Representation Du Paysage Dans Le Cinema

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    D'ou l'apparition comme prologue de cette scene onirique, et d'autres reyes d'Ivan durant lefilm, qui s'acheve par un retour 11 la nature 11 la faveur d'une scene de plage duram laquelle la mered'Ivan survit. Place apres l'annonce au spectateur de l'excution d'Ivan par les Allemands, cettenouvelle dmonstration de l'merveillement produit par la nature sur le g a r ~ o n , par son irralisme, traduit la foi de l'enfance en une nature forcmem protectrice par les enchantements bienfaisants qu'elle n'a de ces se de dispenser. La prsence finale d'un arbre mort parmi cet ensemblesymbolise la trahison reprsente par l'homme, inventeur de la guerre et destructeur de l'unionnaturelle emre l'enfant et son paysage dor.

    Cette proximit de l'enfam avec la nature devint un theme rcurrent du cinma. Rcemmemencore le mm finlandais Pour les vivants et les morts (Eliiville la Kuolleille, Kari Paljakka, 200S)racome l'histoire d'une famille en proie au deuil du plus jeune de deux enfants. Le frere ain, agd'une huitaine d'annes, se montre de plus en plus agit, la douleur lie 11 la perte s'insinuant dansson esprit de maniere plus dtourne et inquitante que chez ses parems. La squence conclusivele prsente quittam l'cole et gagnant un sous-bois 11 vlo. Il s'allonge et contemple dans le silencela nature. Le dernier plan du film correspond 11 sa vision subjective : la couronne majestueuse descimes des arbres ondulant doucement au gr du vem en laissant se dessiner le ciel en son centre.Le Requiem de Faur accompagne le gnrique de fin.

    POUR LES VIVANTSET LES UORTS.

    Par son rythme calme et imperturbable, le paysage prsente des venus curatives que le psychisme de l'enfant est particulierement apte 11 s'approprier. Il se rend instinctivement au sein de lanature avec laquelle il n'a jamais rompu ses liens d'origine.

    3 LE PASSAGE A L' GE ADVLTE :L'INNOCENCE DU REGARD PRESERVELa lutte engage pour conserver un regard d'enfance sur le monde est symbolise par Roslyn

    (Marilyn Monroe) dans Les Dsaxs (The Misfits, John Huston, 1961). La jeune femme n'ajamais perdu sa capacit d'merveillemem. Ses compagnons masculins voient dans ses yeux l'innocence de celle qui vient de naitre. Sous la voute toile, elle donne l'impression de se trouveren harmonie avec le cosmos. Filie des villes, elle doit s'habituer 11 la nature. Elle ne connaissaitl'odeur de la sauge que par les flacons de parfum, et est surprise devant l'tendue infinie des col

    .Le silence de la campagne jure aussi avec celui de la ville. Elle volue cependant rapidementeun poisson dans l'eau dans ce nouvel environnemem ; jeux insouciams sur la plage, mer

    :ment devant des graines qui, malgr leur petite taille, savent des le dpart qu'elles doiventir des laitues. La calme et harmonieuse tendue de la plaine est confondue avec un reve. La

    de nerfs sera invitable lorsque les hommes entreprendront de capturer des chevaux dans ce. e nature!. Ces hommes, dont le rapport avec la nature qu'ils ont toujours connue est plus

    que, auront au moins le mrite d'erre capables de changer d'avis au comact de Roslyn.,Terrence Malick conclut son Nouveau monde (The New World, 200S) avec une prise de vue

    . , 'que 11 celle de Pour les vivants et les morts :une forte contre-plonge dirigeant le regard sur. .es d'arbre. Cette fois, un arbre semble dominer la scene par son immobilit tandis que ses

    ondulent doucement au gr du vem. Ce mlange de calme mouvement de balancier etobilit symbolise la force de la nature 11 l'

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    namre lui permet de survivre et de se rgnrer lorsqu'elle est renie par son pere et traite par lessiens comme une paria. Elle rend de nombreux hommages au soleil dans une attimde de communion au sein d'un paysage unifi par la lumiere Noble soleil je t'offre mes remerciements. Tu don-nes la vieaux arbres et aux collines, aux rivieres, ti tout. Des hommes en gnral elle dit Noussommes paris ti l'herbe.

    Selon sa conception, l'eau est bien charge de reflter la nature dans sa varit et non son seulreflet aelle.

    En temps de guerre, le paysage est la derniere chose que l'hornme a le privilege de contempleravant de retrouver son origine, tel cet Indien mortellement bless durant l'attaque du fort des colons.

    La plthore de paysages qui parseme les presque deux heures et cinquante-deux minutes dufilm, selon le montage dfinitif voulu par le ralisateur 32, apparait le plus souvent de manierefugace. La critique pointe : a force de vouloir dire son amour du paysage, le ralisateur est-ildpass par la trop lourde rache qui lui est impose, les trop nombreuses visions qui lui viennental'esprit et qu'il ne parvient pas aintgrer dans une architecture globale ?Mal apprivois, le paysage releve rapidement du clich, a l'instar de la lourdeur qui caractrise la sparation entre lesbons sauvages parfaits mais auxquels il ne faut pas faire injustice et les Anglais golstes, belliqueux et en proie al'insatisfaction permanente (tels ces enfants qui ne voient rien d'autre hormisleur malheur lorsque Smith retrouve le fort apres avoir vcu son histoire avec Pocahontas).

    En ralit, Le Nouveau monde est le film de Malick qui rappelle le plus les propos de Czannesur la vision des enfants. Ce n'est pas une vision construite, mais une sensation pureo Le montagehach, elliptique, choisi par le ralisateur pouse la vision de John Smith dont le regard meurtpour renaitre aussitt en Virginie au contact des Indiens et de leur paysage. Ses propos sur l'innocence des Indiens et de la perfection de leur monde peuvent lasser par leur simplicit exagremais ils sont ceux d'un enthousiaste, d'un dcouvreur qui dvore ce nouveau dcor comme unenfant.

    Lorsque Smith est dsign pour aller a a rencontre d'un chef indien afn que les colons tissent de nouveaux liens commerciaux, la riviere est baigne d'un soleil pale en une scene qui nemanque pas de rappeler Impression, soleillevant de Claude Monet. Monet, qui lui aussi voulaittrouver une vision authentique du paysage, loigne de ce que l'on trouve au Louvre. 11 est acetgard intressant de comparer les diffrentes apparitions du soleil dans le film. Une dominanteimpressionniste s'applique a a perception de Smith et de Pocahontas tandis que le classicismereprend ses droits avec les colons anglais. Lorsque de nouveaux navires britanniques apparaissentlors du retour du chef de Smith,la scene ressemble davantage aun contre-jourdistill par ClaudeLorrain dans ses vues de ports. Le paysage des Indiens releve d'une suite d'impressions tandis quecelui des Anglais est une construction entierement maitrise. Le soleil dlivre une lumiere destine aerre apprivoise par la technique pour l'artiste classique, tandis que le moderne accepte dese laisser submerger par elle.

    L'pilogue saura offrir une synthese lorsque Pocahontas meurt en s'vaporant dans un coucher de soleil a la Claude Lorrain, la jeune femme comprenant alors que la nature est partout,aussi bien chez les Anglais que chez les Indiens.

    Dans La Ligne rouge (The Thin Red Line, 1998), film de guerre voquant la bataille deGuadalcanal durant la Seconde Guerre mondiale, Malick dfendait une vision similaire de paradis terrestre vu a travers le regard de ceux qui avaient su conserver leur innocence.32 le studio New Une a dit ce montage en OVO en 2008.

    Le mm de guerre a toujours t un genre mettant en scene des soldats adultes en proie a laession vers le monde de l'enfance. Sur le point de rencontrer la mort l'homme retrouve l'es-

    riel et caresse une derniere fois du regard le paysage qu'il s'apprere aquitter a tout jamais.Lorsque le jeune soldat Bead (Nick Stahl) est bless, son regard porte immdiatement sur

    .e tendue de ciel bleu surplombant l'importante densit herbeuse. Un peu plus loin un autreMat, lui non plus pas encore tout afait un homme, volue aterre et son regard se porte comme

    f,nterloqu sur une minuscule feuille, qu'il caresse un momento Quelques instants plus tard, Bead~ d e m a n d e aun camarade de lui tenir la main et expire en regardant les troues lumineuses du soleilri travers les circonvolutions du feuillage d e l a foret. Un gros plan s'intresse aquelques feuilles en,\ particulier afin de montrer qu'elles sont elles-memes constimes d'une multimde de trous laissant.\passer la lumiere.

    LA LIGNE ROUGE.

    Le soldat Bob Witt (Jim Caviezel) est quant a lui prsent d'emble comme un homme encornmunion avec la nature. 11 a dsert pour retrouver le paradis perdu de la civilisation desMlansiens et un plan en flash-back le montre, encore g a r ~ o n n e t , dja en une attitude de joiesimple et merveille face ala nature.

    Le prologue du film s'attarde sur des paysages baigns de lumiere inondant des sous-bois.Witt est retrouv et rintegre l'arme. 11 aune conscience aigue de sa capacit aressentir des morions ignores par tous les autres, et surtout par son suprieur,le sergent Welsh (Sean Penn). Lesdeux hommes restent pourtant unis par un intret rciproque et Witt dira au sergent qu'il voitune tincelle en lu.

    La mort de Bob Witt apparait comme la cl du monde namrel de Malick car cene mortn'existe pas dans l'

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    toujours plus riches. Ces apparences sont galement dcrites en voix offpar Witt tandis que desoiseaux aux innombrables coloris sont prsents en gros plan Qui es-tu pour vivre sous toutes cesformes? Cet hommage 11 la luxuriance propose par la nature dans tous ses aspects, vgtal, animal,minral, est 11 la base des innombrables vues paysageres dont est constell La Ligne rouge.Les hommes vivent en totale interdpendance avec la namre car ils sont capables de s'en nourrir et d'en tirer une satisfaction 11 la fois esthtique et vitale. La nature n'est elle-meme pas trangere 11 I'homme car il est destin comme tous les etres vivants 11 participer 11 un phnomene decration toujours plus riche. TeI est le sentiment de gloire 11 la vue de I'oiseau mort, et il en va dememe devant la tombe de Witr.

    Devant celle-ci, Welsh, perplexe quant 11 la pertinence du compliment que lui avait adressson subordonn, questionne Gil est ton tincelleaprsent ?La rponse est livre dans le dernier plan du film, un dernier paysage qui n'est que magnifi

    cence. Une plante isole et frele se dessine sur une immense tendue d'eau tandis que quelquesreliefs se distinguent 11 I'arriere-plan. Cette image fait suite 11 deux autres plans montrant pour lepremier des Mlansiens voluer dans une barque 11 travers la nature, et d'autres oiseaux paradisiaques pour le second.

    LA LIGNE ROUGE.

    Ce paysage final est comme un cho direet de la tombe de Witt, une discrere rponse maisrponse tout de meme signifiant que la mort n'est pas une disparition entendue comme purecruaut et souffrance mais comme une annonce de nouvelles formes parmi les innombrables dj11existantes au sein du paysage. De la tombe de Witt est ne la plante aquatique. La banale idei

    ,,,,",!I selon laquelle la mort se prolonge dans la vie trouve ici une forme d'une stylisation lgante.I Dans Kingdom o/Heaven (Ridley Scott, 2005), peu pres le massacre ayant prsid au siegede Jrusalem, le montage se contente d'a1terner entre un plan de I'acteur Orlando Bloom, visagepensifet regard contemplatif, et un frele arbuste dbutant sa floraison. La naivet de la mise enscene, qui vise sans nul doute 11 exprimer la meme ide que Malick, ne soutient pas la comparaison avec le sens de 1'e1lipse et le raffinementde ce dernier. Guillermo del Toro se trouve plus proche encore de Malick dans I'pilogue du Labyrinthe de Pan. Dans le commentaire qu'i1 a laisspour son film, le ralisateur voque le legs d'Ofelia (Ivana Baquero), la jeune filie venant de mourir : une fleur blanche fragile en train d'clore pres d'un arbre mort et butine par un insecte JJ.Ofelia atteint ainsi I'immortalit dans la perptuation de la nature d'une maniere identique 11celle du soldat Witr.33 Le commentoire de Guillermo del Taro est disponible sur l'dition OVO du film chez Wild Side Video.

    ( Dans ce plan final de La Ligne rouge le cycle organique trouve son unit et sa cohrence dans'le paysage propos comme un leitmotiv par le mm. Dans cette perspective le dbat mrite d'etre.ouvert avec les critiques selon lesquels la nature de Malick est sublime mais indiffrente 11l'homme, poursuivant son existence de maniere indpendante et se caractrisant par sa cruaut,

    I'instar du plan de crocodile ouvrant le mm. J4La namre montre par le ralisateur n'est pas contradictoire mais unifie par un principe,directeur, celui d'une cration toujours renouvele. Ainsi, la mort n'est plus une simple douleurr, saos rponse mais un passage. La mort dlivre de la douleur, c'est le sens de I'emploi de I'In para-) Jiso emprunt au Requiem de Faur lors des images d'ouverrure du fum. Faur refusait la douleur:idans son Requiem, duquelle jour de coIere est absent, et il en est de meme chez Malick.. Le ralisateuramricain place un grand nombre d'interrogations 11 travers les questions de ses; soldats qui constatent en voix offou lors de dialogues que la nature est violente et capable de don

    ner la morr. Mais il trace galement le chemin menant 11 des rponses 11 travers ses associationsd'images qui parlent mieux que les mots 11 ceux qui savent les voir. Witt le comprenait, lui qui

    dcide de se sacrifier pour ses compagnons, accomplissant un cycle de mort pour donner nais sance 11 davantage de vie. Une vie qui cl6t tel un plant surgi de I'eau au milieu de la mero

    L'interdpendance est ici une union recherche sans cesse par I'etre humain, qui retrouve 11travers le paysage ses origines. Le regne diffrent auquel appartiennent I'homme mouvant et lanature comme immobile ne renvoie pas 11 deux mondes radicalement opposs, mais 11 un passagesans cesse emprunt entre les deux afin de dceler une substance identique.

    Lorsque le soldat Bell (Ben Chaplin) se remmore sa femme sur une b a l a n ~ o i r e sur unepelouse non sime c1airement dans I'espace ambiant, sorte d'abstraction de paysage identifi parla seule herbe verte, les nombreuses prises de vue sous des angles divers (de la contre-plonge 11 latres forte plonge) soulignent I'enrichissement mutuel que s'apportent la jeune femme et la

    . nature. Tandis que celle-ci reste identique 11 elle-meme, la premiere est entraine par son propremouvement, quitte le champ de la camra pour le retrouver, et lorsqu'elle le quitte 11 nouveau I'empreinte de son ombre continue de s'afficher sur le vert vifde la pelouse.

    L'lment naturel semble s'enrichir sous le passage fugace mais toujours rpt de la jeunefernme, et un sentiment de synthese en forme de communion s'instaure.

    L'hornme est une crature originale puisqu'il interroge sans cesse ses origines. L'absence derponse directe ne releve pas de la cruaut mais de la spcificitde la nature qui acr un etre diffrent d'elle-meme car s'exprimant sur un mode diffrent. Au sens de la communication humaine,le dialogue est rompu. Mais I'homme ne se caractrise pas par la seule strucmre de son langage, ilest galement capable d'observation et de contemplation pures intraduisibles par les mots. CestaIors qu'il voit en quoi iI ressemble toujours 11 la namre, ressemblance qui lui permet de la trouver belle. TIlui est semblable car, comme elle, il est une libre association de formes qui ont trouvensemble une harmonie, meme prcaire. La nature sous la forme du paysage est harmonieuse etSUScite de ce fait le sentiment de beaut :en dlivrant par sa seule prsence 11 I'homme un constantflux de beaut, elle fait le plus beau don de soi qui puisse etre, le don de la consolation. La natureredonne espoir aux soldats de La Ligne rouge sur le point de mourir car I'exprience esthtiquen'aura pas t vaine, elle seule aura confr 11 leur vie son caractere prcieux. Cette offre de laconsolation n'est pas un cadeau d'indiffrent pour celui qui sait I'accueillir. L'indiffrence est celle34 le point de vue est dfendu por Michel Chion dons La Ligne rouge, les ditions de lo transparence, 2005.

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    ressentie par ce!ui dont l'esprit ne sait pas comment identifier la communaut entre lui-meme etla nature. Il ressent alors comme de la cruaut le spectacle du lion qui dvore le zebre. Cest fairegrand cas de l'inconnu de la mort qui n'est qu'une tape vers une nouvelle cration.

    Les Sept SamouraiS (Sichinin no samurai, Aldra Kurosawa, 1954) est une autre ceuvre quisouligne la transition entre l'age de l'enfance et l':1ge adulte de maniere originale car elle n'vacuepas les implications de ce passage sur la perception du paysage. Katsushiro (Ko Kimura) est leplus jeune des samoura'is ayant accept d'aider des fermiers dont les rcoltes sont systmatiquement pilles par des bandits. Il est le seul dont l'esprit divague volontiers vers les champs de fleurstandis que ses compagnons laborent une stratgie militaire de dfense du village. Kambei(Takashi Shimura), le chef des samourai's, n'est pas indiffrent au spectacle d'un coin de naturequ'il qualifie de "paisible bosquet" mais a conscience que c'est galement un endroit destin 11apporter la mort. Katsushiro, lui, s'enfonce dans la forer, se repose dans un champ de fleurs 11 catd'un ruisseau et observe le branchage des arbres s'agiter au gr du vento L'originalit du propostient 11 ce que l'opposition entre l'expriment Kambei et le novice Katsushiro n'est pas exagre.Katsushiro ne se trouve pas dans une nature thre virginale mais dans un paradis floral respirant la fertilit de tous ses pores. Cest durant son repos que vient 11 lui pour la premiere fois uneautre fleur en la personne de Shino (Keiko Tsushima), une fille dguise en g a r ~ o n qui sera son

    LES SEPT SAMOURAiS.

    premier amour. Cette confusion des genres connote le paysage sexuellement. Ce n'est plus unecorce idale ayant toujours exist destine 11 la contemplation mais un organisme voluant se!ondes modalits identiques 11 celles des hommes. L'innocence du regard est prserve chezKatsushiro mais c'est une innocence intresse.

    Sur un plan technique, ce regard tout entier rgi par le sentiment de l'interdpendance de lanature trouve son prolongement dans deux lments indispensables: le plan d'ensemble et la profondeur de champ, qui existent tous deux depuis les dbuts du cinma.

    ,.4 ACAOEMY RATIO ET PLAN O'ENSEMBLELA NOTION DE CAD RE

    I L'importance du cadre au cinma est considrable et caractristique de cet arto Le premieredu cinphile avant la vision d'un film est de s'assurer que la copie respecte son format et se

    :orme 11 la volont sacre du ralisateur. Le visiteur de muse semble bien moins rflchir 11 ce,leme lorsqu'il arpente les galeries ornes de toiles aux formats tres varis. Il portera son attendirectement sur le sujet tandis que le cinphile peut aller choisir son film se!on le format

    ,loy. Il Ya les fanatiques du CinmaScope qui prouvent une gene des que le film n'est pas. selon ce procd. Il n'y aguere que Ray (Woody Allen), hros de Escrocs mais pas tropTime Crooks, Woody Allen, 2000) qui, interrog sur la diffrence principale entre des

    "l1eaux se trouvant sous ses yeux, dsignera la taille du cadre., L'histoire de la peinture tmoigne pourtant une grande mention au cadre, dont le format este de possibilits plus nombreuses qu'au cinma. Le plan d'ensemble est le premier outil dontcinma dispose depuis son invention pour montrer le paysage. Ce plan s'inscrit dans un cadre.t la proportion reste modeste :sa largeur est suprieure 11 sa hauteur se!on un rapport de 1.37.Le cinma ignore d'emble le format pomait, plus haut que large, alors que celui-ci occupe~ place primordiale pour le paysage 11 la fois dans la peinture chinoise et occidentale. Les rou

    se droulent souvent de haut en bas en Chine, et les Europens exploitent ce format pourtUbler les habitudes du spectateur. Tandis que le paysage horizontal se conforme 11 un point de

    fUe dassique devant un panorama, l'troitesse du paysage vertical commande une organisation eti\ des effets de mise en scene particuliers. Le cinma ignore galement le format carr, meme si le rap.:port 1.37 est souvent p e r ~ u comme proche d'un carr. Un film comme J.:Aurore de Murnau s'en

    rapproche encore davantage puisque son format descend jusqu'11 1.20. Le format carr permet luiaussi la recherche d'effet plutat que la sensation d'un panorama naturel. Alain Mrot rappelle que.Gustav Klimt aimait 11 l'employer pour ses paysages afin de confrer un caractere immuable etserein dunfragment de la nature. 35 Il faut d'ailleurs prciser que le cinma dispose de la possibilit d'insrer le paysage au sein d'un cadre diffrent de celui constitu par l'cran : un effet d'irispennettra de simuler un cadre circulaire. Ou bien, le paysage sera vu 11 travers une ouverture 11 l'architecture travaille. Dans Les Contrebandiers de Moonfleet, lorsque Jeremy Fox et John Mohunequittent la citadelle de Hollisbrooke apres avoir trouv le diamant cach dans un puits, un morceau de paysage est brievement vu 11 travers l'entre principale du batimento Seul un coin de ciellimpide sur lequel se dtachent avec lgances quelques arbres s'inscrit dans l'espace cintr de l'ouverture. La gr:1ce du coloris, le raffinement forme! du paysage s'inserent ainsi dans un format traditionnel durant la Renaissance, et ne sont pas sans voquer La Belle]ardiniere de Raphad.Le format dominant la premiere moiti du XX' siecle au cinma fait songer non pas au format portrait mais au format paysage dans son acception courante. Une peinture excute dans cefunnat s'inscrit dans une toile plus large que haute, ou le rapport de la longueur du ct le pluslongdcelle du ct le plus court est gald1.414 (ou "porte d'harmonie'').36

    Le cadre origine! du cinma semble donc destin 11 accueillir le panorama paysager dans saconception classique. Au temps du muet, les plans d'ensemble paysagers de Frank Borzage, dansLucky Star (1929) notamment, restent gravs comme ce que cet art avu naitre de plus directemene mouvant.35 A10in Mrot, Du Paysage en peinture dons /'Occident moderne, op. cit., p.l 08.36 A10in Mrot, op. cit., p. 107,

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    L'inspiration mlodrarnatique du ralisateur s'appropriait dans ce film les lments naturels,et plus particulierement la neige, afin de magnifier l'amour des personnages et leur volont de sebattre pour accder au bonheur.L'crin blanc de la campagne enneige que traverse le hros afin de rejoindre sa bien-aime ala

    fin du film reprsente a la fois une preuve (handicap, le hros ne pem guere se dplacer dans laneige) et une faveur (l'homme parvient a se sublimer au contact de la nature). Les plans d'ensemble runissant homme et nature reposent sur un equilibre fragile dans le dlicat agencement des el-ments du cadre, qui sont amant de signes prsents comme des manifestations presque abstraitesde leur essence (l'homme et la nature dans leur plus simple expression). L'conomie de moyens estle maitre mot, et la fragilit devient synonyme de force et d'expressivit en un mlange subtil dontpeu de ralisateurs de cette poque peuvent se targuer d'avoir perc ajour l'agencement.Les dbuts du paysage cinmatographique se trouvent troitement imbriqus avec ceux duwestern, les deux termes etant presque synonymes. Le chef oprateur John Alton rappelle Demme que les gens du Texas aiment tre appels Texans, les extrieurs avec des cow-boys, des chevaux et de belles femmes ne sontpas des films d'extrieurs - Ce sont des westerns. 37

    La prsence des grands espaces ne signifie pas qu'elle attire systmatiquement l'attention duralisateur (voir par exemple les paysages en toe qui figurent dansUnge des maudits - RanchoNotorious - ralis par Fritz Lang en 1952), mais elle reste une constante qui justifie l'interetpour le plan d'ensemble paysager.

    En dpit d'un echec prcoce d'un procde de grand eran mis au point par la Fox, le FoxGrandeur 70 mm, ces films des grands espaces ont compos avec le format traditionnel sans ytrouver entrave, les ralisateurs hollywoodiens ayant laiss des reuvres majeures dans ce format.

    L'EXPRIENCE \SOlE DE LA PISTE DES GANTSLa Piste des gants (The Big Trail, 1930) est ralis par Raoul Walsh sur une annee complete

    en 1929 pour erre exploit en salles l'anne suivante.C'est le recit de l'epope des pionniers entreprenant de se rendre du Mississippi jusqu'en

    Oregon avec pour guide l'claireur Breck Coleman (John Wayne). Celui-ci dcrit le but ultimedu voyage en des termes elgiaques et familiers C'est tout ce que le ca:ur d'un habitant duMissouri peut dsirer. JIy a deux ranges de montagnes enneiges avec des sommets qui se perdentdans le ce!. Et entre les ranges, ilya unegrande valle. Des lacs et des rivieres partout...

    TI confirme plus loin son amour du paysage 'adore fa, particulierement maintenant qu'ilya le printemps et que tout est joyeux. JIya tous ces arbres, des pins immenses, s'levant toujourspluscomme s'ils voulaientgrimperjusqu'auxportes du paradis. Etilya les ruisseaux aussi, avec leur eausouriant toute la journe. Mais cest la nuit qui est ma partie prfre... allong sous une couvertured'toiles avec la lune qui te sourie. Et ti chaqueois que tu regardes en haut, elle est la, en train detegarder comme une mere qui s'occupe de ses petits. Parfois, cest si beau queje reste tendu, en traind'couter. Les oiseaux chantant, les ruisseaux riant et le vent chantant ti travers la fort comme ungrand orgue. Oh, j'ai toujours aim fa.

    Ce rcit conduit a travers une nature infinie fut tourn avec deux camras, l'une adapte alapellicule 35 mm, l'amre au nouveau format, 70 mm, soit une image deux fois plus large. Chaqueplan dm par consquent faire l'objet de deux prises.

    Le procd tait couteux et son exploitation aurait impos que l'ensemble du pays s'equipe37 In Painfing with Light, Universily 01 Calilornia Press, p. 133.

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    ; d'un nouveau matriel de projection. Les difficults considrables de la Fox en cette poque de\profonde crise conomique condarnnerent d'emble le projet et le mm fut distribu sous son format large dans seulement deux salles. TI ne fm plus question d'un tel format avant 1953 et le.CinmaScope.Le mm est aujourd'hui visible sous les deux formats. Ddi a l'aventure humaine sous lescieux irnmenses du paysage, il ignore le gros plan et cherche systmatiquement le spectacle. Dans;Ia copie 70 mm, les plans de grand ensemble paysager sont effectivement impressionnants parIkur ampleur et leur capacit aenglober autant de ralit en une seule image. La porte d'harmo-[lije est oublie au profit de la recherche du vertige, de l'absence de point de repere. Le paysage,s'vade des bords latraux d'un cadre dont le gigantisme signifie prcisment qu'il ne sera jamaisrassez grand pour le contenir tout entier.Les critiques ne tarissent pas d'eloge sur un film de cette poque parvenant aun sensdu spec,taCulaire si saisissant que l'on peut douter qu'il fm surpass depuis. Le film donne l'impression au(spectateur d'voluer en personne dans les paysages reprsents, paysages dont le ralisme ne pem;!tre retranscrit que par le biais de l'cran large.

    C'est la partie la plus contestable de l'analyse, qui met un jugement definitif et global ne,Ipouvant prtendre as'appliquer qu'a un type de paysage epique ala recherche du spectaculaire.

    Si ces visions sont en mesure de paraitre comme un quivalent formel de l'Ouest amrieain[.evoqu dans les toiles de Remington, il merite d'etre rappel que ce peintre n'est pas une rfrencet'absolue ou meme qu'il est possible d'voquer ces contres par d'autres moyens.

    Le lecteur aura le loisir de comparer les deux copies. Si le spectacle est dja bien prsent dansna copie 35 mm, ce dont tmoigne l'enthousiasme des critiques qui n'ont jamais vu que celle-ci, il'serait absurde de nier le caractere exprimental du projet, c o n ~ u afin de dvelopper un nouveau,fOrmat pour susciter l'adhsion massive du publico La copie 70 mm est bien la seule qui traduise

    ~ l ' a c c o m p l i s s e m e n t de ce projet.L'chec du film n'empechera pas Raoul Walsh de livrer avec le format traditionnel une nouVrelle forme de son art durant les annes 1940.LE PAYSAGE ClASSIQUELe paysage classique du temps de l'Academy ratio (format 1.37) rpond a une conception

    ~ \ q u ' o n peut qualifier de pittoresque. Le mot est aentendre ici dansson acception ancienne de pie'\.tural; a la pittoresque, ala maniere des peintres, qui sont capables en peu de formes de prsenter,;',tlIle image convaincante d'un paysage completo

    Au dpart le format traditionnel ne vise pas au spectaculaire. TI constitue un rceptacle idal;pour des images de paysages aspirant aune beaut simple et immdiate et propres a confrer au~ ' s p e c t a t e u r la sensation d'erre en prsence d'un morceau de nature typique.

    TI ne s'agit pas de reprsenter la totalit d'une paroi rocheuse lorsque l'idee de cette derniereLpeut etre suggre par une partie seulement du tout selon le principe de l'conomie de moyens.. C'est une conception du paysage stylise par ses motifs caractristiques, conception qui peut!{VlVre sans le format large.Atravers l'orage (TVtzy Down East, David Wark Griffith, 1920) comprend des plans embl

    .8latiques de cette dfinition dans sa seconde partie, lorsque l'hroine, Anna Moore (LillianGish), s'tablit a la campagne et s'integre par le travail dans une petite communam pour se

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    LA PISTE DES GANTS70 MM ET 35 MM.

    remettre de la trahison passe d'un homme sans scrupule. La jeune femme se retrouve isole ausein de la nature, plonge dans sa contemplation, avant d'etre bientt rejointe par le jeune hommequi nourrit un penchant ason gard.

    Quelques lments typiques de l'idylle pastorale suffisent adessiner le paysage dont les traitssont d'une puret qui ne semble pouvoir exister qu'en reve, comme si une ide du parfait paysageavait t mise en forme par le cinaste, l'ide s'incarnant sans dperdition de sa substance en paysage concret. Le haur degr d'expressivit aurorise par une forme pure et un sens inn ducadrage en plan d'ensemble unissent Griffith et Borzage dans leurs mlodrames qui trouvent uneharmonie secrete entre les aspirations des personnages et la vie de la nature. 38John Ford se fait le chantre du paysage pittoresque dans ce qui est communment appel satrilogie sur la cavalerie :Le Massacre de Fort Apache (Fort Apache, 1948), La Charge hroi'que(She Wore a Yellow Ribbon, 1949), Rio Grande (1950).

    Les trais films furent tourns aMonument Valley et la mise en scene inscrite dans le formatcarr se plait constamment amettre en valeur la verticalit des burtes et des pitons rocheux.

    Le premier plan du Massacre de Fort Apache constitue alui seul un raccourci de cette esthtique. Une diligence filant atravers le dsert conduit le colonel Thursday (Henry Fonda) au fort.Une butte imposante se dresseal'arriere-plan et la camra dbute un panoramique afin de suivre38 Pour une tude du poysoge ehez Griffith, voir l'lnvenlion de la scene amricaine de leon Moltet, l'Harmolton, 1998.Sur lo postorole omricoine, vDir Michel Cieutot, les Grands Themes du cinma amricain, Tome 1, Cerl, 1988, pp. 90-]13.

    A TRAVERS L'ORAGE.

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    'olution de la diligence qui quitte un instant le cadre. La camra s'attarde alors sur un pitonheux puis vient recadrer naturellement la diligence qui me vers l'horizon.Ce paysage dsertique n'est porteur d'aucune menace ni d'aucun symbole de mort. Il figure

    contraire la beaur simple du lieu, inaltre par la civilisation. Au cours d'une promenade dansdsert avec le lieurenant 'Rourke (John Agar), la filie de Thursday, Philadelphia (Shirley

    ' ~ . c m p l e ) , s'exclamera simplementala vue de ces paysages, N'est-ce pas merveilleux ?Ces quelques mots rsument une esthtique qui refuse la recherche apprhe pour simplement,,inontrer une beaut lmentaire. Dans une telle optique, John Ford ne pouvait etre brid par les_ctions du cadre et y trouvait au contraire le rceptacle de ses visions d'un dsert dpeint dans:;u qu'il ad'essentiel.

    Le paysage de Howard Hawks a t durant sa carriere plac sous le signe du classicisme. Ilt,n'tait pas tranger au procd de l'cran large, filmant par exemple la savane de Hatari (1962)en Vistavision, mais il n'employa le CinmaScope guere que pour La Terre des pharaons (Land;'the Pharaohs, 1955).

    Suzanne Liandrat-Guigues le cite Jaime ce procd pour un film comme La Terre des pha raons ou l'on peut en profiter pour montrer beaucoup de choses, et l'aureur de conclure,

    i: L'accumulation serait donc essentielle : es armes, les prisonniers, les esclaves, les conquetes, les tr-::( ms, l'immense amas de pierres tailles qui s'levent, les vies humaines sacrifies. 39 Ses westerns, comme La Riviere rouge (Red River, 1948) ou La Captive auxyeux clairs (The

    Big 1952!, c o n f e ~ e n t a e u ~ s p a y s ~ g e s souvent s o u r i ~ ~ t s un c h a r m ~ liala simplicit de leurtL ~ o c a t l o n , qUl ne retlent que lessenuel pour les caractenser. Contralrement aux paysages fordiens construits sur un jeu de lignes verticales et horizontales, d'opposition de masses, chezlfawks, le paysage est souvent plat, et cest volontaire. L'horizontalit, la vision ti hauteur d'homme,.sorganisent en faveur de l'humain. 40

    r, 39 les Minutes de sable immmorial, in les Paysages du cinma, op. cit., p. 80. 40 Joeques Mouduy et Grard Henriet, Gographies du western, Nothon, 1989, p. 100.

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    Kenj Mzoguch, qu livre avec La Rue de la honte (Akasen chta) son dernier mm en 1956,n'aura connu que le cadre classque. Ses compostions a l'ntreur de ce format comptent parmiles plus pures de I'histoire du cnma. 11 ne s'agit pas pour lu d'ntgrer dans le champ de lacamra un motif unique qu suffirait a rappeler au spectateur le tout auquelle dtail appartienr.Contrairement aJohn Ford, il n'a pas le gout du dtail pittoresque au sens propre du terme. Dansses compostions le ralsateur japonas integre tous les lments du paysage aurols chacund'une force de vie mystrieuse. Mizoguch est attentif aux formes vanescentes, presque abstraites des objets dont la runion forme un tour. 11 suffit pour cela de comparer les deux squencesse droulant sur le lac Biwa dans Les Contes de la lune vague apres la pluie (Ugetsu monogatari,1953) et Les Amants crucfis (Chkamatsu monogatari, 1954).

    Les formes des personnages sont rdutes a leur expresson lmentare, presque des ombres,et le paysage apparait comme deux horizontales superposes, le lac scintillant et le cel.Dans le premier film ct, la squence du pique-nique dans le temple Kutsuki entre Genjuro(Masayuki Mori) et le fantme de la princesse Wakasa (Machiko Kyo), est un condens de cet art! fond sur la suggestion des formes plus que sur les formes elles-memes. L'aspeet du jardindpourvu d'asprits se confond avec celui du tapis accuellant les amants ; l'eau du lac prolonge

    ces horizontales avec comme csure une modeste tendue d'herbes hautes et comme ornementdeux arbres a la gomtrie tudie. Le cel est une tendue translucide comprenant apene unnuage, et les collines lointaines se laissent plus deviner qu'autre chose.L'rralit du moment est un prtexte idal pour adopter une forme aussi vanescente mais laralit vue par Mizoguchi n'est que ralit transcende.L'art d'Ingmar Bergman, plus intellectuel mais galement fond sur l'conome de moyens,prend galement place le plus souvent dans le cadre classique. 11 suffit de se remmorer LaSo urce (jungfrukdllan, 1959) avec le plan qui voit Tore (Max von Sydow) prparer sa vengeancesuite a la mort de sa fille, lorsqu'il entreprend de rompre un arbre en le rabattant jusqu'a terreoLe jeu lmentaire sur la gomtrie, l'horizontale de la terre et la verticalit de l'arbre qui tend aretrouver I'horizontalt, est un condens de l'art du ralsateur qui n'a que faire duCinmaScope.

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    LES CONTESDE LA LUNE VAGUEAPRES LA PLUIE.

    LE PAYSAGE HROIQUELe paysage hroique est un paysage pastoral dont le calme quilibre importe mons que la.erche d'une tension destine adcupler le sentiment de puissance dgag par l'action repr

    Ite. DansAtravers l'orage la chute d'eau constitue un agrment bucolique s'intgrant dans la,templatian de I'hroine dans la squence dja cte avant que le malheur ne ressurgisse. Leinfamant d'Anna est vent (conception d'un enfant hors mariage) et celle-c est chasse de"'communaut. Elle devra affronter un paysage hivernal en crise, les blocs de glace s'entrechot dans les rapides lors du dgel. Au tourment de la jeune femme correspond celui de la nature

    un effet d'cho. C'est Raoul Walsh qui se fit aHollywood le porte-parole de cette conceptionpaysage dans son traitement des dserts typiques du western.Jacques Lourcelles identifie La Valle de la peur (Pursued, 1947), La FilIe du dsert (Colorado:tory, 1948) et Le Dsert de la peur (Along the Great Divide, 1951) comme une trilogie de'teros tragques bass sur le theme de la rsurgence du pass. 41 Force est de constater que le trate

    c lent du paysage est identique dans les films qui voquent le style hroique, . qu'il fut dfendu par Nicolas Poussin ausiecle. Chez le peintre fran\ais, le pay

    o est une prsence qu accompagne' ~ n s t a m m e n t l'action humaine afn de lui

    'e cho. Les fgures sont disposes au:mier plan et sont englobes au sein d'unrpaysage gigantesque. L'ide de l'inluctablit du destn, prsente des Plutarque,}donne lieu ades toles telles que Le Paysage:i!"tc le cadavre de Phocion, gnral dont .rfttuvre ne fut pas reconnue et qui fut ex- L HIVER DE POUSSIN.

    cut par les Athnens. C'est L'Hiver du Louvre qui porte ce style hroique ason paroxysme avec;: sa description des lments de la nature en furie et les personnages qu luttent pour leur vie. LeslBments caractristiques de ce style fgurent un dcor attractif au cnma, et les nuages noirs,

    forage, les massfs rocheux escarps, les anmaux messagers de la mort sont autant de motifs pr, sents dans ces flms de Walsh.. Le ralisateur emploie pour ce faire la relative verticalt du format de l'image d'une maniereoriginale.

    La Valle de la peur raconte I'histore de Jeb Rand (Robert Mitchum), recueilli enfant parMedora Callum (Judith Anderson), dja mere de deux enfants. Seules des images de la terriblennit ou apparassent des personnages non identifiables lui reviennenr. Adulte, l se dstingue parses faits d'armes ala guerre mais la maldiction de ses origines inconnues lu pese sans cesse.ne rend un jour d'nstinct dans un Ieu dsertque qu'il semble toujours avoir connu.nrouveune maison en ruines porteuse d'une parrie de sa personnalit, puis dcouvre des tombes anonymes et ne peut plus respirer. clate un soudain orage dont la violence le contraint aquitter prcpitarnment les lieux, fuyant atravers le dsert sous un immense cel charg. Cet orage possede bienentendu une origine naturelle mais arrive de nulle part, comme s'il tait en dfinitive provoqu par41 In Oictionnoire du cinmo, op. cit., p.S81.

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    les craintes enfouies au plus profond du subconscient deJeb. En retour, l'orage provoque une raction de peur chez l'homme en une rdation d'trange interdpendance. Le paysage n'est qu'unenchevetrement d'motions complexes cr par le rapport entre personnage et dcor nature!.

    LA VALLEDE LA PEUR.

    Jeb s o u p ~ o n n e Medora de connaitre exactement la trame des vnements passs survenusdans cet endroit abandonn mais la femme refuse de rpondre.Puis Adam (John Rodney), le fils biologique de Medora ptri de jalousie pourJeb depuis leur

    enfance, tente d'assassiner ce frere qu'il ne reconnait pas. Le plan d'ensemble montrant Jeb progresser dans le dsert au premier plan tandis qu'Adam s'avance au meme moment sur une imposante butte surplombant la scene impressionne galement par sa pleine exploitation des rochersau sein du format carr.

    Jeb se dfendra et tuera Adam, s'attirant la haine de Medora et de sa filie, Thorley, dont il estamoureux.

    Cette constante oppression psychique est souligne par le paysage tragique des dernieres sce-nes qui voient le dnouement de !'intrigue dans un reglement de comptes final entreJeb et GrantCallum (Dean Jagger), l'homme qui le hait depuis son enfance. Jeb fuit un traquenard et retournedans la ruine, sa fuite se droulant sur fond de gigantesques rochers qui rendent drisoire lasilhouette qui volue au premier plan, apeine distinguable.

    Ses poursuivants, vus en plonge et en contre-plonge afin d'accentuer le gigantisme de lascene naturelle, mlange de vide et plein, le rejoignent finalement pour le pendre. Jeb sera sauvpar Medora, qui abat Grant, le frere de l'homme assassin autrefois par le pere de Jeb. Medoratait la femme lgitime du frere de Grant mais son vritable amour tait le pere de Jeb, situationinconfortable qui l'empechait de rvler l'histoire durant tomes ces annes. Une histoire de hainefamiliale ancestrale, une tragdie qui veut que tous les descendants issus d'un nom maudit doivent prir, du moins selon la conception de Grant Callum. Jeb russit in extremis achapper acette maldiction au sein d'un paysage de mort.

    L'pilogue de La Filie du dsert est conduital'identique ;Wes McQueen (Joe! McCrea), bra

    o

    .eur de banques qui ne parvient pas achapper ason pass de malfaiteurs, trouve refuge dansecit en ruines au sein d'un gigantesque promontoire rocheux en forme de paysage de mort.

    ne sera pas sauv et pourra rejoindre la femme qu'il vient seulement d'apprendre aaimer,:Colorado (Virginia Mayo), seulement dans la mort apres que le couple sera abattu, tous deux cri

    ,ls de balles par leurs poursuivants.

    LA VALLE DE LA PEUR.

    Peut-etre que la photo aux puissants contrastes de James Wong Howe pour La Valle de lapeur, al'oppos de celle de Sid Hickox pour La Filie du dsert, contribue-t-elle davantage encoreaparfaire ce style qui se nourrit de paysages lunaires totalement desschs pour mieux craser les

    , hommes.Le Dsert de la peur n'est qu'une longue course poursuite atravers le dsert du titre. LenMerrick (Kirk Douglas) sauve Tim Keith (Walter Brennan) de la pendaison que lui rservaient, les Roden, persuads de ten ir l'assassin d'Ed, le fils le plus aim de la famille. Merrick souhaitequ'un jugement quitable se droule aSanta Loma, de l'autre cot du dsert. Les Roden se lancent aleur poursuite, entendant faire justice eux-memes.

    La traverse est une preuve accablante par la chaleur constante et les tempetes de sable. Lepaysage est ainsi toujours p e r ~ u comme un espace gigantesque dans lequd se perdent les protagonistes. Ainsi du plan traduisant le regard de Roden pere, qui cherche son ennemi et finit parle trouver au fond d'une vallesurplombe par d'immenses rochers. Gu de celui qui montre l'af

    o frontement entre Merrick et l'autre f[s Roden au sein de ces derniers. Les personnages jouent du:J;tt ~ c o r nature! pour laborer leur stratgie d'attaque mais les rochers figurent au meme moment

    1crasement et la tragdie interne des personnages. Le frere survivant est le vritable meurtrieret Merrick est obsd par le souvenir de son pere qu'il n'a pu autrefois sauver de la mort en raison d'une malheureuse divergence d'opinions sur la justice qui devait etre rserveaun crimine!.

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    LE DSERTDE LA PEUR.

    Une autre reuvre d'importance ralise en 1951 est Convoi de ftmmes (Westward the lfmen,William Wellman), qui apparait comme un condens esthtique de plusieurs manieres de Walsh,celle de La Piste des gants et celle de La Valle de la peur.

    Au premier il emprunte le theme d'un gigantesque itinraire a travers une nature sans cessechangeante sans que ce danger se matrialise sur un plan esthtique. Les plans d'ensemble cherchent aprsenter des vues spectaculaires mais non m e n a ~ a n t e s pour autant. La nature vue dans

    1 tous ses tats se contente d'etre elle-meme et I'homme ne cherche pas a yplacer ses tourments1 mtaphysiques. Une squence mmorable prend le contre-pied de cette conception. Lorsque

    Buck Wyatt (Robert Taylor), le conducteur du convoi, brutalise une femme, celle-ci s'enfuit atravers les canyons, bientot poursuivie par Buck. Ce moment de tension psychologique trouve cho

    I dans les gigantesques paysages de rochers surplombant les deux personnages a p e r ~ u s sous unechelle minuscule. Le paysage se pare en outre de symboles de morr, comme un tronc desschqui barre le premier plan de l'image pour mettre en relief I'arrive des deux cavaliers provenantdu lointain. Lors de leur retour au campement on retrouve cette ide typique de Walsh qui craseses personnages sur fond d'un promontoire rocheux le plus considrable possible.

    1

    LE PAYSAGE ROMANTlQUEL'Aeademy ratio n'empechait pas davantage les cinastes d'tablir un paralJele Iyrique entre les

    grands espaces et les personnages.Dans Les Proserits (Berg Ejvind oeh Hans Hustru, Victor Sjostrom, 1917), des amants unis

    par un amour impossible en raison du pass de voleur de I'homme fuient dans la montagne islandaise afn d'oublier la civilisation. lis yconnaissent un bonheur idyllique, comparent leur amoura la splendeur de la lumiere illuminant les Cretes, se souviennent de ce que le soleil brillait lors dela naissance de leur enfant. Le temps passe et I'amour s'rode au contact du froid et de la faim deI'hiver. Les amants meurent ensemble dans la neige.

    CONVOI DE FEMMES.

    Un leitmotiv visuel du film est constitu par I'arete de la cime montagneuse OU les personnaont lu leur cadre de vie. Ces derniers se plaisent avenir jusqu'au bord afin de contempler le

    ,int de vue au-dessus du vide, I'homme ybalancera meme son enfant et s'en amusera. Plus loin,pete, tomb dans le prcipice, se ramape ades branchages et sera sauv par un autre proscrit ti s'est tabli avec eux. La composition verticale du plan, qui traduit un certain dlice du vide

    i a I'expression de la grandeur, contient dja la teneur d'une scene semblable dans La~ o n n i e r e du dsert (The Searehers, John Ford, 1956), qui sera lui tourn en cran large.\ Sjostrom se contente d'une composition simple et pure pousant les contours de la falaisefOur exprimer des ides similaires acelles de Ford, et tous deux avec des moyens diffrents reni:ontrent le succes dans leur entreprise.fi. Cest nanmoins a un film allemand, L'Enftr blane du Piz Pal (Die Weisse Holle vom Piz

    ~ P J , Arnold Fanck et Georg Wilhelm Pabst, 1929) qu'il revient de condenser toute I'esthtique!.du sublime telle qu'elle fut inspire aux auteurs romantiques par les Alpes; sommets dchirantles vOlltes nuageuses qui tourbillonnent sans reliche, prcipices verrigineux qui rclament detllombreuses victimes, alpinistes en quilibre sur des aretes improbables. Ce film apparait comme

    une conscration du film de montagnes comme genre typiquement germanique durant lesi annes 1920. Arnold Fanck, alpiniste passionn, en ralisa plusieurs dont La Montagne saere! (Der heilige Berg, 1926) et Tempte sur le mont Blane (Strme ber dem Montblane, 1930) dont't Frank Capra utilisa des images pour complter Horizons perdus. L'Himalaya reconstitu en stu

    dio dans ce dernier film n'avait pas le pouvoir d'vocation des films du ralisateur allemand. Luis Tenker, alpiniste et acteur pour Fanck, consolida I'impact de cette tradition allemande 10rsqu'i1.. entreprit de raliser ses propres films. Dans L'Enftr blane du Piz Pal la vie de ce paysage hostile

    ." ct bouleversant, antinomie caractristique du sublime, est capte dans ses dtails les plus intimes:~ o t 1 t e agOllte rgulier lors de la fonte des stalactites qui hante le docteur Krafft, nuage couvrantmopinment le soleil et causant une soudaine chute de temprature qui surprend les alpinistes.

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    L'exstence de la montagne prenat une dmenson ndte jusqu'alors et certanement nsurpasse ace jour alors meme que ces hstoires de dfi propos par la nature et relev par l'hommeinsprent de temps a autre des productons hollywoodennes destnes a un publc en mal despectacle (Vertical Limit, Martn Campbell, 2000). Hollywood avat d'alleurs nstaur une collaboration avec Fanck qu ralsa avec Tay Garnett S.O.S. Iceberg (S.o.S. Eisberg), tourn smultanment en anglais et en allemand en 1933. Les productions contemporaines sont avant toutaxes sur de spectaculaires prises de vue ariennes en grand format qui ne suffisent pas a remplacer la varit des points de vue cherchant apuiser la substance de cette masse gigantesque (voirpour un exemple contemporain allemand Duel au sommet, Nordwand, Philipp Stlzl, 2008). Lecinma muet puisait sa force dans l'conomie de moyens qui caractrise toutes les images deL'Enfer blanc du Piz Pal.Un sentiment de rvrence anime tous ces plans d'ensemble qui voient se dresser ces intimidantes parois glaces parmi lesquelles Krafft choisit finalement de se laisser emmur, s'loignantdes secours pour se laisser ptrifier sur place par le gel. Si la montagne lui avait arrach sonpouse, lui aussi se rve1e incapable de se sparer des sommets et voque danssa leme d'adieu sarelation d'amti avec la glace.

    5 LA PROFONDEUR DE CHAMPLe cinaste ne se contente pas du recours au plan d'ensemble afn de poser son paysage. Ilprendra so in de souligner les liens souterrans existant entre les diffrents plans de l'image au se inde cet espace largi. Voir un univers dans un grain de sable,Et un paradis dans unefleur sauvage,

    Tenir l'infini dans la paume de la main,Et l'ternit dans une heure. Cette citation de William Blake par Trnh Xuan Thuan insste sur la communaut de percep

    ton qui se laisse dgager au-dela des poques, des pays et des mentalits 42 La connaissance d'unphnomene emporte la connassance du phnomene voisin car ce qu est a t produit. Touteproduction tant une cause, elle interagit par la meme occasion avec toutes les autres productionsexistantes.Le jeu sur le paysage et la profondeur de champ au cinma permet de questionner la signification profonde de l'interdpendance et de ses implications sur le rapport entre le tout et lespartes. Citant Augustin Berque dans son essai Charisma, l'arbre de la non-substance, aproposdu film de Kiyoshi Kurosawa, Ludovc Cortade rappelle un trait caractristique de l'esthtiquejaponaise, le shakkei, JI s'agit de mettre en valeur un troisieme plan loign (gnralement unemontagne) dans un rapport direct avec le premier plan, lequel cache l'espace intermdiaire (lesecond plan). 43 La montagne cristallisant dans la tradition japonaise le sentiment de communaut, ce type de composition est destin arappeler la subordination de la partie (lesujet au premier plan) au tout (la montagne al'arriere-plan).

    Ainsi dans Charisma, Yabuke, un policier cart par son suprieur apres une bvue, trouverefuge dans la nature. Pluseurs plans le montrent se dtacher sur un fond de montagnes.42 L'Infini dans la paume de la main, ap. cit., p. 101.43 In L'Arbre dans le paysoge, Chomp Vollon, 2002, p. 140.

    ~ r s q u ' i l apprend son cong dfinitif, Yabuike s'enfonce dans la forer et la composition en shak disparait pour laisser place a la confusion de la nature. L'auteur poursut son analyse, La, t n'apparaitpas sous l'abord d'une futaie auxformes nobles et lances qui procureraient le sen-

    t d'un espace maitrispar l'homme ; la camra nous montre l'aspect confus de l'nforme diss-;nation du vgtalligneux.

    ., La ligne de fui te claire permettant une vision en profondeur a travers les diffrents plans de.rore disparait et avec elle le sentiment d'apparteniraune communaut. Yabuike s'interrogera.tot sur Charisma, qui dsigne un arbre isol attirant a lui l'espece d'arbres jusque-la dom,te (le herre) pour mieux la dtruire ; faut-il privilgier la protection de cet arbre destructeur

    . unique et prcieux ou au contraire la collectivit reprsente par la forer de herres ?Le pro"qui concerne la place de l'individu au sein de la socit, ne concerne plus celle de l'homme,sein de l'univers. Ce qui ntresse plus directement le theme du paysage est cette association,ntane entre mcrocosme et macrocosme, homme et montagne prise ensuite comme symbole.a socit ; la dissolution du moi au sein de l'univers qui lui adonn naissance trouve dans la,fondeur de champ, le shakkei, son outil d'expresson le plus vdent.

    , Historiquement, Marcel Martin expose que l'usage de la profondeur de champ tait rpanducinma jusqu'en 1925, seuls les objectifs achamp profond, rendant toute chose avec une gale

    et indpendamment de leur loignement rciproque, tant alors disponibles. L'emploi aparde cette date de pellcules dans un premier temps peu sensibles appela des objectifs plus lumi,qui ne rendaient avec nettet que le premier plan lorsque la mise au point tait faite sur lui. 44Si la profondeur de champ allait de soi, elle pouvait dja voir ses ressources pleinementn ,loites dans la description des relations entre l'homme et la nature. Des les premiers plans des'SC7'its dja cit, on peut voir les personnages voluer sur fond de sources d'eau islandaises, sert ainsi le propos romantique du film.En 1930, dans La Terre (Zemlia), Alexandre Dovjenko en livre une belle illustration avec leifivoi funebre de Vassili, kolkhozien qui avait le tort de se rjouir de l'apparition de la mcani',on pour la culture des champs. Son linceul durant son transport est comme suspendu dans lessur fond de champs de tournesols, image sobre et emplie de lyrisme potique, selon laiere mtaphorique habituelle du ralisateur. Le film est rempli de plans de terres cultives, de

    l!wnps, de pommes qui forment l'environnement noble de l'homme heureux de mourir avec lui,l'instar du paysan des premiers instants de l'ceuvre.

    ; Ainsi la profondeur de champ ne permet pas simplement de rendre visible a l'cran ce que.dcouvrent au loin les personnages de l'intrigue. Elle est gnratrce d'ides et constitue un ins.tnunent donn au narrateur omniscient pour unir a la conscience les diffrents lments offerts:auregard.. Sur la piste des Mohawks (Drums along the Mohawk, 1939) de John Ford joue sur les deuxplans lorsque Gil Martin (Henry Fonda) travaille dans les champs, inconscient que la maison de

    "1, hOte, Mrs McKlennan, est la proie des flammes al'arriere-plan. C'est seulement un plan ultneur qui va montrer Gil face a la scene dans le lointain.Le metteur en scene s'efforce d'obtenir en une seu le image dfinitive ce que d'autres aurontbeso in de dcrire Haide d'une squence entiere. Le regard du poete est en meme temps un regardeosmique qui voit tout d'emble.

    :1,;t441n Le Langage cinmatographique, 1994, Cerl, p. 190. Voir oussi Fobrice Revoult D'Allonnes, Lo Lumire au cinma, ditionsiers du cinmo, 2001, pp. 114-115.

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    SUR LA PISTEDES MOHAWKSo

    Capitaine sans peur (Captain Horatio Hornblower, 1951) de Raoul Walsh en donne unebelle illustraeion avec le plan de grand ensemble montrant le navire du capieaine spar par ungigantesque bras de terre du navire espagnol, qui se erouve sous un ample nuage crpusculaire era-vers par les derniers rayons du soleil. Un auere plan cadr al'identique eraduira le rapprochement du baeeau espagnol de la coee. Les deux plans, spars par une scene de jeu de cartes entrele capitaine et ses subordonns, parviennent aune efficacie d cuplepar comparaison aun planunique d'une dure accrue permeccanc de voir l'avance en temps re! du navire espagnol. Le passage du temps est ici dcrie non par la eraverse de l'espace mais par une partie de cartes joue entoute dcontraceion,

    CAPITAINESANS PEUR.

    .Le ralisaeeur peue dans une perspective contemplative choisir d'intgrer un plan intermenere l'avanc ee l'arriere-plan. Dans Les Sept Samourai's une squence montre les valeureux

    o, 'ers faire une halte acot d'une cascade durant leur voyage vers le village des fermiers pers. La cascade n'est que partiellemenc reprsente sur le bord infrieur gauche du plan. Le

    suivant laisse acomprendre qu'une action se droule en bas de la cascade ; Kikuchiyoiro Mifune), qui reve d'intgrer le groupe des samourals, montre son adresse en pechantisson, Le point de vue est ideneique dans les deux images, seule l'chelle des plans s'largic.avons dsormais le groupe des samourals non pas oppos aKikuchiyo, mais re!i alui par,rlfde la cascade intermdiaire. La construction eripartite permee de penser le plan en eer-

    d'influence rciproque des lments qu'il coneient plueoe que comme une confrontation. 0e. C'ese un principe lmentaire de la peincure chinoise que de rsumer l'origine de cous les

    :nts de la nature non comme le fruit de l'opposition du yin et du yang mais de leur union'tile permise par l'intervention d'un troisieme lment, le vide. Pour montrer le jeu de regards'instaure entre le pecheur et les samourals, Kurosawa ne recourt pasaune banale aleernance

    champ et concrechamp mais con\oit le dcor nacure! comme une sd:ne s'ouvranc progresent au regard afn de magnifer l'action des forces cratrices qui sont al'reuvre. La riviere'cue ici le eroisieme lment permettant l'union du promontoire rocheux en hauteur et de

    :rge en contrebas.

    Le paysage peut galement erre valoris en eanc que plan intermdiaire comme lmeneement dramaeique, mettant en valeur l'action des plans extremes. La conclusion de CtEursr:;";s (Moroceo, Josef von Sternberg, 1930) montre les lgionnaires disparaissant au loin derftiCre les dunes du dsert eandis que les femmes qui vonc les suivre font progressivement leur

    i ~ t r e 11 l'avant-plan, Le dsert n'ese pas un simple accessoire de dcor mais eraduie les qualies~ a b n g a e i o n de ces femmes et la puissance de l'amour qui inciee l'hrolne incarne par Marlene7Dietrich afaire de meme afn de rejoindre l'eere qu'elle aime vrieablemenc.k Historiquement, ceete perspeceive de profondeur de champ toeale du muee fue perdue par lesi"ttalisaeeurs des gnrations suivanees. Lorsqu'ils la retrouverent, c'taie par touches ponctuelles,

    ~ a a n s cohrence d'ensemble. Un plan dbutaie avec une profondeur de champ importante afnrd'obtenir un be! effec. Le paysage eait imporeane le eemps d'un instane ee devenaie dispensable des

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    que le personnage entrait en lice, soit une conception narcissique et tres inesthetique a 'ecran. Lecinema ne connait pas reellement le degrade pictural et ne peut choisir qu'assez grossieremententre le net et le flou des arriere-plans.

    Cette conception dominante ne produit guere que des effets tres pauvres et est comme unrappe! de l'inexpressivite de la technique cinematographique, le cineaste n'ayant aucune prise surla conception des details des arriere-plans, contrairement au peintre.

    Ainsi, apres le generique d'introduction,et sur les dernieres mesures d'un prlude pour orguede Jean-Sebastien Bach, Tarkovski introduit Le Miroir (1974). Assise sur une balustrade, unejeune femme est vue de dos en train de scruter le lointain paysager constitue par une vaste plaineaccueillant par endroits des massifs forestiers et coupee en sa diagonale, parallele acelle formeepar la balustrade, par des pylnes electriques. La simplicite de l'ordonnancement paysager tresdegage, annonce par le frele arbrisseau en amorce du premier plan, confere une emotion directeacette mise en perspective de l'humain integre dans son environnement naturel.

    Pourtant, dans les plans suivants, le realisateur filme le dialogue qui s'instaure avec un promeneur et Tarkovski fait tourner la camera autour de l'actrice, l'environnement de cette dernieren'etant plus qu'etendue floue. L'image perd reellement toute son expressivite plastique et l'interet se concentre sur les seuls dialogues, qui ne sont pas un moyen d'expression purement cinematographique et n'ont pas besoin du cinema pour exister.

    Le premier plan de Ba"y Lyndon (1975) de Stanley Kubrick s'affirme d'emblee comme unmodele de ce qu'il est possible de tirer de la profondeur de champ. L'ouverture montre un due! quivoit perir le pere de Barry Lyndon, lequel se tirera un peu plus tard indemne du meme exercicecontre un officier.

    La profondeur de I'image est accentuee par un motif d'arbre au premier plan, double par unmotif de muraille de pierre qui serpente vers le fond de l'image. La verdure sur la droite de la dture contraste avec la terre sur laquelle se trouvent les duellistes, ami-plan. L'arriere-plan estconstitue par d'autres terres et des collines apene de vue, la scene etant surplombee par des nuages charges de pluie.

    Le realisateur se plait d'embleeaplacer sous le signe de la futilit 1'existence humaine (le recitde la mort du pere de Barry n'est que cynisme sous la forme du ton detache du narrateur en voixoff) au sein de 1'immense ecrin que constitue la nature. Celle-ci est splendide mais se pare d'unetonalite en resonance avec 1'esprit de la scene, les nuages symbolisant ici la menace et le dangerimminent.

    La profondeur de champ n'est pas employe dans une optique purement contemplative puisque, si elle souligne l'harmonie majestueuse de la nature, c'est egalement pour voquer la re!ativeindignite des habitants qui la peuplent.

    Dans un mouvement d'ironie plus franche encore, Kubrick composera une image d'espritsimilaire lorsque Barry, desireux de deserter l'armee, surprend la conversation de deux hommesdans un lac, des amants qui se font leurs adieux. La beaute de l'image est indeniable ; Barry enrouge acte d'un arbre au premier plan regarde les deux hommes dans un lac verdoyant sur leplan intermediaire, l'image se perdant dans les arbres situs sur l'autre rive. Le discours d'adieu estd'une platitude qui jure dans ce decoro Un amoureux est contraint a un depart precipit pourapporter des nouvelles importantes aun genral, et il emet une plainte qui sonne singulierementfaux. La presentation du moment, qui emprunte al'iconographie traditionnelle du bapteme (voir

    ar exemple Le Baptme du Christ dans le Jourdain par Jan van Eyck pour le livre d'heures deilan-Turin) pour evoquer des amours masculines, releve d'une ironie propre aKubrick. Le pr

    "e entendu perdra d'ailleurs Barry lorsqu'il se fera passer pour le messager, car tout tait faux.Plus recemment, et dans une volonte de rendre hommage 11 Kubrick en une sone de pour ite du formalisme caracteristique de son ceuvre a titre posthume, la profondeur de champ a

    recouvre toute sa pertinence chez Steven Spielberg mais dans une perspective de posie pure, de" flte pour enfants, et donc 11 contre-pied sur ce plan de la maniere kubrickienne.Spie!berg en fait un emploi rcurrent dans Intelligence artificielle (Artificial Intelligence,

    001), l'histoire de David (Haley Joe! Osment), un enfant artificiel dsirant devenir "reel" ainstar de Pinocchio. Capture par les hommes dans un vaisseau montgolfiere en forme de lune,perd en route son ourson anime, Teddy, qui une fois tombe 11 terre, court vers la ligne d'horifl en un saisissant contraste avec l'arriere-plan etrange et onirique de la lune qui s'doigne.

    tpielberg retrouve dans ce film un sens de la mise en images tres dassique, soucieux de systema uement placer en amorce de ses images un lement afin de valoriser l'arriere-plan, 11 l'instar desrwchages pour le plan pris en plonge dans la forh lorsque Monica y abandonne David. Le monde de 1'animation entend egalement tres tt se munir d'arriere-plans se presentant

    pas comme une surface plane collee sur le premier plan, mais comme un decor possedant'Ofondeur et relief, et instaurant un veritable dialogue avec les personnages par l'intermediairela perspective. Bambi (1942) est le film du studio Disney qui est reste pour son emploi gne.s de la camera multiplane pour les scenes de nature. Cette camra etait charge de filmer lecor qui n'tait pas reprsent sur une unique feuille de papier mais sur diffrentes couches de

    'e. Celles-ci comportaient chacune un lment du paysage et taient superposes avant leurnage 45. La forh de Bambi est ainsi capable de confrer le meme sentiment d'tagement descomposants a travers des couches d'espace successives qu'un film traditionnel. Cette camrat utilise par Walt Disney une premiere fois pour un court mtrage, The OldMill, en 1937,

    "ant que son usage soit genralis dans les longs mtrages, des Blanche-Neige et les sept nains en~ 1 9 3 7 . Le procd fut amlior afin d'obtenir un effet accru de profondeur pour Pinocchio~ 1 9 4 0 ) , qui contient comme finale une belle squence sous-marine dvoilant une myriade de

    i ~ t a i l s sur la vie des profondeurs, dtails rvls par une transcription virtuose des effets de!tfraction de l'eau sur la lumiere..' TI revient egalement au monde de 1'animation de porter une volution technologique desti

    ~ : n e acreer l'illusion de la profondeur de la scene et du re!ief pour le spectateur : la projection en~ 3 D r e ! i e f avec des ceuvres comme Monstres contre aliens (Monsters vs. Aliens, Rob Letterman,! ~ 2 0 0 9 ) , ou Coraline (Henry Selick, 2009). Comme pour La Piste des gants avec 1'cran large, uncoup d'essai fut tent par les studios amricains durant les annes 1950 pour des films traditionneis. L'trange Crature du lac noir (Creature o/ the Black Lagoon, 1954) de Jack Arnold, prenant pour decor I'Amazone, compte parmi les titres c o n ~ u s avec un proced relativement avanc,

    .Ie Vectograph, qui necessitait l'emploi d'une seule copie de projection au lieu de deux pour crer~ I H f e t de re!ieE Onreuse et ne rencontrant pas les faveurs du public, la 3D fut nanmoins aban

    , ~ d o n n e et le cinma retourna ases deux dimensions. Cette "limitation" n'en est pasvritablementtune et caractrise l'essence de l'art pictural. Il n'est qu'a songer au dessinateur de Meurtre dans un',45 Voir les explicotians techniques de Dan Hahn, producteur aux studias Oisney, dans le documentaire Bambi Art Design,./mpressions of!he forest sur le DVD du film dit chez Oisney. Un enregistrement de Walt Disney lui-meme expliquant le procd,existe et est propas dans le codre du commentaire audio de Blanche-Neige et les sept nains dans le DVO dit chez Oisney.

    j rin anglais (The Draughtsman's Contract, Peter Greenaway, 1982) qui volue dans les jardins

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    aVec un appareil optique singulier permettant d'aplanir la ralit tridimensionnelle qui s'offreaesyeux pour la coucher sur le papier. Cette rducrion adeux dimensions soullgne I'artifice qu'esta,cration artistique qui n'est pas imitation parfaite mais cration autonome. Cest un vieuxdeoat entre sculprure et peinrure, la premiere possdant d'emble les trois dimensions. Le cinma

    setl1ble ne plus se satisfaire de perptuer l'art pictural comme crarion originaIe, alors meme qu'ild'sPose du montage pour explorer un sujer sous tous ses angles.

    Cesr le dsinrrer acruel pour les salles de cinma qui incire les srudios ase concentrer sur la3D, cheval de baraille rechnologique desrin asuccder au parIant puis ala couleur pour contrerles aSsauts de la tlvision er du rIchargement massifde filmspar les internaures. Le march duDVD, qui esr pass aa haute dfinition avec un nouveau suppon physique, le blu-ray, esr galehnt concern avec I'arrive de films proposs avec des lunettes spcifiques afin de bneficierc ez soi du relieE Ces lunertes aux verres magenta er vert delivrent un resulrar encore mediocre.L,re ralisateur Eric Brevig er son acreur Brendan Fraser s'enthousiasment devant le decor duTOYage au centre de la Terre, avec ses pissenlits geants delivrant leurs aigrettes evanescen res dansr?Utes les directions, mais la sensarion de profondeur est plus que passable avec ce genre de mare

    n e l ~ . Des lunerres de meilleure qualire sont desrinees aerre fournies aux specrareurs des prochaines grosses producrions tournees en 3D, l'adapration de Tintin par Sreven SpieIberg et Avatar de

    J a ~ e s Cameron. TI demeure ajuger de l'urilisarion du procede, simple gadger conferant une sens i ~ l o n physique d'espace rridimensionnel avec des objers evoluant vers le specrareur, ou outi! supP elllenraire permertant un veritable rravail esrherique sur la profondeur de champ. Un decor

    C ? ~ ! l e ceIui de Voyage au centre de la Terre apparair toralement sous-exploire ; seul un plang e ~ ~ r a l esr consacre au paysage des entrailles de la rerre comme une Carte posrale exorique particuherement depaysanre avant que des derails du paysage soienr utilises isolment pour merrre enavant le procede sans vis ion globale.

    46 Tous deux commenlenl leur film sur l'dilion DVD el blu-roy du ilm chez New lineo

    - ---

    CHAPITRE 11'0 , ,!'LE PAYSAGE REFLECHISSANT

    ET LE PAYSAGE OPAQUE;" 'imirarion de la belle narure, qui debute avec la Renaissance, rraduisair une conceptionL de I'an suffisamment ferme pour subsisrer en depir de I'eclosion de nombreux mou"il vements de pensee concurrenrs.On la rerrouva au XVII' sieclearravers le classicisme f r a n ~ a i s et elle connut une derniere resur

    ' :e jusqu'aux debuts du XIX' siecle avec I'ecole neoclassique."La confiance accordee aux lumieres de la raison apparair comme une rendance narurelle de,rit humain er les possibilites acquises d'une represenration du sujer conforme aux lois opri(perspective, respecr des proportions, modele) sur un espace adeux dimensions impressionm longuemenr I'histoire de I'art picruraI. La verite scientifique se portant garante de I'art, yncer aurair ere incomprehensible.Cette derniere definition rappelle singulierement le cinema, dernier avatar rechnologiqueerepresentarion p e r ~ u e comme fidele apparu aune epoque OU cette philosophie n'avair plus's.L'image filmique est un enregisrrement avant d'erre une crearion. Elle ne sair rien faire d'auqu'absorber ce qui se presenre aelle. L'evenruelle faussere des crearions du srudio se rrouvetralise en exrerieurs oi! I'homme ne decide pas de grand-chose si ce n'esr du moment appro, . pour faire tourner la camera. Cela s'avere souvent difficile, comme en remoignenr les entre

    ' s de Nestor Almendros, ne pouvant tourner pour Les Moissons du del (Days 01 Heaven,. 8) que queIques insranrs en lumiere narurelle au momenr de caprurer le coucher de solei!d'ou I'appellarion de magic hour, d'heure magique). L'operareur Jacques Loiseleux confirme queur les films tournes en exrerieur il est impossible d'influer directement sur la source deimiere, ce!te source tant le soleil direct ou les nuages qui le couvrent et le diffusent. Ce sont aussi~ lumieres secondaires de la rverbration du solou de l'environnement. 47 Il esr des lors diffi

    pour un cinaste de faire correspondre le paysage filme, dont I'apparence esr independante de{la vOlonte, avec I'acrion decrire aI'ecran.:. Il ya bien sur des artfices, arravers l'emploi de panneaux reflechissants, de filtres commeceux permettanr de tourner de jour des scenes de nuir (la "nuir americaine"), ou de modifier I'aspect de la lumiere narurelle. Dans Le Dernier rivage (On the Beach, Sranley Kramer, 1959), les6ltres aident arerranscrire I'atmosphere d'un paysage post-atomique ; pour Mort ti Venise, des

    . ~ o U e s arrenuent I'impacr de la lumiere solaire la plag,e. La ~ a r g e de ~ a ~ ( f u v r e d ' ~ n c i n e a ~ t e itace au paysage ne peut pour autanr se comparer acelle dun pemrre. Le cmeasre se VOlt contrallltde proceder ades rrucages. Apropos de la nuir americaine, Danny Boyle expose au sujer de La

    }47 In La LumiiHe en cinma, Cahiels du cinma, 2004, p.n

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    Plage (The Beach, 2000) que les scenes nocturnes devaent erre tournes en plen jour afn de d5poser d'une marge de manreuvre suffisame pour rendre les effets de lumere sur ['ocan conformes aux memes des spectateurs. Une camra ne pounat capturer de nut les mpressonsrecuelles par ['rel human. 48nncombe au ralsateur de transformer cet nconvnem en avantage. Peter Greenaway avatbeson d'un temps dyllque pour tourner Meurtre dans un jardin anglais et avait la chance deconnaicre une longue prode d'ensoleillemem car l connassait les caprices du clmat brtannique. Le temps instable se rappelaa'qupe et la brume arriva. Plutot que de rejeter les plans tourns dans ces conditions, le ralisateur en tira parrie et conserva des images capturam le plus souvem en un tres bel effet les varations de lumnosit et la manere dom la brume accroche lalumiere solaire. Cette ouverrure d'esprt fut rcompense par une nature qui dcida de fare correspondre ses changemems d'humeur au ton de la scene en train d'etre filme. Ainsi du dessinateur qui voque un changemem de temps au moment prcis Ol! un nuage passe dans le ciel 49 Lehasard li al'imprvisibilit du temps peut se trouver al'origne de rsultats heureux. TerrenceMalick en fit un principe pour Le Nouveau Monde Ol! toute manifestation inattendue devat etrefilme au nom du prncipe selon lequelles images les plus remarquables pouvaient erre obtenuesainsi.

    Si le paysage cinmatographique peut jouer des variations d'un climat qui s'impose alui, ilreste attard en comparaison des possibilits cratrces de l'art pictural.

    Alors que ce derner s'engageait progressivemem sur la voie de la subjectivit radicale concevam l'reuvre d'arr comme une smple manaton de la ve mreure de l'artiste, le cinma comnuat d'mter servlemem l'objet. Le cinma est apparu aune poque Ol! la notion d'mitation envigueur depuis Arstote avat t balaye par le concept romamque d'expresson du monde propre au crateur.

    Dans un premier temps, le paysage romantique du XIX' secle conservat encore une sensiblit figuratve. S les lments de la nature n'taem choiss qu'en foncton de ce qu'ls rvlaemdes mcanismes de la psych de l'arrste en un rapport de confrontation (voir par exempleManfredau bord du gouffre, 1837,John Marrn), alors que le classicisme apprhendait le paysagecomme un prolongemem de la rason, les deux conceptions se fondaient ben sur une approchede la reprsentation de type naturaliste. Le cinma pouvat encore poursuvre une telle approchefigurative, al'instar des Proscrits de Sjostrom.

    Puis les mouvemems arrstiques du XX' secle frem leur appartion pour se succder frntiquement les uns aux aucres (expressionnisme, fauvsme, cubisme, futursme, constructivsme, abstracton ...), et cette fos en un mpris toujours plus crossam pour la fguration. Dans son aquarelle Kairuan 1914, 42, Paul Klee se situe aa fromere des deux modes de reprsentaton so ; l'archtecture de la vlle se dstngue encore claremem sur la lgne d'horizon, mas le paysage estdornavant largement constitu de seules taches colores agences selon une gomtre assezrgoureuse. Enfn, Vert et marron, pem par Mark Rothko en 1953, prsente sans aucun repere desmples champs colors, associs par la crtique ades paysages malgr les dngatons de l'arriste 51.48 Le ralisateur cammente son film sur j'dition OVO du film distribu chez Fax.49 Les anecdotes de Peter Greenawoy sur les conditions de tournage figurent dansson cammentaire du film disponible sur l'ditionOVO du film (hez mk2.SO In Peinlure de poysoge, Norbert Wolf, Toschen, 2008, p. 82.51 Nils Bttner, L'Art des poysages, op. cit., p. 394.

    procdait dornavam par signes dcouverts par l'arrste comme autant d'manations des'es secrets du monde.{ Le cinaste ne pouvat pour sa parr dconstrure l'mage de cinma que dans des limites vte. tes. Les exprmentatons du chef oprateur Serguel Ouroussevsk sont rentres dans l'hsavec Soy Cuba (Mkhai1 Kalatozov, 1964). On yvoit un paysan apprenant sa dpossession

    ine des terres qu'il exploite s'agiter frntiquement dans un champ de canne asucre. DansDlouvement de rage hallucine, l se remet al'ouvrage avec sa machette, la violen ce de ['instant.t traduite par un paysage p e r ~ u par l'intermdiare de la fbrlit du personnage ; la camrale mouvemem de son bras, derivant des arcs de cercle nerveux et rapide entre ciel et terre, laIto est surexpose, le tres grand angle dforme la gomtrie de l'image. Ce jeu avec la technin'ate pas al'image obtenue sa dimension figurative et peut au contraire ['accentuer. Dans Saest des mouches (Lord ofthe Flies, Peter Brook, 1963) le chefoprateur devait filmer le corpsenfant assassin drvam au gr des flots de l'ocan pour progressivement quitter l'image.le scintllement lunaire persistait sur les eaux en un sentimem de cauchemar onirque.nfut

    :rv que le simple maniement rapide de la lentille de ['objectf afn que le poim ne se fasse pas. que ['ensemble demeure dans le flou confrait a['image une dimension spirituelle 52. Pourtant

    ,lan, tout en possdam une dimension onirique, continue de figurer de maniere tres ralistet produt par le clair de lune sur ['ocan tel que chacun peut se ['imaginero Le reve reste pro

    cd'un monde fguratif traditionnel.Plus simplement un cinaste peut proposer des dcors citant des peintres, comme Kurosawalit dans Rves (1989) Ol! 1'0n voit le personnage voluer dans les champs de Van Gogh. En soi. procd ressorr moins d'une expressvit proprement cinmatographique que d'une rappro..rlon comme smple rfrence pittoresque. Cette peinture cinmatographique fat rarementnsensus, comme le momrem des essais priodiques, apposition de taches d'encre colore sur les dans La Riviere Fuefuki (Fuefukigawa, Kesuke Kinoshita, 1960) ou l'inserrion inopneun champ de fleurs peint ala maniere de Van Gogh dans 28 jours plus tard (28 Days Later,

    ny Boyle, 2002). Comme le ralisateur brtannique le relevait, certains parlerontapropos dees exprimentations de gnialit, d'autres de rdicule mas dans les deux cas le spectateur n'estdupe et sait qu'l aaffaire aune figure de style proche d'un gadget et non aune forme d'cr

    'e cinmatographique prenne. 53 nne faut pas exagrer cerre limite rationaliste du paysage cinmatographique. Si celui-ci ne:peut devenir une libre association de formes et de couleurs valant pour elles-memes comme vec)teurs de l'expression, il releve d'un choix en relation avec le sujet et les modalits de son appar)tion a['cran. Jacques Loiseleux poursuit On peut choisir cependant le moment, la saison, lelieu, le point de vue, le champ, l'environnement. 54 , C'est sans doute ce qui justfe le mouvement d'intret pour le cinma qui put erre observ

    ~ c h e z les arristes amrcains dans les annes 1960. Par exemple, et meme s'l n'y eut pasapropreI,;mem parler d'influence du cinma sur ['arriste, Edward Hopper inaugura une nouvelle approcher raliste et figurative dans la peimure et produisit des images suffisammem fortes pour que les,.'einastes puissent aeur tour s'en inspirer lgitimement. Si l'environnemem possede une prsence

    52 Les explications techniques sont donnes por Tom Hollyman, chef oprateur, et le monteur Gemid Feil, qui cammentent le filmpour I'dition OVO chez (riterion." 53 Le commentoire du ralisateur est disponible dans l'dtion OVO du film chez 20th (entury-Fox.

    '!: 54 In Lumire en cinmo, op.cit., p. 23.

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    raliste obsdante ce n'est plus par quere d'une vrit absolue de la reprsentation mais pouraccentuer la dsolation des personnages qui yvivent, figures isoles dansun monde dont ils nesavent que faire. Ce renouveau de la figuration et de l'intret pour l'image objective aboutit aumouvement hyperraliste bas sur la reprsentation de type photographique, comme chezGerhard Richter.

    Le prologue de Paris, Texas (1984) de Wim Wenders, avec ses plans gnraux de dsert, traduit d'emble cette capacit du cinma de crer des images glaces de grands espaces habits parle vide et dans lesquels l'homme ne semble pas trouver sa place, comme chez Hopper.L'objectivit de la reprsentation permet de concentrer toute l'attention sur la seule prsence del'objet matriel, ici les buttes hiratiques emplissant le dsert.

    Les prises de vue empruntes au Sud-Ouest du Texas (Big Bend) possedent un impact instantan sur le spectateur par leur implacable vracit. On yvoit au milieu de buttes un petit personnage, Travis (Harry Dean Stanton), errer a la recherche d'eau, son apparence traduisant unelongue priode de dnuement menehors de toute civilisation. Wim Wenders confirme que lefilm est dpourvu de tout effet ajout, seulle milieu hostile par son isolation et sa chaleur tantala disposition de l'quipe de tournage. 55

    Au-dela du renouveau raliste, le cinma put galement se nourrir avec aisance aux sources dusurralisme, fond sur l'impact d'une reprsentation de type raliste rapporte ades dcalages desens. Le cinma de Michael Powell et Emeric Pressburger illustre souvent ce courant.

    L'histoire de l'art n'a jamais totalement abandonn la croyance dans l'expressivit de la reprsentation raliste. La fascination exerce par L'le des morts (1880) d'Arnold B6cklin, peintre rattach au symbolisme tout en employant une touche rsolument raliste, traduit cette foi quiemporta l'adhsion de ceux qui se dtacherent totalement du ralisme pour se livrer aun art abs-trait. Ainsi Vassily Kandinsky qualifia B6cklin dans Du spirituel dans l'art de prcurseur de l'artmoderne parce qu'il avait cherch l'intrieur dans l'extrieur. 56 Cette phrase, exprime parun peintre qui exprima la ralit de la nature par des formes gomtriques et des couleurs pures

    L'lLE DES MORTS.

    LA REpRSENTATION DU PAYSAGE AU CINMA

    (conformes aux ralits invisibles du monde cosmique, permet de considrer avec attention les ~ u v o i r s du c i n m ~ . Le symbolisme devient un autre courant susceptible d'inspirer l'image cintjnatographique. L'Ile des morts (1945) de Mark Robson se nourrit aux sources de l'art de B6cklinL. recre une ile en forme de rplique de celle du peintre. C'est une ile grecque affecte par la

    ste et sature d'anciennes croyances mythologiques dans les forces du mal, croyances qui vont,ropposera la science en la personne d'un docteur essayant de lutter contre la peste. Elle n'est dis

    ~ g u e dans son intgralit qu'au dbut du film, lorsque le gnral Pherides (Boris Karloff) s'y.d avec un ami afin de revoir la tombe de sa femme. Lors de la traverse de la mer en barque,.e apparait en arriere-plan partiellement dans le flou alors que le point est fait sur les deux hom.es dans la barqueo C'est sans doute la que se trouve l'erreur du cinaste. Le mystere inhrent au

    ... ,leau est tout entier constitu dans le ralisme trange de la reprsemation. Alors que le cinma"lispose naturellement de cet outil, Robson et son chef oprateur Jack Mackenzie emploient un

    effet de mystere li au flou dont l'usage est souvent synonyme de pril.En dfinitive, meme la conception moderne du monde comme projection d'une pense sub

    tive peut autoriser une reprsentation de type raliste dans la mesure OU celle-ci sert l'ide deartiste. Au sentiment d'union entre homme et paysage va s'ajouter une nouvelle philosophie

    couverte au XX' siecle, celle d' un cosmos pur, superbement indiffrent anos motions, anosioccupations, anos ides - Camus, Ponge, Robbe-Grillet ont thoris cette dmarche. 57 JI est,ssible de rallier a ces rfrences occidentales des exemples plus lointains encore, avec notamt Abe Kbo, dont le dsert indiffrent aux proccupatons humaines occupe la place centraleLa Femme des sables (Suna no onna, Hiroshi Teshigahara, 1964).Ainsi le paysage cinmatographique peut se rclamer de deux philosophies, la classique et

    moderne. Paysage rflchissant les ides et sensations de l'homme, et paysage opaque a cesieres.

    ' 1 LE PAYSAGE RFLCHISSANTLe paysage rflchissant s'entend de la perception de la nature telle que Narcisse la percevrait

    cessait de se concentrer sur le reflet de son seul visage. Ce premier degr de la perception dulfide extrieur, raliste, se conjugue ensuite avec un paysage interprt a travers le prisme de l'es-, humain.Cet esprit peut erre apprhend soit comme le siege de la seule raison, et le paysage possdera

    aspect calme et harmonieux, idalis, soit comme le rceptacle de l'motion pure, et le paysage:torisera des formes plus exaltes, imitant la fougue des passions humaines.LE PAYSAGE IDALLa premiere option releve d'une pense classique qui refuse d'associer la subjectivit de laeoce au dsordre mais affirme au contraire la facult de l'esprit a pntrer les lois de la" 'e et acrer des canons esthtiques refltant ces dernieres. Si le cosmos n'est plus une objec

    llt extrieure aux hommes mais releve de l'interprtation humaine, la loi de l'harmonie contide dominer la cration artistique.

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    C I N ~ B A Z A A R

    raliste obsdante ce n'est plus par quete d'une vrit absolue de la reprsentation mais pouraccentuer la dsolation des personnages qui yvivent, figures isoles dans un monde dont ils nesavent que faire. Ce renouveau de la figuration et de !'intret pour l'image objective aboutit aumouvement hyperraliste bas sur la reprsentation de type photographique, comme chezGerhard Richter.

    Le prologue de Paris, Texas (1984) de Wim Wenders, avec ses plans gneraux de dsert, traduit d'emble cette capacit du cinma de crer des images glaces de grands espaces habits parle vide et dans lesquels l'homme ne semble pas trouver sa place, comme chez Hopper.L'objectivit de la reprsentation permet de concentrer mute 1'attention sur la seule prsence del'objet matriel, ici les buttes hiratiques emplissant le dsert.

    Les prises de vue empruntes au Sud-Ouest du Texas (Big Bend) possedent un impact ins-tantan sur le spectateur par leur implacable vracite. On yvoit au milieu de buttes un petit personnage, Travis (Harry Dean Stanton), errer a la recherche d'eau, son apparence traduisant unelongue priode de dnuement mene hors de toute civilisation. Wim Wenders confirme que lefilm est dpourvu de tout effet ajout, seulle milieu hostile par son isolation et sa chaleur tantaa disposition de 1'quipe de murnage. 55

    Au-dela du renouveau raliste, le cinma put galement se nourrir avec aisance aux sources dusurralisme, fond sur l'impact d'une reprsentation de type raliste rapportee ades dcalages desens. Le cinma de Michael Powell et Emeric Pressburger illustre souvent ce courant.

    L'histoire de l'art n'ajamais totalement aba,!ldonn la croyance dans l'expressivit de la reprsentation raliste. La fascination exerce par L'Ile des morts (1880) d'Arnold Bocklin, peintre rattach au symbolisme tout en employant une touche rsolument raliste, traduit cette foi quiempona l'adhsion de ceux qui se dtacherent totalement du ralisme pour se livrer aun art abstrait. Ainsi Vassily Kandinsky qualifia Bocklin dans Du spirituel dans lart de prcurseur de 1'artmoderne parce qu'il avait cherch l'intrieur dans l'extrieur. 56 Cette phrase, exprime parun peintre qui exprima la ralit de la nature par des formes gomtriques et des couleurs pures \

    L'iLE DES lADRTS.

    LA R E p ~ S E N T A T I O N DU PAYSAGE AU C I N ~ M A

    conformes aux ralits invisibles du monde cosmique, permet de considrer avec attention lespouvoirs du c i n m ~ . Le symbolisme devient un autre courant susceptible d'inspirer l'image cinmatographique. L'Ile des morts (1945) de Mark Robson se nourrit aux sources de l'are de Bcklinet recre une ile en forme de rplique de celle du peintre. C'est une He greeque affeete par lapeste et sature d'anciennes croyances mythologiques dans les forces du maL croyanees qui vonts'opposer ala science en la personne d'un docteur essayant de luner contre la peste. Elle n'est distingue dans son intgralit qu'au dbut du film, lorsque le gnral Pherides (Boris Karloff) s'yrend avee un ami ahn de revoir la tombe de sa femme. Lors de la traverse de la mer en barque,l'tle apparait en arriere-plan paniellement dans le flou alors que le point est fait sur les deux hommes dans la barqueo C'est sans doute la que se trouve l'erreur du cinaste. Le mystere inhrent autableau ese tout entier constitu dans le ralisme trange de la reprsentation. Alors que le cinmadispose naturellement de cet outil, Robson et son chef oprateur Jack Mackenzie emploient unfaux effet de mystere li au flou dont l'usage est souvent synonyme de pril.

    En dfinieive, meme la conception moderne du monde comme projection d'une pense subjective peut autoriser une reprsentation de eype ralisee dans la mesure OU eelle-ci sert !'ide del'artiste. Au sentiment d'union entre homme et paysage va s'ajouter une nouvelle philosophiedcouverte au xX' siecle, celle d' un cosmos pur, superbement indiJfrent d nos motions, d nosproccupations, d nos ides - Camus, Ponge, Robbe-Grillet ont thoris cette dmarche. 57 Il estpossible de rallier aces rfrences occidentales des exemples plus lointains encore, avec notamment Abe Kbo, dont le dsen indiffrent aux proeeupatons humaines occupe la place centralede La Femme des sables (Suna no onna, Hiroshi Teshigahara, 1964).