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REMERCIEMENTS
Un grand merci à Anne Brouillard pour ce magnifique cadeau,
à Claire Segura-Balladur et Evelyn Audureau pour cette merveilleuse ren-
contre, leur enseignement et leur soutien sans failles,
à ma famille, mes amies et amis pour leurs encouragements et leur présence
de chaque instant,
aux élèves, enseignants, chercheurs, auteurs et éditeurs qui ont répondu à
mes demandes, m’ont lu, encouragé et accompagné tout au long de ce tra-
vail de recherche et d’écriture.
Que tous ceux et celles qui ont croisé mon chemin tout au long de ce par-
cours universitaire et professionnel soient remerciés.
Ce résultat est l’œuvre de tous.
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION 5
Présentation de l’auteure-illustratrice Anne BROUILLARD 9
PREMIÈRE PARTIE : Circuler d’un album à l’autre à partir de
La terre tourne 13
I. Présentation de l'album La terre tourne 17
II. Quelques résonnances lexicales et thématiques 45
III. Quelques résonnances imagières 87
DEUXIÈME PARTIE : Un exemple de continuité narrative 134
I. Le pêcheur et l’oie 138
II. Le voyageur et les oiseaux 144
III. La famille foulque 150
IV. La vieille dame et les souris 160
V. De l’autre côté du lac1 173
VI. Les liens et les résonnances entre eux 183
VII. Les liens et les résonnances avec La terre tourne 198
CONCLUSION 201
BIBLIOGRAPHIE détaillée d’Anne Brouillard 204
BIBLIOGRAPHIE 223
SITOGRAPHIE 229
ANNEXES 231
TABLE 252
1 « À cause de l’inspiration, c’est le même lac que dans La terre tourne. De l’autre côté du lac est aussi
inspiré de l’ambiance de ce fameux lac Teåkersjön à Dalskog en Suède. » Extrait de l’entretien télépho-
nique avec Anne Brouillard du 31/01/2011.
4
5
INTRODUCTION
Anne Brouillard2 est « l’un des très grands talents de cette décennie » comme
l’annonce son éditeur de chez Grandir, René Turc quand il publie son album L’orage en
1994. Album qui est d’ailleurs le préféré d’Anne Brouillard car elle y a réussi
« l’équilibre imagier » à son goût. Dans le catalogue des dix ans de Pastel (1998), Mi-
chel Defourny écrit : « Anne Brouillard est sans conteste l’une des grandes figures de
l’album contemporain. Son itinéraire l’a menée chez de nombreux éditeurs ». En effet,
si Anne Brouillard est reconnaissante envers Marie Wabbes qui lui a offert ses premiers
contacts éditoriaux, son style est maintenant reconnu et chaque éditeur la choisit pour
ses qualités et son talent. Réciproquement, quand elle travaille sur un projet de livre,
elle sait quel éditeur va être intéressé pour le publier. Car, elle est « toute vouée à la
création des plus beaux albums qui soient3 ». Elle est « l’artiste née, (…) celle qui existe
pour créer … celle pour qui la vie est la substance de l’art ; et l’art est le regard qui
plonge au cœur de la vie4 ».
Les amateurs de ses œuvres ne tarissent pas d’éloges. Cependant, chacun cons-
tate qu’elle n’est pas appréciée à sa juste valeur. Pourquoi ? Est-ce dû à la « frilosité5 »
de certains éditeurs, comme cela fut le cas pour Voyage par exemple. Ou bien parce que
ses albums sont tout simplement « trop méconnus6 » du grand public d’après Sophie
Van der Linden. Ou encore parce qu’ils seraient « hermétiques7 » pour certains lecteurs
selon Patrick Joole.
La lecture de ses albums demande du temps et de l’attention mais aussi, plu-
sieurs relectures qui se complémentent et s’enrichissent. Le lecteur doit refaire le che-
2 « À mon sens, l’album sait véritablement mobiliser l’ensemble de ses capacités expressives à l’exact
point médian de ces deux pôles, lorsque le rapport entre texte, image et support s’équilibre tout à fait.
Anne Brouillard, (…) sont quelques-uns de ceux qui maîtrisent ce délicat équilibre. » Sophie Van der
Linden, in L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ? Textes réunis
et présentés par C. Connan-Pintado, F. Gaiotti et B. Poulou, Modernités 28, PUB, 2008, p. 12. 3 Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 59.
4 Stefan Zweig, préface de Romain Rolland, Amok, Livre de poche, 2001, p. 9.
5 Extrait de l’échange par e-mail avec René Turc du 31/10/2010.
6 Source : http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html
7 Patrick Joole, Les albums d'Anne Brouillard, un miroitement aquatique, communication sur son travail
lors du colloque sur l'album de Clermont-Ferrand dont les actes sont à paraître aux Presses Blaise Pascal.
6
minement8 de la création. Anne Brouillard lui laisse un grand champ de liberté et
d’expression interprétative et imaginative9. « La littérature est l’œuvre autant de l’auteur
que du lecteur lui-même puisqu’ils tissent ensemble ce que va être l’histoire10
». Elle
construit ses livres avec passion et patience, elle s’investit pleinement dans chacun.
« Elle reprend, retravaille la matière, sans cesse réaccorde les rapports, les forces. Longue
patience, longue obstination. Ce qu’elle recherche, ce n’est pas juste une suite d’images
mais une partition d’images qui sonnent juste. (…) Ce ne sont pas des tranches de vie
qu’Anne Brouillard nous donne à voir, ce sont des moments choisis pour leur particularité,
où la perception du banal saute dans une autre dimension mentale. À travers la réactivation
ou la réinvention des souvenirs d’enfance, c’est avec le phénomène des épiphanies (épipha-
nie, du grec epiphania, apparition) qu’elle renoue spontanément, magnifiquement. (…)
Chaque album est une expérience nouvelle11
».
Quand elle l’édite, elle l’offre au lecteur qui y retrouve cette atmosphère. La lec-
ture de l’un interpelle la lecture d’autres. C’est la découverte de ces résonnances qui
déclenche le plaisir de la lecture complice avec cette auteure-illustratrice. Son œuvre
mérite d’être connue et savourée.
Cette modeste étude « résonnante » « à partir de » et « autour de » La terre
tourne voudrait lui offrir une juste reconnaissance comme elle l’a fait en dédicaçant son
premier album à Marie Wabbes. L’organisation de ce mémoire s’apparente donc à son
style « en boucle » et en images.
Malgré son aveu à Nicole Nachtergaele en 1996, pour le numéro 2 de la revue
Alice : « je n’aime pas quand on écrit sur moi, ce qu’on écrit sur moi … », suite à notre
coup de cœur pour son album La terre tourne, nous avons cherché à la rencontrer via
Aude Marin, attachée de presse aux éditions Seuil Jeunesse-Le Sorbier. Elle a répondu à
notre demande avec joie. C’est avec beaucoup de patience et de ferveur qu’elle a ac-
compagné notre travail de recherche. Avec elle, nous avons recréé son univers en cons-
tellations « à partir de » et « autour de » La terre tourne car, elle fait partie des artistes
qui « créent leur Cosmos entier, leur univers propre avec ses espèces et ses lois propres
de gravitation … 12
».
8 « Explorer une page comme on explore un nouveau territoire, y chercher son chemin, les chemins pos-
sibles, relier des repères, en déduire une signification. » C. Connan-Pintado, F. Gaiotti, B. Poulou,
L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, PUB, 2008, avant-
propos, p. 10. 9 « Quant à l’imaginaire, il ne s’oppose nullement à la réalité : il n’en est ni le contraire ni l’adversaire,
mais constitue lui aussi une réalité différente, fertile, mélancolique, complice de tous nos souvenirs. »
Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs, éditions du Seuil, 2010, p. 13. 10
Edwige Chirouter, Master 2 LIJE, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse. Apprendre à
philosopher dès l’école primaire grâce à la lecture de récits, 2010-2011, p. 7. 11
Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à
Bruxelles", 1994. 12
Stefan Zweig, préface de Romain Rolland, Amok, op. cit., p. 12.
7
Ainsi, ce mémoire souhaite mettre en valeur la richesse de l’œuvre, l’artiste et la
femme qu’est Anne Brouillard.
La terre tourne est un album majeur dans l’œuvre et la vie d’Anne Brouillard. À
notre niveau de lecteur, c’est cet album qui a tout déclenché : la rencontre avec l’œuvre
et la personne. En effet, par ses résonnances, la lecture de cet album appelle la décou-
verte des autres. Il est infini … Notre étude est aussi une amorce, une incitation à la
lecture de son œuvre et une introduction à un autre travail de recherche peut-être.
La première partie présente l’album La terre tourne au fil de la lecture. Cet al-
bum étant « très complexe », les trois styles illustratifs sont minutieusement décryptés,
l’un après l’autre, avant d’aborder l’analyse du texte au fil de la narration. Le chemin de
fer de l’album présenté en annexe permet une vue globale sur ses rouages et ses liga-
tures. Les copies du carnet d’Anne Brouillard en annexe montrent le cheminement créa-
tif au fil des pages. Le lecteur y voit comment les liens s’y construisent grâce aux possi-
bilités offertes par l’album.
Dans le cadre de la deuxième partie, le travail sur les résonnances entre les al-
bums à partir de La terre tourne commence par le texte. Le lecteur de ce mémoire y
trouve mis en lumière des résonnances lexicales dans un premier temps. Ensuite, cette
analyse lexicale est suivie d’une présentation des différents narrateurs textuels dans les
albums d’Anne Brouillard et d’une étude de quelques résonnances sensorielles et thé-
matiques parmi les plus représentatives de son œuvre.
La troisième partie s’attache à l’étude des résonnances imagières. Chacun des
huit personnages présents dans La terre tourne y est analysé à travers l’ensemble de
l’œuvre d’Anne Brouillard. Ensuite, cette partie met en valeur quelques résonnances
environnementales et quelques objets récurrents dans l’univers illustratif d’Anne Brouil-
lard.
Dans la dernière partie, afin de revenir dans l’univers de La terre tourne, le lec-
teur fait un détour « résonnant » par Bruxelles et Paris où il rencontre de nouveaux per-
sonnages. Les cinq albums analysés ici sont doublement résonnants. Dans un premier
temps, notre analyse montre comment ils se complémentent entre eux, pour ne former
presque qu’un seul album finalement. Enfin, ce mémoire montre comment ils permet-
tent le retour du lecteur dans l’univers de La terre tourne.
8
Ainsi, le lecteur découvre les fils qui s’entrecroisent et se tissent entre les albums
« à partir de » et « autour de » La terre tourne. Au rythme de ces résonnances, cette
étude incite le lecteur à voyager d’un album à l’autre. Comme nous sommes dans
l’univers d’Anne Brouillard, il est tout à fait naturel de cheminer tranquillement, d’aller
voir ailleurs, mais aussi, de revenir où on est bien. Notre écriture part donc de La terre
tourne pour y revenir.
9
Présentation d’Anne Brouillard :
auteure-illustratrice
Anne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge
et d’une mère suédoise, elle y grandit et suit des études artistiques à l'Institut Saint-Luc
à Bruxelles.
« J’ai fait des études d’illustration, après avoir fait une année d’institutrice maternelle.
Mais, j’avais une idée du métier pas juste ! Et aussi j’avais besoin de comprendre qui
j’étais vraiment ! C’était l’idée de la façon dont les gens me voyaient de l’extérieur .
J’avais l’idée de faire quelque chose en rapport avec les enfants mais pas de faire un livre
pour les enfants. Et pourtant, j’ai choisi illustration et pas peinture dans mes études ! En
commençant mes études d’illustration, ma vision du livre pour enfants a changé. Ma vision
sur ce que je pouvais faire moi-même aussi.
Le côté narratif … travailler pour mettre l’image au service de quelque chose de littéraire,
l’image qui raconte quelque chose, j’avais envie de faire des livres mais j’avais
l’impression d’y voir une limite, hors, il n’y en a pas…
J’aime dessiner naturellement depuis toujours et je ne me suis jamais arrêtée. Tout le
monde dessine dans ma famille, j’ai plusieurs sœurs et c’était comme un jeu entre nous …
Je passais beaucoup de temps à dessiner, même en classe ! J’ai une sœur peintre : elle,
avec son chevalet posé dans la nature, on voyait nos différences déjà enfant. C’est le dessin
qui ne va pas dans la même direction, dessin plus utilisé dans des choses imaginaires,
j’utilisais le dessin pour représenter ça.
Je fais des livres pas spécialement pour les enfants mais pour les enfants aussi, ce n’est pas
si simple à expliquer … le créneau est d’une grande liberté, les possibilités sont énormes en
fait13
».
Elle perçoit donc très rapidement que l’album pour la jeunesse est un support
sans fin14 pour l’expression de son inspiration avec tout le talent qui la caractérise.
Elle a quatre sœurs. Elle passe ses vacances en Suède, chez ses grands-parents
maternels. « La fiction littéraire n’est donc pas seulement de l’ordre de l’imaginaire
mais elle dispose aussi d’une « fonction référentielle » qui dévoile des dimensions in-
soupçonnées de la réalité. (…) Il existe une corrélation intime et profonde entre le
monde de l’enfance et les mondes de la fiction et l’imagination15
». Les souvenirs de
leurs maisons lui inspirent l’album Le pays du rêve et L’orage notamment et la Suède
13
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard à Toulouse lors du salon vivons-livre, le 07/11/2010. 14
« L’album est le lieu de tous les possibles. » Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants,
l’analyse des livres d’images, N° 214, décembre 2003, p. 63.
« Je peux vivre à travers la fiction littéraire, des expériences que je ne connaîtrai jamais dans la vie réelle.
Elle m’ouvre ainsi à tous les possibles. Elle constitue à ce titre une expérience vivante, authentique, sin-
gulière et universelle à la fois, par laquelle les hommes vont pouvoir appréhender le réel. La fiction per-
met d’expérimenter de nouveaux rapports au monde. Elle apporte des points de vue inédits. L’imaginaire
est comme un immense laboratoire où les hommes peuvent modeler, dessiner, redessiner à l’infini les
situations, les dilemmes. » Edwige Chirouter, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse, op.
cit., p. 5. 15
Edwige Chirouter, Ibidem., p. 6.
10
lui inspire les albums La terre tourne, Mystère, Il va neiger et De l’autre côté du lac
entre autre. En 1990, Trois chats, son premier album pour la jeunesse publié, connaît
très vite un succès qui ne s’est jamais démenti depuis. L'ensemble de son œuvre est vi-
suelle16
et invite le lecteur à des promenades imaginaires (La maison de Martin, Prome-
nade au bord de l’eau … par exemple.) Son dessin17
n'évoque pas pour autant le mou-
vement. Elle installe des plans larges et fixes qui demandent des pauses dans le rythme
de lecture et entraînent dans un univers riche et plein de surprises. Elle complète ses
techniques artistiques par une approche cinématographique. La double-page à fond per-
du, s'apparente à un écran de cinéma. Elle se passionne d’ailleurs pour le film
d’animation.
Elle crée chaque fois un univers sensitif où les impressions et les exigences ne
sont pas les mêmes selon les techniques utilisées. Par exemple, son travail avec la pein-
ture figure les paysages et les personnages par l’ombre et la lumière, donnant des sil-
houettes plus floues. Le crayon noir ou de couleurs peut aussi alterner ou se mêler avec
des couches de peintures, faisant apparaître des strates graphiques ou d’autres espaces
de créations comme autant de sens possibles. Certains albums sont davantage liés à une
atmosphère ou à des lumières qui changent. Son style d’expression textuel est riche
d'une forte poésie18
créant un rythme entraînant et envoûtant. Tout au long du travail de
création, ses idées qui deviendront ses futurs albums se croisent et s’enrichissent car elle
travaille toujours plusieurs projets à la fois. « Elle remplit le moindre vide de ses carnets,
des cahiers d’écolière, noircis consciencieusement, comme autant de blocs alignant
leurs masses régulières, pour ne laisser que la respiration de la marge imposée. Un es-
pace qui disparaît même dans les albums terminés où la peinture a tendance à couvrir
l’ensemble de la surface19
». C’est ainsi que les résonnances se construisent tout naturel-
lement au sein même de ses carnets.
16
« Les sujets de mes livres sont liés à des choses vues, observées, dans la vie, dans la rue, le côté pro-
menade de la vie. Je vois … ça me donne toutes mes histoires qui sont presque toutes là … » : Extrait de
l’entretien avec Anne Brouillard au salon vivons-livre, le 07/11/2010. 17
Elle porte fièrement son nom prédestiné. « Je peints et je dessine au crayon en masse, je ne fais pas de
contours, je peints en masse d’ombre et de lumière, pas au trait. Ce n’est pas pour rien que je m’appelle
« brouillard », c’est parce que je m’appelle ainsi que je suis ainsi !!! » Extrait de l’entretien téléphonique
avec Anne Brouillard du 27/10/2010. 18
Dans son article L’album en liberté, Sophie Van der Linden écrit à propos de l’album : « La narra-
tion… ne prend pas nécessairement la forme d’un récit et s’aventure davantage vers une expression poé-
tique. » in Littérature de jeunesse, incertaines frontières, colloque de Cerisy, Gallimard Jeunesse, 2005,
p. 93. 19
Jean Perrot, Pictogénèse de l’album contemporain pour la jeunesse et conversation du patrimoine, in
L’image pour enfants : pratiques, normes, discours, études réunies et présentées par Annie Renonciat,
éditions La Licorne, PUR, 2007, p. 33
11
Elle adore observer très attentivement les animaux et la nature. Elle a un rapport
privilégié avec la nature, le rythme des saisons20
, l’eau21
et tous les éléments22
qui nous
entourent. En harmonie avec sa personnalité et sa vision du monde, le rythme de ses
albums est un mouvement lent, un cheminement ou encore une métamorphose harmo-
nieuse. Tout s'accomplit à ce même rythme pour tous, tout bouge, change, évolue, se
transforme. Le lecteur adopte donc le rythme du promeneur ou du randonneur en balade
dans ses albums.
« La nature est très présente dans vos livres. Quel est votre rapport aux éléments qui vous
entourent ?
- Anne Brouillard : « C’est très difficile d’expliquer une chose qui pour moi est évidente :
je vis avec les éléments. Ils sont là, ils font partie de ma vie, la nature EST mon élément. Le
changement de lumière, le passage des saisons, la tombée de la nuit, l’arrivée de la neige
ou d’un orage… Tous ces « évènements » sont pour moi de véritables sujets d’albums …
J’utilise alors des déambulations d’un lieu à un autre pour raconter à la fois le temps qui
passe et la météo. Il peut y avoir un rapport encore plus concret entre les albums et la na-
ture : quand j’ai fait La terre tourne, je campais au bord d’un lac dans la forêt (en Suède).
Ce livre est donc peint exclusivement à l’eau du lac. Les fourmis et les blaireaux ont goûté
à la peinture (à l’œuf). Le vent a certainement emporté l’un ou l’autre brouillon. Et les pin-
ceaux oubliés dans la bruyère ont rouillé sous la pluie et la neige…. 23
».
Son œuvre évoque les paysages extérieurs des pays du nord de l’Europe : les
canaux, les lacs, la couleur du ciel, les conditions météorologiques, les forêts, le plat
pays, les architectures… tandis que l’intérieur des maisons24
est chaleureux et accueil-
lant, (sauf dans Le rêve du poisson, avoue t’elle), à l’image de la cafetière rouge25
qui
pourrait représenter le symbole de cette atmosphère où on se sent bien. D’ailleurs, elle
suggère à son public qu’elle les crée ainsi parce qu’elle aimerait y vivre. Si le résultat
est aussi que nous pouvons admirer ses albums comme de beaux livres d’artistes, c’est
parce qu’elle y passe beaucoup de temps, qu’elle s’y investit pleinement et qu’elle se
20
Quelle est votre saison préférée ? « Toutes les saisons et le déroulement des saisons parce que ça
change et elles sont toutes particulières.» Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 21
Lire à ce sujet la communication de Patrick Joole lors du colloque sur l'album de Clermont-Ferrand en
2010 : Les albums d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique, actes à paraître aux Presses Blaise Pas-
cal au printemps 2011. 22
« J’ai compris pourquoi Monsieur René Turc m’avait proposé de travailler avec Anne Brouillard : c’est
un paysage qui lui parlait, un paysage dans lequel elle aimait être et travailler, un paysage qui
l’inspirait… La nature et ses éléments lui parlent. » Extrait du courrier du 15 novembre 2010 reçu de Mr
Gilles Auffray, Le gardien des couleurs, depuis Londres. 23
Extrait d'une interview d'Anne Brouillard donnée lors des rencontres 2009 de « Livre comme l'air ».
(Propos recueillis par Pascal Broutin lors d'une conférence de Sophie Van der Linden). 24
« J’aime beaucoup dessiner les maisons, les imaginer. Le rapport intérieur / extérieur avec la maison
se trouve dans un paysage. Être dehors et imaginer dedans ou au contraire être dedans et voir l’extérieur.
Expliquer le cheminement des maisons : par exemple dans L’orage, qui est mon livre préféré : Commence
à l’intérieur, on a la véranda, dès la première page on voit l’intérieur et l’extérieur (miroir). Petit à petit
on va visiter la maison, on en fait le tour puis on y revient. Cet album est autant l’histoire de la maison
que celle de l’orage et du temps qui passe. Je fais le plan, je construis les maquettes des maisons. » Ex-
trait de la conférence du 06/11/2010 à Toulouse. 25
« C’est celle de mes grands-parents qui m’a servi de modèle ! » Ibidem.
12
pose nombre de questionnements pour leur construction. Par la suite, le travail du lec-
teur, son jeu, son rôle, consiste à rechercher l'espace et le temps de la création, à recons-
truire le fil de la narration visuelle et textuelle.
Anne Brouillard invite donc son lecteur à recréer son univers. Pour ce faire, il
doit se laisser porter par la force et la richesse de ses illustrations et/ou de ses textes. Il
doit partir explorer ses albums. Ainsi, au fil de ses lectures, il rencontrera ces petits mo-
tifs que sont les personnages (êtres humains ou animaux), les objets26
,
l’environnement27
… pour les retrouver d'une page à l’autre et d'un album à l'autre car
ils sont comme des fils à tirer, pour reprendre l’expression de Sophie Van der Linden, et
à tisser. Elle construit ses albums telle une invitation à l'exploration, à la recherche d'un
trésor : le plaisir de la reconstruction d'une histoire s’enrichit à chaque nouvelle lecture.
Ce plaisir est double, il est esthétique et intellectuel. Il est jubilatoire à tout âge. Nous
pouvons lire et relire ses albums sans fin, nous trouverons toujours de nouveaux indices,
de nouvelles pistes28
. Nous pouvons les lire et les relire, pour la beauté de ses illustra-
tions, pour le plaisir de son écriture poétique, pour le plaisir de les partager …
Anne Brouillard est choisi par son lecteur pour son talent et la force de recréa-
tion qu’elle lui offre. Ce sont les mêmes qualités qui incitent des auteurs et des éditeurs
à vouloir travailler avec elle et nulle autre. Ses qualités humaines telles que l’humilité et
la simplicité qui caractérisent les grands artistes font d’elle une auteure-illustratrice
d’une qualité remarquable.
26
« Cafetière, théière, réveil, petits pots … sont l’expressions du temps. Dans l’univers des maisons habi-
tées : trace, présence, souvenirs … Les objets sont importants, comme un décor de théâtre. Ils révèlent
quelque chose de la personne qui y habite. » Ibidem. 27
« L’homme est dans son environnement qu’il comprend, il connaît sa juste place, en contemplation
paisible. La terre tourne, on tourne en rond. C’est mon interprétation de la vie, la façon dont je ressens
l’existence, une relation familière à l’animal, en harmonie, pas d’hostilité, dans ce monde cohabité, tout
fonctionne ensemble … » Ibidem. 28
« J’ai fait mon premier livre quand j’avais 9 ans : « une ferme à la campagne ». Le côté objet livre,
c’est quelque chose qui j’aime faire. À 13 ans « pas de titre ». On est déjà qui on est, très lié à ce que j’ai
fait plus tard, sans texte : « un paysage l’été – un château : Zoom sur le château, une entrée secrète, on
entre … Zoom dans château, on circule, on rencontre des lutins, des sorcières … Et on ressort du château,
et c’est l’hiver … j’avais déjà le truc en boucle et l’évolution dans l’espace ! » Extrait de l’entretien avec
Anne Brouillard du 07/11/2010.
13
PREMIÈRE PARTIE :
Circuler d’un album à l’autre
à partir de La terre tourne
14
Ce choix de présenter les résonnances à partir de l’album central La terre tourne
est justifiable au regard de différents paramètres. Dans une vision chronologique de sa
bibliographie, il s’agit de son douzième album sur ses vingt-cinq édités en tant
qu’auteure-illustratrice. Il est donc central dans sa bibliographie au regard de ses œuvres
réalisées en amont et en aval. Sur un plus large, au regard de la cosmogonie, Anne
Brouillard a écrit et illustré son album « à l’échelle du tout grand et à l’échelle du tout
petit dans l’ordre de l’univers » pour célébrer l’attente d’un enfant à naître. Ce mémoire
se voudrait générateur d’énergie en faveur du talent29
d’Anne Brouillard, comme la terre
tourne et nous entraîne tous dans sa ronde, petits et grands, à l’image de sa conception
de la vie « unitaire ». Aux yeux d’Anne Brouillard, nous sommes tous égaux : les êtres
humains, les animaux et la nature qui est accueillante et protectrice dans son univers.
Ainsi, le lecteur peut y découvrir un message de protection de notre environnement. Elle
parle du respect du cycle de la vie que l’on peut rapprocher de la théorie des cinq élé-
ments. Tant par le texte que par les illustrations, elle sollicite les cinq sens. Autant de
résonnances qui se retrouvent dans ses autres albums. La terre tourne est un album
complexe, tant au niveau de la mise en page qu’au niveau des techniques approchées
(album, Bande Dessinée, cinématographique), avec des séries d’images séquentielle30
et
d’illustrations à fond perdu en pleine page, son style d’écriture, une véritable prose poé-
tique … Autant de techniques et d’effets qui se retrouvent dans ses autres albums. Ses
thèmes sont d’une portée universelle, tout le monde est concerné. Le lecteur se déplace
« autour de la terre » dans des lieux différents31
, y rencontre des personnages humains et
animaux, y découvre des objets, des environnements, au fil des saisons … qui sont au-
29
Pour Sophie Van der Linden, (aussi), « cette œuvre ne rencontre pas le succès, qu’elle mériterait auprès
du public. » in http://esaatcdi.canalblog.com/archives/2009/05/28/13887764.html
Elle a publié vingt-cinq albums qui séduisent autant qu’ils déconcertent. Elle précise également que le
point de vue, le cadrage, l’ordre séquentiel des images est toujours un gros travail, et que le lecteur doit
aussi faire un effort de reconstruction de l’espace et du temps pour entrer dans son univers. In
http://webetab.ac-bordeaux.fr/Primaire/64/Orthez/CR/brouillard.pdf
« C’est précisément là que se situe le problème du spectateur lecteur : il ne parvient pas à faire les liens
entre des illustrations que son cheminement a contribué à isoler, éprouve des difficultés à identifier des
personnages aux traits souvent flous et ne saisit pas la cohérence narrative. » Patrick Joole, Les albums
d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique. 30
« Les images séquentielles sont articulées iconiquement et sémantiquement. » La revue des livres pour
enfants, N° 214, op. cit., p. 64. 31
Contrairement à l’analyse de Christian Poslaniec et Christine Houyel : « Que va-t-il se passer ?
L’auteur va-t-il choisir de nous montrer une itinérance, comme, le suggère l’image ? Ou des personnes
qui « restent toujours au même endroit » ? C’est ce second choix qui prévaut, mais pour s’en rendre
compte, les lecteurs doivent regarder soigneusement chaque image et conclure qu’il s’agit toujours du
même lieu : on voit le viaduc par la fenêtre, dans la scène où l’homme et le chien sont attablés ; le viaduc
est encore présent dans de nombreuses scènes ou, quand il n’y est pas, on voit des éléments présents dans
les images précédentes. En même temps se construit, dans cette histoire statique (même lieu), une double
relation. … » Activités de lecture à partir de la littérature de jeunesse, Hachette éducation, 2000, p. 215.
15
tant de résonnances à savourer et à partager, au rythme de la terre qui tourne, sur elle-
même et autour du soleil, entraînant ses satellites dans sa ronde à l’instar des autres al-
bums d’Anne Brouillard. Ce travail d’écriture depuis La terre tourne vers ses autres
œuvres correspond aussi à son style « en boucle ». L’organisation de ce mémoire se
présente « à la manière de … ». Ainsi, il se lit à partir de La terre tourne, autour de La
terre tourne pour revenir à La terre tourne.
De plus, La terre tourne est la source d’inspiration pour l’histoire sur laquelle
elle travaille depuis quelques années et qu’elle appelle « le livre de ma vie » qui reprend
tous ses personnages (avec le magicien rouge entre autre) et même d’autres encore. Ce
futur album illustre comment l’imagination de son enfance, avec ses sœurs, se concré-
tise à l’âge adulte, en tant qu’auteure-illustratrice de renom. (On y trouve une carte des
mondes « à la Tolkien », un message écologique avec un risque de dérèglement clima-
tique et une nécessaire biodiversité dans l’écosystème. Nous y sommes tous interdépen-
dants, les animaux humanisés sont de la même taille que les êtres humains, on y dé-
couvre des inventions futuristes et écologiques comme pouvoir voler avec un batteur à
main qui crée des petits nuages quand on l’active … « en tout cas, ça a l’air de fonc-
tionner ! » reconnaît Anne Brouillard avec un large sourire communicatif. La mise en
page s’approche du roman graphique avec beaucoup de texte, des phylactères, des illus-
trations encadrées et certaines de pleine page, surtout en noir et blanc …) Il sera prêt
dans deux ou trois ans, avoue t’elle. Le lecteur a hâte de le découvrir.
Et puis, tout simplement, parce que nous sommes des êtres humains, à l’image
des êtres vivants sur cette terre parmi et avec tous les éléments, y circulant au rythme de
cette terre qui tourne au même rythme pour tous. « J’aime que l’on mesure que l’on ne
mesure pas, rappeler ce dilemme que l’on est une si petite chose dans un univers en
mouvement perpétuel …32
». Cette déclaration évoque au lecteur un autre dialogue entre
Thomas et le Voyageur où Thomas déclare que « l’Homme cosmique est considéré
comme la deuxième vision d’Hildegarde33
». Ici, le lecteur participe à cette circularité
et l’homme fait partie de l’univers34
.
32
Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole 3/07, novembre 2007, pp. 3. 33
Gilles Clément, Thomas et le Voyageur, éditions Albin Michel, 2011, p. 95. 34
« L’homme n’est plus au centre du monde. (…) Il est quelque part dedans, tombé dedans, il est tout
petit, il fait partie de lui comme la feuille et le bambou, le grain de sable, le grain de lumière. Il est fragile,
sa force est d’aller avec les autres grains, sa faiblesse d’aller contre. (…) L’avenir dépend de cette force.
Il n’a plus besoin de soumettre l’univers à lui-même, il lui suffit de le comprendre. » Ibidem., pp. 97-98.
16
17
I. Présentation de l’album : La terre tourne
(Quelques pages du carnet de croquis de l’album en annexe)
Dans son album, La terre tourne, Anne Brouillard établit des correspondances
entre l'espace proche, familier, et l'univers en mouvement, le tambour d'une machine à
laver est par exemple une métaphore de la terre qui tourne... Au rythme du temps qui
passe, les gestes du quotidien deviennent de véritables rites.
Le texte est une poésie en prose avec des répétitions qui en créent le rythme. Les
doubles-pages sont organisées de manière similaire, exceptées les trois dernières. De
haut en bas sur la page de gauche : une grande vignette, un texte et une série de petites
vignettes en bas de la page. Sur la page de droite : une illustration à fond perdu… faite à
la peinture à l’œuf35
. Les couleurs36
sont très saturées. La narration par l’image est com-
plexe. Elle raconte un grand voyage, plus vaste que celui décrit par le texte seul.
Cet album fut édité pour la première fois par les éditions Le sorbier, en 1997.
Étant épuisé mais toujours recherché, il fut réédité en 2009 avec une retouche graphique
au niveau du titre37
. L’édition de 1997 présente un titre plat et horizontal de couleur
verte alors que l’édition de 2009 présente un titre légèrement arrondi de couleur rouge
évoquant davantage le mouvement de la terre. La première particularité de cet album est
son format38
. En effet, nous sommes face à un objet-livre quelque peu mystérieux car,
35
« Peinture à l’œuf ou « tempera » faite maison » in Citrouille n° 38
« Produire une peinture en utilisant la technique picturale qu’elle utilise elle-même pour la réalisation de
ses albums. À savoir un travail avec des pigments, de l’eau et un jaune d’œuf. » in http://webetab.ac-
bordeaux.fr/Primaire/64/Orthez/CR/brouillard.pdf
« Elle privilégie une technique ancestrale, présente dès l'Égypte Ancienne "la Tempera", qui, pour elle,
rend le mieux la lumière. Devant nos yeux, elle nous a préparé ce mélange dont le jaune d'œuf représente
le médium pour lier les pigments, naturels ou chimiques. L'art consiste à séparer le jaune du blanc, de
passer plusieurs fois le jaune d'une main à l'autre pour enlever complètement le blanc, puis de pincer la
peau du jaune pour la retirer. Il suffit ensuite d'ajouter des pigments et quelques gouttes de vinaigre
blanc. » in http://esaatcdi.canalblog.com/archives/2009/06/12/14050595.html
« Par le fait que Rembrandt utilisait un mélange non pâteux de tempera et de couleur à l’huile, il obtenait
des textures qui rayonnent d’une extraordinaire puissance suggestive de réalité. La couleur chez Rem-
brandt devient une puissance lumineuse matérialisée, à tensions multiples. » Johannes Itten, Art de la
couleur, Dessain et Tolra, 1961, p. 14. 36
« Pour moi les couleurs sont des êtres vivants (…), les véritables habitants de l’espace. La ligne, elle,
ne fait que le parcourir, que voyager au travers. Elle ne fait que passer. » Michel Pastoureau, Les couleurs
de nos souvenirs, op. cit., p. 116. 37
« À la demande de l’éditeur. Entre temps, les éditions Le Sorbier ont été revendues aux éditions de la
Martinière et l’équipe de graphistes a changé. Par un accord de confiance, je laisse ce créneau à
l’éditeur car il connaît mieux « ce qui marche pour vendre ». Ce sont les graphistes qui choisissent la
mise en forme et le choix de la typographie. J’ai juste un droit de regard mais ce n’est pas si important
que ça. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 38
« Parce que je ne pouvais pas faire un rond ! Alors, le cercle va atterrir dans le carré, c’est plus pra-
tique et quand on l’ouvre en plein, le livre donne un très long rectangle. » Ibidem.
18
pour reprendre les termes de Sophie Van der Linden, La terre tourne est un album qui
nous parle de « rondeur et circularité pour un format carré …39
». Ce format fut choisi
pour ses qualités matérielles et sa tenue en main. C’est un format calme et sans tension
… et le livre carré ouvert à l’avantage d’offrir une double-page panoramique, espace
pleinement exploité par Anne Brouillard. La couverture est cartonnée et l’album est non
paginé. Pour la suite de notre analyse, nous avons paginé l’album pour une lecture plus
aisée. La première page sera la page de garde, page vierge de texte dans les tons terre
ocre-orangé. Ainsi les pages de droite ou belles pages seront impaires et les pages de
gauche ou fausses pages seront paires. La page de titre portera le numéro 3 et la narra-
tion commencera à la page 4. Cet album est dédicacé à Théodore, Maximilien et Kitty.
(Il s’agit de son amie Kitty Crowther, Maximilien son mari et Théodore leur premier
fils40
).
L’effeuillage des vingt-huit pages de l’album s’organise de gauche à droite, dans
le sens de la lecture occidentale.
Après la page de titre, nous trouvons neuf doubles-pages presque régulières (le
nombre des vignettes en bas des fausses pages varie de quatre à sept). Hormis cette va-
riation graphique, l’organisation est stable :
● La page de gauche est partagée en trois parties dans le sens de la hauteur :
- au centre du premier tiers en haut : une porte vitrée dans un cadre
- au centre du deuxième tiers : le texte (de plus en plus court)
- sur toute la longueur du dernier tiers : une bande de vignettes
● La page de droite est une illustration de pleine page à fond perdu.
Les deux doubles-pages suivantes (pages 22 à 25) cassent ce rythme car nous
sommes en présence de deux doubles-pages muettes et illustrées à fond perdu. Notre
rythme de lecture s’en trouve perturbé « à la tourne » de la page 22.
Michel Defourny constate que « relativement peu fréquent antérieurement, le format carré connaît une
grande vogue dans la dernière décennie du XXe siècle. » Voyage en littérature jeunesse, Lire les images,
Institut suisse Jeunesse et Médias, p. 36.
« Il faut être fidèle à la réalité du livre et non à celle de la réalité chaotique. » Elle a besoin de travailler
directement dans le format de la publication. « Je sens mieux le rythme, je sens plus vite ce qui ne fonc-
tionne pas, le découpage en petit ne prépare pas aux vraies difficultés. » Anne Brouillard pour Daniel
Fano in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles". 39
Sophie Van der Linden, Lire l’album, éditions L’atelier du poisson soluble, mai 2006, p. 138. 40
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
19
En effet, « la lecture est doublement rythmée, par ses mouvements internes et
par les variations dans la succession des images. L’accumulation d’images accélère le
rythme cinétique mais ralentit la lecture du texte. Le fait de proposer à un moment du
récit une grande image, freine le rythme en stoppant le récit sur une pause longue ; il y
donc un effet d’attente … Les planches illustrées « ralentisseurs de lecture » rythment le
parcours en répétant ou variant les compositions, les couleurs, les cadrages41
».
● La dernière double-page reprend le rythme des premières pages avec une variation de
mise en page graphique, narrative et symbolique. La porte vitrée se retrouve non plus
sous forme de vignette en haut de la page de gauche mais en arrière-plan de
l’illustration pleine page à droite. Qui plus est, un jeune enfant l’ouvre afin de passer
pour s’avancer vers le lecteur.
● La page de gauche est partagée en trois parties dans le sens de la hauteur :
- le premier tiers en haut est vierge et de fond blanc
- au centre du deuxième tiers : le texte (qui renvoie au premier texte)
- sur toute la longueur du dernier tiers : une bande de vignettes (la dernière renvoyant à
la première de l’album et au visage de l’enfant)
● La page de droite est une illustration de pleine page à fond perdu.
Dans les albums d’Anne Brouillard, c’est le cheminement au fil des pages qui se
révèle finalement plus passionnant que la solution que l’on recherche. Quel est-il donc
ce cheminement qui nous guide tout au long de cet album ? Car, finalement, qu’on le
découvre pour la première fois ou bien qu’on le parcourt à nouveau, La terre tourne
inexorablement … et ceci est vrai pour tout lecteur. Que l’on se place à l’échelle de
l’univers (macrocosme) ou d’une vie humaine (microcosme), la terre nous entraîne dans
sa ronde. Anne Brouillard « réussit à traduire avec art ce regard emprunt de métaphy-
sique qu’elle porte sur les êtres et les choses. Auteur, elle parle de cette ronde de la vie
qui ici ou là fait naître, vivre et mourir les humains que nous sommes. Metteur en page,
elle donne une dimension cosmogonique à son propos grâce aux vignettes illustrées
ouvrant sur l’infini. Peintre, elle recourt à des images chaleureusement colorées pour
incarner la simultanéité de ces gestes accomplis par les personnages que l’on suit de
page en page : des humains et des animaux. … Pour parler de la terre, ronde, et de la
ronde de la vie, elle convoque ici et là dans ses images des formes rondes bien sûr …
41
Christine Plu, L’illustration littéraire et les relations « texte-image », Master LIJE 2, p. 15.
20
Texte et image dansent en parallèle et se rejoignent pour nous communiquer une vision
de la vie à la fois douce et grave, comme apaisée42
».
À la lecture des pages de croquis de son carnet présentées en annexe, le lecteur
se rend bien compte du cheminement intellectuel suivi par Anne Brouillard pour réaliser
cet album. « Au départ, dans la construction de l’album, tout concourait vers la fête pla-
cée au centre du livre. Je voulais représenter l’année, les mois, les jours et les moments
d’une journée précis … c’était un travail de représentation du temps trop complexe et
impossible finalement !43
». Cet album a une portée philosophique sur la temporalité car,
au fil des pages, le lecteur peut sentir le temps qui passe (dans l’espace et dans le
temps). La terre tourne tout le temps, tout l’univers est en perpétuel mouvement même
si l’on ne bouge pas … on bouge quand même. Quoi qui se passe, quoi qu’il arrive, la
terre tourne et rien ne peut l’empêcher de tourner. Qu’on le veuille ou non, le temps
passe et il se passe tout le temps quelque chose44
. Le temps se mesure aussi par le dé-
placement spatial et l’album est riche en déplacements : les gens voyagent ou regardent
les autres voyager, le train est omniprésent, le viaduc nous guide d’une page à l’autre, le
vocabulaire est riche de moyens de locomotion45
.
Aussi, cet album riche des cinq sens alterne les passages forts avec d’autres plus
calmes. Toutes ces émotions donnent un rythme à la lecture : le quotidien, la fête, les
saisons, les couleurs, les jours et les gens qui passent … l’arrivée d’un enfant.
La terre n’est pas déserte, où que l’on se trouve, le monde est habité et l’on n’y
est jamais seul. Anne Brouillard nous entraîne dans un monde animiste où chaque élé-
ment est vivant. Les êtres humains partagent leur vie et leur quotidien avec des animaux
anthropomorphiques. Par touche, l’album nous raconte ce qui se passe dans la vie (nais-
sance, mort, fête, ville, campagne, mer, rencontres, voyages …). Nous assistons au
cycle de la vie, un cycle mystérieux, circulaire et sans fin. Cette dynamique rappelle
l’album Tout change tout le temps de Joël Guenoun.
Tout l’album tend vers une fête, une célébration et l’accueil d’un jeune enfant
souriant. « Les personnages s’assemblent sous l’arbre ou dans le pré autour de la table
42
http://librairielautrerive.hautetfort.com/archive/2009/04/18/la-terre-tourne-d-anne-brouillard.html 43
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 44
« On ne dessine pas le temps. Mais le paysage est fait du temps comme il est fait de son érosion. Notre
travail pourrait commencer par là : laisser à l’image, à toute image quelle qu’elle soit, un champ libre
pour se transformer, une chance d’évoluer… » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 15. 45
« J’ai mis l’échantillonnage disponible des modes de locomotion dans l’album. » Extrait de l’entretien
téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
21
d’anniversaire ou simplement du repas quotidien. La convivialité inclut les animaux et
l’environnement. Si intime soit-elle, la maison, grâce à ses nombreuses verrières, est
largement ouverte sur l’extérieur. Le temps devient palpable. Ses images reflètent
l’harmonie universelle46
». Tous les éléments de l’album prennent leur force symbo-
lique en se retrouvant sur la table à la fin. La chaise vide attend « la tourne de page »
pour accueillir le jeune enfant à table. Le lecteur participe à cet accueil et à cette célé-
bration. Cet album est un éloge à la vie.
A. Au fil de la lecture
Le chien noir47
(personnage récurrent chez Anne Brouillard) est omniprésent. Il
est là, assis, présent, il attend ou accompagne les personnages tout au long de l’album.
Progressivement, nous allons faire la connaissance des dix personnages48
présents sur la
première de couverture49
, et finalement, nous allons découvrir ce qu’ils préparent : un
repas festif pour célébrer l’arrivée d’un enfant. Le texte et les illustrations participent de
ce cheminement vers la droite (nous suivons les moyens de locomotion, nous enjam-
bons les pages avec le viaduc et les vignettes connectent les pages précédentes et sui-
vantes). Nous tournons les pages comme la terre tourne perpétuellement car, une fois la
dernière page tournée, nous retournons au début … car d’autres enfants vont naître et
d’autres vont partir (en voyage ou mourir).
Le personnage vêtu de rouge fait un signe de la main : les roulottes continuant
leur chemin, nous supposons qu’il arrive. Le lecteur va suivre le fil conducteur de la
caravane, du train et du viaduc jusqu’au petit garçon. Le texte parle de bébés qui nais-
sent et, finalement, on voit ce petit enfant arriver. Cette dualité dedans/dehors, res-
ter/partir, renforce ce mouvement circulaire qui nous entraîne avec la rotation de la terre.
Nous naissons pour grandir et l’homme évolue avec son temps (les caravanes à cheval
vont devenir des trains à grande vitesse). Ainsi, cet album nous parle aussi de notre
46
Source : http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD 47
« Ce chien de fauteuil est très ami avec le personnage en rouge. Il a même un nom maintenant, il
s’appelle Killiok dans l’album sur lequel je suis entrain de travailler en ce moment. » Extrait de
l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 48
« À cette époque, je travaillais sur une exposition en « 3 D » et j’ai repris les dix personnages de
l’exposition dans mon album. » Ils se retrouvent d’ailleurs tout au long de son œuvre et vont par paire
(humain/animal ou animal/animal). Ibidem. 49
« Je réalise toujours les premières de couverture de mes albums. C’est la partie sur laquelle il y a le
plus d’échanges avec l’éditeur. J’ai créé celle-ci pour cet album précisément. Elle reflète le contenu de
l’album et veut attirer le regard et l’intérêt du lecteur. » Ibidem.
22
évolution pendant que la terre tourne et que les enfants grandissent. Tout ne serait que
recommencement…
Les personnages arrivent les uns après les autres. Tout d’abord discrets, en ar-
rière-plan à droite de l’illustration de pleine page, ils prennent leur place dans la page et
dans l’histoire. Seul ou par deux, c’est selon mais, finalement, nous pouvons les réunir
par paire car la séparation humain-animal n’a pas de sens ici, tous partagent la vie et les
voyages.
Une fois réunis à la page quinze, ils vont cheminer vers la table dressée à la page
vingt-trois. C’est autour de cette table que nous les retrouverons assis50
et c’est sur cette
table que nous retrouverons les objets qu’ils ont préparés et collectés tout au long de
l’album.
Pendant ce temps, au fil des saisons, un cycle de vie passe et l’enfant paraît.
L’eau symboliserait le liquide amniotique et nourricier (comme la terre est nourricière),
l’écluse serait le lieu de passage ou de délivrance et le bateau représenterait le chemi-
nement d’un état à l’autre. La lumière illustrerait l’éveil à la vie et l’enfant devient ac-
teur de ses faits et gestes.
Maintenant, le lecteur peut prendre la main du petit enfant (le seul à avancer vers
la gauche) pour relire l’album comme une chasse aux indices : qui a préparé quoi ?
Cet album nous offre une double lecture. Les illustrations se complètent et
s’interpellent tout au long d’un cheminement alternant voyages, rencontres et pauses. Le
texte peut se lire comme une poésie en prose, narration en randonnée car la dernière
phrase renvoie au début du texte dans un mouvement circulaire « encore » tout comme
la dernière et la première vignette de bas de page de gauche. Par de subtiles résonnances,
le texte et les illustrations évoquent ce monde ressenti de l’intérieur ou de l’extérieur.
Ainsi, même si les deux postures peuvent être autonomes, la lecture visuelle et la lecture
narrative s’enrichissent et s’embrassent dans de subtils va-et-vient que nous allons étu-
dier pas à pas.
50
Il en est de même à la fin de l’album La famille foulque où tous les personnages, humains et animaux,
présentés dans le cadre des quatre albums édités au Seuil, se retrouvent réunis autour d’un pique-nique au
bord de l’étang. Ces deux images résonnent et illustrent le thème de la convivialité, cher à Anne Brouil-
lard et les résonnances entre ses albums, particularité qu’elle peaufine tout particulièrement.
23
B. La description des illustrations
(Chemin de fer de l’album en annexe)
Anne Brouillard dessine et peint directement sur la page blanche de façon à lais-
ser les traits apparents. Ainsi, les cadres ne sont pas nets et, dans un esprit esthétique, le
lecteur peut voir les traces de son travail graphique51
.
1. Les portes
Dès la première de couverture, la grande porte vitrée occupe une place centrale.
Nous la retrouvons dans une vignette rectangulaire, dans le premier tiers supérieur de
toutes les pages paires (de la page 4 à la page 20), puis, après une pause organisée par
les deux doubles-pages illustrées, elle prend la place centrale à la dernière page de
l’album pour laisser passer le petit enfant.
La porte symbolise un espace de passage d’un lieu à un autre : on passe une
porte pour entrer ou pour sortir. Elle permet d’ouvrir ou de fermer son espace. Elle est
un symbole d’accueil ou de protection. Cette porte étant vitrée, elle permet de voir à
l’intérieur et à l’extérieur et elle laisse passer la lumière.
51 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
24
« La porte symbolise le lieu de passage entre deux états, entre deux mondes,
entre le connu et l’inconnu, la lumière et les ténèbres, le trésor et le dénuement. La porte
ouvre sur un mystère. Mais elle a une valeur dynamique, psychologique ; car non seu-
lement elle indique un passage, mais elle invite à le franchir. C’est l’invitation au
voyage vers un au-delà … Le passage de la terre au ciel s’effectue, par la porte du so-
leil, qui symbolise la sortie du cosmos, au-delà des limitations de la condition indivi-
duelle. … En Chine, l’ouverture et la fermeture alternatives de la porte expriment donc
le rythme de l’univers. … Dans les traditions juives et chrétiennes, … c’est elle qui
donne accès à la révélation ; sur elle viennent se refléter les harmonies de l’univers. …
La porte est le symbole d’une cosmogonie52
».
Ainsi, la porte illustrerait le titre de l’album car la terre est une planète qui
tourne sur elle-même, autour du soleil et participe de l’univers. « Elle s’entr’ouvre par-
fois puis se referme. Il va se passer quelque chose … un évènement s’annonce à travers
cette porte53
». Elle est fermée au début de l’album et ouverte à la fin : l’enfant s’ouvre à
la vie et est accueilli par les personnages et le lecteur.
Sur la première de couverture, les personnages attendent à l’extérieur de la porte
qui est éclairée de l’intérieur. Elle est peinte des mêmes couleurs que le gros cercle lu-
mineux. Elle occupe toute la moitié droite de la page.
Les rectangles qui entourent la porte ne sont pas bien délimités, quelques traits
de crayons ou de peinture dépassent. Anne Brouillard ne veut pas enfermer l’espace et
le cadre reste ouvert sur le fond de page blanc.
Les couleurs de la porte, du cadre et de la lumière changent au gré des couleurs
des grandes illustrations des pages impaires en vis-à-vis. Accompagnant l’histoire et le
récit, au rythme des saisons, des jours et des nuits, des évènements et des lieux.
- Page 4 : les couleurs du cadre et de la porte rappellent les rochers au premier plan.
Nous sommes en « hiver » et la lumière qui filtre de l’extérieur est blanche rappelant la
lumière se réfléchissant sur la neige. La porte est fermée et dessinée en gros plan.
- Page 6 : les couleurs du cadre et de la porte évoquent les tons rouges et bruns de la
ville. Nous sommes en plein jour, « des petits coins de soleil », et la lumière qui filtre de
52
Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, éditions Robert Laffont/Jupiter, 1996, p.
779-782. 53
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
25
l’extérieur est jaune comme le soleil. L’œil du lecteur s’est un peu éloigné car on voit le
reflet de la lumière au sol.
- Page 8 : les couleurs du cadre et de la porte reprennent celles du décor nocturne, « la
nuit est tombée » sur le lac. La luminosité de la lune passe à travers et se reflète au sol
par taches. L’œil du lecteur s’éloigne un peu plus et la porte donne un effet de profon-
deur, comme si l’on avait opéré un zoom arrière.
- Page 10 : les couleurs du cadre et de la porte renvoient à celles du train et de la fête
foraine. La lumière électrique du « manège » illumine à travers la porte. On se rap-
proche de la porte légèrement entr’ouverte.
- Page 12 : les couleurs du cadre et de la porte sont les mêmes que celles de la maison-
bistrot. C’est le « matin » et la luminosité est blanche. L’œil s’est à nouveau éloigné et
le reflet au sol reprend de l’importance. La porte semble entr’ouverte.
- Page 14 : la vignette est dans les tons rouge et orange. C’est « l’après-midi » et « la
lumière derrière la porte vitrée » est jaune et orange. Nous voyons l’intérieur de la
pièce : de chaque côté de la porte se trouve une table avec une chaise posée dessus.
- Page 16 : la vignette porte les couleurs de la salle de cinéma. Une lumière jaune filtre à
travers : celle du soleil (vignettes de bas de page) ou celle du projecteur de cinéma (il-
lustration page 17). Devant la porte coupée (on ne voit pas le haut), deux fauteuils vides
sont posés au sol, face à face.
- Page 18 : les couleurs du cadre et de la porte sont celles du « train ». Un peu de vert
évoque la campagne traversée par le train. La lumière jaune du soleil filtre à travers les
carreaux.
- Page 20 : le cadre et la porte ont les couleurs du paysage de la page 21. C’est le « lever
du jour » et une lumière jaune passe à travers. La porte est légèrement ouverte et laisse
passer un rai de lumière.
- Page 27 : en arrière-plan, la porte occupe la moitié droite de la page. Par ses couleurs,
elle se fond dans le décor boisé. Une lumière jaune intense vient de l’intérieur et se re-
flète sur le sol de l’allée. La luminosité passe d’autant plus que la porte est ouverte par
un petit enfant qui vient vers le lecteur. Il pousse un battant de la porte de la main
gauche et a franchi le seuil de la porte. Il a ouvert le passage, il est souriant, il s’ouvre à
la vie.
Ainsi, la porte illustre bien ce passage entre l’intérieur et l’extérieur. Dans cet
album, elle laisse passer la lumière d’un lieu à l’autre, c’est un espace ouvert et chaleu-
26
reux (le jaune est la couleur la plus chaude54
). C’est devant la porte que les personnages
attendent l’enfant avec les présents et c’est par la porte qu’il s’avance vers eux, heureux
et confiant. Le dessin est statique mais évoque le passage du temps : par l’effeuillage de
l’album car la porte accompagne le cheminement des personnages et de la lecture.
2. Les illustrations de pleine page
Les illustrations de pleine page, dessinées à fond perdu, nous content l’histoire
d’une quête d’objets « symboliques » pour accueillir un enfant. Comme un album en
randonnée, elles s’enrichissent au rythme de cette ronde de la vie et de la terre. Les per-
sonnages arrivent les uns après les autres des pages 5 à 13 pour ensuite vivre des évè-
nements, voyager ensemble (à différents moments de la journée et dans toutes sortes de
lieux sur un an55
) et collecter. À sa façon, chacun prépare la fête ou la célébration qui
les rassemblera tous autour de la table pages 24-25. De manière récurrente, les person-
nages arrivent tout d’abord discrètement, en arrière-plan : au centre pour les corbeaux
puis à droite pour les autres, entraînant le lecteur à la page suivante.
Les illustrations de pleine page occupent les pages de droite, les belles pages,
celles où l’œil du lecteur se pose en premier quand il tourne la page avec une rupture
pour les deux doubles-pages (22-23 et 24-25) où la lecture est uniquement iconogra-
phique. Le cheminement s’organise entre des illustrations fixes (pages 7, 13, 15, 17, 21)
à côté d’images de déplacements (pages 5, 9, 11, 19).
L’effeuillage se fait d’autant plus naturellement que nous suivons le « train56
»
sur le pont57
, nous entraînant à tourner les pages vers la droite (dans le sens de la lecture
occidentale). Les personnages et les moyens de locomotion s’orientent et se déplacent
de même vers la droite de la page. « Tourner la page, c’est aller plus loin, ailleurs,
changer de temps58
».
À la fin de notre lecture, nous reviendrons à la première de couverture et chaque
élément trouvera sa signification au fil des pages, dans le cheminement de l’histoire.
54
Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 535. 55
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 56
Anne Brouillard a une véritable passion pour les trains. Petite, elle voulait être conductrice de train. 57
« Le symbolisme du pont, comme permettant de passer d’une rive à l’autre, est l’un des plus universel-
lement répandus. » Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 777.
Il représente donc le passage d’un lieu à l’autre, d’un état à l’autre. 58
E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 22.
27
Les peintures (à l’œuf) sont mates mais pleines de lumière et d’ombres. Anne Brouillard
a choisi cette technique aqueuse car le résultat est plus gras que l’aquarelle59
.
Les images peuvent se lire à la façon d’un album muet mais, la compréhension
s’enrichit par le texte et réciproquement.
Première de cou-
verture60
Sur la première de couverture, un gros cercle lumineux évoque le
soleil et les traits de pinceaux illustrent le mouvement circulaire.
Nous sommes à l’extérieur (présence d’arbres) et les dix person-
nages regardent le lecteur. Ce regard est une invitation à la lecture.
Anne Brouillard cherche à rendre le lecteur actif, elle nous inter-
pelle. Ils ont l’air heureux et ils semblent attendre (la majorité est
assise). Ils sont comme en pose devant un appareil photo. Les ob-
jets (gâteau61
, coffret, fleurs, ballon rouge) évoquent une fête ou
une célébration à venir. Les humains et les animaux sont traités de
la même façon et vivent en harmonie. Au nombre de dix, ils vont
par paire. On trouve des animaux domestiques (chat, chien) et des
animaux plus sauvages (corbeaux)62
.
Page 5
L’histoire commence en « hiver » dans un décor de neige63
. Les
déplacements orientent le regard vers la droite (le train sur le via-
duc64
, la caravane) et incitent le lecteur à tourner la page car
l’histoire continue. À l’origine, nous sommes des nomades : « Des
gens s’en vont et s’en viennent de par le vaste monde. Certains ne
s’arrêtent jamais parce qu’ils veulent voir ce qu’il y a derrière le
tournant du chemin. » Cette idée de voyage est illustrée par les
roulottes au centre de la page. Puis, nous deviendrons sédentaires
(la maison en arrière-plan) : « D’autres restent toujours au même
endroit parce qu’ils sont très bien là. » ; comme le chien noir65
assis. La présence des deux corbeaux66
symboliserait cette évolu-
tion. Ainsi, l’homme en rouge est descendu avec sa valise, il est
arrivé à destination et nous salue de la main. Plus l’œil du lecteur
s’approche du premier plan et plus les personnages sont statiques.
Le chien noir attendait l’homme en rouge mais le lecteur aussi (il
nous regarde comme une invitation à le rejoindre). L’arbre peut
illustrer nos racines et le sol est plus chaud (il n’y a pas de neige
sur les rochers). Le chien est le compagnon de l’homme, c’est lui
59
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 60
« La couverture transmet l’atmosphère du récit. » E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 17. 61
« C’est un gâteau de fête. Ils attendent l’arrivée du petit pour le manger ensemble car il est assez grand
pour manger du gâteau ! C’est un gâteau traditionnel suédois (ma mère est Suédoise) qui se fait par
couches avec des fruits écrasés entre les couches, recouvert de crème fraîche et décoré de fruits. » Extrait
de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
62 « J’ai une grande affection pour les oiseaux … et aussi pour tous les animaux en général. » Ibidem.
63 Neige que l’on trouve dans son univers dès ses premiers albums Petites histoires, 1993, Il va neiger,
1994. 64
Le train, le pont et ses arcades, motifs et décors récurrents dès son album Voyage, 1993. 65
Personnage récurrent que l’on rencontre dès ses premiers albums Petites histoires, 1993. 66
« Il semblerait que son aspect positif soit lié aux croyances des peuples nomades, chasseurs et pêcheurs,
tandis qu’il deviendrait négatif avec la sédentarisation et le développement de l’agriculture. » Jean Cheva-
lier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 286.
28
le fidèle qui garde la maison et attend le retour de son maître. Il
est aussi le guide qui l’accompagne sur les chemins de la vie.
Page 7
Nous sommes maintenant dans un décor urbain « tout le bruit
d’une ville ». L’évolution de l’homme nous a conduits à l’ère du
nucléaire (deux cheminées de centrale nucléaire en arrière-plan).
Dans la ville, des êtres vivants (animaux domestiques, animaux
sauvages, être humains) s’animent. La femme en bleu et son chat
jaune67
attendent d’entrer dans le déroulement de l’histoire et
nous regardent à la fenêtre. Les corbeaux68
entrent par la fenêtre
entr’ouverte. Les grandes vitres laissent passer toute la lumière du
soleil69
dans un lieu chaleureux : « la fête qu’on prépare » (dessin
et gâteau). Les animaux anthropomorphes ont des activités hu-
maines : le chien noir prépare le gâteau avec ses pattes antérieures
devenues des mains. Dans une vision animiste du monde, chaque
être est animé de vie. Les couleurs70
de premier plan (rouge, bleu,
jaune, noir, blanc) sont puissantes et contrastent avec les couleurs
de l’arrière-plan (orange, marron, jaune, vert) plus mates. Cela
donne un effet de profondeur à l’image et le nuage blanc des
cheminées nucléaires ressort d’autant plus en arrière-plan. Anne
Brouillard joue sur les complémentarités des couleurs pour don-
ner cet effet d’harmonie (les gens sont paisibles) et de contraste
(les activités de la ville).
Page 9
L’histoire continue « au fil de l’eau ». « La nuit est tombée » et
les six personnages vont à la rencontre de la femme en vert qui les
attend en haut du viaduc avec sa valise, près d’une charrette de
paille (trace de l’activité agricole dans « un endroit si calme ») : le
train « bruyant » est devenu une charrette « silencieuse ». La va-
lise (sur le bateau et sur le pont) illustre toujours cette idée de
voyage : l’homme est toujours prêt à partir quelque part (« où »).
Par des jeux d’ombre et de lumière au clair de lune, « on regarde
les étoiles briller dans l’eau d’un lac ». Les touches lumineuses
(blanc et jaune) et les couleurs sombres donnent une scène apai-
sante. Les personnages sur les bateaux ressortent par cette lumi-
nosité et la femme sur le pont se fond dans l’arrière-plan. La
Lune71
est le satellite naturel de la Terre qui l’accompagne dans sa
rotation permettant l’alternance des jours et des nuits dans un
mouvement perpétuel. Comme l’animal domestique pour
67
Personnages principaux de l’album Mystère, 1998. 68
Animal « domestique » et anthropomorphe que l’on croise souvent dans l’univers imagier d’Anne
Brouillard. 69
« Le soleil est la source de la lumière, de la chaleur et de la vie. » Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op.
cit., p. 891-896. 70
Couleurs et ambiance (nappe, chaise, lumière …) que l’on retrouve dans la maison de Kÿt, Mystère,
1998. 71
« La lune est liée à la terre dans son essence même et c’est en corrélation avec celui du soleil que se
manifeste le symbolisme de la lune. Elle est symbole de transformation et de croissance. La lune symbo-
lise le temps qui passe, le temps vivant, dont elle est la mesure, par ses phases successives et régulières.
Passive et productrice de l’eau, elle est source et symbole de fécondité. » Jean Chevalier, Alain Gheer-
brant, op. cit., p. 589-595.
29
l’homme, elle est sa compagne fidèle. En regardant cette scène
lacustre, on peut penser aux « nymphéas de Monet » car on res-
sent les vibrations de la lumière dans l’eau du lac.
Page 11
Nous retrouvons l’animation de l’activité humaine avec la lu-
mière électrique (le manège et le train). Tout est mouvement et
rondeur : le manège et les avions tournent, le virage du train,
l’arrondi des arbres. Les objets aussi sont ronds : le ballon
rouge72
, le manège73
, la tasse, les verres, le dossier de la chaise, la
table, les arcades du pont. Tout évoque que « la terre tourne tou-
jours dans les ronds … » qui l’accompagnent dans sa ronde. Les
deux canards74
apparaissent sur le pont, le chat jaune accueille
(comme un ami humain) la femme en vert avec une poignée de
« mains ». Elle arrive aussi avec une valise. La femme en bleu a
trouvé le ballon rouge et le montre joyeusement à l’homme en
rouge (tout sourire sur le manège). Les adultes et les animaux
sont heureux à la fête foraine (symbole de jeux enfantins). Les
deux corbeaux occupent le premier plan et boivent du champagne
(boisson festive) dans une posture anthropomorphe. Ils sont
d’ailleurs les seuls à l’intérieur alors que ce sont des oiseaux de
plaine. Les deux coupes de champagne et la tasse de café illus-
trent la convivialité et le plaisir d’une boisson partagée.
Page 13
Nous revenons dans le quotidien, « dans l’air frais d’un matin de
fin d’été » et les neuf personnages sont installés tranquillement
« dans l’air doux où traînent quelques paroles et l’odeur du café,
dans les gouttes de rosée et les pétales de roses ». Le chien est
assis comme un humain et lit le journal. Le chat jaune choisit des
fleurs avec la femme en bleu. Nous sommes toujours dans un
monde anthropomorphe et les animaux ont des compétences hu-
maines. La cafetière rouge75
illustre cet instant chaleureux et con-
vivial du matin. La luminosité vient de l’intérieur de la maison76
maintenant et nous réalisons que la porte récurrente (page de
gauche) est celle de la maison où ils se retrouvent. Le mouvement
s’exprime par « le premier train du jour », « l’écluse » et la pé-
niche qui est aussi une invitation au voyage sur l’eau avec « le
reflet des nuages qui tourne avec la terre. ». Même en pause,
l’invitation au mouvement et au voyage est toujours présente. Les
personnages ont leur valise77
posée à côté d’eux et le reflet des
nuages rappelle le mouvement perpétuel de la terre. « Le chat »
noir attend son tour « près de l’écluse ».
72
Il se promène un peu partout dans l’univers visuel d’Anne Brouillard, dès le début, dans Promenade au
bord de l’eau, 1996, par exemple. 73
On le retrouve dans Voyage. 74
Personnage récurrent aussi dès Cartes postales, 1994. 75
Objet quotidien et présent dans de très nombreux albums dès Le pays du rêve, 1996. 76
« C’est un bistrot du bord du canal ouvert aux aurores. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne
Brouillard du 01/07/2010. 77
La valise représente bien le cheminement qui continue.
30
Page 15
Après l’hiver … l’été, la montagne, la ville, le lac, la campagne,
… nous sommes dans un village. L’alternance d’une saison à
l’autre, d’un lieu à l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur est illus-
trée par la femme en vert, à l’extérieur de la maison78
mais regar-
dant à l’intérieur par la fenêtre79
. Où que l’on soit, quoi que l’on
fasse, « la terre tourne même quand on n’y pense pas » et le train
traverse toujours et nous entraîne. Les nuages80
dans le ciel sont
étirés sous l’effet du vent qui les transporte. Le mouvement est
toujours présent même si l’on reste statique. Les dix personnages
sont maintenant rassemblés pour continuer l’aventure ensemble.
L’homme et l’animal vivent aussi dans un esprit d’entraide illus-
tré par l’échelle rouge. Comme pour les fleurs (page précédente),
la femme en bleu demande l’avis du chat jaune pour choisir un
petit gilet jaune.
Page 17
Statiques, nous le sommes dans une salle de cinéma (plan serré),
bien installés dans nos fauteuils devant l’écran. Le lecteur face au
livre occupe la place de cet écran par le regard des personnages,
mis à part le chien noir qui lit le journal « pendant que les images
défilent81
». La vie se déroule comme une bobine de film, avec un
début « les bébés naissent » et une fin « des gens s’en vont » alors
que la terre poursuit sa ronde. Le film cinématographique serait
une métaphore de la naissance et de la mort dans un éternel re-
commencement alors que la terre continue de tourner. Mais aussi,
on se rassemble au cinéma pour partager la vie des autres, une vie
par procuration alors que nous sommes protégés derrière ces
portes. Dans cet espace clos, la lumière vient tant de l’arrière (hu-
blots des portes et projecteurs) que de l’avant (lumière de l’écran).
Si le lecteur accepte cette posture active, il apporte aussi sa part de
lumière à l’album car il est vivant, lui aussi et participe donc à
cette ronde. Cette illustration provoque une cassure dans le rythme
de lecture : il n’y a pas de train ! Le lecteur s’arrête pour le cher-
cher … « le train passe peut-être à l’écran82
? ». Par cette surprise,
l’intérêt du lecteur est relancé.
78
« Je dessine des maisons verticales et étroites car ça fonctionne mieux dans le format de la page. Je
suis aussi influencée par mon univers visuel familier car on trouve ce genre de maisons hautes à
Bruxelles. A l’époque, j’habitais dans une maison avec un œil de bœuf au grenier mais, on trouve beau-
coup ce genre de maisons avec des fenêtres rondes aux deux bouts du grenier en Belgique. » Extrait de
l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
On les retrouve dans de nombreux albums : La maison de Martin, L’orage, par exemple.
79 « Je suis attirée par leur côté mystérieux … Elles signifient ce passage entre intérieur et extérieur, non ?
Les fenêtres font rentrer la lumière du dehors, la lumière et tout le paysage ; et de l’autre côté, quand on
est dehors, on peut se demander ce qu’il y a derrière … Le soir, quand elles s’allument, on voit des mor-
ceaux de vie … Dans les livres, elles sont pratiques pour raconter les histoires, les gens et leurs lieux :
elles permettent de passer, l’air de rien, d’un monde à l’autre. » Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in
Parole, 3/07, novembre 2007, p. 2. 80
Élément très important dans d’autres contextes imagiers tels que La maison de Martin, L’orage. 81
« C’est comme une toile qui se déroule derrière une vitre. À cette époque j’avais peint de grandes toiles
de 12 mètres de haut qui se déroulaient à l’aide d’une manivelle. J’ai repris le concept de cette exposition
dans l’album. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 82
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
31
Page 19
Le train prend toute l’illustration et déborde même … Les dix
personnages sont dans le mouvement maintenant. Ils sont « les
voyageurs dans le train qui voient passer le pays » et ils se diri-
gent vers le lecteur. La ligne de la voie ferrée illustre la ligne de
fuite vers un voyage sans fin. Le point de fuite correspond aussi à
la maison (ou la gare) : lieu où l’on s’arrête. Les traits de cons-
truction de cette image guident l’œil vers ce point et donnent une
profondeur à cette surface plane qu’est la page. La cime des arbres
est inclinée vers la droite, nous incitant à tourner la page pour
découvrir où va le train. Le wagon du train sort du cadre de la
page, plongeant le lecteur dans cet espace ouvert (lumière et
ombres des fenêtres du train qui reprennent la rythmique des rails
à l’arrière-plan). Nous sommes entraînés dans ce voyage vers une
destination que nous ne connaissons pas encore. Dans le train, les
personnages vivent : certains discutent ensemble, d’autres regar-
dent le paysage, les chats boivent dans un « mug ».
Page 21
C’est « le lever du jour » et le soleil se lève à l’horizon derrière la
montagne. Les personnages sont arrivés au bord de la mer et le
train a repris sa traversée de la page sur le viaduc, le voyage con-
tinue même si nous assistons à « l’arrivée d’un bateau ». Même si
nous sommes arrivés quelque part, le mouvement est toujours pré-
sent. Les vagues illustrent ce « va-et-vient de la mer ». L’homme
et l’animal vivent toujours en harmonie : le chien noir tient les
chaussures de la dame en vert et le canard aide à collecter des co-
quillages83
dans le coffre. Sont-ils partis pour une chasse aux tré-
sors ?
Toute cette symbolique participe d’un cheminement vers l’accueil d’un enfant :
le soleil et la lune, les jours, les nuits et les saisons qui passent, la terre qui tourne, l’eau,
la collecte de présents, le voyage à travers le temps et l’espace …
Le rythme de lecture s’est organisé autour de cette alternance d’une page sur
deux et le va-et-vient entre les deux. Nous avons maintenant une rupture, une pause
narrative. Le lecteur est surpris. Les quatre pages illustrées vont permettre la mise en
place du décor de la fête. La lecture est uniquement visuelle et chaque élément de
l’album prend sa signification.
83
Le coquillage est ce que l’on ramène en souvenir ou en cadeau, d’un séjour en bord de mer.
« La coquille, évoquant les eaux où elle se forme, participe du symbolisme de la fécondité propre à
l’eau. » Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 283-284.
32
« Le livre carré ouvert a l’avantage d’offrir une double-page panoramique84
».
Pages 22 Ŕ 23
Le décor évoque les ciels tourmentés de Van Gogh. Tous les mouvements concourent
vers la droite, vers la table sur l’île. Le viaduc s’arrête en haut à gauche et tous les
voyageurs sont descendus du train, c’est le terminus. Les dix personnages arrivent en
bateau sur l’île où les a précédé le chien noir qui les attend avec une valise. Ainsi, le
chien représente bien le guide de l’homme. La table est vide mais prête à recevoir le
banquet. C’est une table pour la fête avec une nappe rouge et les chaises vides atten-
dent les convives. La femme en vert tient aussi une valise. Nous pouvons penser que
les valises contiennent les couverts et tous les éléments nécessaires au repas.
L’homme en rouge apporte le gâteau et le bateau de la femme en bleu, les fleurs et le
ballon rouge. Les deux canards tirent le coffret sur un petit radeau. Chacun participe à
la préparation de la fête à sa façon. Au centre du tableau, le rouge85
vif de la nappe et
le vert86
brillant de la pelouse tranchent avec les tons mats du décor et les eaux du
lac87
participent de cette tranquillité du lieu. Le rouge et le vert sont des couleurs
complémentaires.
Le cheminement s’oriente vers une fête mais aussi vers l’accueil d’une nouvelle vie.
84
E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 17. 85
« Le rouge est universellement considéré comme le symbole fondamental du principe de vie, avec sa
force, sa puissance et son éclat … jetant comme un soleil son éclat sur toute chose avec une immense et
irréductible puissance. Le rouge vif … incite à l’action ; il est image d’ardeur et de beauté, de force im-
pulsive et généreuse, de jeunesse, de santé, de richesse … Ainsi, il est associé à toutes les festivités popu-
laires, et spécialement aux fêtes de … naissance. Au Japon, lorsque l’on veut souhaiter du bonheur à
quelqu’un : anniversaire, … on colore le riz en rouge. » J. Chevalier, A. Gheerbrant, op. cit., p. 831.
Ainsi, cette nappe rouge augure un heureux évènement.
86
« Le vert entre avec le rouge dans un jeu symbolique d’alternances. Chaque printemps, la terre se revêt
d’un nouveau manteau vert, qui rapporte l’espérance, en même temps que la terre redevient nourricière.
Verte est la couleur du règne végétal se réaffirmant, de ces eaux régénératrices et lustrales, auxquelles le
baptême doit toute sa signification symbolique. Vert est l’éveil des eaux primordiales, vert est l’éveil de
la vie. Le vert est couleur d’eau comme le rouge est couleur de feu, et c’est pourquoi l’homme a toujours
ressenti instinctivement les rapports de ces deux couleurs comme analogues à ceux de son essence et de
son existence. » Ibidem., p. 1002-1007.
Le vert représente donc la nature vivifiante et la jeunesse ou la renaissance à la vie. 87
Ce lac, cette ambiance lacustre, est quelque chose de « très fort » chez Anne Brouillard.
33
Pages 24 Ŕ 25
La table est dressée et les regards des convives convergent vers la droite, incitant le
lecteur à tourner la page pour découvrir qui est le dernier invité, celui qui va occuper
la chaise encore vide. Le paysage est boisé88
et la ligne d’horizon est lumineuse. La
vue en plongée attire l’œil du lecteur sur la table où sont déposés les objets collectés
tout au long de l’album qui prennent valeur de présents (le journal serait un carnet de
voyages) et de partage (le gâteau …). Le repas attend le dernier personnage car les
assiettes sont vides et le gâteau est entier, contrairement à la page de titre où il en
manque les trois-quarts. Les illustrations sont organisées en boucle comme la terre
tourne inlassablement. Les postures des animaux jouent sur les deux registres : natu-
relles et anthropomorphes.
Page 27
La dernière page de droite comble l’attente du lecteur : le petit
enfant se dirige vers les personnages de l’album qui se retrouvent
à gauche mais aussi vers nous qui sommes face à lui. Il ouvre la
porte et sort de la pleine lumière. Nous retrouvons la porte de la
première de couverture et nous comprenons l’objet de l’attente des
dix personnages : la boucle est bouclée. Ils sont venus pour ac-
cueillir cet enfant (qui a déjà grandi) et célébrer un heureux évè-
nement (anniversaire ou goûter) avec lui. (Les enfants mesurent le
temps qui passe au rythme de leur anniversaire car c’est un mo-
ment important et heureux pour eux). En revenant à la double-
page précédente, nous pouvons nous aussi lui offrir ses cadeaux et
partager le gâteau.
Une nouvelle lecture nous permettra de profiter du temps qui passe car l’enfant a
déjà grandi et la terre continue de tourner à la même cadence au fil de l’eau et des évè-
nements.
3. Les vignettes de bas de page
Sur la page à fond blanc, ces vignettes sont peintes à l’encre et le trait est rehaus-
sé par des crayons de couleurs gras89
.
88
Les arbres, la forêt, les allées arborées … font partie d’un paysage familier dans l’univers d’Anne
Brouillard. « Je m’y sens protégée », avoue t’elle. 89
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
34
Par quatre, cinq, six ou sept elles occupent invariablement le dernier tiers, en bas
des pages de gauche ou fausses pages. Par une volonté de ligature90
, la première vi-
gnette (à gauche) reprend un élément de la page impaire précédente et la dernière vi-
gnette (à droite) reprend un élément de la page de droite en vis-à-vis (sauf pour la pre-
mière et la dernière). Par sa mise en page originale, Anne Brouillard veut montrer com-
ment dans le « tout grand » on trouve le « tout petit » et réciproquement. Ainsi, le sens
de la lecture se déroule de gauche à droite et l’on passe d’une vignette à l’autre par un
procédé qui s’apparente au « morphing » cinématographique.
En effet, dans chaque bande séquentielle, chaque vignette est une évolution91
,
une transformation92
ou un changement de point de vue93
de la vignette précédente. Lors
de l’effeuillage de l’album, nous assistons au passage de ces bandes séquentielles à la
manière du déroulement d’une bobine de film cinématographique et la mise en page
évoque des planches ou « strips » muettes comme en Bande Dessinée. C’est « la succes-
sion des pages qui forment le « film » de l’histoire94
».
Le contour des vignettes n’est pas net tout comme celui « des portes » pour les
mêmes raisons graphiques et symboliques. D’autant plus que chaque vignette découle
de la précédente.
Ainsi, ces vignettes de bas de page accompagnent le fil de la lecture du début à
la fin comme un guide. Ce cheminement est bien une boucle car, la dernière vignette de
l’album (n° 55) renvoie à la première par un effet de travelling et de zoom : le visage de
la dernière est un gros plan sur celui du bébé de la première95
.
Elles s’organisent aussi en écho avec le texte narratif et complètent ainsi les
autres illustrations. Les vignettes sont donc solidaires et ordonnées dans leur bande mais
peuvent se détacher pour imager un élément du texte.
90
Anne Brouillard utilise une technique similaire dans son album Le pays du rêve notamment, pour signi-
fier le passage d’une dimension à l’autre : du rêve à la réalité et réciproquement. La couleur s’incruste
dans les vignettes en noir et blanc et vice et versa. Ainsi, à la tourne de page, le lecteur bascule naturelle-
ment d’un univers à l’autre. 91
Technique reprise dans d’autres albums : Le sourire du loup, Promenade au bord de l’eau, par exemple. 92
Technique reprise dans d’autres albums : La grande vague, Voyage, par exemple. 93
Technique reprise dans d’autres albums : Le chemin bleu, Le temps d’une lessive, par exemple. 94
E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 19. 95
Technique reprise dans d’autres albums : L’orage, Le pays du rêve, Le rêve du poisson, De l’autre côté
du lac, par exemple. Le point d’arrivée correspond au point de départ, le lecteur revient sur ses pas, tout
comme les personnages.
35
Page 4
Cette première bande de cinq vignettes illustre la naissance :
- Celle d’un enfant dans le ventre maternel « de tout petits bébés grandissent bien au
chaud dans le ventre de leur mère ». Tout comme la terre est ronde, le bébé est dans
un cercle.
- Naissance de l’univers et des planètes « dans l’univers, entre les étoiles, elle se dé-
place lentement »
- Naissance de la matière et des éléments naturels
« tout est en tout » dans une conception philosophique d’unité du vivant.
Par un effet de « travelling » arrière, l’œil s’éloigne de plus en plus pour une vue
d’ensemble.
Page 6
De la matière brute (le rocher ou la pierre) naît la civilisation urbaine. La société évo-
lue avec ce que lui propose le sol. Cette évolution prend du temps et « les ombres
s’allongent » pour finalement se redresser (les immeubles). « Des petits coins de so-
leil » permettent des couleurs plus lumineuses au fil des vignettes.
Page 8
Par un jeu de formes et de couleurs, nous passons de fleurs blanches sur fond rouge
au reflet de la lune sur l’eau. Puis, par un changement de point de vue (en contre-
plongée) nous regardons la lune dans le ciel. L’abstrait devient concret sous l’effet du
pinceau.
Page 10
« La terre tourne toujours » et le reflet de la lune dans l’eau qui tourne, tout tourne
dans un immense tourbillon. Par un jeu de couleurs et de travelling avant et arrière,
l’image représente le tourbillon du linge dans la machine96
(dessinée en 3D) ou du
café dans la tasse97
. Ici, tout est rond et fait des ronds98
.
96
Cette image renvoie à l’album Le temps d’une lessive, en écho. 97
Cette image renvoie à l’album Voyage, en écho. 98
« Par des dessins fantaisistes, j’ai voulu passer du reflet de la lune dans l’eau qui tourne, à la machine
à laver qui brasse l’eau, au café comme il est remué dans la tasse. » Extrait de l’entretien téléphonique
avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
36
Page 12
Par un changement de point de vue, on regarde le train défiler de trois-quarts, puis
devant nos yeux. Par un effet de zoom arrière, les montants des fenêtres du train de-
viennent des piquets d’une clôture puis, un portail d’entrée. Ces quatre vignettes ex-
priment bien que la terre tourne et qu’ainsi notre vision des choses évolue même sans
bouger99
.
Page 14
Le reflet des nuages dans l’eau bleue se transforme en branches d’arbre par un jeu de
formes évocatrices et de couleurs de plus en plus foncées. Les éléments de la nature
sont représentés par des effets d’ombre et de lumière.
Page 16
Chaque vignette enferme un élément rond : l’œil de bœuf d’une maison, fenêtres
rondes100
de portes de cinéma ou d’un bateau puis, par un effet de travelling avant,
nous nous rapprochons jusqu’à regarder le soleil. Dans les deux dernières vignettes,
les traits de crayons de couleurs renforcent le mouvement circulaire101
.
Page 18
Nous retrouvons des inventions de l’homme qui invite à la circulation et au voyage :
l’écriture102
et le train. Le graphisme se déforme, la page d’écriture devient un
tronc103
d’arbre et ce jeu de traits horizontaux et verticaux finit par donner naissance à
une voie ferrée. Un autre élément de la nature exploité par l’homme : le bois.
99
Cette idée renvoie à l’album Voyage où la fillette narratrice voit les gouttes de pluie et les paysages
évoluer à travers la vitre du compartiment du train dans lequel elle se trouve assise. 100
Ces images renvoient aux portes à hublot dans l’album Le pays du rêve. 101
« Ces portes avec des fenêtres arrondies se trouvent sur les bateaux de traversée, pour passer sur le
pont, ou bien, au bout de certains wagons des trains français, pour passer d’un wagon à l’autre par une
double porte. On peut les trouver aussi à l’arrière des trains ou sur les portes des salles de cinéma. »
Extrait de l’entretien téléphonique du 01/07/2010.
102 Cet aspect pictographique est tout particulièrement développé au fil des pages de l’album Cartes pos-
tales. 103
Troncs de bouleaux caractéristiques des forêts suédoises telles que le lecteur les découvre dans Mys-
tère, 1998.
37
Page 20
Cette séquence s’organise autour d’un travelling avant (les deux premières vignettes),
une transformation (la vignette centrale) et un travelling arrière (les deux dernières
vignettes). Ainsi, par ces changements de points de vue, le « mug » devient un phare.
Page 26
Par un zoom avant progressif, le nœud d’un arbre devient un visage souriant qui ren-
voie à celui de l’enfant (page 27) mais aussi à celui de l’enfant de la première vignette
(page 4). Ainsi, la boucle est bouclée et « La terre tourne, tranquillement. Les bébés
qui grandissaient bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. … Pendant ce
temps, d’autres bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la
terre tourne encore. »
C. Le fil de la narration : le texte104
« Le texte peut être lu indépendamment des illustrations comme une poésie en
prose105
. Il ne parle jamais directement des personnages des illustrations de pleine
page106
». Par touches, avec une alternance de phrases courtes et longues, nous chemi-
nons au rythme de la terre qui tourne. Nous avançons au rythme des saisons, des jours et
des nuits, nous voyageons avec des moyens de transport, nous nous arrêtons pour vivre
des évènements ou tout simplement le quotidien … mais, quoi que l’on fasse, la terre
tourne toujours et, à la manière d’une ritournelle, chaque paragraphe (ou strophe) com-
mence par cette vérité universelle « la terre tourne ». Le verbe « tourner » est répété
seize fois tout au long de l’album. Le vocabulaire comme la ponctuation, la narration
s’organisent autour de répétitions. À l’image des illustrations qui renforcent cette sym-
bolique du temps qui passe, tout nous évoque ce mouvement inexorable.
Avec une intention résolument optimiste, la narration nous parle de la vie qui va-
et-vient comme une ronde où tout le monde est entraîné, vers des lieux inconnus ou de
nouvelles rencontres car, même ceux qui restent sur place vivent dans ce mouvement
104
« J’écris comme ça me vient … ce que je ressens. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne
Brouillard du 01/07/2010.
105 Le lecteur peut aussi apprécier ce style de narration dans les albums Sept minutes et demie et Voyage,
notamment. 106
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
38
imperceptible mais visible dans toute chose qui bouge ou se déplace. Cette vision philo-
sophique de la vie nous entraînant, « au fil de l’eau107
», est illustrée par l’image du
« pont » nous permettant de passer d’un lieu à l’autre, d’une rencontre à l’autre. Nous
sommes tous de passage sur terre.
La narration est écrite au présent108
. Ce choix temporel permet justement
l’expression du temps qui passe. Par le présent, le temps passe pareillement pour tout le
monde et le quotidien participe de ce présent de vérité générale : « la terre tourne ».
Cette force du voyage nous poussant toujours en avant s’interrompt par une
pause narrative de deux doubles-pages (pages 22 à 25). Nous sommes « arrivés à bon
port109
», tout comme les personnages, nous pouvons « poser nos valises110
» le temps
d’une lecture visuelle avant de retrouver le rythme narratif de la terre qui tourne à nou-
veau car, « de nouveaux bébés vont naître » et nous continuons notre ronde de la vie.
Ainsi, la prose revient pour nous ramener à la réalité du quotidien. Les quatre saisons
sont passées et l’enfant est devenu acteur de sa vie tout comme le lecteur est actif dans
son interprétation.
La pause illustrative a occasionné un changement de mise en page aussi. En ef-
fet, des pages 4 à 20, le texte se trouve invariablement au centre des pages de gauche, ou
fausses pages, inséré horizontalement entre « la porte » et « les bandes séquentielles
illustratives » alors que la dernière page redonne toute sa force au texte : il est central et
reprend l’ampleur du début. Après avoir été réduit à deux lignes (page 20), le lecteur
reprend un rythme de lecture longue qui renvoie à la première page (4).
Ainsi, tout participe de ce rythme à la fois tranquille et fort. À la manière des
illustrations (premières et dernières vignettes) et de l’orientation des personnages des
premières (vers la droite) et de la dernière page (vers la gauche) en vis-à-vis, le dernier
texte commence par la même phrase que le premier « la terre tourne tranquillement » et
les évocations sensorielles s’interpellent : « vent d’hiver, porte claque, le va-et-vient
… ».
107
Cet élément narratif est tout particulièrement à l’honneur dans l’album Promenade au bord de l’eau. 108
Anne Brouillard se place dans l’instant présent dans l’essentiel de son œuvre. Ainsi, le lecteur vit avec
et au rythme des personnages. Le lecteur participe au mouvement « ici et maintenant ». Chaque instant est
unique. 109
Cette idée rappelle l’album De l’autre côté du lac, entre autre. Une fois arrivés, les personnages profi-
tent pleinement de l’instant avant de … repartir. 110
Cette idée rappelle l’album Le chemin bleu, où le personnage est parti puis revient « poser sa valise ».
39
Page 4 :
« La terre tourne tranquillement. Dans l’univers, entre les
étoiles, elle se déplace lentement. Pendant ce temps, de tout
petits bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur
mère. Le vent d’hiver souffle dans la plaine. Les arbres
grincent . Une porte c laque. Des gens s’en vont et s’en
viennent de par le vaste monde. Certains ne s’arrêtent jamais
parce qu’ils veulent voir ce qu’il y a derrière le tournant du
chemin. D’autres restent toujours au même end roit parce
qu’ils sont très bien là. »
La première phrase reprend le titre de l’album. Les adverbes nous posent dans
un univers calme : « tranquillement, lentement » et annoncent le rythme de lecture. Ce-
pendant, la présence de phrases très courtes et de verbes sonores « grincent, claque111
»
annoncent des pauses fortes dans ce rythme universel. Nous sommes tous entraînés au
même rythme de la terre mais nous faisons chacun des choix : « aller-venir, partir ou
rester ». Le texte est en prose mais on y trouve des sonorités récurrentes : « terre, uni-
vers, mère, hiver » ; « tranquillement, lentement, pendant, temps, ventre, vent, gens,
s’en, tournant » qui donnent une tonalité poétique au texte. Le lecteur lit mais ressent
aussi la narration. De par son vocabulaire, Anne Brouillard sollicite nos sens et nous
interpelle sur le temps qui passe au même tempo alors que nous vivons au rythme des
cycles humains et naturels.
Page 6 :
« La terre tourne et avec elle, des mots et des sons mélangés,
des petits coins de soleil, des avions qui passent haut dans le
c i e l , l e b o u r d o n n e m e n t d ’ u n e m o u c h e , l ’ a u t o b u s q u i
démarre, les chemins qui ne s’arrêtent pas, les bébés qui
grand issen t , le s o mb res qu i s ’a l lo ngen t , la fê te qu’on
prépare, tout le bruit d’une ville. »
La terre entraîne tout dans sa ronde. Rien n’y personne n’y échappe, la vie
avance et le temps passe : « les bébés grandissent, les ombres s’allongent …» sans
s’arrêter : « les chemins qui ne s’arrêtent pas ». Le soleil accompagne toujours la terre
dans sa ronde. Cette longue phrase énumérative qui semble ne jamais s’arrêter sonne par
ses noms évocateurs de bruits : « sons, avions, bourdonnement, autobus, fête, bruit,
ville ».
111
Ambiance sonore que le lecteur retrouve dans Sept minutes et demie, Le chemin bleu, par exemple.
40
Page 8 :
« La terre tourne encore quand la nuit est tombée et qu’on
entend partir le dernier train du soir. On regarde les étoiles
briller dans l’eau d’un lac, dans un endroit si calme qu’on
entend chaque bruit, le clapotis de l’eau, le craquement
d’une branche, les mots d’une conversation. On se demande
où s’en va le soleil, où von t les gens du train, où sont ceux
qui sont morts, ce que deviennent les endroits qu’on ne voit
plus, où sont ceux qu’on ne connaît pas encore. »
La terre est personnifiée et sa ronde est inéluctable : « encore ». Par la récur-
rence du pronom indéfini « on112
» tout le monde est concerné par ces questions méta-
physiques autour de la vie et de la mort. Ce texte se lit en résonnance : la nuit / le soleil ;
calme / bruits ; aller / mourir ; passé / avenir. Que ce soit dans le temps « quand » ou
dans l’espace « où », nous cherchons à comprendre le monde alors que « la terre tourne
encore » car elle ne s’arrête jamais même si l’on s’arrête pour « entendre et écouter ».
Page 10 :
« La terre tourne toujours dans les ronds de fumée, dans les
bruits des couverts et les tintements des verres, dans les
gouttes de pluie qui font des ronds dans l’eau, dans les roues
d’un vélo, au son d’un manège, dans le claqu ement d’une
porte. »
L’adverbe « toujours » renforce l’idée que cette ronde est éternelle. Tout ce qui
nous entoure nous évoque cette ronde, même les sonorités, même les bruits secs et nets :
« claquement ». L’allitération en « r » accompagne musicalement cette ronde perpé-
tuelle : « terre, tourne, toujours, ronds, bruits, couverts, verres, roues, porte » présente
« dans » notre environnement car cela nous la rend perceptible.
Page 12 :
« La terre tourne dans l’air frais d’un matin de fin d’été, dans
l’air doux où traînent quelques paroles et l’odeur du café,
dans les gouttes de rosée et les pétales de roses. Et le reflet
des nuages tourne avec la terre. Et les bébés qui vont naître,
et le chat près de l’écluse, et le premier train du jour,
tournent avec la terre. »
Le temps et les saisons passent. Le présent prend une valeur de futur proche
« les bébés qui vont naître » et la répétition de « et » accumule les preuves de ce temps
112
Pronom personnel sujet récurrent dans Voyage aussi.
41
qui passe car tout « tourne avec la terre ». L’assonance en « é » adoucit ce tourbillon qui
nous entraîne : « été, café, rosée, pétales, reflet, bébés, écluse ».
Page 14 :
« La terre tourne même quand on n’y pense pas, quand
l’après-midi s’annonce doux, au coin d’une rue, à l’ombre
d’un arbre, à l’abri du vent qui ne cesse de transporter
des nuages d’un bout à l’autre du pays. Elle tourne dans
l’odeur de l’asphalte au soleil, dans la lumière derrière la
porte vitrée.»
Ce mouvement de la terre est inévitable. Même si nous l’oublions, il existe et
nous entoure. Nous ne pouvons pas maîtriser le temps qui passe113
, il nous accompagne
partout. La nature est là pour nous le rappeler : « le vent, les nuages, le soleil » par toute
sorte de sensations : « douceur, chaleur, odeur ». « Même » « à l’abri » nous ne pouvons
lui échapper.
Page 16 :
« Elle tourne, la terre, dans des lieux où les bruits sont
étouffés par de gros tapis moelleux. Elle tourne au son d’une
musique qu’on entend derrière la porte. Pendant que les
images défilent, les bébés naissent, les arbres grandissent,
des gens s’en vont, les voitures s’arrêtent aux feux rouges
dans la nuit orange des vi l les. La terre tourn e dans un
moment de silence. »
Par une mise en apposition de la terre, ce texte casse le rythme de lecture. Le
lecteur est surpris et la narration reprend un nouveau souffle. Ce paragraphe est toujours
sonore « bruits, son, silence » mais aussi visuel et coloré « rouges, orange ». Que l’on
soit à l’intérieur ou à l’extérieur, dans un lieu bruyant ou calme, en mouvement ou arrê-
té, la vie continue au rythme de la terre qui tourne. Maintenant, « les bébés naissent »,
ils sont prêts à entrer dans cette ronde. Nous pouvons y lire le temps qui passe : « les
bébés grandissent dans le ventre de leur mère, les bébés grandissent, les bébés vont
naître, les bébés naissent ».
Page 18 :
« Pendant que la terre tourne dans un sens, un train roule
dans l’autre sens. Les voyageurs dans le train voient passer le
113
Même quand le réveil s’est arrêté dans la maison abandonnée dans Le pays du rêve, le temps passe et
continue son érosion inéluctablement.
42
pays, les habitants du pays regardent passer le train. »
Même la simultanéité n’enraye pas cette ronde. Nous ne pouvons pas remonter
le temps. Que l’on aille dans un sens ou dans l’autre, que l’on soit en voyage ou sur
place, la terre tourne pareillement pour tout le monde. Pour Anne Brouillard, « le
train114
» symbolise ce cheminement. Par la fenêtre du train, nous voyons défiler le pay-
sage tel un film115
. La fenêtre du train s’apparente à un écran de cinéma.
Page 20 :
« La terre tourne avec l’eau des rivières, le va-et-vient de la mer,
le souffle du vent, le lever du jour, l’arrivée d’un bateau. »
La rotation de la terre accompagne toute vie.
Page 26 :
« La terre tourne, tranquillement. Les bébés qui grandissaient
bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. Ils
claquent les portes, écoutent le vent d’hiver. I ls vont et
viennent de par le monde, attendent la lune la nuit au bord
d’un lac, écoutent la mer, la musique derrière la porte,
l’autobus qui ralentit, le craquement d’une branche, le son
d’une cloche. Pendant ce temps, d’autres bébés grandissent
bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la terre tourne
encore. »
Ce dernier texte est une incitation à une relecture car, chaque proposition rap-
pelle un passage antérieur. Nous retournons au début : « la terre tourne tranquillement ».
Ainsi, la narration devient une ronde, au rythme de la terre qui continue de tourner sans
jamais s’arrêter, et toujours au même rythme, quoi qu’il se passe. Ainsi, le passé « gran-
dissaient » ; « sont nés » nous positionne après la naissance, et, comme les enfants vi-
vent le monde, nous allons relire le texte à la lumière de notre première lecture. Par un
changement de point de vue, les bébés deviennent acteurs et sujets :
- Ils claquent les portes / une porte claque (p. 4) ; le claquement d’une porte (p. 10)
114
« Le train s’inscrit parmi les symboles de l’évolution. Le réseau de Chemin de Fer, assurant le trans-
port des voyageurs et des marchandises, met ainsi en liaison toutes les régions d’une nation, voire de
plusieurs continents, et permet toutes les communications et tous les échanges. Il s’affirme comme une
image du principe cosmique impersonnel, imposant sa foi et son rythme inexorables. C’est l’image de la
vie collective, de la vie sociale, du destin qui nous emporte. » Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit.,
p. 961-963.
Tout le monde partage la vie sur Terre dans l’unicité de sa ronde. 115
L’album Voyage illustre parfaitement ce défilement du paysage alors que les voyageurs sont assis dans
le train qui passe.
43
- écoutent le vent d’hiver / le vent d’hiver souffle (p. 4)
- Ils vont et viennent de par le monde / des gens s’en vont et s’en viennent (p. 4)
- attendent la lune la nuit au bord d’un lac / la nuit est tombée / l’eau d’un lac (p. 8)
- écoutent la mer / le va-et-vient de la mer (p. 20)
- la musique derrière la porte / une musique qu’on entend derrière la porte (p. 16)
- l’autobus qui ralentit / l’autobus qui démarre (p. 6)
- le craquement d’une branche / le craquement d’une branche (p. 8)
Ils sont entrés dans cette ronde qu’est la vie. La terre continue de tourner « en-
core » et le cycle de la vie perdure simultanément « pendant ce temps, d’autres bébés
grandissent bien au chaud dans le ventre de leur mère ». Ce ne sont pas les mêmes bé-
bés, car tout se renouvelle dans le changement au rythme de la terre qui tourne, nous
entraînant, toujours dans le même sens et toujours à la même cadence.
Sous – conclusion
Le projet initial d’Anne Brouillard était de réaliser un album qui traiterait paral-
lèlement du déroulement d’une année entière (la terre tourne autour du soleil en une
année) et d’une journée (la terre tourne sur elle-même). Ainsi, la narration commence et
finit en hiver avec des pauses et des évènements à différents moments de la journée.
« Tout commence par une histoire, … qu’elle soit spontanément proposée par l’auteur-
illustrateur116
». Ici, un coup de téléphone de Kitty Crowther lui annonçant sa première
grossesse, alors qu’elle-même se trouvait en plein centre de Paris, dans un univers
bruyant et lumineux, en a été le déclencheur.
Elle voulait montrer la dualité dans la globalité (le « tout petit » dans le « tout
grand », l’intérieur et l’extérieur, le côté chaotique face au silence117
) alors que le che-
minement continue : des gens voyagent de par le monde à des endroits différents, et la
terre tourne toujours, imperturbablement.
Le texte et les images sont presque indépendants. Cependant, par le voyage, au
rythme des relectures, les liens se tissent et se croisent. Nous mesurons le temps qui
116
E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 7. 117
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.
44
passe par les déplacements (textuels et visuels) et les évènements. Par son phrasé, ses
vignettes, le train, le pont … Anne Brouillard nous montre que tout bouge tout le temps
au rythme de départs, de pauses et d’arrivées.
Cet album est l’œuvre d’une auteure-illustratrice mais nous trouvons deux narra-
teurs. Les vignettes, en suggérant « l’avant et l’après, les similitudes entre les choses
proches et les choses lointaines118
», illustrent le fil de la narration de « mise en page »
par ces ligatures entre les pages. Le narrateur visuel montre les personnages (humains et
animaux ensemble) qui se rejoignent, voyagent un peu partout, à différents moments,
utilisent différents moyens de locomotion, collectent des objets et préparent la fête du
jeune enfant. Le narrateur textuel, omniscient, écrit une poésie en prose sur le temps qui
passe, quoi que l’on fasse, où que l’on soit, la terre tourne invariablement pour tous et
partout, tout le temps, de la même façon. Chacun prend son train et passe le pont.
Par cet album emprunt de questionnements métaphysiques, nous cherchons à
comprendre le monde, celui qui nous entoure et celui qui nous échappe. « Le lecteur
interprète l’œuvre, lui donne un sens plus particulier selon ses propres schémas de pen-
sées, ses attentes, ses questionnements du moment. Cette nouvelle conception de la lec-
ture a elle-même généré de nouvelles manières d’écrire et de publier pour les
fants119
».
« Pendant que les bébés poussent dans le ventre de leur mère », cet album inter-
roge la notion de tout ce qui se passe en même temps tout autour, par ces bruits de
toutes ces vies entrecroisées et le silence. « L’album sert de support, … pour apprendre
aux enfants non seulement à lire, mais aussi à structurer leur pensée, à comprendre le
monde, les autres120
». Ainsi, cet album, « dans sa singularité esthétique, invite son lec-
teur, ses lecteurs, à une expérience littéraire inédite, une expérience de
l’intranquillité121
» dans ce monde qui peut être tranquille parfois, bercé par la terre qui
tourne.
118
Ibidem. 119
E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 5. 120
Ibidem., p. 6. 121
Textes réunis et présentés par C. Connan-Pintado, Florence Gaoitti et Bernadette Poulou, L’album
contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, Modernités 28, PUB, 2008, p. 10.
45
II. Quelques résonnances lexicales et thématiques
Analyser et comparer les résonnances « textuelles » à partir du texte de La terre
tourne et en tenant compte des seuls textes, indépendamment des illustrations est justi-
fiable par la déclaration d’Anne Brouillard qui avoue « travailler le texte indépendam-
ment, pour le texte en lui-même, le texte en tant que texte à part entière. Dans Le rêve
du poisson, il y a beaucoup d’informations dans le texte, je n’ai pas la même liberté que
pour les textes poétiques comme La terre tourne, Sept minutes et demie par exemple122 ».
Cependant, les textes entrent en résonnance par constellations entrecroisées aussi. Ainsi,
par exemple, la lecture d’un texte comme Le chemin bleu (avec le cheval blanc123
) va
évoquer le cheval blanc dans Le rêve du poisson. Le silence est aussi un thème évoqué
dans de nombreux albums tout comme le mystère … Ce travail est d’une telle ampleur
que la place nous manque ici. Cette amorce reste donc une invitation à lire et relire les
albums d’Anne Brouillard à la lumière de tous ses albums.
Son premier album avec texte est Voyage et date de 1994. Il s’agit de son cin-
quième album édité. Au regard de sa bibliographie en tant qu’auteure-illustratrice, elle a
réalisé quinze albums avec texte sur vingt-cinq albums en tout.
Anne Brouillard reconnaît, que le texte prend de plus en plus de place dans ses
albums :
« - Vous donnez beaucoup de place à l’écriture. Maturation naturelle ou envie secrète
depuis longtemps ?
- Cela dépend du genre d’histoire. Dans Le pays du rêve et Le chemin bleu il y avait déjà
pas mal d’écrit. Le rêve du poisson avait besoin de passer par l’écrit, car il y a des choses
que je ne pouvais pas mettre dans les images uniquement. J’aime écrire et je sens bien
aussi qu’il y a une évolution dans mon travail.
- L’alternance du récit en images et de l’écrit libère des pages entières traitées en bande
dessinée, assez proches du roman graphique …
- C’est ce que je sens évoluer dans mes projets qui ne sont pas encore aboutis. J’aimerais
intégrer des passages en vraie bande dessinée, avec des bulles et du texte, des dialogues.
Mais ce n’est pas calculé d’avance, cela vient naturellement dans la façon de travailler qui
est, une fois de plus, liée à l’histoire124
».
122
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 03/12/2010. 123
À ce propos, lors de son exposé, « Les albums d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique », Patrick
Joole remarque très justement que « la présence récurrente d’un cheval blanc est l’indice de ce Pays où
l’on n’arrive jamais (André Dhôtel) ainsi que l’image de ce paradis perdu, objet d’une quête impossible.
Mais, chez Anne Brouillard, l’objet de la quête est moins important que le caractère circulaire de
l’itinéraire qui permet au promeneur de participer à sa manière à la marche du monde. »
Car, elle reconnaît avoir été marquée par cette histoire qu’elle a entendue sous forme de feuilleton radio-
phonique dans son enfance. « C’est l’ambiance mystérieuse qui m’a marquée et dont je garde un profond
souvenir. Par contre, je crois que Gaspard est le prénom du garçon. Dans l’album, c’est le chat qui
s’appelle Gaspard », comme chez Claude Roy … 124
Source : http://www.hebdodesnotes.com/analyse/auteur.php/auteur/719868/BROUILLARD-Anne
46
En effet, au regard de ses premiers et de ses derniers albums, le narrateur textuel
est de plus en plus prolixe, fort, voire prédominant parfois. Cependant, la mise en page
de l’album ménage presque toujours des doubles-pages d’illustrations de pleine page à
fond perdu car, nous restons dans le domaine de l’album125
avec une illustration narra-
tive à part entière aussi.
« J’ai choisi illustration et pas peinture dans mes études ! Le côté narratif … travailler
pour mettre l’image au service de quelque chose de littéraire, l’image qui raconte quelque
chose, j’avais envie de faire des livres mais j’avais l’impression d’y voir une limite, hors, il
n’y en a pas, c’est sans fin … Je fais des livres pas spécialement pour les enfants mais pour
les enfants aussi, ce n’est pas si simple à expliquer … le créneau est d’une grande liberté,
les possibilités sont énormes en fait126
».
Le texte explique, éclaire, guide le lecteur qui pourrait s’égarer dans diverses in-
terprétations non voulues par le narrateur visuel. Comme le dit Catherine Tauveron127
,
« tout n’est pas permis dans l’interprétation » ainsi, la lecture du texte est une lecture à
part entière, la lecture des illustrations en est une autre et les deux associées s’éclairent
pour générer d’autres lectures texto-imagières, celles de l’album, « puisque le système
narratif de l’album pour enfants (…) est fondé sur un dispositif qui entremêle de ma-
nière spécifique textes et images128
». Sans oublier que, chez Anne Brouillard, la tech-
nique tout comme le texte sont au service de l’histoire racontée.
Mais aussi Anne Brouillard précise quand le texte devient nécessaire :
« - Le texte vient quand ?
- Je les commence en parallèle, j’ai tendance à terminer par le texte, point final après les
images.
J’ai eu un problème d’emplacement dans Le grand murmure, de par la limite de la place
laissée pour le texte … En fait, chaque album a son histoire, cela dépend du sujet, de ce
qui est raconté.
Le grand murmure par exemple est plus sobre, c’est une conversation téléphonique entre
deux enfants, l’espace entre les deux cabines téléphoniques, le déplacement des person-
nages, le rapport entre le texte et les images, les enfants ne voient pas ce qui se passe dans
les images. Ici, le texte fait partie du paysage. Un livre est une perpétuelle construction,
tout n’est pas conçu avec un début et une fin et des suites logiques. Une histoire dans un
espace, ce qui est raconté dans le texte et les images, c’est cet espace. Dans Le rêve du
poisson, Le pays du rêve, c’est vraiment une histoire avec des données, il y a des choses qui
doivent être expliquées dans le texte pour situer les actions. La terre tourne, encore plus
libre, ce texte là …
- Tous les thèmes de tous vos albums sont en germe dans la première page ?
C’est l’histoire des chemins, des gens qui ne s’arrêtent jamais… Revenir au point de départ,
il y a beaucoup de tendresse, dans l’harmonie, pas d’agressivité. On croise toujours
125
« …dès que l’on a tenté de mettre en lumière l’unicité de l’album, on est obligé de laisser leur place
aux différences, la première et la plus centrale se situant dans le rapport entre textes et images. » J. F.
Massol, in Texte et images dans l’album et la bande dessinée pour enfants, Scérén, CRDP Académie de
Grenoble, 2007, p. 11. 126
Rencontre au salon « vivons-livre » à Toulouse le 07/11/2010. 127
« Les droits du lecteur ne peuvent outrepasser les droits du texte. » Catherine Tauveron, Lire la littéra-
ture à l’école, Hatier, 2002, p. 31. 128
J. F. Massol, op. cit., p. 27.
47
l’homme dans un environnement qu’il comprend, il connaît sa juste place, même l’orage
n’est pas dévastateur, et l’homme se sent rassuré, dans une contemplation paisible.
- Dans La terre tourne, je pense que c’est vrai. Le rond amène à la boucle, la douceur.
- La forme ronde dans vos livres. Le côté boucle, tout tourne en rond, on tourne en rond.
- C’est mon interprétation de la vie, ce qu’on va mettre dans un livre, la façon dont on
ressent l’existence. On revient au même endroit souvent, on ne peut pas s’échapper de soi
où qu’on aille. Le retour, on naît, on vit, on meurt, ça continue et c’est sans fin129
».
Ne serait-ce que par cette construction en boucle qui se réitère à l’infini, de fait, il
y a des répétitions logiques, avec une idée d’histoires sans fin. C’est son style
d’expression, celui qui lui tient à cœur depuis son enfance.
Cette structure en boucle se retrouve aussi au niveau de ses textes. Par une lec-
ture organisée en cercle certes, mais, tout comme ses images ne sont pas cernées et les
bordures de ses cadres sont floues, au rythme des lectures successives, les cercles
s’élargissent par couches superposées. L’analogie peut se faire aussi avec sa technique
artistique plastique car ses peintures sont réalisées par des couches fines, transparentes
les unes sur les autres avec du crayon de couleurs par ci par là afin de rehausser les cou-
leurs ou donner des effets de lumière. Ainsi, le narrateur textuel incite le lecteur à reve-
nir au point de départ, au début du texte et cette lecture circulaire s’apparente à des spi-
rales de plus en plus larges jusqu’à … l’infini. Par ces cercles concentriques, le lecteur
ne repart jamais vierge mais plus riche pour une nouvelle lecture, une nouvelle histoire
à redécouvrir par ces « petits fils à tirer », petits détails à dénicher à chaque lecture pour
savourer ces résonnances qui s’installent progressivement et s’enrichissent mutuelle-
ment.
Les personnages aussi reviennent sur le lieu de départ, le lieu de leur enfance,
enrichis par leurs expériences, leurs aventures, leurs rencontres, leurs voyages …, ils
peuvent revivre leur enfance avec leur point de vue d’adulte, avec le recul sur leurs sou-
venirs. « Quand on part en voyage et qu’on revient après, on est toujours un peu diffé-
rent. On ne revient jamais tout à fait le même130
». Eux aussi, tout comme le lecteur, ils
vont et viennent au rythme de la terre qui tourne inexorablement, toujours au même
rythme pour tous, où que l’on soit et quoi que l’on vive. « On est tous de passage sur
terre et pourtant, elle tourne, la Terre, sans jamais s’arrêter, quoi qu’on fasse toujours au
même rythme !131
».
129
Rencontre au salon « vivons-livre » à Toulouse le 6 novembre 2010, extrait de l’interview par Nicole
Folch. 130
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 131
Ibidem.
48
Cette structure en boucle peut s’observer à différents niveaux :
● La première phrase renvoie à la dernière phrase :
- La terre tourne
- Le grand murmure
- Il va neiger
- Sept minutes et demie
- La maison de Martin
● D’un point de départ à une arrivée qui propose un nouveau départ :
- La terre tourne
- Voyage
- De l’autre côté du lac
● Le point de départ correspond au point d’arrivée :
- Il va neiger
- Mystère
- Reviens sapin
● Du lieu de l’enfance au retour sur le lieu de l’enfance :
- Le chemin bleu
- Le pays du rêve
- Le rêve du poisson
● D’un lieu point de départ au même lieu après un changement ou un bouleversement :
- Le bain de la cantatrice
- La maison de Martin
● Une communication : questions / réponses :
- Conversation : Le temps d’une lessive
- Correspondance : Cartes postales
L’étude tente de s’attacher aussi à mettre en lumière les sonorités, les jeux de
mots et de sons, les thèmes, les formes narratives (à la première personne ou à la troi-
sième personne, poétique, épistolaire …) cependant, il en existe bien d’autres encore à
découvrir et à explorer.
49
A. Les résonnances lexicales page par page
Ici, il s’agit d’abord de dégager les résonnances lexicales à partir de La terre
tourne afin d’en apprécier leurs effets sur le lecteur.
Au fil de la narration textuelle, quelles résonnances peut apprécier le lecteur ?
Quels effets cela évoque t’il en lui ? Au rythme de cette terre qui tourne, encore et tou-
jours. Le mouvement perpétuel de la terre donne le « la » comme un diapason. Chaque
album devient un instrument que le lecteur-musicien accorderait sur ce mouvement
harmonieux.
La terre est considérée dans plusieurs de ses acceptations car ce mot est polysé-
mique en langue française. Le dictionnaire « Littré » répertorie 27 définitions. Parmi ces
définitions, douze items intéressent La terre tourne :
1. Sol sur lequel on marche, et qui produit les végétaux. Un tremblement de terre.
2. Sous terre, sous la superficie de la terre. Creuser une habitation sous terre. Mettre des conduits sous
terre.
3. La couche qui produit les plantes, la substance même d'un sol arable. Terre forte, légère, grasse. Terre à
blé. Terre végétale, terre naturelle, répandue partout en épaisseur inégale, et propre à la végétation, dite
aussi terre franche.
4. La terre considérée relativement à sa composition et comme une matière ou substance particulière.
Terre calcaire. Terre siliceuse.
5. Nom donné par les anciens philosophes à l'un des quatre éléments qu'ils supposaient dans les corps. La
terre, l'eau, l'air et le feu.
6. Planète qui fait sa révolution annuelle autour du soleil en trois cent soixante-cinq jours, six heures et
quelques minutes, et qui tourne sur elle-même en vingt-quatre heures. ♦ Que l'homme contemple la nature
entière dans sa haute et pleine majesté.... que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour
que cet astre [le soleil] décrit, PASC., Pens. I, 1, éd. HAVET. ♦ La terre elle-même est emportée avec une
rapidité inconcevable autour du soleil, LA BRUY., XVI ♦ La terre est soumise, comme les autres planètes,
aux lois des mouvements, MONTESQ., Lett. pers. 113 ♦ Il n'est plus possible de douter que cette même
terre si grande et si vaste pour nous ne soit une assez médiocre planète, une petite masse de matière qui
circule avec les autres autour du soleil, BUFF., Théor. terr. part. hyp. Oeuv. t. IX, p. 302 Le premier
résultat que l'on peut admettre comme vérité, c'est que la terre a été originairement fluide ; ses parties,
animées par la pesanteur et liées par la cohésion, n'auraient pas obéi à la petite force centrifuge, si elles
n'avaient été molles ou plutôt liquides et capables de glisser facilement ou de couler les unes sur les autres,
BAILLY, Hist. astr. mod. t. III, p. 42 Cassini estime qu'un homme à pied, marchant, par un beau chemin
et du même pas, douze heures par jour, ferait le tour de la terre en deux ans, BAILLY, Hist. astr. anc. p.
146 ♦ Tout porte à croire que la masse intérieure du globe est encore douée maintenant de sa fluidité
originaire, et que la terre est un astre refroidi, qui n'est éteint qu'à sa surface ; ce que Descartes et Leibnitz
avaient pensé, CORDIER, Instit. Mém. scienc. t. VII, p. 538
- Le globe terrestre. Que savons-nous si la terre entière n'a pas des causes générales, lentes et impercep-
tibles de lassitude ?, MONTESQ., Lett. pers. 113 ♦ Une partie du globe se prend au figuré pour toute la
terre ; on dit que les anciens Romains avaient conquis la terre, quoiqu'ils n'en possédassent pas la ving-
tième partie, VOLT., Dict. phil. terre. - Être sur terre, vivre, exister. - Enfant de la terre, homme. - On ne
voit ni ciel ni terre, se dit quand on est dans une profonde obscurité. - Fig. et fam. Remuer ciel et terre,
employer toute espèce de moyens pour arriver à son but.
7. Il se dit, tant au singulier qu'au pluriel, des pays.
8. La terre ferme, partie du globe distinguée des eaux, soit continent, soit île. Terre ferme, se dit en
géographie par opposition à île.
9. La Terre (on met une majuscule), personnification divinisée de la terre, chez les anciens. Les géants
étaient fils de la Terre.
10. Fig. Les habitants de la terre.
50
11. Fig. et par grande hyperbole, toute la terre, les gens d'un pays, d'une ville, d'une société.
12. Fig. La vie présente. Vous ne songez qu'à la terre. Les plaisirs de la terre.
L'album La terre tourne orchestre :
- la lecture hélicoïdale chez le lecteur
- la circulation des autres albums autour de la terre qui tourne
- le mouvement, le déplacement des personnages
- le passage du temps
Page 4 :
La terre tourne tranquillement. Dans l’univers, entre les
étoiles, elle se déplace lentement. Pendant ce temps, de tout
petits bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur
mère. Le vent d’hiver souffle dans la plaine. Les arbres
grincent. Une porte claque. Des gens s’en vont et s’en
viennent de par le vaste monde. Certains ne s’arrêtent jamais
parce qu’ils veulent voir ce qu’il y a derrière le tournant du
chemin. D’autres restent toujours au même endroit parce
qu’ils sont très bien là.
C’est autour de la Terre que je veux
tourner, le globe terrestre : Le chemin
bleu
D’un autre côté de la terre, monde,
tout le monde : Le pays du rêve
Sous la terre, dans le monde, le grand
murmure du monde : Le grand mur-
mure
Voir le monde : Mystère
Planète : Le temps d’une lessive
Planètes inconnues, monde, des
terres, la Terre, la terre : Le rêve du
poisson
Tranquillement : Le pays du rêve, Le
rêve du poisson
Lentement : Le rêve du poisson
L’univers : Le chemin bleu, Le temps
d’une lessive, Le rêve du poisson
Étoiles : Il va neiger
Chaleur des intérieurs : Le pays du
rêve
Le ventre : Le bain de la cantatrice
Le vent d’hiver pouvait courir de tout
son souffle : Le pays du rêve
Le vent : Mystère, Le grand mur-
mure, Le rêve du poisson, Le bain de
la cantatrice
Le vent traverse en courant : La mai-
son de Martin
Les arbres : Le pays du rêve, Le rêve
du poisson, Mystère, De l’autre côté
du lac
La porte : Le pays du rêve, Le rêve du
poisson, Mystère, De l’autre côté du
lac
Une porte grince : Le grand murmure
Une porte claque : Sept minutes et
demie
« clac » : Le rêve du poisson
Des gens : Mystère ; Voyage / les
gens : Le temps d’une lessive, De
l’autre côté du lac
Des gens s’en vont et s’en viennent :
Voyage
Voir : Le rêve du poisson ; « allons
voir » : De l’autre côté du lac
51
Chemin : Le chemin bleu, Le pays du
rêve, Le rêve du poisson, Le grand
murmure, Reviens sapin ; « Le che-
min bordé d’arbres tourne autour du
lac dans l’ombre et la lumière » : De
l’autre côté du lac
Voir ce qu’il y a derrière le tournant,
« continue en courbe » : Le chemin
bleu, Le pays du rêve
D’autres restent toujours au même
endroit (chacun chez soi) : Voyage
Ces endroits : Le pays du rêve
Les autres : Il va neiger, Le rêve du
poisson
La terre tourne, la terre est ronde, elle a une forme propice à l'évasion, au voyage,
comme une proposition à en faire le tour car, comme le chemin, la terre n'a pas de
« bout » il est donc envisageable de vouloir « faire le tour de la terre », comme elle
tourne autour du soleil, l'homme veut tourner autour de la terre. De la même manière
qu’il est possible de suivre le chemin afin de faire le tour du lac pour aller voir ce qu’il y
a de l’autre côté. Rien ne semble pouvoir perturber ce mouvement tranquille sauf le rêve
d'un poisson car, « dans l’eau profonde des océans », dans l’eau du lac, « les poissons
sont tranquilles » mais sur la terre, ils ne sont plus à leur place maintenant. Ainsi, tout
tourne « tranquillement » jusqu'au jour où survient quelque chose d'inhabituel à
l'exemple du rêve du poisson ou du bain de la cantatrice. Mais, même dans ces mo-
ments là, tout se passe « lentement ». Le lecteur prend toujours le temps de la contem-
plation comme le dit Anne Herbauts132
, « le lecteur va toujours au rythme du marcheur
dans l'univers des albums d'Anne Brouillard. » La terre fait partie de l'univers comme le
rappelle Le temps d'une lessive mais, cet équilibre pourrait se retrouver dérégler comme
dans Reviens sapin car le cycle de la vie, où chacun dépend de tout, est fragile. Ces deux
adverbes « tranquillement » et « lentement » incitent le lecteur à prendre le temps d'une
lecture attentive et en profondeur. Que le narrateur s'interroge sur l'existence d'autres
planètes accueillantes dans Le temps d'une lessive ou inconnues dans Le rêve du poisson,
d'autres mondes imaginaires dans Le chemin bleu, oniriques dans Le pays du rêve, qu'il
observe les étoiles dans Il va neiger, le lac et son environnement dans De l’autre côté du
lac, dans le ciel, dans l’eau, sur terre ou sous terre, le monde continue sa ronde comme
dans Le grand murmure et l'univers garde ses mystères. La précipitation n'existe pas
dans les albums d'Anne Brouillard à l'image de Martin qui part à la recherche de sa mai-
132
Conférence de Toulouse Vivons-livre, du 6 novembre 2010.
52
son envolée mais l'équilibre de la terre est fragile comme l'illustrent les Cartes postales.
La naissance est évoquée uniquement dans La famille foulque mais, dans les autres al-
bums, la chaleur des intérieurs rappelle ce monde intra utérin, protecteur et berçant.
Comme le rythme de la terre berce la vie sur terre. Encore une fois, cet équilibre est
précaire à l'image du « ventre » des nuages prêt à éclater. Ces mêmes nuages bénéfiques
qui sont apportés ou chassés par le vent.
Le vent est l'élément qui accompagne ce mouvement perpétuel de la terre. Rien
ne semble pouvoir l'arrêter. Car, même si la terre est ronde, elle offre de vaste plaine où
il peut courir librement (La maison de Martin, Le grand murmure). La plaine offre cet
horizon infini propice au rêve et à l'évasion (Le pays du rêve). Le vent d'hiver illustre ce
« dehors » froid contrastant avec ce « dedans » chaud et rassurant, métaphore du ventre
maternel, (Mystère, Le pays du rêve). Le vent réveille la nature. Il déplace les nuages
selon son gré, il anime les branches des arbres. Ces arbres qui peuvent se rassembler en
forêt, invitant à la balade (Mystère, Il va neiger, Le pays du rêve), à la rêverie (Le grand
murmure), à l'imaginaire (Le rêve du poisson). Les arbres qui peuvent aussi protéger un
lieu mystérieux et caché (Le pays du rêve, De l’autre côté du lac). Les arbres grincent
sous le vent comme ils grandissent dans Le chemin bleu au rythme de la terre qui tourne
et du temps qui passe. Le bois est vivant et le vent le réveille, lui permet de s'exprimer.
Que se passe-t-il quand une porte claque ? Un homme sort, une femme entre, la
pluie tombe … dans Sept133
minutes et demie d'une vie urbaine. Que l'on soit dedans ou
dehors, d'un côté ou de l'autre d'une porte qui claque, la terre tourne et la vie continue
des deux côtés de la porte.
C'est ainsi que la vie sur terre est une invitation au « voyage »134
, ici, ailleurs, en
mouvement ou sur place. Que l'on soit actif ou passif, acteur ou spectateur, la rotation
de la terre met toujours le monde en mouvement135
. Des gens passent, restent un instant,
133
Le 7 est le nombre de la "perfection". In : http://rinumero.lbgo.com/symbolique_nombre.html
Le 7 symbolise l'analyse intérieure et la recherche de la perfection. C'est un nombre sacré et éminemment
spirituel. Il est synonyme de repos, de méditation, d'études, de spiritualité, de philosophie, de religion, de
foi. Il est en rapport avec les éléments eau et terre... in : http://www.signification-
prenom.com/symbolique-nombre.html
Mais alors, pourquoi 7 min ½ ? : « Par rapport au temps pour aller jusqu’à la boîte aux lettres !!! Sept
minutes et demie, c’est très précis, c’est plus drôle que 7 minutes tout simplement. J’aurais pu être encore
plus précise, j’aurais pu dire sept minutes et 37 secondes par exemple ! » Extrait de l’entretien télépho-
nique avec Anne Brouillard du 31 janvier 2011. L’humour et l’imagination permettent toujours de se
sortir d’une situation inextricable … 134
« Toujours imaginer sera plus grand que vivre”, Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, PUF,
2004. 135
« Comme si le propre du monde n’était pas de bouger et de se transformer … » Claude Simon, Le vent,
Les éditions de minuit, 1975, p. 25.
53
laissent une trace de leur passage puis repartent, des gens passent, se rencontrent, se
croisent, jouent à cache-cache comme dans Mystère, vont et viennent en train dans
Voyage, à pied ou en barque dans De l’autre côté du lac. Les gens sont aussi les autres
que nous dans Le temps d'une lessive. Certains veulent aller voir le monde (Mystère, Le
chemin bleu), de l’autre côté, puis ils reviennent car le chemin n'a pas de bout, derrière
le tournant, il continue. La terre est ronde, elle tourne ; le monde est vaste, il est attirant.
Qu'y a t'il de l'autre côté de la terre ? Au bout du chemin ? La maison de Martin ? Le
sapin d'Antoine ? Everud Syapel ? La balançoire de Thomas ? Un objet non-identifié ?
Le chemin mène toujours quelque part et, comme la terre est ronde, on revient toujours
au point de départ comme la terre qui tourne sur elle même. Le chemin n'a pas de fin à
l’image de la terre qui tourne dans l'univers, parmi les étoiles à l’infini. S'en aller et s'en
venir, ne jamais s'arrêter, dans un sens ou dans l'autre, des gens font le tour de la terre,
« tout autour de la terre136
». Quand on a trouvé un lieu d'accueil, un endroit paisible où
l'on peut dire « je suis bien » (Le chemin bleu), où attendre les autres (Il va neiger), on y
reste ou on y revient. On le quitte pour y revenir plus tard (De l’autre côté du lac). Ou
bien, on va le rechercher jusqu'au bout (La maison de Martin).
Par son mouvement lent et tranquille, la terre offre tous les choix possibles. Cer-
tains choisissent de partir, de revenir, de rester en voyage, de rester sur place. Le but est
de trouver sa place parmi ces gens sur terre.
Page 6 :
La terre tourne et avec elle, des mots et des sons mélangés,
des petits coins de soleil, des avions qui passent haut dans le
ciel, le bourdonnement d’une mouche, l’autobus qui
démarre, les chemins qui ne s’arrêtent pas, les bébés qui
grandissent, les ombres qui s’allongent, la fête qu’on
prépare, tout le bruit d’une ville.
Des mots : Le pays du rêve, Le grand
murmure, Mystère, Le chemin bleu
Des sons : Le pays du rêve, Le bain de la
cantatrice
Un petit reste de soleil : Il va neiger
Rayon de soleil : Le bain de la cantatrice,
Le temps d’une lessive
Soleil d’hiver : Mystère ; soleil doré,
taches de soleil : Le pays du rêve
Soleil coule : Le chemin bleu
Lumière du soleil : Le rêve du poisson
Dans l’ombre et la lumière : Le pays du
rêve, Le chemin bleu, De l’autre côté du
lac
Un avion : De l’autre côté du lac
Le ciel : Le pays du rêve, La maison de
Martin, Reviens sapin, Le chemin bleu, Le
rêve du poisson, Le bain de la cantatrice,
De l’autre côté du lac
L’autobus : Le temps d’une lessive
Le chemin n’a pas de bout : Le chemin
bleu
136
Chanson de Jacques Prévert (voir Annexes).
54
Les chemins qui ne s’arrêtent pas : Le
chemin bleu
Le long d’un pays long qui n’en finit pas ;
continue son chemin : Voyage
Les ombres qui s’allongent : Il va neiger,
Voyage, Le pays du rêve
L’ombre tourne autour de l’arbre : Le che-
min bleu
Ombres franches : Le rêve du poisson
La fête : Le temps d’une lessive, Voyage
Le pique-nique qu’on prépare : De l’autre
côté du lac
Les bruits « de la brasserie », « galopant
d’un train », sous les bruits : Le grand
murmure ; bruits : Le pays du rêve
Tous les bruits ordinaires ; le bruit de la
pluie ; sans bruit ; aucun bruit : Le rêve du
poisson
La ville : Sept minutes et demie
Tout ce qui vit, bouge, vibre, accompagne le mouvement circulaire de la terre, à
l'intérieur comme à l'extérieur :
- Les mots dits, entendus, écrits, lus ;
- Les sons de la nature, familiers, quotidiens, « envoutants »,
tout circule au rythme de cette révolution terrestre.
Elle tourne autour du soleil, son étoile. Il éclaire, illumine, réchauffe la terre et ses habi-
tants. Le soleil :
- réveille (Le bain de la cantatrice)
- engage au voyage (Mystère, De l’autre côté du lac)
- évoque de beaux souvenirs (Le pays du rêve, Le chemin bleu)
- tire d'un cauchemar (Le rêve du poisson)
La terre fait la ronde autour du soleil qui joue avec les reliefs du globe, générant
des jeux d'ombre et de lumière (Le pays du rêve, Le chemin bleu, De l’autre côté du lac).
Le soleil rend visible le tournement de la terre. Le lecteur ne rencontre pas d'avions dans
le ciel des autres albums mais :
- des nuages (Le pays du rêve, Le chemin bleu, Le bain de la cantatrice …)
- la lune (De l’autre côté du lac)
- des sapins (Reviens sapin)
- une maison (La maison de Martin)
- une « pellicule » aqueuse qui le recouvre (Le rêve du poisson)
- un autobus dinosaure (Le temps d'une lessive)
tout est possible sur la terre d'Anne Brouillard.
55
Pour ceux qui décident de prendre la route, le train, le bateau, … le « voyage »
est sans fin. Il y a toujours un autre voyage sur les « chemins qui ne s'arrêtent pas » (Le
chemin bleu), qui tournent « autour du lac » (De l’autre côté du lac), à l'image de la
terre qui tourne sans s'arrêter. Si nous sommes de passage sur terre, elle continue son
voyage indéfiniment dans l'univers.
Quelle meilleure illustration de la rotondité que l'ombre qui tourne autour de
l'arbre (Le chemin bleu) pour symboliser ce mouvement circulaire, tel un gnomon indi-
quant le temps qui passe au rythme de la terre qui tourne. Ainsi, les ombres s'allongent,
accompagnant la courbe du soleil dans le ciel (Il va neiger, Voyage, Le pays du rêve), le
jour et puis la nuit. Les arbres grandissent aussi, accompagnant ce passage du temps.
Les années, le temps atmosphérique se ressentent aussi à la forme des ombres (Le rêve
du poisson). Pendant que la terre tourne inexorablement, toujours à la même cadence, le
temps passé sur terre peut s'accélérer à l'occasion d'une fête (Le temps d'une lessive,
Voyage), d’une promenade et d’un pique-nique improvisés (De l’autre côté du lac),
devenir bruyant (Le grand murmure, Le pays du rêve, Le rêve du poisson …) ou, au
contraire, être insonore, comme en suspens (Le rêve du poisson, Le pays du rêve). En
ville (Sept minutes et demie), le bruit est permanent, il ne s'arrête jamais, comme la terre.
Page 8 :
Et la terre tourne encore quand la nuit est tombée et qu’on
entend partir le dernier train du soir. On regarde les étoiles
briller dans l’eau d’un lac, dans un endroit si calme qu’on
entend chaque bruit, le clapotis de l’eau, le craquement
d’une branche, les mots d’une conversation. On se demande
où s’en va le soleil, où vont les gens du train, où sont ceux
qui sont morts, ce que deviennent les endroits qu’on ne voit
plus, où sont ceux qu’on ne connaît pas encore.
La nuit est tombée : Mystère ; quand la
nuit tombe : Le grand murmure
Une nuit aqueuse descendait : Le rêve
du poisson
Dans la nuit : Voyage, Mystère
La nuit : Sept minutes et demie, Le
chemin bleu
Le soir tombe : La maison de Martin,
Le pays du rêve « la nuit »
La lune brille dans le ciel et dans l’eau :
De l’autre côté du lac
Lumière brille : Sept minutes et demie,
Mystère
Quelque chose brille : Le pays du rêve,
De l’autre côté du lac
L’eau : Le bain de la cantatrice, Le
rêve du poisson, Le pays du rêve,
Cartes postales
Si calme : « le silence » : Mystère, Le
pays du rêve, Le rêve du poisson, Le
chemin bleu, Le grand murmure
Eau calme et tranquille : De l’autre
côté du lac
Branche (d’arbre) : Le chemin bleu,
Mystère
Les mots d’une conversation, des gens
bavardent (où passent les mots ?) : Le
56
grand murmure
Conversations : Le pays du rêve
Train : Voyage, Le grand murmure, Le
pays du rêve
Ce que deviennent les endroits qu’on
ne voit plus : Voyage, Le chemin bleu,
Le pays du rêve, Le rêve du poisson
Où on voit des choses que personne
d’autre ne voit ; des choses qui
n’existent que là ; on ne sait pas qui ils
sont (les gens) : Voyage
Où vont les mots : Le grand murmure
Où les gens qui passent …, où je suis,
où donc m’emmènent ces pas : Mystère
Où s’arrêtera cette eau : Le bain de la
cantatrice
Où que j’aille … ; qu’allais-je trouver
dehors : Le rêve du poisson
Où était passé le globe terrestre : Le
chemin bleu
Où chacun se coule en hiver … ; un
endroit qu’on ne connaissait pas ; où on
pouvait accéder ; où je me promenais :
Le pays du rêve
Une de leurs planètes : Le temps d’une
lessive
« … encore ... », même le soir, la nuit, le mouvement de la terre, la vie et les ac-
tivités sur terre continuent (Voyage, Mystère, De l’autre côté du lac) promettant un
autre matin (Le rêve du poisson, De l’autre côté du lac). Quand le soir tombe (La mai-
son de Martin), quand la nuit tombe (Le grand murmure), quand la nuit est tombée
(Mystère), la terre tourne encore au même rythme, invariablement, alors que les habi-
tants de la terre vont dormir. La terre ne se repose jamais, elle. L'ombre qui tourne au-
tour de l'arbre dans Le chemin bleu illustre ce mouvement perpétuel, même lorsqu'il
devient invisible à l'œil, la nuit. Certains préfèrent sortir la nuit (Sept minutes et demie)
car alors, la vie est plus calme, la vie, la nuit, s'adapte mieux à la rotation lente et tran-
quille de la terre qui berce les hôtes terrestres. La nuit est propice aux rêves (Le pays du
rêve), un autre monde s'éveille sur terre.
Le premier train du matin ; le dernier train du soir (Voyage) scandent cette alter-
nance jour/nuit. Les trains passent (Le grand murmure, Le pays du rêve) circulent,
transportent, font voyager, même quand la nuit est tombée. Ils peuvent ralentir leur acti-
vité, la terre, elle, ne le peut pas, elle est comme le balancier d'une horloge perpétuelle.
La nuit, la lune brille dans le ciel et dans l’eau (De l’autre côté du lac), les étoiles bril-
lent dans le ciel, se confondant avec les flocons de neige (Il va neiger). La nuit, une lu-
57
mière brille, guidant les pas des promeneurs (Sept minutes et demie, Mystère), annon-
çant une visite, un ami, un lieu accueillant …
L'eau est un autre élément très présent dans les albums d'Anne Brouillard. Elle
est vitale, nécessaire mais pas toujours aussi paisible que l'eau d'un lac. Parce qu'elle
manque cruellement aux plantes chez Pimpinelle137
, son ami Marin lui en envoie par
« oiseaux voyageurs ». La mer, l'océan, accueille La maison de Martin et les poissons y
vivent protégés du bruit des activités humaines (Le grand murmure). Elle annonce une
autre saison humide et froide où l'on vit à l'intérieur dans Le pays du rêve, elle tombe
sur commande musicale pour répondre au caprice d'un bain de cantatrice, elle recouvre
la terre le temps d'un rêve de poisson. L'eau forme des flaques où se reflètent les nuages,
elle coule tout au long des rivières, sur les vitres du train … son cycle ne s'arrête jamais.
L'eau déclenche aussi la rêverie, l'imagination (Voyage)138
, elle est nécessaire à la terre,
à la vie sur terre. À l'origine, elle recouvrait toute la surface de la terre (Le rêve du pois-
son). Élément du cycle de la vie, le cycle de l'eau est aussi perpétuel et circulaire. Ce-
pendant, contrairement au rythme de la terre qui tourne, l'eau peut être paisible, violente,
angoissante … élément non maîtrisable, en perpétuelle transformation, présent dans
tous ses états, l'eau tourne et fait des ronds.
Le soir, quand tout se calme, après le passage de la pluie (De l’autre côté du lac),
dans la forêt (Il va neiger), dans le compartiment du train (Voyage), en ville (Sept mi-
nutes et demie), dans la neige (Mystère), dedans les maisons (Le pays du rêve, Le rêve
du poisson), dans l'eau (Le grand murmure), les bruits s'adaptent à l'ambiance. À la
tombée de la nuit, les conversations, les murmures, les bavardages se distinguent mieux
dans le calme d'un espace clos, à l'intérieur des maisons chaudes, dans la forêt « endor-
mie », le long des fils téléphoniques, quand le rythme du monde se calme alors que la
terre tourne encore et toujours au même rythme parmi les étoiles. La nuit est un envi-
ronnement propice aux rêves et aux questionnements. La rotation de la terre dans l'uni-
vers, parmi les étoiles est une source d'inspiration inépuisable. Les albums d'Anne
Brouillard proposent aux lecteurs de multiples questionnements sur la marche du monde
et ses états d'âme : « on se demande ... ». Par l'utilisation du pronom personnel indéfini
« on », tout le monde et chacun se sent impliqué. Les réponses uniques n'existent pas.
137
Nom donné par Adanson à la pimprenelle. Nom donné au genre boucage, ombellifères. Dictionnaire
Le littré. 138
« On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience
onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve. »
Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Le livre de poche, Librairie José Corti, 1942, p. 11.
58
Elles sont à la fois individuelles avec une portée universelle. Car, tant que la terre tour-
nera, le cycle de l'eau continuera, les chemins n'auront pas de bout, le soleil se lèvera
d'un côté de la terre et se couchera de l'autre, les paysages défileront derrière la vitre du
train, des gens voyageront, se croiseront, d'autres resteront, certains rêveront, des mots
circuleront, l'inconnu attirera, la terre gardera ses mystères, l'univers restera infini, le
temps passera et la mort restera sans réponse.
Page 10 :
Et la terre tourne toujours dans les ronds de fumée, dans les
bruits des couverts et les tintements des verres, dans les
gouttes de pluie qui font des ronds dans l’eau, dans les roues
d’un vélo, au son d’un manège, dans le claquement d’une
porte.
Les bruits des couverts et les tintements
des verres : « bruits de vaisselle » : Le
pays du rêve
Pluie : Sept minutes et demie, Le pays
du rêve, Le chemin bleu, Le grand
murmure, Le rêve du poisson, Voyage,
De l’autre côté du lac
Gouttes de pluie : Le pays du rêve
Flaques : Sept minutes et demie, Le
pays du rêve, Le chemin bleu, Le bain
de la cantatrice
« Petit bassin tout rond » : Le temps
d’une lessive
« Ventre rond » : Le bain de la canta-
trice
Roues : Le temps d’une lessive
Vélo : Le chemin bleu
La fête foraine : Le temps d’une lessive,
Voyage
La balançoire : De l’autre côté du lac
Le claquement d’une porte : Le pays du
rêve
La terre est ronde et tourne en rond :
- sur elle-même : tout ce qui est rond : gouttes de pluie, roue, rond de fumée
- autour du soleil : tout de qui tourne rond : vélo, manège, porte sur ses gonds
- mais aussi dans les sons et les bruits.
Que l'on soit dedans :
- bruits rassurants, familiers du quotidien : couverts, verres, piano, mélodies ...
Que l'on soit dehors :
- le manège, la balançoire, la fête, la rue …
Que l'on passe d'un espace à l'autre :
- bruits de porte …
La terre tourne toujours invariablement, rythmant le quotidien, quoi qu'il se
passe, sa cadence ne change pas.
59
Page 12 :
La terre tourne dans l’air frais d’un matin de fin d’été, dans
l’air doux où traînent quelques paroles et l’odeur du café,
dans les gouttes de rosée et les pétales de roses. Et le reflet
des nuages tourne avec la terre. Et les bébés qui vont naître,
et le chat près de l’écluse, et le premier train du jour,
tournent avec la terre.
Vent et puis air ; des souvenirs de l’été :
Le pays du rêve
« L’air frais d’un » joli matin : Le bain
de la cantatrice
Un matin : Voyage, De l’autre côté du
lac
Après-midi d’été : Le rêve du poisson,
L’air doux où traînent quelques paroles
et l’odeur du café : « une bise tiède » Le
pays du rêve, « des effluves de café » Le
rêve du poisson ; « petit café » : Reviens
sapin
« Des gens bavardent, la machine à café
vrombit » : Le grand murmure
Odeur « bizarre, désagréable, d’eau
stagnante » : Le rêve du poisson
Odeur « froide de l’hiver » : Il va neiger,
« Fleurs » : Le temps d’une lessive
« Les oiseaux bleus, les oiseaux blancs
tournent dans l’air du soir un peu
rose » : Le pays du rêve
« Un miroir reflétait le ciel » : Le pays
du rêve
Nuages : La maison de Martin, Le bain
de la cantatrice, Le rêve du poisson, Il
va neiger, Le pays du rêve
Le chat : Il va neiger, Le pays du rêve,
Reviens sapin
« D’autres trains … un matin ou un
soir » : Voyage
La nuit passée, le matin arrive, les journées et les saisons passent. Quand le vent
ne souffle plus, quand il a chassé les nuages, l'air est frais et doux, sensation que la terre
tourne. Son mouvement amène un déplacement d'air, le souffle de la terre qui vit. Le
matin, le monde se réveille :
- des humains : paroles, café
- de la nature : rosée, roses
La terre qui tourne génère ce nouveau réveil chaque matin. Le déplacement cir-
culaire de la terre emmène les nuages avec lui. Ils bougent et jouent avec le soleil, le
vent dans le ciel. Sur terre, on peut voir leur reflet dans les flaques d'eau, dans l’eau du
lac, comme dans un miroir. La mobilité des nuages illustre ce tournement, leur reflet
offre des jeux d'ombre et de lumière, la rotation de la terre devient visible.
Le chat139
, animal au sixième sens, celui qui sent l'orage arriver, ressentirait-il
que la terre tourne ? Celui qui en sait plus que tout le monde (Le pays du rêve), celui qui
parle (Mystère, De l’autre côté du lac) malgré lui140
?
139
« … le chat a démontré une faculté extraordinaire pour pressentir des choses. Grâce à son comporte-
ment anormal et inhabituel dans certaines situations, des gens ont pu échapper à un grave danger ou être
60
Quand la nuit tombe, le dernier train du soir circule ; quand le matin se lève, le
premier train du jour part. Les départs et les arrivées des trains matérialisent cette activi-
té quotidienne diurne sur terre. Sa révolution permet cette alternance jour/nuit. Le
rythme de la vie sur terre est dépendant de ce mouvement régulier, immuable et perpé-
tuel.
Page 14 :
La terre tourne même quand on n’y pense pas, quand
l’après-midi s’annonce doux, au coin d’une rue, à l’ombre
d’un arbre, à l’abri du vent qui ne cesse de transporter
des nuages d’un bout à l’autre du pays. Elle tourne dans
l’odeur de l’asphalte au soleil, dans la lumière derrière la
porte vitrée.
Même quand on n’y pense pas : « le
temps avait décidé qu’il ne passait
plus » : Le pays du rêve ; « le temps
passait » : Le chemin bleu ; « attendre
quelque chose ; un instant ; combien de
temps ; temps arrêté » : Le rêve du pois-
son
Les habitants ont oublié le temps : Le
bain de la cantatrice
« Ils prennent tout leur temps » : Il va
neiger
« Où l’automne se coulait tranquillement
dans le soleil doré » : Le pays du rêve
« Après-midi d’été » : Le rêve du poisson
« Au coin d’ » une rue : Voyage
À l’ombre d’un arbre : Le chemin bleu
L’ombre de la forêt : De l’autre côté du
lac
« Dans l’ombre et le soleil » : Le pays du
rêve
Des nuages d’un bout à l’autre du pays :
Le bain de la cantatrice, La maison de
Martin, Il va neiger, Mystère, Le pays du
rêve, Le rêve du poisson
Le vent chasse les nuages : De l’autre
côté du lac
« Portes à hublots » : Le pays du rêve ;
« les fenêtres, les vitres » : Voyage
Porte : De l’autre côté du lac
« Dans l’ombre et la lumière » : Le che-
min bleu
« Le soleil, la lumière » : Le chemin
bleu ; Le rêve du poisson « porte
d’entrée, fenêtre »
On n'a pas besoin d'y penser, d'agir, d'attendre, de s'arrêter … même quand les
horloges sont cassées, les maisons inhabitées (Le pays du rêve), les chemins plus em-
pruntés (De l’autre côté du lac), même quand le temps est décompté (Sept minutes et
demie), oublié (Le bain de la cantatrice). Que l'on soit tranquille, inquiet, occupé ou
parti, le temps passe invariablement, les choses s’érodent, les souvenirs s’estompent,
sauvés de la mort. Il y a autour du chat un mystère que les parapsychologues ont de la misère à expliquer.
En effet, le chat perçoit des choses que les gens ne discernent pas, et essayent par toutes sortes de façons
de nous les communiquer ... » in http://www.cyberanimaux.com 140
Claude Roy.
61
mais la terre tourne toujours pareillement. L'après-midi sépare le réveil du coucher mais
la terre tourne sans s'occuper de ces détails. L'après-midi passe de la même façon, au
même rythme, tout comme le matin se lève et la nuit tombe. L'après-midi passe où que
l'on soit, quoi que l'on fasse, quel que soit le temps. L'ombre de l'arbre tourne toujours,
que l'on soit dessous ou ailleurs, le vent continue de déplacer les nuages tout autour de
la terre, au dessus du lac, il ne s'arrête jamais lui non plus, ils vont toujours ensemble.
Que l'on soit dehors ou dedans, la terre tourne toujours sur elle même et autour du soleil
qui la réchauffe. Ce rythme est nécessaire à toute vie sur terre. L'homme pourrait-il en
profiter sans s'en préoccuper ? Qu'y a t'il derrière les portes à hublots ? (Le pays du
rêve) Qui se trouve derrière la porte qui s’ouvre ? (De l’autre côté du lac) Même s'il n'y
pense pas, elle tourne mais, attention aux dérèglements car, même si elle tourne quand
même, l'équilibre est fragile (Le rêve du poisson, Le bain de la cantatrice, Reviens sapin,
Cartes postales).
Page 16 :
Elle tourne, la terre, dans des lieux où les bruits sont
étouffés par de gros tapis moelleux. Elle tourne au son d’une
musique qu’on entend derrière la porte. Pendant que les
images défilent, les bébés naissent, les arbres grandissent,
des gens s’en vont, les voitures s’arrêtent aux feux rouges
dans la nuit orange des villes. La terre tourne dans un
moment de silence.
« son du piano, mélodies » : Le chemin
bleu
« Les flocons étouffent leurs voix » : Il
va neiger
« derrière les portes à hublots » ; « der-
rière les portes jaunes » : Le pays du rêve
« devant la porte » : Mystère
Le pays défile ; « on voit … une
image » : Voyage
La télévision : Le temps d’une lessive
« Leurs images intérieures » « les images
de BD »: Le rêve du poisson
« Le soleil se glissait et dessinait des
ombres en mouvement » ; « les oies
derrière le mur » : Le chemin bleu
Les arbres, les mots secrets des enfants
grandissent : Le chemin bleu
« On est parti » ; « Des gens » ils s’en
vont : Voyage
« Il s’en va » ; « elle s’en va » : La mai-
son de Martin, Mystère
Allons voir : De l’autre côté du lac
Depuis, j’ai voyagé : Le chemin bleu
« prendre le train » : Le grand murmure
La nuit orange des villes : Le pays du
rêve
« Derrière la ligne où se couche le so-
leil » ; « une ligne de lumière orange. La
trace du jour qui s’en allait d’un autre
côté de la terre » : Le chemin bleu
La nuit : Le temps d’une lessive, Le rêve
du poisson, Le pays du rêve, Le grand
murmure
La ville : Sept minutes et demie
Silence : Mystère, Le chemin bleu, Le
62
rêve du poisson, Le grand murmure
« Les nuages silencieux » : Il va neiger ;
« vies silencieuses » : Mystère
La grande paix du soir : De l’autre côté
du lac
Quelque soit le lieu, quoiqu'il se passe, quoique l'on entende, que les bruits
soient retenus, contenus, camouflés … la terre tourne quand même, sa musique est tou-
jours la même, pendant que :
- la vie passe (Le chemin bleu, De l’autre côté du lac)
- les paysages, les images, les pays défilent (Voyage)
- la nature, les arbres, les plantes poussent (Cartes postales, Le chemin bleu, Le rêve du
poisson), le bois se désagrège141
(De l’autre côté du lac)
- des gens partent en voyage (Voyage, De l’autre côté du lac, Le chemin bleu)
- des véhicules s'arrêtent un moment avant de repartir (Voyage, Le chemin bleu, Le
temps d’une lessive)
L'horizon prend une teinte orangée quand le soleil se couche (Le chemin bleu,
De l’autre côté du lac), cette même couleur orange qui évoque la lumière des villes, la
nuit, alors que la vie, les activités continuent après la tombée de la nuit. La nuit devient
orange du fait des éclairages artificiels142
(Le pays du rêve). La nuit est aussi favorable
au sommeil, au silence, à la grande paix. La terre tourne invariablement dans le bruit,
dans le silence ; à la ville, à la campagne, autour du lac ; le matin, l'après-midi, le soir
ou la nuit ; dans un instant bref, pendant que les actions sont simultanées ou en pause ;
que l'on entende ou que l'on voit quelque chose … la terre tourne toujours au même
rythme sans s'en préoccuper.
Page 18 :
Pendant que la terre tourne dans un sens, un train roule
dans l’autre sens. Les voyageurs dans le train voient passer le
pays, les habitants du pays regardent passer le train.
Un train roule dans l’autre sens :
Voyage, Le grand murmure, Le pays
du rêve
Voient passer le pays : Voyage
Le train : Mystère
Le long de la voie ferrée : Il va neiger
De l’autre côté de la voie ferrée … :
Le pays du rêve
Regardent les gens : de l’autre côté
141
« … une autre dimension du paysage : érosion. C'est-à-dire le temps. » Thomas et le Voyageur, op. cit.,
p. 84. 142
« Le noir lui est propice, il l'affole, la chauffe, la livre crue et brutale, les contours acérés quand l'inté-
rieur se trouble de milliers de lueurs rivales, il la divulgue orange, effervescente, pastille de vitamine C
jetée dans un verre d'eau trouble, bocal de fioul posé dans une cuvette, distributeur d'oxygène, de speed et
de lumière. » Maylis de Kerangal, naissance d'un pont, éditions Gallimard, 2010, p. 161.
63
du lac
Aiguillages … : Le chemin bleu
Pendant que la terre tourne unidirectionnellement, les trains roulent et les che-
mins continuent, dans l'autre sens. Ces oscillations de va-et-vient, d'un côté et de l'autre,
voir et être vu … évoquent un miroir (Le pays du rêve) dans lequel l'un et l'autre se re-
flètent. Le chemin continue de l'autre côté (Voyage), où l’on peut apercevoir des gens
(De l’autre côté du lac).
- Ceux qui voyagent observent le paysage, en imaginent un autre, regardent les gens
chez eux, dehors … (Voyage)
- Ceux qui restent regardent le train et imaginent l'autre bout du voyage, la vie des uns
et des autres … (Le pays du rêve, Le chemin bleu)
Tout au long de la voie ferrée, du chemin, la terre tourne toujours au même
rythme pour tout le monde, que l'on aille dans le sens de rotation de la terre ou dans le
sens inverse, que l'on voyage pour regarder le paysage ou que l'on reste pour regarder
les voyageurs. Le temps passe pareillement, la terre tourne, dans le même sens et à la
même cadence. Les voies choisies sur terre peuvent être :
- parallèles : le long de la voie ferrée (Il va neiger)
- perpendiculaires : le chemin continue (Voyage), de l'autre côté de la voie ferrée (Le
pays du rêve)
- entremêlées : les carrefours, les aiguillages (Le chemin bleu)
- circulaires : autour du lac (De l’autre côté du lac) par le chemin mais aussi, à travers
le lac, par barque
Il s'agit de choisir son chemin, sa voie, dans un sens ou dans l'autre, de choisir sa
direction (Mystère). Par le fait de tous ces mouvements, les gens se croisent, se rencon-
trent, se regardent, qu'ils aient choisis de partir ou de rester. Les habitants de la terre ont
le choix, la terre, elle, n'a pas ce choix, elle tourne toujours au même rythme et dans le
même sens.
Page 20 :
La terre tourne avec l’eau des rivières, le va-et-vient de la mer,
le souffle du vent, le lever du jour, l’arrivée d’un bateau.
L’eau : Cartes postales, Le pays du
rêve, Le chemin bleu, Voyage, Le
temps d’une lessive, Le rêve du pois-
son, Le bain de la cantatrice
L’eau des rivières : Le chemin bleu
Le va-et-vient de la mer : Le grand
murmure, Le bain de la cantatrice, La
maison de Martin
Le souffle du vent : La maison de
64
Martin, Le chemin bleu, Le pays du
rêve, Voyage, Il va neiger, Mystère,
Le grand murmure, Le rêve du pois-
son, Le bain de la cantatrice
Le lever du jour : Le chemin bleu, Le
rêve du poisson, Le bain de la canta-
trice, Le pays du rêve, Mystère
L’arrivée d’un bateau : Le pays du
rêve, La maison de Martin
La barque : De l’autre côté du lac
Le cycle de l'eau est comme l'eau des rivières qui ne s'arrête jamais (Le chemin
bleu). Les marées se succèdent régulièrement et animent les mers143
, le vent amène la
pluie, il souffle, vent et puis air (Le pays du rêve), l'aurore réveille la nature144
avec la
rosée du matin et les rayons de soleil (Le bain de la cantatrice), l'arrivée du bateau an-
nonce Le pays du rêve pour Éloïse, une nouvelle vie pour Martin, un nouveau périple
pour Tante Nadège, Lucie, Thomas, Toka et Alpha ... Le tournement de la terre accom-
pagne tous ces mouvements réguliers ou occasionnels, à l'endroit ou à l'envers, dans un
sens et dans l'autre. Si l'eau vient à manquer, on l'appelle (Cartes postales, Le bain de la
cantatrice). Le cycle de l'eau est circulaire, infini, perpétuel, comme la rotondité ter-
restre.
Page 26 :
La terre tourne, tranquillement. Les bébés qui grandissaient
bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. Ils
claquent les portes, écoutent le vent d’hiver. Ils vont et
viennent de par le monde, attendent la lune la nuit au bord
d’un lac, écoutent la mer, la musique derrière la porte,
l’autobus qui ralentit, le craquement d’une branche, le son
d’une cloche. Pendant ce temps, d’autres bébés grandissent
bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la terre tourne
encore.
Claquent les portes : Sept minutes et
demie
Le vent d’hiver : Mystère
Vont et viennent de par le monde : Mys-
tère, Voyage, Le chemin bleu
La lune : Sept minutes et demie
Écoute la pluie tambouriner, la rivière,
regarde la lune briller dans le ciel et dans
l’eau : De l’autre côté du lac
Écoutent la mer : La maison de Martin,
Le grand murmure
Le son d’une cloche : Le pays du rêve, Le
rêve du poisson (le réveil de la terre ?)
Un autre train … : Voyage, Le pays du
rêve
Les bébés ont grandi dans l'univers des autres albums, ce sont des enfants ou des
adultes maintenant, ils agissent sur leur monde, ils ont des souvenirs. Avec ou malgré
143
« C'est le roulis du monde sur l'océan du ciel » Victor Hugo, Œuvres complètes, volume 1, p. 236,
Odes, Rêves III, Société typographique belge, 1837. 144
« C’est près de l’eau et de ses fleurs que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émana-
tion, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur. (…) … accompagner le ruis-
seau, marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l’eau qui coule, de l’eau qui mène la
vie ailleurs … » Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, op. cit., pp. 14-15.
65
tout ce qui se passe, la terre tourne toujours aussi « tranquillement ». Rien ne perturbe
sa ronde perpétuelle. Comme sourde aux bruits, insensible au temps à l’échelle humaine,
aux odeurs, aveugle aux couleurs … elle tourne « tranquillement ». Cette dernière
strophe pose le passé, installe le présent et annonce le futur. Les protagonistes sont ac-
tifs, leurs actions sont volontaires. Dans les autres albums aussi, les personnages sont
acteurs pendant que la terre continue de tourner :
- je vais aller voir ce qui se passe dans le monde … : Mystère
- allons voir : De l’autre côté du lac
- j'ai voyagé, … je m'installe … : Le chemin bleu
- ils sont partis, … ils vont revenir … : Il va neiger
- on est parti … on est arrivé … : Voyage
Le son de la cloche, dernière vibration145
citée par le narrateur textuel de La
terre tourne symbolise le réveil de la terre, le signal attendu par la nature « toute en-
tière » (Le rêve du poisson), par le narrateur-personnage pour réagir (Le pays du rêve).
Le son de la cloche donne l'alerte, le signal du rassemblement146
, le souffle du vent147
qui la fait tinter. Ce symbole est donc très fort de par sa position finale dans La terre
tourne et de par sa force dans ces deux autres albums. Même si la terre tourne toujours
tranquillement, la nature peut se mettre en pause, changer, attendre un signal pour offrir
ses mystères. Le temps et l'espace sont des données qui échappent à tout contrôle hu-
main tout comme ils « sont indissociables dans l'organisation de l'univers148
».
Pendant que la terre continue de tourner encore, d'autres trains partiront, d'autres
gens voyageront, vivront ici ou ailleurs (La maison de Martin, le bain de la cantatrice),
dans l'espace sur une autre planète (Le temps d'une lessive), d'autres … chercheront un
endroit où s'installer pour « être bien » sur terre (Le chemin bleu, De l’autre côté du lac).
145
« Le symbolisme de la cloche est surtout en rapport avec la perception du son. En Inde par exemple,
elle symbolise l'ouïe et ce qu'elle perçoit : le son qui est reflet de la vibration primordiale. En Chine le
bruit de la cloche est en rapport avec le tonnerre et s'associe à celui du tambour. Mais la musique des
cloches est musique princière et critère de l'harmonie universelle. » in http://www.cleomede.com/article-
1298506.html 146
« Elle convoque les fidèles autour du prêtre pour recevoir de sa bouche la Bonne parole. La cloche, à
la fois maternelle et spirituelle, relie par ses ondes tout l’espace humanisé au sanctuaire, maison cosmique,
lien entre le ciel et la terre. » in http://www.liturgiecatholique.fr 147
« La cloche apparaît comme symbole bouddhiste et lamaïste, notamment la petite cloche à main … On
en voyait également pendues aux avant-toits des temples, les « cloches à vent », car leur son ferait fuir les
esprits malfaisants. » Maurice Louis Tournier, L'imaginaire et la symbolique dans la Chine ancienne, p.
382, éditions L'harmattan, 1991. 148
Source : http://equizen.free.fr/cinqele.html
66
Sous – conclusion
Les mots résonnent entre eux. D’une page à l’autre, du début à la fin et récipro-
quement, d’un album à l’autre … Ils s’interpellent et se répondent. Par ces jeux d’échos,
le lecteur chemine et savoure ces tissages langagiers. Par l’intermédiaire de la mémoire
lexicale du lecteur, tel un messager épistolaire, les personnages et les narrateurs com-
muniquent entre eux. Le lecteur a donc un rôle primordial dans leur construction litté-
raire. Comme le souhaite ardemment Anne Brouillard, ils continuent de vivre en dehors
de leur livre support. Grâce au lecteur, ils peuvent se rencontrer, le lecteur leur donne
« une plus longue vie » à travers les albums. Pour ce faire, le lecteur adapte aussi son
rythme de lecture au style du narrateur textuel. En effet, selon les propos de l’histoire, le
narrateur adapte son style d’expression.
B. Les différents types de narrateurs textuels149
1. Les textes impersonnels
Certains textes, comme La terre tourne sont impersonnels et poétiques. Ils pren-
nent une valeur de vérité générale, racontés au présent. Pour ceux ci, Anne Brouillard
avoue avoir plus de liberté pour s'exprimer au fil de son inspiration. Au cours de ces
textes, le narrateur textuel raconte tout ce qu'il sait, voit et ressent. Sa parole n'est pas
remise en cause par le lecteur qui est invité à partager sa prose riche en sonorités et en
sensations. La lecture défile comme des tableaux émouvant tous ses sens. Ainsi, La
terre tourne raconte tout ce qui se passe, pareillement ici et ailleurs, pour tous et chacun,
au rythme de la terre qui tourne perpétuellement et invariablement, quoi qu'il arrive.
Que signifie ce 7150
accompagné d'un ½ ? Rien n'est parfait sur terre, la perfec-
tion n'est pas de ce monde ? Ce petit ½ détail rend ce moment, ces minutes uniques et
149
« Intransigeante par rapport à ses dessins, elle commence à le devenir par rapport à ses textes qui sont,
(…) d'une grande qualité poétique. Elle a confiance en ses mots et elle pense à juste titre que l'on a cha-
cun son vocabulaire pour exprimer les mêmes choses… » in
http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html 150
« Associant le nombre quatre, qui symbolise la terre (avec ses quatre points cardinaux) et le nombre
trois, qui symbolise le ciel. Sept représente la totalité de l'univers en mouvement. » in
http://gnese.free.fr/Projects/PingouinManchot/PingouinManchot/sept/sept.html
67
différentes des autres. Ce sont ces petits détails, ces petites précisions, qui rendent la vie
appréciable.
Sept minutes et demie est une ode à la pluie, à la ville, à la nuit. Un temps : Sept
minutes et demie ; un espace : une ville. Que s'y passe-t-il ? Pendant que la terre tourne
tranquillement, encore et toujours. La ville est personnifiée, comme La terre tourne, le
texte commence et se termine pareillement (anaphore / épiphore) avec une petite va-
riante d'ordre syntaxique :
« Mouillée, la ville … … la ville mouillée »
emphase par une mise en apposition avec une inversion adjectif/nom, donnant une sono-
rité féminine au texte. Cette prosodie donne un effet d'insistance sur cet aspect de la
ville. Cela donne une luminosité particulière à cette ville mouillée. Elle réfléchit les
lumières, elle luit.
Comme La terre tourne, ce texte présente beaucoup de répétitions et de rimes.
Des allitérations en « q » et en « p » par exemple et des assonances en « a » et en « i »
majoritairement. Les phrases sont courtes et certains sujets elliptiques : « claque ses pas
entre les flaques », demandant un effort d'imagination au lecteur. Il doit s'impliquer dans
sa lecture. Le narrateur lui offre une part de création comme dans cette phrase non ver-
bale : « sous la lune, dans la ville mouillée ». Qui marche sous la lune, en évitant les
flaques, dans cette ville mouillée, la nuit ? Par une phrase interrogative, rédigée affirma-
tivement : « qui chuchote les secondes qui passent », le lecteur se demande à « quoi »
fait référence ce « qui ». Est-ce la terre qui tourne ? Une horloge ou un appareil qui dé-
compte le temps qui passe, illustrant ce mouvement de la terre ? Cette phrase présente
l'inexorabilité du temps qui passe, décompté par sa plus petite unité, sans aucun temps
d'arrêt, les secondes passent les unes après les autres. Par opposition au titre Sept mi-
nutes et demie, qui représente un temps très court, face au temps cosmogonique. Les
choses sont interdépendantes les unes des autres. À l'exemple de : « la lumière brille et
fait briller le toit » / la terre tourne et fait tourner le monde. Le tout petit entraîne le tout
grand et réciproquement, l'immense englobe le minuscule et le groupe l'individuel.
Au fil de la lecture de ces deux textes, le lecteur partage les sensations ressenties
par le narrateur. Les répétitions, le mouvement, la structure textuelle et poétique (les
sonorités) en font des textes riches de sens et hauts en couleurs. Par ces textes, le narra-
teur fait vivre des émotions au lecteur. Le narrateur textuel part d'une chose vue, enten-
68
due, vécue …151
pour exprimer ce moment particulier à la manière d'un haïku152
dans
Sept minutes et demie ; à la manière d'une ronde dans La terre tourne.
2. Les textes à la troisième personne
a) Histoire racontée à la troisième personne du singulier, par l'utilisation du pronom
indéfini « on », il prend une valeur descriptive.
● Voyage
Le narrateur est un des personnages et l'histoire est racontée à travers son regard.
Ici, le narrateur part en voyage avec d'autres partenaires. Il voit des paysages, il imagine
des décors, des « choses », des personnages …, il croise d'autres gens … Tout cela se
passe en train, dans le train, de son départ à son arrivée, à travers la vitre du train, dans
la gare, le long de la voie ferrée … Le mouvement circulaire, le va-et-vient, les allers-
retours, les questions existentielles, l'espace dedans / dehors, tout l'univers de cette nar-
ration évoque sans conteste celui de La terre tourne. Ici, le narrateur vit les évènements
décrits dans La terre tourne. Il fait les mêmes constatations. Par l'emploi du pronom
personnel indéfini de la troisième personne « on », le lecteur se sent embarqué dans ce
voyage à bord de ce train. Il participe lui aussi au mouvement du monde.
b) Les histoires racontées à la troisième personne « il », « elle », « on », « ils » … avec
des dialogues au discours direct et des pensées intimes.
● Reviens sapin
● De l’autre côté du lac
● La maison de Martin153
151
« … s'imprégnant de touches, de détails qui deviendront plus tard, grâce au travail de mémoire, des
images. Ses idées naissent, (…) d'un savant mélange de réalités entre aperçues, de bribes de mémoire et
d'effluves de rêves et d'imaginaire. Pour mettre en forme ses idées, elle a besoin de calme. » « L'aspect
narratif des albums avec ou sans image relève, aussi, souvent de l'anecdote. » in
http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html 152
« Il peut faire partager, des émotions, des sensations, des impressions en puisant son essence dans les
images de la nature. (…) de l'ensemble doit se dégager ce que certains appellent un "esprit haïku". Indéfi-
nissable en tant que tel. Il procède de vécu, de ressenti, de choses impalpables. » in
http://haiku.dumatin.fr/definition-haiku.php 153
« … l’opposition horizontalité/verticalité se résout dans la confusion entre l’eau et le ciel, l’un prenant
la place de l’autre dans un univers s’avérant parfaitement réversible. (…) terre et mer finissent par se
confondre, (…) la maison devient navire. Cet échange dynamique entre deux principes (… ciel et eau …)
anime les histoires de manière circulaire. » Patrick Joole, op. cit.
69
● Mystère
Comme des apartés au théâtre, le narrateur se parle à lui-même, il pense à voix haute de
façon à ce que le lecteur l’« entende » tel un spectateur.
● Reviens sapin154
Ici, le lecteur découvre l'histoire du sapin de noël155
racontée à l'envers : le sapin
retourne décoré dans la forêt. Les personnages, Antoine, ses parents, son chat, les habi-
tants du village vont vivre un évènement extraordinaire la veille de noël. L'histoire se
déroule donc dans un lieu précis, en un temps court et défini. Il se passe quelque chose
sur terre, à un moment spécifique, pendant que la terre tourne pareillement à son habi-
tude. La fin est ouverte avec trois points de suspension. Cependant, pour pleinement
savourer le message de respect de l'environnement de cet album, le lecteur a besoin des
deux narrateurs textuels et imagiers. En effet, l'ironie exprimée par la réplique de la
maman : « quelle charmante promenade » a besoin du narrateur imagier pour être saisie
visuellement. La fin suggérée par le narrateur textuel est illustrée par le narrateur ima-
gier afin que le lecteur voie et comprenne la portée de ce message écologique. Pour que
la terre puisse continuer de tourner sans problèmes, les arbres doivent être respectés
dans leur environnement. Ainsi, les ombres s'allongent au rythme de la terre qui tourne.
Le chat semble les avertir avec son « miaou », les adultes baissent « les bras » et « les
yeux » tandis qu'un enfant comprend la situation. Dans l'univers d'Anne Brouillard,
chaque élément est important et chacun a sa place. Le tout se retrouve dans chacun et
réciproquement. L'équilibre vient de l’interdépendance de tous dans le respect de l'indé-
pendance de chacun. Ici, le départ et l'arrivée de l'histoire se déroule dans le même es-
pace visuel.
154
« C’était une commande de la ville de Nanterre pour offrir un album aux enfants à noël via la maison
d’édition du Sorbier. Je les ai faits plus vite. On a dû me les demander vers janvier-février et je les avais
terminé l’été ! Puis, ils sont sortis pour les fêtes de fin d’année. J’avais présenté plusieurs projets : la
ville de Nanterre a choisi Reviens sapin mais la maison d’édition a pris aussi Cartes postales. Dans ce
projet retenu pour Nanterre : Reviens Sapin, j’ai fait aussi une version tout public et l’éditrice en a pris
deux avec Cartes postales. Par la suite, pour le Sorbier j’en ai fait deux autres : La maison de Martin et
Promenade au bord de l’eau. » Extrait de l’entretien téléphonique du 15/11/2010. 155
« C'est peut-être en Alsace qu'il faut chercher l'origine de l'arbre de Noël. Dans ce pays, les charmes de
la poésie ont enveloppé tous les actes de la vie publique et privée. Si la tradition rapporte que dès 1521 on
décorait avec des branches coupées 3 jours avant Noël, on n'avait pas encore recours au sapin entier. En
1546, la ville de Sélestat en Alsace autorise à couper des arbres verts pour Noël, au cours de la nuit de la
Saint Thomas. Cependant nous trouvons la plus ancienne mention de l'arbre de Noël comme sapin entier
dans une description des usages de la ville de Strasbourg, en 1605 seulement. » in http://www.france-
pittoresque.com/faune/50.htm
70
● De l’autre côté du lac
« C’est une histoire de points de vue. Une fille, sa tante et leurs chats habitent d’un côté du
lac. Cet album est aussi inspiré de la Suède, le même lac que la terre tourne ! C’est sa lu-
mière … Ici, remis dans un contexte plus réel, un enfant ne va pas habiter seul ! Donc, j’ai
mis sa tante et leurs deux chats … au départ, une histoire d’observation de l’autre côté du
lac : quelque chose qu’ils voient mais qu’ils n’identifient pas … ils partent voir … De
l’autre côté, ils voient leur maison et quelque chose qu’ils n’identifient pas …
J’ai fait un trajet plus long, plus détaillé, car c’est quelque chose d’important dans le che-
minement de l’histoire.
Quelque chose d’autre sur le plan humain de l’autre côté du lac, j’ai mis une « plaine »
aire de jeu avec un toboggan, des balançoires … et un autre enfant qui habite dans une des
maisons qu’ils voient, celle avec une barque jaune et d’ailleurs, cela leur permet de revenir
en barque sur le lac car ils vont sympathiser …
Les chats et les humains parlent aussi, les chats font leurs commentaires mais on ne sait
pas réellement s’ils parlent, comme si on ne pouvait pas s’imaginer qu’ils parlent car les
humains ne répondent pas directement au chat. Par exemple au moment de faire les sand-
wichs : « plus de jambon, pas de cornichons avec le pâté parce que je n’aime pas ça … »
On ne sait pas s’il le dit réellement ou pas, ce sont des commentaires drôles. Il est intéressé
uniquement par le panier à pique-nique !156
».
Le narrateur textuel entretien l’ambiguïté157
. Par deux fois, les chats sont inté-
grés au discours sans que le lecteur puisse décider si « oui ou non » les chats ont réelle-
ment parlé et si les êtres humains les ont entendus : Page 16 « décident-ils tous en-
semble » et page 34 « Oh oui ! Quelle bonne idée ! ». Qui parle ? Le lecteur est libre de
son interprétation. Tout au long de leur balade, les chats demandent à faire une pause
mais les êtres humains répondent autre chose. Les ont-ils entendus ? Est-ce une réponse
ou une autre réplique sans rapport ? L’effet est à la fois désorientant et enthousiasmant
pour le lecteur qui cherche les indices textuels pour délibérer … décision qui semble
impossible mais la lecture prend une tournure de chasse aux mystères de la langue « de
chat » !
« Les points de vue, j’y ai pris énormément de plaisir, je l’ai fait de façon concentré de l’été
à novembre 2010. Pendant cette période, dans les dessins, des choses ont bougé mais je
n’ai pas pu aller plus loin … ! Je n’ai pas encore le recul, de cet album, mais il s’en dégage
de l’énergie car je l’ai fait dans un temps moins dilué. Je suis très attachée à ces lieux et à
ces personnages158
».
● La maison de Martin159
Une maison qui s'envole, comme les sapins, tout est possible sur cette terre qui
tourne. C'est le vent qui est responsable et Martin n'y peut rien. Comme le texte de La
156
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 157
Doute que le lecteur ne ressent pas quand il « entend » le chat Mystère dire « bonjour » à Kÿt. 158
Extrait de la rencontre avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse. 159
« Elle s’est vraiment envolée, sa maison … Il ne l’a pas rêvé ! » Extrait de l’entretien téléphonique du
03/12/2010.
71
terre tourne, l'incipit et l'excipit de cette histoire sont identiques avec une variante :
l'environnement a changé : la plaine est remplacée par l'océan. La terre est devenue
l'eau160
, le cycle de création est inversé. Martin a changé d'élément de vie mais pas de
lieu de vie. Sa maison s'est transformée en bateau. « Martin habite une haute maison
rose dans une vaste plaine que le vent traverse en courant / Martin habite un haut bateau
rose sur un vaste océan que le vent traverse en courant. »
Ici aussi, le narrateur imagier est nécessaire pour comprendre le jeu de mots du narra-
teur textuel.
● Mystère
Kÿt fait partie de ceux qui vont « voir le monde », ceux qui « vont et viennent de
par le monde » pour voir ce qui s'y passe. Ici aussi, le point de départ et le point d'arri-
vée sont le même lieu : la maison de Kÿt. Entre les deux, la terre a tourné, une nuit est
passée, pendant ce temps, elle a voyagé. Elle ne suit pas un chemin mais des traces de
pas, elle est guidée par … un chat qui parle. Ici, le chat est son guide, il lui fait décou-
vrir la forêt, la neige, les oiseaux, le refuge … le monde puis la reconduit et l'accueille
chez elle. Il fait bon chez soi, à l'exemple de « ceux qui restent parce qu'ils sont bien là ».
La maison est toujours là, elle attend le retour de son hôte. Dans Mystère, le lecteur
avance au rythme des pas de Kÿt, au rythme de la terre qui tourne. Afin de répondre
sans ambiguïté à la question : « où donc m'emmènent ces pas ? » que se pose Kÿt, le
narrateur imagier est nécessaire. Le lecteur voit en effet le chat Mystère assis avec deux
tasses de thé ou de café attendre le retour de Kÿt. Les deux narrateurs apportent leur
complément d'informations. D'ailleurs, Kÿt et Mystère sont deux personnages de La
terre tourne.
Dans ces quatre albums, nous pouvons dire que le narrateur imagier a un point
de vue omniscient car, il sait par avance jusqu'où il amène le ou les personnages de l'his-
toire.
160
Comme dans Temps de chien, « la mer tombant du ciel » : Gérard Genette, Figures I, éditions du Seuil,
essais, 1966, p. 15. « Si le reflet se révèle un double, … l’envers vaut l’endroit, le monde est réversible. »
Ibidem., p. 14.
72
Ici, nous sommes au cœur de l’album161
pour la jeunesse. L’imbrication des
deux narrations peut être tellement forte que la lecture de l’une ne peut se passer de la
lecture de l’autre qui la guide, la complète, l’oriente … selon le type d’articulation vou-
lu par l’auteure-illustratrice. Les dialogues ne sont pas doublés par l’image, l’image
n’est pas un accompagnement poétique de l’histoire, le narrateur textuel et le narrateur
imagier sont un des rouages du cheminement de l’histoire. La nature du texte a changé,
il est devenu inséparable de l’image. Car, comme l’expliquent Claire Segura-Balladur et
Evelyn Audureau, « quand l’écrivain est également l’illustrateur. Il est alors possible
d’imaginer que dans ce cas, le rapport texte/image n’a pas de meilleure adéquation.
Dans un même mouvement, l’auteur va chercher le trait, la couleur, le cadrage qui ex-
primera son récit (…) et répartir ainsi lui-même les effets de sens entre son texte et ses
images162
».
c) Les histoires racontées à la troisième personne (singulier et pluriel) et échanges oraux
ou écrits : dialogues ou correspondances au discours direct et à la première personne du
singulier « je ».
● Le temps d'une lessive163
● Le grand murmure
● Cartes postales164
Pour chaque carte, le narrateur est un des personnages de l'album qui se fait scripteur et
le contenu de la carte est rédigé à travers son point de vue de rédacteur.
161
« Il est ainsi difficile dans ce type de mise en page d’isoler le texte de l’image tant l’un participe de
l’autre au sein d’une expression résolument plastique. Les différents énoncés s’organisent en cohérence
dans une composition unique… Chacun des signifiants linguistiques, iconiques et plastiques, contribue à
une expression globale. » Sophie Van der Linden, L’album, un support artistique ?, in La littérature de
jeunesse en question(s), sous la direction de Nathalie Prince, PUR, 2009, pp. 29-30 162
Cours Master 2 LIJE, Album pour la jeunesse, 2010, op. cit., p. 8 163
« Un album à part des autres ? C’est un livre de martiens celui-là ! Par l’ambiance et la technique. Ce
sont des formes dessinées mises en couleurs. J’ai fait mes crayonnés sur mon cahier de peinture mais à
cause du grain et avec beaucoup de crayon, les feuilles devenaient toute grise, à force de dessiner,
d’effacer et de recommencer ! Avec l’encre et l’aquarelle, ça ternissait fort. J’ai fait le crayonné sur du
papier de croquis, le grain du papier est plus fin puis je l’ai passé à la photocopieuse avec mon aquarelle.
L’encre laisse une trame mais ça rigidifie le dessin. Il n’y a que sur la page de garde, j’étais enfin assez à
l’aise pour le faire directement à la plume. Sur l’album, ça a donné ce côté très raide. C’est un délire
déclenché par un « lavoir ». Il s’y passe des tas de choses, et on y passe beaucoup de temps. J’aurais
aimé un dessin plus souple, plus à l’aise, faire le dessin juste en direct. » Extrait de l’entretien du
07/11/2010. 164
« Les illustrations, sont comme un renvoi en vis-à-vis, de gauche à droite. » Extrait de l’entretien télé-
phonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011.
73
● Le temps d'une lessive
Comme une pièce de théâtre, Le temps d'une lessive s'organise autour de dia-
logues ou « tirades » entre cinq personnages, majoritairement entre la grand-mère et le
voisin. « Cet album est à part » avoue Anne Brouillard, « c'est un délire déclenché par
une scène que j'ai vu dans un lavoir. » Cet album, édité en l'an 2000, corrobore avec « la
peur de l'an 2000 et des extra-terrestres » car, comme ils le disent « les gens ont peur de
tout » mais il faut bien reconnaître que « nous sommes bien plus dangereux avec notre
pollution. » Comme dans l'album Reviens sapin par exemple, le lecteur retrouve ici un
message en faveur du respect de l'environnement. Ici, la terre est une planète de l'uni-
vers, une parmi tant d'autres, « elle tourne dans l'univers, parmi les étoiles » et les gens
sont « tout petits » au sein de ce cosmos « géant ». Dans cet album encore, pour contre-
balancer la dénonciation des dangers d'un déséquilibre encouru à cause des activités
humaines, l'humour et les propos « loufoques » en apparence désamorcent la gravité par
le rire ou le sourire complice. La légèreté des propos n'est jamais anodine chez Anne
Brouillard. Une lecture en profondeur permet d'en saisir la portée universelle. Qui a dit
que l'être humain pensait d'abord à bien manger, où qu'il se trouve165
?
Le narrateur imagier apporte une autre dimension au texte. Sans les illustrations,
le lecteur assiste à une conversation « décousue » mais suivant une progression à thème
linéaire malgré tout :
lessive → couleurs → séchage → nuit → lune : « pleine lune »
plantes → jardin → bassin : « peur »
univers → pollution → planètes : « manger »
pâte à crêpes → mari (TV, manège, mousse) : « renversant »
essorage → séchage → humidité → rentre en autobus → papy / crêpes !
Les personnages s'écoutent et se répondent, une idée en amenant une autre et
ainsi de suite. Cependant, les répliques des enfants : « Au revoir petits poissons, disent
les enfants. - Bon retour les habits. » interpellent le lecteur. D'où viennent ces poissons ?
Y a-t-il un aquarium dans ce lavomatique ? Afin de profiter pleinement de cet album, le
narrateur imagier est nécessaire. Il donne à voir ce qu'imaginent les enfants dans leur
tête au fur et à mesure que les adultes progressent dans leur conversation et selon le
165
« Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. » L’Avare (1668), Citations de Jean-Baptiste
Poquelin, dit Molière.
74
linge (couleurs, motifs ou uni) qui tourne dans les machines à laver. L'imagination des
enfants est déclenchée par les propos des adultes qu'ils entendent alors qu'ils regardent
le linge tourner à travers les hublots. Ici, les deux narrateurs imagiers se retrouvent pa-
rallèlement : La terre tourne : page 10 / Le temps d'une lessive : le hublot de la machine
à laver. Où la rotation du tambour de la machine est comparée au mouvement de la terre
qui tourne.
Ici, le livre se retourne pour suivre le mouvement de la lecture comme dans La mai-
son de Martin par exemple. La terre tourne, tout tourne avec elle, suivant son mouve-
ment, parfois, le lecteur doit faire de même avec le livre, imitant le mouvement de la
terre qui tourne.
● Le grand murmure
L'excipit renvoie à l'incipit, l'entrée et la sortie dans l'histoire se réfléchissent
comme dans La terre tourne. Le narrateur présente le cadre extérieur et sous-marin afin
de mieux mettre en valeur, par contraste, les bruits sur terre. Ici aussi, comme dans Le
temps d'une lessive, l'histoire se déroule le temps d'une conversation, téléphonique cette
fois-ci.
Kÿt se demande où vont ses pas ? Martin où est sa maison ? Antoine où sont allés
les sapins de noël ? Etc. … Ici, les deux interlocuteurs, un enfant et son correspondant,
se demandent où vont les mots qu'ils disent, par où passent-ils ? Comme les chemins, ils
ne s'arrêtent jamais, tout comme la terre dans l'univers, ils circulent librement, comme
l'air, ils passent à travers tous les obstacles.
Que se passe-t-il sur terre, ailleurs, le long des fils téléphoniques, le temps de leur
conversation ? C’est le rôle du narrateur imagier, il sait lui, ce qui se passe, où, com-
ment et pour qui … il le montre au lecteur. Comme dans Le temps d’une lessive, il
donne à voir l’imagination des enfants. Ici, il illustre aussi cet intervalle temporel et
spatial. Comme dans La terre tourne, le monde bouge, vit, est animé. Le vent souffle, le
train passe … le bruit et le silence vont de paire « le silence est rempli de voix », tout
comme la terre tourne « sans qu’on y pense », les deux faces d’un même élément sont
complémentaires et interdépendants. Comme le « plus » et le « moins », le « yin » et le
« yang », ils s’équilibrent. On apprécie le silence par opposition au bruit ; le bruit casse
le silence.
75
● Cartes postales
La correspondance est écrite ici. C’est un album épistolaire en chaîne, rédigé et
expédié tout autour de la terre. Les deux enfants, Pimpinelle et Marin s’écrivent une
carte postale par oiseaux voyageurs. Pimpinelle166
Saxifrage167
manque d’eau pour ses
plantes, Marin, lui, en a trop. Elle lui demande donc son aide qu’il accepte, le « trop »
va équilibrer le « pas assez ». Ce sont les oiseaux noirs, corbeaux ou corneilles, qui
transportent les cartes postales, le soleil et la pluie. Les oiseaux font la pluie et le beau
temps168
. Les animaux aussi participent à cet équilibre, tout comme les êtres humains,
ils vivent aussi sur terre et chacun est dépendant de son milieu environnant, le biotope.
Ainsi, tout au long de l’album, le lecteur découvre la série de cartes postales questions-
réponses suivantes :
Pimpinelle écrit à Marin qui lui répond : soit Pimpinelle ↔ Marin
Chien → oiseaux → chats → serpents → canards → écureuils → poissons → chien
Le narrateur « graphique » a un point de vue omniscient. Il sait « à qui écrivent
les canards ». Le narrateur responsable des « pictogrammes » a une vue d’ensemble. Ici,
le narrateur textuel adapte son graphisme169
selon l’émetteur, le récepteur, l’espace de
vie et les besoins naturels : « les plantes ont besoin d’eau pour pousser. » Cet album
illustre la circulation du temps qui passe, des saisons, tout autour de la terre, qui tourne
dans l’univers. Les systèmes de communications sont différents mais les propos et les
préoccupations sont communes : vivre sur terre en préservant l’équilibre sur cette même
terre. Comme dans Mystère, les traces peuvent être visuelles « traces de pas » ou sym-
boliques « traces sur le papier », les unes guident les pas sur les chemins sans fin, les
autres conduisent les mots entre les êtres d’un lieu à l’autre. Chacun a besoin des autres,
les mots circulent, les traces restent, pendant que la terre tourne toujours.
166
« Nom donné au genre boucage, ombellifères. » Dictionnaire Le Littré. 167
« Nom donné à une ombellifère. » Ibidem. 168
« Cette expression qui date de 1732 fait une possible référence aux dieux mythologiques qui avaient le
pouvoir de maîtriser les éléments et, selon leur bon vouloir, de rendre le ciel éclatant ou très menaçant au-
dessus des simples mortels. Mais, croyance évoquée par Voltaire dans "Réflexion pour les sots", on ne
peut oublier aussi qu'à Paris, Sainte-Geneviève était supposée avoir le pouvoir d'interrompre les pluies
torrentielles ou les sécheresses les plus graves. » in http://www.expressio.fr/expressions/faire-la-pluie-et-
le-beau-temps.php 169
« L’icône correspond à la classe des signes dont le signifiant entretient une relation d’analogie avec ce
qu’il représente, c'est-à-dire avec son référent. Un dessin figuratif, (…) représentant un arbre ou une mai-
son sont des icônes dans la mesure où ils « ressemblent » à un arbre ou une maison. » Martine Joly, In-
troduction à l’analyse de l’image, Nathan Université, collection 128, 1993, p. 27.
76
d) Texte raconté à la troisième et à la première personne.
● Le bain de la cantatrice : Une chanson pour un caprice balnéaire.
Premier couplet avec une incise à la première personne du singulier « je » : « je m’en
vais … » avec le point de vue de la cantatrice.
Deuxième couplet descriptif raconté à la troisième personne, elle raconte ce qu’elle dé-
clenche dans la vallée170
.
Troisième couplet : dénouement, la fin de la chanson qui renvoie au premier couplet.
Un autre album pour illustrer combien l’équilibre de la vie sur terre est fragile.
Même si la terre tourne même si on n’y pense pas, le temps passe, change, bouge et peut
basculer même si on l’a oublié. C’est ainsi que, pendant que la terre tourne pareillement,
pendant que la cantatrice chante pour faire tomber la pluie, des gens doivent quitter leur
espace de vie englouti sous les eaux. À chacun sa méthode pour avoir de l’eau ! Ici, au
moment du bain matinal, le temps qui se réveillait tranquillement s’affole tout à coup,
en réaction au chant de la cantatrice. La pluie se déchaîne, l’eau monte encore et encore,
pendant que la terre tourne lentement, imperturbable, les nuages eux, accélèrent le
rythme. Tout comme le vent peut n’être qu’air, la pluie une brume, les éléments peuvent
se déchaîner sur terre, dans le ciel mais, la terre tourne toujours au même rythme et dans
le même sens.
Le texte est musical par sa présentation (sur une portée171
) et par ses sonorités
(rimes, répétitions et onomatopées). Il présente de nombreuses répétitions. Ces insis-
tances permettent au lecteur de prendre conscience de l’ampleur des dégâts car, « une
flaque d’eau est devenue un océan ». Le comique de la situation est accentué par ces
répétitions. L’effet voulu est de dénoncer tout ce qu’un caprice d’une seule personne
peut déclencher comme catastrophe pour tant d’autres. Ici, le « ridicule ne tue pas »172
.
Cette cantatrice et son caprice rappelle la Castafiore173
et les siens. L’une énerve les
nuages avec son chant, l’autre brise les vitres avec ses vocalises et réveille ses com-
parses. Le narrateur imagier participe aussi de cet humour. En effet, pendant qu’elle
prend son bain dans l’océan, les gens partent sur des bateaux mais, ils continuent de :
170
« C’est elle qui raconte, toujours elle qui chante. D’ailleurs, c’est cette chanson qui provoque cette
pluie. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 171
« J’ai fait de la musique, je suis capable d’écrire une portée, une partition … malheureusement, je
n’ai plus le temps de pratiquer la musique ou un instrument. » Extrait de l’entretien téléphonique du
27/10/2010. 172
Louis Gauthier "Le ridicule ne tue pas, mais il met mal à l'aise." Les grandes légumes célestes vous
parlent (1973). 173
Les bijoux de la Castafiore, Hergé, éditions Casterman, 1963.
77
regarder la télévision, faire sauter des crêpes, lire le journal … comme si de rien n’était.
Ils n’ont pas l’air affolé du tout. Tout comme le voisin du Temps d’une lessive, tout ce
qui semble importer à ces gens, c’est de bien manger, pouvoir vivre tranquillement
quelque part dans l’univers. Si La terre tourne tranquillement, les habitants de la terre
aspirent au même rythme de vie. Où qu’ils aillent, ils veulent « être bien » car, quoiqu’il
arrive, La terre tourne toujours inexorablement.
3. Les textes à la première personne « je »174
: l’histoire est
racontée à travers le regard d’un personnage
● Il va neiger
● Le pays du rêve175
● Le rêve du poisson
● Le chemin bleu176
Le narrateur est le héros de l’histoire qu’il raconte.
● Il va neiger
À la manière de La terre tourne, le texte commence et se termine par une même
phrase avec une variante :
- « Il n’y a plus personne (sous entendu dedans la maison). Si, le chat … »
- « Il n’y a plus personne dehors. Si, les oiseaux … »
« Certains partent, d’autres restent parce qu’ils sont bien là. » Pendant que La terre
tourne, la nature vit, le monde est animé, chacun a son propre rythme, tout doucement,
le jour devient la nuit, les flocons des étoiles177
… imitant le rythme de la terre qui
174
« … narrations dans lesquelles narrateur et personnage ne sont qu’une seule et même personne. (…)
prennent la forme d’un monologue intérieur, d’une confession ou d’un témoignage. (…) Ce choix narratif
provient, … de la tendance … à privilégier l’identification du lecteur au héros, au moyen d’une écriture
intimiste. Il s’agit, pour le narrateur, d’être au plus près de la parole de l’enfant ou de l’adolescent … mais
aussi de mettre en place une stratégie apte à capter ou à séduire en limitant la distance énonciative. »
Marie-Hélène Routisseau, Des romans pour la jeunesse ?, Belin, 2008, pp. 95-96. 175
« Certains albums sont associés à une musique, Le pays du rêve est associé à Bobby Mc Ferrin. »
Extrait de l’entretien du 07/11/2010. 176
« En tant qu’adulte, il se voit enfant. Je voulais réaliser un album sans ligne du temps. Des époques
différentes sont entremêlées. Impossible dans l’écrit mais possible dans l’image. C’est le point de vue de
l’adulte qui se voit enfant qui devient le point de vue de l’enfant. On échange les points de vue. La même
personne à deux époques différentes qui se croiseraient. L’adulte revient et se voit enfant… ce que tu as
vécu n’a pas complètement disparu, tu reviens sur les chemins, tu te revois enfant. » Extrait de l’entretien
téléphonique du 31/01/2011. 177
« Chez Anne Brouillard, (…) les flocons de neige sont devenus des étoiles. Dans ses albums, la lu-
mière vibre et se colore selon les heures du jour, » et de la nuit, « au fil du temps qui passe. Froide et
78
tourne. Le chat est encore présent, il attend « près de l’écluse », dans la maison, dans le
jardin, protecteur réceptif aux vibrations de la terre, aux ondes émises par le mouvement
circulaire de la terre dans l’univers. Les troncs d’arbres aussi sont immobiles, La terre
tourne, Le chemin bleu, tout comme la maison, ceux qui restent, les arbres ne bougent
pas, ils attendent le retour des autres. Comme la porte, la gare sont des lieux de passages
sur terre, les chemins, la voie ferrée sont des lieux de voyages tout autour de la terre. Le
texte s’apparente à une réflexion, une pensée intime du personnage. Quand « il » ou
« elle » se retrouve seul(e), « non », avec le chat pour compagnon, il laisse s’échapper
son esprit, il laisse voyager ses divagations, il voit en imagination les autres qui sont
partis, où ils sont et ce qu’ils font pendant que la neige et la nuit tombent. Les autres
sont des enfants qui sont partis faire de la balançoire dehors. Le rythme semble ralentit,
feutré, les répétitions renforcent l’effet de cette cadence calme et ralentie.
Le narrateur imagier montre le paysage, l’espace de vie intérieur, les autres qui
sont partis : un couple, un chien, deux enfants, le chat noir mais, jamais le narrateur tex-
tuel. Qui parle ? Le lecteur doit imaginer d’après les indices textuels et imagiers qui lui
sont offerts. Ici comme ailleurs, il a neigé, la terre tourne et le soir, chacun rentre dans la
chaleur des intérieurs car l’hiver, on vit au-dedans comme l’annonce le narrateur du
pays du rêve. Au rythme de la terre qui tourne, les bébés grandissent bien au chaud,
dans le ventre de leur mère, naissent et un nouveau cycle recommence. Ainsi, l’intérieur
chaud des maisons symboliserait cette matrice ronde et chaude :
- le ventre maternel pour les bébés
- la terre pour les habitants terrestres
- la maison pour les êtres humains (et les animaux)
● Le pays du rêve
La terre tourne dans l’alternance des jours et des nuits. Suivant ce rythme binaire,
le narrateur vit dans deux mondes, d’un rêve à l’autre, d’une réalité à l’autre. Son rêve
est tellement fort qu’il devient réel. Comme Dorothy (Le magicien d’Oz), elle revoit
dans ses rêves les gens, les choses qu’elle connaît, son environnement mais, différem-
ment. Un autre monde à l’envers, de l’autre côté du miroir, comme le monde d’Alice
(Alice au pays des merveilles). « À l’envers de l’eau » comme l’annonce la chanson
d’accueil. Si la terre tournait dans l’autre sens, le monde serait-il à l’envers ? Sur terre,
bleutée quelquefois, orange et chaleureuse, à d’autres moments. Anne Brouillard excelle à rendre les
atmosphères. » Michel Defourny in http://www.litteraturedejeunesse.cfwb.be
79
l’eau tombe du ciel, le cycle de l’eau accompagne le cycle de la terre qui tourne. Au
pays du rêve, l’eau semble venir d’en bas, de la terre. Comme dans Le rêve du poisson,
le narrateur découvre qu’avant, le globe terrestre était recouvert d’eau, d’ailleurs, on
l’appelle encore « la planète bleue ». Ici, le temps s’écoule en jour et en nuit avec des
ellipses plus ou moins longues car :
- de l’automne → l’hiver approche
- la pluie → devient de la neige
La narration est au passé car le présent est celui de l’adulte qu’Éloïse est devenue.
La ligne de chemin de fer représente le passage d’un pays à l’autre, la porte
l’intermédiaire dedans / dehors et l’entrée de la propriété l’accès d’un monde à l’autre.
Au fil des jours et des nuits, le narrateur textuel raconte sa vie (en police normale), ses
rêves (avec un lettrage en italique), le mouvement de la terre qui tourne. La narration à
la première personne du singulier rend crédible le récit, le narrateur prend le ton de la
confidence. Le lecteur partage ses doutes pour enfin y croire. Mais, était-ce vrai ? Le
narrateur imagier donne à voir ce pays du rêve, en pleine page et en couleurs. La terre
tourne toujours au même rythme mais, la nuit, les images défilent plus lentement tandis
que le jour, les actions, les évènements se succèdent les uns après les autres sur un
rythme plus rapide alors que la terre tourne toujours au même rythme, le jour comme la
nuit. La terre est notre monde … en existe-t-il un autre ? Comme semblent le suggérer
la grand-mère et son voisin ?
Le rêve du poisson178
Si Éloïse rêve d’un autre monde et le cherche, Colin bascule dans un autre
monde sans s’y attendre. Pour ces deux narrateurs textuels, l’autre monde, l’autre di-
mension existe, ils en ont fait l’expérience. Cependant, si Éloïse doute de son existence,
qu’a-t-elle vu au juste ? Colin n’en doute pas, il subsiste des traces réelles. Ce monde179
178
« Anne a un univers particulier, une façon de traiter l’image et la narration propre, elle a un esprit
particulier, une façon de regarder les choses qui la rend reconnaissable, qui lui est propre, elle a ce qui
s’appelle un « style » en littérature. Dans cet album, elle a une dimension plus large, il n’est pas facile
d’accès, elle bouge les codes, les frontières, il a une atmosphère angoissante, presque malsain mais elle
le traite avec beaucoup de légèreté et d’intelligence. Il y a pas mal de mystère, l’univers de cet album est
étrange, dérangeant, suintant, humide, verdâtre. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Frédéric La-
vabre, du 17/11/2010. 179
« Les hommes ont besoin de dire le monde et de le penser. (…) Pour donner forme et sens aux mys-
tères du monde, à son « inquiétante étrangeté ». Edwige Chirouter, Philosophie avec les enfants et littéra-
ture de jeunesse, op. cit., p. 13.
80
parallèle tourne t’il parallèlement à la terre, dans l’univers ? Le fait que Colin ait vécu
cette expérience, puis sa sœur, son retour bien plus tard sur les lieux, cette maison qui a
une âme, tout concourt vers l’idée que sur terre, tout est vivant. Chaque élément a une
âme. Comme dans Le chemin bleu, les murs gardent des traces, des souvenirs, de notre
passage sur terre, à l’exemple du carnet de voyage dans Mystère. Les traces de son
mouvement sont matérialisées par l’ombre des arbres qui tournent et s’allongent au sol.
L’eau et le vent sont toujours les éléments nécessaires à la vie sur terre. Cependant, trop
d’humidité dans l’air empêchent la vie terrestre. Les poissons vivent dans les profon-
deurs de l’océan (Le grand murmure). Les gens vont et viennent sur terre, comme les
nuages dans le ciel et le vent dans la plaine. Chaque élément a sa place dans l’univers et
dans le cycle de la vie.
Le narrateur imagier dépeint ce monde humide et verdâtre, il donne leur appa-
rence aux poissons et à l’environnement. Par ces illustrations à la plume et à l’encre, le
narrateur imagier montre au lecteur ce que le narrateur textuel vit et raconte. Il donne à
voir l’incroyable, attestant ainsi les dires du narrateur textuel.
● Le chemin bleu180
Ce narrateur fait partie des gens qui « veulent aller voir ce qu’il y a derrière le
tournant du chemin ». Il veut faire le tour de la terre. Comme le narrateur de Voyage, il
a vu des pays. Comme le narrateur du Rêve du poisson, il est revenu sur les lieux de son
enfance. Comme le narrateur de Mystère, il rentre chez lui, il est bien « là où il est »,
maintenant, dans le présent. La terre elle a continué, continue et va continuer de tourner
toujours dans le même sens et au même rythme, même si le narrateur voyage dans
l’autre sens, comme le train ou les mots qui passent dans les fils. Le chemin bleu sym-
bolise ce chemin qui n’en finit pas, sur terre mais aussi dans le ciel « bleu », sur la mer
« bleue », sous l’océan « bleu ». Il illustre aussi le mouvement circulaire de la terre,
l’ombre tourne autour de l’arbre, comme l’eau des rivières, l’ombre ne s’arrête jamais,
la terre tourne encore et toujours, imperturbablement. Si dans La terre tourne le bébé est
devenu un enfant, dans Le chemin bleu, Le rêve du poisson, Le pays du rêve, le narra-
teur enfant est devenu un adulte, il a voyagé, il a grandi, il est revenu. L’arbre, la maison
180
« J’ai découvert une mélasse rousse dont je me sers désormais pour chauffer l’ombre bleue portée par
les maisons et certains arbres clairs. (…) L’ombre est insécable. (…) Je me heurte à la texture de
l’ombre. La multiplicité des parcelles entrelacées, l’enchevêtrement des feuilles si fines, oscillantes, en
perpétuel mouvement… » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 160. 168-169.
81
… restent toujours. La terre, elle, tourne toujours quoi qu’il arrive, quoi qu’il se passe,
que le narrateur voyage longtemps ou pas, grandisse ou reste sur place.
Le narrateur imagier grave le monde imaginaire du narrateur enfant. Mais aussi, le nar-
rateur imagier joue avec le regard du lecteur. En effet, le texte est elliptique sur toute la
période des « voyages » du narrateur, les illustrations superposent les deux narrateurs
enfant et adulte sur une même image, matérialisant ainsi cette ellipse temporelle entre le
départ et le retour du narrateur dans le même espace, sur le même lieu. Une belle façon
d’accélérer le temps et de le montrer au lecteur en un clin d’œil.
C. Comment La terre tourne est évoquée à travers les sens ?
1. Le lecteur entend la terre tourner (elle est sonore)
Si le mouvement de la terre qui tourne ne fait pas de bruit, la vie sur terre est
bruyante, bruissante, claquante, tintante … brisant le silence de cette terre qui tourne
encore et toujours. Le silence se retrouve au fond des océans, des forêts, de la nuit ; de-
hors, dans la neige, sous le soleil. Car, la terre tourne silencieusement, « dans un mo-
ment de silence » comme dans l’agitation des hommes, de la nature ou des animaux.
Les bruits peuvent être doux ou étouffés, secs et nets, quotidiens, rassurants ou inquié-
tants, inhabituels. Les bruits interpellent et le silence laisse songeur, parfois, les bruits
informent d’évènements que les personnages ne voient pas. L’univers sonore sur terre
se retrouve dans le lexique utilisé et dans l’arrangement musical des mots. Par une lec-
ture à haute voix, le lecteur peut savourer à l’oreille la prosodie des histoires. Les textes
résonnent entre eux181
et riment, ils s’interpellent comme une musique autour de son
refrain « La terre tourne ».
181
Et avec d’autres aussi … Par exemple, « la pluie qui tambourine » sur le toit de la véranda De l’autre
côté du lac évoque au lecteur l’atmosphère de Tove Jansson dans Le livre d’un été. En effet, cette auteure
a bercé l’enfance et la jeunesse d’Anne Brouillard … « c’est encore quelque chose de profond en moi
… »
82
2. Le lecteur voit la terre tourner (elle est en mouvement
perpétuel)
Le jour alterne avec la nuit, l’ombre avec la lumière, la ville avec la vaste plaine
… Le narrateur voit le chemin, l’autre bout de la terre, la ligne d’horizon, des pays sans
fin … Au rythme de la terre qui tourne, le lecteur voyage avec le narrateur, il voit tous
ces paysages, les couleurs de l’aube, du crépuscule, les couleurs des saisons qui passent.
Il est possible de voir le mouvement de la terre qui tourne grâce aux nuages, grâce à leur
reflet, grâce aux ombres qui s’allongent … Même si le déplacement de la terre ne peut
pas se voir depuis la terre, les étoiles, la lune, le soleil, l’observation de ce qui se passe
tout autour montre que la terre tourne inlassablement. Que les images qu’il voit défilent
comme dans un train182
, que le narrateur aille voir le monde, le tournement de la terre
est modélisable depuis la terre, visible depuis l’univers. Il existe et continue invariable-
ment.
3. Le lecteur sent la terre tourner (elle est odorante)
Le souffle du vent fait ressentir le mouvement de la terre, l’air circule toujours,
permettant la vie sur terre. Les odeurs183
accompagnent le rythme quotidien : les arômes
du café, les odeurs de la ville, le parfum de la rosée du matin … Les odeurs permettent
aussi de ressentir les saisons : froides en hiver, elles sont chaudes en été. Les odeurs
connues et rassurantes accompagnent ce rythme lent et régulier de la terre qui tourne.
Les odeurs inconnues et désagréables annoncent une perturbation dans ce rythme, susci-
tant un malaise ou un déséquilibre.
Par ces trois sens, le narrateur exprime la régularité, l’ordre naturel et normal de la
terre qui tourne. Quand un des sens détectent quelque chose d’inhabituel, d’étrange, de
désagréable, alors, La terre tourne toujours « même quand on n’y pense pas » mais, le
narrateur se retrouve en décalage par rapport à ce rythme régulier. Le lecteur s’implique
d’autant plus dans sa lecture qu’il a envie d’aider le narrateur à retrouver ce rythme ber-
çant et rassurant de la terre tournant.
182
« Être nulle part mais y être vraiment (comme les trains). » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 62. 183
« Les odeurs sont importantes, elles évoquent tout ce qu’on a vécu, elles sont comme une enveloppe de
souvenirs et de sécurité. » Tove Jansson, Le livre d’un été, Albin Michel, 1978, p. 111.
83
Correspondances : un art poétique idéaliste184
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
ŕ Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
D. Le mouvement / La rotondité
Tout tourne, tout tourne rond185
, à l’image de La terre tourne autour d’ « un tout
petit monde186
». Le « o » est rond, le « r » l’arrondi, les mots deviennent « ronds », tout
autour de la terre187
. Car, la terre est ronde et tourne en rond. Les crêpes sont rondes, les
roues, les ronds de fumée, les gouttes d’eau, les points d’eau, la lune, le soleil, la tasse à
café, les hublots … Le chat ronronne, les rimes sonnent … Les gens, les chemins, les
trains … tout circule tout autour de la terre formant une grande ronde.
Ce tournement lent, tranquille et régulier de la planète est permanent. Que le nar-
rateur parte en voyage ou reste sur place, le lecteur chemine dans l’espace et dans le
temps, toujours selon cette même circulation perpétuelle.
Ce mouvement est aussi oscillatoire car la narration se déroule dans deux es-
paces : l’intérieur et l’extérieur. Le narrateur textuel promène le lecteur, au rythme de la
terre qui tourne mais aussi selon un balancement binaire : dedans / dehors, jour / nuit,
été / hiver, chaud / froid, lumière / ombre, rassurant / inquiétant.
184
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, IV. 185
« Le rond : qui évoque la douceur, le calme, la paix. Sans commencement, ni fin il renvoie au temps.
C’est une forme ludique non agressive. » Les différentes symboliques de la publicité in http://strat-pub-
tpe.e-monsite.com 186
David Lodge, Un tout petit monde, éditions Rivages, 1992. 187
Jacques Prévert, En sortant de l’école.
84
Ce double mouvement, linéaire et circulaire se retrouve dans l’écriture. Les
phrases sont horizontales mais les répétitions amènent une lecture circulaire, « intra » et
« inter » textuelle, par des jeux de connivence avec le lecteur. Les textes sont appréciés
à travers la musicalité de la langue, les sonorités, les résonnances qui demandent au lec-
teur de les lire avec des aller-retour afin de savourer leurs effets. La fin d’une phrase,
d’un paragraphe, d’un texte renvoie généralement au début.
Aussi bien textuellement que visuellement ou sonorement, la fin d’une histoire
réfléchit le commencement dans un mouvement spiralaire infini. Comme un miroir re-
flète une image, la dernière page reflète la première et une histoire en rappelle une
autre188
.
La lecture des albums est donc à la fois linéaire et circulaire, à l’image de la terre
qui est ronde et la plaine plate. Illustrant la terre qui tourne dans l’univers qui est infini.
« Le symbole indien par excellence est le cercle. La nature veut la rondeur des choses. Les
corps des humains et des animaux n'ont pas d'angles. En ce qui concerne les Indiens, le
cercle est le symbole des hommes et des femmes rassemblés autour du feu de camp, parents,
amis réunis en paix pendant que la pipe passe de main en main. Le camp dans lequel
chaque tipi avait sa place forme aussi un cercle. Le tipi est le cercle où l'on s'assoit en cercle.
La nation est seulement une partie de l'univers, en lui-même circulaire et fait de la terre qui
est ronde, du soleil qui est rond, des étoiles qui sont rondes ; et la lune, l'arc-en-ciel, l'hori-
zon sont aussi des cercles insérés dans des cercles insérés dans des cercles sans commen-
cement ni fin. » Tahca Ushte Parole Amérindienne
« Le vent, dans sa plus grande puissance, tourbillonne. Les oiseaux font leur nid en rond,
car leur religion est la même que la nôtre. Le soleil s'élève et redescend dans un cercle. La
lune fait de même, et ils sont ronds l'un et l'autre. Même les saisons, dans leur changement,
forment un grand cercle et reviennent toujours où elles étaient. La vie d'un homme est un
cercle d'enfance à enfance, et ainsi en est-il de toute chose où le Pouvoir se meut. » Élan
Noir, indien sioux oglala189
.
E. Quels éléments matérialisent la terre qui tourne ?
1. L’air190
Que le vent souffle fort, qu’il soit froid ou chaud ; qu’il soit air, frais ou doux ;
qu’il emporte tout sur son passage, transporte les nuages, apporte la pluie, la neige … il
188
« Le trait circulaire (…) ce qui en fait le charme, c’est que l’esprit, qui ne peut éviter de toujours avan-
cer, voit la même idée, se dresser devant lui pour la deuxième fois, mais comme sa propre partie adverse,
et qu’il se voit contraint par leur identité à dénicher entre elles quelque ressemblance. » Lucien Dällen-
bach, Le récit spéculaire, Essai sur la mise en abyme, éditions du Seuil, Collection poétique, 1977, p. 54. 189
Source : http://cercledevie.e-monsite.com 190
« Le Vent est le facteur climatique du changement, ramenant les masses d'air chaud au printemps,
favorisant le mouvement des arbres, des plantes, des vagues, etc. » in http://www.passeportsante.net
85
permet de ressentir le mouvement de la terre qui tourne. Ces déplacements d’air évo-
quent le déplacement de la terre dans l’univers.
2. L’eau191
Le cycle de l’eau est circulaire, comme le mouvement de la terre. L’eau des ri-
vières coule toujours, comme la terre tourne toujours. L’eau nourrit la terre, la vie sur
terre. À l’origine, l’eau recouvrait la terre … l’eau et la terre sont inséparables.
3. La terre192
La planète terre, la matière, est l’élément nourricier et support de toute vie.
Tant que la terre tournera, elle accueillera la vie et les hommes s’en inspireront.
Tant que la terre tournera, elle gardera ses mystères et des hommes partiront à leur dé-
couverte.
Tant que la terre tournera, elle voyagera dans l’univers et des hommes voyageront tout
autour.
- Le mouvement du bois : les arbres193
, la forêt, ce qui reste, l’ombre194
qui tourne au-
tour, qui s’allonge, « le chemin bleu ».
- Le métal : le chemin de fer, la voie ferrée, les trains qui circulent dans un sens et dans
l’ombre, le vent qui passe comme un train, ceux qui voyagent.
Sont deux autres éléments qui symbolisent le mouvement de la Terre et l’univers des
albums d’Anne Brouillard.
191
« Il y a 3,4 milliards d'années, la terre était recouverte d'eau dans sa quasi-totalité. C’est dans cette eau
que la vie est apparue. Et les organismes vivants n’ont pas perdu ce lien de maternité avec elle. Car de fait,
l’eau est indispensable à leur survie. Aussi a-t-elle légitimement alimenté la mythologie et revêtu une
symbolique extrêmement profonde. » in http://www.bien-etre.relax-attitude.fr
« L’eau est vraiment l’élément transitoire. Il est la métamorphose ontologique essentielle entre le feu et la
terre. (…) L’eau coule toujours, l’eau tombe toujours … » tout comme la terre tourne toujours. Gaston
Bachelard, L’eau et les rêves, p. 13. 192
« Le Mouvement Terre, dans le sens d'humus, de terreau, représente le support, le milieu fécond qui
reçoit la chaleur et la pluie : le Feu et l'Eau. C'est le plan de référence duquel émerge le Bois et dont
s'échappe le Feu, où s'enfonce le Métal et à l'intérieur duquel coule l'Eau. La Terre (…) reçoit et produit.
La Terre permet de semer, de faire pousser et de récolter. » in http://www.passeportsante.net, op. cit. 193
« Des arbres et ce qu’il y a autour : le paysage. La lumière, l’horizon, le vent… le temps qu’il faut
pour pousser… » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 90. 194
« Si l’ombre abritait la lumière, la protégeait ? » Ibidem., p. 139.
86
Les personnages ont conscience du changement des paysages, de
l’environnement, du climat, de l’évolution, de l’étrange … tout comme la terre qui
tourne, la vie s’écoule à chaque seconde pour tout ce qui existe195
. Les choses de la vie
existent par la conscience du narrateur. La terre tourne et la vie s’écoule perpétuelle-
ment.
Sous – conclusion
Généralement, Anne Brouillard travaille le texte de ses albums après les illustra-
tions. Pour L’orage, initialement, elle avait prévu un texte qu’elle a finalement éliminé
pour faire un album « imagier-narratif » exclusivement. Sa sensibilité face au monde
s’exprime pleinement et plus librement à travers ses textes en prose poétique. À travers
son écriture, le lecteur voit les images et ressent les émotions de cette auteure toujours
en éveil. Les sonorités et le rythme de ses textes se prêtent tout particulièrement à une
lecture oralisée à voix haute. Anne Brouillard maîtrise aussi les autres types de narration.
Elle adapte le style du narrateur textuel selon les besoins de l’histoire tout comme elle
sait adapter le style du narrateur imagier selon la narration par les images.
195 Concept holistique que l'homme fait partie de la nature et de l’univers. « Nos énoncés sur le monde extérieur sont
jugés par le tribunal de l’expérience sensible, non pas individuellement, mais seulement collectivement. » Diction-
naire des concepts philosophiques, sous la direction de Michel Blay, Larousse, CNRS éditions, 2007, p. 373.
87
III. Quelques résonnances imagières
Un album d’Anne Brouillard est reconnaissable de par l’atmosphère qui s’en dé-
gage. Elle met ses personnages, son style, son univers visuel196
au service de l’histoire
qu’elle raconte. Le narrateur imagier parsème des indices, des attitudes, des couleurs qui
en évoquent d’autres au lecteur. Qu’elle soit auteure-illustratrice ou illustratrice (« pre-
mière lectrice » comme elle dit), Anne Brouillard est unique. C’est pour cela qu’elle est
choisie. Le lecteur s’amuse donc à la reconnaître, la retrouver dans l’univers de la litté-
rature de toutes époques et de tous horizons. Ses propres techniques197
évoluent, chan-
gent « tout n’est pas voulu, tout n’est pas fait exprès » avoue t’elle, « je ne pourrai plus
dessiner ou peindre comme à mes débuts198
». Le lecteur a-t-il « remarqué que certains
éléments reviennent fréquemment dans ses œuvres ?199
». Ils sont comme autant de fils
à tirer. Tout comme l’on parle d’intratexte200
, il s’agit ici d’intra iconicité. Dès son en-
fance, elle avoue avoir ce style en boucle. C’est donc tout naturellement que ses albums
se lisent avec ce rythme circulaire, comme La terre tourne, sur elle-même et dans
l’univers, autour du soleil. Tant individuellement que globalement, les uns avec les
autres, ils s’interrogent, se répondent, font écho par les illustrations (comme ils réson-
nent par les textes, partie A). Comment ses personnages, tant humains qu’animaux, ses
objets, son environnement se retrouvent-ils dans ses œuvres et quels effets donnent-ils
sur le lecteur ? Dans l’espace et dans le temps, au fil des œuvres d’Anne Brouillard,
pour se croiser « à partir de » ou dans La terre tourne pour ensuite tous se retrouver
dans « l’album de ma vie », œuvre sur laquelle elle travaille « en secret » en ce moment
et depuis quelques années déjà … dans un carnet qu’elle garde toujours sur elle où ils
sont tous réunis et où « animaux et humains sont encore plus égaux dans leurs attitudes
et leurs comportements. Ils parlent tous et ils ont même la même taille201
».
196
« Mes livres ne sont pas construits à partir d’idées abstraites, mais d’impressions visuelles. Les « his-
toires » partent d’une image, d’une succession d’images, parfois d’émotions ou de sensations, que
j’essaie de concrétiser dans l’espace de l’album. Que ces livres soient destinés à des enfants m’oblige à
travailler la lisibilité, dans la narration comme dans l’illustration. » Anne Brouillard in
http://www.litteraturedejeunesse.cfwb.be 197
« Chez Anne Brouillard l’histoire racontée et la technique utilisée sont intimement liées. En fait, tout
projet qu’elle conçoit dans sa tête comprend à la fois une émotion qu’elle a envie d’exprimer, mais aussi
un moyen de l’exprimer. » Citrouille n° 28, p. 28. 198
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 15/11/2010. 199
Citrouille n° 28, p. 28. 200
Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, p. 42 : « L’intratexte, c'est-à-dire toutes les histoires
indéfiniment redites de l’auteur qui courent comme autant d’autocitations dans l’histoire qu’il raconte. » 201
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 15/11/2010.
88
A. Les personnages : les animaux sont les égaux des êtres
humains
1. Les animaux
À l’échelle universelle, il a fallu des millions d’années pour voir l’évolution dans
le temps et dans l’espace du chat sauvage au chat domestique et du loup au chien …Il a
fallu vingt ans de carrière d’artiste à Anne Brouillard pour suivre et dépasser cette évo-
lution202
.
a) Le chat
Un chat203
ou des chats : du chat, animal sauvage au chat domestique puis humanisé204
« Le premier félin, le proailurus, vivait il y a plus de 30 millions d'années avant notre ère en
Eurasie. Selon des découvertes d'ossements sur le site chypriote de Shillourokambos en
2001, le chat aurait été domestiqué depuis près de 7000 ans avant J-C. Aujourd'hui, on
compte plus de chats que de chiens dans les foyers français, c'est-à-dire plus de 9 millions
de petits félins. Le chat a longtemps été sacralisé : les Égyptiens l'ont divinisé sous les traits
de la déesse protectrice Bastet. (…) Il a été adoré à Rome comme au Japon, et n'a cessé de
passionner l'imaginaire populaire. (…) Souvent utilisé pour ses talents de chasseur afin de
protéger les récoltes des petits rongeurs, il a cependant souffert de nombreuses supersti-
tions, surtout au Moyen-Âge. C'est au XVIIIe siècle, dans les salons anglais, qu'il devient
un véritable animal de compagnie, incarnant grâce et indépendance. Ami fidèle des écri-
vains, héros de cinéma, de nombreux chats célèbres, réels ou fictifs, incarnent cette person-
nalité intelligente, froide et mystérieuse, souvent avec humour205
».
Dans La terre tourne, deux personnages sont des chats mais, ils ont chacun des
caractéristiques tellement différentes qu’ils pourraient parfois être deux animaux dis-
tincts. L’un est noir, couleur la plus sombre, l’autre est jaune, couleur de lumière mais,
c’est surtout dans leurs attitudes qu’ils sont individualisés. Le chat noir reste très félin, il
a une pose de panthère noire. Le chat jaune est anthropomorphique, il se tient assis et
debout comme un être humain. Il accueille, serre la patte … il ne lui manque plus que la
202
« Ce qui change la représentation du monde ne tient pas aux techniques mais au regard. » Thomas et le
Voyageur, op. cit., p. 154. 203
Avec son premier album édité, Anne Brouillard nous présente son animal domestique « préféré » mais,
précise-t-elle, « dans un premier temps, j’avais refusé le projet d’illustration de l’œuvre écrite par Thier-
ry Lenain car je ne voulais pas avoir l’étiquette « Madame chat » ! » Pourtant, son dernier travail
d’illustratrice pour un auteur est pourtant « encore » avec des chats ! « Mais là, c’est de la vraie littéra-
ture, cela ne se refuse pas. » 204
« Donner le caractère humain. » Dictionnaire Le Littré. (Les sentiments, le langage, etc.) 205
Source : http://www.linternaute.com/femmes/famille/animaux/dossier/animaux-domestiques/chat/chat-
histoire.shtml
89
parole ! Miracle littéraire206
qui se réalisera dans Mystère. Album doublement résonnant
avec La terre tourne car, le chat Mystère est accompagné de Kÿt, la dame en bleu, sa
partenaire207
. De personnages dans La terre tourne, ils deviennent protagonistes dans
Mystère où ils ont même un prénom, ils sont individualisés. Mais aussi dans De l’autre
côté du lac, où les chats, un blanc et un rayé, s’expriment avec des paroles humaines
mais, sont-ils entendus par les humains ? Le lecteur n’a pas de réponse assurée. Le
doute subsiste. Les humains dialoguent, les chats aussi mais entre eux, le narrateur tex-
tuel entretient la confusion. Cet album est aussi doublement résonnant car, le cadre en-
vironnemental est le même que celui de La terre tourne : le lac Teåkersjön en Suède.
Au travers des albums d’Anne Brouillard, le lecteur peut retracer l’évolution du félin :
du chat « naturel », sauvage, au chat domestique208
puis humanisé.
Qui a dit que croiser un chat noir portait malheur ? « Au Moyen-Âge : le chat
noir était associé aux sorcières et persécuté209
». Chez Anne Brouillard, on en rencontre
beaucoup et ils ne sont jamais néfastes, bien au contraire, ils trouvent leur place, tout
naturellement parmi les êtres humains. Dans La terre tourne, il peut avoir cette attitude
féline, allongé de tout son long, comme perché sur une branche, nonchalamment mais
prêt à bondir sur une proie vue en contre bas, tels Les trois chats, noir et blanc dans son
premier album édité. Tout comme il peut avoir une attitude de bipède, assis dans le train
ou debout dans l’eau à ramasser des coquillages. Ce chat noir là est polyvalent, il évolue
et s’adapte à chaque situation.
Le chat noir de Il va neiger est un « vrai » chat de maison avec de grands yeux
verts. Par ses attitudes et sa taille, chaque lecteur peut y reconnaître un chat noir vu ou
connu. Dans l’album Le pays du rêve, le reconnaître n’est pas tout de suite évident car il
est représenté tantôt en couleurs, tantôt dans les vignettes en noir et blanc, selon les be-
soins de la narration. Par contre, le lecteur apprend son nom, Gaspard. Car, en réalité, il
s’agit bien du même chat noir.
206
Avec Gaspard chez Claude Roy, Le chat qui parlait malgré lui, Gallimard, 1997, par exemple.
« J’aime bien cette idée d’héritage littéraire ! » avoue Anne Brouillard. 207
« L'amitié harmonieuse entre le chat et l'homme remonte jusqu’à l'an 3000 avant J.-C., dans l'Égypte
ancienne. » in http://www.purina.fr 208
« Le chat est aujourd'hui l'animal de compagnie préféré des Français, mais étonne toujours par son
côté mystérieux. » in http://www.linternaute.com 209
Source : http://www.linternaute.com
90
Il va neiger
p. 11
L’orage
p. 27
Le pays du rêve
p. 16
C’est l’album L’orage qui permet de faire ce lien car la maison d’habitation est
la même. Le lieu (la même forêt suédoise que dans Mystère) dans lequel se déroule
l’histoire de Il va neiger est peut-être la maison de vacances d’hiver, ce qui expliquerait
la présence de Gaspard. Mystère et Gaspard pourraient peut-être s’y croiser ? Anne
Brouillard aime cette idée que ses personnages ne meurent pas, qu’ils aient une plus
longue vie à travers les pages de ses albums.
Quand un autre narrateur textuel fait appel à un chat noir pour sauver Julie210
, le
même narrateur imagier fait tout naturellement appel à Gaspard, car « il en sait plus que
tout le monde211
». Il adopte alors la même attitude qui rappelle fortement La terre
tourne. Le lecteur « imagier » le retrouve à nouveau avec plaisir dans le rôle du « philo-
sophe » des toits sous la plume d’Émile Zola212
et le pinceau d’Anne Brouillard.
Julie
capable
p. 16
La terre
tourne
p. 21
Le paradis
des chats
p. 22
Le lecteur retrouve cette même alternance ludique avec le chat jaune.
Dans La terre tourne, il est représenté debout ou assis, ce n’est plus un quadru-
pède ! Son nez droit « à la grecque » évoque davantage un nez humain qu’un museau de
chat. En contre partie, ses grandes moustaches et ses oreilles en pointe, la forme de ses
grands yeux verts et de ses pupilles sont bien félines. Autant de caractéristiques qui
permettent au lecteur de le reconnaître sous le pseudonyme de Mystère dans l’album
éponyme, en compagnie de Kÿt, la jeune fille blonde habillée en bleu et rouge, qui
l’accompagne dans La terre tourne aussi. Ce chat jaune a une taille presque humaine,
210
Julie Capable, Thierry Lenain, Anne Brouillard, éditions Grasset Jeunesse, 2005. 211
Le pays du rêve, p. 21. 212
Le paradis des chats et autres contes à Ninon, Émile Zola, Anne Brouillard, éditions Hugo et compa-
gnie, Paris, 2009.
91
des comportements anthropomorphiques et il est même humanisé : il parle. Il est l’égal
de l’homme maintenant …
La terre
tourne
p. 17
Mystère
p. 21
L’autre chat jaune, dans L’orage, Reviens sapin, Le grand murmure est un chat
de maison et de fauteuil. Il partage un bout d’aventure avec Gaspard dans L’orage. Que
ce soit avec Antoine et sa famille ou Paul et la sienne, c’est un chat qui aime les ca-
resses, les câlins et qui fait « miaou » quand on lui parle !
Un autre couple félin se trouve De l’autre côté du lac. Toka, le chat foncé est ti-
gré, il ressemble à un chat de gouttière tabby, la robe typique du chat sauvage, ayant la
faculté de parler et de penser, il a un comportement anthropomorphique. C’est un chat
gourmand et curieux. Son compagnon, Alpha le chat blanc est gourmet et délicat. Il
aime l’aventure mais préfère le confort du panier ! Il est lui aussi doué de parole et de
réflexion. Tous les deux accompagnent les êtres humains tout au long de l’album, ils
vivent vraiment ensemble, de la même manière, ou presque (les chats lapent du lait dans
un bol tandis que les humains boivent au verre et mangent des sandwiches), font des
commentaires, se baladent, font de la balançoire … et en plus, ils sont amis avec les
souris !
De l’autre côté du lac
p. 29
p. 31
Le chat est aussi un animal qui aime se prélasser comme le lecteur peut en croi-
ser un dans La maison de Martin. « Le chat de Chester213
» serait-il en vacances dans la
« vaste plaine que le vent traverse en courant » ? Sous les traits de ce gros chat jaune à
rayures marron qui fait la sieste dans un hamac.
213
Lewis Carroll, « Alice au pays des merveilles » in The Complete Works, Collector’s Library Editions,
London, 2005.
92
La maison
de Martin
p. 19
Alice au pays
des merveilles
p. 29
Il peut aussi être un chat de diva, un chat de confort et délicat. Dans le cadre de
cette vie prestigieuse, la couleur grise lui sied mieux. Un chat gris souris214
est-il forcé-
ment un chat de grande race ? Qu’un chat de luxe porte fièrement un pelage aux cou-
leurs de son repas préféré … quelle raillerie !
Le chat peut donc être le héros de l’album (Trois chats par exemple), en couple
avec un humain (La terre tourne, Mystère par exemple) ou avec un autre chat (L’orage
par exemple) comme plus discret mais toujours révélateur d’un lieu ou d’une présence
« mystérieuse » ou « évocatrice ». Dans Voyage, page 21, est-ce Gaspard, assis sur le
muret, évoquant Le pays du rêve (la propriété Everud Syapel) au voyageur qui passe en
train, sur la voie ferrée qui longe le mur de la propriété ? Le spectateur continue son
exploration imagière. Dans l’univers imagier d’Anne Brouillard, le rôle du lecteur est
tellement important qu’il devient « spect’acteur215
». Les chapiteaux des piliers du por-
tail d’entrée évoquent ceux de Reviens sapin, tandis que les arbres en arrière-plan rap-
pellent ceux de Mystère et de La terre tourne. Le narrateur imagier prend plaisir à pro-
mener son lecteur au gré de ses fantaisies illustratives. Ainsi, le lecteur voyage sur les
traces du chat, tel un guide. Cela rappelle un célèbre chat … botté.
Voyage
p. 21
Le pays du rêve
p. 9
Reviens sapin
p. 6
Mystère
p. 16
La terre
tourne p. 27
Dans La famille foulque, la présence du chat blanc, discrètement posé en arrière-
plan, permet au lecteur de situer sans ambiguïté le lieu précis où se croisent le papa et le
pêcheur car, le chat blanc est toujours devant le même portail en bois blanc, devenant un
214
« Originaire de France, le Chartreux, est l'une des plus anciennes races de chat au monde. En réalité,
son pelage est gris bleuté. » in http://www.linternaute.com 215
Mot valise crée en associant ces deux mots d’origine latine : spectator « celui qui a l'habitude de regar-
der, d'observer; spectateur au théâtre » et actor « celui qui agit ».
93
repère imagier fixe et stable. Cet album présente d’ailleurs les trois chats des trois cou-
leurs : blanc, jaune et noir. Ce sont de « vrais » chats de compagnie qui savent vivre en
harmonie avec les êtres humains mais aussi avec les chiens et les oiseaux. Ce qui ex-
plique peut-être comment les oiseaux en arrivent à écrire une carte postale aux chats
dans Cartes postales. Chez Anne Brouillard, même les chats et les oiseaux sont amis.
Qu’ils soient « chats de gouttière », chat de « maison », chat de « compagnie », chat de
« café » … Dans ce monde imaginé par Anne Brouillard, ses expériences déçues dans
Petites histoires « vert de peur » et dans Trois chats lui ont peut-être servi de leçon ? Il
fait donc partie de cette harmonie pacifique maintenant. Quelle autre illustratrice
qu’Anne Brouillard aurait pu illustrer Le paradis des chats avec autant de sensibilité et
d’émotion ? Alors que dans Trois chats, la narratrice imagière avait utilisé les deux cou-
leurs noir et blanc pour un même chat, ici, elle a utilisé ces deux mêmes couleurs mais
séparément : un chat blanc et un chat noir. Le blanc pour le « chat d’Angora », chat de
confort dont la fourrure craint les salissures ; le noir pour le « vieux matou » des toits
dont le poil est à toute épreuve et ne craint ni les coups ni la saleté.
Trois chats
Première de
couverture
Le paradis
des chats
p. 14
b) Le chien
Du loup au chien216
domestique puis au chien anthropomorphe217
« Les premiers membres de la lignée des Canis émergèrent il y a 1,7 million d’années. La
domestication semble dater du paléolithique supérieur, soit entre 17 000 et 14 000 ans.
Mais la relation entre homme et canidé est beaucoup plus ancienne. En effet, des restes de
loups vieux de 400 000 ans ont été retrouvés en association d’hominidés. L’aïeul du chien
accompagnait l’homme dans ses chasses, donnait l’alerte en cas de danger et assurait sa
protection ainsi que celle de ses troupeaux. Bien avant la domestication du cheval et du
renne, le chien servait également à tirer les travois lors des migrations. Les chasseurs-
cueilleurs possédaient des points communs avec les loups. Hormis l’aspect social de leur
mode de vie, ils partageaient les mêmes proies. Les traditions affirment que les Indiens ont
appris (…) comment chasser en étudiant le loup. (…) il n’est pas étonnant que le premier
animal à avoir été domestiqué par ces hommes, fût le chien218
».
216
« Dans la rue, les chiens me sourient … » Anne Brouillard, le 6 novembre 2010, à Toulouse. 217
Tendance à attribuer aux animaux des sentiments humains. Dictionnaire de la langue française :
http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr 218
Source : http://www.futura-sciences.com/fr
94
« On ne sait pas exactement si le loup s`est approché de l`homme ou vice versa. Tous les
deux profitaient de la situation qui s`était produite ainsi : le loup était employé par l`homme
pour la chasse, pour tenir les troupeaux ensemble et pour avertir l`homme de ses ennemis.
À son tour, l`homme prenait soin que le loup eût toujours assez à manger. Le loup est un
animal très social. Comme l`homme, il vit en groupes (nommés "hardes") avec une hiérar-
chie sociale, dans laquelle certains loups assument la direction. Cela rend l`animal propre à
être tenu et attrayant comme animal de compagnie, dans quelle relation le loup considérait
l`homme comme son chef. On se mit à poser d`autres conditions à la conduite et à
l`extérieur du loup. Au Moyen-Âge l`homme commençait à considérer le chien comme une
sorte de symbole de prestige. Le chien lui prêtait une certaine distinction219
».
« L'amitié du chien et de l'homme ne cessera d'être célébrée dans la littérature. Le chien ac-
compagne l’homme dans les différentes étapes de sa vie et dans ses activités : il est donc
normal qu’il soit très présent dans la littérature au fil des siècles. Le chien y est souvent le
symbole d’une fidélité à toute épreuve220
».
Le chien noir, celui qui attend le retour de son maître, est le compagnon idéal
pour les personnages humains d’Anne Brouillard221
. La coutume dit que « le chat est
attaché à une maison » alors que « le chien est attaché à un maître ». D’ailleurs, c’est lui
qui attend le lecteur « fidèle » et les personnages de l’histoire au premier plan de la
première belle page de La terre tourne. Dans La terre tourne et les autres albums, Kil-
liok, car tel est son nom, est « un chien de salon, un chien inventé, il n’existe pas en
vrai ! » avoue Anne Brouillard avec un sourire complice. Cependant, à y regarder de
plus près, il rappelle quelqu’un qu’elle a bien connu dans son enfance. En effet, sa mère
lui racontait les histoires des Moumines222
et « je me rappelle quand j’avais neuf ans, je
redessinais des Moumines tout le temps. Il peut ressembler effectivement, peut-être au
niveau du nez, et même dans ses attitudes, ce n’est pas conscient. Killiok comme Mou-
mine, a suivi une évolution. Il n’est pas tout le temps exactement pareil. En tout cas, il a
le côté tendre de Moumine. Il a un quelque chose qui m’a marqué de Moumine. Même
s’il est grognon, au fond, c’est un tendre Killiok !223
». Même si son graphisme change,
le lecteur le retrouve et le reconnaît dans ses albums. Comme le premier album édité
d’Anne Brouillard présente « le chat », son deuxième album Petites histoires présente le
chien noir. Ils sont les héros fidèles, tels des guides pour le lecteur224
. À l’échelle bi-
bliographique, le lecteur est sensible à son évolution tant graphique que comportemen-
tale. En effet, dans Petites histoires ce n’est pas un chien noir mais six chiens noirs qui
219
Source : http://www.animalfreedom.org 220
Le chien dans la littérature. In http://www.lamaisonduchien.net 221
« Les chiens me parlent, me sourient dans la rue mais je n’en voudrais pas chez moi. » Extrait de
l’entretien avec Anne Brouillard à Toulouse le 07/11/2010.
« Toujours ce duo animal / être humain comme personnages principaux. Celui qu’on retrouve chez les
trois grandes dames de l’album muet, … Anne Brouillard … qui mettent en image cette communication
qui ne peut passer par la verbalisation. » Patrick Borione, Hors cadre[s] n° 3, p.26. 222
Rencontre avec Anne Brouillard, Nicole Nachtergarle, Alice, N° 2, Printemps 1996, p. 58. 223
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 224
À l’image de Tintin pour Milou.
95
sont les héros de « Temps de chien ». Héros éponyme malgré lui car cette expression n’a
pas une connotation favorable pour lui. Heureusement, les albums suivants lui donne-
ront ses lettres de noblesse en lui offrant un nom et un statut anthropomorphique. Dans
un premier temps, par sa présence « multipliée » le lecteur est amené à se poser la ques-
tion : lequel est le futur Killiok ? Qui va devenir le compagnon du « personnage en
rouge 225
» ? Une lecture imagière, plus précise va amener le lecteur dans une nouvelle
lecture transversale. Dans « Temps de chien » tous les six sont debout, tels des bipèdes,
tenant un parapluie rouge avec leurs pattes antérieures (devenues des bras). Ils sont donc
tous capables de faire un gâteau (comme dans La terre tourne) ou d’écrire (comme dans
Cartes postales). Cependant, si le lecteur observe bien leur faciès pages 24-25, ils sont
tous différents :
Tout frisé, il
paraît bien
fatigué et trop
vieux.
Avec son air
coquin mais
tendre à la fois
quand il regarde
son aîné. Ce
serait peut-être
bien lui ?
Celui-ci semble
bien être le loup
du Sourire du
loup. Que mi-
jote-t-il avec son
sourire en coin ?
Il a le museau
trop fin et trop
pointu et ses
pattes posté-
rieures ont en-
core une posture
« canine ».
Il a l’air trop
« balourd ». On
dirait la maman
du petit dernier.
Tout
petit,
il est
en-
core
trop
jeune.
Le narrateur imagier joue avec l’imagination du lecteur. En fait, ce qui permet de
reconnaître le chien noir, dont le lecteur apprendra le nom dans Le grand murmure,
c’est son attitude. De plus, il est toujours accompagné ou bien il accompagne toujours
un ou des êtres humains. Ce n’est pas un chien errant ni un chien solitaire. Il aime, at-
tend et recherche la compagnie des hommes, sentiment qui est réciproque.
225
« Le futur magicien rouge dans « l’album de ma vie » » Extrait de l’entretien à Toulouse du
07/11/2010.
96
La terre
tourne
Il fait les mêmes
gestes que son
maître. Ils vont et
regardent dans la
même direction.
Voyage
Patient et fidèle,
il attend « le re-
tour » de son
maître.
Il va neiger
Ils regardent dans
la même direc-
tion.
Cartes
postales
Ils font les
mêmes gestes.
La maison
de Martin
La truffe au vent,
il regarde Martin.
Il reste à attendre
le courrier de
Pimpinelle
(Cartes postales)
et Martin arrive,
sur la plage de
Promenade au
bord de l’eau.
Promenade
au bord
de l’eau
Il adapte son
comportement à
celui de son
maître et à
l’environnement.
Le grand
murmure
Il devance ses
maîtres, les guide
et les protège. Il
attend et protège
assis Véronique
de La terre
tourne.
Le bain de la
cantatrice
Compagnon de
jeu, il accom-
pagne son jeune
maître.
97
À quatre pattes, assis, sur deux pattes anthropomorphisé … Killiok, le chien noir
est l’ami idéal dans toutes les situations. D’un album à l’autre, il est le compagnon de
tous les personnages humains. Ainsi, le lecteur s’amuse à le chercher et à le reconnaître
au gré des histoires. Il n’a pas la parole, lui, contrairement au chat Mystère, mais il
comprend son maître instinctivement. Par contre, avec ses deux « mains » il sait cuisi-
ner ou écrire. Du loup solitaire du premier album, il est devenu le partenaire indispen-
sable à l’homme. Étant le chien « modèle », les personnages se le « prêtent » d’album
en album, serait-il irremplaçable ?
Il fait même l’ouverture de Promenade au bord de l’eau, sur la page de titre226
,
incitant le lecteur à le suivre à l’intérieur du livre. Est-ce lui, qui, dans Voyage, assis
page 35, annonce aux voyageurs dans le train qu’ils vont croiser les personnages de La
terre tourne à la fête foraine (page 37) ? Il guide donc lui aussi d’un album à l’autre.
Assis, il a cette attitude tranquille et révérencieuse du compagnon qui attend son
partenaire. Il observe, il surveille, il protège, sa forme arrondie incline à la douceur.
« C’est un chien de confort, il aime son fauteuil » prévient Anne Brouillard. Son corps
en aurait-il pris la forme ? Telle une figure emblématique de l’univers d’Anne Brouil-
lard, il se rencontre au fil des albums. Cette attitude lui permet de pouvoir s’assoir sur
une chaise et, comme un être humain, de pouvoir utiliser ses pattes antérieures comme
des bras prolongés par des mains. C’est un chien dont la physionomie est adaptée aux
postures humaines. S’il est nommé dans Le grand murmure, c’est dans La terre tourne
et Cartes postales qu’il est le plus proche d’un comportement humain :
- Il cuisine, lit le journal, porte les affaires (valise …) dans La terre tourne
- Il boit au verre, écrit avec un crayon, lit et déballe un paquet dans Cartes postales
À quatre pattes, le lecteur le retrouve parti en vacances avec le chat Gaspard
dans Il va neiger. Fidèle à ses maîtres, il les accompagne en balade tandis que Gaspard
attend bien au chaud, à l’intérieur de la maison227
. Dans Promenade au bord de l’eau,
c’est son flair et sa compagnie qui guident les personnages et le lecteur sur les traces de
la boîte rouge. Quand Martin passe devant sa boîte aux lettres, il ne l’accompagne pas, il
choisit de rester fidèle à sa maîtresse Pimpinelle. D’ailleurs, il y a peut-être trop de vent
pour que son flair soit efficace à aider Martin dans sa quête ? Chien sage et patient, il
226
Cette image détourée sur le fond blanc de la page ressemble à un « logo » ou un « label » de marque. 227
Les chats n’aiment pas l’eau ! Il a peur de se mouiller les pattes dans la neige comme Alpha dans
l’eau de la rivière !
98
sait être joueur quand ses maîtres sont jeunes. Ainsi, sa course « bondissante » se recon-
naît dans Promenade au bord de l’eau et Le bain de la cantatrice.
Ainsi, d’une vie solitaire en tant que loup « sauvage », Killiok est devenu un
chien partenaire, fidèle compagnon de l’homme, au point de prendre ses attitudes et ses
habitudes. Que le cadre de la page soit carré ou rectangulaire, petit ou grand, Killiok
trouve toujours sa place et s’adapte aux exigences du format et de ses partenaires. Il ne
parle pas encore, mais, ce sera chose faite avec « le livre de ma vie » confie Anne
Brouillard. Il ne lui manque plus que la parole pour devenir un être humain à poil noir !
Mis à part Killiok, le chien au museau arrondi, le lecteur rencontre d’autres chiens dans
les albums d’Anne Brouillard. En effet, ils accompagnent toujours les êtres humains
dans leurs activités et leurs balades. Ainsi, au fil des albums, s’ils peuvent changer de
maître, ils restent toujours le fidèle compagnon affectueux228
.
Le chien clair :
Le temps
d’une lessive
Ces deux chiens là sont très co-
pains et complices. Le jaune ap-
partient à la grand-mère, le blanc
au voisin.
Le voyageur et
les oiseaux
Ils se retrouvent dans l’histoire de
la gare mais ne se croisent pas.
Le grand
murmure
Ici, le chien jaune partage sa maî-
tresse avec un chien noir en bonne
harmonie.
Le vélo de
Valentine
Dans la ribambelle d’amis à
s’inviter sur le vélo de Valentine,
il amène le gâteau.
La famille
foulque
Patient, il attend que sa maîtresse
ait fini sa lecture pour continuer la
balade.
228
Dans l’univers d’Anne Brouillard, le chien vit avec l’être humain. Sa fidélité ne va pas jusqu’à la tra-
gédie comme ce fut le cas pour Hachiko qui en est mort, après avoir attendu son maître pendant presque
10 années, alors que ce dernier était décédé. In http://www.kanpai.fr/tag/hachiko
99
Sept minutes
et demie
Ce chien jaune ressemble beau-
coup à Killiok à tel point qu’il
s’agit peut-être de son frère ? Il vit
d’ailleurs avec un écrivain
Comme les chats de La terre tourne vont par paire : le chat jaune et le chat noir,
peut-être en est-il de même pour Killiok. On aurait donc un Killiok noir et un Killiok
jaune. Mis à part le chien jaune « sosie » de Killiok, les autres sont de « vrais » chiens
de compagnie. Attaché en laisse ou en liberté, ce sont des canins quadrupèdes, sans
autre identité que celle de « chien domestique » même si dans Le temps d’une lessive ils
semblent avoir un comportement humain (se serrer la main) dans le monde imaginaire.
Dans le cadre de cette histoire, ces deux chiens miment les comportements humains tout
en restant des quadrupèdes et des animaux à puces (il se gratte derrière l’oreille avec la
patte, signe canin par nature !). Dans le cadre de ces histoires, ce sont des animaux qui
aboient, courent après les oiseaux, attendent assis au pied de leur maître … Dans Le
grand murmure, Elvire a deux chiens. Le lecteur s’amuse à retrouver ce petit chien
jaune à la queue enroulée dans des atmosphères aussi différentes que Le grand murmure,
Le temps d’une lessive, la gare dans Le voyageur et les oiseaux et au bord de l’étang
dans La famille foulque.
c) Le corbeau ou la corneille229
« Les oiseaux prennent une place énorme. Les oiseaux sont très troublants, quand on les
regarde, en fait ils m’émeuvent terriblement. Les oiseaux dans les villes : ce sont des cor-
neilles noires, à Bruxelles on en rencontre souvent beaucoup dans les parcs… Le corbeau
est plus grand, il vit en forêt ou dans les champs230
».
« La Corneille ne diffère du corbeau ordinaire que par sa taille, qui est plus petite. Elle est
d'un noir foncé à reflets violets, avec le bec et les pieds d'un noir mat. (…) La Corneille est
le symbole de l'hospitalité. D'après le Dictionnaire archéologique et explicatif de la science
du blason. Comte Alphonse O'Kelly de Galway ŕ Bergerac, 1901231
».
229
« La valeur symbolique de la corneille est très proche de celle du corbeau. Dans le domaine celtique,
(…) elle était d'abord en Irlande le visage de la terrible Morrigane (…) dont le nom signifie "la Grande
Reine" épouse du dieu-druide Dagda, l'un des noms de la grande déesse-mère qui avait survécu à l'inva-
sion indo-européenne, et que les Celtes ont intégrée à leur panthéon en en faisant la mère, l'épouse, la
sœur et la fille de tous les dieux, pouvoir féminin unique qui symbolise le territoire, la génération, la fé-
condité, qui est la source de toute légitimité et, de ce fait, l'incarnation même du royaume. Unique dans
son essence, cette divinité féminine est pourtant triple dans ses figures : elle est à la fois Morrigane, Bodb,
"la corneille", et Macha, "la plaine" (où courent les chevaux) in http://harter.audrey.free.fr 230
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard à Toulouse le 07/11/2010. 231
Source : http://www.blason-armoiries.org
100
Ainsi, dans les albums d’Anne Brouillard, ces oiseaux font partie de
l’environnement familier, ils ne sont pas sauvages232
. Mais aussi, comme le chien ou le
chat, à force de contacts avec les êtres humains, ils finissent par en adopter les compor-
tements :
- Ils boivent du champagne à la coupe (leurs ailes sont devenues des mains) dans La
terre tourne
- Ils reçoivent une carte du chien et ils en écrivent une aux chats dans Cartes postales
Ces oiseaux peuvent donc être anthropomorphisés mais ils ne sont jamais pré-
nommés. Peut-être est-ce dû au fait qu’un corbeau ou une corneille n’est jamais seul. Ils
aiment voyager et vivre en groupe. Dans La terre tourne, les couples humains / animaux
sont formés avec le chien et le chat tandis que les oiseaux vont par deux.
Tel des animaux domestiques, ils ne sont pas effrayés par les êtres humains et les
enfants cherchent même à les toucher ou les caresser, tout comme ils le font envers un
chien ou un chat dans Le grand murmure. Le lecteur peut les trouver dans des endroits
très bruyants et animés comme la gare ou plus calmes, mais toujours habités, comme le
bord de l’étang. Ils ont toujours leur place dans ce monde qui bouge au rythme de la
terre qui tourne.
« Par ses croassements, la corneille nous répète que la magie et la création frappent tous les
jours à notre porte: elle nous aide à cultiver notre voix et notre langage pour obtenir ce que
nous désirons, ce qui nous est nécessaire. L'apparition de la corneille attire notre attention
sur la magie mise à notre disposition, mais suggère également que les activités collectives
ont plus de chances d'être menées à bien que les projets solitaires233
».
Ainsi apparaissent-elles à la fenêtre d’Éloïse le matin au réveil, lui rappelant le
monde de son rêve.
Dans Promenade au bord de l’eau, les corneilles marchent même au pas, comme
des militaires bien organisés, tout comme les canards234
. Dans De l’autre côté du lac,
les oiseaux noirs ont un bec jaune (ce sont des merles) à l’image des canards de La terre
tourne. Les merles, tout comme les geais, les autres oiseaux et les animaux sauvages ou
domestiques vivent en paix et en harmonie entre eux et avec les êtres humains dans le
232
Ce ne sont pas non plus les oiseaux charognards tels qu’ils sont peints dans le tableau de Vincent Van
Gogh, Le champ de blé aux corbeaux. 233
Source : http://folilaine.canalblog.com 234
Anne Brouillard ajoute toujours une pointe d’humour à l’adresse de ses lecteurs, jeunes ou moins
jeunes, chacun savoure.
101
même environnement naturel, autour d’un point d’eau, lac ou étang, c’est selon le cadre
de vie des personnages. Serait-ce cette nature protectrice qui génère cette atmosphère ?
d) Le canard
Ces oiseaux là vont souvent par deux, côte à côte, ils déambulent dans les albums.
« Les canards symbolisent souvent les relations heureuses et mariage. Cependant, il faut
toujours utiliser une paire de canard et non un canard seul. Une paire de canard est souvent
utilisée pour augmenter l'énergie romantique, consolider les relations et assurer un mariage
heureux. (…) Placer toujours les canards l'un à côté de l'autre et ils regardent dans la même
direction235
».
Dans l’univers imagier imaginé par Anne Brouillard, tout est possible et tous les
êtres vivants sont égaux car, même les canards voyagent en barque, sur un lac. Ils peu-
vent tenir un pinceau et écrire des cartes postales aux écureuils à l’aide de leurs ailes-
mains. Comme dans La terre tourne, les canards anthropomorphisés sont noirs à bec
jaune.
Tout comme chez les chats, les chiens, les corneilles aussi qui peuvent se retrou-
ver dans le même environnement que les mouettes blanches (Le pays du rêve, Le grand
murmure), avec les canards, le lecteur retrouve cette paire de couleurs opposées noir ou
foncé / blanc ou clair dans Promenade au bord de l’eau. Cette constatation chromatique
évoque au lecteur la dualité du monde, le fait que les opposés s’attirent et se complètent
ou bien encore l’idée qu’un être n’est jamais ni tout blanc ni tout noir mais souvent un
entre-deux. Ou bien encore, par ce jeu de nuances opposées, le narrateur imagier veut
montrer les deux faces de l’être vivant, la face cachée-obscure et la face montrée-
lumineuse. Ces deux couleurs opposées jouent aussi avec la luminosité qui se dégage
des images car, le noir absorbe la lumière et le blanc la réfléchit, évoquant ainsi les jeux
de miroir et de complémentarité chers à Anne Brouillard. Les animaux, par ces jeux de
réflexion, montrent ces deux faces dans l’harmonie. Que le lecteur y entende une narra-
tion symbolique ou qu’il y voit un effet de couleurs par contraste, la lecture est multiple
et le choix appartient à chacun.
Dans Voyage, les canards peuvent être :
- Réels : nageant au fil de l’eau (par paire)
- Imaginés : dans l’histoire lue par les enfants dans le train
235
Source : http://norja.net/lavie/html/le_feng-shui_et_les_symboles.html
102
- Imaginaires : lorsque les gouttes de pluie sur la vitre du train prennent leur forme dans
l’imagination de la petite fille brune.
Ici, comme dans La terre tourne, le narrateur imagier crée un effet en utilisant la
technique du « fondu enchaîné » ou du « morphing » illustratif, encadré par les rafales
de vent et de pluie du fait de la vitesse du train et le pull porté par son compagnon de
voyage assis en face d’elle.
Mais, le lecteur rencontre aussi les « vrais » canards colverts, ceux qu’il peut
croiser à la campagne, comme au bord de l’étang de La famille foulque. Ainsi que les
canards gris qui barbotent sur l’étang à Bruxelles comme sur le lac en Suède où ils ne
sont pas effarouchés ni par les chats ni par les êtres humains.
Les animaux rencontrés dans La terre tourne permettent des lectures multiples et
transversales par ces réseaux inter-iconiques. Le narrateur imagier joue avec leurs
formes, leurs couleurs, leurs environnements et le lecteur s’amuse à les retrouver. Con-
cernant les animaux résonnants à partir de l’album La terre tourne, un petit détail « gra-
phique » vient à l’esprit. Les quatre animaux commencent tous par la lettre « c » en
français. Détail anecdotique ou volonté délibérée d’Anne Brouillard ? Ce jeu de lettre
questionne aussi car, il s’agit de quatre animaux commençant par la lettre « c » dans un
album carré. Le dictionnaire des symboles nous apprend que « quatre est le chiffre qui
caractérise l’univers dans sa totalité. (…) Ce qui confirme l’universalité de la valeur
symbolique du nombre quatre, comme définissant la matérialité passive. Quatre, comme
la Terre, ne crée pas, mais contient tout ce qui se crée à partir de lui. (…) quatre est le
nombre de la terre236
». Cette coïncidence n’est peut-être pas tout à fait due au hasard
mais à quelque chose de « fort ancré en moi » comme le suggère Anne Brouillard quand
elle parle de l’univers de ses albums.
Les histoires deviennent ainsi plurielles et infinies comme Anne Brouillard le
souhaite quand elle confie qu’ « une fois un album fini, j’ai envie de reprendre les per-
sonnages dans une autre histoire237
». Le lecteur a donc un rôle important à jouer dans ce
trio composé de :
L’auteure-illustratrice / l’album / le lectorat
236
Dictionnaire des symboles, pp. 796-797. 237
Extrait de l’entretien-conférence avec Anne Brouillard à Toulouse, le 06/11/2010.
103
et ce sont les personnages, créés et mis en scène par le narrateur imagier qui en détien-
nent les fils conducteurs. C’est au lecteur de les mettre en lumière et en résonnance238
.
2. Les êtres humains
Qu’en est-il des êtres humains ? La terre tourne met en scène quatre person-
nages humains : un homme, deux femmes et un enfant. Comment le lecteur peut-il les
identifier dans l’univers des autres albums ? Comment le narrateur imagier les repré-
sente t’il dans l’environnement des autres histoires ? Plusieurs approches possibles per-
mettent de les distinguer239
: leur visage240
, la couleur de leurs cheveux, leurs atti-
tudes241
, leurs accessoires, leur partenaire animal, leurs vêtements et leurs couleurs.
Et certainement bien d’autres encore car les lecteurs sont multiples et particuliers
mais aussi, chaque nouvelle lecture apporte des détails supplémentaires qui deviennent
autant d’indices ou de clefs apportant de nouvelles interprétations possibles. À l’image
de la « nature qui est pléthorique, mais qui ne se répète pas à l’identique242
».
a) L’homme en rouge243
238
« … lire « les livres d’histoires » (est) l’acte volontaire et singulier d’appropriation d’un lecteur singu-
lier. » Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, p. 19. 239
« On ne s’exprime pas avec les mots seuls, mais avec le corps tout entier. » Jean Rousset, Dernier
regard sur le baroque, Les essais, José Corti, Paris, 1998, p. 77. 240
« Comme au cinéma, un mouvement presque imperceptible du visage, tout simplement, même un
visage impassible qui se retourne, pourra avoir une force considérable si le mouvement, le tempo est
maîtrisé. » Éric Albert, Le mouvement, éditions L’iconograf, Scérén crdp Alsace, 2007, p. 18.
Maîtrise qui ne pose aucun doute chez Anne Brouillard. 241
« La façon de traduire une action et un ensemble de mouvements est souvent fonction du support et du
type de narration choisis. » Ibidem., p. 45.
Définition qui corrobore avec la façon de travailler d’Anne Brouillard qui adapte ses techniques, les sup-
ports et ses personnages à l’histoire racontée. 242
Source : http://www.nouvellescles.com 243
« Ma couleur préférée est le rouge et, toutes les couleurs. » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard
du 07/11/ 2010.
« Quand aux temps précolombiens, au Mexique, un peintre plaçait dans sa composition un personnage
habillé de rouge, le Mexicain savait que ce personnage appartenant au dieu de la terre Xipe Totec et qu’il
relevait donc du point cardinal oriental, dont la signification est soleil levant, naissance, jeunesse et prin-
temps. Le personnage n’était donc pas peint en rouge pour des raisons optiques et esthétiques ou comme
représentant de valeurs expressives et morales, mais sa couleur était symbolique comme un idéogramme
ou un hiéroglyphe. » Johannes Itten, op. cit., pp. 16-17.
« Rouge. C’est une bonne couleur mais elle tue les autres. Qu’en fait-on dans le paysage ? D’après les
études du docteur Lüscher, il s’agit d’une valeur autonome, intrinsèque à l’individu, indépendante de
l’environnement. Le sang des hommes. Avec le rouge on introduit la violence interne. » Thomas et le
Voyageur, op. cit., p. 162. D’après Le color test de Max Lüscher in Votre personnalité révélée par les
couleurs, éditions Aubanel, 1973.
104
Il est le premier être humain à entrer dans La terre tourne. Il est le compagnon
du chien noir et celui qui deviendra « le grand magicien rouge ». L’être humain entre en
scène au second plan, attendu par le chien, assis au premier plan. L’homme fait partie de
l’univers, il en est un des habitants244
, il n’en est pas le centre. Tantôt blonds, tantôt
bruns, ses cheveux sont selon l’environnement dans lequel ils se trouvent. Sous l’effet
de la luminosité ambiante, les couleurs changent. Cependant, où qu’il se trouve, il est
toujours vêtu d’une combinaison rouge (d’où son pseudonyme, à défaut d’identification
par un prénom). Malgré tout, le lecteur peut reconnaître ses traits sous l’apparence de
l’homme en « bleu ». Ces deux hommes se ressemblent terriblement et la combinaison a
la même coupe, seule la couleur change.
Rouge versus Bleu : couleur la plus chaude / couleur la plus froide :
« Avec le rouge, le bleu manifeste (…) les rivalités du ciel et de la terre. (…) leur mariage
préside-t-il à la naissance de tous les héros de la steppe : Gengis Khan, naît de l’union du
loup bleu et de la biche fauve245
».
Le rouge est « universellement considéré comme le symbole fondamental du prin-
cipe de vie. (…) C’est la couleur de la Science, de la Connaissance ésotérique… ce
rouge est matriciel. (…) Il incite à l’action. (…) Il incarne la fougue et l’ardeur de la
jeunesse246
».
Le bleu est « la plus immatérielle des couleurs (…) il suggère une idée d’éternité
tranquille. (…) Dans le Bouddhisme tibétain, le bleu est la couleur de la Sagesse trans-
cendante, de la potentialité et de la vacuité, dont l’immensité du ciel bleu est d’ailleurs
une image possible247
».
Ainsi, la couleur de son vêtement symboliserait l’évolution de l’homme, de la
naissance, en passant par une jeunesse d’apprentissage pour enfin accéder à la connais-
sance et à la sagesse. L’homme prendrait progressivement conscience qu’il fait partie de
cet univers qu’il doit respecter et dans lequel il aspire à vivre harmonieusement. Cela
correspond à la conception de la vie pacifique souhaitée par Anne Brouillard.
244
« L’homme fait partie des vivants. Bien entendu, il est le seul à en avoir conscience, mais cela ne
l’empêche pas d’appartenir à l’ensemble et d’en être solidaire. » in http://www.nouvellescles.com 245
Dictionnaire des symboles p. 130. 246
Ibidem. pp. 831-833. 247
Ibidem. pp. 129-131.
105
Pour le différencier des autres, le lecteur a donc quatre premiers éléments :
- Son chien, qu’il partage avec Pimpinelle (Cartes postales), Martin (La maison de Mar-
tin), l’écrivain (Sept minutes et demie) et d’autres maîtres dans Le grand murmure,
Promenade au bord de l’eau, Le bain de la cantatrice...
- La forme et la « couleur » de son vêtement
- Sa taille (il est grand)
- Son sexe (c’est un homme)
Ce dernier paramètre amène une nouvelle interrogation dans Le pays du rêve. En
effet, dans cet album, la posture de l’accueil au pays du rêve (arrivée ou départ) est
identique à celle de La terre tourne mais, le personnage en rouge est une femme. Qui
est-elle par rapport à l’homme en rouge ? Sa femme ? Sa sœur ? Son double de l’autre
côté du miroir ? La question reste entière, d’autant plus qu’elle est accompagnée d’un
enfant vêtu du même vêtement. Cet enfant semble être une fille. Où bien, est-ce
l’homme en rouge enfant ? En quel cas, la femme en rouge serait sa maman … Par ces
résonnances illustratives, chaque lecteur peut imaginer des liens imagiers et/ou filiaux
entre ces personnages248
qui ont les mêmes attitudes et portent les mêmes vêtements
et/ou couleurs.
Dans Cartes postales, le reconnaître est plus facile car, il a bien la même combi-
naison rouge. « En fait, c’est le facteur ! Dans La terre tourne, le lecteur ne pouvait pas
deviner son métier car il est toujours en voyage partout ! » Comme les cartes postales,
comme les lettres, il voyage tout autour de la terre. Dans Cartes postales, le lecteur de
La terre tourne retrouve l’homme en rouge, le chien noir, les corbeaux/corneilles et la
grande fleur rose. La lettre permet le lien avec l’homme en « bleu » : celui qui donne
(La maison de Martin) ou oublie (Sept minutes et demie) une enveloppe, selon l’histoire.
Dans ce contexte imagier, le lecteur reconnaît les traits et les expressions de son visage
même si le décor et l’environnement sont complètement différents. Tout comme dans
La terre tourne, il voyage et s’arrête un peu partout sur terre, « il va et vient de par le
monde. »
248
Anne Brouillard, elle-même, avoue qu’elle ne connaît pas tout de ses personnages.
106
La terre
tourne
Blond ou brun, il est reconnais-
sable à sa combinaison rouge.
Le pays
du rêve
Son sosie au féminin fait le
même geste d’accueil ou
d’adieu. L’enfant porte la
même combinaison rouge. Sa
famille habite t’elle au pays du
rêve ?
Cartes
postales
Par sa tenue, on le reconnaît en
facteur qui repart avec un bou-
quet de fleur.
Sept mi-
nutes et
demie
Vêtu de rouge il porte le cour-
rier. Vêtu de bleu il oublie une
lettre !
La maison
de Martin
Vêtu de bleu, encore avec une
lettre à poster, qu’il va confier
à Martin ?
Le lecteur peut aussi le chercher dans les lieux parmi lesquels il passe ou reste
un temps dans le cadre de l’album La terre tourne. C’est ainsi que dans Voyage, (page
37) le lecteur a l’impression de le reconnaître sur le cheval blanc du manège alors que
l’illustration est en noir et blanc et la technique utilisée par le narrateur imagier diffé-
rente. C’est alors l’atmosphère que se dégage de cet environnement qui permet cette
résonnance visuelle.
La terre tourne
/
Voyage
107
b) La fille en bleu et rouge
Le deuxième personnage qui entre en scène en arrière-plan est tout de suite iden-
tifié. « C’est trop facile celui-là ! C’est Kÿt249
et son chat Mystère ! » En effet, la jeune
fille se reconnaît à ses cheveux blonds et à ses vêtements de couleurs vives, rouge et
bleu. « Elle est aussi habillée avec des carreaux dans Mystère. » Mais aussi et surtout,
dans cet album éponyme, elle est l’héroïne avec le chat Mystère, son compagnon dans
La terre tourne. Le lecteur a donc suffisamment d’indices imagiers pour ne pas « passer
à côté » :
- La couleur des cheveux, les traits du visage
- La tenue, le tissu et les couleurs vestimentaires
- Son partenaire félin Mystère
La terre tourne Mystère
Elle arrive avec son
chat jaune. Ils vi-
vent et font tout
ensemble.
Elle s’appelle Kÿt.
Le chat Mystère.
c) La dame en vert
La deuxième femme est plus difficile à identifier. Elle arrive seule (sans compa-
gnon animal) mais avec une petite valise carrée marron. Elle est vêtue de vert et porte
ses cheveux châtains coupés au carré. Elle est plus féminine que Kÿt par sa tenue vesti-
mentaire car elle porte une jupe. Sa tenue vestimentaire (jupe ou robe d’une autre cou-
leur) et son accessoire (sa valise marron) permettent au lecteur de l’identifier visuelle-
ment. L’association de tous ces indices illustratifs permet au lecteur de la retrouver sous
le nom de Véronique dans Le grand murmure.
Comme les autres personnages de La terre tourne, excepté l’homme en rouge,
elle aussi est nommée dans le cadre d’un autre album. Elle devient quelqu’un que le
lecteur peut appeler par son prénom, elle prend une identité personnalisée. Pour aider le
lecteur à la reconnaître, un animal conduit sur la piste. C’est encore le chien noir qui
249
« Kÿt, c’est Kitty Crowther jeune, quand je l’ai rencontré, qui m’a inspiré ce personnage. Elle était
toute blonde… » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à
Paris.
108
prend son prénom Killiok dans le cadre de ce même album. Ainsi, dans Le grand mur-
mure, le lecteur retrouve réunit Véronique, sa valise et Killiok. De personnages ano-
nymes dans La terre tourne, ils deviennent « quelqu’un d’identifié 250
».
La terre tourne Le grand murmure
Accueillie par le
chat jaune, elle
arrive avec sa va-
lise marron.
Elle s’appelle Vé-
ronique. Au télé-
phone, dans une
gare, avec sa valise
marron.
d) L’enfant
Pour retrouver cet enfant représenté dans les autres albums d’Anne Brouillard,
comment le lecteur peut-il reconnaître ce même personnage sous les traits de pinceaux
du narrateur imagier ?
Est-ce Natacha dans Le grand murmure, Colin du Rêve du poisson, Antoine dans
Reviens sapin, Lucie ou Thomas De l’autre côté du lac … ils sont tellement nombreux !
« C’est pratique quand ils ont des prénoms251
, comme ça on peut bien les reconnaître et
les appeler par leur nom sans les confondre. » Chaque enfant est effectivement unique
mais c’est ainsi que les couleurs252
peuvent influer sur l’apparence des personnages et
sur les résonnances que peut percevoir le lecteur. L’enfant porte des rayures253
rouge et
bleu comme le petit enfant dans Le voyageur et les oiseaux, comme le narrateur enfant
dans Le chemin bleu, mais aussi comme les enfants dans Il va neiger. Le petit garçon
dans Le temps d’une lessive est aussi habillé en bleu et rouge (deux vêtements unis254
).
250
« Véronique deviendra Véronica dans « l’album de ma vie » ». Extrait de l’entretien avec Anne
Brouillard du 07/11/2010. 251
« Lorsque les noms font image, ils durent. Et lorsque les images ont des noms, elles existent. » Thomas
et le Voyageur, op. cit., p. 178. 252
« De même que l’accent confère au mot prononcé un éclat coloré, de même la couleur donne à la
forme une plénitude et une âme. L’essence originale de la couleur est une résonnance de rêve, une lu-
mière devenue musique. » Johannes Itten, Art de la couleur, Dessain et Tolra, 1961, p. 12. 253
Tel un symbole de l’enfance, « la rayure n’attend pas, ne s’immobilise pas. Elle est en perpétuel mou-
vement (…) anime tout ce qu’elle touche, va sans cesse de l’avant, comme mue par le vent. » Michel
Pastoureau, L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, La librairie du XXe siècle,
Seuil, 1991, pp. 15-16.
Cette définition n’est pas sans rappeler la terre en perpétuelle mouvement, elle aussi, tout comme les
enfants ! 254
« Opposé à l’uni, le rayé constitue un écart, un accent, une marque. Mais, employé isolément, il de-
vient illusion, gêne le regard, semble clignoter, s’agiter, s’enfuir. » Ibidem., p. 146.
109
Tous les rapprochements, toutes les interprétations255
ne sont pas autorisés. Quelques
indices ne suffisent pas, comme le précise Catherine Tauveron256
, ou Sophie Van der
Linden257
pour se permettre des affirmations. Chaque lecteur peut imaginer cet enfant,
né dans La terre tourne, aller et venir, vivre, voyager … dans d’autres histoires d’Anne
Brouillard mais personne ne peut affirmer que son interprétation est la seule, bonne et
unique. À l’image des albums d’Anne Brouillard, la boucle continue sans jamais
s’arrêter. Et si ce personnage n’est pas encore revenu vivre de nouvelles histoires dans
d’autres albums, cela viendra peut-être un jour ou l’autre ? « Ça c’est un mystère ! »
comme dit si bien Anne Brouillard. Voyons les résonnances dans les couleurs des vête-
ments258
des enfants « Brouillardiens » :
La terre tourne
L’enfant arrive vêtu de
rouge et de bleu. Son
short est rayé.
Le voyageur et
les
oiseaux
Vêtu de rouge et de bleu
aussi. Son pull est rayé.
Le chemin bleu
Vêtu de bleu et de
rouge, il porte aussi des
rayures rouges.
Reviens
sapin
Antoine en lutin bleu
sur un fond de décor
rouge pour noël !
255
« Les images orientent l’interprétation générale de l’album, à travers leur contenu symbolique, le jeu
des formes et des correspondances, ou à travers l’organisation spatiale. Le sens n’est plus donné d’emblée.
Il a cessé d’être unique. Au lecteur de construire son interprétation à partir des propositions que lui font le
texte et l’image. » Michel Defourny, in Lire les images, p. 43. 256
« Les droits du lecteur ne peuvent outrepasser les droits du texte. » Lire la littérature à l’école, p. 31. 257
« Il y a un propos qui est tenu par l’auteur-illustrateur. Il n’est pas question, au titre du droit du lecteur,
d’interpréter l’œuvre abusivement. » Les albums sans texte sont de grands bavards, p. 1. 258
Ce même duo chromatique rouge / bleu se retrouve chez « l’homme en rouge » et chez Kÿt. Contrai-
rement à Véronique, qui fait plus mature, ils ont encore gardé leur âme d’enfant. Les couleurs de leurs
vêtements sont en harmonie avec leur caractère « juvénile » et « insouciant ». Ils vont de l’avant avec
entrain, comme les enfants. « Les couleurs ont leurs propres dimensions et forces de rayonnement et elles
donnent aux surfaces d’autres valeurs que les lignes. » J. Itten, op. cit., p. 20.
110
Quand les enfants sont plusieurs :
Il va neiger
Vêtus de bleu, bonnet
rouge et écharpe
rayée.
Le temps
d’une lessive
Deux vêtements /
deux couleurs unies
pour le garçon : le
rouge et le bleu. Blanc
et jaune pour la fille.
Promenade
au bord
de l’eau
Deux enfants, un vêtu
de bleu, l’autre vêtu
de rouge.
Le pays
du rêve
Vêtu de rouge au pays
du rêve en couleur.
Éloïse porte une
écharpe rayée dans le
réel en noir et blanc.
L’orage
Sarah et Éloïse en
balade : l’une en bleu
et l’autre en rouge.
Le grand
murmure
De teinte unie ou
rayée, les enfants sont
tous habillés en rouge
et bleu avec parfois du
blanc.
La famille
foulque
Tout comme au bord
de l’océan, il en est de
même autour de
l’étang,
De l’autre
côté du lac
et autour du lac, pour
Lucie et Thomas.
Pour colorer les vêtements des enfants, (mais aussi des autres personnages majo-
ritairement) le narrateur imagier utilise principalement deux couleurs : le rouge et le
bleu. « Le rouge, c’est le côté qui tranche avec le vert, il ressort dans un univers de vé-
gétation. Le bleu vient spontanément avec. J’aurais des difficultés à les faire en vert,
111
j’aurais peur qu’ils se confondent avec le reste. J’ai eu dans ma vie une veste d’un bleu
très vif entre cobalt et outre mer, sur les bords j’avais cousu des bordures rouges. J’ai
toujours aimé ces vêtements rouge et bleu, j’aime cette association259
». Le rouge est la
couleur préférée d’Anne Brouillard, et « aujourd'hui, partout en Europe, le bleu est de
très loin la couleur préférée260
». Le bleu et le rouge sont les couleurs primaires avec le
jaune mais aussi, le rouge et le bleu sont complémentaires. Dans le langage pictural,
« deux complémentaires fonctionnent comme des contraires, de telle sorte que, l’une
près de l’autre, elles produisent le contraste chromatique maximal261
», ainsi, les cou-
leurs des vêtements des enfants se remarquent très bien, elles « sautent aux yeux » du
lecteur. Toujours dans un souci d’harmonie262
chromatique, le narrateur imagier
n’oublie pas quelques touches de « blanc qui rayonne et efface les limites263
»
s’intégrant parfaitement avec le style « flou » et « en masse » d’Anne Brouillard et de
jaune. Car, comme l’explique Johannes Itten « on peut dire que : dès qu’une composi-
tion colorée de deux couleurs ou plus possède du jaune, du rouge et du bleu (…), elles
peuvent être considérées comme la totalité de toutes les couleurs. L’œil exige, pour être
satisfait, cette totalité ; on est alors en présence d’un équilibre harmonieux264
». Anne
Brouillard est donc « maîtresse en la matière » car elle réussit cet équilibre. De plus, les
vêtements sont généralement à rayures265
, tissu qui se remarque beaucoup mieux que
l’uni comme le démontre Michel Pastoureau dans son livre consacré à cette étude, « le
rayé pur n’arrête plus le regard. Il est trop effervescent pour ce faire. Il éclaire et obs-
curcit la vue, trouble l’esprit, brouille le sens266
». Décidément, comme le déclare Anne
Herbauts, « elle a bien un nom prédestiné ! » et en plus, elle a trouvé son style et ses
couleurs personnelles.
259
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 14/02/2011.
« Le rouge contraste avec le vert, sa couleur complémentaire, plus qu’avec aucune autre. La juxtaposition
des deux est un effet volontairement recherché afin d’accentuer la force chromatique de l’ensemble. » Les
fondamentaux, les techniques de l’artiste, l’art du dessin, Gründ, 2005, p. 255. 260
Michel Pastoureau, Bleu : Histoire d’une couleur, Histoire, collection Points, 2002. 261
Les fondamentaux de la couleur, L’art du dessin, éditions Gründ, 2006. 262
Ŗ Harmonie signifie équilibre, symétrie des forces.ŗ Johannes Itten, op. cit., p. 21. 263
Johannes Itten, op. cit., p. 19. 264
Ibidem., p. 22. 265
« J’ai eu ma période rayures … j’aime toujours, d’ailleurs ! » Extrait de l’entretien téléphonique du 14
février 2011. 266
Michel Pastoureau, L’étoffe du diable, op. cit., p. 147.
112
Quand l’histoire se déroule sur plusieurs jours, l’unité se voit aussi au fil des jours qui
passent :
La
famille
foulque
À la naissance, l’enfant porte déjà les rayures et la couleur rouge qu’il gar-
dera tout au long de l’album.
De
l’autre
côté du
lac
Sous le soleil, Lucie porte des
carreaux rouges et blancs (de la
même toile que le sac à provi-
sion du papa !). Pour regarder la
pluie tomber, elle porte des
rayures bleues. Lors de la ba-
lade, elle arbore les couleurs
rouge et bleue.
Le rêve
du
poisson
Avec ou sans rayures, Colin
garde le bleu. Orphie reste fidèle
au rouge au début et à la fin de
l’album.
La
maison
de
Martin
Martin habite dans la plaine :
chez lui, il porte des rayures
bleues et vertes. Quand il part à
l’aventure, il porte des rayures
rouges, plus voyantes sur les
chemins.
Les personnages de La terre tourne se rassemblent au fur et à mesure des pages
pour ensuite voyager, vivre des aventures ensemble et accueillir l’enfant. La vie conti-
nue, le voyage ne s’arrête pas là. Seuls ou à plusieurs, ils vivent de nouvelles aventures
dans le cadre d’autres albums. Le lecteur est le complice témoin de ces retrouvailles.
Grâce à ce don d’ubiquité, il les voit tous et partout. Il peut ainsi reconstruire le parcours
de chacun.
Qu’en est-il de l’environnement dans lequel évoluent les personnages ? Comme
une chasse aux trésors, de nouvelles lectures se mettent en place. Progressivement, pas à
pas, le lecteur reconnaît ces espaces qui lui deviennent familiers au fur et à mesure de
ses lectures, guidé par ce même narrateur imagier qui utilise des techniques plastiques
différentes tout en gardant son style.
113
B. L’environnement : la nature267
(accueillante, protectrice,
bienveillante, bienfaisante)268
« La terre tourne est un album que j’ai réalisé sans stress à côté de ce fameux lac
Teåkersjön dans la commune de Dalskog en Suède. Il a même été peint à l’eau du
lac269
».
1. L’album commence donc par l’ambiance sereine d’un paysage
enneigé
« Le blanc… est comme le symbole d’un monde où toutes les couleurs, en tant que proprié-
tés de substances matérielles, se sont évanouies… Le blanc, sur notre âme, agit comme le
silence absolu… Ce silence n’est pas mort, il regorge de possibilités vivantes… C’est un
rien plein de joie juvénile ou, pour mieux dire, un rien avant toute naissance, avant tout
commencement. Ainsi peut-être a résonné la terre, blanche et froide, aux jours de l’époque
glaciaire270
».
Ce décor évoque tout de suite l’environnement de Kÿt quand elle arrive au re-
fuge. Même la lune rappelle cet astre dessiné sur la première de couverture de La terre
tourne. « Mystère et Il va neiger représentent les forêts suédoises, c’est le même univers
naturel que celui de La terre tourne271
». La neige fait donc partie intégrante du pay-
sage ! Ainsi, dans l’univers imagier d’Anne Brouillard, la neige peut prendre plusieurs
aspects :
- Lisse : Mystère, Il va neiger, La famille foulque
- Floconneux : Petites histoires « des hauts et des bas », Il va neiger, Cartes postales
- Étoilé : Il va neiger
Toutes caractéristiques qui se retrouvent dans La terre tourne. La neige enve-
loppe le monde comme dans du coton, elle étouffe les bruits et rend le monde plus doux
à l’oreille comme au toucher. Ce paysage peut évoquer au lecteur les arbres « barbe à
papa » qu’Anne Brouillard a imaginé, comme enveloppé par la neige dans Le pays du
267
Gilles Clément « L’important est de réconcilier l’homme et la nature, pas de présenter le premier
comme le maître de la seconde. (…) J’appelle ça l’écologie humaniste. » in
http://www.nouvellescles.com 268
« C’est le paysage qui lui parle, un paysage dans lequel elle aime être et travailler, c’est le paysage qui
lui parle et l’inspire. » Gilles Aufray, dans son courrier du 15 novembre 2010, au sujet du travail
d’illustratrice d’Anne Brouillard.
Anne Brouillard vit une vraie relation privilégiée avec la nature et elle l’offre à ses lecteurs. 269
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 270
« W. Kandinsky, L’esthétique de la solitude », in P. Kaufman, L'expérience émotionnelle de l'espace,
éditions Vrin, collection Problèmes et controverses, 2000, p. 223. 271
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010.
114
rêve ou encore Demain les fleurs. Leurs fleurs semblent comme du coton ou du duvet,
délicates et douces au toucher comme des flocons de neige.
Comme les flocons de neige, en toute saison, chaque élément fait partie d’un
tout et le tout se retrouve dans chacune de ses petites particules. D’ailleurs, si le lecteur
demande quelle est sa saison préférée à Anne Brouillard, elle répond qu’elle « aime le
passage d’une saison à l’autre, les changements de couleurs et de lumière aux inter-
saisons. » Par exemple, dans La terre tourne, le lecteur visite toute sortes de lieux dans
des atmosphères et à des saisons différentes. Dans La famille foulque, le narrateur ima-
gier présente le même espace à des saisons différentes. Quoi qu’il en soit, par ce défile-
ment des saisons, le lecteur circule au rythme de la terre qui tourne dans le temps et
dans l’espace.
2. Le paysage lacustre de La terre tourne rappelle le ciel bleu nuit
de Mystère
mais aussi celui de Il va neiger. Sous le pinceau d’Anne Brouillard, les éléments natu-
rels se transforment tout naturellement pour finalement se confondre harmonieusement.
Le lecteur contemple donc des flocons de neige devenir des étoiles scintillantes dans la
nuit. Ces décors oniriques plongent inévitablement le lecteur dans une contemplation
poétique. Anne Brouillard sait évoquer cette atmosphère de l’Europe du nord avec ses
couleurs fascinantes. Ce bleu profond permet le réfléchissement de la lumière de la lune.
C’est ce même lac qui sert de cadre à l’histoire de Tante Nadège, Lucie, Thomas,
Alpha et Toka. Sur leur trace, sur le chemin, sur et autour du lac, le lecteur suit leur ren-
contre et leur aventure. Le temps passe paisiblement dans cet environnement. Pour la
création de l’album La terre tourne :
- Son eau a servi de diluant et de « pot à pinceaux »,
- Son cadre est la source d’inspiration et l’espace de création pour l’artiste272
mais, le
narrateur imagier ne le peint qu’à deux reprises.
272
« Comme ses personnages, Anne Brouillard arpente un territoire à la fois réel et rêvé, celui d’un pays
et d’un paysage créés de toutes pièces grâce aux acteurs d’une tradition culturelle et artistique. L’album
dit de littérature de jeunesse ne peut se regarder ni se lire sans lien avec la culture dont il se réclame de
manière plus ou moins explicite, ni sans intégration dans un espace artistique dont il est issu ou dont il
subit les influences. Le lecteur peut aussi appréhender le paysage dans toutes ses dimensions et com-
prendre ainsi que l’album, avec ses moyens propres, participe à la définition d’un paysage réel et mental
extrêmement précis. Ce lecteur se fait alors arpenteur de territoires qui sont avant tout culturels, d’espaces
marqués par des œuvres qui y sont encrés certes, mais surtout ancrés. » Patrick Joole, op. cit.
115
Pour la création de l’album De l’autre côté du lac, son cadre et son ambiance
sont la source d’inspiration pour l’artiste et le narrateur imagier l’évoque à chaque page.
D’ailleurs, le titre même de l’album le pose en vedette. C’est autour de lui que les pages
vont s’effeuiller et les personnages évoluer. De façon similaire, la lecture progresse
« tout autour de la terre » dans l’un et « tout autour du lac » dans l’autre.
Une balade en barque ménage bien des surprises pour le lecteur : les corbeaux
s’y font promener sur une branche ! L’humour du narrateur imagier peut se révéler aussi
par ces petits détails très personnels. En effet, il est tout aussi naturel de se promener sur
une branche en barque que d’y regarder la télévision ou d’y faire des crêpes dans Le
bain de la cantatrice, comme il est tout aussi possible d’en faire sur la lune avec une
machine à laver dans Le temps d’une lessive. Ainsi, le narrateur illustratif offre des con-
nivences à chaque lecteur selon ses affinités visuelles et ses niveaux de lectures. La
barque permet aussi d’aller d’un côté à l’autre du lac. C’est plus rapide et moins fati-
guant ! C’est le moyen de transport idéal pour faire du cabotage le long des rives du lac
aux contours sinueux. Sa forme ménage de petites criques où il est très agréable
d’accoster. Ces mêmes berges où il est bon de partager un pique-nique assis contre un
arbre.
La promenade sur un lac symbolise une atmosphère paisible et conviviale
comme on peut aussi la rencontrer dans Promenade au bord de l’eau ou Le grand mur-
mure. Se retrouver autour d’un étang pour une partie de pêche ou un pique-nique parta-
gé entre amis, c’est possible dans Le pêcheur et l’oie ou La famille foulque. Le fait de se
retrouver autour ou sur un point d’eau apaise l’être humain. L’effet de l’eau calme in-
fluence le tempérament humain. Est-ce l’effet de la couleur ? L’effet des ridules légères
et régulières à la surface de l’eau ? Le son du clapotis de l’eau qui berce ? Le narrateur
imagier s’efforce de faire ressentir cette ambiance au lecteur afin qu’il profite lui aussi
de cette plénitude vécue par les personnages.
Le canal évoque un monde de plaisance mais de travail aussi. Ainsi, les péniches
peuvent être des habitations fluviales comme dans La terre tourne mais aussi des ba-
teaux de transports comme dans Voyage. Le canal, le fleuve, la rivière sont des cours
d’eau vivants et animés sur l’eau et sur les rives aussi. Contrairement à l’animation
tranquille sur le lac ou l’étang, s’y côtoient des gens en vacances et d’autres en activité
professionnelle. Que l’on soit en repos ou au travail, La terre tourne toujours au même
rythme pour tout le monde.
116
La mer ou l’océan peut être un point d’arrivée comme dans La terre tourne, La
maison de Martin ou Promenade au bord de l’eau. Cet espace océanique peut aussi
devenir le cadre d’un album comme c’est le cas dans plusieurs albums : La grande
vague, Le grand murmure, Trois chats par exemple. Regarder l’océan, se promener au
bord de l’océan sont des activités apaisantes mais, que les personnages se retrouvent au-
dessus ou dedans et alors, l’eau peut devenir agitée. La mer est en perpétuelle mouve-
ment tout comme la terre. Les animaux aquatiques y sont dans leur élément mais pour
les autres, cela peut s’avérer aventureux !
Sous toutes ses formes et ses représentations, cet élément vital pour toute forme
de vie est présent dans tous les albums. Le cycle de l’eau peut métaphoriquement évo-
quer la narration en boucle chère à Anne Brouillard.
3. Les éléments273
, l’unité du monde274
La terre tourne sur
elle-même et dans
l’univers.
Le temps d’une lessive
La terre tourne
parmi les pla-
nètes.
Le chemin bleu
La terre est ronde.
Cartes postales
La terre tourne et
tout tourne avec
elle
La grande vague
Les éléments
tournent avec la
terre.
273
« Ils ne sont point irréductibles entre eux ; au contraire, ils se transforment les uns dans les autres. »
Dictionnaire des symboles, p. 395. 274
« L’unicité de la nature, c’est dans leur relation, ce qui les associe, les rend à la fois intimes, uniques
mais indissociables. (…) L’univers est ostensible et baroque, « enveloppant », avant tout il est vivant, son
identité n’est pas une figure, une forme, c’est un comportement. Ce que nous avons à dire est de l’ordre
du symbole. » Thomas et le Voyageur, op. cit., pp. 97-98.
117
Grec Hindouisme et
Bouddhisme
Japonais
(Godai)
Tibétain
(Bön)
L’air
L’eau Aether Le feu
La terre
Vayu*/Pavan (Air/vent)
Ap/Jala Akasha Agni/Tejas (L’eau) (Aether) (Le feu)
Prithvi/Bhumi (La terre)
*souffle vital, souffle cosmique
風 (Air/vent)
水 空 火 (Eau) (vide/ciel) (Feu)
地 (Terre)
Air
Eau Espace Feu
Terre
Source : http://www.worldlingo.com/ma/enwiki/fr/Five_elements_%28Japanese_philosophy%29
Si l’on rapproche ces quatre tableaux traditionnels, on s’aperçoit qu’ « un cin-
quième élément était rattaché 275
» l’aether276
, le ciel ou l’espace. Il est d’ailleurs bien
vrai que « La terre tourne tranquillement, dans l’univers parmi les étoiles » dans le
monde d’Anne Brouillard. « Ces éléments ont leur correspondance dans la symbolique
fondée sur l’analyse de l’imaginaire277
». Mais aussi, on peut relier ces éléments aux
symboles si l’on considère que « les divers phénomènes de la vie se ramènent aux mani-
festations des éléments qui déterminent l’essence des forces de la nature278
». La nature
et tout ce qui compose notre planète tournent donc dans l’espace, générant un cycle per-
pétuel de renouvellement des éléments. Ils ne sont pas isolés mais complémentaires et
interdépendants comme l’illustre l’image de La grande vague : Le feu appelle l’air qui
soulève l’eau qui nourrit la terre.
Les animaux aussi font partie intégrante de cet équilibre, comme l’illustre
l’image de Cartes postales.
a) L’air279
L’air est invisible, immatériel tout en étant pesant et vital pour toute vie sur la
planète terre. Pour ressentir l’air, il doit souffler : légère brise, vent ou rafales, autant de
275
Dictionnaire des symboles p. 395. 276
« Par extension, les espaces célestes. (…) L'éther, en tant que fluide subtil et universel, est mentionné
dès 1753. ♦ Le fluide le plus subtil qu'ait produit la nature, celui qui se trouve répandu partout, et que l'on
nomme éther, BEAUSOBRE, Dissertat. philos. p. 3 » Dictionnaire Le Littré. 277
« Ils sont la base de ce que Bachelard a appelé l’imagination matérielle, cet étonnant besoin de péné-
tration qui, par-delà les séductions de l’imagination des formes, va penser la matière, rêver la matière,
vivre dans la matière ou bien … matérialiser l’imaginaire. » Pour Jung, « les diverses combinaisons de
ces éléments et de leurs rapports symbolisent la complexité et la diversité infinie des êtres ou de la mani-
festation ainsi que leur perpétuelle évolution d’une combinaison à une autre, suivant la prédominance de
tel ou tel élément. » Dictionnaire des symboles, p. 395-396. 278
Ibidem., p. 396. 279
« L’air est un symbole de spiritualisation. (…) Il représente le monde subtil intermédiaire entre le ciel
et la terre. (…) L’air est le milieu propre de la lumière, de l’envol, du parfum, de la couleur, des vibra-
tions interplanétaires. » Ibidem., p. 19.
118
manifestations sensibles de l’air. Pour voir l’air, il doit bouger : les feuilles des arbres,
les cheveux des personnages, les nuages ou les maisons280
dans l’imagination du narra-
teur imagier. Le déplacement de l’air permet donc de matérialiser le mouvement dans
l’espace. L’air prend tout l’espace disponible, il est expansible, c’est ainsi qu’il peut
gonfler un ballon ou la voile d’un bateau. Pour être respiré, l’air peut prendre des odeurs
agréables comme celle d’une fleur ou d’une tasse de café mais, il peut aussi s’imprégner
d’odeurs nauséabondes comme celle de l’eau stagnante parfois. Pour se faire entendre, il
sait flotter sur l’air d’une musique comme accompagner le passage d’un train ou le
chant d’un oiseau. L’air s’adapte aux sens afin de manifester sa présence. Il est partout
et il veut que cela se sache. Car, même s’il a « l’air de rien », il est essentiel à la vie.
b) L’eau281
Cet élément est certainement le plus représenté dans les albums d’Anne Brouil-
lard. Le globe terrestre est tout bleu, illustrant cette planète bleue recouverte à 72 % par
de l’eau. L’eau est matérialisée sous toutes ses formes : liquide, solide et gazeuse. Au
rythme des saisons et des paysages, l’eau se présente sur terre, sous terre ou dans les
airs. Elle peut donc changer d’apparence et bouleverser l’atmosphère. Elle peut être
tranquille dans un lac ou sous l’océan comme elle peut devenir agitée et houleuse en
surface. Elle peut tomber sous forme de pluie fine ou de flocons de neige comme elle
peut devenir un orage ou un déluge. Les nuages adaptent leurs formes et leurs couleurs
selon son humeur. Les êtres vivants adaptent leurs comportements et leurs habitudes
selon ses caprices. L’eau prend la couleur du ciel, elle reflète la couleur de son environ-
nement. C’est ainsi qu’elle prend des teintes bleutées quand le temps est calme et pai-
sible mais qu’elle peut devenir verdâtre quand elle n’est pas dans son environnement
habituel.
L’élément liquide matérialise métaphoriquement le liquide amniotique, univers
de création de vie. Il illustre le retour aux sources tel le retour au lac, espace maternel.
Mais aussi, il représente le cadre autour duquel les hommes et les animaux se retrouvent
280
« L’élément air, dit saint Martin, est un symbole sensible de la vie invisible, un mobile universel et un
purificateur. » Ibidem., p. 19. 281
« Les significations symboliques de l’eau peuvent se réduire à trois thèmes dominants : source de vie,
moyen de purification, centre de régénérescence. (…) Les eaux, … représentent l’infinité des possibles.
(…) Souffle vital, elle est aussi don du ciel et symbole universel de fécondité et de fertilité. (…) L’eau
vive, l’eau de la vie se présente comme un symbole cosmogonique. (…) si les eaux précèdent la création
… elle peut ravager et engloutir. (…) symbole de la dualité du haut et du bas : eau de pluie-eau des
mers. » Ibidem., pp. 374-382.
119
ensemble en paix. Au fil des pages, l’eau irrigue l’univers imagier d’Anne Brouillard.
Le passage d’un lieu à l’autre se fait souvent le long de, autour ou à travers cet élément.
De par sa nature « liquide », l’eau permet l’ondulation du mouvement et facilite ce pas-
sage d’un monde à l’autre. Tel un miroir, elle reflète la réalité et l’imaginaire. La rive
symboliserait ce mince interstice entre le réel et l’imagination. Comme les portes et les
fenêtres laissent passer la lumière, de l’intérieur vers l’extérieur et réciproquement,
l’eau réfléchit l’un et l’autre univers. C’est ainsi qu’elle peut même s’écouler à l’envers.
De par son mouvement perpétuel, même une eau calme est toujours mouvante, elle ac-
compagne le tournement de la terre et la vie de ses habitants. Ses lignes sont courbes,
évoquant un monde doux et féminin. Cet élément s’adapte parfaitement à la terre. Qu’y
a-t-il de l’autre côté ? Tel son reflet à la surface de l’eau, l’être humain est curieux de se
découvrir. Ainsi, qu’il choisisse de la contourner ou de la traverser, l’eau lui facilite le
cheminement d’un côté à l’autre. Ses miroitements s’apparentent aux paysages qui défi-
lent derrière la vitre d’un train. Images du monde toujours en perpétuel mouvement,
même si l’on choisit de rester là, à regarder l’eau ou le train qui passe.
c) Le feu282
Le feu est l’élément le moins visible dans les albums d’Anne Brouillard. Le nar-
rateur imagier le représente peu. Les fonctions premières du feu étaient certainement
d’éloigner les bêtes sauvages la nuit, réchauffer l’atmosphère froide ou humide, cuire
les aliments, fondre le métal… L’invention du feu a bouleversé l’histoire de l’humanité
tout comme l’arrivée du feu transforme l’environnement dans La grande vague283
, lé-
282
« La plupart des aspects du symbolisme du feu sont résumés dans la doctrine hindoue… c'est-à-dire le
feu ordinaire, la foudre et le soleil. (…) Le feu symbolise les passions ou l’esprit. (…) Les taoïstes entrent
dans le feu pour se libérer du conditionnement humain. (…) La purification par le feu est complémentaire
de la purification par l’eau, sur le plan microcosmique (rites initiatiques) et sur le plan macrocosmique
(mythes alternés de déluges et de grandes sécheresses ou incendies. (…) Comme le soleil par ses rayons,
le feu par ses flammes symbolise l’action fécondante, purificatrice et illuminatrice. Le feu est également,
en tant qu’il brûle et consume, un symbole de purification et de régénérescence. » Ibidem., pp. 435-438. 283
« La grande vague ou le jeu des métamorphoses : Dans cet album d’une beauté plastique et d’une
poésie infinie, pas de personnages. Rien qu’un paysage qui se métamorphose au fil des pages, des zooms
arrière et avant. Une histoire ? Au lecteur ou au spectateur ? de l’inventer au gré de son imagination.
Entre les troncs, soudain, une lueur. Une flamme ? Sans doute. Un incendie ? Peut-être. On tourne la
page : gros plan sur cette lueur orange qui change de couleur, on passe des couleurs chaudes aux couleurs
froides. Le feu devient eau, le brasier mer, la flamme vague. Un zoom arrière et voilà un paysage noc-
turne de mer peuplé de poissons multicolores. Tournons la page et les voilà transformés en oiseaux de
paradis dans une forêt tropicale ornée de fleurs éclatantes. On notera la suprême beauté de la dernière
double-page, avec sa faune et sa flore chatoyantes. D’abord plaisir des yeux, cet album constitue un
hymne à la nature et à la multiplicité de ses métamorphoses et de ses paysages. (…) Lorsqu’on a est saisi,
happé par La grande vague, on se laisse emporter. (…) Pour son formidable potentiel poétique, la mer-
120
chant les arbres, dansant parmi eux, se contorsionnant dans l’air, pour prendre la forme
puis la consistance d’une grande vague d’eau qui fera apparaître des petits poissons
multicolores qui prendront l’apparence d’oiseaux de toutes les couleurs dans cette nou-
velle forêt qui s’est régénérée après le passage du feu. Dans cet espace, après avoir eu
un effet destructeur, le feu devient un élément régénérateur pour la nature. Dans la dua-
lité, l’effet positif prend toujours le pas sous le pinceau de l’illustratrice284
.
Si le feu réussit à éloigner les bêtes sauvages du campement, il ne réussit pas à
déloger les poissons qui ont pris possession de l’âme de la maison. Le feu n’a pas tous
les pouvoirs dans le monde surnaturel. Cependant, perdue et seule dans un refuge, Kÿt
apprécie la chaleur et le réconfort d’un bon feu de cheminée. Le feu réchauffe le corps
et le cœur. Ses flammes ont un effet hypnotique285
sur l’être humain du fait de leurs
couleurs et de leurs danses crépitantes.
d) La terre286
Cet élément est le socle nécessaire à toute vie sur la planète. La terre nourrit les
êtres vivants, permet la construction et les déplacements, tout autour de la terre. Si la
planète terre est la planète bleue, la terre prend des teintes et des nuances différentes en
fonction des saisons, des aménagements qu’elle subit, des nuages qui passent dans le
ciel, cachant le soleil … Elle peut donc être verte ou jaune au printemps par exemple
comme blanche sous la neige en hiver. La terre est un élément absorbant car la pluie s’y
infiltre pour la nourrir. Elle subit les assauts du vent qui emporte tout sur son passage.
Le feu, quant à lui peut la ravager comme la nourrir de ses cendres. La planète terre elle,
tourne dans l’univers, toujours au même rythme, entraînant dans sa ronde tous les élé-
ments et les êtres vivants qui l’habitent. La terre est nourricière, elle représente les ra-
veilleuse luminosité de ses illustrations, La grande vague mérite donc qu’on se laisse porter par elle. Un
tel album ouvre des possibilités infinies en poésie et en arts plastiques. » in http://www.intercdi-
cedis.org/spip/intercdiarticle.php3?id_article=1188 284
« …Comme pour La grande vague, l’idée m’est venue en quasi trois secondes. J’étais assise devant un
feu de cheminée avec une pochette de feutres Bic sur les genoux et « tac tac tac », je l’ai fait en petites
vignettes. C’est ce que j’avais envie de raconter, toute l’histoire était là. Le plus difficile, c’était de le
refaire en grand ! ». Extrait de l’entretien téléphonique du 21/03/2011. 285
« … cette observation hypnotisée qu’est toujours une observation du feu. Cet état de léger hypnotisme,
dont nous avons surpris la constance (…) Il ne faut qu’un soir d’hiver, que le vent autour de la maison,
qu’un feu clair, pour qu’une âme douloureuse dise à la fois ses souvenirs et ses peines. » Gaston Bache-
lard, La psychanalyse du feu, éditions idées/Gallimard, 1949, p. 12. 286
« Elle supporte, tandis que le ciel couvre. (…) La terre est la substance universelle. (…) Universelle-
ment, la terre est une matrice qui conçoit les sources, les minerais, les métaux. La terre symbolise la fonc-
tion maternelle. » Dictionnaire des symboles, op. cit., p. 940-942.
121
cines stables, celles qui ne bougent pas, celles dont chacun a besoin pour se construire et
s’élever. Alors que sa forme ronde invite à l’évasion et au voyage, « jusqu’au bout du
monde », car il est tentant d’aller voir ce qui se passe derrière la ligne d’horizon, de
l’autre côté de la terre. Est-il trop audacieux d’avancer l’idée que la terre, les racines
sont illustrées par les arbres dans l’univers imagier d’Anne Brouillard. La terre, la pla-
nète ronde qui tourne est illustrée par la ligne de chemin de fer. À partir de cette nou-
velle hypothèse de lecture, il serait possible d’étudier les albums à la lumière des cinq
éléments chinois qui sont : le feu, l’eau, le bois, le métal et la terre associés au concept
du Yin et du Yang.
4. La ville, un paysage créé par l’homme : un paysage en perpé-
tuelle mutation, toujours en mouvement … comme la terre
Dans La terre tourne la ville est aperçue depuis la fenêtre de l’appartement de
l’homme en rouge et Killiok. Le village est vu depuis l’extérieur sous le soleil. Dans le
cadre de cet album, le lecteur pourrait visiter chaque paysage à travers la vitre d’un train.
Dans Voyage, c’est chose faite. Les enfants traversent la ville en train et, ils y voient les
mêmes « immeubles », le même « coin de rue », le même « manège » et la même
« place ». Par ce va-et-vient d’album en album, deux lieux représentés séparément peu-
vent se retrouver unis par la lecture d’un autre album. Le pont avec ses arcades renforce
cette idée de déjà vu quelque part. Cette place peinte sous le soleil évoque celle de
Voyage, à un autre moment de la journée, le soir, avec ses promeneurs et les clients as-
sis à la terrasse du café ouvert. Il en est de même pour le « manège » autour duquel la
foule s’assemble. Dans La terre tourne, la ville est représentée comme un décor servant
de cadre à l’évolution des personnages dans l’espace. Ils ne rencontrent personne.
Comme dans Sept minutes et demie, la ville semble une zone topographique permettant
le déplacement des seuls protagonistes de l’histoire. Sont-ce des villes inhabitées ?
Ailleurs, dans Voyage, Reviens sapin, Le voyageur et les oiseaux, Le temps
d’une lessive, Le grand murmure par exemple, la ville est habitée et vivante. Des gens y
vivent, y bougent, y travaillent, s’y rencontrent, vont et viennent, y restent… Leur pré-
sence est sensible.
122
D’autres thématiques comme les plantes, le ciel, les arbres, les forêts, la plaine,
le voyage, l’intérieur et l’extérieur … pourraient aussi être étudiées comparativement à
partir de La terre tourne. Nous avons opté pour les plus représentatives à notre sens.
La terre tourne présente l’échantillonnage environnemental terrestre. La terre est
vue dans sa globalité et dans son mouvement perpétuel. Tout y est donc en déplacement
et en transformation. Cependant, tout comme les personnages et l’environnement y sont
des repères vivants pour le lecteur, les objets accompagnent aussi la lecture d’un album
à l’autre.
C. Les objets (matériels)
1. Le ballon rouge287
: symbole de l’enfance, du jeu et de
l’insouciance, de l’action, des rencontres entre amis, des cadeaux of-
ferts par les adultes …
Dans La terre tourne, le ballon rouge est le présent choisi par Kÿt. D’après
l’environnement et son attitude, le lecteur suppose qu’elle l’a trouvé à la fête foraine. En
effet, ce ballon de baudruche est très prisé par les enfants lors de cette circonstance fes-
tive. Mais aussi, il peut illustrer la joie du « retour en enfance », le refus de vieillir,
d’être enfermé, de renoncer à ses rêves, l’envie d’aller jusqu’au bout de ses rêves
d’enfance et le bonheur d’être entouré d’amis, une « ode » à la vie, à la liberté et au cou-
rage dans le dessin animé Là-haut : Ces ballons sont toujours de cou-
leurs vives car, ils sont là pour attirer le regard et susciter le bonheur « enfantin ».
Quand ils sont accrochés tous ensemble, multicolores, on dirait un arc en ciel qui se
déplace dans le ciel.
Dans les albums d’Anne Brouillard, le ballon ou plus exactement les ballons
sont rouges :
« Le rouge … possède l’ambivalence symbolique … selon qu’il est clair ou foncé. L’un en-
traîne, encourage, provoque (…) ; l’autre alerte, retient, incite à la vigilance. (…) Il n’est
pas de peuple qui n’ait exprimé cette ambivalence d’où provient tout le pouvoir de fascina-
287
« Le rouge vif … incite à l’action ; il est l’image d’ardeur, … de jeunesse, de santé. (…) Il incarne la
fougue et l’ardeur de la jeunesse. » Ibidem. p. 832.
123
tion de la couleur rouge, qui porte en elle intimement liées les deux plus profondes pulsions
humaines : action et passion, libération et oppression288
».
Ici, cette ambivalence symbolique se retrouve plutôt au niveau de la forme et de
l’utilisation car il s’agit d’un ballon flottant dans l’air ou retombant au sol. L’un est
ovale, libre, aérien mais retenu sur terre par une ficelle ; l’autre est rond, pesant, passif
mais devient actif au contact d’un pied ou d’une main humaine. Tout au long des al-
bums, le lecteur rencontre donc, sur les traces des enfants289
, ce ballon rouge290
:
- le ballon solitaire : le ballon qui flotte au vent, le ballon attaché avec une ficelle.
C’est ce même ballon de baudruche qui permet au lecteur de reconnaître
l’ambiance de la fête foraine dans Voyage bien que l’illustration soit en noir et blanc.
Entre l’image de La terre tourne et celle de Voyage, le temps est passé, la nuit est tom-
bée et le public est arrivé. Que ce soit dans Le temps d’une lessive ou dans Promenade
au bord de l’eau, ce ballon est toujours celui d’un seul enfant, il se joue en solitaire avec
le vent. D’ailleurs, ce dernier finira par l’emporter avec lui à la fin de l’album Prome-
nade au bord de l’eau, laissant l’enfant sur la plage avec la famille et les amis. Par cette
nouvelle résonnance, le lecteur peut se demander si cet enfant ne serait pas l’enfant ac-
cueilli à la fin de La terre tourne. Dans Le temps d’une lessive, il y a deux enfants. Donc,
il est tout à fait normal qu’ils en aient chacun un. Le jaune291
pour la fille et le rouge
pour le garçon292
.
- le ballon partagé : le ballon qui se pousse au pied, le ballon qui se joue à la main, le
ballon qui roule, le ballon abandonné au bord du chemin.
Quand les enfants se retrouvent à plusieurs, le ballon s’adapte à leurs jeux.
Quand l’enfant est seul, il joue avec l’inclinaison du terrain. Quand l’enfant est devenu
un adulte, le ballon se retrouve abandonné au bord du chemin, trace visible de
l’insouciance passée. Ce ballon rond roule dans la pente, devançant les pas de l’enfant,
288
Ibidem. pp. 831-833. 289
« … enfants … dont on connait l’universelle attirance pour la couleur rouge. » Ibidem., p. 833. 290
Le ballon rouge se retrouve dans nombre d’univers imagiers pour la jeunesse. Il se transforme sous
l’imagination de Iela Mari et Sara, par exemple ; il accompagne Mon petit monde de Margaret Wise
Brown ; il prend une valeur de liberté, d’insouciance, d’amour … et il occupe une place typographique
symbolique dans Le petit inconnu au ballon de Jean Baptiste Cabaud et Fred Bernard où le narrateur
textuel l’intègre dans son texte. Chaque « o » du texte est illustré par ce symbole « o » afin de rappeler au
lecteur combien la guerre est « injuste » et cruelle. Le signe est solidaire du sens. 291
« Le jaune est la plus chaude, la plus expansive, la plus ardente des couleurs. (…) Il est le véhicule de
la jeunesse, de la force, de l’éternité divine. » Dictionnaire des symboles pp. 535 Ŕ 537. 292
« C’est une couleur masculine » in http://www.creatic.fr/cic/B022Doc.htm
124
il ne s’arrête jamais dans sa course, tout comme la terre tourne encore et toujours. Fidèle
compagnon de l’enfance, il ne s’arrête que quand l’enfant est trop grand pour jouer avec
lui. Symbole de la convivialité enfantine, il se joue au pied dans Le chemin bleu, Le
bain de la cantatrice et Rêve de lune. Sur ses traces, le lecteur et les personnages évo-
luent dans l’espace et le temps qui passe. Il se joue à la main dans La famille foulque,
Julie capable et L’homme qui était sans couleurs.
De par ses multiples facettes, le ballon est l’objet idéal pour illustrer le monde de
l’enfance. Offert à cet enfant attendu dans La terre tourne, c’est donc tout naturellement
qu’il accompagne les jeunes personnages dans de nombreuses histoires pour la jeunesse
illustrées ou imaginées par Anne Brouillard.
2. La valise : symbole du voyage, les gens qui vont et viennent,
ceux qui ne s’arrêtent jamais mais aussi ceux qui déménagent ailleurs
pour y être mieux ou pour des raisons de restructuration de l’espace,
ceux qui doivent partir de chez eux, ceux qui sont morts…
Comment représenter le passage de l’enfance à l’âge adulte. Cette période
« entre-deux » où les rêves changent, où certains se perdent et où d’autres deviennent
réalisables ? Cette transition dans la vie de l’être humain qui va « prendre son envol »,
devenir peu à peu autonome pour enfin partir du « giron » familial ? C’est le moment où
l’on a envie de « faire sa valise » pour aller voir ailleurs … même si l’on ne sait pas
encore que l’on reviendra un jour, comme l’illustre Le chemin bleu.
La valise est aussi le symbole du voyage, au rythme de la terre qui tourne, tout
autour de la terre qui est ronde, sur les traces des personnages de La terre tourne. Dans
l’univers imagier d’Anne Brouillard, cette valise a une forme, une couleur, une âme …
De ce fait, le lecteur la reconnaît malgré la grande disparité des environnements dans
lesquels elle se trouve. Cette petite valise rectangulaire marron arrive doublement dans
l’univers imagier de La terre tourne. C’est tout d’abord l’homme en rouge puis la dame
en vert qui arrivent, chacun avec la leur. Leur arrivée est d’ailleurs similaire. Chacun
pose sa valise à sa droite afin d’avoir les mains libres pour saluer son hôte animal. La
valise est donc utilisée pour transporter ses bagages, partir en voyage mais, une fois
arrivée, on la pose afin de s’installer pour un moment ou pour toujours selon les cir-
125
constances. Dans La terre tourne, Voyage, Le voyageur et les oiseaux ou Le grand
murmure, cette valise est « de voyage », « de passage » alors que dans Le chemin bleu,
elle se pose pour longtemps car le narrateur revient pour s’installer ici. Elle peut aussi se
retrouver là pour toujours, car, après la mort de son propriétaire, qu’en faire ? (Le rêve
du poisson) Elle devient alors la trace, le souvenir de l’être aimé et disparu. « On se
demande où vont ceux qui sont morts ? ». Si la présence et la vue de cette petite valise
n’apportent pas de réponses, elle permet de ne pas oublier celui ou celle à qui elle a ap-
partenu. Dans de telles circonstances, le grenier, cet endroit « où le temps semble sus-
pendu » semble bien être le coin idéal pour la poser.
Que les illustrations soient en couleurs ou en noir et blanc, cette petite valise est
très reconnaissable du fait de ses particularités adaptables en fonction des personnalités
des personnages et des situations dans lesquelles ils se trouvent.
C’est ainsi que Le grand Michu l’emporte avec lui quand il doit entrer au pen-
sionnat. Cette même petite valise peut être utilisée en tant qu’ « attaché case » pour les
besoins de la narration. Par contre, pour une balade en forêt, le sac à dos est plus pra-
tique car il laisse les mains libres. Pour faire les courses, une balade sur le chemin ou
une partie de pêche, le panier est plus adapté au pique-nique et à la « prise miracu-
leuse » ! Quand il s’agit de partir au pays du rêve ou à la recherche de sa maison, alors
là, pas besoin de valise car le personnage part à la découverte de l’inconnu. Et quand il
est question de partir précipitamment ? Les personnages n’ont pas le temps de faire leur
valise, ils emportent donc tout ce qu’ils peuvent « en vrac » et ils embarquent vers
d’autres horizons moins humides. La valise s’adapte aussi à la personnalité des person-
nages. Une vieille dame sera équipée d’une valise à roulettes tandis qu’un vieux voya-
geur « musicien » portera une valise de la taille de son instrument (une flûte certaine-
ment). Il en est de même pour Élisabeth qui va « jouer de l’accordéon au château. »
3. La cafetière : illustre les gens qui restent là parce qu’ils y sont
bien, symbole de l’accueil, le partage, la chaleur humaine, recevoir des
amis, la pause conviviale, le café : le goût, l’odeur, le réveil quotidien et
rassurant …
Une fois que les adultes sont bien confortablement installés chez eux ou en
pause, au cours d’un voyage, que font-ils ? Ils partagent un café en famille ou entre amis.
126
C’est ainsi que la cafetière se retrouvent dans la plupart des albums d’Anne Brouillard
symbolisant cette convivialité entre adultes. Mais aussi, quand ils vivent seuls, la cafe-
tière les attend pour leur procurer un peu de chaleur.
La cafetière rouge de La terre tourne, tout comme la ligne de chemin de fer
prend une double signification dans Le pays du rêve. En effet, elle aussi se retrouve
dans les deux mondes : celui de la réalité et celui du rêve. Sa présence dans la maison
« réelle » n’est pas étonnante pour le lecteur sensible aux résonnances car, il la retrouve
dans L’orage. Elle existe donc bel et bien chez ces gens qui habitent ici. Mais alors,
comment peut-elle se retrouver à la fois dans les deux mondes, le vécu et le rêvé dans
Le pays du rêve ? C’est même elle qui attend les voyageurs, posée sur une table près de
la voie ferrée et du bateau. Elle semble être la « vedette » de cet album, image rouge
détourée sur le fond blanc de la page de titre. Cette cafetière symboliserait cette am-
biance mystérieuse et « utopique » caractéristique des albums d’Anne Brouillard. En
effet, dans La terre tourne, ce ne sont pas les êtres humains qui l’utilisent mais le chien
noir qui d’ailleurs lit aussi le journal ! Tout le monde est mis sur un pied d’égalité dans
cet univers imagier. Ainsi, la cafetière rouge deviendrait « animée » et serait libre de se
dédoubler. Où que l’on se trouve, elle symbolise le fait que l’on est toujours attendu par
« quelqu’un » ou « quelque chose ». Nous ne sommes jamais seul sur terre et nous
avons tous besoin les uns des autres pour y vivre en harmonie.
Comme les autres personnages, la cafetière rouge évolue dans l’univers imagier
d’Anne Brouillard. Sa place, son rôle change mais son apparence et sa présence inter-
pellent toujours l’œil « dénicheur » du lecteur. Elle peut se positionner en tant qu’ :
- Accessoire au sein d’illustrations de pleine page dans La terre tourne, par exemple.
- « Label » au centre de la page de titre dans Le pays du rêve,
- Objet « animé » de tremblements sous l’effet du bruit du tonnerre et de la peur de
l’éclair blanc dans L’orage,
- Ustensile de cuisine bien rangé dans le buffet dans l’album De l’autre côté du lac.
Le rouge est une couleur primaire et chaude293
, le fait de l’associer à la couleur
blanche294
le rend plus discret. Le rouge incite au geste, à l’offre d’un café, le blanc par-
293
« Le café y reste plus chaud plus longtemps. » remarque Anne Brouillard lors de la conférence du
06/11/2010. 294
« C’est une couleur neutre. (…) Dans la valorisation positive du blanc … elle est l’attribut de celui qui
se relève, qui renaît, victorieux de l’épreuve. (…) Dans le bouddhisme japonais, l’auréole blanche et le
lotus blanc sont associés au geste du poing de connaissance, par opposition au rouge et au geste de con-
127
ticipe de ce don « de soi ». En effet, en servant un café, par ce geste chaleureux, on
donne aussi de son amitié ou de son amour. Cependant, la cafetière blanche et rouge
assume toujours cette même fonction dans une ambiance toujours chaleureuse. Qu’elle
attende des amis dans Le grand murmure, offre une pause à un ami de passage dans La
maison de Martin ou réchauffe le corps d’une famille revenue de balade dans Reviens
sapin. La cafetière blanche et rouge passe de mains en mains, rassemblant les gens au-
tour d’elle.
La couleur blanche évoque aussi la vieillesse, époque de solitude alors que l’être
humain a toujours besoin de chaleur. C’est ainsi que, dans l’environnement imagier de
La vieille dame et les souris et Le gardien des couleurs, ces deux personnes âgées ont
une cafetière en céramique blanche. Une cafetière d’une autre époque mais qui garde
toujours sa place.
En effet, comme la valise, elle s’adapte aux personnages et aux circonstances de
leur histoire. L’homme qui était sans couleurs est un personnage contemporain avec le
rythme que cela impose. Le narrateur imagier a donc choisi de lui installer dans sa cui-
sine, une cafetière électrique moderne. Cela est plus pratique et plus rapide le matin au
réveil pour prendre son petit déjeuner « sur le pouce ». Dans les cas de Kÿt et du pê-
cheur, le narrateur imagier a opté pour le même choix des couleurs (rouge et blanc) mais
pour un objet plus pratique et transportable : le thermos. Ainsi, le café est une boisson
qui peut se partager aussi ailleurs que chez soi. Que ce soit avec un chat ou avec une oie,
grâce au thermos, cette boisson garde ses valeurs, gustatives et chaleureuses. Tout
comme dans La terre tourne, le café permet le contact et les échanges amicaux et har-
monieux entre les êtres humains et les animaux.
4. Le chemin de fer, les rails, la voie ferrée, le train295
…
Tout cet environnement est propice à l’imagination et au voyage vers l’extérieur
ou depuis l’extérieur ; aux échanges à l’intérieur, dans le compartiment ; aux prome-
centration. (…) Elie est le maître du principe vital symbolise par le rouge, Moïse, selon la tradition isla-
mique, est associé au for intime de l’être dont la couleur est le blanc. (…) On retrouve chez Les Soufi la
relation symbolique du blanc et du rouge. Le blanc est la couleur essentielle de la Sagesse ; le rouge est la
couleur de l’être mêlé aux obscurités du monde. » Dictionnaire des symboles, p. 127. 295
Voir en annexe la chanson de Grand Corps Malade, Les voyages en train.
128
nades et aux rêves le long de la ligne de chemin de fer ou de l’autre côté, tout est envi-
sageable dans et en dehors de cet espace ferroviaire.
Nous pouvons adapter les propos de Gilles Clément à cet espace qui nous inté-
resse en ces termes :
« La terre est elle-même » une ligne de chemin de fer dont la limite apparente « est
l’horizon (…) : l’horizon arrête toujours notre regard, mais il a cessé d’être la limite du
monde, parce que nous savons désormais très bien ce qui se cache derrière, maintenant que
nous vivons dans un monde où, (…) nous pouvons avoir une idée » du paysage « pour toute
la planète. Ça, c’est la révolution que nous ont apportée les satellites et les cosmonautes. »
On nous montre la planète « c’est devenu une nouvelle habitude culturelle. » Grâce au train,
nous traversons un univers sur les rails296
.
Le narrateur imagier de La terre tourne positionne la voie ferrée transversale-
ment, que ce soit dans un plan horizontal ou vertical et hors champ comme un lien pos-
sible de page à page. Cette organisation spatiale se retrouve dans d’autres albums aussi.
Dans Le grand murmure, les personnages déambulent autour de la ligne de che-
min de fer, regardent passer le train, l’attendent sur le quai ou dans le café de la gare
mais voyagent aussi par ce moyen de transport, tout comme les personnages de La terre
tourne. Ils en profitent pour regarder le paysage qui défilent sous leurs yeux, échanger
quelques conversations ou un verre dans l’ambiance chaleureuse du compartiment.
L’essentiel de la narration illustrative de Voyage se passe dans le train ou vu depuis
l’intérieur du compartiment, à travers la vitre. Les paysages réels et imaginaires se suc-
cèdent au rythme de ce train qui circule autour de la terre qui tourne. Situé hors cadre de
la page, la vue depuis le train permet des vues en plongées sur les décors traversés par
les personnages. Comme dans Le grand murmure, la gare est un endroit peuplé et animé
par toutes sortes de gens qui vont et viennent, partent ou reviennent de voyage, certains
attendent le train, d’autres attendent les voyageurs du train. La gare est l’espace narratif
de l’album Le voyageur et les oiseaux. Ici, les trains sont en arrière-plan car, les prota-
gonistes statiques sont positionnés au premier plan. Cependant, le défilé incessant des
allers et venues des trains permet au lecteur de prendre conscience du temps qui passe
dans cette gare terminus. Au rythme des départs et des arrivées des trains, les gens vont
et viennent, pour accueillir un voyageur, attendre ou courir après leur train. L’espace
ferroviaire illustré dans Le chemin bleu est limité. Cependant, ces deux ambiances sont
représentées : un espace d’aiguillages, un terminus et des voies ferrées parallèles
comme dans Voyage ou Le voyageur et les oiseaux ; un quai de gare avec un train à
296
Gilles Clément à propos de son livre Thomas et le voyageur, éditions Albin Michel, 2011.
129
l’arrêt et des voyageurs comme dans Voyage, Le grand murmure ou Le voyageur et les
oiseaux. Ici, deux vignettes suffisent pour évoquer ce monde ferroviaire.
Dans la forêt enneigée de Il va neiger, pas de train en vue ! Cependant, les per-
sonnages se promènent le long de cette voie ferrée qui traverse les bois et quelques
pages de l’album de part en part, « ils cheminent le long de la voie ferrée, là où les rails
font une belle courbe297
». Cette ligne illustre le chemin qui balise leur promenade noc-
turne, comme un repère visuel dans cette forêt. En effet, il fait nuit et la neige a recou-
vert le sol. Les rails restent visibles et orientent les pas des personnages sans risque de
se perdre, « petits cailloux blancs du Petit Poucet ». Que les personnages soient dans le
train, sur les quais, dans le café de la gare ou le long des rails, cette ligne permet le ras-
semblement des personnes et les invite aux voyages. Comme dans Le grand murmure et
Le pays du rêve, cette ligne peut être courbe, comme si les rails prenaient la forme et
l’orientation de la terre qui tourne. Dans ce dernier, la narration illustrative est double
tout comme l’apparence de la voie ferrée. Elle est rectiligne et empruntée par des trains
dans la réalité alors qu’elle est toute en virages et inutilisée dans Le pays du rêve.
L’arrondi évoque la douceur, c’est une forme non agressive, elle suggère l’espace du
nid douillet … serait-ce cela Le pays du rêve ? Alors que la ligne droite impose une di-
rection et une rigueur qui symboliserait le monde réel ?
Que dire alors de cet autobus-tram-train-avion-sous-marin-machine à laver dans
Le temps d’une lessive ? Ce véhicule a l’apparence d’un train, les fonctions d’un tram-
way (train citadin électrique) mais, il roule sans roue, sans rail et il navigue sous l’eau et
il vole. Alors qu’est-ce ? « Cet album est un délire » précise Anne Brouillard. Ainsi, par
ce moyen de locomotion « tout terrain » l’illustratrice a voulu représenter tous les dé-
placements possibles, dans tous les éléments (sur terre, sous l’eau et dans l’air) en un
seul et unique espace mobile. « Il semblerait que cela fonctionne bien » précise t’elle
« et en plus, c’est écologique » ! Merci Anne Brouillard pour cette fabuleuse invention
du XXIème
siècle298
.
Le chemin de fer est bien un environnement qui permet le déplacement d’un es-
pace à l’autre, le mouvement d’un moment à l’autre et aussi la rencontre, l’échange et le
partage. Ce n’est pas un élément froid, tout comme la neige, la nuit, la ville … Le narra-
297
Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à
Bruxelles". 298
Cet album est paru en 2000.
130
teur les présente sous un aspect chaleureux et bienveillant. C’est cette même harmonie
qui nous accompagne dans et à partir de La terre tourne.
Que se passe t’il donc quand Anne Brouillard est invitée à participer à un album
collectif chez Sarbacane sur le thème du loup ? Elle joue avec les mots et le lecteur la
reconnaît sans aucun doute. C’est alors que du titre de l’album Un loup peut en cacher
un autre299
, elle en a déduit une autre expression populaire « un train peut en cacher un
autre » ! Quand on lui demande pourquoi elle a représenté tous ses loups dans un train
qui traverse la forêt du Petit Chaperon Rouge qui attend au passage à niveau, elle ré-
pond : « ils rentrent du boulot ! ».
Anne Brouillard est non seulement talentueuse, elle est aussi douée d’humour.
Personnalité qui s’accompagne d’une philosophie de vie « égalitaire » et pacifique.
D’autres motifs comme la nappe, le manège, la maison, le bateau, le pont, la
porte, la fenêtre, la tablée … pourraient aussi être étudiés comparativement à partir de
La terre tourne. Nous avons choisi de traiter les plus représentatifs selon nous.
Sur place ou ailleurs, statiques ou mobiles, les objets accompagnent les person-
nages comme des partenaires à part entière. Qu’ils les attendent, les transportent ou les
suivent, ils représentent des guides imagiers pour le lecteur aussi. Leur forme est géné-
ralement ronde ou arrondie, s’harmonisant ainsi avec le style de prédilection d’Anne
Brouillard.
D. La rotondité
Par l’organisation de la narration imagière la fin renvoie au début, le lecteur est
invité à participer à une histoire sans fin, perpétuelle, comme la terre nous entraîne tous
dans sa course ronde. Le lecteur est donc sensible à cette symétrie entre les illustrations
de début et de fin à chaque album. Dans ce même esprit d’organisation en boucle, ce
mémoire part du lac de La terre tourne pour y revenir à la fin. Par « le visage de
l’enfant », la dernière illustration de La terre tourne résonne avec la première vignette
de la première page. La lecture commence par cette première vignette en bas à gauche et
se termine à droite de la dernière page, du fait du sens de lecture occidental de gauche à
299
Textes de François David, Un loup peut en cacher un autre, éditions Sarbacane, 2006.
131
droite300
. Chez Anne Brouillard, la dernière page de droite renvoie à la première page de
gauche, le sens de lecture devient donc double, comme une bobine de film qui se dé-
roule continuellement, sans s’arrêter. À chaque lecture, à chaque passage, le lecteur-
spectateur fait de nouvelles découvertes et crée de nouveaux liens. « Comme quand on
part en voyage, à chaque retour, c’est un nouveau début, on n’est pas tout à fait le
même », on est plus riche de chaque expérience à chaque passage. Son univers est ou-
vert et cyclique.
Au fil des pages, la narration imagière progresse au rythme des illustrations
comme une respiration301
. Les échos d’une page à l’autre sont fréquents, les réson-
nances imagières inter-albums sont évocatrices mais, ce qui particularise le style d’Anne
brouillard, c’est la structure de ses œuvres. « Le côté boucle, tout tourne en rond, on
tourne en rond … C’est mon interprétation de la vie, ce que je vais mettre dans mes
livres, c’est la façon dont je ressens l’existence. On revient au même endroit souvent, on
ne peut pas s’échapper de soi où qu’on aille. Le retour, on naît, on vit, on meurt, ça con-
tinue et c’est sans fin302
». Elle avoue avoir ce style de prédilection depuis son enfance.
Entre la première et la dernière page, les personnages progressent et évoluent, le lecteur
chemine sur leurs traces mais, le voyage est toujours renouvelable, un nouveau départ
est toujours possible.
Comme La terre tourne, comme les trains et les gens vont et viennent, la mé-
moire visuelle du lecteur le reconduit naturellement à retourner au début du livre.
Chaque lecture est unique et complémentaire. Dans La terre tourne, le visage de
l’enfant né résonne avec le visage de l’enfant à naître. Les mêmes illustrations évoquent
donc une nouvelle naissance à chaque lecture.
- « On revient au point de départ avec beaucoup de tendresse, dans l’harmonie, sans
agressivité …
- Dans la terre tourne, le rond amène à la boucle, à la douceur303
».
Telle une métaphore de la vie qui continue, rythmée par des moments particu-
liers, comme la terre tourne au rythme des jours et des nuits, chaque lecture annonce un
nouvel accueil. La répétition n’est jamais à l’identique. Comment ce rythme circulaire
s’organise t’il dans les autres albums ?
300
« Le livre s’approche des mains du lecteur, s’approche de son regard, s’ouvre, s’offre, se laisse con-
quérir. (…) La direction du regard crée le sens, de même que le sens crée la direction. De même que le
sens crée le sens. » Daniel Leduc, Le livre de l’ensoleillement, éditions N&B, Aubenas, 2003, p. 60. 301
« Ouvrir un livre est un acte de respiration volontaire ; comme ouvrir une fenêtre sur le monde. Sentir
le souffle de chaque chose sur sa peau intérieure. » Daniel Leduc, op. cit., p. 59. 302
Extrait de la conférence du 06/11/2010 à Toulouse. 303
Ibidem., extrait de l’interview de Nicole Folch.
132
1. Le point de départ correspond au lieu d’arrivée
On part et on revient « un jour », entre les deux moments, plus ou moins long,
pendant « notre » voyage, la vie continue …
Ces albums sont les plus nombreux. Il peut s’agir d’un cycle qui autorise le re-
tour à l’état initial (Reviens sapin), au point de départ initial (Sept minutes et demie,
Mystère, Il va neiger), le temps d’un orage ou que la pluie tombe, le temps d’une con-
versation téléphonique. L’arrivée dans la réalité fictive peut correspondre au point de
départ dans le monde imaginaire de l’histoire (Le temps d’une lessive) et les deux
mondes se mêlent. Mais aussi, les bouleversements peuvent être plus importants. Un
quartier est transformé, une forêt métamorphosée, le personnage enfant est devenu
adulte … Quand on revient, on est différent mais l’espace et les gens qui sont restés là
ont changé aussi.
2. Tout tourne dans le même espace, tout le monde y est entraîné
au même rythme de la terre qui tourne
Car la terre tourne toujours même quand on reste au même endroit, là où on est
bien. Le monde n’est pas immobile même si l’on ne bouge pas. Le passage des intempé-
ries, des gens et des saisons tout autour en sont des preuves palpables. Que l’on soit
tranquille, autour d’un étang, dans un café de gare, sur une balançoire … que l’on court
après « le temps », il passe invariablement pareillement pour tous.
3. D’un point à un autre « presque » identique, on continue tou-
jours, les gens vont et viennent, on va voir « ailleurs » pour vivre de
nouvelles aventures
En voyage, on va d’une gare à l’autre, en barque, on va d’une berge à l’autre,
dans la forêt, les personnages y entrent et en ressortent, dans la montagne, ils montent et
descendent, une boîte rouge revient sur une autre étagère, prête à faire naître de nou-
velles histoires … On revient souvent au même endroit, là où on aime être.
133
4. Le point d’arrivée est le « même » monde inversé, une nouvelle
vie « à l’envers » commence, dans un lieu qu’on ne connaît pas encore
Cette nouvelle expérience peut être déclenchée par les personnages eux-mêmes,
comme dans Le bain de la cantatrice ou Trois chats, mais, les intempéries naturelles
comme le vent ou la pluie diluvienne peuvent obliger les personnages à s’adapter à leur
nouvel environnement de vie. À l’endroit ou à l’envers, l’histoire continue …
Par son style imagier « répétitif », Anne Brouillard incite le lecteur à découvrir
et redécouvrir chaque album. Une seule lecture ne suffit pas pour tout « voir ». Tout
comme chaque album résonne avec d’autres, la dernière et la première illustration se
répondent en écho. Tisser les sens304
et l’essence de son œuvre demande du temps.
Chaque lecture ménageant toujours son lot de surprises et de richesses, elle est une nou-
velle découverte. Le lecteur ne tombe jamais dans la monotonie305
de la répétition et il
est actif dans cette reconstruction.
Quand le lecteur s’est pris au jeu, il a envie de continuer l’exploration, d’aller
voir plus en profondeur dans les œuvres d’Anne Brouillard, à la recherche de ces liens
qui sont de nouvelles richesses. Par ses jeux de regards, sa lecture s’affine et il prend
plaisir à construire de nouvelles interprétations. Les personnages, les objets, les envi-
ronnements lui deviennent plus familiers et font partie de son univers fictionnel. Les
narrateurs imagiers et/ou textuels deviennent des partenaires avec lesquels il construit le
sens intra et inter albums.
304
« Partir de la singularité de l’œuvre donc, mais aussi bâtir une solide confiance dans sa capacité à faire
sens. » sophie Van der Linden, Prologue, in L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes,
nouveaux lecteurs ?, op. cit., p. 13. 305
« Déjouant les certitudes préalables comme les stratégies de lecture répétitives et automatiques, chaque
album, dans sa singularité esthétique, invite son lecteur, ses lecteurs, à une expérience littéraire inédite,
une expérience de l’intranquillité. » C. Connan-Pintado, F. Gaiotti, B. Poulou, L’album contemporain
pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, op. cit., p. 10.
134
DEUXIÈME PARTIE :
Un exemple de continuité narrative
135
Comment les narrateurs se complémentent-ils à travers les albums pour recon-
duire le lecteur dans l’ambiance de La terre tourne.
Comme le précise Anne Brouillard, elle a conçu ces albums par paire mais aussi,
« au niveau de la technique, j’ai fait Le pêcheur et l’oie et Le voyageur et les oiseaux à
l’encre et à l’aquarelle. Pour les trois autres, La famille foulque, La vieille dame et les
souris et De l’autre côté du lac, il y a une petite différence. J’ai utilisé exclusivement de
l’encre (bâtons de couleurs et liquide) que j’achète dans une boutique à Paris. C’est de
l’encre au trait (avec une plume) et au pinceau306
». « J’aime beaucoup le papier doux
(comme celui du Seuil307
) ; il ternit un peu mes couleurs, mais c’est celui que je pré-
fère308
».
« À la palette du peintre, elle ajoute un travail de découpage, de plans, de sé-
quences issues d’un instinct sûr et d’une finesse d’observation peu commune. (…) Elle
part en repérages, observer un plan d’eau, … un lac dans la Suède chère à son cœur.
Elle part vivre cette confrontation avec la nature, retrouver cet équilibre millénaire309
».
À travers ses albums, Anne Brouillard donne à voir ce qu’elle-même a observé, par ses
illustrations, elle fait ressentir les images310
qui l’ont émue. « Voilà une artiste à la pen-
sée associative, qui part pour chacune de ses créations d’une idée visuelle, d’une am-
biance caractéristique. (…) Ce qui lui importe, c’est de révéler un monde imaginé à par-
tir d’un morceau de réel, un monde où logique et rêve se mettent à coïncider311
». Son
œuvre fait partager au lecteur sa conception de la vie. Ses illustrations sont des tableaux
sensibles et émotionnels. Son travail créatif est proche de celui des poètes de haïku car
elle a une approche contemplative sur le monde qui nous entoure. Ensuite, après une
maturation intérieure et personnelle, elle sait extraire et exprimer l’essence des choses
avec art et sensibilité. Elle y met le temps et l’effort nécessaires. Dans l’acte de création,
elle même est aussi poète. Paul Éluard écrivait aussi que « le poète est celui qui donne à
306
Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011. 307
« L’éditeur revient en scène en la personne du directeur artistique qui apporte tout son savoir faire
quant au choix du papier, ... » Claire Segura-Balladur et Evelyn Audureau, Master 2 LIJE, Album pour la
jeunesse, 2010, p. 7. 308
Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole 3/07, novembre 2007, pp. 3. 309
Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 60. 310
« L’image est donc vecteur de communication, un langage ; elle délivre un message qui est lu. » C.
Segura-Balladur et E. Audureau, op. cit., p. 13-14. 311
Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à
Bruxelles".
136
voir ». Son style312
pictural évoque donc le haïku, « genre avant tout descriptif, imagé,
mais aussi intimiste et émotionnel (…). Ce qu’on nomme en littérature une « image
visuelle », quelquefois une « image littéraire ». C’est le poème de prédilection pour
donner à voir et à sentir la nature, les saisons313
». Au fil des pages, le cheminement se
construit, évoquant tout un monde au lecteur, dans cette ambiance « brouillardienne ».
« L’art ne décrit pas le visible, il rend visible314
» et le haïku est une image vi-
suelle. Il « donne à voir cette image315
». Dans les œuvres d’Anne Brouillard, tout est au
service de son art : les techniques, les couleurs, les personnages, les paysages … Un
bruit, une émotion, une anecdote, une « vision » éveillent en elle une œuvre. À partir
d’un « petit quelque chose » qui pourrait passer inaperçu chez d’autres, elle crée un al-
bum. Dans ces mêmes dispositions d’esprit, « le haïku, c’est aussi le poème des choses
les plus banales de la vie quotidienne, des bonheurs minuscules et des petits tracas (…),
le poème du lâcher prise (…) de la capture de l’éphémère, de l’observation attentive des
petites choses fugaces316
». Ainsi, nous pouvons imaginer que ses albums s’apparentent
à des haïku. Petit poème japonais de dix sept syllabes, au rythme de cinq-sept-cinq, dé-
finit par Bashô, son premier maître, en ces termes : « c’est simplement ce qui arrive en
tel lieu, à tel moment317
». Ses haïku peignent la nature et sont souvent insérés dans des
textes en prose, l’ensemble se présentant sous la forme de carnet de voyage. Tout
comme Anne Brouillard transporte dans son sac ses carnets d’esquisses et de notes en
voyage.
Nous avons donc tenté, à partir des images visuelles offertes par Anne Brouillard,
une création318
poétique dans les règles du haïku car « ce système permet une écriture
extrêmement concise, imagée et rythmée319
» correspondant à son style. « Son passage à
l’écriture s’ajoute à une belle palette graphique. Elle supprime beaucoup, avant d’avoir
la phrase adéquate, pour former un accord quasiment parfait avec l’image320
». Cepen-
312
L’illustration témoigne d’une recherche artistique personnelle où le récit de fiction devient le champ
d’investigation de son travail d’artiste. » Claire Segura-Balladur et Evelyn Audureau, op. cit., p. 25. 313
Philippe Costa, Petit manuel pour écrire des haïku, Picquier poche, 2010, pp. 39-40. 314
Paul Klee. 315
Philippe Costa, op. cit., p. 77. 316
Ibidem., pp. 40-41. 317
René Etiemble, Du haïku, éditions Kwok On, collection « Culture », Paris, 1995, p. 25. 318
« Si l’illustrateur est également auteur la lecture s’enrichit car l’album devient un espace à explorer, à
décoder. Le décodage de l’image ne dépend pas seulement du savoir faire du créateur mais aussi de celui
qui la reçoit et la regarde. Chacun l’interprétera différemment et lui attribuera un sens particulier, selon sa
perception consciente et inconsciente ou les références auxquelles elle fait allusion. » C. Segura-Balladur
et E. Audureau, op. cit., p. 19. 319
Philippe Costa, op. cit., p. 47. 320
Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62.
137
dant, dans La famille foulque et De l’autre côté du lac tout particulièrement, chaque
double-page illustrée évoque un haïku contemplatif qu’un poète émérite, que nous ne
sommes pas, mettrait en mots. « L’essentiel est de donner une âme au haïku321
» comme
Anne Brouillard le fait avec talent à chacun de ses mouvements de pinceaux, telle « une
voix dans les images. Ses histoires presque sans paroles, où ses illustrations sont peintes
comme autant de tableaux et les textes remplis de poésie322
».
Anne Brouillard habitait dans ce quartier de Bruxelles à cette époque là. Elle s’y
promenait souvent à pied comme elle aime le faire, tranquillement, en observant les
gens, les animaux et la nature. C’est ainsi qu’une fois, elle voit une oie « stoppée » près
d’un pêcheur, l’observant … Sur le retour, elle la revoit. L’histoire était en germe dans
son esprit ! Par la suite, elle a voulu reprendre cette même atmosphère autour de l’étang
dans un champ plus large dans le temps et dans l’espace. Ainsi sont nées La famille
foulque et puis La vieille dame et les souris. Anne Brouillard aime travailler « double-
ment ». Ici, les albums vont par paire tout comme les personnages sont par couple
« humain / animal ». Ainsi, au fil des narrations, au fil de ses lectures, le lecteur peut les
associer dans le temps et dans l’espace, dans la « vraie réalité » et dans la fiction. (Le
pêcheur et l’oie / La famille foulque ; Le voyageur et les oiseaux / La vieille dame et les
souris ; De l’autre côté du lac / La terre tourne) par exemple. Comme à son habitude,
Anne Brouillard suggère, « titille » le regard et l’imagination du lecteur. À chacun de
reconstruire son univers avec les indices qu’elle parsème en résonnances.
321
René Sieffert, Bashô, Le manteau de pluie du singe, P.O.F., collection « Poètes du Japon », Paris, 1986,
p. 1. 322
Le Monde, jeunesse, vendredi 26 juin 1998.
138
I. Le pêcheur et l’oie
« Un homme s’assoie au bord d’un étang pour pêcher. Apparaît une oie, elle s’approche et
s’installe, semblant s’intéresser à cette partie de pêche. L’homme, déçu, ne prend que de
tous petits poissons qu’il rejette à l’eau. Regardant les canards barboter, ils attendent en-
semble une grosse prise lorsque vient la pluie. Abrités côte à côte sous le parapluie du pê-
cheur, ils partagent son pique-nique. Bredouille, l’homme s’apprête à partir, lorsque l’oie
part dans l’étang pêcher à son tour. Dans son bec, elle ramène un énorme poisson qu’elle
offre au pêcheur.
Tout en tendresse et poésie, cet album sait raconter la complicité qui lie, pour un moment,
ces deux compagnons de hasard. Il n’y a pas de mot dans ce récit, comme il n’y a pas de
parole échangée pour nouer cette amitié naissante au fil des pages, faite de partage au gré
du temps.
Les illustrations, à la fois douces et expressives, en dégradé de vert ou de bleu, témoignent
de la tendresse fragile par les regards, les attitudes, rendant la lecture plus émouvante que si
elle était guidée par des phrases. Ces choix de sobriété tant dans les couleurs que par
l’absence d’écrit disent avec finesse et intensité les émotions et révèlent la part d’ineffable
des sentiments323
».
« Alternance de plages de calme, d’immobilité, de silence propres à ce sport, et de fondus
enchaînés montrant le pêcheur qui s’installe, l’oie qui s’approche de lui, la prise puis la re-
mise à l’eau d’un trop petit poisson (deux fois), le pique-nique généreusement partagé avec
l’animal… qui le lui rendra bien : on peut rentrer bredouille en utilisant des vers… mais sa-
vez-vous qu’on peut aussi pêcher « à l’oie » ?324
»
« Sur fond de teintes sobres Ŕ bleu, vert, brun Ŕ des illustrations réalisées à la peinture, les
silhouettes des personnages saisis dans des attitudes réalistes, se détachent, expressives.
L’alternance de vignettes et d’illustrations pleine page donne du rythme à leur relation. Des
coups d’œil s’échangent, des regards se croisent, une complicité s’installe. Le couple vu de
dos, semble tenir le lecteur à distance : il ne peut totalement pénétrer leur intimité mais me-
sure d’autant plus leur plaisir d’être là. La trame de l’histoire est limpide, mais une multi-
tude d’interprétations possibles s’offrent au lecteur : si au début on aperçoit l’oie de l’autre
côté de l’étang, sa rencontre avec le pêcheur est-elle ou non le fruit du hasard ? L’homme
dont la pêche n’est pas glorieuse et qui rejette les poissons à l’eau l’un après l’autre, le fait-
il de sa propre initiative ou sur incitation de l’animal ? Dans le même genre : Le Voyageur
et les oiseaux.325
»
« Le haïku permet surtout de rendre compte du spectacle de la nature, de donner à la voir, à
l’entendre et à la sentir, d’exprimer les émotions qu’elle crée. La nature, ce sont donc les
saisons, mais aussi bien sût tout les lieux naturels (campagne, montagne, mer, forêts), les
paysages, la terre, la flore, la faune, les petites bestioles, les éléments, la lumière, le jour, la
nuit, les astres, la vie, les gestes et les métiers de la campagne et de la mer (pêcheur,
etc.).326
»
Autant de thématiques qui sont illustrées dans les œuvres d’Anne Brouillard.
Un pêcheur, une oie
La pluie au bord de l’étang
Dimanche de printemps
323
Source : http://www.ricochet-jeunes.org 324
Source : http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD 325
Source : http://www.croqulivre.asso.fr/spip.php?rubrique261 326
Philippe Costa, op. cit., p 44.
139
A. Le mouvement de la première de couverture327
Cinq oies blanches détourées disposées comme si elles faisaient une ronde.
Leurs mouvements s’organisent comme si elles sortaient du livre pour y revenir ensuite.
Cette circularité est une invite au lecteur à suivre leur avancée vers l’intérieur du livre.
L’animal ne peut pas dépasser le dos du livre ! Alors, l’oie tourne le cou vers la droite
comme si elle était bloquée dans son avancement. La pliure de la couverture du livre
marque son jabot, pour accompagner le format du livre, en harmonie avec le personnage,
l’oie la plus redressée est dessinée sur la hauteur du livre.
D’après le titre, le lecteur en conclut qu’il s’agit d’une seule oie. Ce découpage
du mouvement donne l’effet de prises de vues photographiques en mode rafale : elle
lève la patte droite, se retourne, lève la patte gauche, se redresse, lève la patte droite,
avance le cou, lève la patte gauche et continue … « La décomposition du mouvement
est une technique qui se rapproche de celle du dessin animé : plus il y a de dessins, plus
le mouvement paraîtra lent. (…) Pour traduire le mouvement (…), des bases d’anatomie
et une bonne faculté d’observation sont les outils minimums nécessaires328
». Qualités
qu’a sans conteste Anne Brouillard. Elle aime prendre le temps de l’observation, elle
laisse le temps de « maturation » nécessaire à son esprit329
et elle complète son travail
par des recherches minutieuses. Elle travaille à partir de ses souvenirs et avec son ima-
gination mais elle est toujours très exigeante quant à la qualité du résultat, tant narratif
qu’artistique.
L’oie cherche-t-elle le pêcheur ? Le lecteur peut imaginer qu’elle tourne autour
du titre comme si ce dernier le représentait.
Le lecteur est sensible à l’harmonie des couleurs :
- Le titre utilise une couleur de police jaune-vert nommé « caca d’oie », rappelant le
nom du personnage
- Les couleurs jaune, vert, orange et blanc sont dans les tons pastels. Il s’en dégage une
douceur pastorale.
327
« Elle est le premier élément visible de l’album, devant susciter la curiosité puis le désir d’achat. Elle
en reflète le contenu et a pour objectif de faire ouvrir l’album et de donner envie de lire. Elle doit
d’emblée transmettre l’atmosphère du récit, le style, … ou un élément marquant de l’histoire. » C. Segu-
ra-Balladur et E. Audureau, op. cit., p. 17. 328
Éric Albert, Le mouvement, éditions L’iconograf, op. cit., pp. 13 et 30. 329
« … le regard hésitant de la mémoire. Le paysage est ce que l’on voit après avoir cessé de l’observer.
Il faut fermer les yeux après chaque voyage, laisser se décanter les images. » Thomas et le Voyageur, op.
cit., p. 14.
140
B. Le mouvement de la quatrième de couverture
La bordure du dos du livre matérialise toujours la limite infranchissable pour
l’oie ! En bas à droite, lorsqu’elle arrive à la pliure de la couverture, elle ne peut pas aller
plus loin, elle est alors obligée de se tordre le cou vers l’intérieur du livre.
Les trois oies de la première ligne semblent se suivre vers le fond de l’image en
direction de la droite. Les deux oies de la deuxième ligne vont aussi vers la droite : une
prend le temps de manger tandis que l’autre semble se précipiter vers la bordure du livre.
Puis, les deux oies de la ligne du bas tournent vers la gauche rejoignant par ce mouve-
ment les autres dans la ronde … Toutes retournent dans l’histoire incitant le lecteur à y
revenir aussi.
Grâce au texte amorce qui présente l’album, le lecteur dégage deux dimensions :
- L’histoire sans texte se déroule « au gré du temps »
- et dans un seul espace « au bord de l’étang »
Les pages de garde sont de couleur unie, il s’agit de papier coloré jaune-orangé,
ce même ton utilisé pour la couleur de police du titre et le dos du livre. La page de titre
présente enfin l’apparence du pêcheur ! Cette illustration encadrée est en fait une réduc-
tion de la vignette rectangulaire centrale de la page 11 de l’album. Il s’agit du moment
où le pêcheur en est à sa deuxième pêche décevante … Ses sourcils relevés et sa bouche
tordue sont très expressifs. La bouche entr’ouverte et les petits cercles autour de l’œil de
l’oie expriment sa double surprise : « Pourquoi est-il déçu et rejette t’il le poisson à
l’eau ? Pourquoi ne me le donne t’il pas à manger ? » Ainsi, le style de l’album est an-
noncé. Les pages de couverture sont illustrées avec des images détourées alors que les
pages de l’album sont illustrées avec des images séquentielles encadrées et tout se dé-
roule en un seul lieu autour de ces deux protagonistes : le pêcheur et l’oie.
C. Le rythme des illustrations et la mise en page
La première bande de la page 4 plante le décor
- l’espace : l’étang
« Il s’agit des étangs d’Ixelles, un quartier de jardins à Bruxelles. C’est un endroit charmant
avec de belles maisons entourées d’arbres. Je n’habitais pas loin à cette époque là et
141
j’adorais passer par là. J’y suis beaucoup retournée pour dessiner et j’y ai observé des tas de
choses à chaque nouvelle fois. Les jardins d’Ixelles m’ont inspiré le pêcheur et l’oie qui a
ensuite déclenché la famille foulque330
».
- ses habitants, sa végétation
« Ce sont des étangs urbains, dans la ville, entourés de petites barrières mais l’espace est
ouvert331
».
avec une vue sur les deux berges332
. Par une vue en plongée sur la berge au premier plan,
les deux vignettes suivantes installent le pêcheur dans le décor. Page 5, une illustration
encadrée de pleine page pose le pêcheur dans l’espace. Il fait partie du décor mainte-
nant ! Pendant ce temps, une foulque passe et progresse au bord de l’étang. Cependant,
alors que le pêcheur s’installe, la foulque se retourne, s’arrête et le regarde … interlo-
quée ? Le pêcheur est-il sur son passage ? La gêne t’il pour passer ? Qu’à cela ne tienne,
elle fait le chemin du retour sur l’eau ! Peut-être cela est-il plus facile pour elle que de
contourner le pêcheur ? Tout est posé, installé, la partie de pêche et l’attente inévitable
du poisson qui mord peut commencer. Sur l’autre rive, la vie des animaux lacustres con-
tinue. Cependant, alors que la première vignette signalait une oie blanche parmi les ca-
nards, l’illustration de la page 5 la situe hors-cadre. Où est-elle partie ? Comme à son
habitude, le narrateur imagier ménage ici une ellipse spatiale afin de solliciter
l’imagination et l’activité du lecteur. La tourne de page va nous l’apprendre … elle a fait
le tour de l’étang (par la gauche) pour venir voir ce que fait ce pêcheur. L’oie est-elle un
animal curieux par nature ? Ou bien aime t’elle la compagnie des hommes ? Ou bien le
poisson ?
Mis à part les pages 20 à 23 qui montrent une vue sous-marine, la partie de pêche
se déroule sous les yeux du lecteur statique comme à travers l’objectif d’un appareil pho-
to qui serait installé sur un trépied tout au long de l’album. Les cadres illustrés défilent
au rythme de travelling avant et arrière avec des zooms plus ou moins prononcés de fa-
çon à insister sur certains détails ou moments déterminants : les déceptions du pêcheur à
la vue de sa mince prise ou la pause pique-nique pages 16 et 17 par exemple. L’œil du
lecteur ne bouge pas d’angle de vue, le cadre est toujours le même, c’est le cadrage de
l’endroit visé qui change selon le détail ou l’émotion visés : l’attente, la joie du poisson
qui mord, l’arrivée de la pluie … Les vues en plongée sont plus ou moins élargies (pages
14-15 par exemple) ou rapprochées (page 13 par exemple). Ainsi, comme le pêcheur est
330
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010. 331
Ibidem. 332
Le lecteur retrouve ce même rythme de lecture, d’un côté et de l’autre, dans l’album De l’autre côté du
lac.
142
assis sur son siège pliant, l’œil du lecteur voit à travers cet objectif fixe dans son dos.
C’est toujours le même champ de vision et les prises de vues sont toujours prises de ce
même point.
Le regard du lecteur est dynamique dans le temps afin de combler les
« blancs333
» ou les ellipses inter-iconiques, alors qu’il est statique dans l’espace, il ob-
serve la partie de pêche se dérouler sans bouger, il s’adapte à l’attitude du pêcheur.
Sur les pages 16 et 17, l’œil du lecteur tourne t’il ? Son point de vue change car il
voit le pêcheur de face. Mais non, le premier et l’avant-dernier cadres montrent que c’est
le pêcheur qui s’est retourné en direction de cet objectif fixe. Il a pivoté vers la droite,
toujours assis sur son siège, de façon à montrer son visage à cet œil photographique mais,
la tête de l’oie est toujours au même niveau par rapport à la cane de son parapluie et à sa
ceinture, donc, il ne s’est pas levé et l’angle de vue du lecteur n’a pas changé.
Par cet objectif, cette lunette télescopique, l’espace est fixe pendant que le temps
passe et change. Comment cela est-il illustré ?
Par les couleurs de l’eau qui sont changeantes et évoluent tout au long des pages
de l’album :
- Est-ce la couleur du ciel qui change ? Y a t-il des nuages qui passent, comme le temps
qui passe : des couleurs du matin, à celles de l’après-midi puis celles de la soirée.
- Est-ce le reflet de la végétation ? (celle du fond de l’étang ou les arbres autour qui se
reflètent sur l’eau)
- Est-ce le passage des canards et des foulques qui trouble l’eau de surface ?
Lorsqu’il pleut, la surface de l’eau devient même blanche jusqu’à presque se con-
fondre avec le fond de la page (page 15).
Par les couleurs de l’herbe qui entoure l’étang :
- Verte dans un premier temps, elle illustre plutôt la matinée. Dans ces pages, l’ombre
des personnages n’est pas tellement marquée.
- Jaune à la fin, elle montre le déclin de la journée, et le retour du soleil après la pluie. À
ce moment-là, le soleil se couche sur l’autre rive, du côté du saule pleureur, et les
ombres sont plus marquées dans la direction opposée à l’étang (sur l’herbe jaunie puis
rose-orangée).
333
Dans son livre Lector in fabula, Umberto Eco parle d’ « un travail coopératif du lecteur pour remplir
les blancs » ménagés par le narrateur, imagier dans le cadre de cet album. Éditions Grasset, 1979.
143
Concernant ce changement de couleurs après le passage de la pluie, les pages 16
et 17 sont remarquables :
- Alors que la page 16 se déroule dans une atmosphère grise … le pêcheur et l’oie par-
tagent la collation de midi.
Puis, c’est le retour du soleil dans le ciel aussi. Ils sont donc réchauffés, à la fois
par leur amitié partagée et par la chaleur atmosphérique.
- La page 17 se termine par une illustration sur un fond jaune-blanc, presque fondu avec
la couleur du papier.
Le premier cadre horizontal et la dernière illustration double-page montrent cet
espace lacustre tranquille, avant et après le passage du pêcheur, le matin et le soir par ses
couleurs différentes. Dans ce cadre, le pêcheur y est entré par la gauche (dans le deu-
xième cadre), de dos, et en est ressorti par la droite (à l’avant-dernière illustration), de
face et tout sourire. Ainsi, sur la dernière double-page illustrée, l’oie peut contempler
l’étang, sereine et satisfaite, tous les animaux de l’étang peuvent reprendre le cours de
leur vie sur l’eau.
Quand le lecteur tient le livre par le dos d’une main et laisse défiler les pages à la
manière d’un album « photo », les images cadres « non fermées », à bords perdus, qui
délimitent l’espace de pêche se succèdent au rythme de cette partie de pêche. Plus vite,
le lecteur suit les aller-retour des animaux sur l’eau. Plus lentement, le lecteur adapte sa
lecture à ce sport « d’attente ». Il en est de même pour la technique illustrative. Quand
les images se succèdent en mode rapide, l’idée de mouvement est accélérée, quand le
temps de pause est plus long (comme pour une prise de photo), la lecture est plus lente
car adaptée au rythme de la pêche et de l’oie.
144
II. Le voyageur et les oiseaux334
« Cette histoire sans paroles met en scène des activités humaines et animales, leurs interac-
tions et leur parallélisme entre un voyageur attablé à la table d’une brasserie et des moi-
neaux335
».
« Dans une gare, un homme s’attable en lisant son journal. Dans le mouvement quotidien,
les gens et les trains vont et viennent. Il commande une soupe. Dans le mouvement quoti-
dien, l’homme est trop concentré pour voir que les oiseaux VOLENT336
. L’histoire sans
texte d’Anne Brouillard est faite de quotidien, de naturel, de jolies illustrations, de banal, et
d’une petite pointe d’humour. »
« Au buffet de la gare, un voyageur s’absorbe dans sa lecture. Des oiseaux guettent,
s’enhardissent, se rapprochent entre vol et expectative. Bientôt le pain dans la corbeille a
disparu. Le voyageur en redemande… mais de nouveau se posent sur le dossier de la
chaise…
Le temps cyclique, comme celui de l’horloge qui rythme le départ et le retour immuable des
trains, les saisons…337
».
« Le haïku permet aussi : des peintures ou des images visuelles de scènes de voyage, … de
célébrer un lieu338
».
Une bien jolie façon d’évoquer l’atmosphère de la gare du Nord, un jour de pas-
sage à Paris.
Un voyageur, une gare339
À la terrasse d’un café
Du pain, des oiseaux
Anne Brouillard a toujours LA question qui relance la lecture ! « Mais, en fait, le
voyageur, les voit-il les oiseaux ? » demande t’elle a l’assistance lors de la conférence
débat du 6 novembre 2010 au salon « vivons-livres » organisé par le Centre Régional
des Lettres Midi Pyrénées. Et voilà comment, ceux qui n’ont pas encore lu le livre vont
aller voir … pour se faire leur propre opinion sur la question. Cet album a une touche
personnelle. En effet, elle s’est représentée avec son compagnon de vie dans ces pages
…
334
Contrairement à Claude Monet qui s’était installé sur les quais pour peindre son tableau Vue intérieure
de la gare Saint-Lazare, mais, perturbé et dérangé par les allées et venues des passagers dans la gare, il
avait dû terminer son travail à l’atelier. Anne Brouillard montre visuellement tout ce brouhaha des trains
et ce fourmillement humain, représentatif de l’atmosphère de la gare, à partir de ses souvenirs sensitifs. 335
Source : http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 336
Verbe à comprendre dans les deux sens du terme : « voler de ses ailes » et « voler le bien d’autrui ». 337
Source : http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD 338
Philippe Costa, op. cit., p. 45. 339
« Les japonais possèdent une sorte de joker pour composer leurs haïku. Il donne exceptionnellement
droit à dix-huit syllabes au lieu de dix-sept. » Philippe Costa, op. cit., p 63.
145
Le voyageur et les oiseaux est le pendant du pêcheur et l’oie de par sa présenta-
tion identique. Ces deux albums ont été édités en même temps, en février 2006, dans un
format « moyen » rectangulaire haut.
Les pages de garde sont dans la même teinte rouge que le titre. Le même lettrage
et les coloris sont assortis au thème dans les tons pastels : les couleurs sont plus adou-
cies pour être en harmonie avec cette attitude tranquille et susciter le contraste sonore
avec le brouhaha dans la gare tout autour. Le lecteur imagine le bruit des gens qui se
saluent, se quittent ou se retrouvent, des enfants qui jouent, pleurent, des appels micro
des employés de la gare et des trains qui arrivent ou qui repartent de cette gare terminus.
Mais aussi, certainement, le pépiement des oiseaux comme les canards doivent cancaner
autour de l’étang et sur l’eau quand le pêcheur n’est pas là. Ces atmosphères ressemblent
à celles d’une fin de semaine, quand les gens peuvent prendre le temps d’une pause pour
aller à la pêche, prendre un verre, manger une coupe glacée pendant que la vie trépidante
continue alentour. Mais aussi, dans le contexte de la gare, on rencontre les gens qui par-
tent en voyage avec leurs animaux domestiques en cage, en vacances avec de grosses
valises ou en randonnées avec un sac à dos. Cet espace montre les contrastes de la vie de
chacun, des vies qui se croisent (comme les trains) mais qui ne se ressemblent pas.
A. Le mouvement de la première de couverture
En haut, les oiseaux volètent et atterrissent sur la page. Certains sont même hors
du cadre de la page. Ils prennent tout l’espace disponible et même plus ! Tout comme ils
le feront avec le pain dans la panière. Les oiseaux occupent tout l’espace dans l’air, sur
terre et sur l’eau (les canards et les foulques). Tout autour du titre, écrit dans cette police
de couleur rouge rappelant celle de la veste du voyageur, les oiseaux, comme en grand
rassemblement, semblent : écouter, converser, observer … sur un fond de page dans les
tons violet-rose. Tout comme l’oie cherchait le pêcheur, cherchent-ils le voyageur eux
aussi ?
Les couleurs ont des tons plutôt féminins pour un album dont le héros est un
homme ! Le titre et le texte amorce sont rédigés sur un fond de page avec un rosé plus
accentué. Représentés par des images détourées, les oiseaux sont moins nombreux et
plus gros sur la première de couverture. Entre le début et la fin du livre, ils se sont ras-
semblés, d’autres se sont invités !
146
Au premier plan, en bas un oiseau semble regarder le lecteur
dans les yeux, comme une invite. Les deux oiseaux qui l’encadrent ont une attitude révé-
rencieuse à son égard. S’agit-il du chef des oiseaux ? En haut à gauche, un autre
montre fièrement son beau jabot blanc.
B. Le mouvement de la quatrième de couverture
Les oiseaux plus petits sont éparpillés sur toute la page et contrairement à l’oie,
ils débordent sur la bordure de la couverture et sortent du cadre de la page. Sur le haut de
la page, ils entourent le texte amorce qui situe le lieu : « une gare340
» et le personnage
principal (absent des pages de couverture) « un voyageur ». Cependant, de par l’emploi
des déterminants indéfinis, ces désignations sont neutres. Il s’agit d’ « une » gare parmi
d’autres et d’ « un » voyageur parmi d’autres dont il va être question dans cet album. Le
lecteur n’a pas d’autres précisions pour les reconnaître. Les autres intervenants dans
l’histoire sont qualifiés de la même façon. Ce texte n’est pas sans rappeler le texte de La
terre tourne entre autre « des trains arrivent, d’autres s’en vont, des gens marchent … ».
Le lecteur reconnaît bien là l’espace ferroviaire cher à Anne Brouillard. Que ce soit dans
l’air (les oiseaux), sur l’eau (les canards, les foulques) ou sur terre (les trains, les gens)
… tout le monde chemine dans un sens et dans l’autre dans l’univers des albums d’Anne
Brouillard.
C. Le rythme des illustrations et la mise en page
La page de titre341
présente la même organisation. Entre le nom de l’auteure-
illustratrice et le titre se trouve une illustration encadrée dans un rectangle allongé. Il
s’agit d’une partie découpée de l’illustration de la double-page 20-21. Les personnages
sortent du cadre et la vue en plongée met l’accent sur la panière vide. Le lecteur dé-
340
« C’est en étant dans la gare du Nord à Paris que j’ai été inspirée pour cette histoire. » : Extrait de
l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010. 341
« On y trouve généralement une illustration représentant le héros. » C. Segura-Balladur et E. Audureau,
op. cit., p. 18.
147
couvre le visage du voyageur, au premier plan dans l’angle gauche. Sa veste342
rouge à
rayures343
bleues et à col blanc est très voyante. Le lecteur retrouve ces deux couleurs
contrastées comme pour les autres personnages décrits précédemment. Il est tellement
voyant et imposant que le lecteur n’a pas de doute, c’est lui le « héros » de cet album !
Cependant, la finesse de ses traits prête à confusion. S’agit-il d’un homme ou d’une
femme ? Le titre et sa présence sur la page de titre amènent le lecteur à penser que ce
personnage est un homme mais la délicatesse du graphisme le féminise. Il en est de
même pour l’espace. La présence d’oiseaux si près de la table fait penser à un lieu en
plein air mais le titre rappelle que nous sommes dans un lieu propice au voyage. Cette
terrasse de café est-elle donc dans un aéroport, une gare ? « Il y a des oiseaux dans les
gares mais pas dans les aéroports. C’est trop dangereux pour les réacteurs des avions… »
Afin de mieux exprimer visuellement ce déroulement temporel, au début de
l’histoire, le voyageur regarde sa montre mais, à la fin de l’album, le lecteur s’aperçoit
qu’il avait tout son temps ! Il est toujours assis à table, devant sa soupe à peine entamée
alors que d’autres clients ont défilé à la terrasse du café.
La première double-page nous renseigne sans aucune équivoque : c’est une gare
terminus … « tout le monde descend » ! L’œil du lecteur cherche instinctivement les
oiseaux. Où sont-ils ? Ils sont alignés, à l’extérieur (ou à l’intérieur ?), sur les poutres
métalliques, le long des grandes vitres qui entourent le hall de la gare. Anne Brouillard
joue toujours sur l’ambiguïté dedans / dehors. Elle aime représenter l’espace et son
double, « comme quand on est dedans on voit dehors et inversement, quand on est à
l’extérieur on voit à l’intérieur » ou bien, on l’imagine. Les grandes surfaces vitrées
permettent cette transparence.
L’histoire se déroule entre l’illustration de double-page 4-5 lorsque :
- le voyageur arrive par la gauche, son journal sous le bras et la commande de « deux
… » (d’après les doigts levés du serveur) par Anne et son compagnon de vie
et l’illustration de double-page 26-27 lorsque :
- le voyageur mange « enfin » sa soupe (tout en continuant ses jeux sur son journal), le
départ d’Anne et son compagnon (On a terminé notre « dame blanche344
») au fond à
342
« C’est un « truc » que j’ai vu dans un magasin. C’est un souvenir d’il y a très longtemps. Ce qui ex-
plique le côté démodé de la veste. Et en plus, le voyageur est au premier plan … » Extrait de l’entretien
téléphonique du 14/02/2011. 343
Michel Pastoureau : « les rayures se remarquent mieux que le tissu uni ». 344
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010.
148
droite et l’arrivée du pêcheur (avec son gros poisson dans son panier) par la droite aussi !
Il rentre très certainement chez lui après sa journée de pêche fabuleuse.
Les uns partent, les autres arrivent et certains restent. Le mouvement s’organise
dans un sens et dans l’autre, par la gauche et par la droite, les uns se croisent d’autres ne
se voient pas. Le lecteur retrouve l’atmosphère de La terre tourne.
Dans la gare, la scène se déroule comme une pièce de théâtre dans un décor à
huis clos. L’œil caméra du lecteur balaye un angle de vue de gauche à droite à partir
d’un point fixe, comme suspendu au bout d’un fil au premier plan, juste avant la table où
s’installe le voyageur et montre tout ce qui se passe dans ce cône-lieu d’action. Car, au-
tour de lui, la vie continue.
Le champ visuel est « triangulaire »
Table
L’œil
Le temps défile, tout comme les personnages, dans cet espace. L’objectif mé-
nage des effets de zoom avant et arrière pour pointer certains détails. Par exemple :
- Le serveur et le voyageur lors des illustrations encadrées d’une page
- L’homme qui court après le train à la double-page 4-5 et le bébé qui pleure
Le plan le plus large se trouve pages 14-15, alors qu’Anne et son compagnon
sourient de satisfaction, juste avant les pages de zoom avant en plongée sur la corbeille
de pain et les oiseaux. Tout comme la vue sous-marine dans le pêcheur et l’oie,
l’intermède se situe ici entre les pages 15 et 20, entre le moment où il se met à lire son
journal et celui où il le repose sur la table. Combien de temps reste t’il ainsi absorbé par
sa lecture ? Attend-il que sa soupe refroidisse ? Le rythme de lecture s’en trouve cassé
par un changement d’angle de vue (zoom, gros plan et vue en plongée) et de personnage
principal animal exclusivement. Ici, il s’agit d’une pause des pages 16 à 19 avec des
vues en plongée sur les oiseaux dans la corbeille. Dans ces deux albums, la caméra
plonge sur ces deux actions animalières décisives dans les vies des deux protagonistes
humains et qu’ils ne voient même pas eux-mêmes ! Le narrateur imagier fait un clin
d’œil de connivence au lecteur. Le pêcheur ne voit pas l’oie lui sélectionner le plus gros
poisson de l’étang et le voyageur ne voit pas les oiseaux lui picorer tout son pain telle-
ment il est absorbé par son journal. Les deux se retrouvent surpris mais pas trop étonnés
149
par cette intrusion animale dans leur vie d’être humain ! D’ailleurs, à la dernière double-
page, il reprend son jeu sur son journal, tout en mangeant sa soupe mais, trois pigeons
ont pris le relais sur le dossier de la chaise en face. Alors, le voyageur va-t-il pouvoir
manger sa soupe avec du pain ?
150
III. La famille foulque
« Au printemps, un couple de foulques prépare son nid. A quelques mètres de là, au bord du
même étang, un couple d'humains apporte la dernière touche de peinture à ce qui sera une
chambre d'enfant. A la fin de l'été, naissent le petit d'homme et les petites foulques. La vie
poursuit son cours, au fil des saisons, dans l'une et l'autre famille345
».
En effet, le lecteur remarque immédiatement que cet album narre deux histoires
qu’il doit suivre parallèlement. « Ce procédé de mise en abyme s’appelle « l’enclave » :
par un montage fait d’alternances, ménageant des ruptures, des séquences narratives
chez les uns et chez les autres346
». Cette mise en image permet cette double lecture.
Quelle est la première saison de l’album ? Pour le savoir, il faut regarder les il-
lustrations de double pleine page représentant le passage des saisons. Il y en a une pour
laquelle le lecteur n’a pas de doute. C’est l’hiver avec son manteau blanc ! C’est au lec-
teur de remonter les saisons dans leur ordre chronologique : Printemps / été / automne /
hiver pour savoir quand l’action commence.
« Hymne à la vie et à la nature, ce conte sans texte d'Anne Brouillard est une jolie paren-
thèse poétique dans le monde des albums pour enfants. Une belle façon de parler des cycles
de la vie, du rythme des saisons et des naissances. Quoi de plus romantique au printemps
que la période des amours qui augure des naissances à venir ? Sur l'étang comme sur la
rive, un heureux évènement se prépare. Les grands préparatifs battent leur plein. À l'abri
des regards, caché sous le saule pleureur, un couple de foulques s'affaire à la construction
du nid destiné à accueillir la future nichée. Dans la maison au bord de l'eau, c'est le grand
chantier : derniers coups de peinture, accrochage des rideaux, installation du berceau, trico-
tage des brassières… La naissance est pour bientôt ! D'ailleurs on entend déjà les premiers
gazouillis des oisillons. L'été passe, puis l'automne, l'hiver… Les foulques sortent du nid, le
bébé grandit, les premiers apprentissages arrivent… La vie s'écoule au fil des mois, suit son
cours, en harmonie avec la nature… Quelque part, à proximité d'un étang, de jeunes
foulques et un enfant découvrent la vie et grandissent ensemble.
Anne Brouillard construit son histoire en parallèle, contant avec tendresse et patience l'his-
toire d'un avènement dans le règne animal et dans le monde humain. Anne Godin347
».
Les jeunes foulques, sont-elles les mêmes que celles nées en même temps que le
petit humain ? Anne Brouillard a une relation privilégiée avec la nature et les animaux.
De ce fait, le jeune lecteur s’interroge sur ces naissances comparativement. Comme
dans La terre tourne, la naissance d’un enfant est annoncée au début et le jeune enfant
arrive à la fin de l’album. Cependant, ici, les protagonistes sont « les foulques » … pour
elles aussi, l’attente des bébés est un moment délicat. Vient ensuite l’éducation puis
l’autonomie et la vie continue … Les questionnements suggérés par le narrateur imagier
345
Source : http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 346
Source : Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Union générale d’éditions, collection 10 /
18, 1984, p. 295. 347
Source : http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/35355-la-famille-foulque
151
incitent le jeune lecteur à se documenter sur les naissances animales aussi. Même si
chacun a un rythme différent, la vie ensemble est possible harmonieusement.
« Le haïku permet aussi : des instantanés ou des images visuelles de la vie quotidienne ou
familiale, les descriptions de scènes intimistes, de détails infimes …, l’évocation de la ba-
nalité des choses de la vie, des petits évènements, de gestes ou d’actions de tous les jours,
des tableaux du comportement …, de brosses des portraits …, des animaux familiers, de
l’entourage immédiat, des observations humoristiques, … l’évocation de fêtes familiales ou
sociales …348
».
Anne Brouillard se retrouve dans cette atmosphère poétique du haïku.
Les saisons passent
Naissances, vies entrecroisées
En ville, à l’étang
La famille foulque et la vieille dame et les souris ont été édités en même temps,
en avril 2007, dans un format rectangulaire plus grand. La vie de tous ces personnages
autour de l’étang et dans la ville nécessite davantage d’espace dans la page.
Contrairement à ce qui se passe dans ces deux premiers albums : le pêcheur et
l’oie et le voyageur et les oiseaux où les protagonistes entrent et sortent du champ de
vision du lecteur-spectateur dans un espace fixe, comme sur une scène de théâtre :
- le pêcheur arrive et repart de l’étang, l’oie arrive et reste, les canards et les foulques
vont et viennent.
- Anne et son compagnon sont installés puis repartent, tout comme le papa et son petit
enfant ainsi que la vieille dame et son amie, le voyageur arrive et reste à sa table, les
oiseaux arrivent et s’envolent de la panière.
Ils sont organisés comme deux albums-cadres, dans lesquels les personnages
bougent, s’installent, vivent des moments au rythme des pages, au fur et à mesure du
temps qui s’écoule, ils entrent en scène et en ressortent … Les pages de garde sont
comme une levée et une tombée de rideau sur ce décor et le lecteur est comme assis
dans une salle de théâtre. Il regarde le spectacle se dérouler devant ses yeux et le temps
est d’une relative courte durée :
- environ une journée ou une demi-journée pour le pêcheur.
- le temps de manger une coupe de glace (environ une heure) pour le voyageur.
Dans la famille foulque, ce même lecteur-spectateur retrouve ce décor extérieur
autour de l’étang mais il ne reste pas fixe, il n’est pas figé derrière un appareil photogra-
phique mais il bouge avec une caméra. Il suit les personnages et les accompagne dans
348
Philippe Costa, op. cit., pp. 44 Ŕ 45.
152
leurs activités, sur une année qui s’écoule au rythme des quatre saisons. Afin de per-
mettre ces déplacements des personnages et du lecteur, dans des lieux et à des moments
différents, l’espace de la page est plus grand, plus long et plus large. Le format extérieur
de l’album accompagne donc son contenu intérieur : l’histoire des personnages, les lieux,
et les saisons qui se déroulent.
A. La première de couverture
Dès la première de couverture, même si la technique artistique utilisée par Anne
Brouillard est un peu différente (exclusivement à la plume et à l’encre), les foulques, les
animaux lacustres et le saule pleureur sont dessinés à l’identique. Par cette connivence
visuelle et graphique qu’Anne Brouillard maîtrise parfaitement, le lecteur retrouve et
reconnaît le décor sans équivoque. Il se sent déjà chez lui parmi les habitants de ce quar-
tier. Cette fois-ci, ce sont les foulques qui sont les personnages principaux. Tout con-
verge vers cette affirmation :
- le titre : écrit en rouge sur fond d’eau claire de façon à bien le faire ressortir.
- au premier plan, en bas à gauche, deux foulques posent comme devant l’objectif d’un
appareil photographique, sur la branche la plus basse du saule pleureur.
Cet espace est idyllique pour elles : juste au dessus de l’eau (pour pêcher et na-
ger) mais au sec (pour leur nid). De plus, elles sont protégées par les branches et le feuil-
lage du saule pleureur. Le lecteur les voit « vues de l’eau » ou « depuis l’autre rive de
l’étang » (celle où sont les canards et l’oie sur la première vignette page 4 du pêcheur et
l’oie. Alors que les personnages qui se trouvent sur la berge construite ne les voient pas
(tel était déjà le cas pour le pêcheur page 5).
Elles n’ont pourtant rien à craindre car, ici et tout autour, dans l’espace de cette
page, l’atmosphère est calme et détendu. C’est le temps du repos, des jeux, de la prome-
nade ou de la lecture … Les chats sont assis et attendent tranquillement. Même le chien
regarde paisiblement la corneille et les canards qui n’en ont pas peur non plus. Nous
sommes certainement un dimanche ou un week-end d’été. Le soleil réchauffe doucement
la nature et ses hôtes.
L’illustration de pleine page est à fond perdu. Les personnages et le décor sortent
du cadre de la couverture. Les pages 6-7 permettront d’élargir ce même champ de vi-
sion :
153
- un peu à gauche sur les branches du saule pleureur,
- un peu plus à droite avec l’oie blanche, le couple d’humains présenté sur la quatrième
de couverture et les oiseaux de la gare.
B. La quatrième de couverture
Sur la quatrième de couverture, dans la vignette rectangulaire extraite de la page
9 de l’album, le narrateur imagier donne à voir un changement de lieu et d’espace (le
lecteur se retrouve à l’intérieur d’une maison) et de personnages (il s’agit d’un jeune
couple d’humains). Le jeune lecteur a un doute interprétatif :
- « S’agit-il de monsieur et madame Foulque ?
- Non, parce que « foulque » est écrit sans majuscule et la foulque est l’animal représen-
té sur la première de couverture ! »
Le texte explicatif de l’éditeur éclaire la compréhension : « les foulques attendent
des petits comme la dame est enceinte. Les deux couples préparent l’arrivée de leurs
bébés. »
D’ailleurs, à travers la fenêtre de la maison, le lecteur peut voir, à l’extérieur, le
saule pleureur et la foulque qui nage sur l’eau de l’étang. Les deux couples habitent en
face l’un de l’autre. L’illustration de la double-page 6-7 renseigne sur la maison du jeune
couple humain. Ils habitent celle avec la clôture et le portillon en fer.
Le fond de la page est d’un vert tendre, celui des jeunes pousses. Cette couleur
annonce la renaissance de la nature et l’arrivée de nouveaux bébés.
C. Les pages de garde
Les pages de garde rappellent les pages de couverture extérieures du pêcheur et
l’oie et du voyageur et les oiseaux. L’animal y est représenté plusieurs fois, entrain
d’évoluer dans plusieurs directions. Le lecteur y voit la foulque dans ses deux éléments
naturels :
- sur l’eau (page de gauche) / sur terre (page de droite)
et dans plusieurs attitudes :
- elle nage au gré de l’eau / elle marche et picore sur terre.
154
Par un jeu de transparence, le lecteur distingue les foulques aquatiques et ter-
restres qui se superposent. Cet effet renforce l’idée que cet animal est aussi bien à l’aise
sur l’eau que sur terre. Elle vit et évolue parallèlement dans les deux éléments.
Le fond des pages est peint (la couleur n’est pas uniforme comme celle du papier
coloré) dans les tons jaunes-orangés vifs de façon à faire ressortir par contraste le noir de
l’animal. Cela donne un effet en trois dimensions349
: la foulque semble ressortir de la
page en volume.
Sur la page de faux-titre, la foulque marche à gauche : vers l’extérieur du livre et
vers le lecteur au centre de la page, et nage à droite : vers l’intérieur du livre. Les deux
foulques en bas de la page regardent en direction du lecteur. Elles semblent l’interpeler :
« alors, on tourne la page à droite ou à gauche ? On y va à la nage ou à patte ? »
Sur la page de titre, le lecteur trouve une autre vignette rectangulaire issue de
l’album (page 13). Par cette illustration, l’ambiance calme des pages de couverture de-
vient tout à coup bruyante avec cette fanfare. D’ailleurs, les canards ouvrent le bec affo-
lés et se précipitent à l’eau, dans le coin en bas à droite, invitant le lecteur à tourner la
page pour les suivre, dans un coin plus calme !
D. Le cheminement dans l’espace
L’album commence à la manière d’une planche de Bande Dessinée découpée en
cases (aux limites floues et naturelles) qui s’agrandissent au fur et à mesure que l’espace
s’élargit et que les personnages y prennent place.
Par une vue en plongée sur trois petits carrés représentant le même espace (des
brindilles sur l’herbe), la foulque entre en scène par la gauche.
349
Il arrive fréquemment qu’Anne Brouillard construise les maquettes de ses albums et ses personnages
« en vrai », en trois dimensions, pour leur donner plus de réalité. Il lui arrive aussi de les présenter sous
forme d’expositions.
155
La lecture imagière commence de gauche à droite pour se dérouler ensuite de
haut en bas. L’œil du lecteur suit la foulque dans ses déplacements :
- tantôt de profil : la foulque progresse de gauche à droite,
- tantôt de face : la foulque avance vers le lecteur.
Dès la page 5, le couple humain entre en scène discrètement : leurs silhouettes se
reflètent sur l’eau. La connaissance géographique que le lecteur a du lieu lui permet de
comprendre que le jeune couple marche sur le chemin qui longe l’étang et arrive par la
gauche (derrière le saule pleureur tel qu’il est représenté sur la première de couverture).
La plus grande bande rectangulaire présente le nid des foulques en gros plan, leur don-
nant ainsi la priorité dans l’espace. Leur lieu de vie est bien identifié par le lecteur main-
tenant.
Par un champ large, la double-page illustrée pages 6-7 positionne les deux lieux
de vie l’un par rapport à l’autre en suivant la diagonale entre les deux angles opposés :
- le nid des foulques en bas à gauche / la maison du couple humain en haut à droite.
Ensuite, le narrateur visuel présente l’espace de vie du couple humain. Tout
d’abord, la maison vue de l’extérieur puis, l’intérieur, par trois images séquentielles, le
salon et la chambre du bébé. Eux aussi font les préparatifs pour accueillir leur enfant.
Dans cette atmosphère, les animaux et les humains sont égaux tout comme la pa-
rité homme-femme est naturelle. Ces deux espaces, présentés alternativement et en vis-
à-vis corroborent cette conception de la vie.
Les nouveaux-nés sont eux aussi présentés dans leur espace familial avec le
même équilibre imagier sur les pages 10 et 11. Le lecteur fait leur connaissance alors
qu’ils sont chacun dans leur cadre familial, entourés affectueusement par leurs parents.
Les deux illustrations sont situées en vis-à-vis comme leurs deux lieux de résidence et la
double narration parallèle qui caractérise cet album. Le lecteur fait une double lecture
simultanée.
Tout au long des pages suivantes, l’œil suit l’évolution des personnages dans
l’espace :
156
- Tantôt dedans / tantôt dehors : page 19 par exemple :
- Tantôt sur terre / tantôt sur l’eau : page 15 par exemple :
Les protagonistes animaux et humains se rencontrent dans cet espace commun et
partagé harmonieusement page 23 :
Selon les besoins de la scène,
- Les plans sont rapprochés ou larges : page 18 par exemple : l’accent est mis sur cer-
taines activités de la foulque après avoir situé le cadre de ses actions.
- Les vues sont en plongée ou en contre-plongée : pages 22 et 23 par exemple, de façon
à présenter parallèlement les deux familles qui vivent dans un petit espace (quartier)
inclus dans un plus vaste espace (ville) mais où chacun a une égale importance (gros
plan sur les êtres vivants à la hauteur des plus petits).
Les techniques de prises de vues utilisées servent les desseins du narrateur ima-
gier afin de montrer l’évolution des protagonistes dans l’espace.
- Espace dans lequel vont se croiser le papa et le pêcheur : page 18 :
- Espace dans lequel la maman et l’enfant observent le pêcheur : page 21 :
L’espace reste, le pêcheur, l’oie, la maman et l’enfant y sont statiques, seule la
foulque navigue d’un côté à l’autre pour construire son nid, exprimant par ses aller-
retour sur l’eau le temps qui passe.
157
E. L’évolution dans le temps
Tout au long de l’album, chaque illustration de double-page représente une sai-
son différente, scandant ainsi une année qui s’écoule. Les couleurs du paysage changent
selon le climat météorologique propre à chaque saison, les êtres humains et les animaux
sont plus ou moins nombreux dehors, au bord de l’étang mais l’angle de vue reste tou-
jours le même pour le lecteur. Il s’agit de la même illustration déclinée en quatre saisons.
Au fur et à mesure que le temps passe, les fenêtres s’ouvrent et se ferment, le banc ac-
cueille des promeneurs ou pas, les arbres ont plus ou moins de feuilles, la couleur de
l’herbe change, l’eau du lac se transforme … mais les deux familles principales sont
toujours représentées par le narrateur imagier. À l’instar de la terre tourne, « des enfants
poussent dans le ventre de leur mère, … les enfants grandissent, … d’autres naissent,
bien au chaud dans le ventre de leur mère » et le cycle de la vie continue, au fur et à me-
sure du cycle naturel de la terre qui tourne.
158
Pages 6 Ŕ 7
C’est l’été, le temps des vacances et des travaux de plein
air. Les fenêtres sont grandes ouvertes et la majorité des
gens sont dehors en compagnie des animaux domes-
tiques ou sauvages. D’un côté, la maman foulque couve
ses œufs, « L'incubation commence avant que la portée soit au
complet et dure un peu plus de trois semaines. La plupart du
temps, les premières portées sont pondues fin avril. Les portées
de remplacement sont pondues jusqu'à fin juillet » 350 ; de
l’autre, la maman humaine porte son bébé dans son
ventre. Le beau temps et les couleurs chaudes participent
à créer une ambiance sereine.
Pages 14 Ŕ 15
C’est l’automne, les feuillages ont pris de belles couleurs
rousses et le temps est toujours ensoleillé. Les naissances
ont eu lieu. La maman part promener son bébé en landau.
Les parents foulques nagent. Les trois petites foulques
sont cachées sous les branches du saule pleureur ou bien,
ce sont elles qui sont sur l’herbe, devant le banc car « les
jeunes s'alimentent seuls vers l'âge de 4 semaines. »351 Il y a
moins de gens dehors maintenant que le temps fraîchit.
Pages 16 Ŕ 17
C’est l’hiver, le paysage est recouvert de neige. Le décor
est tout blanc. L’enfant a grandi maintenant, il se pro-
mène assis en poussette. Deux saisons sont passées. Les
bébés foulques eux, sont déjà devenus adultes ! Le narra-
teur imagier présente un héron cendré, autre habitant de
l’étang. Sur le banc recouvert de neige, les oiseaux de la
gare se reposent à leur tour car les êtres humains sont
rares dehors.
Pages 20 Ŕ 21
C’est le printemps avec ses pluies averses ! Vite, tout le
monde rentre sauf le pêcheur qui a prévu son parapluie.
Le chat blanc (qui n’aime pas la pluie) longe la haie la
queue basse. L’enfant se fait encore porter dans les bras
de sa maman. Les foulques (le même couple ?) recons-
truisent un nid pour de nouvelles naissances. Le cycle de
croissance est plus rapide chez les animaux que chez les
humains mais les saisons, passent au même rythme pour
tous.
Pages 24 Ŕ 25
C’est le retour de l’été. Entre temps, trois nouveaux
bébés foulques sont nés et marchent déjà tout seuls.
L’enfant a une année et peut jouer avec ses camarades
sans l’aide de ses parents. Pour célébrer ce nouveau
cycle saisonnier, le point de vue a changé : la scène est
vue en plongée depuis les maisons. Le lecteur découvre
alors trois saules pleureurs autour de l’étang ! Le narra-
teur imagier en profite pour lui présenter l’autre berge.
350
Source : http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html 351
Source : http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html
159
Les saisons passent mais les journées et les nuits aussi, au rythme des activités et
des temps de sommeil comme l’illustrent les images séquentielles de la page 9.
Même dans ce rythme quotidien, le narrateur visuel prend toujours soin de pré-
senter parallèlement la vie des deux familles. Ainsi, les jours se succèdent avec leurs
temps de préparation, de travail, de repos, de loisirs … Cependant, dans les albums
d’Anne Brouillard, les protagonistes prennent toujours le temps de partager un moment
chaleureux ensemble, à l’exemple d’un pique-nique et l’atmosphère reste propice à la
contemplation d’enfants qui dorment ou qui grandissent. Le lecteur aussi…
Lorsque le rythme est plus rapide, certaines actions sont découpées dans le temps
à la manière de plusieurs instantanés mis bout à bout, comme pour donner l’effet d’un
folioscope. Ainsi, la page 18 présente six instants brefs et consécutifs par contraste avec
la vignette du haut (le pêcheur arrive tranquillement). Sur cette même page, une grande
illustration sur toute la largeur de la page présente un moment lent et six petites images
séquentielles présentent une succession de moments brefs et rapides. La foulque
« plonge très souvent à la recherche de nourriture avec un petit saut et ressort rapidement
(flotte comme un bouchon)352
» :
L’entrée dans l’album se passe le matin, avec le démarrage des activités et la sor-
tie a lieu le soir : les humains ferment leurs volets et leurs rideaux avant d’aller dormir.
Si le lecteur passe de la première à la dernière page sans lire l’album, il s’est écoulée une
journée ! On retrouve le temps bref dans le temps long, le tout petit dans le tout grand,
des thématiques chères à Anne Brouillard.
352
Source : http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html
160
IV. La vieille dame et les souris
« Dans la ville, trois petites souris sautent un caniveau, longent les maisons au bord d'un
trottoir. Par un soupirail elles entrent dans un immeuble, grimpent un escalier, se faufilent
sous une porte. Dans ce vieil appartement, elles rejoignent des dizaines de souris qui ont élu
domicile. Quand rentre la vieille dame, elles se tapissent sous le gros fauteuil du salon353
».
Où donc était partie la vieille dame ? Pourquoi et pendant combien de temps ?
« Anne Brouillard est une merveilleuse conteuse. Ses illustrations se passent aisément de
texte. On comprend, on devine, on imagine tout un monde et surtout une histoire, où les
émotions sont aussi diverses que très présentes. Nous sommes dans un quartier en plein
bouleversement. De vieux immeubles ont déjà été détruits, d’autres vont bientôt l’être. Au
milieu de tout ça, des souris. Elles vont et viennent, trouvent refuge dans les appartements
en sursis. Dans l’un d’entre eux, une vieille dame et toute une colonie de petits rongeurs qui
se glissent partout. Actives, les souris jouent avec les instruments de cuisine, les meubles,
semblent comploter et aussi observer tous les faits et gestes de la vieille dame. Très atta-
chées à leurs semblables et à leur quartier Ŕ elles semblent préférer la ville aux champs Ŕ,
les souris demeurent sur place même quand les logements se vident. Il en reste encore suffi-
samment pour les abriter. Anne Brouillard réussit parfaitement à nous happer avec cette
histoire. Le découpage, les différents plans, les jeux d’ombre et de lumière…tout s’articule
de façon à inclure du suspense dans cet album, qui parle de cohabitation réussie, d’entente
silencieuse, d’un présent à la limite du passé, et de la vie qui continue quoi qu’il arrive.
Pascale Pineau354
».
Au fur et à mesure que les appartements se vident de vie humaine, elles quittent
les lieux, elles aussi pour aller ailleurs, elles suivent le mouvement, là où il fait bon et
chaud vivre, s’amuser et manger ! Elles aiment la compagnie des êtres humains dans
l’univers d’Anne Brouillard, à la ville comme ailleurs …
« J’en fais l’expérience en bibliothèque, les albums sans texte déroutent souvent les pa-
rents : « oh non prends pas ça, y a pas d’histoire ! » Et pourtant, celle d’Anne Brouillard,
tout en images, est très belle, et pleine de sens, tout en laissant place à l’imaginaire de
l’enfant. Je me suis laissée prendre au piège (de la lecture !) et j’ai beaucoup aimé cet al-
bum. Une vieille dame rentre de voyage. Des souris ont investi sa maison. Elles sont de
plus en plus nombreuses. La vieille dame les capture, qu’en fera-t-elle ? La réponse dans
l’illustration, c’est adorable ! Puis la maison de la vieille dame se vide, meubles et cartons,
pourquoi ?
La dernière double-page, avec un retour sur la première, donne la réponse.
Superbes illustrations, pour une très belle histoire, même sans texte, n’hésitez plus à sur-
monter vos craintes355
».
« Le haïku permet aussi : d’exprimer les difficultés de la vie, les siennes ou celles des
autres356
».
Anne Brouillard dépeint la transformation d’une ville et le déplacement de ses
habitants avec tendresse et nostalgie.
353
Source : http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 354
Source : http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/34961-la-vieille-dame-et-les-souris 355
Source : http://lesjardinsdhelene.over-blog.com/article-11385792.html 356
Philippe Costa, op. cit., p. 45.
161
Une vieille dame, des souris
Où donc est-elle partie ?
La ville a changé
A. La première de couverture
La vieille dame et les souris s’organise comme l’album de la famille foulque
mais dans un espace plus vaste, celui de la ville357
située sur les hauteurs du quartier de
l’étang. Ce changement de lieu de vie est repéré dès la première de couverture, grâce à
l’illustration de pleine page à fond perdu issue de l’album page 21. Par une vue en plon-
gée et en profondeur, le lecteur se retrouve dans le coin-salon d’un appartement « pro-
pret ». Les meubles dépassent le cadre de la page, donnant ainsi une dimension plus spa-
cieuse à ce cadre de vie rustique. Cette impression de « vieillot » se retrouve dans plu-
sieurs détails : le titre, les couleurs vieux rose, les meubles anciens, la télévision « d’une
autre époque », la photographie dans le cadre (il s’agit peut-être de la vieille dame quand
elle était jeune avec son mari ?).
Une chose étonne le lecteur d’emblée ! Cette pièce, qui semble toujours habitée
est remplie de souris ! « On dirait qu’on est chez les souris ? » De petites souris grises
anthropomorphes. Des attitudes humaines que le lecteur retrouve lors de la préparation-
cuisson du gâteau (page 18) et surtout (page 25), lorsqu’elles se saluent pour se dire au
revoir en se serrant « la patte » à la manière d’êtres humains avant de partir chacune
dans une direction différente (à la recherche d’un nouvel appartement à occuper !).
Cependant, un carton ouvert, visible en partie au premier plan, dans le bas de la
page, déclenche des hypothèses de lecture :
- « Peut-être que la vieille dame est morte ? Alors, les souris elles se sont installées là en
attendant que quelqu’un déménage ses affaires ?
- Quelqu’un a pris le thé avant de partir. Ils étaient deux parce qu’il y a deux tasses et
les souris ont fini les miettes du gâteau. Est-ce un couple ?
- En tout cas, elle va déménager parce que les placards et les tiroirs sont vides. Ou bien
elle emménage, elle n’a pas encore eu le temps d’installer toutes ses affaires ? »
357
« La ville ouvre souvent sur l’imaginaire » dans la représentation de la ville dans le livre de jeunesse.
Denise Escarpit, Nous voulons lire !, N° 176, septembre 2008, p. 15.
162
Ces horizons d’attente seront confirmés ou infirmés par la lecture de l’album.
Chez Anne Brouillard, le lecteur retrouve souvent ce doute interprétatif : le personnage
arrive t-il ou bien part-il ? Tel un cycle perpétuel, les choses vont et viennent sans cesse
dans un sens et dans l’autre. Comme les trains, comme la terre tourne, ses personnages
évoluent dans le temps et dans l’espace. Le narrateur imagier parsème des petits indices
que le lecteur doit découvrir afin de trouver une réponse. L’appétence est ainsi déclen-
chée et le plaisir de lire est toujours activé. Tel Sherlock Holmes, le lecteur veut mener
l’enquête et découvrir « qui a pris le thé en dernier et pourquoi il y a tant de souris ins-
tallées comme si elles étaient chez elles ?
Les couleurs des polices de caractère sont assorties au décor. Le rose du titre
rappelle celui des fauteuils. Le gris utilisé pour écrire le nom de l’auteure-illustratrice et
de la maison d’édition rappelle celui du pelage des souris. Il se dégage une impression
d’harmonie malgré ce « cahot » dû aux souris.
B. La quatrième de couverture
Sur la quatrième de couverture, le lecteur avisé repère tout de suite le clin d’œil
imagier : « ce sont les mêmes souris que dans la famille foulque ! ». On dirait qu’elles
surveillent où va la vieille dame ? Ou bien, elles se cachent comme deux enfants qui
préparent une bêtise … Que mijotent-elles ? La joie déclenchée par
cette connivence reconnue est papable et contagieuse. Les jeunes lecteurs vont vérifier
dans la famille foulque et ils ont envie de lire ou de relire les autres albums à la re-
cherche d’autres résonnances.
Dans cet espace encadré, par une vue en plongée, l’œil du lecteur opère un va-et-
vient des souris à la vieille dame vue de dos, le long d’une allée bordée d’arbres. La
fleur jaune de pissenlit apporte une délicate touche de couleur et annonce la saison
chaude. Au fond de cette allée, le lampadaire éclairé, tel un point de fuite visuel, donne
un effet de profondeur à cette image topographique. Cette mise en page graphique pré-
sente une image en relief et le lecteur a l’impression que la vieille dame monte. Le jaune
orangé donne de la luminosité au cadre et l’allée semble plus pentue. Cette vignette rec-
163
tangulaire de la quatrième de couverture se retrouve dans l’album à la page 13 où,
l’association avec la vignette du dessus accentue cet effet de paysage vallonné. La
vieille dame semble descendre l’allée car, le mur de la maison au premier plan à gauche
est aussi haut que les grands arbres situés en arrière-plan. Ce choix graphique donne un
effet de chemin en pente vers le fond de l’image.
Cette tache lumineuse au fond de l’allée arborée invite le lecteur à suivre la
vieille dame. Et les souris, vont-elles la suivre aussi ? Le texte explicatif de l’éditeur
apporte quelques éléments de réponse mais déclenche d’autres remarques aussi :
- « Le texte parle de « trois souris » mais sur la quatrième de couverture il n’y en a que
deux !
- Mais dans La famille foulque elles sont bien trois ?
- Et sur la première de couverture, elles sont très nombreuses … au moins vingt !
- Il dit que « la dame était partie en voyage », mais pourquoi il y a des cartons vides
alors ? Quand on part en voyage on prend juste une valise, on ne déménage pas son ap-
partement !
- Oh ! Là là ! Quand « la dame revient », elle va trouver toutes ces souris chez elle ?
- Les souris peuvent-elles vivre avec la vieille dame ? Ou bien, la vieille dame peut-elle
vivre avec les souris ?
- En tout cas, dans les albums d’Anne Brouillard, les hommes et les animaux vivent
ensemble sans problème d’habitude. »
C. Les pages de garde
Les pages de garde sur fond rose « vieux fauteuil » présentent plein de petites
souris grises qui ont l’air très coquines. Celle située dans le coin, en bas à droite de la
première belle page, avec ses deux pattes en « porte voix » et ses grands yeux malicieux,
semble chuchoter au lecteur : « viens, suis moi dans ce livre. Tu vas voir, on va bien
164
s’amuser tous les deux ! » Page 2, le lecteur la retrouve en bas à droite, prête à bondir à
l’intérieur du livre
La vignette carrée de la page de titre (la première case de la page 8) est encore
plus injonctive visuellement. L’œil est à hauteur de souris et le lecteur a
l’impression d’être la quatrième souris. Elles sont devant la porte du buffet entr’ouverte
et elles s’apprêtent à monter dedans. Cette pause sur image montre combien, avisées par
une longue expérience, elles sont très prudentes et se méfient des pièges, elles ont les
oreilles en arrière. Par son regard complice, le lecteur se sent impliqué dans l’histoire. Il
veut donc suivre les souris pour voir … car cette vue en contre-plongée ne lui permet
pas de voir ce que les souris regardent là-haut, dans le buffet ! L’envie de lire la suite est
maintenant très forte.
Que s’est-il passé entre la première et la dernière illustration ?
Ces deux illustrations ont une dimension temporelle : entre le lever du jour (le
ciel a une lumière jaune orange) et la tombée de la nuit (le ciel a une couleur bleutée). Ici
aussi, si le lecteur passe de la première à la dernière page sans lire l’album, il s’est écou-
lée une journée ! Elles ont aussi une dimension spatiale dans le cadre de la page : la
première occupe le plus grand tiers de la page 4 ; la deuxième occupe la double-page 26-
27. Mais, entre ces deux prises de vue, l’espace a été transformé. Par la force de ces
images, « le vide » suffit à exprimer le temps qui passe et l’évolution dans un espace.
165
D. Le cheminement dans l’espace
L’entrée en lecture donne le cadre spatio-temporel et positionne donc un espace
urbain et en travaux, symbolisé par la présence de deux grues qui encadrent la rue. « À
Bruxelles, il y a toujours des grues qui dépassent au-dessus des immeubles358
».
Dans l’espace de cette page, les cadres sont inversement proportionnels à ceux de
la page 4 de La famille foulque (gros plan, plan large, plan très large). Ici, le zoom va
grossissant, respectant les proportions des éléments ciblés (le quartier dans la ville, la rue
et ses maisons dans le quartier, l’angle du trottoir en bas à gauche). L’avancée dans
l’espace progresse de haut en bas, au rythme de trois bandeaux de moins en moins larges
alors que le plan est de plus en plus gros.
La hauteur des cadres accompagne l’espace représenté :
- Plus haut pour les grues,
- Moins haut pour les maisons,
- Plus fin pour les souris à quatre pattes.
Par une vue en plongée, le lecteur aperçoit une personne sur le trottoir avec une
valise à roulettes. Petit être dans cet espace écrasant. Puis, un zoom avant en plongée la
montre traversant la rue. Comme sur une scène où les personnages entrent et sortent à
tour de rôle, la vieille dame part vers la droite et les souris arrivent par la gauche. Puis, la
vieille dame disparaît du champ de vision et laisse la place aux trois souris qui occupent
tout l’espace. Cet effet annonce l’intrusion des souris dans l’appartement désert : elles
attendent que les habitants soient partis pour prendre la place laissée vacante.
Tout au long de l’album, au rythme de l’alternance de petites cases, à la manière
d’une Bande Dessinée, associées à de grandes illustrations encadrées, le lecteur suit les
personnages dans l’espace.
Depuis l’extérieur vers l’intérieur, l’entrée dans l’appartement se fait à pas de
souris, avec des temps d’arrêt pour vérifier qu’il n’y ait pas de danger ou d’autres hôtes ?
Les autres souris étaient peut-être
358
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010.
166
déjà là avant l’arrivée de ces trois souris ? Si tel est le cas, depuis combien de temps dé-
jà ?
Les illustrations dans la cage d’escalier sont remarquables par leur traitement de
l’espace :
Page 6
Page 25
Page 8
Sur toute la hauteur de la page 6, un long bandeau vertical ménage une magni-
fique vue en contre-plongée sur l’escalier, permettant ainsi au lecteur de suivre les ef-
forts des trois souris pour arriver jusqu’en haut. L’espace semble démesurément grand
par rapport à leur petite taille. En vis-à-vis, page 25, la même vue sur le même espace
donne un effet complètement différent. Les souris sont beaucoup plus nombreuses mais
surtout, elles descendent en faisant des glissades sur la rampe d’escalier et certaines
s’amusent même à faire des plongeons et des galipettes sur les marches ! L’humeur n’est
plus du tout à l’effort. L’espace est le même, le point de vue est identique mais l’effet est
contraire de par le positionnement des personnages dans cet espace.
Sur la droite de la page 6, le premier rectangle montre l’ascension du dernier pa-
lier par les trois souris. Cette vue en plongée sur les dernières marches à gravir insistent
sur la petitesse des souris, accentuant les efforts qu’elles doivent fournir pour monter si
haut. Page 8, le lecteur retrouve la même mise en scène avec la vieille dame. Elle aussi
semble bien petite et bien fatiguée. Est-ce le fait de devoir monter toutes ces marches ?
Ou bien est-ce le fait de devoir bientôt quitter son appartement ? Ou encore, le retour en
ville est douloureux car elle « était bien » là où elle est partie (entre les pages 4 et 8359
) ?
359
« Grande » ellipse spatio-temporelle à combler par l’imagination du lecteur. Les résonnances vont
nous y aider …
167
Le même espace disponible est perçu tantôt à l’échelle humaine, tantôt à
l’échelle des souris :
Page 7
Page 9
Par ce jeu d’angle de vue, l’espace prend une autre dimension aux
yeux du lecteur :
- Vue à hauteur de souris, en contre-plongée, la pièce paraît im-
mense, plus haute et plus spacieuse (le placard est entr’ouvert,
« la bonne aubaine » !)
- Vue à hauteur d’humain, en plongée par-dessus l’épaule droite
de la vieille dame, la pièce devient très modeste et étroite. Par la
suite, les souris vont continuer leur progression et occuper tout
l’espace disponible.
Page 11
Le soir
Page 11
Avant d’aller dormir
Page 12
Pendant la nuit
Page 12
Le lendemain
matin
Pages 12 Ŕ 13
En début de matinée
Page 15
(dans ou en fin de) la matinée
À échelle humaine, la cage
piège et le sac à provisions
semblent bien petits mais à
échelle de souris, c’est une
toute autre dimension.
Sur la page 8, une mise en page alternée des vignettes :
- Cinq vignettes pour les souris / Trois vignettes pour la vieille dame, permettent des
vues entrecroisées sur ce qui se passe au même moment mais dans des lieux différents
pour les personnages humains et animaux. Là aussi, plusieurs options interprétatives
s’offrent au lecteur car, pendant les vides illustratifs, la narration continue grâce à
l’imagination des lecteurs.
- Soit, lors de la troisième vignette, la vieille dame est dehors pour revenir assez rapi-
dement à la vignette cinq. Elle est sortie de chez elle à la page 4, ici, elle marche dans la
rue. Cependant, est-elle sur le chemin de l’aller ou bien sur le chemin du retour ? Pen-
dant sa courte absence, les souris s’installent ; pendant qu’elle monte les escaliers, les
souris s’aventurent dans la cuisine. (Temps bref)
- Soit, lors de la troisième vignette, elle part en voyage, ou bien elle en revient ? (Com-
bien de temps est-elle partie ?). Durant son absence, les souris occupent l’espace laissé
vacant. Elle rentre de voyage à la cinquième vignette. Les deux vignettes illustrant son
absence (voyage plus ou moins long ?) encadrent une seule vignette installant les souris
dans l’appartement. (Temps étiré)
168
Trois pages illustrées, uniquement avec les souris, séparent le moment où la
vieille dame est sortie de chez elle et le moment où elle rentre chez elle. Ainsi, le lecteur
induit-il le fait qu’elle a dû partir en voyage pendant que les souris se sont installées dans
son appartement. De plus, elle part en tirant sa valise à roulettes avec la main droite alors
qu’elle rentre en la tirant avec la main gauche ! Ainsi, l’espace permet d’imaginer le
temps qui passe mais ne permet pas d’en donner la durée.
« Il ne faut pas confondre la notion de récit avec celle d’une action qui est restituée dans sa
durée. Par définition, les récits dessinés ne reposent pas sur un temps mimétique (contrai-
rement au « récit » audiovisuel ou scénique), mais sur un temps de la lecture (non mimé-
tique). Aucune combinaison de mots et/ou d’images ne permet de restituer une hypothé-
tique vitesse de défilement correspondant au temps de l’action. (…) Ce qu’il est convenu
d’appeler « vitesse du récit » relève du choix de la quantité d’évènements et de la taille des
évènements360
».
Le narrateur imagier utilise une série d’images séquentielles pour faire progresser
les souris sur peu d’espace alors qu’il utilise deux ou trois images quand la vieille dame
traverse la ville :
Page 5
Sur les traces des souris,
l’espace est présenté dans de
petites vignettes, de façon
parcellaire, à leur dimension.
Page 8
Page 8
Page 13
Sur les traces de la vieille dame,
dans les cases, l’espace est montré
à l’échelle humaine.
Les déplacements des personnages dans l’appartement donnent une idée précise
de la disposition des pièces. Comme à son accoutumée, Anne Brouillard réalise les plans
des lieux de vie dans lesquels elle fait évoluer les protagonistes de ses histoires.
Ainsi, tout au long de l’album, de la première à la quatrième de couverture, au fur
et à mesure que l’histoire progresse, les personnages évoluent dans différents espaces de
différentes dimensions mais aussi à différentes échelles.
À l’intérieur, le lecteur les voit évoluer dans :
- l’appartement, l’épicerie, le panier
360
Harry Morgan, Les principes des littératures dessinées, in résumé des principaux points établis dans le
livre premier, page 7, consulté sur le site internet : http://theadamantine.free.fr/
169
Par exemple, sur la double-page 20-21, l’ouverture de l’espace présenté sur la première
de couverture, sur la gauche, permet de mesurer l’avancée du déménagement de la
vieille dame et l’état de son appartement.
Leurs activités matérialisent aussi le temps qui passe. Car en fait, pourquoi tous
ces déplacements ? Et combien de temps s’est-il écoulé entre ces deux moments ?
L’incipit plonge le regard dans l’espace par saccades. La rue et l’immeuble de la
vieille dame sont représentés sur un bandeau rectangulaire occupant un tiers d’une page.
C’est un plan large dans une image réduite. Par contre, l’excipit plonge le regard dans le
« même » espace « en plein » sur une double-page. Le plan large occupe tout l’espace
laissé à l’image. Le lecteur embrasse l’espace « visuel » et l’espace « imagier » le livre
ouvert. Entre les deux prises de vue, l’immeuble de la vieille dame s’est vidé de ses ha-
bitants, au centre et à droite, les bâtiments ont été détruits, laissant place à un immense
immeuble moderne dans lequel habitent … les personnages.
E. L’évolution dans le temps
À la lecture de ces pages, le lecteur comprend la transformation de l’espace ré-
partie dans le temps. Chaque illustration fige un moment précis et les activités des per-
sonnages illustrent le déroulement du temps. En fonction de l’analyse spatiale ou tempo-
relle, la lecture des illustrations est affinée. Cette double approche permet un enrichis-
sement de la narration visuelle. Comme pour l’occupation de l’espace, le temps passe
aussi à l’échelle des souris, des êtres humains et des grues (le paysage urbain se moder-
nise : devient plus récent).
170
À l’échelle du quartier :
Page 4
Au début :
Sur le trottoir de gauche,
quatre maisons sont habitées
(fenêtres éclairées).
Sur le trottoir de droite, on
voit un terrain vague (quel-
ques meubles) et des maisons
encore habitées.
Page 15
Au milieu :
Le temps passant, la première
maison (grise) à gauche a été
démolie. Une palissade de travaux
la remplace. Les habitants de la
maison suivante déménagent …
mais la vieille dame rentre « en-
core » chez elle. Le cadre narratif
incline à cette interprétation mais
le doute est autorisé. Partent-ils
ou arrivent-ils ? Une nouvelle
lecture ultérieure, après avoir lu la
fin de l’album permettra de tran-
cher.
Page 26
À la fin :
La deuxième maison à gauche
n’existe plus, la prochaine est
celle de la vieille dame. Celle de
droite est presque démolie. Une
barrière ferme la rue. On voit une
cabane de chantier.
L’élargissement du champ sur la
droite présente le nouvel im-
meuble construit à la place des
anciennes maisons éclairées
(page 4).
Au fur et à mesure que le temps passe, les maisons sont démolies et les palissades
de travaux occupent l’espace. L’éclairage des appartements permet d’être sensible au
temps : c’est le matin, l’après-midi ou le soir mais cela prouve aussi que des gens habi-
tent encore ici. Ils n’ont pas encore changé d’espace mais ce temps là va arriver … À la
dernière double-page illustrée, le lecteur comprend que, pendant le temps de l’album, à
droite (espace qui n’était pas visible auparavant), un immeuble avec des appartements
tout neufs était en construction. D’ailleurs, de grandes baies vitrées permettent une vue
imprenable sur l’espace de ce nouveau quartier en voie de reconstruction. Il faudra en-
core du temps avant que tout soit refait à neuf.
À l’échelle de l’immeuble :
Une lecture de deux illustrations du même espace représentant deux moments
différents permet de prendre conscience du temps qui passe : parallèlement, le lecteur
voit l’espace évoluer et prend conscience du temps passé :
Page 6 Page 25
Au début, lorsque les trois souris
montent l’escalier, les portes des
appartements sur les deux paliers
sont fermées et éclairées de
l’intérieur : des gens habitent en-
core à l’intérieur.
À la fin, lorsqu’elles redescendent ce même
escalier, les mêmes portes, sont ouvertes et
l’espace visible à l’intérieur est vide, comme
l’appartement de la vieille dame. Le temps de
la démolition de l’immeuble est arrivé.
171
À l’échelle de l’appartement de la vieille dame :
- Le temps se mesure au rythme de son déménagement :
Page 7
Avant les
préparatifs
Pages 20 Ŕ 21
Pendant les préparatifs
Page 22
Pendant le déménagement
Page 24
Après le
déménagement
Dans ce rythme imposé à la vieille dame, elle prend quand même le temps de
préparer un gâteau et d’inviter son amie à prendre le thé. Dans les albums d’Anne
Brouillard, même si le temps presse, les cartons et les grues attendront … les person-
nages ont toujours le temps d’une pause conviviale.
- Le temps se mesure au rythme des dégâts faits par les souris :
Page 7
Avant le voyage : l’appartement
est en ordre
Page 9
Après le voyage : l’appartement
est en désordre
Entre ces deux illustrations, la
vieille dame est partie en
voyage et les souris se sont
installées chez elle. Par la
suite, au fur et à mesure que le
temps va passer, les dégâts
occasionnés par les souris
vont progresser.
À l’échelle d’une journée :
Le temps se mesure aux activités quotidiennes des personnages :
- Le travail, les courses, la cuisine dans la journée
- Le chocolat chaud devant la télévision, le bain, le coucher
Enfin, une fois toutes ces émotions passées, dans le temps et dans l’espace, les
personnages s’installent dans leur nouvel environnement tout neuf … Le temps des an-
ciennes maisons en pierre est passé, le temps des nouveaux immeubles en verre arrive.
Qui habite où maintenant ?
172
Au troisième étage : le voyageur lit son journal assis dans son fauteuil. Les vibrations du
gramophone (à droite) montrent qu’il écoute de la musique.
Au deuxième étage : la vieille dame s’installe. Elle s’apprête à s’assoir dans son fauteuil
devant la télévision.
Au premier étage : une petite fille avec de longues nattes brunes écarte les rideaux pour
regarder par la fenêtre. Qui est-elle ? La fille des anciens voisins de la vieille dame ?361
Au rez-de-chaussée : le pêcheur et l’oie sont en pleine conversation. Le gros poisson nage
dans un aquarium. Ou bien, c’est une photo-poster souvenir encadrée ?
Grâce à La vielle dame et les souris, en suivant les mailles (maillons) de sa vie,
le lecteur qui sait « tirer les fils » revient au lac de La terre tourne.
361
« Vous lui voyez des nattes vous ? Pour moi, c’est une dame qui est entrain de téléphoner en regardant
dehors ou bien elle ferme les rideaux ? Je ne sais plus très bien … Elle n’a aucun rapport avec les autres
personnages mais je suppose qu’elle va finir par les connaître … » Histoire à suivre, donc. Extrait de
l’entretien téléphonique du 14/02/2011.
173
V. De l’autre côté du lac362
« Lucie et sa tante Nadège vivent au bord du lac. Un jour, elles aperçoivent une forme bleue
qui brille de l'autre côté du lac. Avec Tante Nadège, les chats Alpha et Toka et un bon
pique-nique, elles décident d'aller voir. Là-bas, Lucie découvre une aire de jeux et un nou-
veau copain363
».
« Alpha, en fait, c’est le chat blanc d’Ambre, ma nièce de 3 ans et demie à qui
j’ai dédicacé cet album ! »
« Un matin, en regardant de l’autre côté du lac, Lucie aperçoit une chose bleue qui brille.
Tante Nadège lui propose d’aller voir ce que c’est. Elles préparent un pique-nique et s’en
vont sur le chemin qui longe le lac. Soudain, la chose bleue apparaît. C’est une balançoire!
L’histoire heureuse d’une petite fille débordante d’imagination, qui converse avec ses chats
et savoure sa vie solitaire au cœur de la nature, égayée par la rencontre d’un nouvel ami364
».
« Le haïku permet aussi : d’exprimer des sentiments (nostalgie …), des sensations, des im-
pressions, les petites et les grandes émotions, les souvenirs, le temps qui passe,
l’impermanence de la vie …365
».
Autant de sentiments qu’Anne Brouillard fait ressentir au lecteur tout autour du lac.
D’un côté le lac
Pourquoi donc aller ailleurs ?
On y est si bien
Bien plus que l’histoire d’une petite fille … Cet album redonne vie à l’ambiance
de ce lac mais à ses habitants aussi …pour le plus grand plaisir d’Anne Brouillard et de
ses lecteurs.
Avec cet album, Anne Brouillard retrouve le même éditeur366
que La terre tourne,
Le Sorbier. Il a les mêmes dimensions que les deux précédents (La famille foulque, La
vieille dame et les souris) mais l’orientation367
est différente. De la verticalité, la lecture
362
« À cause de l’inspiration, c’est le même lac que dans La terre tourne. De l’autre côté du lac est aussi
inspiré de l’ambiance de ce fameux lac Teåkersjön à Dalskog en Suède. » Extrait de l’entretien télépho-
nique du 31/01/2011. 363
Source : http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 364
Source : http://www.ricochet-jeunes.org/nouveautes/livre/42401-de-l-autre-cote-du-lac 365
Philippe Costa, op. cit., p. 45. 366
« C’est l’éditeur en effet qui va découvrir ou initier le projet, l’accepter et le mener à son terme. » C.
SeguraŔBalladur et E. Audureau, op. cit., p. 7. 367
Le choix de ce format permet davantage « les nombreuses ruptures, les incessants changements de
rythmes (accélérations, pauses, ralentissements) ainsi que la variété des cadrages et des plans qui
s’apparentent plus à une technique cinématographique, par ailleurs revendiquée, qu’à une écriture poé-
tique traditionnelle. L’art de la narration chez Anne Brouillard est en effet (…) une affaire de rythme. »
Patrick Joole, op. cit.
174
passe à l’horizontalité. C’est un format à l’italienne et, comme l’expliquent Mmes Segu-
ra-Balladur et Audureau368
:
« Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les livres illustrés sont dans un format en hauteur (à la
française), calqué sur le codex romain, dans la tradition du texte imprimé.
Si la hauteur est prononcée, le livre exprime austérité, rigueur, mais aussi élancement, dy-
namisme.
À partir du XIXe siècle, les formats évoluent. Conçu dans un format oblong, plus large que
haut (à l’italienne), l’album illustré permet à l’illustration de représenter des paysages, des
monuments. C’est l’héritage des carnets de croquis.
L’album devient un espace panoramique d’autant plus large que l’espace narratif peut
s’étaler sur la double-page. Ce format favorise l’expression du mouvement et du temps. »
Format et espace qu’Anne Brouillard exploite et maîtrise à merveille. Par la
prise en main différente, ce livre se lit comme un film. Les pages défilent comme une
bobine qui se déroule sous les doigts du lecteur, au rythme imposé par la double narra-
tion. Cependant, c’est le lecteur (acteur et spectateur) qui réalise le montage mentale-
ment. Les plus petits formats offrent une prise en main plus aisée pour effeuiller les
pages plus rapidement, à la manière d’un folioscope. Ici, la tenue à deux mains et
l’étalement des pages présentent au lecteur des tableaux lacustres et boisés à admirer au
fil du temps qui passe369
. La lecture de cet album nécessite une posture assise et tran-
quille370
. Le narrateur imagier scande la mise en mouvement des personnages par des
illustrations séquentielles. Le lecteur retrouve cette mise en page de l’album « brouillar-
dien » :
- Des illustrations de pleine page à fond perdu : pauses sur un décor
- Des images séquentielles non cloisonnées : mouvements et enchaînements
- Du texte : le cheminement, la vie et les dialogues des personnages
Il est spectateur devant les paysages et acteur dans sa lecture elliptique. Le lec-
teur-spectateur retrouve l’univers cher à Anne Brouillard du lac suédois, décor et am-
biance de La terre tourne. Après un intermède de quatre ans et l’édition d’un livre sin-
gulier chez Sarbacane, dans cet environnement, il retrouve aussi des personnages et des
objets qui lui rappellent les quatre albums précédents. Si Anne Brouillard y prend beau-
coup de plaisir, le lecteur les retrouve avec joie et complicité.
368
Cours Master 2 LIJE sur l’album, p. 16. 369
« À l’heure du coucher, (…) ce moment privilégié de complicité (…) sera d’autant plus long que
l’illustration du livre est riche. Les détails qui la composent, fourniront les accroches à partir desquelles le
lecteur peut développer le récit au-delà du texte souvent sommaire. » C. Segura-Balladur et E. Audureau,
op. cit., p. 6. 370
Anne Brouillard avoue aimer travailler sans stress. Le lecteur impliqué le ressent aussi.
175
Dans cet album au format cinématographique, à l’italienne, le cheminement est
long, de gauche à droite, il se passe des choses sur le chemin. Le lecteur a un rôle très
actif et il suit les personnages tout au long de l’album. Tantôt :
- De profil (le lecteur les observe) : page 10, par exemple.
- De face (le lecteur semble participer à la conversation) : page 16, par exemple.
- De dos (le lecteur les suit) : page 19, par exemple.
- Du dessus (par une vue en plongée sur les personnages en action) : page 26, par
exemple.
- Il est « leur » regard (il voit ce qu’ils observent) : page 32-33, par exemple.
Comme la terre tourne autour de …, le chemin tourne autour du lac. Le lecteur y
croise des gens, des animaux qui lui sont familiers maintenant et qui lui permettent de
mettre en place ces liens entre les albums : des chats, des souris, des oiseaux … et des
objets qu’il reconnaît aussi pour les avoir déjà vu dans d’autres environnements.
Comme La terre tourne entre autre et à la différence des quatre albums édités
chez Seuil, cet album a un narrateur textuel.371
Sur les pas du narrateur textuel, le lecteur
entre dans cet environnement comme par effraction, sur la pointe des pieds. « Chut »
comme dit Lucie (page 22), écoutons le silence. Nous sommes privilégiés, la maison,
personnifiée, ouvre sa porte pour nous accueillir. Tout d’abord, le lecteur cherche les
personnages du regard. Où sont-ils ? Par l’intermédiaire du narrateur textuel, le lecteur
les entend mais il ne les voit pas. Le narrateur imagier en profite pour lui faire visiter les
lieux extérieurs et intérieurs. Ainsi, le lecteur prend ses nouveaux repères spatiaux afin
de se sentir « chez lui ». Une fois à l’aise dans cet espace, le lecteur fait la connaissance
de ses occupants, deux êtres humains et deux chats. Dans cet album, l’œil du lecteur est
en perpétuel mouvement, il voit vivre les personnages, il observe le cadre, il suit
l’aventure des personnages … Cette dynamique est possible car le lecteur reconnaît cet
espace : le lac et quelques éléments du décor. Maintenant, le lecteur est prêt à suivre les
personnages sur le chemin, de l’autre côté du lac, autour de la terre … car il est en con-
fiance et en terrain connu, guidé par le narrateur imagier.
371
Ici, le texte est minimaliste et dialogique « alors que l’expressivité des personnages, le jeu des couleurs,
(…), la force des contrastes assurent la narration. De tels albums surhaussent l’image (…). La rareté (du
texte) n’y est pas perçue comme un manque mais comme un retrait face à l’image qu’il met en valeur ou
qu’il « cerne » de quelques indications. » S. Van der Linden, Les albums « sans » in Le livre pour enfants,
p. cit., p. 191.
176
A. La couverture
La couverture du livre est entièrement illustrée. Le lac occupe « presque » tout
l’espace disponible au centre de la page. Le ciel et les nuages s’y reflètent. Les cou-
leurs372
sont douces et naturelles. La végétation autour du lac est riche et variée. Ce dé-
cor transmet l’ambiance tranquille et naturelle de la Suède. C’est ce même paysage qui
est à l’origine de l’album La terre tourne. « Cet endroit est très important pour moi, il
ne faut pas oublier que ma mère est suédoise … » « Anne parle de ce lac (…) où sa
mère se baignait enfant. Doux glissement vers l’autobiographie373
? ». Anne Brouillard
parle comme Gaston Bachelard qui affirme que s’il veut « étudier la vie des images de
l’eau, il lui faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de son
pays. (…) Mais le pays natal est moins une étendue qu’une matière ; c’est un granit ou
une terre, un vent ou une sécheresse, une eau ou une lumière374
». Dans les souvenirs
d’Anne Brouillard, c’est une ambiance. Pour elle, « les images sont primordiales, elles
racontent l’histoire et la lecture devient essentiellement visuelle. La taille des images et
la lumière qui en émanent, installent le rythme et l’ambiance de ses albums375
».
La première de couverture présente les personnages. Ils sont en pause contem-
plative eux aussi. Sauf « le chat gourmand » ! Ils sont presque arrivés « de l’autre côté
du lac 376
».
La quatrième de couverture montre l’autre côté. Ce qui se trouve à gauche des
personnages : leur maison377
et le chemin378
autour du lac. Quand le lecteur étale le
372
« La couleur joue un rôle important dans l’appréhension du récit, elle en donne l’atmosphère et le ton.
Mais elle est également l’expression de l’illustrateur. À chacun sa palette, sa gamme de couleurs, (…)
selon la technique employée. » C. Segura-Balladur et E. Audureau, op. cit., p. 23. 373
Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62. 374
Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, p. 15. 375
Christian David, compte rendu « rencontres d’auteurs », XIIIe journée du livre d’Orthez, CDDP
d’Orthez, 9 octobre 2008. 376
« Pour le choix du titre … on a hésité. Au début, je voulais plutôt « l’autre côté du lac » mais, avec
l’article « de » cela donne une idée du mouvement qui va mieux avec l’histoire de l’album : aller de …,
regarder de …, qu’y a-t-il de …, que va-t-on trouver de …, repartir de …, etc. » Anne Brouillard, le
07/11/2010. 377
« Le retour au pays natal, la rentrée dans la maison natale, avec tout l’onirisme qui le dynamise, a été
caractérisé par la psychanalyse classique comme un retour à la mère. (…) Une psychanalyse imagée doit
donc étudier non seulement la valeur d’expression, mais le charme d’expression. » « Y a-t-il une maison
maternelle sans eau ? Sans une eau maternelle ? » Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos,
Librairie José Corti, Les Massicotés, 1948, pp. 137-138. 378
« Sur le trajet qui nous ramène aux origines, il y a d’abord le chemin qui nous rend à notre enfance, à
notre enfance rêveuse qui voulait des images, qui voudrait des symboles pour doubler la réalité. » Ibidem.,
p. 138.
177
livre, le positionnement des deux illustrations de pleine page à fond perdu est en adé-
quation avec le plan du lac. Si les personnages tournent la tête à gauche, ils voient leur
maison. Cependant, ils regardent vers la droite. Que voient-ils ? Par cette attitude, le
narrateur imagier déclenche l’appétence du lecteur. Le regard des personnages vers la
droite incite le lecteur à entrer dans le livre pour voir ce qu’ils observent.
B. Les pages de garde
Les couleurs des pages de garde correspondent à la texture du papier. Ici, le pa-
pier est lisse, les pages de garde sont donc de papier coloré. Dans les quatre Seuil, le
grain du papier est plus « épais », les pages de garde sont donc peintes non uniformé-
ment. Ici, les couleurs sont vives. Cet orange renvoie la lumière. Il est dynamique. C’est
cette même couleur, dans une nuance moins prononcée qui est utilisée pour le titre.
Dès la page de titre, le narrateur imagier fait des clins d’œil complices379
au lec-
teur :
- Le panier en osier (au centre de l’image)
- Les oiseaux sur la branche en haut à gauche
- Les souris cachées en bas à gauche
- Le poisson sous la branche-pont
Tous ces détails induisent une lecture intra-imagière. Cet album trouve bien sa place ici,
après les quatre albums édités au Seuil.
C. Le narrateur imagier
Le lecteur est accueilli par une illustration de double pleine page à fond perdu
dès l’ouverture. À gauche, une vue en plongée guide le regard vers la maison380
. Au
centre, le lac est très présent. À droite, le chemin « bleu » disparait parmi les arbres.
Cette atmosphère bleutée donne un aspect « flottant » à cette image. La forme des
379
« Je suis très attachée à ces lieux et à ces personnages. » avoue Anne Brouillard. 380
« Cette maison n’existe pas mais elle pourrait exister. » précise Anne brouillard. « Si je dessine ces
maisons, c’est peut-être parce que j’aimerais y habiter … »
« Une des preuves de la réalité de la maison imaginaire, c’est la confiance qu’a un écrivain de nous inté-
resser par le souvenir d’une maison de sa propre enfance. Il suffit d’un trait touchant le fond commun des
rêves. » Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, p. 115.
178
arbres, les ondulations de l’eau, la forme des ombres … tout semble « ondoyer » tran-
quillement. Est-ce l’effet du soleil qui transperce ? Quelques animaux (canards, oiseaux
…) se prélassent dans ce décor. Parmi tous ces arbres, le lecteur reconnaît les bouleaux
avec les nichoirs de Mystère. Est-ce la maison de Kÿt ? La porte est ouverte, le lecteur a
envie d’entrer … la tourne de page va combler ce désir. Cependant, les pages 6 et 7
montrent uniquement l’espace intérieur. Le lecteur visite le rez-de-chaussée : l’entrée, la
salle à manger, le salon puis la cuisine. À la manière des illustrations de pleine page de
La terre tourne, le dernier cadre de la page 7 montre en arrière-plan, ce qui va devenir le
premier plan de la page 9. De forme floue et indécise, le chat tigré va prendre appa-
rence. De belle page en belle page, le lecteur arrive en pleine lumière sous la véranda,
au bord du lac. Les personnages l’y attendent avec une collation. La femme lève les
yeux à l’arrivée du lecteur. Les autres personnages regardent « de l’autre côté du lac ».
Le lecteur se présente puis observe dans la même direction : vers la barque jaune.
Une fois l’espace mis en place, les présentations faites, le narrateur imagier
prend le temps de montrer le lac dans toute sa splendeur. Le lecteur prend le temps de
savourer le décor, le paysage, la nuit qui tombe et le calme. Cela ne peut s’exprimer
avec des mots, c’est du domaine du ressenti et du visuel. Le lecteur-spectateur retrouve
la même technique de « pauses illustratives de double pleine page » utilisée par le narra-
teur imagier dans La famille foulque à chaque saison.
- Pages 10-11 : vue depuis le chemin : le lac sous la pluie.
Tout comme les personnages assis sous la véranda, à gauche, le spectateur voit
et « entend » la pluie tomber sur l’eau du lac et le toit de la véranda.
- Pages 12-13 : depuis la véranda : vue sur le lac sous le soleil couchant381
.
Le regard du lecteur s’apparente à l’angle de vue des personnages situés hors
cadre. Ainsi, le lecteur les imagine assis sous la véranda avec une tasse de thé et des
petits gâteaux, admirant le paysage crépusculaire. Le lecteur est un des personnages.
- Pages 14-15 : vue en plongée : le lac sous la lune382
.
381
Cette double-page illustrée peut évoquer au lecteur-spectateur le tableau Port au soleil couchant de Le
Lorrain où les couleurs orangées et jaunes du soleil couchant se reflètent sur l’eau du port. 382
Cette double-page illustrée peut évoquer au lecteur-spectateur le tableau La nuit étoilée où Vincent
Van Gogh a peint la lumière dans la nuit et le miroitement des lumières des habitations dans l’eau (sans le
reflet de la lune) ou encore le paysage de nuit : Nocturne au Parc royal de Bruxelles peint par William
Degouve de Nuncques qui semble sorti d’un rêve tant la couleur bleue unifie toutes les formes, faisant
ainsi apparaître le paysage irréel.
179
Tout le décor est dans les nuances de bleu. L’espace semble dilué sous cette at-
mosphère lunaire. Ces teintes bleutées donnent une impression d’un monde flottant,
irréel, comme dans un rêve. L’atmosphère devient énigmatique.
Par ces trois doubles-pages illustrées à fond perdu, le lecteur a adopté un rythme
de lecture lent et contemplatif. Il tourne les pages après une pause devant chaque ta-
bleau peint comme on admire une œuvre d’art. Ainsi, le lecteur s’imprègne de cette am-
biance particulière. Anne Brouillard cherche à transmettre cette atmosphère qu’elle
aime tant et où elle se sent si bien. Par touches d’encre de couleurs, le narrateur imagier
« incruste » ce paysage lacustre dans la mémoire visuelle du lecteur. Par leur dimension,
leur répétition, leurs couleurs, les plans larges, le spectateur se déplace comme dans une
galerie d’artiste. Le paysage défile lentement. À la tourne de chacune de ces trois
doubles-pages, l’ellipse temporelle est longue (plusieurs jours ou plusieurs heures).
La page 16 est une rupture dans la lecture.
- Dans la mise en page : deux images séquentielles disposées en diagonale
- Dans la lecture visuelle383
: l’œil du lecteur est dirigé vers la page de droite par :
◦ Le regard des personnages
◦ L’orientation de leur attitude
◦ Leur gestuelle
Qu’ont-ils vu ? La page de droite amorce un élément de réponse : parmi les
arbres, il y a un grand objet bleu. « On dirait une grande araignée métallique ! ». Le
rythme de lecture va s’accélérer du fait de ce questionnement. Les personnages, tout
comme le lecteur, veulent aller voir. Le titre384
prend sa signification. Nous allons aller
« de l’autre côté du lac ». Une série d’images séquentielles permet la progression de la
narration imagière :
- La préparation du pique-nique (les petites illustrations montrent par mimétisme un
temps bref dans un espace restreint),
- Le cheminement autour du lac,
- La pause contemplative et récupératrice (l’illustration de première de couverture),
383
« Le lecteur pourrait-il se passer du narrateur textuel ? » « Une information temporelle importante est
donnée par le narrateur textuel « il y a très longtemps … » Par contre, pour le cheminement spatial de
l’histoire, suivre le regard, les mouvements, l’orientation, les signes de doigt qui indiquent … suffit. »
Extrait de l’échange téléphonique du 31/01/2011. 384
« Le choix du titre est très important. Il se fait en accord avec l’éditeur. Quelquefois il est évident,
parfois, on discute … »
180
- L’apparition d’un nouveau personnage masculin, espiègle, énigmatique, évoquant le
dieu Pan385
,
- La fabrication du pont en branchage.
L’arrivée est un moment important. Aussi, le narrateur imagier prend tout
l’espace disponible sur les deux pages 26-27. Les grandes illustrations montrent le
temps étiré dans un espace ouvert. Les deux personnages adultes saluent de la main
droite, évoquant au lecteur « l’homme et/ou la femme en rouge » (La terre tourne, Le
pays du rêve). Lucie et les deux chats courent vers l’objet convoité. Oh surprise, c’est
une balançoire ! Comme celle dans Il va neiger. Un autre enfant les y attend. Le lecteur
se reconnaît bien dans ces bois suédois autour du lac …(les bouleaux, les nichoirs, la
balançoire).
Une fois ce nouveau décor mis en image, la narration séquentielle reprend : les
personnages font de la balançoire, du toboggan … Puis, la pause pique-nique prend plus
de temps. Alors, l’image reprend tout l’espace de la belle page. L’alternance illustrative
s’orchestre et s’adapte selon le temps et l’espace. De la même manière qu’à la double-
page 12-13, la double-page 32-33 présente le décor vu depuis l’emplacement des per-
sonnages. Depuis leur lieu de pique-nique, ils voient leur maison « de l’autre côté du
lac ». « On est bien … on a envie de rester là … d’y revenir » comme dans Le chemin
bleu. Mais, il y a toujours quelque chose de nouveau, d’inconnu, à découvrir, de l’autre
côté … que ce soit ailleurs ou chez soi ! D’un côté comme de l’autre, le narrateur ima-
gier donne une vue panoramique du paysage au lecteur. L’album se termine par une
illustration de pleine page à fond perdu. Les personnages repartent « de l’autre côté du
lac » en barque. L’aventure continue …
D. Le narrateur textuel
Quelles dimensions apporte le narrateur textuel ? Commençant en bas à droite de
la première belle page, il pose son rythme descriptif. Sous sa plume, la maison est per-
sonnifiée et l’adresse au lecteur est directe. Il interroge le regard et l’imagination du
lecteur. Cet album se lit, se regarde et s’entend. Le lecteur doit solliciter tous ses sens.
385
Personnage de la mythologie grecque, Pan est le dieu de la totalité, de la nature toute entière. Protec-
teur de la nature, il surveille aussi ses occupants, en attendant de faire plus ample connaissance. Car, c’est
Thomas !
181
Le narrateur textuel commence discrètement, avec une seule phrase (pages 5 ; 6 ; 7).
Son style est direct, ses phrases sont courtes et sa ponctuation est incitative. Les trois
points de suspension demandent une tourne de page rapide. C’est un grand bavard en
fait ! Il a tellement à dire qu’il occupe le centre de la page 8. Cependant, les mots ne
parviennent pas toujours à exprimer ce qu’une image montre :
- La description reste suspensive.
Ni à raconter les souvenirs :
- La mémoire reste suspensive.
La répétition de l’adverbe « longtemps » donne une touche nostalgique au récit.
Le lecteur imagine Tante Nadège jeune, vivant et cheminant autour du lac. Elle fait par-
tie de « ceux qui restent là parce qu’ils y sont bien. » Va-t-elle toujours vivre ici, au
même endroit, dans cette maison, autour du lac, seule ? … Le narrateur textuel pose
cette ambiance en utilisant les mêmes mots que le narrateur textuel de La terre tourne :
« calme, tranquille, paisiblement ». Les deux narrateurs (textuel et imagier) se rejoi-
gnent dans cette sérénité. Ils donnent ce rythme de lecture ralentie.
Quand l’action démarre, page 16, le narrateur textuel prend autant de place que
le narrateur imagier. Les dialogues accélèrent le rythme de la narration. Tante Nadège
redevient dynamique. Les points d’exclamation donnent un ton enjoué et vivant. Elle
retrouve sa jeunesse.
Le cheminement des personnages est décrit par le narrateur textuel. Il donne une
touche sonore à leur balade. Le narrateur textuel explique au lecteur ce que les person-
nages vivent. Il transcrit les émotions ressenties par les personnages que l’image ne peut
montrer. La longueur des phrases et la ponctuation s’adaptent à la narration :
- La marche est lente : les phrases sont plus longues,
- Les pauses s’accompagnent de phrases descriptives courtes,
- Les dialogues sont animés et vivants.
Quand l’action redémarre (pages 30 et 34), le lecteur retrouve l’ambiance et la
mise en page textuelle de la page 8. Le narrateur textuel occupe l’espace de la page sur
fond blanc. Le vocabulaire et les expressions utilisés par les personnages sont les
mêmes qu’au début de l’album. L’histoire continue … en boucle. Sur les traces des per-
sonnages, guidé par les narrateurs, le lecteur reprend la lecture de l’album. Telle une
boucle sans fin, le point de départ devient le point d’arrivée. Ce rythme rappelle sans
conteste celui de l’album La terre tourne. Qu’y a-t-il à voir cette fois-ci ? La réponse est
182
dans l’imagination de chaque lecteur ! (Un cerf volant pigé dans un arbre ? Un nid
d’oiseau perché trop haut ? …).
Qu’est-ce qui autorise le lecteur à faire ces inférences entre ces quatre albums
édités au Seuil en 2006 et 2007 et ce cinquième album édité au Sorbier en 2011 ?
183
VI. Les liens et les résonnances entre eux
Le lecteur opère des aller-retour entre ces cinq albums afin de mieux savourer
comment Anne Brouillard a repris ses personnages et les lieux auxquels elle est très
attachée au rythme du temps et des saisons qui passent. Et aussi, comment, tout naturel-
lement, elle le reconduit à La terre tourne …
A. Les personnages386
(humains et animaux)
Entrelacements, croisements, rencontres de vie, de personnages, de lieux …
Pendant que le voyageur est à la gare avec les oiseaux, le pêcheur est au bord de l’étang
avec l’oie. Le voyageur mange sa soupe, toujours occupé à son jeu … le pêcheur rentre
en train ? À pied par la gare ? Il doit traverser le hall de la gare pour rentrer chez lui
après sa journée de pêche ? « Quand j’ai réalisé Le pêcheur et l’oie, je savais que je fe-
rai La famille foulque. Retrouver ces personnages auxquels je suis attachée. Histoire
d’une balade autour des étangs d’Ixelles, souvenirs d’une surprise … une oie regarde un
pêcheur pêcher … à l’aller et au retour de cette balade. D’autres fois, des canards, des
foulques … » Mais, les liens sont tellement forts que, le pêcheur rejette par deux fois
son petit poisson, déçu par cette mince prise tandis que la foulque attend pour repêcher
cette prise facile … Entre les deux, quelques secondes pour quelques pages mais, sur-
tout, deux albums ! Vus de dos d’un album, mais, qui les regarde ? Réponse dans l’autre
album, encore une fois, ils sont vus à travers le regard de la maman et de son bébé dans
les bras, debout devant le seuil de leur maison. Ils sont vus de face, depuis l’autre côté
de l’étang par, les canards … Le lecteur-spectateur reconnaît le même style, la même
technique mais les reflets et les couleurs de l’eau sont vus d’un point de vue différent.
Selon l’angle de vue que le narrateur imagier lui offre, les nuages, le soleil, la luminosi-
té, les ombres …
386
Lors de la conférence à Toulouse le 6 novembre 2010, Nicole Folch avançait : « A l’instar de nou-
velles, on entre par effraction dans la vie des personnages. Grâce au décor on connaît immédiatement ce
personnage. Mais, on ne connaît rien de son passé ni de son avenir. » En fait, c’est au lecteur de re-
construire sa vie avant, pendant et après les pages de « cet » album. Les narrateurs ménagent des
« blancs », des énigmes, placent des indices que le lecteur doit associer dans la continuité. Le lecteur doit
faire des efforts de mémoire et d’imagination intra et inter albums.
184
Dans La famille foulque, le pêcheur arrive page 18 et il
s’installe dans Le pêcheur et l’oie page 4. Dans La famille foulque, cette scène est vue
par un œil situé de l’autre côté de l’étang, comme s’il se trouvait dans l’angle, à côté des
canards.
L’angle de vue sur la scène de pêche sous le parapluie est double selon l’espace
dans lequel se trouve posé l’objectif de la caméra. En suivant cette ligne directrice dia-
gonale, dans La famille foulque, du premier au dernier plan, il voit : l’eau avec la
foulque vue de derrière (qui se déplace de la gauche du pêcheur vers sa droite avec une
brindille dans le bec pour construire son nid) Ŕ le pêcheur et l’oie sous le parapluie Ŕ la
maman et l’enfant sur le palier de leur maison.
Depuis la position opposée, dans le pêcheur et l’oie, cette scène est vue à travers
l’œil cinématographique de la maman et de l’enfant, avec un effet de zoom avant,
comme sur un travelling, toujours en suivant cette même diagonale mais dans le sens
inverse. Le pêcheur et l’oie sont donc vus de dos (trois-quarts droite) et la foulque pré-
sente son profil gauche (son avancée se déroule maintenant de la droite vers la gauche
car elle a déposé sa brindille et repart dans le sens inverse de son nid).
Dans La famille foulque le lecteur voit cette illustration depuis Le pêcheur et
l’oie et vice et versa. Cette mise en scène correspond à l’intention consciente d’Anne
Brouillard qui affirme que « quand j’ai réalisé Le pêcheur et l’oie je savais que je ferai
La famille foulque. » C’est au lecteur de trouver et de savourer ces clins d’œil imagiers.
Dans Le pêcheur et l’oie, l’œil du lecteur est placé à la porte du jeune couple de La fa-
mille foulque. Ils observent le pêcheur. Ainsi, le lecteur est dans le regard de la maman
et son enfant. Par cet album, Le pêcheur et l’oie, le narrateur imagier montre ce que ces
personnages de La famille foulque voient de leur porte.
Champ
La famille foulque
p. 21
Contre-champ
Le pêcheur et
l’oie
p. 14-15
185
Le lecteur retrouve ce contraste rythmique dans les deux styles de pêche animale
et humaine.
Entre ces deux instants illustrés, que s’est-il passé pendant ce vide narratif ?
(p. 18)
Pour le savoir, le lecteur retourne lire Le pêcheur et l’oie : le pêcheur s’est ins-
tallé et puis, il a attendu que le poisson veuille bien mordre à l’hameçon. C’est alors que,
déçu par ses prises, par deux fois il a rejeté le petit poisson à l’eau : (pages 9 et 11)
Une fois revenu à la page 18 de La famille foulque, le lecteur comprend le clin
d’œil complice du narrateur imagier. La foulque plonge pêcher le petit poisson rejeté à
l’eau par le pêcheur ! En fait, quand la foulque relève la tête sur la troisième vignette,
elle regarde le pêcheur et attend le petit poisson … qu’elle rattrape d’un petit plongeon
rapide et efficace. Quel jeu pour le lecteur aussi.
Ainsi, le lecteur découvre et savoure comment le narrateur imagier, d’une page à
l’autre, d’une illustration à l’autre, d’un album à l’autre le fait participer à la re-
construction des histoires qu’il raconte et qui s’entrecroisent. Le narrateur visuel et le
lecteur deviennent pleinement partenaires dans ce jeu littéraire, dans la mesure où ils
construisent ensemble le sens iconique inter-albums. Si l’on prend l’exemple de ces
deux albums qui se racontent l’un l’autre, le lecteur a donc perçu :
- Le même moment observé sous deux angles de vue différents : le pêcheur vu de dos
pages 14-15 dans Le pêcheur et l’oie et vu de face page 21 dans La famille foulque.
- Un moment décomposé peut être complété grâce à cette lecture parallèle de deux al-
bums complémentaires.
Dans ce même espace, les personnages des trois albums Le pêcheur et l’oie, La
famille foulque et La vieille dame et les souris vivent se côtoient et s’entraident. En effet,
186
c’est le pêcheur et le jeune papa qui déménagent la vieille dame. Leur tenue vestimen-
taire permet de les reconnaître sans équivoque :
- le pêcheur porte le même pantalon avec la même ceinture basse, le même pull, la
même casquette et il a la même attitude vue de dos que lorsqu’il va à la pêche !
Un jour au travail / un jour à la pêche
- le jeune papa, quant à lui, porte les mêmes vêtements bleus que lorsqu’il croise les
souris dans la rue : (moment de connivence entre le narrateur imagier et le lecteur enfant
par ce « chut ! » des souris à l’adresse du petit enfant en poussette.)
Un jour à faire les courses / un jour à travailler
À la fin de La vieille dame et les souris, grâce à de grandes baies vitrées, le lec-
teur voit leur habitat collectif commun.
Le dernier plan large de La famille foulque, réparti sur la double-page 24-25 ras-
semble tous les protagonistes des autres albums de cette collection (le voyageur excepté,
car, comme tout voyageur, il doit être parti en voyage quelque part, ailleurs) autour
d’une table387
, dans la convivialité et la bonne humeur :
- le pêcheur (déménageur) lève son verre en direction de sa voisine de droite
- l’oie se promène avec son amoureux (la forme de leurs deux corps côte à côte dessine
d’ailleurs un cœur)
- les oiseaux de la gare picorent avec les foulques et les oies ; la famille foulque vient se
joindre à eux
387
« C’est quelque chose que j’ai connu et que je connais toujours, ces tables chargées de bonnes choses,
autour desquelles on s’installe un moment, on parle, on boit, on mange, on regarde un livre … » Anne
Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole 3/07, novembre 2007, pp. 2.
187
- le jeune couple converse avec la vieille dame et son amie pendant que leur enfant joue
avec ses amis
- les souris participent discrètement à cette festivité. Elles sont toujours cachées derrière
les feuilles, dans le coin en bas à gauche de la page, comme sur la page 13 de La vieille
dame et les souris hormis le fait qu’elles sont trois ici. Dans cette même allée,
le lecteur reconnaît les oiseaux de la gare ! Elle ne doit pas être loin … C’est pour ça que
le pêcheur peut rentrer à pied à travers …
Dans la gare, en bas à gauche de l’illustration, il s’agit du
papa de La famille foulque avec son petit enfant, assis pour une pause goûter ou repas.
Ici, ils ne font que se croiser brièvement car, quand le voyageur arrive, le papa doit déjà
être installé depuis un petit moment mais son bébé refuse toujours de manger avec
« force, cris et larmes » … C’est ainsi que, dès la page 6, le papa cède et repart avec son
enfant calmé à son cou. Ce fut un instant bref mais sonore !
- La vieille dame et son amie viennent aussi prendre un thé à la terrasse du café de la
gare. Elles sont déjà installées quand le voyageur arrive et partent à la page 15, avant les
quatre pages de focalisation sur les oiseaux dans la panière à pain.
Dans le cadre de l’album
Le voyageur et les oiseaux La vieille dame et les souris
À la page 20, dans La vieille dame et les souris, le lecteur reconnaît sans aucun
doute, accroché au porte manteau derrière la porte, le manteau rose à col de « fourrure »
188
marron et, posé sur l’étagère au dessus, le chapeau blanc que portent la vieille dame
dans Le voyageur et les oiseaux.
L’intra-iconicité génère l’intra-narrativité. Ces quatre albums sont une seule his-
toire dans laquelle des gens se croisent comme dans La terre tourne. Cependant, ici, les
autres espaces sont elliptiques, les personnages y entrent et en sortent, au gré de leur vie
et du temps qui passe. La terre est Un tout petit monde ! Où que l’on aille, « on se rever-
ra » …
Lecture descendante :
Le pêcheur va pêcher au bord de
l’étang des foulques (3)
Il rentre en passant par la gare et
croise le voyageur (2), la vieille
dame (4) et le papa (3)
Il fait le déménagement de la
vieille dame et habite en ville (4)
Il participe au pique-nique (3)
Les oiseaux vont au bord de
l’étang (3) et dans l’allée arborée
(4),
Le voyageur habite dans un ap-
partement en ville (4)
Il croise la vieille dame (4) et le
papa (3)
La famille foulque accueille les
souris, la vieille dame et son
amie pour le pique-nique (4) …
Le papa déménage la vieille
dame (4) …
1
Le pêcheur et l’oie
(au bord de l’étang)
2
Le voyageur et les oiseaux
(à la terrasse d’un café, dans la
gare)
3
La famille foulque
(autour, sur et au bord de
l’étang)
4
La vieille dame et les souris
(en ville)
Lecture ascendante :
Le voyageur croise le pêcheur
dans la gare (1)
… le pêcheur et l’oie (1), les
oiseaux (2),
… avec l’aide du pêcheur (1)
Le papa et son bébé font une
halte au bar de la gare (2)
La maman et son bébé observent
le pêcheur et l’oie (1)
La vieille dame est déménagée
par le pêcheur (1) et le papa (3),
elle amène les souris au bord de
l’étang (3), elle croise l’enfant
avec son papa (3), elle prend un
thé avec son amie au bar de la
gare (2), la ville héberge le pê-
cheur et l’oie (1), le voyageur (2)
189
À la lecture du dernier album édité d’Anne Brouillard, De l’autre côté du lac, le
lecteur complice ressent une résonnance très forte avec ces quatre albums édités au
Seuil. Qui sont-ils donc ? Qui est Tante Nadège par rapport à la vieille dame et au pê-
cheur ? Comment se fait-il qu’ils aient le même panier ? À y regarder de plus près, le
lecteur comprend que Tante Nadège et la vieille dame ne font qu’une seule et même
personne388
. Jeune, elle habitait en Suède, au bord du lac. Âgée, elle habite en Belgique,
en ville. Encore une fois, Anne Brouillard confie qu’elle est « très attachée à ces lieux et
à ces personnages389
». Elle est aussi de double culture, suédoise par sa mère et belge
par son père. Anne Brouillard reste très attachée à ses doubles racines. Elle vit en Bel-
gique mais repart souvent en Suède. Les deux pays ne font qu’un en elle.
Au regard des pages 18 de l’album De l’autre côté du lac et 16 de La vieille
dame et les souris par exemple, le lecteur la reconnaît. Elle a le même visage, la même
expression, les même cheveux, la même attitude …
C’est la même mais, elle a pris quelques années et elle a déménagé entre temps.
C’est alors qu’intervient le rôle du pêcheur. Qui sont-ils l’un pour l’autre ? Sont-ils frère
et sœur ? En quel cas, ils ont déménagé en ville pour des raisons familiales et ou profes-
sionnelles. Ils habitent dans le même quartier, l’un près de l’autre. Sont-ils mari et
femme ? En quel cas, elle a déménagé pour vivre avec son mari. Les photos encadrées
dans la maison De l’autre côté du lac et dans l’appartement de la vieille dame ne per-
mettent pas de trancher. Ce peut être la famille, les parents comme le couple ?
Pour illustrer cette double rétrospection elliptique imagière :
- adulte, elle se souvient de son enfance dans ces mêmes lieux, d’une part et,
- âgée, elle retourne au bord du lac pour se souvenir et se ressourcer, d’autre part,
le lecteur peut évoquer la technique illustrative narrative utilisée par le narrateur imagier
dans Le chemin bleu. « Je voulais représenter le même espace sans ligne du temps,
comme quand on revient sur les lieux de son enfance et qu’on se revoit enfant … ».
388
« Je n’y avais pas pensé ! Que Tante Nadège soit la vieille dame… cette idée me plaît beaucoup … je
ne connais pas tout de mes personnages ! Cette idée donne une plus longue vie aux choses et aux gens. »
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 389
Extrait de la rencontre avec Anne Brouillard à Toulouse le 07/11/2010.
190
Jeu de l’illustratrice pour exprimer en une seule
image une projection dans le temps. Entre les
deux femmes, il y aurait le lac … espace originel.
Ici, le lecteur voit la même personne, dans deux lieux différents, à deux époques
de sa vie et reconstruit mentalement cette même image simultanée. Du lac, on part en
ville pour revenir au lac. La boucle continue …
Ainsi, De l’autre côté du lac raconterait la vie de Nadège avant son départ pour
la ville. « Pourquoi a-t-elle déménagé de ce lieu idyllique ? Elle y était si bien ?390
»
Parce qu’elle a épousé le pêcheur, parce qu’elle y a trouvé un emploi … Ou bien, pour
d’autres raisons selon l’imagination du lecteur, en accord avec les résonnances ima-
gières.
Ainsi, sur les pas de la vieille dame, depuis la ville, sur les traces de Nadège, au-
tour du lac, le lecteur revient tout naturellement, dans le cadre de l’album de La terre
tourne.
Afin de permettre les résonnances entre ces personnages, les objets391
de leur vie
quotidienne sont des indices très importants.
B. Les objets : 392
Par ce schéma, Sophie Van der Linden montre les résonnances entre les quatre
albums édités au Seuil. Par ces effets de parallélisme et d’entrecroisements entre les
personnages et leurs objets récurrents, par les tableaux accrochés au mur, par ces réson-
nances visuelles, le lecteur « ressent » qui est Tante Nadège et revient dans le pays du
lac de La terre tourne.
À la fin de l’album La terre tourne, tous les protagonistes se retrouvent sur une
petite île sur le lac. Les nichoirs font partie du décor festif, tels des lampions annoncia-
390
Extrait de la conversation téléphonique du 31/01/2011. 391
« Je dessine les objets que je connais, c’est pour ça qu’ils vont revenir. » Extrait de l’entretien télé-
phonique du 31 janvier. 392
Hors cadre[s], n° 1, Sophie Van der Linden, p. 15.
191
teurs d’une ambiance. Dans Mystère et De l’autre côté du lac, la récurrence des nichoirs
pose immédiatement ce lieu : le lac et cette ambiance de La terre tourne dès la première
page. Dès l’ouverture du livre, nous y sommes revenus. Le lecteur s’y sent déjà chez lui,
dans un univers familier et rassurant. Il y est bien. Il y a donc les nichoirs qui renvoient
à Mystère et la balançoire qui évoque celle de Il va neiger393
.
La terre tourne
À la fin
Mystère
Première
page
De l’autre
côté du lac
Première page
Il va neiger De l’autre côté du lac
Ces éléments matériels servent à planter le décor extérieur en éveillant les sou-
venirs visuels du lecteur. Les personnages sont dans la forêt suédoise, dans cette région
de bois et de lacs394
. De plus, le narrateur imagier utilise la même dichotomie chroma-
tique pour les balançoires que pour les enfants : le rouge et le bleu395
. Cet espace est
ludique, c’est le monde de l’enfance et, comme Anne Brouillard l’explique, pour le côté
technique, ces couleurs tranchent avec le décor végétal et boisé alentour.
À l’intérieur, plusieurs détails interpellent l’œil : Le buffet en bois avec les pho-
tos encadrées, l’abat jour sur pied, par exemple …
La mémoire visuelle du lecteur ne reste pas insensible à toutes ces images car, il
les a déjà vues quelque part. En effet, de plus en plus, le lecteur va rapprocher cet album
de La vieille dame et les souris.
393
« Pour Il va neiger, je me suis souvenue d’une promenade que j’avais faite dans une forêt en Suède :
une fin d’après-midi d’hiver, la neige s’était mise à tomber à l’arrivée de la nuit. (…) Ce changement
d’atmosphère tel que je l’avais ressenti que je devais essayer d’exprimer, cette curieuse impression qu’il
se passe des fois quelque chose de magique entre les choses et le temps. » Anne Brouillard pour Daniel
Fano in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles". 394
« La balançoire De l’autre côté du lac et celle de Il va neiger ne sont pas exactement au même endroit
en fait. Il y a beaucoup de lacs dans ce pays, la Suède. Dans De l’autre côté du lac, la plaine de jeux
« bleue » n’existe pas, il n’y a rien, si, des maisons, mais ça pourrait exister. Dans Il va neiger, c’est un
autre lac, un lac gelé, c’est la même forêt mais sur un territoire énorme en fait. Il y a réellement une
plaine de jeux avec des balançoires et des toboggans. En fait, c’est bien possible qu’elle soit bleue dans
la vraie réalité ou bien des deux couleurs ? Le rapprochement, c’est le même pays, la même région qui
est immense. Il faut voir sur une carte. » Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011. 395
« Ça existe les balançoires rouges … chez mes grands-parents ! Mon grand-père avait construit une
balançoire rouge pour nous. J’ai toujours associé la balançoire et le rouge. En Belgique, les plaines de
jeux sont peintes en rouge. J’en ai vu plus récemment des « bleu pétant ». À part le rouge et le bleu,
quelles couleurs existent ? Il n’y en a pas tellement en fait … Mes étagères aussi sont peintes en rouge et
bleu. Je me souviens, quand j’étais petite, mon grand-père suédois m’avait construit un petit mobilier
(table et chaise) peint en rouge et bleu. Je me souviens de cette association, bleu cobalt et ocre rouge.
Cette association vient de loin. » Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011.
192
De l’autre côté du lac La vieille dame et les souris
Page 6 :
la nappe blanche, le
dossier de la chaise en
bois
Page 20 :
Page 7 :
dans la cuisine :
l’égouttoir et la vais-
selle
Page 17 :
Page 16 :
la théière
Page 19 :
Il en est un qui rappelle l’univers pictural de Mary Poppins. Comme elle invite
Bébert à pénétrer « tous les deux, dans le tableau396
» afin de changer d’univers, par une
mise en abyme, les cadres (tableaux peints ou photos) accrochés au mur de
l’appartement de la vieille dame, autorisent aussi ces bonds dans l’espace :
- Le cadre de la page 21 renvoie au saule pleureur de l’étang.
- Le cadre de la page 22 renvoie au héron cendré de l’étang ou à celui du lac.
La famille foulque La vieille dame et les souris De l’autre côté du lac
Il y a un objet qui occupe une place importante dans l’univers imagier de ces
cinq albums : le panier en osier. Si un fil permet de les raccrocher tous ensemble et de
donner une cohérence à toutes ces vies, c’est certainement lui. Il est l’objet idéal et
fonctionnel de toutes les situations :
- Le pêcheur s’en sert comme panier de pique-nique et comme panier de pêche
- La vieille dame l’utilise pour transporter les souris et pour faire ses courses
- Tante Nadège et Lucie le prennent pour transporter leur pique-nique
Quelles interprétations autorise-t-il ? Quels sont les liens entre ces personnages ?
396
Mary Poppins, Pamela Lyndon Travers, Le livre de poche jeunesse, 1980, p. 32.
193
À la lecture des albums, le panier circule entre eux deux dans une logique spatio-
temporelle cohérente :
- Le pêcheur et l’oie : il a le panier ; (invisible dans les pages de l’album, elle est à la
gare avec son amie).
- Le voyageur et les oiseaux : elle ne l’a pas avec elle à la gare ; c’est toujours lui qui
rentre avec le panier.
- La famille foulque : il a le panier pour aller à la pêche. Puis, elle l’a avec elle pour
faire ses courses. Au pique-nique, ils sont présents tous les deux, il n’y a qu’un seul
panier !
- La vieille dame et les souris : elle a le panier pour transporter les souris et faire ses
courses.
À la lecture espace-temps de ces albums, la circulation du panier est possible.
Cependant, le lecteur ne peut pas trancher sur leur filiation. Même s’ils vivent séparé-
ment à la fin de l’album La vieille dame et les souris, l’ambiguïté est toujours présente.
Elle part en voyage seule certes mais, ils se retrouvent pour le pique-nique à la fin de La
famille foulque. Anne Brouillard avoue beaucoup s’amuser car, « il y a des choses im-
possibles dans la réalité mais dans la fiction, dans l’univers de l’album, les possibilités
sont infinies397
». En effet, dans l’univers de ces albums, le lecteur reconnaît aussi les
souris grises. Cependant, peuvent-elles vivre aussi longtemps ? Ont-elles suivies Na-
dège en ville ? « Non, ce sont leurs arrière-petites-filles !!! » Elle laisse donc une large
place à l’imagination du lecteur pour continuer à faire vivre ses personnages.
397
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard le 31/01/2011.
194
C. Le temps (météo et qui passe : passé / présent / futur)
Schéma sur l’échelle du temps passé et présent avec justification météorologique :
Été
Automne
Hiver
un jour
du
prin-
temps
Pen-
dant
l’été
- Le temps qui passe
Comme pour l’espace, le narrateur imagier ménage des doubles-pages illustrées
à fond perdu pour illustrer le temps qui s’étire. Ainsi, quand le temps passe, le lecteur
prend le temps de la contemplation, sans stress.
- Le passage du jour et de la nuit
- Le passage des saisons
- La pêche (lente)
- L’appartement vide
- Dans la gare
Le narrateur imagier adapte la dimension de ses illustrations à l’étirement du
temps. Plus le temps est lent, long, plus l’illustration occupe tout l’espace de la double-
page. À contrario, plus le temps est bref, actif, plus les illustrations sont présentées sous
formes de « cadres » ou « vignettes » séquentielles.
Nous pouvons représenter le passage du temps au long de ces albums, sur les
traces de Nadège de la façon suivante :
195
De l’autre côté du lac Le pêcheur
et l’oie
Le voya-
geur et les
oiseaux
La famille
foulque
La vieille dame et les
souris
Flash back
textuel :
Ellipse
temporelle
sur son
enfance et
sa jeu-
nesse : « il
y a long-
temps »
Elle vivait
ici. Elle est
déjà allée
de l’autre
côté du lac.
Rétrospec-
tion
imagière et
textuelle :
Maintenant,
adulte, elle
est ici avec
sa nièce
Lucie. En
vacances ?
Elle y vit ?
Elle se
rappelle ses
souvenirs et
elle retente
l’aventure.
Âgée :
Invisible
dans les
pages de cet
album. Pen-
dant ce
temps-là,
elle est à la
gare …
Âgée :
Elle prend
le thé avec
son amie.
Âgée :
Elle vit, fait
ses courses,
participe au
pique-nique
au bord de
l’étang.
Âgée :
Son
voyage :
ellipse
spatio-
temporelle.
Retourne
t’elle au lac
pour se
ressourcer ?
Environne-
ment vi-
suel :
Elle doit
déménager,
(encore) ?
Elle va
vivre dans
un apparte-
ment mo-
derne main-
tenant …
Flash back : de flash back : à maintenant :
Il y a longtemps jeunesse vieillesse et en ville
Enfance, jeunesse adulte retour elliptique au lac
Textuel image et texte visuel, imagier
D. L’espace, le cadre, l’ambiance
Entre Le pêcheur et l’oie et La vieille dame et les souris, il y a une zone géogra-
phique où des gens vivent au rythme du temps qui passe. Et dans cet espace, il y a une
gare … Ces quatre albums corroborent avec la réflexion d’Anne Brouillard disant que
« quand je réalise un album, mon art est au service des personnages auxquels je
m’attache puis, quand j’ai terminé une histoire, j’ai envie de les reprendre encore dans
un autre cadre398
». Le lecteur les retrouve donc dans cette collection de quatre albums
édités aux éditions du Seuil Jeunesse en 2006 et 2007.
Elle les rassemble tous dans La famille foulque, au bord de l’étang qui se trouve
certainement en bas de la ville en pleine mutation.
PARC DES ETANGS D'IXELLES
« Les étangs d'Ixelles offrent un cadre architectural et artistique unique. Situés entre les
avenues Général-de-Gaulle et des Éperons-d'Or, ils prolongent les jardins de l'abbaye de la
Cambre. À la pointe du premier étang, les façades néo-classiques avec leurs frontons trian-
gulaires marquent une transition originale entre la chaussée d'Ixelles et la zone résidentielle
des étangs. Côté étangs, changement de décor : les maisons des années 1870-1880, de style
398
Anne Brouillard, rencontre au salon du livre « vivons-livre » à Toulouse le 06/11/2010.
196
éclectique en briques apparentes rouges, s'inscrivent dans l'ensemble voulu par Victor
Besme. On trouve aussi des maisons de style néo-renaissance flamande, art nouveau et art
déco, dont le représentant le plus connu est le bâtiment de l'Institut national de radiodiffu-
sion situé place Flagey399
».
« Au début du XXe siècle, le Bruxellois, très attaché à la maison individuelle, va progres-
sivement se laisser convaincre par la vie en appartement, du fait de l’avènement de la loi
sur la copropriété et des changements sociaux de l’époque. Cela entraînera de profondes
mutations dans la ville, l’architecture et les modes d’habiter. Le quartier offre un panorama
exceptionnel des plus belles réalisations de cette époque où se succèdent Art Nouveau, Art
Déco et Modernisme400
».
« C’est un lieu calme, plein de charme, l’occasion d’un peu de tranquillité à deux pas de
l’agitation urbaine. Les étangs sont aussi très prisés par les joggeurs. A la base, le territoire
d’Ixelles possède quatre étangs. Le grand étang a été partiellement asséché en 1860. Il cou-
vrait alors la place Flagey. Aujourd’hui, il représente l’étang inférieur. Les étangs Penne-
broeck et Ghévaert furent réunis pour former l’étang supérieur. Avec l’abbaye de la
Cambre, les étangs représentaient un des sites les plus attrayants de l’agglomération bruxel-
loise. Entre les deux étangs, on trouve le monument des Ixellois, morts au champ d’honneur.
Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les étangs servaient de vivier, de lavoir, de réserve d’eau
alimentaire et de glace en hiver. Le plan du quartier conçu par Victor Besme impliqua le
remodèlement des étangs et de nombreuses expropriations qui effacèrent rapidement le
souvenir de l'ancien village champêtre. La bourgeoisie de l’époque investit rapidement les
abords des étangs et les nouvelles rues avoisinantes en y faisant construire de nombreuses
maisons de maître de style éclectique, art nouveau et art déco qui constituent aujourd’hui un
important patrimoine. Aujourd’hui, avoir un appartement avec vue sur les étangs demande
d’y mettre le prix. Le quartier autour des étangs est resté aisé et prisé par les classes supé-
rieurs, dont depuis peu les fonctionnaires européens. Le site fut classé en 1976401
».
« Il y a toujours plein
de grues dans
Bruxelles. C’est im-
pressionnant comme la
ville change tout le
temps. »
Le temps passe mais l’espace reste « naturel » autour de cet étang où les person-
nages peuvent se retrouver tandis que la ville change d’apparence. Mais la gare, où est-
elle ? Et le voyageur ? Il est parti vers d’autres lieux ? Rencontrer d’autres personnes
399
Source : http://www.opt.be/informations/attractions_touristiques_ixelles__parc_des_etangs_d_ixelles/f
r/V/17539.html 400
Source : http://www.arau.org/vg_etang.php 401
Source : http://www.cityzeum.com/les-etangs-d-ixelles
197
que l’on ne connaît pas ? Comme les gens que l’on croise dans La terre tourne, Voyage
…
Un plan d’ensemble nous permet d’essayer de la situer dans l’espace (d’après les
allers et venues des uns et des autres aussi) :
Comme le précise Anne Brouillard, le modèle de gare qui l’a inspiré est parisien
et les trains sont plutôt des modèles tels qu’on en trouve en France. Par contre, le mo-
dèle de ville qui l’a inspiré pour les trois autres albums est Bruxelles et le quartier où
elle habitait et se baladait à ce moment-là.
Alors, où se trouve la gare dans l’espace de cette histoire répartie sur ces quatre
albums ? « Avec cette question, le lecteur tape en plein dans le mille !402
» avoue-t-elle
dans un grand rire complice …
En fait, le lecteur ne doit pas confondre l’espace mimétique, très fort chez Anne
Brouillard, dans la mesure où elle trouve son inspiration dans les choses vues, vécues ou
ressenties dans sa vie réelle, et l’espace représenté dans le cadre de l’histoire réunie
dans ces quatre albums par le narrateur imagier.
Entre ces quatre albums et De l’autre côté du lac, édité aux éditions Le Sorbier
en 2011, il y a une autre zone géographique. Le lecteur voyage depuis Bruxelles, en
Belgique à Dalskog, en Suède. L’un est son pays paternel, l’autre est son pays maternel.
Elle est née et vit dans l’un, elle part en vacances et se ressourcer dans l’autre. Les deux
sont « son » pays. Elle y est chez elle et elle y est bien.
402
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010.
198
VII. Les liens et les résonnances avec La terre
tourne : l’espace, le cadre, l’ambiance
Pas de doute, l’histoire se déroule bien dans ce même cadre suédois que La terre
tourne. Le lecteur le reconnaît bien maintenant. Dès la première double-page, le lecteur
retrouve l’atmosphère arborée de Il va neiger et les bouleaux blancs avec les nichoirs
verts accrochés en hauteur de Mystère. La fin de l’album ménage même une surprise !
Le toboggan et la balançoire sont les mêmes que ceux qui se trouvent, pareillement, à
l’orée du bois, au bord du lac, dans l’album Il va neiger, mais, la couleur est différente.
Le narrateur imagier a utilisé la même dichotomie qu’il utilise pour signifier les vête-
ments des enfants, le rouge et le bleu. Ces deux couleurs semblent n’en faire qu’une
seule et unique : celle de l’enfance et des jeux pour le narrateur imagier.
Dans La terre tourne, le lac occupe deux illustrations seulement. Dans De
l’autre côté du lac, il est omniprésent, il occupe toutes les dimensions spatiales : devant,
autour, entre, derrière, à côté … Cependant, comme le précise Anne Brouillard,
« l’ambiance est la même ».
Le lac sous la lune403
Le lac le soir
La terre
tourne
Page 9
La terre
tourne
Pages
22-23
De l’autre
côté du lac
Pages
14-15
De l’autre
côté du lac
Pages
12-13
Quand il pleut, même si l’environnement n’est pas exactement le même (l’étang
ou le lac), le lecteur reconnaît la technique du narrateur imagier. En effet, comme
l’avoue Anne Brouillard, entre l’année d’édition de l’album La terre tourne, en 1997 et
403
« La lune fait luire la nuit. » Thomas Vinau, Tenir tête à l’orage, éditions N&B, Poésie, Tournefeuille,
2010, p. 11.
199
les années d’édition de ces albums (2006-2011), sa technique a évolué. Ainsi, il est tout
naturel pour le lecteur de retrouver l’atmosphère pluvieuse404
, peinte à l’encre diluée :
De l’autre côté du lac
Page 11
La famille foulque
Pages 20-21
Le pêcheur et l’oie
Pages 14-15
Dans ces albums, les techniques et la mise en page sont au service de l’histoire
et de son espace narratif. Les illustrations doubles-pages occupent plus de place dans la
page, elles illustrent donc un espace plus large dans lequel le lecteur et les personnages
évoluent sans « contraintes » spatiales. L’espace continue en dehors du cadre de la page.
Ce qui laisse une grande liberté imaginative au lecteur.
Le lecteur peut se déplacer d’un espace à l’autre en tournant les pages de
l’album ou en naviguant d’un album à l’autre. Pour ce faire, il doit être sensible à tous
ces indices visuels que le narrateur parsème sur son chemin405
.
Avec ce dernier album édité, Anne Brouillard revient à l’ambiance de son pays
maternel. C’est « le lac en Suède, le même que pour La terre tourne. Ce fameux lac
Teåkersjön dans la commune à Dalskog406
». Elle avoue y revenir souvent, dans la vie
mais aussi, qu’elle y reviendra pour l’album qu’elle appelle « le livre de ma vie, avec
tous les personnages de La terre tourne mais ce n’est pas celui là … Les animaux et les
êtres humains sont sur un même pied d’égalité, ils ont même la même taille … Ici, ils
sont remis dans un contexte plus réel407
». Il s’agit certainement d’une étape transitoire
et nécessaire dans son cheminement créatif. « J’y ai pris énormément de plaisir408
».
Dans l’album La terre tourne, les personnages vont par couple humain/animal.
D’ailleurs, le lecteur retrouve ces mêmes paires dans d’autres univers imagiers d’Anne
Brouillard. Dans ces cinq albums aussi, cette symbiose est illustrée. Les animaux et les
humains vivent ensemble et s’adaptent l’un à l’autre.
- Un animal sauvage comme une oie mime les comportements humains,
404
« La pluie donne sa couleur aux choses. » Thomas Vinau, Tenir tête à l’orage, op. cit., p. 26. 405
« L’auteur lui-même relie ce qu’il écrit aux passages de l’existence, de la sienne, de celle de tous les
Hommes. (…) Le lecteur avance. Et le chemin parcourt. Et la nuit s’éclaire de tant d’étoiles. » Daniel
Leduc, Le livre de l’ensoleillement, éditions N&B, Aubenas, 2003, p. 62. 406
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 407
Ibidem. 408
Ibidem.
200
- Des oiseaux s’enhardissent à manger le pain à table,
- Le lecteur découvre parallèlement comment les préparatifs prénataux sont similaires
dans les deux familles,
- Les souris déménagent pour les mêmes raisons que les humains,
- Tous les animaux, amis ou ennemis partagent ensemble la vie des êtres humains au-
tour du lac.
Dans l’univers d’Anne Brouillard, l’animal et l’homme sont plus que compa-
gnons, plus que partenaires, ils sont en harmonie et précieux l’un pour l’autre. Chacun
prend soin de l’autre et se respecte. Son style « flou » rend parfaitement bien cette am-
biance. Les contours des personnages ne sont pas nets, leurs formes et leurs expressions
deviennent mouvantes. Ainsi, même dans le dessin, il n’y a pas de limites entre eux. La
peinture ou l’encre sont diluées sur la surface du papier et la différence s’estompe entre
les deux mondes, humain et animal. La technique et la matière artistiques permettent ce
rapprochement tout en douceur, tout naturellement. Les attitudes sont suffisamment
évocatrices, les clins d’œil humoristiques et le talent d’Anne Brouillard présentent ce
message avec légèreté et sensibilité par l’équilibre de ses albums.
Mais aussi, avec cet album, Anne Brouillard revient à l’éditeur de La terre
tourne, Le Sorbier, celui-là même qui a accueilli son premier album, Trois chats409
. Le
lecteur remercie ces éditrices. Marie David est devenue une amie d’Anne Brouillard et
Régine Lilensten nous confie les raisons de leur choix en ces termes :
« J’ai choisi de l’éditer tout simplement parce que j’ai beaucoup apprécié à la fois la force
de ses illustrations, et la poésie et la sensibilité qui se dégagent des thèmes qu’elle aborde
-Le partenariat se déroulait, de la meilleure façon possible, et j’ai accepté avec joie les
projets, même aboutis, qu’elle me proposait à publier.
-Anne Brouillard me semble avoir une sensibilité poétique qui m’émeut “ me parle”, et
adoucit la vigueur de sa palette vigoureuse. Elle n’a pas peur des couleurs, des “noirs”,
c’est vraiment une artiste coloriste presque plus qu’une illustratrice.
-Son inspiration me semble venir d’une appartenance nordique, cela se voit dans les forêts
qu’elle dépeint, des lumières, ce sont en fait des toiles...410
».
Cet album est un retour aux sources éditoriales, un retour à ses origines et un re-
tour à l’ambiance de La terre tourne. Si Anne Brouillard y prend énormément de plaisir
son lecteur l’accompagne et savoure ce superbe cheminement.
409
« Marie Wabbes m’a donné deux adresses : Duculot et Dessain avec Marie David (ma première édi-
trice) et Régine Lilensten, co-éditrice avec Le sorbier de l’époque. » Ibidem. 410
Extrait de l’échange par e-mail du 14/11/2010.
201
CONCLUSION
Dire qu’une artiste crée son œuvre avec ce qu’elle est s’apparente à une tautolo-
gie. Cependant, l’exprimer avec talent n’est pas si fréquent. Anne Brouillard est une
artiste qui a du talent. À partir de ses souvenirs, son vécu, ses rêves … elle crée de ma-
gnifiques albums avec ce rythme « résonnant » et « en boucle » qui la caractérise. Elle
part d’anecdotes vues, entendues … elle s’imprègne de toutes sortes de sensations puis,
son imagination lui inspire des histoires qu’elle met en albums (images et/ou textes).
Elle aime travailler dans le calme et sans stress, de préférence la journée, à la
lumière naturelle, avec ou sans musique selon son humeur mais plutôt la fenêtre ouverte
pour entendre la nature qui vit et bruisse autour d’elle411
. Anne Brouillard aime la nature,
les animaux, les gens, la vie … Dans sa famille, tout le monde peint. Elle dessine depuis
sa plus tendre enfance. C’est naturel pour elle. L’album est donc un moyen d’expression
parfait pour elle412
. Comme dans La terre tourne, elle peut s’y exprimer « presque »
sans contraintes si ce n’est le format de la double-page du livre. Pour être au plus près
de l’équilibre de ce support, elle travaille d’ailleurs au format. Elle exploite cet espace
narratif dans l’harmonie et l’équilibre.
Elle maîtrise parfaitement plusieurs techniques qu’elle met au service de ses al-
bums. À chacun son style et ses couleurs pour faire ressortir son ambiance. Ses person-
nages s’adaptent au décor et à l’atmosphère des albums « comme nous changeons de
vêtements selon les circonstances et les saisons. » Elle passe beaucoup de temps à cons-
truire l’univers de ses albums.
411
« Vous travaillez plutôt en musique ou en silence ?
Souvent en musique, radio « classic », Clara, une radio flamande. J’ai besoin de silence aussi. Souvent,
juste ouvrir la fenêtre et entendre les bruits du dehors, j’ai une ménagerie et des jardins sous ma fenêtre :
mouettes, moi, poules, coq, oiseaux …
C’est une question de concentration et de changement, parfois, j’éteins la radio… » Extrait de l’entretien
du 07/11/2010. 412
Anne Brouillard dit faire des albums « aussi » pour les enfants mais pas « pour » les enfants. Elle
avoue faire des albums « aussi » parce que les enfants les comprennent, différemment des adultes. Ibidem.
Dans son article Enfantin ! dans la revue Hors cadres[s] n° 6, Yann Fastier avance qu’ « ainsi, tout album
serait non pas un livre pour enfants, mais un « livre d’enfance ». En chaque album, (…) circulerait une
sorte d’ « esprit d’enfance » délié de toute notion d’âge. », p. 20.
202
La terre tourne propose au lecteur un « panel » de mise en page illustrative :
- Images uniques
- Style « flou » et cadres « ouverts » ou « à bords perdus »
- Images séquentielles
- Illustrations de pleine page à fond perdu
Et une mise en texte personnelle.
Ses albums s’adressent à un public très large. Anne Brouillard raconte comment
elle a vu un petit enfant dévorer La terre tourne, au sens plein du terme. « Il en arrachait
même les pages tellement il était plongé dans sa lecture, avide de découvrir ce qu’il y
avait derrière l’image et à la tourne de page413
». Il est tout à fait vrai qu’une fois que les
jeunes lecteurs ont découvert une résonnance, une répétition (personnage, motif, objet,
couleur, mot …), ils se précipitent sur les livres pour vérifier, comparer, retrouver en-
core ailleurs et finalement, jubiler de leur découverte qu’ils font partager. Cet élan est
communicatif. Bruno Munari disait qu’ « une fois qu’un enfant a découvert qu’un livre
lui réserve toujours une surprise dans ses pages, il a envie de lire414
» et « il en retire un
grand avantage dans la vie », comme l’affirme aussi Daniel Pennac415
. À travers ses
œuvres, Anne Brouillard leur offre cet élan littéraire. Si certaines résonnances sont évi-
dentes, d’autres nécessitent néanmoins une lecture plus fine. Les lecteurs plus âgés y
sont sensibles. Anne Brouillard sait les interpeller. Ainsi, chacun doté de son bagage
culturel et littéraire crée ces liens intra et inter résonnants. Chaque lecteur parcourt sa
bibliothèque mentale et chaque découverte l’engage dans un cheminement « de re-
cherche » et de « recréation ». Tous savourent aussi son talent pictural. Anne Brouillard
est une artiste qui donne vie aux couleurs et aux mots, « … et voilà que la vie s’éclaire
de ce qu’on écrit d’elle416
».
Pour apprécier son œuvre, chacun doit partir à sa découverte. Selon ses dires,
elle a « bien trouvé sa voie » car l’album pour la jeunesse offre des possibilités infinies
à cette artiste. En retour, elle invite son lecteur à les partager. Elle le « prend par la main,
le guide dans l’espace et le temps, le laisse se faire son propre cinéma. Elle est de ces
artistes qui rendent libres ceux qui ont le bonheur de la rencontrer417
». Pour y parvenir,
413
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 414
Source : http://www.arpla.fr/canal2/figureblog/?m=201010 415
Comme un roman, éditions Gallimard, collection Folio, 1995. 416
Pierre Lepape in http://www.evene.fr/celebre/biographie/pierre-lepape 417
Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62.
203
un album, une lecture ne suffisent pas. À partir de cet exemple, à partir de La terre
tourne, nous voulions montrer combien il est important de lire son œuvre dans son en-
semble car un album éclaire les autres comme les autres résonnent dans un album. Par
son style en boucle, le lecteur ressent combien l’unique fait partie du tout et comment le
tout englobe chaque partie. L’équilibre de son œuvre se construit dans l’unicité et dans
la globalité.
Le dernier mot de son carnet de La terre tourne est « émotion ». D’après le dic-
tionnaire Le Littré, une émotion est un « mouvement moral qui trouble et agite, et qui se
produit sous l'empire d'une idée, d'un spectacle, d'une contradiction, et quelquefois
spontanément » ou un « mouvement qui se passe dans une population ». Ainsi, partant
d’une émotion ressentie par Anne Brouillard (individuelle), l’album est le médium par
lequel elle transmet cette émotion au lecteur (collective). Ce substantif peut tout aussi
bien clore notre « carnet » aussi.
Ce mémoire de Master 2 Professionnel Littérature pour la Jeunesse a la modeste
intention de l’avoir démontré grâce aux résonnances à partir de La terre tourne. Ce tra-
vail d’étude et de recherche est à poursuivre dans une thèse de doctorat que nous envi-
sageons avec l’accord de nos directrices de recherche, Mme Segura-Balladur et Mme
Audureau ainsi qu’Anne Brouillard, bien évidemment.
204
BIBLIOGRAPHIE DÉTAILLÉE
D’ANNE BROUILLARD
1) 1990 : Trois chats, aux Éditions Dessain et Tolra Ŕ Liège et Du Sorbier Ŕ Paris (qui
le rééditent en 2008)
Mention au Prix des critiques de la Communauté française en 1991, Mention au Prix
Versele 1991, Sélection Petite Fureur 2009
- Format418
: rectangle419
haut (22 X 28 cm), illustré en couleurs, sans texte, 28 pages.
- En France, cet album a été édité puis réédité par la même maison d’édition, Le Sor-
bier (comme La terre tourne). La première de couverture de l’édition de 1990 présente
un titre décalé en bas à droite, juste au dessus des vagues et en dessous des queues des
chats. Le nom de l’auteure-illustratrice, en haut à gauche, est écrit avec la même typo-
graphie420
et dans la même couleur jaune (couleur des yeux du premier chat). Le titre est
en lettres majuscule et le nom est en minuscule. La couleur jaune évoque au lecteur le
soleil (invisible) dans ce ciel bleu éclatant et résonne avec le crayonné jaune sur la
vague blanche. La version américaine reprend la même couverture mais la couleur des
polices est dans les tons jaune orangé, couleur plus douce que le jaune. L’effet est moins
vif à l’œil. Pour la réédition de 2008, le titre a été centré, les traits des lettres sont plus
épais421
, la typographie est plus ronde et le jaune est plus vif. Le titre saute aux yeux. Le
jaune tranche sur le bleu. La forme du « T » évoque la queue enroulée du chat. Le nom
est écrit en dessous, en blanc (couleur des vagues). L’association entre le titre de
418
« Le format peut, quant à lui, fortement déterminer l’expression et chaque dimension recèle ses
propres puissances ou impuissances. » Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants,
l’analyse des livres d’images, N° 214, décembre 2003, p. 60. 419
« Le format de base est et reste rectangulaire. » Michel Defourny, in L’enfance à travers le patrimoine
écrit, colloque Annecy, 18. 19 septembre 2001, p. 76. 420
« La typographie : emploi de caractères spécifiques, ou au contraire variés, ou encore gradués ; mise
en valeur de leurs qualités esthétiques ; composition et mise en pages conçues pour favoriser la compré-
hension et la mémorisation des textes. » Annie Lallement-Renonciat, in Littérature de jeunesse, incer-
taines frontières, textes réunis et présentés par Isabelle Nières-Chevrel, colloque de Cerisy, Gallimard
jeunesse, 2005, p. 69.
« La typographie véhicule le sens du texte. » C. Segura-Balladur et E. Audureau, op. cit., p. 32. 421
« L’emploi de gros caractères dans les livres destinés aux plus jeunes constitue un autre témoignage de
l’adaptation précoce de la typographie à l’enfant. » Ibidem., p. 73.
205
l’album, le nom de l’artiste et de la maison d’édition est plus évident car ils sont regrou-
pés dans le tiers de bas de page, sous les chats.
Dédicacé à Marie Wabbes :
« J’étais étudiante en 2ème
ou 3ème
année en illustration et j’étais très intéressée par le des-
sin animé, je suis allée au festival de Bruxelles. J’ai rencontré Marie Wabbes car elle avait
des livres adaptés en cinéma d’animation, je lui ai montré mon travail. Elle a été super
gentille et m’a donné des conseils d’une préciosité sans égal, très précieux. Elle a été mon
prof en 5 minutes … Elle m’a donné sa carte et m’a dit de l’appeler … J’ai fait les 3 chats
après, si j’ai pu les faire comme je l’ai fait c’est grâce à ses conseils. Après mes études,
j’avais sa carte de visite, je lui ai téléphoné, viens … ! Elle m’a reçu avec tant de chaleur et
de générosité … viens avec les 3 chats
Elle m’a donné deux adresses : Duculot ed. en Belgique : Duculot a dit non !et Dessain :
avec Marie David, ma première éditrice, devenue une amie depuis en co-éditeur, avec le
sorbier de l’époque, Régine Lilensten
Parce que c’est grâce à elle que j’ai pu réaliser ce livre. C’est une reconnaissance justi-
fiée422
».
- L’histoire :
« Commençons par les trois chats, le premier album : chats en noir et blanc. L’histoire est
née de quelque chose de vue en vrai, point de départ, quelque chose de vu, vécu, le réel, le
vrai. Autre chose pour en faire une histoire ! L’intérêt : l’absurdité de la situation, le choc
de ce chat perché très haut sur une branche. Pour le faire ressortir dans le livre : le chat
est multiplié par trois. Première version avec des canards, ils volent réellement mais moins
absurde. Alors que l’histoire propose quelque chose d’inattendu et je joue la dessus. Les
couleurs : poissons rouges, contraste avec le bleu dominant du livre, d’ordre graphique.
Juste l’eau bleue, les poissons rouges et 3 chats. Est-ce un lac, la mer ???C’est voulu de ne
pas pouvoir identifier un lieu précis423
».
- Des pistes de travail pour la classe :
Lecture par hypothèses-anticipation sur la suite de l’histoire : Travail sur le langage : les
verbes d’action … À l’école maternelle : les élèves de moyenne section ne sont pas
étonnés ; par contre, les élèves de CP expriment bien le fait que les chats n’aiment pas
l’eau et que les poissons vont mourir hors de l’eau. Lecture des expressions ou mi-
miques : envie, peur, inquiétude, étonnement … sur les têtes des chats et des poissons
« Un récit en images : Faire deux lectures successives424
».
2) 1992 : Petites Histoires, aux Éditions Dessain et Tolra, Syros Jeunesse (qui le réédi-
tent en deux volumes en 1999)
Prix des critiques de la Communauté française 1993, Mention au Prix international du
livre ŖEspace-Enfantsŗ de l’Institut universitaire Kurt Böch et de la Fondation ŖEspace-
Enfantsŗ de Genève, 1994
422
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse. 423
Ibidem. 424
Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture impliquée, in Activités De
Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 44-47.
206
« Syros : petites histoires 3 histoires dans le même album mais 4 au départ. Ils en avaient
mis 1 de côté. Pour la réédition, ils ont récupéré la 4ème
et en ont fait deux livres : 2 his-
toires dans chaque livre : Petites histoires simples / étranges425
».
- Format : petit carré426
(20 X 20 cm), illustré en couleurs, sans texte, 60 pages.
- Pour l’édition de 1992, la première de couverture reprend l’illustration de la page 32 à
fond perdu. Le titre utilise une écriture script (bâton) très appuyée, les traits sont épais.
Il est centré, au milieu de la pluie qui tombe drue. Afin de mieux ressortir, il est en bi-
chromie : rouge pour « petites » et noir pour « histoires ». Le rouge est celui des para-
pluies qui tranchent sur les couleurs de la mer houleuse. Discrètement, en dessous, le
nom de l’artiste, en blanc. (Est-ce le fait qu’elle ne soit pas encore très connue ? Son
nom est discret … pour ensuite prendre plus de place et de couleurs sur les couvertures
de ses albums.) L’édition américaine reprend la même illustration de couverture, par
contre, au centre, le nom de l’artiste est en noir et en dessous, le titre s’allonge sur toute
la « largeur » en rouge. Une artiste européenne est un gage d’exotisme outre-Atlantique,
son nom est mis en valeur avec le titre de son œuvre.
Pour les rééditions, en deux volumes, en 1999, Anne Brouillard est écrit en haut, au
centre de la page, en noir. La même couleur reprise pour le titre. Le lecteur associe vi-
suellement et en couleur, l’auteure et l’œuvre. Les deux adjectifs qualificatifs qui per-
mettent de distinguer les deux volumes « étranges » et « simples » sont écrits en majus-
cules, dans une police plus grande et plus originale427
, en rouge. Ces deux mots sem-
blent flotter sur l’illustration, l’un sur la mer ou dans le ciel gris vert ; l’autre sur la
neige ou dans le ciel gris rosé. Cet effet « mouvant » les rend vivants et les fait ressortir.
En dessous, ils reprennent une illustration de l’album. Temps de chien, pour « étranges »
et Des hauts et des bas, pour « simples ». Quoi de plus étrange pour un chien que de
faire du bateau-parapluie sur l’eau ! Quoi de plus simple pour un pingouin que de faire
de la luge avec des amis !
Dans Temps de chien, le lecteur s’amuse à tourner et retourner le livre. Le ciel devient la
terre et réciproquement. L’œil s’exerce à remettre les chiens « à l’endroit » … sont-ils
toujours les mêmes ? Leurs attitudes et les parapluies rouges mettent sur la piste.
425
Propos recueillis auprès d’Anne Brouillard par téléphone le 27/10/2010. 426
« Au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle (le XXème
), le format carré est devenu de plus en
plus fréquent. » Michel Defourny, in colloque Annecy, op. cit., p. 81. 427
« Les démarches des graveurs et des illustrateurs vouées à la révélation des beautés, des curiosités et
des magies de la lettre, envisagée dans sa dimension visuelle et non plus dans ses fonctions linguis-
tiques. » A. Lallement-Renonciat, Littérature de jeunesse, incertaines frontières, op. cit., p. 79.
207
3) 1992 : Le sourire du loup, aux Éditions Dessain et Tolra Ŕ Liège et Épigones, col-
lection « La langue au chat » ; réédité en 2007 par les Éditions Il était deux fois
Mention d’honneur au Prix graphique section enfance de la Foire de Bologne 1993 et
Pomme d’or de la Biennale de Bratislava, 1993
- Format : rectangle haut (20,5 X 27 cm), illustré en couleurs, sans texte, 28 pages.
- En 1992, la maison d’édition belge et la française ont utilisé la même illustration
(même fond, décor, forêt, ombres, loup …). Cette image se trouve (elliptiquement)
avant la page 10 de l’album, quand le loup entre par la gauche et apparaît « en entier »
dans la forêt. Pour l’édition belge, l’écriture (titre et nom) est en lettres bâton, épaisse,
l’éditeur en cursif, rouge « sang » vif, centrée. Le titre ressort par sa typographie et sa
couleur sur la forêt par l’effet aussi du rouge sur le noir et blanc. Ce sont les trois cou-
leurs de l’album et les trois couleurs du loup. Le rouge évoque le ciel et la langue du
loup, il est lumineux et inquiétant. Pour l’édition française, un long cadre rectangle
casse le rythme de la couverture et cache un morceau de forêt. Le fond est blanc comme
la lumière sur les troncs d’arbres. L’écriture est cursive et légèrement « tremblotante ».
Est-ce la peur du loup qui fait cet effet sur les caractères ? La couverture n’utilise que
les deux couleurs, noir et blanc. Lors de l’ouverture de l’album, le rouge sera d’autant
plus expressif et « violent ». Cette couverture veut-elle ménager cet effet de surprise ?
Pour sa réédition en 2007, la maison d’édition Il était deux fois présente une couverture
moins angoissante. La forêt et le loup sont contenus dans un cadre, ils ne débordent plus
du format du livre. Le loup semble comme « pris en photo » il ne risque pas de sauter de
la page. Par cet effet encadré, le loup ressort davantage, il est mieux identifié par l’œil.
L’écriture est blanche et la typographie est arrondie pour écrire le mot « loup ». Il n’a
pas l’air méchant … La petite touche de couleur est jaune, du fait du logo de la maison
d’édition. Le fond de la page est gris428
. Ce livre « cadre » est structuré et présente un
aspect moins « enfantin » que les premières éditions.
En 1993, cet album est couronné au salon de Bologne (Mention d’honneur au
Prix graphique section enfance de la Foire de Bologne) et obtient ensuite le prix de la
Pomme d’Or à la biennale de Bratislava. Enfin en 1994 il obtient le prix Maeterlink429
.
428
D’après les recherches et l’enseignement de Johannes Itten, pour obtenir en peinture « les rapports
d’harmonie (…) des couleurs placées l’une en face de l’autre doivent donc être complémentaires et don-
ner du gris par leur mélange. » In L’art de la couleur, op. cit., p. 23. 429
Source : www.ricochet-jeunes.org/
208
Pour ma réédition, j’ai décidé de modifier le plat I dans un souci de visibilité/identification
(pour ma maison d’édition) et pour des questions juridiques. J’aime le côté inquiétant de
l’illustration et le titre, dont on ne comprend pas vraiment le sens, au premier abord.
J’ai choisi de rééditer cet album car il est beau, avant toute chose. Contrairement aux
autres livres, c’est un album pour lequel on est obligés de commencer par le début, si l’on
veut comprendre « l’histoire » (effet de zoom) – et non pas le feuilleter en partant de la fin.
Cela me semble important de montrer aux enfants le sens de lecture d’un livre. Et puis, sur-
tout, c’est un album sans texte : les enfants peuvent inlassablement se raconter une histoire
différente, dès qu’ils le lisent. Certains jouent à se faire peur, ils racontent : « Hou, c’est le
loup, il va peut-être me manger… » Et puis : « il tire sa langue, sa grosse langue… », et en-
fin : « Ah non, il n’a pas mangé de petits enfants, il rentre chez lui. Allez on recommence
l’histoire ? ».
Avec Anne, nous avons échangé deux coups de fil, peut-être, parce qu’au départ, elle ne
souhaitait pas voir ce livre réédité. Anne considérait que s’il était indisponible, c’est qu’il
devait en être ainsi, et elle ne tenait pas à ce que ses livres soient réhabilités. Nous avons
donc discuté de l’intérêt de donner une seconde vie aux livres en général. Pour ma part,
j’arguais que les éditeurs ne faisaient pas tous, ou ne pouvaient pas, faire un travail de
fond, et qu’il était important de voir réhabiliter les « pépites » de la littérature pour la jeu-
nesse.
Et puis tout est allé très vite car Anne partait en voyage. Un jour, par la Poste, je reçois un
imposant colis : c’étaient les originaux ! avec un mot me disant d’en faire un beau livre. Il
manquait deux ou trois illustrations, que je suis allée chercher à Paris dans une galerie
d’art.
Étant donné qu’il s’agissait d’une réédition, je me suis conformée au travail déjà effectué
par Épigones. La mise en pages est toute simple : nous avons réduit le format des illustra-
tions pleine page à 50%, dans un format à la française.
Le format est celui de ma collection d’albums à la française : 20 x 26 cm. Le papier est un
couché brillant, 135 g. C’était important d’avoir un papier suffisamment épais pour qu’il
n’y ait pas de transparence, étant donné les couleurs employées. Ce livre comporte 28
pages (dont 4 pages pour les gardes). Je me suis rendue à l’impression car le travail des
couleurs était important et décisif : le noir des montagnes est en fait un savant dosage des 4
couleurs primaires, et non un simple noir qui aurait rendu le tout trop froid.
Pour moi, l’album majeur d’Anne Brouillard serait Trois chats, qui est l’album le plus sou-
vent cité par les professionnels du livre, quand on leur demande un livre d’Anne. Ce livre
est lumineux, drôle, et plein de mouvements. Il parle aux enfants. C’est un album sans
texte… Toutes les qualités nécessaires d’un bon livre !430
».
4) 1992 : La grande vague, Dessain et Tolra
- Format : rectangle haut (24,8 X 34,8 cm), illustré en couleurs, sans texte, 22 pages.
Dédicacé à Bénédicte, « ma petite sœur ».
« La grande vague (réédition pour la France chez Grandir en 2003), en 1992, en Belgique
uniquement. J’ai dû refaire la couverture car je ne retrouvais plus l’original ! Le format
aussi est différent, il est réduit chez Grandir. Les pages de garde431
sont faites au fusain
pour l’édition belge. Le nombre de pages était incorrect, j’avais donc trop de pages
blanches, donc j’ai fait une première page de garde (couverture) : image de la mer au fu-
sain en Noir et Blanc. Puis, à gauche une image de la mer et à droite une forêt nue avec
juste des arbres. Puis, page de dédicace et page de titre. Les deux pages de garde (mer / fo-
rêt) reviennent à la fin mais inversées de gauche à droite pour terminer par la mer432
».
430
Propos recueillis auprès d’Adélaïde Veegaert le 03/11/2010 par e-mail. 431
« La couverture ou les pages de garde ont une fonction matérielle précise et comportent des messages
paratextuels. » Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants, N° 214, op. cit., p. 61. 432
Extrait de l’entretien téléphonique du 15/11/2010 pour mettre au point l’ordre bibliographique.
209
Deuxième de
couverture
Première page
de garde
Deuxième page
de garde
Troisième page
de garde
Quatrième page
de garde
Cinquième page
de garde
Sixième page de
garde
Troisième de
couverture
1994 : 4 albums travaillés en parallèle. Cette année là, la maison d’édition belge a fermé, j’avais déjà ces
deux projets bien avancés (Voyage, Il va neiger) avec ma première éditrice. Grandir et Syros étaient déjà
des contacts pressentis pour des projets de coéditons. Finalement Voyage, projet déjà travaillé avec ma
première éditrice et prévu en coédition avec un éditeur américain aussi. Pour Il va neiger, c’est pareil,
quand j’ai rencontré Syros à Bologne et qu’on a fait ce projet de coédition, le travail de l’album était
déjà bien avancé.433
5) 1994 : Voyages, aux Éditions Grandir (beaucoup plus longtemps pour le faire)
« J’avais envie de le faire au crayon. Au départ : couleurs imagination, l’enfant s’échappe,
imagine d’autres choses, aller-retour train intérieur / extérieur, le reste en noir et blanc,
rendait une autre dimension avec couleurs, trop sinistre, donc choix que noir et blanc434
».
« "Voyage" devait être coédité avec un éditeur belge. Puis il a renoncé mais nous ne vou-
lions pas nous abriter derrière cette attitude frileuse et avons décidé de le faire tout seuls.
Anne Brouillard en manière de remerciements nous a proposé par la suite "L'Orage" qui
devient au fil des années (et des études critiques tant en langue française qu'en anglais) son
livre référence.
Pour "la Grande vague" son éditeur belge Dessain clôturait son incursion dans le domaine
de la littérature enfantine, il nous a paru important de le rééditer pour que le public puisse
y avoir accès même si son audience est assez restreinte : son côté bachelardien n'a pas en-
433
Ibidem. 434
Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010.
210
core eu l'heure d'être souligné par les critiques… ce qui m'étonne un peu au moins des uni-
versitaires qui se penchent sur son travail.
On accueille le travail d'Anne Brouillard, on n'en discute pas, on ne l'infléchit pas : elle est
complètement autonome dans sa démarche créatrice.
La mise en page est réfléchie par Anne Brouillard, le format de ses originaux induit le for-
mat retenu au moment de la publication. Nous essayons de ne pas être indignes d'Anne
Brouillard au moment de la fabrication.
Je prends en bloc toute sa production car elle ne cède jamais à la moindre facilité. C'est
une des très rares créatrices de ce gabarit : modestie et intelligence, sensibilité et refus de
toute complaisance fût-ce à elle-même435
».
- Format : rectangle long (allongé) (22 X 27,5 cm), noir et blanc, avec texte, 44 pages.
6) 1994 : Il va neiger436
, aux Éditions Syros
- Format : rectangle haut (23,5 X 34,5 cm), illustré en couleurs, avec texte, 36 pages.
« J’ai mis beaucoup plus longtemps pour le faire celui là … ». Le lecteur découvre son
travail d’une infinie richesse et savoure les jeux de « flocons de neige », d’ombres et de
« formes » entre les doubles-pages de garde et la double-page 20-21. Ces pages
illustrées à fond perdu, scintillantes de « mille taches lumineuses » résonnent entre elles.
Comme pour lire celles de la carte dans Le pays du rêve, le lecteur doit aller et venir,
tourner et retourner le livre, recadrer les illustrations afin de trouver les échos et suivre
le mouvement du temps qui passe.
« Une merveille de narration par l’image, d’une époustouflante richesse d’évocation, d’une
exceptionnelle maîtrise des lumières, un de ces livres qui suscitent une fascination, une
admiration sans réserve. Il n’y a pas que la splendeur plastique évidente, il y a cette réussite
dans l’expression du sentiment non pas de la durée mais de la profondeur du temps437
».
- Des pistes de travail pour la classe : « Le narrateur invisible à la première
personne !438
».
La neige : illustrations de pleine page à fond perdu renversées. Discerner les formes
fondues … La neige devient les étoiles.
« Des connaissances sur les techniques narratives (effet de point de vue, polyphonie, …
construction du personnage…439
».
435
Propos recueillis auprès de René Turc le 31/10/2010 par e-mail. 436
« Lors de mon premier hiver en Suède, je suis partie me promener avec mes deux sœurs et puis, il s’est
mis à neiger … C’est toute cette ambiance avec la forêt de bouleaux … Quand j’ai vu des traces, j’ai eu
l’idée de Mystère. » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à
Paris. 437
Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à
Bruxelles". 438
Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De
Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 184-185. 439
Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Pourquoi et comment conduire cet apprentissage
spécifique ? de la GS au CM, Hatier pédagogie, 2002, pages 70-71.
211
7) 1994 : Reviens sapin, aux Éditions du Sorbier
Réalisés en parallèle
- Leur format : petit rectangle allongé à l’italienne (21,5 X 27 cm), couleurs, sans texte,
28 pages.
8) 1994 : Cartes postales, Le Sorbier
Sélection Petite Fureur 2002
- Des pistes de travail pour la classe : « Un récit en images : Faire deux lectures
successives440
».
Lire les cartes postales « pictogrammiques441
» écrites par les animaux et les écrire avec
notre alphabet roman (notre système d’écriture).
Repérer la logique de page en page, l’illustration centrale puis la lecture des cartes
postales en miroir.
9) 1996 : La maison de Martin, Le Sorbier
Sélection Petite Fureur 2000
- Des pistes de travail pour la classe : « Un récit en images : Faire deux lectures
successives ».
Réalisés en parallèle
- Leur format : petit rectangle allongé à l’italienne (21,5 X 27 cm), couleurs, sans texte.
10) 1996 : Promenade au bord de l’eau, Le Sorbier, (36 pages)
Dédicacé à Élisabeth : « Une de mes sœurs, sur son porte bagage, elle porte un accordéon et elle va
en jouer dans le château. C’est elle qui est représentée dans le bain et tout le trajet sur le vélo. »
Sur les pages de garde442
, le lecteur découvre « étalés à plat » les personnages de
l’histoire, motifs décoratifs, noirs sur fond rouge, qu’il retrouve tout autour de la « boîte
rouge », « héroïne » de l’histoire.
440
Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture impliquée, in Activités De
Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 44-47. 441
« Au sein du message visuel sont ainsi distingués les signes iconiques, qui renvoient à la réalité en
s’appuyant sur l’analogie perceptive et sur les codes de représentation, et les signes plastiques qui relè-
vent du travail sur la couleur, sur les formes, la composition et la texture. » S. Van der Linden, in Littéra-
ture de jeunesse, incertaines frontières, op. cit., p. 88. 442
« Les pages de garde (…) sont des propositions d’ouverture (…), ce cheminement parmi les motifs,
cette suggestion des possibles, pour en final, et tout bonnement, permettre au livre de s’ouvrir. » Fran-
çoise Le Bouar, in La revue des livres pour enfants, N° 191, février 2000, p. 106.
212
- Des pistes de travail pour la classe : « Cartographier un espace443
».
11) 1996 : Le pays du rêve, Casterman
- Format : rectangle haut (24,5 X 34 cm), couleurs, noir et blanc, texte, 44 pages.
Dédicacé à Maria : une autre sœur, celle qui est peintre. Elle donne un cours de peinture
(celle avec le sac à dos) dans Le grand murmure.
Les pages de garde présentent la carte444
du pays du rêve que les personnages, Éloïse et
Sarah, trouvent dans la maison abandonnée. Le lecteur la découvre donc avant elles …
« Réalité Noir et Blanc, petites vignettes, rêve endormi, rapport avec la réalité. Conçu sur
une réelle réalité, rêve bâti sur des choses qu’on a vu en lien avec des choses de la réalité,
revient dans des mêmes lieux dans ses rêves endormis. Objets, choses, lieux, rattachés à
des choses vues en vrai. Codes inversés avec le chemin bleu445
».
« Ici, l’association avec L’orage est consciente et voulue. La maison du pays du rêve, c’est
celle de mes grands-parents. Cet album vient des rêves que j’y ai fait … Certains albums
sont associés à une musique : Le pays du rêve associé à Bobby McFerrin446
».
12) 1997 : La terre tourne, Le Sorbier, réédité en 2009
- Format : presque carré (25,5 X 25 cm), couleurs, avec texte, 28 pages.
Dédicacé à Théodore, Maximilien et Kitty (la famille Crowther).
Prix Versele
« Expo avec boîte, on met un œil dedans et on voit des personnages. C’était l’expo avant la terre tourne.
Tous ces personnages commencent à vivre … « le magicien rouge »447
- Des pistes de travail pour la classe : « L’espace-temps pour des enfants et des adoles-
cents. Interpréter un livre à partir de l’espace-temps448
».
13) 1998 : Mystère, Pastel
- Format : rectangle haut (22 X 33 cm), couleurs, avec texte, 36 pages.
Dédicacé à Kitty, à Elly : « C’est Kitty Crowther qui m’a inspiré le personnage de Kÿt. C’est une
enfant alors, elle est carrément blonde dans l’album. Elly, c’est le prénom de ma mère. C’est le premier
livre que j’ai fait avec l’ambiance de la Suède … non, ce n’est pas tout à fait vrai car avant j’ai fait Il va
neiger ! Ces deux albums, je les ai faits après être allée en Suède en vacances. J’y suis allée deux fois en
hiver. J’ai commencé Mystère la première fois et il a abouti la deuxième fois. Lors d’une promenade
autour de chez mes grands-parents, j’avais vu des traces dans la neige. Je pensais que c’était un ours
443
Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De
Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 220-221. 444
« Beaucoup s’ouvrent sur le décor dans lequel va se dérouler l’histoire : … localisation spatiale (carte
…, plan …) (…), atmosphère donnée d’emblée ; mais on reste à l’extérieur, comme en plein air. » Fran-
çoise Le Bouar, La revue des livres pour enfants, N° 191, op. cit., p. 105. 445
Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 446
Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 447
Ibidem. 448
Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De
Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 214-216.
213
mais ma grand-mère m’a dit que c’était un lynx. À cause de cette ambiance de la Suède, dans le village
où ma mère a grandi, j’ai parcouru les mêmes chemins qu’elle a parcouru enfant et j’ai pensé à elle, je
l’ai imaginé … C’est pour ça qu’il est donc dédicacé à ma mère449
».
Dans Mystère, les sensations se répondent : le froid est bleu, la chaleur rouge rousse, la
neige crisse sous les pas, les traces sont silencieuses. La lumière dorée et la clarté de la nuit
enveloppent d’irréalité la forêt sous l’emprise de l’hiver. Des peintures oniriques, trou-
blantes par moment, racontent l’aventure étrange de la petite Kÿt qui s’est laissée entraîner
loin de chez elle. Quelle est donc le lieu mystérieux du rendez-vous et, surtout, qui attend
Kÿt pour boire le thé ?450
- Des pistes de travail pour la classe : « Le brouillage, figure voisine du silence, peut
porter sur l’identité des personnages451
».
14) 1998 : L’orage, Grandir
- Format : (moyen) rectangle haut (21 X 29,5 cm), couleurs, sans texte, 44 pages.
Dédicacé à Freddy, Elly, Mimi et Yocko : « Freddy c’est mon père, Elly ma mère, Mimi le chat
jaune et Yocko le chat noir. Mimi est toujours vivante d’ailleurs. C’est une chatte sauvage que j’ai ren-
contré à Bruxelles alors qu’elle fouillait mes poubelles le soir ! J’ai mis longtemps à pouvoir l’approcher
mais, une fois qu’elle a eut apprécié les câlins, elle ne voulait plus quitter mon appartement… Ce n’est
pas une vie pour un chat. Alors, je l’ai amené chez mes parents, à la campagne. J’ai mis deux semaines
pour l’adapter chez eux ! Elle a un poil très doux, c’est une chatte un peu anglais. Yocko est née chez mes
parents. C’était la fille d’un autre chat que j’avais rapporté de Bruxelles !!! Mais il y a aussi la cafetière
rouge, elle existe vraiment chez eux … une cafetière en émail dans laquelle ils font leur café. C’est aussi
l’ambiance, le jardin … toute l’atmosphère de chez mes parents s’y retrouve. Cet album me rattache à
l’enfance que j’ai eue chez eux452
».
« Pourquoi l’orage est-il votre livre préféré ?
Plusieurs raisons : Projet porté depuis très très longtemps, 8 ans entre projet et abouti.
Mais il vient de beaucoup plus loin. Pas sous forme de livre. Quand j’étais enfant, l’orage,
ce changement de lumière, l’ambiance tourne au vert, le sujet même remonte à mon en-
fance, quelque chose qui me travaille inconsciemment, consciemment, j’avais envie de le
mettre en images, de le dessiner, le peindre, sans penser en faire un livre. Je dessinais
beaucoup quand j’étais enfant, je faisais des petits livres, sans avoir pensé faire l’orage
sous forme de livre. Sensation d’un livre qui a un équilibre.
Exemple dans l’autre sens : le chemin bleu, pas très juste par rapport à ce qu’il aurait dû
être !, propos assez complexe, difficile à ce que les trucs s’enclenchent, que tout soit équili-
bré, livre qui m’a bien pris la tête.
Gravures, reprises à 4 ou 5 fois, super mais très exigeant au niveau du dessin même parce
que tout est inversé. Peinture en masse, silhouette : formes floues qui se superposent, asso-
cié au modelage de la terre. Dessin, gravure : plus incisif, pointe de métal dans le vernis.
L’orage, c’est un projet lointain et le résultat a l’équilibre de la narration que par les
images453
».
449
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 450
Propos de Michel Defourny pour les 10 ans de Pastel, (1998), recueillis auprès d’Odile Josselin le
28/10/2010 par e-mail. 451
Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Pourquoi et comment conduire cet apprentissage
spécifique ? de la GS au CM, Hatier pédagogie, 2002, pages 276-278. 452
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 453
Rencontre avec Anne Brouillard le 07/11/2010 à Toulouse lors du salon « vivons-livre ».
214
15) 1999 : Le bain de la cantatrice, Le Sorbier
- Format : petit rectangle allongé (18 X 21 cm), couleurs, avec texte « musical », 28
pages.
La version édition américaine454
, a repris le même format mais pas la même illustration.
Il s’agit du cadre de la page 6 de l’album. Elle chante et va ouvrir le robinet de sa bai-
gnoire … Le titre est dans les tons violet, dans une police « chantante », centré, au-
dessus du cadre ; le nom de l’artiste est dans les tons vert, majuscule bâton, en bas à
droite. Ces deux couleurs sont celles des carreaux de la salle de bain. Le fond de la page
est jaune aussi, mais, ce n’est plus le ciel dégagé de la vallée, c’est la partition musicale
qui illustre le fond de la couverture. Ce jaune permet à l’illustration encadrée de mieux
ressortir et les « vagues chantantes » qui sortent de la bouche de la cantatrice vont se
fondre avec les notes de musique sur la portée. L’effet est harmonieux, comme « le
chant d’une cantatrice le matin » …
« J’ai fait du solfège, je suis capable d’écrire une portée, une partition …c’est tout !
J’ai fait de la musique enfant, mais j’ai eu un prof de piano qui m’a un peu dégoûté ! J’ai
une sœur musicienne. Vers 12 ans, j’ai fait de la musique plus sérieusement mais j’ai dû ar-
rêter pour faire mes études d’illustrations, faute de temps et d’énergie à y consacrer ! Je
voulais vraiment faire du violoncelle, au début ça va … mais arrivé à un certain stade, cela
nécessite plus de travail, il faut y consacrer plus de temps. Cette partition, n’est pas très
bien écrite, je l’ai fait à l’oreille ! C’est gai, j’aurais envie de réinventer des chansons …
J’aime la musique, j’aime créer de la musique, j’ai fait une expo récemment : de longues
toiles peintes (40 cm de haut, 15 ou 16 mètres de long) de paysages vus par les fenêtres du
train, enroulées sur deux axes dans une table pourvue de manivelle. On voit passer une
parcelle par la vitre comme par la fenêtre du train, je pensais mettre de la musique. Le
paysage : devant plus vite, 2ème
plan moins vite, le 3ème
plan plus loin, plus lentement avec
une bande de musique à manivelle. On peut perforer ces bandes soi même, collées en
boucle (orgue de barbarie) tout fonctionnait en même temps : paysage / musique455
».
16) 1999 : Le grand murmure, Milan
Mention au Prix graphique de Bologne, 2000
- Format : grand rectangle haut (23,5 X 32 cm), couleurs, avec texte, 44 pages.
Dédicacé pour Anne P. : Une des amies de ma petite sœur Bénédicte.
- Pages de garde : des images détourées présentent les personnages, leur prénom, atti-
tude, accessoires, compagnons … comme une photo de famille ou de classe.
« Cet espace est inspiré de la Belgique ; Mira joue vraiment du violoncelle
Presque tous les personnages sont vrais :
Elisabeth : une de mes sœurs, sur son porte bagage, elle porte un accordéon et elle va en
jouer dans le château
C’est elle qui est représentée dans le bain et tout le trajet sur le vélo
454
Le texte est une adaptation. « C’est pas mal fait » reconnaît Anne Brouillard en découvrant cette édi-
tion américaine. 455
Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010.
215
Maria : une autre sœur, celle qui est peintre. Elle donne un cours de peinture (avec le sac à
dos)
Marie, ma première éditrice a suivi pour de vrai le cours de Maria. Sa fille, Juliette
Bénédicte, ma petite sœur, Anne, une de ses amies
Gérard et Claudine, couple rencontré lors de ma résidence à Troyes, elle, directrice du
CRL
Sylvie, travaille aussi au CRL, et son mari Jean
Marie « boude » !? Non, elle tourne ses cheveux en boucle, « l’hélice », je l’ai connu enfant,
elle est du village de ma mère où j’ai grandi
Jean-luc Englebert et sa femme Isabelle : il est illustrateur
Marie Labit (au chevalet) maintenant, elle travaille pour Elvire, auparavant, elle travaillait
dans l’édition et Elvire Brijon, elle était metteur en scène, avec ses deux chiens, très
proche de Maria
Paul, papa de Mira, luthière maintenant
Anne Petters, l’amie de Bénédicte a fait beaucoup de gravure et a étudié les langues slaves,
elle a fait du théâtre d’ombres, c’est une amie à moi aussi
Némo, Claude, Lisa : personnages inventés
Jacques, un vieux monsieur … c’est un groupe de personnes pas une famille !456
».
17) 2000 : Le temps d’une lessive, Syros Jeunesse, collection Les petits voisins
- Format : rectangle haut (23,5 X 29 cm), couleurs, avec texte, 28 pages.
- Pages de garde : comme pour Le grand murmure. Le lecteur a l’impression d’ouvrir
un « programme » avec la photo et le nom des acteurs écrits dessus. Encore un livre
« renversant » et à retourner pour suivre les personnages « dans le bon sens ». Certaines
pages suivent le mouvement de rotation du tambour de la machine à laver. Par moments,
les personnages ont donc la tête en bas … comme les chiens dans Petites histoires.
- Des pistes de travail pour la classe : « Imaginer à partir de la réalité : Susciter
l’imagination des jeunes lecteurs, articuler texte et images, la cohérence d’un dialogue
apparemment décousu457
».
Mettre les dialogues sous forme de bulles de Bande Dessinée. Prêter attention à la ponc-
tuation des dialogues, aux verbes introducteurs de paroles … Qui parle à qui ?
Les relations texte / images. Comment les paroles des adultes et la vue du linge déclen-
chent l’imagination des enfants. L’imaginaire dans la réalité !
a) Paroles de la mer, (textes recueillis par Jean Pierre KERLOCH), Albin Michel
Paroles de la mer : commande par quelqu’un que je connaissais chez Syros puis qui est allé travailler
chez Albin Michel. Il a pensé à moi par rapport à l’image, à l’ambiance. La succession d’images est liée
avec les textes mais n’est pas page par page, il y a une suite, une continuité, c’est un travail en continu,
j’ai travaillé avec toutes ces ambiances de la mer458
.
456
Ibidem. 457
Christine Houyel, Hélène Lagarde, Christian Poslaniec, Comment utiliser les albums au cycle 2 ?,
éditions RETZ, 2005, pages 87-88. 458
Extrait de l’entretien à Toulouse du 07/11/2010.
216
b) Demain les fleurs, (texte de Thierry LENAIN), Nathan
Thierry Lenain : envoi via un éditeur, 1er
texte envoyé « Julie capable », j’étais très occu-
pée à ce moment-là et je n’ai pas bien lu le texte la première fois et j’ai pensé, « encore des
chats ! ». Je n’avais pas envie qu’on me colle une étiquette « chat », je n’avais pas saisi
tous le sens. Cette histoire part du réel pour aller dans un truc symbolique. J’ai refusé.
Plus tard, je l’ai rencontré lui-même et il m’a proposé « demain les fleurs » et ensuite, je
suis revenue sur « Julie capable ». Je ne l’avais pas lu correctement en premier.
J’étais arrivée au moment où je pouvais le faire : lire un texte, l’intégrer et en faire quelque
chose avec/par l’illustration. En tant qu’illustrateur, on est le premier lecteur.
Quand j’ai commencé, à mes débuts, j’aurais fait du découpage, image par image et cela
n’a pas d’intérêt. Quand j’ai pu le faire, j’étais prête et j’ai pu le faire autrement, au ser-
vice du texte459
.
Pourquoi est-ce Anne Brouillard et pas une autre auteure – illustratrice qui a réalisé les il-
lustrations de « Julie Capable » et « Demain les fleurs » ?
Parce que j’avais envie que ce soit elle et qu’elle a accepté. Je trouvais que l’univers
d’Anne, son art pictural, ses couleurs et sa sensibilité convenaient complètement et parfai-
tement à ces textes. Quand Anne accepte (et c’était la première fois qu’elle acceptait
d’illustrer un auteur en ce qui concerne Demain les fleurs, ce qui fut pour moi un honneur)
elle prend les textes et revient un jour avec les illustrations – et c’est très bien comme ça,
c’est une solitaire460
.
18) 2002 : Sept minutes et demie, Thierry Magnier, collection Tête de lard
- Format : Petit carré (12 X 12 cm), pages plastifiées, angles arrondis. Pour cette collec-
tion, c’est toujours la même présentation et le thème est entièrement libre, 20 pages.
Couleurs, avec texte.
c) Le placard à balai (gravures461
), journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de
Bruxelles, nouvelle écrite par Jacqueline HARPMAN462
d) Entre fleuve et canal, (texte de Nadine BRUN Ŕ COSME), Points de suspension
Rencontre avec Nadine Brun-Cosme : invitées toutes les deux. Moi ateliers de peinture, elle
ateliers d’écriture, toutes les deux, promenade en barque, ensemble avec des conteurs et les
enfants à Amiens. Elle avait écrit sur « il va neiger » : elle écrit des petits livres sur les au-
teurs, des écrits sur des lectures aux éditions du Seuil463
.
e) La déménagerie, (textes de Muriel CARMINATI, Patrick SPENS), Lo Païs
d’Enfance
Anne Brouillard a croisé les deux auteurs sur un salon.
459
Ibidem. 460
Extrait de l’échange par e-mail avec Thierry Lenain du 14/11/2010. 461
« C’est la gravure qui m’a amenée au dessin. À l’envers … je me suis aperçue que je ne savais pas
dessiner ! » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 462
Voir Annexes. 463
Extrait de l’entretien du 07/11/2010 à Toulouse.
217
« Je l’ai réalisé à la plume. J’ai d’abord visité le musée des sciences naturelles. J’aime
bien ce genre de travail de recherche …464
».
2003 : La grande vague, Grandir (nouvelle édition)
- Format : grand rectangle haut (24,5 X 33 cm), couleurs, sans texte, 36 pages.
« C’est le format qui est différent et le nombre de pages n’était pas correct pour Grandir. J’ai dû refaire
la couverture car j’avais perdu l’original ! Ce n’est pas évident de refaire la même chose, dans le même
état d’esprit, dix ans après, mon travail avait évolué … je ne peints plus pareil465
».
f) Le cri de la chouette, (illustrations), journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de
Bruxelles, nouvelle écrite par Caroline LAMARCHE466
g) Illustration de la couverture du n° 10, journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de
Bruxelles, sur le sujet : Le bois de la Cambre467
h) Autre numéro sur le sujet : Le quartier des Marolles468
i) Autre numéro (n° 11) sur le sujet : Le métro à Bruxelles469
j) L’homme qui était sans couleurs, (texte de David LONERGAN), Bouton d’or
d’Arcadie
David Lonergan : acadien, salon du livre à Dieppe, lui et son éditrice, vrai contact470
.
Pourquoi est-ce Anne Brouillard qui a réalisé les illustrations ?
Anne est venue présenter ses œuvres à deux reprises au Salon du livre de Dieppe (une ban-
lieue de Moncton). La directrice et fondatrice de Bouton d'or Acadie Marguerite Maillet et
moi avions beaucoup apprécié son travail. Quand j'ai soumis le manuscrit de L'Homme à
Marguerite, nous avons trouvé intéressant d'en offrir les illustrations à Anne parce que nous
pensions qu'elle pouvait créer des atmosphères autour du thème d'autant plus qu'il fallait
(question budgétaire) que ce soit en noir et blanc, sauf la page couverture. Le tout par cour-
riel: elle a reçu le texte, a dit oui, a créé les illustrations et nous les a envoyées.
Nous pensions qu'Anne aimerait le caractère du conte philosophique. Nous aimions, Mar-
guerite et moi, beaucoup la façon dont elle créait ses œuvres: structure de l'image, mise en
plan, type de dessin, utilisation du crayon.
Je me souviens d'avoir lu les livres qu'elle a présentés au Salon du livre, d'en avoir acheté
quelques-uns et de les avoir par la suite donnés. C'est moins un livre qui m'avait impres-
sionné que la façon dont elle créait ses atmosphères et construisait ses récits. J'aimais son
imaginaire471
.
464
Ibidem. 465
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 466
Voir Annexes. 467
Ibidem. 468
Ibidem. 469
Extrait de l’entretien téléphonique du 11/05/2011 « Vous me rappelez quelque chose, je l’avais oublié
celui-là, mais c’est vrai ! Je le revois bien maintenant. » 470
Extrait de l’entretien du 07/11/2010 à Toulouse. 471
Propos recueillis auprès de David Lonergan, le 20/10/2010 par e-mail.
218
19) 2004 : Le chemin bleu, Seuil
Sélection Petite Fureur 2005
- Format : rectangle haut (23 X 33 cm), couleurs, noir et blanc, texte, 44 pages.
« Sépia gravure, rêve, souvenirs, rêve éveillé, narrateur son imaginaire de quand il était
enfant, histoires qu’il s’inventait et se poursuit d’une fois à l’autre. Imaginaire d’enfant, en
classe par la fenêtre de l’école, s’invente une histoire dans sa tête en rapport avec images
de la réalité. (Petites images en gravure) Codes inversés avec le pays du rêve472
».
Dédicacé : « Merci à Samantha et à Martine. » « Il s’agit de Martine Lafond, éditrice avec qui
j’ai travaillé au Seuil et de Samantha Rémy, graphiste, maquettiste, qui travaillait au Seuil aussi. C’est
elles qui ont fait Le chemin bleu473
».
k) Le gardien des couleurs, (texte de Gilles AUFRAY ), Grandir
Gilles Aufray, auteur plutôt adulte, de théâtre « les scènes croisées de Lozère.
Lui, invité en résidence d’auteur, lecture chez les gens, il devait avoir, cela devait aboutir
sur une production, et leur intention est de faire se rencontrer différentes personnes. Il de-
vait intervenir dans l’école du village. Il a écrit une amorce d’histoire, c’est le début du
Gardien des Couleurs et il a travaillé avec les enfants et l’institutrice. Là-dessus, contact
avec l’éditeur Grandir à qui on a proposé ce texte. Ils cherchaient un illustrateur. Grandir
leur a proposé Anne Brouillard ! Je suis allée sur place pour m’inspirer des lieux, et G. A.
a étoffé l’histoire.
1ère
résidence : quelques jours, il m’a montré les lieux, j’ai dessiné la maison du Gardien
des Couleurs. Elle existe, c’est une maison abandonnée, je l’ai dessiné sur place. Les gens
venaient raconter l’histoire des maisons. Beaucoup de maisons abandonnées qui apparte-
naient à une vieille dame en maison de retraite mais elle avait promis à sa mère qu’elle ne
vendrait jamais … Puis, pendant des mois, chez moi, j’ai travaillé. Les plateaux de Lozère,
une très belle région, le causse de Sauveterre etc. …
En parallèle, ateliers de peinture à l’école pour faire une expo avec Anne Brouillard
2ème
fois, gite pour préparer l’expo avec les enfants
Lors du salon du livre, montage en diapos sur le texte avec les illustrations d’Anne Brouil-
lard / Lecture du texte faite par Gilles Aufray
Collection chez Grandir avec des rabats, des dépliants. Il fallait faire attention, possible
sur certaines pages à cause du montage du livre474
.
Le gardien des couleurs, comment ça s’est passé :
J’étais en résidence d’écriture en Lozère-résidence organisée par les Scènes Croisées de
Lozère. Dans le cadre de cet atelier d’écriture, j’ai écrit pour les enfants de l’école un
conte : le gardien des couleurs … j’ai alors propose le texte aux éditions grandir. C’est
monsieur René Turc, qui m’a proposé de travailler avec Anne Brouillard, « l’orage », que
j’avais beaucoup aimé… Anne Brouillard a passe quelques semaines de résidence à Saint-
Georges de Lévéjac. Je lui ai montre les lieux précis Ŕmaison, rues, chemins, gorges, foret-
qui avaient inspiré (et pourquoi) l’écriture de l’histoire du gardien des couleurs qui est une
histoire qui se passe a Saint Georges de Lévéjac, village perche au bord des gorges du Tarn.
Anne brouillard a beaucoup dessiné et peint dehors Ŕ dans les lieux dans lesquels j’avais
quelques mois avant écrit … La nature et ses éléments lui parlent475
.
472
Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 473
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 474
Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 475
Courrier du 15/11/2010 depuis Londres.
219
l) Julie capable, (texte de Thierry LENAIN), Grasset
Sélection Petite Fureur 2007
m) Rêve de lune, (texte d’Elisabeth BRAMI), Seuil
Elisabeth Brami : rencontré régulièrement sur des salons, elle m’avait raconté son histoire
et je voyais des images au pastel. Elle m’a envoyé une pré-maquette avec des découpages,
des trous sur un petit format allongé mais le livre a évolué autrement. J’avais besoin de
plus de page pour développer l’idée et elle a accepté. Echanges, collaboration, travail en-
semble476
.
- Participation à un ouvrage collectif, Un loup peut en cacher un autre, Sarbacane.
Chez Seuil : série de 4 :
En premier : Le pêcheur et l’oie puis Le voyageur et les oiseaux
Puis La famille Foulque et La vieille dame et les souris
C’est le pêcheur et l’oie qui a déclenché la famille foulque …477
20) 2006 : Le voyageur et les oiseaux, Seuil
Elle s’est représentée dans Le voyageur et les oiseaux : « à table deux personnes qui com-
mandent deux dames blanches, on verse dessus le chocolat chaud soi-même, c’est Georges
et moi !478
».
- Leur format : (moyen) rectangle haut (17,5 X 25 cm), couleurs, sans texte, 28 pages.
21) 2006 : Le pêcheur et l’oie, Seuil
Sélection Petite Fureur 2006
n) Le vélo de Valentine, (texte de Christian FERRARI), Lirabelle
« Rien n’est précisé sur eux dans le texte, je n’avais pas envie de faire des personnages
donc, c’est plus drôle avec des animaux et chaque fois des animaux différents.
dique !479
».
C'est nous, éditeurs, qui avons choisi l'illustratrice parce que nous apprécions son travail.
Elle a eu liberté totale pour l'illustration (pas de format imposé, pas de technique imposée et
liberté de son approche artistique).
Au départ, le VÉLO DE VALENTINE existait sous forme de chanson chantée par Philippe
Roussel sur un disque "Comptines et chansons", disque édité par Raymond et merveilles.
Nous avons pensé qu'il serait intéressant d'en faire un album très illustré pour la jeunesse.
Nous avons soumis cette proposition à Christian Ferrari. Nous avons ensuite contacté Anne
Brouillard, qui par ailleurs est musicienne. Elle a elle aussi tout de suite accepté480
.
476
Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 477
Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 478
Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 479
Ibidem. 480
Propos recueillis auprès d’Isabelle Ayme le 20/10/2010 par e-mail.
220
o) L’enfant de la cheminée, (texte de Jasmine DUBE), La Courte échelle
Le feu de la cheminée : au Canada à Montréal, j’accompagnais mon compagnon, régisseur
de théâtre, il était pour 3 semaines là-bas. J’ai contacté des éditeurs. Avec La courte
échelle, tout s’est enclenché très vite, contact avec une fille, une éditrice …481
22) 2007 : La famille foulque, Seuil
« Plume et pinceau, à l’encre c’est plus léger. Importance du choix du papier plus mat482
».
- Leur format : rectangle haut (23,5 X 31 cm), couleurs, sans texte, 28 pages.
23) 2007 : La vieille dame et les souris, Seuil
p) Lilia, (texte de Nadine BRUN Ŕ COSME), Points de suspension
q) Le paradis des chats et autres nouveaux contes à Ninon, (recueil de nouvelles
d’Emile ZOLA), Hugo et Cie
Un homme que je connais a repris la collection du sorbier, label Hugo et Cie.
Il m’a proposé ce texte de Zola, j’ai beaucoup aimé
C’est de la vraie littérature, j’ai adoré, j’ai travaillé très agréablement tout un été483
24) 2009 : Le rêve du poisson, Sarbacane
- Format : rectangle haut (24 X 33), couleurs, avec texte, 36 pages.
Dédicacé à Gilles et Louise. « Ce sont les deux enfants d’une amie, auteure- illustratrice aussi,
Geneviève Casterman. C’est tout naturellement que j’ai pensé à eux. Par exemple, avec leur chambre, les
poupées et les constructions de légo … les relations entre ces deux enfants, leur rapport frère et sœur.
D’ailleurs Gilles s’est bien reconnu. Cela lui semblait tout naturel de se voir dans la dédicace. Geneviève Casterman a réalisé deux albums où Gilles et Louise sont les personnages : La saison des plumes, Hip
hop. « Elle a fait un album Rue de Praetere, c’est la maison où j’habitais quand j’étais à Bruxelles, dans son ancien
atelier aménagé en petit appartement pour moi !
Et maintenant, j’habite à Ostende … elle a aussi fait un album Costa Belgica, c’est drôle !484
».
« Encre et plume, beaucoup plus de traits. J’ai eu envie de pousser les images, le résultat
est assez glauque. Pour le gris violet pour le ciel, j’ai utilisé une encre fabriquée maison
avec des noix de galle qu’on m’avait offerte485
».
On avait déjà travaillé sur un album collectif avec elle : « Un loup peut en cacher un
autre ». Elle nous a présenté ce projet et on l’a choisit selon : Qualité, logique par rapport à
notre catalogue ; On travaille sur des albums atypiques, on a peu de collections chez Sarba-
481
Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 482
Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 483
Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 484
Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 485
Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010.
221
cane ; Son univers : poétique, étrangeté, qualité texte et image, intéressant, correspond à
nos goûts, nos choix ; Son univers visuel, onirique.
Nous sommes éclectiques : on choisit par rapport à la qualité du propos, du texte, on
cherche un véritable travail d’auteurs, par rapport à son univers visuel, textuel très différent,
sa créativité, son inventivité, son goût de l’inattendu : c’est ce qui relie tous nos albums édi-
tés sous diverses formes. Sur ce projet là, le rêve du poisson, on a eu envie de la faire …
Le choix du papier : Mat, poreux, buvard : offset : plus agréable en main mais change les
couleurs ; Papier couché : légère couche de produit chimique, moins à la mode aujourd’hui
qu’hier, mais permet un meilleur rendu des couleurs. Donc, choisit ici par rapport à son tra-
vail tout en délicatesse, ses aquarelles, le rendu des couleurs et de la finesse de son travail.
Anne a une idée assez précise de ce qu’elle veut : mise en page variée, BD, pages sans texte,
illustrations de pleine page, textes, …
La couverture : territoire de l’éditeur : servir à la promotion, commercial : ce qui fait vendre,
accrocheuse, interpelle, ne dit pas tout mais pas fausse par rapport au propos ; Lettrine :
proposé par éditeur, Anne est tout à fait réceptive.
Dans notre travail, nous cherchons la fraîcheur, elle vient avec son bagage mais on cherche
à inventer quelque chose de nouveau ensemble, bien sûr elle s’appuie aussi sur sa propre
histoire, Travailler avec un auteur, respectueusement, la pousser dans ses retranchements,
en territoires inconnus, pour éviter le ronron, ne pas être répétitif, les mettre en difficultés,
les aider à sortir des choses d’eux … En tant qu’éditeur, on est le premier lecteur : on choi-
sit ce qui nous plaît, ce qui a du sens pour nous. Alors, on décide de travailler ensemble,
d’aider cet artiste, de l’accompagner dans la mise en scène de son projet486
.
25) 2010 : L’autre côté du lac, Le Sorbier
- Format : long rectangle allongé (23 X 30 cm), couleurs, avec texte, 36 pages.
Dédicacé pour Ambre : La fille de ma sœur plus jeune, mon unique nièce qui a 3ans et demie. Le
chat blanc Alpha, c’est son chat. »487
« C’est une histoire de points de vue. Une fille, sa tante et leurs chats habitent d’un côté du
lac. Cet album est aussi inspiré de la Suède, le même lac que la terre tourne ! C’est sa lu-
mière …
Au début, à l’époque, plus de peinture, plus flou, arbres moins identifiables, puis … reprise
de l’histoire et j’ai pensé : quelque chose ne va pas !
Dans un autre contexte : le livre de ma vie avec tous les personnages de la terre tourne
mais ce n’est pas celui là
Les animaux et les êtres humains sont sur un même pied d’égalité, ils ont même la même
taille …
Ici, remis dans un contexte plus réel, un enfant ne va pas habiter seul ! Donc, j’ai mis sa
tante et leurs 2 chats … au départ, une histoire d’observation de l’autre côté du lac :
quelque chose qu’ils voient mais qu’ils n’identifient pas … ils partent voir … De l’autre cô-
té, ils voient leur maison et quelque chose qu’ils n’identifient pas …
Les saisons changent, à un rythme très lent mais, le résultat était déséquilibré !
J’ai fait un trajet plus long, plus détaillé, car c’est quelque chose d’important dans le che-
minement de l’histoire
Quelque chose d’autre sur le plan humain de l’autre côté du lac, j’ai mis une « plaine » de
jeu avec un toboggan, des balançoires … et un autre enfant qui habite dans une des mai-
sons qu’ils voient, celle avec une barque jaune et d’ailleurs, cela leur permet de revenir en
barque sur le lac car ils vont sympathiser …
Les chats et les humains parlent aussi, les chats font leurs commentaires mais on ne sait
pas réellement s’ils parlent, comme si on ne pouvait pas s’imaginer qu’ils parlent car les
humains ne répondent pas directement au chat. Par exemple au moment de faire les sand-
wichs : plus de jambon, pas de cornichons avec le pâté parce que je n’aime pas ça … On
486
Extrait de l’entretien téléphonique du 17/11/2010 avec Mr Frédéric Lavabre. 487
Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011.
222
ne sait pas s’il le dit réellement ou pas, ce sont des commentaires drôles. Il est intéressé
uniquement par le panier à pique-nique !
Les points de vue, j’y ai pris énormément de plaisir, je l’ai fait de façon concentré de l’été à
novembre 2010. Pendant cette période, dans les dessins, des choses ont bougé mais je n’ai
pas pu aller plus loin … ! Je n’ai pas encore le recul, de cet album, mais il s’en dégage de
l’énergie car je l’ai fait dans un temps moins dilué.
Je suis très attachée à ces lieux, ces personnages
Le lac en Suède, le même que pour la terre tourne, album que j’ai fait sans stress … à côté
de ce fameux lac Teåkersjön dans la commune à Dalskog J’ai peint La terre tourne à l’eau
du lac488
».
488
Entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse lors du salon « vivons-livre ».
223
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231
ANNEXES
232
Quelques pages du carnet de croquis de La terre tourne489
La lecture des pages de son carnet montre bien comment Anne Brouillard réflé-
chit sur son propre travail. Tout au long de sa démarche créatrice, elle analyse et réa-
juste continuellement ses idées et le résultat attendu avec les possibilités « infinies » que
lui offre l’album bien que « certaines choses soient malgré tout impossibles !490
». Nous
les présentons ici dans leur ordre chronologique, au fil des pages et des jours, autour de
La terre tourne.
Avril 1997
Au début du projet, Anne Brouil-
lard avait l’intention d’organiser
les illustrations de pleine page
« dans une journée » et tout con-
courait vers l’illustration centrale
« la fête ». Cela donnait donc une
lecture descendante jusqu’à la
fête : du début au centre et de la
fin au centre. Dans le sens de
lecture occidental, le lecteur des-
cendait « le temps » pour le re-
monter ensuite, de l’après-midi à
l’après-midi.
Parallèlement, le temps se dérou-
lait sur une année, au fil des
mois, de novembre à octobre.
« Douze doubles-pages, donc
douze mois ! Mais aussi, douze
heures ! » Elle voulait inclure la
notion de temps qui passe dans
une journée (matin, midi, soir),
au rythme des heures, dans une
année, au fil des mois. « Ça de-
venait déjà très compliqué ! ».
489
« Tout y est … » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à
Paris. 490
Ibidem.
233
La réflexion sur le temps qui
passe dans une journée continue
pendant que les illustrations
prennent forme. Les vignettes
des fausses pages apparaissent.
Les liens se créent. Les doubles-
pages illustrées prennent corps.
L’idée initiale sur les moments
« précis » d’une journée reste
fortement marquée. Certains
dessins se reconnaissent déjà.
Les mots prennent place, les
idées se verbalisent et se dessi-
nent. Les personnages se posi-
tionnent dans les pages et dans
le temps. La lecture de l’album
reste orientée vers le centre de
l’album : la fête. Sur la page de
gauche, naît l’idée des neuf ca-
deaux collectés. Les vignettes
commencent à être nommées.
« Là, ça devenait vraiment trop
compliqué ! ». Elle essaie de
rassembler toutes ses idées. Les
transformations se dessinent. Le
thème de la porte prend forme et
sens. Sur la table de la fête, il y
aura tous les objets collectés
réunis. Cependant, le sens de
lecture évolue, « les deux
flèches descendent ». « Autre-
ment, c’était impossible ! »
234
Les pages de gauche se construi-
sent … les vignettes de bas de
page sont en cours de réalisa-
tion. « Tout y est … ».
Après un intermède Mystère,
Anne Brouillard revient à La
terre tourne. Le texte s’inscrit
sur les lignes du carnet, le che-
min de fer prend sa forme circu-
laire.
Dans les pages suivantes,
l’album, tel que le lecteur va le
découvrir, se matérialise et les
liens s’installent.
235
Après La terre tourne, Anne Brouillard
réalisera L’orage … « Je travaille toujours plusieurs projets en même temps. La date
d’édition ne correspond pas forcément à l’ordre dans lequel j’ai créé mes albums. Pour
certains, je passe beaucoup de temps … alors, j’en crée d’autres entre-temps. »
Après un intermède L’orage, Anne
Brouillard revient à La terre tourne.
Les personnages sont listés et nom-
més. La fête est toujours centrale
avec un sens de lecture en amont et
en aval. La narration imagière
s’installe de plus en plus sur les
pages de gauche. Les saisons appa-
raissent.
236
Au fil des pages, le texte …
237
« Le texte ne parle pas des person-
nages. »
À la lecture des mots, des phrases, des textes écrits par Anne Brouillard, au fur
et à mesure de son inspiration, sur son carnet, le lecteur ressent les résonnances « lexi-
cales ». Toutes ses sensations se ressentent dans tous ses albums. Elle les couche sur le
papier, sur et entre les lignes de ses carnets pour ensuite les essaimer dans les pages de
ses albums, tout naturellement.
238
Quelques illustrations et gravures du journal La tribune de
Bruxelles
L’HEBDO DE LA LIBRE BELGIQUE DU 30/1/2003 ET DE LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS
DU 31/1/2003 - GRATUIT 1ère ANNÉE - N° 10 Bois de la Cambre : TBX relance le débat491
.
491
« Ils ont été très satisfaits de mon illustration pour la couverture du journal car elle représente
exactement la photo qu’ils recherchaient. » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 à
Paris.
239
TBX 002, La Tribune de Bruxelles 2002-11-28.
FEUILLETON, Le Placard à balais par
Jacqueline Harpman, Chapitre 2
TBX 003, 2002-12-05.
Chapitre 2
Gravures d’Anne Brouillard
TBX 021, La Tribune de Bruxelles 2003-04-17.
FEUILLETON, Le Cri de la chouette par
Caroline Lamarche, Chapitre 2
TBX 025, 2003-05-15.
Chapitre 6
Illustré à l’encre (pinceau et plume)
240
Le chemin de fer de La terre tourne
« Le chemin de fer »492
nous permet de visualiser le fil conducteur qui relie les illustra-
tions et l’équilibre des pages de l’album.
Première de couverture
L a t e r r e t o u r n e
Anne Brouillard
Un cercle lumineux / Une porte vitrée
(traits de mouvement circulaire)
Dans les mêmes tons jaune-orangé
Assis sur le pas de porte :
1 chat jaune, 2 canards
Sur une branche : 2 corbeaux
En bas à droite : 1 chien noir tenant un ballon de
baudruche rouge
Au centre : 1 personnage (vêtu de bleu) tenant
deux fleurs roses
Sur fond sombre :
1 chat noir allongé sur une branche
2 personnages assis sur un banc
(l’un (en rouge) porte un gâteau
l’autre (en vert) un coffret)
Ces 10 personnages semblent poser, attendre
quelqu’un ou un évènement.
Les 3 êtres humains sont souriants et ont des
présents.
Tous regardent vers le lecteur.
Deuxième de couverture
Page vierge d’écriture dans les tons ocre : couleur
de la terre.
Page de garde
Page vierge d’écriture dans les tons ocre : couleur
de la terre.
Fausse page de titre
Dédicace
Éditeur
ISBN
Loi de 1949
Imprimeur
Page de titre
L a t e r r e t o u r n e
Anne Brouillard
Illustration sur fond blanc :
Reste du gâteau après le repas, la fête … sur le
plateau à pied
4 verres : ils ont bu du champagne … ils ont célé-
bré un heureux évènement … Les 3 verres à pied
sont pour les 3 adultes, la timbale pour l’enfant.493
Le Sorbier
492
E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 19. 493
Entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « J’ai dessiné une variante de verres par
plaisir de graphisme. C’est plus rigolo de dessiner quelque chose d’un peu spécial ! »
241
Page 4
Une lumière
blanche (p. 5)
passe à travers
la porte vitrée
Texte : 9 lignes
9 phrases
1 2 3 4 5 1 bébé
dans un
rond
lumineux
p. 26/27
2 ronds
lumineux
quelques
taches
blanches
Zoom
arrière
De plus
en plus
de
taches
blanches
Rocher
noir
sous la
neige :
p. 5
L’œil du lecteur s’éloigne, le point de vue change,
l’horizon s’agrandit : la création de l’univers
Page 5
Paysage sous la neige avec une lumière blanche.
En arrière-plan : des montagnes (vert et noir), un
barrage au centre
un viaduc, un train à vapeur : à droite
Deux corbeaux sur la neige, une maison
3 roulottes tirées à cheval partent vers la droite
Un personnage en rouge salue de la main gauche,
une valise posée à côté de lui
Au premier plan : sur des rochers noirs (vignette
6) un tronc d’arbre marron et un chien noir assis
Page 6
Lumière du jour
(celle de la p. 7)
Texte : 6 lignes
1 phrase
6 7 8 9 10
Rocher
et
neige :
p. 5
Le roc
se
déforme
et se
strie
puis,
donne des
ombres
qui
s’allongent
et devien-
nent des
arbres ou
des im-
meubles
Immeubles
p. 7
Évolution-déformation de la matière : du rocher
aux immeubles
Page 7
Paysage de ville en plein jour
En arrière-plan : décor verdoyant, deux collines
avec un bâtiment au sommet, dans la vallée, au
centre : une centrale nucléaire
Des maisons, le viaduc et le train à droite
Un paysage urbain avec des cheminées
d’immeubles (vignette 10), à droite, à la fenêtre :
une femme en bleu et un chat jaune
Au premier plan : les deux corbeaux à la fenêtre
entr’ouverte (l’un entre)
De chaque côté d’une table ronde, une nappe
rouge tachetée de blanc (vignette 11) le person-
nage rouge assis dessine une maison, le chien noir
debout sur une chaise décore le gâteau avec ses
pattes avant (mains)
Page 8
Lumière du
clair de lune
(décor nocturne
p.9)
Texte : 8 lignes
3 phrases
11 12 13 14 15 16 Mor-
ceau
de
nappe
p.7
Motifs
blancs
s’étirent
devien-
nent
des
reflets
sur
l’eau
qui s’
alignent
vertica-
lement
La
lune
et
son
reflet
sur
l’eau
La
lune
dans
le
ciel
p. 9
Évolution-transformation des motifs de la nappe,
en reflet de la lune sur l’eau. Le regard s’éloigne
et monte vers la lune
Page 9
Paysage lacustre nocturne
Premier croissant de lune (vignette 16 et 17) et
ciel bleuté-étoilé
En arrière-plan : une forêt, un château derrière le
viaduc à droite
Sur le viaduc : une charrette, un personnage en
vert et son bagage
Au bord du lac : une maison-phare éclairée
Sur le lac, deux bateaux : l’un porte : la valise, les
deux corbeaux sur l’arbre, l’homme en rouge et le
chien noir assis ; l’autre porte la femme en bleu
(qui rame) et son chat jaune assis
Au premier plan : le reflet du décor, de la lune et
des étoiles dans l’eau du lac (vue en plongée)
242
Page 10
Porte
entr’ouverte (lumière
vive du manège
p. 11)
Texte : 5 lignes
1 phrase
17 18 19 20 21 La lune,
(p. 9)
les
étoiles
et le
vent
devient
un tour-
billon
un
lave
linge
Gros
plan sur
le hublot
du lave
linge
Une
tasse à
café
(p. 11)
Évolution-transformation de la lune et des étoiles
en tourbillon, en tambour de machine à laver le
linge, en café dans une tasse
Page 11
En arrière-plan : des arbres penchés vers la droite
et une plaine jaune
Deux trains éclairés (vignette 22) passent sous le
viaduc
Deux canards sont sur le viaduc
Un manège qui tourne : le chien noir est dans un
avion ; l’homme en rouge est sur un cheval ; la
femme en bleu tient un ballon de baudruche rouge
A côté, le chat jaune debout accueille la femme en
vert, une valise posée à côté d’elle
Au premier plan : sur une table ronde (vue en
plongée) : deux corbeaux boivent une coupe de
champagne (leurs ailes sont des mains) ; à côté
une tasse à café bleue (vignette 21)
Page 12
Porte
entr’ouverte Éclairage
de l’intérieur de la
maison
Texte : 6 lignes
3 phrases
22 23 24 25 Le train
et ses
ombres
(p. 11)
Les
fenêtres
du train
Une
clôture
Le
portail
(p. 13)
Évolution-déformation du train, en clôture et en
portail
Page 13
Paysage vallonné en bordure d’un canal
En arrière-plan : à gauche la clôture et le portail
(vignette 25) ; à droite : le train éclairé sur le
viaduc ; le chat noir assis sur l’écluse ; les reflets
des nuages sur l’eau (vignette 26)
Une péniche au bord du canal
Au premier plan : une maison éclairée
Devant : femme en bleu et son chat jaune cueil-
lent des fleurs ; personnages rouge et vert boivent
un café assis autour d’une table (valises posées) ;
chien noir lit le journal assis ; cafetière rouge sur
table ronde, deux corbeaux et deux canards
Page 14
Lumière de l’extérieur
jaune ; de chaque côté :
une chaise posée sur une
table
Texte : 6 lignes
2 phrases
26 27 28 29 30 31 Reflet
des
nuages
sur l’eau
p. 13
un
peu
plus
vert
plus
vert devient
des
feuilles
Plus
abstrait Branches
d’arbre
p. 15
Évolution-déformation du reflet des nuages dans
l’eau en branches de l’arbre
Page 15
Ciel bleu avec des gros nuages blancs
Décor de village ; le viaduc et le train passent à
travers sur toute la largeur
Au premier plan : une maison à étage orange et
bleue (fermée) avec un hublot (vignette 32) : la
femme en vert regarde à l’intérieur par la fenêtre
(valise posée) ; la femme en bleue tient un petit
gilet jaune, son chat jaune à côté ; l’homme en
rouge (valise posée) tient une échelle contre
l’arbre (vignette 31), le chat noir est allongé en
haut de l’échelle ; chien noir assis à côté de
l’arbre ; deux canards devant la maison ; deux
corbeaux en hauteur à gauche : les dix person-
nages sont réunis
243
Page 16
Lumière jaune du soleil
Deux fauteuils posés
devant la porte
Texte : 7 lignes
4 phrases
32 33 34 35 36 37 Hublot
de la
maison
p. 15
Hublot
d’un
bateau
(on
voit la
mer)
On
s’éloigne :
on voit
deux
hublots
On se
rapproche :
on voit en
bateau en
mer
On se
rapproche :
on voit un
bateau et
le soleil
Le soleil
devient :
projecteur
du ciné-
ma p. 17
L’œil du lecteur s’éloigne et se rapproche, le point de
vue change du hublot au soleil-projecteur (de ciné-
ma)
Page 17
Ils sont tous installés dans une salle de cinéma
En arrière-plan : deux portes avec deux hublots
éclairés ; au centre le projecteur de la caméra
(vignette 37)
Ils regardent vers l’écran (vers le lec-
teur) souriants, sauf le chien noir qui lit le
journal (vignette 38)
Page 18
Lumière jaune
Texte : 3 lignes
2 phrases
38 39 40 41 42 43 44 Page de
journal :
écriture
abstraite
p. 17
Écriture
étirée
devient
un
tronc
d’arbre,
des
lignes
et des
traits
des
traits
presque
hori-
zontaux
des
traits
hori-
zontaux
une
voie
ferrée
p. 19
Évolution-déformation de l’écriture du journal en
rails du train
Page 19
La scène se passe dans le train : les person-
nages partent en voyage
La voie ferrée traverse la page en hauteur
(vignette 44)
Les arbres sont inclinés par le vent
Une maison rouge
Dans le train : certains discutent, d’autres
regardent dehors, les deux chats ont
un « mug » posé sur la tablette (vignette 45)
Page 20
Porte
entr’ouverte ;
lumière jaune
Texte : 2 lignes
1 phrase
45 46 47 48 49 Mug rayé
rouge et
blanc p. 19
Gros
plan sur
la tasse
Forme et
rayures
évoluent
devenant
un phare
vu de
plus loin
p. 21
Évolution-transformation du « mug » rayé rouge et
blanc en phare
Page 21
La scène se passe au bord de la mer
En arrière-plan : le phare (vignette 49) et
l’arrivée d’un paquebot de croisière
Le train sur le viaduc coupe la page en largeur
Au premier plan : les personnages à la plage :
certains se baignent, d’autres mettent des
coquillages dans un coffret (p. 22), le chien
noir assis tient les chaussures de la femme en
vert
244
Page 22
Illustration double-
La scène se passe
En arrière-plan : des montagnes
En haut à gauche : le viaduc se termine, terminus
du train, les voyageurs descendent, on voit une
tour carrée
Au premier plan : les personnages arrivent sur
l’île en bateau : la femme en vert porte la valise,
les deux corbeaux sur le bout du bateau, l’homme
en rouge marche sur l’île et porte le gâteau
Sur l’autre bateau : le chat noir allongé, les deux
fleurs, la femme en bleu, le chat jaune assis, le
ballon rouge
Les deux canards nagent et le coffret flotte der-
rière eux
Tous les personnages vont vers la droite (vers
l’île)
Page 23
page à fond perdu
dans un décor lacustre
En arrière-plan : une forêt et deux bâtiments
Sur l’île, on trouve : des arbres, une table rectan-
gulaire vide, avec une nappe rouge et huit chaises
vides autour
Le chien noir assis les attend, il tient une valise, il
regarde vers la gauche (vers les personnages qui
arrivent)
(jeu d’ombres et de lumière, le décor se reflète
dans l’eau du lac)
Page 24
Illustration double-
La scène se passe autour de
En arrière-plan :
Gros plan et vue en plongée sur la table et
Sur les chaises, on trouve assis :
la femme en vert, un corbeau, le chien jaune,
l’homme en rouge
Sur la table, on trouve :
des assiettes et des verres,
un canard, le journal (p. 17), la peinture de la
maison (p. 7), un dessin, une algue, le gâteau
(p. 7), un pichet jaune
Page 25
page à fond perdu
la table à nappe rouge sur l’île
les arbres
les personnages rassemblés regardent à droite
la femme en bleu, le chien noir
Sur un dossier de chaise : un corbeau avec un
verre à pied
Il y a une chaise vide avec le ballon rouge (p. 11)
accroché
le chat noir allongé, un canard, des coquillages
(p. 21), une algue, le coffre (p. 21), une clef, les
deux fleurs roses (p. 13) dans un vase, le petit
gilet jaune (p. 15)
Page 26
Texte : 9 lignes
5 phrases
50 51 52 53 54 55 Un
tronc
d’arbre
parmi
d’autres
avec un
nœud
(p. 25)
L’œil se
rapproche
du nœud
de l’arbre
Gros
plan
sur le
nœud
de
l’arbre
qui
devient
un
visage
Le vi-
sage
devient
plus
lumineux
Le vi-
sage est
plus net,
lumineux
et sou-
riant
(p. 4)
Évolution et travelling avant : l’œil du lecteur se
rapproche du nœud de l’arbre qui devient un vi-
sage souriant (enfant p. 27) et (bébé : vignette 1)
Page 27
Décor boisé, allée d’arbres, la lumière se reflète
au sol
En arrière-plan : gros plan sur la porte vitrée
éclairée de l’intérieur
Un petit garçon souriant l’ouvre vers l’extérieur
Il s’avance vers le lecteur, l’allée va vers la
gauche (p. 25 : les autres personnages regardent
vers la droite)
245
Page de garde
Page vierge d’écriture dans les tons ocre : couleur
de la terre.
Troisième de couverture
Page vierge d’écriture dans les tons ocre : couleur
de la terre.
Quatrième de couverture
Le titre
Texte amorce :
les trois premières phrases de l’album mais, avec
une fin ouverte (par les trois points de suspension)
pour donner envie de découvrir la suite.
Prix
ISBN
Code barre
246
Programmation autour de l’univers d’Anne Brouillard
- Classes concernées : CP, CE1, CE2, CM1 et primo-arrivants
- Par groupe de 15 élèves environ pour une séance de 50 minutes par semaine
- Période d’un trimestre : septembre, octobre, novembre 2010
a) Séance imprégnation-découverte
Tous les albums illustrés, ceux écrits et illustrés par Anne Brouillard, ceux écrits par un
auteur et illustrés par Anne Brouillard, sont à disposition
Consignes : lire, feuilleter, seul ou à deux, … un ou plusieurs livres
Noter sur le carnet de littérature ses impressions, ses remarques …
b) Séance orale collective : les liens entre les albums
Faire ressortir, remarquer, exprimer … par les élèves les différents liens entre les
livres et les noter sur une affiche grand format :
- même illustratrice
- parfois auteure aussi
- les thèmes
- les personnages : humains et animaux
- les objets
- les décors : nature, eau, l’habitat …
- les moyens de locomotion
- le vocabulaire, les mots (titre et texte) « rêve, mystère … »
- la technique d’Anne Brouillard : dessin des personnages « flou » …
c) Double lecture d’un album sans texte (choisi par les élèves)
- première lecture orale collective, échanges-discussions, argumentation …
- deuxième lecture : se mettre d’accord à l’oral sur une lecture interprétative
- écriture individuelle de l’album en question
247
au choix :
- La vieille dame et les souris
- La famille foulque
- Le pêcheur et l’oie
- Le voyageur et les oiseaux
- L’orage
- Promenade au bord de l’eau
- La grande vague
d) Articulation texte / images : distinguer les informations données par le texte et celles
données par l’image.
- choix d’un album écrit-illustré par Anne Brouillard ? Par exemple : « Il va
neiger » (qui parle ? comment le sait-on ?) : indices textuels et visuels …
- choix d’un album écrit par un auteur et illustré par Anne Brouillard ?
- par exemple deux collaborations : avec Nadine Brun Cosme (Lilia ; Entre fleuve et
canal) ou avec Thierry Lenain (Demain les fleurs ; Julie capable) ?
- Relations auteur / illustrateur, collaboration ; répondre à des questions et justifier …
e) Ateliers d’écriture : un album par groupe de 2 ou 3 élèves maximum :
- inventer un dialogue entre deux personnages récurrents
- écrire les Cartes postales et les adresses (des animaux)
- cartographier « Promenade au bord de l’eau »
- écrire « Mystère » : point de vue du chat et de la fillette
- écrire « Il va neiger » : point de vue des enfants et / ou des parents (ceux à
l’extérieur) ; point de vue du chat
- écrire les dialogues de « Le temps d’une lessive » ; « Le grand murmure » dans des
bulles, à la manière d’une BD
- travailler autour de Couleurs / Noir et Blanc : Pourquoi certaines images sont en
couleurs et d’autres en Noir et Blanc ? À quoi le vois-tu ? Comment le sais-tu ?
Argumente-le …
- différence rêve et réalité : « Le temps d’une lessive ; Le chemin bleu ; Le pays du
rêve ; Le rêve du poisson »
248
- écrire à la manière de « poème » comme dans « La terre tourne » ; « Sept minutes et
demie »
- écrire à la manière de « je » comme dans « Le chemin bleu » ; « Le rêve du poisson »
- écrire à la manière de « narrateur omniscient » comme dans « Le bain de la
cantatrice » ; « La maison de Martin » ; « Reviens sapin »
f) Lettre à Anne Brouillard :
- lui faire partager mon expérience de lecteur dans son univers
- lui poser des questions
- lui faire partager mon interprétation
- lui dire ce que j’ai préféré dans son travail … pourquoi ?
249
Paroles de la chanson de Jacques Prévert En sortant de l’école
(1946)494
494
Source : http://pedagogite.free.fr/poesie/sortant_ecole.pdf
250
Paroles de la chanson de Grand Corps Malade Les voyages en
train
J'crois que les histoires d'amour C'est comme les voyages en train
Et quand j'vois tous ces voyageurs Parfois j'aimerais en être un
Pourquoi tu crois que tant de gens attendent sur le quai de la gare ?
Pourquoi tu crois qu'on flippe autant d'arriver en retard ?
Les trains démarrent souvent au moment où on s'y attend le moins
Et l'histoire d'amour t'emporte sous l'œil impuissant des témoins
Les témoins c'est tes potes qui te disent au-revoir sur le quai
Et regardent le train s'éloigner avec un sourire inquiet
Toi aussi tu leur fait signe et t'imagines leurs commentaires
Certains pensent que tu te plantes et qu't'as pas les pieds sur terre
Chacun y va de son pronostic sur la durée du voyage
Pour la plupart le train va dérailler dès le premier orage
Le grand amour change forcément ton comportement
Dès le premier jour faut bien choisir ton compartiment
Siège couloir ou contre la vitre y faut trouver la bonne place
Tu choisis quoi ? Une love story d'première ou d'seconde classe ?
Dans les premiers kilomètres tu n'as d'yeux que pour son visage
Tu calcules pas derrière la fenêtre le défilé des paysages
Tu t'sens vivant, tu t'sens léger et tu ne vois pas passer l'heure
T'es tellement bien que t'as presque envie d'embrasser le contrôleur
Mais la magie ne dure qu'un temps et ton histoire bat de l'aile
Toi tu dis qu'tu n'y es pour rien et qu'c'est sa faute à elle
Le ronronnement du train te saoule et chaque virage t'écœure
Faut qu'tu t'lèves que tu marches, tu vas t'dégourdir le cœur
Et le train ralentit c'est d'jà la fin d'ton histoire
En plus t'es comme un con tes potes sont restés à l'autre gare
Tu dis au r'voir à celle que t'appel'ras désormais ton ex
Dans son agenda sur ton nom, elle va passer un coup d'tip-ex
C'est vrai qu'les histoires d'amour c'est comme les voyages en train
Et quand j'vois tous ces voyageurs parfois j'aim'rais en être un
Pourquoi tu crois qu'tant d'gens attendent sur le quai d'la gare ?
Pourquoi tu crois qu'on flippe autant d'arriver en r'tard ?
Pour beaucoup la vie s'résume à essayer d'monter dans l'train
A connaitre ce qu'est l'amour et s'découvrir plein d'entrain
Pour beaucoup l'objectif est d'arriver à la bonne heure
Pour réussir son voyage et avoir accès au bonheur
Il est facile de prendre un train, encore faut-il prendre le bon
Moi chui monté dans deux-trois rames mais c'était pas l'bon wagon
Car les trains sont capricieux et certains son inaccessibles
Et je n'crois pas tout l'temps qu'avec la sncf c'est possible
Il y a ceux pour qui les trains sont toujours en grève
Et leurs histoires d'amour n'existent que dans leurs rêves
Et y ceux qui foncent dans l'premier train sans faire attention
Mais forcément ils descendront déçus à la prochaine station
Y a celles qui flippent de s'engager parce qu'elles sont trop émotives
251
Pour elles c'est trop risqué d's'accrocher à la locomotive
Et y a les aventuriers qu'enchainent voyage sur voyage
Dès qu'une histoire est terminée, ils attaquent une autre page
Moi après mon seul vrai voyage j'ai souffert pendant des mois
On s'est quittés d'un commun accord mais elle était plus d'accord que moi
Depuis j'traine sur le quai, j'regarde les trains au départ
Y a des portes qui s'ouvrent mais dans une gare j'me sens à part
Y parait qu'les voyages en train finissent mal en général
Si pour toi c'est l'cas accroche-toi et garde le moral
Car une chose est certaine y aura toujours un terminus
Maint'nant tu es prév'nu, la prochaine fois tu prendras l'bus...
(2006) 495
495
Source : http://www.paroles-musique.com/paroles-Grand_Corps_Malade-Les_Voyages_En_Train-
lyrics
252
TABLE
SOMMAIRE 3
INTRODUCTION 5
Présentation de l’auteure-illustratrice Anne BROUILLARD 9
PREMIÈRE PARTIE : Circuler d’un album à l’autre à partir de
La terre tourne 13
I. Présentation de l'album La terre tourne 17
A. Au fil de la lecture 21
B. La description des illustrations 23
1. Les portes 23
2. Les illustrations de pleine page 26
3. Les vignettes de bas de page 33
C. Le fil de la narration : le texte 37
II. Quelques résonnances lexicales et thématiques 45
A. Les résonnances lexicales page par page 49
B. Les différents types de narrateurs textuels 66
1. Les textes impersonnels 66
2. Les textes à la troisième personne 68
a) « on » 68
b) « il, elle, on ; ils, elles » + dialogues discours direct 68
c) 3ème
personne + échanges oraux ou écrits « je » 72
d) 3ème
personne et « je » 76
3. Les textes à la première personne « je » 77
C. Comment La terre tourne est évoquée à travers les sens ? 81
253
1. L’ouïe 81
2. La vue 82
3. L’odorat 82
D. La rotondité 83
E. Les éléments 84
1. L’air 84
2. L’eau 85
3. La terre 85
III. Quelques résonnances imagières 87
A. Les personnages 88
1. Les animaux 88
a) Le chat 88
b) Le chien 93
c) Le corbeau ou la corneille 99
d) Le canard 101
2. Les êtres humains 103
a) L’homme en rouge 103
b) La fille en bleu et rouge 107
c) La dame en vert 107
d) L’enfant 108
B. L’environnement 113
1. La neige 113
2. Le paysage lacustre 114
3. Les éléments 116
a) L’air 117
b) L’eau 118
c) Le feu 119
d) La terre 120
4. La ville 121
C. Les objets 122
1. Le ballon rouge 122
2. La valise 124
3. La cafetière 125
254
4. Le chemin de fer 127
D. La rotondité 130
1. Le point de départ correspond au lieu d’arrivée 132
2. Tout tourne dans le même espace 132
3. D’un point à l’autre « presque » identique 132
4. Le point d’arrivée est le « même » monde inversé 133
DEUXIÈME PARTIE : Un exemple de continuité narrative 134
I. Le pêcheur et l’oie 138
A. Le mouvement de la première de couverture 139
B. Le mouvement de la quatrième de couverture 140
C. Le rythme des illustrations et la mise en page 140
II. Le voyageur et les oiseaux 144
A. Le mouvement de la première de couverture 145
B. Le mouvement de la quatrième de couverture 146
C. Le rythme des illustrations et la mise en page 146
III. La famille foulque 150
A. La première de couverture 152
B. La quatrième de couverture 153
C. Les pages de garde 153
D. Le cheminement dans l’espace 154
E. L’évolution dans le temps 157
IV. La vieille dame et les souris 160
A. La première de couverture 161
B. La quatrième de couverture 162
C. Les pages de garde 163
D. Le cheminement dans l’espace 165
E. L’évolution dans le temps 169
255
V. De l’autre côté du lac496
173
A. La couverture 176
B. Les pages de garde 177
C. Le narrateur imagier 177
D. Le narrateur textuel 180
VI. Les liens et les résonnances entre eux 183
A. Les personnages 183
B. Les objets 190
C. Le temps qui passe 194
D. L’espace, le cadre, l’ambiance 195
VII. Les liens et les résonnances avec La terre tourne 198
CONCLUSION 201
BIBLIOGRAPHIE détaillée d’Anne Brouillard 204
BIBLIOGRAPHIE 223
SITOGRAPHIE 229
ANNEXES 231
Quelques pages du carnet de croquis de l’album 232
Quelques illustrations et gravures sur le journal La tribune de Bruxelles 238
Le chemin de fer de La terre tourne 240
Programmation autour de l’univers d’Anne Brouillard en classe 246
Paroles de la chanson de Jacques Prévert En sortant de l’école 249
Paroles de la chanson de Grand Corps Malade Les voyages en train 250
TABLE 252
496
« À cause de l’inspiration, c’est le même lac que dans La terre tourne. De l’autre côté du lac est aussi
inspiré de l’ambiance de ce fameux lac Teåkersjön à Dalskog en Suède. » Extrait de l’entretien télépho-
nique avec Anne Brouillard du 31/01/2011.
256