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Rencontre avec… Harlan Coben, par Marieke Mille (novembre 2012) 1 Rencontre avec… Harlan Coben Par Marieke Mille, rédactrice en chef de la revue Lecture Jeune Novembre 2012 Harlan Coben, auteur prolixe de thrillers, a publié en septembre dernier A découvert, destiné d’une part à son lectorat habituel mais également, par le biais d’une parution chez Pocket Jeunesse, à un lectorat d’adolescents et de jeunes adultes. A l’occasion de cette double publication, Lecture Jeunesse l’a rencontré. Lecture Jeune : Harlan Coben, vous avez été découvert en France avec la publication de Ne le dis à personne en 2002. Depuis, chacun de vos nombreux livres a rencontré un grand succès et on vous qualifie même de « maître des nuits blanches ». Avez-vous une méthode d’écriture particulière pour parvenir à happer votre public ? Harlan Coben : En général, je connais le début et la fin d’une histoire mais je dispose de peu d’éléments entre les deux. C’est un peu comme si j’envisageais de faire un voyage du New Jersey en Californie, sans savoir par où j’allais passer. Je peux soit prendre la route directe, soit faire un détour par le canal de Suez ou même par Tokyo. Ensuite, j’écris les chapitres les uns après les autres, mais pas de façon linéaire. Je rédige le début, puis je le reprends le lendemain et poursuis le passage de la veille, et ainsi de suite. Toutes les soixante-dix pages environ, je relis l’ensemble pour m’assurer de sa cohérence et couper ce qui me paraît superflu. Né en 1962, Harlan Coben vit dans le New Jersey avec sa femme et leurs quatre enfants. Diplômé en sciences politiques du Amherst College, il a travaillé dans l’industrie du voyage avant de se consacrer à l’écriture. Depuis ses débuts en 1995, la critique n’a cessé de l’acclamer. Il est notamment le premier auteur à avoir reçu à la fois le Edgar Award, le Shamus Award et le Anthony Award, les trois prix majeurs de la littérature à suspense aux Etats-Unis. Ses romans ont été traduits dans une quarantaine de langues. Le premier de ses livres paru en France, Ne le dis à personne – Prix du polar des lectrices de Elle en 2003 – a obtenu d’emblée un énorme succès auprès du public et de la critique.

Rencontre avec… Harlan Coben - Lecture Jeunesse · noie (Fleu Àe Noi, 2009), Sans laisse d’ad esse (elfond, 2010) et Sous haute tension ... palpitants est impotant mais il est

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Rencontre avec… Harlan Coben, par Marieke Mille (novembre 2012) 1

Rencontre avec… Harlan Coben

Par Marieke Mille, rédactrice en chef de la revue Lecture Jeune

Novembre 2012

Harlan Coben, auteur prolixe de thrillers, a publié en septembre dernier A découvert, destiné d’une

part à son lectorat habituel mais également, par le biais d’une parution chez Pocket Jeunesse, à un

lectorat d’adolescents et de jeunes adultes. A l’occasion de cette double publication, Lecture Jeunesse

l’a rencontré.

Lecture Jeune : Harlan Coben, vous avez été découvert en France avec la publication de Ne le dis à

personne en 2002. Depuis, chacun de vos nombreux livres a rencontré un grand succès et on vous

qualifie même de « maître des nuits blanches ». Avez-vous une méthode d’écriture particulière pour

parvenir à happer votre public ?

Harlan Coben : En général, je connais le début et la fin d’une histoire mais je dispose de peu d’éléments

entre les deux. C’est un peu comme si j’envisageais de faire un voyage du New Jersey en Californie,

sans savoir par où j’allais passer. Je peux soit prendre la route directe, soit faire un détour par le canal

de Suez ou même par Tokyo. Ensuite, j’écris les chapitres les uns après les autres, mais pas de façon

linéaire. Je rédige le début, puis je le reprends le lendemain et poursuis le passage de la veille, et ainsi

de suite. Toutes les soixante-dix pages environ, je relis l’ensemble pour m’assurer de sa cohérence et

couper ce qui me paraît superflu.

Né en 1962, Harlan Coben vit dans le New Jersey avec sa femme et

leurs quatre enfants. Diplômé en sciences politiques du Amherst

College, il a travaillé dans l’industrie du voyage avant de se consacrer à

l’écriture. Depuis ses débuts en 1995, la critique n’a cessé de

l’acclamer. Il est notamment le premier auteur à avoir reçu à la fois le

Edgar Award, le Shamus Award et le Anthony Award, les trois prix

majeurs de la littérature à suspense aux Etats-Unis. Ses romans ont été

traduits dans une quarantaine de langues. Le premier de ses livres paru

en France, Ne le dis à personne – Prix du polar des lectrices de Elle en

2003 – a obtenu d’emblée un énorme succès auprès du public et de la

critique.

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LJ : Pourquoi avoir choisi pour la première fois d’écrire pour la jeunesse ?

HC : Je me suis tourné vers ce lectorat pour différentes raisons. Tout d’abord, ayant moi-même quatre

enfants de onze à dix-huit ans, je souhaitais publier un livre qui leur soit adressé. Ensuite, je me suis

aperçu que lorsqu’on parlait de la littérature pour jeunes adultes, les histoires les plus plébiscitées

comme Harry Potter, Twilight ou Hunger Games étaient essentiellement des récits de dystopie, peu-

plés de magiciens ou de vampires qui renvoyaient à une réalité alternative. De fait, il n’y avait quasi-

ment pas de livres pour cette tranche d’âge dans mon domaine, à savoir des thrillers en série avec une

intrigue forte et très structurée. La troisième raison repose sur l’introduction de Mickey Bolitar, le ne-

veu de Myron1, dans la dernière aventure de mon héros, Sous haute tension. A l’arrivée de ce nouveau

personnage, j’ai eu envie de l’explorer davantage car j’avais le sentiment qu’il avait beaucoup à dire.

Enfin, je souhaitais que les lecteurs adultes et jeunes adultes puissent partager leur lecture. Lors de

signatures, j’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer des parents avec leurs enfants, parfois même trois

générations réunies. Je trouve cela très fort.

LJ : Comment vont désormais s’équilibrer les livres entre les aventures de Mickey et celles de My-

ron ?

HC : Aujourd’hui, je ne sais pas encore comment Mickey et Myron vont évoluer. Certes, il y a des simi-

larités entre eux, mais il s’agit quand même de deux personnages distincts qui, pour l’instant, évoluent

chacun dans une sphère différente. Mickey Bolitar présente certaines similitudes avec Myron, mais il

s’en démarque également. Tout d’abord, il est plus jeune et représente d’une certaine façon la per-

sonne qu’aurait pu devenir Myron dans d’autres circonstances – s’il n’avait pas eu une enfance heu-

reuse, s’il ne s’était pas blessé au basket… Ce qui m’intéressait particulièrement en tant qu’auteur était

d’observer comment Myron, alors qu’il est un héros pour les lecteurs, ne l’est pas du tout aux yeux de

son neveu. L’empathie et la sensibilité qui rendent le personnage sympathique sont perçues par

Mickey comme de la mollesse ; il le trouve trop émotif. Ce type de relation m’amusait beaucoup, aussi

voulais-je la développer dans cet ouvrage. En réalité, Mickey n’aime pas beaucoup son oncle du fait de

leur forte ressemblance. Mais je n’ai pas envie d’abandonner Myron. C’est toujours un peu le problème

avec les séries, surtout lorsqu’on décide de laisser vieillir son personnage. Quand j’ai commencé l’his-

toire de Myron Bolitar, il avait 27 ans. Maintenant, il approche de la quarantaine. Je veux qu’il continue

de vieillir – peut-être moins vite que moi – mais, effectivement, il arrivera sûrement un moment où il

sera trop âgé. Il est possible qu’à ce moment, Mickey se substitue complètement à son oncle, mais je

ne suis pas capable de projeter le personnage aussi longtemps à l’avance.

1 Myron Bolitar est un personnage récurrent de Harlan Coben qu’on découvre dans Rupture de contrat (Fleuve Noir, 2003) et qu’on retrouve ensuite dans Balle de Match (2004),Faux Rebond (2005), Du Sang sur le green (2006), Temps mort (2007), Promets-moi (Belfond, 2007), Mauvaise Base (Fleuve Noir, 2008), Peur noire (Fleuve Noir, 2009), Sans laisser d’adresse (Belfond, 2010) et Sous haute tension (Belfond, 2012).

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Il s’agissait de parvenir à me replonger dans ma propre

adolescence mais également de me montrer attentif à ce que

racontaient mes enfants.

LJ : Mickey va-t-il aussi vieillir ?

HC : Au début, je pensais que Mickey allait également vieillir et éventuellement suivre l’âge de son

lectorat. Cependant, le premier tome de ses aventures se déroule sur trois jours et c’est le même laps

de temps pour le second qui reprend l’intrigue au moment même où le premier s’était arrêté. En deux

livres, à peine une semaine s’est écoulée. A ce rythme, mon personnage a le temps avant de commen-

cer réellement à prendre de l’âge !

LJ : Cet ouvrage se démarque-t-il de vos habituels romans pour adultes ?

HC : Ce premier roman s’arrête sur un suspense très intense auquel le second volume apportera des

réponses. Il suscitera également de nouvelles questions, alors que ce n’est pas mon habitude dans mes

livres pour adultes. Par ailleurs, par de nombreux aspects, A découvert est mon roman le plus noir.

Mickey contrevient aux règles en conduisant sans permis ou en falsifiant ses papiers pour entrer dans

des lieux où il ne devrait pas se trouver. L’intrigue elle-même s’appuie sur des éléments sombres de

notre Histoire, comme la seconde guerre mondiale et l’Holocauste. Ce roman traite de sujets plus

graves que ceux que j’aborde dans mes romans adultes.

LJ : Comment avez-vous trouvé l’inspiration pour vous mettre dans la peau d’un adolescent ?

HC : Il s’agissait de parvenir à me replonger dans ma propre adolescence mais également de me mon-

trer attentif à ce que racontaient mes enfants. J’ai écrit des livres avec, comme personnages princi-

paux, des femmes, des hommes, jeunes ou vieux. Ecrire les aventures d’un jeune adolescent n’était

donc pas très difficile. Mes quatre enfants ont cependant été une source d’inspiration. En passant du

temps avec eux et en me mettant en retrait pour écouter leurs conversations, j’ai noté les anecdotes

qu’ils racontaient et qui se sont révélées de précieux éléments. La scène de la rencontre entre Mickey

et « Cuillère », par exemple, reprend une situation vécue exactement à l’identique par mon fils. Alors

que la première scène du livre, celle décrivant les jeux pour fédérer un groupe à la rentrée des classes,

est directement issue d’une expérience de ma fille aînée.

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Certes, créer des intrigues bien ficelées aux rebondissements

palpitants est important mais il est également nécessaire de placer

l’humain au centre du livre.

LJ : Le fait d’écrire pour un jeune public vous a-t-il donné l’envie de transmettre des connaissances

par le biais de votre livre ?

HC : Non, ce n’est jamais ma préoccupation première. Je pense que la visée pédagogique appartient

aux professeurs ou aux ouvrages documentaires. A mon sens, le travail d’un romancier ne se situe pas

à ce niveau-là. Je mets avant tout l’accent sur l’histoire, sur sa qualité et son efficacité. Il peut m’arriver

de transmettre une opinion ou un message dans mes livres mais seulement si ces derniers sont au

service de l’histoire. Il ne s’agit pas pour autant de s’exempter d’une vision morale, d’un regard critique

de la société dans laquelle nous vivons, mais l’essentiel pour moi reste avant tout l’intrigue. Je ne

cherche pas à impressionner mes lecteurs ou à me placer au-dessus d’eux. Je souhaite écrire des ro-

mans divertissants, qui vont tenir le lecteur en haleine, l’empêcher de dormir, et je crois d’ailleurs que

je suis le plus efficace sur ces points.

LJ : Vous êtes pourtant attaché à certains thèmes comme la famille, le passé, la disparition…

HC : Les écrivains ont besoin d’être catégorisés. Je suis considéré comme un auteur de livres noirs alors

qu’en réalité, mes ouvrages n’exposent jamais de crime suivi d’une enquête comme le font les romans

policiers traditionnels. La forte présence de la famille dans mon œuvre est certainement une des rai-

sons pour lesquelles mes livres intéressent le public. Certes, créer des intrigues bien ficelées aux re-

bondissements palpitants est important mais il est également nécessaire de placer l’humain au centre

du livre. Le lecteur s’attache ainsi aux personnages, vit avec émotion leurs aventures. Je pense que

cela explique la fidélité de mon lectorat. S’il suit chacune de mes publications, c’est qu’il ne s’agit pas

simplement de polars haletants, mais sans âme. J’aime également l’idée que le passé puisse refaire

surface sans prévenir. Malgré les tentatives des personnages pour le laisser derrière eux, il trouve tou-

jours un moyen de resurgir. Dans le cas d’une affaire criminelle classique, la mort s’impose comme une

fatalité. Il ne reste plus qu’à trouver l’assassin et à cerner ses motivations.Un ressort essentiel de mes

romans, la disparition, opère de façon plus complexe. C’est également un drame mais il porte avec lui

une possibilité de dénouement heureux, il permet l’espoir. Or l’espoir est un sentiment extrêmement

fort qui contribue à accrocher le lecteur.

Propos recueillis par Marieke Mille, rédactrice en chef de la revue Lecture Jeune, initialement paru sur

le blog de Lecture Jeunesse en novembre 2012.

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Publications

Le Livre des étoiles

Qadehar le sorcier, Gallimard Jeunesse, 2001.

Le Seigneur Sha, Gallimard Jeunesse, 2002.

Le Visage de l’Ombre, Gallimard Jeunesse, 2003.

Les Maîtres des brisants

Chien-de-la-lune, Gallimard Jeunesse, 2004.

Le Secret des abîmes, Gallimard Jeunesse, 2005.

Seigneurs de guerre, Gallimard Jeunesse, 2009.

Phænomen

Phænomen, Gallimard Jeunesse, 2006.

Plus près du secret, Gallimard Jeunesse, 2007.

En des lieux obscurs, Gallimard Jeunesse, 2008.

Contes d’un royaume perdu, illustrations de François Place, Gallimard Jeunesse, 2003.

Cochon Rouge, Gallimard Jeunesse, 2009.

Des Pas dans la neige, Gallimard Jeunesse, 2010.

A comme association

La Pâle Lumière des ténèbres, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2010.

Les Limites obscures de la magie, Pierre Bottero, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2010.

L’Etoffe fragile du monde, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2011.

Le Subtil Parfum du soufre, Pierre Bottero, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2011.

Là où les mots n’existent pas, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2011.

Ce qui dort dans la nuit, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2011.

Car nos cœurs sont hantés, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2012.

Le regard brûlant des étoiles, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2012.