20
11 e édition du Congrès Africain des Juristes d’Affaires (COJA 2018) Dakar, Sénégal, 26 - 28 juin 2018 LE DROIT OHADA EVALUE PAR SES UTILISATEURS : APPORTS, DIFFICULTES PRATIQUES, PROPOSITIONS DE REFORMES Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales) Par EYIKE-VIEUX Magistrat, Ecrivain, Sous-directeur de la législation pénale au ministère de la justice (Yaoundé, Cameroun)

Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

  • Upload
    others

  • View
    13

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

11e édition du Congrès Africain des Juristes d’Affaires

(COJA 2018)

Dakar, Sénégal, 26 - 28 juin 2018

LE DROIT OHADA EVALUE PAR SES UTILISATEURS :

APPORTS, DIFFICULTES PRATIQUES, PROPOSITIONS DE REFORMES

Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)

Par EYIKE-VIEUX

Magistrat, Ecrivain,

Sous-directeur de la législation pénale au ministère de la justice (Yaoundé, Cameroun)

Page 2: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

2

« Ubi homo ibi societas et ubi societas ibi jus. »1 « Jus est ars boni et aequi. »2 Ces deux assertions

démontrent, à n’en pas douter, que le droit est une composante essentielle de la vie humaine. Tenant

compte de cette vérité universelle, certains pays africains ont, le 17 octobre 1993, signé, à Port Louis

(Ile de Maurice), le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, entré en vigueur le

18 septembre 19953. Ce Traité est « l’acte de naissance » de l’Organisation pour l’harmonisation en

Afrique du droit des affaires, communément appelée droit OHADA. Parlant en parfait connaisseur de

cette Organisation, le Président Kéba Mbaye - de glorieuse mémoire - a dit «qu’elle est un outil juridique

imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance »4.

Entre autres institutions chargées de la réalisation de ce vaste programme, figure, en bonne

place, la justice. Institution louée un instant, décriée l’instant d’après, selon les opinions des uns et des

autres, la justice est cependant irremplaçable en ce sens qu’elle est un vecteur de paix sociale et de

développement économique. Pour le Prophète Esaïe, « L’œuvre de la justice sera la paix, et le fruit de la

justice le repos et la sécurité pour toujours. »5 La voilà appelée, depuis bientôt vingt-cinq ans, à favoriser

l’intégration économique et la croissance de l’Afrique, pour reprendre ces propos non moins

prophétiques du Président Kéba Mbaye.

Cette justice est rendue aussi bien par la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) que

par les juridictions nationales de l’espace OHADA, chargées, chacune en ce qui la concerne,

d’interpréter et d’appliquer les Actes uniformes OHADA qui, très souvent, posent d’énormes

problèmes juridiques. Certains de ces problèmes ont déjà été résolus par la jurisprudence des

juridictions susdites6 (I) ; d’autres ne le sont pas encore ou alors ont reçu des esquisses de solutions à

la suite de nombreuses explorations et constructions jurisprudentielles (II). Il existe aussi, hélas, des

conflits entre la CCJA et certaines juridictions nationales (III).

I - Les problèmes juridiques posés par le droit OHADA et résolus par la jurisprudence

Ils sont nombreux. Nous en avons choisi quelques-uns seulement, au hasard de la fourchette.

Ce sont : la désambiguïsation de la notion de « juridiction compétente statuant à bref délai » visée à

l’article 133 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AUDCG) (A), la détermination

de la juridiction compétente pour liquider astreintes (B), la nature juridique du commandement en

matière de saisie mobilière (C) et l’état de la question sur la suspension de l’exécution provisoire ou

les suites de l’arrêt dit des époux Karnib (D).

1 « Là où il y a un homme, il y a une société et là où il y a une société, il y a le droit. » 2 « Le droit est l’art du bien et du juste. » 3 Ce Traité a été révisé à Québec le 17 octobre 2008 et est entré en vigueur le 21 mars 2010. 4 Préface de « OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés », Juriscope, 5ème édition, 2016, p. 7. 5 Chapitre 32, verset 17, in La Sainte Bible, version Louis Segond. 6 S’exprimant le 22 août 2014 lors de la cérémonie de dédicace du CODE BLEU, Marcel Sérékoïsse-Samba, ex-Président de la CCJA, a

dit que sur 100 affaires connues par cette juridiction, 79 proviennent de Douala, sur un total de 80 pour tout le Cameroun. Dans une interview

accordée aux journaux Cameroon Tribune (n°10710/6909 du 05 novembre 2014, p. 4) et Le Messager (n°4200 du 06 novembre 2014, p.

11), il a précisé que « Le Cameroun fait partie des deux plus gros pourvoyeurs de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage […], en

dossiers, après la Côte d’Ivoire dont les justiciables ne se déplacent pas. Mais, en pays lointain, c’est le Cameroun qui fournit le maximum

de dossiers à la Cour. » Les juridictions camerounaises, de manière générale, celles de Douala, particulièrement, sont donc une belle vitrine

à travers laquelle on peut observer la mise en application du droit de l’OHADA.

Page 3: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

3

A- La clarification de la notion de « juridiction compétente statuant à bref délai » visée

à l’article 133 de l’AUDCG

Cette notion apparaît aussi bien dans l’article 133 de l’AUDCG que dans beaucoup d’autres

articles d’autres Actes uniformes7. Mais, que ce soit devant la CCJA ou devant les juridictions

nationales, le débat porte beaucoup plus sur le bail à usage professionnel, notamment sur les

dispositions des alinéas 3 et 4 de l’article 133. Interprétant et appliquant ces dispositions, certains juges

ont soutenu que la notion de « juridiction compétente statuant à bref délai » y visée renvoyait au juge des

référés8. D’autres, se fondant sur les prescriptions légales qui interdisent au juge des référés de

préjudicier au principal, ont contesté la compétence de ce dernier en la matière9 en retenant plutôt

celle du juge du fond10. D’autres encore ont cru qu’il s’agissait d’une juridiction spéciale11.

A un moment donné, l’unanimité a semblé se faire autour de l’idée qu’il pouvait s’agir soit du

juge du fond, soit du juge des référés (en cas de clause résolutoire de plein droit insérée dans le bail,

ce juge se bornant tout simplement à constater la résiliation de plein droit dudit bail et à ordonner, le

cas échéant, l’expulsion, mais sans possibilité pour lui de préjudicier au fond)12, pourvu de statuer avec

célérité. Une partie de la doctrine est allée dans le même sens13. L’autre a clairement dit que « Cette

juridiction n’est pas une juridiction d’urgence ou de référé. Il s’agit d’une juridiction qui juge au fond mais statue

7Dans l’AUDCG, cette notion est également visée aux articles 55(3), 58(5), 68(1), 72(3)(6), 106(5), 107, 111(3), 117, 120(1), 132, 161(1),

162, 282 et 285. A cette liste, il faut ajouter les articles 36, 59, 159, 160-1, à 160-8, 272(2), 223(2), 233(1), 235(2), 241(2), 250(2), 259(2),

269(4), 271(2), 280(1), 348(2), 516(2), 528, 548(2), 635, 720(1), 732(1), 837(3), 853-21(1) de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés

commerciales et du groupement d’intérêt économique ; 10(2), 54, 70(2), 218(1) de l’Acte uniforme sur les sûretés ; 50(2), 62, 353 (où il est

fait état de président de la juridiction compétente statuant à bref délai) de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives. 8Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri, jugement n°546/Com du 15 décembre 2015. PTPI (Président du tribunal de première instance

ou le magistrat par lui délégué) de Ngaoundéré, ordonnances n°23/ORD du 27 juillet 2012 ; n°26/ORD du 06 septembre 2013, infirmée par

la Cour d’appel (CA) de l’Adamaoua suivant arrêt n°03/Réf. du 18 février 2015 déclarant le juge des référés incompétent en visant l’article

185 du Code de procédure civile et commerciale (CPCC). PTPI de Douala-Ndokoti, ordonnance n°498 du 11 octobre 2012, infirmée par la

CA du Littoral par arrêt n°151/Réf. du 16 juin 2014 pour cause de contestation sérieuse. PTPI de Bertoua, ordonnance n°23/CIV du 06 juillet

2017. 9PTPI de Sangmélima, ordonnance n°009/Réf. du 21 juin 2017 se fondant sur l’arrêt de la CCJA n°129/2015 du 12 novembre 2015 dont

nous reparlerons plus loin. PTPI de Douala-Ndokoti, ordonnance n°415 du 27 juillet 2016. PTPI de Douala-Bonanjo, ordonnance n°499 du

08 juillet 2015 (le problème posé portait principalement sur le paiement de l’indemnité d’éviction) confirmée par la CA du Littoral suivant arrêt

n°85/Réf. du 06 septembre 2017. CA de l’Adamaoua, arrêt n°03/Réf. du 18 février 2015. CA du Littoral, arrêt n°151/Réf. du 16 juin 2014. 10TGI du Wouri, jugements n°310/ADD/Com du 12 novembre 2013 ; n°145/ADD/Com du 15 avril 2014 ; n°668/ADD du 06 juillet 2012. TPI

de Bertoua, jugements n°18/CIV du 11 mai 2015 ; n°34/CIV du 10 octobre 2016. 11PTPI de Yaoundé centre administratif, ordonnance de référé n°543/C du 15 juillet 2016. PTPI de Kribi, ordonnance de référé n°02 du 24

janvier 2017. PTPI de Yaoundé-Ekounou, ordonnances n°09/bc du 17 mars 2016 et n°22/bc du 23 juin 2016. PTPI de Ngaoundéré,

ordonnance n°24/Ord. du 23 août 2013. TPI de Yaoundé-Ekounou, ordonnances n°30/bc du 20 septembre 2016 ; n°33/bc du 22 septembre

2016 ; n°48/BC du 20 décembre 2016. De ces décisions, ressortent des expressions telles que : « Nous, juge de bail commercial » ; « Juge

statuant à bref délai en matière de bail commercial » ; « juridiction statuant à bref délai ». 12PTPI de Yaoundé centre administratif, ordonnances n°540/D et n°542/D du 15 juillet 2016. PTPI de Maroua, ordonnance n°05/CIV/Réf.

du 12 février 2015. CA du Littoral, arrêt n°272/Réf. du 24 octobre 2016 confirmant l’ordonnance du PTPI de Douala-Bonanjo n°148 du 18

mars 2016. PTPI de Kousseri, ordonnance n°11/OR du 13 septembre 2017, objet d’un appel actuellement pendant devant la CA de

l’Extrême-Nord, la cause revenant à son audience du 02 juillet 2018. PTPI de Douala-Ndokoti, ordonnance n°37 du 04 février 2015. PTPI

de Douala-Bonanjo, ordonnances n°502 du 24 juillet 2014 ; n°643 du 16 septembre 2015 ; n°715 du 19 octobre 2015 ; n°412 du 29 juin

2016. Voir aussi les réquisitions écrites du Parquet général près la CA du Littoral, datées du 13 mars 2017 et prises dans l’affaire Nganko

Didier c/ ATEF S.A., objet de l’arrêt de cette Cour n°85/Réf. du 06 septembre 2017. CA du Littoral, arrêt n°118/Réf. du 23 juin 2008, Note

Djofang Darly-Aymar, in Juridis Périodique n°90, pp. 33 et s. 13Kenfack Douajni Gaston : « Les innovations apportées à la législation OHADA par les réformes du 15 décembre 2010 et du 30 janvier

2014 », exposé fait lors d’un séminaire tenu à l’ERSUMA du 07 au 12 avril 2014, p. 7. Papa Assane Touré : « Le nouveau visage de l’action

en résiliation du bail à usage professionnel dans l’Acte Uniforme portant sur le droit commercial adopté le 15 décembre 2010 », Revue de

l’ERSUMA n°1, juin 2012, pp. 328 et 330.

Page 4: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

4

à bref délai »14. C’est aussi la position désormais constante de la CCJA, malgré une petite hésitation, à

nos yeux. En effet, tranchant l’affaire société Ciments UNIBECO contre Ibrahim Ahmad Younes, objet

de son arrêt n°129/2015 du 12 novembre 201515, la haute juridiction communautaire a déclaré :

« Mais attendu que, d’une part, sauf si les Actes uniformes ont eux-mêmes désigné les juridictions compétentes

pour statuer sur les différends nés de leur application, la détermination de la "juridiction compétente" relève du

droit interne de chaque Etat Partie ; que, d’autre part, la périphrase "à bref délai" contenue dans l’article 133,

en son alinéa 3, ne renvoie pas ipso facto à la notion de référé ; que la juridiction présidentielle peut statuer

"en la forme des référés" ou "comme en matière de référé" sans être pour autant juge des référés mais bien

en tant que juge du fond, en abrégeant les délais habituels de citation ; qu’en interprétant l’article 133 comme

elle l’a fait, compte tenu de la complexité du litige, la cour de Pointe-Noire ne l’a en rien violé ; Attendu qu’il

échet, en conséquence, de déclarer mal fondé le moyen et de rejeter le pourvoi ». Cette décision nous a fait

penser à la position de la jurisprudence camerounaise sus-analysée, à savoir que le juge du fond et le

juge des référés étaient compétent en matière de résiliation du bail à usage professionnel, la célérité

étant de mise dans les deux hypothèses. D’autres commentateurs l’ont aussi pensé16.

A ce qu’il parait, il n’en est rien, la CCJA venant de repréciser sa position dans son tout récent arrêt

n°66/2018 du 29 mars 201817 où elle a clairement dit : « […] s’agissant de la résiliation judiciaire du bail

à usage professionnel et, le cas échéant, l’expulsion du preneur et de tout occupant de son chef, la juridiction

compétente visée par l’article 133 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général s’entend de la

juridiction de fond statuant à bref délai18 car le juge des référés n’a pas compétence pour prononcer la résiliation

d’un tel bail, encore moins pour prononcer l’expulsion du preneur dudit bail ; qu’en assignant la société SOFI

(SOFICI-FINANCES) en résiliation de bail à usage professionnel et en expulsion devant le juge des référés qui

s’est prononcé sur l’affaire, monsieur MIAN GASTON a saisi un juge incompétent ; qu’en tout état de cause,

en retenant que le juge des référés était incompétent pour connaître de l’action dirigée contre ladite société par

MIAN Gaston, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision et n’a en rien violé les dispositions visées aux

moyens ; qu’il échet, en conséquence, de rejeter le pourvoi ». Commentant cette décision, Emmanuel

Douglas Fotso a soutenu que « Le seul juge compétent pour résilier un bail commercial est le juge du fond

à l’exclusion du juge des référés […]. Cette solution, déjà retenue aussi bien sous l’emprise de l’ancien AUDCG

(CCJA, Ass. Plén., n°67/2014, 25 avril 2014)19 que sous celle du nouvel AUDCG (CCJA, 2ème Ch., n°129/2015,

12 novembre 2015) vient d’être réaffirmée par la CCJA dans son arrêt du 29 mars 2018 »20. A sa suite,

disons que la haute juridiction communautaire, dans le rôle à elle assigné par l’article 14 du Traité sus-

évoqué, a fait du juge du fond la juridiction compétente statuant à bref délai. En décidant ainsi, elle a

dû tenir compte aussi bien des prescriptions de l’article 134 (selon lequel les dispositions de l’article

133 sont d’ordre public) de l’AUDCG que de sa propre jurisprudence sur ce point21.

14Akuété Pedro Santos et Koffi Mawunyo Agbeneto : « OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés », Juriscope, 2016, p. 308.

Dans l’annotation sous l’article 132 (op. cit., p. 290), ces auteurs écrivent : « Ce texte désigne une juridiction unique pour toutes les

contestations : "la juridiction compétente statuant à bref à bref délai". Il traduit un souci de célérité de la part du législateur. Mais il a besoin

d’une mise en application dans les Etats parties où il n’existe pas de juridiction statuant au fond dans un délai court. » 15La CCJA connaissait ainsi d’un pourvoi formé contre un arrêt de la CA de Pointe Noire. 16 Marc Cédric Aliko : « La CCJA maintient sa position quant à la compétence de la juridiction chargée de prononcer la résiliation du bail à

usage professionnel et clarifie la notion de "statuer à bref délai" », Bulletin ERSUMA de pratique professionnelle n°004, décembre 2017, pp.

6 et 7. Tidiane Balde : « A quoi renvoie le vocable "La juridiction compétente statuant à bref délai ?" ». Article lu sur Internet. 17La CCJA connaissait ainsi d’un pourvoi interjeté contre un arrêt de la CA d’Abidjan. 18Le TGI du Wouri s’était déjà prononcé dans ce sens dans ses jugements cités en note de bas de page n°10. 19En plus de cet arrêt, il faut citer celui n°235/2017 du 14 décembre 2017 que E. D. Fotso a également commenté in L’essentiel Droits

africains n°04 du 1er avril 2018, p. 3. 20Article lu sur Internet. 21CCJA, arrêt n°049/2018 du 1er mars 2018.

Page 5: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

5

Certaines juridictions camerounaises ont commencé à suivre cette jurisprudence22. Elle est d’autant

plus applicable au Cameroun qu’elle est conforme à la Common Law (appliquée dans la partie

anglophone de ce pays), qui ignore le juge des référés et où, pour statuer avec célérité, on procède

par « motion on notice23 » accompagnée d’une « sworn affidavit24». Cependant, beaucoup de théoriciens

et praticiens du droit ont estimé qu’en faisant du juge des référés (qui, en droit camerounais, en cas de

clause résolutoire de plein droit insérée dans le bail, se bornait tout simplement à constater la

résiliation de plein droit dudit bail et à prononcer, le cas échéant, l’expulsion), la CCJA - à qui le

législateur OHADA n’a pas facilité la tâche compte tenu de ce qu’il a dit à l’article 134 sus-cité - n’a

pas tenu compte d’une réalité juridique camerounaise concernant surtout le délai d’appel des décisions

du juge du fond qui est de 3 mois (article 192 du CPCC) alors qu’en matière de référé, ce délai est de

15 jours (article 185 alinéa 3 du même code). Pour eux, l’insertion de la clause résolutoire de plein

droit dans un bail à usage professionnel est désormais lettre morte, en ce sens que, qu’elle existe ou

non, il faudra saisir obligatoirement le juge du fond, les dispositions de l’article 133 étant par ailleurs

d’ordre public. Quand on sait que l’appel susdit est suspensif, en voulant faire accélérer la procédure

devant le juge du fond, n’a-t-on pas freiné la même procédure en cas d’appel des décisions de ce

dernier, se sont demandés ces juristes ? N’aurait-il pas été plus harmonieux, ont-ils ajouté, de laisser

un pan de la compétence de la juridiction statuant à bref délai au juge des référés (ordinaire ou d’heure

à heure) devant qui les procédures sont généralement réglées avec célérité, en instance comme en

barre d’appel (l’appel devant être jugé d’urgence, selon l’article 185 alinéa 4 du CPCC) surtout en

matière de résiliation de bail à usage professionnel lorsque les conditions du référé sont réunies25?

Poussant plus loin le raisonnement, nous avons posé la question de savoir si la notion de

« juridiction compétente statuant à bref délai » telle que définie par la CCJA dans ses arrêts sus-évoqués

(qui, soit dit en passant, ne traitent que du problème de la résiliation du bail à usage professionnel et

de l’expulsion, le cas échéant, du preneur ainsi que de tout occupant de son chef) pouvait s’étendre

aux articles d’autres Actes uniformes visant la même notion. Faudra-t-il décider au cas par cas ?

Répondant à ces questions lors d’un échange d’e-mails entre nous, E. D. Fotso a estimé « qu’il serait

curieux que pour un autre texte, la CCJA ait une interprétation différente de la même notion ». « Wait and

see », comme disent les Anglais.

Comme on peut constater, la CCJA a certes désambiguïsé la notion de « juridiction compétente

statuant à bref délai », mais pas de manière totalement satisfaisante, au goût de certains critiques, dont

nous faisons partie. Tel n’est heureusement pas le cas en ce qui concerne la problématique de la

détermination de la juridiction compétente pour liquider les astreintes.

22PTPI de Maroua, ordonnance de référé n°07 du 24 mai 2018. PTPI de Douala-Bonanjo, ordonnance de référé n°332 du 06 juin 2018

portant sur l’application de l’article 160-1 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et GIE. Réquisitions du Parquet général

près la CA de l’Extrême Nord datées du 18 mai 2018 et prises dans l’affaire Kemenye Ahidjo c/ Bidias à Zock Samuel, qui revient à l’audience

du 12 septembre 2018. 23C’est une procédure contradictoire, contrairement à la « motion ex parte » qui est une procédure gracieuse. 24C’est une déclaration sous serment faite devant le greffier en chef de la juridiction saisie attestant de la véracité des faits relatés dans l’« affidavit ». 25A titre d’illustration, dans les affaires ci-dessous citées, connues par des juges du TPI de Douala-Bonanjo siégeant en

audiences de référé d’heure à heure, les décisions sont intervenues dans les délais suivants : ordonnance n°643 du 16

septembre 2015 : 2 mois et 6 jours ; ordonnance n°412 du 29 juin 2016 : 1 mois et 19 jours ; ordonnance n°502 du 24 juillet

2014 : 1 mois et 15 jours. La même durée de temps a été observée dans l’affaire succession Kamokwe c/ GIC APECAM, objet

de l’ordonnance n°37 du 04 février 2015 du PTPI de Douala-Ndokoti tenant audience de référé d’heure à heure.

Page 6: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

6

B - La détermination de la juridiction compétente pour liquider les astreintes

Quelle est la juridiction compétente pour liquider les astreintes ? Avant que la CCJA ne se

prononce sur cette question, les réponses sont allées dans tous les sens dans certains pays de l’espace

OHADA. A titre d’exemple, au Cameroun, certains juges ont admis la compétence du juge des

référés26; d’autres la lui ont dénié27. D’aucuns l’ont attribuée au juge du contentieux de l’exécution28

(exclusivement dans certaines juridictions)29, d’autres soit au tribunal de première instance (TPI)30, soit

au tribunal de grande instance (TGI)31, compte tenu du montant de la demande32, soit alors à la

juridiction ayant prononcé l’astreinte33. Pour d’autres encore, « s’il est admissible ( et logique) que tout

juge peut assortir sa décision d’une astreinte, il est tout aussi admissible que celle-ci peut être liquidée par tout

juge et a fortiori le juge du contentieux de l’exécution de l’article 49 [de l’Acte uniforme n°6] dont l’office est

précisément de statuer sur toute difficulté liée à l’exécution d’une décision de justice »34. Des distinctions ont

été faites selon que la demande portait sur une liquidation partielle35 ou définitive36. Les divergences

ci-dessus relevées ont été observées au sein d’une même juridiction37. Dans l’affaire Jet Hôtel contre

AES Sonel, on a abouti à un conflit négatif de compétence au point que l’avocat de Jet Hôtel a saisi,

d’abord la CA du Littoral, puis la Cour suprême en règlement des juges. L’affaire y est pendante depuis

juillet 2016.

Pour sa part, la Cour suprême du Cameroun, s’inspirant d’une loi française, a, par arrêt

n°008/Civ. du 09 avril 2015, attribué la liquidation d’astreintes au juge du contentieux de l’exécution si

la juridiction qui l’a prononcée ne se l’est pas expressément réservée.

26PTPI de Yaoundé centre administratif, ordonnances n°413/C du 02 juin 2016 ; n°889/C et n°890/C du 04 décembre 2014 ; n°931/C du 19

décembre 2013 ; n°42/C du 16 janvier 2014. 27PTPI de Garoua, ordonnance n°24/R du 05 septembre 2012. PTPI de Sangmélima, ordonnance n°10/Réf. du 21 juin 2017. PTPI de

Yaoundé centre administratif, ordonnances n°878/C du 14 décembre 2017 et n°206/C du 1er mars 2018. 28PTPI de Garoua, ordonnance n°12/CT du 28 août 2013, rendue à la suite de celle n°24/R du 05 septembre 2012 ; ordonnance n°19/CT

du 16 décembre 2015. TPI de Yaoundé centre administratif, jugement n°32/C du 1er février 2016. PTPI de Yaoundé centre administratif,

ordonnances n°589/C du 31 août 2017 ; n°706/C du 05 octobre 2017 ; n°154/CE du 15 février 2018. PTGI de la Mifi, ordonnances n°04/Cont.

du 06 décembre 2016 et n°02/Cont. du 14 mars 2017. 29Cette position a été défendue pendant une dizaine d’années par la CA du Littoral et certaines juridictions d’instance de Douala. Lire à ce

sujet Eyiké-Vieux : « L’application du droit OHADA par les juridictions camerounaises : le cas des juridictions de Douala », PUA, 2017, pp.

62 et s. Voir également PTPI de Maroua, ordonnance n°03 du 03 mars 2016. 30PTPI de Yaoundé centre administratif, ordonnance n°04/C du 03 janvier 2013. TPI de Yaoundé centre administratif, jugement n°337/C du

15 septembre 2014. TPI de Yaoundé-Ekounou, jugements n°87 du 15 mars 2012 ; n°262/Civ. du 15 novembre 2012 ; n°210 du 27 septembre

2012. Dans un sens contraire, voir jugement n°251 du 08 novembre 2012 du même tribunal. TPI de Douala-Bonanjo, jugements n°378/Civ.

du 21 décembre 2016 et n°293/Civ. du 04 septembre 2017. 31CA de l’Ouest, arrêt n°101/Civ. du 12 octobre 2016 réduisant simplement le montant des astreintes prononcées par le TGI de la Menoua

suivant jugement n°05/Civ. du 13 janvier 2014. TGI du Wouri, jugements n°1207 du 20 octobre 2011, n°697/Civ. du 13 juillet 2012 et

n°273/Com. du 03 juillet 2014. 32TPI de Garoua, jugement n°14/C du 23 mai 2016. 33PTPI de Yaoundé centre administratif, ordonnances n°889/C et n°890/C du 04 décembre 2014. TPI de Yaoundé-Ekounou, jugement

n°251 du 08 novembre 2012. 34CA du Littoral, arrêt n°149/Réf. du 18 août 2008 (dit affaire NINA) infirmant l’ordonnance n°032 du 31 janvier 2008 du juge du contentieux

de l’exécution du TPI de Douala-Bonanjo qui s’était déclaré incompétent à connaître d’une action en liquidation d’astreinte. 35PTPI de Yaoundé centre administratif, ordonnances n°931/C du 19 décembre 2013; n°320/C du 28 avril 2016. 36 PTPI de Yaoundé centre administratif, ordonnance n°529/C du 16 juillet 2013. 37Par exemple, TPI de Douala-Bonanjo, jugements n°378/Civ. du 21 décembre 2016 et n°293/Civ. du 6 septembre 2017 admettant la

compétence de ce tribunal alors que dans les jugements n°387/Civ. du 12 novembre 2014 et n°144/Civ. du 17 juin 2015 de ce même

tribunal, il est dit que c’est le juge du contentieux de l’exécution qui est compétent.

Page 7: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

7

Saisie de ce débat, la CCJA, suivant arrêt n°036/2005 du 02 juin 2005, a décliné sa compétence

dans l’affaire société Chronopost international Côte d’Ivoire contre Cherif Souleymane, au motif que

les conditions de l’article 14 du Traité n’étaient pas réunies. En l’espèce, l’astreinte avait été prononcée

par le juge des référés du tribunal de première instance d’Abidjan et liquidée, par « le tribunal d’Abidjan »

dont le jugement avait été partiellement infirmé par la Cour d’appel. Pourvoi avait été formé contre

l’arrêt devant la Cour suprême de la Côte d’Ivoire. Celle-ci s’était dessaisie du dossier au profit de la

CCJA qui a réitéré sa position dans son arrêt n°061/2015 du 27 avril 201538. Il y est précisément

souligné « que la liquidation d’une astreinte n’est pas une modalité de l’exécution forcée des jugements entrant

dans le champ des articles 28 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de

recouvrement et des voies d’exécution ; que [l’affaire à elle soumise] ne soulevant en conséquence aucune

question relative à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au Traité, il échet de se déclarer

incompétent ». Elle vient de maintenir sa position à travers deux sobres paragraphes de son arrêt

n°094/2016 du 26 mai 201639 où il est dit : « Attendu en l’espèce qu’il est constant, comme résultant des

pièces du dossier de procédure et des débats, que, pris en lui-même, le litige a pour objet une demande tendant

à voir liquider les astreintes, lesquelles ne constituent pas une mesure d’exécution forcée au sens de l’Acte

Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; Qu’il

s’ensuit que les conditions de la compétence de la Cour de céans ne sont pas réunies et qu’elle doit par

conséquent se déclarer incompétente ».

A cette jurisprudence il faut ajouter les éclairages de Maître Jérémie Wambo et César

Apollinaire Ondo Mve, respectivement Juriste référendaire à la CCJA et Second vice-Président de

cette Cour, avec qui nous avons échangé sur cette jurisprudence. Pour eux, l’incompétence de celle-

ci pour liquider l’astreinte n’est pas péremptoire. En d’autres termes, la CCJA est incompétente

lorsqu’il s’agit d’une action principale en liquidation d’astreintes. Mais, si la demande en liquidation est

accessoire à une question principale soulevant l’application du droit OHADA, elle est compétente

parce qu’il s’agit-là d’un pourvoi mixte.

De tout ce qui précède, on peut tirer la conclusion que la détermination de la juridiction

compétente pour liquider l’astreinte relève de la compétence des législateurs nationaux qui,

logiquement et harmonieusement, devront tenir compte de la jurisprudence de la CCJA sur ce point.

Le débat semble donc être clos, de même que celui portant sur la nature juridique du commandement

en matière de saisie mobilière.

C - La nature juridique du commandement en matière de saisie mobilière

Le législateur OHADA n’a pas expressément fait du commandement un acte d’exécution en

matière de saisie mobilière (articles 55 alinéa 2, 91, 92, 219, 237 de l’Acte uniforme n°6), contrairement

à ce qu’il a dit à l’article 262(1) du même Acte en ce qui concerne la saisie immobilière. Le législateur

camerounais n’en a même pas fait état. L’un et l’autre ont gardé le silence sur la nature juridique du

commandement dans le cadre de la saisie mobilière, principalement dans les saisies où il est exigé

comme un préalable. L’interprétation et l’application des articles 55(2), 91, 92, 219, 237 susvisés et de

l’article 2 de la loi célèbre loi camerounaise n°2007/001 du 19 avril 200740 ont donc engendré de

nombreuses difficultés d’ordre pratique résumées dans ces questions : Le commandant est-il un simple

38Dans l’affaire objet de cet arrêt, les astreintes avaient été prononcées par le juge des référés du tribunal de grande instance de Niamey et

liquidées par le juge de l’exécution dont l’une des ordonnances (liquidant les astreintes prononcées par lui-même) avait été confirmée par la

CA de Niamey. 39 Dans l’affaire objet de cette décision, la CCJA connaissait également d’un pourvoi formé contre un arrêt de la CA de Niamey. 40 Loi instituant le juge du contentieux de l’exécution et fixant les conditions de l’exécution au Cameroun des décisions

judiciaires et actes publics étrangers ainsi que les sentences arbitrales étrangères.

Page 8: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

8

avertissement ou une mise en demeure ? Est-il un acte d’exécution, un acte d’exécution forcée ou alors

un acte ayant trait à l’exécution forcée ? En d’autres termes, qui du juge des référés, du TPI, du TGI

ou du juge du contentieux de l’exécution est compétent pour connaître de la demande en nullité d’un

commandement servi en matière de saisie mobilière ? A ce sujet, la controverse est vive, le débat

houleux.

D’aucuns admettent que le commandement est un acte d’exécution et qu’en cas de demande

de sa nullité et de discontinuation des poursuites, c’est le juge du contentieux de l’exécution des

décisions judiciaires qui est compétent41. Pour d’autres, le commandement n’est qu’une simple mise en

demeure ou un simple avertissement devant par conséquent être connu, en cas de différend, par le

juge des référés42 ou le juge du fond43. Si l’on s’en tient aux définitions qu’en donnent le Lexique des

termes juridiques 2014-2015 et le Vocabulaire juridique, le commandement n’est pas, à proprement

parler, un acte d’exécution, encore moins un acte d’exécution forcée car, en réalité, rien n’oblige le

créancier à poursuivre l’exécution du titre exécutoire après l’avoir fait signifier, que ce soit en matière

de saisie mobilière ou de saisie immobilière. Cela est d’autant plus vrai que dans le cadre de la saisie

immobilière, il ne vaut saisie (donc acte d’exécution forcée) qu’à partir de sa publication (article 256

alinéa 3 de l’Acte uniforme n°6) ou à compter de son inscription (article 216 alinéa 1 du même Acte).

Quoi qu’il en soit, la jurisprudence camerounaise dominante retient la compétence du juge du

contentieux de l’exécution44.

Quant à la CCJA, elle a, dans un premier temps, par arrêt n°007/2005 du 27 janvier 2005, jugé

que le commandement aux fins de saisie-vente (article 92 de l’Acte uniforme n°6) n’est pas un acte

d’exécution forcée car n’ayant pas pour objet de rendre les biens du débiteur indisponibles. Mais, par

la suite, elle a dû changer de position à travers son arrêt n°063/2012 du 07 juillet 201245 où elle a

sanctionné l’arrêt d’une Cour suprême qui avait suspendu l’exécution d’une décision entamée par la

signification d’un commandement de payer et où elle a estimé que le contentieux du commandement

de payer en question relevait de l’office du juge de l’article 49 de l’Acte uniforme n°6 puisqu’aux termes

de l’article 92 de ce même texte, cet acte précède la saisie . Annotant cette décision, des auteurs ont

écrit : « Par cet arrêt, la CCJA opère implicitement un revirement de sa précédente jurisprudence selon laquelle

le commandement aux fins de saisie-vente n’est pas une mesure d’exécution forcée […]. En considérant que

"la procédure d’exécution était déjà engagée", du fait de la délivrance du commandement de payer, la CCJA

admet cette formalité comme étant une mesure d’exécution »46. Il n’a certainement pas échappé au lecteur

attentif que cette affaire est aussi relative à la question de la suspension de l’exécution provisoire dont

il convient de questionner les suites depuis l’arrêt dit des époux Karnib.

41TGI du Wouri, jugement n°257/Com. du 24 juin 2014 ; PTPI de Douala-Ndokoti, ordonnances n°24 du 27 janvier 2015 et

n°331 du 18 juin 2015. Voir aussi, à toutes fins utiles, PTPI de Yaoundé centre administratif, ordonnance n°706/C du 05 octobre

2017 où le commandement avait été servi à l’occasion d’une affaire portant sur la liquidation d’astreintes devant le juge du

contentieux de l’exécution. 42 PTPI de Douala/Ndokoti, ordonnance n°569 du 03 octobre 2013 ; ordonnance du 13 août 2013 (affaire Bogmis Josué c/dame

Ngo Kaldjob épouse Bogmis) où il est dit « que l’exploit de signification commandement même considéré comme un acte

d’exécution est une simple sommation ultime adressée au débiteur d’une obligation judiciaire et ne saurait être considéré

comme ayant trait à l’exécution forcée des décisions de justice, attributif de compétence au juge de céans, puisqu’il n’a aucune

influence sur le patrimoine du débiteur ». 43PTGI du Wouri, ordonnance n°474 du 06 septembre 2013 où il a été dit que le commandement est une simple sommation ou

invitation à payer. 44 Outre les décisions citées à la note de bas de page n°41, voir : CA du Littoral, arrêt n°011/CE du 20 janvier 2014 ; PTPI de

Mbouda, ordonnance n°03/Réf. du 04 octobre 2011. 45Voir aussi son arrêt n°017/2012 du 15 mars 2012. 46In « Code Pratique OHADA, Traité, Actes uniformes et Règlements annotés », Editions Francis Lefebvre, à jour au 1er juillet

2014, p. 742. Lire aussi Robert Assontsa, note sous arrêt n°141/REF du 27 septembre 2010, Juridis Périodique n°88, p. 86. Il y

dit, en passant : « Il est vrai, nul ne peut sérieusement contester l’office du JCE en matière de nullité du commandement...»

Page 9: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

9

D - L’état de la question sur la suspension de l’exécution provisoire ou les suites de

l’arrêt dit des époux Karnib

Tout est parti de l’article 32 de l’Acte Uniforme n°6 qui pose : « A l’exception de l’adjudication des

immeubles, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire provisoire.

« L’exécution est alors poursuivie aux risques du créancier, à charge pour celui-ci, si le titre est ultérieurement

modifié, de réparer intégralement le préjudice causé par cette exécution sans qu’il y’ait lieu de relever de faute

de sa part. »

Interprétant et appliquant ces dispositions dans son arrêt n°002/2001 du 11 octobre 2001(dit

arrêt des époux Karnib), la CCJA, connaissant du pourvoi formé contre l’ordonnance n°97/99 du 23

février 1999 du premier président de la CA d’Abidjan qui avait suspendu l’exécution provisoire

entamée du jugement n°04 du 21 janvier 1999 du tribunal civil d’Abengourou, a décidé que cette

ordonnance ayant eu pour effet de suspendre l’exécution forcée entreprise sur l’unique fondement des

dispositions des articles 180 et 181 du Code de procédure civile ivoirien, avait violé l’article 32 susvisé

et encourait cassation. Cet arrêt a soulevé un tollé général47. Moins de deux ans après cette décision,

la CCJA, connaissant de trois pourvois dirigés contre trois arrêts de la CA du Littoral qui avaient

ordonné les défenses à exécution provisoire contre trois ordonnances du juge des référés du TPI de

Douala a, cette fois, suivant arrêts n°012/2003, n°013/2013 et n°014/2014 du 19 juin 2003, jugé que

les procédures introduites et ayant abouti aux arrêts attaqués n’avaient pas eu pour objet de suspendre

une exécution forcée déjà engagée, mais plutôt d’empêcher qu’une telle exécution puisse être

entreprise sur la base d’une décision assortie de l’exécution provisoire et frappée d’appel. Elle s’est par

conséquent déclarée incompétente au motif que l’article 32 n’était pas applicable en ces espèces.

Depuis ces décisions, la CCJA a établi une différence fondamentale entre une exécution forcée

entamée donc non susceptible de suspension (défenses à exécution et sursis à exécution provisoire)

et une exécution forcée non encore entamée donc susceptible, quant à elle, de suspension (défenses

à exécution et sursis à exécution provisoire). Pour le comprendre, il faut relever que dans l’arrêt dit

des époux Karnib, ceux-ci avaient fait signifier le jugement sus-évoqué et fait commandement à la

Société générale de banque en Côte d’Ivoire d’avoir à s’exécuter alors que dans les trois affaires dites

de la Société générale de la banque au Cameroun, celle-ci avait fait l’objet de saisies dans deux d’entre

elles (objet des arrêts n°012/2003 et 013/2003 du 19 juin 2003) et d’une décision ordonnant l’exécution

provisoire sur minute et avant enregistrement dans l’autre (objet de l’arrêt n°014/2003 du 19 janvier

2003).

Il y a aurait encore eu évolution depuis lors, à en croire le CODE BLEU48 et le Code vert49. L’idée

qui se dégage de l’abondante jurisprudence citée par ces ouvrages est que la CCJA serait favorable à

la procédure des défenses à exécution prévue par la loi nationale « Lorsque le Président de la juridiction

compétente ne se prononce pas après épuisement de sa saisine, sur le caractère suspensif ou non de sa propre

décision »50. Plus précisément, et d’après Ndiaw Diouf, annotant l’arrêt de la CCJA n°064/2012 du 07

juin 2012, « En posant le principe du caractère non suspensif du délai d’appel et de l’exercice de ce recours

sous réserve d’une décision contraire du juge saisi qui pourrait lui-même en suspendre l’exécution, l’article 49

n’interdit en rien l’exercice d’une procédure de défense à exécution qui serait prévue par la loi nationale une

fois que le président de la juridiction compétente aura épuisé sa saisine en s’abstenant de prononcer ou en

prononçant par une disposition spécialement motivée le caractère non suspensif de sa décision. Cette décision

47Souop Sylvain : « Pour qui sonne le glas de l’exécution provisoire ? », observations sous CCJA, arrêt n°002/2001 du 11

octobre 2001, Juridis Périodique n°54, pp. 102 et s. 48Édition 2014, pp. 478 et s., édition 2016, pp. 630 et s. 49« OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés », édition 2016, op. cit., pp. 1017 et 1018. 50CODE BLEU, édition 2014, p. 479, édition 2016, p. 638, annotation de l’arrêt de la CCJA n°064/2012 du 07 juin 2012.

Page 10: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

10

a été rendue dans une affaire où un plaideur soutenait que l’article 49 disposant en son alinéa 3 que "le délai

d’appel comme l’exercice de cette voie de recours ont un caractère suspensif, sauf décision contraire

spécialement motivée du président de la juridiction compétente" a enlevé à tout juge, dont le premier président

de la cour d’appel, la possibilité de suspendre l’exécution provisoire de l’ordonnance du juge statuant dans le

cadre du contentieux de l’exécution.»51 Par contre, la haute juridiction communautaire est toujours

opposée au sursis à l’exécution lorsque celle-ci a déjà commencé52. Ce problème ne fait donc pas partie

de ceux non encore résolus par la jurisprudence ou de ceux pour lesquels des esquisses de solutions

ont été données.

II - Les problèmes non encore résolus par la jurisprudence ou pour lesquels des

esquisses de solutions ont été données

Nous en avons identifié deux, à savoir : le contenu de la notion de « principe même de la créance

» visée à l’article 300 de l’Acte uniforme n°6 (A), d’une part, l’interdiction de l’exécution forcée et des

mesures conservatoires contre les personnes bénéficiaires d’une immunité d’exécution (B), d’autre

part.

A - Le contenu de la notion de « principe même de la créance » visée à l’article 300(2) de

l’Acte uniforme portant recouvrement des créances

Ici, nous parlerons beaucoup plus de la jurisprudence du TGI du Wouri (sise dans la ville de

Douala), de celle de la CA du Littoral (sise dans la même ville) et de la CCJA. Cela dit, une notion

d’interprétation difficile figure dans l’énumération faite à l’article 300(2) de l’Acte uniforme n°6. Il s’agit

du «principe même de la créance ». Que ce soit devant le TGI du Wouri ou la CA du Littoral, l’on peine

à en indiquer le contenu et les contours, mieux à en donner une définition ; ce qui explique, en partie,

les nombreux appels formés contre les décisions pourtant rendues en premier et dernier ressort par

ce tribunal, lorsqu’il estime n’avoir pas statué sur le principe même de la créance, alors qu’une partie

au procès pense le contraire et s’estime donc en droit de saisir la CA. A titre d’exemple, dans l’affaire

époux Kenfack contre MIGEC où le problème portait sur l’extinction ou non de la dette, le tribunal

avait (sans dire s’il statuait en premier ressort ou en premier et dernier ressort) rejeté, comme mal

fondés, les dires et observations des débiteurs tout en ordonnant la continuation des poursuites. En

appel, l’on a ordonné une enquête civile pour procéder à certaines vérifications. A l’issue de celles-ci,

se rendant compte, sur la base des chiffres comptables, que les débiteurs s’étaient libérés de leur

engagement, la Cour a jugé que le principe même de la créance, objet des poursuites, avait été remis

en cause et que l’irrecevabilité de l’appel, excipée par la créancière et tirée des dispositions de l’article

300, n’était pas soutenable. Elle a conséquemment annulé les poursuites, ordonné mainlevée de la saisie

pratiquée sur l’immeuble et la restitution du titre foncier53.

Sur la base de cette décision, l’on explique à la CA du Littoral que lorsque le débiteur soutient,

preuve à l’appui, qu’il s’est totalement acquitté de sa dette et que le créancier affirme le contraire, on

se trouve en présence d’une contestation portant sur le principe même de la créance, tel n’étant pas

le cas si le débiteur ne conteste que le montant de celle-ci. C’est ce raisonnement qui a prévalu dans

l’affaire société Drinks Distribution Services contre ECOBANK, objet de l’arrêt n°007/SI du 16 août

2016.

51 In Code vert, édition 2016, pp. 1017 et 1018. 52CCJA, arrêts n°063/2012 du 07 juillet 2012 ; n°040/2005 du 12 juin 2005 ; n°027/2005 du 07 avril 2005 ; n°017/2003 du 09

octobre 2003 ; n°035/2013 du 02 mai 2013 ; n°131/2014 du 11 novembre 2014 et n°027/2015 du 09 avril 2015, cités in CODE

BLEU édition 2016, pp. 630, 631, 633 et 637. 53 CA du Littoral, arrêt n°002/SI du 21 mars 2014. Dans le même sens, arrêt n°003/SI du 15 mai 2015.

Page 11: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

11

La même Cour a retenu une autre hypothèse de remise en cause du principe même de la

créance dans son arrêt n°110/C du 16 mai 2014, objet d’une cause portant principalement sur le défaut

de titre exécutoire. Par ailleurs, pour déclarer recevable l’appel - formé sur le fondement de l’article

300(2) - contre le jugement n°793 du 03 avril 2006 du TGI du Wouri ayant statué en premier et

dernier ressort, cette Cour a admis que les appelants avaient contesté le principe même de la créance

en invoquant la nullité de la convention d’ouverture de crédit avec caution hypothécaire et le défaut

de titre exécutoire. Elle a également, dans une autre espèce, considéré que le volet de l’appel

concernant le taux d’intérêt applicable était lié au principe de la créance et pouvait être examiné54.

En somme, à bien analyser la jurisprudence de la CA du Littoral, on peut arriver à la conclusion

que pour elle, la notion de « principe même de la créance» renvoie à l’existence ou non de celle-ci55. Il

en serait de même de la nullité de la convention d’ouverture de crédit, de la nullité du titre exécutoire

et du défaut de celui-ci56. Si cette jurisprudence est admise, alors, chaque fois qu’on aura à statuer sur

un différend se rapportant à l’existence de la créance, à la nullité de la convention d’ouverture de

crédit, à la nullité du titre exécutoire ou au du défaut de celui-ci57, on dira qu’on est en présence d’une

contestation portant sur le principe même de la créance ; ce qui amènera le tribunal à statuer en

premier ressort.

Une jurisprudence assise de la CCJA semble donner raison à la CA du Littoral. En effet, se

prononçant dans l’affaire Établissement Unimarché et Piwele Grégoire contre Union Bank of

Cameroon, objet de l’arrêt n°043/2010 du 1er juillet 2014, elle a jugé « que tout au long de la procédure,

l’existence de la créance dans son principe n’a nullement été contestée par les parties ; que ce sont plutôt sa

liquidité et son exigibilité qui ont été contestées par l’Établissement UNIMARCHÉ et Monsieur PIWELE Grégoire

au motif que la prétendue créance résulterait d’un compte courant non encore clôturé, d’où une créance non

encore liquide et exigible ; qu’en conséquence, le principe même de la créance n’ayant pas été évoqué, c’est à

bon droit que le Tribunal de grande instance du Wouri a statué en dernier ressort ; qu’il échet de rejeter ce

premier moyen comme non fondé »58. La CCJA a réitéré, en d’autres mots, cette position dans son arrêt

n°008/2015 du 30 mars 2015. En l’espèce, la requérante (à qui elle a donné raison) reprochait à l’arrêt

n°193/C/ADD du 27 août 2007, rendu par la CA du Littoral, d’avoir violé l’article 300 en rejetant

l’exception d’irrecevabilité de l’appel qu’elle avait opposée, alors que le jugement n°197 du 07

décembre 2006 du TGI du Wouri, objet dudit appel, n’avait statué ni sur le principe de la créance, ni

sur un quelconque moyen de fond énumérés audit texte, les dires et observations déposés par les

défendeurs ne portant que sur le caractère liquide et exigible de la créance.

Bien avant ces deux arrêts elle avait jugé « […] qu’il appert du jugement attaqué que le Tribunal

de grande instance de Douala, en "constatant la nullité" de l’acte notarié n°2994 du 29 décembre 1995 du

Répertoire de Maître Jacqueline Moussinga, Notaire à Douala, constitutif en l’occurrence du titre exécutoire,

54 CA du Littoral, arrêt n°006/SI du 19 juin 2015. 55Voir l’arrêt n°006/SI du 19 juin 2015 où la Cour, d’initiative, dit : « Considérant qu’aux termes de

l’article 300 de l’AUVE, un recours fondé sur le principe même de la créance est recevable ; Qu’aussi,

convient-il d’examiner ce moyen, l’appelant contestant l’existence d’une dette vis-à-vis de la BICEC et

prétextant plutôt une créance envers celle-ci ». 56Voir l’arrêt n°084/C du 18 mai 2012 où il a été décidé : « Considérant que le jugement entrepris qui a

statué sur l’existence de la créance (rôle 11) et le défaut de titre exécutoire (rôle 13) entre autres, a bel

et bien statué sur le principe même de la créance au sens de l’article 300(2) AUVE, d’où le rejet de la

fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité du présent appel soulevée par l’intimé motif pris de la

violation de l’article 300(2) ». 57Rien ne nous permet d’affirmer que cette énumération est exhaustive, les décisions de la CA du Littoral

n’étant ni harmonieusement archivées ni divulguées. 58Voir aussi CCJA, arrêts n°041/2008 du 17 juillet 2008 ; n°102/2014 du 04 novembre 2014 et

n°131/2015 du 12 novembre 2015, ce dernier étant cité in CODE BLEU, édition 2016, pp. 794 et 795.

Page 12: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

12

alors qu’il n’était saisi que d’incidents de la saisie immobilière, a ainsi fondamentalement remis en cause la

validité du titre exécutoire et, partant, le principe même de la créance ; qu’au regard de l’article 300 de l’Acte

uniforme […] aux termes duquel "les décisions judiciaires rendues en matière de saisie immobilière…ne

peuvent être frappées d’appel que lorsqu’elles statuent sur le principe même de la créance", le pourvoi ne

pouvait, a fortiori, être formé contre l’arrêt rendu sur appel du jugement ayant statué sur ladite contestation

qui touche au fond du droit ; que par ces motifs de pur droit substitués à ceux critiqués, la décision déférée se

trouve légalement justifiée ; que le moyen ne peut donc être accueilli »59. Résumant cette décision, les

rédacteurs du CODE BLEU ont écrit : « Le jugement qui, dans le cadre des incidents de la saisie immobilière,

constate la nullité du titre exécutoire, remet en cause le principe même de la créance. Par conséquent, il doit

faire l’objet d’appel et non de pourvoi, conformément à l’article 300 alinéa 2 »60.

Contrairement à la CA du Littoral, la CCJA ne semble pas admettre que le défaut de titre

exécutoire remet en cause le principe même de la créance, lorsque argumente : « Attendu, en l’espèce

que le jugement ADD n°09/03/3ème C. CIV rendu par le Tribunal de première instance de Cotonou le 18

décembre 2003, avait débouté COLAF SARL et les époux LASSISSI de l’ensemble de leurs moyens de nullité

développés dans les "dires" déposés le 14 mai 2002 par leur conseil […] ; que dans lesdits dires, ils avaient

exposé le bien-fondé de leur opposition à la vente judiciaire de leurs immeubles, objet des titres fonciers n°2772

et 2773, pour nullité du commandement tirée du défaut de titre exécutoire, du cahier des charges tiré du

défaut de mentions substantielles, et de la procédure ; qu’au regard de ce qui précède et contrairement à ce

que soutiennent COLAF Sarl et les époux LASSISSI, le premier juge n’a à aucun moment eu à se prononcer sur

l’existence de la créance mais s’est plutôt prononcé sur l’existence d’un titre exécutoire pouvant permettre de

rendre régulier le commandement de payer du 11 décembre 2001 ; qu’il s’ensuit qu’en statuant comme elle

l’a fait pour déclarer irrecevable l’appel interjeté par la COLAF Sarl, Monsieur L et Madame M., par application

de l’article 300 alinéa 2 de [l’Acte uniforme n°6], la Cour d’appel de Cotonou n’a en rien violé les dispositions

dudit article ; qu’ainsi, la première branche du moyen unique n’est pas fondée et doit être rejetée »61. Il faut

souligner qu’il s’agissait, dans cette affaire, de « l’inexistence du titre exécutoire à novation ». Etant donné

que c’est la seule décision de la CCJA que nous avons trouvée sur ce point du débat au stade actuel

de nos recherches, il convient de considérer avec prudence la position qu’elle y exprime.

Pailleurs, et en croire les auteurs du CODE BLEU62, annotant une récente décision de la CCJA,

« La contestation portant sur la nullité du cautionnement hypothécaire ne constitue ni une contestation sur le

principe même de la créance, ni une contestation portant sur l’insaisissabilité de l’immeuble. Par conséquent,

ne viole pas la loi et a suffisamment motivé sa décision, la Cour d’appel qui, appréciant souverainement les

faits, retient souverainement l’irrecevabilité de l’appel formé contre un jugement ayant statué en matière

immobilière sur la nullité du cautionnement hypothécaire dès lors que le principe de la créance n’a pas été

contesté ou discuté devant le premier juge et que ladite exception ne fait pas partie des cas d’ouverture d’appel

énumérés à l’article 300. »63

Les explorations et constructions jurisprudentielles que nous venons d’examiner et qui

concernent la notion de « principe même de la créance » visée à l’article 300(2) de l’Acte uniforme n°6

peuvent bien constituer des suggestions de réformes législatives à adresser au législateur OHADA

pour mieux fixer le contenu et les contours de cette notion, étant par ailleurs observé que la haute

juridiction communautaire vient de faire évoluer sa position sur l’épineux problème de l’interdiction

de l’exécution forcée et des mesures conservatoires contre les personnes bénéficiaires d’une immunité

d’exécution.

59 CCJA, arrêt n°035/2008 du 03 juillet 2008, cité in CODE BLEU, p. 584. 60 Op. cit., p. 584. 61CCJA, arrêt n°041/2008 du 17 juillet 2008. 62Édition 2018, p. 946. 63CCJA, arrêt n°138/2016 du 07 juillet 2016, affaire société Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye dite CABN-société Sénégal

Wellness Factory c/ Crédit International, Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce.

Page 13: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

13

B - L’interdiction de l’exécution forcée et des mesures conservatoires contre les

personnes bénéficiaires d’une immunité d’exécution

Aux termes de l’article 30(1) de l’Acte uniforme n°6, « L’exécution forcée et les mesures

conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution. » Cet article

a été appliqué dans toute sa rigueur par certaines juridictions nationales, à l’instar de celles du

Cameroun64. La CCJA l’a aussi fait, notamment dans son arrêt n°043/2005 du 07 juillet 2005,

communément dénommé « arrêt Togo Télécom », qui a soulevé beaucoup de critiques. Ainsi que

l’écrit E. D. Fotso, « La doctrine avait critiqué cette jurisprudence en relevant que l’impossibilité pour les

investisseurs de contraindre les entreprises publiques au paiement de leurs dettes devait être un facteur de

réticence pour les investisseurs à s’installer dans l’espace OHADA. […]. Le législateur OHADA avait même été

invité à réécrire l’article 30 de l’AUPSRVE qui entretient une confusion manifeste entre les notions d’entreprises

publiques et établissements publics. […]. En dépit des critiques, la haute juridiction était restée fidèle à sa

jurisprudence. Ainsi elle a jugé qu’en application de l’article 30 de l’AUPSRVE, les entreprises publiques quelles

qu’en soient la forme et la mission échappent à l’exécution forcée et aux mesures conservatoires (CCJA, 2e Ch.,

n°09/2014, 4 février 2014). Des sociétés détenues intégralement par l’Etat (Cas de la société FER en Côte

d’ivoire : CCJA, 1ère Ch., n°44/2016, 18 mars 2016) tout comme des sociétés d’économie mixte (Cas de AES

Sonel Cameroun : CCJA, Ass. Plén., n°105/2014, 4 novembre 2014), toutes constituées sous forme de sociétés

commerciales ont également été qualifiées d’entreprises publiques par la CCJA qui leur a reconnu l’immunité

d’exécution. La haute juridiction a même jugé que l’immunité d’exécution devait être reconnue à l’entreprise

publique constituée sous forme de société commerciale même si la législation nationale la soumettait au droit

privé (Cas du Port autonome de Lomé : CCJA, 3e Ch., n°24/2014, 13 mars 2014).»65

La CCJA vient d’opérer un revirement à travers son récent arrêt n°103/2018 du 26 avril 2018.

Dans cette affaire, la CA de Kinshasa/Gombe avait confirmé l’ordonnance de la juridiction présidentielle

du Tribunal de travail de Kinshasa/Gombe annulant les saisies-attributions de créances pratiquées au

préjudice de la société des Grands Hôtels du Congo, société d’économie mixte, tout en ordonnant

mainlevée desdites saisies, pour violation de l’article 30 de l’Acte uniforme n°6. Cassant l’arrêt de la

CA de Kinshasa/Gombe et annulant en même temps l’ordonnance querellée, la CCJA a décidé : «

Attendu que l’article 30 de l’Acte uniforme susvisé pose, en son alinéa 1er, le principe général de l’immunité

d’exécution des personnes morales de droit public et en atténue les conséquences à l’alinéa 2, à travers le

procédé de la compensation des dettes qui s’applique aux personnes morales de droit public et aux entreprises

publiques ; qu’en l’espèce, il est établi que le débiteur poursuivi est une société anonyme dont le capital social

est détenu à parts égales par des personnes privées et par l’Etat du Congo et ses démembrements ; qu’une

telle société étant d’économie mixte, et demeure une entité de droit privé soumise comme telle aux voies

d’exécution sur ses biens propres ; qu’en lui accordant l’immunité d’exécution prescrite à l’article 30

susmentionné, la Cour de Kinshasa/Gombe a fait une mauvaise application de la loi et expose sa décision à la

cassation ».

Une partie de la doctrine affirme que c’est un bon pas vers l’avant66. L’autre estime qu’il faut

faire sauter le verrou de l’article 30 de l’Acte uniforme n°6, à défaut de le clarifier, surtout dans le

domaine de l’arbitrage. En cette matière justement, le TGI du Fako (Buea, Cameroun) dans sa décision

n°HCF/91/m/2001-2002 du 15 mai 2002) accordant l’exequatur à une sentence arbitrale étrangère

rendue dans l’affaire African Petrolum Consultants (APC) contre la Société nationale de raffinage

(société camerounaise à capital public), a jugé : « The world today is fast moving into an age of globalization.

64PTPI de Ngaoundéré, ordonnance de référé n°03/ord. du 20 décembre 1999, observations Joseph Fometeu, in Juridis

Périodique n°44, pp. 31 et s ; ordonnance de référé n°10/Ord. du 18 mai 2001. CA du Littoral, arrêt n°189/DE du 25 janvier

2002. PTGI du Wouri, ordonnances n°161 du 22 mars 2013 ; n°249 du 03 mai 2013 ; n°494 du 24 juillet 2015. 65 Article publié sur le site legiafrica.com 66 E. D. Fotso, Ibid.

Page 14: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

14

The mode of civilisation has changed. The world economy is seeking for more and more protection. Nations are

getting closer through Conventions and agreements. Investors want to protect investments. To this end, Nations

are signatories to Conventions and agreements. It will be nonsensical and counter productive for any Nation to

sign a Bilateral or Multilateral Convention and thereafter turn round to say that it cannot be bound by it. That

will be an affront to its dignity and sovereignty. For once a nation signs a Convention, it must ensure that it

adheres to it and where that Convention must be enforced by the Court, the courts must do so to protect the

honour and dignity and prestige of that country. The time has come when the Courts must give meaning to the

Conventions and treaties that we go into. National integrity must supersede undue protectionism. This country

is a civilized conutry with a decent international reputation. To refuse to adhere to Conventions, agreements

and treaties it has signed as a member will be depriving itself of the pride and envy that the world has of it as

a peaceful and Law abiding nation. » Philippe Leboulanger, admiratif face à ces motifs décisifs dignes de

Lord Denning, a simplement conclu : « Quelle belle leçon donnée par le juge au souverain ! Et quelle belle

idée de ce que devrait être l’Etat de droit ! »67. La CCJA et certaines juridictions nationales doivent

s’atteler, le législateur OHADA les aidant dans ce sens, à résoudre les conflits qui existent entre elles,

pour donner tout son sens à cette exclamation laudative d’un avocat français.

III - Les conflits entre la CCJA et certaines juridictions nationales

Dans le cadre de l’interprétation et de l’application des textes de certains Actes uniformes, il est

arrivé que la CCJA prenne une position jurisprudentielle et que des juridictions nationales ne la suivent

pas. Il en est ainsi de l’identification de la juridiction compétente prévue par l’article 49(1) l’Acte

uniforme n°6 (A) et du casse-tête de la communication des procédures au parquet dans les matières

relevant du droit OHADA (B).

A- L’identification de la juridiction compétente prévue à l’article 49(1) de l’Acte

uniforme n°6

Aux termes de cet article, « La juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande

relative à une mesure d’exécution forcée ou une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant

en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui. » L’interprétation et l’application de ce texte ont

donné naissance à un conflit qui oppose principalement, à notre connaissance, la CCJA aux juridictions

camerounaises. En effet, dès l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme n°6, l’interprétation et l’application

de cet article ont créée d’énormes controverses juridiques au Cameroun. L’on s’était notamment

demandé qu’elle était la juridiction compétente visée à cette disposition de la loi communautaire. Les

réponses sont allées dans tous les sens, certains soutenant qu’il s’agissait du juge des référés tout

court68, d’autres du juge des référés ayant un champ de compétence vaste69 d’autres encore du seul

Président du TPI à qui l’article 49 a confié les fonctions du juge de l’exécution70 ou alors d’une

67In « L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public », Revue camerounaise de l’arbitrage, numéro spécial

(2), février 2010, pp. 127 et s. 68Obama Etaba Pierre : « La saisie-vente », opuscule, Yaoundé, juillet 1999, pp. 54 et s. Tjouen A.-D. : « Les voies

d’exécution », in « Les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution en OHADA », coll. Droit uniforme,

Yaoundé, PUA., 1999, p. 26, n°66. Dicky Ndoumbe épouse Mbangue : « La saisie-attribution des créances dans le cadre de

l’OHADA », Mémoire de fin de formation en vue de l’obtention du diplôme de l’ENAM, juillet 1999, pp. 45 et s. Joseph

Fometeu, observations sous TPI de Ngaoundéré, ordonnance de référé n°03/ord du 20 décembre 1999, Juridis Périodique n°44,

octobre-novembre-décembre 2000, pp. 31 et s. 69 Anaba Mbo Alexandre : « La nouvelle juridiction présidentielle dans l’espace OHADA : l’endroit et l’envers d’une réforme

multiforme », Revue camerounaise du droit des affaires n°3, avril-juin 2000, pp. 9 et s. 70 Soh Maurice : « Les saisies des avoirs bancaires », Mémoire de fin de formation en vue de l’obtention du diplôme de l’ENAM,

juillet 1999, pp. 90 et s.

Page 15: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

15

juridiction autonome ou spéciale du contentieux de l’exécution71. La CCJA72, la Cour suprême73 du

Cameroun et nombre de juridictions inférieures camerounaises s’étaient également saisies de ce débat

avec, parfois, des positions divergentes au sein d’un même tribunal74. Beaucoup d’autres ont continué

de le nourrir75.

Pour résoudre ces problèmes, le législateur camerounais à, d’abord en 2016, esquissé une

réponse à travers les articles 15(2), 18(2)(a) et 22 de la loi n°2006/015 du 26 décembre 2006 portant

organisation judiciaire, puis adopté, en 2007, la loi n°2007/001 du 19 avril 2007 instituant le juge du

contentieux de l’exécution et fixant les conditions de l’exécution au Cameroun des décisions judiciaires

71 Tchantchou Henri : « Le contentieux de l’exécution et des saisies dans le nouveau Droit OHADA (article 49 AUPSRVE) »,

Juridis Périodique n°46, avril-mai-juin 2001, pp. 98 et s. Ndzuenkeu Alexis, « L’OHADA et la réforme des procédures civiles

d’exécution en droit africain : l’exemple du Cameroun », Juridis Péridique n°50, avril-mai-juin 2002, pp. 113 et s. Du même

auteur : « Les nouvelles règles de compétence juridictionnelle en matière de saisies mobilières : regards sur l’article 49

AUPSRVE », Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université de Dschang, tome 6, 2002. Toujours

de cet auteur : « Voies d’exécution - Mainlevée de saisie mobilière - Juridiction compétente - Juge des référés (Non) - Juge de

l’exécution (Oui) - Article 49 AUVE - Incompétence du juge des référés ». Observations sous TPI Douala-Bonanjo, Référé,

Ordonnance n°392 du 26 février 2003 ; TPI Garoua, Référé, Ordonnance n°09/R du 16 janvier 2002 ; TPI Yaoundé-Ekounou,

Référé, Ordonnance n°31 du 07 novembre 2002, Juridis Périodique n°57, janvier-février-mars 2004, pp. 48 et s. Sterling

Minou : « La juridiction prévue à l’article 49 de l’acte uniforme OHADA n°6 portant organisation des procédures simplifiées

de recouvrement et des voies d’exécution est-elle le juge des référés au Cameroun ? », Juridis Périodique n°62, avril-mai-juin

2005, pp. 97 et s. 72Arrêts n°022/2010 du 08 avril 2010 et n°020/2012 du 15 mars 2012 d’où il ressort, en substance, que le juge de l’urgence

prévu par l’article 49 de l’Acte uniforme n°6 est le juge des référés. Il faut souligner que les faits des causes objet de ces arrêts

datent d’avant la loi n°2007/001 du 19 avril 2007. 73Arrêts n°109/CC du 30 mars 2006 et n°185/Civ du 25 septembre 2008 (les faits des causes objet de ces arrêts datent également

d’avant la loi n°2007/001 du 19 avril 2007). Dans ces deux décisions, la CS a décidé que le juge visé à l’article 49 de l’Acte

uniforme n°6 est le juge des référés des articles 182 et s. du CPCC. 74PTPI de Ngaoundéré, ordonnances n°03/Ord. du 20 décembre 1999 et n°11/Ord. du 03 juillet 2001 où le juge des référés a

retenu sa compétence en visant à la fois les dispositions de l’article 182 du CPCC et celles de l’article 49 de l’AUPSRVE ;

n°10/Ord. du 24 mai 2002 où le juge des référés a connu d’une affaire concernant une saisie-attribution de créances en visant

la difficulté relative à l’exécution d’un arrêt de la CA de l’Adamaoua ; n°04/Ord. du 19 décembre 2003 et n°15/Ord. du 18

mars 2005, allant dans le même sens. Contra : PTPI de Ngaoundéré, ordonnances n°09/Ord. du 5 mars 2004, n°32/Ord. du 20

août 2004, n°20/Ord. du 6 mai 2005 et n°24/Ord. du 22 septembre 2006, où le PTPI a siégé, certes, comme juge de l’exécution

ou juge du contentieux de l’exécution, mais à l’occasion des audiences des référés, alors qu’il lui aurait suffi, pour éviter toute

confusion, de créer une audience des affaires passant en contentieux de l’exécution. 75Achille Ohandja Eloundou, observations sous PTPI Abong-Mbang, ordonnance n°01/CIV du 11 janvier 2008, Juridis

Périodique n°75, juillet-août-septembre 2008, pp. 23 et s. Ce magistrat parle de «L’affirmation pertinente de la compétence du

juge des référés à connaître du contentieux de l’exécution ». Robert Nemeudeu : « Le juge camerounais du contentieux de

l’exécution ou le clair-obscur entre l’esprit et la lettre de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures

simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE) », Juridis Périodique n°83, juillet-août-septembre 2010, pp.

91 et s. Cet universitaire semble soutenir mordicus que le juge prévu par l’article 49 est le président du TPI - plus proche des

justiciables - pouvant préjudicier au fond. René Njeufack Temgwa (commentant l’arrêt de la CCJA n°109/2014 du 04 novembre

2014) : « Le juge du contentieux de l’exécution : la CCJA désavoue le législateur camerounais et…confirme sa jurisprudence »,

Juridis Périodique n°100, pp. 59 et s. Cet autre universitaire semble soutenir que l’article 49 a investi le président du TPI des

fonctions du juge de l’exécution. CA de l’Adamaoua, arrêt n°04/CE du 11 mai 2016 où le juge d’appel dit, après avoir visé

tour à tour les articles 49 de l’Acte uniforme n°6, 10 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, 2 de la

loi du 19 avril 2007 et l’arrêt de la CCJA n°109/2014 du 04 novembre 2014 « […] qu’en droit processuel camerounais, la

seule juridiction compétente pour connaître de l’urgence est le Président du tribunal de première instance (article 182 du Code

de Procédure Civile et Commerciale) ». Un avocat a tout récemment conclu dans le même sens dans l’affaire succession Emac

Jean Imatha c/ Société de recouvrement des créances du Cameroun, objet de l’ordonnance n°02/Ord. du 28 septembre 2017

du PTPI de Dschang où il lui a été répondu, en substance, que le juge visé par l’article 49 de l’AUPSRVE n’est pas le juge des

référés. La position de ce tribunal avait déjà été défendue par Yohanes Bunja dans son article intitulé « D’un son de cloche à

un autre, ou retour sur PTPI/Abong-Mbang, ordonnance n°01/civ du 11 janvier 2008 », in Juridis Périodique n°82, avril-mai-

juin 2010, pp. 125 et s. Lire aussi Robert Assontsa, note sous arrêt n°141/Réf. du 27 septembre 2010, in Juridis Périodique

n°88, octobre-novembre-décembre 2011, p. 86. Il s’y exclame en ces termes : « Comment pourrait-on comprendre

qu’aujourd’hui le juge des référés en soit encore saisi des questions relatives au contentieux de l’exécution ? […]. Avec

l’intervention du législateur en 2007, le JCE est sorti du manteau du juge des référés et a acquis définitivement son autonomie

organique. »

Page 16: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

16

et actes publics étrangers ainsi que des sentences arbitrales étrangères. Commentant ces lois, deux

doctrinaires76 et un praticien77 du droit ont estimé que le remède s’était avéré pire que le mal.

Alors qu’on croyait ce débat définitivement clos, la CCJA a réouvert la boîte de Pandore à travers

de nombreux arrêts. Dans celui n°093/2013 du 20 décembre 2013, elle a tranché : « Ainsi, conformément

à la jurisprudence établie de la Cour de céans relativement à cette disposition [article 49 alinéa 1], entre

autres, par son Arrêt n°023/2009 du 16 avril 2009, l’article 49 […] fait du juge de l’urgence le seul compétent

pour connaître des difficultés d’exécution ; qu’au surplus, conformément à un avis de la cour de céans

n°002/99/EP du 13 octobre 1999, "l’article 10 du Traité…ayant affirmé la force obligatoire des Actes

uniformes OHADA et leur supériorité sur les dispositions du droit interne des Etats parties et les articles 336

et 337 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies

d’exécution ayant exclu toute possibilité de délégation audit acte dans les matières qu’il concerne…", il s’ensuit

que l’article 2 de la loi camerounaise n°2007/001 du 19 avril 2007 ne saurait trouver application dans la

présente espèce en tant qu’il est contraire à l’esprit de l’article 49 alinéa 1 sus énoncé et qu’il viole les articles

336 et 337 du même Acte uniforme ». En l’espèce, il s’agissait d’un problème de liquidation d’astreinte

par un juge du contentieux de l’exécution. Dans le même ordre d’idée, elle à, dans son arrêt

n°109/2014 du 04 novembre 2014, annulé l’ordonnance n°05/CE du 08 janvier 2008 de la CA du

Littoral à laquelle reproche était fait d’avoir rejeté l’exception d’irrecevabilité d’une assignation,

soulevée à titre principal pour violation des articles 2, 10 et 13 du Traité de l’OHADA et 49 de l’Acte

uniforme n°6, du principe du double degré de juridiction (principal reproche fait au législateur de 2006

et 2007) et d’avoir retenu la compétence du juge du contentieux de l’exécution de la CA en application

de l’article 3 de la loi du 19 avril 2007. Selon la haute juridiction communautaire, « […], il ressort des

termes de l’article 49 de l’Acte uniforme […] que toute contestation relative à une mesure d’exécution forcée

relève, quelle que soit l’origine du titre exécutoire en vertu duquel elle est poursuivie, de la compétence préalable

du Président de la Juridiction statuant en matière d’urgence et en premier ressort ou du Magistrat par lui

délégué ». Elle a donc annulé l’ordonnance attaquée pour violation des règles de compétence édictées

par cet article. Elle a réitéré cette position dans un récent arrêt n°224/2017 du 14 décembre 2017

donc voici le principal « Attendu qu’en vertu de la primauté des Actes uniformes proclamés par l’article 10

du Traité, seul le Président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui est

compétent pour statuer en matière de contentieux de l’exécution ; qu’en l’espèce, le Président de la Cour

d’appel du Littoral, en statuant en matière de contentieux de l’exécution a méprisé les dispositions de l’article

49 […] en rendant l’ordonnance attaquée ; qu’il échet dès lors d’annuler ladite ordonnance pour violation de

la loi ».

Une bonne partie de la doctrine78 a accueilli favorablement ces décisions qui remettent en cause

la compétence du juge du contentieux de l’exécution de la Cour d’appel. D’autres critiquent ont estimé

que la CCJA n’avait rien à voir avec l’organisation interne des juridictions nationales. Ainsi, pour

Kenfack Douajni Gaston79, interprétant l’article 16 du Traité tout en insistant sur la deuxième phrase

76Anoukaha François (commentant la loi du 29 décembre 2006) : « La réforme de l’organisation judiciaire au Cameroun »,

Juridis Périodique n°68, octobre-novembre-décembre 2006, pp. 45 et s. Joseph Fometeu (commentant la même loi) : « Le juge

de l’exécution au pluriel ou la parturition au Cameroun de l’article 49 de l’acte uniforme OHADA portant voies d’exécution »,

Juridis Périodique n°70, avril-mai-juin 2007, pp. 97 et s. François Anoukaha (commentant la loi du 19 avril 2007) : « Le juge

du contentieux de l’exécution des titres exécutoires : Le législateur camerounais persiste et signe…l’erreur », Juridis Périodique

n°70, avril-mai-juin 2007, pp. 33 et s. 77Jean Jacques Ndibo Bigong : « Regards sur la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire », Revue

trimestrielle de droit et des activités économiques n°1, janvier-mars 2007, p. 157 et s. 78 René Njeufack Temgwa (commentant l’arrêt de la CCJA n°109/2014 du 04 novembre 2014) : « Le juge du contentieux de

l’exécution : la CCJA désavoue le législateur camerounais et…confirme sa jurisprudence », Juridis Périodique n°100, pp. 59

et s. 79 In « Les limites à l’abandon de souveraineté dans le Traité OHADA », Penant n°895, pp. 165 et s. A

son argumentation fondée sur l’article 16 du Traité, d’aucuns opposent les dispositions de l’article 2 du

Page 17: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

17

de ce texte, c’est la CCJA qui est dans l’erreur. Elle doit, soutient-il fermement, se déclarer

incompétente chaque fois qu’elle est saisie d’un pourvoi ayant trait au contentieux de l’exécution des

décisions rendues par les juridictions nationales.

La jurisprudence camerounaise est divisée sur ce débat. Certaines juridictions - elles sont

nombreuses80 - appliquent la loi nationale ; ce que fait aussi la Cour suprême81. D’autres, ultra

minoritaires, suivent la jurisprudence de la CCJA. C’est principalement le cas de la CA de l’Adamaoua82

qui, à notre connaissance, est la seule à le faire.

Au dire de Zibi Nsoe Toussaint - Directeur de la législation au moment de la rédaction de la loi

de 2007 -, il fallait, en ce moment-là et pour ce qui est précisément du juge du contentieux de

l’exécution des décisions judiciaires, choisir entre le système français et le système anglo-saxon (qui

ignore le juge des référés et le juge de l’exécution et qu’on ne balaie pas d’un revers de la main au

Cameroun, actualité socio-politique brûlante oblige) dont un principe veut que c’est le juge qui a rendu

la décision qui soit de nouveau saisi en cas de contestations ou de difficultés d’exécution. C’est ce

système qui a été choisi et c’est la raison pour laquelle le juge du contentieux de l’exécution a été

instauré aussi bien au TPI, au TGI, à la CA qu’à la CS. Malheureusement, cet argument de taille ne

figure pas dans l’exposé de motifs de cette loi ; ce qui n’enlève rien à la véracité du système anglo-

saxon sus-décrit dont a aussi parlé Henri Tchantchou en 2001, dans son article avant-gardiste : « Au

Cameroun, le contexte bi-jural du pays fait que les parties ex-occidentale anglophone et ex-orientale

francophone font usage : l’une des dispositions du sheriff and civil process ordinance, CAP 89 of the laws, l’autre

de celles de l’arrêté du 16 décembre 1954 instituant le code de procédure civile et commerciale. La substance

du texte anglo-saxon veut qu’en cas de contestation ou de difficultés d’exécution, le tribunal qui a rendu la

décision soit saisi au moyen d’une motion ex parte ou surtout de motion on notice. Le juge statue donc avec

célérité. »83

Quoi qu’il en soit, vue sous l’angle du droit anglo-saxon, la loi n°2007/001 du 19 avril 2007 n’a

pas violé le principe du double degré de juridiction - cher aux Français et Francophones - et le juge du

contentieux de l’exécution est bien à sa place, dans le contexte bi-juridique camerounais. Peut-être

qu’à travers un Avis à solliciter faudra-t-il bien expliquer cela à la CCJA où ne siègent pas les juristes

de culture anglo-saxonne, à notre connaissance. Peut-être changera-t-elle sa jurisprudence sus-

évoquée en tenant compte du cas particulier du Cameroun.

même Traité qui énumère les matières - parmi lesquelles les voies d’exécution - qui entrent dans le champ d’application du

droit de l’OHADA. 80 CA du Littoral, ordonnance n°093/CE/JP/ADD du 04 novembre 2015, rendue un an, jour pour jour, après l’arrêt de la CCJA

n°109/2014 du 04 novembre 2014 ; PTGI du Wouri, ordonnance n°543 du 14 août 2015 ; PTPI de Douala-Bonanjo, ordonnance

n°76 du 03 mai 2016 ; CA de l’Extrême-Nord, ordonnance n°10/CE du 03 août 2016 où il est notamment souligné :

« Considérant par ailleurs que l’article 49 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement

et des voies d’exécution semble être en contradiction avec l’article 16 du Traité du 17 Octobre 1993 (révisé le 17 Octobre

2008 à Québec)… ». 81 CS (Juge du contentieux de l’exécution des décisions de ladite Cour), ordonnance n°01/CE du 15 avril 2015, annulée par la

CCJA suivant arrêt n°131/2017 du 18 mai 2017. 82 CA de l’Adamaoua, arrêts n°02/CE du 03 février 2016 ; n°02/CE du 02 mars 2016 ; n°03/CE et n°04/CE du 11 mai 2016

dans lequel le juge d’appel dit, après avoir visé les articles 49 de l’AUPSRVE, 10 du Traité relatif à l’harmonisation du droit

des affaires en Afrique, 2 de la loi du 19 avril 2007 et l’arrêt de la CCJA n°109/2014 du 04 novembre 2014, « […] qu’en droit

processuel camerounais, la seule juridiction compétente pour connaître de l’urgence est le Président du tribunal de première

instance (article 182 du Code de Procédure Civile et Commerciale) ». Cet arrêt a, par ces motifs, annulé l’ordonnance n°09/Ord.

du 21 octobre 2015 du juge du contentieux de l’exécution du TPI de Ngaoundéré qui s’était déclaré « incompétent à statuer

s’agissant du contentieux de l’exécution d’un arrêt d’infirmation partielle de la Cour d’Appel ». Voir aussi, à toutes fins utiles,

CA du Littoral, ordonnance n°003/CE/JP du 06 janvier 2016 où il est dit : « Que sur le fondement de ces dispositions légales

[article 3 alinéa 1er de la loi du 19 avril 2007], l’ordonnance avant dire droit [n°093/CE/JP/ADD du 04 novembre 2015] a

rejeté l’exception d’incompétence tirée de l’article 49 de l’Acte Uniforme OHADA sur les Voies attribuant au seul président

du Tribunal de première instance la connaissance du contentieux de l’exécution et certifié ainsi que dans certaines hypothèses,

le Président de la Cour d’appel pourrait être saisi en premier ressort ». 83 Op. cit., p. 101.

Page 18: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

18

Une autre solution, proposée par Minko Minko Abel84, consiste à instituer, au niveau de chaque

juridiction (TPI, TGI, CA) un juge de l’urgence dans les matières relevant du contentieux de l’exécution

des décisions de justice rendues par chacune de ces juridictions, lorsque l’exécution est poursuivie

dans son ressort, tout en respectant le principe du double degré de juridiction au niveau de la Cour

d’appel et en supprimant le juge du contentieux de l’exécution des décisions à la Cour suprême.

Concrètement, il propose de légiférer ainsi qu’il suit, s’agissant précisément de la Cour d’appel :

« Lorsque le Juge du contentieux de l’exécution est le Président de la Cour d’Appel ou le Magistrat que celui-ci

a délégué à cet effet, sa décision est susceptible d’appel devant la Chambre du contentieux de l’exécution de

ladite Cour…» Cette solution, nous semble-t-il, a l’avantage de tenir à la fois compte des règles du droit

français (respect du principe du double degré de juridiction) et celles du droit anglo-saxon (contentieux

de l’exécution à connaître par le juge qui a rendu la décision) en la matière. Allant plus loin et plaidant

cette fois pour la reformulation de l’article 16 du Traité, il dit : « La phrase suivante, inscrite dans l’article

16 du Traité "Toutefois, cette règle n’affecte pas les procédures d’exécution" est sibylline, source

d’interprétations divergentes. Une meilleure rédaction de cet article fixerait les juristes sur le sens et la portée

de l’expression "procédures d’exécution"».

Enfin, il se pourrait que le législateur OHADA soit en train de réviser l’article 49 de l’Acte

uniforme n°6 en laissant le soin à chaque législateur national de désigner le juge du contentieux de

l’exécution au plan interne. Raison aura alors été donnée au Cameroun. Le législateur communautaire

doit également chercher à résoudre une fois pour toutes le casse-tête de la communication des

procédures au parquet dans les matières relevant du droit OHADA.

B- Le casse-tête de la communication des procédures au parquet dans les matières

relevant du droit OHADA

En dehors des procédures collectives d’apurement du passif où l’on a fait du parquet l’un des

organes du redressement judiciaire et de la liquidation des biens (article 47 de l’Acte uniforme y relatif),

le législateur OHADA n’a pas prévu la communication des dossiers de procédure audit parquet. Or,

dans certains pays de l’espace OHADA, la communication de certaines procédures au ministère public

est, sinon une obligation légale ou réglementaire, du moins une pratique courante. Tel est, par exemple,

le cas au Cameroun, au regard des articles 36 du CPCC, 29 de la loi du 26 décembre 2006 portant

organisation judiciaire, 4(4) in fine de la loi n°92/008 du 14 aout 1992 fixant certaines dispositions

relatives à l’exécution des décisions de justice, modifiée par la loi n°97/018 du 07 août 1997, des

circulaires ministérielles, de la pratique de la saisie immobilière et, tout récemment encore, du

traitement des demandes en exequatur des sentences arbitrales étrangères85. Tel serait également le

cas en Côte-d’Ivoire, au regard de l’article 106 du Code de procédure civile, commerciale et

administrative de ce pays. L’article 420 (nouveau) du Code de procédure civile, commerciale, sociale,

administrative et des comptes en République du Bénin dispose pour sa part que sont obligatoirement

communicables au ministère public, pour ce qui est précisément du droit des affaires, les procédures

de suspension des poursuites et d’apurement du passif, les procédures de redressement judiciaire et

de liquidation des biens concernant les sociétés commerciales ainsi que les causes relatives à la

responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux, aux faillites personnelles et autres sanctions.

84 In « Le champ de compétence du juge du contentieux de l’exécution », exposé présenté à l’occasion du séminaire de formation

des magistrats tenu à Yaoundé du 02 au 04 mai 2018. 85Avant l’avènement du nouvel Acte uniforme sur l’arbitrage, les présidents des juridictions compétentes en la matière, estimant

que la procédure d’exequatur était contradictoire, ordonnaient systématiquement la communication au parquet, au nom de

l’ordre public national, des dossiers de procédure relatifs aux demandes d’exequatur des sentences arbitrales étrangères. Ils se

posent la question de savoir s’il faut continuer à le faire maintenant que ce nouvel Acte a rendu cette procédure, encadrée dans

un délai strict de 15 jours, non contradictoire.

Page 19: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

19

Pour justifier la communication des dossiers de procédure au parquet, y compris ceux relatifs au

droit OHADA - qui s’accommode mal des lenteurs judiciaires, business oblige -, l’on invoque l’ordre

public dont le sempiternel garant est le parquet.

Au nom de la célérité judiciaire réclamée par le monde des affaires, la CCJA s’oppose

systématiquement à cette pratique. Pour elle, « toute disposition de droit interne qui prévoit une étape de

communication obligatoire de l’affaire au parquet est contraire à la lettre et à l’esprit du droit OHADA ». Cette

position a été exprimée dans de nombreux arrêts86 dont celui n°057/2005 du 22 décembre 2005

intervenue en matière de saisie immobilière87.

Dans ce débat, la CCJA a des défenseurs et des adversaires. Les premiers disent que le parquet

est le bras séculier de l’exécutif et le « cimetière des dossiers de procédure ». Ils n’ont pas totalement

tort, étant observé que la communication systématique des procédures au parquet peut aussi nuire à

l’Etat. Six affaires opposant l’Etat du Cameroun (précisément le ministère des forêts et de la faune et

le ministère des finances) à certaines sociétés du Groupe Hazim, dont le traitement devant le juge du

contentieux de l’exécution du TGI du Wouri a commencé le 15 mai 2009 et pris fin le 04 septembre

2015, en sont la preuve palpable. Les seconds se fondent sur le respect du droit processuel interne et

l’intérêt à observer l’ordre public même en matière de droit des affaires. Ainsi, pour Henri

Tchantchou, « La position de la CCJA probablement inspirée par le souci de célérité peut être critiquée car

l’OHADA n’a pas vocation à règlementer les modalités processuelles des instances dans les Etats parties. »88

Pour sa part, Edouard Kitio s’exclame : « Dans le cadre de l’harmonisation du droit des affaires, les Etats

n’ont pas pensé aux affaires communicables. Comment comprendre que le tribunal ne communique pas au

ministère public les causes concernant l’ordre public, l’Etat, le territoire, les domaines, les communes et les

établissements publics, alors même que l’exécution sans précaution des décisions concernant ces entités est de

nature à créer de sérieux problèmes de stabilité au sein de l’Etat ? Qui, autre que l’Etat ou ses démembrements

doit prêter main forte à l’exécution d’une décision rendue au mépris des considérations d’ordre public et de la

paix sociale ? La justice peut-elle exister sans l’Etat ? N’est-ce pas du reste une institution étatique qui concourt

au maintien de l’ordre et de la stabilité étatique ? Jusqu’où peut-on aller avec une justice qui constitue un Etat

dans un Etat ? Ce questionnement permet de se rendre compte que le souci de rapidité recherché à travers

l’omission du Ministère Public dans les affaires sensibles ne garantit pas toujours l’exécution des décisions à

intervenir »89. Ces auteurs n’ont pas tort, eux aussi, car, de plus en plus, des voix s’élèvent pour réclamer

l’élargissement des compétences de la CCJA en matière pénale90 ou pour créer un Parquet général

près la CCJA, avec obligation pour celle-ci de communiquer les dossiers de procédure à celui-là91. L’on

se demande aussi pourquoi l’on peut admettre la communication des dossiers au parquet relativement

aux procédures collectives d’apurement du passif et l’interdire en d’autres matières relevant elles aussi

du droit de l’OHADA.

86CCJA, arrêts n°003/2002 du 10 janvier 2002 ; n°016/2004 du 29 avril 2004 ; n°021/2009 et n°023/2009 du 16 avril 2009. 87 Lire à ce sujet : Yikam Jérémie et Teppi Koloko Fidèle, commentaire de l’arrêt CCJA n° 057/2005 du 22 décembre 2005,

Juridis Périodique n°69, pp. 51 et s. Jacques Dérinmsky Mvoula : « Le ministère public à l’épreuve du droit OHADA : cas de

la saisie immobilière. A propos de l’arrêt CCJA n°057 du 22 décembre 2005, SGBC c/ Essoh Grégoire (Esgreg Voyages) ».

Article lu sur Internet. 88In « La place du Parquet ou Ministère public dans les processus judiciaires communautaires : le cas de l’OHADA », revue de

l’ERSUMA n°1, juin 2012, pp. 489 et s. 89 In « Le Ministère Public en droit OHADA : Une institution controversée ? (Etude à la lumière de la législation

camerounaise) », Juridis Périodique n°97, pp. 111 et s. 90Thierno Amadou Ndiogou : « Leurre et lueur sur l’incompétence de la CCJA dans le contentieux répressif OHADA »,

annotations de l’arrêt de la CCJA n°03/2018 du 11 janvier 2018. Article lu sur Internet. 91Voir à ce sujet la proposition de la République du Bénin portant amendement des articles 15 et 31 du Traité relatif à

l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, actuellement posée sur la table du Secrétariat permanent de l’OHADA.

Page 20: Regards sur la Jurisprudence OHADA (CCJA et Nationales)cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/08/COJA... · Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux 2 « Ubi

Coja 2018 _ Etat de la jurisprudence OHADA par M. Eyike-Vieux

20

Pour résoudre ce casse-tête, l’on peut suggérer au législateur OHADA de couper la poire en

deux en instituant la communication des copies de procédures au parquet et en lui impartissant un

délai pour les rétablir au siège, faute de quoi la juridiction saisie passera outre et statuera. Il faudra

aussi, pour cela, compter sur le courage des magistrats du siège.

En conclusion, il faut louer l’immense travail abattu aussi bien par les juridictions

nationales de l’espace OHADA que par la CCJA dans la construction jurisprudentielle de ce droit

communautaire sur lequel l’on fonde les espoirs du développement économique et social de l’Afrique.

Certes, beaucoup a été fait, mais beaucoup reste encore à faire. Restons optimistes pour ne pas

décevoir les pères fondateurs de l’OHADA dont certains ne sont plus de ce bas monde.