49
Document de travail (Scientifique) Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par l’innovation dans les modèles de développement Présenté par Rafiou Alfa Boukari Ingénieur agro économiste (Université de Lomé), MSc. M2 Économie et management publics (Université de Montpellier) & MPhil M2 Economie du développement (Montpellier Supagro), PhD Sholar en Commerce équitable appliqué à l’économie internationale Horizons University

Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

Document de travail (Scientifique) Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

l’innovation dans les modèles de développement

Présenté par

Rafiou Alfa Boukari

Ingénieur agro économiste (Université de Lomé), MSc. M2

Économie et management publics (Université de Montpellier) &

MPhil M2 Economie du développement (Montpellier Supagro),

PhD Sholar en Commerce équitable appliqué à l’économie

internationale

Horizons University

Page 2: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

2

Sommaire

Introduction ............................................................................................................................................. 3

1. Contexte et Problématique .............................................................................................................. 7

2. Analyse critique de la littérature sur les questions de la pauvreté et des inégalités ...................... 10

2.1. Revue conceptuelle de la pauvreté et des inégalités .................................................................. 10

2.1.2. Critique de la pensée de Rawls par Nozick ......................................................................... 11

2.1.3. Brève analyse de la pensée de Sen ...................................................................................... 13

2.1.4. Critique de la pensée de Rawls par Sen et apport de Nussbaum ......................................... 13

2.1.5. Conception utilitariste et marginaliste de la pauvreté.......................................................... 15

2.2. Outils de mesure et instruments d’analyse de la pauvreté .......................................................... 17

2.2.1. La pauvreté monétaire : pauvreté absolue et la pauvreté relative ........................................ 17

2.2.2. La pauvreté non monétaire : Pauvreté en condition de vie et pauvreté subjective .............. 19

2.2.3. La pauvreté multidimensionnelle ........................................................................................ 21

2.3. Inégalités, croissance, redistribution et réduction de la pauvreté : Schéma de la lutte contre la

pauvreté au Nord ............................................................................................................................... 23

2.4. Les politiques de développement comme outil de lutte contre la pauvreté au Sud .................... 26

3. Au-delà des théories binaires de macroéconomie keynésienne et de la micro-économie

néoclassique : réflexion sur la théorie de la complexité comme outil d’appréhension et de prise en

charge de la pauvreté ............................................................................................................................. 30

4. Au-delà de la pensée binaire d’individualisme et d’holisme méthodologique : remettre la pensée

complexe dans l’appréhension des phénomènes de la pauvreté et des inégalités ................................. 36

Conclusion et perspectives .................................................................................................................... 41

Bibliographie ......................................................................................................................................... 44

Page 3: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

3

Introduction

Le caractère multidimensionnel de la problématique de la pauvreté en fait une question sociale

et politique tout autant qu’économique. La pauvreté pour un individu n’est pas forcément

synonyme de la pauvreté pour un ménage, ni celle d’un territoire. « Pour un individu, la

pauvreté est d’abord perçue comme une détérioration des liens qui l’attachent à une

communauté de vie. L’appauvrissement est d’abord exclusion des modes d’accès aux

ressources productrices de revenus et de liens sociaux (…), l’appauvrissement est une

désocialisation » (Marc Levy & Anne-Sophie Brouillet, 2003).

La compréhension et l’appropriation du concept de la pauvreté n’est donc pas chose

schématique et linéaire. Elle passe en effet par une appréhension globale des dynamiques

économiques, sociales et humaines: l’étude des différents acteurs, de leurs pratiques et de leurs

normes, l’analyse des dynamiques du développement international, l’analyse des secteurs qui

sous-tendent l’économie selon l’activité et la finance correspondante, l’étude des rapports entre

les systèmes économiques nationaux, régionaux ou sous-régionaux et les modes de pénétration

de l’économie globale internationale dans ces systèmes ainsi que les réactions et conflits

d’intérêts qui en résultent. Une meilleure compréhension des dynamiques économiques et

sociales n’est pas chose aisée à appréhender non plus. Elle nécessite de croiser et d’articuler

différentes échelles dont les niveaux d’activité (primaire, secondaire, tertiaire), les secteurs

d’intervention (santé, éducation, agricole, agroalimentaire, pharmaceutique minier, numérique,

etc.), le monde de la finance (microfinance, banques, bourses et actions), les domaine

d’études (microéconomie, méso-économie, macroéconomie) les territoires impliqués (pays

développés versus pays en développement), de faire appel à plusieurs disciplines (sciences

politiques, économie, sociologie, statistiques, anthropologie, géographie, histoire, etc.), et de

confronter plusieurs acteurs (les politiques, les chercheurs, les universitaires, les opérateurs

économiques, les collectivités décentralisées, les organisations internationales, les institutions

publiques). D’où la complexité du phénomène ; complexité qui d’ailleurs, peut expliquer

l’existence de « trappe à pauvreté » (poverty trap) que Costas Azariadis et John Stachurski

(2005) définissent comme « tout mécanisme auto-renforçant qui amène la pauvreté à persister

».

En effet, le phénomène des trappes à pauvreté a connu une évolution depuis l’après-guerre et

ne cesse de donner questions à débats chez les acteurs sociopolitiques et économiques tant au

niveau des pays développés que des pays en développement. Au niveau des pays développés,

Page 4: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

4

le débat s’articule autour des politiques de croissances inspirées des modèles de Robert Solow

(1956), des politiques d’arrangements institutionnels (North, 1981, 1990) et des politiques

redistributives (Cahuc, 2003; Bourguignon 2004) couplées aux politiques sociales et actives de

soutien à l’emploi (Card, 2014) pour gérer les fractures sociales et endiguer les inégalités

galopantes, ceci avec comme soubassement les contributions de la littérature de l’Economie

comportementale (Kahneman et al., 2000) et de l’Economie du bonheur (Senik, 2014). A la

différence des pays du Nord, les actions en faveur de la lutte contre la pauvreté au niveau des

pays du Sud se focalisent majoritairement sur les politiques de développement sous les

directives de la Banque mondiale, des organisations du Systèmes des Nations Unies dont le

PNUD et les ONG internationales, politiques construites sur instrumentalisation inspirée

historiquement de l’approche des Capabilités d’Amartya Sen (1981) pour en faire des indices

statistiques composites dont l’IDH (Indice du Développement Humain) pour la Banque

mondiale et l’IPH (Indice de Pauvreté Humaine) pour le PNUD. Mieux, la lutte légale et morale

en faveur de l’égalité de traitement hommes-femmes dans la sphère sociale, est récupérée

instrumentalement pour en faire des indices composites regroupés sous le vocable

d’« Indicateurs sexo-différenciés » dont l’ISDH (Indicateur Sexospécifique du Développement

Humain) et l’IPF (Indicateur de la Participation des Femmes) ; tout ceci légitimé par les moteurs

« d’Empowerment » et la promotion de la microfinance (Prévost et Palier, 2007) pour, au sens

microéconomique, lutter contre la pauvreté dans les pays en développement où, faut-il le

rappeler, l’activité est encore majoritairement et fortement dominée par le secteur primaire et

informel pour la plupart des cas.

Par ailleurs, alors que la plupart des pays dits « développés » avec des économies fortement

industrialisées et tertiarisées, utilisent les instruments macroéconomiques telle la balance

commerciale et les politiques monétaires entre autres pour contrôler et gérer leurs relations

économiques internationales, stabiliser leurs agrégats macroéconomiques intérieurs et assurer

le financement du fonctionnement de leurs économies internes respectives via des approches

« appui budgétaire » favorisant ainsi une forme de lisibilité de leurs ressources - emplois et une

complémentarité entre l’Etat et le marché dans la gestion de leurs économies respectives, la

plupart des pays en développement sont toujours borgnes du PIB (Produit intérieur brut) et

n’ont pour bible pour justifier leurs performances économiques respectives sur la scène

internationale, que l’obsessionnelle atteinte des taux de croissance à deux chiffres chapotée par

la bonne gouvernance. Quand bien même le cadrage macroéconomique est dicté par le Fonds

monétaire international avec des dispositifs de fonctionnement économique via des prêts

Page 5: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

5

concessionnels à taux d’intérêt colossal pour financer des « projets de développement » décidés

majoritairement par ceux-là même qu’ils qualifient de « Partenaires techniques et financiers »

dont la Banque Mondiale comme chef d’orchestre. Le PIB et le taux de croissance du PIB étant

également et le plus souvent contrastés avec les indices IDH et IPH, et déconnectés de la réalité

socio-économique au sens microéconomique de leurs populations respectives toujours sous le

poids de la pauvreté et vivant avec pour la majorité, moins de 1, 25 dollars/jour (Ravaillon

1992). Ceci interroge d’une part, sur la nature et l’organisation entre le marché et l’Etat dans le

fonctionnement économique et sociologique tant au niveau des pays développés que des pays

en développement. Comprendre une telle complémentarité ne saurait se soustraire de l’analyse

historique des théories économiques et l’évolution du rôle de l’Etat et du marché dans la pensée

économique avec les complexités qui les caractérisent, tout en mobilisant les outils de

l’Economie politique, la nouvelle sociologie et anthropologie économique et/ou de la nouvelle

économie institutionnelle.

Aussi le choc exogène que subit l’économie mondiale depuis mars 2020, consécutivement à la

crise sanitaire liée au coronavirus, vient mettre à nu toutes les défaillances du fonctionnement

économique dans le monde. La crise économique vient bousculer le dogme économique selon

lequel l’Etat n’intervient dans l’économie que pour gérer les défaillances du marché pour faire

resurgir le débat sur la place de l’Etat providence et régulateur dans un contexte où l’Economie

de marché et les échanges commerciaux internationaux sont soumis à rude épreuve. Cette crise

vient mettre aussi en lumière le voile que constitue la dette dans le fonctionnement économique

où tous les acteurs économiques, qu’ils soient du marché ou de l’Etat sont pratiquement tous

endettés. Au moment où les pays développés optent pour les politiques de créations monétaires

(bien que discutables) et la gestion mutualisée de leurs dettes publiques dictées par le

mécanisme des taux directeurs au niveau de leurs Banques centrales respectives et l’incitation

à la consommation pour relancer l’Economie, les Pays du Sud n’ont globalement pour seuls

leviers, alternatives et arguments pour la relance que de quémander l’annulation de leurs dettes

extérieures auprès de ceux qualifiés de Club de Londres (dettes privées) et Club de Paris (dettes

publiques) de même que la pression fiscale sur leurs populations respectives de la classe

moyenne. C’est dire combien le monde de la finance internationale avec sa libéralisation et ses

mécanismes de marchés financiers assure également une forme d’autonomie dans leur

fonctionnement et une hégémonie sans partage sur le financement de l’économie réelle. Comme

l’a si bien mis en lumière François-Xavier Merrien (2000), « la réorientation des États-

providence dans un sens plus néo-libéral est expliquée par quatre facteurs, souvent connectés :

Page 6: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

6

la pression de la nouvelle économie internationale, le diktat des marchés financiers, la

diminution des marges de manœuvre des États nationaux et la conversion des élites au nouveau

référentiel des politiques publiques ». Les marges de manœuvre des gouvernements et de l’Etat

étant globalement étroites et circonscrits, ils se doivent non seulement d'éviter de prendre des

décisions politiquement impopulaires mais aussi ne peuvent faire totalement abstraction des

pressions des hommes d'affaires. Ils ne peuvent pas non plus « négliger les implications

financières de leurs décisions » et ils « s'émancipent difficilement de la théorie économique

aujourd'hui hégémonique. » Par ailleurs la crise sanitaire et sa conséquence de crise

économique systémique, vient mettre en lumière et confirmer hautement l’hypothèse de

Banerjee et Duflo (2012) selon laquelle « la Santé peut-être une source de trappe à pauvreté »

et remet sur la table de discussion la recommandation formulée par les auteurs quant au rôle de

l’Etat de concentrer les efforts en matière d’incitations à la prévention et une meilleure

utilisation optimale des outils de santé publique, donc une forme redynamisation du rôle de

l’Etat.

Au regard des défis actuels de la globalisation et de la mondialisation des économies, des

réflexions qui font donc appel à une transdisciplinarité et curiosité d’esprit et qui suscitent

l’émergence d’une intelligence collective nous paraissent primordiales. C’est partant de cette

logique de pensées et pour aider à l’émergence d’une telle intelligence collective, que nous nous

intéressons à la question de la pauvreté, problématique qui relève non seulement du champ des

sciences économiques, mais aussi des autres disciplines sociales susmentionnées,

problématique qui, nous dirons, se situe au centre des débats sur l’existence humaine toute

chose égale par ailleurs. C’est pour lancer les bases d’un travail éclectique empruntant une

approche systémique pour appréhender la problématique de la pauvreté et des inégalités

sociales, la recherche de la justice sociale et le bien-être individuel et collectif que nous nous

intéressons au sujet de ce travail.

Page 7: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

7

1. Contexte et Problématique

Le titre de cet article, tel formulé « Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

l’innovation dans les modèles de développement », est vecteur en soi de toute la problématique

à laquelle notre travail se propose d’apporter une lumière et des approches de compréhension.

Pour Slim (2010), quiconque cherche à appréhender la problématique de la pauvreté rencontre

immédiatement des problèmes de trois ordres : conceptuel, statistique, analytique. Le premier,

conceptuel, et de loin le plus problématique, consiste à s’entendre sur la définition exacte de la

pauvreté, « une notion qui s’avère très difficile à cerner précisément tant son contenu dépend

des conventions normatives admises à un moment donné dans une communauté donnée ». D’où

la nécessité de clarification étant donné que toute définition retenue conditionne un deuxième

problème d’appréhension statistique, ceci suivi d’un troisième problème d’ordre analytique qui

consiste en l’analyse des causes et du choix des politiques publiques résultantes. Deux

principales visions des causes de la pauvreté s’affrontent ainsi donc : dans la vision standard du

changement soutenue par la pensée dominante, la persistance de la pauvreté est liée aux rigidités

et obstacles qui continuent de peser sur la construction du capitalisme et, plus particulièrement,

sur le fonctionnement des marchés, empêchant les ajustements automatiques de ces derniers

(Hulme & Shepherd, 2003). À l’opposé, les approches hétérodoxes considèrent que la pauvreté

est inhérente au capitalisme et qu’elle accompagne logiquement sa construction (Slim, 2010).

Dans tous les cas, le constat demeure. Si l’humanité, et notamment les pays dits « développés

» et « émergents », n’ont jamais produit autant de richesses, les inégalités dans leur répartition

sont, elles, à leur paroxysme (Godin, 2015). Les inégalités sont multiples et l’inégalité des

richesses constitue une dimension observée parmi d’autres comme celle du pouvoir, du prestige,

de la santé, de l’éducation. Pour illustrer cette idée de multi dimensionnalité des inégalités,

Alain Bihr et Roland Pfefferkorn (2008) décrivent les contours des inégalités sociales qu’ils

définissent comme étant : « le résultat d’une distribution inégale, au sens mathématique de

l’expression, entre les membres d’une société, des ressources de cette dernière, distribution

inégale due aux structures même de cette société et faisant naître un sentiment, légitime ou non,

d’injustice au sein de ses membres ». Les auteurs distinguent trois grandes catégories

d’inégalités : (i) les inégalités dans l’ordre du savoir, (ii) les inégalités dans l’ordre du pouvoir,

et (iii) les inégalités dans l’ordre de l’avoir auxquelles les économistes orthodoxes s’intéressent

le plus souvent postulant qu’elles peuvent engendrer à elles seules, d’autres formes d’inégalités

par effet de conséquence ou boule de neige, toute chose égale par ailleurs.

Page 8: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

8

Dans une étude réalisée par l’ONG Oxfam international en 2015, l’organisation tire une

sonnette d’alarme sur l’écart qui se creuse entre les pauvres et les riches (Pirlot, 2016). Selon

les calculs de l’ONG, réalisés à partir de données établies par le Crédit Suisse : « En 2014, les

1 % les plus riches détenaient 48 % des richesses mondiales, laissant 52 % aux 99 % restants.

(…) Si cette tendance de concentration des richesses pour les plus riches se poursuit, ces 1 %

les plus riches détiendront plus de richesses que les 99 % restants d’ici seulement deux ans »

(Hardoon, 2015). Cette tendance se conforte avec notamment « 2.153 milliardaires de la planète

possédant en 2019 plus de richesses que 4,6 milliards de personnes, soit 60 % de la population

mondiale » (CADTM, 2020). Plusieurs autres données dans la littérature économique,

corroborent avec ces statistiques fournies par l’ONG, études qui conceptualisent cet écart non

seulement entre citoyens d’un même territoire mais aussi d’un territoire à un autre (pays

développé versus pays en développement). Comme le démontre, entre autres l’étude de Branko

Milanovic (2012) via l’indice de Gini, indicateur fréquemment utilisé pour mesurer les

inégalités mondiales de revenus, le Gini 1 mettant en lumière les inégalités entre pays, le Gini

2 prenant en compte leur poids démographique, et le Gini 3 pour mesurer les inégalités entre

individus (Milanovic, 2012). Utilisant le coefficient de Gini pour analyser l’augmentation des

inégalités de revenus consécutives au post-colonialisme en Europe de l’Est de 1989 à 2007,

Richter (2009) estime que les inégalités naissent de la conjonction de plusieurs phénomènes :

profonde récession, libéralisation (des prix, des salaires, du commerce), redistribution des actifs

par le biais de la privatisation et désengagement de l’État (Aghion & Commander 1999, Richter,

2009). Dans le même ordre d’idée, Banerjee et Duflo (2012) évaluent dans leur ouvrage

Repenser la pauvreté, à près d’un milliard le nombre de personnes vivant avec moins d’un

dollar par jour en 2012 et rappellent que les politiques de développement destinées à lutter

contre la pauvreté semblent souvent incapables d’améliorer leurs conditions de vie. Prenant en

exemple le cas de l’Afrique Subsaharienne, Amougou (2008) démontre que c’est

l’environnement de pauvreté extrême qui a favorisé la réapparition d’anciens conflits ethniques,

les replis identitaires et l’explosion de conflits armés entre de nombreux pays. Avec la pauvreté,

des mouvances sectaires ou fondamentalistes se sont recomposées, s’affrontent et constituent

les nouveaux référents sécuritaires de populations qui ne se sentent pas intégrées dans la

modernité (Amougou 2008, Mbembe, 2000; Peemans, 2004; Tonda, 2005, Amougou 2008).

Face à ces constats, des questions méritent d’être posées et étudiées en profondeur : Qu’est-ce

qui justifie l’écart de richesses entre les pauvres et les riches malgré toutes les actions et efforts

effectuées tant sur la scène internationale qu’au niveau de chaque nation en matière de lutte

Page 9: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

9

contre la pauvreté depuis des décennies ? A quand la fin de la pauvreté ? N’y-a t-il pas d’autres

moyens et manières d’appréhender la lutte contre la pauvreté ? Qu’entend-t-on réellement par

« pauvreté » ? Si pauvreté égale privation, alors privation de quoi à qui par qui et pour qui ?

Quels rapports entre pauvreté-croissance-inégalités ? La question de la pauvreté s’appréhende

–t’elle de la même façon selon que l’on se situe dans le cas des pays développés ou les pays en

développement ? Sinon quelles similitudes et ressemblances quand on passe d’un type de

territoire à un autre ? Comment les pensées de Rawls et Sen ont-ils façonné les politiques

économiques de lutte contre la pauvreté au Sud et au Nord ? Quels apports sur les pensées de

Rawls et Sen pour tendre vers une forme de société et justice sociale où les riches se soucieront

réellement de la situation des pauvres et où les pauvres vivront dignement et se satisferont de

leurs ressources minimums de bien-être sans envier les riches ? Quelles innovations dans les

modèles de développement pour se sortir de l’impasse. Ce sont autant de questions qui

interrogent notre esprit et poussent notre curiosité à en savoir plus et à creuser davantage en la

matière, d’où l’idée de cet article qui constitue une première étape d’exploration de ces

interrogations susmentionnées.

La complexité des processus sociaux, politiques et économiques, en particulier leur caractère

conflictuel, interconnecté et interdisciplinaire étant niée au profit d’une vision cartésienne et

édulcorée de la société marchande qui incarnerait le progrès et la modernité d’après la pensée

économique orthodoxe, l’angle d’approche de notre réflexion telle que nous la conceptualisons,

vient mettre en lumière cet état de chose en empruntant pour élément d’étude la pauvreté qui

par ailleurs est une problématique à la fois systémique et éclectique. C’est cette vision

rationaliste des processus économiques, que notre réflexion vient tenter de bousculer tout en se

donnant l’ambition de remettre la complexité des processus sociaux et économiques, autrement

dit l’essence même des politiques économiques et du développement, dans la lignée des études

holistiques et systémiques ayant traité des questions de l’Economie Politique et de la

Philosophie économique dans les pays du Sud et du Nord.

Page 10: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

10

2. Analyse critique de la littérature sur les questions de la pauvreté et des inégalités

2.1. Revue conceptuelle de la pauvreté et des inégalités

Généralement assimilée à l’état de la privation, de misère ou d’insuffisance d’un bien matériel,

la notion de la pauvreté suscite toujours débat depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours et sa

définition universelle ne fait pas encore l’unanimité et consensus chez les penseurs tant dans le

monde politique ou économique que chez les sociologues et/ou philosophes. Les trois auteurs

dont les réflexions ont eu des portées retentissantes autour de la pauvreté dans le monde

scientifique et dont la littérature contemporaine en études du développement s’inspire dans son

investigation et réflexion sont John Rawls en 1971 dans son ouvrage Théorie de la justice,

Amartya Sen dans Poverty and Famines (1981), texte fondateur de la notion de capabilité et

Martin Ravallion (1998) dans ses travaux de recherches à la Banque Mondiale. L’angle

d’approche de Martin Ravallion (1992) est la pauvreté monétaire. Bien qu’avec des différences,

la philosophie d’Amartya Sen s’accorde avec celle de John Rawls sur le fait que la pauvreté

monétaire est un paramètre hautement réducteur pour mesurer l’ampleur et la complexité du

phénomène de la pauvreté. Sen estime que la pauvreté monétaire ne rend pas compte des

différences entre les individus ni des circonstances extérieures. La critique de Rawls est pour

sa part destinée à la théorie utilitariste du bonheur, dont le paramètre monétaire est une

composante.

2.1.1. Brève analyse de la pensée de John Rawls (1971)

Antérieure à la notion de capabilité, la théorie de Rawls s’articule autour de deux principes : (i)

– chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales

pour tous, compatible avec le même système pour les autres (principe d’égale liberté) ; (ii) –

les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, on

puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun, et à ce qu’elles

soient attachées à des positions et des fonctions ouvertes à tous (principe de différence). Aussi,

des valeurs sociales telles que, les droits, les libertés de base, les libertés professionnelles

(opportunités), les pouvoirs et les prérogatives, les revenus et les richesses, ainsi que la base

sociale du respect de soi-même qualifiés de « biens premiers » par John Rawls, se doivent d’être

réparties entre les individus de telle sorte que tous les membres de la société, considérés comme

libres et rationnels, acceptent le contrat social tant que les inégalités économiques et sociales

bénéficient à tous. Considérés par l’auteur comme ce dont ont besoin les citoyens pour être

qualifiés de libres et d’égaux, les biens premiers se doivent ainsi d’être utiles à chacun afin de

Page 11: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

11

l’aider à réaliser ses projets de vie ; ils sont la base d’un véritable contrat social sur lequel

s’entendent tous les membres de la société, et sont une condition nécessaire pour l’exercice de

la justice et du bien (Rawls, 1976). Selon Surel (2003), l’idée fondatrice de l’ouvrage Théorie

de la Justice de John Rawls était de chercher à savoir dans quelles conditions pourrait être

instaurée, dans les sociétés modernes à économie de marché, une véritable justice

« distributive » en opposition au laisser-faire économique et à l’utilitarisme. La

conceptualisation du problème posé par Rawls peut être résumée comme suit : « Si tous les

individus partaient sur un pied d’égalité, la justice serait de traiter chaque individu de la même

manière ; or, la réalité veut que les chances soient, dès la naissance, très inégalement réparties,

d’où la nécessité d’accorder plus à ceux qui ont moins, si l’on veut être juste, afin de restaurer

une égalité de fait. ». Ainsi donc pour l’auteur, la justice appelle à une certaine dose d’inégalité

dans la redistribution des biens en société en ce sens que la justice ne s’exerce plus en termes

d’égalité « arithmétique » mais plutôt en termes d’équité que l’auteur qualifie de Justice as

fairness. Comme approche de solution, il propose la réactualisation d’une forme de contrat

social pour une société bien ordonnée (Surel, 2003) comme substitut à l’utilitarisme classique

prôné par les auteurs comme Bentham, Mill et Smith qui décrit une société bien ordonnée

comme une société où le groupe est synonyme d’un agrégat des individus et où la maximisation

de la satisfaction est atteinte par l’ensemble des individus. Dans son articulation de la justice et

de l’efficacité économique, Rawls met l’exigence de la justice qui devrait s’imposer à

l’économie avec ce qu’il estime être des missions économiques assignées au gouvernement et

qui sont (i) d’une part d’assurer la meilleure efficacité de la production, et (ii) d’autre part de

faire fonctionner un système de redistribution conforme à l’équité, avec comme fondement un

minimum social établi par le « principe de différence » (Dupuy, 1989).

2.1.2. Critique de la pensée de Rawls par Nozick

Parmi les procès et critiques adressés à la pensée de Rawls, celle de la matérialisation de sa

réflexion fait le plus écho notamment l’application des principes de la justice aux institutions

et transformation de sa théorie en pratique institutionnelle et politique concret. Selon Surel

(2003), ce qui ressort de la théorie rawlsienne de la participation politique, c’est la recherche

perpétuelle d’un équilibre entre les exigences formulées par les traditions libérales d’une part

(priorité des libertés individuelles) et socialistes d’autre part (“valeur équitable” des libertés

politiques). D’après Delacampagne (2000), parmi les théoriciens libertariens ayant critiqué

John Rawls, celui qui s’est montré le plus virulent est Robert Nozick. En substance, Nozick

Page 12: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

12

(1974) reproche à Rawls de proposer, au travers du second principe de justice, un idéal de

justice distributive incompatible avec la défense du principe de liberté, d’où l’incohérence de

la théorie rawlsienne selon l’auteur. L’auteur justifie sa position en indiquant que les individus

ont des droits qui ne peuvent être violés par rien ni personne, et que le transfert coercitif de

ressources d’un individu à un autre est une atteinte aux droits individuels. D’après la pensée de

Nozick (1974), l’accusation de Rawls envers l’utilitarisme peut se retourner contre lui. « Rawls

écrit des utilitaristes qu’ils appliquent faussement une théorie individuelle au groupe ; Nozick

lui reproche la même chose, en ne tenant pas compte du droit de propriété de tout un chacun

sur ses ressources naturelles individuelles, que Rawls considère comme un « fond commun »

(Surel, 2003). Ensuite, Rawls finit, selon Nozick, dans sa description du principe de différence,

par conclure que presque tout ce qui forme un individu est facteur extérieur de cet individu.

Ceci sous-entend donc que Rawls affaiblit l’importance des choix autonomes selon Nozick.

Que lui reste-t-il pour défendre l’importance prioritaire des libertés de base (premier principe)

? S’interroge l’auteur dans son analyse. Il y a ainsi, selon Nozick, incompatibilité des principes

énoncés par Rawls. En effet, toute l’argumentation de Nozick (1974) dans son ouvrage

Anarchie, État et utopie, consiste donc à montrer que (i) les critères de justice de John Rawls

violent les droits fondamentaux, en particulier, le droit de propriété, et sont donc en réalité

immoraux ; (ii) l’État minimal est le seul type d’État justifiable au regard de ces droits

fondamentaux. (Delacampagne, 2000 ; Surel, 2003). Des problématiques que reprennent

Alchian et Demsetz (1973) dans leur analyse de la Théorie économique des droits de propriétés.

De même, la théorie de rationalité limitée d’Herbert Simon (1987), qui postule « des décisions

individuelles partiellement irrationnelles compte tenu des contraintes cognitives, d'information

et de temps », vient également donner un coup de massue au premier principe de Rawls, bien

que dans des contextes et champs d’analyse différents.

Dans le même ordre d’idée de critique, et argumentant la vision de la pauvreté d’après Rawls,

Raphaëlle Bisiaux (2011) estime que la pauvreté est définie de manière universelle par le

manque de biens premiers et que le fait d’utiliser la théorie de la justice de Rawls comme

définition de la pauvreté est un exercice difficile, puisque cela signifie qu’il est possible de

définir un ensemble de besoins primaires universels, communs à tous, et sans tenir compte des

variabilités individuelles (Bisiaux, 2011). Au-delà donc de l’opportunité qu’offre la Théorie de

la Justice de John Rawls depuis plusieurs décennies en balisant et structurant un ensemble de

débats et recherches sur l’éthique sociale, sa conceptualisation en termes d’instrument de lutte

contre la pauvreté, laisse présager que la pensée de Rawls relève d’un fondement purement

Page 13: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

13

philosophique et son application à la réalité individuelle et sociale d’une manière universelle

peut s’avérer difficile, sinon relever d’une utopie si l’on ose employer l’expression.

2.1.3. Brève analyse de la pensée de Sen

L’approche de la pauvreté par les capabilités initiée par Amartya Sen, économiste indien

nobelisé en 1998, trouve ses racines au début des années 1980 dans un contexte d’explosion de

la dette des pays du Sud. Initialement développée dans son ouvrage Poverty and Famines

(1981), cette approche avait pour aspiration de proposer un cadre conceptuel alternatif à la

vision orthodoxe de la pauvreté basée sur le revenu. A l’époque, l’approche monétaire souffrait

de plusieurs critiques dont les plus abouties sont d’après Bertin (2007) à mettre au crédit

d’Amartya Sen (1981). En effet selon Sen, l’approche monétaire de la pauvreté est limitée parce

qu’elle ne se concentre que sur les moyens dont disposent les individus et elle ignore la diversité

humaine. La formalisation du concept des capabilités par Sen découle tout d’abord de celle de

l’analyse du bien-être individuel. Définir la pauvreté « comme synonyme de faible revenu » et

non « comme une incapacité à édifier son bien-être » est réducteur et ne démontre qu’une

facette du phénomène, d’après l’auteur. Pour étayer sa thèse, Sen estime que le bien-être

individuel doit être évalué à partir « des différentes choses qu’une personne peut aspirer à être

ou à faire à partir des ressources dont elle dispose », différentes choses qu’il nomme par la

terminologie « fonctionnements » et qui sont par exemple le fait de se nourrir, d’avoir un bon

niveau d’éducation ou de participer à la vie de la communauté. Les différentes combinaisons

de fonctionnements qu’il est donc possible de mettre en œuvre constituent la capabilité. En ses

termes, Amartya Sen définit donc la Capabilité comme « une forme de liberté substantielle de

mettre en œuvre diverses combinaisons de fonctionnements » (Sen, 1999). Être « pauvre »

revient donc pour un individu à ne pas posséder la liberté d’accomplir l’ensemble des

fonctionnements qu’il valorise.

2.1.4. Critique de la pensée de Rawls par Sen et apport de Nussbaum

Bien que conciliant avec Rawls sur l’aspect réducteur du critère monétaire pour justifier la

pauvreté, Sen reproche également aux « biens premiers » de Rawls de ne pas tenir compte du

fait que les individus peuvent retirer différents degrés de satisfaction de biens premiers

universels. Des différences d’usage et d’utilité liées au sexe ou à l’âge, par exemple, peuvent

mener à beaucoup de possibilités différentes malgré des ressources au départ identiques

(Bisiaux, 2011). D’après Bisiaux (2011), l’approche de Sen n’est pas exempte de critique : « un

Page 14: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

14

des griefs que l’on peut adresser aux capabilités tient à la difficulté de distinguer les choix

véritablement faits par l’individu des circonstances dans lequel il se trouve et qui le poussent à

prendre une certaine décision ; les circonstances semblent ainsi parfois prendre le pas sur cette

théorie de la liberté de choix plutôt utopiste que Sen a formulée » (Bisiaux, 2011). Parmi les

critiques adressées aux « Capabilités » de Sen, celles les plus vulgarisées viennent de Martha

Nussbaum (2006).

S’inscrivant dans la même logique que Sen avec qui elle a travaillé sur les « Capabilités »,

Nussbaum se démarque de Sen en circonscrivant les capabilités à l’individualisme donnant ainsi

donc une image riche de ce qu’est une vie humaine pleine, et parle en termes de « personnes et

vie réelles », en opposition aux « abstractions » de l’idée initiale des « Capabilités » telle que

la conçoit Sen. C’est ainsi qu’elle parle de « capabilités humaines » en identifiant ce que sont

d’après elle les dix « capabilités humaines centrales » : (i) la vie ; (ii) la santé du corps ; (iii)

l’intégrité corporelle ; (iv) les sens (associés à l’imagination et la pensée); (v) les émotions ;

(vi) la raison pratique ; (vii) l’affiliation ; (viii) les autres espèces ; (xi) le jeu ; (x) le contrôle

sur son propre environnement (Nussbaum, 1995).

Considérant Nussbaum comme une néo-aristotélicienne dans son article intitulé « Sen’s

Capabilities Approach and Nussbaum’s Capabilities Ethic », Des Gasper (1997) argumente les

« capabilités » de Nussbaum comme « une éthique » comparativement aux « capabilités » de

Sen qu’il considère comme « une approche ». Pour Slim (2010), nombre d’auteurs ont cherché

à établir la liste des capabilités essentielles qu’il convient de mesurer. Des tentatives ont abouti

à une « structure de capabilités » composée de quatre catégories d’espaces de fonctionnement :

(i) la capabilité économique définie comme la possibilité de gagner un salaire, d’user de ses

actifs ; (ii) la capabilité sociale, à savoir la liberté de mobiliser son réseau social, de participer

à la vie de la communauté ; (iii) la capabilité humaine, c’est-à-dire la liberté d’accéder aux

institutions, à l’éducation, aux services de santé, et (iv) la capabilité environnementale qui

renvoie à la possibilité de vivre en harmonie avec la nature (Gasper, 1997; Nussbaum 2006;

Sumner, 2006; Bertin, 2007; Slim, 2010). Les individus les moins à même de recomposer leurs

espaces de fonctionnement constituent le groupe le plus vulnérable à la pauvreté (Slim, 2010).

Page 15: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

15

2.1.5. Conception utilitariste et marginaliste de la pauvreté

➢ Conception utilitariste de la pauvreté

Répondant à la question « Qu’est-ce qu’être pauvre ? » dans ses travaux sur les formes de

pauvreté en Europe de l’Est, Slim (2010), estime que la pauvreté n’est pas un phénomène

homogène prenant un visage identique en tout lieu et en tout temps ; être pauvre en France ne

signifie pas la même chose qu’être pauvre en Bulgarie, être pauvre aujourd’hui n’a pas la même

signification qu’il y a quelques décennies ou quelques siècles : « Non seulement ce mot n’a

jamais eu le même sens pour tout le monde, mais le concept reste une construction sociale

impossible à définir sur un plan universel. » (Rahnema, 2003 ; Slim 2010). Pour l’auteur, la

conception historico - économique de la pauvreté est celle d’appréhension utilitariste qui définit

la pauvreté comme un niveau d’utilité inférieur à une norme préalablement définie : « C’est la

première approche de la pauvreté qui procède directement de l’utilitarisme ; l’utilitarisme dont

les pionniers sont Jeremy Bentham, Adam Smith, Jean-Baptiste Say, Etienne Dumont, Charles

Compte, John Stuart Mill » et dont la critique par John Rawls a abouti à ses réflexions dans la

Théorie de la justice (1947). Ainsi, l’Utilitarisme, inspiré historiquement de l’eudémonisme et

mettant le bonheur (eudaimonia) au centre du but de la vie, est un courant philosophique anglo-

saxon né au XVIII ème siècle dont le principe fondateur est basé sur « la bonne vie » qui permet

à l’être humain d’être le plus heureux possible. Selon Bentham (1829) par exemple cité par

Slim (2010), le bonheur est fait de l’« agrégation des plaisirs et de l’évitement des souffrances ».

L’interprétation qu’il en fait est que « ce principe implique qu’on puisse attribuer une valeur

aux plaisirs et aux peines de manière à les agréger afin de comparer les différents états possibles

selon l’utilité procurée ». L’utilité renvoie ici à « la propriété présente en tout objet de tendre à

produire bénéfice, avantage, plaisir, bien ou bonheur (…) ou (…) à empêcher que dommage,

peine, mal ou malheur n’adviennent au parti dont on considère l’intérêt » (Bentham, 1789, 1829

; Slim, 2010). Cette approche, conceptualisée comme psychologique de l’utilité est

appréhendée économiquement en termes de « richesses » par les classiques anglais du XIXè

siècle comme Adam Smith et John Stuart Mill pour qui le pauvre est celui qui ne fournit pas

suffisamment d’effort au travail et n’est, en conséquence, pas récompensé par l’accumulation

de richesses qui lui permettrait de subvenir à ses besoins. La pauvreté est ainsi perçue par les

utilitaristes comme relevant de la responsabilité des individus eux-mêmes.

La pauvreté telle que perçue par les utilitaristes comme relevant de la responsabilité des

individus eux-mêmes est sans doute celle qui jette les bases de l’analyse contemporaine que

Page 16: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

16

font Aart Kraay et David McKenzie (2014) dans leur première interprétation des trois

explications concurrentes qu’ils formulent pour justifier pourquoi la pauvreté persiste. En effet,

dans leur travail intitulé « Do Poverty Traps Exist ? Assessing the Evidence », les auteurs ont

mis en évidence trois composantes concurrentes pour expliquer la persistance de la pauvreté

depuis des décennies. (i) D’après leur première interprétation, chacun peut réussir en travaillant

dur et en épargnant : c’est l’effet du rêve américain (american dream effect) estiment-ils ; les

ménages et pays seraient capables de s’en sortir et, s’ils n’y parviennent pas, c’est parce qu’ils

n’auraient tout simplement pas fourni d’efforts. Selon leur deuxième interprétation, la pauvreté

est le résultat de mauvais fondamentaux (institutions sous-développées, dotations insuffisantes,

manque de qualifications, etc.), auquel cas les autorités publiques pourraient placer l’économie

sur une trajectoire de croissance plus robuste en modifiant les fondamentaux. Enfin, selon leur

troisième interprétation, la pauvreté est un cercle vicieux : la pauvreté d’aujourd’hui s’explique

par la pauvreté d’hier et elle engendrera la pauvreté de demain ; cette dernière interprétation

que Costas Azariadis et John Stachurski (2005) qualifient de « trappe à pauvreté » (poverty

trap) mentionnant « tout mécanisme auto-renforçant qui amène la pauvreté à persister ».

➢ Conception marginaliste de la pauvreté

Dans le sillage du courant utilitariste endossé par les classiques anglais du XIX ème siècle, était

apparu le courant marginaliste dont les pionniers sont Carl Menger, William Stanley Jevons,

Léon Walras (Slim, 2010) qui introduisent le concept d’utilité marginale dans la définition de

la pauvreté, utilité marginale qu’ils qualifient d’utilité procurée par la dernière unité d’un bien

consommé. Pour les tenants de ce courant, chaque individu cherche à optimiser sa fonction

d’utilité (ou de production) sous contraintes de ressources et l’optimum individuel n’est atteint

que lorsque chaque unité d’un bien est utilisée au mieux par l’individu, toute autre combinaison

ne pouvant mener qu’à un niveau de satisfaction inférieur. Afin de rendre comparables les

niveaux d’utilité entre individus, Arthur Pigou (1920) propose dans son ouvrage economic

welfare la convertibilité des fonctions d’utilité individuelle en monnaie. Les valeurs monétaires

obtenues représentent ce que les individus seraient prêts à payer pour obtenir un panier de biens

donnés, c’est-à-dire ce que l’auteur qualifie de « satisfaction mentale » que les individus

retireraient de cette consommation, leur « bien-être économique ». Ce dernier, exprimé en

termes monétaires, peut constituer une approximation du bien-être total de l’individu (Bertin,

2007). Pour Atkinson (1970), l’un des premiers instigateurs du concept de « pauvreté

monétaire », la pauvreté est alors perçue comme une situation de manque de ressources

monétaires qui empêche les individus de se procurer les éléments nécessaires à leur survie

Page 17: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

17

(Atkinson, 1970). Concepts que Ravallion (2003) reprendra plus tard pour conclure que la

pauvreté est un état dans lequel l’individu considéré ne posséderait pas suffisamment de

ressources monétaires pour atteindre le niveau de bien-être économique censé être un minimum

acceptable au regard de la société dans laquelle il vit. D’après François Bourguignon (2003), le

paradigme de la pauvreté monétaire explore la pauvreté en tant que non-réalisation d’un certain

standard de vie, exprimé monétairement ; le revenu ou les dépenses de consommation sont

mesurés et déterminent si un individu est en dessous d’un seuil arbitraire, le seuil de pauvreté.

Au cours des dernières décennies, ce paradigme a créé un consensus et a été largement

approfondi ; l’hypothèse principale étant que les différences de revenu ou de consommation

permettent de rendre compte des différences de conditions de vie. La pauvreté monétaire est

alors vue comme prenant en compte les différences entre les individus, qui cherchent tous à

maximiser leur bien-être avec les ressources qu’ils possèdent et parviennent ainsi à des niveaux

de satisfaction différents. « La catégorie des pauvres est alors celle qui ne peut pas, avec les

ressources qu’elle possède, acquérir un panier de biens et de services qui est pourtant nécessaire

à sa survie. » (François, 2003 ; Bisiaux, 2011)

2.2. Outils de mesure et instruments d’analyse de la pauvreté

Une fois que les bases de la conceptualisation de ce qu’est la pauvreté sont posées, l’autre aspect

traité par la littérature économique sur la pauvreté concerne sa mesure et ses principales sources

dont les frontières avec sa conceptualisation ne sont pas forcément marquées. De ces tentatives

d’appréhension holistique de la pauvreté sous toutes ses formes, est institutionnalisée une

typologisation du concept de la pauvreté où l’on retrouve dans la littérature économique des

expressions comme la pauvreté multidimensionnelle, la pauvreté absolue, la pauvreté

chronique, la pauvreté relative, la pauvreté extrême, la pauvreté générale, la pauvreté profonde,

la pauvreté subjective et la pauvreté objective, entre autres.

2.2.1. La pauvreté monétaire : pauvreté absolue et la pauvreté relative

Pour Slim (2010), toute tentative de mesurer la pauvreté se heurte à une difficulté

méthodologique majeure qui consiste à distinguer de la manière la plus objective possible les

groupes pauvres des groupes non pauvres. Le choix de la méthode ayant un impact non

négligeable sur l’évaluation de la pauvreté, l’auteur distingue deux types d’instruments de

mesure de la pauvreté : (i) ceux issus des approches utilitaristes et (ii) ceux issus des approches

non utilitaristes. En effet, La définition utilitariste de la pauvreté suggère l’existence d’un seuil

Page 18: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

18

monétaire censé différencier les ménages pauvres et les autres. Deux approches – « absolue »

et « relative » – coexistent.

➢ La pauvreté absolue

La pauvreté « absolue », connue encore sous le nom de « grande pauvreté » est définie par

rapport à un panier de biens alimentaires et non alimentaires considérés comme indispensables

à la survie quotidienne. Le contenu de ce « panier » peut avoir des variations selon les époques

et selon les pays. Parmi les nombreuses méthodes existantes pour mesurer la pauvreté absolue,

la plus courante est celle d’un seuil normatif de pauvreté exprimé en prix constant et en parité

de pouvoir d’achat (PPA) et vulgarisé par la Banque Mondiale (2010). À l’époque de la

publication de son article, Slim (2010) estime que le seuil de pauvreté est fixé à 2 $ PPA par

jour et par individu et le seuil d’« extrême pauvreté » à 1,25 $ PPA. Ces seuils ne sont pas sans

critique selon Clément (2006) qui trouve que ce sont des « grandeurs largement arbitraires » et

« décontextualisées » puisqu’on les applique telles quelles à chaque pays sans tenir compte des

spécificités locales susceptibles de fausser le calcul des PPA et, plus généralement, celui de la

pauvreté. Ce genre de critiques est l’une des raisons qui amènent la Banque mondiale, selon

l’auteur, à faire varier le seuil selon l’économie étudiée en instituant un seuil de « vulnérabilité

». Malgré ses limites, l’approche absolue est aujourd’hui privilégiée dans les comparaisons

internationales « car, dans ce domaine, les mesures relatives sont d’un usage délicat » (Dell &

Verger, 2006). Se limiter toutefois à l’approche absolue serait de prendre le risque de prescrire

plutôt que de décrire la situation en vigueur dans chaque pays (Ponty, 1998 ; Slim, 2010).

➢ La pauvreté relative

Pour Jean-Luc Dubois (2009), face au seuil de pauvreté absolue, on oppose un seuil de

« pauvreté relative » qui est fixé non pas sur une norme de consommation, notamment

alimentaire, mais en fonction de la distribution du niveau de vie au sein d’une société donnée.

Elle est qualifiée de « relative » car l’accent est mis sur la comparaison du niveau de vie des

individus et constitue à ce titre, davantage une mesure de l’inégalité qu’une véritable mesure

de la pauvreté (Slim, 2010). Plusieurs manières de saisir le niveau de vie relatif existent et la

plus courante consiste à utiliser les revenus ; la pauvreté dans ce cas est alors définie par rapport

à un seuil exprimé en pourcentage du revenu moyen ou médian (Fuchs, 1967).

Comparativement aux seuils absolus, les seuils relatifs permettent d’inclure dans la pauvreté

Page 19: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

19

non seulement les personnes au niveau de vie absolu très bas, mais encore des personnes ayant

des ressources faibles mais suffisantes pour leur assurer un niveau de consommation minimale.

Slim (2010) estime que cette méthode de calcul est privilégiée à l’OCDE ainsi qu’au sein de

l’UE. En conséquence, les offices statistiques nationaux des pays européens proposent

généralement deux seuils de pauvreté relative fixés de manière normative à 50 et 60 % du

revenu médian équivalent ménage (tenant compte de la composition et de la taille des

ménages) ; l’office statistique des communautés européennes, Eurostat, ne retient qu’un seuil,

celui de 60 % du revenu médian de la population. L’intérêt de cette convention au niveau

européen étant de permettre de surmonter les différences nationales dans l’appréhension de la

pauvreté. Le choix d’un indicateur fondé sur la médiane plutôt que sur la moyenne paraît plus

judicieux dans la mesure où il n’est pas influencé par les valeurs extrêmes de la répartition des

revenus (Fuchs, 1967 ; Slim, 2010).

2.2.2. La pauvreté non monétaire : Pauvreté en condition de vie et pauvreté subjective

➢ La pauvreté en condition de vie

Au-delà du contexte de toute évaluation monétaire de la pauvreté, existent deux types

d’instruments de mesure notamment ceux permettant de mesurer la « pauvreté en conditions de

vie » et ceux destiner à l’évaluation de la « pauvreté subjective » (Slim, 2010). La « pauvreté

en conditions de vie » consiste à recenser les privations d’ordre matériel (logement,

environnement, accès aux services collectifs, etc.) que subit le ménage. Proposée pour la

première fois par Townsend (1979), cette méthode est particulièrement adéquate pour saisir les

formes non monétaires de la pauvreté. L’on peut ainsi évaluer correctement les situations dans

lesquelles les individus sont les plus mal dotés en biens premiers sociaux (en référence à

l’approche de Rawls) et donner en même temps une idée des capabilités bridées et non réalisées

des individus (en s’inspirant de l’approche de Sen).

Relativement aux méthodes de mesure monétaires, la « pauvreté en conditions de vie » a en

outre l’avantage de ne requérir que le décompte des privations subies par les individus, «

opération statistiquement plus simple et aux résultats en principe plus robustes que la mesure

des revenus » (Accardo & Saint Pol, 2009). Toute la difficulté réside dans le choix des

privations à prendre en compte. Dresser une liste restreinte de privations peut en effet influencer

le résultat des enquêtes. Pour surmonter cette limite, Slim (2010) estime qu’il convient de

Page 20: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

20

proposer la liste la plus exhaustive possible et de repérer les taux de citation les plus fréquents,

une démarche adoptée par l’INSEE en France d’après l’analyse de l’auteur.

➢ La pauvreté subjective

La pauvreté « subjective » consiste pour sa part à recenser les difficultés ressenties par les

individus. Le sentiment de privation, complexe par nature, résulte aussi bien de difficultés

monétaires (comment équilibrer les revenus et les dépenses mensuelles) que non monétaires

(mauvaises conditions de vie), d’où la nécessité d’en tenir compte pour appréhender les aspects

subjectifs de la pauvreté. Des ménages ayant l’impression d’être pauvres peuvent parfaitement

avoir des revenu relativement satisfaisants, le sentiment de privation provenant d’une disparité

entre les aspirations (de consommation, sociales, culturelles, etc.) et les capacités (niveau de

ressources monétaires et non monétaires) des individus. En ce sens, mesurer la « pauvreté

subjective » revient à estimer les privations ressenties dans le domaine des « espaces de

fonctionnement ».

➢ La pauvreté profonde

Eu égard aux composantes de « la pauvreté en conditions de vie » et de « pauvreté subjective »,

l’évaluation des conditions de la pauvreté non monétaire est primordiale pour identifier les

groupes d’individus les plus vulnérables à la pauvreté afin « de cibler efficacement les

politiques économiques de lutte contre la pauvreté ». La méthode élaborée par l’INSEE prend

en considération la proportion de ménages cumulant les trois formes de pauvreté (monétaire,

en conditions de vie et subjective) en mesurant les différents aspects de la pauvreté des ménages

et en leur attribuant des « scores », ce qui permet de distinguer trois groupes de pauvres en

fonction du nombre de symptômes qu’ils présentent. Il est ainsi possible d’isoler un groupe de

personnes incontestablement pauvres puisqu’elles se caractérisent simultanément par de faibles

revenus déclarés, des conditions de vie médiocres et l’incapacité de réaliser leurs aspirations.

Cette situation est appelée « pauvreté profonde » par l’INSEE (Festy et al., 2005).

Page 21: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

21

2.2.3. La pauvreté multidimensionnelle

Dans son rapport intitulé « Vaincre la pauvreté humaine » et diffusé en 2000, le PNUD distingue

trois sortes de pauvreté : (i) l’extrême pauvreté, (ii) la pauvreté générale et (iii) la pauvreté

humaine. Des éléments de ce rapport, il ressort qu’une personne vit dans la « pauvreté

extrême » si elle ne dispose pas de revenus nécessaires pour satisfaire ses besoins alimentaires

essentiels – habituellement définis sur la base de besoins caloriques minimaux. Elle vit dans

« la pauvreté générale » si elle ne dispose pas des revenus suffisants pour satisfaire ses besoins

essentiels non alimentaires. La « pauvreté humaine », quant à elle, est présentée comme l’ «

absence des capacités humaines de base : analphabétisme, malnutrition, longévité réduite,

mauvaise santé maternelle, maladie ne pouvant être évitée » (PNUD, 2000). Pour sa part, la

Banque mondiale (2000) appréhende la pauvreté en lui adjoignant trois principales causes : 1)

« Le manque de revenus et d’actifs pour réaliser des besoins de base – l’alimentation, le

logement, l’habillement, et des niveaux acceptables de santé et d’éducation » ; 2) « La sensation

d’être sans parole et sans pouvoir dans les institutions de l’Etat et de la société » ; 3) « La

vulnérabilité aux chocs défavorables liée à l’inaptitude de pouvoir les gérer ou d’y faire face »

(Banque Mondiale, 2000).

D’après Kerim (2016), la pauvreté telle que la conceptualise le PNUD et la Banque Mondiale

(2000), est celle de la Pauvreté multidimensionnelle qui trouve ses fondements dans la

sophistication de l’approche par les Capabilités d’Amartya Sen (1981) et mesurée par l’indice

de pauvreté humaine (IPH) introduite par le PNUD. Par ailleurs d’après l’auteur, la théorisation

de ces indices composites est inspirée de l’approche par méthode de comptage ou counting

conceptualisée par Atkinson (2003) qui est une approche intuitive de mesure de la pauvreté

multidimensionnelle. L’Indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) créé par l’Université

d’Oxford (Oxford Poverty & Human Development Initiative- OPHI) pour évaluer la pauvreté

dans les pays en développement (Alkire & Santos., 2010) est venue conforter cette idée de

concept de pauvreté multidimensionnelle. L’étude de Alkire et Foster (2011) évalue la pauvreté

multidimensionnelle en introduisant deux seuils : (i) seuil de privation selon les dimensions

retenues ; (ii) seuil de dimension minimum fixé par le décideur et en dessous duquel on est

considéré comme pauvre. Le concept de « pauvreté multidimensionnelle » et ses instruments

de mesures, se retrouvent plus dans les études et articles traitant des pays en développement.

Evoquant la pauvreté multidimensionnelle, Dubois et al. (2010) estime qu’il existe deux

méthodes de mesure de la pauvreté, toutes deux inspirées des approches de capabilité

Page 22: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

22

d’Amartya Sen. Selon l’auteur, l’approche par les capabilités a conduit d’une part, au

développement (i) de méthodes spécifiques d’observation et de suivi de l’évolution de la

pauvreté, et d’autre part, à l’élaboration (ii) d’indicateurs synthétiques et de modèles visant

autant à estimer les capabilités dans leur dimension de libertés potentielles qu’à mettre en valeur

les facteurs explicatifs. Au niveau de méthodes d’observation, l’auteur estime qu’on s’appuie

sur la combinaison d’enquêtes quantitatives classiques (sur le revenu et la consommation, les

conditions de vie auprès des ménages et sur les données des collectivités locales), d’entretiens

qualitatifs (sur la base de récits de vie, les perceptions, aspirations et les représentations

sociales…) et d’échantillons témoins s’inspirant de l’économie expérimentale. Cela peut se

faire en concevant des systèmes d’enquêtes articulés. La mise en place d’observatoires

microéconomiques est alors souvent privilégiée compte tenu de leur permanence permettant de

suivre les entrées et sorties de la pauvreté et le renforcement des capabilités sur des panels de

ménages. Concernant les indicateurs, l’auteur conclut en estimant qu’ils sont essentiellement

synthétiques pour tenir compte de la multi-dimensionnalité du phénomène de pauvreté ; tant au

niveau macroéconomique, avec l’indicateur du développement humain (IDH) ou l’indice de

pauvreté humaine (IPH) qu’au niveau microéconomique avec les mesures de l’incidence et de

l’intensité de la pauvreté.

Dans un effort d’internationalisation de la pauvreté multidimensionnelle et dans le souci de

mettre en lumière la complexité de la pauvreté, une recherche participative internationale

conjointement menée par l’Université d’Oxford et ATD Quart Monde dans six pays

représentatifs des pays du Nord et du Sud. Cette recherche débutée en 2016 et dont les résultats

ont été publies en mai 2019, a fait travailler ensemble des personnes en situation de pauvreté,

des professionnels et des universitaires et impliquée des équipes au Bangladesh, en Bolivie, en

Tanzanie pour ce qui est des pays du Sud ; en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis pour

ce qui est des pays du Nord. D’après Bray et al. & De Laat (2020), des centaines de personnes

en situation de pauvreté ont participé à l’étude et leurs connaissances ont été croisées avec celles

d’universitaires et de professionnels dans le cadre d’un processus de discussions multiples et

collectivement mises à l’épreuve et évaluées. Des résultats cette recherche internationale, il est

apparu préférable de conceptualiser la complexité de la pauvreté en déterminant trois groupes

de dimensions interdépendantes. Le premier groupe matérialise le cœur de l’expérience de la

pauvreté et dont les dimensions sont (i) la dépossession du pouvoir d’agir, (ii) le combat et la

résistance, (iii) la souffrance dans le corps, l’esprit et le cœur. Le deuxième groupe de

dimensions fait référence à des dynamiques relationnelles : (iv) la maltraitance institutionnelle,

Page 23: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

23

(v) la maltraitance sociale, (vi) les contributions non reconnues. Les privations constituent le

troisième groupe des dimensions évoqué par les auteurs notamment (vii) le manque de travail

décent, (viii) le revenu insuffisant et précaire, (ix) les privations matérielles et sociales.

L’ensemble de ces dimensions sont influencées par l’identité, le lieu d’habitation, le temps et

la durée, les croyances culturelles, l’environnement et la politique environnementale

La figure (figure 1) ci-dessous recapitule ces dimensions et leur interdépendance mis en exergue

par cette recherche internationale :

Figure 1: Dimensions complexes de pauvreté et leur indépendance

Source : Bray et al. (2020)

2.3. Inégalités, croissance, redistribution et réduction de la pauvreté : Schéma de la lutte

contre la pauvreté au Nord

Pour François bourguignon (2004), toute stratégie de développement est totalement fonction du

taux de croissance et des variations distributives au sein de la population, comme il l’a montré

à travers l’arithmétique de ce qu’il a qualifié de « triangle pauvreté-croissance-inégalités

(PCI) ». Il estime que c’est « du niveau de revenu agrégé et croissance » que génère « la

distribution et les changements distributifs », et vice-versa. La résultante constitue la stratégie

de développement visant la réduction de la pauvreté notamment celle de la pauvreté absolue

(figure 2).

Page 24: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

24

Dans son approche, l’auteur utilise des régressions sur données de panel pour analyser le rôle

des inégalités sur la croissance et estime que l’on doit reconnaître que les régressions sur

données de panel, dont on peut supposer qu’elles tiennent compte des biais dus à la présence

d’effets fixes, donnent parfois lieu à des « surinterprétations ». Ce n’est pas parce que les

inégalités de l’année t servent à expliquer la croissance entre les années t et t + 10 que l’on peut

considérer les inégalités comme étant « exogènes » ; certains déterminants communs non

observés peuvent en réalité se cacher derrière les deux séries d’observations et aucun argument

ne sera assez convaincant pour corriger le biais d’endogénéité qui en résulte. D’après lui, pour

être capable d’identifier l’effet des inégalités sur la croissance, il faudrait donc pouvoir compter

sur des composantes véritablement exogènes dans les variables d’inégalités. « Mais quand et

où pareille variation « exogène » des inégalités s’est-elle déjà produite ? » s’interroge l’auteur.

Pour illustrer cette externalité inhérente à l’endogénéité de toute variable explicative dans les

modèles, l’auteur emprunte un exemple qui par ailleurs illustre très bien l’inégalité sociale entre

les riches et les pauvres et justifie de ce fait les politiques redistributives pour pallier la situation,

d’où son idée de triangle. Il s’agit d’un exemple d’une société où les riches ont accès à un

marché du crédit avec un taux d’intérêt annuel de 10 % alors que les pauvres, par manque de

garanties collatérales, ont un taux d’intérêt de 50 %. Pour l’auteur, en l’absence de contrainte

quantitative sur le marché du crédit, cette segmentation signifie que tous les projets ayant un

taux de rentabilité de 10 % ou plus proposés par les individus du premier groupe sont

effectivement entrepris alors que, parmi les projets proposés par les individus du second groupe,

ne seront acceptés que ceux présentant un taux de rentabilité supérieur ou égal à 50 %. Selon

lui l’inefficacité est patente lorsque que les projets du second groupe ayant un taux de rentabilité

juste inférieur à 50 % – et supérieur à 10 % – restent inexploités. Pourtant, s’il y avait

redistribution des richesses du premier groupe vers le second, les plus pauvres auraient moins

besoin d’emprunter et pourraient lancer des projets ayant un taux de rentabilité légèrement

inférieur à 50 %. Dans ce cas, la redistribution des riches aux pauvres engendrerait donc

davantage d’investissements et/ou un taux supérieur de rentabilité du capital.

Bourguignon et al., (2003) soutiennent donc que les stratégies de développement doivent axer

leurs différentes résolutions sous deux principaux angles : i) l’élimination rapide de la pauvreté

absolue, sous toutes ses formes, qui doit d’ailleurs être un objectif essentiel du développement,

ii) et que cette réduction de la pauvreté passe par des stratégies de croissance et des politiques

redistributives dont la combinaison est propre à chaque pays. C’est ainsi qu’il évoque « les

politiques de croissance redistributive » comme soubassement à toute stratégie de

Page 25: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

25

développement et des taux de croissances qui en résultent. « Le véritable enjeu de l’élaboration

d’une stratégie de développement visant à réduire la pauvreté réside davantage dans les

interactions entre distribution et croissance que dans les relations entre, d’une part, pauvreté et

croissance et, d’autre part, pauvreté et inégalités, qui restent essentiellement arithmétiques »,

affirme-t-il.

Abondant dans le même ordre d’idée pour caractériser la vulnérabilité des pauvres et

l’incidence de la croissance dans la réduction de la pauvreté via la redistribution, Piketty (2003)

estime que le non-accès des pauvres à l’emprunt (manque de garanties collatérales ou

imperfections du marché du crédit) et leur faible niveau initial de richesse les empêchent de

saisir des occasions d’investissement qui seraient plus profitables à la société et à eux-mêmes

que d’autres investissements réalisés ailleurs. Ainsi, les populations démunies n’ont pas les

mêmes chances dans la vie que les plus riches, car elles ne peuvent pas éduquer leurs enfants,

aussi doués soient-ils, ni obtenir des prêts pour monter une affaire ou adhérer à une assurance.

Les pays caractérisés par un indice numérique de pauvreté élevé ou une distribution inégale des

richesses sous-utilisent donc davantage leur potentiel de croissance que les pays comptant

moins de pauvres ou caractérisés par une distribution plus équitable. Plusieurs auteurs concluent

en général que la croissance est essentielle pour réduire la pauvreté (revenu), à condition que la

répartition du revenu reste plus ou moins constante (Deininger et Squire, 1996 ; Dollar et Kraay,

2002 ; Ravallion, 2001 ; Bourguignon et al., 2003). Cette forme de conception de la lutte contre

la pauvreté est celle que l’on remarque le plus dans les politiques économiques des pays

développés.

Figure 2 : Le triangle Pauvreté - Croissance - Inégalités (PCI)

Source : Bourguignon (2004)

Page 26: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

26

2.4. Les politiques de développement comme outil de lutte contre la pauvreté au Sud

La lutte contre la pauvreté dans les pays du Sud procède majoritairement par les politiques de

développement. Dans la pratique, deux modèles publics de mise en œuvre de politiques de

développement se dégagent le plus souvent : (i) « le développement partant de la base, à partir

de micro-projets très localisés, associant la population et faisant confiance à son initiative » et

(ii) « le développement à partir de gros projets d'investissements, qui bien que nécessaires et,

pour certains, indispensables, peuvent avoir des effets plus aléatoires et moins entraînants pour

le reste de l'économie ».

Pour Amougou (2010), l’analyse de la question de lutte contre la pauvreté n’est pas dissociée

au concept de développement et le développement ne peut échapper à la donnée historique,

temporelle et politique de son objet et des acteurs qu’il concerne. D’après l’auteur, les décisions

de court terme des politiques de développement actuelles ne peuvent en aucun cas améliorer les

situations sociales des pays ou territoires concernés sans tenir compte des structures historiques

sur lesquelles elles sont censées agir. C’est ainsi que l’auteur justifie l’importance des études

de développement dont le but est, non de classer les systèmes sociaux en « développés » en

haut de l’échelle et, « sous-développés » ayant un rattrapage à faire, mais d’analyser les

caractéristiques territoriales, démographiques, économiques, politiques, institutionnelles et les

modes d’intégration internationale des systèmes sociaux afin d’en comprendre les logiques, la

dynamique, le fonctionnement et de proposer, le cas échéant, des solutions possibles aux

problèmes spécifiques qu’ils connaissent. Joignant la théorie à l’empirique, l’auteur identifie à

travers ses travaux de terrain en 2005, cinq différentes formes d’exclusion sociale et de pauvreté

en Afrique subsaharienne et au Cameroun en particulier notamment (i) la pauvreté cognitive et

culturelle, (ii) la pauvreté économique, (iii) la pauvreté politique, (iv) la pauvreté

conjoncturelle, (v) la pauvreté sécuritaire.

Bien que ne s’inscrivant pas dans le sillage du courant dominant, nombreux auteurs se sont tout

de même donc intéressés à l’appréhension historique des questions de lutte contre la pauvreté

et des inégalités notamment au niveau des pays du Sud. C’est ainsi que pour caractériser

l’économie des pays sous-développés, l’économiste allemand J. H Boeke (1953) a fait usage du

concept de dualisme dans son ouvrage Economics and economic policy on dual societies,

concept dont il est le père fondateur et qu’il définit comme l’opposition entre le système social

importé (secteur moderne) et le système social indigène (secteur traditionnel) dans les théories

de développement (Amougou, 2010). D’après lui, les économies des pays sous-développés se

Page 27: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

27

caractériseraient par une coexistence de deux secteurs séparés : le secteur traditionnel et le

secteur moderne. L’hypothèse de base de l’auteur étant que la présence du secteur traditionnel

dans l’économie sous-développée est un acquis et que la pénétration et l’intégration du secteur

moderne (hérité des pays du Nord) ne peut qu’engendrer des défaillances. Son concept de

dualisme, abordé sous un angle sociologique, évoque le fait que le capitalisme ne peut être

réalisé que par des individus qui ont une culture capitaliste et que, les territoires sous-

développés connaissent un conflit permanent entre un système social indigène et/ou traditionnel

de nature différente (Boeke, 1953 ; Amougou, 2010). Pour sa part, Fontaine (2008) estime que

lorsque l’on considère les thèmes majeurs abordés par les historiens de la pauvreté, on constate

que ce sont les manières dont les sociétés traitent leurs pauvres qui ont, pendant longtemps,

constitué le principal sujet d’étude avec plus d’attention accordée à l’objet de la charité privée

et les institutions charitables. Plus récemment, les historiens contemporains et les sociologues

y ont inclus une dimension politique et retracé l’histoire de la question sociale en essayant

d’adopter une perspective plus dynamique et plus individuelle et cesser de se contenter du point

de vue du riche qui fait l’aumône, ou de l’État qui crée des institutions.

Parmi les chercheurs ayant traité l’évolution de l’économie et des politiques de développement

en faveur de la lutte contre la pauvreté, Benoit Prévost (2005, 2007) n’est pas du reste. En effet

d’après l’auteur, il est important de distinguer trois grandes périodes dans l’évolution de

l’économie et des politiques de développement : (i) une première période qui va de l’après-

guerre jusqu’à la fin des années 1970 et marquée par une forte intervention de l’Etat, propre à

la fois au contexte international et à la situation de la théorie économique sous influence

keynésienne interventionniste ; (ii) la deuxième période qui s’étale entre 1980 et 1990

correspondant à la crise de la dette et une reprise du dessus de la théorie néoclassique dans les

universités occidentales et des institutions internationales desquelles découleront l’application

des Plans d’Ajustement Structurels (PAS); et (iii) la troisième période commencée dans les

années 1990 marquée par la remise en question des PAS et des théories qui les fondent et la

réorientation vers la lutte contre la pauvreté comme le premier objectif des politiques de

développement. L’analyse de Prevost (2005, 2007) corrobore avec celle de Pritchett et

Woolcock (2003) qui estiment que les services de base constituent un problème fondamental

des pays en développement depuis les années 1950 et que ce qui est nouveau est le fait que les

solutions qui avaient été apportées sont devenues à chaque fois de nouveaux problèmes : (i)

Une première vague de réponses (années 1950-70) s’est appuyée sur l’importation de structures

administratives de type occidental pour développer les services publics ; (ii) l’échec de ces

Page 28: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

28

stratégies a entraîné une seconde vague de solutions (années 1980-90), celle du Consensus de

Washington, basée sur les privatisations ; (iii) les conséquences des plans d’ajustement

structurels et du consensus de Washington ont conduit enfin à une troisième vague de réformes

qui s’appuie sur l’idée d’une complémentarité entre les marchés et un État actif.

Pour illustrer son analyse relative aux politiques de développement de la Banque mondiale,

institution principale de financement des politiques de développement, Prevost (2007) estime

c’est sous l’égide du président James Wolfhenson et Joseph Stiglitz alors économiste en chef à

la Banque Mondiale, que va s’organiser le dépassement du Consensus de Washington, sous la

forme d’un «nouveau paradigme», celui du « Comprehensive Development » ou

« Développement Intégré » (Stiglitz, 1998; Prevost 2007) dont les travaux de refondation se

concrétiseront par l’édition 2000/2001 du Rapport sur le développement dans le monde, «

Attacking Poverty ». Le sommet de Copenhague tout comme celui du G7 à Halifax en 1995 y

ont contribué, sommet au cours duquel les Institutions de Bretton Woods furent invitées à

prendre en compte les différentes dimensions du développement durable (Chavagneux &

Tubiana, 2000). Pour Narayan & Shah (2000), la Banque Mondiale adoptera alors

officiellement une nouvelle approche de la pauvreté, multidimensionnelle, fondée à la fois sur

les apports théoriques d’Amartya Sen et sur les résultats d’enquêtes (Poverty Participatory

Assesments) qui ont permis de faire ressortir des aspects de la pauvreté jusque-là ignorés et en

particulier la vulnérabilité qui caractérise les populations défavorisées. Faire de « la

vulnérabilité et l’exposition au risque » des éléments constitutifs et caractéristiques de la

pauvreté permet d’envisager une nouvelle compréhension des processus de pauvreté et donc

des moyens d’en sortir (Alwang et al., 2001). Cette approche va se développer, au sein de la

Banque Mondiale, à travers la notion d’« empowerment » que la Banque Mondiale qualifie de

« l’expansion de la liberté de choix et d’action » et « l’expansion des ressources et capacités

des pauvres à influencer, contrôler et tenir pour responsable les institutions qui affectent leurs

vies » (Banque mondiale, 2002).

La question de l’« empowerment » va susciter un autre débat et interrogation dans les politiques

de développement, celui sur l’aide publique au développement. L’aide publique au

développement est-elle synonyme de l’empowerment ? L’empowerment va-t-il succéder à

l’aide publique au développement. L’aide est-elle efficace ? Les avis des chercheurs sont

souvent très partagés. Elle a ses partisans, tels que Jeffrey Sachs (2005) qui dans The End of

Poverty soutient l’argument selon lequel, tout en adoptant un large éventail de politiques en

faveur du développement, les pays les plus riches devraient également consacrer 0.7 % de leur

Page 29: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

29

produit national brut (PNB) à l’aide, une cible fixée depuis les années soixante par les pays

membres du Comité d’aide au développement (CAD). A l’opposé, des personnes comme

Dambisa Moyo (2009) dans Dead Aid, soutiennent que l’aide crée une culture de la dépendance

en Afrique et alimente la corruption. D’après elle, il faudrait nettement réduire les apports

d’aides, jusqu’à les faire disparaître, ce qui forcerait les gouvernements des pays en

développement à miser davantage sur d’autres formes de financement, notamment la fiscalité

et l’investissement étranger.

Au regard de tout ce qui précède, il va sans dire que la plupart des études ayant traité des

questions de la pauvreté, se focalisent principalement sur l’appréhension des différentes formes

et des instruments de ses mesures mais peu voire pas du tout à l’holisme des mécanismes

d’arrangements institutionnels, socio-politiques, macroéconomiques, et/ou du commerce

international. Aspect qui de notre point de vue serait la source de toutes les formes de pauvreté

et leur accentuation dans les pays du Sud et à une forme d’écart des inégalités au niveau des

pays du Nord. Comme le souligne Banerjee et Duflo (2012), les politiques de développement

destinées à lutter contre la pauvreté semblent souvent incapables d’améliorer leurs conditions

de vie. Cet échec est lié aux failles des théories qui sous-tendent ces programmes et à la

méconnaissance par les experts de la vie des pauvres, décidant à leur place de ce qui est bon

pour eux sans chercher à les consulter. Une constatation qui nous pousse à suggérer des

approches systémiques et éclectique comme meilleurs outils d’appréhension holistique de la

problématique de la pauvreté et de sa prise en charge.

Page 30: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

30

3. Au-delà des théories binaires de macroéconomie keynésienne et de la micro-économie

néoclassique : réflexion sur la théorie de la complexité comme outil d’appréhension et de

prise en charge de la pauvreté

L’idée initiale sous-jacente à notre réflexion est de caractériser les différentes formes de

pauvretés et des inégalités sociales entre Nord et Sud et leurs principales sources, notamment

celles inhérentes à la structure des théories et pensées économiques de même que

l’appropriation de ces dernières dans la mise en place des politiques économiques et de

développement par les Etats et les organisations internationales. Et au regard de la littérature,

nous constatons que la plupart des études ayant traité de la pauvreté l’ont fait sans exposer

explicitement le type d’agent économique examiné dans leur cadre d’étude. La typologie des

profils de pauvreté est donnée sans forcément faire ressortir le type d’agent économique

concerné dans l’étude notamment si c’est à l’échelle d’un individu, d’un ménage, d’un territoire,

d’un pays ou d’un continent. Globalement, et à l’exception de quelques rares études qui

analysent la pauvreté monétaire en la corrélant à la pauvreté en conditions de vie (Bourguignon,

2006), nous constatons tout de même que la pauvreté monétaire caractérisée par la mesure du

revenu et du niveau de consommation, a pour cadre d’analyse l’échelle macroéconomique et

celle des pays, la pauvreté en condition de vie examinée à l’échelle d’un ménage et la pauvreté

subjective est étudiée à l’échelle d’un individu. Ce constat n’est pas standard, il s’agit d’une

perception d’après les différents travaux consultés. Cette forme de typologie concerne beaucoup

plus les pays du Nord. Au niveau des pays du Sud, la pauvreté est majoritairement abordée sous

un angle singulier de pauvreté multidimensionnelle avec comme soubassement la discipline

universitaire d’Economie du développement. Vu la complexité du phénomène de la pauvreté et

des inégalités, nous estimons que les cadres d’appréhension de la pauvreté doivent innover en

prenant en compte à la fois les cadres d’analyse microéconomique mais aussi macroéconomique

parce que nous considérons qu’une pauvreté à l’échelle micro peut entraîner une pauvreté à

l’échelle macro et vice-versa. Une pauvreté méso économique à l’échelle industrielle donc

d’entreprises privées peut également entrainer à la fois la pauvreté microéconomique et celle à

l’échelle macroéconomique. Cette dernière forme de pauvreté est moins traitée voire pas du

tout dans la littérature économique à notre connaissance, la mésoéconomie s’inscrivant plus

dans un courant pro libéral.

Notre préoccupation part du constat et de l’hypothèse générale qu’au niveau des pays

développés, la question de la pauvreté est abordée et appréhendée, grosso modo, par plusieurs

champs de recherche disciplinaire en économie, notamment l’Economie comportementale et

Page 31: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

31

l’Economie du bonheur pour ce qui est de la « pauvreté subjective », l’Economie de marché,

l’Economie politique et l’Economie sociale et solidaire pour ce qui est de la « pauvreté en

conditions de vie », et de la Macroéconomie internationale pour ce qui est « la pauvreté

monétaire ». Par contre et d’une manière générale au niveau des pays du Sud, tout porte à croire

que toute problématique/préoccupation de recherche et/ou politiques économiques sur la

question de pauvreté dans ces pays n’est catégorisée et classée que dans le seul champ de

recherche scientifique, universitaire et disciplinaire de l’Economie du développement qui par

ailleurs est appréhendée sous des aspects microéconomiques et instrumentalisée via des indices

composites pour donner une connotation macroéconomique. C’est dire la complexité de la

chose « qu’est la problématique de la pauvreté dans le monde » qui ne peut donc, de notre point

de vue, être appréhendée que par des approches éclectiques et systémiques et non par des

restrictions mathématiques exclusives et modélisations économétriques segmentées.

L’ambition affichée par notre présente réflexion est non seulement d’évoquer l’emprise de

l’économie de marché et son incidence sur les inégalités au niveau des pays du Nord (et

accessoirement sur la pression environnementale) via la théorie du courant néolibéral, mais

aussi et surtout, de mettre en lumière la nécessité de segmenter la discipline de l’« économie

du développement » supposée gérer la pauvreté des pays en développement, en plusieurs

champs économiques disciplinaires susceptibles de traiter et de gérer différents pans de la

pauvreté dans les pays en développement. Chaque dimension de la pauvreté retenue dans les

critères de la pauvreté multidimensionnelle fera alors l’objet d’une discipline économique

particulière. Une telle segmentation des champs économiques des pays du Sud pourrait

s’inspirer de la segmentation des champs économique des pays développés. Ceci doit passer

par une analyse critique de la discipline des sciences économiques enseignées dans les

Universités du Nord versus au Sud de même qu’une épistémologie des courants de pensées

économiques dans les travaux futurs sur l’économie du développement. Nous estimons que les

chercheurs en Economie du développement pourraient alors segmenter cette discipline

universitaire en plusieurs disciplines susceptibles de gérer différents pans de la pauvreté tout en

appréhendant et prenant en considération comment est née cette discipline et son

instrumentalisation et professionnalisation par les institutions en charge de développement

telles la Banque Mondiale et/ou le PNUD pour concevoir les politiques de développement

taillées et exclusives à destination des pays du Sud. Ce qui suppose de s’intéresser aux faits

marquants ayant traité des politiques de développement dans le monde, ceci en empruntant la

théorie de dépendance au sentier.

Page 32: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

32

Nous considérons que l’histoire ne peut pas se faire à reculons comme le laissent penser

certaines doctrines hétérodoxes du développement. Elle a vocation à évoluer. Les pays en

développement ne peuvent donc revenir à l’ère précoloniale et sont donc obligés de composer

avec les systèmes économiques importés des pays développés dans un cadre partenarial, qu’ils

soient théoriques, idéologiques et/ou empiriques, en veillant toutefois à les contextualiser pour

les appliquer à leurs réalités respectives, d’où la nécessité de subdiviser de l’Economie du

développement en plusieurs disciplines économiques qui s’occuperaient de chaque dimension

de la pauvreté multidimensionnelle en matière de recherche scientifique et d’enseignement

universitaire. C’est pourquoi nous estimons que notre cadre analyse telle que nous la suggérons,

peut contribuer à remédier un tant soit peu aux défaillances auxquelles fait allusion Boeke

(1953) quand il estime dans ses travaux que « la présence du secteur traditionnel dans

l’économie sous-développée est un acquis et que la pénétration et l’intégration du secteur

moderne ne peut qu’engendrer des défaillances ».

En effet dans la lignée des études et travaux macroéconomiques dominants sur les questions de

la pauvreté dans les pays du Sud, deux profils théoriques se dégagent globalement : (i) le

premier concerne l’utilisation faite des indices composites de la pauvreté tels l’IDH et l’IPH et

l’usage des statistiques descriptives et économétrie qualitatives (estimations via des modèles

Probit, Logit, Tobit, Analyse en composante principale, autres ) et graphiques pour faire des

études comparatives des taux de pauvreté par rapport à un secteur économique, région et/ou

pays donné et pour une échelle de temps donné (Bourguignon, 2015; Porras, 2015) de même

que l’analyse d’élasticité-revenu de la pauvreté par rapport à l’aide publique au développement

(Guillaumont & Wagner 2013). (ii) Le second profil concerne l’utilisation d’un arsenal d’outils

économétriques quantitatives sophistiqués d’évaluation des politiques publiques pour identifier

si oui ou non, il y aurait une corrélation entre la libéralisation financière, la croissance et le taux

de pauvreté.

Une des études qui nous semble la plus illustrative concernant la façon dont le second profil

des études se constitue est celle de Arsetis et Caner (2010). En effet, Arsetis et Caner (2010)

étudient empiriquement la relation entre la libéralisation financière et la pauvreté. A la

différence de la majorité d’études qui mettent plutôt en corrélation la libération financière et la

croissance, les auteurs formulent l’hypothèse selon laquelle si la libéralisation financière

améliore la croissance, elle doit alors systématiquement réduire la pauvreté à travers une

meilleure redistribution des revenus. L’étude empirique est conduite pour la période (1985-

2005) et sur un échantillon de 33 pays exclusivement en développement se situant dans l’Asie

Page 33: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

33

de l’est et du sud, L’Europe de l’est, l’Amérique latine, l’Afrique du nord et subsaharienne et

le Proche Orient. Pour mesurer le degré de pauvreté, ils utilisent un premier indicateur qui

représente la proportion de la population vivant avec moins de 1,08$ par jour et un deuxième

qui est le revenu des 20% les plus pauvres du pays, pour vérifier la robustesse de leurs résultats.

La mesure de la libéralisation financière adoptée est la variable KAOPEN (Indice de liberté

économique) initiée par Chinn et Ito (2006). A travers une représentation graphique de

KAOPEN et du taux de pauvreté pour l’échantillon de l’Amérique latine, les auteurs trouvent

qu’il n’existe aucune relation apparente entre la libéralisation financière et l’évolution de la

pauvreté. Arsetis et Caner (2010) suivent deux stratégies empiriques : une analyse en coupe

transversale et une analyse en données de panel. Dans la première approche ils utilisent les

moyennes périodiques de toutes les variables de manière à obtenir une seule observation par

pays pour chaque variable. La deuxième approche prend en compte la variation des variables

au cours du temps et à travers les différents pays. Les résultats de la régression des données en

coupe transversale par la méthode des MCO concluent à un effet inverse entre la libéralisation

financière et la pauvreté (le coefficient de la variable KAOPEN prend une valeur négative dans

la plupart des estimations). Cela signifie d’après les auteurs qu’un niveau faible de pauvreté est

associé à un niveau élevé de libéralisation financière mais ce résultat a un faible niveau de

significativité. Ils précisent que les résultats de l’estimation par MCO peuvent être biaisés par

une probable endogénéité entre la pauvreté et l’ouverture du compte de capital. Pour corriger

cette éventuelle endogénéité, ils font intervenir les variables instrumentales (IV) : la déviation

de KAOPEN et l’interaction entre KAOPEN et l’investissement.

Selon les auteurs, ces deux variables instrumentales ont une très forte corrélation avec les

variables endogènes et une faible corrélation avec le terme d’erreur. Les résultats de

l’estimation par les variables instrumentales indiquent que le coefficient de KAOPEN est

presque nul et non significatif dans la plupart des estimations. L’estimation en données de panel

par la méthode des GMM (méthodes des moments généralisés) donne les résultats suivants : le

niveau initial de pauvreté a un signe positif, un niveau élevé de qualité institutionnelle est

associé avec un faible niveau de pauvreté et les estimations sont statistiquement significatives.

La nouveauté de cette estimation par rapport aux précédentes réside dans le fait qu’elle identifie

une relation positive entre la variable KAOPEN et le taux de pauvreté. En d’autres termes, les

pays avec un compte de capital plus libéralisé ont des niveaux de pauvreté plus élevés et le

coefficient est positif et statistiquement très significatif. Pour vérifier la robustesse de leurs

résultats et vérifier s’ils ne sont pas spécifiques à la mesure de pauvreté adoptée, Arsetis et

Caner (2010) utilisent une autre mesure qui est le revenu des 20 % les plus pauvres de la

Page 34: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

34

population. Ils répètent les mêmes méthodes économétriques et trouvent les mêmes résultats.

MCO, VI et GMM concluent qu’un niveau de libéralisation important du compte de capital est

associé à un faible niveau de revenu des 20% les plus pauvres de la population. Aussi, pour

vérifier si les résultats ne sont pas influencés par des pays ou des régions spécifiques, ils répètent

les estimations en excluant à chaque fois une région donnée et ils trouvent que les résultats sont

qualitativement les mêmes.

Bien que les travaux d’Arsetis et Caner (2010) apportent des enseignements probants sur

l’impact négatif de la libéralisation financière dans la lutte contre la pauvreté, nous avons choisi

de résumer leurs travaux afin d’illustrer plus globalement comment la plupart des études

mettant en relation les questions financières et le développement se conceptualisent.

Un autre des aspects qui est sous-traité dans la littérature pour conceptualiser, expliquer,

mesurer ou évaluer les causes de la pauvreté est l’absence de prise en compte du système

d’organisation et de fonctionnement du commerce international et l’influence que cela peut

avoir sur l’état de pauvreté des pays du Sud. Les chercheurs s’intéressant au commerce

international et à l’Economie du développement pourraient étudier et évaluer comment la

modélisation des principes et règles du fonctionnement du commerce équitable et son

intégration à une théorie de l’économie internationale plus juste et équitable peut jouer en faveur

de la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales. Autrement, la conceptualisation actuelle

du « commerce équitable » peut s’apparenter à une forme d’« aide privée au développement »

déguisée, corollaire de l’aide publique au développement, cette fois-ci non de la finance

publique internationale des Etats développés, mais plutôt de la finance privée internationale

principalement issue des organisations du commerce équitable et des consommateurs du Nord.

C’est pourquoi nous estimons qu’il serait judicieux de reparcourir le cadre théorique du

commerce international, de la théorie des avantages absolus d’Adam Smith (1776) à la théorie

des avantages comparatifs de David Ricardo (1817) jusqu’aux récents travaux de Paul Krugman

(1984) sur la concurrence oligopolistique et les économies d’échelle, voire les débats sur les

théories d’intégration et de désintégration dans une perspectives d’innovation de l’économie du

développement et d’une gestion efficace de la lutte contre la pauvreté et des inégalités sociales.

Ceci permettra de comprendre comment ces différentes théories ont façonné l’organisation et

le fonctionnement du commerce international et comment l’émergence et l’évolution du

concept de commerce équitable peut avoir une certaine incidence sur la gestion de la

problématique de la pauvreté et des inégalités ; « commerce équitable » entendu ici comme

« échanges internationaux plus justes et équitables » et non comme « pratiques solidaires de

Page 35: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

35

consommation des citoyens du Nord des produits labelisés équitables pour soutenir les

producteurs du Sud » tel que conceptualisé jusqu’ici.

La segmentation de l’économie du développement telle que nous la suggérons dans cette

réflexion, ne s’inscrit pas non plus dans une logique de vouloir opposer les sciences exactes aux

sciences sociales dans l’appréhension des événements économiques. Bien que préconisant des

approches empruntant une argumentation critique, nous estimons qu’il ne faudrait pas se limiter

seulement aux outils d’argumentation de la philosophie économique a la manière dont nous le

faisons dans cette réflexion, mais exhorter les chercheurs à aller au-delà et faire appel à certains

modèles économétriques si les besoin des analyses l’exigent, soit en vue de tester

empiriquement leur applicabilité dans une approche critique, soit pour appréhender leurs limites

et/ou les compléter. Une logique de pensée qui justifie l’éclecticisme pour appréhender une

problématique aussi systémique qu’est la pauvreté. Michel Beaud (1987) cité par Amougou

(2010) s’est intéressé à l’analyse des économies dominantes en affirmant que les niveaux

d’analyse « national, international, multinational et mondial sont indissociablement imbriqués,

puisqu’ils se constituent mutuellement » pour montrer que l’économie n’explique pas tout : «

il faut saisir les interdépendances, les interactions, les inter déterminations avec le social, le

politique, les croyances, les religions, les idées, les valeurs, les institutions, le droit ; et pour

cela, la prise en compte des temps et l’éclairage historique sont indispensables » (Beaud, 1987 ;

Amougou, 2010). Un nouveau cadre théorique de réflexion future sur la discipline universitaire

de l’économie du développement tel que nous le préconisons, s’inscrit dans la logique de Beaud

(1987) et Amougou (2010) à la seule différence que nous estimons qu’il ne faudrait pas opposer

l’économie du développement au reste (des autres sciences humaines et sociales) ni le reste des

sciences humaines et sociales à l’économie; mais plutôt ramener autant que possible tout à

l’économie et voir tout dans l’économie en prenant pour instrument d’étude la problématique

de la pauvreté et des inégalités sociales dans les pays du Sud, non pas seulement

microéconomique telle que cela se fait dans la majorité de recherche en économie du

développement jusqu’ ici, mais aussi l’économie du développement incluant les aspects méso

économiques et macroéconomique, un peu aussi à l’exemple de l’analyse de l’encastrement

chez Karl Polanyi (1983) ou de l’Economie plurielle prônée par Matthieu De Nanteuil (2009).

Page 36: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

36

4. Au-delà de la pensée binaire d’individualisme et d’holisme méthodologique : remettre

la pensée complexe dans l’appréhension des phénomènes de la pauvreté et des inégalités

S’apprêter à des tentatives de réponses à toutes les interrogations posées dans la problématique

nécessite de faire des études croisées alliant les thématiques « de la pauvreté et des inégalités

sociales », « de la croissance et du développement économique » et « de la recherche du bien-

être individuel et social » à la fois dans leurs appréhensions philosophiques, épistémologiques,

socio-économiques, économétriques et géographiques. Des thématiques qui doivent être

abordées non seulement dans leur singularité et spécificité, mais aussi et surtout sous l’angle de

la mise en confrontation de courants de pensées qui les sous-tendent, de mêmes que des analyses

transversales des idées dans leurs approches interdisciplinaires et holistiques.

En effet, bien que formulée pour donner l’apparence d’être classée dans la lignée des recherches

en philosophie économique, notre approche de réflexion a pour mérite de poser un diagnostic

sur les questions de la pauvreté et leurs diversités entre Nord et Sud dans leur aspect holistique

et éclectique. Au regard de la revue de littérature en sciences économiques, il convient de

remarquer que nombre de travaux en économie préfèrent choisir de simplifier le réel en posant

des hypothèses restrictives afin d’écarter les détails pour ne conserver que les éléments

communs aux expériences les plus différenciées : c’est la logique d’action du courant dominant

qui procède par des approches hypothético-déductives avec l’homo economicus au centre de

l’analyse. Cas majoritaire des travaux attribués aux sciences sociales « exactes » et adoptant

l’individualisme méthodologique comme approche. D’autres travaux adoptent des approches

inductives en préférant partir du concret, des faits, des observations pour remonter aux

explications générales ; il s’agit de l’approche inductive dont les travaux empruntent l’holisme

méthodologique comme méthode et que l’on retrouve dans les études considérées comme

sciences humaines. Nous pensons que les recherches futures sur les questions de la pauvreté et

des inégalités devraient s’émanciper de cette segmentation méthodologique binaire pour

adopter des approches novatrices qui combinent les deux approches (les approches inductives

et les hypothético-déductives). On aboutira alors à des approches hypothético-inductives. Il

s’agira alors de passer par l’observation des faits via des travaux antérieurs sur la question de

la pauvreté et des inégalités, pour poser des hypothèses desquelles les chercheurs vont

appréhender la question de la pauvreté dans son aspect éclectique et transversal pour remonter

aux explications systémiques et générales. Comme le souligne Farid El Alaoui et Assen Slim

(2006), « l’économie n’est pas une « science dure » régie par des lois universelles ; elle est

Page 37: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

37

avant tout une science humaine, mêlant inextricablement aspects positifs (ce qui est) et aspects

normatifs (ce qui devrait être) ; « ce qui est vrai pour l’économie l’est a fortiori pour l’économie

internationale. » L’approche de réflexion telle que nous la suggérons se veut ambitieuse en

empruntant le clivage positif - normatif pour aller au-delà afin d’analyser la complexité des

phénomènes socio-économiques inhérents à la pauvreté et inégalités sociales sous un angle

épistémologique critique.

Bien qu’utilisant l’expression « holistique » pour justifier la manière dont nous abordons ce qui

devrait être, et convaincus qu’une idée novatrice d’un seul individu ou d’un groupe d’individu,

si elle est bien vulgarisée, peut changer le cours de l’histoire d’une théorie, communauté ou fait

social, nous nous refusons donc la pensée binaire qui oppose l’holisme méthodologique attribué

à Emile Durkheim (1988) à l’individualisme méthodologique concédé à Max Weber (1965),

mais invitons à s’inscrire bien plus dans ce que Edgar Morin (2014) qualifie de « pensée

complexe » en usant de la « théorie de la complexité » comme le font déjà l’économie

numérique, les systèmes d’information et/ou l’informatique théorique pour ressourdre les

problèmes complexes des algorithmes ; ce afin d’appréhender la problématique de la pauvreté

et des inégalités. Pour paraphraser l’auteur, « Il ne s'agit pas d'opposer un holisme global en

creux au réductionnisme systématique ; il s'agit plutôt de rattacher le concret des parties à la

totalité, d’articuler les principes d'ordre et de désordre, de séparation et de jonction, d'autonomie

et de dépendance, qui sont en dialogique (complémentaires, concurrents et antagonistes) » dans

les systèmes de fonctionnement économique. Etant entendu pour nous qu’hypothétiquement, le

phénomène de pauvreté contemporaine s’explique par la théorie de dépendance au sentier dans

les pays en développement alors qu’elle s’explique par la dominance hégémonique du courant

néo-libéral au niveau des pays développés. Pour North (2010), la dépendance au sentier « path

dependence » est « le processus progressif d’évolution institutionnelle par lequel le cadre

institutionnel d’hier fournit l’ensemble des opportunités pour les organisations et les

entrepreneurs individuels (politiques ou économiques) d’aujourd’hui ».

Grâce à plusieurs sources de données de nature secondaires et d’observation des faits, tirées des

travaux de recherches (articles scientifiques, ouvrages), rapports et documents des

organisations économiques et financières, le test des hypothèses tentera, pour chaque aspect de

réflexion sur la thématique de la pauvreté et des inégalités sociales, de répondre à des

préoccupations intégrées et cumulatives de type descriptives, analytiques, critiques, mais aussi

normatives. Nous estimons que ce qui est vrai pour le courant néoclassique dans l’analyse des

variables explicatives via des estimations économétriques pour expliquer une chose ou un

Page 38: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

38

événement économique, l’est d’autant plus pour l’économie dite « hétérodoxe » dans le sens où

ce n’est qu’avec une bonne description des variables et dans le cas d’espèce, des formes de

pauvreté et leur complexité, que nous pouvons poser un diagnostic analytique et critique

holistique pour tendre vers des recommandations normatives. Combiner donc des approches

d’estimations économétriques à celles dites « hétérodoxes », peut être un outil puissant

d’appréhension des phénomènes complexes.

Pour oser une tentative d’idée sur l’appréhension future des questions de la pauvreté et des

inégalités, nous préconisons pour le cas des pays du Nord, que les recherches sur la pauvreté et

les inégalités continuent par se focaliser sur la typologie de la pauvreté retenue par l’INSEE et

à laquelle nous avons fait allusion ci-dessus, pour appréhender la question tant dans la façon

dont les professionnels en charge du fonctionnement économique (tels l’INSEE, EuroStat,

OCDE, et l’UE) la conçoivent et dans la manière dont les établissements universitaires

l’appréhendent (instituts, centre de recherches et/ou articles scientifiques) pour l’étoffer avec

les résultats de la recherche internationale conjointement menée par l’Université d’Oxford et

ATD Quart Monde dans six pays représentatifs et coordonnées par Bray et al., (2020).

Du côté des pays du Sud, nous estimons que ce serait un choc exogène pour ces derniers que

de se voir appliquer les politiques économiques de lutte contre la pauvreté et des inégalités des

pays du Nord telles quelles ; compte tenu du caractère leurs économies encore hautement

informelles et non structurées. La typologie de la pauvreté telle que l’a conçu Thierry Amougou

(2005) sur la base de ses résultats issus du terrain au Cameroun nous semble donc une typologie

à prendre au sérieux. Croiser cette forme de typologie conçue par l’auteur à celle de la pauvreté

multidimensionnelle que toutes les institutions et recherches sur les questions du

développement promeuvent, peut nous fournir des résultats probants pour ce qui est des pays

en développement. Nous pensons que la meilleure manière d’appréhender les questions de la

pauvreté et leur complexité ne s’inscrit donc pas dans la transposition décousue de l’abstraction

des « biens premiers » de Rawls ou des « capabilités » de Sen à la réalité par des enquêtes de

terrain au niveau des pays en développement comme l’a fait par exemple Raphaelle Bisiaux

(2011). Il faudrait plutôt s’attaquer aux théories économiques qui sous-tendent la paupérisation

et les inégalités grandissantes dans le monde et des pays en développement en particulier. Ceci

permettra d’apporter une réponse à la première limite évoquée par Banerjee et Duflo (2012)

quant aux causes de l’échec des politiques de luttes contre la pauvreté notamment l’échec lié

aux failles des théories qui sous-tendent les programmes de développement.

Page 39: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

39

La prise en compte de la typologie de la pauvreté telle que l’a conçu Thierry Amougou (2005)

sur la base de ses résultats de terrain au Cameroun couplée a la démarche inclusive des pauvres

adoptée par Bray et al.,(2020) dans leur recherches sur les dimensions cachées de la pauvreté,

constitue également des étapes considérables dans la tentative de réponse à la deuxième

préoccupation de Banerjee et Duflo (2012) notamment la méconnaissance par les experts de la

vie des pauvres, en ce sens que cette typologie proposée par Amougou (2005) résulte d’un

travail d’un chercheur engagé et patriote du réel développement des pays du Sud y compris de

son pays d’origine et connaisseur des « réalités socio-économiques par expérience», pour

emprunter l’expression de l’auteur dans ses interventions publiques. Comme le souligne

François Bourguignon (2015), le cas de l’Afrique subsaharienne illustre bien les manquements

et limites de l’analyse économique du développement, des politiques et de l’aide publique au

développement. « Il s’agit d’une région clé dans la lutte contre la pauvreté mondiale : à

quelques exceptions près, la plupart des pays de cette région se situent en bas de l’échelle

internationale des revenus. Ils connaissent encore une croissance démographique très rapide

tandis que leur croissance économique sur les quarante dernières années a été beaucoup plus

faible qu’ailleurs. Cette dernière tendance s’explique en partie par un contexte difficile, marqué

à l’extérieur par une spécialisation forte dans l’exportation de ressources naturelles ou de

produits agricoles primaires, et une taille géographique souvent réduite accentuant leur

vulnérabilité, et, à l’intérieur, une gouvernance souvent déficiente, marquée dans certains cas

par une grande instabilité politique » (Bourguignon, 2015).

Un autre aspect du fonctionnement économique que notre réflexion vient élucider est relatif à

la dominance des pays développés par l’économie de marché et qui justifie l’inégalité sans cesse

galopante entre les plus riches et les plus pauvres, ceci renforce par l’oligopole de l’économie

numérique et financière incontestablement de plus en plus désencastrée de l’économie réelle.

C’est à juste titre que nous formulons les vœux que les recherches futures sur l’Economie

encastrée permettent une réactualisation de la littérature sur l’activité économique afin de mieux

proposer une forme de typologisation de l’activité économique qui tentera de converger le sens

du travail dans l’orientation du bien et service commun et où tout salarié aura une forme de part

sociale bien que figurative dans le capital de l’entreprise (surtout pour les grosses firmes

multinationales). Le taux de rendement du capital humain serait alors supérieur au taux du

rendement du capital financier dans les dividendes et/ou sur bénéfices des entreprises avec des

dispositifs qui permettraient au financement public de servir de garantie pour endiguer le risque

encouru par tout investissement financier privé (comme c’est déjà le cas avec les différentes

Page 40: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

40

tentatives de réponses pour relancer l’économie après la crise économique liée au coronavirus).

Tout ceci avec pour objectif de tendre vers une forme de justice sociale.

Les approches de recherches sur la pauvreté et les inégalités telles nous que les pensons, se

veulent non seulement systémiques, mais aussi éclectiques et historiques faisant appel à des

aspects descriptif, analytique, critique et normatif de la vision de la problématique de la

pauvreté et des inégalités sociales. Le regard historique et éclectique permet de reconstituer non

seulement les flux temporels, événementiels et nominatifs (aspect descriptif), nécessaires à la

compréhension des interactions entre acteurs, modèles et théories (aspect analytique) mais

aussi, d’étudier le changement de logique et d’évolution conjoncturelle d’une période à une

autre, d’un acteur à un autre, d’un modèle à un autre, d’un courant de pensée à un autre et d’un

événement économique à un autre (aspect critique), pour tirer des conclusions et

recommandations dans le sens de l’intérêt général (aspect normatif) . Le regard systémique

permet de saisir le lien entre les systèmes économiques des pays du Nord et ceux du Sud, mais

aussi entre la recherche économique scientifique en milieu universitaire (liens dynamiques entre

microéconomie, mésoéconomie, macroéconomie) et les politiques économiques des

organisations internationales, et enfin et surtout de discuter le lien entre les sciences

économiques (au sens de « sciences exactes ») et les sciences sociales et humaines. Des

approches méthodologiques de travail qui se veulent donc emprunter ce qui est considéré

comme méthodologies de recherches en sciences sociales et humaines pour l’appliquer à ce qui

est considéré comme questions économiques dans l’opinion dominante des temps modernes.

Page 41: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

41

Conclusion et perspectives

La difficulté majeure de tout travail éclectique et systémique réside dans l’exigence de la

cohérence des idées par essence interdisciplinaires, pour construire une argumentation

rigoureuse et scientifique afin de mieux arrimer la cohérence de l’approche méthodologique à

la robustesse de l’argumentation. Au regard de notre analyse et réflexion, nous pouvons tirer

des conclusions liminaires suivantes qui peuvent par ailleurs servir de champ d’investigation

plus poussée pour des études postérieures :

1. Dans un sens philosophique, l’interprétation de la pauvreté par Sen diverge de celle de Rawls

mais sur le plan de la pensée économique, « capabilités » et « bien premiers » se convergent

dans l’appréhension de la pauvreté avec pour composante, la variable « monétaire » de

Ravallion. La critique adressée à Rawls par Sen sur les biens premiers est inappropriée, puisque

c’est justement cette même équivoque que vient traiter le deuxième principe de Rawls : le

principe de différence. Un autre point de divergence entre Rawls et Sen est lié à la récupération

qui est faite de leurs pensées respectives. La pensée de Sen est récupérée par l’économie du

développement à destination des pays en développement et la pensé de Rawls récupérée par la

science politique à usage des pays développés. Bien qu’ayant trouvé les limites aux principes

de bien premiers de Rawls, Sen n’a apporté de véritable contribution à la pensée de Rawls, sauf

la conceptualisation du terme de « fonctionnements » qui analysé de près, n’est rien d’autre

qu’une transfiguration des « biens premiers » conceptualisés par Rawls. Seul Nussbaum a

répondu à la critique adressée à Rawls par Sen en introduisant le concept de capabilité humaine

et que nous osons qualifier comme « la nature et degré de relation que l’être humain entretient

avec son environnement au vu de ses caractéristiques et potentialités propres et des

caractéristiques de ce dernier ».

2. Les courants de pensées économiques d’analyse des équilibres macroéconomiques et de

l’économie internationale ont engendré l’accumulation des richesses et creusé les inégalités

sociales de par l’histoire. Les variables actuelles de calcul du PIB rendent moins compte de la

réalité du niveau d’activité économique d’un pays. La quantification et prise en compte des

variables liées aux biens et services publics, sociaux et solidaires, rendrait vraisemblable le

niveau de l’activité économique d’un pays. Le changement de lexique « richesse » par « niveau

et nature de l’activité économique » permettrait de concilier les points de vue des partisans de

la croissance et ceux des promoteurs de la décroissance vers le seul objectif commun de la

Page 42: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

42

recherche de l’intérêt général. Dans les pays développés, le PIB est tiré par la consommation,

alors que cela est moins le cas dans les pays en développement. L’utilisation segmentée de la

théorie d’individualisme méthodologique versus holisme méthodologique ou des approches

inspirées de la théorie macroéconomique keynésienne versus théorie microéconomique

néoclassique peut être réductrice dans l’appréhension holistique du phénomène de la pauvreté

et des inégalités sociales. Un cadre théorique de la complexité peut être un outil puissant

d’appréhension des phénomènes complexes et systémiques de la pauvreté.

3. Des modèles économiques promouvant le versement des dividendes et bénéfices à tous les

acteurs des chaines de valeurs, des actionnaires aux salariés, avec un taux de rémunération du

capital humain sur les dividendes équivalents ou plus élevés que le taux de rémunération du

capital financier et où l’investissement financier privé serait garanti par le financement public,

réduirait drastiquement le sentiment d’injustice, d’inégalités et de pauvreté au sein des

populations. La typologisation de l’activité économique selon les secteurs public, privé et civil

fait du travailleur du secteur public, un bienfaiteur - protecteur au service de l’intérêt général,

et du travailleur du secteur privé, un chercheur et poursuiveur du profit ; et enfin cette typologie

fait de la société civile, le moralisateur- modérateur de l’action publique et privée. Ceci crée

parfois une forme de conflit et divergence des centres d’intérêt compromettant souvent l’effort

de synergie collective de vision commune de co-construction en matière de recherche de

l’intérêt général de bien -être individuel et social de même que celui de la justice sociale.

4. L’organisation du fonctionnement du commerce international et de la finance internationale

renforcée par l’oligopole des géants du numériques, a accentué l’écart des inégalités entre les

plus riches et les plus pauvres au fil des années au sein des pays, autant dans les pays développés

que ceux moins avancés et conduit à la genèse d’un sentiment populaire d’injustice chez ceux

qui se considèrent pauvres vis-à-vis des riches en matière de pillage des ressources. La pauvreté

perçue par certains individus dans les pays développés est plus un jugement de valeur basé sur

l’écart constaté des inégalités pauvres/riches alors qu’elle constitue un fait réel dans les pays en

développement. Alors que majoritairement relative et liée aux conditions de vie dans les pays

du Nord, la pauvreté est absolue et multidimensionnelle au niveau des pays du Sud. La

formalisation effective du commerce équitable dans le commerce international permettra de

réduire drastiquement ce sentiment. Faire de l’économie du développement le seul instrument

de recherche et politique de lutte contre la pauvreté dans les pays en développement est

réducteur. Segmenter la pauvreté multidimensionnelle en plusieurs formes de pauvretés et

réfléchir à des instruments de recherches et disciplines économiques universitaires susceptible

Page 43: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

43

de traiter de chaque forme de pauvretés, permettra de rendre plus égalitaire et juste la pauvreté

entre les pays du Nord et les pays du Sud. L’utilisation de la sémantique « lutte » ou

« éradication » de la pauvreté peut paraitre utopiste, puis que non réaliste. L’emploi du lexique

« prise en charge de la pauvreté » peut aider à mieux structurer les politiques économiques et

de gestion de bien être individuel et de la justice sociale.

5. Les pays du Sud dotés d’économies essentiellement à caractère primaires, tireront plus

d’avantages comparatifs dans la consolidation et une meilleure structuration et valorisation de

celles-ci que dans la course à l’industrialisation de leurs économies respectives pour le

sentiment de rattraper les pays du Nord, sans compter la pression environnementale

supplémentaire qui résulte de telles politiques. L’institutionnalisation de bonnes politiques

financières et budgétaires avec la levée de la parité fixe des monnaies, la mise en place de

bonnes politiques de gestion de la balance commerciale, l’instauration des politiques

redistributives efficaces et de meilleurs filets sociaux au niveau des pays du Sud à l’instar des

pays du Nord ; tous ceci couplées à une meilleure structuration de l’économie de service et à

des politiques de renforcement des compétences, formations pratiques et insertion du capital

humain, contribuera à doter les économies du Sud d’une identité économique autre que celle du

sous-développée. L’adoption de telles politiques économiques contribueront à substituer la

traditionnelle et historique « lutte contre la pauvreté » via les vastes projets de développement

financés par les aides publiques au développement et dont les limites dans l’éradication de la

pauvreté sont aujourd’hui patentes.

Page 44: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

44

Bibliographie

Accardo J., Saint P. T. (2009), « Qu’est-ce qu’être pauvre aujourd’hui en Europe ? L’analyse

du consensus sur les privations », Économie et Statistique, n° 421, INSEE, pp. 3-27.

Aghion P., commander S. (1999), « On the dynamics of inequality in the transition »,

Economics of Transition, Vol. 7, n° 2, pp. 275-298.

Alchian A., Demsetz H. (1972), « The property right paradigm », Journal of Economic History,

n° 33, pp.16-27.

Allegret J.-P., Azzabi S. (2012), Développement financier, croissance de long terme et efftsde

seuil. Panoeconomicus 59, 553–581.

Alkire S., Foster J (2011), « Counting and multidimensional poverty measurement », Journal

of Public Economics, vol. 95, n° (6–7), pp.476‐487.

Alkire S., Santos M.E. (2010), Acute Multidimensional Poverty: A New Index for Developing

Countries, OPHI Working Paper 38, University of Oxford. 139 pages.

Alwang J., Siegel P.B., Canagarajah S. (2001), « Viewing Microinsurance as a Social Risk

Management Instrument », Social Protection Discussion Papers, n°0116, The World Bank,

Whashington D.C.

Amougou T. (2005), « Proposition d’une approche néo-braudélienne et systémique de

l’économie populaire (informelle) en Afrique subsaharienne », Document de travail n°22,

Département des sciences de la population et du développement (Sped), Université catholique

de Louvain.

Amougou T. (2008), « Territorialité politique, territorialité concurrentielle et développement »,

Points de vue du Sud, ALTERNATIVES SUD, VOL. 15-2008 / 39

Amougou T. (2010), Dualisme financier et développement au Cameroun : une approche

néobraudelienne et systémique. Prom. : Wautelet, Jean-Marie ; Cobbaut, Robert. Document de

thèse de doctorat en sciences politiques et sociale, Presses univ.de Louvain, UCL, 484 p.

Amougou T. (2010), « Le nouveau paradigme de la coopération au développement (le NPCD)

: quels enjeux pour le développement des pays partenaires ? » Économie et Solidarités- Vol.

40, no.1-2, p. 63-83 (2010), DOI: 10.7202/1004053ar

Azariadis C. et Stachurski J. (2005), « Poverty Traps» in: Philippe Aghion & Steven Durlauf

(ed.), Handbook of Economic Growth, edition 1, volume 1, chapter 5 Elseviern P 295-384

Arestis P., Caner A. (2010), « Capital account liberalisation and poverty: how close is the

link? » Camb. J. Econ. 34, 295–323.doi:10.1093/cje/bep062

Atkinson A.B. (1970), « On the Measurement of Inequality », Journal of Economic Theory,

Vol. 2, n° 3, pp. 244-263.

Atkinson A. B. (2003), « Multidimensional deprivation: contrasting social welfare ad counting

approaches », Journal of Economic Inequality, vol. 1, pp.51-65.

Page 45: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

45

Banerjee A., Duflo E. (2012), Repenser la pauvrèté, Paris, Editions : Le Seuil, Coll. Les livres

du Nouveau Monde.

Banque Mondiale (2000), « Rapport sur le développement 2000/2001 : Combattre la pauvreté

», Rapport n° 22684, 402 pages.

Banque Mondiale (2001), Rapport sur le développement dans le monde 2000-2001, Paris, Eska.

Banque Mondiale (2002), La Qualité de la croissance, Bruxelles, De Boeck Université.

Bentham J. (1789), Introduction to the Principles of Morals and Legislation, London: Adamant

Media Corporation (édition de 2005).

Bentham J. (1829), « Article on Utilitarianism », in J. Bentham, Deontology together with a

Table of the Springs of Action (1817), Oxford: Clarendon Press (édition de 1983), pp. 285-318.

Bertin A. (2007), Pauvreté monétaire, pauvreté non monétaire : une analyse des interactions

appliquée à la Guinée, Thèse pour le doctorat en sciences économiques, Université

Montesquieu-Bordeaux IV.

Bihr A. et Pfefferkorn R. (2008), Le système des inégalités, Paris, La Découverte.

Bisiaux R. (2011), « Comment définir la pauvreté : Ravallion, Sen ou Rawls ? », L'Economie

politique, 2011/1 n° 49, p. 6-23. DOI: 10.3917/leco.049.0006.

Boeke J. H. (1953), Economics and economic policy on dual societies, New York.

Bourguignon F. (2003), « The Growth Elasticity of Poverty Reduction: Explaining

Heterogeneity across Countries and Time Periods ». Eicher, T. et S. Turnovsky (dir. pub.),

Inequality and Growth. Theory and Policy Implications. The MIT Press, Cambridge, Mass.

Bourguignon F., Ferreira F., Menéndez M. (2003), « Inequality of Outcomes, Inequality of

Opportunities and Intergenerational Education Mobility in Brazil », dans “Inequality and

Economic Development in Brazil, Rapport N.28487-BR, Banque mondiale, Washington, D.C.

Bourguignon F. (2004), « Le triangle pauvreté - croissance - inégalités », Afrique

contemporaine, 2004/3 n° 211, p. 29-56. DOI : 10.3917/afco.211.0029

Bray R., De Laat M., Godinot X., Ugarte A., Walker R. (2020), « Realising poverty in all its

dimensions : A six-country participatory study », World Development Volume 134, October

2020, 105025.

Card, D. (2014). « L’évaluation des politiques actives du marché du travail Quels

enseignements ? », Travail et emploi, vol. 139, no. 3, pp. 15-23.

CADTM (2020), « Sud/Nord, Pays en développement/pays développés : De quoi parle-t-on ? »,

Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (http://cadtm.org/Sud-Nord-Pays-en-

developpement-pays-developpes-De-quoi-parle-t-on)

Chinn M.D., Ito H. (2008), « A New Measure of Financial Openness ». Journal of Comparative

Policy Analysis: Research and Practice 10, 309–322. doi:10.1080/13876980802231123

Clément M. (2006), « Dynamiques de pauvreté en Russie : une analyse en termes d’entrées et

de sorties », Revue d’études comparatives Est-ouest, vol. 37, n° 2, pp. 135-168.

Page 46: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

46

Delacampagne C. (2000), La Philosophie Politique aujourd’hui. Idées, débats, enjeux, Paris,

Éd. du Seuil.

Deininger K., L. Squire (1996) « A New Data Set Measuring Income Inequality. » World Bank

Economic Review, 10(3): 565-91.

De Laat M., Bendjaballah A., Consolini-Thiébaud C., Novelli P., (2020), Comprendre les

dimensions de la pauvreté en croisant les savoirs "Tout est lié, rien n'est figé". International

ATD Fourth World Movement

De Nanteuil M. (2009), « Économie Plurielle et Réencastrement: Solution ou Problème face la

Marchandisation ? » Working Paper N° 5, CriDIS Working Papers, IACCHOS- UCL.

Conférence présentée dans l’atelier "The Third Sector and Sustainable Social Change: New

Frontiers for Research", ISTR 8th International Conference –EMES 2nd European Conference,

Barcelone, 9-12 Juillet 2008.

Des G. (1997), « Sen’s Capability Approach and Nussbaum’s Capability Ethic », Journal of

international Development. 10.1002/(SICI)1099-1328(199703)9:2<281::AID-

JID438>3.0.CO;2-K

Dell F., Verger D. (2006), « Le système des indicateurs de niveau de vie en France : expérience

et enseignements pour la mesure de la pauvreté en Russie », Revue d’études comparatives Est-

ouest, vol. 37, n° 2, pp. 13-31.)

Dollar D., Kraay A. (2002), « Growth Is Good for the Poor ». Journal of Economic Growth,

7(3): 195-225.

Dubois J-L., Lasida E., Lompo K.M. (2009), « La pauvreté : une approche socio -économique

: entretien avec Jean-Luc Dubois ». Transversalités, n°111, pp 35-47.

Dupuy J-P (1989), La Théorie de la Justice : Une machine anti-sacrificielle, in Critique, n°505-

506, p. 466-480.

Festy P., Kortchagina I., Ovtcharova L., & Prokofieva L. (2005), « Conditions de vie et pauvreté

en Russie », Économie et Statistique, n° 383-384385), INSEE, pp. 219-244.

Fontaine L. (2008) « Une histoire de la pauvreté et des stratégies de survie », Regards croisés

sur l’économie, La decouverte, n° 4 | pages 54 à 61

Fuchs V. (1967), « Redefining Poverty and Redistributing Incomes», The Public Interest, Vol.

8, Summer, pp. 88-95.

Guillaumont P., Wagner L. (2013), « L'efficacité de l'aide pour réduire la pauvreté : leçons des

analyses transversales et influence de la vulnérabilité des pays », Revue d'économie du

développement, De Boeck Supérieur, Vol. 21 | pages 115 à 164.

Godin J. (2015), « l’aggravation des inégalités de richesses, entre domination et contestation »,

Alternative Sud, Vol.XXII - 2015, n°3 in L’aggravation des inégalités, Points de vue du Sud,

CETRI – Syllepse

Hardoon D. (2015, P2), « Insatiable richesse : toujours plus pour ceux qui ont déjà tout »,

Rapport thématique d’Oxfam. Oxfam International. Rapport 19 janvier 2015 (youscribe.com)

Page 47: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

47

Hulme D., Sheperd A. (2003), « Conceptualizing Chronic Poverty” » World Development,

Vol. 31, n° 3, pp. 403-423.

Kahneman D., & Tversky A. (2000). Choices, values, and frames. New York: Cambridge

University Press. (Eds.)

Kerim S.A (2016)., « Mesure de la pauvreté multidimensionnelle selon l’approche par Counting

: application à la Mauritanie », UMR LAMETA, Université de Montpellier, DR n°2016-06

Kraay A. et McKenzie D. (2014), « Do Poverty Traps Exist? Assessing the Evidence». Journal

of Economic Perspectives · vol. 28, no. 3, Summer 2014. (pp. 127-48).

Krugman P. R. (1984), « Monopolistic Competition and International Trade », in H.

Kierzkowski (éd.) Clarendon Press.

Galbraith J.K. (2004), Les mensonges de l’économie. Vérité pour notre temps, Paris, Grasset.

Levy M. et Brouillet A.-S. (2003), « Lutte contre la pauvreté et les inégalités. Ce qu'en pensent

des intellectuels africains » Une initiative du Réseau IMPACT, Afrique contemporaine, 2003/4

n° 208, p. 7-12. DOI : 10.3917/afco.208.0007.

Marniesse S. et Peccoud R. (2004), « Introduction » Pauvreté, inégalités, croissance Quels

enjeux pour l'aide au développement ? Afrique contemporaine, 2004/3 n° 211, p. 7-27. DOI :

10.3917/afco.211.0007

Mbembe A. (2000), De la post-colonie : essai sur l’imagination politique dans l’Afrique

contemporaine, Paris, Karthala.

Merrien F-X. (2000), « La restructuration des Etats-providence : « sentier de dépendance » ou

tournant néo-libéral ? Une interprétation néo-institutionnaliste ̧ Recherches Sociologiques,

2000/2 - Les nouvelles politiques sociales.

Milanovic B. (2012), « Global income inequality by the numbers: in history and now », Policy

research working paper, n° 6259, Groupe de recherche sur le développement, Banque mondiale. *

Moyo D. (2009), Dead Aid: Why Is Aid Not Working and How There Is a Better Way for Africa,

Allen Lane, London.

Morin E. (1996), « Le besoin d'une pensée complexe », La passions des idées, magazine litt.,

hors-série, déc 1996).

Narayan D., Shah T. (2000), « Connecting the Local to the Global: Voices of the Poor »,

Washington, World Bank.

Nussbaum M. (1995), « Human Capabilities, Female Human Beings ». Pp.61-104 in Nussbaum

& Glover (eds.).

North D. (1981), Structure and Change in Economic History. New York: Norton.

North D. (1990), Institutions, Institutional Change and Economic Performance. Cambridge and

New York : Cambridge University Press.

Page 48: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

48

Nozick R., (1947), Anarchie, État et utopie, Basic Books, Etats-Unis, P.334

Peemans J.-P. (2004), « Développement, identités culturelles, villes et territoires : quelques

aspects Nord-Sud », in Declève et Hibo (coord.), Développement territorial et mutations

culturelles, UCL, Louvain-la-Neuve, PUL.

Pigou A.C. (1920), The Economics of Welfare, London: Transaction Publishers.

Piketty T. (2003), « Attitudes vis-à-vis des inégalités de revenu en France : existerait-il un

consensus ? », à paraître dans Comprendre, PUF, EHESS

Pirlot V. (2016), « Fraude fiscale cautionnée dans un contexte d’austérité : la contradiction d’un

système ? » Etude & Analyse Economie, Siréas asbl.

Polanyi K. (1983), La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre

temps, Paris, Gallimard ;

Ponty N. (1998), « Mesurer la pauvreté dans les pays en développement », Economie et

Statistique, n° 308-309-310, INSEE, pp. 53-67.

Pritchett L. and Woolcock M. (2004), « Solutions when the solution is the problem: arraying

the disarray in development », World Development, 32:2, p.191-212.

PREVOST B. (2004), « Droits et lutte contre la pauvreté, où en sont les Institutions de Bretton

Woods ? », Mondes en développement, vol. 32, n°128, p.115-124.

Prévost B. (2005), « Droits et lutte contre la pauvreté, où en sont les Institutions de Bretton

Woods ? », Mondes en développement, à paraître

Prévost B. (2005), « Les fondements philosophiques et idéologiques du nouveau discours sur

le développement », Economies et Sociétés Série Développement n°4, 3/2005, p.477-96

Prévost B.et Palier J. (2007), « Le développement social : nouveau discours et idéologie de la

Banque Mondiale Social Development : New World Bank’s Ideology », Economies appliqué.

Programme des Nations Unies pour le Développement (2000), « Vaincre la pauvreté

humaine ». Rapport du PNUD 2000. 144 pages.

Raffinot M., Venet B. (1998), « Approfondissement financier, libéralisation financière et

croissance : le cas de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) ». XVème

journée internationale d’économie monétaire, Université de Toulouse I, 4 et 5 juin 1998.

Rahnema M. (2003), Quand la misère chasse la pauvreté, Paris : Fayard/Actes Sud.

Ravallion M. (1992), « Poverty comparisons. A guide to concepts and methods », Living

Standards Measurement Study, working paper n° 88, Washington, DC, World Bank, fév.

Ravallion, M. (2001) « Growth, Inequality, and Poverty: Looking Beyond Averages. »

Working Paper No. 2558, Banque mondiale, Washington D.C.

Ravallion M. (2003), « On the Utility Consistency of Poverty Lines ». Policy Research

Working Paper Series n° 3157, The World Bank, 40 p.

Page 49: Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par

49

Rawls J. (1971), A Theory of Justice, Cambridge (MA), Harvard University Press (trad. fr.

Théorie de la justice, Paris, Le Seuil, 1987).

Richter S. (2009), « Europe centrale : la transition économique », Politique étrangère, vol. 74

n° 3, pp. 489-502.

Shaw E.S. (1973), Financial Deepening in Economic Development, Oxford University Press,

New York.

Sen, A. (1981), Poverty and Famines: an Essay on Entitlements and Deprivation, Oxford,

Clarendon Press.

Sen A. (1999), Development as Freedom, A. Knopf Inc; trad. Fr. de Michel Bessières, Un

nouveau Modèle Economique : Développement, Justice, Liberté, Paris : Odile Jacob, 2003, 368

p.

Senik C. (2014), Economie du bonheur ; La république des idées, éditions seuil.

Simon H., A. (1987), « Bounded rationality », in: A dictionary of economics, vol. Mac Millan,

London, pp.26-267.

Slim A. (2010), « Les formes de la pauvreté en Europe de l’est : évolution et causes de 1989 à

nos jours », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2010/2 N° 41 | pages 111 à 140

Solow R. (1985), « Economic History and Economics », American Economic Review 75(2),

328-331, p.330

Sumner L.W. (2006), « Utility and capability », Utilitas, Vol. 18, n° 1, pp. 1-19.

Stiglitz J. (1998), « More Instruments and Broader Goals: Moving Towards the Post

Washington Consensus », Wider Annual Lectures, Helsinki, World Institute for Development

Economics Research.

Stiglitz J. (2006), « Un autre monde. Contre le fanatisme de marché », Paris, Fayard

Surel Y. (2003) “John Rawls, Théorie de la Justice, fiche de lecture”. Conférence de Méthode

de Science Politique.

Tonda J. (2005), Le souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo,

Gabon), Paris, Karthala.

Townsend P. (1979), Poverty in the United Kingdom, Harmondsworth, Penguin.

Weber M. (1913), « Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive », ETS

[traduction de Über einige Kategorien der verstehenden Soziologie, dans Logos. Internationale

Zeitschrift für Philosophie der Kultur, IV, 3, Tübingen, Mohr-Siebeck, et repris].