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REMERCIEMENTS

Un grand merci à Anne Brouillard pour ce magnifique cadeau,

à Claire Segura-Balladur et Evelyn Audureau pour cette merveilleuse ren-

contre, leur enseignement et leur soutien sans failles,

à ma famille, mes amies et amis pour leurs encouragements et leur présence

de chaque instant,

aux élèves, enseignants, chercheurs, auteurs et éditeurs qui ont répondu à

mes demandes, m’ont lu, encouragé et accompagné tout au long de ce tra-

vail de recherche et d’écriture.

Que tous ceux et celles qui ont croisé mon chemin tout au long de ce par-

cours universitaire et professionnel soient remerciés.

Ce résultat est l’œuvre de tous.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 5

Présentation de l’auteure-illustratrice Anne BROUILLARD 9

PREMIÈRE PARTIE : Circuler d’un album à l’autre à partir de

La terre tourne 13

I. Présentation de l'album La terre tourne 17

II. Quelques résonnances lexicales et thématiques 45

III. Quelques résonnances imagières 87

DEUXIÈME PARTIE : Un exemple de continuité narrative 134

I. Le pêcheur et l’oie 138

II. Le voyageur et les oiseaux 144

III. La famille foulque 150

IV. La vieille dame et les souris 160

V. De l’autre côté du lac1 173

VI. Les liens et les résonnances entre eux 183

VII. Les liens et les résonnances avec La terre tourne 198

CONCLUSION 201

BIBLIOGRAPHIE détaillée d’Anne Brouillard 204

BIBLIOGRAPHIE 223

SITOGRAPHIE 229

ANNEXES 231

TABLE 252

1 « À cause de l’inspiration, c’est le même lac que dans La terre tourne. De l’autre côté du lac est aussi

inspiré de l’ambiance de ce fameux lac Teåkersjön à Dalskog en Suède. » Extrait de l’entretien télépho-

nique avec Anne Brouillard du 31/01/2011.

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INTRODUCTION

Anne Brouillard2 est « l’un des très grands talents de cette décennie » comme

l’annonce son éditeur de chez Grandir, René Turc quand il publie son album L’orage en

1994. Album qui est d’ailleurs le préféré d’Anne Brouillard car elle y a réussi

« l’équilibre imagier » à son goût. Dans le catalogue des dix ans de Pastel (1998), Mi-

chel Defourny écrit : « Anne Brouillard est sans conteste l’une des grandes figures de

l’album contemporain. Son itinéraire l’a menée chez de nombreux éditeurs ». En effet,

si Anne Brouillard est reconnaissante envers Marie Wabbes qui lui a offert ses premiers

contacts éditoriaux, son style est maintenant reconnu et chaque éditeur la choisit pour

ses qualités et son talent. Réciproquement, quand elle travaille sur un projet de livre,

elle sait quel éditeur va être intéressé pour le publier. Car, elle est « toute vouée à la

création des plus beaux albums qui soient3 ». Elle est « l’artiste née, (…) celle qui existe

pour créer … celle pour qui la vie est la substance de l’art ; et l’art est le regard qui

plonge au cœur de la vie4 ».

Les amateurs de ses œuvres ne tarissent pas d’éloges. Cependant, chacun cons-

tate qu’elle n’est pas appréciée à sa juste valeur. Pourquoi ? Est-ce dû à la « frilosité5 »

de certains éditeurs, comme cela fut le cas pour Voyage par exemple. Ou bien parce que

ses albums sont tout simplement « trop méconnus6 » du grand public d’après Sophie

Van der Linden. Ou encore parce qu’ils seraient « hermétiques7 » pour certains lecteurs

selon Patrick Joole.

La lecture de ses albums demande du temps et de l’attention mais aussi, plu-

sieurs relectures qui se complémentent et s’enrichissent. Le lecteur doit refaire le che-

2 « À mon sens, l’album sait véritablement mobiliser l’ensemble de ses capacités expressives à l’exact

point médian de ces deux pôles, lorsque le rapport entre texte, image et support s’équilibre tout à fait.

Anne Brouillard, (…) sont quelques-uns de ceux qui maîtrisent ce délicat équilibre. » Sophie Van der

Linden, in L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ? Textes réunis

et présentés par C. Connan-Pintado, F. Gaiotti et B. Poulou, Modernités 28, PUB, 2008, p. 12. 3 Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 59.

4 Stefan Zweig, préface de Romain Rolland, Amok, Livre de poche, 2001, p. 9.

5 Extrait de l’échange par e-mail avec René Turc du 31/10/2010.

6 Source : http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html

7 Patrick Joole, Les albums d'Anne Brouillard, un miroitement aquatique, communication sur son travail

lors du colloque sur l'album de Clermont-Ferrand dont les actes sont à paraître aux Presses Blaise Pascal.

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minement8 de la création. Anne Brouillard lui laisse un grand champ de liberté et

d’expression interprétative et imaginative9. « La littérature est l’œuvre autant de l’auteur

que du lecteur lui-même puisqu’ils tissent ensemble ce que va être l’histoire10

». Elle

construit ses livres avec passion et patience, elle s’investit pleinement dans chacun.

« Elle reprend, retravaille la matière, sans cesse réaccorde les rapports, les forces. Longue

patience, longue obstination. Ce qu’elle recherche, ce n’est pas juste une suite d’images

mais une partition d’images qui sonnent juste. (…) Ce ne sont pas des tranches de vie

qu’Anne Brouillard nous donne à voir, ce sont des moments choisis pour leur particularité,

où la perception du banal saute dans une autre dimension mentale. À travers la réactivation

ou la réinvention des souvenirs d’enfance, c’est avec le phénomène des épiphanies (épipha-

nie, du grec epiphania, apparition) qu’elle renoue spontanément, magnifiquement. (…)

Chaque album est une expérience nouvelle11

».

Quand elle l’édite, elle l’offre au lecteur qui y retrouve cette atmosphère. La lec-

ture de l’un interpelle la lecture d’autres. C’est la découverte de ces résonnances qui

déclenche le plaisir de la lecture complice avec cette auteure-illustratrice. Son œuvre

mérite d’être connue et savourée.

Cette modeste étude « résonnante » « à partir de » et « autour de » La terre

tourne voudrait lui offrir une juste reconnaissance comme elle l’a fait en dédicaçant son

premier album à Marie Wabbes. L’organisation de ce mémoire s’apparente donc à son

style « en boucle » et en images.

Malgré son aveu à Nicole Nachtergaele en 1996, pour le numéro 2 de la revue

Alice : « je n’aime pas quand on écrit sur moi, ce qu’on écrit sur moi … », suite à notre

coup de cœur pour son album La terre tourne, nous avons cherché à la rencontrer via

Aude Marin, attachée de presse aux éditions Seuil Jeunesse-Le Sorbier. Elle a répondu à

notre demande avec joie. C’est avec beaucoup de patience et de ferveur qu’elle a ac-

compagné notre travail de recherche. Avec elle, nous avons recréé son univers en cons-

tellations « à partir de » et « autour de » La terre tourne car, elle fait partie des artistes

qui « créent leur Cosmos entier, leur univers propre avec ses espèces et ses lois propres

de gravitation … 12

».

8 « Explorer une page comme on explore un nouveau territoire, y chercher son chemin, les chemins pos-

sibles, relier des repères, en déduire une signification. » C. Connan-Pintado, F. Gaiotti, B. Poulou,

L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, PUB, 2008, avant-

propos, p. 10. 9 « Quant à l’imaginaire, il ne s’oppose nullement à la réalité : il n’en est ni le contraire ni l’adversaire,

mais constitue lui aussi une réalité différente, fertile, mélancolique, complice de tous nos souvenirs. »

Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs, éditions du Seuil, 2010, p. 13. 10

Edwige Chirouter, Master 2 LIJE, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse. Apprendre à

philosopher dès l’école primaire grâce à la lecture de récits, 2010-2011, p. 7. 11

Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à

Bruxelles", 1994. 12

Stefan Zweig, préface de Romain Rolland, Amok, op. cit., p. 12.

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Ainsi, ce mémoire souhaite mettre en valeur la richesse de l’œuvre, l’artiste et la

femme qu’est Anne Brouillard.

La terre tourne est un album majeur dans l’œuvre et la vie d’Anne Brouillard. À

notre niveau de lecteur, c’est cet album qui a tout déclenché : la rencontre avec l’œuvre

et la personne. En effet, par ses résonnances, la lecture de cet album appelle la décou-

verte des autres. Il est infini … Notre étude est aussi une amorce, une incitation à la

lecture de son œuvre et une introduction à un autre travail de recherche peut-être.

La première partie présente l’album La terre tourne au fil de la lecture. Cet al-

bum étant « très complexe », les trois styles illustratifs sont minutieusement décryptés,

l’un après l’autre, avant d’aborder l’analyse du texte au fil de la narration. Le chemin de

fer de l’album présenté en annexe permet une vue globale sur ses rouages et ses liga-

tures. Les copies du carnet d’Anne Brouillard en annexe montrent le cheminement créa-

tif au fil des pages. Le lecteur y voit comment les liens s’y construisent grâce aux possi-

bilités offertes par l’album.

Dans le cadre de la deuxième partie, le travail sur les résonnances entre les al-

bums à partir de La terre tourne commence par le texte. Le lecteur de ce mémoire y

trouve mis en lumière des résonnances lexicales dans un premier temps. Ensuite, cette

analyse lexicale est suivie d’une présentation des différents narrateurs textuels dans les

albums d’Anne Brouillard et d’une étude de quelques résonnances sensorielles et thé-

matiques parmi les plus représentatives de son œuvre.

La troisième partie s’attache à l’étude des résonnances imagières. Chacun des

huit personnages présents dans La terre tourne y est analysé à travers l’ensemble de

l’œuvre d’Anne Brouillard. Ensuite, cette partie met en valeur quelques résonnances

environnementales et quelques objets récurrents dans l’univers illustratif d’Anne Brouil-

lard.

Dans la dernière partie, afin de revenir dans l’univers de La terre tourne, le lec-

teur fait un détour « résonnant » par Bruxelles et Paris où il rencontre de nouveaux per-

sonnages. Les cinq albums analysés ici sont doublement résonnants. Dans un premier

temps, notre analyse montre comment ils se complémentent entre eux, pour ne former

presque qu’un seul album finalement. Enfin, ce mémoire montre comment ils permet-

tent le retour du lecteur dans l’univers de La terre tourne.

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Ainsi, le lecteur découvre les fils qui s’entrecroisent et se tissent entre les albums

« à partir de » et « autour de » La terre tourne. Au rythme de ces résonnances, cette

étude incite le lecteur à voyager d’un album à l’autre. Comme nous sommes dans

l’univers d’Anne Brouillard, il est tout à fait naturel de cheminer tranquillement, d’aller

voir ailleurs, mais aussi, de revenir où on est bien. Notre écriture part donc de La terre

tourne pour y revenir.

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Présentation d’Anne Brouillard :

auteure-illustratrice

Anne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

et d’une mère suédoise, elle y grandit et suit des études artistiques à l'Institut Saint-Luc

à Bruxelles.

« J’ai fait des études d’illustration, après avoir fait une année d’institutrice maternelle.

Mais, j’avais une idée du métier pas juste ! Et aussi j’avais besoin de comprendre qui

j’étais vraiment ! C’était l’idée de la façon dont les gens me voyaient de l’extérieur .

J’avais l’idée de faire quelque chose en rapport avec les enfants mais pas de faire un livre

pour les enfants. Et pourtant, j’ai choisi illustration et pas peinture dans mes études ! En

commençant mes études d’illustration, ma vision du livre pour enfants a changé. Ma vision

sur ce que je pouvais faire moi-même aussi.

Le côté narratif … travailler pour mettre l’image au service de quelque chose de littéraire,

l’image qui raconte quelque chose, j’avais envie de faire des livres mais j’avais

l’impression d’y voir une limite, hors, il n’y en a pas…

J’aime dessiner naturellement depuis toujours et je ne me suis jamais arrêtée. Tout le

monde dessine dans ma famille, j’ai plusieurs sœurs et c’était comme un jeu entre nous …

Je passais beaucoup de temps à dessiner, même en classe ! J’ai une sœur peintre : elle,

avec son chevalet posé dans la nature, on voyait nos différences déjà enfant. C’est le dessin

qui ne va pas dans la même direction, dessin plus utilisé dans des choses imaginaires,

j’utilisais le dessin pour représenter ça.

Je fais des livres pas spécialement pour les enfants mais pour les enfants aussi, ce n’est pas

si simple à expliquer … le créneau est d’une grande liberté, les possibilités sont énormes en

fait13

».

Elle perçoit donc très rapidement que l’album pour la jeunesse est un support

sans fin14 pour l’expression de son inspiration avec tout le talent qui la caractérise.

Elle a quatre sœurs. Elle passe ses vacances en Suède, chez ses grands-parents

maternels. « La fiction littéraire n’est donc pas seulement de l’ordre de l’imaginaire

mais elle dispose aussi d’une « fonction référentielle » qui dévoile des dimensions in-

soupçonnées de la réalité. (…) Il existe une corrélation intime et profonde entre le

monde de l’enfance et les mondes de la fiction et l’imagination15

». Les souvenirs de

leurs maisons lui inspirent l’album Le pays du rêve et L’orage notamment et la Suède

13

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard à Toulouse lors du salon vivons-livre, le 07/11/2010. 14

« L’album est le lieu de tous les possibles. » Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants,

l’analyse des livres d’images, N° 214, décembre 2003, p. 63.

« Je peux vivre à travers la fiction littéraire, des expériences que je ne connaîtrai jamais dans la vie réelle.

Elle m’ouvre ainsi à tous les possibles. Elle constitue à ce titre une expérience vivante, authentique, sin-

gulière et universelle à la fois, par laquelle les hommes vont pouvoir appréhender le réel. La fiction per-

met d’expérimenter de nouveaux rapports au monde. Elle apporte des points de vue inédits. L’imaginaire

est comme un immense laboratoire où les hommes peuvent modeler, dessiner, redessiner à l’infini les

situations, les dilemmes. » Edwige Chirouter, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse, op.

cit., p. 5. 15

Edwige Chirouter, Ibidem., p. 6.

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lui inspire les albums La terre tourne, Mystère, Il va neiger et De l’autre côté du lac

entre autre. En 1990, Trois chats, son premier album pour la jeunesse publié, connaît

très vite un succès qui ne s’est jamais démenti depuis. L'ensemble de son œuvre est vi-

suelle16

et invite le lecteur à des promenades imaginaires (La maison de Martin, Prome-

nade au bord de l’eau … par exemple.) Son dessin17

n'évoque pas pour autant le mou-

vement. Elle installe des plans larges et fixes qui demandent des pauses dans le rythme

de lecture et entraînent dans un univers riche et plein de surprises. Elle complète ses

techniques artistiques par une approche cinématographique. La double-page à fond per-

du, s'apparente à un écran de cinéma. Elle se passionne d’ailleurs pour le film

d’animation.

Elle crée chaque fois un univers sensitif où les impressions et les exigences ne

sont pas les mêmes selon les techniques utilisées. Par exemple, son travail avec la pein-

ture figure les paysages et les personnages par l’ombre et la lumière, donnant des sil-

houettes plus floues. Le crayon noir ou de couleurs peut aussi alterner ou se mêler avec

des couches de peintures, faisant apparaître des strates graphiques ou d’autres espaces

de créations comme autant de sens possibles. Certains albums sont davantage liés à une

atmosphère ou à des lumières qui changent. Son style d’expression textuel est riche

d'une forte poésie18

créant un rythme entraînant et envoûtant. Tout au long du travail de

création, ses idées qui deviendront ses futurs albums se croisent et s’enrichissent car elle

travaille toujours plusieurs projets à la fois. « Elle remplit le moindre vide de ses carnets,

des cahiers d’écolière, noircis consciencieusement, comme autant de blocs alignant

leurs masses régulières, pour ne laisser que la respiration de la marge imposée. Un es-

pace qui disparaît même dans les albums terminés où la peinture a tendance à couvrir

l’ensemble de la surface19

». C’est ainsi que les résonnances se construisent tout naturel-

lement au sein même de ses carnets.

16

« Les sujets de mes livres sont liés à des choses vues, observées, dans la vie, dans la rue, le côté pro-

menade de la vie. Je vois … ça me donne toutes mes histoires qui sont presque toutes là … » : Extrait de

l’entretien avec Anne Brouillard au salon vivons-livre, le 07/11/2010. 17

Elle porte fièrement son nom prédestiné. « Je peints et je dessine au crayon en masse, je ne fais pas de

contours, je peints en masse d’ombre et de lumière, pas au trait. Ce n’est pas pour rien que je m’appelle

« brouillard », c’est parce que je m’appelle ainsi que je suis ainsi !!! » Extrait de l’entretien téléphonique

avec Anne Brouillard du 27/10/2010. 18

Dans son article L’album en liberté, Sophie Van der Linden écrit à propos de l’album : « La narra-

tion… ne prend pas nécessairement la forme d’un récit et s’aventure davantage vers une expression poé-

tique. » in Littérature de jeunesse, incertaines frontières, colloque de Cerisy, Gallimard Jeunesse, 2005,

p. 93. 19

Jean Perrot, Pictogénèse de l’album contemporain pour la jeunesse et conversation du patrimoine, in

L’image pour enfants : pratiques, normes, discours, études réunies et présentées par Annie Renonciat,

éditions La Licorne, PUR, 2007, p. 33

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Elle adore observer très attentivement les animaux et la nature. Elle a un rapport

privilégié avec la nature, le rythme des saisons20

, l’eau21

et tous les éléments22

qui nous

entourent. En harmonie avec sa personnalité et sa vision du monde, le rythme de ses

albums est un mouvement lent, un cheminement ou encore une métamorphose harmo-

nieuse. Tout s'accomplit à ce même rythme pour tous, tout bouge, change, évolue, se

transforme. Le lecteur adopte donc le rythme du promeneur ou du randonneur en balade

dans ses albums.

« La nature est très présente dans vos livres. Quel est votre rapport aux éléments qui vous

entourent ?

- Anne Brouillard : « C’est très difficile d’expliquer une chose qui pour moi est évidente :

je vis avec les éléments. Ils sont là, ils font partie de ma vie, la nature EST mon élément. Le

changement de lumière, le passage des saisons, la tombée de la nuit, l’arrivée de la neige

ou d’un orage… Tous ces « évènements » sont pour moi de véritables sujets d’albums …

J’utilise alors des déambulations d’un lieu à un autre pour raconter à la fois le temps qui

passe et la météo. Il peut y avoir un rapport encore plus concret entre les albums et la na-

ture : quand j’ai fait La terre tourne, je campais au bord d’un lac dans la forêt (en Suède).

Ce livre est donc peint exclusivement à l’eau du lac. Les fourmis et les blaireaux ont goûté

à la peinture (à l’œuf). Le vent a certainement emporté l’un ou l’autre brouillon. Et les pin-

ceaux oubliés dans la bruyère ont rouillé sous la pluie et la neige…. 23

».

Son œuvre évoque les paysages extérieurs des pays du nord de l’Europe : les

canaux, les lacs, la couleur du ciel, les conditions météorologiques, les forêts, le plat

pays, les architectures… tandis que l’intérieur des maisons24

est chaleureux et accueil-

lant, (sauf dans Le rêve du poisson, avoue t’elle), à l’image de la cafetière rouge25

qui

pourrait représenter le symbole de cette atmosphère où on se sent bien. D’ailleurs, elle

suggère à son public qu’elle les crée ainsi parce qu’elle aimerait y vivre. Si le résultat

est aussi que nous pouvons admirer ses albums comme de beaux livres d’artistes, c’est

parce qu’elle y passe beaucoup de temps, qu’elle s’y investit pleinement et qu’elle se

20

Quelle est votre saison préférée ? « Toutes les saisons et le déroulement des saisons parce que ça

change et elles sont toutes particulières.» Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 21

Lire à ce sujet la communication de Patrick Joole lors du colloque sur l'album de Clermont-Ferrand en

2010 : Les albums d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique, actes à paraître aux Presses Blaise Pas-

cal au printemps 2011. 22

« J’ai compris pourquoi Monsieur René Turc m’avait proposé de travailler avec Anne Brouillard : c’est

un paysage qui lui parlait, un paysage dans lequel elle aimait être et travailler, un paysage qui

l’inspirait… La nature et ses éléments lui parlent. » Extrait du courrier du 15 novembre 2010 reçu de Mr

Gilles Auffray, Le gardien des couleurs, depuis Londres. 23

Extrait d'une interview d'Anne Brouillard donnée lors des rencontres 2009 de « Livre comme l'air ».

(Propos recueillis par Pascal Broutin lors d'une conférence de Sophie Van der Linden). 24

« J’aime beaucoup dessiner les maisons, les imaginer. Le rapport intérieur / extérieur avec la maison

se trouve dans un paysage. Être dehors et imaginer dedans ou au contraire être dedans et voir l’extérieur.

Expliquer le cheminement des maisons : par exemple dans L’orage, qui est mon livre préféré : Commence

à l’intérieur, on a la véranda, dès la première page on voit l’intérieur et l’extérieur (miroir). Petit à petit

on va visiter la maison, on en fait le tour puis on y revient. Cet album est autant l’histoire de la maison

que celle de l’orage et du temps qui passe. Je fais le plan, je construis les maquettes des maisons. » Ex-

trait de la conférence du 06/11/2010 à Toulouse. 25

« C’est celle de mes grands-parents qui m’a servi de modèle ! » Ibidem.

Page 12: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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pose nombre de questionnements pour leur construction. Par la suite, le travail du lec-

teur, son jeu, son rôle, consiste à rechercher l'espace et le temps de la création, à recons-

truire le fil de la narration visuelle et textuelle.

Anne Brouillard invite donc son lecteur à recréer son univers. Pour ce faire, il

doit se laisser porter par la force et la richesse de ses illustrations et/ou de ses textes. Il

doit partir explorer ses albums. Ainsi, au fil de ses lectures, il rencontrera ces petits mo-

tifs que sont les personnages (êtres humains ou animaux), les objets26

,

l’environnement27

… pour les retrouver d'une page à l’autre et d'un album à l'autre car

ils sont comme des fils à tirer, pour reprendre l’expression de Sophie Van der Linden, et

à tisser. Elle construit ses albums telle une invitation à l'exploration, à la recherche d'un

trésor : le plaisir de la reconstruction d'une histoire s’enrichit à chaque nouvelle lecture.

Ce plaisir est double, il est esthétique et intellectuel. Il est jubilatoire à tout âge. Nous

pouvons lire et relire ses albums sans fin, nous trouverons toujours de nouveaux indices,

de nouvelles pistes28

. Nous pouvons les lire et les relire, pour la beauté de ses illustra-

tions, pour le plaisir de son écriture poétique, pour le plaisir de les partager …

Anne Brouillard est choisi par son lecteur pour son talent et la force de recréa-

tion qu’elle lui offre. Ce sont les mêmes qualités qui incitent des auteurs et des éditeurs

à vouloir travailler avec elle et nulle autre. Ses qualités humaines telles que l’humilité et

la simplicité qui caractérisent les grands artistes font d’elle une auteure-illustratrice

d’une qualité remarquable.

26

« Cafetière, théière, réveil, petits pots … sont l’expressions du temps. Dans l’univers des maisons habi-

tées : trace, présence, souvenirs … Les objets sont importants, comme un décor de théâtre. Ils révèlent

quelque chose de la personne qui y habite. » Ibidem. 27

« L’homme est dans son environnement qu’il comprend, il connaît sa juste place, en contemplation

paisible. La terre tourne, on tourne en rond. C’est mon interprétation de la vie, la façon dont je ressens

l’existence, une relation familière à l’animal, en harmonie, pas d’hostilité, dans ce monde cohabité, tout

fonctionne ensemble … » Ibidem. 28

« J’ai fait mon premier livre quand j’avais 9 ans : « une ferme à la campagne ». Le côté objet livre,

c’est quelque chose qui j’aime faire. À 13 ans « pas de titre ». On est déjà qui on est, très lié à ce que j’ai

fait plus tard, sans texte : « un paysage l’été – un château : Zoom sur le château, une entrée secrète, on

entre … Zoom dans château, on circule, on rencontre des lutins, des sorcières … Et on ressort du château,

et c’est l’hiver … j’avais déjà le truc en boucle et l’évolution dans l’espace ! » Extrait de l’entretien avec

Anne Brouillard du 07/11/2010.

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PREMIÈRE PARTIE :

Circuler d’un album à l’autre

à partir de La terre tourne

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Ce choix de présenter les résonnances à partir de l’album central La terre tourne

est justifiable au regard de différents paramètres. Dans une vision chronologique de sa

bibliographie, il s’agit de son douzième album sur ses vingt-cinq édités en tant

qu’auteure-illustratrice. Il est donc central dans sa bibliographie au regard de ses œuvres

réalisées en amont et en aval. Sur un plus large, au regard de la cosmogonie, Anne

Brouillard a écrit et illustré son album « à l’échelle du tout grand et à l’échelle du tout

petit dans l’ordre de l’univers » pour célébrer l’attente d’un enfant à naître. Ce mémoire

se voudrait générateur d’énergie en faveur du talent29

d’Anne Brouillard, comme la terre

tourne et nous entraîne tous dans sa ronde, petits et grands, à l’image de sa conception

de la vie « unitaire ». Aux yeux d’Anne Brouillard, nous sommes tous égaux : les êtres

humains, les animaux et la nature qui est accueillante et protectrice dans son univers.

Ainsi, le lecteur peut y découvrir un message de protection de notre environnement. Elle

parle du respect du cycle de la vie que l’on peut rapprocher de la théorie des cinq élé-

ments. Tant par le texte que par les illustrations, elle sollicite les cinq sens. Autant de

résonnances qui se retrouvent dans ses autres albums. La terre tourne est un album

complexe, tant au niveau de la mise en page qu’au niveau des techniques approchées

(album, Bande Dessinée, cinématographique), avec des séries d’images séquentielle30

et

d’illustrations à fond perdu en pleine page, son style d’écriture, une véritable prose poé-

tique … Autant de techniques et d’effets qui se retrouvent dans ses autres albums. Ses

thèmes sont d’une portée universelle, tout le monde est concerné. Le lecteur se déplace

« autour de la terre » dans des lieux différents31

, y rencontre des personnages humains et

animaux, y découvre des objets, des environnements, au fil des saisons … qui sont au-

29

Pour Sophie Van der Linden, (aussi), « cette œuvre ne rencontre pas le succès, qu’elle mériterait auprès

du public. » in http://esaatcdi.canalblog.com/archives/2009/05/28/13887764.html

Elle a publié vingt-cinq albums qui séduisent autant qu’ils déconcertent. Elle précise également que le

point de vue, le cadrage, l’ordre séquentiel des images est toujours un gros travail, et que le lecteur doit

aussi faire un effort de reconstruction de l’espace et du temps pour entrer dans son univers. In

http://webetab.ac-bordeaux.fr/Primaire/64/Orthez/CR/brouillard.pdf

« C’est précisément là que se situe le problème du spectateur lecteur : il ne parvient pas à faire les liens

entre des illustrations que son cheminement a contribué à isoler, éprouve des difficultés à identifier des

personnages aux traits souvent flous et ne saisit pas la cohérence narrative. » Patrick Joole, Les albums

d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique. 30

« Les images séquentielles sont articulées iconiquement et sémantiquement. » La revue des livres pour

enfants, N° 214, op. cit., p. 64. 31

Contrairement à l’analyse de Christian Poslaniec et Christine Houyel : « Que va-t-il se passer ?

L’auteur va-t-il choisir de nous montrer une itinérance, comme, le suggère l’image ? Ou des personnes

qui « restent toujours au même endroit » ? C’est ce second choix qui prévaut, mais pour s’en rendre

compte, les lecteurs doivent regarder soigneusement chaque image et conclure qu’il s’agit toujours du

même lieu : on voit le viaduc par la fenêtre, dans la scène où l’homme et le chien sont attablés ; le viaduc

est encore présent dans de nombreuses scènes ou, quand il n’y est pas, on voit des éléments présents dans

les images précédentes. En même temps se construit, dans cette histoire statique (même lieu), une double

relation. … » Activités de lecture à partir de la littérature de jeunesse, Hachette éducation, 2000, p. 215.

Page 15: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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tant de résonnances à savourer et à partager, au rythme de la terre qui tourne, sur elle-

même et autour du soleil, entraînant ses satellites dans sa ronde à l’instar des autres al-

bums d’Anne Brouillard. Ce travail d’écriture depuis La terre tourne vers ses autres

œuvres correspond aussi à son style « en boucle ». L’organisation de ce mémoire se

présente « à la manière de … ». Ainsi, il se lit à partir de La terre tourne, autour de La

terre tourne pour revenir à La terre tourne.

De plus, La terre tourne est la source d’inspiration pour l’histoire sur laquelle

elle travaille depuis quelques années et qu’elle appelle « le livre de ma vie » qui reprend

tous ses personnages (avec le magicien rouge entre autre) et même d’autres encore. Ce

futur album illustre comment l’imagination de son enfance, avec ses sœurs, se concré-

tise à l’âge adulte, en tant qu’auteure-illustratrice de renom. (On y trouve une carte des

mondes « à la Tolkien », un message écologique avec un risque de dérèglement clima-

tique et une nécessaire biodiversité dans l’écosystème. Nous y sommes tous interdépen-

dants, les animaux humanisés sont de la même taille que les êtres humains, on y dé-

couvre des inventions futuristes et écologiques comme pouvoir voler avec un batteur à

main qui crée des petits nuages quand on l’active … « en tout cas, ça a l’air de fonc-

tionner ! » reconnaît Anne Brouillard avec un large sourire communicatif. La mise en

page s’approche du roman graphique avec beaucoup de texte, des phylactères, des illus-

trations encadrées et certaines de pleine page, surtout en noir et blanc …) Il sera prêt

dans deux ou trois ans, avoue t’elle. Le lecteur a hâte de le découvrir.

Et puis, tout simplement, parce que nous sommes des êtres humains, à l’image

des êtres vivants sur cette terre parmi et avec tous les éléments, y circulant au rythme de

cette terre qui tourne au même rythme pour tous. « J’aime que l’on mesure que l’on ne

mesure pas, rappeler ce dilemme que l’on est une si petite chose dans un univers en

mouvement perpétuel …32

». Cette déclaration évoque au lecteur un autre dialogue entre

Thomas et le Voyageur où Thomas déclare que « l’Homme cosmique est considéré

comme la deuxième vision d’Hildegarde33

». Ici, le lecteur participe à cette circularité

et l’homme fait partie de l’univers34

.

32

Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole 3/07, novembre 2007, pp. 3. 33

Gilles Clément, Thomas et le Voyageur, éditions Albin Michel, 2011, p. 95. 34

« L’homme n’est plus au centre du monde. (…) Il est quelque part dedans, tombé dedans, il est tout

petit, il fait partie de lui comme la feuille et le bambou, le grain de sable, le grain de lumière. Il est fragile,

sa force est d’aller avec les autres grains, sa faiblesse d’aller contre. (…) L’avenir dépend de cette force.

Il n’a plus besoin de soumettre l’univers à lui-même, il lui suffit de le comprendre. » Ibidem., pp. 97-98.

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I. Présentation de l’album : La terre tourne

(Quelques pages du carnet de croquis de l’album en annexe)

Dans son album, La terre tourne, Anne Brouillard établit des correspondances

entre l'espace proche, familier, et l'univers en mouvement, le tambour d'une machine à

laver est par exemple une métaphore de la terre qui tourne... Au rythme du temps qui

passe, les gestes du quotidien deviennent de véritables rites.

Le texte est une poésie en prose avec des répétitions qui en créent le rythme. Les

doubles-pages sont organisées de manière similaire, exceptées les trois dernières. De

haut en bas sur la page de gauche : une grande vignette, un texte et une série de petites

vignettes en bas de la page. Sur la page de droite : une illustration à fond perdu… faite à

la peinture à l’œuf35

. Les couleurs36

sont très saturées. La narration par l’image est com-

plexe. Elle raconte un grand voyage, plus vaste que celui décrit par le texte seul.

Cet album fut édité pour la première fois par les éditions Le sorbier, en 1997.

Étant épuisé mais toujours recherché, il fut réédité en 2009 avec une retouche graphique

au niveau du titre37

. L’édition de 1997 présente un titre plat et horizontal de couleur

verte alors que l’édition de 2009 présente un titre légèrement arrondi de couleur rouge

évoquant davantage le mouvement de la terre. La première particularité de cet album est

son format38

. En effet, nous sommes face à un objet-livre quelque peu mystérieux car,

35

« Peinture à l’œuf ou « tempera » faite maison » in Citrouille n° 38

« Produire une peinture en utilisant la technique picturale qu’elle utilise elle-même pour la réalisation de

ses albums. À savoir un travail avec des pigments, de l’eau et un jaune d’œuf. » in http://webetab.ac-

bordeaux.fr/Primaire/64/Orthez/CR/brouillard.pdf

« Elle privilégie une technique ancestrale, présente dès l'Égypte Ancienne "la Tempera", qui, pour elle,

rend le mieux la lumière. Devant nos yeux, elle nous a préparé ce mélange dont le jaune d'œuf représente

le médium pour lier les pigments, naturels ou chimiques. L'art consiste à séparer le jaune du blanc, de

passer plusieurs fois le jaune d'une main à l'autre pour enlever complètement le blanc, puis de pincer la

peau du jaune pour la retirer. Il suffit ensuite d'ajouter des pigments et quelques gouttes de vinaigre

blanc. » in http://esaatcdi.canalblog.com/archives/2009/06/12/14050595.html

« Par le fait que Rembrandt utilisait un mélange non pâteux de tempera et de couleur à l’huile, il obtenait

des textures qui rayonnent d’une extraordinaire puissance suggestive de réalité. La couleur chez Rem-

brandt devient une puissance lumineuse matérialisée, à tensions multiples. » Johannes Itten, Art de la

couleur, Dessain et Tolra, 1961, p. 14. 36

« Pour moi les couleurs sont des êtres vivants (…), les véritables habitants de l’espace. La ligne, elle,

ne fait que le parcourir, que voyager au travers. Elle ne fait que passer. » Michel Pastoureau, Les couleurs

de nos souvenirs, op. cit., p. 116. 37

« À la demande de l’éditeur. Entre temps, les éditions Le Sorbier ont été revendues aux éditions de la

Martinière et l’équipe de graphistes a changé. Par un accord de confiance, je laisse ce créneau à

l’éditeur car il connaît mieux « ce qui marche pour vendre ». Ce sont les graphistes qui choisissent la

mise en forme et le choix de la typographie. J’ai juste un droit de regard mais ce n’est pas si important

que ça. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 38

« Parce que je ne pouvais pas faire un rond ! Alors, le cercle va atterrir dans le carré, c’est plus pra-

tique et quand on l’ouvre en plein, le livre donne un très long rectangle. » Ibidem.

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pour reprendre les termes de Sophie Van der Linden, La terre tourne est un album qui

nous parle de « rondeur et circularité pour un format carré …39

». Ce format fut choisi

pour ses qualités matérielles et sa tenue en main. C’est un format calme et sans tension

… et le livre carré ouvert à l’avantage d’offrir une double-page panoramique, espace

pleinement exploité par Anne Brouillard. La couverture est cartonnée et l’album est non

paginé. Pour la suite de notre analyse, nous avons paginé l’album pour une lecture plus

aisée. La première page sera la page de garde, page vierge de texte dans les tons terre

ocre-orangé. Ainsi les pages de droite ou belles pages seront impaires et les pages de

gauche ou fausses pages seront paires. La page de titre portera le numéro 3 et la narra-

tion commencera à la page 4. Cet album est dédicacé à Théodore, Maximilien et Kitty.

(Il s’agit de son amie Kitty Crowther, Maximilien son mari et Théodore leur premier

fils40

).

L’effeuillage des vingt-huit pages de l’album s’organise de gauche à droite, dans

le sens de la lecture occidentale.

Après la page de titre, nous trouvons neuf doubles-pages presque régulières (le

nombre des vignettes en bas des fausses pages varie de quatre à sept). Hormis cette va-

riation graphique, l’organisation est stable :

● La page de gauche est partagée en trois parties dans le sens de la hauteur :

- au centre du premier tiers en haut : une porte vitrée dans un cadre

- au centre du deuxième tiers : le texte (de plus en plus court)

- sur toute la longueur du dernier tiers : une bande de vignettes

● La page de droite est une illustration de pleine page à fond perdu.

Les deux doubles-pages suivantes (pages 22 à 25) cassent ce rythme car nous

sommes en présence de deux doubles-pages muettes et illustrées à fond perdu. Notre

rythme de lecture s’en trouve perturbé « à la tourne » de la page 22.

Michel Defourny constate que « relativement peu fréquent antérieurement, le format carré connaît une

grande vogue dans la dernière décennie du XXe siècle. » Voyage en littérature jeunesse, Lire les images,

Institut suisse Jeunesse et Médias, p. 36.

« Il faut être fidèle à la réalité du livre et non à celle de la réalité chaotique. » Elle a besoin de travailler

directement dans le format de la publication. « Je sens mieux le rythme, je sens plus vite ce qui ne fonc-

tionne pas, le découpage en petit ne prépare pas aux vraies difficultés. » Anne Brouillard pour Daniel

Fano in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles". 39

Sophie Van der Linden, Lire l’album, éditions L’atelier du poisson soluble, mai 2006, p. 138. 40

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

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En effet, « la lecture est doublement rythmée, par ses mouvements internes et

par les variations dans la succession des images. L’accumulation d’images accélère le

rythme cinétique mais ralentit la lecture du texte. Le fait de proposer à un moment du

récit une grande image, freine le rythme en stoppant le récit sur une pause longue ; il y

donc un effet d’attente … Les planches illustrées « ralentisseurs de lecture » rythment le

parcours en répétant ou variant les compositions, les couleurs, les cadrages41

».

● La dernière double-page reprend le rythme des premières pages avec une variation de

mise en page graphique, narrative et symbolique. La porte vitrée se retrouve non plus

sous forme de vignette en haut de la page de gauche mais en arrière-plan de

l’illustration pleine page à droite. Qui plus est, un jeune enfant l’ouvre afin de passer

pour s’avancer vers le lecteur.

● La page de gauche est partagée en trois parties dans le sens de la hauteur :

- le premier tiers en haut est vierge et de fond blanc

- au centre du deuxième tiers : le texte (qui renvoie au premier texte)

- sur toute la longueur du dernier tiers : une bande de vignettes (la dernière renvoyant à

la première de l’album et au visage de l’enfant)

● La page de droite est une illustration de pleine page à fond perdu.

Dans les albums d’Anne Brouillard, c’est le cheminement au fil des pages qui se

révèle finalement plus passionnant que la solution que l’on recherche. Quel est-il donc

ce cheminement qui nous guide tout au long de cet album ? Car, finalement, qu’on le

découvre pour la première fois ou bien qu’on le parcourt à nouveau, La terre tourne

inexorablement … et ceci est vrai pour tout lecteur. Que l’on se place à l’échelle de

l’univers (macrocosme) ou d’une vie humaine (microcosme), la terre nous entraîne dans

sa ronde. Anne Brouillard « réussit à traduire avec art ce regard emprunt de métaphy-

sique qu’elle porte sur les êtres et les choses. Auteur, elle parle de cette ronde de la vie

qui ici ou là fait naître, vivre et mourir les humains que nous sommes. Metteur en page,

elle donne une dimension cosmogonique à son propos grâce aux vignettes illustrées

ouvrant sur l’infini. Peintre, elle recourt à des images chaleureusement colorées pour

incarner la simultanéité de ces gestes accomplis par les personnages que l’on suit de

page en page : des humains et des animaux. … Pour parler de la terre, ronde, et de la

ronde de la vie, elle convoque ici et là dans ses images des formes rondes bien sûr …

41

Christine Plu, L’illustration littéraire et les relations « texte-image », Master LIJE 2, p. 15.

Page 20: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Texte et image dansent en parallèle et se rejoignent pour nous communiquer une vision

de la vie à la fois douce et grave, comme apaisée42

».

À la lecture des pages de croquis de son carnet présentées en annexe, le lecteur

se rend bien compte du cheminement intellectuel suivi par Anne Brouillard pour réaliser

cet album. « Au départ, dans la construction de l’album, tout concourait vers la fête pla-

cée au centre du livre. Je voulais représenter l’année, les mois, les jours et les moments

d’une journée précis … c’était un travail de représentation du temps trop complexe et

impossible finalement !43

». Cet album a une portée philosophique sur la temporalité car,

au fil des pages, le lecteur peut sentir le temps qui passe (dans l’espace et dans le

temps). La terre tourne tout le temps, tout l’univers est en perpétuel mouvement même

si l’on ne bouge pas … on bouge quand même. Quoi qui se passe, quoi qu’il arrive, la

terre tourne et rien ne peut l’empêcher de tourner. Qu’on le veuille ou non, le temps

passe et il se passe tout le temps quelque chose44

. Le temps se mesure aussi par le dé-

placement spatial et l’album est riche en déplacements : les gens voyagent ou regardent

les autres voyager, le train est omniprésent, le viaduc nous guide d’une page à l’autre, le

vocabulaire est riche de moyens de locomotion45

.

Aussi, cet album riche des cinq sens alterne les passages forts avec d’autres plus

calmes. Toutes ces émotions donnent un rythme à la lecture : le quotidien, la fête, les

saisons, les couleurs, les jours et les gens qui passent … l’arrivée d’un enfant.

La terre n’est pas déserte, où que l’on se trouve, le monde est habité et l’on n’y

est jamais seul. Anne Brouillard nous entraîne dans un monde animiste où chaque élé-

ment est vivant. Les êtres humains partagent leur vie et leur quotidien avec des animaux

anthropomorphiques. Par touche, l’album nous raconte ce qui se passe dans la vie (nais-

sance, mort, fête, ville, campagne, mer, rencontres, voyages …). Nous assistons au

cycle de la vie, un cycle mystérieux, circulaire et sans fin. Cette dynamique rappelle

l’album Tout change tout le temps de Joël Guenoun.

Tout l’album tend vers une fête, une célébration et l’accueil d’un jeune enfant

souriant. « Les personnages s’assemblent sous l’arbre ou dans le pré autour de la table

42

http://librairielautrerive.hautetfort.com/archive/2009/04/18/la-terre-tourne-d-anne-brouillard.html 43

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 44

« On ne dessine pas le temps. Mais le paysage est fait du temps comme il est fait de son érosion. Notre

travail pourrait commencer par là : laisser à l’image, à toute image quelle qu’elle soit, un champ libre

pour se transformer, une chance d’évoluer… » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 15. 45

« J’ai mis l’échantillonnage disponible des modes de locomotion dans l’album. » Extrait de l’entretien

téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

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d’anniversaire ou simplement du repas quotidien. La convivialité inclut les animaux et

l’environnement. Si intime soit-elle, la maison, grâce à ses nombreuses verrières, est

largement ouverte sur l’extérieur. Le temps devient palpable. Ses images reflètent

l’harmonie universelle46

». Tous les éléments de l’album prennent leur force symbo-

lique en se retrouvant sur la table à la fin. La chaise vide attend « la tourne de page »

pour accueillir le jeune enfant à table. Le lecteur participe à cet accueil et à cette célé-

bration. Cet album est un éloge à la vie.

A. Au fil de la lecture

Le chien noir47

(personnage récurrent chez Anne Brouillard) est omniprésent. Il

est là, assis, présent, il attend ou accompagne les personnages tout au long de l’album.

Progressivement, nous allons faire la connaissance des dix personnages48

présents sur la

première de couverture49

, et finalement, nous allons découvrir ce qu’ils préparent : un

repas festif pour célébrer l’arrivée d’un enfant. Le texte et les illustrations participent de

ce cheminement vers la droite (nous suivons les moyens de locomotion, nous enjam-

bons les pages avec le viaduc et les vignettes connectent les pages précédentes et sui-

vantes). Nous tournons les pages comme la terre tourne perpétuellement car, une fois la

dernière page tournée, nous retournons au début … car d’autres enfants vont naître et

d’autres vont partir (en voyage ou mourir).

Le personnage vêtu de rouge fait un signe de la main : les roulottes continuant

leur chemin, nous supposons qu’il arrive. Le lecteur va suivre le fil conducteur de la

caravane, du train et du viaduc jusqu’au petit garçon. Le texte parle de bébés qui nais-

sent et, finalement, on voit ce petit enfant arriver. Cette dualité dedans/dehors, res-

ter/partir, renforce ce mouvement circulaire qui nous entraîne avec la rotation de la terre.

Nous naissons pour grandir et l’homme évolue avec son temps (les caravanes à cheval

vont devenir des trains à grande vitesse). Ainsi, cet album nous parle aussi de notre

46

Source : http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD 47

« Ce chien de fauteuil est très ami avec le personnage en rouge. Il a même un nom maintenant, il

s’appelle Killiok dans l’album sur lequel je suis entrain de travailler en ce moment. » Extrait de

l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 48

« À cette époque, je travaillais sur une exposition en « 3 D » et j’ai repris les dix personnages de

l’exposition dans mon album. » Ils se retrouvent d’ailleurs tout au long de son œuvre et vont par paire

(humain/animal ou animal/animal). Ibidem. 49

« Je réalise toujours les premières de couverture de mes albums. C’est la partie sur laquelle il y a le

plus d’échanges avec l’éditeur. J’ai créé celle-ci pour cet album précisément. Elle reflète le contenu de

l’album et veut attirer le regard et l’intérêt du lecteur. » Ibidem.

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évolution pendant que la terre tourne et que les enfants grandissent. Tout ne serait que

recommencement…

Les personnages arrivent les uns après les autres. Tout d’abord discrets, en ar-

rière-plan à droite de l’illustration de pleine page, ils prennent leur place dans la page et

dans l’histoire. Seul ou par deux, c’est selon mais, finalement, nous pouvons les réunir

par paire car la séparation humain-animal n’a pas de sens ici, tous partagent la vie et les

voyages.

Une fois réunis à la page quinze, ils vont cheminer vers la table dressée à la page

vingt-trois. C’est autour de cette table que nous les retrouverons assis50

et c’est sur cette

table que nous retrouverons les objets qu’ils ont préparés et collectés tout au long de

l’album.

Pendant ce temps, au fil des saisons, un cycle de vie passe et l’enfant paraît.

L’eau symboliserait le liquide amniotique et nourricier (comme la terre est nourricière),

l’écluse serait le lieu de passage ou de délivrance et le bateau représenterait le chemi-

nement d’un état à l’autre. La lumière illustrerait l’éveil à la vie et l’enfant devient ac-

teur de ses faits et gestes.

Maintenant, le lecteur peut prendre la main du petit enfant (le seul à avancer vers

la gauche) pour relire l’album comme une chasse aux indices : qui a préparé quoi ?

Cet album nous offre une double lecture. Les illustrations se complètent et

s’interpellent tout au long d’un cheminement alternant voyages, rencontres et pauses. Le

texte peut se lire comme une poésie en prose, narration en randonnée car la dernière

phrase renvoie au début du texte dans un mouvement circulaire « encore » tout comme

la dernière et la première vignette de bas de page de gauche. Par de subtiles résonnances,

le texte et les illustrations évoquent ce monde ressenti de l’intérieur ou de l’extérieur.

Ainsi, même si les deux postures peuvent être autonomes, la lecture visuelle et la lecture

narrative s’enrichissent et s’embrassent dans de subtils va-et-vient que nous allons étu-

dier pas à pas.

50

Il en est de même à la fin de l’album La famille foulque où tous les personnages, humains et animaux,

présentés dans le cadre des quatre albums édités au Seuil, se retrouvent réunis autour d’un pique-nique au

bord de l’étang. Ces deux images résonnent et illustrent le thème de la convivialité, cher à Anne Brouil-

lard et les résonnances entre ses albums, particularité qu’elle peaufine tout particulièrement.

Page 23: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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B. La description des illustrations

(Chemin de fer de l’album en annexe)

Anne Brouillard dessine et peint directement sur la page blanche de façon à lais-

ser les traits apparents. Ainsi, les cadres ne sont pas nets et, dans un esprit esthétique, le

lecteur peut voir les traces de son travail graphique51

.

1. Les portes

Dès la première de couverture, la grande porte vitrée occupe une place centrale.

Nous la retrouvons dans une vignette rectangulaire, dans le premier tiers supérieur de

toutes les pages paires (de la page 4 à la page 20), puis, après une pause organisée par

les deux doubles-pages illustrées, elle prend la place centrale à la dernière page de

l’album pour laisser passer le petit enfant.

La porte symbolise un espace de passage d’un lieu à un autre : on passe une

porte pour entrer ou pour sortir. Elle permet d’ouvrir ou de fermer son espace. Elle est

un symbole d’accueil ou de protection. Cette porte étant vitrée, elle permet de voir à

l’intérieur et à l’extérieur et elle laisse passer la lumière.

51 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

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« La porte symbolise le lieu de passage entre deux états, entre deux mondes,

entre le connu et l’inconnu, la lumière et les ténèbres, le trésor et le dénuement. La porte

ouvre sur un mystère. Mais elle a une valeur dynamique, psychologique ; car non seu-

lement elle indique un passage, mais elle invite à le franchir. C’est l’invitation au

voyage vers un au-delà … Le passage de la terre au ciel s’effectue, par la porte du so-

leil, qui symbolise la sortie du cosmos, au-delà des limitations de la condition indivi-

duelle. … En Chine, l’ouverture et la fermeture alternatives de la porte expriment donc

le rythme de l’univers. … Dans les traditions juives et chrétiennes, … c’est elle qui

donne accès à la révélation ; sur elle viennent se refléter les harmonies de l’univers. …

La porte est le symbole d’une cosmogonie52

».

Ainsi, la porte illustrerait le titre de l’album car la terre est une planète qui

tourne sur elle-même, autour du soleil et participe de l’univers. « Elle s’entr’ouvre par-

fois puis se referme. Il va se passer quelque chose … un évènement s’annonce à travers

cette porte53

». Elle est fermée au début de l’album et ouverte à la fin : l’enfant s’ouvre à

la vie et est accueilli par les personnages et le lecteur.

Sur la première de couverture, les personnages attendent à l’extérieur de la porte

qui est éclairée de l’intérieur. Elle est peinte des mêmes couleurs que le gros cercle lu-

mineux. Elle occupe toute la moitié droite de la page.

Les rectangles qui entourent la porte ne sont pas bien délimités, quelques traits

de crayons ou de peinture dépassent. Anne Brouillard ne veut pas enfermer l’espace et

le cadre reste ouvert sur le fond de page blanc.

Les couleurs de la porte, du cadre et de la lumière changent au gré des couleurs

des grandes illustrations des pages impaires en vis-à-vis. Accompagnant l’histoire et le

récit, au rythme des saisons, des jours et des nuits, des évènements et des lieux.

- Page 4 : les couleurs du cadre et de la porte rappellent les rochers au premier plan.

Nous sommes en « hiver » et la lumière qui filtre de l’extérieur est blanche rappelant la

lumière se réfléchissant sur la neige. La porte est fermée et dessinée en gros plan.

- Page 6 : les couleurs du cadre et de la porte évoquent les tons rouges et bruns de la

ville. Nous sommes en plein jour, « des petits coins de soleil », et la lumière qui filtre de

52

Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, éditions Robert Laffont/Jupiter, 1996, p.

779-782. 53

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

Page 25: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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l’extérieur est jaune comme le soleil. L’œil du lecteur s’est un peu éloigné car on voit le

reflet de la lumière au sol.

- Page 8 : les couleurs du cadre et de la porte reprennent celles du décor nocturne, « la

nuit est tombée » sur le lac. La luminosité de la lune passe à travers et se reflète au sol

par taches. L’œil du lecteur s’éloigne un peu plus et la porte donne un effet de profon-

deur, comme si l’on avait opéré un zoom arrière.

- Page 10 : les couleurs du cadre et de la porte renvoient à celles du train et de la fête

foraine. La lumière électrique du « manège » illumine à travers la porte. On se rap-

proche de la porte légèrement entr’ouverte.

- Page 12 : les couleurs du cadre et de la porte sont les mêmes que celles de la maison-

bistrot. C’est le « matin » et la luminosité est blanche. L’œil s’est à nouveau éloigné et

le reflet au sol reprend de l’importance. La porte semble entr’ouverte.

- Page 14 : la vignette est dans les tons rouge et orange. C’est « l’après-midi » et « la

lumière derrière la porte vitrée » est jaune et orange. Nous voyons l’intérieur de la

pièce : de chaque côté de la porte se trouve une table avec une chaise posée dessus.

- Page 16 : la vignette porte les couleurs de la salle de cinéma. Une lumière jaune filtre à

travers : celle du soleil (vignettes de bas de page) ou celle du projecteur de cinéma (il-

lustration page 17). Devant la porte coupée (on ne voit pas le haut), deux fauteuils vides

sont posés au sol, face à face.

- Page 18 : les couleurs du cadre et de la porte sont celles du « train ». Un peu de vert

évoque la campagne traversée par le train. La lumière jaune du soleil filtre à travers les

carreaux.

- Page 20 : le cadre et la porte ont les couleurs du paysage de la page 21. C’est le « lever

du jour » et une lumière jaune passe à travers. La porte est légèrement ouverte et laisse

passer un rai de lumière.

- Page 27 : en arrière-plan, la porte occupe la moitié droite de la page. Par ses couleurs,

elle se fond dans le décor boisé. Une lumière jaune intense vient de l’intérieur et se re-

flète sur le sol de l’allée. La luminosité passe d’autant plus que la porte est ouverte par

un petit enfant qui vient vers le lecteur. Il pousse un battant de la porte de la main

gauche et a franchi le seuil de la porte. Il a ouvert le passage, il est souriant, il s’ouvre à

la vie.

Ainsi, la porte illustre bien ce passage entre l’intérieur et l’extérieur. Dans cet

album, elle laisse passer la lumière d’un lieu à l’autre, c’est un espace ouvert et chaleu-

Page 26: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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reux (le jaune est la couleur la plus chaude54

). C’est devant la porte que les personnages

attendent l’enfant avec les présents et c’est par la porte qu’il s’avance vers eux, heureux

et confiant. Le dessin est statique mais évoque le passage du temps : par l’effeuillage de

l’album car la porte accompagne le cheminement des personnages et de la lecture.

2. Les illustrations de pleine page

Les illustrations de pleine page, dessinées à fond perdu, nous content l’histoire

d’une quête d’objets « symboliques » pour accueillir un enfant. Comme un album en

randonnée, elles s’enrichissent au rythme de cette ronde de la vie et de la terre. Les per-

sonnages arrivent les uns après les autres des pages 5 à 13 pour ensuite vivre des évè-

nements, voyager ensemble (à différents moments de la journée et dans toutes sortes de

lieux sur un an55

) et collecter. À sa façon, chacun prépare la fête ou la célébration qui

les rassemblera tous autour de la table pages 24-25. De manière récurrente, les person-

nages arrivent tout d’abord discrètement, en arrière-plan : au centre pour les corbeaux

puis à droite pour les autres, entraînant le lecteur à la page suivante.

Les illustrations de pleine page occupent les pages de droite, les belles pages,

celles où l’œil du lecteur se pose en premier quand il tourne la page avec une rupture

pour les deux doubles-pages (22-23 et 24-25) où la lecture est uniquement iconogra-

phique. Le cheminement s’organise entre des illustrations fixes (pages 7, 13, 15, 17, 21)

à côté d’images de déplacements (pages 5, 9, 11, 19).

L’effeuillage se fait d’autant plus naturellement que nous suivons le « train56

»

sur le pont57

, nous entraînant à tourner les pages vers la droite (dans le sens de la lecture

occidentale). Les personnages et les moyens de locomotion s’orientent et se déplacent

de même vers la droite de la page. « Tourner la page, c’est aller plus loin, ailleurs,

changer de temps58

».

À la fin de notre lecture, nous reviendrons à la première de couverture et chaque

élément trouvera sa signification au fil des pages, dans le cheminement de l’histoire.

54

Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 535. 55

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 56

Anne Brouillard a une véritable passion pour les trains. Petite, elle voulait être conductrice de train. 57

« Le symbolisme du pont, comme permettant de passer d’une rive à l’autre, est l’un des plus universel-

lement répandus. » Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 777.

Il représente donc le passage d’un lieu à l’autre, d’un état à l’autre. 58

E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 22.

Page 27: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Les peintures (à l’œuf) sont mates mais pleines de lumière et d’ombres. Anne Brouillard

a choisi cette technique aqueuse car le résultat est plus gras que l’aquarelle59

.

Les images peuvent se lire à la façon d’un album muet mais, la compréhension

s’enrichit par le texte et réciproquement.

Première de cou-

verture60

Sur la première de couverture, un gros cercle lumineux évoque le

soleil et les traits de pinceaux illustrent le mouvement circulaire.

Nous sommes à l’extérieur (présence d’arbres) et les dix person-

nages regardent le lecteur. Ce regard est une invitation à la lecture.

Anne Brouillard cherche à rendre le lecteur actif, elle nous inter-

pelle. Ils ont l’air heureux et ils semblent attendre (la majorité est

assise). Ils sont comme en pose devant un appareil photo. Les ob-

jets (gâteau61

, coffret, fleurs, ballon rouge) évoquent une fête ou

une célébration à venir. Les humains et les animaux sont traités de

la même façon et vivent en harmonie. Au nombre de dix, ils vont

par paire. On trouve des animaux domestiques (chat, chien) et des

animaux plus sauvages (corbeaux)62

.

Page 5

L’histoire commence en « hiver » dans un décor de neige63

. Les

déplacements orientent le regard vers la droite (le train sur le via-

duc64

, la caravane) et incitent le lecteur à tourner la page car

l’histoire continue. À l’origine, nous sommes des nomades : « Des

gens s’en vont et s’en viennent de par le vaste monde. Certains ne

s’arrêtent jamais parce qu’ils veulent voir ce qu’il y a derrière le

tournant du chemin. » Cette idée de voyage est illustrée par les

roulottes au centre de la page. Puis, nous deviendrons sédentaires

(la maison en arrière-plan) : « D’autres restent toujours au même

endroit parce qu’ils sont très bien là. » ; comme le chien noir65

assis. La présence des deux corbeaux66

symboliserait cette évolu-

tion. Ainsi, l’homme en rouge est descendu avec sa valise, il est

arrivé à destination et nous salue de la main. Plus l’œil du lecteur

s’approche du premier plan et plus les personnages sont statiques.

Le chien noir attendait l’homme en rouge mais le lecteur aussi (il

nous regarde comme une invitation à le rejoindre). L’arbre peut

illustrer nos racines et le sol est plus chaud (il n’y a pas de neige

sur les rochers). Le chien est le compagnon de l’homme, c’est lui

59

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 60

« La couverture transmet l’atmosphère du récit. » E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 17. 61

« C’est un gâteau de fête. Ils attendent l’arrivée du petit pour le manger ensemble car il est assez grand

pour manger du gâteau ! C’est un gâteau traditionnel suédois (ma mère est Suédoise) qui se fait par

couches avec des fruits écrasés entre les couches, recouvert de crème fraîche et décoré de fruits. » Extrait

de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

62 « J’ai une grande affection pour les oiseaux … et aussi pour tous les animaux en général. » Ibidem.

63 Neige que l’on trouve dans son univers dès ses premiers albums Petites histoires, 1993, Il va neiger,

1994. 64

Le train, le pont et ses arcades, motifs et décors récurrents dès son album Voyage, 1993. 65

Personnage récurrent que l’on rencontre dès ses premiers albums Petites histoires, 1993. 66

« Il semblerait que son aspect positif soit lié aux croyances des peuples nomades, chasseurs et pêcheurs,

tandis qu’il deviendrait négatif avec la sédentarisation et le développement de l’agriculture. » Jean Cheva-

lier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 286.

Page 28: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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le fidèle qui garde la maison et attend le retour de son maître. Il

est aussi le guide qui l’accompagne sur les chemins de la vie.

Page 7

Nous sommes maintenant dans un décor urbain « tout le bruit

d’une ville ». L’évolution de l’homme nous a conduits à l’ère du

nucléaire (deux cheminées de centrale nucléaire en arrière-plan).

Dans la ville, des êtres vivants (animaux domestiques, animaux

sauvages, être humains) s’animent. La femme en bleu et son chat

jaune67

attendent d’entrer dans le déroulement de l’histoire et

nous regardent à la fenêtre. Les corbeaux68

entrent par la fenêtre

entr’ouverte. Les grandes vitres laissent passer toute la lumière du

soleil69

dans un lieu chaleureux : « la fête qu’on prépare » (dessin

et gâteau). Les animaux anthropomorphes ont des activités hu-

maines : le chien noir prépare le gâteau avec ses pattes antérieures

devenues des mains. Dans une vision animiste du monde, chaque

être est animé de vie. Les couleurs70

de premier plan (rouge, bleu,

jaune, noir, blanc) sont puissantes et contrastent avec les couleurs

de l’arrière-plan (orange, marron, jaune, vert) plus mates. Cela

donne un effet de profondeur à l’image et le nuage blanc des

cheminées nucléaires ressort d’autant plus en arrière-plan. Anne

Brouillard joue sur les complémentarités des couleurs pour don-

ner cet effet d’harmonie (les gens sont paisibles) et de contraste

(les activités de la ville).

Page 9

L’histoire continue « au fil de l’eau ». « La nuit est tombée » et

les six personnages vont à la rencontre de la femme en vert qui les

attend en haut du viaduc avec sa valise, près d’une charrette de

paille (trace de l’activité agricole dans « un endroit si calme ») : le

train « bruyant » est devenu une charrette « silencieuse ». La va-

lise (sur le bateau et sur le pont) illustre toujours cette idée de

voyage : l’homme est toujours prêt à partir quelque part (« où »).

Par des jeux d’ombre et de lumière au clair de lune, « on regarde

les étoiles briller dans l’eau d’un lac ». Les touches lumineuses

(blanc et jaune) et les couleurs sombres donnent une scène apai-

sante. Les personnages sur les bateaux ressortent par cette lumi-

nosité et la femme sur le pont se fond dans l’arrière-plan. La

Lune71

est le satellite naturel de la Terre qui l’accompagne dans sa

rotation permettant l’alternance des jours et des nuits dans un

mouvement perpétuel. Comme l’animal domestique pour

67

Personnages principaux de l’album Mystère, 1998. 68

Animal « domestique » et anthropomorphe que l’on croise souvent dans l’univers imagier d’Anne

Brouillard. 69

« Le soleil est la source de la lumière, de la chaleur et de la vie. » Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op.

cit., p. 891-896. 70

Couleurs et ambiance (nappe, chaise, lumière …) que l’on retrouve dans la maison de Kÿt, Mystère,

1998. 71

« La lune est liée à la terre dans son essence même et c’est en corrélation avec celui du soleil que se

manifeste le symbolisme de la lune. Elle est symbole de transformation et de croissance. La lune symbo-

lise le temps qui passe, le temps vivant, dont elle est la mesure, par ses phases successives et régulières.

Passive et productrice de l’eau, elle est source et symbole de fécondité. » Jean Chevalier, Alain Gheer-

brant, op. cit., p. 589-595.

Page 29: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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l’homme, elle est sa compagne fidèle. En regardant cette scène

lacustre, on peut penser aux « nymphéas de Monet » car on res-

sent les vibrations de la lumière dans l’eau du lac.

Page 11

Nous retrouvons l’animation de l’activité humaine avec la lu-

mière électrique (le manège et le train). Tout est mouvement et

rondeur : le manège et les avions tournent, le virage du train,

l’arrondi des arbres. Les objets aussi sont ronds : le ballon

rouge72

, le manège73

, la tasse, les verres, le dossier de la chaise, la

table, les arcades du pont. Tout évoque que « la terre tourne tou-

jours dans les ronds … » qui l’accompagnent dans sa ronde. Les

deux canards74

apparaissent sur le pont, le chat jaune accueille

(comme un ami humain) la femme en vert avec une poignée de

« mains ». Elle arrive aussi avec une valise. La femme en bleu a

trouvé le ballon rouge et le montre joyeusement à l’homme en

rouge (tout sourire sur le manège). Les adultes et les animaux

sont heureux à la fête foraine (symbole de jeux enfantins). Les

deux corbeaux occupent le premier plan et boivent du champagne

(boisson festive) dans une posture anthropomorphe. Ils sont

d’ailleurs les seuls à l’intérieur alors que ce sont des oiseaux de

plaine. Les deux coupes de champagne et la tasse de café illus-

trent la convivialité et le plaisir d’une boisson partagée.

Page 13

Nous revenons dans le quotidien, « dans l’air frais d’un matin de

fin d’été » et les neuf personnages sont installés tranquillement

« dans l’air doux où traînent quelques paroles et l’odeur du café,

dans les gouttes de rosée et les pétales de roses ». Le chien est

assis comme un humain et lit le journal. Le chat jaune choisit des

fleurs avec la femme en bleu. Nous sommes toujours dans un

monde anthropomorphe et les animaux ont des compétences hu-

maines. La cafetière rouge75

illustre cet instant chaleureux et con-

vivial du matin. La luminosité vient de l’intérieur de la maison76

maintenant et nous réalisons que la porte récurrente (page de

gauche) est celle de la maison où ils se retrouvent. Le mouvement

s’exprime par « le premier train du jour », « l’écluse » et la pé-

niche qui est aussi une invitation au voyage sur l’eau avec « le

reflet des nuages qui tourne avec la terre. ». Même en pause,

l’invitation au mouvement et au voyage est toujours présente. Les

personnages ont leur valise77

posée à côté d’eux et le reflet des

nuages rappelle le mouvement perpétuel de la terre. « Le chat »

noir attend son tour « près de l’écluse ».

72

Il se promène un peu partout dans l’univers visuel d’Anne Brouillard, dès le début, dans Promenade au

bord de l’eau, 1996, par exemple. 73

On le retrouve dans Voyage. 74

Personnage récurrent aussi dès Cartes postales, 1994. 75

Objet quotidien et présent dans de très nombreux albums dès Le pays du rêve, 1996. 76

« C’est un bistrot du bord du canal ouvert aux aurores. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne

Brouillard du 01/07/2010. 77

La valise représente bien le cheminement qui continue.

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Page 15

Après l’hiver … l’été, la montagne, la ville, le lac, la campagne,

… nous sommes dans un village. L’alternance d’une saison à

l’autre, d’un lieu à l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur est illus-

trée par la femme en vert, à l’extérieur de la maison78

mais regar-

dant à l’intérieur par la fenêtre79

. Où que l’on soit, quoi que l’on

fasse, « la terre tourne même quand on n’y pense pas » et le train

traverse toujours et nous entraîne. Les nuages80

dans le ciel sont

étirés sous l’effet du vent qui les transporte. Le mouvement est

toujours présent même si l’on reste statique. Les dix personnages

sont maintenant rassemblés pour continuer l’aventure ensemble.

L’homme et l’animal vivent aussi dans un esprit d’entraide illus-

tré par l’échelle rouge. Comme pour les fleurs (page précédente),

la femme en bleu demande l’avis du chat jaune pour choisir un

petit gilet jaune.

Page 17

Statiques, nous le sommes dans une salle de cinéma (plan serré),

bien installés dans nos fauteuils devant l’écran. Le lecteur face au

livre occupe la place de cet écran par le regard des personnages,

mis à part le chien noir qui lit le journal « pendant que les images

défilent81

». La vie se déroule comme une bobine de film, avec un

début « les bébés naissent » et une fin « des gens s’en vont » alors

que la terre poursuit sa ronde. Le film cinématographique serait

une métaphore de la naissance et de la mort dans un éternel re-

commencement alors que la terre continue de tourner. Mais aussi,

on se rassemble au cinéma pour partager la vie des autres, une vie

par procuration alors que nous sommes protégés derrière ces

portes. Dans cet espace clos, la lumière vient tant de l’arrière (hu-

blots des portes et projecteurs) que de l’avant (lumière de l’écran).

Si le lecteur accepte cette posture active, il apporte aussi sa part de

lumière à l’album car il est vivant, lui aussi et participe donc à

cette ronde. Cette illustration provoque une cassure dans le rythme

de lecture : il n’y a pas de train ! Le lecteur s’arrête pour le cher-

cher … « le train passe peut-être à l’écran82

? ». Par cette surprise,

l’intérêt du lecteur est relancé.

78

« Je dessine des maisons verticales et étroites car ça fonctionne mieux dans le format de la page. Je

suis aussi influencée par mon univers visuel familier car on trouve ce genre de maisons hautes à

Bruxelles. A l’époque, j’habitais dans une maison avec un œil de bœuf au grenier mais, on trouve beau-

coup ce genre de maisons avec des fenêtres rondes aux deux bouts du grenier en Belgique. » Extrait de

l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

On les retrouve dans de nombreux albums : La maison de Martin, L’orage, par exemple.

79 « Je suis attirée par leur côté mystérieux … Elles signifient ce passage entre intérieur et extérieur, non ?

Les fenêtres font rentrer la lumière du dehors, la lumière et tout le paysage ; et de l’autre côté, quand on

est dehors, on peut se demander ce qu’il y a derrière … Le soir, quand elles s’allument, on voit des mor-

ceaux de vie … Dans les livres, elles sont pratiques pour raconter les histoires, les gens et leurs lieux :

elles permettent de passer, l’air de rien, d’un monde à l’autre. » Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in

Parole, 3/07, novembre 2007, p. 2. 80

Élément très important dans d’autres contextes imagiers tels que La maison de Martin, L’orage. 81

« C’est comme une toile qui se déroule derrière une vitre. À cette époque j’avais peint de grandes toiles

de 12 mètres de haut qui se déroulaient à l’aide d’une manivelle. J’ai repris le concept de cette exposition

dans l’album. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 82

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

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Page 19

Le train prend toute l’illustration et déborde même … Les dix

personnages sont dans le mouvement maintenant. Ils sont « les

voyageurs dans le train qui voient passer le pays » et ils se diri-

gent vers le lecteur. La ligne de la voie ferrée illustre la ligne de

fuite vers un voyage sans fin. Le point de fuite correspond aussi à

la maison (ou la gare) : lieu où l’on s’arrête. Les traits de cons-

truction de cette image guident l’œil vers ce point et donnent une

profondeur à cette surface plane qu’est la page. La cime des arbres

est inclinée vers la droite, nous incitant à tourner la page pour

découvrir où va le train. Le wagon du train sort du cadre de la

page, plongeant le lecteur dans cet espace ouvert (lumière et

ombres des fenêtres du train qui reprennent la rythmique des rails

à l’arrière-plan). Nous sommes entraînés dans ce voyage vers une

destination que nous ne connaissons pas encore. Dans le train, les

personnages vivent : certains discutent ensemble, d’autres regar-

dent le paysage, les chats boivent dans un « mug ».

Page 21

C’est « le lever du jour » et le soleil se lève à l’horizon derrière la

montagne. Les personnages sont arrivés au bord de la mer et le

train a repris sa traversée de la page sur le viaduc, le voyage con-

tinue même si nous assistons à « l’arrivée d’un bateau ». Même si

nous sommes arrivés quelque part, le mouvement est toujours pré-

sent. Les vagues illustrent ce « va-et-vient de la mer ». L’homme

et l’animal vivent toujours en harmonie : le chien noir tient les

chaussures de la dame en vert et le canard aide à collecter des co-

quillages83

dans le coffre. Sont-ils partis pour une chasse aux tré-

sors ?

Toute cette symbolique participe d’un cheminement vers l’accueil d’un enfant :

le soleil et la lune, les jours, les nuits et les saisons qui passent, la terre qui tourne, l’eau,

la collecte de présents, le voyage à travers le temps et l’espace …

Le rythme de lecture s’est organisé autour de cette alternance d’une page sur

deux et le va-et-vient entre les deux. Nous avons maintenant une rupture, une pause

narrative. Le lecteur est surpris. Les quatre pages illustrées vont permettre la mise en

place du décor de la fête. La lecture est uniquement visuelle et chaque élément de

l’album prend sa signification.

83

Le coquillage est ce que l’on ramène en souvenir ou en cadeau, d’un séjour en bord de mer.

« La coquille, évoquant les eaux où elle se forme, participe du symbolisme de la fécondité propre à

l’eau. » Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 283-284.

Page 32: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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« Le livre carré ouvert a l’avantage d’offrir une double-page panoramique84

».

Pages 22 Ŕ 23

Le décor évoque les ciels tourmentés de Van Gogh. Tous les mouvements concourent

vers la droite, vers la table sur l’île. Le viaduc s’arrête en haut à gauche et tous les

voyageurs sont descendus du train, c’est le terminus. Les dix personnages arrivent en

bateau sur l’île où les a précédé le chien noir qui les attend avec une valise. Ainsi, le

chien représente bien le guide de l’homme. La table est vide mais prête à recevoir le

banquet. C’est une table pour la fête avec une nappe rouge et les chaises vides atten-

dent les convives. La femme en vert tient aussi une valise. Nous pouvons penser que

les valises contiennent les couverts et tous les éléments nécessaires au repas.

L’homme en rouge apporte le gâteau et le bateau de la femme en bleu, les fleurs et le

ballon rouge. Les deux canards tirent le coffret sur un petit radeau. Chacun participe à

la préparation de la fête à sa façon. Au centre du tableau, le rouge85

vif de la nappe et

le vert86

brillant de la pelouse tranchent avec les tons mats du décor et les eaux du

lac87

participent de cette tranquillité du lieu. Le rouge et le vert sont des couleurs

complémentaires.

Le cheminement s’oriente vers une fête mais aussi vers l’accueil d’une nouvelle vie.

84

E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 17. 85

« Le rouge est universellement considéré comme le symbole fondamental du principe de vie, avec sa

force, sa puissance et son éclat … jetant comme un soleil son éclat sur toute chose avec une immense et

irréductible puissance. Le rouge vif … incite à l’action ; il est image d’ardeur et de beauté, de force im-

pulsive et généreuse, de jeunesse, de santé, de richesse … Ainsi, il est associé à toutes les festivités popu-

laires, et spécialement aux fêtes de … naissance. Au Japon, lorsque l’on veut souhaiter du bonheur à

quelqu’un : anniversaire, … on colore le riz en rouge. » J. Chevalier, A. Gheerbrant, op. cit., p. 831.

Ainsi, cette nappe rouge augure un heureux évènement.

86

« Le vert entre avec le rouge dans un jeu symbolique d’alternances. Chaque printemps, la terre se revêt

d’un nouveau manteau vert, qui rapporte l’espérance, en même temps que la terre redevient nourricière.

Verte est la couleur du règne végétal se réaffirmant, de ces eaux régénératrices et lustrales, auxquelles le

baptême doit toute sa signification symbolique. Vert est l’éveil des eaux primordiales, vert est l’éveil de

la vie. Le vert est couleur d’eau comme le rouge est couleur de feu, et c’est pourquoi l’homme a toujours

ressenti instinctivement les rapports de ces deux couleurs comme analogues à ceux de son essence et de

son existence. » Ibidem., p. 1002-1007.

Le vert représente donc la nature vivifiante et la jeunesse ou la renaissance à la vie. 87

Ce lac, cette ambiance lacustre, est quelque chose de « très fort » chez Anne Brouillard.

Page 33: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Pages 24 Ŕ 25

La table est dressée et les regards des convives convergent vers la droite, incitant le

lecteur à tourner la page pour découvrir qui est le dernier invité, celui qui va occuper

la chaise encore vide. Le paysage est boisé88

et la ligne d’horizon est lumineuse. La

vue en plongée attire l’œil du lecteur sur la table où sont déposés les objets collectés

tout au long de l’album qui prennent valeur de présents (le journal serait un carnet de

voyages) et de partage (le gâteau …). Le repas attend le dernier personnage car les

assiettes sont vides et le gâteau est entier, contrairement à la page de titre où il en

manque les trois-quarts. Les illustrations sont organisées en boucle comme la terre

tourne inlassablement. Les postures des animaux jouent sur les deux registres : natu-

relles et anthropomorphes.

Page 27

La dernière page de droite comble l’attente du lecteur : le petit

enfant se dirige vers les personnages de l’album qui se retrouvent

à gauche mais aussi vers nous qui sommes face à lui. Il ouvre la

porte et sort de la pleine lumière. Nous retrouvons la porte de la

première de couverture et nous comprenons l’objet de l’attente des

dix personnages : la boucle est bouclée. Ils sont venus pour ac-

cueillir cet enfant (qui a déjà grandi) et célébrer un heureux évè-

nement (anniversaire ou goûter) avec lui. (Les enfants mesurent le

temps qui passe au rythme de leur anniversaire car c’est un mo-

ment important et heureux pour eux). En revenant à la double-

page précédente, nous pouvons nous aussi lui offrir ses cadeaux et

partager le gâteau.

Une nouvelle lecture nous permettra de profiter du temps qui passe car l’enfant a

déjà grandi et la terre continue de tourner à la même cadence au fil de l’eau et des évè-

nements.

3. Les vignettes de bas de page

Sur la page à fond blanc, ces vignettes sont peintes à l’encre et le trait est rehaus-

sé par des crayons de couleurs gras89

.

88

Les arbres, la forêt, les allées arborées … font partie d’un paysage familier dans l’univers d’Anne

Brouillard. « Je m’y sens protégée », avoue t’elle. 89

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

Page 34: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Par quatre, cinq, six ou sept elles occupent invariablement le dernier tiers, en bas

des pages de gauche ou fausses pages. Par une volonté de ligature90

, la première vi-

gnette (à gauche) reprend un élément de la page impaire précédente et la dernière vi-

gnette (à droite) reprend un élément de la page de droite en vis-à-vis (sauf pour la pre-

mière et la dernière). Par sa mise en page originale, Anne Brouillard veut montrer com-

ment dans le « tout grand » on trouve le « tout petit » et réciproquement. Ainsi, le sens

de la lecture se déroule de gauche à droite et l’on passe d’une vignette à l’autre par un

procédé qui s’apparente au « morphing » cinématographique.

En effet, dans chaque bande séquentielle, chaque vignette est une évolution91

,

une transformation92

ou un changement de point de vue93

de la vignette précédente. Lors

de l’effeuillage de l’album, nous assistons au passage de ces bandes séquentielles à la

manière du déroulement d’une bobine de film cinématographique et la mise en page

évoque des planches ou « strips » muettes comme en Bande Dessinée. C’est « la succes-

sion des pages qui forment le « film » de l’histoire94

».

Le contour des vignettes n’est pas net tout comme celui « des portes » pour les

mêmes raisons graphiques et symboliques. D’autant plus que chaque vignette découle

de la précédente.

Ainsi, ces vignettes de bas de page accompagnent le fil de la lecture du début à

la fin comme un guide. Ce cheminement est bien une boucle car, la dernière vignette de

l’album (n° 55) renvoie à la première par un effet de travelling et de zoom : le visage de

la dernière est un gros plan sur celui du bébé de la première95

.

Elles s’organisent aussi en écho avec le texte narratif et complètent ainsi les

autres illustrations. Les vignettes sont donc solidaires et ordonnées dans leur bande mais

peuvent se détacher pour imager un élément du texte.

90

Anne Brouillard utilise une technique similaire dans son album Le pays du rêve notamment, pour signi-

fier le passage d’une dimension à l’autre : du rêve à la réalité et réciproquement. La couleur s’incruste

dans les vignettes en noir et blanc et vice et versa. Ainsi, à la tourne de page, le lecteur bascule naturelle-

ment d’un univers à l’autre. 91

Technique reprise dans d’autres albums : Le sourire du loup, Promenade au bord de l’eau, par exemple. 92

Technique reprise dans d’autres albums : La grande vague, Voyage, par exemple. 93

Technique reprise dans d’autres albums : Le chemin bleu, Le temps d’une lessive, par exemple. 94

E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 19. 95

Technique reprise dans d’autres albums : L’orage, Le pays du rêve, Le rêve du poisson, De l’autre côté

du lac, par exemple. Le point d’arrivée correspond au point de départ, le lecteur revient sur ses pas, tout

comme les personnages.

Page 35: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Page 4

Cette première bande de cinq vignettes illustre la naissance :

- Celle d’un enfant dans le ventre maternel « de tout petits bébés grandissent bien au

chaud dans le ventre de leur mère ». Tout comme la terre est ronde, le bébé est dans

un cercle.

- Naissance de l’univers et des planètes « dans l’univers, entre les étoiles, elle se dé-

place lentement »

- Naissance de la matière et des éléments naturels

« tout est en tout » dans une conception philosophique d’unité du vivant.

Par un effet de « travelling » arrière, l’œil s’éloigne de plus en plus pour une vue

d’ensemble.

Page 6

De la matière brute (le rocher ou la pierre) naît la civilisation urbaine. La société évo-

lue avec ce que lui propose le sol. Cette évolution prend du temps et « les ombres

s’allongent » pour finalement se redresser (les immeubles). « Des petits coins de so-

leil » permettent des couleurs plus lumineuses au fil des vignettes.

Page 8

Par un jeu de formes et de couleurs, nous passons de fleurs blanches sur fond rouge

au reflet de la lune sur l’eau. Puis, par un changement de point de vue (en contre-

plongée) nous regardons la lune dans le ciel. L’abstrait devient concret sous l’effet du

pinceau.

Page 10

« La terre tourne toujours » et le reflet de la lune dans l’eau qui tourne, tout tourne

dans un immense tourbillon. Par un jeu de couleurs et de travelling avant et arrière,

l’image représente le tourbillon du linge dans la machine96

(dessinée en 3D) ou du

café dans la tasse97

. Ici, tout est rond et fait des ronds98

.

96

Cette image renvoie à l’album Le temps d’une lessive, en écho. 97

Cette image renvoie à l’album Voyage, en écho. 98

« Par des dessins fantaisistes, j’ai voulu passer du reflet de la lune dans l’eau qui tourne, à la machine

à laver qui brasse l’eau, au café comme il est remué dans la tasse. » Extrait de l’entretien téléphonique

avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

Page 36: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Page 12

Par un changement de point de vue, on regarde le train défiler de trois-quarts, puis

devant nos yeux. Par un effet de zoom arrière, les montants des fenêtres du train de-

viennent des piquets d’une clôture puis, un portail d’entrée. Ces quatre vignettes ex-

priment bien que la terre tourne et qu’ainsi notre vision des choses évolue même sans

bouger99

.

Page 14

Le reflet des nuages dans l’eau bleue se transforme en branches d’arbre par un jeu de

formes évocatrices et de couleurs de plus en plus foncées. Les éléments de la nature

sont représentés par des effets d’ombre et de lumière.

Page 16

Chaque vignette enferme un élément rond : l’œil de bœuf d’une maison, fenêtres

rondes100

de portes de cinéma ou d’un bateau puis, par un effet de travelling avant,

nous nous rapprochons jusqu’à regarder le soleil. Dans les deux dernières vignettes,

les traits de crayons de couleurs renforcent le mouvement circulaire101

.

Page 18

Nous retrouvons des inventions de l’homme qui invite à la circulation et au voyage :

l’écriture102

et le train. Le graphisme se déforme, la page d’écriture devient un

tronc103

d’arbre et ce jeu de traits horizontaux et verticaux finit par donner naissance à

une voie ferrée. Un autre élément de la nature exploité par l’homme : le bois.

99

Cette idée renvoie à l’album Voyage où la fillette narratrice voit les gouttes de pluie et les paysages

évoluer à travers la vitre du compartiment du train dans lequel elle se trouve assise. 100

Ces images renvoient aux portes à hublot dans l’album Le pays du rêve. 101

« Ces portes avec des fenêtres arrondies se trouvent sur les bateaux de traversée, pour passer sur le

pont, ou bien, au bout de certains wagons des trains français, pour passer d’un wagon à l’autre par une

double porte. On peut les trouver aussi à l’arrière des trains ou sur les portes des salles de cinéma. »

Extrait de l’entretien téléphonique du 01/07/2010.

102 Cet aspect pictographique est tout particulièrement développé au fil des pages de l’album Cartes pos-

tales. 103

Troncs de bouleaux caractéristiques des forêts suédoises telles que le lecteur les découvre dans Mys-

tère, 1998.

Page 37: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Page 20

Cette séquence s’organise autour d’un travelling avant (les deux premières vignettes),

une transformation (la vignette centrale) et un travelling arrière (les deux dernières

vignettes). Ainsi, par ces changements de points de vue, le « mug » devient un phare.

Page 26

Par un zoom avant progressif, le nœud d’un arbre devient un visage souriant qui ren-

voie à celui de l’enfant (page 27) mais aussi à celui de l’enfant de la première vignette

(page 4). Ainsi, la boucle est bouclée et « La terre tourne, tranquillement. Les bébés

qui grandissaient bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. … Pendant ce

temps, d’autres bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la

terre tourne encore. »

C. Le fil de la narration : le texte104

« Le texte peut être lu indépendamment des illustrations comme une poésie en

prose105

. Il ne parle jamais directement des personnages des illustrations de pleine

page106

». Par touches, avec une alternance de phrases courtes et longues, nous chemi-

nons au rythme de la terre qui tourne. Nous avançons au rythme des saisons, des jours et

des nuits, nous voyageons avec des moyens de transport, nous nous arrêtons pour vivre

des évènements ou tout simplement le quotidien … mais, quoi que l’on fasse, la terre

tourne toujours et, à la manière d’une ritournelle, chaque paragraphe (ou strophe) com-

mence par cette vérité universelle « la terre tourne ». Le verbe « tourner » est répété

seize fois tout au long de l’album. Le vocabulaire comme la ponctuation, la narration

s’organisent autour de répétitions. À l’image des illustrations qui renforcent cette sym-

bolique du temps qui passe, tout nous évoque ce mouvement inexorable.

Avec une intention résolument optimiste, la narration nous parle de la vie qui va-

et-vient comme une ronde où tout le monde est entraîné, vers des lieux inconnus ou de

nouvelles rencontres car, même ceux qui restent sur place vivent dans ce mouvement

104

« J’écris comme ça me vient … ce que je ressens. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne

Brouillard du 01/07/2010.

105 Le lecteur peut aussi apprécier ce style de narration dans les albums Sept minutes et demie et Voyage,

notamment. 106

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

Page 38: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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imperceptible mais visible dans toute chose qui bouge ou se déplace. Cette vision philo-

sophique de la vie nous entraînant, « au fil de l’eau107

», est illustrée par l’image du

« pont » nous permettant de passer d’un lieu à l’autre, d’une rencontre à l’autre. Nous

sommes tous de passage sur terre.

La narration est écrite au présent108

. Ce choix temporel permet justement

l’expression du temps qui passe. Par le présent, le temps passe pareillement pour tout le

monde et le quotidien participe de ce présent de vérité générale : « la terre tourne ».

Cette force du voyage nous poussant toujours en avant s’interrompt par une

pause narrative de deux doubles-pages (pages 22 à 25). Nous sommes « arrivés à bon

port109

», tout comme les personnages, nous pouvons « poser nos valises110

» le temps

d’une lecture visuelle avant de retrouver le rythme narratif de la terre qui tourne à nou-

veau car, « de nouveaux bébés vont naître » et nous continuons notre ronde de la vie.

Ainsi, la prose revient pour nous ramener à la réalité du quotidien. Les quatre saisons

sont passées et l’enfant est devenu acteur de sa vie tout comme le lecteur est actif dans

son interprétation.

La pause illustrative a occasionné un changement de mise en page aussi. En ef-

fet, des pages 4 à 20, le texte se trouve invariablement au centre des pages de gauche, ou

fausses pages, inséré horizontalement entre « la porte » et « les bandes séquentielles

illustratives » alors que la dernière page redonne toute sa force au texte : il est central et

reprend l’ampleur du début. Après avoir été réduit à deux lignes (page 20), le lecteur

reprend un rythme de lecture longue qui renvoie à la première page (4).

Ainsi, tout participe de ce rythme à la fois tranquille et fort. À la manière des

illustrations (premières et dernières vignettes) et de l’orientation des personnages des

premières (vers la droite) et de la dernière page (vers la gauche) en vis-à-vis, le dernier

texte commence par la même phrase que le premier « la terre tourne tranquillement » et

les évocations sensorielles s’interpellent : « vent d’hiver, porte claque, le va-et-vient

… ».

107

Cet élément narratif est tout particulièrement à l’honneur dans l’album Promenade au bord de l’eau. 108

Anne Brouillard se place dans l’instant présent dans l’essentiel de son œuvre. Ainsi, le lecteur vit avec

et au rythme des personnages. Le lecteur participe au mouvement « ici et maintenant ». Chaque instant est

unique. 109

Cette idée rappelle l’album De l’autre côté du lac, entre autre. Une fois arrivés, les personnages profi-

tent pleinement de l’instant avant de … repartir. 110

Cette idée rappelle l’album Le chemin bleu, où le personnage est parti puis revient « poser sa valise ».

Page 39: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Page 4 :

« La terre tourne tranquillement. Dans l’univers, entre les

étoiles, elle se déplace lentement. Pendant ce temps, de tout

petits bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur

mère. Le vent d’hiver souffle dans la plaine. Les arbres

grincent . Une porte c laque. Des gens s’en vont et s’en

viennent de par le vaste monde. Certains ne s’arrêtent jamais

parce qu’ils veulent voir ce qu’il y a derrière le tournant du

chemin. D’autres restent toujours au même end roit parce

qu’ils sont très bien là. »

La première phrase reprend le titre de l’album. Les adverbes nous posent dans

un univers calme : « tranquillement, lentement » et annoncent le rythme de lecture. Ce-

pendant, la présence de phrases très courtes et de verbes sonores « grincent, claque111

»

annoncent des pauses fortes dans ce rythme universel. Nous sommes tous entraînés au

même rythme de la terre mais nous faisons chacun des choix : « aller-venir, partir ou

rester ». Le texte est en prose mais on y trouve des sonorités récurrentes : « terre, uni-

vers, mère, hiver » ; « tranquillement, lentement, pendant, temps, ventre, vent, gens,

s’en, tournant » qui donnent une tonalité poétique au texte. Le lecteur lit mais ressent

aussi la narration. De par son vocabulaire, Anne Brouillard sollicite nos sens et nous

interpelle sur le temps qui passe au même tempo alors que nous vivons au rythme des

cycles humains et naturels.

Page 6 :

« La terre tourne et avec elle, des mots et des sons mélangés,

des petits coins de soleil, des avions qui passent haut dans le

c i e l , l e b o u r d o n n e m e n t d ’ u n e m o u c h e , l ’ a u t o b u s q u i

démarre, les chemins qui ne s’arrêtent pas, les bébés qui

grand issen t , le s o mb res qu i s ’a l lo ngen t , la fê te qu’on

prépare, tout le bruit d’une ville. »

La terre entraîne tout dans sa ronde. Rien n’y personne n’y échappe, la vie

avance et le temps passe : « les bébés grandissent, les ombres s’allongent …» sans

s’arrêter : « les chemins qui ne s’arrêtent pas ». Le soleil accompagne toujours la terre

dans sa ronde. Cette longue phrase énumérative qui semble ne jamais s’arrêter sonne par

ses noms évocateurs de bruits : « sons, avions, bourdonnement, autobus, fête, bruit,

ville ».

111

Ambiance sonore que le lecteur retrouve dans Sept minutes et demie, Le chemin bleu, par exemple.

Page 40: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

40

Page 8 :

« La terre tourne encore quand la nuit est tombée et qu’on

entend partir le dernier train du soir. On regarde les étoiles

briller dans l’eau d’un lac, dans un endroit si calme qu’on

entend chaque bruit, le clapotis de l’eau, le craquement

d’une branche, les mots d’une conversation. On se demande

où s’en va le soleil, où von t les gens du train, où sont ceux

qui sont morts, ce que deviennent les endroits qu’on ne voit

plus, où sont ceux qu’on ne connaît pas encore. »

La terre est personnifiée et sa ronde est inéluctable : « encore ». Par la récur-

rence du pronom indéfini « on112

» tout le monde est concerné par ces questions méta-

physiques autour de la vie et de la mort. Ce texte se lit en résonnance : la nuit / le soleil ;

calme / bruits ; aller / mourir ; passé / avenir. Que ce soit dans le temps « quand » ou

dans l’espace « où », nous cherchons à comprendre le monde alors que « la terre tourne

encore » car elle ne s’arrête jamais même si l’on s’arrête pour « entendre et écouter ».

Page 10 :

« La terre tourne toujours dans les ronds de fumée, dans les

bruits des couverts et les tintements des verres, dans les

gouttes de pluie qui font des ronds dans l’eau, dans les roues

d’un vélo, au son d’un manège, dans le claqu ement d’une

porte. »

L’adverbe « toujours » renforce l’idée que cette ronde est éternelle. Tout ce qui

nous entoure nous évoque cette ronde, même les sonorités, même les bruits secs et nets :

« claquement ». L’allitération en « r » accompagne musicalement cette ronde perpé-

tuelle : « terre, tourne, toujours, ronds, bruits, couverts, verres, roues, porte » présente

« dans » notre environnement car cela nous la rend perceptible.

Page 12 :

« La terre tourne dans l’air frais d’un matin de fin d’été, dans

l’air doux où traînent quelques paroles et l’odeur du café,

dans les gouttes de rosée et les pétales de roses. Et le reflet

des nuages tourne avec la terre. Et les bébés qui vont naître,

et le chat près de l’écluse, et le premier train du jour,

tournent avec la terre. »

Le temps et les saisons passent. Le présent prend une valeur de futur proche

« les bébés qui vont naître » et la répétition de « et » accumule les preuves de ce temps

112

Pronom personnel sujet récurrent dans Voyage aussi.

Page 41: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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qui passe car tout « tourne avec la terre ». L’assonance en « é » adoucit ce tourbillon qui

nous entraîne : « été, café, rosée, pétales, reflet, bébés, écluse ».

Page 14 :

« La terre tourne même quand on n’y pense pas, quand

l’après-midi s’annonce doux, au coin d’une rue, à l’ombre

d’un arbre, à l’abri du vent qui ne cesse de transporter

des nuages d’un bout à l’autre du pays. Elle tourne dans

l’odeur de l’asphalte au soleil, dans la lumière derrière la

porte vitrée.»

Ce mouvement de la terre est inévitable. Même si nous l’oublions, il existe et

nous entoure. Nous ne pouvons pas maîtriser le temps qui passe113

, il nous accompagne

partout. La nature est là pour nous le rappeler : « le vent, les nuages, le soleil » par toute

sorte de sensations : « douceur, chaleur, odeur ». « Même » « à l’abri » nous ne pouvons

lui échapper.

Page 16 :

« Elle tourne, la terre, dans des lieux où les bruits sont

étouffés par de gros tapis moelleux. Elle tourne au son d’une

musique qu’on entend derrière la porte. Pendant que les

images défilent, les bébés naissent, les arbres grandissent,

des gens s’en vont, les voitures s’arrêtent aux feux rouges

dans la nuit orange des vi l les. La terre tourn e dans un

moment de silence. »

Par une mise en apposition de la terre, ce texte casse le rythme de lecture. Le

lecteur est surpris et la narration reprend un nouveau souffle. Ce paragraphe est toujours

sonore « bruits, son, silence » mais aussi visuel et coloré « rouges, orange ». Que l’on

soit à l’intérieur ou à l’extérieur, dans un lieu bruyant ou calme, en mouvement ou arrê-

té, la vie continue au rythme de la terre qui tourne. Maintenant, « les bébés naissent »,

ils sont prêts à entrer dans cette ronde. Nous pouvons y lire le temps qui passe : « les

bébés grandissent dans le ventre de leur mère, les bébés grandissent, les bébés vont

naître, les bébés naissent ».

Page 18 :

« Pendant que la terre tourne dans un sens, un train roule

dans l’autre sens. Les voyageurs dans le train voient passer le

113

Même quand le réveil s’est arrêté dans la maison abandonnée dans Le pays du rêve, le temps passe et

continue son érosion inéluctablement.

Page 42: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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pays, les habitants du pays regardent passer le train. »

Même la simultanéité n’enraye pas cette ronde. Nous ne pouvons pas remonter

le temps. Que l’on aille dans un sens ou dans l’autre, que l’on soit en voyage ou sur

place, la terre tourne pareillement pour tout le monde. Pour Anne Brouillard, « le

train114

» symbolise ce cheminement. Par la fenêtre du train, nous voyons défiler le pay-

sage tel un film115

. La fenêtre du train s’apparente à un écran de cinéma.

Page 20 :

« La terre tourne avec l’eau des rivières, le va-et-vient de la mer,

le souffle du vent, le lever du jour, l’arrivée d’un bateau. »

La rotation de la terre accompagne toute vie.

Page 26 :

« La terre tourne, tranquillement. Les bébés qui grandissaient

bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. Ils

claquent les portes, écoutent le vent d’hiver. I ls vont et

viennent de par le monde, attendent la lune la nuit au bord

d’un lac, écoutent la mer, la musique derrière la porte,

l’autobus qui ralentit, le craquement d’une branche, le son

d’une cloche. Pendant ce temps, d’autres bébés grandissent

bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la terre tourne

encore. »

Ce dernier texte est une incitation à une relecture car, chaque proposition rap-

pelle un passage antérieur. Nous retournons au début : « la terre tourne tranquillement ».

Ainsi, la narration devient une ronde, au rythme de la terre qui continue de tourner sans

jamais s’arrêter, et toujours au même rythme, quoi qu’il se passe. Ainsi, le passé « gran-

dissaient » ; « sont nés » nous positionne après la naissance, et, comme les enfants vi-

vent le monde, nous allons relire le texte à la lumière de notre première lecture. Par un

changement de point de vue, les bébés deviennent acteurs et sujets :

- Ils claquent les portes / une porte claque (p. 4) ; le claquement d’une porte (p. 10)

114

« Le train s’inscrit parmi les symboles de l’évolution. Le réseau de Chemin de Fer, assurant le trans-

port des voyageurs et des marchandises, met ainsi en liaison toutes les régions d’une nation, voire de

plusieurs continents, et permet toutes les communications et tous les échanges. Il s’affirme comme une

image du principe cosmique impersonnel, imposant sa foi et son rythme inexorables. C’est l’image de la

vie collective, de la vie sociale, du destin qui nous emporte. » Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit.,

p. 961-963.

Tout le monde partage la vie sur Terre dans l’unicité de sa ronde. 115

L’album Voyage illustre parfaitement ce défilement du paysage alors que les voyageurs sont assis dans

le train qui passe.

Page 43: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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- écoutent le vent d’hiver / le vent d’hiver souffle (p. 4)

- Ils vont et viennent de par le monde / des gens s’en vont et s’en viennent (p. 4)

- attendent la lune la nuit au bord d’un lac / la nuit est tombée / l’eau d’un lac (p. 8)

- écoutent la mer / le va-et-vient de la mer (p. 20)

- la musique derrière la porte / une musique qu’on entend derrière la porte (p. 16)

- l’autobus qui ralentit / l’autobus qui démarre (p. 6)

- le craquement d’une branche / le craquement d’une branche (p. 8)

Ils sont entrés dans cette ronde qu’est la vie. La terre continue de tourner « en-

core » et le cycle de la vie perdure simultanément « pendant ce temps, d’autres bébés

grandissent bien au chaud dans le ventre de leur mère ». Ce ne sont pas les mêmes bé-

bés, car tout se renouvelle dans le changement au rythme de la terre qui tourne, nous

entraînant, toujours dans le même sens et toujours à la même cadence.

Sous – conclusion

Le projet initial d’Anne Brouillard était de réaliser un album qui traiterait paral-

lèlement du déroulement d’une année entière (la terre tourne autour du soleil en une

année) et d’une journée (la terre tourne sur elle-même). Ainsi, la narration commence et

finit en hiver avec des pauses et des évènements à différents moments de la journée.

« Tout commence par une histoire, … qu’elle soit spontanément proposée par l’auteur-

illustrateur116

». Ici, un coup de téléphone de Kitty Crowther lui annonçant sa première

grossesse, alors qu’elle-même se trouvait en plein centre de Paris, dans un univers

bruyant et lumineux, en a été le déclencheur.

Elle voulait montrer la dualité dans la globalité (le « tout petit » dans le « tout

grand », l’intérieur et l’extérieur, le côté chaotique face au silence117

) alors que le che-

minement continue : des gens voyagent de par le monde à des endroits différents, et la

terre tourne toujours, imperturbablement.

Le texte et les images sont presque indépendants. Cependant, par le voyage, au

rythme des relectures, les liens se tissent et se croisent. Nous mesurons le temps qui

116

E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 7. 117

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

Page 44: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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passe par les déplacements (textuels et visuels) et les évènements. Par son phrasé, ses

vignettes, le train, le pont … Anne Brouillard nous montre que tout bouge tout le temps

au rythme de départs, de pauses et d’arrivées.

Cet album est l’œuvre d’une auteure-illustratrice mais nous trouvons deux narra-

teurs. Les vignettes, en suggérant « l’avant et l’après, les similitudes entre les choses

proches et les choses lointaines118

», illustrent le fil de la narration de « mise en page »

par ces ligatures entre les pages. Le narrateur visuel montre les personnages (humains et

animaux ensemble) qui se rejoignent, voyagent un peu partout, à différents moments,

utilisent différents moyens de locomotion, collectent des objets et préparent la fête du

jeune enfant. Le narrateur textuel, omniscient, écrit une poésie en prose sur le temps qui

passe, quoi que l’on fasse, où que l’on soit, la terre tourne invariablement pour tous et

partout, tout le temps, de la même façon. Chacun prend son train et passe le pont.

Par cet album emprunt de questionnements métaphysiques, nous cherchons à

comprendre le monde, celui qui nous entoure et celui qui nous échappe. « Le lecteur

interprète l’œuvre, lui donne un sens plus particulier selon ses propres schémas de pen-

sées, ses attentes, ses questionnements du moment. Cette nouvelle conception de la lec-

ture a elle-même généré de nouvelles manières d’écrire et de publier pour les

fants119

».

« Pendant que les bébés poussent dans le ventre de leur mère », cet album inter-

roge la notion de tout ce qui se passe en même temps tout autour, par ces bruits de

toutes ces vies entrecroisées et le silence. « L’album sert de support, … pour apprendre

aux enfants non seulement à lire, mais aussi à structurer leur pensée, à comprendre le

monde, les autres120

». Ainsi, cet album, « dans sa singularité esthétique, invite son lec-

teur, ses lecteurs, à une expérience littéraire inédite, une expérience de

l’intranquillité121

» dans ce monde qui peut être tranquille parfois, bercé par la terre qui

tourne.

118

Ibidem. 119

E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 5. 120

Ibidem., p. 6. 121

Textes réunis et présentés par C. Connan-Pintado, Florence Gaoitti et Bernadette Poulou, L’album

contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, Modernités 28, PUB, 2008, p. 10.

Page 45: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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II. Quelques résonnances lexicales et thématiques

Analyser et comparer les résonnances « textuelles » à partir du texte de La terre

tourne et en tenant compte des seuls textes, indépendamment des illustrations est justi-

fiable par la déclaration d’Anne Brouillard qui avoue « travailler le texte indépendam-

ment, pour le texte en lui-même, le texte en tant que texte à part entière. Dans Le rêve

du poisson, il y a beaucoup d’informations dans le texte, je n’ai pas la même liberté que

pour les textes poétiques comme La terre tourne, Sept minutes et demie par exemple122 ».

Cependant, les textes entrent en résonnance par constellations entrecroisées aussi. Ainsi,

par exemple, la lecture d’un texte comme Le chemin bleu (avec le cheval blanc123

) va

évoquer le cheval blanc dans Le rêve du poisson. Le silence est aussi un thème évoqué

dans de nombreux albums tout comme le mystère … Ce travail est d’une telle ampleur

que la place nous manque ici. Cette amorce reste donc une invitation à lire et relire les

albums d’Anne Brouillard à la lumière de tous ses albums.

Son premier album avec texte est Voyage et date de 1994. Il s’agit de son cin-

quième album édité. Au regard de sa bibliographie en tant qu’auteure-illustratrice, elle a

réalisé quinze albums avec texte sur vingt-cinq albums en tout.

Anne Brouillard reconnaît, que le texte prend de plus en plus de place dans ses

albums :

« - Vous donnez beaucoup de place à l’écriture. Maturation naturelle ou envie secrète

depuis longtemps ?

- Cela dépend du genre d’histoire. Dans Le pays du rêve et Le chemin bleu il y avait déjà

pas mal d’écrit. Le rêve du poisson avait besoin de passer par l’écrit, car il y a des choses

que je ne pouvais pas mettre dans les images uniquement. J’aime écrire et je sens bien

aussi qu’il y a une évolution dans mon travail.

- L’alternance du récit en images et de l’écrit libère des pages entières traitées en bande

dessinée, assez proches du roman graphique …

- C’est ce que je sens évoluer dans mes projets qui ne sont pas encore aboutis. J’aimerais

intégrer des passages en vraie bande dessinée, avec des bulles et du texte, des dialogues.

Mais ce n’est pas calculé d’avance, cela vient naturellement dans la façon de travailler qui

est, une fois de plus, liée à l’histoire124

».

122

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 03/12/2010. 123

À ce propos, lors de son exposé, « Les albums d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique », Patrick

Joole remarque très justement que « la présence récurrente d’un cheval blanc est l’indice de ce Pays où

l’on n’arrive jamais (André Dhôtel) ainsi que l’image de ce paradis perdu, objet d’une quête impossible.

Mais, chez Anne Brouillard, l’objet de la quête est moins important que le caractère circulaire de

l’itinéraire qui permet au promeneur de participer à sa manière à la marche du monde. »

Car, elle reconnaît avoir été marquée par cette histoire qu’elle a entendue sous forme de feuilleton radio-

phonique dans son enfance. « C’est l’ambiance mystérieuse qui m’a marquée et dont je garde un profond

souvenir. Par contre, je crois que Gaspard est le prénom du garçon. Dans l’album, c’est le chat qui

s’appelle Gaspard », comme chez Claude Roy … 124

Source : http://www.hebdodesnotes.com/analyse/auteur.php/auteur/719868/BROUILLARD-Anne

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En effet, au regard de ses premiers et de ses derniers albums, le narrateur textuel

est de plus en plus prolixe, fort, voire prédominant parfois. Cependant, la mise en page

de l’album ménage presque toujours des doubles-pages d’illustrations de pleine page à

fond perdu car, nous restons dans le domaine de l’album125

avec une illustration narra-

tive à part entière aussi.

« J’ai choisi illustration et pas peinture dans mes études ! Le côté narratif … travailler

pour mettre l’image au service de quelque chose de littéraire, l’image qui raconte quelque

chose, j’avais envie de faire des livres mais j’avais l’impression d’y voir une limite, hors, il

n’y en a pas, c’est sans fin … Je fais des livres pas spécialement pour les enfants mais pour

les enfants aussi, ce n’est pas si simple à expliquer … le créneau est d’une grande liberté,

les possibilités sont énormes en fait126

».

Le texte explique, éclaire, guide le lecteur qui pourrait s’égarer dans diverses in-

terprétations non voulues par le narrateur visuel. Comme le dit Catherine Tauveron127

,

« tout n’est pas permis dans l’interprétation » ainsi, la lecture du texte est une lecture à

part entière, la lecture des illustrations en est une autre et les deux associées s’éclairent

pour générer d’autres lectures texto-imagières, celles de l’album, « puisque le système

narratif de l’album pour enfants (…) est fondé sur un dispositif qui entremêle de ma-

nière spécifique textes et images128

». Sans oublier que, chez Anne Brouillard, la tech-

nique tout comme le texte sont au service de l’histoire racontée.

Mais aussi Anne Brouillard précise quand le texte devient nécessaire :

« - Le texte vient quand ?

- Je les commence en parallèle, j’ai tendance à terminer par le texte, point final après les

images.

J’ai eu un problème d’emplacement dans Le grand murmure, de par la limite de la place

laissée pour le texte … En fait, chaque album a son histoire, cela dépend du sujet, de ce

qui est raconté.

Le grand murmure par exemple est plus sobre, c’est une conversation téléphonique entre

deux enfants, l’espace entre les deux cabines téléphoniques, le déplacement des person-

nages, le rapport entre le texte et les images, les enfants ne voient pas ce qui se passe dans

les images. Ici, le texte fait partie du paysage. Un livre est une perpétuelle construction,

tout n’est pas conçu avec un début et une fin et des suites logiques. Une histoire dans un

espace, ce qui est raconté dans le texte et les images, c’est cet espace. Dans Le rêve du

poisson, Le pays du rêve, c’est vraiment une histoire avec des données, il y a des choses qui

doivent être expliquées dans le texte pour situer les actions. La terre tourne, encore plus

libre, ce texte là …

- Tous les thèmes de tous vos albums sont en germe dans la première page ?

C’est l’histoire des chemins, des gens qui ne s’arrêtent jamais… Revenir au point de départ,

il y a beaucoup de tendresse, dans l’harmonie, pas d’agressivité. On croise toujours

125

« …dès que l’on a tenté de mettre en lumière l’unicité de l’album, on est obligé de laisser leur place

aux différences, la première et la plus centrale se situant dans le rapport entre textes et images. » J. F.

Massol, in Texte et images dans l’album et la bande dessinée pour enfants, Scérén, CRDP Académie de

Grenoble, 2007, p. 11. 126

Rencontre au salon « vivons-livre » à Toulouse le 07/11/2010. 127

« Les droits du lecteur ne peuvent outrepasser les droits du texte. » Catherine Tauveron, Lire la littéra-

ture à l’école, Hatier, 2002, p. 31. 128

J. F. Massol, op. cit., p. 27.

Page 47: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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l’homme dans un environnement qu’il comprend, il connaît sa juste place, même l’orage

n’est pas dévastateur, et l’homme se sent rassuré, dans une contemplation paisible.

- Dans La terre tourne, je pense que c’est vrai. Le rond amène à la boucle, la douceur.

- La forme ronde dans vos livres. Le côté boucle, tout tourne en rond, on tourne en rond.

- C’est mon interprétation de la vie, ce qu’on va mettre dans un livre, la façon dont on

ressent l’existence. On revient au même endroit souvent, on ne peut pas s’échapper de soi

où qu’on aille. Le retour, on naît, on vit, on meurt, ça continue et c’est sans fin129

».

Ne serait-ce que par cette construction en boucle qui se réitère à l’infini, de fait, il

y a des répétitions logiques, avec une idée d’histoires sans fin. C’est son style

d’expression, celui qui lui tient à cœur depuis son enfance.

Cette structure en boucle se retrouve aussi au niveau de ses textes. Par une lec-

ture organisée en cercle certes, mais, tout comme ses images ne sont pas cernées et les

bordures de ses cadres sont floues, au rythme des lectures successives, les cercles

s’élargissent par couches superposées. L’analogie peut se faire aussi avec sa technique

artistique plastique car ses peintures sont réalisées par des couches fines, transparentes

les unes sur les autres avec du crayon de couleurs par ci par là afin de rehausser les cou-

leurs ou donner des effets de lumière. Ainsi, le narrateur textuel incite le lecteur à reve-

nir au point de départ, au début du texte et cette lecture circulaire s’apparente à des spi-

rales de plus en plus larges jusqu’à … l’infini. Par ces cercles concentriques, le lecteur

ne repart jamais vierge mais plus riche pour une nouvelle lecture, une nouvelle histoire

à redécouvrir par ces « petits fils à tirer », petits détails à dénicher à chaque lecture pour

savourer ces résonnances qui s’installent progressivement et s’enrichissent mutuelle-

ment.

Les personnages aussi reviennent sur le lieu de départ, le lieu de leur enfance,

enrichis par leurs expériences, leurs aventures, leurs rencontres, leurs voyages …, ils

peuvent revivre leur enfance avec leur point de vue d’adulte, avec le recul sur leurs sou-

venirs. « Quand on part en voyage et qu’on revient après, on est toujours un peu diffé-

rent. On ne revient jamais tout à fait le même130

». Eux aussi, tout comme le lecteur, ils

vont et viennent au rythme de la terre qui tourne inexorablement, toujours au même

rythme pour tous, où que l’on soit et quoi que l’on vive. « On est tous de passage sur

terre et pourtant, elle tourne, la Terre, sans jamais s’arrêter, quoi qu’on fasse toujours au

même rythme !131

».

129

Rencontre au salon « vivons-livre » à Toulouse le 6 novembre 2010, extrait de l’interview par Nicole

Folch. 130

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 131

Ibidem.

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Cette structure en boucle peut s’observer à différents niveaux :

● La première phrase renvoie à la dernière phrase :

- La terre tourne

- Le grand murmure

- Il va neiger

- Sept minutes et demie

- La maison de Martin

● D’un point de départ à une arrivée qui propose un nouveau départ :

- La terre tourne

- Voyage

- De l’autre côté du lac

● Le point de départ correspond au point d’arrivée :

- Il va neiger

- Mystère

- Reviens sapin

● Du lieu de l’enfance au retour sur le lieu de l’enfance :

- Le chemin bleu

- Le pays du rêve

- Le rêve du poisson

● D’un lieu point de départ au même lieu après un changement ou un bouleversement :

- Le bain de la cantatrice

- La maison de Martin

● Une communication : questions / réponses :

- Conversation : Le temps d’une lessive

- Correspondance : Cartes postales

L’étude tente de s’attacher aussi à mettre en lumière les sonorités, les jeux de

mots et de sons, les thèmes, les formes narratives (à la première personne ou à la troi-

sième personne, poétique, épistolaire …) cependant, il en existe bien d’autres encore à

découvrir et à explorer.

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A. Les résonnances lexicales page par page

Ici, il s’agit d’abord de dégager les résonnances lexicales à partir de La terre

tourne afin d’en apprécier leurs effets sur le lecteur.

Au fil de la narration textuelle, quelles résonnances peut apprécier le lecteur ?

Quels effets cela évoque t’il en lui ? Au rythme de cette terre qui tourne, encore et tou-

jours. Le mouvement perpétuel de la terre donne le « la » comme un diapason. Chaque

album devient un instrument que le lecteur-musicien accorderait sur ce mouvement

harmonieux.

La terre est considérée dans plusieurs de ses acceptations car ce mot est polysé-

mique en langue française. Le dictionnaire « Littré » répertorie 27 définitions. Parmi ces

définitions, douze items intéressent La terre tourne :

1. Sol sur lequel on marche, et qui produit les végétaux. Un tremblement de terre.

2. Sous terre, sous la superficie de la terre. Creuser une habitation sous terre. Mettre des conduits sous

terre.

3. La couche qui produit les plantes, la substance même d'un sol arable. Terre forte, légère, grasse. Terre à

blé. Terre végétale, terre naturelle, répandue partout en épaisseur inégale, et propre à la végétation, dite

aussi terre franche.

4. La terre considérée relativement à sa composition et comme une matière ou substance particulière.

Terre calcaire. Terre siliceuse.

5. Nom donné par les anciens philosophes à l'un des quatre éléments qu'ils supposaient dans les corps. La

terre, l'eau, l'air et le feu.

6. Planète qui fait sa révolution annuelle autour du soleil en trois cent soixante-cinq jours, six heures et

quelques minutes, et qui tourne sur elle-même en vingt-quatre heures. ♦ Que l'homme contemple la nature

entière dans sa haute et pleine majesté.... que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour

que cet astre [le soleil] décrit, PASC., Pens. I, 1, éd. HAVET. ♦ La terre elle-même est emportée avec une

rapidité inconcevable autour du soleil, LA BRUY., XVI ♦ La terre est soumise, comme les autres planètes,

aux lois des mouvements, MONTESQ., Lett. pers. 113 ♦ Il n'est plus possible de douter que cette même

terre si grande et si vaste pour nous ne soit une assez médiocre planète, une petite masse de matière qui

circule avec les autres autour du soleil, BUFF., Théor. terr. part. hyp. Oeuv. t. IX, p. 302 Le premier

résultat que l'on peut admettre comme vérité, c'est que la terre a été originairement fluide ; ses parties,

animées par la pesanteur et liées par la cohésion, n'auraient pas obéi à la petite force centrifuge, si elles

n'avaient été molles ou plutôt liquides et capables de glisser facilement ou de couler les unes sur les autres,

BAILLY, Hist. astr. mod. t. III, p. 42 Cassini estime qu'un homme à pied, marchant, par un beau chemin

et du même pas, douze heures par jour, ferait le tour de la terre en deux ans, BAILLY, Hist. astr. anc. p.

146 ♦ Tout porte à croire que la masse intérieure du globe est encore douée maintenant de sa fluidité

originaire, et que la terre est un astre refroidi, qui n'est éteint qu'à sa surface ; ce que Descartes et Leibnitz

avaient pensé, CORDIER, Instit. Mém. scienc. t. VII, p. 538

- Le globe terrestre. Que savons-nous si la terre entière n'a pas des causes générales, lentes et impercep-

tibles de lassitude ?, MONTESQ., Lett. pers. 113 ♦ Une partie du globe se prend au figuré pour toute la

terre ; on dit que les anciens Romains avaient conquis la terre, quoiqu'ils n'en possédassent pas la ving-

tième partie, VOLT., Dict. phil. terre. - Être sur terre, vivre, exister. - Enfant de la terre, homme. - On ne

voit ni ciel ni terre, se dit quand on est dans une profonde obscurité. - Fig. et fam. Remuer ciel et terre,

employer toute espèce de moyens pour arriver à son but.

7. Il se dit, tant au singulier qu'au pluriel, des pays.

8. La terre ferme, partie du globe distinguée des eaux, soit continent, soit île. Terre ferme, se dit en

géographie par opposition à île.

9. La Terre (on met une majuscule), personnification divinisée de la terre, chez les anciens. Les géants

étaient fils de la Terre.

10. Fig. Les habitants de la terre.

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11. Fig. et par grande hyperbole, toute la terre, les gens d'un pays, d'une ville, d'une société.

12. Fig. La vie présente. Vous ne songez qu'à la terre. Les plaisirs de la terre.

L'album La terre tourne orchestre :

- la lecture hélicoïdale chez le lecteur

- la circulation des autres albums autour de la terre qui tourne

- le mouvement, le déplacement des personnages

- le passage du temps

Page 4 :

La terre tourne tranquillement. Dans l’univers, entre les

étoiles, elle se déplace lentement. Pendant ce temps, de tout

petits bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur

mère. Le vent d’hiver souffle dans la plaine. Les arbres

grincent. Une porte claque. Des gens s’en vont et s’en

viennent de par le vaste monde. Certains ne s’arrêtent jamais

parce qu’ils veulent voir ce qu’il y a derrière le tournant du

chemin. D’autres restent toujours au même endroit parce

qu’ils sont très bien là.

C’est autour de la Terre que je veux

tourner, le globe terrestre : Le chemin

bleu

D’un autre côté de la terre, monde,

tout le monde : Le pays du rêve

Sous la terre, dans le monde, le grand

murmure du monde : Le grand mur-

mure

Voir le monde : Mystère

Planète : Le temps d’une lessive

Planètes inconnues, monde, des

terres, la Terre, la terre : Le rêve du

poisson

Tranquillement : Le pays du rêve, Le

rêve du poisson

Lentement : Le rêve du poisson

L’univers : Le chemin bleu, Le temps

d’une lessive, Le rêve du poisson

Étoiles : Il va neiger

Chaleur des intérieurs : Le pays du

rêve

Le ventre : Le bain de la cantatrice

Le vent d’hiver pouvait courir de tout

son souffle : Le pays du rêve

Le vent : Mystère, Le grand mur-

mure, Le rêve du poisson, Le bain de

la cantatrice

Le vent traverse en courant : La mai-

son de Martin

Les arbres : Le pays du rêve, Le rêve

du poisson, Mystère, De l’autre côté

du lac

La porte : Le pays du rêve, Le rêve du

poisson, Mystère, De l’autre côté du

lac

Une porte grince : Le grand murmure

Une porte claque : Sept minutes et

demie

« clac » : Le rêve du poisson

Des gens : Mystère ; Voyage / les

gens : Le temps d’une lessive, De

l’autre côté du lac

Des gens s’en vont et s’en viennent :

Voyage

Voir : Le rêve du poisson ; « allons

voir » : De l’autre côté du lac

Page 51: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Chemin : Le chemin bleu, Le pays du

rêve, Le rêve du poisson, Le grand

murmure, Reviens sapin ; « Le che-

min bordé d’arbres tourne autour du

lac dans l’ombre et la lumière » : De

l’autre côté du lac

Voir ce qu’il y a derrière le tournant,

« continue en courbe » : Le chemin

bleu, Le pays du rêve

D’autres restent toujours au même

endroit (chacun chez soi) : Voyage

Ces endroits : Le pays du rêve

Les autres : Il va neiger, Le rêve du

poisson

La terre tourne, la terre est ronde, elle a une forme propice à l'évasion, au voyage,

comme une proposition à en faire le tour car, comme le chemin, la terre n'a pas de

« bout » il est donc envisageable de vouloir « faire le tour de la terre », comme elle

tourne autour du soleil, l'homme veut tourner autour de la terre. De la même manière

qu’il est possible de suivre le chemin afin de faire le tour du lac pour aller voir ce qu’il y

a de l’autre côté. Rien ne semble pouvoir perturber ce mouvement tranquille sauf le rêve

d'un poisson car, « dans l’eau profonde des océans », dans l’eau du lac, « les poissons

sont tranquilles » mais sur la terre, ils ne sont plus à leur place maintenant. Ainsi, tout

tourne « tranquillement » jusqu'au jour où survient quelque chose d'inhabituel à

l'exemple du rêve du poisson ou du bain de la cantatrice. Mais, même dans ces mo-

ments là, tout se passe « lentement ». Le lecteur prend toujours le temps de la contem-

plation comme le dit Anne Herbauts132

, « le lecteur va toujours au rythme du marcheur

dans l'univers des albums d'Anne Brouillard. » La terre fait partie de l'univers comme le

rappelle Le temps d'une lessive mais, cet équilibre pourrait se retrouver dérégler comme

dans Reviens sapin car le cycle de la vie, où chacun dépend de tout, est fragile. Ces deux

adverbes « tranquillement » et « lentement » incitent le lecteur à prendre le temps d'une

lecture attentive et en profondeur. Que le narrateur s'interroge sur l'existence d'autres

planètes accueillantes dans Le temps d'une lessive ou inconnues dans Le rêve du poisson,

d'autres mondes imaginaires dans Le chemin bleu, oniriques dans Le pays du rêve, qu'il

observe les étoiles dans Il va neiger, le lac et son environnement dans De l’autre côté du

lac, dans le ciel, dans l’eau, sur terre ou sous terre, le monde continue sa ronde comme

dans Le grand murmure et l'univers garde ses mystères. La précipitation n'existe pas

dans les albums d'Anne Brouillard à l'image de Martin qui part à la recherche de sa mai-

132

Conférence de Toulouse Vivons-livre, du 6 novembre 2010.

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son envolée mais l'équilibre de la terre est fragile comme l'illustrent les Cartes postales.

La naissance est évoquée uniquement dans La famille foulque mais, dans les autres al-

bums, la chaleur des intérieurs rappelle ce monde intra utérin, protecteur et berçant.

Comme le rythme de la terre berce la vie sur terre. Encore une fois, cet équilibre est

précaire à l'image du « ventre » des nuages prêt à éclater. Ces mêmes nuages bénéfiques

qui sont apportés ou chassés par le vent.

Le vent est l'élément qui accompagne ce mouvement perpétuel de la terre. Rien

ne semble pouvoir l'arrêter. Car, même si la terre est ronde, elle offre de vaste plaine où

il peut courir librement (La maison de Martin, Le grand murmure). La plaine offre cet

horizon infini propice au rêve et à l'évasion (Le pays du rêve). Le vent d'hiver illustre ce

« dehors » froid contrastant avec ce « dedans » chaud et rassurant, métaphore du ventre

maternel, (Mystère, Le pays du rêve). Le vent réveille la nature. Il déplace les nuages

selon son gré, il anime les branches des arbres. Ces arbres qui peuvent se rassembler en

forêt, invitant à la balade (Mystère, Il va neiger, Le pays du rêve), à la rêverie (Le grand

murmure), à l'imaginaire (Le rêve du poisson). Les arbres qui peuvent aussi protéger un

lieu mystérieux et caché (Le pays du rêve, De l’autre côté du lac). Les arbres grincent

sous le vent comme ils grandissent dans Le chemin bleu au rythme de la terre qui tourne

et du temps qui passe. Le bois est vivant et le vent le réveille, lui permet de s'exprimer.

Que se passe-t-il quand une porte claque ? Un homme sort, une femme entre, la

pluie tombe … dans Sept133

minutes et demie d'une vie urbaine. Que l'on soit dedans ou

dehors, d'un côté ou de l'autre d'une porte qui claque, la terre tourne et la vie continue

des deux côtés de la porte.

C'est ainsi que la vie sur terre est une invitation au « voyage »134

, ici, ailleurs, en

mouvement ou sur place. Que l'on soit actif ou passif, acteur ou spectateur, la rotation

de la terre met toujours le monde en mouvement135

. Des gens passent, restent un instant,

133

Le 7 est le nombre de la "perfection". In : http://rinumero.lbgo.com/symbolique_nombre.html

Le 7 symbolise l'analyse intérieure et la recherche de la perfection. C'est un nombre sacré et éminemment

spirituel. Il est synonyme de repos, de méditation, d'études, de spiritualité, de philosophie, de religion, de

foi. Il est en rapport avec les éléments eau et terre... in : http://www.signification-

prenom.com/symbolique-nombre.html

Mais alors, pourquoi 7 min ½ ? : « Par rapport au temps pour aller jusqu’à la boîte aux lettres !!! Sept

minutes et demie, c’est très précis, c’est plus drôle que 7 minutes tout simplement. J’aurais pu être encore

plus précise, j’aurais pu dire sept minutes et 37 secondes par exemple ! » Extrait de l’entretien télépho-

nique avec Anne Brouillard du 31 janvier 2011. L’humour et l’imagination permettent toujours de se

sortir d’une situation inextricable … 134

« Toujours imaginer sera plus grand que vivre”, Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, PUF,

2004. 135

« Comme si le propre du monde n’était pas de bouger et de se transformer … » Claude Simon, Le vent,

Les éditions de minuit, 1975, p. 25.

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laissent une trace de leur passage puis repartent, des gens passent, se rencontrent, se

croisent, jouent à cache-cache comme dans Mystère, vont et viennent en train dans

Voyage, à pied ou en barque dans De l’autre côté du lac. Les gens sont aussi les autres

que nous dans Le temps d'une lessive. Certains veulent aller voir le monde (Mystère, Le

chemin bleu), de l’autre côté, puis ils reviennent car le chemin n'a pas de bout, derrière

le tournant, il continue. La terre est ronde, elle tourne ; le monde est vaste, il est attirant.

Qu'y a t'il de l'autre côté de la terre ? Au bout du chemin ? La maison de Martin ? Le

sapin d'Antoine ? Everud Syapel ? La balançoire de Thomas ? Un objet non-identifié ?

Le chemin mène toujours quelque part et, comme la terre est ronde, on revient toujours

au point de départ comme la terre qui tourne sur elle même. Le chemin n'a pas de fin à

l’image de la terre qui tourne dans l'univers, parmi les étoiles à l’infini. S'en aller et s'en

venir, ne jamais s'arrêter, dans un sens ou dans l'autre, des gens font le tour de la terre,

« tout autour de la terre136

». Quand on a trouvé un lieu d'accueil, un endroit paisible où

l'on peut dire « je suis bien » (Le chemin bleu), où attendre les autres (Il va neiger), on y

reste ou on y revient. On le quitte pour y revenir plus tard (De l’autre côté du lac). Ou

bien, on va le rechercher jusqu'au bout (La maison de Martin).

Par son mouvement lent et tranquille, la terre offre tous les choix possibles. Cer-

tains choisissent de partir, de revenir, de rester en voyage, de rester sur place. Le but est

de trouver sa place parmi ces gens sur terre.

Page 6 :

La terre tourne et avec elle, des mots et des sons mélangés,

des petits coins de soleil, des avions qui passent haut dans le

ciel, le bourdonnement d’une mouche, l’autobus qui

démarre, les chemins qui ne s’arrêtent pas, les bébés qui

grandissent, les ombres qui s’allongent, la fête qu’on

prépare, tout le bruit d’une ville.

Des mots : Le pays du rêve, Le grand

murmure, Mystère, Le chemin bleu

Des sons : Le pays du rêve, Le bain de la

cantatrice

Un petit reste de soleil : Il va neiger

Rayon de soleil : Le bain de la cantatrice,

Le temps d’une lessive

Soleil d’hiver : Mystère ; soleil doré,

taches de soleil : Le pays du rêve

Soleil coule : Le chemin bleu

Lumière du soleil : Le rêve du poisson

Dans l’ombre et la lumière : Le pays du

rêve, Le chemin bleu, De l’autre côté du

lac

Un avion : De l’autre côté du lac

Le ciel : Le pays du rêve, La maison de

Martin, Reviens sapin, Le chemin bleu, Le

rêve du poisson, Le bain de la cantatrice,

De l’autre côté du lac

L’autobus : Le temps d’une lessive

Le chemin n’a pas de bout : Le chemin

bleu

136

Chanson de Jacques Prévert (voir Annexes).

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Les chemins qui ne s’arrêtent pas : Le

chemin bleu

Le long d’un pays long qui n’en finit pas ;

continue son chemin : Voyage

Les ombres qui s’allongent : Il va neiger,

Voyage, Le pays du rêve

L’ombre tourne autour de l’arbre : Le che-

min bleu

Ombres franches : Le rêve du poisson

La fête : Le temps d’une lessive, Voyage

Le pique-nique qu’on prépare : De l’autre

côté du lac

Les bruits « de la brasserie », « galopant

d’un train », sous les bruits : Le grand

murmure ; bruits : Le pays du rêve

Tous les bruits ordinaires ; le bruit de la

pluie ; sans bruit ; aucun bruit : Le rêve du

poisson

La ville : Sept minutes et demie

Tout ce qui vit, bouge, vibre, accompagne le mouvement circulaire de la terre, à

l'intérieur comme à l'extérieur :

- Les mots dits, entendus, écrits, lus ;

- Les sons de la nature, familiers, quotidiens, « envoutants »,

tout circule au rythme de cette révolution terrestre.

Elle tourne autour du soleil, son étoile. Il éclaire, illumine, réchauffe la terre et ses habi-

tants. Le soleil :

- réveille (Le bain de la cantatrice)

- engage au voyage (Mystère, De l’autre côté du lac)

- évoque de beaux souvenirs (Le pays du rêve, Le chemin bleu)

- tire d'un cauchemar (Le rêve du poisson)

La terre fait la ronde autour du soleil qui joue avec les reliefs du globe, générant

des jeux d'ombre et de lumière (Le pays du rêve, Le chemin bleu, De l’autre côté du lac).

Le soleil rend visible le tournement de la terre. Le lecteur ne rencontre pas d'avions dans

le ciel des autres albums mais :

- des nuages (Le pays du rêve, Le chemin bleu, Le bain de la cantatrice …)

- la lune (De l’autre côté du lac)

- des sapins (Reviens sapin)

- une maison (La maison de Martin)

- une « pellicule » aqueuse qui le recouvre (Le rêve du poisson)

- un autobus dinosaure (Le temps d'une lessive)

tout est possible sur la terre d'Anne Brouillard.

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Pour ceux qui décident de prendre la route, le train, le bateau, … le « voyage »

est sans fin. Il y a toujours un autre voyage sur les « chemins qui ne s'arrêtent pas » (Le

chemin bleu), qui tournent « autour du lac » (De l’autre côté du lac), à l'image de la

terre qui tourne sans s'arrêter. Si nous sommes de passage sur terre, elle continue son

voyage indéfiniment dans l'univers.

Quelle meilleure illustration de la rotondité que l'ombre qui tourne autour de

l'arbre (Le chemin bleu) pour symboliser ce mouvement circulaire, tel un gnomon indi-

quant le temps qui passe au rythme de la terre qui tourne. Ainsi, les ombres s'allongent,

accompagnant la courbe du soleil dans le ciel (Il va neiger, Voyage, Le pays du rêve), le

jour et puis la nuit. Les arbres grandissent aussi, accompagnant ce passage du temps.

Les années, le temps atmosphérique se ressentent aussi à la forme des ombres (Le rêve

du poisson). Pendant que la terre tourne inexorablement, toujours à la même cadence, le

temps passé sur terre peut s'accélérer à l'occasion d'une fête (Le temps d'une lessive,

Voyage), d’une promenade et d’un pique-nique improvisés (De l’autre côté du lac),

devenir bruyant (Le grand murmure, Le pays du rêve, Le rêve du poisson …) ou, au

contraire, être insonore, comme en suspens (Le rêve du poisson, Le pays du rêve). En

ville (Sept minutes et demie), le bruit est permanent, il ne s'arrête jamais, comme la terre.

Page 8 :

Et la terre tourne encore quand la nuit est tombée et qu’on

entend partir le dernier train du soir. On regarde les étoiles

briller dans l’eau d’un lac, dans un endroit si calme qu’on

entend chaque bruit, le clapotis de l’eau, le craquement

d’une branche, les mots d’une conversation. On se demande

où s’en va le soleil, où vont les gens du train, où sont ceux

qui sont morts, ce que deviennent les endroits qu’on ne voit

plus, où sont ceux qu’on ne connaît pas encore.

La nuit est tombée : Mystère ; quand la

nuit tombe : Le grand murmure

Une nuit aqueuse descendait : Le rêve

du poisson

Dans la nuit : Voyage, Mystère

La nuit : Sept minutes et demie, Le

chemin bleu

Le soir tombe : La maison de Martin,

Le pays du rêve « la nuit »

La lune brille dans le ciel et dans l’eau :

De l’autre côté du lac

Lumière brille : Sept minutes et demie,

Mystère

Quelque chose brille : Le pays du rêve,

De l’autre côté du lac

L’eau : Le bain de la cantatrice, Le

rêve du poisson, Le pays du rêve,

Cartes postales

Si calme : « le silence » : Mystère, Le

pays du rêve, Le rêve du poisson, Le

chemin bleu, Le grand murmure

Eau calme et tranquille : De l’autre

côté du lac

Branche (d’arbre) : Le chemin bleu,

Mystère

Les mots d’une conversation, des gens

bavardent (où passent les mots ?) : Le

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grand murmure

Conversations : Le pays du rêve

Train : Voyage, Le grand murmure, Le

pays du rêve

Ce que deviennent les endroits qu’on

ne voit plus : Voyage, Le chemin bleu,

Le pays du rêve, Le rêve du poisson

Où on voit des choses que personne

d’autre ne voit ; des choses qui

n’existent que là ; on ne sait pas qui ils

sont (les gens) : Voyage

Où vont les mots : Le grand murmure

Où les gens qui passent …, où je suis,

où donc m’emmènent ces pas : Mystère

Où s’arrêtera cette eau : Le bain de la

cantatrice

Où que j’aille … ; qu’allais-je trouver

dehors : Le rêve du poisson

Où était passé le globe terrestre : Le

chemin bleu

Où chacun se coule en hiver … ; un

endroit qu’on ne connaissait pas ; où on

pouvait accéder ; où je me promenais :

Le pays du rêve

Une de leurs planètes : Le temps d’une

lessive

« … encore ... », même le soir, la nuit, le mouvement de la terre, la vie et les ac-

tivités sur terre continuent (Voyage, Mystère, De l’autre côté du lac) promettant un

autre matin (Le rêve du poisson, De l’autre côté du lac). Quand le soir tombe (La mai-

son de Martin), quand la nuit tombe (Le grand murmure), quand la nuit est tombée

(Mystère), la terre tourne encore au même rythme, invariablement, alors que les habi-

tants de la terre vont dormir. La terre ne se repose jamais, elle. L'ombre qui tourne au-

tour de l'arbre dans Le chemin bleu illustre ce mouvement perpétuel, même lorsqu'il

devient invisible à l'œil, la nuit. Certains préfèrent sortir la nuit (Sept minutes et demie)

car alors, la vie est plus calme, la vie, la nuit, s'adapte mieux à la rotation lente et tran-

quille de la terre qui berce les hôtes terrestres. La nuit est propice aux rêves (Le pays du

rêve), un autre monde s'éveille sur terre.

Le premier train du matin ; le dernier train du soir (Voyage) scandent cette alter-

nance jour/nuit. Les trains passent (Le grand murmure, Le pays du rêve) circulent,

transportent, font voyager, même quand la nuit est tombée. Ils peuvent ralentir leur acti-

vité, la terre, elle, ne le peut pas, elle est comme le balancier d'une horloge perpétuelle.

La nuit, la lune brille dans le ciel et dans l’eau (De l’autre côté du lac), les étoiles bril-

lent dans le ciel, se confondant avec les flocons de neige (Il va neiger). La nuit, une lu-

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mière brille, guidant les pas des promeneurs (Sept minutes et demie, Mystère), annon-

çant une visite, un ami, un lieu accueillant …

L'eau est un autre élément très présent dans les albums d'Anne Brouillard. Elle

est vitale, nécessaire mais pas toujours aussi paisible que l'eau d'un lac. Parce qu'elle

manque cruellement aux plantes chez Pimpinelle137

, son ami Marin lui en envoie par

« oiseaux voyageurs ». La mer, l'océan, accueille La maison de Martin et les poissons y

vivent protégés du bruit des activités humaines (Le grand murmure). Elle annonce une

autre saison humide et froide où l'on vit à l'intérieur dans Le pays du rêve, elle tombe

sur commande musicale pour répondre au caprice d'un bain de cantatrice, elle recouvre

la terre le temps d'un rêve de poisson. L'eau forme des flaques où se reflètent les nuages,

elle coule tout au long des rivières, sur les vitres du train … son cycle ne s'arrête jamais.

L'eau déclenche aussi la rêverie, l'imagination (Voyage)138

, elle est nécessaire à la terre,

à la vie sur terre. À l'origine, elle recouvrait toute la surface de la terre (Le rêve du pois-

son). Élément du cycle de la vie, le cycle de l'eau est aussi perpétuel et circulaire. Ce-

pendant, contrairement au rythme de la terre qui tourne, l'eau peut être paisible, violente,

angoissante … élément non maîtrisable, en perpétuelle transformation, présent dans

tous ses états, l'eau tourne et fait des ronds.

Le soir, quand tout se calme, après le passage de la pluie (De l’autre côté du lac),

dans la forêt (Il va neiger), dans le compartiment du train (Voyage), en ville (Sept mi-

nutes et demie), dans la neige (Mystère), dedans les maisons (Le pays du rêve, Le rêve

du poisson), dans l'eau (Le grand murmure), les bruits s'adaptent à l'ambiance. À la

tombée de la nuit, les conversations, les murmures, les bavardages se distinguent mieux

dans le calme d'un espace clos, à l'intérieur des maisons chaudes, dans la forêt « endor-

mie », le long des fils téléphoniques, quand le rythme du monde se calme alors que la

terre tourne encore et toujours au même rythme parmi les étoiles. La nuit est un envi-

ronnement propice aux rêves et aux questionnements. La rotation de la terre dans l'uni-

vers, parmi les étoiles est une source d'inspiration inépuisable. Les albums d'Anne

Brouillard proposent aux lecteurs de multiples questionnements sur la marche du monde

et ses états d'âme : « on se demande ... ». Par l'utilisation du pronom personnel indéfini

« on », tout le monde et chacun se sent impliqué. Les réponses uniques n'existent pas.

137

Nom donné par Adanson à la pimprenelle. Nom donné au genre boucage, ombellifères. Dictionnaire

Le littré. 138

« On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience

onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve. »

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Le livre de poche, Librairie José Corti, 1942, p. 11.

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Elles sont à la fois individuelles avec une portée universelle. Car, tant que la terre tour-

nera, le cycle de l'eau continuera, les chemins n'auront pas de bout, le soleil se lèvera

d'un côté de la terre et se couchera de l'autre, les paysages défileront derrière la vitre du

train, des gens voyageront, se croiseront, d'autres resteront, certains rêveront, des mots

circuleront, l'inconnu attirera, la terre gardera ses mystères, l'univers restera infini, le

temps passera et la mort restera sans réponse.

Page 10 :

Et la terre tourne toujours dans les ronds de fumée, dans les

bruits des couverts et les tintements des verres, dans les

gouttes de pluie qui font des ronds dans l’eau, dans les roues

d’un vélo, au son d’un manège, dans le claquement d’une

porte.

Les bruits des couverts et les tintements

des verres : « bruits de vaisselle » : Le

pays du rêve

Pluie : Sept minutes et demie, Le pays

du rêve, Le chemin bleu, Le grand

murmure, Le rêve du poisson, Voyage,

De l’autre côté du lac

Gouttes de pluie : Le pays du rêve

Flaques : Sept minutes et demie, Le

pays du rêve, Le chemin bleu, Le bain

de la cantatrice

« Petit bassin tout rond » : Le temps

d’une lessive

« Ventre rond » : Le bain de la canta-

trice

Roues : Le temps d’une lessive

Vélo : Le chemin bleu

La fête foraine : Le temps d’une lessive,

Voyage

La balançoire : De l’autre côté du lac

Le claquement d’une porte : Le pays du

rêve

La terre est ronde et tourne en rond :

- sur elle-même : tout ce qui est rond : gouttes de pluie, roue, rond de fumée

- autour du soleil : tout de qui tourne rond : vélo, manège, porte sur ses gonds

- mais aussi dans les sons et les bruits.

Que l'on soit dedans :

- bruits rassurants, familiers du quotidien : couverts, verres, piano, mélodies ...

Que l'on soit dehors :

- le manège, la balançoire, la fête, la rue …

Que l'on passe d'un espace à l'autre :

- bruits de porte …

La terre tourne toujours invariablement, rythmant le quotidien, quoi qu'il se

passe, sa cadence ne change pas.

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59

Page 12 :

La terre tourne dans l’air frais d’un matin de fin d’été, dans

l’air doux où traînent quelques paroles et l’odeur du café,

dans les gouttes de rosée et les pétales de roses. Et le reflet

des nuages tourne avec la terre. Et les bébés qui vont naître,

et le chat près de l’écluse, et le premier train du jour,

tournent avec la terre.

Vent et puis air ; des souvenirs de l’été :

Le pays du rêve

« L’air frais d’un » joli matin : Le bain

de la cantatrice

Un matin : Voyage, De l’autre côté du

lac

Après-midi d’été : Le rêve du poisson,

L’air doux où traînent quelques paroles

et l’odeur du café : « une bise tiède » Le

pays du rêve, « des effluves de café » Le

rêve du poisson ; « petit café » : Reviens

sapin

« Des gens bavardent, la machine à café

vrombit » : Le grand murmure

Odeur « bizarre, désagréable, d’eau

stagnante » : Le rêve du poisson

Odeur « froide de l’hiver » : Il va neiger,

« Fleurs » : Le temps d’une lessive

« Les oiseaux bleus, les oiseaux blancs

tournent dans l’air du soir un peu

rose » : Le pays du rêve

« Un miroir reflétait le ciel » : Le pays

du rêve

Nuages : La maison de Martin, Le bain

de la cantatrice, Le rêve du poisson, Il

va neiger, Le pays du rêve

Le chat : Il va neiger, Le pays du rêve,

Reviens sapin

« D’autres trains … un matin ou un

soir » : Voyage

La nuit passée, le matin arrive, les journées et les saisons passent. Quand le vent

ne souffle plus, quand il a chassé les nuages, l'air est frais et doux, sensation que la terre

tourne. Son mouvement amène un déplacement d'air, le souffle de la terre qui vit. Le

matin, le monde se réveille :

- des humains : paroles, café

- de la nature : rosée, roses

La terre qui tourne génère ce nouveau réveil chaque matin. Le déplacement cir-

culaire de la terre emmène les nuages avec lui. Ils bougent et jouent avec le soleil, le

vent dans le ciel. Sur terre, on peut voir leur reflet dans les flaques d'eau, dans l’eau du

lac, comme dans un miroir. La mobilité des nuages illustre ce tournement, leur reflet

offre des jeux d'ombre et de lumière, la rotation de la terre devient visible.

Le chat139

, animal au sixième sens, celui qui sent l'orage arriver, ressentirait-il

que la terre tourne ? Celui qui en sait plus que tout le monde (Le pays du rêve), celui qui

parle (Mystère, De l’autre côté du lac) malgré lui140

?

139

« … le chat a démontré une faculté extraordinaire pour pressentir des choses. Grâce à son comporte-

ment anormal et inhabituel dans certaines situations, des gens ont pu échapper à un grave danger ou être

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Quand la nuit tombe, le dernier train du soir circule ; quand le matin se lève, le

premier train du jour part. Les départs et les arrivées des trains matérialisent cette activi-

té quotidienne diurne sur terre. Sa révolution permet cette alternance jour/nuit. Le

rythme de la vie sur terre est dépendant de ce mouvement régulier, immuable et perpé-

tuel.

Page 14 :

La terre tourne même quand on n’y pense pas, quand

l’après-midi s’annonce doux, au coin d’une rue, à l’ombre

d’un arbre, à l’abri du vent qui ne cesse de transporter

des nuages d’un bout à l’autre du pays. Elle tourne dans

l’odeur de l’asphalte au soleil, dans la lumière derrière la

porte vitrée.

Même quand on n’y pense pas : « le

temps avait décidé qu’il ne passait

plus » : Le pays du rêve ; « le temps

passait » : Le chemin bleu ; « attendre

quelque chose ; un instant ; combien de

temps ; temps arrêté » : Le rêve du pois-

son

Les habitants ont oublié le temps : Le

bain de la cantatrice

« Ils prennent tout leur temps » : Il va

neiger

« Où l’automne se coulait tranquillement

dans le soleil doré » : Le pays du rêve

« Après-midi d’été » : Le rêve du poisson

« Au coin d’ » une rue : Voyage

À l’ombre d’un arbre : Le chemin bleu

L’ombre de la forêt : De l’autre côté du

lac

« Dans l’ombre et le soleil » : Le pays du

rêve

Des nuages d’un bout à l’autre du pays :

Le bain de la cantatrice, La maison de

Martin, Il va neiger, Mystère, Le pays du

rêve, Le rêve du poisson

Le vent chasse les nuages : De l’autre

côté du lac

« Portes à hublots » : Le pays du rêve ;

« les fenêtres, les vitres » : Voyage

Porte : De l’autre côté du lac

« Dans l’ombre et la lumière » : Le che-

min bleu

« Le soleil, la lumière » : Le chemin

bleu ; Le rêve du poisson « porte

d’entrée, fenêtre »

On n'a pas besoin d'y penser, d'agir, d'attendre, de s'arrêter … même quand les

horloges sont cassées, les maisons inhabitées (Le pays du rêve), les chemins plus em-

pruntés (De l’autre côté du lac), même quand le temps est décompté (Sept minutes et

demie), oublié (Le bain de la cantatrice). Que l'on soit tranquille, inquiet, occupé ou

parti, le temps passe invariablement, les choses s’érodent, les souvenirs s’estompent,

sauvés de la mort. Il y a autour du chat un mystère que les parapsychologues ont de la misère à expliquer.

En effet, le chat perçoit des choses que les gens ne discernent pas, et essayent par toutes sortes de façons

de nous les communiquer ... » in http://www.cyberanimaux.com 140

Claude Roy.

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mais la terre tourne toujours pareillement. L'après-midi sépare le réveil du coucher mais

la terre tourne sans s'occuper de ces détails. L'après-midi passe de la même façon, au

même rythme, tout comme le matin se lève et la nuit tombe. L'après-midi passe où que

l'on soit, quoi que l'on fasse, quel que soit le temps. L'ombre de l'arbre tourne toujours,

que l'on soit dessous ou ailleurs, le vent continue de déplacer les nuages tout autour de

la terre, au dessus du lac, il ne s'arrête jamais lui non plus, ils vont toujours ensemble.

Que l'on soit dehors ou dedans, la terre tourne toujours sur elle même et autour du soleil

qui la réchauffe. Ce rythme est nécessaire à toute vie sur terre. L'homme pourrait-il en

profiter sans s'en préoccuper ? Qu'y a t'il derrière les portes à hublots ? (Le pays du

rêve) Qui se trouve derrière la porte qui s’ouvre ? (De l’autre côté du lac) Même s'il n'y

pense pas, elle tourne mais, attention aux dérèglements car, même si elle tourne quand

même, l'équilibre est fragile (Le rêve du poisson, Le bain de la cantatrice, Reviens sapin,

Cartes postales).

Page 16 :

Elle tourne, la terre, dans des lieux où les bruits sont

étouffés par de gros tapis moelleux. Elle tourne au son d’une

musique qu’on entend derrière la porte. Pendant que les

images défilent, les bébés naissent, les arbres grandissent,

des gens s’en vont, les voitures s’arrêtent aux feux rouges

dans la nuit orange des villes. La terre tourne dans un

moment de silence.

« son du piano, mélodies » : Le chemin

bleu

« Les flocons étouffent leurs voix » : Il

va neiger

« derrière les portes à hublots » ; « der-

rière les portes jaunes » : Le pays du rêve

« devant la porte » : Mystère

Le pays défile ; « on voit … une

image » : Voyage

La télévision : Le temps d’une lessive

« Leurs images intérieures » « les images

de BD »: Le rêve du poisson

« Le soleil se glissait et dessinait des

ombres en mouvement » ; « les oies

derrière le mur » : Le chemin bleu

Les arbres, les mots secrets des enfants

grandissent : Le chemin bleu

« On est parti » ; « Des gens » ils s’en

vont : Voyage

« Il s’en va » ; « elle s’en va » : La mai-

son de Martin, Mystère

Allons voir : De l’autre côté du lac

Depuis, j’ai voyagé : Le chemin bleu

« prendre le train » : Le grand murmure

La nuit orange des villes : Le pays du

rêve

« Derrière la ligne où se couche le so-

leil » ; « une ligne de lumière orange. La

trace du jour qui s’en allait d’un autre

côté de la terre » : Le chemin bleu

La nuit : Le temps d’une lessive, Le rêve

du poisson, Le pays du rêve, Le grand

murmure

La ville : Sept minutes et demie

Silence : Mystère, Le chemin bleu, Le

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rêve du poisson, Le grand murmure

« Les nuages silencieux » : Il va neiger ;

« vies silencieuses » : Mystère

La grande paix du soir : De l’autre côté

du lac

Quelque soit le lieu, quoiqu'il se passe, quoique l'on entende, que les bruits

soient retenus, contenus, camouflés … la terre tourne quand même, sa musique est tou-

jours la même, pendant que :

- la vie passe (Le chemin bleu, De l’autre côté du lac)

- les paysages, les images, les pays défilent (Voyage)

- la nature, les arbres, les plantes poussent (Cartes postales, Le chemin bleu, Le rêve du

poisson), le bois se désagrège141

(De l’autre côté du lac)

- des gens partent en voyage (Voyage, De l’autre côté du lac, Le chemin bleu)

- des véhicules s'arrêtent un moment avant de repartir (Voyage, Le chemin bleu, Le

temps d’une lessive)

L'horizon prend une teinte orangée quand le soleil se couche (Le chemin bleu,

De l’autre côté du lac), cette même couleur orange qui évoque la lumière des villes, la

nuit, alors que la vie, les activités continuent après la tombée de la nuit. La nuit devient

orange du fait des éclairages artificiels142

(Le pays du rêve). La nuit est aussi favorable

au sommeil, au silence, à la grande paix. La terre tourne invariablement dans le bruit,

dans le silence ; à la ville, à la campagne, autour du lac ; le matin, l'après-midi, le soir

ou la nuit ; dans un instant bref, pendant que les actions sont simultanées ou en pause ;

que l'on entende ou que l'on voit quelque chose … la terre tourne toujours au même

rythme sans s'en préoccuper.

Page 18 :

Pendant que la terre tourne dans un sens, un train roule

dans l’autre sens. Les voyageurs dans le train voient passer le

pays, les habitants du pays regardent passer le train.

Un train roule dans l’autre sens :

Voyage, Le grand murmure, Le pays

du rêve

Voient passer le pays : Voyage

Le train : Mystère

Le long de la voie ferrée : Il va neiger

De l’autre côté de la voie ferrée … :

Le pays du rêve

Regardent les gens : de l’autre côté

141

« … une autre dimension du paysage : érosion. C'est-à-dire le temps. » Thomas et le Voyageur, op. cit.,

p. 84. 142

« Le noir lui est propice, il l'affole, la chauffe, la livre crue et brutale, les contours acérés quand l'inté-

rieur se trouble de milliers de lueurs rivales, il la divulgue orange, effervescente, pastille de vitamine C

jetée dans un verre d'eau trouble, bocal de fioul posé dans une cuvette, distributeur d'oxygène, de speed et

de lumière. » Maylis de Kerangal, naissance d'un pont, éditions Gallimard, 2010, p. 161.

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du lac

Aiguillages … : Le chemin bleu

Pendant que la terre tourne unidirectionnellement, les trains roulent et les che-

mins continuent, dans l'autre sens. Ces oscillations de va-et-vient, d'un côté et de l'autre,

voir et être vu … évoquent un miroir (Le pays du rêve) dans lequel l'un et l'autre se re-

flètent. Le chemin continue de l'autre côté (Voyage), où l’on peut apercevoir des gens

(De l’autre côté du lac).

- Ceux qui voyagent observent le paysage, en imaginent un autre, regardent les gens

chez eux, dehors … (Voyage)

- Ceux qui restent regardent le train et imaginent l'autre bout du voyage, la vie des uns

et des autres … (Le pays du rêve, Le chemin bleu)

Tout au long de la voie ferrée, du chemin, la terre tourne toujours au même

rythme pour tout le monde, que l'on aille dans le sens de rotation de la terre ou dans le

sens inverse, que l'on voyage pour regarder le paysage ou que l'on reste pour regarder

les voyageurs. Le temps passe pareillement, la terre tourne, dans le même sens et à la

même cadence. Les voies choisies sur terre peuvent être :

- parallèles : le long de la voie ferrée (Il va neiger)

- perpendiculaires : le chemin continue (Voyage), de l'autre côté de la voie ferrée (Le

pays du rêve)

- entremêlées : les carrefours, les aiguillages (Le chemin bleu)

- circulaires : autour du lac (De l’autre côté du lac) par le chemin mais aussi, à travers

le lac, par barque

Il s'agit de choisir son chemin, sa voie, dans un sens ou dans l'autre, de choisir sa

direction (Mystère). Par le fait de tous ces mouvements, les gens se croisent, se rencon-

trent, se regardent, qu'ils aient choisis de partir ou de rester. Les habitants de la terre ont

le choix, la terre, elle, n'a pas ce choix, elle tourne toujours au même rythme et dans le

même sens.

Page 20 :

La terre tourne avec l’eau des rivières, le va-et-vient de la mer,

le souffle du vent, le lever du jour, l’arrivée d’un bateau.

L’eau : Cartes postales, Le pays du

rêve, Le chemin bleu, Voyage, Le

temps d’une lessive, Le rêve du pois-

son, Le bain de la cantatrice

L’eau des rivières : Le chemin bleu

Le va-et-vient de la mer : Le grand

murmure, Le bain de la cantatrice, La

maison de Martin

Le souffle du vent : La maison de

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Martin, Le chemin bleu, Le pays du

rêve, Voyage, Il va neiger, Mystère,

Le grand murmure, Le rêve du pois-

son, Le bain de la cantatrice

Le lever du jour : Le chemin bleu, Le

rêve du poisson, Le bain de la canta-

trice, Le pays du rêve, Mystère

L’arrivée d’un bateau : Le pays du

rêve, La maison de Martin

La barque : De l’autre côté du lac

Le cycle de l'eau est comme l'eau des rivières qui ne s'arrête jamais (Le chemin

bleu). Les marées se succèdent régulièrement et animent les mers143

, le vent amène la

pluie, il souffle, vent et puis air (Le pays du rêve), l'aurore réveille la nature144

avec la

rosée du matin et les rayons de soleil (Le bain de la cantatrice), l'arrivée du bateau an-

nonce Le pays du rêve pour Éloïse, une nouvelle vie pour Martin, un nouveau périple

pour Tante Nadège, Lucie, Thomas, Toka et Alpha ... Le tournement de la terre accom-

pagne tous ces mouvements réguliers ou occasionnels, à l'endroit ou à l'envers, dans un

sens et dans l'autre. Si l'eau vient à manquer, on l'appelle (Cartes postales, Le bain de la

cantatrice). Le cycle de l'eau est circulaire, infini, perpétuel, comme la rotondité ter-

restre.

Page 26 :

La terre tourne, tranquillement. Les bébés qui grandissaient

bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. Ils

claquent les portes, écoutent le vent d’hiver. Ils vont et

viennent de par le monde, attendent la lune la nuit au bord

d’un lac, écoutent la mer, la musique derrière la porte,

l’autobus qui ralentit, le craquement d’une branche, le son

d’une cloche. Pendant ce temps, d’autres bébés grandissent

bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la terre tourne

encore.

Claquent les portes : Sept minutes et

demie

Le vent d’hiver : Mystère

Vont et viennent de par le monde : Mys-

tère, Voyage, Le chemin bleu

La lune : Sept minutes et demie

Écoute la pluie tambouriner, la rivière,

regarde la lune briller dans le ciel et dans

l’eau : De l’autre côté du lac

Écoutent la mer : La maison de Martin,

Le grand murmure

Le son d’une cloche : Le pays du rêve, Le

rêve du poisson (le réveil de la terre ?)

Un autre train … : Voyage, Le pays du

rêve

Les bébés ont grandi dans l'univers des autres albums, ce sont des enfants ou des

adultes maintenant, ils agissent sur leur monde, ils ont des souvenirs. Avec ou malgré

143

« C'est le roulis du monde sur l'océan du ciel » Victor Hugo, Œuvres complètes, volume 1, p. 236,

Odes, Rêves III, Société typographique belge, 1837. 144

« C’est près de l’eau et de ses fleurs que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émana-

tion, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur. (…) … accompagner le ruis-

seau, marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l’eau qui coule, de l’eau qui mène la

vie ailleurs … » Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, op. cit., pp. 14-15.

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tout ce qui se passe, la terre tourne toujours aussi « tranquillement ». Rien ne perturbe

sa ronde perpétuelle. Comme sourde aux bruits, insensible au temps à l’échelle humaine,

aux odeurs, aveugle aux couleurs … elle tourne « tranquillement ». Cette dernière

strophe pose le passé, installe le présent et annonce le futur. Les protagonistes sont ac-

tifs, leurs actions sont volontaires. Dans les autres albums aussi, les personnages sont

acteurs pendant que la terre continue de tourner :

- je vais aller voir ce qui se passe dans le monde … : Mystère

- allons voir : De l’autre côté du lac

- j'ai voyagé, … je m'installe … : Le chemin bleu

- ils sont partis, … ils vont revenir … : Il va neiger

- on est parti … on est arrivé … : Voyage

Le son de la cloche, dernière vibration145

citée par le narrateur textuel de La

terre tourne symbolise le réveil de la terre, le signal attendu par la nature « toute en-

tière » (Le rêve du poisson), par le narrateur-personnage pour réagir (Le pays du rêve).

Le son de la cloche donne l'alerte, le signal du rassemblement146

, le souffle du vent147

qui la fait tinter. Ce symbole est donc très fort de par sa position finale dans La terre

tourne et de par sa force dans ces deux autres albums. Même si la terre tourne toujours

tranquillement, la nature peut se mettre en pause, changer, attendre un signal pour offrir

ses mystères. Le temps et l'espace sont des données qui échappent à tout contrôle hu-

main tout comme ils « sont indissociables dans l'organisation de l'univers148

».

Pendant que la terre continue de tourner encore, d'autres trains partiront, d'autres

gens voyageront, vivront ici ou ailleurs (La maison de Martin, le bain de la cantatrice),

dans l'espace sur une autre planète (Le temps d'une lessive), d'autres … chercheront un

endroit où s'installer pour « être bien » sur terre (Le chemin bleu, De l’autre côté du lac).

145

« Le symbolisme de la cloche est surtout en rapport avec la perception du son. En Inde par exemple,

elle symbolise l'ouïe et ce qu'elle perçoit : le son qui est reflet de la vibration primordiale. En Chine le

bruit de la cloche est en rapport avec le tonnerre et s'associe à celui du tambour. Mais la musique des

cloches est musique princière et critère de l'harmonie universelle. » in http://www.cleomede.com/article-

1298506.html 146

« Elle convoque les fidèles autour du prêtre pour recevoir de sa bouche la Bonne parole. La cloche, à

la fois maternelle et spirituelle, relie par ses ondes tout l’espace humanisé au sanctuaire, maison cosmique,

lien entre le ciel et la terre. » in http://www.liturgiecatholique.fr 147

« La cloche apparaît comme symbole bouddhiste et lamaïste, notamment la petite cloche à main … On

en voyait également pendues aux avant-toits des temples, les « cloches à vent », car leur son ferait fuir les

esprits malfaisants. » Maurice Louis Tournier, L'imaginaire et la symbolique dans la Chine ancienne, p.

382, éditions L'harmattan, 1991. 148

Source : http://equizen.free.fr/cinqele.html

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Sous – conclusion

Les mots résonnent entre eux. D’une page à l’autre, du début à la fin et récipro-

quement, d’un album à l’autre … Ils s’interpellent et se répondent. Par ces jeux d’échos,

le lecteur chemine et savoure ces tissages langagiers. Par l’intermédiaire de la mémoire

lexicale du lecteur, tel un messager épistolaire, les personnages et les narrateurs com-

muniquent entre eux. Le lecteur a donc un rôle primordial dans leur construction litté-

raire. Comme le souhaite ardemment Anne Brouillard, ils continuent de vivre en dehors

de leur livre support. Grâce au lecteur, ils peuvent se rencontrer, le lecteur leur donne

« une plus longue vie » à travers les albums. Pour ce faire, le lecteur adapte aussi son

rythme de lecture au style du narrateur textuel. En effet, selon les propos de l’histoire, le

narrateur adapte son style d’expression.

B. Les différents types de narrateurs textuels149

1. Les textes impersonnels

Certains textes, comme La terre tourne sont impersonnels et poétiques. Ils pren-

nent une valeur de vérité générale, racontés au présent. Pour ceux ci, Anne Brouillard

avoue avoir plus de liberté pour s'exprimer au fil de son inspiration. Au cours de ces

textes, le narrateur textuel raconte tout ce qu'il sait, voit et ressent. Sa parole n'est pas

remise en cause par le lecteur qui est invité à partager sa prose riche en sonorités et en

sensations. La lecture défile comme des tableaux émouvant tous ses sens. Ainsi, La

terre tourne raconte tout ce qui se passe, pareillement ici et ailleurs, pour tous et chacun,

au rythme de la terre qui tourne perpétuellement et invariablement, quoi qu'il arrive.

Que signifie ce 7150

accompagné d'un ½ ? Rien n'est parfait sur terre, la perfec-

tion n'est pas de ce monde ? Ce petit ½ détail rend ce moment, ces minutes uniques et

149

« Intransigeante par rapport à ses dessins, elle commence à le devenir par rapport à ses textes qui sont,

(…) d'une grande qualité poétique. Elle a confiance en ses mots et elle pense à juste titre que l'on a cha-

cun son vocabulaire pour exprimer les mêmes choses… » in

http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html 150

« Associant le nombre quatre, qui symbolise la terre (avec ses quatre points cardinaux) et le nombre

trois, qui symbolise le ciel. Sept représente la totalité de l'univers en mouvement. » in

http://gnese.free.fr/Projects/PingouinManchot/PingouinManchot/sept/sept.html

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différentes des autres. Ce sont ces petits détails, ces petites précisions, qui rendent la vie

appréciable.

Sept minutes et demie est une ode à la pluie, à la ville, à la nuit. Un temps : Sept

minutes et demie ; un espace : une ville. Que s'y passe-t-il ? Pendant que la terre tourne

tranquillement, encore et toujours. La ville est personnifiée, comme La terre tourne, le

texte commence et se termine pareillement (anaphore / épiphore) avec une petite va-

riante d'ordre syntaxique :

« Mouillée, la ville … … la ville mouillée »

emphase par une mise en apposition avec une inversion adjectif/nom, donnant une sono-

rité féminine au texte. Cette prosodie donne un effet d'insistance sur cet aspect de la

ville. Cela donne une luminosité particulière à cette ville mouillée. Elle réfléchit les

lumières, elle luit.

Comme La terre tourne, ce texte présente beaucoup de répétitions et de rimes.

Des allitérations en « q » et en « p » par exemple et des assonances en « a » et en « i »

majoritairement. Les phrases sont courtes et certains sujets elliptiques : « claque ses pas

entre les flaques », demandant un effort d'imagination au lecteur. Il doit s'impliquer dans

sa lecture. Le narrateur lui offre une part de création comme dans cette phrase non ver-

bale : « sous la lune, dans la ville mouillée ». Qui marche sous la lune, en évitant les

flaques, dans cette ville mouillée, la nuit ? Par une phrase interrogative, rédigée affirma-

tivement : « qui chuchote les secondes qui passent », le lecteur se demande à « quoi »

fait référence ce « qui ». Est-ce la terre qui tourne ? Une horloge ou un appareil qui dé-

compte le temps qui passe, illustrant ce mouvement de la terre ? Cette phrase présente

l'inexorabilité du temps qui passe, décompté par sa plus petite unité, sans aucun temps

d'arrêt, les secondes passent les unes après les autres. Par opposition au titre Sept mi-

nutes et demie, qui représente un temps très court, face au temps cosmogonique. Les

choses sont interdépendantes les unes des autres. À l'exemple de : « la lumière brille et

fait briller le toit » / la terre tourne et fait tourner le monde. Le tout petit entraîne le tout

grand et réciproquement, l'immense englobe le minuscule et le groupe l'individuel.

Au fil de la lecture de ces deux textes, le lecteur partage les sensations ressenties

par le narrateur. Les répétitions, le mouvement, la structure textuelle et poétique (les

sonorités) en font des textes riches de sens et hauts en couleurs. Par ces textes, le narra-

teur fait vivre des émotions au lecteur. Le narrateur textuel part d'une chose vue, enten-

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due, vécue …151

pour exprimer ce moment particulier à la manière d'un haïku152

dans

Sept minutes et demie ; à la manière d'une ronde dans La terre tourne.

2. Les textes à la troisième personne

a) Histoire racontée à la troisième personne du singulier, par l'utilisation du pronom

indéfini « on », il prend une valeur descriptive.

● Voyage

Le narrateur est un des personnages et l'histoire est racontée à travers son regard.

Ici, le narrateur part en voyage avec d'autres partenaires. Il voit des paysages, il imagine

des décors, des « choses », des personnages …, il croise d'autres gens … Tout cela se

passe en train, dans le train, de son départ à son arrivée, à travers la vitre du train, dans

la gare, le long de la voie ferrée … Le mouvement circulaire, le va-et-vient, les allers-

retours, les questions existentielles, l'espace dedans / dehors, tout l'univers de cette nar-

ration évoque sans conteste celui de La terre tourne. Ici, le narrateur vit les évènements

décrits dans La terre tourne. Il fait les mêmes constatations. Par l'emploi du pronom

personnel indéfini de la troisième personne « on », le lecteur se sent embarqué dans ce

voyage à bord de ce train. Il participe lui aussi au mouvement du monde.

b) Les histoires racontées à la troisième personne « il », « elle », « on », « ils » … avec

des dialogues au discours direct et des pensées intimes.

● Reviens sapin

● De l’autre côté du lac

● La maison de Martin153

151

« … s'imprégnant de touches, de détails qui deviendront plus tard, grâce au travail de mémoire, des

images. Ses idées naissent, (…) d'un savant mélange de réalités entre aperçues, de bribes de mémoire et

d'effluves de rêves et d'imaginaire. Pour mettre en forme ses idées, elle a besoin de calme. » « L'aspect

narratif des albums avec ou sans image relève, aussi, souvent de l'anecdote. » in

http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html 152

« Il peut faire partager, des émotions, des sensations, des impressions en puisant son essence dans les

images de la nature. (…) de l'ensemble doit se dégager ce que certains appellent un "esprit haïku". Indéfi-

nissable en tant que tel. Il procède de vécu, de ressenti, de choses impalpables. » in

http://haiku.dumatin.fr/definition-haiku.php 153

« … l’opposition horizontalité/verticalité se résout dans la confusion entre l’eau et le ciel, l’un prenant

la place de l’autre dans un univers s’avérant parfaitement réversible. (…) terre et mer finissent par se

confondre, (…) la maison devient navire. Cet échange dynamique entre deux principes (… ciel et eau …)

anime les histoires de manière circulaire. » Patrick Joole, op. cit.

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● Mystère

Comme des apartés au théâtre, le narrateur se parle à lui-même, il pense à voix haute de

façon à ce que le lecteur l’« entende » tel un spectateur.

● Reviens sapin154

Ici, le lecteur découvre l'histoire du sapin de noël155

racontée à l'envers : le sapin

retourne décoré dans la forêt. Les personnages, Antoine, ses parents, son chat, les habi-

tants du village vont vivre un évènement extraordinaire la veille de noël. L'histoire se

déroule donc dans un lieu précis, en un temps court et défini. Il se passe quelque chose

sur terre, à un moment spécifique, pendant que la terre tourne pareillement à son habi-

tude. La fin est ouverte avec trois points de suspension. Cependant, pour pleinement

savourer le message de respect de l'environnement de cet album, le lecteur a besoin des

deux narrateurs textuels et imagiers. En effet, l'ironie exprimée par la réplique de la

maman : « quelle charmante promenade » a besoin du narrateur imagier pour être saisie

visuellement. La fin suggérée par le narrateur textuel est illustrée par le narrateur ima-

gier afin que le lecteur voie et comprenne la portée de ce message écologique. Pour que

la terre puisse continuer de tourner sans problèmes, les arbres doivent être respectés

dans leur environnement. Ainsi, les ombres s'allongent au rythme de la terre qui tourne.

Le chat semble les avertir avec son « miaou », les adultes baissent « les bras » et « les

yeux » tandis qu'un enfant comprend la situation. Dans l'univers d'Anne Brouillard,

chaque élément est important et chacun a sa place. Le tout se retrouve dans chacun et

réciproquement. L'équilibre vient de l’interdépendance de tous dans le respect de l'indé-

pendance de chacun. Ici, le départ et l'arrivée de l'histoire se déroule dans le même es-

pace visuel.

154

« C’était une commande de la ville de Nanterre pour offrir un album aux enfants à noël via la maison

d’édition du Sorbier. Je les ai faits plus vite. On a dû me les demander vers janvier-février et je les avais

terminé l’été ! Puis, ils sont sortis pour les fêtes de fin d’année. J’avais présenté plusieurs projets : la

ville de Nanterre a choisi Reviens sapin mais la maison d’édition a pris aussi Cartes postales. Dans ce

projet retenu pour Nanterre : Reviens Sapin, j’ai fait aussi une version tout public et l’éditrice en a pris

deux avec Cartes postales. Par la suite, pour le Sorbier j’en ai fait deux autres : La maison de Martin et

Promenade au bord de l’eau. » Extrait de l’entretien téléphonique du 15/11/2010. 155

« C'est peut-être en Alsace qu'il faut chercher l'origine de l'arbre de Noël. Dans ce pays, les charmes de

la poésie ont enveloppé tous les actes de la vie publique et privée. Si la tradition rapporte que dès 1521 on

décorait avec des branches coupées 3 jours avant Noël, on n'avait pas encore recours au sapin entier. En

1546, la ville de Sélestat en Alsace autorise à couper des arbres verts pour Noël, au cours de la nuit de la

Saint Thomas. Cependant nous trouvons la plus ancienne mention de l'arbre de Noël comme sapin entier

dans une description des usages de la ville de Strasbourg, en 1605 seulement. » in http://www.france-

pittoresque.com/faune/50.htm

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● De l’autre côté du lac

« C’est une histoire de points de vue. Une fille, sa tante et leurs chats habitent d’un côté du

lac. Cet album est aussi inspiré de la Suède, le même lac que la terre tourne ! C’est sa lu-

mière … Ici, remis dans un contexte plus réel, un enfant ne va pas habiter seul ! Donc, j’ai

mis sa tante et leurs deux chats … au départ, une histoire d’observation de l’autre côté du

lac : quelque chose qu’ils voient mais qu’ils n’identifient pas … ils partent voir … De

l’autre côté, ils voient leur maison et quelque chose qu’ils n’identifient pas …

J’ai fait un trajet plus long, plus détaillé, car c’est quelque chose d’important dans le che-

minement de l’histoire.

Quelque chose d’autre sur le plan humain de l’autre côté du lac, j’ai mis une « plaine »

aire de jeu avec un toboggan, des balançoires … et un autre enfant qui habite dans une des

maisons qu’ils voient, celle avec une barque jaune et d’ailleurs, cela leur permet de revenir

en barque sur le lac car ils vont sympathiser …

Les chats et les humains parlent aussi, les chats font leurs commentaires mais on ne sait

pas réellement s’ils parlent, comme si on ne pouvait pas s’imaginer qu’ils parlent car les

humains ne répondent pas directement au chat. Par exemple au moment de faire les sand-

wichs : « plus de jambon, pas de cornichons avec le pâté parce que je n’aime pas ça … »

On ne sait pas s’il le dit réellement ou pas, ce sont des commentaires drôles. Il est intéressé

uniquement par le panier à pique-nique !156

».

Le narrateur textuel entretien l’ambiguïté157

. Par deux fois, les chats sont inté-

grés au discours sans que le lecteur puisse décider si « oui ou non » les chats ont réelle-

ment parlé et si les êtres humains les ont entendus : Page 16 « décident-ils tous en-

semble » et page 34 « Oh oui ! Quelle bonne idée ! ». Qui parle ? Le lecteur est libre de

son interprétation. Tout au long de leur balade, les chats demandent à faire une pause

mais les êtres humains répondent autre chose. Les ont-ils entendus ? Est-ce une réponse

ou une autre réplique sans rapport ? L’effet est à la fois désorientant et enthousiasmant

pour le lecteur qui cherche les indices textuels pour délibérer … décision qui semble

impossible mais la lecture prend une tournure de chasse aux mystères de la langue « de

chat » !

« Les points de vue, j’y ai pris énormément de plaisir, je l’ai fait de façon concentré de l’été

à novembre 2010. Pendant cette période, dans les dessins, des choses ont bougé mais je

n’ai pas pu aller plus loin … ! Je n’ai pas encore le recul, de cet album, mais il s’en dégage

de l’énergie car je l’ai fait dans un temps moins dilué. Je suis très attachée à ces lieux et à

ces personnages158

».

● La maison de Martin159

Une maison qui s'envole, comme les sapins, tout est possible sur cette terre qui

tourne. C'est le vent qui est responsable et Martin n'y peut rien. Comme le texte de La

156

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 157

Doute que le lecteur ne ressent pas quand il « entend » le chat Mystère dire « bonjour » à Kÿt. 158

Extrait de la rencontre avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse. 159

« Elle s’est vraiment envolée, sa maison … Il ne l’a pas rêvé ! » Extrait de l’entretien téléphonique du

03/12/2010.

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terre tourne, l'incipit et l'excipit de cette histoire sont identiques avec une variante :

l'environnement a changé : la plaine est remplacée par l'océan. La terre est devenue

l'eau160

, le cycle de création est inversé. Martin a changé d'élément de vie mais pas de

lieu de vie. Sa maison s'est transformée en bateau. « Martin habite une haute maison

rose dans une vaste plaine que le vent traverse en courant / Martin habite un haut bateau

rose sur un vaste océan que le vent traverse en courant. »

Ici aussi, le narrateur imagier est nécessaire pour comprendre le jeu de mots du narra-

teur textuel.

● Mystère

Kÿt fait partie de ceux qui vont « voir le monde », ceux qui « vont et viennent de

par le monde » pour voir ce qui s'y passe. Ici aussi, le point de départ et le point d'arri-

vée sont le même lieu : la maison de Kÿt. Entre les deux, la terre a tourné, une nuit est

passée, pendant ce temps, elle a voyagé. Elle ne suit pas un chemin mais des traces de

pas, elle est guidée par … un chat qui parle. Ici, le chat est son guide, il lui fait décou-

vrir la forêt, la neige, les oiseaux, le refuge … le monde puis la reconduit et l'accueille

chez elle. Il fait bon chez soi, à l'exemple de « ceux qui restent parce qu'ils sont bien là ».

La maison est toujours là, elle attend le retour de son hôte. Dans Mystère, le lecteur

avance au rythme des pas de Kÿt, au rythme de la terre qui tourne. Afin de répondre

sans ambiguïté à la question : « où donc m'emmènent ces pas ? » que se pose Kÿt, le

narrateur imagier est nécessaire. Le lecteur voit en effet le chat Mystère assis avec deux

tasses de thé ou de café attendre le retour de Kÿt. Les deux narrateurs apportent leur

complément d'informations. D'ailleurs, Kÿt et Mystère sont deux personnages de La

terre tourne.

Dans ces quatre albums, nous pouvons dire que le narrateur imagier a un point

de vue omniscient car, il sait par avance jusqu'où il amène le ou les personnages de l'his-

toire.

160

Comme dans Temps de chien, « la mer tombant du ciel » : Gérard Genette, Figures I, éditions du Seuil,

essais, 1966, p. 15. « Si le reflet se révèle un double, … l’envers vaut l’endroit, le monde est réversible. »

Ibidem., p. 14.

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72

Ici, nous sommes au cœur de l’album161

pour la jeunesse. L’imbrication des

deux narrations peut être tellement forte que la lecture de l’une ne peut se passer de la

lecture de l’autre qui la guide, la complète, l’oriente … selon le type d’articulation vou-

lu par l’auteure-illustratrice. Les dialogues ne sont pas doublés par l’image, l’image

n’est pas un accompagnement poétique de l’histoire, le narrateur textuel et le narrateur

imagier sont un des rouages du cheminement de l’histoire. La nature du texte a changé,

il est devenu inséparable de l’image. Car, comme l’expliquent Claire Segura-Balladur et

Evelyn Audureau, « quand l’écrivain est également l’illustrateur. Il est alors possible

d’imaginer que dans ce cas, le rapport texte/image n’a pas de meilleure adéquation.

Dans un même mouvement, l’auteur va chercher le trait, la couleur, le cadrage qui ex-

primera son récit (…) et répartir ainsi lui-même les effets de sens entre son texte et ses

images162

».

c) Les histoires racontées à la troisième personne (singulier et pluriel) et échanges oraux

ou écrits : dialogues ou correspondances au discours direct et à la première personne du

singulier « je ».

● Le temps d'une lessive163

● Le grand murmure

● Cartes postales164

Pour chaque carte, le narrateur est un des personnages de l'album qui se fait scripteur et

le contenu de la carte est rédigé à travers son point de vue de rédacteur.

161

« Il est ainsi difficile dans ce type de mise en page d’isoler le texte de l’image tant l’un participe de

l’autre au sein d’une expression résolument plastique. Les différents énoncés s’organisent en cohérence

dans une composition unique… Chacun des signifiants linguistiques, iconiques et plastiques, contribue à

une expression globale. » Sophie Van der Linden, L’album, un support artistique ?, in La littérature de

jeunesse en question(s), sous la direction de Nathalie Prince, PUR, 2009, pp. 29-30 162

Cours Master 2 LIJE, Album pour la jeunesse, 2010, op. cit., p. 8 163

« Un album à part des autres ? C’est un livre de martiens celui-là ! Par l’ambiance et la technique. Ce

sont des formes dessinées mises en couleurs. J’ai fait mes crayonnés sur mon cahier de peinture mais à

cause du grain et avec beaucoup de crayon, les feuilles devenaient toute grise, à force de dessiner,

d’effacer et de recommencer ! Avec l’encre et l’aquarelle, ça ternissait fort. J’ai fait le crayonné sur du

papier de croquis, le grain du papier est plus fin puis je l’ai passé à la photocopieuse avec mon aquarelle.

L’encre laisse une trame mais ça rigidifie le dessin. Il n’y a que sur la page de garde, j’étais enfin assez à

l’aise pour le faire directement à la plume. Sur l’album, ça a donné ce côté très raide. C’est un délire

déclenché par un « lavoir ». Il s’y passe des tas de choses, et on y passe beaucoup de temps. J’aurais

aimé un dessin plus souple, plus à l’aise, faire le dessin juste en direct. » Extrait de l’entretien du

07/11/2010. 164

« Les illustrations, sont comme un renvoi en vis-à-vis, de gauche à droite. » Extrait de l’entretien télé-

phonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011.

Page 73: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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● Le temps d'une lessive

Comme une pièce de théâtre, Le temps d'une lessive s'organise autour de dia-

logues ou « tirades » entre cinq personnages, majoritairement entre la grand-mère et le

voisin. « Cet album est à part » avoue Anne Brouillard, « c'est un délire déclenché par

une scène que j'ai vu dans un lavoir. » Cet album, édité en l'an 2000, corrobore avec « la

peur de l'an 2000 et des extra-terrestres » car, comme ils le disent « les gens ont peur de

tout » mais il faut bien reconnaître que « nous sommes bien plus dangereux avec notre

pollution. » Comme dans l'album Reviens sapin par exemple, le lecteur retrouve ici un

message en faveur du respect de l'environnement. Ici, la terre est une planète de l'uni-

vers, une parmi tant d'autres, « elle tourne dans l'univers, parmi les étoiles » et les gens

sont « tout petits » au sein de ce cosmos « géant ». Dans cet album encore, pour contre-

balancer la dénonciation des dangers d'un déséquilibre encouru à cause des activités

humaines, l'humour et les propos « loufoques » en apparence désamorcent la gravité par

le rire ou le sourire complice. La légèreté des propos n'est jamais anodine chez Anne

Brouillard. Une lecture en profondeur permet d'en saisir la portée universelle. Qui a dit

que l'être humain pensait d'abord à bien manger, où qu'il se trouve165

?

Le narrateur imagier apporte une autre dimension au texte. Sans les illustrations,

le lecteur assiste à une conversation « décousue » mais suivant une progression à thème

linéaire malgré tout :

lessive → couleurs → séchage → nuit → lune : « pleine lune »

plantes → jardin → bassin : « peur »

univers → pollution → planètes : « manger »

pâte à crêpes → mari (TV, manège, mousse) : « renversant »

essorage → séchage → humidité → rentre en autobus → papy / crêpes !

Les personnages s'écoutent et se répondent, une idée en amenant une autre et

ainsi de suite. Cependant, les répliques des enfants : « Au revoir petits poissons, disent

les enfants. - Bon retour les habits. » interpellent le lecteur. D'où viennent ces poissons ?

Y a-t-il un aquarium dans ce lavomatique ? Afin de profiter pleinement de cet album, le

narrateur imagier est nécessaire. Il donne à voir ce qu'imaginent les enfants dans leur

tête au fur et à mesure que les adultes progressent dans leur conversation et selon le

165

« Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. » L’Avare (1668), Citations de Jean-Baptiste

Poquelin, dit Molière.

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linge (couleurs, motifs ou uni) qui tourne dans les machines à laver. L'imagination des

enfants est déclenchée par les propos des adultes qu'ils entendent alors qu'ils regardent

le linge tourner à travers les hublots. Ici, les deux narrateurs imagiers se retrouvent pa-

rallèlement : La terre tourne : page 10 / Le temps d'une lessive : le hublot de la machine

à laver. Où la rotation du tambour de la machine est comparée au mouvement de la terre

qui tourne.

Ici, le livre se retourne pour suivre le mouvement de la lecture comme dans La mai-

son de Martin par exemple. La terre tourne, tout tourne avec elle, suivant son mouve-

ment, parfois, le lecteur doit faire de même avec le livre, imitant le mouvement de la

terre qui tourne.

● Le grand murmure

L'excipit renvoie à l'incipit, l'entrée et la sortie dans l'histoire se réfléchissent

comme dans La terre tourne. Le narrateur présente le cadre extérieur et sous-marin afin

de mieux mettre en valeur, par contraste, les bruits sur terre. Ici aussi, comme dans Le

temps d'une lessive, l'histoire se déroule le temps d'une conversation, téléphonique cette

fois-ci.

Kÿt se demande où vont ses pas ? Martin où est sa maison ? Antoine où sont allés

les sapins de noël ? Etc. … Ici, les deux interlocuteurs, un enfant et son correspondant,

se demandent où vont les mots qu'ils disent, par où passent-ils ? Comme les chemins, ils

ne s'arrêtent jamais, tout comme la terre dans l'univers, ils circulent librement, comme

l'air, ils passent à travers tous les obstacles.

Que se passe-t-il sur terre, ailleurs, le long des fils téléphoniques, le temps de leur

conversation ? C’est le rôle du narrateur imagier, il sait lui, ce qui se passe, où, com-

ment et pour qui … il le montre au lecteur. Comme dans Le temps d’une lessive, il

donne à voir l’imagination des enfants. Ici, il illustre aussi cet intervalle temporel et

spatial. Comme dans La terre tourne, le monde bouge, vit, est animé. Le vent souffle, le

train passe … le bruit et le silence vont de paire « le silence est rempli de voix », tout

comme la terre tourne « sans qu’on y pense », les deux faces d’un même élément sont

complémentaires et interdépendants. Comme le « plus » et le « moins », le « yin » et le

« yang », ils s’équilibrent. On apprécie le silence par opposition au bruit ; le bruit casse

le silence.

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● Cartes postales

La correspondance est écrite ici. C’est un album épistolaire en chaîne, rédigé et

expédié tout autour de la terre. Les deux enfants, Pimpinelle et Marin s’écrivent une

carte postale par oiseaux voyageurs. Pimpinelle166

Saxifrage167

manque d’eau pour ses

plantes, Marin, lui, en a trop. Elle lui demande donc son aide qu’il accepte, le « trop »

va équilibrer le « pas assez ». Ce sont les oiseaux noirs, corbeaux ou corneilles, qui

transportent les cartes postales, le soleil et la pluie. Les oiseaux font la pluie et le beau

temps168

. Les animaux aussi participent à cet équilibre, tout comme les êtres humains,

ils vivent aussi sur terre et chacun est dépendant de son milieu environnant, le biotope.

Ainsi, tout au long de l’album, le lecteur découvre la série de cartes postales questions-

réponses suivantes :

Pimpinelle écrit à Marin qui lui répond : soit Pimpinelle ↔ Marin

Chien → oiseaux → chats → serpents → canards → écureuils → poissons → chien

Le narrateur « graphique » a un point de vue omniscient. Il sait « à qui écrivent

les canards ». Le narrateur responsable des « pictogrammes » a une vue d’ensemble. Ici,

le narrateur textuel adapte son graphisme169

selon l’émetteur, le récepteur, l’espace de

vie et les besoins naturels : « les plantes ont besoin d’eau pour pousser. » Cet album

illustre la circulation du temps qui passe, des saisons, tout autour de la terre, qui tourne

dans l’univers. Les systèmes de communications sont différents mais les propos et les

préoccupations sont communes : vivre sur terre en préservant l’équilibre sur cette même

terre. Comme dans Mystère, les traces peuvent être visuelles « traces de pas » ou sym-

boliques « traces sur le papier », les unes guident les pas sur les chemins sans fin, les

autres conduisent les mots entre les êtres d’un lieu à l’autre. Chacun a besoin des autres,

les mots circulent, les traces restent, pendant que la terre tourne toujours.

166

« Nom donné au genre boucage, ombellifères. » Dictionnaire Le Littré. 167

« Nom donné à une ombellifère. » Ibidem. 168

« Cette expression qui date de 1732 fait une possible référence aux dieux mythologiques qui avaient le

pouvoir de maîtriser les éléments et, selon leur bon vouloir, de rendre le ciel éclatant ou très menaçant au-

dessus des simples mortels. Mais, croyance évoquée par Voltaire dans "Réflexion pour les sots", on ne

peut oublier aussi qu'à Paris, Sainte-Geneviève était supposée avoir le pouvoir d'interrompre les pluies

torrentielles ou les sécheresses les plus graves. » in http://www.expressio.fr/expressions/faire-la-pluie-et-

le-beau-temps.php 169

« L’icône correspond à la classe des signes dont le signifiant entretient une relation d’analogie avec ce

qu’il représente, c'est-à-dire avec son référent. Un dessin figuratif, (…) représentant un arbre ou une mai-

son sont des icônes dans la mesure où ils « ressemblent » à un arbre ou une maison. » Martine Joly, In-

troduction à l’analyse de l’image, Nathan Université, collection 128, 1993, p. 27.

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d) Texte raconté à la troisième et à la première personne.

● Le bain de la cantatrice : Une chanson pour un caprice balnéaire.

Premier couplet avec une incise à la première personne du singulier « je » : « je m’en

vais … » avec le point de vue de la cantatrice.

Deuxième couplet descriptif raconté à la troisième personne, elle raconte ce qu’elle dé-

clenche dans la vallée170

.

Troisième couplet : dénouement, la fin de la chanson qui renvoie au premier couplet.

Un autre album pour illustrer combien l’équilibre de la vie sur terre est fragile.

Même si la terre tourne même si on n’y pense pas, le temps passe, change, bouge et peut

basculer même si on l’a oublié. C’est ainsi que, pendant que la terre tourne pareillement,

pendant que la cantatrice chante pour faire tomber la pluie, des gens doivent quitter leur

espace de vie englouti sous les eaux. À chacun sa méthode pour avoir de l’eau ! Ici, au

moment du bain matinal, le temps qui se réveillait tranquillement s’affole tout à coup,

en réaction au chant de la cantatrice. La pluie se déchaîne, l’eau monte encore et encore,

pendant que la terre tourne lentement, imperturbable, les nuages eux, accélèrent le

rythme. Tout comme le vent peut n’être qu’air, la pluie une brume, les éléments peuvent

se déchaîner sur terre, dans le ciel mais, la terre tourne toujours au même rythme et dans

le même sens.

Le texte est musical par sa présentation (sur une portée171

) et par ses sonorités

(rimes, répétitions et onomatopées). Il présente de nombreuses répétitions. Ces insis-

tances permettent au lecteur de prendre conscience de l’ampleur des dégâts car, « une

flaque d’eau est devenue un océan ». Le comique de la situation est accentué par ces

répétitions. L’effet voulu est de dénoncer tout ce qu’un caprice d’une seule personne

peut déclencher comme catastrophe pour tant d’autres. Ici, le « ridicule ne tue pas »172

.

Cette cantatrice et son caprice rappelle la Castafiore173

et les siens. L’une énerve les

nuages avec son chant, l’autre brise les vitres avec ses vocalises et réveille ses com-

parses. Le narrateur imagier participe aussi de cet humour. En effet, pendant qu’elle

prend son bain dans l’océan, les gens partent sur des bateaux mais, ils continuent de :

170

« C’est elle qui raconte, toujours elle qui chante. D’ailleurs, c’est cette chanson qui provoque cette

pluie. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 171

« J’ai fait de la musique, je suis capable d’écrire une portée, une partition … malheureusement, je

n’ai plus le temps de pratiquer la musique ou un instrument. » Extrait de l’entretien téléphonique du

27/10/2010. 172

Louis Gauthier "Le ridicule ne tue pas, mais il met mal à l'aise." Les grandes légumes célestes vous

parlent (1973). 173

Les bijoux de la Castafiore, Hergé, éditions Casterman, 1963.

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regarder la télévision, faire sauter des crêpes, lire le journal … comme si de rien n’était.

Ils n’ont pas l’air affolé du tout. Tout comme le voisin du Temps d’une lessive, tout ce

qui semble importer à ces gens, c’est de bien manger, pouvoir vivre tranquillement

quelque part dans l’univers. Si La terre tourne tranquillement, les habitants de la terre

aspirent au même rythme de vie. Où qu’ils aillent, ils veulent « être bien » car, quoiqu’il

arrive, La terre tourne toujours inexorablement.

3. Les textes à la première personne « je »174

: l’histoire est

racontée à travers le regard d’un personnage

● Il va neiger

● Le pays du rêve175

● Le rêve du poisson

● Le chemin bleu176

Le narrateur est le héros de l’histoire qu’il raconte.

● Il va neiger

À la manière de La terre tourne, le texte commence et se termine par une même

phrase avec une variante :

- « Il n’y a plus personne (sous entendu dedans la maison). Si, le chat … »

- « Il n’y a plus personne dehors. Si, les oiseaux … »

« Certains partent, d’autres restent parce qu’ils sont bien là. » Pendant que La terre

tourne, la nature vit, le monde est animé, chacun a son propre rythme, tout doucement,

le jour devient la nuit, les flocons des étoiles177

… imitant le rythme de la terre qui

174

« … narrations dans lesquelles narrateur et personnage ne sont qu’une seule et même personne. (…)

prennent la forme d’un monologue intérieur, d’une confession ou d’un témoignage. (…) Ce choix narratif

provient, … de la tendance … à privilégier l’identification du lecteur au héros, au moyen d’une écriture

intimiste. Il s’agit, pour le narrateur, d’être au plus près de la parole de l’enfant ou de l’adolescent … mais

aussi de mettre en place une stratégie apte à capter ou à séduire en limitant la distance énonciative. »

Marie-Hélène Routisseau, Des romans pour la jeunesse ?, Belin, 2008, pp. 95-96. 175

« Certains albums sont associés à une musique, Le pays du rêve est associé à Bobby Mc Ferrin. »

Extrait de l’entretien du 07/11/2010. 176

« En tant qu’adulte, il se voit enfant. Je voulais réaliser un album sans ligne du temps. Des époques

différentes sont entremêlées. Impossible dans l’écrit mais possible dans l’image. C’est le point de vue de

l’adulte qui se voit enfant qui devient le point de vue de l’enfant. On échange les points de vue. La même

personne à deux époques différentes qui se croiseraient. L’adulte revient et se voit enfant… ce que tu as

vécu n’a pas complètement disparu, tu reviens sur les chemins, tu te revois enfant. » Extrait de l’entretien

téléphonique du 31/01/2011. 177

« Chez Anne Brouillard, (…) les flocons de neige sont devenus des étoiles. Dans ses albums, la lu-

mière vibre et se colore selon les heures du jour, » et de la nuit, « au fil du temps qui passe. Froide et

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tourne. Le chat est encore présent, il attend « près de l’écluse », dans la maison, dans le

jardin, protecteur réceptif aux vibrations de la terre, aux ondes émises par le mouvement

circulaire de la terre dans l’univers. Les troncs d’arbres aussi sont immobiles, La terre

tourne, Le chemin bleu, tout comme la maison, ceux qui restent, les arbres ne bougent

pas, ils attendent le retour des autres. Comme la porte, la gare sont des lieux de passages

sur terre, les chemins, la voie ferrée sont des lieux de voyages tout autour de la terre. Le

texte s’apparente à une réflexion, une pensée intime du personnage. Quand « il » ou

« elle » se retrouve seul(e), « non », avec le chat pour compagnon, il laisse s’échapper

son esprit, il laisse voyager ses divagations, il voit en imagination les autres qui sont

partis, où ils sont et ce qu’ils font pendant que la neige et la nuit tombent. Les autres

sont des enfants qui sont partis faire de la balançoire dehors. Le rythme semble ralentit,

feutré, les répétitions renforcent l’effet de cette cadence calme et ralentie.

Le narrateur imagier montre le paysage, l’espace de vie intérieur, les autres qui

sont partis : un couple, un chien, deux enfants, le chat noir mais, jamais le narrateur tex-

tuel. Qui parle ? Le lecteur doit imaginer d’après les indices textuels et imagiers qui lui

sont offerts. Ici comme ailleurs, il a neigé, la terre tourne et le soir, chacun rentre dans la

chaleur des intérieurs car l’hiver, on vit au-dedans comme l’annonce le narrateur du

pays du rêve. Au rythme de la terre qui tourne, les bébés grandissent bien au chaud,

dans le ventre de leur mère, naissent et un nouveau cycle recommence. Ainsi, l’intérieur

chaud des maisons symboliserait cette matrice ronde et chaude :

- le ventre maternel pour les bébés

- la terre pour les habitants terrestres

- la maison pour les êtres humains (et les animaux)

● Le pays du rêve

La terre tourne dans l’alternance des jours et des nuits. Suivant ce rythme binaire,

le narrateur vit dans deux mondes, d’un rêve à l’autre, d’une réalité à l’autre. Son rêve

est tellement fort qu’il devient réel. Comme Dorothy (Le magicien d’Oz), elle revoit

dans ses rêves les gens, les choses qu’elle connaît, son environnement mais, différem-

ment. Un autre monde à l’envers, de l’autre côté du miroir, comme le monde d’Alice

(Alice au pays des merveilles). « À l’envers de l’eau » comme l’annonce la chanson

d’accueil. Si la terre tournait dans l’autre sens, le monde serait-il à l’envers ? Sur terre,

bleutée quelquefois, orange et chaleureuse, à d’autres moments. Anne Brouillard excelle à rendre les

atmosphères. » Michel Defourny in http://www.litteraturedejeunesse.cfwb.be

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l’eau tombe du ciel, le cycle de l’eau accompagne le cycle de la terre qui tourne. Au

pays du rêve, l’eau semble venir d’en bas, de la terre. Comme dans Le rêve du poisson,

le narrateur découvre qu’avant, le globe terrestre était recouvert d’eau, d’ailleurs, on

l’appelle encore « la planète bleue ». Ici, le temps s’écoule en jour et en nuit avec des

ellipses plus ou moins longues car :

- de l’automne → l’hiver approche

- la pluie → devient de la neige

La narration est au passé car le présent est celui de l’adulte qu’Éloïse est devenue.

La ligne de chemin de fer représente le passage d’un pays à l’autre, la porte

l’intermédiaire dedans / dehors et l’entrée de la propriété l’accès d’un monde à l’autre.

Au fil des jours et des nuits, le narrateur textuel raconte sa vie (en police normale), ses

rêves (avec un lettrage en italique), le mouvement de la terre qui tourne. La narration à

la première personne du singulier rend crédible le récit, le narrateur prend le ton de la

confidence. Le lecteur partage ses doutes pour enfin y croire. Mais, était-ce vrai ? Le

narrateur imagier donne à voir ce pays du rêve, en pleine page et en couleurs. La terre

tourne toujours au même rythme mais, la nuit, les images défilent plus lentement tandis

que le jour, les actions, les évènements se succèdent les uns après les autres sur un

rythme plus rapide alors que la terre tourne toujours au même rythme, le jour comme la

nuit. La terre est notre monde … en existe-t-il un autre ? Comme semblent le suggérer

la grand-mère et son voisin ?

Le rêve du poisson178

Si Éloïse rêve d’un autre monde et le cherche, Colin bascule dans un autre

monde sans s’y attendre. Pour ces deux narrateurs textuels, l’autre monde, l’autre di-

mension existe, ils en ont fait l’expérience. Cependant, si Éloïse doute de son existence,

qu’a-t-elle vu au juste ? Colin n’en doute pas, il subsiste des traces réelles. Ce monde179

178

« Anne a un univers particulier, une façon de traiter l’image et la narration propre, elle a un esprit

particulier, une façon de regarder les choses qui la rend reconnaissable, qui lui est propre, elle a ce qui

s’appelle un « style » en littérature. Dans cet album, elle a une dimension plus large, il n’est pas facile

d’accès, elle bouge les codes, les frontières, il a une atmosphère angoissante, presque malsain mais elle

le traite avec beaucoup de légèreté et d’intelligence. Il y a pas mal de mystère, l’univers de cet album est

étrange, dérangeant, suintant, humide, verdâtre. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Frédéric La-

vabre, du 17/11/2010. 179

« Les hommes ont besoin de dire le monde et de le penser. (…) Pour donner forme et sens aux mys-

tères du monde, à son « inquiétante étrangeté ». Edwige Chirouter, Philosophie avec les enfants et littéra-

ture de jeunesse, op. cit., p. 13.

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parallèle tourne t’il parallèlement à la terre, dans l’univers ? Le fait que Colin ait vécu

cette expérience, puis sa sœur, son retour bien plus tard sur les lieux, cette maison qui a

une âme, tout concourt vers l’idée que sur terre, tout est vivant. Chaque élément a une

âme. Comme dans Le chemin bleu, les murs gardent des traces, des souvenirs, de notre

passage sur terre, à l’exemple du carnet de voyage dans Mystère. Les traces de son

mouvement sont matérialisées par l’ombre des arbres qui tournent et s’allongent au sol.

L’eau et le vent sont toujours les éléments nécessaires à la vie sur terre. Cependant, trop

d’humidité dans l’air empêchent la vie terrestre. Les poissons vivent dans les profon-

deurs de l’océan (Le grand murmure). Les gens vont et viennent sur terre, comme les

nuages dans le ciel et le vent dans la plaine. Chaque élément a sa place dans l’univers et

dans le cycle de la vie.

Le narrateur imagier dépeint ce monde humide et verdâtre, il donne leur appa-

rence aux poissons et à l’environnement. Par ces illustrations à la plume et à l’encre, le

narrateur imagier montre au lecteur ce que le narrateur textuel vit et raconte. Il donne à

voir l’incroyable, attestant ainsi les dires du narrateur textuel.

● Le chemin bleu180

Ce narrateur fait partie des gens qui « veulent aller voir ce qu’il y a derrière le

tournant du chemin ». Il veut faire le tour de la terre. Comme le narrateur de Voyage, il

a vu des pays. Comme le narrateur du Rêve du poisson, il est revenu sur les lieux de son

enfance. Comme le narrateur de Mystère, il rentre chez lui, il est bien « là où il est »,

maintenant, dans le présent. La terre elle a continué, continue et va continuer de tourner

toujours dans le même sens et au même rythme, même si le narrateur voyage dans

l’autre sens, comme le train ou les mots qui passent dans les fils. Le chemin bleu sym-

bolise ce chemin qui n’en finit pas, sur terre mais aussi dans le ciel « bleu », sur la mer

« bleue », sous l’océan « bleu ». Il illustre aussi le mouvement circulaire de la terre,

l’ombre tourne autour de l’arbre, comme l’eau des rivières, l’ombre ne s’arrête jamais,

la terre tourne encore et toujours, imperturbablement. Si dans La terre tourne le bébé est

devenu un enfant, dans Le chemin bleu, Le rêve du poisson, Le pays du rêve, le narra-

teur enfant est devenu un adulte, il a voyagé, il a grandi, il est revenu. L’arbre, la maison

180

« J’ai découvert une mélasse rousse dont je me sers désormais pour chauffer l’ombre bleue portée par

les maisons et certains arbres clairs. (…) L’ombre est insécable. (…) Je me heurte à la texture de

l’ombre. La multiplicité des parcelles entrelacées, l’enchevêtrement des feuilles si fines, oscillantes, en

perpétuel mouvement… » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 160. 168-169.

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… restent toujours. La terre, elle, tourne toujours quoi qu’il arrive, quoi qu’il se passe,

que le narrateur voyage longtemps ou pas, grandisse ou reste sur place.

Le narrateur imagier grave le monde imaginaire du narrateur enfant. Mais aussi, le nar-

rateur imagier joue avec le regard du lecteur. En effet, le texte est elliptique sur toute la

période des « voyages » du narrateur, les illustrations superposent les deux narrateurs

enfant et adulte sur une même image, matérialisant ainsi cette ellipse temporelle entre le

départ et le retour du narrateur dans le même espace, sur le même lieu. Une belle façon

d’accélérer le temps et de le montrer au lecteur en un clin d’œil.

C. Comment La terre tourne est évoquée à travers les sens ?

1. Le lecteur entend la terre tourner (elle est sonore)

Si le mouvement de la terre qui tourne ne fait pas de bruit, la vie sur terre est

bruyante, bruissante, claquante, tintante … brisant le silence de cette terre qui tourne

encore et toujours. Le silence se retrouve au fond des océans, des forêts, de la nuit ; de-

hors, dans la neige, sous le soleil. Car, la terre tourne silencieusement, « dans un mo-

ment de silence » comme dans l’agitation des hommes, de la nature ou des animaux.

Les bruits peuvent être doux ou étouffés, secs et nets, quotidiens, rassurants ou inquié-

tants, inhabituels. Les bruits interpellent et le silence laisse songeur, parfois, les bruits

informent d’évènements que les personnages ne voient pas. L’univers sonore sur terre

se retrouve dans le lexique utilisé et dans l’arrangement musical des mots. Par une lec-

ture à haute voix, le lecteur peut savourer à l’oreille la prosodie des histoires. Les textes

résonnent entre eux181

et riment, ils s’interpellent comme une musique autour de son

refrain « La terre tourne ».

181

Et avec d’autres aussi … Par exemple, « la pluie qui tambourine » sur le toit de la véranda De l’autre

côté du lac évoque au lecteur l’atmosphère de Tove Jansson dans Le livre d’un été. En effet, cette auteure

a bercé l’enfance et la jeunesse d’Anne Brouillard … « c’est encore quelque chose de profond en moi

… »

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2. Le lecteur voit la terre tourner (elle est en mouvement

perpétuel)

Le jour alterne avec la nuit, l’ombre avec la lumière, la ville avec la vaste plaine

… Le narrateur voit le chemin, l’autre bout de la terre, la ligne d’horizon, des pays sans

fin … Au rythme de la terre qui tourne, le lecteur voyage avec le narrateur, il voit tous

ces paysages, les couleurs de l’aube, du crépuscule, les couleurs des saisons qui passent.

Il est possible de voir le mouvement de la terre qui tourne grâce aux nuages, grâce à leur

reflet, grâce aux ombres qui s’allongent … Même si le déplacement de la terre ne peut

pas se voir depuis la terre, les étoiles, la lune, le soleil, l’observation de ce qui se passe

tout autour montre que la terre tourne inlassablement. Que les images qu’il voit défilent

comme dans un train182

, que le narrateur aille voir le monde, le tournement de la terre

est modélisable depuis la terre, visible depuis l’univers. Il existe et continue invariable-

ment.

3. Le lecteur sent la terre tourner (elle est odorante)

Le souffle du vent fait ressentir le mouvement de la terre, l’air circule toujours,

permettant la vie sur terre. Les odeurs183

accompagnent le rythme quotidien : les arômes

du café, les odeurs de la ville, le parfum de la rosée du matin … Les odeurs permettent

aussi de ressentir les saisons : froides en hiver, elles sont chaudes en été. Les odeurs

connues et rassurantes accompagnent ce rythme lent et régulier de la terre qui tourne.

Les odeurs inconnues et désagréables annoncent une perturbation dans ce rythme, susci-

tant un malaise ou un déséquilibre.

Par ces trois sens, le narrateur exprime la régularité, l’ordre naturel et normal de la

terre qui tourne. Quand un des sens détectent quelque chose d’inhabituel, d’étrange, de

désagréable, alors, La terre tourne toujours « même quand on n’y pense pas » mais, le

narrateur se retrouve en décalage par rapport à ce rythme régulier. Le lecteur s’implique

d’autant plus dans sa lecture qu’il a envie d’aider le narrateur à retrouver ce rythme ber-

çant et rassurant de la terre tournant.

182

« Être nulle part mais y être vraiment (comme les trains). » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 62. 183

« Les odeurs sont importantes, elles évoquent tout ce qu’on a vécu, elles sont comme une enveloppe de

souvenirs et de sécurité. » Tove Jansson, Le livre d’un été, Albin Michel, 1978, p. 111.

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Correspondances : un art poétique idéaliste184

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

ŕ Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,

Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,

Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

D. Le mouvement / La rotondité

Tout tourne, tout tourne rond185

, à l’image de La terre tourne autour d’ « un tout

petit monde186

». Le « o » est rond, le « r » l’arrondi, les mots deviennent « ronds », tout

autour de la terre187

. Car, la terre est ronde et tourne en rond. Les crêpes sont rondes, les

roues, les ronds de fumée, les gouttes d’eau, les points d’eau, la lune, le soleil, la tasse à

café, les hublots … Le chat ronronne, les rimes sonnent … Les gens, les chemins, les

trains … tout circule tout autour de la terre formant une grande ronde.

Ce tournement lent, tranquille et régulier de la planète est permanent. Que le nar-

rateur parte en voyage ou reste sur place, le lecteur chemine dans l’espace et dans le

temps, toujours selon cette même circulation perpétuelle.

Ce mouvement est aussi oscillatoire car la narration se déroule dans deux es-

paces : l’intérieur et l’extérieur. Le narrateur textuel promène le lecteur, au rythme de la

terre qui tourne mais aussi selon un balancement binaire : dedans / dehors, jour / nuit,

été / hiver, chaud / froid, lumière / ombre, rassurant / inquiétant.

184

Baudelaire, Les Fleurs du Mal, IV. 185

« Le rond : qui évoque la douceur, le calme, la paix. Sans commencement, ni fin il renvoie au temps.

C’est une forme ludique non agressive. » Les différentes symboliques de la publicité in http://strat-pub-

tpe.e-monsite.com 186

David Lodge, Un tout petit monde, éditions Rivages, 1992. 187

Jacques Prévert, En sortant de l’école.

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Ce double mouvement, linéaire et circulaire se retrouve dans l’écriture. Les

phrases sont horizontales mais les répétitions amènent une lecture circulaire, « intra » et

« inter » textuelle, par des jeux de connivence avec le lecteur. Les textes sont appréciés

à travers la musicalité de la langue, les sonorités, les résonnances qui demandent au lec-

teur de les lire avec des aller-retour afin de savourer leurs effets. La fin d’une phrase,

d’un paragraphe, d’un texte renvoie généralement au début.

Aussi bien textuellement que visuellement ou sonorement, la fin d’une histoire

réfléchit le commencement dans un mouvement spiralaire infini. Comme un miroir re-

flète une image, la dernière page reflète la première et une histoire en rappelle une

autre188

.

La lecture des albums est donc à la fois linéaire et circulaire, à l’image de la terre

qui est ronde et la plaine plate. Illustrant la terre qui tourne dans l’univers qui est infini.

« Le symbole indien par excellence est le cercle. La nature veut la rondeur des choses. Les

corps des humains et des animaux n'ont pas d'angles. En ce qui concerne les Indiens, le

cercle est le symbole des hommes et des femmes rassemblés autour du feu de camp, parents,

amis réunis en paix pendant que la pipe passe de main en main. Le camp dans lequel

chaque tipi avait sa place forme aussi un cercle. Le tipi est le cercle où l'on s'assoit en cercle.

La nation est seulement une partie de l'univers, en lui-même circulaire et fait de la terre qui

est ronde, du soleil qui est rond, des étoiles qui sont rondes ; et la lune, l'arc-en-ciel, l'hori-

zon sont aussi des cercles insérés dans des cercles insérés dans des cercles sans commen-

cement ni fin. » Tahca Ushte Parole Amérindienne

« Le vent, dans sa plus grande puissance, tourbillonne. Les oiseaux font leur nid en rond,

car leur religion est la même que la nôtre. Le soleil s'élève et redescend dans un cercle. La

lune fait de même, et ils sont ronds l'un et l'autre. Même les saisons, dans leur changement,

forment un grand cercle et reviennent toujours où elles étaient. La vie d'un homme est un

cercle d'enfance à enfance, et ainsi en est-il de toute chose où le Pouvoir se meut. » Élan

Noir, indien sioux oglala189

.

E. Quels éléments matérialisent la terre qui tourne ?

1. L’air190

Que le vent souffle fort, qu’il soit froid ou chaud ; qu’il soit air, frais ou doux ;

qu’il emporte tout sur son passage, transporte les nuages, apporte la pluie, la neige … il

188

« Le trait circulaire (…) ce qui en fait le charme, c’est que l’esprit, qui ne peut éviter de toujours avan-

cer, voit la même idée, se dresser devant lui pour la deuxième fois, mais comme sa propre partie adverse,

et qu’il se voit contraint par leur identité à dénicher entre elles quelque ressemblance. » Lucien Dällen-

bach, Le récit spéculaire, Essai sur la mise en abyme, éditions du Seuil, Collection poétique, 1977, p. 54. 189

Source : http://cercledevie.e-monsite.com 190

« Le Vent est le facteur climatique du changement, ramenant les masses d'air chaud au printemps,

favorisant le mouvement des arbres, des plantes, des vagues, etc. » in http://www.passeportsante.net

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permet de ressentir le mouvement de la terre qui tourne. Ces déplacements d’air évo-

quent le déplacement de la terre dans l’univers.

2. L’eau191

Le cycle de l’eau est circulaire, comme le mouvement de la terre. L’eau des ri-

vières coule toujours, comme la terre tourne toujours. L’eau nourrit la terre, la vie sur

terre. À l’origine, l’eau recouvrait la terre … l’eau et la terre sont inséparables.

3. La terre192

La planète terre, la matière, est l’élément nourricier et support de toute vie.

Tant que la terre tournera, elle accueillera la vie et les hommes s’en inspireront.

Tant que la terre tournera, elle gardera ses mystères et des hommes partiront à leur dé-

couverte.

Tant que la terre tournera, elle voyagera dans l’univers et des hommes voyageront tout

autour.

- Le mouvement du bois : les arbres193

, la forêt, ce qui reste, l’ombre194

qui tourne au-

tour, qui s’allonge, « le chemin bleu ».

- Le métal : le chemin de fer, la voie ferrée, les trains qui circulent dans un sens et dans

l’ombre, le vent qui passe comme un train, ceux qui voyagent.

Sont deux autres éléments qui symbolisent le mouvement de la Terre et l’univers des

albums d’Anne Brouillard.

191

« Il y a 3,4 milliards d'années, la terre était recouverte d'eau dans sa quasi-totalité. C’est dans cette eau

que la vie est apparue. Et les organismes vivants n’ont pas perdu ce lien de maternité avec elle. Car de fait,

l’eau est indispensable à leur survie. Aussi a-t-elle légitimement alimenté la mythologie et revêtu une

symbolique extrêmement profonde. » in http://www.bien-etre.relax-attitude.fr

« L’eau est vraiment l’élément transitoire. Il est la métamorphose ontologique essentielle entre le feu et la

terre. (…) L’eau coule toujours, l’eau tombe toujours … » tout comme la terre tourne toujours. Gaston

Bachelard, L’eau et les rêves, p. 13. 192

« Le Mouvement Terre, dans le sens d'humus, de terreau, représente le support, le milieu fécond qui

reçoit la chaleur et la pluie : le Feu et l'Eau. C'est le plan de référence duquel émerge le Bois et dont

s'échappe le Feu, où s'enfonce le Métal et à l'intérieur duquel coule l'Eau. La Terre (…) reçoit et produit.

La Terre permet de semer, de faire pousser et de récolter. » in http://www.passeportsante.net, op. cit. 193

« Des arbres et ce qu’il y a autour : le paysage. La lumière, l’horizon, le vent… le temps qu’il faut

pour pousser… » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 90. 194

« Si l’ombre abritait la lumière, la protégeait ? » Ibidem., p. 139.

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Les personnages ont conscience du changement des paysages, de

l’environnement, du climat, de l’évolution, de l’étrange … tout comme la terre qui

tourne, la vie s’écoule à chaque seconde pour tout ce qui existe195

. Les choses de la vie

existent par la conscience du narrateur. La terre tourne et la vie s’écoule perpétuelle-

ment.

Sous – conclusion

Généralement, Anne Brouillard travaille le texte de ses albums après les illustra-

tions. Pour L’orage, initialement, elle avait prévu un texte qu’elle a finalement éliminé

pour faire un album « imagier-narratif » exclusivement. Sa sensibilité face au monde

s’exprime pleinement et plus librement à travers ses textes en prose poétique. À travers

son écriture, le lecteur voit les images et ressent les émotions de cette auteure toujours

en éveil. Les sonorités et le rythme de ses textes se prêtent tout particulièrement à une

lecture oralisée à voix haute. Anne Brouillard maîtrise aussi les autres types de narration.

Elle adapte le style du narrateur textuel selon les besoins de l’histoire tout comme elle

sait adapter le style du narrateur imagier selon la narration par les images.

195 Concept holistique que l'homme fait partie de la nature et de l’univers. « Nos énoncés sur le monde extérieur sont

jugés par le tribunal de l’expérience sensible, non pas individuellement, mais seulement collectivement. » Diction-

naire des concepts philosophiques, sous la direction de Michel Blay, Larousse, CNRS éditions, 2007, p. 373.

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III. Quelques résonnances imagières

Un album d’Anne Brouillard est reconnaissable de par l’atmosphère qui s’en dé-

gage. Elle met ses personnages, son style, son univers visuel196

au service de l’histoire

qu’elle raconte. Le narrateur imagier parsème des indices, des attitudes, des couleurs qui

en évoquent d’autres au lecteur. Qu’elle soit auteure-illustratrice ou illustratrice (« pre-

mière lectrice » comme elle dit), Anne Brouillard est unique. C’est pour cela qu’elle est

choisie. Le lecteur s’amuse donc à la reconnaître, la retrouver dans l’univers de la litté-

rature de toutes époques et de tous horizons. Ses propres techniques197

évoluent, chan-

gent « tout n’est pas voulu, tout n’est pas fait exprès » avoue t’elle, « je ne pourrai plus

dessiner ou peindre comme à mes débuts198

». Le lecteur a-t-il « remarqué que certains

éléments reviennent fréquemment dans ses œuvres ?199

». Ils sont comme autant de fils

à tirer. Tout comme l’on parle d’intratexte200

, il s’agit ici d’intra iconicité. Dès son en-

fance, elle avoue avoir ce style en boucle. C’est donc tout naturellement que ses albums

se lisent avec ce rythme circulaire, comme La terre tourne, sur elle-même et dans

l’univers, autour du soleil. Tant individuellement que globalement, les uns avec les

autres, ils s’interrogent, se répondent, font écho par les illustrations (comme ils réson-

nent par les textes, partie A). Comment ses personnages, tant humains qu’animaux, ses

objets, son environnement se retrouvent-ils dans ses œuvres et quels effets donnent-ils

sur le lecteur ? Dans l’espace et dans le temps, au fil des œuvres d’Anne Brouillard,

pour se croiser « à partir de » ou dans La terre tourne pour ensuite tous se retrouver

dans « l’album de ma vie », œuvre sur laquelle elle travaille « en secret » en ce moment

et depuis quelques années déjà … dans un carnet qu’elle garde toujours sur elle où ils

sont tous réunis et où « animaux et humains sont encore plus égaux dans leurs attitudes

et leurs comportements. Ils parlent tous et ils ont même la même taille201

».

196

« Mes livres ne sont pas construits à partir d’idées abstraites, mais d’impressions visuelles. Les « his-

toires » partent d’une image, d’une succession d’images, parfois d’émotions ou de sensations, que

j’essaie de concrétiser dans l’espace de l’album. Que ces livres soient destinés à des enfants m’oblige à

travailler la lisibilité, dans la narration comme dans l’illustration. » Anne Brouillard in

http://www.litteraturedejeunesse.cfwb.be 197

« Chez Anne Brouillard l’histoire racontée et la technique utilisée sont intimement liées. En fait, tout

projet qu’elle conçoit dans sa tête comprend à la fois une émotion qu’elle a envie d’exprimer, mais aussi

un moyen de l’exprimer. » Citrouille n° 28, p. 28. 198

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 15/11/2010. 199

Citrouille n° 28, p. 28. 200

Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, p. 42 : « L’intratexte, c'est-à-dire toutes les histoires

indéfiniment redites de l’auteur qui courent comme autant d’autocitations dans l’histoire qu’il raconte. » 201

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 15/11/2010.

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A. Les personnages : les animaux sont les égaux des êtres

humains

1. Les animaux

À l’échelle universelle, il a fallu des millions d’années pour voir l’évolution dans

le temps et dans l’espace du chat sauvage au chat domestique et du loup au chien …Il a

fallu vingt ans de carrière d’artiste à Anne Brouillard pour suivre et dépasser cette évo-

lution202

.

a) Le chat

Un chat203

ou des chats : du chat, animal sauvage au chat domestique puis humanisé204

« Le premier félin, le proailurus, vivait il y a plus de 30 millions d'années avant notre ère en

Eurasie. Selon des découvertes d'ossements sur le site chypriote de Shillourokambos en

2001, le chat aurait été domestiqué depuis près de 7000 ans avant J-C. Aujourd'hui, on

compte plus de chats que de chiens dans les foyers français, c'est-à-dire plus de 9 millions

de petits félins. Le chat a longtemps été sacralisé : les Égyptiens l'ont divinisé sous les traits

de la déesse protectrice Bastet. (…) Il a été adoré à Rome comme au Japon, et n'a cessé de

passionner l'imaginaire populaire. (…) Souvent utilisé pour ses talents de chasseur afin de

protéger les récoltes des petits rongeurs, il a cependant souffert de nombreuses supersti-

tions, surtout au Moyen-Âge. C'est au XVIIIe siècle, dans les salons anglais, qu'il devient

un véritable animal de compagnie, incarnant grâce et indépendance. Ami fidèle des écri-

vains, héros de cinéma, de nombreux chats célèbres, réels ou fictifs, incarnent cette person-

nalité intelligente, froide et mystérieuse, souvent avec humour205

».

Dans La terre tourne, deux personnages sont des chats mais, ils ont chacun des

caractéristiques tellement différentes qu’ils pourraient parfois être deux animaux dis-

tincts. L’un est noir, couleur la plus sombre, l’autre est jaune, couleur de lumière mais,

c’est surtout dans leurs attitudes qu’ils sont individualisés. Le chat noir reste très félin, il

a une pose de panthère noire. Le chat jaune est anthropomorphique, il se tient assis et

debout comme un être humain. Il accueille, serre la patte … il ne lui manque plus que la

202

« Ce qui change la représentation du monde ne tient pas aux techniques mais au regard. » Thomas et le

Voyageur, op. cit., p. 154. 203

Avec son premier album édité, Anne Brouillard nous présente son animal domestique « préféré » mais,

précise-t-elle, « dans un premier temps, j’avais refusé le projet d’illustration de l’œuvre écrite par Thier-

ry Lenain car je ne voulais pas avoir l’étiquette « Madame chat » ! » Pourtant, son dernier travail

d’illustratrice pour un auteur est pourtant « encore » avec des chats ! « Mais là, c’est de la vraie littéra-

ture, cela ne se refuse pas. » 204

« Donner le caractère humain. » Dictionnaire Le Littré. (Les sentiments, le langage, etc.) 205

Source : http://www.linternaute.com/femmes/famille/animaux/dossier/animaux-domestiques/chat/chat-

histoire.shtml

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parole ! Miracle littéraire206

qui se réalisera dans Mystère. Album doublement résonnant

avec La terre tourne car, le chat Mystère est accompagné de Kÿt, la dame en bleu, sa

partenaire207

. De personnages dans La terre tourne, ils deviennent protagonistes dans

Mystère où ils ont même un prénom, ils sont individualisés. Mais aussi dans De l’autre

côté du lac, où les chats, un blanc et un rayé, s’expriment avec des paroles humaines

mais, sont-ils entendus par les humains ? Le lecteur n’a pas de réponse assurée. Le

doute subsiste. Les humains dialoguent, les chats aussi mais entre eux, le narrateur tex-

tuel entretient la confusion. Cet album est aussi doublement résonnant car, le cadre en-

vironnemental est le même que celui de La terre tourne : le lac Teåkersjön en Suède.

Au travers des albums d’Anne Brouillard, le lecteur peut retracer l’évolution du félin :

du chat « naturel », sauvage, au chat domestique208

puis humanisé.

Qui a dit que croiser un chat noir portait malheur ? « Au Moyen-Âge : le chat

noir était associé aux sorcières et persécuté209

». Chez Anne Brouillard, on en rencontre

beaucoup et ils ne sont jamais néfastes, bien au contraire, ils trouvent leur place, tout

naturellement parmi les êtres humains. Dans La terre tourne, il peut avoir cette attitude

féline, allongé de tout son long, comme perché sur une branche, nonchalamment mais

prêt à bondir sur une proie vue en contre bas, tels Les trois chats, noir et blanc dans son

premier album édité. Tout comme il peut avoir une attitude de bipède, assis dans le train

ou debout dans l’eau à ramasser des coquillages. Ce chat noir là est polyvalent, il évolue

et s’adapte à chaque situation.

Le chat noir de Il va neiger est un « vrai » chat de maison avec de grands yeux

verts. Par ses attitudes et sa taille, chaque lecteur peut y reconnaître un chat noir vu ou

connu. Dans l’album Le pays du rêve, le reconnaître n’est pas tout de suite évident car il

est représenté tantôt en couleurs, tantôt dans les vignettes en noir et blanc, selon les be-

soins de la narration. Par contre, le lecteur apprend son nom, Gaspard. Car, en réalité, il

s’agit bien du même chat noir.

206

Avec Gaspard chez Claude Roy, Le chat qui parlait malgré lui, Gallimard, 1997, par exemple.

« J’aime bien cette idée d’héritage littéraire ! » avoue Anne Brouillard. 207

« L'amitié harmonieuse entre le chat et l'homme remonte jusqu’à l'an 3000 avant J.-C., dans l'Égypte

ancienne. » in http://www.purina.fr 208

« Le chat est aujourd'hui l'animal de compagnie préféré des Français, mais étonne toujours par son

côté mystérieux. » in http://www.linternaute.com 209

Source : http://www.linternaute.com

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Il va neiger

p. 11

L’orage

p. 27

Le pays du rêve

p. 16

C’est l’album L’orage qui permet de faire ce lien car la maison d’habitation est

la même. Le lieu (la même forêt suédoise que dans Mystère) dans lequel se déroule

l’histoire de Il va neiger est peut-être la maison de vacances d’hiver, ce qui expliquerait

la présence de Gaspard. Mystère et Gaspard pourraient peut-être s’y croiser ? Anne

Brouillard aime cette idée que ses personnages ne meurent pas, qu’ils aient une plus

longue vie à travers les pages de ses albums.

Quand un autre narrateur textuel fait appel à un chat noir pour sauver Julie210

, le

même narrateur imagier fait tout naturellement appel à Gaspard, car « il en sait plus que

tout le monde211

». Il adopte alors la même attitude qui rappelle fortement La terre

tourne. Le lecteur « imagier » le retrouve à nouveau avec plaisir dans le rôle du « philo-

sophe » des toits sous la plume d’Émile Zola212

et le pinceau d’Anne Brouillard.

Julie

capable

p. 16

La terre

tourne

p. 21

Le paradis

des chats

p. 22

Le lecteur retrouve cette même alternance ludique avec le chat jaune.

Dans La terre tourne, il est représenté debout ou assis, ce n’est plus un quadru-

pède ! Son nez droit « à la grecque » évoque davantage un nez humain qu’un museau de

chat. En contre partie, ses grandes moustaches et ses oreilles en pointe, la forme de ses

grands yeux verts et de ses pupilles sont bien félines. Autant de caractéristiques qui

permettent au lecteur de le reconnaître sous le pseudonyme de Mystère dans l’album

éponyme, en compagnie de Kÿt, la jeune fille blonde habillée en bleu et rouge, qui

l’accompagne dans La terre tourne aussi. Ce chat jaune a une taille presque humaine,

210

Julie Capable, Thierry Lenain, Anne Brouillard, éditions Grasset Jeunesse, 2005. 211

Le pays du rêve, p. 21. 212

Le paradis des chats et autres contes à Ninon, Émile Zola, Anne Brouillard, éditions Hugo et compa-

gnie, Paris, 2009.

Page 91: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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des comportements anthropomorphiques et il est même humanisé : il parle. Il est l’égal

de l’homme maintenant …

La terre

tourne

p. 17

Mystère

p. 21

L’autre chat jaune, dans L’orage, Reviens sapin, Le grand murmure est un chat

de maison et de fauteuil. Il partage un bout d’aventure avec Gaspard dans L’orage. Que

ce soit avec Antoine et sa famille ou Paul et la sienne, c’est un chat qui aime les ca-

resses, les câlins et qui fait « miaou » quand on lui parle !

Un autre couple félin se trouve De l’autre côté du lac. Toka, le chat foncé est ti-

gré, il ressemble à un chat de gouttière tabby, la robe typique du chat sauvage, ayant la

faculté de parler et de penser, il a un comportement anthropomorphique. C’est un chat

gourmand et curieux. Son compagnon, Alpha le chat blanc est gourmet et délicat. Il

aime l’aventure mais préfère le confort du panier ! Il est lui aussi doué de parole et de

réflexion. Tous les deux accompagnent les êtres humains tout au long de l’album, ils

vivent vraiment ensemble, de la même manière, ou presque (les chats lapent du lait dans

un bol tandis que les humains boivent au verre et mangent des sandwiches), font des

commentaires, se baladent, font de la balançoire … et en plus, ils sont amis avec les

souris !

De l’autre côté du lac

p. 29

p. 31

Le chat est aussi un animal qui aime se prélasser comme le lecteur peut en croi-

ser un dans La maison de Martin. « Le chat de Chester213

» serait-il en vacances dans la

« vaste plaine que le vent traverse en courant » ? Sous les traits de ce gros chat jaune à

rayures marron qui fait la sieste dans un hamac.

213

Lewis Carroll, « Alice au pays des merveilles » in The Complete Works, Collector’s Library Editions,

London, 2005.

Page 92: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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La maison

de Martin

p. 19

Alice au pays

des merveilles

p. 29

Il peut aussi être un chat de diva, un chat de confort et délicat. Dans le cadre de

cette vie prestigieuse, la couleur grise lui sied mieux. Un chat gris souris214

est-il forcé-

ment un chat de grande race ? Qu’un chat de luxe porte fièrement un pelage aux cou-

leurs de son repas préféré … quelle raillerie !

Le chat peut donc être le héros de l’album (Trois chats par exemple), en couple

avec un humain (La terre tourne, Mystère par exemple) ou avec un autre chat (L’orage

par exemple) comme plus discret mais toujours révélateur d’un lieu ou d’une présence

« mystérieuse » ou « évocatrice ». Dans Voyage, page 21, est-ce Gaspard, assis sur le

muret, évoquant Le pays du rêve (la propriété Everud Syapel) au voyageur qui passe en

train, sur la voie ferrée qui longe le mur de la propriété ? Le spectateur continue son

exploration imagière. Dans l’univers imagier d’Anne Brouillard, le rôle du lecteur est

tellement important qu’il devient « spect’acteur215

». Les chapiteaux des piliers du por-

tail d’entrée évoquent ceux de Reviens sapin, tandis que les arbres en arrière-plan rap-

pellent ceux de Mystère et de La terre tourne. Le narrateur imagier prend plaisir à pro-

mener son lecteur au gré de ses fantaisies illustratives. Ainsi, le lecteur voyage sur les

traces du chat, tel un guide. Cela rappelle un célèbre chat … botté.

Voyage

p. 21

Le pays du rêve

p. 9

Reviens sapin

p. 6

Mystère

p. 16

La terre

tourne p. 27

Dans La famille foulque, la présence du chat blanc, discrètement posé en arrière-

plan, permet au lecteur de situer sans ambiguïté le lieu précis où se croisent le papa et le

pêcheur car, le chat blanc est toujours devant le même portail en bois blanc, devenant un

214

« Originaire de France, le Chartreux, est l'une des plus anciennes races de chat au monde. En réalité,

son pelage est gris bleuté. » in http://www.linternaute.com 215

Mot valise crée en associant ces deux mots d’origine latine : spectator « celui qui a l'habitude de regar-

der, d'observer; spectateur au théâtre » et actor « celui qui agit ».

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repère imagier fixe et stable. Cet album présente d’ailleurs les trois chats des trois cou-

leurs : blanc, jaune et noir. Ce sont de « vrais » chats de compagnie qui savent vivre en

harmonie avec les êtres humains mais aussi avec les chiens et les oiseaux. Ce qui ex-

plique peut-être comment les oiseaux en arrivent à écrire une carte postale aux chats

dans Cartes postales. Chez Anne Brouillard, même les chats et les oiseaux sont amis.

Qu’ils soient « chats de gouttière », chat de « maison », chat de « compagnie », chat de

« café » … Dans ce monde imaginé par Anne Brouillard, ses expériences déçues dans

Petites histoires « vert de peur » et dans Trois chats lui ont peut-être servi de leçon ? Il

fait donc partie de cette harmonie pacifique maintenant. Quelle autre illustratrice

qu’Anne Brouillard aurait pu illustrer Le paradis des chats avec autant de sensibilité et

d’émotion ? Alors que dans Trois chats, la narratrice imagière avait utilisé les deux cou-

leurs noir et blanc pour un même chat, ici, elle a utilisé ces deux mêmes couleurs mais

séparément : un chat blanc et un chat noir. Le blanc pour le « chat d’Angora », chat de

confort dont la fourrure craint les salissures ; le noir pour le « vieux matou » des toits

dont le poil est à toute épreuve et ne craint ni les coups ni la saleté.

Trois chats

Première de

couverture

Le paradis

des chats

p. 14

b) Le chien

Du loup au chien216

domestique puis au chien anthropomorphe217

« Les premiers membres de la lignée des Canis émergèrent il y a 1,7 million d’années. La

domestication semble dater du paléolithique supérieur, soit entre 17 000 et 14 000 ans.

Mais la relation entre homme et canidé est beaucoup plus ancienne. En effet, des restes de

loups vieux de 400 000 ans ont été retrouvés en association d’hominidés. L’aïeul du chien

accompagnait l’homme dans ses chasses, donnait l’alerte en cas de danger et assurait sa

protection ainsi que celle de ses troupeaux. Bien avant la domestication du cheval et du

renne, le chien servait également à tirer les travois lors des migrations. Les chasseurs-

cueilleurs possédaient des points communs avec les loups. Hormis l’aspect social de leur

mode de vie, ils partageaient les mêmes proies. Les traditions affirment que les Indiens ont

appris (…) comment chasser en étudiant le loup. (…) il n’est pas étonnant que le premier

animal à avoir été domestiqué par ces hommes, fût le chien218

».

216

« Dans la rue, les chiens me sourient … » Anne Brouillard, le 6 novembre 2010, à Toulouse. 217

Tendance à attribuer aux animaux des sentiments humains. Dictionnaire de la langue française :

http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr 218

Source : http://www.futura-sciences.com/fr

Page 94: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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« On ne sait pas exactement si le loup s`est approché de l`homme ou vice versa. Tous les

deux profitaient de la situation qui s`était produite ainsi : le loup était employé par l`homme

pour la chasse, pour tenir les troupeaux ensemble et pour avertir l`homme de ses ennemis.

À son tour, l`homme prenait soin que le loup eût toujours assez à manger. Le loup est un

animal très social. Comme l`homme, il vit en groupes (nommés "hardes") avec une hiérar-

chie sociale, dans laquelle certains loups assument la direction. Cela rend l`animal propre à

être tenu et attrayant comme animal de compagnie, dans quelle relation le loup considérait

l`homme comme son chef. On se mit à poser d`autres conditions à la conduite et à

l`extérieur du loup. Au Moyen-Âge l`homme commençait à considérer le chien comme une

sorte de symbole de prestige. Le chien lui prêtait une certaine distinction219

».

« L'amitié du chien et de l'homme ne cessera d'être célébrée dans la littérature. Le chien ac-

compagne l’homme dans les différentes étapes de sa vie et dans ses activités : il est donc

normal qu’il soit très présent dans la littérature au fil des siècles. Le chien y est souvent le

symbole d’une fidélité à toute épreuve220

».

Le chien noir, celui qui attend le retour de son maître, est le compagnon idéal

pour les personnages humains d’Anne Brouillard221

. La coutume dit que « le chat est

attaché à une maison » alors que « le chien est attaché à un maître ». D’ailleurs, c’est lui

qui attend le lecteur « fidèle » et les personnages de l’histoire au premier plan de la

première belle page de La terre tourne. Dans La terre tourne et les autres albums, Kil-

liok, car tel est son nom, est « un chien de salon, un chien inventé, il n’existe pas en

vrai ! » avoue Anne Brouillard avec un sourire complice. Cependant, à y regarder de

plus près, il rappelle quelqu’un qu’elle a bien connu dans son enfance. En effet, sa mère

lui racontait les histoires des Moumines222

et « je me rappelle quand j’avais neuf ans, je

redessinais des Moumines tout le temps. Il peut ressembler effectivement, peut-être au

niveau du nez, et même dans ses attitudes, ce n’est pas conscient. Killiok comme Mou-

mine, a suivi une évolution. Il n’est pas tout le temps exactement pareil. En tout cas, il a

le côté tendre de Moumine. Il a un quelque chose qui m’a marqué de Moumine. Même

s’il est grognon, au fond, c’est un tendre Killiok !223

». Même si son graphisme change,

le lecteur le retrouve et le reconnaît dans ses albums. Comme le premier album édité

d’Anne Brouillard présente « le chat », son deuxième album Petites histoires présente le

chien noir. Ils sont les héros fidèles, tels des guides pour le lecteur224

. À l’échelle bi-

bliographique, le lecteur est sensible à son évolution tant graphique que comportemen-

tale. En effet, dans Petites histoires ce n’est pas un chien noir mais six chiens noirs qui

219

Source : http://www.animalfreedom.org 220

Le chien dans la littérature. In http://www.lamaisonduchien.net 221

« Les chiens me parlent, me sourient dans la rue mais je n’en voudrais pas chez moi. » Extrait de

l’entretien avec Anne Brouillard à Toulouse le 07/11/2010.

« Toujours ce duo animal / être humain comme personnages principaux. Celui qu’on retrouve chez les

trois grandes dames de l’album muet, … Anne Brouillard … qui mettent en image cette communication

qui ne peut passer par la verbalisation. » Patrick Borione, Hors cadre[s] n° 3, p.26. 222

Rencontre avec Anne Brouillard, Nicole Nachtergarle, Alice, N° 2, Printemps 1996, p. 58. 223

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 224

À l’image de Tintin pour Milou.

Page 95: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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sont les héros de « Temps de chien ». Héros éponyme malgré lui car cette expression n’a

pas une connotation favorable pour lui. Heureusement, les albums suivants lui donne-

ront ses lettres de noblesse en lui offrant un nom et un statut anthropomorphique. Dans

un premier temps, par sa présence « multipliée » le lecteur est amené à se poser la ques-

tion : lequel est le futur Killiok ? Qui va devenir le compagnon du « personnage en

rouge 225

» ? Une lecture imagière, plus précise va amener le lecteur dans une nouvelle

lecture transversale. Dans « Temps de chien » tous les six sont debout, tels des bipèdes,

tenant un parapluie rouge avec leurs pattes antérieures (devenues des bras). Ils sont donc

tous capables de faire un gâteau (comme dans La terre tourne) ou d’écrire (comme dans

Cartes postales). Cependant, si le lecteur observe bien leur faciès pages 24-25, ils sont

tous différents :

Tout frisé, il

paraît bien

fatigué et trop

vieux.

Avec son air

coquin mais

tendre à la fois

quand il regarde

son aîné. Ce

serait peut-être

bien lui ?

Celui-ci semble

bien être le loup

du Sourire du

loup. Que mi-

jote-t-il avec son

sourire en coin ?

Il a le museau

trop fin et trop

pointu et ses

pattes posté-

rieures ont en-

core une posture

« canine ».

Il a l’air trop

« balourd ». On

dirait la maman

du petit dernier.

Tout

petit,

il est

en-

core

trop

jeune.

Le narrateur imagier joue avec l’imagination du lecteur. En fait, ce qui permet de

reconnaître le chien noir, dont le lecteur apprendra le nom dans Le grand murmure,

c’est son attitude. De plus, il est toujours accompagné ou bien il accompagne toujours

un ou des êtres humains. Ce n’est pas un chien errant ni un chien solitaire. Il aime, at-

tend et recherche la compagnie des hommes, sentiment qui est réciproque.

225

« Le futur magicien rouge dans « l’album de ma vie » » Extrait de l’entretien à Toulouse du

07/11/2010.

Page 96: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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La terre

tourne

Il fait les mêmes

gestes que son

maître. Ils vont et

regardent dans la

même direction.

Voyage

Patient et fidèle,

il attend « le re-

tour » de son

maître.

Il va neiger

Ils regardent dans

la même direc-

tion.

Cartes

postales

Ils font les

mêmes gestes.

La maison

de Martin

La truffe au vent,

il regarde Martin.

Il reste à attendre

le courrier de

Pimpinelle

(Cartes postales)

et Martin arrive,

sur la plage de

Promenade au

bord de l’eau.

Promenade

au bord

de l’eau

Il adapte son

comportement à

celui de son

maître et à

l’environnement.

Le grand

murmure

Il devance ses

maîtres, les guide

et les protège. Il

attend et protège

assis Véronique

de La terre

tourne.

Le bain de la

cantatrice

Compagnon de

jeu, il accom-

pagne son jeune

maître.

Page 97: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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À quatre pattes, assis, sur deux pattes anthropomorphisé … Killiok, le chien noir

est l’ami idéal dans toutes les situations. D’un album à l’autre, il est le compagnon de

tous les personnages humains. Ainsi, le lecteur s’amuse à le chercher et à le reconnaître

au gré des histoires. Il n’a pas la parole, lui, contrairement au chat Mystère, mais il

comprend son maître instinctivement. Par contre, avec ses deux « mains » il sait cuisi-

ner ou écrire. Du loup solitaire du premier album, il est devenu le partenaire indispen-

sable à l’homme. Étant le chien « modèle », les personnages se le « prêtent » d’album

en album, serait-il irremplaçable ?

Il fait même l’ouverture de Promenade au bord de l’eau, sur la page de titre226

,

incitant le lecteur à le suivre à l’intérieur du livre. Est-ce lui, qui, dans Voyage, assis

page 35, annonce aux voyageurs dans le train qu’ils vont croiser les personnages de La

terre tourne à la fête foraine (page 37) ? Il guide donc lui aussi d’un album à l’autre.

Assis, il a cette attitude tranquille et révérencieuse du compagnon qui attend son

partenaire. Il observe, il surveille, il protège, sa forme arrondie incline à la douceur.

« C’est un chien de confort, il aime son fauteuil » prévient Anne Brouillard. Son corps

en aurait-il pris la forme ? Telle une figure emblématique de l’univers d’Anne Brouil-

lard, il se rencontre au fil des albums. Cette attitude lui permet de pouvoir s’assoir sur

une chaise et, comme un être humain, de pouvoir utiliser ses pattes antérieures comme

des bras prolongés par des mains. C’est un chien dont la physionomie est adaptée aux

postures humaines. S’il est nommé dans Le grand murmure, c’est dans La terre tourne

et Cartes postales qu’il est le plus proche d’un comportement humain :

- Il cuisine, lit le journal, porte les affaires (valise …) dans La terre tourne

- Il boit au verre, écrit avec un crayon, lit et déballe un paquet dans Cartes postales

À quatre pattes, le lecteur le retrouve parti en vacances avec le chat Gaspard

dans Il va neiger. Fidèle à ses maîtres, il les accompagne en balade tandis que Gaspard

attend bien au chaud, à l’intérieur de la maison227

. Dans Promenade au bord de l’eau,

c’est son flair et sa compagnie qui guident les personnages et le lecteur sur les traces de

la boîte rouge. Quand Martin passe devant sa boîte aux lettres, il ne l’accompagne pas, il

choisit de rester fidèle à sa maîtresse Pimpinelle. D’ailleurs, il y a peut-être trop de vent

pour que son flair soit efficace à aider Martin dans sa quête ? Chien sage et patient, il

226

Cette image détourée sur le fond blanc de la page ressemble à un « logo » ou un « label » de marque. 227

Les chats n’aiment pas l’eau ! Il a peur de se mouiller les pattes dans la neige comme Alpha dans

l’eau de la rivière !

Page 98: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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sait être joueur quand ses maîtres sont jeunes. Ainsi, sa course « bondissante » se recon-

naît dans Promenade au bord de l’eau et Le bain de la cantatrice.

Ainsi, d’une vie solitaire en tant que loup « sauvage », Killiok est devenu un

chien partenaire, fidèle compagnon de l’homme, au point de prendre ses attitudes et ses

habitudes. Que le cadre de la page soit carré ou rectangulaire, petit ou grand, Killiok

trouve toujours sa place et s’adapte aux exigences du format et de ses partenaires. Il ne

parle pas encore, mais, ce sera chose faite avec « le livre de ma vie » confie Anne

Brouillard. Il ne lui manque plus que la parole pour devenir un être humain à poil noir !

Mis à part Killiok, le chien au museau arrondi, le lecteur rencontre d’autres chiens dans

les albums d’Anne Brouillard. En effet, ils accompagnent toujours les êtres humains

dans leurs activités et leurs balades. Ainsi, au fil des albums, s’ils peuvent changer de

maître, ils restent toujours le fidèle compagnon affectueux228

.

Le chien clair :

Le temps

d’une lessive

Ces deux chiens là sont très co-

pains et complices. Le jaune ap-

partient à la grand-mère, le blanc

au voisin.

Le voyageur et

les oiseaux

Ils se retrouvent dans l’histoire de

la gare mais ne se croisent pas.

Le grand

murmure

Ici, le chien jaune partage sa maî-

tresse avec un chien noir en bonne

harmonie.

Le vélo de

Valentine

Dans la ribambelle d’amis à

s’inviter sur le vélo de Valentine,

il amène le gâteau.

La famille

foulque

Patient, il attend que sa maîtresse

ait fini sa lecture pour continuer la

balade.

228

Dans l’univers d’Anne Brouillard, le chien vit avec l’être humain. Sa fidélité ne va pas jusqu’à la tra-

gédie comme ce fut le cas pour Hachiko qui en est mort, après avoir attendu son maître pendant presque

10 années, alors que ce dernier était décédé. In http://www.kanpai.fr/tag/hachiko

Page 99: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

99

Sept minutes

et demie

Ce chien jaune ressemble beau-

coup à Killiok à tel point qu’il

s’agit peut-être de son frère ? Il vit

d’ailleurs avec un écrivain

Comme les chats de La terre tourne vont par paire : le chat jaune et le chat noir,

peut-être en est-il de même pour Killiok. On aurait donc un Killiok noir et un Killiok

jaune. Mis à part le chien jaune « sosie » de Killiok, les autres sont de « vrais » chiens

de compagnie. Attaché en laisse ou en liberté, ce sont des canins quadrupèdes, sans

autre identité que celle de « chien domestique » même si dans Le temps d’une lessive ils

semblent avoir un comportement humain (se serrer la main) dans le monde imaginaire.

Dans le cadre de cette histoire, ces deux chiens miment les comportements humains tout

en restant des quadrupèdes et des animaux à puces (il se gratte derrière l’oreille avec la

patte, signe canin par nature !). Dans le cadre de ces histoires, ce sont des animaux qui

aboient, courent après les oiseaux, attendent assis au pied de leur maître … Dans Le

grand murmure, Elvire a deux chiens. Le lecteur s’amuse à retrouver ce petit chien

jaune à la queue enroulée dans des atmosphères aussi différentes que Le grand murmure,

Le temps d’une lessive, la gare dans Le voyageur et les oiseaux et au bord de l’étang

dans La famille foulque.

c) Le corbeau ou la corneille229

« Les oiseaux prennent une place énorme. Les oiseaux sont très troublants, quand on les

regarde, en fait ils m’émeuvent terriblement. Les oiseaux dans les villes : ce sont des cor-

neilles noires, à Bruxelles on en rencontre souvent beaucoup dans les parcs… Le corbeau

est plus grand, il vit en forêt ou dans les champs230

».

« La Corneille ne diffère du corbeau ordinaire que par sa taille, qui est plus petite. Elle est

d'un noir foncé à reflets violets, avec le bec et les pieds d'un noir mat. (…) La Corneille est

le symbole de l'hospitalité. D'après le Dictionnaire archéologique et explicatif de la science

du blason. Comte Alphonse O'Kelly de Galway ŕ Bergerac, 1901231

».

229

« La valeur symbolique de la corneille est très proche de celle du corbeau. Dans le domaine celtique,

(…) elle était d'abord en Irlande le visage de la terrible Morrigane (…) dont le nom signifie "la Grande

Reine" épouse du dieu-druide Dagda, l'un des noms de la grande déesse-mère qui avait survécu à l'inva-

sion indo-européenne, et que les Celtes ont intégrée à leur panthéon en en faisant la mère, l'épouse, la

sœur et la fille de tous les dieux, pouvoir féminin unique qui symbolise le territoire, la génération, la fé-

condité, qui est la source de toute légitimité et, de ce fait, l'incarnation même du royaume. Unique dans

son essence, cette divinité féminine est pourtant triple dans ses figures : elle est à la fois Morrigane, Bodb,

"la corneille", et Macha, "la plaine" (où courent les chevaux) in http://harter.audrey.free.fr 230

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard à Toulouse le 07/11/2010. 231

Source : http://www.blason-armoiries.org

Page 100: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Ainsi, dans les albums d’Anne Brouillard, ces oiseaux font partie de

l’environnement familier, ils ne sont pas sauvages232

. Mais aussi, comme le chien ou le

chat, à force de contacts avec les êtres humains, ils finissent par en adopter les compor-

tements :

- Ils boivent du champagne à la coupe (leurs ailes sont devenues des mains) dans La

terre tourne

- Ils reçoivent une carte du chien et ils en écrivent une aux chats dans Cartes postales

Ces oiseaux peuvent donc être anthropomorphisés mais ils ne sont jamais pré-

nommés. Peut-être est-ce dû au fait qu’un corbeau ou une corneille n’est jamais seul. Ils

aiment voyager et vivre en groupe. Dans La terre tourne, les couples humains / animaux

sont formés avec le chien et le chat tandis que les oiseaux vont par deux.

Tel des animaux domestiques, ils ne sont pas effrayés par les êtres humains et les

enfants cherchent même à les toucher ou les caresser, tout comme ils le font envers un

chien ou un chat dans Le grand murmure. Le lecteur peut les trouver dans des endroits

très bruyants et animés comme la gare ou plus calmes, mais toujours habités, comme le

bord de l’étang. Ils ont toujours leur place dans ce monde qui bouge au rythme de la

terre qui tourne.

« Par ses croassements, la corneille nous répète que la magie et la création frappent tous les

jours à notre porte: elle nous aide à cultiver notre voix et notre langage pour obtenir ce que

nous désirons, ce qui nous est nécessaire. L'apparition de la corneille attire notre attention

sur la magie mise à notre disposition, mais suggère également que les activités collectives

ont plus de chances d'être menées à bien que les projets solitaires233

».

Ainsi apparaissent-elles à la fenêtre d’Éloïse le matin au réveil, lui rappelant le

monde de son rêve.

Dans Promenade au bord de l’eau, les corneilles marchent même au pas, comme

des militaires bien organisés, tout comme les canards234

. Dans De l’autre côté du lac,

les oiseaux noirs ont un bec jaune (ce sont des merles) à l’image des canards de La terre

tourne. Les merles, tout comme les geais, les autres oiseaux et les animaux sauvages ou

domestiques vivent en paix et en harmonie entre eux et avec les êtres humains dans le

232

Ce ne sont pas non plus les oiseaux charognards tels qu’ils sont peints dans le tableau de Vincent Van

Gogh, Le champ de blé aux corbeaux. 233

Source : http://folilaine.canalblog.com 234

Anne Brouillard ajoute toujours une pointe d’humour à l’adresse de ses lecteurs, jeunes ou moins

jeunes, chacun savoure.

Page 101: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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même environnement naturel, autour d’un point d’eau, lac ou étang, c’est selon le cadre

de vie des personnages. Serait-ce cette nature protectrice qui génère cette atmosphère ?

d) Le canard

Ces oiseaux là vont souvent par deux, côte à côte, ils déambulent dans les albums.

« Les canards symbolisent souvent les relations heureuses et mariage. Cependant, il faut

toujours utiliser une paire de canard et non un canard seul. Une paire de canard est souvent

utilisée pour augmenter l'énergie romantique, consolider les relations et assurer un mariage

heureux. (…) Placer toujours les canards l'un à côté de l'autre et ils regardent dans la même

direction235

».

Dans l’univers imagier imaginé par Anne Brouillard, tout est possible et tous les

êtres vivants sont égaux car, même les canards voyagent en barque, sur un lac. Ils peu-

vent tenir un pinceau et écrire des cartes postales aux écureuils à l’aide de leurs ailes-

mains. Comme dans La terre tourne, les canards anthropomorphisés sont noirs à bec

jaune.

Tout comme chez les chats, les chiens, les corneilles aussi qui peuvent se retrou-

ver dans le même environnement que les mouettes blanches (Le pays du rêve, Le grand

murmure), avec les canards, le lecteur retrouve cette paire de couleurs opposées noir ou

foncé / blanc ou clair dans Promenade au bord de l’eau. Cette constatation chromatique

évoque au lecteur la dualité du monde, le fait que les opposés s’attirent et se complètent

ou bien encore l’idée qu’un être n’est jamais ni tout blanc ni tout noir mais souvent un

entre-deux. Ou bien encore, par ce jeu de nuances opposées, le narrateur imagier veut

montrer les deux faces de l’être vivant, la face cachée-obscure et la face montrée-

lumineuse. Ces deux couleurs opposées jouent aussi avec la luminosité qui se dégage

des images car, le noir absorbe la lumière et le blanc la réfléchit, évoquant ainsi les jeux

de miroir et de complémentarité chers à Anne Brouillard. Les animaux, par ces jeux de

réflexion, montrent ces deux faces dans l’harmonie. Que le lecteur y entende une narra-

tion symbolique ou qu’il y voit un effet de couleurs par contraste, la lecture est multiple

et le choix appartient à chacun.

Dans Voyage, les canards peuvent être :

- Réels : nageant au fil de l’eau (par paire)

- Imaginés : dans l’histoire lue par les enfants dans le train

235

Source : http://norja.net/lavie/html/le_feng-shui_et_les_symboles.html

Page 102: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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- Imaginaires : lorsque les gouttes de pluie sur la vitre du train prennent leur forme dans

l’imagination de la petite fille brune.

Ici, comme dans La terre tourne, le narrateur imagier crée un effet en utilisant la

technique du « fondu enchaîné » ou du « morphing » illustratif, encadré par les rafales

de vent et de pluie du fait de la vitesse du train et le pull porté par son compagnon de

voyage assis en face d’elle.

Mais, le lecteur rencontre aussi les « vrais » canards colverts, ceux qu’il peut

croiser à la campagne, comme au bord de l’étang de La famille foulque. Ainsi que les

canards gris qui barbotent sur l’étang à Bruxelles comme sur le lac en Suède où ils ne

sont pas effarouchés ni par les chats ni par les êtres humains.

Les animaux rencontrés dans La terre tourne permettent des lectures multiples et

transversales par ces réseaux inter-iconiques. Le narrateur imagier joue avec leurs

formes, leurs couleurs, leurs environnements et le lecteur s’amuse à les retrouver. Con-

cernant les animaux résonnants à partir de l’album La terre tourne, un petit détail « gra-

phique » vient à l’esprit. Les quatre animaux commencent tous par la lettre « c » en

français. Détail anecdotique ou volonté délibérée d’Anne Brouillard ? Ce jeu de lettre

questionne aussi car, il s’agit de quatre animaux commençant par la lettre « c » dans un

album carré. Le dictionnaire des symboles nous apprend que « quatre est le chiffre qui

caractérise l’univers dans sa totalité. (…) Ce qui confirme l’universalité de la valeur

symbolique du nombre quatre, comme définissant la matérialité passive. Quatre, comme

la Terre, ne crée pas, mais contient tout ce qui se crée à partir de lui. (…) quatre est le

nombre de la terre236

». Cette coïncidence n’est peut-être pas tout à fait due au hasard

mais à quelque chose de « fort ancré en moi » comme le suggère Anne Brouillard quand

elle parle de l’univers de ses albums.

Les histoires deviennent ainsi plurielles et infinies comme Anne Brouillard le

souhaite quand elle confie qu’ « une fois un album fini, j’ai envie de reprendre les per-

sonnages dans une autre histoire237

». Le lecteur a donc un rôle important à jouer dans ce

trio composé de :

L’auteure-illustratrice / l’album / le lectorat

236

Dictionnaire des symboles, pp. 796-797. 237

Extrait de l’entretien-conférence avec Anne Brouillard à Toulouse, le 06/11/2010.

Page 103: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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et ce sont les personnages, créés et mis en scène par le narrateur imagier qui en détien-

nent les fils conducteurs. C’est au lecteur de les mettre en lumière et en résonnance238

.

2. Les êtres humains

Qu’en est-il des êtres humains ? La terre tourne met en scène quatre person-

nages humains : un homme, deux femmes et un enfant. Comment le lecteur peut-il les

identifier dans l’univers des autres albums ? Comment le narrateur imagier les repré-

sente t’il dans l’environnement des autres histoires ? Plusieurs approches possibles per-

mettent de les distinguer239

: leur visage240

, la couleur de leurs cheveux, leurs atti-

tudes241

, leurs accessoires, leur partenaire animal, leurs vêtements et leurs couleurs.

Et certainement bien d’autres encore car les lecteurs sont multiples et particuliers

mais aussi, chaque nouvelle lecture apporte des détails supplémentaires qui deviennent

autant d’indices ou de clefs apportant de nouvelles interprétations possibles. À l’image

de la « nature qui est pléthorique, mais qui ne se répète pas à l’identique242

».

a) L’homme en rouge243

238

« … lire « les livres d’histoires » (est) l’acte volontaire et singulier d’appropriation d’un lecteur singu-

lier. » Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, p. 19. 239

« On ne s’exprime pas avec les mots seuls, mais avec le corps tout entier. » Jean Rousset, Dernier

regard sur le baroque, Les essais, José Corti, Paris, 1998, p. 77. 240

« Comme au cinéma, un mouvement presque imperceptible du visage, tout simplement, même un

visage impassible qui se retourne, pourra avoir une force considérable si le mouvement, le tempo est

maîtrisé. » Éric Albert, Le mouvement, éditions L’iconograf, Scérén crdp Alsace, 2007, p. 18.

Maîtrise qui ne pose aucun doute chez Anne Brouillard. 241

« La façon de traduire une action et un ensemble de mouvements est souvent fonction du support et du

type de narration choisis. » Ibidem., p. 45.

Définition qui corrobore avec la façon de travailler d’Anne Brouillard qui adapte ses techniques, les sup-

ports et ses personnages à l’histoire racontée. 242

Source : http://www.nouvellescles.com 243

« Ma couleur préférée est le rouge et, toutes les couleurs. » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard

du 07/11/ 2010.

« Quand aux temps précolombiens, au Mexique, un peintre plaçait dans sa composition un personnage

habillé de rouge, le Mexicain savait que ce personnage appartenant au dieu de la terre Xipe Totec et qu’il

relevait donc du point cardinal oriental, dont la signification est soleil levant, naissance, jeunesse et prin-

temps. Le personnage n’était donc pas peint en rouge pour des raisons optiques et esthétiques ou comme

représentant de valeurs expressives et morales, mais sa couleur était symbolique comme un idéogramme

ou un hiéroglyphe. » Johannes Itten, op. cit., pp. 16-17.

« Rouge. C’est une bonne couleur mais elle tue les autres. Qu’en fait-on dans le paysage ? D’après les

études du docteur Lüscher, il s’agit d’une valeur autonome, intrinsèque à l’individu, indépendante de

l’environnement. Le sang des hommes. Avec le rouge on introduit la violence interne. » Thomas et le

Voyageur, op. cit., p. 162. D’après Le color test de Max Lüscher in Votre personnalité révélée par les

couleurs, éditions Aubanel, 1973.

Page 104: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

104

Il est le premier être humain à entrer dans La terre tourne. Il est le compagnon

du chien noir et celui qui deviendra « le grand magicien rouge ». L’être humain entre en

scène au second plan, attendu par le chien, assis au premier plan. L’homme fait partie de

l’univers, il en est un des habitants244

, il n’en est pas le centre. Tantôt blonds, tantôt

bruns, ses cheveux sont selon l’environnement dans lequel ils se trouvent. Sous l’effet

de la luminosité ambiante, les couleurs changent. Cependant, où qu’il se trouve, il est

toujours vêtu d’une combinaison rouge (d’où son pseudonyme, à défaut d’identification

par un prénom). Malgré tout, le lecteur peut reconnaître ses traits sous l’apparence de

l’homme en « bleu ». Ces deux hommes se ressemblent terriblement et la combinaison a

la même coupe, seule la couleur change.

Rouge versus Bleu : couleur la plus chaude / couleur la plus froide :

« Avec le rouge, le bleu manifeste (…) les rivalités du ciel et de la terre. (…) leur mariage

préside-t-il à la naissance de tous les héros de la steppe : Gengis Khan, naît de l’union du

loup bleu et de la biche fauve245

».

Le rouge est « universellement considéré comme le symbole fondamental du prin-

cipe de vie. (…) C’est la couleur de la Science, de la Connaissance ésotérique… ce

rouge est matriciel. (…) Il incite à l’action. (…) Il incarne la fougue et l’ardeur de la

jeunesse246

».

Le bleu est « la plus immatérielle des couleurs (…) il suggère une idée d’éternité

tranquille. (…) Dans le Bouddhisme tibétain, le bleu est la couleur de la Sagesse trans-

cendante, de la potentialité et de la vacuité, dont l’immensité du ciel bleu est d’ailleurs

une image possible247

».

Ainsi, la couleur de son vêtement symboliserait l’évolution de l’homme, de la

naissance, en passant par une jeunesse d’apprentissage pour enfin accéder à la connais-

sance et à la sagesse. L’homme prendrait progressivement conscience qu’il fait partie de

cet univers qu’il doit respecter et dans lequel il aspire à vivre harmonieusement. Cela

correspond à la conception de la vie pacifique souhaitée par Anne Brouillard.

244

« L’homme fait partie des vivants. Bien entendu, il est le seul à en avoir conscience, mais cela ne

l’empêche pas d’appartenir à l’ensemble et d’en être solidaire. » in http://www.nouvellescles.com 245

Dictionnaire des symboles p. 130. 246

Ibidem. pp. 831-833. 247

Ibidem. pp. 129-131.

Page 105: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

105

Pour le différencier des autres, le lecteur a donc quatre premiers éléments :

- Son chien, qu’il partage avec Pimpinelle (Cartes postales), Martin (La maison de Mar-

tin), l’écrivain (Sept minutes et demie) et d’autres maîtres dans Le grand murmure,

Promenade au bord de l’eau, Le bain de la cantatrice...

- La forme et la « couleur » de son vêtement

- Sa taille (il est grand)

- Son sexe (c’est un homme)

Ce dernier paramètre amène une nouvelle interrogation dans Le pays du rêve. En

effet, dans cet album, la posture de l’accueil au pays du rêve (arrivée ou départ) est

identique à celle de La terre tourne mais, le personnage en rouge est une femme. Qui

est-elle par rapport à l’homme en rouge ? Sa femme ? Sa sœur ? Son double de l’autre

côté du miroir ? La question reste entière, d’autant plus qu’elle est accompagnée d’un

enfant vêtu du même vêtement. Cet enfant semble être une fille. Où bien, est-ce

l’homme en rouge enfant ? En quel cas, la femme en rouge serait sa maman … Par ces

résonnances illustratives, chaque lecteur peut imaginer des liens imagiers et/ou filiaux

entre ces personnages248

qui ont les mêmes attitudes et portent les mêmes vêtements

et/ou couleurs.

Dans Cartes postales, le reconnaître est plus facile car, il a bien la même combi-

naison rouge. « En fait, c’est le facteur ! Dans La terre tourne, le lecteur ne pouvait pas

deviner son métier car il est toujours en voyage partout ! » Comme les cartes postales,

comme les lettres, il voyage tout autour de la terre. Dans Cartes postales, le lecteur de

La terre tourne retrouve l’homme en rouge, le chien noir, les corbeaux/corneilles et la

grande fleur rose. La lettre permet le lien avec l’homme en « bleu » : celui qui donne

(La maison de Martin) ou oublie (Sept minutes et demie) une enveloppe, selon l’histoire.

Dans ce contexte imagier, le lecteur reconnaît les traits et les expressions de son visage

même si le décor et l’environnement sont complètement différents. Tout comme dans

La terre tourne, il voyage et s’arrête un peu partout sur terre, « il va et vient de par le

monde. »

248

Anne Brouillard, elle-même, avoue qu’elle ne connaît pas tout de ses personnages.

Page 106: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

106

La terre

tourne

Blond ou brun, il est reconnais-

sable à sa combinaison rouge.

Le pays

du rêve

Son sosie au féminin fait le

même geste d’accueil ou

d’adieu. L’enfant porte la

même combinaison rouge. Sa

famille habite t’elle au pays du

rêve ?

Cartes

postales

Par sa tenue, on le reconnaît en

facteur qui repart avec un bou-

quet de fleur.

Sept mi-

nutes et

demie

Vêtu de rouge il porte le cour-

rier. Vêtu de bleu il oublie une

lettre !

La maison

de Martin

Vêtu de bleu, encore avec une

lettre à poster, qu’il va confier

à Martin ?

Le lecteur peut aussi le chercher dans les lieux parmi lesquels il passe ou reste

un temps dans le cadre de l’album La terre tourne. C’est ainsi que dans Voyage, (page

37) le lecteur a l’impression de le reconnaître sur le cheval blanc du manège alors que

l’illustration est en noir et blanc et la technique utilisée par le narrateur imagier diffé-

rente. C’est alors l’atmosphère que se dégage de cet environnement qui permet cette

résonnance visuelle.

La terre tourne

/

Voyage

Page 107: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

107

b) La fille en bleu et rouge

Le deuxième personnage qui entre en scène en arrière-plan est tout de suite iden-

tifié. « C’est trop facile celui-là ! C’est Kÿt249

et son chat Mystère ! » En effet, la jeune

fille se reconnaît à ses cheveux blonds et à ses vêtements de couleurs vives, rouge et

bleu. « Elle est aussi habillée avec des carreaux dans Mystère. » Mais aussi et surtout,

dans cet album éponyme, elle est l’héroïne avec le chat Mystère, son compagnon dans

La terre tourne. Le lecteur a donc suffisamment d’indices imagiers pour ne pas « passer

à côté » :

- La couleur des cheveux, les traits du visage

- La tenue, le tissu et les couleurs vestimentaires

- Son partenaire félin Mystère

La terre tourne Mystère

Elle arrive avec son

chat jaune. Ils vi-

vent et font tout

ensemble.

Elle s’appelle Kÿt.

Le chat Mystère.

c) La dame en vert

La deuxième femme est plus difficile à identifier. Elle arrive seule (sans compa-

gnon animal) mais avec une petite valise carrée marron. Elle est vêtue de vert et porte

ses cheveux châtains coupés au carré. Elle est plus féminine que Kÿt par sa tenue vesti-

mentaire car elle porte une jupe. Sa tenue vestimentaire (jupe ou robe d’une autre cou-

leur) et son accessoire (sa valise marron) permettent au lecteur de l’identifier visuelle-

ment. L’association de tous ces indices illustratifs permet au lecteur de la retrouver sous

le nom de Véronique dans Le grand murmure.

Comme les autres personnages de La terre tourne, excepté l’homme en rouge,

elle aussi est nommée dans le cadre d’un autre album. Elle devient quelqu’un que le

lecteur peut appeler par son prénom, elle prend une identité personnalisée. Pour aider le

lecteur à la reconnaître, un animal conduit sur la piste. C’est encore le chien noir qui

249

« Kÿt, c’est Kitty Crowther jeune, quand je l’ai rencontré, qui m’a inspiré ce personnage. Elle était

toute blonde… » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à

Paris.

Page 108: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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prend son prénom Killiok dans le cadre de ce même album. Ainsi, dans Le grand mur-

mure, le lecteur retrouve réunit Véronique, sa valise et Killiok. De personnages ano-

nymes dans La terre tourne, ils deviennent « quelqu’un d’identifié 250

».

La terre tourne Le grand murmure

Accueillie par le

chat jaune, elle

arrive avec sa va-

lise marron.

Elle s’appelle Vé-

ronique. Au télé-

phone, dans une

gare, avec sa valise

marron.

d) L’enfant

Pour retrouver cet enfant représenté dans les autres albums d’Anne Brouillard,

comment le lecteur peut-il reconnaître ce même personnage sous les traits de pinceaux

du narrateur imagier ?

Est-ce Natacha dans Le grand murmure, Colin du Rêve du poisson, Antoine dans

Reviens sapin, Lucie ou Thomas De l’autre côté du lac … ils sont tellement nombreux !

« C’est pratique quand ils ont des prénoms251

, comme ça on peut bien les reconnaître et

les appeler par leur nom sans les confondre. » Chaque enfant est effectivement unique

mais c’est ainsi que les couleurs252

peuvent influer sur l’apparence des personnages et

sur les résonnances que peut percevoir le lecteur. L’enfant porte des rayures253

rouge et

bleu comme le petit enfant dans Le voyageur et les oiseaux, comme le narrateur enfant

dans Le chemin bleu, mais aussi comme les enfants dans Il va neiger. Le petit garçon

dans Le temps d’une lessive est aussi habillé en bleu et rouge (deux vêtements unis254

).

250

« Véronique deviendra Véronica dans « l’album de ma vie » ». Extrait de l’entretien avec Anne

Brouillard du 07/11/2010. 251

« Lorsque les noms font image, ils durent. Et lorsque les images ont des noms, elles existent. » Thomas

et le Voyageur, op. cit., p. 178. 252

« De même que l’accent confère au mot prononcé un éclat coloré, de même la couleur donne à la

forme une plénitude et une âme. L’essence originale de la couleur est une résonnance de rêve, une lu-

mière devenue musique. » Johannes Itten, Art de la couleur, Dessain et Tolra, 1961, p. 12. 253

Tel un symbole de l’enfance, « la rayure n’attend pas, ne s’immobilise pas. Elle est en perpétuel mou-

vement (…) anime tout ce qu’elle touche, va sans cesse de l’avant, comme mue par le vent. » Michel

Pastoureau, L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, La librairie du XXe siècle,

Seuil, 1991, pp. 15-16.

Cette définition n’est pas sans rappeler la terre en perpétuelle mouvement, elle aussi, tout comme les

enfants ! 254

« Opposé à l’uni, le rayé constitue un écart, un accent, une marque. Mais, employé isolément, il de-

vient illusion, gêne le regard, semble clignoter, s’agiter, s’enfuir. » Ibidem., p. 146.

Page 109: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

109

Tous les rapprochements, toutes les interprétations255

ne sont pas autorisés. Quelques

indices ne suffisent pas, comme le précise Catherine Tauveron256

, ou Sophie Van der

Linden257

pour se permettre des affirmations. Chaque lecteur peut imaginer cet enfant,

né dans La terre tourne, aller et venir, vivre, voyager … dans d’autres histoires d’Anne

Brouillard mais personne ne peut affirmer que son interprétation est la seule, bonne et

unique. À l’image des albums d’Anne Brouillard, la boucle continue sans jamais

s’arrêter. Et si ce personnage n’est pas encore revenu vivre de nouvelles histoires dans

d’autres albums, cela viendra peut-être un jour ou l’autre ? « Ça c’est un mystère ! »

comme dit si bien Anne Brouillard. Voyons les résonnances dans les couleurs des vête-

ments258

des enfants « Brouillardiens » :

La terre tourne

L’enfant arrive vêtu de

rouge et de bleu. Son

short est rayé.

Le voyageur et

les

oiseaux

Vêtu de rouge et de bleu

aussi. Son pull est rayé.

Le chemin bleu

Vêtu de bleu et de

rouge, il porte aussi des

rayures rouges.

Reviens

sapin

Antoine en lutin bleu

sur un fond de décor

rouge pour noël !

255

« Les images orientent l’interprétation générale de l’album, à travers leur contenu symbolique, le jeu

des formes et des correspondances, ou à travers l’organisation spatiale. Le sens n’est plus donné d’emblée.

Il a cessé d’être unique. Au lecteur de construire son interprétation à partir des propositions que lui font le

texte et l’image. » Michel Defourny, in Lire les images, p. 43. 256

« Les droits du lecteur ne peuvent outrepasser les droits du texte. » Lire la littérature à l’école, p. 31. 257

« Il y a un propos qui est tenu par l’auteur-illustrateur. Il n’est pas question, au titre du droit du lecteur,

d’interpréter l’œuvre abusivement. » Les albums sans texte sont de grands bavards, p. 1. 258

Ce même duo chromatique rouge / bleu se retrouve chez « l’homme en rouge » et chez Kÿt. Contrai-

rement à Véronique, qui fait plus mature, ils ont encore gardé leur âme d’enfant. Les couleurs de leurs

vêtements sont en harmonie avec leur caractère « juvénile » et « insouciant ». Ils vont de l’avant avec

entrain, comme les enfants. « Les couleurs ont leurs propres dimensions et forces de rayonnement et elles

donnent aux surfaces d’autres valeurs que les lignes. » J. Itten, op. cit., p. 20.

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Quand les enfants sont plusieurs :

Il va neiger

Vêtus de bleu, bonnet

rouge et écharpe

rayée.

Le temps

d’une lessive

Deux vêtements /

deux couleurs unies

pour le garçon : le

rouge et le bleu. Blanc

et jaune pour la fille.

Promenade

au bord

de l’eau

Deux enfants, un vêtu

de bleu, l’autre vêtu

de rouge.

Le pays

du rêve

Vêtu de rouge au pays

du rêve en couleur.

Éloïse porte une

écharpe rayée dans le

réel en noir et blanc.

L’orage

Sarah et Éloïse en

balade : l’une en bleu

et l’autre en rouge.

Le grand

murmure

De teinte unie ou

rayée, les enfants sont

tous habillés en rouge

et bleu avec parfois du

blanc.

La famille

foulque

Tout comme au bord

de l’océan, il en est de

même autour de

l’étang,

De l’autre

côté du lac

et autour du lac, pour

Lucie et Thomas.

Pour colorer les vêtements des enfants, (mais aussi des autres personnages majo-

ritairement) le narrateur imagier utilise principalement deux couleurs : le rouge et le

bleu. « Le rouge, c’est le côté qui tranche avec le vert, il ressort dans un univers de vé-

gétation. Le bleu vient spontanément avec. J’aurais des difficultés à les faire en vert,

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j’aurais peur qu’ils se confondent avec le reste. J’ai eu dans ma vie une veste d’un bleu

très vif entre cobalt et outre mer, sur les bords j’avais cousu des bordures rouges. J’ai

toujours aimé ces vêtements rouge et bleu, j’aime cette association259

». Le rouge est la

couleur préférée d’Anne Brouillard, et « aujourd'hui, partout en Europe, le bleu est de

très loin la couleur préférée260

». Le bleu et le rouge sont les couleurs primaires avec le

jaune mais aussi, le rouge et le bleu sont complémentaires. Dans le langage pictural,

« deux complémentaires fonctionnent comme des contraires, de telle sorte que, l’une

près de l’autre, elles produisent le contraste chromatique maximal261

», ainsi, les cou-

leurs des vêtements des enfants se remarquent très bien, elles « sautent aux yeux » du

lecteur. Toujours dans un souci d’harmonie262

chromatique, le narrateur imagier

n’oublie pas quelques touches de « blanc qui rayonne et efface les limites263

»

s’intégrant parfaitement avec le style « flou » et « en masse » d’Anne Brouillard et de

jaune. Car, comme l’explique Johannes Itten « on peut dire que : dès qu’une composi-

tion colorée de deux couleurs ou plus possède du jaune, du rouge et du bleu (…), elles

peuvent être considérées comme la totalité de toutes les couleurs. L’œil exige, pour être

satisfait, cette totalité ; on est alors en présence d’un équilibre harmonieux264

». Anne

Brouillard est donc « maîtresse en la matière » car elle réussit cet équilibre. De plus, les

vêtements sont généralement à rayures265

, tissu qui se remarque beaucoup mieux que

l’uni comme le démontre Michel Pastoureau dans son livre consacré à cette étude, « le

rayé pur n’arrête plus le regard. Il est trop effervescent pour ce faire. Il éclaire et obs-

curcit la vue, trouble l’esprit, brouille le sens266

». Décidément, comme le déclare Anne

Herbauts, « elle a bien un nom prédestiné ! » et en plus, elle a trouvé son style et ses

couleurs personnelles.

259

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 14/02/2011.

« Le rouge contraste avec le vert, sa couleur complémentaire, plus qu’avec aucune autre. La juxtaposition

des deux est un effet volontairement recherché afin d’accentuer la force chromatique de l’ensemble. » Les

fondamentaux, les techniques de l’artiste, l’art du dessin, Gründ, 2005, p. 255. 260

Michel Pastoureau, Bleu : Histoire d’une couleur, Histoire, collection Points, 2002. 261

Les fondamentaux de la couleur, L’art du dessin, éditions Gründ, 2006. 262

Ŗ Harmonie signifie équilibre, symétrie des forces.ŗ Johannes Itten, op. cit., p. 21. 263

Johannes Itten, op. cit., p. 19. 264

Ibidem., p. 22. 265

« J’ai eu ma période rayures … j’aime toujours, d’ailleurs ! » Extrait de l’entretien téléphonique du 14

février 2011. 266

Michel Pastoureau, L’étoffe du diable, op. cit., p. 147.

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Quand l’histoire se déroule sur plusieurs jours, l’unité se voit aussi au fil des jours qui

passent :

La

famille

foulque

À la naissance, l’enfant porte déjà les rayures et la couleur rouge qu’il gar-

dera tout au long de l’album.

De

l’autre

côté du

lac

Sous le soleil, Lucie porte des

carreaux rouges et blancs (de la

même toile que le sac à provi-

sion du papa !). Pour regarder la

pluie tomber, elle porte des

rayures bleues. Lors de la ba-

lade, elle arbore les couleurs

rouge et bleue.

Le rêve

du

poisson

Avec ou sans rayures, Colin

garde le bleu. Orphie reste fidèle

au rouge au début et à la fin de

l’album.

La

maison

de

Martin

Martin habite dans la plaine :

chez lui, il porte des rayures

bleues et vertes. Quand il part à

l’aventure, il porte des rayures

rouges, plus voyantes sur les

chemins.

Les personnages de La terre tourne se rassemblent au fur et à mesure des pages

pour ensuite voyager, vivre des aventures ensemble et accueillir l’enfant. La vie conti-

nue, le voyage ne s’arrête pas là. Seuls ou à plusieurs, ils vivent de nouvelles aventures

dans le cadre d’autres albums. Le lecteur est le complice témoin de ces retrouvailles.

Grâce à ce don d’ubiquité, il les voit tous et partout. Il peut ainsi reconstruire le parcours

de chacun.

Qu’en est-il de l’environnement dans lequel évoluent les personnages ? Comme

une chasse aux trésors, de nouvelles lectures se mettent en place. Progressivement, pas à

pas, le lecteur reconnaît ces espaces qui lui deviennent familiers au fur et à mesure de

ses lectures, guidé par ce même narrateur imagier qui utilise des techniques plastiques

différentes tout en gardant son style.

Page 113: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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B. L’environnement : la nature267

(accueillante, protectrice,

bienveillante, bienfaisante)268

« La terre tourne est un album que j’ai réalisé sans stress à côté de ce fameux lac

Teåkersjön dans la commune de Dalskog en Suède. Il a même été peint à l’eau du

lac269

».

1. L’album commence donc par l’ambiance sereine d’un paysage

enneigé

« Le blanc… est comme le symbole d’un monde où toutes les couleurs, en tant que proprié-

tés de substances matérielles, se sont évanouies… Le blanc, sur notre âme, agit comme le

silence absolu… Ce silence n’est pas mort, il regorge de possibilités vivantes… C’est un

rien plein de joie juvénile ou, pour mieux dire, un rien avant toute naissance, avant tout

commencement. Ainsi peut-être a résonné la terre, blanche et froide, aux jours de l’époque

glaciaire270

».

Ce décor évoque tout de suite l’environnement de Kÿt quand elle arrive au re-

fuge. Même la lune rappelle cet astre dessiné sur la première de couverture de La terre

tourne. « Mystère et Il va neiger représentent les forêts suédoises, c’est le même univers

naturel que celui de La terre tourne271

». La neige fait donc partie intégrante du pay-

sage ! Ainsi, dans l’univers imagier d’Anne Brouillard, la neige peut prendre plusieurs

aspects :

- Lisse : Mystère, Il va neiger, La famille foulque

- Floconneux : Petites histoires « des hauts et des bas », Il va neiger, Cartes postales

- Étoilé : Il va neiger

Toutes caractéristiques qui se retrouvent dans La terre tourne. La neige enve-

loppe le monde comme dans du coton, elle étouffe les bruits et rend le monde plus doux

à l’oreille comme au toucher. Ce paysage peut évoquer au lecteur les arbres « barbe à

papa » qu’Anne Brouillard a imaginé, comme enveloppé par la neige dans Le pays du

267

Gilles Clément « L’important est de réconcilier l’homme et la nature, pas de présenter le premier

comme le maître de la seconde. (…) J’appelle ça l’écologie humaniste. » in

http://www.nouvellescles.com 268

« C’est le paysage qui lui parle, un paysage dans lequel elle aime être et travailler, c’est le paysage qui

lui parle et l’inspire. » Gilles Aufray, dans son courrier du 15 novembre 2010, au sujet du travail

d’illustratrice d’Anne Brouillard.

Anne Brouillard vit une vraie relation privilégiée avec la nature et elle l’offre à ses lecteurs. 269

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 270

« W. Kandinsky, L’esthétique de la solitude », in P. Kaufman, L'expérience émotionnelle de l'espace,

éditions Vrin, collection Problèmes et controverses, 2000, p. 223. 271

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010.

Page 114: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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rêve ou encore Demain les fleurs. Leurs fleurs semblent comme du coton ou du duvet,

délicates et douces au toucher comme des flocons de neige.

Comme les flocons de neige, en toute saison, chaque élément fait partie d’un

tout et le tout se retrouve dans chacune de ses petites particules. D’ailleurs, si le lecteur

demande quelle est sa saison préférée à Anne Brouillard, elle répond qu’elle « aime le

passage d’une saison à l’autre, les changements de couleurs et de lumière aux inter-

saisons. » Par exemple, dans La terre tourne, le lecteur visite toute sortes de lieux dans

des atmosphères et à des saisons différentes. Dans La famille foulque, le narrateur ima-

gier présente le même espace à des saisons différentes. Quoi qu’il en soit, par ce défile-

ment des saisons, le lecteur circule au rythme de la terre qui tourne dans le temps et

dans l’espace.

2. Le paysage lacustre de La terre tourne rappelle le ciel bleu nuit

de Mystère

mais aussi celui de Il va neiger. Sous le pinceau d’Anne Brouillard, les éléments natu-

rels se transforment tout naturellement pour finalement se confondre harmonieusement.

Le lecteur contemple donc des flocons de neige devenir des étoiles scintillantes dans la

nuit. Ces décors oniriques plongent inévitablement le lecteur dans une contemplation

poétique. Anne Brouillard sait évoquer cette atmosphère de l’Europe du nord avec ses

couleurs fascinantes. Ce bleu profond permet le réfléchissement de la lumière de la lune.

C’est ce même lac qui sert de cadre à l’histoire de Tante Nadège, Lucie, Thomas,

Alpha et Toka. Sur leur trace, sur le chemin, sur et autour du lac, le lecteur suit leur ren-

contre et leur aventure. Le temps passe paisiblement dans cet environnement. Pour la

création de l’album La terre tourne :

- Son eau a servi de diluant et de « pot à pinceaux »,

- Son cadre est la source d’inspiration et l’espace de création pour l’artiste272

mais, le

narrateur imagier ne le peint qu’à deux reprises.

272

« Comme ses personnages, Anne Brouillard arpente un territoire à la fois réel et rêvé, celui d’un pays

et d’un paysage créés de toutes pièces grâce aux acteurs d’une tradition culturelle et artistique. L’album

dit de littérature de jeunesse ne peut se regarder ni se lire sans lien avec la culture dont il se réclame de

manière plus ou moins explicite, ni sans intégration dans un espace artistique dont il est issu ou dont il

subit les influences. Le lecteur peut aussi appréhender le paysage dans toutes ses dimensions et com-

prendre ainsi que l’album, avec ses moyens propres, participe à la définition d’un paysage réel et mental

extrêmement précis. Ce lecteur se fait alors arpenteur de territoires qui sont avant tout culturels, d’espaces

marqués par des œuvres qui y sont encrés certes, mais surtout ancrés. » Patrick Joole, op. cit.

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Pour la création de l’album De l’autre côté du lac, son cadre et son ambiance

sont la source d’inspiration pour l’artiste et le narrateur imagier l’évoque à chaque page.

D’ailleurs, le titre même de l’album le pose en vedette. C’est autour de lui que les pages

vont s’effeuiller et les personnages évoluer. De façon similaire, la lecture progresse

« tout autour de la terre » dans l’un et « tout autour du lac » dans l’autre.

Une balade en barque ménage bien des surprises pour le lecteur : les corbeaux

s’y font promener sur une branche ! L’humour du narrateur imagier peut se révéler aussi

par ces petits détails très personnels. En effet, il est tout aussi naturel de se promener sur

une branche en barque que d’y regarder la télévision ou d’y faire des crêpes dans Le

bain de la cantatrice, comme il est tout aussi possible d’en faire sur la lune avec une

machine à laver dans Le temps d’une lessive. Ainsi, le narrateur illustratif offre des con-

nivences à chaque lecteur selon ses affinités visuelles et ses niveaux de lectures. La

barque permet aussi d’aller d’un côté à l’autre du lac. C’est plus rapide et moins fati-

guant ! C’est le moyen de transport idéal pour faire du cabotage le long des rives du lac

aux contours sinueux. Sa forme ménage de petites criques où il est très agréable

d’accoster. Ces mêmes berges où il est bon de partager un pique-nique assis contre un

arbre.

La promenade sur un lac symbolise une atmosphère paisible et conviviale

comme on peut aussi la rencontrer dans Promenade au bord de l’eau ou Le grand mur-

mure. Se retrouver autour d’un étang pour une partie de pêche ou un pique-nique parta-

gé entre amis, c’est possible dans Le pêcheur et l’oie ou La famille foulque. Le fait de se

retrouver autour ou sur un point d’eau apaise l’être humain. L’effet de l’eau calme in-

fluence le tempérament humain. Est-ce l’effet de la couleur ? L’effet des ridules légères

et régulières à la surface de l’eau ? Le son du clapotis de l’eau qui berce ? Le narrateur

imagier s’efforce de faire ressentir cette ambiance au lecteur afin qu’il profite lui aussi

de cette plénitude vécue par les personnages.

Le canal évoque un monde de plaisance mais de travail aussi. Ainsi, les péniches

peuvent être des habitations fluviales comme dans La terre tourne mais aussi des ba-

teaux de transports comme dans Voyage. Le canal, le fleuve, la rivière sont des cours

d’eau vivants et animés sur l’eau et sur les rives aussi. Contrairement à l’animation

tranquille sur le lac ou l’étang, s’y côtoient des gens en vacances et d’autres en activité

professionnelle. Que l’on soit en repos ou au travail, La terre tourne toujours au même

rythme pour tout le monde.

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La mer ou l’océan peut être un point d’arrivée comme dans La terre tourne, La

maison de Martin ou Promenade au bord de l’eau. Cet espace océanique peut aussi

devenir le cadre d’un album comme c’est le cas dans plusieurs albums : La grande

vague, Le grand murmure, Trois chats par exemple. Regarder l’océan, se promener au

bord de l’océan sont des activités apaisantes mais, que les personnages se retrouvent au-

dessus ou dedans et alors, l’eau peut devenir agitée. La mer est en perpétuelle mouve-

ment tout comme la terre. Les animaux aquatiques y sont dans leur élément mais pour

les autres, cela peut s’avérer aventureux !

Sous toutes ses formes et ses représentations, cet élément vital pour toute forme

de vie est présent dans tous les albums. Le cycle de l’eau peut métaphoriquement évo-

quer la narration en boucle chère à Anne Brouillard.

3. Les éléments273

, l’unité du monde274

La terre tourne sur

elle-même et dans

l’univers.

Le temps d’une lessive

La terre tourne

parmi les pla-

nètes.

Le chemin bleu

La terre est ronde.

Cartes postales

La terre tourne et

tout tourne avec

elle

La grande vague

Les éléments

tournent avec la

terre.

273

« Ils ne sont point irréductibles entre eux ; au contraire, ils se transforment les uns dans les autres. »

Dictionnaire des symboles, p. 395. 274

« L’unicité de la nature, c’est dans leur relation, ce qui les associe, les rend à la fois intimes, uniques

mais indissociables. (…) L’univers est ostensible et baroque, « enveloppant », avant tout il est vivant, son

identité n’est pas une figure, une forme, c’est un comportement. Ce que nous avons à dire est de l’ordre

du symbole. » Thomas et le Voyageur, op. cit., pp. 97-98.

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Grec Hindouisme et

Bouddhisme

Japonais

(Godai)

Tibétain

(Bön)

L’air

L’eau Aether Le feu

La terre

Vayu*/Pavan (Air/vent)

Ap/Jala Akasha Agni/Tejas (L’eau) (Aether) (Le feu)

Prithvi/Bhumi (La terre)

*souffle vital, souffle cosmique

風 (Air/vent)

水 空 火 (Eau) (vide/ciel) (Feu)

地 (Terre)

Air

Eau Espace Feu

Terre

Source : http://www.worldlingo.com/ma/enwiki/fr/Five_elements_%28Japanese_philosophy%29

Si l’on rapproche ces quatre tableaux traditionnels, on s’aperçoit qu’ « un cin-

quième élément était rattaché 275

» l’aether276

, le ciel ou l’espace. Il est d’ailleurs bien

vrai que « La terre tourne tranquillement, dans l’univers parmi les étoiles » dans le

monde d’Anne Brouillard. « Ces éléments ont leur correspondance dans la symbolique

fondée sur l’analyse de l’imaginaire277

». Mais aussi, on peut relier ces éléments aux

symboles si l’on considère que « les divers phénomènes de la vie se ramènent aux mani-

festations des éléments qui déterminent l’essence des forces de la nature278

». La nature

et tout ce qui compose notre planète tournent donc dans l’espace, générant un cycle per-

pétuel de renouvellement des éléments. Ils ne sont pas isolés mais complémentaires et

interdépendants comme l’illustre l’image de La grande vague : Le feu appelle l’air qui

soulève l’eau qui nourrit la terre.

Les animaux aussi font partie intégrante de cet équilibre, comme l’illustre

l’image de Cartes postales.

a) L’air279

L’air est invisible, immatériel tout en étant pesant et vital pour toute vie sur la

planète terre. Pour ressentir l’air, il doit souffler : légère brise, vent ou rafales, autant de

275

Dictionnaire des symboles p. 395. 276

« Par extension, les espaces célestes. (…) L'éther, en tant que fluide subtil et universel, est mentionné

dès 1753. ♦ Le fluide le plus subtil qu'ait produit la nature, celui qui se trouve répandu partout, et que l'on

nomme éther, BEAUSOBRE, Dissertat. philos. p. 3 » Dictionnaire Le Littré. 277

« Ils sont la base de ce que Bachelard a appelé l’imagination matérielle, cet étonnant besoin de péné-

tration qui, par-delà les séductions de l’imagination des formes, va penser la matière, rêver la matière,

vivre dans la matière ou bien … matérialiser l’imaginaire. » Pour Jung, « les diverses combinaisons de

ces éléments et de leurs rapports symbolisent la complexité et la diversité infinie des êtres ou de la mani-

festation ainsi que leur perpétuelle évolution d’une combinaison à une autre, suivant la prédominance de

tel ou tel élément. » Dictionnaire des symboles, p. 395-396. 278

Ibidem., p. 396. 279

« L’air est un symbole de spiritualisation. (…) Il représente le monde subtil intermédiaire entre le ciel

et la terre. (…) L’air est le milieu propre de la lumière, de l’envol, du parfum, de la couleur, des vibra-

tions interplanétaires. » Ibidem., p. 19.

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manifestations sensibles de l’air. Pour voir l’air, il doit bouger : les feuilles des arbres,

les cheveux des personnages, les nuages ou les maisons280

dans l’imagination du narra-

teur imagier. Le déplacement de l’air permet donc de matérialiser le mouvement dans

l’espace. L’air prend tout l’espace disponible, il est expansible, c’est ainsi qu’il peut

gonfler un ballon ou la voile d’un bateau. Pour être respiré, l’air peut prendre des odeurs

agréables comme celle d’une fleur ou d’une tasse de café mais, il peut aussi s’imprégner

d’odeurs nauséabondes comme celle de l’eau stagnante parfois. Pour se faire entendre, il

sait flotter sur l’air d’une musique comme accompagner le passage d’un train ou le

chant d’un oiseau. L’air s’adapte aux sens afin de manifester sa présence. Il est partout

et il veut que cela se sache. Car, même s’il a « l’air de rien », il est essentiel à la vie.

b) L’eau281

Cet élément est certainement le plus représenté dans les albums d’Anne Brouil-

lard. Le globe terrestre est tout bleu, illustrant cette planète bleue recouverte à 72 % par

de l’eau. L’eau est matérialisée sous toutes ses formes : liquide, solide et gazeuse. Au

rythme des saisons et des paysages, l’eau se présente sur terre, sous terre ou dans les

airs. Elle peut donc changer d’apparence et bouleverser l’atmosphère. Elle peut être

tranquille dans un lac ou sous l’océan comme elle peut devenir agitée et houleuse en

surface. Elle peut tomber sous forme de pluie fine ou de flocons de neige comme elle

peut devenir un orage ou un déluge. Les nuages adaptent leurs formes et leurs couleurs

selon son humeur. Les êtres vivants adaptent leurs comportements et leurs habitudes

selon ses caprices. L’eau prend la couleur du ciel, elle reflète la couleur de son environ-

nement. C’est ainsi qu’elle prend des teintes bleutées quand le temps est calme et pai-

sible mais qu’elle peut devenir verdâtre quand elle n’est pas dans son environnement

habituel.

L’élément liquide matérialise métaphoriquement le liquide amniotique, univers

de création de vie. Il illustre le retour aux sources tel le retour au lac, espace maternel.

Mais aussi, il représente le cadre autour duquel les hommes et les animaux se retrouvent

280

« L’élément air, dit saint Martin, est un symbole sensible de la vie invisible, un mobile universel et un

purificateur. » Ibidem., p. 19. 281

« Les significations symboliques de l’eau peuvent se réduire à trois thèmes dominants : source de vie,

moyen de purification, centre de régénérescence. (…) Les eaux, … représentent l’infinité des possibles.

(…) Souffle vital, elle est aussi don du ciel et symbole universel de fécondité et de fertilité. (…) L’eau

vive, l’eau de la vie se présente comme un symbole cosmogonique. (…) si les eaux précèdent la création

… elle peut ravager et engloutir. (…) symbole de la dualité du haut et du bas : eau de pluie-eau des

mers. » Ibidem., pp. 374-382.

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ensemble en paix. Au fil des pages, l’eau irrigue l’univers imagier d’Anne Brouillard.

Le passage d’un lieu à l’autre se fait souvent le long de, autour ou à travers cet élément.

De par sa nature « liquide », l’eau permet l’ondulation du mouvement et facilite ce pas-

sage d’un monde à l’autre. Tel un miroir, elle reflète la réalité et l’imaginaire. La rive

symboliserait ce mince interstice entre le réel et l’imagination. Comme les portes et les

fenêtres laissent passer la lumière, de l’intérieur vers l’extérieur et réciproquement,

l’eau réfléchit l’un et l’autre univers. C’est ainsi qu’elle peut même s’écouler à l’envers.

De par son mouvement perpétuel, même une eau calme est toujours mouvante, elle ac-

compagne le tournement de la terre et la vie de ses habitants. Ses lignes sont courbes,

évoquant un monde doux et féminin. Cet élément s’adapte parfaitement à la terre. Qu’y

a-t-il de l’autre côté ? Tel son reflet à la surface de l’eau, l’être humain est curieux de se

découvrir. Ainsi, qu’il choisisse de la contourner ou de la traverser, l’eau lui facilite le

cheminement d’un côté à l’autre. Ses miroitements s’apparentent aux paysages qui défi-

lent derrière la vitre d’un train. Images du monde toujours en perpétuel mouvement,

même si l’on choisit de rester là, à regarder l’eau ou le train qui passe.

c) Le feu282

Le feu est l’élément le moins visible dans les albums d’Anne Brouillard. Le nar-

rateur imagier le représente peu. Les fonctions premières du feu étaient certainement

d’éloigner les bêtes sauvages la nuit, réchauffer l’atmosphère froide ou humide, cuire

les aliments, fondre le métal… L’invention du feu a bouleversé l’histoire de l’humanité

tout comme l’arrivée du feu transforme l’environnement dans La grande vague283

, lé-

282

« La plupart des aspects du symbolisme du feu sont résumés dans la doctrine hindoue… c'est-à-dire le

feu ordinaire, la foudre et le soleil. (…) Le feu symbolise les passions ou l’esprit. (…) Les taoïstes entrent

dans le feu pour se libérer du conditionnement humain. (…) La purification par le feu est complémentaire

de la purification par l’eau, sur le plan microcosmique (rites initiatiques) et sur le plan macrocosmique

(mythes alternés de déluges et de grandes sécheresses ou incendies. (…) Comme le soleil par ses rayons,

le feu par ses flammes symbolise l’action fécondante, purificatrice et illuminatrice. Le feu est également,

en tant qu’il brûle et consume, un symbole de purification et de régénérescence. » Ibidem., pp. 435-438. 283

« La grande vague ou le jeu des métamorphoses : Dans cet album d’une beauté plastique et d’une

poésie infinie, pas de personnages. Rien qu’un paysage qui se métamorphose au fil des pages, des zooms

arrière et avant. Une histoire ? Au lecteur ou au spectateur ? de l’inventer au gré de son imagination.

Entre les troncs, soudain, une lueur. Une flamme ? Sans doute. Un incendie ? Peut-être. On tourne la

page : gros plan sur cette lueur orange qui change de couleur, on passe des couleurs chaudes aux couleurs

froides. Le feu devient eau, le brasier mer, la flamme vague. Un zoom arrière et voilà un paysage noc-

turne de mer peuplé de poissons multicolores. Tournons la page et les voilà transformés en oiseaux de

paradis dans une forêt tropicale ornée de fleurs éclatantes. On notera la suprême beauté de la dernière

double-page, avec sa faune et sa flore chatoyantes. D’abord plaisir des yeux, cet album constitue un

hymne à la nature et à la multiplicité de ses métamorphoses et de ses paysages. (…) Lorsqu’on a est saisi,

happé par La grande vague, on se laisse emporter. (…) Pour son formidable potentiel poétique, la mer-

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chant les arbres, dansant parmi eux, se contorsionnant dans l’air, pour prendre la forme

puis la consistance d’une grande vague d’eau qui fera apparaître des petits poissons

multicolores qui prendront l’apparence d’oiseaux de toutes les couleurs dans cette nou-

velle forêt qui s’est régénérée après le passage du feu. Dans cet espace, après avoir eu

un effet destructeur, le feu devient un élément régénérateur pour la nature. Dans la dua-

lité, l’effet positif prend toujours le pas sous le pinceau de l’illustratrice284

.

Si le feu réussit à éloigner les bêtes sauvages du campement, il ne réussit pas à

déloger les poissons qui ont pris possession de l’âme de la maison. Le feu n’a pas tous

les pouvoirs dans le monde surnaturel. Cependant, perdue et seule dans un refuge, Kÿt

apprécie la chaleur et le réconfort d’un bon feu de cheminée. Le feu réchauffe le corps

et le cœur. Ses flammes ont un effet hypnotique285

sur l’être humain du fait de leurs

couleurs et de leurs danses crépitantes.

d) La terre286

Cet élément est le socle nécessaire à toute vie sur la planète. La terre nourrit les

êtres vivants, permet la construction et les déplacements, tout autour de la terre. Si la

planète terre est la planète bleue, la terre prend des teintes et des nuances différentes en

fonction des saisons, des aménagements qu’elle subit, des nuages qui passent dans le

ciel, cachant le soleil … Elle peut donc être verte ou jaune au printemps par exemple

comme blanche sous la neige en hiver. La terre est un élément absorbant car la pluie s’y

infiltre pour la nourrir. Elle subit les assauts du vent qui emporte tout sur son passage.

Le feu, quant à lui peut la ravager comme la nourrir de ses cendres. La planète terre elle,

tourne dans l’univers, toujours au même rythme, entraînant dans sa ronde tous les élé-

ments et les êtres vivants qui l’habitent. La terre est nourricière, elle représente les ra-

veilleuse luminosité de ses illustrations, La grande vague mérite donc qu’on se laisse porter par elle. Un

tel album ouvre des possibilités infinies en poésie et en arts plastiques. » in http://www.intercdi-

cedis.org/spip/intercdiarticle.php3?id_article=1188 284

« …Comme pour La grande vague, l’idée m’est venue en quasi trois secondes. J’étais assise devant un

feu de cheminée avec une pochette de feutres Bic sur les genoux et « tac tac tac », je l’ai fait en petites

vignettes. C’est ce que j’avais envie de raconter, toute l’histoire était là. Le plus difficile, c’était de le

refaire en grand ! ». Extrait de l’entretien téléphonique du 21/03/2011. 285

« … cette observation hypnotisée qu’est toujours une observation du feu. Cet état de léger hypnotisme,

dont nous avons surpris la constance (…) Il ne faut qu’un soir d’hiver, que le vent autour de la maison,

qu’un feu clair, pour qu’une âme douloureuse dise à la fois ses souvenirs et ses peines. » Gaston Bache-

lard, La psychanalyse du feu, éditions idées/Gallimard, 1949, p. 12. 286

« Elle supporte, tandis que le ciel couvre. (…) La terre est la substance universelle. (…) Universelle-

ment, la terre est une matrice qui conçoit les sources, les minerais, les métaux. La terre symbolise la fonc-

tion maternelle. » Dictionnaire des symboles, op. cit., p. 940-942.

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cines stables, celles qui ne bougent pas, celles dont chacun a besoin pour se construire et

s’élever. Alors que sa forme ronde invite à l’évasion et au voyage, « jusqu’au bout du

monde », car il est tentant d’aller voir ce qui se passe derrière la ligne d’horizon, de

l’autre côté de la terre. Est-il trop audacieux d’avancer l’idée que la terre, les racines

sont illustrées par les arbres dans l’univers imagier d’Anne Brouillard. La terre, la pla-

nète ronde qui tourne est illustrée par la ligne de chemin de fer. À partir de cette nou-

velle hypothèse de lecture, il serait possible d’étudier les albums à la lumière des cinq

éléments chinois qui sont : le feu, l’eau, le bois, le métal et la terre associés au concept

du Yin et du Yang.

4. La ville, un paysage créé par l’homme : un paysage en perpé-

tuelle mutation, toujours en mouvement … comme la terre

Dans La terre tourne la ville est aperçue depuis la fenêtre de l’appartement de

l’homme en rouge et Killiok. Le village est vu depuis l’extérieur sous le soleil. Dans le

cadre de cet album, le lecteur pourrait visiter chaque paysage à travers la vitre d’un train.

Dans Voyage, c’est chose faite. Les enfants traversent la ville en train et, ils y voient les

mêmes « immeubles », le même « coin de rue », le même « manège » et la même

« place ». Par ce va-et-vient d’album en album, deux lieux représentés séparément peu-

vent se retrouver unis par la lecture d’un autre album. Le pont avec ses arcades renforce

cette idée de déjà vu quelque part. Cette place peinte sous le soleil évoque celle de

Voyage, à un autre moment de la journée, le soir, avec ses promeneurs et les clients as-

sis à la terrasse du café ouvert. Il en est de même pour le « manège » autour duquel la

foule s’assemble. Dans La terre tourne, la ville est représentée comme un décor servant

de cadre à l’évolution des personnages dans l’espace. Ils ne rencontrent personne.

Comme dans Sept minutes et demie, la ville semble une zone topographique permettant

le déplacement des seuls protagonistes de l’histoire. Sont-ce des villes inhabitées ?

Ailleurs, dans Voyage, Reviens sapin, Le voyageur et les oiseaux, Le temps

d’une lessive, Le grand murmure par exemple, la ville est habitée et vivante. Des gens y

vivent, y bougent, y travaillent, s’y rencontrent, vont et viennent, y restent… Leur pré-

sence est sensible.

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D’autres thématiques comme les plantes, le ciel, les arbres, les forêts, la plaine,

le voyage, l’intérieur et l’extérieur … pourraient aussi être étudiées comparativement à

partir de La terre tourne. Nous avons opté pour les plus représentatives à notre sens.

La terre tourne présente l’échantillonnage environnemental terrestre. La terre est

vue dans sa globalité et dans son mouvement perpétuel. Tout y est donc en déplacement

et en transformation. Cependant, tout comme les personnages et l’environnement y sont

des repères vivants pour le lecteur, les objets accompagnent aussi la lecture d’un album

à l’autre.

C. Les objets (matériels)

1. Le ballon rouge287

: symbole de l’enfance, du jeu et de

l’insouciance, de l’action, des rencontres entre amis, des cadeaux of-

ferts par les adultes …

Dans La terre tourne, le ballon rouge est le présent choisi par Kÿt. D’après

l’environnement et son attitude, le lecteur suppose qu’elle l’a trouvé à la fête foraine. En

effet, ce ballon de baudruche est très prisé par les enfants lors de cette circonstance fes-

tive. Mais aussi, il peut illustrer la joie du « retour en enfance », le refus de vieillir,

d’être enfermé, de renoncer à ses rêves, l’envie d’aller jusqu’au bout de ses rêves

d’enfance et le bonheur d’être entouré d’amis, une « ode » à la vie, à la liberté et au cou-

rage dans le dessin animé Là-haut : Ces ballons sont toujours de cou-

leurs vives car, ils sont là pour attirer le regard et susciter le bonheur « enfantin ».

Quand ils sont accrochés tous ensemble, multicolores, on dirait un arc en ciel qui se

déplace dans le ciel.

Dans les albums d’Anne Brouillard, le ballon ou plus exactement les ballons

sont rouges :

« Le rouge … possède l’ambivalence symbolique … selon qu’il est clair ou foncé. L’un en-

traîne, encourage, provoque (…) ; l’autre alerte, retient, incite à la vigilance. (…) Il n’est

pas de peuple qui n’ait exprimé cette ambivalence d’où provient tout le pouvoir de fascina-

287

« Le rouge vif … incite à l’action ; il est l’image d’ardeur, … de jeunesse, de santé. (…) Il incarne la

fougue et l’ardeur de la jeunesse. » Ibidem. p. 832.

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tion de la couleur rouge, qui porte en elle intimement liées les deux plus profondes pulsions

humaines : action et passion, libération et oppression288

».

Ici, cette ambivalence symbolique se retrouve plutôt au niveau de la forme et de

l’utilisation car il s’agit d’un ballon flottant dans l’air ou retombant au sol. L’un est

ovale, libre, aérien mais retenu sur terre par une ficelle ; l’autre est rond, pesant, passif

mais devient actif au contact d’un pied ou d’une main humaine. Tout au long des al-

bums, le lecteur rencontre donc, sur les traces des enfants289

, ce ballon rouge290

:

- le ballon solitaire : le ballon qui flotte au vent, le ballon attaché avec une ficelle.

C’est ce même ballon de baudruche qui permet au lecteur de reconnaître

l’ambiance de la fête foraine dans Voyage bien que l’illustration soit en noir et blanc.

Entre l’image de La terre tourne et celle de Voyage, le temps est passé, la nuit est tom-

bée et le public est arrivé. Que ce soit dans Le temps d’une lessive ou dans Promenade

au bord de l’eau, ce ballon est toujours celui d’un seul enfant, il se joue en solitaire avec

le vent. D’ailleurs, ce dernier finira par l’emporter avec lui à la fin de l’album Prome-

nade au bord de l’eau, laissant l’enfant sur la plage avec la famille et les amis. Par cette

nouvelle résonnance, le lecteur peut se demander si cet enfant ne serait pas l’enfant ac-

cueilli à la fin de La terre tourne. Dans Le temps d’une lessive, il y a deux enfants. Donc,

il est tout à fait normal qu’ils en aient chacun un. Le jaune291

pour la fille et le rouge

pour le garçon292

.

- le ballon partagé : le ballon qui se pousse au pied, le ballon qui se joue à la main, le

ballon qui roule, le ballon abandonné au bord du chemin.

Quand les enfants se retrouvent à plusieurs, le ballon s’adapte à leurs jeux.

Quand l’enfant est seul, il joue avec l’inclinaison du terrain. Quand l’enfant est devenu

un adulte, le ballon se retrouve abandonné au bord du chemin, trace visible de

l’insouciance passée. Ce ballon rond roule dans la pente, devançant les pas de l’enfant,

288

Ibidem. pp. 831-833. 289

« … enfants … dont on connait l’universelle attirance pour la couleur rouge. » Ibidem., p. 833. 290

Le ballon rouge se retrouve dans nombre d’univers imagiers pour la jeunesse. Il se transforme sous

l’imagination de Iela Mari et Sara, par exemple ; il accompagne Mon petit monde de Margaret Wise

Brown ; il prend une valeur de liberté, d’insouciance, d’amour … et il occupe une place typographique

symbolique dans Le petit inconnu au ballon de Jean Baptiste Cabaud et Fred Bernard où le narrateur

textuel l’intègre dans son texte. Chaque « o » du texte est illustré par ce symbole « o » afin de rappeler au

lecteur combien la guerre est « injuste » et cruelle. Le signe est solidaire du sens. 291

« Le jaune est la plus chaude, la plus expansive, la plus ardente des couleurs. (…) Il est le véhicule de

la jeunesse, de la force, de l’éternité divine. » Dictionnaire des symboles pp. 535 Ŕ 537. 292

« C’est une couleur masculine » in http://www.creatic.fr/cic/B022Doc.htm

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il ne s’arrête jamais dans sa course, tout comme la terre tourne encore et toujours. Fidèle

compagnon de l’enfance, il ne s’arrête que quand l’enfant est trop grand pour jouer avec

lui. Symbole de la convivialité enfantine, il se joue au pied dans Le chemin bleu, Le

bain de la cantatrice et Rêve de lune. Sur ses traces, le lecteur et les personnages évo-

luent dans l’espace et le temps qui passe. Il se joue à la main dans La famille foulque,

Julie capable et L’homme qui était sans couleurs.

De par ses multiples facettes, le ballon est l’objet idéal pour illustrer le monde de

l’enfance. Offert à cet enfant attendu dans La terre tourne, c’est donc tout naturellement

qu’il accompagne les jeunes personnages dans de nombreuses histoires pour la jeunesse

illustrées ou imaginées par Anne Brouillard.

2. La valise : symbole du voyage, les gens qui vont et viennent,

ceux qui ne s’arrêtent jamais mais aussi ceux qui déménagent ailleurs

pour y être mieux ou pour des raisons de restructuration de l’espace,

ceux qui doivent partir de chez eux, ceux qui sont morts…

Comment représenter le passage de l’enfance à l’âge adulte. Cette période

« entre-deux » où les rêves changent, où certains se perdent et où d’autres deviennent

réalisables ? Cette transition dans la vie de l’être humain qui va « prendre son envol »,

devenir peu à peu autonome pour enfin partir du « giron » familial ? C’est le moment où

l’on a envie de « faire sa valise » pour aller voir ailleurs … même si l’on ne sait pas

encore que l’on reviendra un jour, comme l’illustre Le chemin bleu.

La valise est aussi le symbole du voyage, au rythme de la terre qui tourne, tout

autour de la terre qui est ronde, sur les traces des personnages de La terre tourne. Dans

l’univers imagier d’Anne Brouillard, cette valise a une forme, une couleur, une âme …

De ce fait, le lecteur la reconnaît malgré la grande disparité des environnements dans

lesquels elle se trouve. Cette petite valise rectangulaire marron arrive doublement dans

l’univers imagier de La terre tourne. C’est tout d’abord l’homme en rouge puis la dame

en vert qui arrivent, chacun avec la leur. Leur arrivée est d’ailleurs similaire. Chacun

pose sa valise à sa droite afin d’avoir les mains libres pour saluer son hôte animal. La

valise est donc utilisée pour transporter ses bagages, partir en voyage mais, une fois

arrivée, on la pose afin de s’installer pour un moment ou pour toujours selon les cir-

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constances. Dans La terre tourne, Voyage, Le voyageur et les oiseaux ou Le grand

murmure, cette valise est « de voyage », « de passage » alors que dans Le chemin bleu,

elle se pose pour longtemps car le narrateur revient pour s’installer ici. Elle peut aussi se

retrouver là pour toujours, car, après la mort de son propriétaire, qu’en faire ? (Le rêve

du poisson) Elle devient alors la trace, le souvenir de l’être aimé et disparu. « On se

demande où vont ceux qui sont morts ? ». Si la présence et la vue de cette petite valise

n’apportent pas de réponses, elle permet de ne pas oublier celui ou celle à qui elle a ap-

partenu. Dans de telles circonstances, le grenier, cet endroit « où le temps semble sus-

pendu » semble bien être le coin idéal pour la poser.

Que les illustrations soient en couleurs ou en noir et blanc, cette petite valise est

très reconnaissable du fait de ses particularités adaptables en fonction des personnalités

des personnages et des situations dans lesquelles ils se trouvent.

C’est ainsi que Le grand Michu l’emporte avec lui quand il doit entrer au pen-

sionnat. Cette même petite valise peut être utilisée en tant qu’ « attaché case » pour les

besoins de la narration. Par contre, pour une balade en forêt, le sac à dos est plus pra-

tique car il laisse les mains libres. Pour faire les courses, une balade sur le chemin ou

une partie de pêche, le panier est plus adapté au pique-nique et à la « prise miracu-

leuse » ! Quand il s’agit de partir au pays du rêve ou à la recherche de sa maison, alors

là, pas besoin de valise car le personnage part à la découverte de l’inconnu. Et quand il

est question de partir précipitamment ? Les personnages n’ont pas le temps de faire leur

valise, ils emportent donc tout ce qu’ils peuvent « en vrac » et ils embarquent vers

d’autres horizons moins humides. La valise s’adapte aussi à la personnalité des person-

nages. Une vieille dame sera équipée d’une valise à roulettes tandis qu’un vieux voya-

geur « musicien » portera une valise de la taille de son instrument (une flûte certaine-

ment). Il en est de même pour Élisabeth qui va « jouer de l’accordéon au château. »

3. La cafetière : illustre les gens qui restent là parce qu’ils y sont

bien, symbole de l’accueil, le partage, la chaleur humaine, recevoir des

amis, la pause conviviale, le café : le goût, l’odeur, le réveil quotidien et

rassurant …

Une fois que les adultes sont bien confortablement installés chez eux ou en

pause, au cours d’un voyage, que font-ils ? Ils partagent un café en famille ou entre amis.

Page 126: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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C’est ainsi que la cafetière se retrouvent dans la plupart des albums d’Anne Brouillard

symbolisant cette convivialité entre adultes. Mais aussi, quand ils vivent seuls, la cafe-

tière les attend pour leur procurer un peu de chaleur.

La cafetière rouge de La terre tourne, tout comme la ligne de chemin de fer

prend une double signification dans Le pays du rêve. En effet, elle aussi se retrouve

dans les deux mondes : celui de la réalité et celui du rêve. Sa présence dans la maison

« réelle » n’est pas étonnante pour le lecteur sensible aux résonnances car, il la retrouve

dans L’orage. Elle existe donc bel et bien chez ces gens qui habitent ici. Mais alors,

comment peut-elle se retrouver à la fois dans les deux mondes, le vécu et le rêvé dans

Le pays du rêve ? C’est même elle qui attend les voyageurs, posée sur une table près de

la voie ferrée et du bateau. Elle semble être la « vedette » de cet album, image rouge

détourée sur le fond blanc de la page de titre. Cette cafetière symboliserait cette am-

biance mystérieuse et « utopique » caractéristique des albums d’Anne Brouillard. En

effet, dans La terre tourne, ce ne sont pas les êtres humains qui l’utilisent mais le chien

noir qui d’ailleurs lit aussi le journal ! Tout le monde est mis sur un pied d’égalité dans

cet univers imagier. Ainsi, la cafetière rouge deviendrait « animée » et serait libre de se

dédoubler. Où que l’on se trouve, elle symbolise le fait que l’on est toujours attendu par

« quelqu’un » ou « quelque chose ». Nous ne sommes jamais seul sur terre et nous

avons tous besoin les uns des autres pour y vivre en harmonie.

Comme les autres personnages, la cafetière rouge évolue dans l’univers imagier

d’Anne Brouillard. Sa place, son rôle change mais son apparence et sa présence inter-

pellent toujours l’œil « dénicheur » du lecteur. Elle peut se positionner en tant qu’ :

- Accessoire au sein d’illustrations de pleine page dans La terre tourne, par exemple.

- « Label » au centre de la page de titre dans Le pays du rêve,

- Objet « animé » de tremblements sous l’effet du bruit du tonnerre et de la peur de

l’éclair blanc dans L’orage,

- Ustensile de cuisine bien rangé dans le buffet dans l’album De l’autre côté du lac.

Le rouge est une couleur primaire et chaude293

, le fait de l’associer à la couleur

blanche294

le rend plus discret. Le rouge incite au geste, à l’offre d’un café, le blanc par-

293

« Le café y reste plus chaud plus longtemps. » remarque Anne Brouillard lors de la conférence du

06/11/2010. 294

« C’est une couleur neutre. (…) Dans la valorisation positive du blanc … elle est l’attribut de celui qui

se relève, qui renaît, victorieux de l’épreuve. (…) Dans le bouddhisme japonais, l’auréole blanche et le

lotus blanc sont associés au geste du poing de connaissance, par opposition au rouge et au geste de con-

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ticipe de ce don « de soi ». En effet, en servant un café, par ce geste chaleureux, on

donne aussi de son amitié ou de son amour. Cependant, la cafetière blanche et rouge

assume toujours cette même fonction dans une ambiance toujours chaleureuse. Qu’elle

attende des amis dans Le grand murmure, offre une pause à un ami de passage dans La

maison de Martin ou réchauffe le corps d’une famille revenue de balade dans Reviens

sapin. La cafetière blanche et rouge passe de mains en mains, rassemblant les gens au-

tour d’elle.

La couleur blanche évoque aussi la vieillesse, époque de solitude alors que l’être

humain a toujours besoin de chaleur. C’est ainsi que, dans l’environnement imagier de

La vieille dame et les souris et Le gardien des couleurs, ces deux personnes âgées ont

une cafetière en céramique blanche. Une cafetière d’une autre époque mais qui garde

toujours sa place.

En effet, comme la valise, elle s’adapte aux personnages et aux circonstances de

leur histoire. L’homme qui était sans couleurs est un personnage contemporain avec le

rythme que cela impose. Le narrateur imagier a donc choisi de lui installer dans sa cui-

sine, une cafetière électrique moderne. Cela est plus pratique et plus rapide le matin au

réveil pour prendre son petit déjeuner « sur le pouce ». Dans les cas de Kÿt et du pê-

cheur, le narrateur imagier a opté pour le même choix des couleurs (rouge et blanc) mais

pour un objet plus pratique et transportable : le thermos. Ainsi, le café est une boisson

qui peut se partager aussi ailleurs que chez soi. Que ce soit avec un chat ou avec une oie,

grâce au thermos, cette boisson garde ses valeurs, gustatives et chaleureuses. Tout

comme dans La terre tourne, le café permet le contact et les échanges amicaux et har-

monieux entre les êtres humains et les animaux.

4. Le chemin de fer, les rails, la voie ferrée, le train295

Tout cet environnement est propice à l’imagination et au voyage vers l’extérieur

ou depuis l’extérieur ; aux échanges à l’intérieur, dans le compartiment ; aux prome-

centration. (…) Elie est le maître du principe vital symbolise par le rouge, Moïse, selon la tradition isla-

mique, est associé au for intime de l’être dont la couleur est le blanc. (…) On retrouve chez Les Soufi la

relation symbolique du blanc et du rouge. Le blanc est la couleur essentielle de la Sagesse ; le rouge est la

couleur de l’être mêlé aux obscurités du monde. » Dictionnaire des symboles, p. 127. 295

Voir en annexe la chanson de Grand Corps Malade, Les voyages en train.

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nades et aux rêves le long de la ligne de chemin de fer ou de l’autre côté, tout est envi-

sageable dans et en dehors de cet espace ferroviaire.

Nous pouvons adapter les propos de Gilles Clément à cet espace qui nous inté-

resse en ces termes :

« La terre est elle-même » une ligne de chemin de fer dont la limite apparente « est

l’horizon (…) : l’horizon arrête toujours notre regard, mais il a cessé d’être la limite du

monde, parce que nous savons désormais très bien ce qui se cache derrière, maintenant que

nous vivons dans un monde où, (…) nous pouvons avoir une idée » du paysage « pour toute

la planète. Ça, c’est la révolution que nous ont apportée les satellites et les cosmonautes. »

On nous montre la planète « c’est devenu une nouvelle habitude culturelle. » Grâce au train,

nous traversons un univers sur les rails296

.

Le narrateur imagier de La terre tourne positionne la voie ferrée transversale-

ment, que ce soit dans un plan horizontal ou vertical et hors champ comme un lien pos-

sible de page à page. Cette organisation spatiale se retrouve dans d’autres albums aussi.

Dans Le grand murmure, les personnages déambulent autour de la ligne de che-

min de fer, regardent passer le train, l’attendent sur le quai ou dans le café de la gare

mais voyagent aussi par ce moyen de transport, tout comme les personnages de La terre

tourne. Ils en profitent pour regarder le paysage qui défilent sous leurs yeux, échanger

quelques conversations ou un verre dans l’ambiance chaleureuse du compartiment.

L’essentiel de la narration illustrative de Voyage se passe dans le train ou vu depuis

l’intérieur du compartiment, à travers la vitre. Les paysages réels et imaginaires se suc-

cèdent au rythme de ce train qui circule autour de la terre qui tourne. Situé hors cadre de

la page, la vue depuis le train permet des vues en plongées sur les décors traversés par

les personnages. Comme dans Le grand murmure, la gare est un endroit peuplé et animé

par toutes sortes de gens qui vont et viennent, partent ou reviennent de voyage, certains

attendent le train, d’autres attendent les voyageurs du train. La gare est l’espace narratif

de l’album Le voyageur et les oiseaux. Ici, les trains sont en arrière-plan car, les prota-

gonistes statiques sont positionnés au premier plan. Cependant, le défilé incessant des

allers et venues des trains permet au lecteur de prendre conscience du temps qui passe

dans cette gare terminus. Au rythme des départs et des arrivées des trains, les gens vont

et viennent, pour accueillir un voyageur, attendre ou courir après leur train. L’espace

ferroviaire illustré dans Le chemin bleu est limité. Cependant, ces deux ambiances sont

représentées : un espace d’aiguillages, un terminus et des voies ferrées parallèles

comme dans Voyage ou Le voyageur et les oiseaux ; un quai de gare avec un train à

296

Gilles Clément à propos de son livre Thomas et le voyageur, éditions Albin Michel, 2011.

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l’arrêt et des voyageurs comme dans Voyage, Le grand murmure ou Le voyageur et les

oiseaux. Ici, deux vignettes suffisent pour évoquer ce monde ferroviaire.

Dans la forêt enneigée de Il va neiger, pas de train en vue ! Cependant, les per-

sonnages se promènent le long de cette voie ferrée qui traverse les bois et quelques

pages de l’album de part en part, « ils cheminent le long de la voie ferrée, là où les rails

font une belle courbe297

». Cette ligne illustre le chemin qui balise leur promenade noc-

turne, comme un repère visuel dans cette forêt. En effet, il fait nuit et la neige a recou-

vert le sol. Les rails restent visibles et orientent les pas des personnages sans risque de

se perdre, « petits cailloux blancs du Petit Poucet ». Que les personnages soient dans le

train, sur les quais, dans le café de la gare ou le long des rails, cette ligne permet le ras-

semblement des personnes et les invite aux voyages. Comme dans Le grand murmure et

Le pays du rêve, cette ligne peut être courbe, comme si les rails prenaient la forme et

l’orientation de la terre qui tourne. Dans ce dernier, la narration illustrative est double

tout comme l’apparence de la voie ferrée. Elle est rectiligne et empruntée par des trains

dans la réalité alors qu’elle est toute en virages et inutilisée dans Le pays du rêve.

L’arrondi évoque la douceur, c’est une forme non agressive, elle suggère l’espace du

nid douillet … serait-ce cela Le pays du rêve ? Alors que la ligne droite impose une di-

rection et une rigueur qui symboliserait le monde réel ?

Que dire alors de cet autobus-tram-train-avion-sous-marin-machine à laver dans

Le temps d’une lessive ? Ce véhicule a l’apparence d’un train, les fonctions d’un tram-

way (train citadin électrique) mais, il roule sans roue, sans rail et il navigue sous l’eau et

il vole. Alors qu’est-ce ? « Cet album est un délire » précise Anne Brouillard. Ainsi, par

ce moyen de locomotion « tout terrain » l’illustratrice a voulu représenter tous les dé-

placements possibles, dans tous les éléments (sur terre, sous l’eau et dans l’air) en un

seul et unique espace mobile. « Il semblerait que cela fonctionne bien » précise t’elle

« et en plus, c’est écologique » ! Merci Anne Brouillard pour cette fabuleuse invention

du XXIème

siècle298

.

Le chemin de fer est bien un environnement qui permet le déplacement d’un es-

pace à l’autre, le mouvement d’un moment à l’autre et aussi la rencontre, l’échange et le

partage. Ce n’est pas un élément froid, tout comme la neige, la nuit, la ville … Le narra-

297

Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à

Bruxelles". 298

Cet album est paru en 2000.

Page 130: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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teur les présente sous un aspect chaleureux et bienveillant. C’est cette même harmonie

qui nous accompagne dans et à partir de La terre tourne.

Que se passe t’il donc quand Anne Brouillard est invitée à participer à un album

collectif chez Sarbacane sur le thème du loup ? Elle joue avec les mots et le lecteur la

reconnaît sans aucun doute. C’est alors que du titre de l’album Un loup peut en cacher

un autre299

, elle en a déduit une autre expression populaire « un train peut en cacher un

autre » ! Quand on lui demande pourquoi elle a représenté tous ses loups dans un train

qui traverse la forêt du Petit Chaperon Rouge qui attend au passage à niveau, elle ré-

pond : « ils rentrent du boulot ! ».

Anne Brouillard est non seulement talentueuse, elle est aussi douée d’humour.

Personnalité qui s’accompagne d’une philosophie de vie « égalitaire » et pacifique.

D’autres motifs comme la nappe, le manège, la maison, le bateau, le pont, la

porte, la fenêtre, la tablée … pourraient aussi être étudiés comparativement à partir de

La terre tourne. Nous avons choisi de traiter les plus représentatifs selon nous.

Sur place ou ailleurs, statiques ou mobiles, les objets accompagnent les person-

nages comme des partenaires à part entière. Qu’ils les attendent, les transportent ou les

suivent, ils représentent des guides imagiers pour le lecteur aussi. Leur forme est géné-

ralement ronde ou arrondie, s’harmonisant ainsi avec le style de prédilection d’Anne

Brouillard.

D. La rotondité

Par l’organisation de la narration imagière la fin renvoie au début, le lecteur est

invité à participer à une histoire sans fin, perpétuelle, comme la terre nous entraîne tous

dans sa course ronde. Le lecteur est donc sensible à cette symétrie entre les illustrations

de début et de fin à chaque album. Dans ce même esprit d’organisation en boucle, ce

mémoire part du lac de La terre tourne pour y revenir à la fin. Par « le visage de

l’enfant », la dernière illustration de La terre tourne résonne avec la première vignette

de la première page. La lecture commence par cette première vignette en bas à gauche et

se termine à droite de la dernière page, du fait du sens de lecture occidental de gauche à

299

Textes de François David, Un loup peut en cacher un autre, éditions Sarbacane, 2006.

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droite300

. Chez Anne Brouillard, la dernière page de droite renvoie à la première page de

gauche, le sens de lecture devient donc double, comme une bobine de film qui se dé-

roule continuellement, sans s’arrêter. À chaque lecture, à chaque passage, le lecteur-

spectateur fait de nouvelles découvertes et crée de nouveaux liens. « Comme quand on

part en voyage, à chaque retour, c’est un nouveau début, on n’est pas tout à fait le

même », on est plus riche de chaque expérience à chaque passage. Son univers est ou-

vert et cyclique.

Au fil des pages, la narration imagière progresse au rythme des illustrations

comme une respiration301

. Les échos d’une page à l’autre sont fréquents, les réson-

nances imagières inter-albums sont évocatrices mais, ce qui particularise le style d’Anne

brouillard, c’est la structure de ses œuvres. « Le côté boucle, tout tourne en rond, on

tourne en rond … C’est mon interprétation de la vie, ce que je vais mettre dans mes

livres, c’est la façon dont je ressens l’existence. On revient au même endroit souvent, on

ne peut pas s’échapper de soi où qu’on aille. Le retour, on naît, on vit, on meurt, ça con-

tinue et c’est sans fin302

». Elle avoue avoir ce style de prédilection depuis son enfance.

Entre la première et la dernière page, les personnages progressent et évoluent, le lecteur

chemine sur leurs traces mais, le voyage est toujours renouvelable, un nouveau départ

est toujours possible.

Comme La terre tourne, comme les trains et les gens vont et viennent, la mé-

moire visuelle du lecteur le reconduit naturellement à retourner au début du livre.

Chaque lecture est unique et complémentaire. Dans La terre tourne, le visage de

l’enfant né résonne avec le visage de l’enfant à naître. Les mêmes illustrations évoquent

donc une nouvelle naissance à chaque lecture.

- « On revient au point de départ avec beaucoup de tendresse, dans l’harmonie, sans

agressivité …

- Dans la terre tourne, le rond amène à la boucle, à la douceur303

».

Telle une métaphore de la vie qui continue, rythmée par des moments particu-

liers, comme la terre tourne au rythme des jours et des nuits, chaque lecture annonce un

nouvel accueil. La répétition n’est jamais à l’identique. Comment ce rythme circulaire

s’organise t’il dans les autres albums ?

300

« Le livre s’approche des mains du lecteur, s’approche de son regard, s’ouvre, s’offre, se laisse con-

quérir. (…) La direction du regard crée le sens, de même que le sens crée la direction. De même que le

sens crée le sens. » Daniel Leduc, Le livre de l’ensoleillement, éditions N&B, Aubenas, 2003, p. 60. 301

« Ouvrir un livre est un acte de respiration volontaire ; comme ouvrir une fenêtre sur le monde. Sentir

le souffle de chaque chose sur sa peau intérieure. » Daniel Leduc, op. cit., p. 59. 302

Extrait de la conférence du 06/11/2010 à Toulouse. 303

Ibidem., extrait de l’interview de Nicole Folch.

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1. Le point de départ correspond au lieu d’arrivée

On part et on revient « un jour », entre les deux moments, plus ou moins long,

pendant « notre » voyage, la vie continue …

Ces albums sont les plus nombreux. Il peut s’agir d’un cycle qui autorise le re-

tour à l’état initial (Reviens sapin), au point de départ initial (Sept minutes et demie,

Mystère, Il va neiger), le temps d’un orage ou que la pluie tombe, le temps d’une con-

versation téléphonique. L’arrivée dans la réalité fictive peut correspondre au point de

départ dans le monde imaginaire de l’histoire (Le temps d’une lessive) et les deux

mondes se mêlent. Mais aussi, les bouleversements peuvent être plus importants. Un

quartier est transformé, une forêt métamorphosée, le personnage enfant est devenu

adulte … Quand on revient, on est différent mais l’espace et les gens qui sont restés là

ont changé aussi.

2. Tout tourne dans le même espace, tout le monde y est entraîné

au même rythme de la terre qui tourne

Car la terre tourne toujours même quand on reste au même endroit, là où on est

bien. Le monde n’est pas immobile même si l’on ne bouge pas. Le passage des intempé-

ries, des gens et des saisons tout autour en sont des preuves palpables. Que l’on soit

tranquille, autour d’un étang, dans un café de gare, sur une balançoire … que l’on court

après « le temps », il passe invariablement pareillement pour tous.

3. D’un point à un autre « presque » identique, on continue tou-

jours, les gens vont et viennent, on va voir « ailleurs » pour vivre de

nouvelles aventures

En voyage, on va d’une gare à l’autre, en barque, on va d’une berge à l’autre,

dans la forêt, les personnages y entrent et en ressortent, dans la montagne, ils montent et

descendent, une boîte rouge revient sur une autre étagère, prête à faire naître de nou-

velles histoires … On revient souvent au même endroit, là où on aime être.

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4. Le point d’arrivée est le « même » monde inversé, une nouvelle

vie « à l’envers » commence, dans un lieu qu’on ne connaît pas encore

Cette nouvelle expérience peut être déclenchée par les personnages eux-mêmes,

comme dans Le bain de la cantatrice ou Trois chats, mais, les intempéries naturelles

comme le vent ou la pluie diluvienne peuvent obliger les personnages à s’adapter à leur

nouvel environnement de vie. À l’endroit ou à l’envers, l’histoire continue …

Par son style imagier « répétitif », Anne Brouillard incite le lecteur à découvrir

et redécouvrir chaque album. Une seule lecture ne suffit pas pour tout « voir ». Tout

comme chaque album résonne avec d’autres, la dernière et la première illustration se

répondent en écho. Tisser les sens304

et l’essence de son œuvre demande du temps.

Chaque lecture ménageant toujours son lot de surprises et de richesses, elle est une nou-

velle découverte. Le lecteur ne tombe jamais dans la monotonie305

de la répétition et il

est actif dans cette reconstruction.

Quand le lecteur s’est pris au jeu, il a envie de continuer l’exploration, d’aller

voir plus en profondeur dans les œuvres d’Anne Brouillard, à la recherche de ces liens

qui sont de nouvelles richesses. Par ses jeux de regards, sa lecture s’affine et il prend

plaisir à construire de nouvelles interprétations. Les personnages, les objets, les envi-

ronnements lui deviennent plus familiers et font partie de son univers fictionnel. Les

narrateurs imagiers et/ou textuels deviennent des partenaires avec lesquels il construit le

sens intra et inter albums.

304

« Partir de la singularité de l’œuvre donc, mais aussi bâtir une solide confiance dans sa capacité à faire

sens. » sophie Van der Linden, Prologue, in L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes,

nouveaux lecteurs ?, op. cit., p. 13. 305

« Déjouant les certitudes préalables comme les stratégies de lecture répétitives et automatiques, chaque

album, dans sa singularité esthétique, invite son lecteur, ses lecteurs, à une expérience littéraire inédite,

une expérience de l’intranquillité. » C. Connan-Pintado, F. Gaiotti, B. Poulou, L’album contemporain

pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, op. cit., p. 10.

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DEUXIÈME PARTIE :

Un exemple de continuité narrative

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Comment les narrateurs se complémentent-ils à travers les albums pour recon-

duire le lecteur dans l’ambiance de La terre tourne.

Comme le précise Anne Brouillard, elle a conçu ces albums par paire mais aussi,

« au niveau de la technique, j’ai fait Le pêcheur et l’oie et Le voyageur et les oiseaux à

l’encre et à l’aquarelle. Pour les trois autres, La famille foulque, La vieille dame et les

souris et De l’autre côté du lac, il y a une petite différence. J’ai utilisé exclusivement de

l’encre (bâtons de couleurs et liquide) que j’achète dans une boutique à Paris. C’est de

l’encre au trait (avec une plume) et au pinceau306

». « J’aime beaucoup le papier doux

(comme celui du Seuil307

) ; il ternit un peu mes couleurs, mais c’est celui que je pré-

fère308

».

« À la palette du peintre, elle ajoute un travail de découpage, de plans, de sé-

quences issues d’un instinct sûr et d’une finesse d’observation peu commune. (…) Elle

part en repérages, observer un plan d’eau, … un lac dans la Suède chère à son cœur.

Elle part vivre cette confrontation avec la nature, retrouver cet équilibre millénaire309

».

À travers ses albums, Anne Brouillard donne à voir ce qu’elle-même a observé, par ses

illustrations, elle fait ressentir les images310

qui l’ont émue. « Voilà une artiste à la pen-

sée associative, qui part pour chacune de ses créations d’une idée visuelle, d’une am-

biance caractéristique. (…) Ce qui lui importe, c’est de révéler un monde imaginé à par-

tir d’un morceau de réel, un monde où logique et rêve se mettent à coïncider311

». Son

œuvre fait partager au lecteur sa conception de la vie. Ses illustrations sont des tableaux

sensibles et émotionnels. Son travail créatif est proche de celui des poètes de haïku car

elle a une approche contemplative sur le monde qui nous entoure. Ensuite, après une

maturation intérieure et personnelle, elle sait extraire et exprimer l’essence des choses

avec art et sensibilité. Elle y met le temps et l’effort nécessaires. Dans l’acte de création,

elle même est aussi poète. Paul Éluard écrivait aussi que « le poète est celui qui donne à

306

Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011. 307

« L’éditeur revient en scène en la personne du directeur artistique qui apporte tout son savoir faire

quant au choix du papier, ... » Claire Segura-Balladur et Evelyn Audureau, Master 2 LIJE, Album pour la

jeunesse, 2010, p. 7. 308

Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole 3/07, novembre 2007, pp. 3. 309

Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 60. 310

« L’image est donc vecteur de communication, un langage ; elle délivre un message qui est lu. » C.

Segura-Balladur et E. Audureau, op. cit., p. 13-14. 311

Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à

Bruxelles".

Page 136: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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voir ». Son style312

pictural évoque donc le haïku, « genre avant tout descriptif, imagé,

mais aussi intimiste et émotionnel (…). Ce qu’on nomme en littérature une « image

visuelle », quelquefois une « image littéraire ». C’est le poème de prédilection pour

donner à voir et à sentir la nature, les saisons313

». Au fil des pages, le cheminement se

construit, évoquant tout un monde au lecteur, dans cette ambiance « brouillardienne ».

« L’art ne décrit pas le visible, il rend visible314

» et le haïku est une image vi-

suelle. Il « donne à voir cette image315

». Dans les œuvres d’Anne Brouillard, tout est au

service de son art : les techniques, les couleurs, les personnages, les paysages … Un

bruit, une émotion, une anecdote, une « vision » éveillent en elle une œuvre. À partir

d’un « petit quelque chose » qui pourrait passer inaperçu chez d’autres, elle crée un al-

bum. Dans ces mêmes dispositions d’esprit, « le haïku, c’est aussi le poème des choses

les plus banales de la vie quotidienne, des bonheurs minuscules et des petits tracas (…),

le poème du lâcher prise (…) de la capture de l’éphémère, de l’observation attentive des

petites choses fugaces316

». Ainsi, nous pouvons imaginer que ses albums s’apparentent

à des haïku. Petit poème japonais de dix sept syllabes, au rythme de cinq-sept-cinq, dé-

finit par Bashô, son premier maître, en ces termes : « c’est simplement ce qui arrive en

tel lieu, à tel moment317

». Ses haïku peignent la nature et sont souvent insérés dans des

textes en prose, l’ensemble se présentant sous la forme de carnet de voyage. Tout

comme Anne Brouillard transporte dans son sac ses carnets d’esquisses et de notes en

voyage.

Nous avons donc tenté, à partir des images visuelles offertes par Anne Brouillard,

une création318

poétique dans les règles du haïku car « ce système permet une écriture

extrêmement concise, imagée et rythmée319

» correspondant à son style. « Son passage à

l’écriture s’ajoute à une belle palette graphique. Elle supprime beaucoup, avant d’avoir

la phrase adéquate, pour former un accord quasiment parfait avec l’image320

». Cepen-

312

L’illustration témoigne d’une recherche artistique personnelle où le récit de fiction devient le champ

d’investigation de son travail d’artiste. » Claire Segura-Balladur et Evelyn Audureau, op. cit., p. 25. 313

Philippe Costa, Petit manuel pour écrire des haïku, Picquier poche, 2010, pp. 39-40. 314

Paul Klee. 315

Philippe Costa, op. cit., p. 77. 316

Ibidem., pp. 40-41. 317

René Etiemble, Du haïku, éditions Kwok On, collection « Culture », Paris, 1995, p. 25. 318

« Si l’illustrateur est également auteur la lecture s’enrichit car l’album devient un espace à explorer, à

décoder. Le décodage de l’image ne dépend pas seulement du savoir faire du créateur mais aussi de celui

qui la reçoit et la regarde. Chacun l’interprétera différemment et lui attribuera un sens particulier, selon sa

perception consciente et inconsciente ou les références auxquelles elle fait allusion. » C. Segura-Balladur

et E. Audureau, op. cit., p. 19. 319

Philippe Costa, op. cit., p. 47. 320

Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62.

Page 137: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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dant, dans La famille foulque et De l’autre côté du lac tout particulièrement, chaque

double-page illustrée évoque un haïku contemplatif qu’un poète émérite, que nous ne

sommes pas, mettrait en mots. « L’essentiel est de donner une âme au haïku321

» comme

Anne Brouillard le fait avec talent à chacun de ses mouvements de pinceaux, telle « une

voix dans les images. Ses histoires presque sans paroles, où ses illustrations sont peintes

comme autant de tableaux et les textes remplis de poésie322

».

Anne Brouillard habitait dans ce quartier de Bruxelles à cette époque là. Elle s’y

promenait souvent à pied comme elle aime le faire, tranquillement, en observant les

gens, les animaux et la nature. C’est ainsi qu’une fois, elle voit une oie « stoppée » près

d’un pêcheur, l’observant … Sur le retour, elle la revoit. L’histoire était en germe dans

son esprit ! Par la suite, elle a voulu reprendre cette même atmosphère autour de l’étang

dans un champ plus large dans le temps et dans l’espace. Ainsi sont nées La famille

foulque et puis La vieille dame et les souris. Anne Brouillard aime travailler « double-

ment ». Ici, les albums vont par paire tout comme les personnages sont par couple

« humain / animal ». Ainsi, au fil des narrations, au fil de ses lectures, le lecteur peut les

associer dans le temps et dans l’espace, dans la « vraie réalité » et dans la fiction. (Le

pêcheur et l’oie / La famille foulque ; Le voyageur et les oiseaux / La vieille dame et les

souris ; De l’autre côté du lac / La terre tourne) par exemple. Comme à son habitude,

Anne Brouillard suggère, « titille » le regard et l’imagination du lecteur. À chacun de

reconstruire son univers avec les indices qu’elle parsème en résonnances.

321

René Sieffert, Bashô, Le manteau de pluie du singe, P.O.F., collection « Poètes du Japon », Paris, 1986,

p. 1. 322

Le Monde, jeunesse, vendredi 26 juin 1998.

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I. Le pêcheur et l’oie

« Un homme s’assoie au bord d’un étang pour pêcher. Apparaît une oie, elle s’approche et

s’installe, semblant s’intéresser à cette partie de pêche. L’homme, déçu, ne prend que de

tous petits poissons qu’il rejette à l’eau. Regardant les canards barboter, ils attendent en-

semble une grosse prise lorsque vient la pluie. Abrités côte à côte sous le parapluie du pê-

cheur, ils partagent son pique-nique. Bredouille, l’homme s’apprête à partir, lorsque l’oie

part dans l’étang pêcher à son tour. Dans son bec, elle ramène un énorme poisson qu’elle

offre au pêcheur.

Tout en tendresse et poésie, cet album sait raconter la complicité qui lie, pour un moment,

ces deux compagnons de hasard. Il n’y a pas de mot dans ce récit, comme il n’y a pas de

parole échangée pour nouer cette amitié naissante au fil des pages, faite de partage au gré

du temps.

Les illustrations, à la fois douces et expressives, en dégradé de vert ou de bleu, témoignent

de la tendresse fragile par les regards, les attitudes, rendant la lecture plus émouvante que si

elle était guidée par des phrases. Ces choix de sobriété tant dans les couleurs que par

l’absence d’écrit disent avec finesse et intensité les émotions et révèlent la part d’ineffable

des sentiments323

».

« Alternance de plages de calme, d’immobilité, de silence propres à ce sport, et de fondus

enchaînés montrant le pêcheur qui s’installe, l’oie qui s’approche de lui, la prise puis la re-

mise à l’eau d’un trop petit poisson (deux fois), le pique-nique généreusement partagé avec

l’animal… qui le lui rendra bien : on peut rentrer bredouille en utilisant des vers… mais sa-

vez-vous qu’on peut aussi pêcher « à l’oie » ?324

»

« Sur fond de teintes sobres Ŕ bleu, vert, brun Ŕ des illustrations réalisées à la peinture, les

silhouettes des personnages saisis dans des attitudes réalistes, se détachent, expressives.

L’alternance de vignettes et d’illustrations pleine page donne du rythme à leur relation. Des

coups d’œil s’échangent, des regards se croisent, une complicité s’installe. Le couple vu de

dos, semble tenir le lecteur à distance : il ne peut totalement pénétrer leur intimité mais me-

sure d’autant plus leur plaisir d’être là. La trame de l’histoire est limpide, mais une multi-

tude d’interprétations possibles s’offrent au lecteur : si au début on aperçoit l’oie de l’autre

côté de l’étang, sa rencontre avec le pêcheur est-elle ou non le fruit du hasard ? L’homme

dont la pêche n’est pas glorieuse et qui rejette les poissons à l’eau l’un après l’autre, le fait-

il de sa propre initiative ou sur incitation de l’animal ? Dans le même genre : Le Voyageur

et les oiseaux.325

»

« Le haïku permet surtout de rendre compte du spectacle de la nature, de donner à la voir, à

l’entendre et à la sentir, d’exprimer les émotions qu’elle crée. La nature, ce sont donc les

saisons, mais aussi bien sût tout les lieux naturels (campagne, montagne, mer, forêts), les

paysages, la terre, la flore, la faune, les petites bestioles, les éléments, la lumière, le jour, la

nuit, les astres, la vie, les gestes et les métiers de la campagne et de la mer (pêcheur,

etc.).326

»

Autant de thématiques qui sont illustrées dans les œuvres d’Anne Brouillard.

Un pêcheur, une oie

La pluie au bord de l’étang

Dimanche de printemps

323

Source : http://www.ricochet-jeunes.org 324

Source : http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD 325

Source : http://www.croqulivre.asso.fr/spip.php?rubrique261 326

Philippe Costa, op. cit., p 44.

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A. Le mouvement de la première de couverture327

Cinq oies blanches détourées disposées comme si elles faisaient une ronde.

Leurs mouvements s’organisent comme si elles sortaient du livre pour y revenir ensuite.

Cette circularité est une invite au lecteur à suivre leur avancée vers l’intérieur du livre.

L’animal ne peut pas dépasser le dos du livre ! Alors, l’oie tourne le cou vers la droite

comme si elle était bloquée dans son avancement. La pliure de la couverture du livre

marque son jabot, pour accompagner le format du livre, en harmonie avec le personnage,

l’oie la plus redressée est dessinée sur la hauteur du livre.

D’après le titre, le lecteur en conclut qu’il s’agit d’une seule oie. Ce découpage

du mouvement donne l’effet de prises de vues photographiques en mode rafale : elle

lève la patte droite, se retourne, lève la patte gauche, se redresse, lève la patte droite,

avance le cou, lève la patte gauche et continue … « La décomposition du mouvement

est une technique qui se rapproche de celle du dessin animé : plus il y a de dessins, plus

le mouvement paraîtra lent. (…) Pour traduire le mouvement (…), des bases d’anatomie

et une bonne faculté d’observation sont les outils minimums nécessaires328

». Qualités

qu’a sans conteste Anne Brouillard. Elle aime prendre le temps de l’observation, elle

laisse le temps de « maturation » nécessaire à son esprit329

et elle complète son travail

par des recherches minutieuses. Elle travaille à partir de ses souvenirs et avec son ima-

gination mais elle est toujours très exigeante quant à la qualité du résultat, tant narratif

qu’artistique.

L’oie cherche-t-elle le pêcheur ? Le lecteur peut imaginer qu’elle tourne autour

du titre comme si ce dernier le représentait.

Le lecteur est sensible à l’harmonie des couleurs :

- Le titre utilise une couleur de police jaune-vert nommé « caca d’oie », rappelant le

nom du personnage

- Les couleurs jaune, vert, orange et blanc sont dans les tons pastels. Il s’en dégage une

douceur pastorale.

327

« Elle est le premier élément visible de l’album, devant susciter la curiosité puis le désir d’achat. Elle

en reflète le contenu et a pour objectif de faire ouvrir l’album et de donner envie de lire. Elle doit

d’emblée transmettre l’atmosphère du récit, le style, … ou un élément marquant de l’histoire. » C. Segu-

ra-Balladur et E. Audureau, op. cit., p. 17. 328

Éric Albert, Le mouvement, éditions L’iconograf, op. cit., pp. 13 et 30. 329

« … le regard hésitant de la mémoire. Le paysage est ce que l’on voit après avoir cessé de l’observer.

Il faut fermer les yeux après chaque voyage, laisser se décanter les images. » Thomas et le Voyageur, op.

cit., p. 14.

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B. Le mouvement de la quatrième de couverture

La bordure du dos du livre matérialise toujours la limite infranchissable pour

l’oie ! En bas à droite, lorsqu’elle arrive à la pliure de la couverture, elle ne peut pas aller

plus loin, elle est alors obligée de se tordre le cou vers l’intérieur du livre.

Les trois oies de la première ligne semblent se suivre vers le fond de l’image en

direction de la droite. Les deux oies de la deuxième ligne vont aussi vers la droite : une

prend le temps de manger tandis que l’autre semble se précipiter vers la bordure du livre.

Puis, les deux oies de la ligne du bas tournent vers la gauche rejoignant par ce mouve-

ment les autres dans la ronde … Toutes retournent dans l’histoire incitant le lecteur à y

revenir aussi.

Grâce au texte amorce qui présente l’album, le lecteur dégage deux dimensions :

- L’histoire sans texte se déroule « au gré du temps »

- et dans un seul espace « au bord de l’étang »

Les pages de garde sont de couleur unie, il s’agit de papier coloré jaune-orangé,

ce même ton utilisé pour la couleur de police du titre et le dos du livre. La page de titre

présente enfin l’apparence du pêcheur ! Cette illustration encadrée est en fait une réduc-

tion de la vignette rectangulaire centrale de la page 11 de l’album. Il s’agit du moment

où le pêcheur en est à sa deuxième pêche décevante … Ses sourcils relevés et sa bouche

tordue sont très expressifs. La bouche entr’ouverte et les petits cercles autour de l’œil de

l’oie expriment sa double surprise : « Pourquoi est-il déçu et rejette t’il le poisson à

l’eau ? Pourquoi ne me le donne t’il pas à manger ? » Ainsi, le style de l’album est an-

noncé. Les pages de couverture sont illustrées avec des images détourées alors que les

pages de l’album sont illustrées avec des images séquentielles encadrées et tout se dé-

roule en un seul lieu autour de ces deux protagonistes : le pêcheur et l’oie.

C. Le rythme des illustrations et la mise en page

La première bande de la page 4 plante le décor

- l’espace : l’étang

« Il s’agit des étangs d’Ixelles, un quartier de jardins à Bruxelles. C’est un endroit charmant

avec de belles maisons entourées d’arbres. Je n’habitais pas loin à cette époque là et

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j’adorais passer par là. J’y suis beaucoup retournée pour dessiner et j’y ai observé des tas de

choses à chaque nouvelle fois. Les jardins d’Ixelles m’ont inspiré le pêcheur et l’oie qui a

ensuite déclenché la famille foulque330

».

- ses habitants, sa végétation

« Ce sont des étangs urbains, dans la ville, entourés de petites barrières mais l’espace est

ouvert331

».

avec une vue sur les deux berges332

. Par une vue en plongée sur la berge au premier plan,

les deux vignettes suivantes installent le pêcheur dans le décor. Page 5, une illustration

encadrée de pleine page pose le pêcheur dans l’espace. Il fait partie du décor mainte-

nant ! Pendant ce temps, une foulque passe et progresse au bord de l’étang. Cependant,

alors que le pêcheur s’installe, la foulque se retourne, s’arrête et le regarde … interlo-

quée ? Le pêcheur est-il sur son passage ? La gêne t’il pour passer ? Qu’à cela ne tienne,

elle fait le chemin du retour sur l’eau ! Peut-être cela est-il plus facile pour elle que de

contourner le pêcheur ? Tout est posé, installé, la partie de pêche et l’attente inévitable

du poisson qui mord peut commencer. Sur l’autre rive, la vie des animaux lacustres con-

tinue. Cependant, alors que la première vignette signalait une oie blanche parmi les ca-

nards, l’illustration de la page 5 la situe hors-cadre. Où est-elle partie ? Comme à son

habitude, le narrateur imagier ménage ici une ellipse spatiale afin de solliciter

l’imagination et l’activité du lecteur. La tourne de page va nous l’apprendre … elle a fait

le tour de l’étang (par la gauche) pour venir voir ce que fait ce pêcheur. L’oie est-elle un

animal curieux par nature ? Ou bien aime t’elle la compagnie des hommes ? Ou bien le

poisson ?

Mis à part les pages 20 à 23 qui montrent une vue sous-marine, la partie de pêche

se déroule sous les yeux du lecteur statique comme à travers l’objectif d’un appareil pho-

to qui serait installé sur un trépied tout au long de l’album. Les cadres illustrés défilent

au rythme de travelling avant et arrière avec des zooms plus ou moins prononcés de fa-

çon à insister sur certains détails ou moments déterminants : les déceptions du pêcheur à

la vue de sa mince prise ou la pause pique-nique pages 16 et 17 par exemple. L’œil du

lecteur ne bouge pas d’angle de vue, le cadre est toujours le même, c’est le cadrage de

l’endroit visé qui change selon le détail ou l’émotion visés : l’attente, la joie du poisson

qui mord, l’arrivée de la pluie … Les vues en plongée sont plus ou moins élargies (pages

14-15 par exemple) ou rapprochées (page 13 par exemple). Ainsi, comme le pêcheur est

330

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010. 331

Ibidem. 332

Le lecteur retrouve ce même rythme de lecture, d’un côté et de l’autre, dans l’album De l’autre côté du

lac.

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assis sur son siège pliant, l’œil du lecteur voit à travers cet objectif fixe dans son dos.

C’est toujours le même champ de vision et les prises de vues sont toujours prises de ce

même point.

Le regard du lecteur est dynamique dans le temps afin de combler les

« blancs333

» ou les ellipses inter-iconiques, alors qu’il est statique dans l’espace, il ob-

serve la partie de pêche se dérouler sans bouger, il s’adapte à l’attitude du pêcheur.

Sur les pages 16 et 17, l’œil du lecteur tourne t’il ? Son point de vue change car il

voit le pêcheur de face. Mais non, le premier et l’avant-dernier cadres montrent que c’est

le pêcheur qui s’est retourné en direction de cet objectif fixe. Il a pivoté vers la droite,

toujours assis sur son siège, de façon à montrer son visage à cet œil photographique mais,

la tête de l’oie est toujours au même niveau par rapport à la cane de son parapluie et à sa

ceinture, donc, il ne s’est pas levé et l’angle de vue du lecteur n’a pas changé.

Par cet objectif, cette lunette télescopique, l’espace est fixe pendant que le temps

passe et change. Comment cela est-il illustré ?

Par les couleurs de l’eau qui sont changeantes et évoluent tout au long des pages

de l’album :

- Est-ce la couleur du ciel qui change ? Y a t-il des nuages qui passent, comme le temps

qui passe : des couleurs du matin, à celles de l’après-midi puis celles de la soirée.

- Est-ce le reflet de la végétation ? (celle du fond de l’étang ou les arbres autour qui se

reflètent sur l’eau)

- Est-ce le passage des canards et des foulques qui trouble l’eau de surface ?

Lorsqu’il pleut, la surface de l’eau devient même blanche jusqu’à presque se con-

fondre avec le fond de la page (page 15).

Par les couleurs de l’herbe qui entoure l’étang :

- Verte dans un premier temps, elle illustre plutôt la matinée. Dans ces pages, l’ombre

des personnages n’est pas tellement marquée.

- Jaune à la fin, elle montre le déclin de la journée, et le retour du soleil après la pluie. À

ce moment-là, le soleil se couche sur l’autre rive, du côté du saule pleureur, et les

ombres sont plus marquées dans la direction opposée à l’étang (sur l’herbe jaunie puis

rose-orangée).

333

Dans son livre Lector in fabula, Umberto Eco parle d’ « un travail coopératif du lecteur pour remplir

les blancs » ménagés par le narrateur, imagier dans le cadre de cet album. Éditions Grasset, 1979.

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Concernant ce changement de couleurs après le passage de la pluie, les pages 16

et 17 sont remarquables :

- Alors que la page 16 se déroule dans une atmosphère grise … le pêcheur et l’oie par-

tagent la collation de midi.

Puis, c’est le retour du soleil dans le ciel aussi. Ils sont donc réchauffés, à la fois

par leur amitié partagée et par la chaleur atmosphérique.

- La page 17 se termine par une illustration sur un fond jaune-blanc, presque fondu avec

la couleur du papier.

Le premier cadre horizontal et la dernière illustration double-page montrent cet

espace lacustre tranquille, avant et après le passage du pêcheur, le matin et le soir par ses

couleurs différentes. Dans ce cadre, le pêcheur y est entré par la gauche (dans le deu-

xième cadre), de dos, et en est ressorti par la droite (à l’avant-dernière illustration), de

face et tout sourire. Ainsi, sur la dernière double-page illustrée, l’oie peut contempler

l’étang, sereine et satisfaite, tous les animaux de l’étang peuvent reprendre le cours de

leur vie sur l’eau.

Quand le lecteur tient le livre par le dos d’une main et laisse défiler les pages à la

manière d’un album « photo », les images cadres « non fermées », à bords perdus, qui

délimitent l’espace de pêche se succèdent au rythme de cette partie de pêche. Plus vite,

le lecteur suit les aller-retour des animaux sur l’eau. Plus lentement, le lecteur adapte sa

lecture à ce sport « d’attente ». Il en est de même pour la technique illustrative. Quand

les images se succèdent en mode rapide, l’idée de mouvement est accélérée, quand le

temps de pause est plus long (comme pour une prise de photo), la lecture est plus lente

car adaptée au rythme de la pêche et de l’oie.

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II. Le voyageur et les oiseaux334

« Cette histoire sans paroles met en scène des activités humaines et animales, leurs interac-

tions et leur parallélisme entre un voyageur attablé à la table d’une brasserie et des moi-

neaux335

».

« Dans une gare, un homme s’attable en lisant son journal. Dans le mouvement quotidien,

les gens et les trains vont et viennent. Il commande une soupe. Dans le mouvement quoti-

dien, l’homme est trop concentré pour voir que les oiseaux VOLENT336

. L’histoire sans

texte d’Anne Brouillard est faite de quotidien, de naturel, de jolies illustrations, de banal, et

d’une petite pointe d’humour. »

« Au buffet de la gare, un voyageur s’absorbe dans sa lecture. Des oiseaux guettent,

s’enhardissent, se rapprochent entre vol et expectative. Bientôt le pain dans la corbeille a

disparu. Le voyageur en redemande… mais de nouveau se posent sur le dossier de la

chaise…

Le temps cyclique, comme celui de l’horloge qui rythme le départ et le retour immuable des

trains, les saisons…337

».

« Le haïku permet aussi : des peintures ou des images visuelles de scènes de voyage, … de

célébrer un lieu338

».

Une bien jolie façon d’évoquer l’atmosphère de la gare du Nord, un jour de pas-

sage à Paris.

Un voyageur, une gare339

À la terrasse d’un café

Du pain, des oiseaux

Anne Brouillard a toujours LA question qui relance la lecture ! « Mais, en fait, le

voyageur, les voit-il les oiseaux ? » demande t’elle a l’assistance lors de la conférence

débat du 6 novembre 2010 au salon « vivons-livres » organisé par le Centre Régional

des Lettres Midi Pyrénées. Et voilà comment, ceux qui n’ont pas encore lu le livre vont

aller voir … pour se faire leur propre opinion sur la question. Cet album a une touche

personnelle. En effet, elle s’est représentée avec son compagnon de vie dans ces pages

334

Contrairement à Claude Monet qui s’était installé sur les quais pour peindre son tableau Vue intérieure

de la gare Saint-Lazare, mais, perturbé et dérangé par les allées et venues des passagers dans la gare, il

avait dû terminer son travail à l’atelier. Anne Brouillard montre visuellement tout ce brouhaha des trains

et ce fourmillement humain, représentatif de l’atmosphère de la gare, à partir de ses souvenirs sensitifs. 335

Source : http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 336

Verbe à comprendre dans les deux sens du terme : « voler de ses ailes » et « voler le bien d’autrui ». 337

Source : http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD 338

Philippe Costa, op. cit., p. 45. 339

« Les japonais possèdent une sorte de joker pour composer leurs haïku. Il donne exceptionnellement

droit à dix-huit syllabes au lieu de dix-sept. » Philippe Costa, op. cit., p 63.

Page 145: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Le voyageur et les oiseaux est le pendant du pêcheur et l’oie de par sa présenta-

tion identique. Ces deux albums ont été édités en même temps, en février 2006, dans un

format « moyen » rectangulaire haut.

Les pages de garde sont dans la même teinte rouge que le titre. Le même lettrage

et les coloris sont assortis au thème dans les tons pastels : les couleurs sont plus adou-

cies pour être en harmonie avec cette attitude tranquille et susciter le contraste sonore

avec le brouhaha dans la gare tout autour. Le lecteur imagine le bruit des gens qui se

saluent, se quittent ou se retrouvent, des enfants qui jouent, pleurent, des appels micro

des employés de la gare et des trains qui arrivent ou qui repartent de cette gare terminus.

Mais aussi, certainement, le pépiement des oiseaux comme les canards doivent cancaner

autour de l’étang et sur l’eau quand le pêcheur n’est pas là. Ces atmosphères ressemblent

à celles d’une fin de semaine, quand les gens peuvent prendre le temps d’une pause pour

aller à la pêche, prendre un verre, manger une coupe glacée pendant que la vie trépidante

continue alentour. Mais aussi, dans le contexte de la gare, on rencontre les gens qui par-

tent en voyage avec leurs animaux domestiques en cage, en vacances avec de grosses

valises ou en randonnées avec un sac à dos. Cet espace montre les contrastes de la vie de

chacun, des vies qui se croisent (comme les trains) mais qui ne se ressemblent pas.

A. Le mouvement de la première de couverture

En haut, les oiseaux volètent et atterrissent sur la page. Certains sont même hors

du cadre de la page. Ils prennent tout l’espace disponible et même plus ! Tout comme ils

le feront avec le pain dans la panière. Les oiseaux occupent tout l’espace dans l’air, sur

terre et sur l’eau (les canards et les foulques). Tout autour du titre, écrit dans cette police

de couleur rouge rappelant celle de la veste du voyageur, les oiseaux, comme en grand

rassemblement, semblent : écouter, converser, observer … sur un fond de page dans les

tons violet-rose. Tout comme l’oie cherchait le pêcheur, cherchent-ils le voyageur eux

aussi ?

Les couleurs ont des tons plutôt féminins pour un album dont le héros est un

homme ! Le titre et le texte amorce sont rédigés sur un fond de page avec un rosé plus

accentué. Représentés par des images détourées, les oiseaux sont moins nombreux et

plus gros sur la première de couverture. Entre le début et la fin du livre, ils se sont ras-

semblés, d’autres se sont invités !

Page 146: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Au premier plan, en bas un oiseau semble regarder le lecteur

dans les yeux, comme une invite. Les deux oiseaux qui l’encadrent ont une attitude révé-

rencieuse à son égard. S’agit-il du chef des oiseaux ? En haut à gauche, un autre

montre fièrement son beau jabot blanc.

B. Le mouvement de la quatrième de couverture

Les oiseaux plus petits sont éparpillés sur toute la page et contrairement à l’oie,

ils débordent sur la bordure de la couverture et sortent du cadre de la page. Sur le haut de

la page, ils entourent le texte amorce qui situe le lieu : « une gare340

» et le personnage

principal (absent des pages de couverture) « un voyageur ». Cependant, de par l’emploi

des déterminants indéfinis, ces désignations sont neutres. Il s’agit d’ « une » gare parmi

d’autres et d’ « un » voyageur parmi d’autres dont il va être question dans cet album. Le

lecteur n’a pas d’autres précisions pour les reconnaître. Les autres intervenants dans

l’histoire sont qualifiés de la même façon. Ce texte n’est pas sans rappeler le texte de La

terre tourne entre autre « des trains arrivent, d’autres s’en vont, des gens marchent … ».

Le lecteur reconnaît bien là l’espace ferroviaire cher à Anne Brouillard. Que ce soit dans

l’air (les oiseaux), sur l’eau (les canards, les foulques) ou sur terre (les trains, les gens)

… tout le monde chemine dans un sens et dans l’autre dans l’univers des albums d’Anne

Brouillard.

C. Le rythme des illustrations et la mise en page

La page de titre341

présente la même organisation. Entre le nom de l’auteure-

illustratrice et le titre se trouve une illustration encadrée dans un rectangle allongé. Il

s’agit d’une partie découpée de l’illustration de la double-page 20-21. Les personnages

sortent du cadre et la vue en plongée met l’accent sur la panière vide. Le lecteur dé-

340

« C’est en étant dans la gare du Nord à Paris que j’ai été inspirée pour cette histoire. » : Extrait de

l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010. 341

« On y trouve généralement une illustration représentant le héros. » C. Segura-Balladur et E. Audureau,

op. cit., p. 18.

Page 147: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

147

couvre le visage du voyageur, au premier plan dans l’angle gauche. Sa veste342

rouge à

rayures343

bleues et à col blanc est très voyante. Le lecteur retrouve ces deux couleurs

contrastées comme pour les autres personnages décrits précédemment. Il est tellement

voyant et imposant que le lecteur n’a pas de doute, c’est lui le « héros » de cet album !

Cependant, la finesse de ses traits prête à confusion. S’agit-il d’un homme ou d’une

femme ? Le titre et sa présence sur la page de titre amènent le lecteur à penser que ce

personnage est un homme mais la délicatesse du graphisme le féminise. Il en est de

même pour l’espace. La présence d’oiseaux si près de la table fait penser à un lieu en

plein air mais le titre rappelle que nous sommes dans un lieu propice au voyage. Cette

terrasse de café est-elle donc dans un aéroport, une gare ? « Il y a des oiseaux dans les

gares mais pas dans les aéroports. C’est trop dangereux pour les réacteurs des avions… »

Afin de mieux exprimer visuellement ce déroulement temporel, au début de

l’histoire, le voyageur regarde sa montre mais, à la fin de l’album, le lecteur s’aperçoit

qu’il avait tout son temps ! Il est toujours assis à table, devant sa soupe à peine entamée

alors que d’autres clients ont défilé à la terrasse du café.

La première double-page nous renseigne sans aucune équivoque : c’est une gare

terminus … « tout le monde descend » ! L’œil du lecteur cherche instinctivement les

oiseaux. Où sont-ils ? Ils sont alignés, à l’extérieur (ou à l’intérieur ?), sur les poutres

métalliques, le long des grandes vitres qui entourent le hall de la gare. Anne Brouillard

joue toujours sur l’ambiguïté dedans / dehors. Elle aime représenter l’espace et son

double, « comme quand on est dedans on voit dehors et inversement, quand on est à

l’extérieur on voit à l’intérieur » ou bien, on l’imagine. Les grandes surfaces vitrées

permettent cette transparence.

L’histoire se déroule entre l’illustration de double-page 4-5 lorsque :

- le voyageur arrive par la gauche, son journal sous le bras et la commande de « deux

… » (d’après les doigts levés du serveur) par Anne et son compagnon de vie

et l’illustration de double-page 26-27 lorsque :

- le voyageur mange « enfin » sa soupe (tout en continuant ses jeux sur son journal), le

départ d’Anne et son compagnon (On a terminé notre « dame blanche344

») au fond à

342

« C’est un « truc » que j’ai vu dans un magasin. C’est un souvenir d’il y a très longtemps. Ce qui ex-

plique le côté démodé de la veste. Et en plus, le voyageur est au premier plan … » Extrait de l’entretien

téléphonique du 14/02/2011. 343

Michel Pastoureau : « les rayures se remarquent mieux que le tissu uni ». 344

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010.

Page 148: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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droite et l’arrivée du pêcheur (avec son gros poisson dans son panier) par la droite aussi !

Il rentre très certainement chez lui après sa journée de pêche fabuleuse.

Les uns partent, les autres arrivent et certains restent. Le mouvement s’organise

dans un sens et dans l’autre, par la gauche et par la droite, les uns se croisent d’autres ne

se voient pas. Le lecteur retrouve l’atmosphère de La terre tourne.

Dans la gare, la scène se déroule comme une pièce de théâtre dans un décor à

huis clos. L’œil caméra du lecteur balaye un angle de vue de gauche à droite à partir

d’un point fixe, comme suspendu au bout d’un fil au premier plan, juste avant la table où

s’installe le voyageur et montre tout ce qui se passe dans ce cône-lieu d’action. Car, au-

tour de lui, la vie continue.

Le champ visuel est « triangulaire »

Table

L’œil

Le temps défile, tout comme les personnages, dans cet espace. L’objectif mé-

nage des effets de zoom avant et arrière pour pointer certains détails. Par exemple :

- Le serveur et le voyageur lors des illustrations encadrées d’une page

- L’homme qui court après le train à la double-page 4-5 et le bébé qui pleure

Le plan le plus large se trouve pages 14-15, alors qu’Anne et son compagnon

sourient de satisfaction, juste avant les pages de zoom avant en plongée sur la corbeille

de pain et les oiseaux. Tout comme la vue sous-marine dans le pêcheur et l’oie,

l’intermède se situe ici entre les pages 15 et 20, entre le moment où il se met à lire son

journal et celui où il le repose sur la table. Combien de temps reste t’il ainsi absorbé par

sa lecture ? Attend-il que sa soupe refroidisse ? Le rythme de lecture s’en trouve cassé

par un changement d’angle de vue (zoom, gros plan et vue en plongée) et de personnage

principal animal exclusivement. Ici, il s’agit d’une pause des pages 16 à 19 avec des

vues en plongée sur les oiseaux dans la corbeille. Dans ces deux albums, la caméra

plonge sur ces deux actions animalières décisives dans les vies des deux protagonistes

humains et qu’ils ne voient même pas eux-mêmes ! Le narrateur imagier fait un clin

d’œil de connivence au lecteur. Le pêcheur ne voit pas l’oie lui sélectionner le plus gros

poisson de l’étang et le voyageur ne voit pas les oiseaux lui picorer tout son pain telle-

ment il est absorbé par son journal. Les deux se retrouvent surpris mais pas trop étonnés

Page 149: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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par cette intrusion animale dans leur vie d’être humain ! D’ailleurs, à la dernière double-

page, il reprend son jeu sur son journal, tout en mangeant sa soupe mais, trois pigeons

ont pris le relais sur le dossier de la chaise en face. Alors, le voyageur va-t-il pouvoir

manger sa soupe avec du pain ?

Page 150: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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III. La famille foulque

« Au printemps, un couple de foulques prépare son nid. A quelques mètres de là, au bord du

même étang, un couple d'humains apporte la dernière touche de peinture à ce qui sera une

chambre d'enfant. A la fin de l'été, naissent le petit d'homme et les petites foulques. La vie

poursuit son cours, au fil des saisons, dans l'une et l'autre famille345

».

En effet, le lecteur remarque immédiatement que cet album narre deux histoires

qu’il doit suivre parallèlement. « Ce procédé de mise en abyme s’appelle « l’enclave » :

par un montage fait d’alternances, ménageant des ruptures, des séquences narratives

chez les uns et chez les autres346

». Cette mise en image permet cette double lecture.

Quelle est la première saison de l’album ? Pour le savoir, il faut regarder les il-

lustrations de double pleine page représentant le passage des saisons. Il y en a une pour

laquelle le lecteur n’a pas de doute. C’est l’hiver avec son manteau blanc ! C’est au lec-

teur de remonter les saisons dans leur ordre chronologique : Printemps / été / automne /

hiver pour savoir quand l’action commence.

« Hymne à la vie et à la nature, ce conte sans texte d'Anne Brouillard est une jolie paren-

thèse poétique dans le monde des albums pour enfants. Une belle façon de parler des cycles

de la vie, du rythme des saisons et des naissances. Quoi de plus romantique au printemps

que la période des amours qui augure des naissances à venir ? Sur l'étang comme sur la

rive, un heureux évènement se prépare. Les grands préparatifs battent leur plein. À l'abri

des regards, caché sous le saule pleureur, un couple de foulques s'affaire à la construction

du nid destiné à accueillir la future nichée. Dans la maison au bord de l'eau, c'est le grand

chantier : derniers coups de peinture, accrochage des rideaux, installation du berceau, trico-

tage des brassières… La naissance est pour bientôt ! D'ailleurs on entend déjà les premiers

gazouillis des oisillons. L'été passe, puis l'automne, l'hiver… Les foulques sortent du nid, le

bébé grandit, les premiers apprentissages arrivent… La vie s'écoule au fil des mois, suit son

cours, en harmonie avec la nature… Quelque part, à proximité d'un étang, de jeunes

foulques et un enfant découvrent la vie et grandissent ensemble.

Anne Brouillard construit son histoire en parallèle, contant avec tendresse et patience l'his-

toire d'un avènement dans le règne animal et dans le monde humain. Anne Godin347

».

Les jeunes foulques, sont-elles les mêmes que celles nées en même temps que le

petit humain ? Anne Brouillard a une relation privilégiée avec la nature et les animaux.

De ce fait, le jeune lecteur s’interroge sur ces naissances comparativement. Comme

dans La terre tourne, la naissance d’un enfant est annoncée au début et le jeune enfant

arrive à la fin de l’album. Cependant, ici, les protagonistes sont « les foulques » … pour

elles aussi, l’attente des bébés est un moment délicat. Vient ensuite l’éducation puis

l’autonomie et la vie continue … Les questionnements suggérés par le narrateur imagier

345

Source : http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 346

Source : Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Union générale d’éditions, collection 10 /

18, 1984, p. 295. 347

Source : http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/35355-la-famille-foulque

Page 151: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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incitent le jeune lecteur à se documenter sur les naissances animales aussi. Même si

chacun a un rythme différent, la vie ensemble est possible harmonieusement.

« Le haïku permet aussi : des instantanés ou des images visuelles de la vie quotidienne ou

familiale, les descriptions de scènes intimistes, de détails infimes …, l’évocation de la ba-

nalité des choses de la vie, des petits évènements, de gestes ou d’actions de tous les jours,

des tableaux du comportement …, de brosses des portraits …, des animaux familiers, de

l’entourage immédiat, des observations humoristiques, … l’évocation de fêtes familiales ou

sociales …348

».

Anne Brouillard se retrouve dans cette atmosphère poétique du haïku.

Les saisons passent

Naissances, vies entrecroisées

En ville, à l’étang

La famille foulque et la vieille dame et les souris ont été édités en même temps,

en avril 2007, dans un format rectangulaire plus grand. La vie de tous ces personnages

autour de l’étang et dans la ville nécessite davantage d’espace dans la page.

Contrairement à ce qui se passe dans ces deux premiers albums : le pêcheur et

l’oie et le voyageur et les oiseaux où les protagonistes entrent et sortent du champ de

vision du lecteur-spectateur dans un espace fixe, comme sur une scène de théâtre :

- le pêcheur arrive et repart de l’étang, l’oie arrive et reste, les canards et les foulques

vont et viennent.

- Anne et son compagnon sont installés puis repartent, tout comme le papa et son petit

enfant ainsi que la vieille dame et son amie, le voyageur arrive et reste à sa table, les

oiseaux arrivent et s’envolent de la panière.

Ils sont organisés comme deux albums-cadres, dans lesquels les personnages

bougent, s’installent, vivent des moments au rythme des pages, au fur et à mesure du

temps qui s’écoule, ils entrent en scène et en ressortent … Les pages de garde sont

comme une levée et une tombée de rideau sur ce décor et le lecteur est comme assis

dans une salle de théâtre. Il regarde le spectacle se dérouler devant ses yeux et le temps

est d’une relative courte durée :

- environ une journée ou une demi-journée pour le pêcheur.

- le temps de manger une coupe de glace (environ une heure) pour le voyageur.

Dans la famille foulque, ce même lecteur-spectateur retrouve ce décor extérieur

autour de l’étang mais il ne reste pas fixe, il n’est pas figé derrière un appareil photogra-

phique mais il bouge avec une caméra. Il suit les personnages et les accompagne dans

348

Philippe Costa, op. cit., pp. 44 Ŕ 45.

Page 152: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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leurs activités, sur une année qui s’écoule au rythme des quatre saisons. Afin de per-

mettre ces déplacements des personnages et du lecteur, dans des lieux et à des moments

différents, l’espace de la page est plus grand, plus long et plus large. Le format extérieur

de l’album accompagne donc son contenu intérieur : l’histoire des personnages, les lieux,

et les saisons qui se déroulent.

A. La première de couverture

Dès la première de couverture, même si la technique artistique utilisée par Anne

Brouillard est un peu différente (exclusivement à la plume et à l’encre), les foulques, les

animaux lacustres et le saule pleureur sont dessinés à l’identique. Par cette connivence

visuelle et graphique qu’Anne Brouillard maîtrise parfaitement, le lecteur retrouve et

reconnaît le décor sans équivoque. Il se sent déjà chez lui parmi les habitants de ce quar-

tier. Cette fois-ci, ce sont les foulques qui sont les personnages principaux. Tout con-

verge vers cette affirmation :

- le titre : écrit en rouge sur fond d’eau claire de façon à bien le faire ressortir.

- au premier plan, en bas à gauche, deux foulques posent comme devant l’objectif d’un

appareil photographique, sur la branche la plus basse du saule pleureur.

Cet espace est idyllique pour elles : juste au dessus de l’eau (pour pêcher et na-

ger) mais au sec (pour leur nid). De plus, elles sont protégées par les branches et le feuil-

lage du saule pleureur. Le lecteur les voit « vues de l’eau » ou « depuis l’autre rive de

l’étang » (celle où sont les canards et l’oie sur la première vignette page 4 du pêcheur et

l’oie. Alors que les personnages qui se trouvent sur la berge construite ne les voient pas

(tel était déjà le cas pour le pêcheur page 5).

Elles n’ont pourtant rien à craindre car, ici et tout autour, dans l’espace de cette

page, l’atmosphère est calme et détendu. C’est le temps du repos, des jeux, de la prome-

nade ou de la lecture … Les chats sont assis et attendent tranquillement. Même le chien

regarde paisiblement la corneille et les canards qui n’en ont pas peur non plus. Nous

sommes certainement un dimanche ou un week-end d’été. Le soleil réchauffe doucement

la nature et ses hôtes.

L’illustration de pleine page est à fond perdu. Les personnages et le décor sortent

du cadre de la couverture. Les pages 6-7 permettront d’élargir ce même champ de vi-

sion :

Page 153: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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- un peu à gauche sur les branches du saule pleureur,

- un peu plus à droite avec l’oie blanche, le couple d’humains présenté sur la quatrième

de couverture et les oiseaux de la gare.

B. La quatrième de couverture

Sur la quatrième de couverture, dans la vignette rectangulaire extraite de la page

9 de l’album, le narrateur imagier donne à voir un changement de lieu et d’espace (le

lecteur se retrouve à l’intérieur d’une maison) et de personnages (il s’agit d’un jeune

couple d’humains). Le jeune lecteur a un doute interprétatif :

- « S’agit-il de monsieur et madame Foulque ?

- Non, parce que « foulque » est écrit sans majuscule et la foulque est l’animal représen-

té sur la première de couverture ! »

Le texte explicatif de l’éditeur éclaire la compréhension : « les foulques attendent

des petits comme la dame est enceinte. Les deux couples préparent l’arrivée de leurs

bébés. »

D’ailleurs, à travers la fenêtre de la maison, le lecteur peut voir, à l’extérieur, le

saule pleureur et la foulque qui nage sur l’eau de l’étang. Les deux couples habitent en

face l’un de l’autre. L’illustration de la double-page 6-7 renseigne sur la maison du jeune

couple humain. Ils habitent celle avec la clôture et le portillon en fer.

Le fond de la page est d’un vert tendre, celui des jeunes pousses. Cette couleur

annonce la renaissance de la nature et l’arrivée de nouveaux bébés.

C. Les pages de garde

Les pages de garde rappellent les pages de couverture extérieures du pêcheur et

l’oie et du voyageur et les oiseaux. L’animal y est représenté plusieurs fois, entrain

d’évoluer dans plusieurs directions. Le lecteur y voit la foulque dans ses deux éléments

naturels :

- sur l’eau (page de gauche) / sur terre (page de droite)

et dans plusieurs attitudes :

- elle nage au gré de l’eau / elle marche et picore sur terre.

Page 154: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Par un jeu de transparence, le lecteur distingue les foulques aquatiques et ter-

restres qui se superposent. Cet effet renforce l’idée que cet animal est aussi bien à l’aise

sur l’eau que sur terre. Elle vit et évolue parallèlement dans les deux éléments.

Le fond des pages est peint (la couleur n’est pas uniforme comme celle du papier

coloré) dans les tons jaunes-orangés vifs de façon à faire ressortir par contraste le noir de

l’animal. Cela donne un effet en trois dimensions349

: la foulque semble ressortir de la

page en volume.

Sur la page de faux-titre, la foulque marche à gauche : vers l’extérieur du livre et

vers le lecteur au centre de la page, et nage à droite : vers l’intérieur du livre. Les deux

foulques en bas de la page regardent en direction du lecteur. Elles semblent l’interpeler :

« alors, on tourne la page à droite ou à gauche ? On y va à la nage ou à patte ? »

Sur la page de titre, le lecteur trouve une autre vignette rectangulaire issue de

l’album (page 13). Par cette illustration, l’ambiance calme des pages de couverture de-

vient tout à coup bruyante avec cette fanfare. D’ailleurs, les canards ouvrent le bec affo-

lés et se précipitent à l’eau, dans le coin en bas à droite, invitant le lecteur à tourner la

page pour les suivre, dans un coin plus calme !

D. Le cheminement dans l’espace

L’album commence à la manière d’une planche de Bande Dessinée découpée en

cases (aux limites floues et naturelles) qui s’agrandissent au fur et à mesure que l’espace

s’élargit et que les personnages y prennent place.

Par une vue en plongée sur trois petits carrés représentant le même espace (des

brindilles sur l’herbe), la foulque entre en scène par la gauche.

349

Il arrive fréquemment qu’Anne Brouillard construise les maquettes de ses albums et ses personnages

« en vrai », en trois dimensions, pour leur donner plus de réalité. Il lui arrive aussi de les présenter sous

forme d’expositions.

Page 155: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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La lecture imagière commence de gauche à droite pour se dérouler ensuite de

haut en bas. L’œil du lecteur suit la foulque dans ses déplacements :

- tantôt de profil : la foulque progresse de gauche à droite,

- tantôt de face : la foulque avance vers le lecteur.

Dès la page 5, le couple humain entre en scène discrètement : leurs silhouettes se

reflètent sur l’eau. La connaissance géographique que le lecteur a du lieu lui permet de

comprendre que le jeune couple marche sur le chemin qui longe l’étang et arrive par la

gauche (derrière le saule pleureur tel qu’il est représenté sur la première de couverture).

La plus grande bande rectangulaire présente le nid des foulques en gros plan, leur don-

nant ainsi la priorité dans l’espace. Leur lieu de vie est bien identifié par le lecteur main-

tenant.

Par un champ large, la double-page illustrée pages 6-7 positionne les deux lieux

de vie l’un par rapport à l’autre en suivant la diagonale entre les deux angles opposés :

- le nid des foulques en bas à gauche / la maison du couple humain en haut à droite.

Ensuite, le narrateur visuel présente l’espace de vie du couple humain. Tout

d’abord, la maison vue de l’extérieur puis, l’intérieur, par trois images séquentielles, le

salon et la chambre du bébé. Eux aussi font les préparatifs pour accueillir leur enfant.

Dans cette atmosphère, les animaux et les humains sont égaux tout comme la pa-

rité homme-femme est naturelle. Ces deux espaces, présentés alternativement et en vis-

à-vis corroborent cette conception de la vie.

Les nouveaux-nés sont eux aussi présentés dans leur espace familial avec le

même équilibre imagier sur les pages 10 et 11. Le lecteur fait leur connaissance alors

qu’ils sont chacun dans leur cadre familial, entourés affectueusement par leurs parents.

Les deux illustrations sont situées en vis-à-vis comme leurs deux lieux de résidence et la

double narration parallèle qui caractérise cet album. Le lecteur fait une double lecture

simultanée.

Tout au long des pages suivantes, l’œil suit l’évolution des personnages dans

l’espace :

Page 156: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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- Tantôt dedans / tantôt dehors : page 19 par exemple :

- Tantôt sur terre / tantôt sur l’eau : page 15 par exemple :

Les protagonistes animaux et humains se rencontrent dans cet espace commun et

partagé harmonieusement page 23 :

Selon les besoins de la scène,

- Les plans sont rapprochés ou larges : page 18 par exemple : l’accent est mis sur cer-

taines activités de la foulque après avoir situé le cadre de ses actions.

- Les vues sont en plongée ou en contre-plongée : pages 22 et 23 par exemple, de façon

à présenter parallèlement les deux familles qui vivent dans un petit espace (quartier)

inclus dans un plus vaste espace (ville) mais où chacun a une égale importance (gros

plan sur les êtres vivants à la hauteur des plus petits).

Les techniques de prises de vues utilisées servent les desseins du narrateur ima-

gier afin de montrer l’évolution des protagonistes dans l’espace.

- Espace dans lequel vont se croiser le papa et le pêcheur : page 18 :

- Espace dans lequel la maman et l’enfant observent le pêcheur : page 21 :

L’espace reste, le pêcheur, l’oie, la maman et l’enfant y sont statiques, seule la

foulque navigue d’un côté à l’autre pour construire son nid, exprimant par ses aller-

retour sur l’eau le temps qui passe.

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E. L’évolution dans le temps

Tout au long de l’album, chaque illustration de double-page représente une sai-

son différente, scandant ainsi une année qui s’écoule. Les couleurs du paysage changent

selon le climat météorologique propre à chaque saison, les êtres humains et les animaux

sont plus ou moins nombreux dehors, au bord de l’étang mais l’angle de vue reste tou-

jours le même pour le lecteur. Il s’agit de la même illustration déclinée en quatre saisons.

Au fur et à mesure que le temps passe, les fenêtres s’ouvrent et se ferment, le banc ac-

cueille des promeneurs ou pas, les arbres ont plus ou moins de feuilles, la couleur de

l’herbe change, l’eau du lac se transforme … mais les deux familles principales sont

toujours représentées par le narrateur imagier. À l’instar de la terre tourne, « des enfants

poussent dans le ventre de leur mère, … les enfants grandissent, … d’autres naissent,

bien au chaud dans le ventre de leur mère » et le cycle de la vie continue, au fur et à me-

sure du cycle naturel de la terre qui tourne.

Page 158: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

158

Pages 6 Ŕ 7

C’est l’été, le temps des vacances et des travaux de plein

air. Les fenêtres sont grandes ouvertes et la majorité des

gens sont dehors en compagnie des animaux domes-

tiques ou sauvages. D’un côté, la maman foulque couve

ses œufs, « L'incubation commence avant que la portée soit au

complet et dure un peu plus de trois semaines. La plupart du

temps, les premières portées sont pondues fin avril. Les portées

de remplacement sont pondues jusqu'à fin juillet » 350 ; de

l’autre, la maman humaine porte son bébé dans son

ventre. Le beau temps et les couleurs chaudes participent

à créer une ambiance sereine.

Pages 14 Ŕ 15

C’est l’automne, les feuillages ont pris de belles couleurs

rousses et le temps est toujours ensoleillé. Les naissances

ont eu lieu. La maman part promener son bébé en landau.

Les parents foulques nagent. Les trois petites foulques

sont cachées sous les branches du saule pleureur ou bien,

ce sont elles qui sont sur l’herbe, devant le banc car « les

jeunes s'alimentent seuls vers l'âge de 4 semaines. »351 Il y a

moins de gens dehors maintenant que le temps fraîchit.

Pages 16 Ŕ 17

C’est l’hiver, le paysage est recouvert de neige. Le décor

est tout blanc. L’enfant a grandi maintenant, il se pro-

mène assis en poussette. Deux saisons sont passées. Les

bébés foulques eux, sont déjà devenus adultes ! Le narra-

teur imagier présente un héron cendré, autre habitant de

l’étang. Sur le banc recouvert de neige, les oiseaux de la

gare se reposent à leur tour car les êtres humains sont

rares dehors.

Pages 20 Ŕ 21

C’est le printemps avec ses pluies averses ! Vite, tout le

monde rentre sauf le pêcheur qui a prévu son parapluie.

Le chat blanc (qui n’aime pas la pluie) longe la haie la

queue basse. L’enfant se fait encore porter dans les bras

de sa maman. Les foulques (le même couple ?) recons-

truisent un nid pour de nouvelles naissances. Le cycle de

croissance est plus rapide chez les animaux que chez les

humains mais les saisons, passent au même rythme pour

tous.

Pages 24 Ŕ 25

C’est le retour de l’été. Entre temps, trois nouveaux

bébés foulques sont nés et marchent déjà tout seuls.

L’enfant a une année et peut jouer avec ses camarades

sans l’aide de ses parents. Pour célébrer ce nouveau

cycle saisonnier, le point de vue a changé : la scène est

vue en plongée depuis les maisons. Le lecteur découvre

alors trois saules pleureurs autour de l’étang ! Le narra-

teur imagier en profite pour lui présenter l’autre berge.

350

Source : http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html 351

Source : http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html

Page 159: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Les saisons passent mais les journées et les nuits aussi, au rythme des activités et

des temps de sommeil comme l’illustrent les images séquentielles de la page 9.

Même dans ce rythme quotidien, le narrateur visuel prend toujours soin de pré-

senter parallèlement la vie des deux familles. Ainsi, les jours se succèdent avec leurs

temps de préparation, de travail, de repos, de loisirs … Cependant, dans les albums

d’Anne Brouillard, les protagonistes prennent toujours le temps de partager un moment

chaleureux ensemble, à l’exemple d’un pique-nique et l’atmosphère reste propice à la

contemplation d’enfants qui dorment ou qui grandissent. Le lecteur aussi…

Lorsque le rythme est plus rapide, certaines actions sont découpées dans le temps

à la manière de plusieurs instantanés mis bout à bout, comme pour donner l’effet d’un

folioscope. Ainsi, la page 18 présente six instants brefs et consécutifs par contraste avec

la vignette du haut (le pêcheur arrive tranquillement). Sur cette même page, une grande

illustration sur toute la largeur de la page présente un moment lent et six petites images

séquentielles présentent une succession de moments brefs et rapides. La foulque

« plonge très souvent à la recherche de nourriture avec un petit saut et ressort rapidement

(flotte comme un bouchon)352

» :

L’entrée dans l’album se passe le matin, avec le démarrage des activités et la sor-

tie a lieu le soir : les humains ferment leurs volets et leurs rideaux avant d’aller dormir.

Si le lecteur passe de la première à la dernière page sans lire l’album, il s’est écoulée une

journée ! On retrouve le temps bref dans le temps long, le tout petit dans le tout grand,

des thématiques chères à Anne Brouillard.

352

Source : http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html

Page 160: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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IV. La vieille dame et les souris

« Dans la ville, trois petites souris sautent un caniveau, longent les maisons au bord d'un

trottoir. Par un soupirail elles entrent dans un immeuble, grimpent un escalier, se faufilent

sous une porte. Dans ce vieil appartement, elles rejoignent des dizaines de souris qui ont élu

domicile. Quand rentre la vieille dame, elles se tapissent sous le gros fauteuil du salon353

».

Où donc était partie la vieille dame ? Pourquoi et pendant combien de temps ?

« Anne Brouillard est une merveilleuse conteuse. Ses illustrations se passent aisément de

texte. On comprend, on devine, on imagine tout un monde et surtout une histoire, où les

émotions sont aussi diverses que très présentes. Nous sommes dans un quartier en plein

bouleversement. De vieux immeubles ont déjà été détruits, d’autres vont bientôt l’être. Au

milieu de tout ça, des souris. Elles vont et viennent, trouvent refuge dans les appartements

en sursis. Dans l’un d’entre eux, une vieille dame et toute une colonie de petits rongeurs qui

se glissent partout. Actives, les souris jouent avec les instruments de cuisine, les meubles,

semblent comploter et aussi observer tous les faits et gestes de la vieille dame. Très atta-

chées à leurs semblables et à leur quartier Ŕ elles semblent préférer la ville aux champs Ŕ,

les souris demeurent sur place même quand les logements se vident. Il en reste encore suffi-

samment pour les abriter. Anne Brouillard réussit parfaitement à nous happer avec cette

histoire. Le découpage, les différents plans, les jeux d’ombre et de lumière…tout s’articule

de façon à inclure du suspense dans cet album, qui parle de cohabitation réussie, d’entente

silencieuse, d’un présent à la limite du passé, et de la vie qui continue quoi qu’il arrive.

Pascale Pineau354

».

Au fur et à mesure que les appartements se vident de vie humaine, elles quittent

les lieux, elles aussi pour aller ailleurs, elles suivent le mouvement, là où il fait bon et

chaud vivre, s’amuser et manger ! Elles aiment la compagnie des êtres humains dans

l’univers d’Anne Brouillard, à la ville comme ailleurs …

« J’en fais l’expérience en bibliothèque, les albums sans texte déroutent souvent les pa-

rents : « oh non prends pas ça, y a pas d’histoire ! » Et pourtant, celle d’Anne Brouillard,

tout en images, est très belle, et pleine de sens, tout en laissant place à l’imaginaire de

l’enfant. Je me suis laissée prendre au piège (de la lecture !) et j’ai beaucoup aimé cet al-

bum. Une vieille dame rentre de voyage. Des souris ont investi sa maison. Elles sont de

plus en plus nombreuses. La vieille dame les capture, qu’en fera-t-elle ? La réponse dans

l’illustration, c’est adorable ! Puis la maison de la vieille dame se vide, meubles et cartons,

pourquoi ?

La dernière double-page, avec un retour sur la première, donne la réponse.

Superbes illustrations, pour une très belle histoire, même sans texte, n’hésitez plus à sur-

monter vos craintes355

».

« Le haïku permet aussi : d’exprimer les difficultés de la vie, les siennes ou celles des

autres356

».

Anne Brouillard dépeint la transformation d’une ville et le déplacement de ses

habitants avec tendresse et nostalgie.

353

Source : http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 354

Source : http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/34961-la-vieille-dame-et-les-souris 355

Source : http://lesjardinsdhelene.over-blog.com/article-11385792.html 356

Philippe Costa, op. cit., p. 45.

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Une vieille dame, des souris

Où donc est-elle partie ?

La ville a changé

A. La première de couverture

La vieille dame et les souris s’organise comme l’album de la famille foulque

mais dans un espace plus vaste, celui de la ville357

située sur les hauteurs du quartier de

l’étang. Ce changement de lieu de vie est repéré dès la première de couverture, grâce à

l’illustration de pleine page à fond perdu issue de l’album page 21. Par une vue en plon-

gée et en profondeur, le lecteur se retrouve dans le coin-salon d’un appartement « pro-

pret ». Les meubles dépassent le cadre de la page, donnant ainsi une dimension plus spa-

cieuse à ce cadre de vie rustique. Cette impression de « vieillot » se retrouve dans plu-

sieurs détails : le titre, les couleurs vieux rose, les meubles anciens, la télévision « d’une

autre époque », la photographie dans le cadre (il s’agit peut-être de la vieille dame quand

elle était jeune avec son mari ?).

Une chose étonne le lecteur d’emblée ! Cette pièce, qui semble toujours habitée

est remplie de souris ! « On dirait qu’on est chez les souris ? » De petites souris grises

anthropomorphes. Des attitudes humaines que le lecteur retrouve lors de la préparation-

cuisson du gâteau (page 18) et surtout (page 25), lorsqu’elles se saluent pour se dire au

revoir en se serrant « la patte » à la manière d’êtres humains avant de partir chacune

dans une direction différente (à la recherche d’un nouvel appartement à occuper !).

Cependant, un carton ouvert, visible en partie au premier plan, dans le bas de la

page, déclenche des hypothèses de lecture :

- « Peut-être que la vieille dame est morte ? Alors, les souris elles se sont installées là en

attendant que quelqu’un déménage ses affaires ?

- Quelqu’un a pris le thé avant de partir. Ils étaient deux parce qu’il y a deux tasses et

les souris ont fini les miettes du gâteau. Est-ce un couple ?

- En tout cas, elle va déménager parce que les placards et les tiroirs sont vides. Ou bien

elle emménage, elle n’a pas encore eu le temps d’installer toutes ses affaires ? »

357

« La ville ouvre souvent sur l’imaginaire » dans la représentation de la ville dans le livre de jeunesse.

Denise Escarpit, Nous voulons lire !, N° 176, septembre 2008, p. 15.

Page 162: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Ces horizons d’attente seront confirmés ou infirmés par la lecture de l’album.

Chez Anne Brouillard, le lecteur retrouve souvent ce doute interprétatif : le personnage

arrive t-il ou bien part-il ? Tel un cycle perpétuel, les choses vont et viennent sans cesse

dans un sens et dans l’autre. Comme les trains, comme la terre tourne, ses personnages

évoluent dans le temps et dans l’espace. Le narrateur imagier parsème des petits indices

que le lecteur doit découvrir afin de trouver une réponse. L’appétence est ainsi déclen-

chée et le plaisir de lire est toujours activé. Tel Sherlock Holmes, le lecteur veut mener

l’enquête et découvrir « qui a pris le thé en dernier et pourquoi il y a tant de souris ins-

tallées comme si elles étaient chez elles ?

Les couleurs des polices de caractère sont assorties au décor. Le rose du titre

rappelle celui des fauteuils. Le gris utilisé pour écrire le nom de l’auteure-illustratrice et

de la maison d’édition rappelle celui du pelage des souris. Il se dégage une impression

d’harmonie malgré ce « cahot » dû aux souris.

B. La quatrième de couverture

Sur la quatrième de couverture, le lecteur avisé repère tout de suite le clin d’œil

imagier : « ce sont les mêmes souris que dans la famille foulque ! ». On dirait qu’elles

surveillent où va la vieille dame ? Ou bien, elles se cachent comme deux enfants qui

préparent une bêtise … Que mijotent-elles ? La joie déclenchée par

cette connivence reconnue est papable et contagieuse. Les jeunes lecteurs vont vérifier

dans la famille foulque et ils ont envie de lire ou de relire les autres albums à la re-

cherche d’autres résonnances.

Dans cet espace encadré, par une vue en plongée, l’œil du lecteur opère un va-et-

vient des souris à la vieille dame vue de dos, le long d’une allée bordée d’arbres. La

fleur jaune de pissenlit apporte une délicate touche de couleur et annonce la saison

chaude. Au fond de cette allée, le lampadaire éclairé, tel un point de fuite visuel, donne

un effet de profondeur à cette image topographique. Cette mise en page graphique pré-

sente une image en relief et le lecteur a l’impression que la vieille dame monte. Le jaune

orangé donne de la luminosité au cadre et l’allée semble plus pentue. Cette vignette rec-

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tangulaire de la quatrième de couverture se retrouve dans l’album à la page 13 où,

l’association avec la vignette du dessus accentue cet effet de paysage vallonné. La

vieille dame semble descendre l’allée car, le mur de la maison au premier plan à gauche

est aussi haut que les grands arbres situés en arrière-plan. Ce choix graphique donne un

effet de chemin en pente vers le fond de l’image.

Cette tache lumineuse au fond de l’allée arborée invite le lecteur à suivre la

vieille dame. Et les souris, vont-elles la suivre aussi ? Le texte explicatif de l’éditeur

apporte quelques éléments de réponse mais déclenche d’autres remarques aussi :

- « Le texte parle de « trois souris » mais sur la quatrième de couverture il n’y en a que

deux !

- Mais dans La famille foulque elles sont bien trois ?

- Et sur la première de couverture, elles sont très nombreuses … au moins vingt !

- Il dit que « la dame était partie en voyage », mais pourquoi il y a des cartons vides

alors ? Quand on part en voyage on prend juste une valise, on ne déménage pas son ap-

partement !

- Oh ! Là là ! Quand « la dame revient », elle va trouver toutes ces souris chez elle ?

- Les souris peuvent-elles vivre avec la vieille dame ? Ou bien, la vieille dame peut-elle

vivre avec les souris ?

- En tout cas, dans les albums d’Anne Brouillard, les hommes et les animaux vivent

ensemble sans problème d’habitude. »

C. Les pages de garde

Les pages de garde sur fond rose « vieux fauteuil » présentent plein de petites

souris grises qui ont l’air très coquines. Celle située dans le coin, en bas à droite de la

première belle page, avec ses deux pattes en « porte voix » et ses grands yeux malicieux,

semble chuchoter au lecteur : « viens, suis moi dans ce livre. Tu vas voir, on va bien

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s’amuser tous les deux ! » Page 2, le lecteur la retrouve en bas à droite, prête à bondir à

l’intérieur du livre

La vignette carrée de la page de titre (la première case de la page 8) est encore

plus injonctive visuellement. L’œil est à hauteur de souris et le lecteur a

l’impression d’être la quatrième souris. Elles sont devant la porte du buffet entr’ouverte

et elles s’apprêtent à monter dedans. Cette pause sur image montre combien, avisées par

une longue expérience, elles sont très prudentes et se méfient des pièges, elles ont les

oreilles en arrière. Par son regard complice, le lecteur se sent impliqué dans l’histoire. Il

veut donc suivre les souris pour voir … car cette vue en contre-plongée ne lui permet

pas de voir ce que les souris regardent là-haut, dans le buffet ! L’envie de lire la suite est

maintenant très forte.

Que s’est-il passé entre la première et la dernière illustration ?

Ces deux illustrations ont une dimension temporelle : entre le lever du jour (le

ciel a une lumière jaune orange) et la tombée de la nuit (le ciel a une couleur bleutée). Ici

aussi, si le lecteur passe de la première à la dernière page sans lire l’album, il s’est écou-

lée une journée ! Elles ont aussi une dimension spatiale dans le cadre de la page : la

première occupe le plus grand tiers de la page 4 ; la deuxième occupe la double-page 26-

27. Mais, entre ces deux prises de vue, l’espace a été transformé. Par la force de ces

images, « le vide » suffit à exprimer le temps qui passe et l’évolution dans un espace.

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D. Le cheminement dans l’espace

L’entrée en lecture donne le cadre spatio-temporel et positionne donc un espace

urbain et en travaux, symbolisé par la présence de deux grues qui encadrent la rue. « À

Bruxelles, il y a toujours des grues qui dépassent au-dessus des immeubles358

».

Dans l’espace de cette page, les cadres sont inversement proportionnels à ceux de

la page 4 de La famille foulque (gros plan, plan large, plan très large). Ici, le zoom va

grossissant, respectant les proportions des éléments ciblés (le quartier dans la ville, la rue

et ses maisons dans le quartier, l’angle du trottoir en bas à gauche). L’avancée dans

l’espace progresse de haut en bas, au rythme de trois bandeaux de moins en moins larges

alors que le plan est de plus en plus gros.

La hauteur des cadres accompagne l’espace représenté :

- Plus haut pour les grues,

- Moins haut pour les maisons,

- Plus fin pour les souris à quatre pattes.

Par une vue en plongée, le lecteur aperçoit une personne sur le trottoir avec une

valise à roulettes. Petit être dans cet espace écrasant. Puis, un zoom avant en plongée la

montre traversant la rue. Comme sur une scène où les personnages entrent et sortent à

tour de rôle, la vieille dame part vers la droite et les souris arrivent par la gauche. Puis, la

vieille dame disparaît du champ de vision et laisse la place aux trois souris qui occupent

tout l’espace. Cet effet annonce l’intrusion des souris dans l’appartement désert : elles

attendent que les habitants soient partis pour prendre la place laissée vacante.

Tout au long de l’album, au rythme de l’alternance de petites cases, à la manière

d’une Bande Dessinée, associées à de grandes illustrations encadrées, le lecteur suit les

personnages dans l’espace.

Depuis l’extérieur vers l’intérieur, l’entrée dans l’appartement se fait à pas de

souris, avec des temps d’arrêt pour vérifier qu’il n’y ait pas de danger ou d’autres hôtes ?

Les autres souris étaient peut-être

358

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010.

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166

déjà là avant l’arrivée de ces trois souris ? Si tel est le cas, depuis combien de temps dé-

jà ?

Les illustrations dans la cage d’escalier sont remarquables par leur traitement de

l’espace :

Page 6

Page 25

Page 8

Sur toute la hauteur de la page 6, un long bandeau vertical ménage une magni-

fique vue en contre-plongée sur l’escalier, permettant ainsi au lecteur de suivre les ef-

forts des trois souris pour arriver jusqu’en haut. L’espace semble démesurément grand

par rapport à leur petite taille. En vis-à-vis, page 25, la même vue sur le même espace

donne un effet complètement différent. Les souris sont beaucoup plus nombreuses mais

surtout, elles descendent en faisant des glissades sur la rampe d’escalier et certaines

s’amusent même à faire des plongeons et des galipettes sur les marches ! L’humeur n’est

plus du tout à l’effort. L’espace est le même, le point de vue est identique mais l’effet est

contraire de par le positionnement des personnages dans cet espace.

Sur la droite de la page 6, le premier rectangle montre l’ascension du dernier pa-

lier par les trois souris. Cette vue en plongée sur les dernières marches à gravir insistent

sur la petitesse des souris, accentuant les efforts qu’elles doivent fournir pour monter si

haut. Page 8, le lecteur retrouve la même mise en scène avec la vieille dame. Elle aussi

semble bien petite et bien fatiguée. Est-ce le fait de devoir monter toutes ces marches ?

Ou bien est-ce le fait de devoir bientôt quitter son appartement ? Ou encore, le retour en

ville est douloureux car elle « était bien » là où elle est partie (entre les pages 4 et 8359

) ?

359

« Grande » ellipse spatio-temporelle à combler par l’imagination du lecteur. Les résonnances vont

nous y aider …

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167

Le même espace disponible est perçu tantôt à l’échelle humaine, tantôt à

l’échelle des souris :

Page 7

Page 9

Par ce jeu d’angle de vue, l’espace prend une autre dimension aux

yeux du lecteur :

- Vue à hauteur de souris, en contre-plongée, la pièce paraît im-

mense, plus haute et plus spacieuse (le placard est entr’ouvert,

« la bonne aubaine » !)

- Vue à hauteur d’humain, en plongée par-dessus l’épaule droite

de la vieille dame, la pièce devient très modeste et étroite. Par la

suite, les souris vont continuer leur progression et occuper tout

l’espace disponible.

Page 11

Le soir

Page 11

Avant d’aller dormir

Page 12

Pendant la nuit

Page 12

Le lendemain

matin

Pages 12 Ŕ 13

En début de matinée

Page 15

(dans ou en fin de) la matinée

À échelle humaine, la cage

piège et le sac à provisions

semblent bien petits mais à

échelle de souris, c’est une

toute autre dimension.

Sur la page 8, une mise en page alternée des vignettes :

- Cinq vignettes pour les souris / Trois vignettes pour la vieille dame, permettent des

vues entrecroisées sur ce qui se passe au même moment mais dans des lieux différents

pour les personnages humains et animaux. Là aussi, plusieurs options interprétatives

s’offrent au lecteur car, pendant les vides illustratifs, la narration continue grâce à

l’imagination des lecteurs.

- Soit, lors de la troisième vignette, la vieille dame est dehors pour revenir assez rapi-

dement à la vignette cinq. Elle est sortie de chez elle à la page 4, ici, elle marche dans la

rue. Cependant, est-elle sur le chemin de l’aller ou bien sur le chemin du retour ? Pen-

dant sa courte absence, les souris s’installent ; pendant qu’elle monte les escaliers, les

souris s’aventurent dans la cuisine. (Temps bref)

- Soit, lors de la troisième vignette, elle part en voyage, ou bien elle en revient ? (Com-

bien de temps est-elle partie ?). Durant son absence, les souris occupent l’espace laissé

vacant. Elle rentre de voyage à la cinquième vignette. Les deux vignettes illustrant son

absence (voyage plus ou moins long ?) encadrent une seule vignette installant les souris

dans l’appartement. (Temps étiré)

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Trois pages illustrées, uniquement avec les souris, séparent le moment où la

vieille dame est sortie de chez elle et le moment où elle rentre chez elle. Ainsi, le lecteur

induit-il le fait qu’elle a dû partir en voyage pendant que les souris se sont installées dans

son appartement. De plus, elle part en tirant sa valise à roulettes avec la main droite alors

qu’elle rentre en la tirant avec la main gauche ! Ainsi, l’espace permet d’imaginer le

temps qui passe mais ne permet pas d’en donner la durée.

« Il ne faut pas confondre la notion de récit avec celle d’une action qui est restituée dans sa

durée. Par définition, les récits dessinés ne reposent pas sur un temps mimétique (contrai-

rement au « récit » audiovisuel ou scénique), mais sur un temps de la lecture (non mimé-

tique). Aucune combinaison de mots et/ou d’images ne permet de restituer une hypothé-

tique vitesse de défilement correspondant au temps de l’action. (…) Ce qu’il est convenu

d’appeler « vitesse du récit » relève du choix de la quantité d’évènements et de la taille des

évènements360

».

Le narrateur imagier utilise une série d’images séquentielles pour faire progresser

les souris sur peu d’espace alors qu’il utilise deux ou trois images quand la vieille dame

traverse la ville :

Page 5

Sur les traces des souris,

l’espace est présenté dans de

petites vignettes, de façon

parcellaire, à leur dimension.

Page 8

Page 8

Page 13

Sur les traces de la vieille dame,

dans les cases, l’espace est montré

à l’échelle humaine.

Les déplacements des personnages dans l’appartement donnent une idée précise

de la disposition des pièces. Comme à son accoutumée, Anne Brouillard réalise les plans

des lieux de vie dans lesquels elle fait évoluer les protagonistes de ses histoires.

Ainsi, tout au long de l’album, de la première à la quatrième de couverture, au fur

et à mesure que l’histoire progresse, les personnages évoluent dans différents espaces de

différentes dimensions mais aussi à différentes échelles.

À l’intérieur, le lecteur les voit évoluer dans :

- l’appartement, l’épicerie, le panier

360

Harry Morgan, Les principes des littératures dessinées, in résumé des principaux points établis dans le

livre premier, page 7, consulté sur le site internet : http://theadamantine.free.fr/

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Par exemple, sur la double-page 20-21, l’ouverture de l’espace présenté sur la première

de couverture, sur la gauche, permet de mesurer l’avancée du déménagement de la

vieille dame et l’état de son appartement.

Leurs activités matérialisent aussi le temps qui passe. Car en fait, pourquoi tous

ces déplacements ? Et combien de temps s’est-il écoulé entre ces deux moments ?

L’incipit plonge le regard dans l’espace par saccades. La rue et l’immeuble de la

vieille dame sont représentés sur un bandeau rectangulaire occupant un tiers d’une page.

C’est un plan large dans une image réduite. Par contre, l’excipit plonge le regard dans le

« même » espace « en plein » sur une double-page. Le plan large occupe tout l’espace

laissé à l’image. Le lecteur embrasse l’espace « visuel » et l’espace « imagier » le livre

ouvert. Entre les deux prises de vue, l’immeuble de la vieille dame s’est vidé de ses ha-

bitants, au centre et à droite, les bâtiments ont été détruits, laissant place à un immense

immeuble moderne dans lequel habitent … les personnages.

E. L’évolution dans le temps

À la lecture de ces pages, le lecteur comprend la transformation de l’espace ré-

partie dans le temps. Chaque illustration fige un moment précis et les activités des per-

sonnages illustrent le déroulement du temps. En fonction de l’analyse spatiale ou tempo-

relle, la lecture des illustrations est affinée. Cette double approche permet un enrichis-

sement de la narration visuelle. Comme pour l’occupation de l’espace, le temps passe

aussi à l’échelle des souris, des êtres humains et des grues (le paysage urbain se moder-

nise : devient plus récent).

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170

À l’échelle du quartier :

Page 4

Au début :

Sur le trottoir de gauche,

quatre maisons sont habitées

(fenêtres éclairées).

Sur le trottoir de droite, on

voit un terrain vague (quel-

ques meubles) et des maisons

encore habitées.

Page 15

Au milieu :

Le temps passant, la première

maison (grise) à gauche a été

démolie. Une palissade de travaux

la remplace. Les habitants de la

maison suivante déménagent …

mais la vieille dame rentre « en-

core » chez elle. Le cadre narratif

incline à cette interprétation mais

le doute est autorisé. Partent-ils

ou arrivent-ils ? Une nouvelle

lecture ultérieure, après avoir lu la

fin de l’album permettra de tran-

cher.

Page 26

À la fin :

La deuxième maison à gauche

n’existe plus, la prochaine est

celle de la vieille dame. Celle de

droite est presque démolie. Une

barrière ferme la rue. On voit une

cabane de chantier.

L’élargissement du champ sur la

droite présente le nouvel im-

meuble construit à la place des

anciennes maisons éclairées

(page 4).

Au fur et à mesure que le temps passe, les maisons sont démolies et les palissades

de travaux occupent l’espace. L’éclairage des appartements permet d’être sensible au

temps : c’est le matin, l’après-midi ou le soir mais cela prouve aussi que des gens habi-

tent encore ici. Ils n’ont pas encore changé d’espace mais ce temps là va arriver … À la

dernière double-page illustrée, le lecteur comprend que, pendant le temps de l’album, à

droite (espace qui n’était pas visible auparavant), un immeuble avec des appartements

tout neufs était en construction. D’ailleurs, de grandes baies vitrées permettent une vue

imprenable sur l’espace de ce nouveau quartier en voie de reconstruction. Il faudra en-

core du temps avant que tout soit refait à neuf.

À l’échelle de l’immeuble :

Une lecture de deux illustrations du même espace représentant deux moments

différents permet de prendre conscience du temps qui passe : parallèlement, le lecteur

voit l’espace évoluer et prend conscience du temps passé :

Page 6 Page 25

Au début, lorsque les trois souris

montent l’escalier, les portes des

appartements sur les deux paliers

sont fermées et éclairées de

l’intérieur : des gens habitent en-

core à l’intérieur.

À la fin, lorsqu’elles redescendent ce même

escalier, les mêmes portes, sont ouvertes et

l’espace visible à l’intérieur est vide, comme

l’appartement de la vieille dame. Le temps de

la démolition de l’immeuble est arrivé.

Page 171: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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À l’échelle de l’appartement de la vieille dame :

- Le temps se mesure au rythme de son déménagement :

Page 7

Avant les

préparatifs

Pages 20 Ŕ 21

Pendant les préparatifs

Page 22

Pendant le déménagement

Page 24

Après le

déménagement

Dans ce rythme imposé à la vieille dame, elle prend quand même le temps de

préparer un gâteau et d’inviter son amie à prendre le thé. Dans les albums d’Anne

Brouillard, même si le temps presse, les cartons et les grues attendront … les person-

nages ont toujours le temps d’une pause conviviale.

- Le temps se mesure au rythme des dégâts faits par les souris :

Page 7

Avant le voyage : l’appartement

est en ordre

Page 9

Après le voyage : l’appartement

est en désordre

Entre ces deux illustrations, la

vieille dame est partie en

voyage et les souris se sont

installées chez elle. Par la

suite, au fur et à mesure que le

temps va passer, les dégâts

occasionnés par les souris

vont progresser.

À l’échelle d’une journée :

Le temps se mesure aux activités quotidiennes des personnages :

- Le travail, les courses, la cuisine dans la journée

- Le chocolat chaud devant la télévision, le bain, le coucher

Enfin, une fois toutes ces émotions passées, dans le temps et dans l’espace, les

personnages s’installent dans leur nouvel environnement tout neuf … Le temps des an-

ciennes maisons en pierre est passé, le temps des nouveaux immeubles en verre arrive.

Qui habite où maintenant ?

Page 172: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Au troisième étage : le voyageur lit son journal assis dans son fauteuil. Les vibrations du

gramophone (à droite) montrent qu’il écoute de la musique.

Au deuxième étage : la vieille dame s’installe. Elle s’apprête à s’assoir dans son fauteuil

devant la télévision.

Au premier étage : une petite fille avec de longues nattes brunes écarte les rideaux pour

regarder par la fenêtre. Qui est-elle ? La fille des anciens voisins de la vieille dame ?361

Au rez-de-chaussée : le pêcheur et l’oie sont en pleine conversation. Le gros poisson nage

dans un aquarium. Ou bien, c’est une photo-poster souvenir encadrée ?

Grâce à La vielle dame et les souris, en suivant les mailles (maillons) de sa vie,

le lecteur qui sait « tirer les fils » revient au lac de La terre tourne.

361

« Vous lui voyez des nattes vous ? Pour moi, c’est une dame qui est entrain de téléphoner en regardant

dehors ou bien elle ferme les rideaux ? Je ne sais plus très bien … Elle n’a aucun rapport avec les autres

personnages mais je suppose qu’elle va finir par les connaître … » Histoire à suivre, donc. Extrait de

l’entretien téléphonique du 14/02/2011.

Page 173: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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V. De l’autre côté du lac362

« Lucie et sa tante Nadège vivent au bord du lac. Un jour, elles aperçoivent une forme bleue

qui brille de l'autre côté du lac. Avec Tante Nadège, les chats Alpha et Toka et un bon

pique-nique, elles décident d'aller voir. Là-bas, Lucie découvre une aire de jeux et un nou-

veau copain363

».

« Alpha, en fait, c’est le chat blanc d’Ambre, ma nièce de 3 ans et demie à qui

j’ai dédicacé cet album ! »

« Un matin, en regardant de l’autre côté du lac, Lucie aperçoit une chose bleue qui brille.

Tante Nadège lui propose d’aller voir ce que c’est. Elles préparent un pique-nique et s’en

vont sur le chemin qui longe le lac. Soudain, la chose bleue apparaît. C’est une balançoire!

L’histoire heureuse d’une petite fille débordante d’imagination, qui converse avec ses chats

et savoure sa vie solitaire au cœur de la nature, égayée par la rencontre d’un nouvel ami364

».

« Le haïku permet aussi : d’exprimer des sentiments (nostalgie …), des sensations, des im-

pressions, les petites et les grandes émotions, les souvenirs, le temps qui passe,

l’impermanence de la vie …365

».

Autant de sentiments qu’Anne Brouillard fait ressentir au lecteur tout autour du lac.

D’un côté le lac

Pourquoi donc aller ailleurs ?

On y est si bien

Bien plus que l’histoire d’une petite fille … Cet album redonne vie à l’ambiance

de ce lac mais à ses habitants aussi …pour le plus grand plaisir d’Anne Brouillard et de

ses lecteurs.

Avec cet album, Anne Brouillard retrouve le même éditeur366

que La terre tourne,

Le Sorbier. Il a les mêmes dimensions que les deux précédents (La famille foulque, La

vieille dame et les souris) mais l’orientation367

est différente. De la verticalité, la lecture

362

« À cause de l’inspiration, c’est le même lac que dans La terre tourne. De l’autre côté du lac est aussi

inspiré de l’ambiance de ce fameux lac Teåkersjön à Dalskog en Suède. » Extrait de l’entretien télépho-

nique du 31/01/2011. 363

Source : http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 364

Source : http://www.ricochet-jeunes.org/nouveautes/livre/42401-de-l-autre-cote-du-lac 365

Philippe Costa, op. cit., p. 45. 366

« C’est l’éditeur en effet qui va découvrir ou initier le projet, l’accepter et le mener à son terme. » C.

SeguraŔBalladur et E. Audureau, op. cit., p. 7. 367

Le choix de ce format permet davantage « les nombreuses ruptures, les incessants changements de

rythmes (accélérations, pauses, ralentissements) ainsi que la variété des cadrages et des plans qui

s’apparentent plus à une technique cinématographique, par ailleurs revendiquée, qu’à une écriture poé-

tique traditionnelle. L’art de la narration chez Anne Brouillard est en effet (…) une affaire de rythme. »

Patrick Joole, op. cit.

Page 174: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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passe à l’horizontalité. C’est un format à l’italienne et, comme l’expliquent Mmes Segu-

ra-Balladur et Audureau368

:

« Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les livres illustrés sont dans un format en hauteur (à la

française), calqué sur le codex romain, dans la tradition du texte imprimé.

Si la hauteur est prononcée, le livre exprime austérité, rigueur, mais aussi élancement, dy-

namisme.

À partir du XIXe siècle, les formats évoluent. Conçu dans un format oblong, plus large que

haut (à l’italienne), l’album illustré permet à l’illustration de représenter des paysages, des

monuments. C’est l’héritage des carnets de croquis.

L’album devient un espace panoramique d’autant plus large que l’espace narratif peut

s’étaler sur la double-page. Ce format favorise l’expression du mouvement et du temps. »

Format et espace qu’Anne Brouillard exploite et maîtrise à merveille. Par la

prise en main différente, ce livre se lit comme un film. Les pages défilent comme une

bobine qui se déroule sous les doigts du lecteur, au rythme imposé par la double narra-

tion. Cependant, c’est le lecteur (acteur et spectateur) qui réalise le montage mentale-

ment. Les plus petits formats offrent une prise en main plus aisée pour effeuiller les

pages plus rapidement, à la manière d’un folioscope. Ici, la tenue à deux mains et

l’étalement des pages présentent au lecteur des tableaux lacustres et boisés à admirer au

fil du temps qui passe369

. La lecture de cet album nécessite une posture assise et tran-

quille370

. Le narrateur imagier scande la mise en mouvement des personnages par des

illustrations séquentielles. Le lecteur retrouve cette mise en page de l’album « brouillar-

dien » :

- Des illustrations de pleine page à fond perdu : pauses sur un décor

- Des images séquentielles non cloisonnées : mouvements et enchaînements

- Du texte : le cheminement, la vie et les dialogues des personnages

Il est spectateur devant les paysages et acteur dans sa lecture elliptique. Le lec-

teur-spectateur retrouve l’univers cher à Anne Brouillard du lac suédois, décor et am-

biance de La terre tourne. Après un intermède de quatre ans et l’édition d’un livre sin-

gulier chez Sarbacane, dans cet environnement, il retrouve aussi des personnages et des

objets qui lui rappellent les quatre albums précédents. Si Anne Brouillard y prend beau-

coup de plaisir, le lecteur les retrouve avec joie et complicité.

368

Cours Master 2 LIJE sur l’album, p. 16. 369

« À l’heure du coucher, (…) ce moment privilégié de complicité (…) sera d’autant plus long que

l’illustration du livre est riche. Les détails qui la composent, fourniront les accroches à partir desquelles le

lecteur peut développer le récit au-delà du texte souvent sommaire. » C. Segura-Balladur et E. Audureau,

op. cit., p. 6. 370

Anne Brouillard avoue aimer travailler sans stress. Le lecteur impliqué le ressent aussi.

Page 175: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Dans cet album au format cinématographique, à l’italienne, le cheminement est

long, de gauche à droite, il se passe des choses sur le chemin. Le lecteur a un rôle très

actif et il suit les personnages tout au long de l’album. Tantôt :

- De profil (le lecteur les observe) : page 10, par exemple.

- De face (le lecteur semble participer à la conversation) : page 16, par exemple.

- De dos (le lecteur les suit) : page 19, par exemple.

- Du dessus (par une vue en plongée sur les personnages en action) : page 26, par

exemple.

- Il est « leur » regard (il voit ce qu’ils observent) : page 32-33, par exemple.

Comme la terre tourne autour de …, le chemin tourne autour du lac. Le lecteur y

croise des gens, des animaux qui lui sont familiers maintenant et qui lui permettent de

mettre en place ces liens entre les albums : des chats, des souris, des oiseaux … et des

objets qu’il reconnaît aussi pour les avoir déjà vu dans d’autres environnements.

Comme La terre tourne entre autre et à la différence des quatre albums édités

chez Seuil, cet album a un narrateur textuel.371

Sur les pas du narrateur textuel, le lecteur

entre dans cet environnement comme par effraction, sur la pointe des pieds. « Chut »

comme dit Lucie (page 22), écoutons le silence. Nous sommes privilégiés, la maison,

personnifiée, ouvre sa porte pour nous accueillir. Tout d’abord, le lecteur cherche les

personnages du regard. Où sont-ils ? Par l’intermédiaire du narrateur textuel, le lecteur

les entend mais il ne les voit pas. Le narrateur imagier en profite pour lui faire visiter les

lieux extérieurs et intérieurs. Ainsi, le lecteur prend ses nouveaux repères spatiaux afin

de se sentir « chez lui ». Une fois à l’aise dans cet espace, le lecteur fait la connaissance

de ses occupants, deux êtres humains et deux chats. Dans cet album, l’œil du lecteur est

en perpétuel mouvement, il voit vivre les personnages, il observe le cadre, il suit

l’aventure des personnages … Cette dynamique est possible car le lecteur reconnaît cet

espace : le lac et quelques éléments du décor. Maintenant, le lecteur est prêt à suivre les

personnages sur le chemin, de l’autre côté du lac, autour de la terre … car il est en con-

fiance et en terrain connu, guidé par le narrateur imagier.

371

Ici, le texte est minimaliste et dialogique « alors que l’expressivité des personnages, le jeu des couleurs,

(…), la force des contrastes assurent la narration. De tels albums surhaussent l’image (…). La rareté (du

texte) n’y est pas perçue comme un manque mais comme un retrait face à l’image qu’il met en valeur ou

qu’il « cerne » de quelques indications. » S. Van der Linden, Les albums « sans » in Le livre pour enfants,

p. cit., p. 191.

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A. La couverture

La couverture du livre est entièrement illustrée. Le lac occupe « presque » tout

l’espace disponible au centre de la page. Le ciel et les nuages s’y reflètent. Les cou-

leurs372

sont douces et naturelles. La végétation autour du lac est riche et variée. Ce dé-

cor transmet l’ambiance tranquille et naturelle de la Suède. C’est ce même paysage qui

est à l’origine de l’album La terre tourne. « Cet endroit est très important pour moi, il

ne faut pas oublier que ma mère est suédoise … » « Anne parle de ce lac (…) où sa

mère se baignait enfant. Doux glissement vers l’autobiographie373

? ». Anne Brouillard

parle comme Gaston Bachelard qui affirme que s’il veut « étudier la vie des images de

l’eau, il lui faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de son

pays. (…) Mais le pays natal est moins une étendue qu’une matière ; c’est un granit ou

une terre, un vent ou une sécheresse, une eau ou une lumière374

». Dans les souvenirs

d’Anne Brouillard, c’est une ambiance. Pour elle, « les images sont primordiales, elles

racontent l’histoire et la lecture devient essentiellement visuelle. La taille des images et

la lumière qui en émanent, installent le rythme et l’ambiance de ses albums375

».

La première de couverture présente les personnages. Ils sont en pause contem-

plative eux aussi. Sauf « le chat gourmand » ! Ils sont presque arrivés « de l’autre côté

du lac 376

».

La quatrième de couverture montre l’autre côté. Ce qui se trouve à gauche des

personnages : leur maison377

et le chemin378

autour du lac. Quand le lecteur étale le

372

« La couleur joue un rôle important dans l’appréhension du récit, elle en donne l’atmosphère et le ton.

Mais elle est également l’expression de l’illustrateur. À chacun sa palette, sa gamme de couleurs, (…)

selon la technique employée. » C. Segura-Balladur et E. Audureau, op. cit., p. 23. 373

Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62. 374

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, p. 15. 375

Christian David, compte rendu « rencontres d’auteurs », XIIIe journée du livre d’Orthez, CDDP

d’Orthez, 9 octobre 2008. 376

« Pour le choix du titre … on a hésité. Au début, je voulais plutôt « l’autre côté du lac » mais, avec

l’article « de » cela donne une idée du mouvement qui va mieux avec l’histoire de l’album : aller de …,

regarder de …, qu’y a-t-il de …, que va-t-on trouver de …, repartir de …, etc. » Anne Brouillard, le

07/11/2010. 377

« Le retour au pays natal, la rentrée dans la maison natale, avec tout l’onirisme qui le dynamise, a été

caractérisé par la psychanalyse classique comme un retour à la mère. (…) Une psychanalyse imagée doit

donc étudier non seulement la valeur d’expression, mais le charme d’expression. » « Y a-t-il une maison

maternelle sans eau ? Sans une eau maternelle ? » Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos,

Librairie José Corti, Les Massicotés, 1948, pp. 137-138. 378

« Sur le trajet qui nous ramène aux origines, il y a d’abord le chemin qui nous rend à notre enfance, à

notre enfance rêveuse qui voulait des images, qui voudrait des symboles pour doubler la réalité. » Ibidem.,

p. 138.

Page 177: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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livre, le positionnement des deux illustrations de pleine page à fond perdu est en adé-

quation avec le plan du lac. Si les personnages tournent la tête à gauche, ils voient leur

maison. Cependant, ils regardent vers la droite. Que voient-ils ? Par cette attitude, le

narrateur imagier déclenche l’appétence du lecteur. Le regard des personnages vers la

droite incite le lecteur à entrer dans le livre pour voir ce qu’ils observent.

B. Les pages de garde

Les couleurs des pages de garde correspondent à la texture du papier. Ici, le pa-

pier est lisse, les pages de garde sont donc de papier coloré. Dans les quatre Seuil, le

grain du papier est plus « épais », les pages de garde sont donc peintes non uniformé-

ment. Ici, les couleurs sont vives. Cet orange renvoie la lumière. Il est dynamique. C’est

cette même couleur, dans une nuance moins prononcée qui est utilisée pour le titre.

Dès la page de titre, le narrateur imagier fait des clins d’œil complices379

au lec-

teur :

- Le panier en osier (au centre de l’image)

- Les oiseaux sur la branche en haut à gauche

- Les souris cachées en bas à gauche

- Le poisson sous la branche-pont

Tous ces détails induisent une lecture intra-imagière. Cet album trouve bien sa place ici,

après les quatre albums édités au Seuil.

C. Le narrateur imagier

Le lecteur est accueilli par une illustration de double pleine page à fond perdu

dès l’ouverture. À gauche, une vue en plongée guide le regard vers la maison380

. Au

centre, le lac est très présent. À droite, le chemin « bleu » disparait parmi les arbres.

Cette atmosphère bleutée donne un aspect « flottant » à cette image. La forme des

379

« Je suis très attachée à ces lieux et à ces personnages. » avoue Anne Brouillard. 380

« Cette maison n’existe pas mais elle pourrait exister. » précise Anne brouillard. « Si je dessine ces

maisons, c’est peut-être parce que j’aimerais y habiter … »

« Une des preuves de la réalité de la maison imaginaire, c’est la confiance qu’a un écrivain de nous inté-

resser par le souvenir d’une maison de sa propre enfance. Il suffit d’un trait touchant le fond commun des

rêves. » Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, p. 115.

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arbres, les ondulations de l’eau, la forme des ombres … tout semble « ondoyer » tran-

quillement. Est-ce l’effet du soleil qui transperce ? Quelques animaux (canards, oiseaux

…) se prélassent dans ce décor. Parmi tous ces arbres, le lecteur reconnaît les bouleaux

avec les nichoirs de Mystère. Est-ce la maison de Kÿt ? La porte est ouverte, le lecteur a

envie d’entrer … la tourne de page va combler ce désir. Cependant, les pages 6 et 7

montrent uniquement l’espace intérieur. Le lecteur visite le rez-de-chaussée : l’entrée, la

salle à manger, le salon puis la cuisine. À la manière des illustrations de pleine page de

La terre tourne, le dernier cadre de la page 7 montre en arrière-plan, ce qui va devenir le

premier plan de la page 9. De forme floue et indécise, le chat tigré va prendre appa-

rence. De belle page en belle page, le lecteur arrive en pleine lumière sous la véranda,

au bord du lac. Les personnages l’y attendent avec une collation. La femme lève les

yeux à l’arrivée du lecteur. Les autres personnages regardent « de l’autre côté du lac ».

Le lecteur se présente puis observe dans la même direction : vers la barque jaune.

Une fois l’espace mis en place, les présentations faites, le narrateur imagier

prend le temps de montrer le lac dans toute sa splendeur. Le lecteur prend le temps de

savourer le décor, le paysage, la nuit qui tombe et le calme. Cela ne peut s’exprimer

avec des mots, c’est du domaine du ressenti et du visuel. Le lecteur-spectateur retrouve

la même technique de « pauses illustratives de double pleine page » utilisée par le narra-

teur imagier dans La famille foulque à chaque saison.

- Pages 10-11 : vue depuis le chemin : le lac sous la pluie.

Tout comme les personnages assis sous la véranda, à gauche, le spectateur voit

et « entend » la pluie tomber sur l’eau du lac et le toit de la véranda.

- Pages 12-13 : depuis la véranda : vue sur le lac sous le soleil couchant381

.

Le regard du lecteur s’apparente à l’angle de vue des personnages situés hors

cadre. Ainsi, le lecteur les imagine assis sous la véranda avec une tasse de thé et des

petits gâteaux, admirant le paysage crépusculaire. Le lecteur est un des personnages.

- Pages 14-15 : vue en plongée : le lac sous la lune382

.

381

Cette double-page illustrée peut évoquer au lecteur-spectateur le tableau Port au soleil couchant de Le

Lorrain où les couleurs orangées et jaunes du soleil couchant se reflètent sur l’eau du port. 382

Cette double-page illustrée peut évoquer au lecteur-spectateur le tableau La nuit étoilée où Vincent

Van Gogh a peint la lumière dans la nuit et le miroitement des lumières des habitations dans l’eau (sans le

reflet de la lune) ou encore le paysage de nuit : Nocturne au Parc royal de Bruxelles peint par William

Degouve de Nuncques qui semble sorti d’un rêve tant la couleur bleue unifie toutes les formes, faisant

ainsi apparaître le paysage irréel.

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Tout le décor est dans les nuances de bleu. L’espace semble dilué sous cette at-

mosphère lunaire. Ces teintes bleutées donnent une impression d’un monde flottant,

irréel, comme dans un rêve. L’atmosphère devient énigmatique.

Par ces trois doubles-pages illustrées à fond perdu, le lecteur a adopté un rythme

de lecture lent et contemplatif. Il tourne les pages après une pause devant chaque ta-

bleau peint comme on admire une œuvre d’art. Ainsi, le lecteur s’imprègne de cette am-

biance particulière. Anne Brouillard cherche à transmettre cette atmosphère qu’elle

aime tant et où elle se sent si bien. Par touches d’encre de couleurs, le narrateur imagier

« incruste » ce paysage lacustre dans la mémoire visuelle du lecteur. Par leur dimension,

leur répétition, leurs couleurs, les plans larges, le spectateur se déplace comme dans une

galerie d’artiste. Le paysage défile lentement. À la tourne de chacune de ces trois

doubles-pages, l’ellipse temporelle est longue (plusieurs jours ou plusieurs heures).

La page 16 est une rupture dans la lecture.

- Dans la mise en page : deux images séquentielles disposées en diagonale

- Dans la lecture visuelle383

: l’œil du lecteur est dirigé vers la page de droite par :

◦ Le regard des personnages

◦ L’orientation de leur attitude

◦ Leur gestuelle

Qu’ont-ils vu ? La page de droite amorce un élément de réponse : parmi les

arbres, il y a un grand objet bleu. « On dirait une grande araignée métallique ! ». Le

rythme de lecture va s’accélérer du fait de ce questionnement. Les personnages, tout

comme le lecteur, veulent aller voir. Le titre384

prend sa signification. Nous allons aller

« de l’autre côté du lac ». Une série d’images séquentielles permet la progression de la

narration imagière :

- La préparation du pique-nique (les petites illustrations montrent par mimétisme un

temps bref dans un espace restreint),

- Le cheminement autour du lac,

- La pause contemplative et récupératrice (l’illustration de première de couverture),

383

« Le lecteur pourrait-il se passer du narrateur textuel ? » « Une information temporelle importante est

donnée par le narrateur textuel « il y a très longtemps … » Par contre, pour le cheminement spatial de

l’histoire, suivre le regard, les mouvements, l’orientation, les signes de doigt qui indiquent … suffit. »

Extrait de l’échange téléphonique du 31/01/2011. 384

« Le choix du titre est très important. Il se fait en accord avec l’éditeur. Quelquefois il est évident,

parfois, on discute … »

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- L’apparition d’un nouveau personnage masculin, espiègle, énigmatique, évoquant le

dieu Pan385

,

- La fabrication du pont en branchage.

L’arrivée est un moment important. Aussi, le narrateur imagier prend tout

l’espace disponible sur les deux pages 26-27. Les grandes illustrations montrent le

temps étiré dans un espace ouvert. Les deux personnages adultes saluent de la main

droite, évoquant au lecteur « l’homme et/ou la femme en rouge » (La terre tourne, Le

pays du rêve). Lucie et les deux chats courent vers l’objet convoité. Oh surprise, c’est

une balançoire ! Comme celle dans Il va neiger. Un autre enfant les y attend. Le lecteur

se reconnaît bien dans ces bois suédois autour du lac …(les bouleaux, les nichoirs, la

balançoire).

Une fois ce nouveau décor mis en image, la narration séquentielle reprend : les

personnages font de la balançoire, du toboggan … Puis, la pause pique-nique prend plus

de temps. Alors, l’image reprend tout l’espace de la belle page. L’alternance illustrative

s’orchestre et s’adapte selon le temps et l’espace. De la même manière qu’à la double-

page 12-13, la double-page 32-33 présente le décor vu depuis l’emplacement des per-

sonnages. Depuis leur lieu de pique-nique, ils voient leur maison « de l’autre côté du

lac ». « On est bien … on a envie de rester là … d’y revenir » comme dans Le chemin

bleu. Mais, il y a toujours quelque chose de nouveau, d’inconnu, à découvrir, de l’autre

côté … que ce soit ailleurs ou chez soi ! D’un côté comme de l’autre, le narrateur ima-

gier donne une vue panoramique du paysage au lecteur. L’album se termine par une

illustration de pleine page à fond perdu. Les personnages repartent « de l’autre côté du

lac » en barque. L’aventure continue …

D. Le narrateur textuel

Quelles dimensions apporte le narrateur textuel ? Commençant en bas à droite de

la première belle page, il pose son rythme descriptif. Sous sa plume, la maison est per-

sonnifiée et l’adresse au lecteur est directe. Il interroge le regard et l’imagination du

lecteur. Cet album se lit, se regarde et s’entend. Le lecteur doit solliciter tous ses sens.

385

Personnage de la mythologie grecque, Pan est le dieu de la totalité, de la nature toute entière. Protec-

teur de la nature, il surveille aussi ses occupants, en attendant de faire plus ample connaissance. Car, c’est

Thomas !

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Le narrateur textuel commence discrètement, avec une seule phrase (pages 5 ; 6 ; 7).

Son style est direct, ses phrases sont courtes et sa ponctuation est incitative. Les trois

points de suspension demandent une tourne de page rapide. C’est un grand bavard en

fait ! Il a tellement à dire qu’il occupe le centre de la page 8. Cependant, les mots ne

parviennent pas toujours à exprimer ce qu’une image montre :

- La description reste suspensive.

Ni à raconter les souvenirs :

- La mémoire reste suspensive.

La répétition de l’adverbe « longtemps » donne une touche nostalgique au récit.

Le lecteur imagine Tante Nadège jeune, vivant et cheminant autour du lac. Elle fait par-

tie de « ceux qui restent là parce qu’ils y sont bien. » Va-t-elle toujours vivre ici, au

même endroit, dans cette maison, autour du lac, seule ? … Le narrateur textuel pose

cette ambiance en utilisant les mêmes mots que le narrateur textuel de La terre tourne :

« calme, tranquille, paisiblement ». Les deux narrateurs (textuel et imagier) se rejoi-

gnent dans cette sérénité. Ils donnent ce rythme de lecture ralentie.

Quand l’action démarre, page 16, le narrateur textuel prend autant de place que

le narrateur imagier. Les dialogues accélèrent le rythme de la narration. Tante Nadège

redevient dynamique. Les points d’exclamation donnent un ton enjoué et vivant. Elle

retrouve sa jeunesse.

Le cheminement des personnages est décrit par le narrateur textuel. Il donne une

touche sonore à leur balade. Le narrateur textuel explique au lecteur ce que les person-

nages vivent. Il transcrit les émotions ressenties par les personnages que l’image ne peut

montrer. La longueur des phrases et la ponctuation s’adaptent à la narration :

- La marche est lente : les phrases sont plus longues,

- Les pauses s’accompagnent de phrases descriptives courtes,

- Les dialogues sont animés et vivants.

Quand l’action redémarre (pages 30 et 34), le lecteur retrouve l’ambiance et la

mise en page textuelle de la page 8. Le narrateur textuel occupe l’espace de la page sur

fond blanc. Le vocabulaire et les expressions utilisés par les personnages sont les

mêmes qu’au début de l’album. L’histoire continue … en boucle. Sur les traces des per-

sonnages, guidé par les narrateurs, le lecteur reprend la lecture de l’album. Telle une

boucle sans fin, le point de départ devient le point d’arrivée. Ce rythme rappelle sans

conteste celui de l’album La terre tourne. Qu’y a-t-il à voir cette fois-ci ? La réponse est

Page 182: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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dans l’imagination de chaque lecteur ! (Un cerf volant pigé dans un arbre ? Un nid

d’oiseau perché trop haut ? …).

Qu’est-ce qui autorise le lecteur à faire ces inférences entre ces quatre albums

édités au Seuil en 2006 et 2007 et ce cinquième album édité au Sorbier en 2011 ?

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VI. Les liens et les résonnances entre eux

Le lecteur opère des aller-retour entre ces cinq albums afin de mieux savourer

comment Anne Brouillard a repris ses personnages et les lieux auxquels elle est très

attachée au rythme du temps et des saisons qui passent. Et aussi, comment, tout naturel-

lement, elle le reconduit à La terre tourne …

A. Les personnages386

(humains et animaux)

Entrelacements, croisements, rencontres de vie, de personnages, de lieux …

Pendant que le voyageur est à la gare avec les oiseaux, le pêcheur est au bord de l’étang

avec l’oie. Le voyageur mange sa soupe, toujours occupé à son jeu … le pêcheur rentre

en train ? À pied par la gare ? Il doit traverser le hall de la gare pour rentrer chez lui

après sa journée de pêche ? « Quand j’ai réalisé Le pêcheur et l’oie, je savais que je fe-

rai La famille foulque. Retrouver ces personnages auxquels je suis attachée. Histoire

d’une balade autour des étangs d’Ixelles, souvenirs d’une surprise … une oie regarde un

pêcheur pêcher … à l’aller et au retour de cette balade. D’autres fois, des canards, des

foulques … » Mais, les liens sont tellement forts que, le pêcheur rejette par deux fois

son petit poisson, déçu par cette mince prise tandis que la foulque attend pour repêcher

cette prise facile … Entre les deux, quelques secondes pour quelques pages mais, sur-

tout, deux albums ! Vus de dos d’un album, mais, qui les regarde ? Réponse dans l’autre

album, encore une fois, ils sont vus à travers le regard de la maman et de son bébé dans

les bras, debout devant le seuil de leur maison. Ils sont vus de face, depuis l’autre côté

de l’étang par, les canards … Le lecteur-spectateur reconnaît le même style, la même

technique mais les reflets et les couleurs de l’eau sont vus d’un point de vue différent.

Selon l’angle de vue que le narrateur imagier lui offre, les nuages, le soleil, la luminosi-

té, les ombres …

386

Lors de la conférence à Toulouse le 6 novembre 2010, Nicole Folch avançait : « A l’instar de nou-

velles, on entre par effraction dans la vie des personnages. Grâce au décor on connaît immédiatement ce

personnage. Mais, on ne connaît rien de son passé ni de son avenir. » En fait, c’est au lecteur de re-

construire sa vie avant, pendant et après les pages de « cet » album. Les narrateurs ménagent des

« blancs », des énigmes, placent des indices que le lecteur doit associer dans la continuité. Le lecteur doit

faire des efforts de mémoire et d’imagination intra et inter albums.

Page 184: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Dans La famille foulque, le pêcheur arrive page 18 et il

s’installe dans Le pêcheur et l’oie page 4. Dans La famille foulque, cette scène est vue

par un œil situé de l’autre côté de l’étang, comme s’il se trouvait dans l’angle, à côté des

canards.

L’angle de vue sur la scène de pêche sous le parapluie est double selon l’espace

dans lequel se trouve posé l’objectif de la caméra. En suivant cette ligne directrice dia-

gonale, dans La famille foulque, du premier au dernier plan, il voit : l’eau avec la

foulque vue de derrière (qui se déplace de la gauche du pêcheur vers sa droite avec une

brindille dans le bec pour construire son nid) Ŕ le pêcheur et l’oie sous le parapluie Ŕ la

maman et l’enfant sur le palier de leur maison.

Depuis la position opposée, dans le pêcheur et l’oie, cette scène est vue à travers

l’œil cinématographique de la maman et de l’enfant, avec un effet de zoom avant,

comme sur un travelling, toujours en suivant cette même diagonale mais dans le sens

inverse. Le pêcheur et l’oie sont donc vus de dos (trois-quarts droite) et la foulque pré-

sente son profil gauche (son avancée se déroule maintenant de la droite vers la gauche

car elle a déposé sa brindille et repart dans le sens inverse de son nid).

Dans La famille foulque le lecteur voit cette illustration depuis Le pêcheur et

l’oie et vice et versa. Cette mise en scène correspond à l’intention consciente d’Anne

Brouillard qui affirme que « quand j’ai réalisé Le pêcheur et l’oie je savais que je ferai

La famille foulque. » C’est au lecteur de trouver et de savourer ces clins d’œil imagiers.

Dans Le pêcheur et l’oie, l’œil du lecteur est placé à la porte du jeune couple de La fa-

mille foulque. Ils observent le pêcheur. Ainsi, le lecteur est dans le regard de la maman

et son enfant. Par cet album, Le pêcheur et l’oie, le narrateur imagier montre ce que ces

personnages de La famille foulque voient de leur porte.

Champ

La famille foulque

p. 21

Contre-champ

Le pêcheur et

l’oie

p. 14-15

Page 185: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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Le lecteur retrouve ce contraste rythmique dans les deux styles de pêche animale

et humaine.

Entre ces deux instants illustrés, que s’est-il passé pendant ce vide narratif ?

(p. 18)

Pour le savoir, le lecteur retourne lire Le pêcheur et l’oie : le pêcheur s’est ins-

tallé et puis, il a attendu que le poisson veuille bien mordre à l’hameçon. C’est alors que,

déçu par ses prises, par deux fois il a rejeté le petit poisson à l’eau : (pages 9 et 11)

Une fois revenu à la page 18 de La famille foulque, le lecteur comprend le clin

d’œil complice du narrateur imagier. La foulque plonge pêcher le petit poisson rejeté à

l’eau par le pêcheur ! En fait, quand la foulque relève la tête sur la troisième vignette,

elle regarde le pêcheur et attend le petit poisson … qu’elle rattrape d’un petit plongeon

rapide et efficace. Quel jeu pour le lecteur aussi.

Ainsi, le lecteur découvre et savoure comment le narrateur imagier, d’une page à

l’autre, d’une illustration à l’autre, d’un album à l’autre le fait participer à la re-

construction des histoires qu’il raconte et qui s’entrecroisent. Le narrateur visuel et le

lecteur deviennent pleinement partenaires dans ce jeu littéraire, dans la mesure où ils

construisent ensemble le sens iconique inter-albums. Si l’on prend l’exemple de ces

deux albums qui se racontent l’un l’autre, le lecteur a donc perçu :

- Le même moment observé sous deux angles de vue différents : le pêcheur vu de dos

pages 14-15 dans Le pêcheur et l’oie et vu de face page 21 dans La famille foulque.

- Un moment décomposé peut être complété grâce à cette lecture parallèle de deux al-

bums complémentaires.

Dans ce même espace, les personnages des trois albums Le pêcheur et l’oie, La

famille foulque et La vieille dame et les souris vivent se côtoient et s’entraident. En effet,

Page 186: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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c’est le pêcheur et le jeune papa qui déménagent la vieille dame. Leur tenue vestimen-

taire permet de les reconnaître sans équivoque :

- le pêcheur porte le même pantalon avec la même ceinture basse, le même pull, la

même casquette et il a la même attitude vue de dos que lorsqu’il va à la pêche !

Un jour au travail / un jour à la pêche

- le jeune papa, quant à lui, porte les mêmes vêtements bleus que lorsqu’il croise les

souris dans la rue : (moment de connivence entre le narrateur imagier et le lecteur enfant

par ce « chut ! » des souris à l’adresse du petit enfant en poussette.)

Un jour à faire les courses / un jour à travailler

À la fin de La vieille dame et les souris, grâce à de grandes baies vitrées, le lec-

teur voit leur habitat collectif commun.

Le dernier plan large de La famille foulque, réparti sur la double-page 24-25 ras-

semble tous les protagonistes des autres albums de cette collection (le voyageur excepté,

car, comme tout voyageur, il doit être parti en voyage quelque part, ailleurs) autour

d’une table387

, dans la convivialité et la bonne humeur :

- le pêcheur (déménageur) lève son verre en direction de sa voisine de droite

- l’oie se promène avec son amoureux (la forme de leurs deux corps côte à côte dessine

d’ailleurs un cœur)

- les oiseaux de la gare picorent avec les foulques et les oies ; la famille foulque vient se

joindre à eux

387

« C’est quelque chose que j’ai connu et que je connais toujours, ces tables chargées de bonnes choses,

autour desquelles on s’installe un moment, on parle, on boit, on mange, on regarde un livre … » Anne

Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole 3/07, novembre 2007, pp. 2.

Page 187: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

187

- le jeune couple converse avec la vieille dame et son amie pendant que leur enfant joue

avec ses amis

- les souris participent discrètement à cette festivité. Elles sont toujours cachées derrière

les feuilles, dans le coin en bas à gauche de la page, comme sur la page 13 de La vieille

dame et les souris hormis le fait qu’elles sont trois ici. Dans cette même allée,

le lecteur reconnaît les oiseaux de la gare ! Elle ne doit pas être loin … C’est pour ça que

le pêcheur peut rentrer à pied à travers …

Dans la gare, en bas à gauche de l’illustration, il s’agit du

papa de La famille foulque avec son petit enfant, assis pour une pause goûter ou repas.

Ici, ils ne font que se croiser brièvement car, quand le voyageur arrive, le papa doit déjà

être installé depuis un petit moment mais son bébé refuse toujours de manger avec

« force, cris et larmes » … C’est ainsi que, dès la page 6, le papa cède et repart avec son

enfant calmé à son cou. Ce fut un instant bref mais sonore !

- La vieille dame et son amie viennent aussi prendre un thé à la terrasse du café de la

gare. Elles sont déjà installées quand le voyageur arrive et partent à la page 15, avant les

quatre pages de focalisation sur les oiseaux dans la panière à pain.

Dans le cadre de l’album

Le voyageur et les oiseaux La vieille dame et les souris

À la page 20, dans La vieille dame et les souris, le lecteur reconnaît sans aucun

doute, accroché au porte manteau derrière la porte, le manteau rose à col de « fourrure »

Page 188: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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marron et, posé sur l’étagère au dessus, le chapeau blanc que portent la vieille dame

dans Le voyageur et les oiseaux.

L’intra-iconicité génère l’intra-narrativité. Ces quatre albums sont une seule his-

toire dans laquelle des gens se croisent comme dans La terre tourne. Cependant, ici, les

autres espaces sont elliptiques, les personnages y entrent et en sortent, au gré de leur vie

et du temps qui passe. La terre est Un tout petit monde ! Où que l’on aille, « on se rever-

ra » …

Lecture descendante :

Le pêcheur va pêcher au bord de

l’étang des foulques (3)

Il rentre en passant par la gare et

croise le voyageur (2), la vieille

dame (4) et le papa (3)

Il fait le déménagement de la

vieille dame et habite en ville (4)

Il participe au pique-nique (3)

Les oiseaux vont au bord de

l’étang (3) et dans l’allée arborée

(4),

Le voyageur habite dans un ap-

partement en ville (4)

Il croise la vieille dame (4) et le

papa (3)

La famille foulque accueille les

souris, la vieille dame et son

amie pour le pique-nique (4) …

Le papa déménage la vieille

dame (4) …

1

Le pêcheur et l’oie

(au bord de l’étang)

2

Le voyageur et les oiseaux

(à la terrasse d’un café, dans la

gare)

3

La famille foulque

(autour, sur et au bord de

l’étang)

4

La vieille dame et les souris

(en ville)

Lecture ascendante :

Le voyageur croise le pêcheur

dans la gare (1)

… le pêcheur et l’oie (1), les

oiseaux (2),

… avec l’aide du pêcheur (1)

Le papa et son bébé font une

halte au bar de la gare (2)

La maman et son bébé observent

le pêcheur et l’oie (1)

La vieille dame est déménagée

par le pêcheur (1) et le papa (3),

elle amène les souris au bord de

l’étang (3), elle croise l’enfant

avec son papa (3), elle prend un

thé avec son amie au bar de la

gare (2), la ville héberge le pê-

cheur et l’oie (1), le voyageur (2)

Page 189: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

189

À la lecture du dernier album édité d’Anne Brouillard, De l’autre côté du lac, le

lecteur complice ressent une résonnance très forte avec ces quatre albums édités au

Seuil. Qui sont-ils donc ? Qui est Tante Nadège par rapport à la vieille dame et au pê-

cheur ? Comment se fait-il qu’ils aient le même panier ? À y regarder de plus près, le

lecteur comprend que Tante Nadège et la vieille dame ne font qu’une seule et même

personne388

. Jeune, elle habitait en Suède, au bord du lac. Âgée, elle habite en Belgique,

en ville. Encore une fois, Anne Brouillard confie qu’elle est « très attachée à ces lieux et

à ces personnages389

». Elle est aussi de double culture, suédoise par sa mère et belge

par son père. Anne Brouillard reste très attachée à ses doubles racines. Elle vit en Bel-

gique mais repart souvent en Suède. Les deux pays ne font qu’un en elle.

Au regard des pages 18 de l’album De l’autre côté du lac et 16 de La vieille

dame et les souris par exemple, le lecteur la reconnaît. Elle a le même visage, la même

expression, les même cheveux, la même attitude …

C’est la même mais, elle a pris quelques années et elle a déménagé entre temps.

C’est alors qu’intervient le rôle du pêcheur. Qui sont-ils l’un pour l’autre ? Sont-ils frère

et sœur ? En quel cas, ils ont déménagé en ville pour des raisons familiales et ou profes-

sionnelles. Ils habitent dans le même quartier, l’un près de l’autre. Sont-ils mari et

femme ? En quel cas, elle a déménagé pour vivre avec son mari. Les photos encadrées

dans la maison De l’autre côté du lac et dans l’appartement de la vieille dame ne per-

mettent pas de trancher. Ce peut être la famille, les parents comme le couple ?

Pour illustrer cette double rétrospection elliptique imagière :

- adulte, elle se souvient de son enfance dans ces mêmes lieux, d’une part et,

- âgée, elle retourne au bord du lac pour se souvenir et se ressourcer, d’autre part,

le lecteur peut évoquer la technique illustrative narrative utilisée par le narrateur imagier

dans Le chemin bleu. « Je voulais représenter le même espace sans ligne du temps,

comme quand on revient sur les lieux de son enfance et qu’on se revoit enfant … ».

388

« Je n’y avais pas pensé ! Que Tante Nadège soit la vieille dame… cette idée me plaît beaucoup … je

ne connais pas tout de mes personnages ! Cette idée donne une plus longue vie aux choses et aux gens. »

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 389

Extrait de la rencontre avec Anne Brouillard à Toulouse le 07/11/2010.

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190

Jeu de l’illustratrice pour exprimer en une seule

image une projection dans le temps. Entre les

deux femmes, il y aurait le lac … espace originel.

Ici, le lecteur voit la même personne, dans deux lieux différents, à deux époques

de sa vie et reconstruit mentalement cette même image simultanée. Du lac, on part en

ville pour revenir au lac. La boucle continue …

Ainsi, De l’autre côté du lac raconterait la vie de Nadège avant son départ pour

la ville. « Pourquoi a-t-elle déménagé de ce lieu idyllique ? Elle y était si bien ?390

»

Parce qu’elle a épousé le pêcheur, parce qu’elle y a trouvé un emploi … Ou bien, pour

d’autres raisons selon l’imagination du lecteur, en accord avec les résonnances ima-

gières.

Ainsi, sur les pas de la vieille dame, depuis la ville, sur les traces de Nadège, au-

tour du lac, le lecteur revient tout naturellement, dans le cadre de l’album de La terre

tourne.

Afin de permettre les résonnances entre ces personnages, les objets391

de leur vie

quotidienne sont des indices très importants.

B. Les objets : 392

Par ce schéma, Sophie Van der Linden montre les résonnances entre les quatre

albums édités au Seuil. Par ces effets de parallélisme et d’entrecroisements entre les

personnages et leurs objets récurrents, par les tableaux accrochés au mur, par ces réson-

nances visuelles, le lecteur « ressent » qui est Tante Nadège et revient dans le pays du

lac de La terre tourne.

À la fin de l’album La terre tourne, tous les protagonistes se retrouvent sur une

petite île sur le lac. Les nichoirs font partie du décor festif, tels des lampions annoncia-

390

Extrait de la conversation téléphonique du 31/01/2011. 391

« Je dessine les objets que je connais, c’est pour ça qu’ils vont revenir. » Extrait de l’entretien télé-

phonique du 31 janvier. 392

Hors cadre[s], n° 1, Sophie Van der Linden, p. 15.

Page 191: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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teurs d’une ambiance. Dans Mystère et De l’autre côté du lac, la récurrence des nichoirs

pose immédiatement ce lieu : le lac et cette ambiance de La terre tourne dès la première

page. Dès l’ouverture du livre, nous y sommes revenus. Le lecteur s’y sent déjà chez lui,

dans un univers familier et rassurant. Il y est bien. Il y a donc les nichoirs qui renvoient

à Mystère et la balançoire qui évoque celle de Il va neiger393

.

La terre tourne

À la fin

Mystère

Première

page

De l’autre

côté du lac

Première page

Il va neiger De l’autre côté du lac

Ces éléments matériels servent à planter le décor extérieur en éveillant les sou-

venirs visuels du lecteur. Les personnages sont dans la forêt suédoise, dans cette région

de bois et de lacs394

. De plus, le narrateur imagier utilise la même dichotomie chroma-

tique pour les balançoires que pour les enfants : le rouge et le bleu395

. Cet espace est

ludique, c’est le monde de l’enfance et, comme Anne Brouillard l’explique, pour le côté

technique, ces couleurs tranchent avec le décor végétal et boisé alentour.

À l’intérieur, plusieurs détails interpellent l’œil : Le buffet en bois avec les pho-

tos encadrées, l’abat jour sur pied, par exemple …

La mémoire visuelle du lecteur ne reste pas insensible à toutes ces images car, il

les a déjà vues quelque part. En effet, de plus en plus, le lecteur va rapprocher cet album

de La vieille dame et les souris.

393

« Pour Il va neiger, je me suis souvenue d’une promenade que j’avais faite dans une forêt en Suède :

une fin d’après-midi d’hiver, la neige s’était mise à tomber à l’arrivée de la nuit. (…) Ce changement

d’atmosphère tel que je l’avais ressenti que je devais essayer d’exprimer, cette curieuse impression qu’il

se passe des fois quelque chose de magique entre les choses et le temps. » Anne Brouillard pour Daniel

Fano in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles". 394

« La balançoire De l’autre côté du lac et celle de Il va neiger ne sont pas exactement au même endroit

en fait. Il y a beaucoup de lacs dans ce pays, la Suède. Dans De l’autre côté du lac, la plaine de jeux

« bleue » n’existe pas, il n’y a rien, si, des maisons, mais ça pourrait exister. Dans Il va neiger, c’est un

autre lac, un lac gelé, c’est la même forêt mais sur un territoire énorme en fait. Il y a réellement une

plaine de jeux avec des balançoires et des toboggans. En fait, c’est bien possible qu’elle soit bleue dans

la vraie réalité ou bien des deux couleurs ? Le rapprochement, c’est le même pays, la même région qui

est immense. Il faut voir sur une carte. » Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011. 395

« Ça existe les balançoires rouges … chez mes grands-parents ! Mon grand-père avait construit une

balançoire rouge pour nous. J’ai toujours associé la balançoire et le rouge. En Belgique, les plaines de

jeux sont peintes en rouge. J’en ai vu plus récemment des « bleu pétant ». À part le rouge et le bleu,

quelles couleurs existent ? Il n’y en a pas tellement en fait … Mes étagères aussi sont peintes en rouge et

bleu. Je me souviens, quand j’étais petite, mon grand-père suédois m’avait construit un petit mobilier

(table et chaise) peint en rouge et bleu. Je me souviens de cette association, bleu cobalt et ocre rouge.

Cette association vient de loin. » Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011.

Page 192: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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De l’autre côté du lac La vieille dame et les souris

Page 6 :

la nappe blanche, le

dossier de la chaise en

bois

Page 20 :

Page 7 :

dans la cuisine :

l’égouttoir et la vais-

selle

Page 17 :

Page 16 :

la théière

Page 19 :

Il en est un qui rappelle l’univers pictural de Mary Poppins. Comme elle invite

Bébert à pénétrer « tous les deux, dans le tableau396

» afin de changer d’univers, par une

mise en abyme, les cadres (tableaux peints ou photos) accrochés au mur de

l’appartement de la vieille dame, autorisent aussi ces bonds dans l’espace :

- Le cadre de la page 21 renvoie au saule pleureur de l’étang.

- Le cadre de la page 22 renvoie au héron cendré de l’étang ou à celui du lac.

La famille foulque La vieille dame et les souris De l’autre côté du lac

Il y a un objet qui occupe une place importante dans l’univers imagier de ces

cinq albums : le panier en osier. Si un fil permet de les raccrocher tous ensemble et de

donner une cohérence à toutes ces vies, c’est certainement lui. Il est l’objet idéal et

fonctionnel de toutes les situations :

- Le pêcheur s’en sert comme panier de pique-nique et comme panier de pêche

- La vieille dame l’utilise pour transporter les souris et pour faire ses courses

- Tante Nadège et Lucie le prennent pour transporter leur pique-nique

Quelles interprétations autorise-t-il ? Quels sont les liens entre ces personnages ?

396

Mary Poppins, Pamela Lyndon Travers, Le livre de poche jeunesse, 1980, p. 32.

Page 193: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

193

À la lecture des albums, le panier circule entre eux deux dans une logique spatio-

temporelle cohérente :

- Le pêcheur et l’oie : il a le panier ; (invisible dans les pages de l’album, elle est à la

gare avec son amie).

- Le voyageur et les oiseaux : elle ne l’a pas avec elle à la gare ; c’est toujours lui qui

rentre avec le panier.

- La famille foulque : il a le panier pour aller à la pêche. Puis, elle l’a avec elle pour

faire ses courses. Au pique-nique, ils sont présents tous les deux, il n’y a qu’un seul

panier !

- La vieille dame et les souris : elle a le panier pour transporter les souris et faire ses

courses.

À la lecture espace-temps de ces albums, la circulation du panier est possible.

Cependant, le lecteur ne peut pas trancher sur leur filiation. Même s’ils vivent séparé-

ment à la fin de l’album La vieille dame et les souris, l’ambiguïté est toujours présente.

Elle part en voyage seule certes mais, ils se retrouvent pour le pique-nique à la fin de La

famille foulque. Anne Brouillard avoue beaucoup s’amuser car, « il y a des choses im-

possibles dans la réalité mais dans la fiction, dans l’univers de l’album, les possibilités

sont infinies397

». En effet, dans l’univers de ces albums, le lecteur reconnaît aussi les

souris grises. Cependant, peuvent-elles vivre aussi longtemps ? Ont-elles suivies Na-

dège en ville ? « Non, ce sont leurs arrière-petites-filles !!! » Elle laisse donc une large

place à l’imagination du lecteur pour continuer à faire vivre ses personnages.

397

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard le 31/01/2011.

Page 194: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

194

C. Le temps (météo et qui passe : passé / présent / futur)

Schéma sur l’échelle du temps passé et présent avec justification météorologique :

Été

Automne

Hiver

un jour

du

prin-

temps

Pen-

dant

l’été

- Le temps qui passe

Comme pour l’espace, le narrateur imagier ménage des doubles-pages illustrées

à fond perdu pour illustrer le temps qui s’étire. Ainsi, quand le temps passe, le lecteur

prend le temps de la contemplation, sans stress.

- Le passage du jour et de la nuit

- Le passage des saisons

- La pêche (lente)

- L’appartement vide

- Dans la gare

Le narrateur imagier adapte la dimension de ses illustrations à l’étirement du

temps. Plus le temps est lent, long, plus l’illustration occupe tout l’espace de la double-

page. À contrario, plus le temps est bref, actif, plus les illustrations sont présentées sous

formes de « cadres » ou « vignettes » séquentielles.

Nous pouvons représenter le passage du temps au long de ces albums, sur les

traces de Nadège de la façon suivante :

Page 195: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

195

De l’autre côté du lac Le pêcheur

et l’oie

Le voya-

geur et les

oiseaux

La famille

foulque

La vieille dame et les

souris

Flash back

textuel :

Ellipse

temporelle

sur son

enfance et

sa jeu-

nesse : « il

y a long-

temps »

Elle vivait

ici. Elle est

déjà allée

de l’autre

côté du lac.

Rétrospec-

tion

imagière et

textuelle :

Maintenant,

adulte, elle

est ici avec

sa nièce

Lucie. En

vacances ?

Elle y vit ?

Elle se

rappelle ses

souvenirs et

elle retente

l’aventure.

Âgée :

Invisible

dans les

pages de cet

album. Pen-

dant ce

temps-là,

elle est à la

gare …

Âgée :

Elle prend

le thé avec

son amie.

Âgée :

Elle vit, fait

ses courses,

participe au

pique-nique

au bord de

l’étang.

Âgée :

Son

voyage :

ellipse

spatio-

temporelle.

Retourne

t’elle au lac

pour se

ressourcer ?

Environne-

ment vi-

suel :

Elle doit

déménager,

(encore) ?

Elle va

vivre dans

un apparte-

ment mo-

derne main-

tenant …

Flash back : de flash back : à maintenant :

Il y a longtemps jeunesse vieillesse et en ville

Enfance, jeunesse adulte retour elliptique au lac

Textuel image et texte visuel, imagier

D. L’espace, le cadre, l’ambiance

Entre Le pêcheur et l’oie et La vieille dame et les souris, il y a une zone géogra-

phique où des gens vivent au rythme du temps qui passe. Et dans cet espace, il y a une

gare … Ces quatre albums corroborent avec la réflexion d’Anne Brouillard disant que

« quand je réalise un album, mon art est au service des personnages auxquels je

m’attache puis, quand j’ai terminé une histoire, j’ai envie de les reprendre encore dans

un autre cadre398

». Le lecteur les retrouve donc dans cette collection de quatre albums

édités aux éditions du Seuil Jeunesse en 2006 et 2007.

Elle les rassemble tous dans La famille foulque, au bord de l’étang qui se trouve

certainement en bas de la ville en pleine mutation.

PARC DES ETANGS D'IXELLES

« Les étangs d'Ixelles offrent un cadre architectural et artistique unique. Situés entre les

avenues Général-de-Gaulle et des Éperons-d'Or, ils prolongent les jardins de l'abbaye de la

Cambre. À la pointe du premier étang, les façades néo-classiques avec leurs frontons trian-

gulaires marquent une transition originale entre la chaussée d'Ixelles et la zone résidentielle

des étangs. Côté étangs, changement de décor : les maisons des années 1870-1880, de style

398

Anne Brouillard, rencontre au salon du livre « vivons-livre » à Toulouse le 06/11/2010.

Page 196: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

196

éclectique en briques apparentes rouges, s'inscrivent dans l'ensemble voulu par Victor

Besme. On trouve aussi des maisons de style néo-renaissance flamande, art nouveau et art

déco, dont le représentant le plus connu est le bâtiment de l'Institut national de radiodiffu-

sion situé place Flagey399

».

« Au début du XXe siècle, le Bruxellois, très attaché à la maison individuelle, va progres-

sivement se laisser convaincre par la vie en appartement, du fait de l’avènement de la loi

sur la copropriété et des changements sociaux de l’époque. Cela entraînera de profondes

mutations dans la ville, l’architecture et les modes d’habiter. Le quartier offre un panorama

exceptionnel des plus belles réalisations de cette époque où se succèdent Art Nouveau, Art

Déco et Modernisme400

».

« C’est un lieu calme, plein de charme, l’occasion d’un peu de tranquillité à deux pas de

l’agitation urbaine. Les étangs sont aussi très prisés par les joggeurs. A la base, le territoire

d’Ixelles possède quatre étangs. Le grand étang a été partiellement asséché en 1860. Il cou-

vrait alors la place Flagey. Aujourd’hui, il représente l’étang inférieur. Les étangs Penne-

broeck et Ghévaert furent réunis pour former l’étang supérieur. Avec l’abbaye de la

Cambre, les étangs représentaient un des sites les plus attrayants de l’agglomération bruxel-

loise. Entre les deux étangs, on trouve le monument des Ixellois, morts au champ d’honneur.

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les étangs servaient de vivier, de lavoir, de réserve d’eau

alimentaire et de glace en hiver. Le plan du quartier conçu par Victor Besme impliqua le

remodèlement des étangs et de nombreuses expropriations qui effacèrent rapidement le

souvenir de l'ancien village champêtre. La bourgeoisie de l’époque investit rapidement les

abords des étangs et les nouvelles rues avoisinantes en y faisant construire de nombreuses

maisons de maître de style éclectique, art nouveau et art déco qui constituent aujourd’hui un

important patrimoine. Aujourd’hui, avoir un appartement avec vue sur les étangs demande

d’y mettre le prix. Le quartier autour des étangs est resté aisé et prisé par les classes supé-

rieurs, dont depuis peu les fonctionnaires européens. Le site fut classé en 1976401

».

« Il y a toujours plein

de grues dans

Bruxelles. C’est im-

pressionnant comme la

ville change tout le

temps. »

Le temps passe mais l’espace reste « naturel » autour de cet étang où les person-

nages peuvent se retrouver tandis que la ville change d’apparence. Mais la gare, où est-

elle ? Et le voyageur ? Il est parti vers d’autres lieux ? Rencontrer d’autres personnes

399

Source : http://www.opt.be/informations/attractions_touristiques_ixelles__parc_des_etangs_d_ixelles/f

r/V/17539.html 400

Source : http://www.arau.org/vg_etang.php 401

Source : http://www.cityzeum.com/les-etangs-d-ixelles

Page 197: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

197

que l’on ne connaît pas ? Comme les gens que l’on croise dans La terre tourne, Voyage

Un plan d’ensemble nous permet d’essayer de la situer dans l’espace (d’après les

allers et venues des uns et des autres aussi) :

Comme le précise Anne Brouillard, le modèle de gare qui l’a inspiré est parisien

et les trains sont plutôt des modèles tels qu’on en trouve en France. Par contre, le mo-

dèle de ville qui l’a inspiré pour les trois autres albums est Bruxelles et le quartier où

elle habitait et se baladait à ce moment-là.

Alors, où se trouve la gare dans l’espace de cette histoire répartie sur ces quatre

albums ? « Avec cette question, le lecteur tape en plein dans le mille !402

» avoue-t-elle

dans un grand rire complice …

En fait, le lecteur ne doit pas confondre l’espace mimétique, très fort chez Anne

Brouillard, dans la mesure où elle trouve son inspiration dans les choses vues, vécues ou

ressenties dans sa vie réelle, et l’espace représenté dans le cadre de l’histoire réunie

dans ces quatre albums par le narrateur imagier.

Entre ces quatre albums et De l’autre côté du lac, édité aux éditions Le Sorbier

en 2011, il y a une autre zone géographique. Le lecteur voyage depuis Bruxelles, en

Belgique à Dalskog, en Suède. L’un est son pays paternel, l’autre est son pays maternel.

Elle est née et vit dans l’un, elle part en vacances et se ressourcer dans l’autre. Les deux

sont « son » pays. Elle y est chez elle et elle y est bien.

402

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010.

Page 198: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

198

VII. Les liens et les résonnances avec La terre

tourne : l’espace, le cadre, l’ambiance

Pas de doute, l’histoire se déroule bien dans ce même cadre suédois que La terre

tourne. Le lecteur le reconnaît bien maintenant. Dès la première double-page, le lecteur

retrouve l’atmosphère arborée de Il va neiger et les bouleaux blancs avec les nichoirs

verts accrochés en hauteur de Mystère. La fin de l’album ménage même une surprise !

Le toboggan et la balançoire sont les mêmes que ceux qui se trouvent, pareillement, à

l’orée du bois, au bord du lac, dans l’album Il va neiger, mais, la couleur est différente.

Le narrateur imagier a utilisé la même dichotomie qu’il utilise pour signifier les vête-

ments des enfants, le rouge et le bleu. Ces deux couleurs semblent n’en faire qu’une

seule et unique : celle de l’enfance et des jeux pour le narrateur imagier.

Dans La terre tourne, le lac occupe deux illustrations seulement. Dans De

l’autre côté du lac, il est omniprésent, il occupe toutes les dimensions spatiales : devant,

autour, entre, derrière, à côté … Cependant, comme le précise Anne Brouillard,

« l’ambiance est la même ».

Le lac sous la lune403

Le lac le soir

La terre

tourne

Page 9

La terre

tourne

Pages

22-23

De l’autre

côté du lac

Pages

14-15

De l’autre

côté du lac

Pages

12-13

Quand il pleut, même si l’environnement n’est pas exactement le même (l’étang

ou le lac), le lecteur reconnaît la technique du narrateur imagier. En effet, comme

l’avoue Anne Brouillard, entre l’année d’édition de l’album La terre tourne, en 1997 et

403

« La lune fait luire la nuit. » Thomas Vinau, Tenir tête à l’orage, éditions N&B, Poésie, Tournefeuille,

2010, p. 11.

Page 199: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

199

les années d’édition de ces albums (2006-2011), sa technique a évolué. Ainsi, il est tout

naturel pour le lecteur de retrouver l’atmosphère pluvieuse404

, peinte à l’encre diluée :

De l’autre côté du lac

Page 11

La famille foulque

Pages 20-21

Le pêcheur et l’oie

Pages 14-15

Dans ces albums, les techniques et la mise en page sont au service de l’histoire

et de son espace narratif. Les illustrations doubles-pages occupent plus de place dans la

page, elles illustrent donc un espace plus large dans lequel le lecteur et les personnages

évoluent sans « contraintes » spatiales. L’espace continue en dehors du cadre de la page.

Ce qui laisse une grande liberté imaginative au lecteur.

Le lecteur peut se déplacer d’un espace à l’autre en tournant les pages de

l’album ou en naviguant d’un album à l’autre. Pour ce faire, il doit être sensible à tous

ces indices visuels que le narrateur parsème sur son chemin405

.

Avec ce dernier album édité, Anne Brouillard revient à l’ambiance de son pays

maternel. C’est « le lac en Suède, le même que pour La terre tourne. Ce fameux lac

Teåkersjön dans la commune à Dalskog406

». Elle avoue y revenir souvent, dans la vie

mais aussi, qu’elle y reviendra pour l’album qu’elle appelle « le livre de ma vie, avec

tous les personnages de La terre tourne mais ce n’est pas celui là … Les animaux et les

êtres humains sont sur un même pied d’égalité, ils ont même la même taille … Ici, ils

sont remis dans un contexte plus réel407

». Il s’agit certainement d’une étape transitoire

et nécessaire dans son cheminement créatif. « J’y ai pris énormément de plaisir408

».

Dans l’album La terre tourne, les personnages vont par couple humain/animal.

D’ailleurs, le lecteur retrouve ces mêmes paires dans d’autres univers imagiers d’Anne

Brouillard. Dans ces cinq albums aussi, cette symbiose est illustrée. Les animaux et les

humains vivent ensemble et s’adaptent l’un à l’autre.

- Un animal sauvage comme une oie mime les comportements humains,

404

« La pluie donne sa couleur aux choses. » Thomas Vinau, Tenir tête à l’orage, op. cit., p. 26. 405

« L’auteur lui-même relie ce qu’il écrit aux passages de l’existence, de la sienne, de celle de tous les

Hommes. (…) Le lecteur avance. Et le chemin parcourt. Et la nuit s’éclaire de tant d’étoiles. » Daniel

Leduc, Le livre de l’ensoleillement, éditions N&B, Aubenas, 2003, p. 62. 406

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 407

Ibidem. 408

Ibidem.

Page 200: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

200

- Des oiseaux s’enhardissent à manger le pain à table,

- Le lecteur découvre parallèlement comment les préparatifs prénataux sont similaires

dans les deux familles,

- Les souris déménagent pour les mêmes raisons que les humains,

- Tous les animaux, amis ou ennemis partagent ensemble la vie des êtres humains au-

tour du lac.

Dans l’univers d’Anne Brouillard, l’animal et l’homme sont plus que compa-

gnons, plus que partenaires, ils sont en harmonie et précieux l’un pour l’autre. Chacun

prend soin de l’autre et se respecte. Son style « flou » rend parfaitement bien cette am-

biance. Les contours des personnages ne sont pas nets, leurs formes et leurs expressions

deviennent mouvantes. Ainsi, même dans le dessin, il n’y a pas de limites entre eux. La

peinture ou l’encre sont diluées sur la surface du papier et la différence s’estompe entre

les deux mondes, humain et animal. La technique et la matière artistiques permettent ce

rapprochement tout en douceur, tout naturellement. Les attitudes sont suffisamment

évocatrices, les clins d’œil humoristiques et le talent d’Anne Brouillard présentent ce

message avec légèreté et sensibilité par l’équilibre de ses albums.

Mais aussi, avec cet album, Anne Brouillard revient à l’éditeur de La terre

tourne, Le Sorbier, celui-là même qui a accueilli son premier album, Trois chats409

. Le

lecteur remercie ces éditrices. Marie David est devenue une amie d’Anne Brouillard et

Régine Lilensten nous confie les raisons de leur choix en ces termes :

« J’ai choisi de l’éditer tout simplement parce que j’ai beaucoup apprécié à la fois la force

de ses illustrations, et la poésie et la sensibilité qui se dégagent des thèmes qu’elle aborde

-Le partenariat se déroulait, de la meilleure façon possible, et j’ai accepté avec joie les

projets, même aboutis, qu’elle me proposait à publier.

-Anne Brouillard me semble avoir une sensibilité poétique qui m’émeut “ me parle”, et

adoucit la vigueur de sa palette vigoureuse. Elle n’a pas peur des couleurs, des “noirs”,

c’est vraiment une artiste coloriste presque plus qu’une illustratrice.

-Son inspiration me semble venir d’une appartenance nordique, cela se voit dans les forêts

qu’elle dépeint, des lumières, ce sont en fait des toiles...410

».

Cet album est un retour aux sources éditoriales, un retour à ses origines et un re-

tour à l’ambiance de La terre tourne. Si Anne Brouillard y prend énormément de plaisir

son lecteur l’accompagne et savoure ce superbe cheminement.

409

« Marie Wabbes m’a donné deux adresses : Duculot et Dessain avec Marie David (ma première édi-

trice) et Régine Lilensten, co-éditrice avec Le sorbier de l’époque. » Ibidem. 410

Extrait de l’échange par e-mail du 14/11/2010.

Page 201: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

201

CONCLUSION

Dire qu’une artiste crée son œuvre avec ce qu’elle est s’apparente à une tautolo-

gie. Cependant, l’exprimer avec talent n’est pas si fréquent. Anne Brouillard est une

artiste qui a du talent. À partir de ses souvenirs, son vécu, ses rêves … elle crée de ma-

gnifiques albums avec ce rythme « résonnant » et « en boucle » qui la caractérise. Elle

part d’anecdotes vues, entendues … elle s’imprègne de toutes sortes de sensations puis,

son imagination lui inspire des histoires qu’elle met en albums (images et/ou textes).

Elle aime travailler dans le calme et sans stress, de préférence la journée, à la

lumière naturelle, avec ou sans musique selon son humeur mais plutôt la fenêtre ouverte

pour entendre la nature qui vit et bruisse autour d’elle411

. Anne Brouillard aime la nature,

les animaux, les gens, la vie … Dans sa famille, tout le monde peint. Elle dessine depuis

sa plus tendre enfance. C’est naturel pour elle. L’album est donc un moyen d’expression

parfait pour elle412

. Comme dans La terre tourne, elle peut s’y exprimer « presque »

sans contraintes si ce n’est le format de la double-page du livre. Pour être au plus près

de l’équilibre de ce support, elle travaille d’ailleurs au format. Elle exploite cet espace

narratif dans l’harmonie et l’équilibre.

Elle maîtrise parfaitement plusieurs techniques qu’elle met au service de ses al-

bums. À chacun son style et ses couleurs pour faire ressortir son ambiance. Ses person-

nages s’adaptent au décor et à l’atmosphère des albums « comme nous changeons de

vêtements selon les circonstances et les saisons. » Elle passe beaucoup de temps à cons-

truire l’univers de ses albums.

411

« Vous travaillez plutôt en musique ou en silence ?

Souvent en musique, radio « classic », Clara, une radio flamande. J’ai besoin de silence aussi. Souvent,

juste ouvrir la fenêtre et entendre les bruits du dehors, j’ai une ménagerie et des jardins sous ma fenêtre :

mouettes, moi, poules, coq, oiseaux …

C’est une question de concentration et de changement, parfois, j’éteins la radio… » Extrait de l’entretien

du 07/11/2010. 412

Anne Brouillard dit faire des albums « aussi » pour les enfants mais pas « pour » les enfants. Elle

avoue faire des albums « aussi » parce que les enfants les comprennent, différemment des adultes. Ibidem.

Dans son article Enfantin ! dans la revue Hors cadres[s] n° 6, Yann Fastier avance qu’ « ainsi, tout album

serait non pas un livre pour enfants, mais un « livre d’enfance ». En chaque album, (…) circulerait une

sorte d’ « esprit d’enfance » délié de toute notion d’âge. », p. 20.

Page 202: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

202

La terre tourne propose au lecteur un « panel » de mise en page illustrative :

- Images uniques

- Style « flou » et cadres « ouverts » ou « à bords perdus »

- Images séquentielles

- Illustrations de pleine page à fond perdu

Et une mise en texte personnelle.

Ses albums s’adressent à un public très large. Anne Brouillard raconte comment

elle a vu un petit enfant dévorer La terre tourne, au sens plein du terme. « Il en arrachait

même les pages tellement il était plongé dans sa lecture, avide de découvrir ce qu’il y

avait derrière l’image et à la tourne de page413

». Il est tout à fait vrai qu’une fois que les

jeunes lecteurs ont découvert une résonnance, une répétition (personnage, motif, objet,

couleur, mot …), ils se précipitent sur les livres pour vérifier, comparer, retrouver en-

core ailleurs et finalement, jubiler de leur découverte qu’ils font partager. Cet élan est

communicatif. Bruno Munari disait qu’ « une fois qu’un enfant a découvert qu’un livre

lui réserve toujours une surprise dans ses pages, il a envie de lire414

» et « il en retire un

grand avantage dans la vie », comme l’affirme aussi Daniel Pennac415

. À travers ses

œuvres, Anne Brouillard leur offre cet élan littéraire. Si certaines résonnances sont évi-

dentes, d’autres nécessitent néanmoins une lecture plus fine. Les lecteurs plus âgés y

sont sensibles. Anne Brouillard sait les interpeller. Ainsi, chacun doté de son bagage

culturel et littéraire crée ces liens intra et inter résonnants. Chaque lecteur parcourt sa

bibliothèque mentale et chaque découverte l’engage dans un cheminement « de re-

cherche » et de « recréation ». Tous savourent aussi son talent pictural. Anne Brouillard

est une artiste qui donne vie aux couleurs et aux mots, « … et voilà que la vie s’éclaire

de ce qu’on écrit d’elle416

».

Pour apprécier son œuvre, chacun doit partir à sa découverte. Selon ses dires,

elle a « bien trouvé sa voie » car l’album pour la jeunesse offre des possibilités infinies

à cette artiste. En retour, elle invite son lecteur à les partager. Elle le « prend par la main,

le guide dans l’espace et le temps, le laisse se faire son propre cinéma. Elle est de ces

artistes qui rendent libres ceux qui ont le bonheur de la rencontrer417

». Pour y parvenir,

413

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 414

Source : http://www.arpla.fr/canal2/figureblog/?m=201010 415

Comme un roman, éditions Gallimard, collection Folio, 1995. 416

Pierre Lepape in http://www.evene.fr/celebre/biographie/pierre-lepape 417

Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62.

Page 203: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

203

un album, une lecture ne suffisent pas. À partir de cet exemple, à partir de La terre

tourne, nous voulions montrer combien il est important de lire son œuvre dans son en-

semble car un album éclaire les autres comme les autres résonnent dans un album. Par

son style en boucle, le lecteur ressent combien l’unique fait partie du tout et comment le

tout englobe chaque partie. L’équilibre de son œuvre se construit dans l’unicité et dans

la globalité.

Le dernier mot de son carnet de La terre tourne est « émotion ». D’après le dic-

tionnaire Le Littré, une émotion est un « mouvement moral qui trouble et agite, et qui se

produit sous l'empire d'une idée, d'un spectacle, d'une contradiction, et quelquefois

spontanément » ou un « mouvement qui se passe dans une population ». Ainsi, partant

d’une émotion ressentie par Anne Brouillard (individuelle), l’album est le médium par

lequel elle transmet cette émotion au lecteur (collective). Ce substantif peut tout aussi

bien clore notre « carnet » aussi.

Ce mémoire de Master 2 Professionnel Littérature pour la Jeunesse a la modeste

intention de l’avoir démontré grâce aux résonnances à partir de La terre tourne. Ce tra-

vail d’étude et de recherche est à poursuivre dans une thèse de doctorat que nous envi-

sageons avec l’accord de nos directrices de recherche, Mme Segura-Balladur et Mme

Audureau ainsi qu’Anne Brouillard, bien évidemment.

Page 204: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

204

BIBLIOGRAPHIE DÉTAILLÉE

D’ANNE BROUILLARD

1) 1990 : Trois chats, aux Éditions Dessain et Tolra Ŕ Liège et Du Sorbier Ŕ Paris (qui

le rééditent en 2008)

Mention au Prix des critiques de la Communauté française en 1991, Mention au Prix

Versele 1991, Sélection Petite Fureur 2009

- Format418

: rectangle419

haut (22 X 28 cm), illustré en couleurs, sans texte, 28 pages.

- En France, cet album a été édité puis réédité par la même maison d’édition, Le Sor-

bier (comme La terre tourne). La première de couverture de l’édition de 1990 présente

un titre décalé en bas à droite, juste au dessus des vagues et en dessous des queues des

chats. Le nom de l’auteure-illustratrice, en haut à gauche, est écrit avec la même typo-

graphie420

et dans la même couleur jaune (couleur des yeux du premier chat). Le titre est

en lettres majuscule et le nom est en minuscule. La couleur jaune évoque au lecteur le

soleil (invisible) dans ce ciel bleu éclatant et résonne avec le crayonné jaune sur la

vague blanche. La version américaine reprend la même couverture mais la couleur des

polices est dans les tons jaune orangé, couleur plus douce que le jaune. L’effet est moins

vif à l’œil. Pour la réédition de 2008, le titre a été centré, les traits des lettres sont plus

épais421

, la typographie est plus ronde et le jaune est plus vif. Le titre saute aux yeux. Le

jaune tranche sur le bleu. La forme du « T » évoque la queue enroulée du chat. Le nom

est écrit en dessous, en blanc (couleur des vagues). L’association entre le titre de

418

« Le format peut, quant à lui, fortement déterminer l’expression et chaque dimension recèle ses

propres puissances ou impuissances. » Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants,

l’analyse des livres d’images, N° 214, décembre 2003, p. 60. 419

« Le format de base est et reste rectangulaire. » Michel Defourny, in L’enfance à travers le patrimoine

écrit, colloque Annecy, 18. 19 septembre 2001, p. 76. 420

« La typographie : emploi de caractères spécifiques, ou au contraire variés, ou encore gradués ; mise

en valeur de leurs qualités esthétiques ; composition et mise en pages conçues pour favoriser la compré-

hension et la mémorisation des textes. » Annie Lallement-Renonciat, in Littérature de jeunesse, incer-

taines frontières, textes réunis et présentés par Isabelle Nières-Chevrel, colloque de Cerisy, Gallimard

jeunesse, 2005, p. 69.

« La typographie véhicule le sens du texte. » C. Segura-Balladur et E. Audureau, op. cit., p. 32. 421

« L’emploi de gros caractères dans les livres destinés aux plus jeunes constitue un autre témoignage de

l’adaptation précoce de la typographie à l’enfant. » Ibidem., p. 73.

Page 205: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

205

l’album, le nom de l’artiste et de la maison d’édition est plus évident car ils sont regrou-

pés dans le tiers de bas de page, sous les chats.

Dédicacé à Marie Wabbes :

« J’étais étudiante en 2ème

ou 3ème

année en illustration et j’étais très intéressée par le des-

sin animé, je suis allée au festival de Bruxelles. J’ai rencontré Marie Wabbes car elle avait

des livres adaptés en cinéma d’animation, je lui ai montré mon travail. Elle a été super

gentille et m’a donné des conseils d’une préciosité sans égal, très précieux. Elle a été mon

prof en 5 minutes … Elle m’a donné sa carte et m’a dit de l’appeler … J’ai fait les 3 chats

après, si j’ai pu les faire comme je l’ai fait c’est grâce à ses conseils. Après mes études,

j’avais sa carte de visite, je lui ai téléphoné, viens … ! Elle m’a reçu avec tant de chaleur et

de générosité … viens avec les 3 chats

Elle m’a donné deux adresses : Duculot ed. en Belgique : Duculot a dit non !et Dessain :

avec Marie David, ma première éditrice, devenue une amie depuis en co-éditeur, avec le

sorbier de l’époque, Régine Lilensten

Parce que c’est grâce à elle que j’ai pu réaliser ce livre. C’est une reconnaissance justi-

fiée422

».

- L’histoire :

« Commençons par les trois chats, le premier album : chats en noir et blanc. L’histoire est

née de quelque chose de vue en vrai, point de départ, quelque chose de vu, vécu, le réel, le

vrai. Autre chose pour en faire une histoire ! L’intérêt : l’absurdité de la situation, le choc

de ce chat perché très haut sur une branche. Pour le faire ressortir dans le livre : le chat

est multiplié par trois. Première version avec des canards, ils volent réellement mais moins

absurde. Alors que l’histoire propose quelque chose d’inattendu et je joue la dessus. Les

couleurs : poissons rouges, contraste avec le bleu dominant du livre, d’ordre graphique.

Juste l’eau bleue, les poissons rouges et 3 chats. Est-ce un lac, la mer ???C’est voulu de ne

pas pouvoir identifier un lieu précis423

».

- Des pistes de travail pour la classe :

Lecture par hypothèses-anticipation sur la suite de l’histoire : Travail sur le langage : les

verbes d’action … À l’école maternelle : les élèves de moyenne section ne sont pas

étonnés ; par contre, les élèves de CP expriment bien le fait que les chats n’aiment pas

l’eau et que les poissons vont mourir hors de l’eau. Lecture des expressions ou mi-

miques : envie, peur, inquiétude, étonnement … sur les têtes des chats et des poissons

« Un récit en images : Faire deux lectures successives424

».

2) 1992 : Petites Histoires, aux Éditions Dessain et Tolra, Syros Jeunesse (qui le réédi-

tent en deux volumes en 1999)

Prix des critiques de la Communauté française 1993, Mention au Prix international du

livre ŖEspace-Enfantsŗ de l’Institut universitaire Kurt Böch et de la Fondation ŖEspace-

Enfantsŗ de Genève, 1994

422

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse. 423

Ibidem. 424

Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture impliquée, in Activités De

Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 44-47.

Page 206: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

206

« Syros : petites histoires 3 histoires dans le même album mais 4 au départ. Ils en avaient

mis 1 de côté. Pour la réédition, ils ont récupéré la 4ème

et en ont fait deux livres : 2 his-

toires dans chaque livre : Petites histoires simples / étranges425

».

- Format : petit carré426

(20 X 20 cm), illustré en couleurs, sans texte, 60 pages.

- Pour l’édition de 1992, la première de couverture reprend l’illustration de la page 32 à

fond perdu. Le titre utilise une écriture script (bâton) très appuyée, les traits sont épais.

Il est centré, au milieu de la pluie qui tombe drue. Afin de mieux ressortir, il est en bi-

chromie : rouge pour « petites » et noir pour « histoires ». Le rouge est celui des para-

pluies qui tranchent sur les couleurs de la mer houleuse. Discrètement, en dessous, le

nom de l’artiste, en blanc. (Est-ce le fait qu’elle ne soit pas encore très connue ? Son

nom est discret … pour ensuite prendre plus de place et de couleurs sur les couvertures

de ses albums.) L’édition américaine reprend la même illustration de couverture, par

contre, au centre, le nom de l’artiste est en noir et en dessous, le titre s’allonge sur toute

la « largeur » en rouge. Une artiste européenne est un gage d’exotisme outre-Atlantique,

son nom est mis en valeur avec le titre de son œuvre.

Pour les rééditions, en deux volumes, en 1999, Anne Brouillard est écrit en haut, au

centre de la page, en noir. La même couleur reprise pour le titre. Le lecteur associe vi-

suellement et en couleur, l’auteure et l’œuvre. Les deux adjectifs qualificatifs qui per-

mettent de distinguer les deux volumes « étranges » et « simples » sont écrits en majus-

cules, dans une police plus grande et plus originale427

, en rouge. Ces deux mots sem-

blent flotter sur l’illustration, l’un sur la mer ou dans le ciel gris vert ; l’autre sur la

neige ou dans le ciel gris rosé. Cet effet « mouvant » les rend vivants et les fait ressortir.

En dessous, ils reprennent une illustration de l’album. Temps de chien, pour « étranges »

et Des hauts et des bas, pour « simples ». Quoi de plus étrange pour un chien que de

faire du bateau-parapluie sur l’eau ! Quoi de plus simple pour un pingouin que de faire

de la luge avec des amis !

Dans Temps de chien, le lecteur s’amuse à tourner et retourner le livre. Le ciel devient la

terre et réciproquement. L’œil s’exerce à remettre les chiens « à l’endroit » … sont-ils

toujours les mêmes ? Leurs attitudes et les parapluies rouges mettent sur la piste.

425

Propos recueillis auprès d’Anne Brouillard par téléphone le 27/10/2010. 426

« Au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle (le XXème

), le format carré est devenu de plus en

plus fréquent. » Michel Defourny, in colloque Annecy, op. cit., p. 81. 427

« Les démarches des graveurs et des illustrateurs vouées à la révélation des beautés, des curiosités et

des magies de la lettre, envisagée dans sa dimension visuelle et non plus dans ses fonctions linguis-

tiques. » A. Lallement-Renonciat, Littérature de jeunesse, incertaines frontières, op. cit., p. 79.

Page 207: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

207

3) 1992 : Le sourire du loup, aux Éditions Dessain et Tolra Ŕ Liège et Épigones, col-

lection « La langue au chat » ; réédité en 2007 par les Éditions Il était deux fois

Mention d’honneur au Prix graphique section enfance de la Foire de Bologne 1993 et

Pomme d’or de la Biennale de Bratislava, 1993

- Format : rectangle haut (20,5 X 27 cm), illustré en couleurs, sans texte, 28 pages.

- En 1992, la maison d’édition belge et la française ont utilisé la même illustration

(même fond, décor, forêt, ombres, loup …). Cette image se trouve (elliptiquement)

avant la page 10 de l’album, quand le loup entre par la gauche et apparaît « en entier »

dans la forêt. Pour l’édition belge, l’écriture (titre et nom) est en lettres bâton, épaisse,

l’éditeur en cursif, rouge « sang » vif, centrée. Le titre ressort par sa typographie et sa

couleur sur la forêt par l’effet aussi du rouge sur le noir et blanc. Ce sont les trois cou-

leurs de l’album et les trois couleurs du loup. Le rouge évoque le ciel et la langue du

loup, il est lumineux et inquiétant. Pour l’édition française, un long cadre rectangle

casse le rythme de la couverture et cache un morceau de forêt. Le fond est blanc comme

la lumière sur les troncs d’arbres. L’écriture est cursive et légèrement « tremblotante ».

Est-ce la peur du loup qui fait cet effet sur les caractères ? La couverture n’utilise que

les deux couleurs, noir et blanc. Lors de l’ouverture de l’album, le rouge sera d’autant

plus expressif et « violent ». Cette couverture veut-elle ménager cet effet de surprise ?

Pour sa réédition en 2007, la maison d’édition Il était deux fois présente une couverture

moins angoissante. La forêt et le loup sont contenus dans un cadre, ils ne débordent plus

du format du livre. Le loup semble comme « pris en photo » il ne risque pas de sauter de

la page. Par cet effet encadré, le loup ressort davantage, il est mieux identifié par l’œil.

L’écriture est blanche et la typographie est arrondie pour écrire le mot « loup ». Il n’a

pas l’air méchant … La petite touche de couleur est jaune, du fait du logo de la maison

d’édition. Le fond de la page est gris428

. Ce livre « cadre » est structuré et présente un

aspect moins « enfantin » que les premières éditions.

En 1993, cet album est couronné au salon de Bologne (Mention d’honneur au

Prix graphique section enfance de la Foire de Bologne) et obtient ensuite le prix de la

Pomme d’Or à la biennale de Bratislava. Enfin en 1994 il obtient le prix Maeterlink429

.

428

D’après les recherches et l’enseignement de Johannes Itten, pour obtenir en peinture « les rapports

d’harmonie (…) des couleurs placées l’une en face de l’autre doivent donc être complémentaires et don-

ner du gris par leur mélange. » In L’art de la couleur, op. cit., p. 23. 429

Source : www.ricochet-jeunes.org/

Page 208: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

208

Pour ma réédition, j’ai décidé de modifier le plat I dans un souci de visibilité/identification

(pour ma maison d’édition) et pour des questions juridiques. J’aime le côté inquiétant de

l’illustration et le titre, dont on ne comprend pas vraiment le sens, au premier abord.

J’ai choisi de rééditer cet album car il est beau, avant toute chose. Contrairement aux

autres livres, c’est un album pour lequel on est obligés de commencer par le début, si l’on

veut comprendre « l’histoire » (effet de zoom) – et non pas le feuilleter en partant de la fin.

Cela me semble important de montrer aux enfants le sens de lecture d’un livre. Et puis, sur-

tout, c’est un album sans texte : les enfants peuvent inlassablement se raconter une histoire

différente, dès qu’ils le lisent. Certains jouent à se faire peur, ils racontent : « Hou, c’est le

loup, il va peut-être me manger… » Et puis : « il tire sa langue, sa grosse langue… », et en-

fin : « Ah non, il n’a pas mangé de petits enfants, il rentre chez lui. Allez on recommence

l’histoire ? ».

Avec Anne, nous avons échangé deux coups de fil, peut-être, parce qu’au départ, elle ne

souhaitait pas voir ce livre réédité. Anne considérait que s’il était indisponible, c’est qu’il

devait en être ainsi, et elle ne tenait pas à ce que ses livres soient réhabilités. Nous avons

donc discuté de l’intérêt de donner une seconde vie aux livres en général. Pour ma part,

j’arguais que les éditeurs ne faisaient pas tous, ou ne pouvaient pas, faire un travail de

fond, et qu’il était important de voir réhabiliter les « pépites » de la littérature pour la jeu-

nesse.

Et puis tout est allé très vite car Anne partait en voyage. Un jour, par la Poste, je reçois un

imposant colis : c’étaient les originaux ! avec un mot me disant d’en faire un beau livre. Il

manquait deux ou trois illustrations, que je suis allée chercher à Paris dans une galerie

d’art.

Étant donné qu’il s’agissait d’une réédition, je me suis conformée au travail déjà effectué

par Épigones. La mise en pages est toute simple : nous avons réduit le format des illustra-

tions pleine page à 50%, dans un format à la française.

Le format est celui de ma collection d’albums à la française : 20 x 26 cm. Le papier est un

couché brillant, 135 g. C’était important d’avoir un papier suffisamment épais pour qu’il

n’y ait pas de transparence, étant donné les couleurs employées. Ce livre comporte 28

pages (dont 4 pages pour les gardes). Je me suis rendue à l’impression car le travail des

couleurs était important et décisif : le noir des montagnes est en fait un savant dosage des 4

couleurs primaires, et non un simple noir qui aurait rendu le tout trop froid.

Pour moi, l’album majeur d’Anne Brouillard serait Trois chats, qui est l’album le plus sou-

vent cité par les professionnels du livre, quand on leur demande un livre d’Anne. Ce livre

est lumineux, drôle, et plein de mouvements. Il parle aux enfants. C’est un album sans

texte… Toutes les qualités nécessaires d’un bon livre !430

».

4) 1992 : La grande vague, Dessain et Tolra

- Format : rectangle haut (24,8 X 34,8 cm), illustré en couleurs, sans texte, 22 pages.

Dédicacé à Bénédicte, « ma petite sœur ».

« La grande vague (réédition pour la France chez Grandir en 2003), en 1992, en Belgique

uniquement. J’ai dû refaire la couverture car je ne retrouvais plus l’original ! Le format

aussi est différent, il est réduit chez Grandir. Les pages de garde431

sont faites au fusain

pour l’édition belge. Le nombre de pages était incorrect, j’avais donc trop de pages

blanches, donc j’ai fait une première page de garde (couverture) : image de la mer au fu-

sain en Noir et Blanc. Puis, à gauche une image de la mer et à droite une forêt nue avec

juste des arbres. Puis, page de dédicace et page de titre. Les deux pages de garde (mer / fo-

rêt) reviennent à la fin mais inversées de gauche à droite pour terminer par la mer432

».

430

Propos recueillis auprès d’Adélaïde Veegaert le 03/11/2010 par e-mail. 431

« La couverture ou les pages de garde ont une fonction matérielle précise et comportent des messages

paratextuels. » Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants, N° 214, op. cit., p. 61. 432

Extrait de l’entretien téléphonique du 15/11/2010 pour mettre au point l’ordre bibliographique.

Page 209: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

209

Deuxième de

couverture

Première page

de garde

Deuxième page

de garde

Troisième page

de garde

Quatrième page

de garde

Cinquième page

de garde

Sixième page de

garde

Troisième de

couverture

1994 : 4 albums travaillés en parallèle. Cette année là, la maison d’édition belge a fermé, j’avais déjà ces

deux projets bien avancés (Voyage, Il va neiger) avec ma première éditrice. Grandir et Syros étaient déjà

des contacts pressentis pour des projets de coéditons. Finalement Voyage, projet déjà travaillé avec ma

première éditrice et prévu en coédition avec un éditeur américain aussi. Pour Il va neiger, c’est pareil,

quand j’ai rencontré Syros à Bologne et qu’on a fait ce projet de coédition, le travail de l’album était

déjà bien avancé.433

5) 1994 : Voyages, aux Éditions Grandir (beaucoup plus longtemps pour le faire)

« J’avais envie de le faire au crayon. Au départ : couleurs imagination, l’enfant s’échappe,

imagine d’autres choses, aller-retour train intérieur / extérieur, le reste en noir et blanc,

rendait une autre dimension avec couleurs, trop sinistre, donc choix que noir et blanc434

».

« "Voyage" devait être coédité avec un éditeur belge. Puis il a renoncé mais nous ne vou-

lions pas nous abriter derrière cette attitude frileuse et avons décidé de le faire tout seuls.

Anne Brouillard en manière de remerciements nous a proposé par la suite "L'Orage" qui

devient au fil des années (et des études critiques tant en langue française qu'en anglais) son

livre référence.

Pour "la Grande vague" son éditeur belge Dessain clôturait son incursion dans le domaine

de la littérature enfantine, il nous a paru important de le rééditer pour que le public puisse

y avoir accès même si son audience est assez restreinte : son côté bachelardien n'a pas en-

433

Ibidem. 434

Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010.

Page 210: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

210

core eu l'heure d'être souligné par les critiques… ce qui m'étonne un peu au moins des uni-

versitaires qui se penchent sur son travail.

On accueille le travail d'Anne Brouillard, on n'en discute pas, on ne l'infléchit pas : elle est

complètement autonome dans sa démarche créatrice.

La mise en page est réfléchie par Anne Brouillard, le format de ses originaux induit le for-

mat retenu au moment de la publication. Nous essayons de ne pas être indignes d'Anne

Brouillard au moment de la fabrication.

Je prends en bloc toute sa production car elle ne cède jamais à la moindre facilité. C'est

une des très rares créatrices de ce gabarit : modestie et intelligence, sensibilité et refus de

toute complaisance fût-ce à elle-même435

».

- Format : rectangle long (allongé) (22 X 27,5 cm), noir et blanc, avec texte, 44 pages.

6) 1994 : Il va neiger436

, aux Éditions Syros

- Format : rectangle haut (23,5 X 34,5 cm), illustré en couleurs, avec texte, 36 pages.

« J’ai mis beaucoup plus longtemps pour le faire celui là … ». Le lecteur découvre son

travail d’une infinie richesse et savoure les jeux de « flocons de neige », d’ombres et de

« formes » entre les doubles-pages de garde et la double-page 20-21. Ces pages

illustrées à fond perdu, scintillantes de « mille taches lumineuses » résonnent entre elles.

Comme pour lire celles de la carte dans Le pays du rêve, le lecteur doit aller et venir,

tourner et retourner le livre, recadrer les illustrations afin de trouver les échos et suivre

le mouvement du temps qui passe.

« Une merveille de narration par l’image, d’une époustouflante richesse d’évocation, d’une

exceptionnelle maîtrise des lumières, un de ces livres qui suscitent une fascination, une

admiration sans réserve. Il n’y a pas que la splendeur plastique évidente, il y a cette réussite

dans l’expression du sentiment non pas de la durée mais de la profondeur du temps437

».

- Des pistes de travail pour la classe : « Le narrateur invisible à la première

personne !438

».

La neige : illustrations de pleine page à fond perdu renversées. Discerner les formes

fondues … La neige devient les étoiles.

« Des connaissances sur les techniques narratives (effet de point de vue, polyphonie, …

construction du personnage…439

».

435

Propos recueillis auprès de René Turc le 31/10/2010 par e-mail. 436

« Lors de mon premier hiver en Suède, je suis partie me promener avec mes deux sœurs et puis, il s’est

mis à neiger … C’est toute cette ambiance avec la forêt de bouleaux … Quand j’ai vu des traces, j’ai eu

l’idée de Mystère. » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à

Paris. 437

Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à

Bruxelles". 438

Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De

Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 184-185. 439

Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Pourquoi et comment conduire cet apprentissage

spécifique ? de la GS au CM, Hatier pédagogie, 2002, pages 70-71.

Page 211: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

211

7) 1994 : Reviens sapin, aux Éditions du Sorbier

Réalisés en parallèle

- Leur format : petit rectangle allongé à l’italienne (21,5 X 27 cm), couleurs, sans texte,

28 pages.

8) 1994 : Cartes postales, Le Sorbier

Sélection Petite Fureur 2002

- Des pistes de travail pour la classe : « Un récit en images : Faire deux lectures

successives440

».

Lire les cartes postales « pictogrammiques441

» écrites par les animaux et les écrire avec

notre alphabet roman (notre système d’écriture).

Repérer la logique de page en page, l’illustration centrale puis la lecture des cartes

postales en miroir.

9) 1996 : La maison de Martin, Le Sorbier

Sélection Petite Fureur 2000

- Des pistes de travail pour la classe : « Un récit en images : Faire deux lectures

successives ».

Réalisés en parallèle

- Leur format : petit rectangle allongé à l’italienne (21,5 X 27 cm), couleurs, sans texte.

10) 1996 : Promenade au bord de l’eau, Le Sorbier, (36 pages)

Dédicacé à Élisabeth : « Une de mes sœurs, sur son porte bagage, elle porte un accordéon et elle va

en jouer dans le château. C’est elle qui est représentée dans le bain et tout le trajet sur le vélo. »

Sur les pages de garde442

, le lecteur découvre « étalés à plat » les personnages de

l’histoire, motifs décoratifs, noirs sur fond rouge, qu’il retrouve tout autour de la « boîte

rouge », « héroïne » de l’histoire.

440

Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture impliquée, in Activités De

Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 44-47. 441

« Au sein du message visuel sont ainsi distingués les signes iconiques, qui renvoient à la réalité en

s’appuyant sur l’analogie perceptive et sur les codes de représentation, et les signes plastiques qui relè-

vent du travail sur la couleur, sur les formes, la composition et la texture. » S. Van der Linden, in Littéra-

ture de jeunesse, incertaines frontières, op. cit., p. 88. 442

« Les pages de garde (…) sont des propositions d’ouverture (…), ce cheminement parmi les motifs,

cette suggestion des possibles, pour en final, et tout bonnement, permettre au livre de s’ouvrir. » Fran-

çoise Le Bouar, in La revue des livres pour enfants, N° 191, février 2000, p. 106.

Page 212: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

212

- Des pistes de travail pour la classe : « Cartographier un espace443

».

11) 1996 : Le pays du rêve, Casterman

- Format : rectangle haut (24,5 X 34 cm), couleurs, noir et blanc, texte, 44 pages.

Dédicacé à Maria : une autre sœur, celle qui est peintre. Elle donne un cours de peinture

(celle avec le sac à dos) dans Le grand murmure.

Les pages de garde présentent la carte444

du pays du rêve que les personnages, Éloïse et

Sarah, trouvent dans la maison abandonnée. Le lecteur la découvre donc avant elles …

« Réalité Noir et Blanc, petites vignettes, rêve endormi, rapport avec la réalité. Conçu sur

une réelle réalité, rêve bâti sur des choses qu’on a vu en lien avec des choses de la réalité,

revient dans des mêmes lieux dans ses rêves endormis. Objets, choses, lieux, rattachés à

des choses vues en vrai. Codes inversés avec le chemin bleu445

».

« Ici, l’association avec L’orage est consciente et voulue. La maison du pays du rêve, c’est

celle de mes grands-parents. Cet album vient des rêves que j’y ai fait … Certains albums

sont associés à une musique : Le pays du rêve associé à Bobby McFerrin446

».

12) 1997 : La terre tourne, Le Sorbier, réédité en 2009

- Format : presque carré (25,5 X 25 cm), couleurs, avec texte, 28 pages.

Dédicacé à Théodore, Maximilien et Kitty (la famille Crowther).

Prix Versele

« Expo avec boîte, on met un œil dedans et on voit des personnages. C’était l’expo avant la terre tourne.

Tous ces personnages commencent à vivre … « le magicien rouge »447

- Des pistes de travail pour la classe : « L’espace-temps pour des enfants et des adoles-

cents. Interpréter un livre à partir de l’espace-temps448

».

13) 1998 : Mystère, Pastel

- Format : rectangle haut (22 X 33 cm), couleurs, avec texte, 36 pages.

Dédicacé à Kitty, à Elly : « C’est Kitty Crowther qui m’a inspiré le personnage de Kÿt. C’est une

enfant alors, elle est carrément blonde dans l’album. Elly, c’est le prénom de ma mère. C’est le premier

livre que j’ai fait avec l’ambiance de la Suède … non, ce n’est pas tout à fait vrai car avant j’ai fait Il va

neiger ! Ces deux albums, je les ai faits après être allée en Suède en vacances. J’y suis allée deux fois en

hiver. J’ai commencé Mystère la première fois et il a abouti la deuxième fois. Lors d’une promenade

autour de chez mes grands-parents, j’avais vu des traces dans la neige. Je pensais que c’était un ours

443

Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De

Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 220-221. 444

« Beaucoup s’ouvrent sur le décor dans lequel va se dérouler l’histoire : … localisation spatiale (carte

…, plan …) (…), atmosphère donnée d’emblée ; mais on reste à l’extérieur, comme en plein air. » Fran-

çoise Le Bouar, La revue des livres pour enfants, N° 191, op. cit., p. 105. 445

Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 446

Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 447

Ibidem. 448

Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De

Lecture À Partir De La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 214-216.

Page 213: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

213

mais ma grand-mère m’a dit que c’était un lynx. À cause de cette ambiance de la Suède, dans le village

où ma mère a grandi, j’ai parcouru les mêmes chemins qu’elle a parcouru enfant et j’ai pensé à elle, je

l’ai imaginé … C’est pour ça qu’il est donc dédicacé à ma mère449

».

Dans Mystère, les sensations se répondent : le froid est bleu, la chaleur rouge rousse, la

neige crisse sous les pas, les traces sont silencieuses. La lumière dorée et la clarté de la nuit

enveloppent d’irréalité la forêt sous l’emprise de l’hiver. Des peintures oniriques, trou-

blantes par moment, racontent l’aventure étrange de la petite Kÿt qui s’est laissée entraîner

loin de chez elle. Quelle est donc le lieu mystérieux du rendez-vous et, surtout, qui attend

Kÿt pour boire le thé ?450

- Des pistes de travail pour la classe : « Le brouillage, figure voisine du silence, peut

porter sur l’identité des personnages451

».

14) 1998 : L’orage, Grandir

- Format : (moyen) rectangle haut (21 X 29,5 cm), couleurs, sans texte, 44 pages.

Dédicacé à Freddy, Elly, Mimi et Yocko : « Freddy c’est mon père, Elly ma mère, Mimi le chat

jaune et Yocko le chat noir. Mimi est toujours vivante d’ailleurs. C’est une chatte sauvage que j’ai ren-

contré à Bruxelles alors qu’elle fouillait mes poubelles le soir ! J’ai mis longtemps à pouvoir l’approcher

mais, une fois qu’elle a eut apprécié les câlins, elle ne voulait plus quitter mon appartement… Ce n’est

pas une vie pour un chat. Alors, je l’ai amené chez mes parents, à la campagne. J’ai mis deux semaines

pour l’adapter chez eux ! Elle a un poil très doux, c’est une chatte un peu anglais. Yocko est née chez mes

parents. C’était la fille d’un autre chat que j’avais rapporté de Bruxelles !!! Mais il y a aussi la cafetière

rouge, elle existe vraiment chez eux … une cafetière en émail dans laquelle ils font leur café. C’est aussi

l’ambiance, le jardin … toute l’atmosphère de chez mes parents s’y retrouve. Cet album me rattache à

l’enfance que j’ai eue chez eux452

».

« Pourquoi l’orage est-il votre livre préféré ?

Plusieurs raisons : Projet porté depuis très très longtemps, 8 ans entre projet et abouti.

Mais il vient de beaucoup plus loin. Pas sous forme de livre. Quand j’étais enfant, l’orage,

ce changement de lumière, l’ambiance tourne au vert, le sujet même remonte à mon en-

fance, quelque chose qui me travaille inconsciemment, consciemment, j’avais envie de le

mettre en images, de le dessiner, le peindre, sans penser en faire un livre. Je dessinais

beaucoup quand j’étais enfant, je faisais des petits livres, sans avoir pensé faire l’orage

sous forme de livre. Sensation d’un livre qui a un équilibre.

Exemple dans l’autre sens : le chemin bleu, pas très juste par rapport à ce qu’il aurait dû

être !, propos assez complexe, difficile à ce que les trucs s’enclenchent, que tout soit équili-

bré, livre qui m’a bien pris la tête.

Gravures, reprises à 4 ou 5 fois, super mais très exigeant au niveau du dessin même parce

que tout est inversé. Peinture en masse, silhouette : formes floues qui se superposent, asso-

cié au modelage de la terre. Dessin, gravure : plus incisif, pointe de métal dans le vernis.

L’orage, c’est un projet lointain et le résultat a l’équilibre de la narration que par les

images453

».

449

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 450

Propos de Michel Defourny pour les 10 ans de Pastel, (1998), recueillis auprès d’Odile Josselin le

28/10/2010 par e-mail. 451

Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Pourquoi et comment conduire cet apprentissage

spécifique ? de la GS au CM, Hatier pédagogie, 2002, pages 276-278. 452

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 453

Rencontre avec Anne Brouillard le 07/11/2010 à Toulouse lors du salon « vivons-livre ».

Page 214: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

214

15) 1999 : Le bain de la cantatrice, Le Sorbier

- Format : petit rectangle allongé (18 X 21 cm), couleurs, avec texte « musical », 28

pages.

La version édition américaine454

, a repris le même format mais pas la même illustration.

Il s’agit du cadre de la page 6 de l’album. Elle chante et va ouvrir le robinet de sa bai-

gnoire … Le titre est dans les tons violet, dans une police « chantante », centré, au-

dessus du cadre ; le nom de l’artiste est dans les tons vert, majuscule bâton, en bas à

droite. Ces deux couleurs sont celles des carreaux de la salle de bain. Le fond de la page

est jaune aussi, mais, ce n’est plus le ciel dégagé de la vallée, c’est la partition musicale

qui illustre le fond de la couverture. Ce jaune permet à l’illustration encadrée de mieux

ressortir et les « vagues chantantes » qui sortent de la bouche de la cantatrice vont se

fondre avec les notes de musique sur la portée. L’effet est harmonieux, comme « le

chant d’une cantatrice le matin » …

« J’ai fait du solfège, je suis capable d’écrire une portée, une partition …c’est tout !

J’ai fait de la musique enfant, mais j’ai eu un prof de piano qui m’a un peu dégoûté ! J’ai

une sœur musicienne. Vers 12 ans, j’ai fait de la musique plus sérieusement mais j’ai dû ar-

rêter pour faire mes études d’illustrations, faute de temps et d’énergie à y consacrer ! Je

voulais vraiment faire du violoncelle, au début ça va … mais arrivé à un certain stade, cela

nécessite plus de travail, il faut y consacrer plus de temps. Cette partition, n’est pas très

bien écrite, je l’ai fait à l’oreille ! C’est gai, j’aurais envie de réinventer des chansons …

J’aime la musique, j’aime créer de la musique, j’ai fait une expo récemment : de longues

toiles peintes (40 cm de haut, 15 ou 16 mètres de long) de paysages vus par les fenêtres du

train, enroulées sur deux axes dans une table pourvue de manivelle. On voit passer une

parcelle par la vitre comme par la fenêtre du train, je pensais mettre de la musique. Le

paysage : devant plus vite, 2ème

plan moins vite, le 3ème

plan plus loin, plus lentement avec

une bande de musique à manivelle. On peut perforer ces bandes soi même, collées en

boucle (orgue de barbarie) tout fonctionnait en même temps : paysage / musique455

».

16) 1999 : Le grand murmure, Milan

Mention au Prix graphique de Bologne, 2000

- Format : grand rectangle haut (23,5 X 32 cm), couleurs, avec texte, 44 pages.

Dédicacé pour Anne P. : Une des amies de ma petite sœur Bénédicte.

- Pages de garde : des images détourées présentent les personnages, leur prénom, atti-

tude, accessoires, compagnons … comme une photo de famille ou de classe.

« Cet espace est inspiré de la Belgique ; Mira joue vraiment du violoncelle

Presque tous les personnages sont vrais :

Elisabeth : une de mes sœurs, sur son porte bagage, elle porte un accordéon et elle va en

jouer dans le château

C’est elle qui est représentée dans le bain et tout le trajet sur le vélo

454

Le texte est une adaptation. « C’est pas mal fait » reconnaît Anne Brouillard en découvrant cette édi-

tion américaine. 455

Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010.

Page 215: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

215

Maria : une autre sœur, celle qui est peintre. Elle donne un cours de peinture (avec le sac à

dos)

Marie, ma première éditrice a suivi pour de vrai le cours de Maria. Sa fille, Juliette

Bénédicte, ma petite sœur, Anne, une de ses amies

Gérard et Claudine, couple rencontré lors de ma résidence à Troyes, elle, directrice du

CRL

Sylvie, travaille aussi au CRL, et son mari Jean

Marie « boude » !? Non, elle tourne ses cheveux en boucle, « l’hélice », je l’ai connu enfant,

elle est du village de ma mère où j’ai grandi

Jean-luc Englebert et sa femme Isabelle : il est illustrateur

Marie Labit (au chevalet) maintenant, elle travaille pour Elvire, auparavant, elle travaillait

dans l’édition et Elvire Brijon, elle était metteur en scène, avec ses deux chiens, très

proche de Maria

Paul, papa de Mira, luthière maintenant

Anne Petters, l’amie de Bénédicte a fait beaucoup de gravure et a étudié les langues slaves,

elle a fait du théâtre d’ombres, c’est une amie à moi aussi

Némo, Claude, Lisa : personnages inventés

Jacques, un vieux monsieur … c’est un groupe de personnes pas une famille !456

».

17) 2000 : Le temps d’une lessive, Syros Jeunesse, collection Les petits voisins

- Format : rectangle haut (23,5 X 29 cm), couleurs, avec texte, 28 pages.

- Pages de garde : comme pour Le grand murmure. Le lecteur a l’impression d’ouvrir

un « programme » avec la photo et le nom des acteurs écrits dessus. Encore un livre

« renversant » et à retourner pour suivre les personnages « dans le bon sens ». Certaines

pages suivent le mouvement de rotation du tambour de la machine à laver. Par moments,

les personnages ont donc la tête en bas … comme les chiens dans Petites histoires.

- Des pistes de travail pour la classe : « Imaginer à partir de la réalité : Susciter

l’imagination des jeunes lecteurs, articuler texte et images, la cohérence d’un dialogue

apparemment décousu457

».

Mettre les dialogues sous forme de bulles de Bande Dessinée. Prêter attention à la ponc-

tuation des dialogues, aux verbes introducteurs de paroles … Qui parle à qui ?

Les relations texte / images. Comment les paroles des adultes et la vue du linge déclen-

chent l’imagination des enfants. L’imaginaire dans la réalité !

a) Paroles de la mer, (textes recueillis par Jean Pierre KERLOCH), Albin Michel

Paroles de la mer : commande par quelqu’un que je connaissais chez Syros puis qui est allé travailler

chez Albin Michel. Il a pensé à moi par rapport à l’image, à l’ambiance. La succession d’images est liée

avec les textes mais n’est pas page par page, il y a une suite, une continuité, c’est un travail en continu,

j’ai travaillé avec toutes ces ambiances de la mer458

.

456

Ibidem. 457

Christine Houyel, Hélène Lagarde, Christian Poslaniec, Comment utiliser les albums au cycle 2 ?,

éditions RETZ, 2005, pages 87-88. 458

Extrait de l’entretien à Toulouse du 07/11/2010.

Page 216: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

216

b) Demain les fleurs, (texte de Thierry LENAIN), Nathan

Thierry Lenain : envoi via un éditeur, 1er

texte envoyé « Julie capable », j’étais très occu-

pée à ce moment-là et je n’ai pas bien lu le texte la première fois et j’ai pensé, « encore des

chats ! ». Je n’avais pas envie qu’on me colle une étiquette « chat », je n’avais pas saisi

tous le sens. Cette histoire part du réel pour aller dans un truc symbolique. J’ai refusé.

Plus tard, je l’ai rencontré lui-même et il m’a proposé « demain les fleurs » et ensuite, je

suis revenue sur « Julie capable ». Je ne l’avais pas lu correctement en premier.

J’étais arrivée au moment où je pouvais le faire : lire un texte, l’intégrer et en faire quelque

chose avec/par l’illustration. En tant qu’illustrateur, on est le premier lecteur.

Quand j’ai commencé, à mes débuts, j’aurais fait du découpage, image par image et cela

n’a pas d’intérêt. Quand j’ai pu le faire, j’étais prête et j’ai pu le faire autrement, au ser-

vice du texte459

.

Pourquoi est-ce Anne Brouillard et pas une autre auteure – illustratrice qui a réalisé les il-

lustrations de « Julie Capable » et « Demain les fleurs » ?

Parce que j’avais envie que ce soit elle et qu’elle a accepté. Je trouvais que l’univers

d’Anne, son art pictural, ses couleurs et sa sensibilité convenaient complètement et parfai-

tement à ces textes. Quand Anne accepte (et c’était la première fois qu’elle acceptait

d’illustrer un auteur en ce qui concerne Demain les fleurs, ce qui fut pour moi un honneur)

elle prend les textes et revient un jour avec les illustrations – et c’est très bien comme ça,

c’est une solitaire460

.

18) 2002 : Sept minutes et demie, Thierry Magnier, collection Tête de lard

- Format : Petit carré (12 X 12 cm), pages plastifiées, angles arrondis. Pour cette collec-

tion, c’est toujours la même présentation et le thème est entièrement libre, 20 pages.

Couleurs, avec texte.

c) Le placard à balai (gravures461

), journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de

Bruxelles, nouvelle écrite par Jacqueline HARPMAN462

d) Entre fleuve et canal, (texte de Nadine BRUN Ŕ COSME), Points de suspension

Rencontre avec Nadine Brun-Cosme : invitées toutes les deux. Moi ateliers de peinture, elle

ateliers d’écriture, toutes les deux, promenade en barque, ensemble avec des conteurs et les

enfants à Amiens. Elle avait écrit sur « il va neiger » : elle écrit des petits livres sur les au-

teurs, des écrits sur des lectures aux éditions du Seuil463

.

e) La déménagerie, (textes de Muriel CARMINATI, Patrick SPENS), Lo Païs

d’Enfance

Anne Brouillard a croisé les deux auteurs sur un salon.

459

Ibidem. 460

Extrait de l’échange par e-mail avec Thierry Lenain du 14/11/2010. 461

« C’est la gravure qui m’a amenée au dessin. À l’envers … je me suis aperçue que je ne savais pas

dessiner ! » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 462

Voir Annexes. 463

Extrait de l’entretien du 07/11/2010 à Toulouse.

Page 217: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

217

« Je l’ai réalisé à la plume. J’ai d’abord visité le musée des sciences naturelles. J’aime

bien ce genre de travail de recherche …464

».

2003 : La grande vague, Grandir (nouvelle édition)

- Format : grand rectangle haut (24,5 X 33 cm), couleurs, sans texte, 36 pages.

« C’est le format qui est différent et le nombre de pages n’était pas correct pour Grandir. J’ai dû refaire

la couverture car j’avais perdu l’original ! Ce n’est pas évident de refaire la même chose, dans le même

état d’esprit, dix ans après, mon travail avait évolué … je ne peints plus pareil465

».

f) Le cri de la chouette, (illustrations), journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de

Bruxelles, nouvelle écrite par Caroline LAMARCHE466

g) Illustration de la couverture du n° 10, journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de

Bruxelles, sur le sujet : Le bois de la Cambre467

h) Autre numéro sur le sujet : Le quartier des Marolles468

i) Autre numéro (n° 11) sur le sujet : Le métro à Bruxelles469

j) L’homme qui était sans couleurs, (texte de David LONERGAN), Bouton d’or

d’Arcadie

David Lonergan : acadien, salon du livre à Dieppe, lui et son éditrice, vrai contact470

.

Pourquoi est-ce Anne Brouillard qui a réalisé les illustrations ?

Anne est venue présenter ses œuvres à deux reprises au Salon du livre de Dieppe (une ban-

lieue de Moncton). La directrice et fondatrice de Bouton d'or Acadie Marguerite Maillet et

moi avions beaucoup apprécié son travail. Quand j'ai soumis le manuscrit de L'Homme à

Marguerite, nous avons trouvé intéressant d'en offrir les illustrations à Anne parce que nous

pensions qu'elle pouvait créer des atmosphères autour du thème d'autant plus qu'il fallait

(question budgétaire) que ce soit en noir et blanc, sauf la page couverture. Le tout par cour-

riel: elle a reçu le texte, a dit oui, a créé les illustrations et nous les a envoyées.

Nous pensions qu'Anne aimerait le caractère du conte philosophique. Nous aimions, Mar-

guerite et moi, beaucoup la façon dont elle créait ses œuvres: structure de l'image, mise en

plan, type de dessin, utilisation du crayon.

Je me souviens d'avoir lu les livres qu'elle a présentés au Salon du livre, d'en avoir acheté

quelques-uns et de les avoir par la suite donnés. C'est moins un livre qui m'avait impres-

sionné que la façon dont elle créait ses atmosphères et construisait ses récits. J'aimais son

imaginaire471

.

464

Ibidem. 465

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 466

Voir Annexes. 467

Ibidem. 468

Ibidem. 469

Extrait de l’entretien téléphonique du 11/05/2011 « Vous me rappelez quelque chose, je l’avais oublié

celui-là, mais c’est vrai ! Je le revois bien maintenant. » 470

Extrait de l’entretien du 07/11/2010 à Toulouse. 471

Propos recueillis auprès de David Lonergan, le 20/10/2010 par e-mail.

Page 218: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

218

19) 2004 : Le chemin bleu, Seuil

Sélection Petite Fureur 2005

- Format : rectangle haut (23 X 33 cm), couleurs, noir et blanc, texte, 44 pages.

« Sépia gravure, rêve, souvenirs, rêve éveillé, narrateur son imaginaire de quand il était

enfant, histoires qu’il s’inventait et se poursuit d’une fois à l’autre. Imaginaire d’enfant, en

classe par la fenêtre de l’école, s’invente une histoire dans sa tête en rapport avec images

de la réalité. (Petites images en gravure) Codes inversés avec le pays du rêve472

».

Dédicacé : « Merci à Samantha et à Martine. » « Il s’agit de Martine Lafond, éditrice avec qui

j’ai travaillé au Seuil et de Samantha Rémy, graphiste, maquettiste, qui travaillait au Seuil aussi. C’est

elles qui ont fait Le chemin bleu473

».

k) Le gardien des couleurs, (texte de Gilles AUFRAY ), Grandir

Gilles Aufray, auteur plutôt adulte, de théâtre « les scènes croisées de Lozère.

Lui, invité en résidence d’auteur, lecture chez les gens, il devait avoir, cela devait aboutir

sur une production, et leur intention est de faire se rencontrer différentes personnes. Il de-

vait intervenir dans l’école du village. Il a écrit une amorce d’histoire, c’est le début du

Gardien des Couleurs et il a travaillé avec les enfants et l’institutrice. Là-dessus, contact

avec l’éditeur Grandir à qui on a proposé ce texte. Ils cherchaient un illustrateur. Grandir

leur a proposé Anne Brouillard ! Je suis allée sur place pour m’inspirer des lieux, et G. A.

a étoffé l’histoire.

1ère

résidence : quelques jours, il m’a montré les lieux, j’ai dessiné la maison du Gardien

des Couleurs. Elle existe, c’est une maison abandonnée, je l’ai dessiné sur place. Les gens

venaient raconter l’histoire des maisons. Beaucoup de maisons abandonnées qui apparte-

naient à une vieille dame en maison de retraite mais elle avait promis à sa mère qu’elle ne

vendrait jamais … Puis, pendant des mois, chez moi, j’ai travaillé. Les plateaux de Lozère,

une très belle région, le causse de Sauveterre etc. …

En parallèle, ateliers de peinture à l’école pour faire une expo avec Anne Brouillard

2ème

fois, gite pour préparer l’expo avec les enfants

Lors du salon du livre, montage en diapos sur le texte avec les illustrations d’Anne Brouil-

lard / Lecture du texte faite par Gilles Aufray

Collection chez Grandir avec des rabats, des dépliants. Il fallait faire attention, possible

sur certaines pages à cause du montage du livre474

.

Le gardien des couleurs, comment ça s’est passé :

J’étais en résidence d’écriture en Lozère-résidence organisée par les Scènes Croisées de

Lozère. Dans le cadre de cet atelier d’écriture, j’ai écrit pour les enfants de l’école un

conte : le gardien des couleurs … j’ai alors propose le texte aux éditions grandir. C’est

monsieur René Turc, qui m’a proposé de travailler avec Anne Brouillard, « l’orage », que

j’avais beaucoup aimé… Anne Brouillard a passe quelques semaines de résidence à Saint-

Georges de Lévéjac. Je lui ai montre les lieux précis Ŕmaison, rues, chemins, gorges, foret-

qui avaient inspiré (et pourquoi) l’écriture de l’histoire du gardien des couleurs qui est une

histoire qui se passe a Saint Georges de Lévéjac, village perche au bord des gorges du Tarn.

Anne brouillard a beaucoup dessiné et peint dehors Ŕ dans les lieux dans lesquels j’avais

quelques mois avant écrit … La nature et ses éléments lui parlent475

.

472

Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 473

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 474

Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 475

Courrier du 15/11/2010 depuis Londres.

Page 219: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

219

l) Julie capable, (texte de Thierry LENAIN), Grasset

Sélection Petite Fureur 2007

m) Rêve de lune, (texte d’Elisabeth BRAMI), Seuil

Elisabeth Brami : rencontré régulièrement sur des salons, elle m’avait raconté son histoire

et je voyais des images au pastel. Elle m’a envoyé une pré-maquette avec des découpages,

des trous sur un petit format allongé mais le livre a évolué autrement. J’avais besoin de

plus de page pour développer l’idée et elle a accepté. Echanges, collaboration, travail en-

semble476

.

- Participation à un ouvrage collectif, Un loup peut en cacher un autre, Sarbacane.

Chez Seuil : série de 4 :

En premier : Le pêcheur et l’oie puis Le voyageur et les oiseaux

Puis La famille Foulque et La vieille dame et les souris

C’est le pêcheur et l’oie qui a déclenché la famille foulque …477

20) 2006 : Le voyageur et les oiseaux, Seuil

Elle s’est représentée dans Le voyageur et les oiseaux : « à table deux personnes qui com-

mandent deux dames blanches, on verse dessus le chocolat chaud soi-même, c’est Georges

et moi !478

».

- Leur format : (moyen) rectangle haut (17,5 X 25 cm), couleurs, sans texte, 28 pages.

21) 2006 : Le pêcheur et l’oie, Seuil

Sélection Petite Fureur 2006

n) Le vélo de Valentine, (texte de Christian FERRARI), Lirabelle

« Rien n’est précisé sur eux dans le texte, je n’avais pas envie de faire des personnages

donc, c’est plus drôle avec des animaux et chaque fois des animaux différents.

dique !479

».

C'est nous, éditeurs, qui avons choisi l'illustratrice parce que nous apprécions son travail.

Elle a eu liberté totale pour l'illustration (pas de format imposé, pas de technique imposée et

liberté de son approche artistique).

Au départ, le VÉLO DE VALENTINE existait sous forme de chanson chantée par Philippe

Roussel sur un disque "Comptines et chansons", disque édité par Raymond et merveilles.

Nous avons pensé qu'il serait intéressant d'en faire un album très illustré pour la jeunesse.

Nous avons soumis cette proposition à Christian Ferrari. Nous avons ensuite contacté Anne

Brouillard, qui par ailleurs est musicienne. Elle a elle aussi tout de suite accepté480

.

476

Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 477

Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 478

Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 479

Ibidem. 480

Propos recueillis auprès d’Isabelle Ayme le 20/10/2010 par e-mail.

Page 220: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

220

o) L’enfant de la cheminée, (texte de Jasmine DUBE), La Courte échelle

Le feu de la cheminée : au Canada à Montréal, j’accompagnais mon compagnon, régisseur

de théâtre, il était pour 3 semaines là-bas. J’ai contacté des éditeurs. Avec La courte

échelle, tout s’est enclenché très vite, contact avec une fille, une éditrice …481

22) 2007 : La famille foulque, Seuil

« Plume et pinceau, à l’encre c’est plus léger. Importance du choix du papier plus mat482

».

- Leur format : rectangle haut (23,5 X 31 cm), couleurs, sans texte, 28 pages.

23) 2007 : La vieille dame et les souris, Seuil

p) Lilia, (texte de Nadine BRUN Ŕ COSME), Points de suspension

q) Le paradis des chats et autres nouveaux contes à Ninon, (recueil de nouvelles

d’Emile ZOLA), Hugo et Cie

Un homme que je connais a repris la collection du sorbier, label Hugo et Cie.

Il m’a proposé ce texte de Zola, j’ai beaucoup aimé

C’est de la vraie littérature, j’ai adoré, j’ai travaillé très agréablement tout un été483

24) 2009 : Le rêve du poisson, Sarbacane

- Format : rectangle haut (24 X 33), couleurs, avec texte, 36 pages.

Dédicacé à Gilles et Louise. « Ce sont les deux enfants d’une amie, auteure- illustratrice aussi,

Geneviève Casterman. C’est tout naturellement que j’ai pensé à eux. Par exemple, avec leur chambre, les

poupées et les constructions de légo … les relations entre ces deux enfants, leur rapport frère et sœur.

D’ailleurs Gilles s’est bien reconnu. Cela lui semblait tout naturel de se voir dans la dédicace. Geneviève Casterman a réalisé deux albums où Gilles et Louise sont les personnages : La saison des plumes, Hip

hop. « Elle a fait un album Rue de Praetere, c’est la maison où j’habitais quand j’étais à Bruxelles, dans son ancien

atelier aménagé en petit appartement pour moi !

Et maintenant, j’habite à Ostende … elle a aussi fait un album Costa Belgica, c’est drôle !484

».

« Encre et plume, beaucoup plus de traits. J’ai eu envie de pousser les images, le résultat

est assez glauque. Pour le gris violet pour le ciel, j’ai utilisé une encre fabriquée maison

avec des noix de galle qu’on m’avait offerte485

».

On avait déjà travaillé sur un album collectif avec elle : « Un loup peut en cacher un

autre ». Elle nous a présenté ce projet et on l’a choisit selon : Qualité, logique par rapport à

notre catalogue ; On travaille sur des albums atypiques, on a peu de collections chez Sarba-

481

Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 482

Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 483

Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 484

Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 485

Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010.

Page 221: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

221

cane ; Son univers : poétique, étrangeté, qualité texte et image, intéressant, correspond à

nos goûts, nos choix ; Son univers visuel, onirique.

Nous sommes éclectiques : on choisit par rapport à la qualité du propos, du texte, on

cherche un véritable travail d’auteurs, par rapport à son univers visuel, textuel très différent,

sa créativité, son inventivité, son goût de l’inattendu : c’est ce qui relie tous nos albums édi-

tés sous diverses formes. Sur ce projet là, le rêve du poisson, on a eu envie de la faire …

Le choix du papier : Mat, poreux, buvard : offset : plus agréable en main mais change les

couleurs ; Papier couché : légère couche de produit chimique, moins à la mode aujourd’hui

qu’hier, mais permet un meilleur rendu des couleurs. Donc, choisit ici par rapport à son tra-

vail tout en délicatesse, ses aquarelles, le rendu des couleurs et de la finesse de son travail.

Anne a une idée assez précise de ce qu’elle veut : mise en page variée, BD, pages sans texte,

illustrations de pleine page, textes, …

La couverture : territoire de l’éditeur : servir à la promotion, commercial : ce qui fait vendre,

accrocheuse, interpelle, ne dit pas tout mais pas fausse par rapport au propos ; Lettrine :

proposé par éditeur, Anne est tout à fait réceptive.

Dans notre travail, nous cherchons la fraîcheur, elle vient avec son bagage mais on cherche

à inventer quelque chose de nouveau ensemble, bien sûr elle s’appuie aussi sur sa propre

histoire, Travailler avec un auteur, respectueusement, la pousser dans ses retranchements,

en territoires inconnus, pour éviter le ronron, ne pas être répétitif, les mettre en difficultés,

les aider à sortir des choses d’eux … En tant qu’éditeur, on est le premier lecteur : on choi-

sit ce qui nous plaît, ce qui a du sens pour nous. Alors, on décide de travailler ensemble,

d’aider cet artiste, de l’accompagner dans la mise en scène de son projet486

.

25) 2010 : L’autre côté du lac, Le Sorbier

- Format : long rectangle allongé (23 X 30 cm), couleurs, avec texte, 36 pages.

Dédicacé pour Ambre : La fille de ma sœur plus jeune, mon unique nièce qui a 3ans et demie. Le

chat blanc Alpha, c’est son chat. »487

« C’est une histoire de points de vue. Une fille, sa tante et leurs chats habitent d’un côté du

lac. Cet album est aussi inspiré de la Suède, le même lac que la terre tourne ! C’est sa lu-

mière …

Au début, à l’époque, plus de peinture, plus flou, arbres moins identifiables, puis … reprise

de l’histoire et j’ai pensé : quelque chose ne va pas !

Dans un autre contexte : le livre de ma vie avec tous les personnages de la terre tourne

mais ce n’est pas celui là

Les animaux et les êtres humains sont sur un même pied d’égalité, ils ont même la même

taille …

Ici, remis dans un contexte plus réel, un enfant ne va pas habiter seul ! Donc, j’ai mis sa

tante et leurs 2 chats … au départ, une histoire d’observation de l’autre côté du lac :

quelque chose qu’ils voient mais qu’ils n’identifient pas … ils partent voir … De l’autre cô-

té, ils voient leur maison et quelque chose qu’ils n’identifient pas …

Les saisons changent, à un rythme très lent mais, le résultat était déséquilibré !

J’ai fait un trajet plus long, plus détaillé, car c’est quelque chose d’important dans le che-

minement de l’histoire

Quelque chose d’autre sur le plan humain de l’autre côté du lac, j’ai mis une « plaine » de

jeu avec un toboggan, des balançoires … et un autre enfant qui habite dans une des mai-

sons qu’ils voient, celle avec une barque jaune et d’ailleurs, cela leur permet de revenir en

barque sur le lac car ils vont sympathiser …

Les chats et les humains parlent aussi, les chats font leurs commentaires mais on ne sait

pas réellement s’ils parlent, comme si on ne pouvait pas s’imaginer qu’ils parlent car les

humains ne répondent pas directement au chat. Par exemple au moment de faire les sand-

wichs : plus de jambon, pas de cornichons avec le pâté parce que je n’aime pas ça … On

486

Extrait de l’entretien téléphonique du 17/11/2010 avec Mr Frédéric Lavabre. 487

Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011.

Page 222: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

222

ne sait pas s’il le dit réellement ou pas, ce sont des commentaires drôles. Il est intéressé

uniquement par le panier à pique-nique !

Les points de vue, j’y ai pris énormément de plaisir, je l’ai fait de façon concentré de l’été à

novembre 2010. Pendant cette période, dans les dessins, des choses ont bougé mais je n’ai

pas pu aller plus loin … ! Je n’ai pas encore le recul, de cet album, mais il s’en dégage de

l’énergie car je l’ai fait dans un temps moins dilué.

Je suis très attachée à ces lieux, ces personnages

Le lac en Suède, le même que pour la terre tourne, album que j’ai fait sans stress … à côté

de ce fameux lac Teåkersjön dans la commune à Dalskog J’ai peint La terre tourne à l’eau

du lac488

».

488

Entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse lors du salon « vivons-livre ».

Page 223: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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231

ANNEXES

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232

Quelques pages du carnet de croquis de La terre tourne489

La lecture des pages de son carnet montre bien comment Anne Brouillard réflé-

chit sur son propre travail. Tout au long de sa démarche créatrice, elle analyse et réa-

juste continuellement ses idées et le résultat attendu avec les possibilités « infinies » que

lui offre l’album bien que « certaines choses soient malgré tout impossibles !490

». Nous

les présentons ici dans leur ordre chronologique, au fil des pages et des jours, autour de

La terre tourne.

Avril 1997

Au début du projet, Anne Brouil-

lard avait l’intention d’organiser

les illustrations de pleine page

« dans une journée » et tout con-

courait vers l’illustration centrale

« la fête ». Cela donnait donc une

lecture descendante jusqu’à la

fête : du début au centre et de la

fin au centre. Dans le sens de

lecture occidental, le lecteur des-

cendait « le temps » pour le re-

monter ensuite, de l’après-midi à

l’après-midi.

Parallèlement, le temps se dérou-

lait sur une année, au fil des

mois, de novembre à octobre.

« Douze doubles-pages, donc

douze mois ! Mais aussi, douze

heures ! » Elle voulait inclure la

notion de temps qui passe dans

une journée (matin, midi, soir),

au rythme des heures, dans une

année, au fil des mois. « Ça de-

venait déjà très compliqué ! ».

489

« Tout y est … » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à

Paris. 490

Ibidem.

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233

La réflexion sur le temps qui

passe dans une journée continue

pendant que les illustrations

prennent forme. Les vignettes

des fausses pages apparaissent.

Les liens se créent. Les doubles-

pages illustrées prennent corps.

L’idée initiale sur les moments

« précis » d’une journée reste

fortement marquée. Certains

dessins se reconnaissent déjà.

Les mots prennent place, les

idées se verbalisent et se dessi-

nent. Les personnages se posi-

tionnent dans les pages et dans

le temps. La lecture de l’album

reste orientée vers le centre de

l’album : la fête. Sur la page de

gauche, naît l’idée des neuf ca-

deaux collectés. Les vignettes

commencent à être nommées.

« Là, ça devenait vraiment trop

compliqué ! ». Elle essaie de

rassembler toutes ses idées. Les

transformations se dessinent. Le

thème de la porte prend forme et

sens. Sur la table de la fête, il y

aura tous les objets collectés

réunis. Cependant, le sens de

lecture évolue, « les deux

flèches descendent ». « Autre-

ment, c’était impossible ! »

Page 234: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

234

Les pages de gauche se construi-

sent … les vignettes de bas de

page sont en cours de réalisa-

tion. « Tout y est … ».

Après un intermède Mystère,

Anne Brouillard revient à La

terre tourne. Le texte s’inscrit

sur les lignes du carnet, le che-

min de fer prend sa forme circu-

laire.

Dans les pages suivantes,

l’album, tel que le lecteur va le

découvrir, se matérialise et les

liens s’installent.

Page 235: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

235

Après La terre tourne, Anne Brouillard

réalisera L’orage … « Je travaille toujours plusieurs projets en même temps. La date

d’édition ne correspond pas forcément à l’ordre dans lequel j’ai créé mes albums. Pour

certains, je passe beaucoup de temps … alors, j’en crée d’autres entre-temps. »

Après un intermède L’orage, Anne

Brouillard revient à La terre tourne.

Les personnages sont listés et nom-

més. La fête est toujours centrale

avec un sens de lecture en amont et

en aval. La narration imagière

s’installe de plus en plus sur les

pages de gauche. Les saisons appa-

raissent.

Page 236: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

236

Au fil des pages, le texte …

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237

« Le texte ne parle pas des person-

nages. »

À la lecture des mots, des phrases, des textes écrits par Anne Brouillard, au fur

et à mesure de son inspiration, sur son carnet, le lecteur ressent les résonnances « lexi-

cales ». Toutes ses sensations se ressentent dans tous ses albums. Elle les couche sur le

papier, sur et entre les lignes de ses carnets pour ensuite les essaimer dans les pages de

ses albums, tout naturellement.

Page 238: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

238

Quelques illustrations et gravures du journal La tribune de

Bruxelles

L’HEBDO DE LA LIBRE BELGIQUE DU 30/1/2003 ET DE LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS

DU 31/1/2003 - GRATUIT 1ère ANNÉE - N° 10 Bois de la Cambre : TBX relance le débat491

.

491

« Ils ont été très satisfaits de mon illustration pour la couverture du journal car elle représente

exactement la photo qu’ils recherchaient. » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 à

Paris.

Page 239: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

239

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Chapitre 2

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TBX 025, 2003-05-15.

Chapitre 6

Illustré à l’encre (pinceau et plume)

Page 240: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

240

Le chemin de fer de La terre tourne

« Le chemin de fer »492

nous permet de visualiser le fil conducteur qui relie les illustra-

tions et l’équilibre des pages de l’album.

Première de couverture

L a t e r r e t o u r n e

Anne Brouillard

Un cercle lumineux / Une porte vitrée

(traits de mouvement circulaire)

Dans les mêmes tons jaune-orangé

Assis sur le pas de porte :

1 chat jaune, 2 canards

Sur une branche : 2 corbeaux

En bas à droite : 1 chien noir tenant un ballon de

baudruche rouge

Au centre : 1 personnage (vêtu de bleu) tenant

deux fleurs roses

Sur fond sombre :

1 chat noir allongé sur une branche

2 personnages assis sur un banc

(l’un (en rouge) porte un gâteau

l’autre (en vert) un coffret)

Ces 10 personnages semblent poser, attendre

quelqu’un ou un évènement.

Les 3 êtres humains sont souriants et ont des

présents.

Tous regardent vers le lecteur.

Deuxième de couverture

Page vierge d’écriture dans les tons ocre : couleur

de la terre.

Page de garde

Page vierge d’écriture dans les tons ocre : couleur

de la terre.

Fausse page de titre

Dédicace

Éditeur

ISBN

Loi de 1949

Imprimeur

Page de titre

L a t e r r e t o u r n e

Anne Brouillard

Illustration sur fond blanc :

Reste du gâteau après le repas, la fête … sur le

plateau à pied

4 verres : ils ont bu du champagne … ils ont célé-

bré un heureux évènement … Les 3 verres à pied

sont pour les 3 adultes, la timbale pour l’enfant.493

Le Sorbier

492

E. Audureau et C. Segura-Balladur, op. cit., p. 19. 493

Entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « J’ai dessiné une variante de verres par

plaisir de graphisme. C’est plus rigolo de dessiner quelque chose d’un peu spécial ! »

Page 241: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

241

Page 4

Une lumière

blanche (p. 5)

passe à travers

la porte vitrée

Texte : 9 lignes

9 phrases

1 2 3 4 5 1 bébé

dans un

rond

lumineux

p. 26/27

2 ronds

lumineux

quelques

taches

blanches

Zoom

arrière

De plus

en plus

de

taches

blanches

Rocher

noir

sous la

neige :

p. 5

L’œil du lecteur s’éloigne, le point de vue change,

l’horizon s’agrandit : la création de l’univers

Page 5

Paysage sous la neige avec une lumière blanche.

En arrière-plan : des montagnes (vert et noir), un

barrage au centre

un viaduc, un train à vapeur : à droite

Deux corbeaux sur la neige, une maison

3 roulottes tirées à cheval partent vers la droite

Un personnage en rouge salue de la main gauche,

une valise posée à côté de lui

Au premier plan : sur des rochers noirs (vignette

6) un tronc d’arbre marron et un chien noir assis

Page 6

Lumière du jour

(celle de la p. 7)

Texte : 6 lignes

1 phrase

6 7 8 9 10

Rocher

et

neige :

p. 5

Le roc

se

déforme

et se

strie

puis,

donne des

ombres

qui

s’allongent

et devien-

nent des

arbres ou

des im-

meubles

Immeubles

p. 7

Évolution-déformation de la matière : du rocher

aux immeubles

Page 7

Paysage de ville en plein jour

En arrière-plan : décor verdoyant, deux collines

avec un bâtiment au sommet, dans la vallée, au

centre : une centrale nucléaire

Des maisons, le viaduc et le train à droite

Un paysage urbain avec des cheminées

d’immeubles (vignette 10), à droite, à la fenêtre :

une femme en bleu et un chat jaune

Au premier plan : les deux corbeaux à la fenêtre

entr’ouverte (l’un entre)

De chaque côté d’une table ronde, une nappe

rouge tachetée de blanc (vignette 11) le person-

nage rouge assis dessine une maison, le chien noir

debout sur une chaise décore le gâteau avec ses

pattes avant (mains)

Page 8

Lumière du

clair de lune

(décor nocturne

p.9)

Texte : 8 lignes

3 phrases

11 12 13 14 15 16 Mor-

ceau

de

nappe

p.7

Motifs

blancs

s’étirent

devien-

nent

des

reflets

sur

l’eau

qui s’

alignent

vertica-

lement

La

lune

et

son

reflet

sur

l’eau

La

lune

dans

le

ciel

p. 9

Évolution-transformation des motifs de la nappe,

en reflet de la lune sur l’eau. Le regard s’éloigne

et monte vers la lune

Page 9

Paysage lacustre nocturne

Premier croissant de lune (vignette 16 et 17) et

ciel bleuté-étoilé

En arrière-plan : une forêt, un château derrière le

viaduc à droite

Sur le viaduc : une charrette, un personnage en

vert et son bagage

Au bord du lac : une maison-phare éclairée

Sur le lac, deux bateaux : l’un porte : la valise, les

deux corbeaux sur l’arbre, l’homme en rouge et le

chien noir assis ; l’autre porte la femme en bleu

(qui rame) et son chat jaune assis

Au premier plan : le reflet du décor, de la lune et

des étoiles dans l’eau du lac (vue en plongée)

Page 242: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

242

Page 10

Porte

entr’ouverte (lumière

vive du manège

p. 11)

Texte : 5 lignes

1 phrase

17 18 19 20 21 La lune,

(p. 9)

les

étoiles

et le

vent

devient

un tour-

billon

un

lave

linge

Gros

plan sur

le hublot

du lave

linge

Une

tasse à

café

(p. 11)

Évolution-transformation de la lune et des étoiles

en tourbillon, en tambour de machine à laver le

linge, en café dans une tasse

Page 11

En arrière-plan : des arbres penchés vers la droite

et une plaine jaune

Deux trains éclairés (vignette 22) passent sous le

viaduc

Deux canards sont sur le viaduc

Un manège qui tourne : le chien noir est dans un

avion ; l’homme en rouge est sur un cheval ; la

femme en bleu tient un ballon de baudruche rouge

A côté, le chat jaune debout accueille la femme en

vert, une valise posée à côté d’elle

Au premier plan : sur une table ronde (vue en

plongée) : deux corbeaux boivent une coupe de

champagne (leurs ailes sont des mains) ; à côté

une tasse à café bleue (vignette 21)

Page 12

Porte

entr’ouverte Éclairage

de l’intérieur de la

maison

Texte : 6 lignes

3 phrases

22 23 24 25 Le train

et ses

ombres

(p. 11)

Les

fenêtres

du train

Une

clôture

Le

portail

(p. 13)

Évolution-déformation du train, en clôture et en

portail

Page 13

Paysage vallonné en bordure d’un canal

En arrière-plan : à gauche la clôture et le portail

(vignette 25) ; à droite : le train éclairé sur le

viaduc ; le chat noir assis sur l’écluse ; les reflets

des nuages sur l’eau (vignette 26)

Une péniche au bord du canal

Au premier plan : une maison éclairée

Devant : femme en bleu et son chat jaune cueil-

lent des fleurs ; personnages rouge et vert boivent

un café assis autour d’une table (valises posées) ;

chien noir lit le journal assis ; cafetière rouge sur

table ronde, deux corbeaux et deux canards

Page 14

Lumière de l’extérieur

jaune ; de chaque côté :

une chaise posée sur une

table

Texte : 6 lignes

2 phrases

26 27 28 29 30 31 Reflet

des

nuages

sur l’eau

p. 13

un

peu

plus

vert

plus

vert devient

des

feuilles

Plus

abstrait Branches

d’arbre

p. 15

Évolution-déformation du reflet des nuages dans

l’eau en branches de l’arbre

Page 15

Ciel bleu avec des gros nuages blancs

Décor de village ; le viaduc et le train passent à

travers sur toute la largeur

Au premier plan : une maison à étage orange et

bleue (fermée) avec un hublot (vignette 32) : la

femme en vert regarde à l’intérieur par la fenêtre

(valise posée) ; la femme en bleue tient un petit

gilet jaune, son chat jaune à côté ; l’homme en

rouge (valise posée) tient une échelle contre

l’arbre (vignette 31), le chat noir est allongé en

haut de l’échelle ; chien noir assis à côté de

l’arbre ; deux canards devant la maison ; deux

corbeaux en hauteur à gauche : les dix person-

nages sont réunis

Page 243: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

243

Page 16

Lumière jaune du soleil

Deux fauteuils posés

devant la porte

Texte : 7 lignes

4 phrases

32 33 34 35 36 37 Hublot

de la

maison

p. 15

Hublot

d’un

bateau

(on

voit la

mer)

On

s’éloigne :

on voit

deux

hublots

On se

rapproche :

on voit en

bateau en

mer

On se

rapproche :

on voit un

bateau et

le soleil

Le soleil

devient :

projecteur

du ciné-

ma p. 17

L’œil du lecteur s’éloigne et se rapproche, le point de

vue change du hublot au soleil-projecteur (de ciné-

ma)

Page 17

Ils sont tous installés dans une salle de cinéma

En arrière-plan : deux portes avec deux hublots

éclairés ; au centre le projecteur de la caméra

(vignette 37)

Ils regardent vers l’écran (vers le lec-

teur) souriants, sauf le chien noir qui lit le

journal (vignette 38)

Page 18

Lumière jaune

Texte : 3 lignes

2 phrases

38 39 40 41 42 43 44 Page de

journal :

écriture

abstraite

p. 17

Écriture

étirée

devient

un

tronc

d’arbre,

des

lignes

et des

traits

des

traits

presque

hori-

zontaux

des

traits

hori-

zontaux

une

voie

ferrée

p. 19

Évolution-déformation de l’écriture du journal en

rails du train

Page 19

La scène se passe dans le train : les person-

nages partent en voyage

La voie ferrée traverse la page en hauteur

(vignette 44)

Les arbres sont inclinés par le vent

Une maison rouge

Dans le train : certains discutent, d’autres

regardent dehors, les deux chats ont

un « mug » posé sur la tablette (vignette 45)

Page 20

Porte

entr’ouverte ;

lumière jaune

Texte : 2 lignes

1 phrase

45 46 47 48 49 Mug rayé

rouge et

blanc p. 19

Gros

plan sur

la tasse

Forme et

rayures

évoluent

devenant

un phare

vu de

plus loin

p. 21

Évolution-transformation du « mug » rayé rouge et

blanc en phare

Page 21

La scène se passe au bord de la mer

En arrière-plan : le phare (vignette 49) et

l’arrivée d’un paquebot de croisière

Le train sur le viaduc coupe la page en largeur

Au premier plan : les personnages à la plage :

certains se baignent, d’autres mettent des

coquillages dans un coffret (p. 22), le chien

noir assis tient les chaussures de la femme en

vert

Page 244: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

244

Page 22

Illustration double-

La scène se passe

En arrière-plan : des montagnes

En haut à gauche : le viaduc se termine, terminus

du train, les voyageurs descendent, on voit une

tour carrée

Au premier plan : les personnages arrivent sur

l’île en bateau : la femme en vert porte la valise,

les deux corbeaux sur le bout du bateau, l’homme

en rouge marche sur l’île et porte le gâteau

Sur l’autre bateau : le chat noir allongé, les deux

fleurs, la femme en bleu, le chat jaune assis, le

ballon rouge

Les deux canards nagent et le coffret flotte der-

rière eux

Tous les personnages vont vers la droite (vers

l’île)

Page 23

page à fond perdu

dans un décor lacustre

En arrière-plan : une forêt et deux bâtiments

Sur l’île, on trouve : des arbres, une table rectan-

gulaire vide, avec une nappe rouge et huit chaises

vides autour

Le chien noir assis les attend, il tient une valise, il

regarde vers la gauche (vers les personnages qui

arrivent)

(jeu d’ombres et de lumière, le décor se reflète

dans l’eau du lac)

Page 24

Illustration double-

La scène se passe autour de

En arrière-plan :

Gros plan et vue en plongée sur la table et

Sur les chaises, on trouve assis :

la femme en vert, un corbeau, le chien jaune,

l’homme en rouge

Sur la table, on trouve :

des assiettes et des verres,

un canard, le journal (p. 17), la peinture de la

maison (p. 7), un dessin, une algue, le gâteau

(p. 7), un pichet jaune

Page 25

page à fond perdu

la table à nappe rouge sur l’île

les arbres

les personnages rassemblés regardent à droite

la femme en bleu, le chien noir

Sur un dossier de chaise : un corbeau avec un

verre à pied

Il y a une chaise vide avec le ballon rouge (p. 11)

accroché

le chat noir allongé, un canard, des coquillages

(p. 21), une algue, le coffre (p. 21), une clef, les

deux fleurs roses (p. 13) dans un vase, le petit

gilet jaune (p. 15)

Page 26

Texte : 9 lignes

5 phrases

50 51 52 53 54 55 Un

tronc

d’arbre

parmi

d’autres

avec un

nœud

(p. 25)

L’œil se

rapproche

du nœud

de l’arbre

Gros

plan

sur le

nœud

de

l’arbre

qui

devient

un

visage

Le vi-

sage

devient

plus

lumineux

Le vi-

sage est

plus net,

lumineux

et sou-

riant

(p. 4)

Évolution et travelling avant : l’œil du lecteur se

rapproche du nœud de l’arbre qui devient un vi-

sage souriant (enfant p. 27) et (bébé : vignette 1)

Page 27

Décor boisé, allée d’arbres, la lumière se reflète

au sol

En arrière-plan : gros plan sur la porte vitrée

éclairée de l’intérieur

Un petit garçon souriant l’ouvre vers l’extérieur

Il s’avance vers le lecteur, l’allée va vers la

gauche (p. 25 : les autres personnages regardent

vers la droite)

Page 245: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

245

Page de garde

Page vierge d’écriture dans les tons ocre : couleur

de la terre.

Troisième de couverture

Page vierge d’écriture dans les tons ocre : couleur

de la terre.

Quatrième de couverture

Le titre

Texte amorce :

les trois premières phrases de l’album mais, avec

une fin ouverte (par les trois points de suspension)

pour donner envie de découvrir la suite.

Prix

ISBN

Code barre

Page 246: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

246

Programmation autour de l’univers d’Anne Brouillard

- Classes concernées : CP, CE1, CE2, CM1 et primo-arrivants

- Par groupe de 15 élèves environ pour une séance de 50 minutes par semaine

- Période d’un trimestre : septembre, octobre, novembre 2010

a) Séance imprégnation-découverte

Tous les albums illustrés, ceux écrits et illustrés par Anne Brouillard, ceux écrits par un

auteur et illustrés par Anne Brouillard, sont à disposition

Consignes : lire, feuilleter, seul ou à deux, … un ou plusieurs livres

Noter sur le carnet de littérature ses impressions, ses remarques …

b) Séance orale collective : les liens entre les albums

Faire ressortir, remarquer, exprimer … par les élèves les différents liens entre les

livres et les noter sur une affiche grand format :

- même illustratrice

- parfois auteure aussi

- les thèmes

- les personnages : humains et animaux

- les objets

- les décors : nature, eau, l’habitat …

- les moyens de locomotion

- le vocabulaire, les mots (titre et texte) « rêve, mystère … »

- la technique d’Anne Brouillard : dessin des personnages « flou » …

c) Double lecture d’un album sans texte (choisi par les élèves)

- première lecture orale collective, échanges-discussions, argumentation …

- deuxième lecture : se mettre d’accord à l’oral sur une lecture interprétative

- écriture individuelle de l’album en question

Page 247: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

247

au choix :

- La vieille dame et les souris

- La famille foulque

- Le pêcheur et l’oie

- Le voyageur et les oiseaux

- L’orage

- Promenade au bord de l’eau

- La grande vague

d) Articulation texte / images : distinguer les informations données par le texte et celles

données par l’image.

- choix d’un album écrit-illustré par Anne Brouillard ? Par exemple : « Il va

neiger » (qui parle ? comment le sait-on ?) : indices textuels et visuels …

- choix d’un album écrit par un auteur et illustré par Anne Brouillard ?

- par exemple deux collaborations : avec Nadine Brun Cosme (Lilia ; Entre fleuve et

canal) ou avec Thierry Lenain (Demain les fleurs ; Julie capable) ?

- Relations auteur / illustrateur, collaboration ; répondre à des questions et justifier …

e) Ateliers d’écriture : un album par groupe de 2 ou 3 élèves maximum :

- inventer un dialogue entre deux personnages récurrents

- écrire les Cartes postales et les adresses (des animaux)

- cartographier « Promenade au bord de l’eau »

- écrire « Mystère » : point de vue du chat et de la fillette

- écrire « Il va neiger » : point de vue des enfants et / ou des parents (ceux à

l’extérieur) ; point de vue du chat

- écrire les dialogues de « Le temps d’une lessive » ; « Le grand murmure » dans des

bulles, à la manière d’une BD

- travailler autour de Couleurs / Noir et Blanc : Pourquoi certaines images sont en

couleurs et d’autres en Noir et Blanc ? À quoi le vois-tu ? Comment le sais-tu ?

Argumente-le …

- différence rêve et réalité : « Le temps d’une lessive ; Le chemin bleu ; Le pays du

rêve ; Le rêve du poisson »

Page 248: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

248

- écrire à la manière de « poème » comme dans « La terre tourne » ; « Sept minutes et

demie »

- écrire à la manière de « je » comme dans « Le chemin bleu » ; « Le rêve du poisson »

- écrire à la manière de « narrateur omniscient » comme dans « Le bain de la

cantatrice » ; « La maison de Martin » ; « Reviens sapin »

f) Lettre à Anne Brouillard :

- lui faire partager mon expérience de lecteur dans son univers

- lui poser des questions

- lui faire partager mon interprétation

- lui dire ce que j’ai préféré dans son travail … pourquoi ?

Page 249: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

249

Paroles de la chanson de Jacques Prévert En sortant de l’école

(1946)494

494

Source : http://pedagogite.free.fr/poesie/sortant_ecole.pdf

Page 250: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

250

Paroles de la chanson de Grand Corps Malade Les voyages en

train

J'crois que les histoires d'amour C'est comme les voyages en train

Et quand j'vois tous ces voyageurs Parfois j'aimerais en être un

Pourquoi tu crois que tant de gens attendent sur le quai de la gare ?

Pourquoi tu crois qu'on flippe autant d'arriver en retard ?

Les trains démarrent souvent au moment où on s'y attend le moins

Et l'histoire d'amour t'emporte sous l'œil impuissant des témoins

Les témoins c'est tes potes qui te disent au-revoir sur le quai

Et regardent le train s'éloigner avec un sourire inquiet

Toi aussi tu leur fait signe et t'imagines leurs commentaires

Certains pensent que tu te plantes et qu't'as pas les pieds sur terre

Chacun y va de son pronostic sur la durée du voyage

Pour la plupart le train va dérailler dès le premier orage

Le grand amour change forcément ton comportement

Dès le premier jour faut bien choisir ton compartiment

Siège couloir ou contre la vitre y faut trouver la bonne place

Tu choisis quoi ? Une love story d'première ou d'seconde classe ?

Dans les premiers kilomètres tu n'as d'yeux que pour son visage

Tu calcules pas derrière la fenêtre le défilé des paysages

Tu t'sens vivant, tu t'sens léger et tu ne vois pas passer l'heure

T'es tellement bien que t'as presque envie d'embrasser le contrôleur

Mais la magie ne dure qu'un temps et ton histoire bat de l'aile

Toi tu dis qu'tu n'y es pour rien et qu'c'est sa faute à elle

Le ronronnement du train te saoule et chaque virage t'écœure

Faut qu'tu t'lèves que tu marches, tu vas t'dégourdir le cœur

Et le train ralentit c'est d'jà la fin d'ton histoire

En plus t'es comme un con tes potes sont restés à l'autre gare

Tu dis au r'voir à celle que t'appel'ras désormais ton ex

Dans son agenda sur ton nom, elle va passer un coup d'tip-ex

C'est vrai qu'les histoires d'amour c'est comme les voyages en train

Et quand j'vois tous ces voyageurs parfois j'aim'rais en être un

Pourquoi tu crois qu'tant d'gens attendent sur le quai d'la gare ?

Pourquoi tu crois qu'on flippe autant d'arriver en r'tard ?

Pour beaucoup la vie s'résume à essayer d'monter dans l'train

A connaitre ce qu'est l'amour et s'découvrir plein d'entrain

Pour beaucoup l'objectif est d'arriver à la bonne heure

Pour réussir son voyage et avoir accès au bonheur

Il est facile de prendre un train, encore faut-il prendre le bon

Moi chui monté dans deux-trois rames mais c'était pas l'bon wagon

Car les trains sont capricieux et certains son inaccessibles

Et je n'crois pas tout l'temps qu'avec la sncf c'est possible

Il y a ceux pour qui les trains sont toujours en grève

Et leurs histoires d'amour n'existent que dans leurs rêves

Et y ceux qui foncent dans l'premier train sans faire attention

Mais forcément ils descendront déçus à la prochaine station

Y a celles qui flippent de s'engager parce qu'elles sont trop émotives

Page 251: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

251

Pour elles c'est trop risqué d's'accrocher à la locomotive

Et y a les aventuriers qu'enchainent voyage sur voyage

Dès qu'une histoire est terminée, ils attaquent une autre page

Moi après mon seul vrai voyage j'ai souffert pendant des mois

On s'est quittés d'un commun accord mais elle était plus d'accord que moi

Depuis j'traine sur le quai, j'regarde les trains au départ

Y a des portes qui s'ouvrent mais dans une gare j'me sens à part

Y parait qu'les voyages en train finissent mal en général

Si pour toi c'est l'cas accroche-toi et garde le moral

Car une chose est certaine y aura toujours un terminus

Maint'nant tu es prév'nu, la prochaine fois tu prendras l'bus...

(2006) 495

495

Source : http://www.paroles-musique.com/paroles-Grand_Corps_Malade-Les_Voyages_En_Train-

lyrics

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252

TABLE

SOMMAIRE 3

INTRODUCTION 5

Présentation de l’auteure-illustratrice Anne BROUILLARD 9

PREMIÈRE PARTIE : Circuler d’un album à l’autre à partir de

La terre tourne 13

I. Présentation de l'album La terre tourne 17

A. Au fil de la lecture 21

B. La description des illustrations 23

1. Les portes 23

2. Les illustrations de pleine page 26

3. Les vignettes de bas de page 33

C. Le fil de la narration : le texte 37

II. Quelques résonnances lexicales et thématiques 45

A. Les résonnances lexicales page par page 49

B. Les différents types de narrateurs textuels 66

1. Les textes impersonnels 66

2. Les textes à la troisième personne 68

a) « on » 68

b) « il, elle, on ; ils, elles » + dialogues discours direct 68

c) 3ème

personne + échanges oraux ou écrits « je » 72

d) 3ème

personne et « je » 76

3. Les textes à la première personne « je » 77

C. Comment La terre tourne est évoquée à travers les sens ? 81

Page 253: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

253

1. L’ouïe 81

2. La vue 82

3. L’odorat 82

D. La rotondité 83

E. Les éléments 84

1. L’air 84

2. L’eau 85

3. La terre 85

III. Quelques résonnances imagières 87

A. Les personnages 88

1. Les animaux 88

a) Le chat 88

b) Le chien 93

c) Le corbeau ou la corneille 99

d) Le canard 101

2. Les êtres humains 103

a) L’homme en rouge 103

b) La fille en bleu et rouge 107

c) La dame en vert 107

d) L’enfant 108

B. L’environnement 113

1. La neige 113

2. Le paysage lacustre 114

3. Les éléments 116

a) L’air 117

b) L’eau 118

c) Le feu 119

d) La terre 120

4. La ville 121

C. Les objets 122

1. Le ballon rouge 122

2. La valise 124

3. La cafetière 125

Page 254: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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4. Le chemin de fer 127

D. La rotondité 130

1. Le point de départ correspond au lieu d’arrivée 132

2. Tout tourne dans le même espace 132

3. D’un point à l’autre « presque » identique 132

4. Le point d’arrivée est le « même » monde inversé 133

DEUXIÈME PARTIE : Un exemple de continuité narrative 134

I. Le pêcheur et l’oie 138

A. Le mouvement de la première de couverture 139

B. Le mouvement de la quatrième de couverture 140

C. Le rythme des illustrations et la mise en page 140

II. Le voyageur et les oiseaux 144

A. Le mouvement de la première de couverture 145

B. Le mouvement de la quatrième de couverture 146

C. Le rythme des illustrations et la mise en page 146

III. La famille foulque 150

A. La première de couverture 152

B. La quatrième de couverture 153

C. Les pages de garde 153

D. Le cheminement dans l’espace 154

E. L’évolution dans le temps 157

IV. La vieille dame et les souris 160

A. La première de couverture 161

B. La quatrième de couverture 162

C. Les pages de garde 163

D. Le cheminement dans l’espace 165

E. L’évolution dans le temps 169

Page 255: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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V. De l’autre côté du lac496

173

A. La couverture 176

B. Les pages de garde 177

C. Le narrateur imagier 177

D. Le narrateur textuel 180

VI. Les liens et les résonnances entre eux 183

A. Les personnages 183

B. Les objets 190

C. Le temps qui passe 194

D. L’espace, le cadre, l’ambiance 195

VII. Les liens et les résonnances avec La terre tourne 198

CONCLUSION 201

BIBLIOGRAPHIE détaillée d’Anne Brouillard 204

BIBLIOGRAPHIE 223

SITOGRAPHIE 229

ANNEXES 231

Quelques pages du carnet de croquis de l’album 232

Quelques illustrations et gravures sur le journal La tribune de Bruxelles 238

Le chemin de fer de La terre tourne 240

Programmation autour de l’univers d’Anne Brouillard en classe 246

Paroles de la chanson de Jacques Prévert En sortant de l’école 249

Paroles de la chanson de Grand Corps Malade Les voyages en train 250

TABLE 252

496

« À cause de l’inspiration, c’est le même lac que dans La terre tourne. De l’autre côté du lac est aussi

inspiré de l’ambiance de ce fameux lac Teåkersjön à Dalskog en Suède. » Extrait de l’entretien télépho-

nique avec Anne Brouillard du 31/01/2011.

Page 256: REMERCIEMENTS - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/MEM.-DEF.1.pdfAnne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père belge

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