « hors AMM » devra être explicite sur l’ordonnance. Aux yeux de Xavier Bertrand, les logiciels d’aide à la prescription (LAP) certifiés Haute Autorité de santé (HAS), deviennent capitaux pour aider les professionnels à distinguer les indications relevant de l’AMM et celles qui sont hors AMM.

Simplification du suivi du médicament Le suivi du médicament tout au long de sa “vraie vie” implique une surveillance de ses éventuels effets indésirables.Le ministre entend, pour se faire, favori-ser et simplifier leur notification, protéger les lanceurs d’alertes et leur assurer un retour systématique en cas de signale-ment. Les médicaments sous surveillan ce particulière figureront sur internet, sur une liste régulièrement mise à jour moyennant une grille de lecture plus fonctionnelle. Des pictogrammes identifieront les boîtes visées. Par ailleurs, les échanges seront institutionnalisés entre ANSM, méde-cins et pharmaciens pour les décisions importantes.

Évaluation renforcée du rapport bénéfice/risque des médicamentsL’évaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments sera de règle. À commencer par les plus anciens qui passeront au tourniquet de la réévaluation menée par une commission mixte béné-fice/risque créée à l’ANSM. L’industriel qui ne respecterait pas les délais des études, y compris pour un générique, s’exposera à des sanctions.Tous les rapports font de l’information et de la formation un sujet majeur. Un portail public du médicament sera créé, regrou-pant les informations de l’ANSM, de la HAS et de l’Assurance maladie.

Meilleure connaissance du médicament La connaissance du médicament et de la pharmacovigilance sera renforcée dans les formations (initiale et continue) des prescripteurs. Xavier Bertrand entend sortir les étudiants de l’emprise des

industriels. Comment ? En interdisant les financements par les laboratoires dans le cadre des études.Quant à la formation continue des libéraux de santé et des hospitaliers, elle sera pour partie financée « par un prélèvement venant de l’industrie pharmaceutique ».

Visite médicale sur la selletteSe joue aussi le sort de la visite médicale (VM) et de ses 18 000 visiteurs auxquels les laboratoires ont recours afin de promouvoir leurs médicaments auprès des médecins.Aux yeux des Assises du médicament, leur action est « peu satisfaisante au regard du bon usage du médicament ». En tout cas, la VM divise : les uns veulent l’améliorer tandis que d’autres préfére-raient la supprimer.Sera-t-elle revue de fond en comble, par étapes, de façon expérimentale dans un premier temps, comme l’envisage Xavier Bertrand, en la limitant, à l’hôpital, au seul cadre collectif avant extension éven-tuelle à la médecine de ville ? Ou sera-t-elle transférée à la HAS comme le préconise le Sénat ? L’automne sera crucial. �

Serge Benaderette

Journaliste, Paris (75)

[email protected]

Références1. Les Assises du médicament. Rapport de synthèse, 23 juin 2001. www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_de_synthese_des_assises_du_medicament-4.pdf

2. Rapport adopté lors de la réunion de la mission d’information sur le Médiator® et la pharmacovigilance du 15 juin 2011. www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/cr-soc/10-11/c1011054.pdf

3. Rapport d’information n° 675 (2010-2011), fait au nom de la mission commune d’information sur le Médiator®, déposé le 28 juin 2011. www.senat.fr/rap/r10-675-1/r10-675-1.html

4. Morelle A, Bensadon AC, Marie E. Enquête sur le Médiator®. Inspection générale des affaires sociales, janvier 2011.

5. Bensadon Ac, Marie E, Morelle A. Rapport sur la pharmacovigilance et gouvernance de la chaine du médicament. Inspection générale des affaires sociales, 21 juin 2011.

6. Debré B, Even P. Rapport de la mission sur la refonte du système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments, le 17 mars 2011.