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Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 345–349 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Jurisprudence Responsabilité pénale d’un médecin urgentiste Abdelhamid Saidi (Médecin) Hôpital Edouard-Herriot, pavillon N, 5, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France Résumé La faute de diagnostic, quand elle est certaine est qu’elle est la cause du décès, engage la responsabilité pénale, mais n’est pas une faute détachable. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Un récent arrêt de la Cour de cassation (Chambre criminelle, 8 février 2011, n 10-84161) rappelle la distinction, dans le cadre d’une faute de diagnostic, entre la responsabilité de l’interne – un étudiant – et celle d’un senior, qui doit s’impliquer pleinement. Le niveau d’exigence n’est pas le même. En revanche, et aussi nette que soit le manquement, il ne constitue pas une faute détachable car il est intervenu dans le cadre des missions confiées. 1. Les faits Souffrant de douleurs abdominales aiguës, une femme âgée de 49 ans est admise en urgence au centre hospitalier universitaire de Dijon à la demande du médecin de SOS Médecins, le Dr Denise, qui craignait une péritonite. Après avoir rec ¸u un antalgique et été examinée par le médecin de service aux urgences, le Dr Xavier puis par un interne en chirurgie viscérale, elle a été autorisée à quitter l’établissement. Or, elle décédée dans la matinée du 22 mars 2004, à son domicile, d’une insuffisance respiratoire aiguë survenue à la suite d’un syndrome d’inhalation bronchique consécutif à une occlusion intestinale. Le fait que le médecin de SOS Médecins ait évoqué la suspicion de péritonite a rapidement orienté la famille à mettre en cause les praticiens présents ce jour-là aux urgences. Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ddes.2011.07.010

Responsabilité pénale d’un médecin urgentiste

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Page 1: Responsabilité pénale d’un médecin urgentiste

Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 345–349

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Jurisprudence

Responsabilité pénale d’un médecin urgentiste

Abdelhamid Saidi (Médecin)Hôpital Edouard-Herriot, pavillon N, 5, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France

Résumé

La faute de diagnostic, quand elle est certaine est qu’elle est la cause du décès, engage la responsabilitépénale, mais n’est pas une faute détachable.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Un récent arrêt de la Cour de cassation (Chambre criminelle, 8 février 2011, n◦ 10-84161)rappelle la distinction, dans le cadre d’une faute de diagnostic, entre la responsabilité de l’interne– un étudiant – et celle d’un senior, qui doit s’impliquer pleinement. Le niveau d’exigence n’estpas le même.

En revanche, et aussi nette que soit le manquement, il ne constitue pas une faute détachablecar il est intervenu dans le cadre des missions confiées.

1. Les faits

Souffrant de douleurs abdominales aiguës, une femme âgée de 49 ans est admise en urgenceau centre hospitalier universitaire de Dijon à la demande du médecin de SOS Médecins, leDr Denise, qui craignait une péritonite.

Après avoir recu un antalgique et été examinée par le médecin de service aux urgences, leDr Xavier puis par un interne en chirurgie viscérale, elle a été autorisée à quitter l’établissement.

Or, elle décédée dans la matinée du 22 mars 2004, à son domicile, d’une insuffisance respiratoireaiguë survenue à la suite d’un syndrome d’inhalation bronchique consécutif à une occlusionintestinale.

Le fait que le médecin de SOS Médecins ait évoqué la suspicion de péritonite a rapidementorienté la famille à mettre en cause les praticiens présents ce jour-là aux urgences.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.ddes.2011.07.010

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2. Le tribunal

L’époux a déposé une plainte avec constitution de partie civile, contre X. À l’issue del’instruction pénale, les deux praticiens les plus directement impliqués dans la faute de diagnostic,l’interne et le Dr Xavier, le médecin urgentiste, ont été renvoyés devant le tribunal correctionneldu chef d’homicide involontaire.

Le tribunal correctionnel a relaxé l’interne et condamné le médecin.Appel a été formé.

3. La Cour d’appel

3.1. Sur la responsabilité de l’interne

Il lui est reproché, alors qu’il était l’interne du service de chirurgie viscérale, deux choses : nepas avoir pratiqué les examens adaptés à l’état de la patiente et ne pas avoir sollicité l’avis de sonsupérieur hiérarchique, le Dr A., chirurgien viscéral, par séniorisation.

En effet, le Dr A., le médecin senior de l’interne, soutenait que celui-ci ne lui avait pas rapportéla situation de la patiente, ce que l’interne contestait.

Selon l’expert, il est hautement probable que l’interne avait sollicité l’avis du Dr A. Le diag-nostic, difficile à faire, demandait la confrontation d’un urgentiste et d’un chirurgien viscéral. Lesinternes doivent, selon les consignes données, en référer aux séniors de tout ce qu’ils voient auxurgences, et le comportement général de l’interne incline à croire à sa version des faits.

Aussi, la cour ne retient pas de faute sur ce plan.S’agissant des examens non effectués, il est exact que le toucher pelvien, nécessaire selon les

experts, n’a pas été réalisé par l’interne. Mais il convient de relever que ni les Docteurs A., C.et X., praticiens confirmés, n’ont procédé à cette investigation médicale, ni réalisé un scannerabdominal, pourtant nécessaires.

L’interne, non thésé, a effectué sa tâche au niveau de ses compétences, récentes de cinq mois,de son pouvoir et des moyens dont il disposait, sous la responsabilité du praticien dont il relève,en l’occurrence le Dr A.

Malgré les dénégations, il ressort du dossier que l’interne lui en avait référé, et le Dr A. auraitdû lui-même procéder à l’examen de la patiente, eu égard au syndrome abdominal aigu devantfaire l’objet d’investigations médicales par un clinicien confirmé.

Les rapports d’expertise ne concluent pas d’ailleurs à la nécessité d’une intervention chirurgi-cale.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour d’appel confirme le jugement sur la relaxeprononcée par le tribunal correctionnel au profit de l’interne, en l’absence de faute caractérisée.

Cela ne signifie pas que l’attitude de l’interne est exempte de critiques, et des négligences sontà demi mot évoquées. Mais, au sens de la loi pénale, elles n’atteignent pas le niveau de la fautecaractérisée, requise par les textes.

3.2. Sur la responsabilité du Docteur X., médecin urgentiste

Il apparaît que le Dr D., médecin généraliste, a dès l’origine posé le diagnostic de péritonite,en adressant un courrier explicite destiné aux médecins urgentistes.

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Le Dr E., médecin légiste, a constaté le décès de la patiente sur une origine médicale, enrapport avec une pathologie digestive par occlusion ou hémorragie, constitutive d’une péritonitegénéralisée.

Les experts ont relevé à l’encontre du Dr X. l’absence fautive, malgré le diagnostic de péritoniterelevé par le Dr D., de SOS Médecins, de tout examen nécessaire de toucher pelvien, d’échographieou scanner abdominal, en connaissance du traitement médicamenteux masquant tout signe dedouleur ou de contracture, alors qu’une intervention chirurgicale pouvait être envisagée, pour neretenir qu’une seule constipation ou douleur abdominale.

Les experts ont également relevé que :

• la suspicion de péritonite devait être à l’esprit du Dr X. et il devait être réalisé tant un tou-cher pelvien, qu’une échographie abdominale, l’injection de morphiniques devant masquer lesdouleurs aigües présentées par la patiente ;

• le Dr X., a, de son initiative, laissé sortir la patiente malgré son état nécessairement alarmantau regard de la suspicion d’une péritonite ;

• le décès est en rapport direct avec l’erreur de diagnostic initial.

Le Dr X., au regard de son expérience professionnelle confirmée, ne pouvait méconnaître lediagnostic du Dr D. de péritonite, la nécessité des examens de touchers pelviens non réalisés parles précédents intervenants, d’une échographie ou d’un scanner abdominal, en se fondant sur lesconstatations médicales d’un jeune interne inexpérimenté, et laisser sortir la patiente sur le seuldiagnostic de constipation et de douleurs abdominales, hors de proportion avec la péritonite quidevait être diagnostiquée.

Le fait qu’il ait constaté un ventre peu souple et douloureux, malgré les médicaments ayantété prescrits, reconnaissant que la disparition de la souffrance due au Nubain®, ne signifiait pasque la pathologie avait disparu.

Le Dr C. et l’interne, ayant examiné auparavant la patiente ont constaté un ventre très doulou-reux, un abdomen difficile à déprimer, sans élément de constipation ou de douleur abdominale.Il en résulte de l’ensemble de ces éléments, l’erreur manifeste de diagnostic du Dr X. Il pouvaitlaisser sortir la patiente sur un seul traitement médicamenteux, alors que son état présentait unventre faussement souple sur la prise d’antalgique. La faute commise par le Dr X. est caractéri-sée.

La cour d’appel a déclaré le Dr X. coupable d’homicide involontaire et l’a condamné àla peine de six mois d’emprisonnement avec sursis, ainsi qu’à payer, à titre de dommages-intérêts,la somme de 10 000D en réparation de son préjudice moral.

4. Devant la Cour de cassation

4.1. Sur la culpabilité

4.1.1. Argument en défense

• Distinction de l’erreur et de la fauteL’erreur de diagnostic n’est pas constitutive d’une faute pénale lorsque la complexité des

symptômes et la difficulté de leur constatation rendent le diagnostic difficile à établir. Aussi, la courd’appel ne pouvait affirmer que le Dr X. avait commis une faute caractérisée, en méconnaissantl’existence d’une péritonite, après avoir constaté que le diagnostic était « difficile à faire ».

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• Contradiction de motifs

La contradiction de motifs équivaut à un défaut de motif.En affirmant,

• d’une part, que l’interne du service de chirurgie viscérale consulté par le Dr X. « M. Z. avait dûnécessairement prendre l’avis » de son supérieur hiérarchique, le Dr A., le diagnostic difficile àfaire, demandant la confrontation d’un urgentiste et d’un chirurgien viscéral, les internes devant,selon les consignes données, en référer aux séniors de tout ce qu’ils voient aux urgences ;

• d’autre part, que le Dr X. ne pouvait se fonder uniquement sur les constatations médicales d’unjeune interne inexpérimenté.

La Cour d’appel, qui a constaté tout à la fois que l’avis du service de chirurgie viscérale émanaituniquement d’un interne inexpérimenté et qu’il émanait de l’interne et d’un médecin sénior, aentaché sa décision d’une contradiction de motifs.

• Incertitude du lien de causalité

Le délit d’homicide involontaire suppose l’existence d’un lien de causalité entre le fait reprochéet le décès. Le délit n’est pas constitué lorsque le fait reproché au médecin a fait perdre au patientune chance de survie, sans le priver de toute chance de survie.

4.1.2. Réponse de la Cour de cassationEn décidant que le fait, pour le Dr X., d’avoir commis une erreur de diagnostic et d’avoir omis

de pratiquer des touchers pelviens, une échographie et un scanner abdominal, constituait la causedu décès de Mme Y., sans constater que ces manquements auraient privé celle-ci de toute chancede survie, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision.

Pour confirmer le jugement, l’arrêt, après avoir relevé que le décès de la patiente est la consé-quence d’une occlusion ou hémorragie ayant entraîné une péritonite généralisée, relève que,malgré le diagnostic de péritonite posé par le médecin urgentiste et pour laquelle une interventionchirurgicale pouvait être envisagée, M. X., s’est abstenu de tout examen nécessaire de toucherpelvien, d’échographie ou scanner abdominal, en connaissance d’un traitement médicamenteuxmasquant tout signe de douleur ou de contracture. Il s’est fondé sur les constatations médicalesd’un jeune interne inexpérimenté pour établir un diagnostic de constipation et de douleurs abdo-minales alors qu’il avait constaté que, malgré les antalgiques, la patiente avait un ventre peu soupleet douloureux.

De telle sorte, le médecin, qui n’a pas pris les mesures permettant d’éviter le dommage, acommis une faute caractérisée, exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il nepouvait ignorer et qui entretient un lien de causalité certain avec le décès de la victime.

La Cour d’appel a justifié sa décision.

4.2. Sur la réparation

La cour d’appel a décidé que la juridiction répressive était compétente pour connaître desconséquences dommageables des faits reprochés au Dr X., et l’a condamné à verser des dommageset intérêts.

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4.2.1. Argument en défenseLes juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour statuer sur la réparation

des conséquences dommageables de la faute commise par un agent public, hormis l’hypothèseoù cette faute présente un caractère personnel, de sorte qu’elle est détachable des fonctions del’agent. La Cour d’appel, qui s’est bornée à reprocher au Dr X. de s’être abstenu de pratiquer untoucher pelvien, une échographie ou un scanner abdominal et d’avoir laissé sortir Mme Y. surle seul diagnostic de constipation et de douleurs abdominales, commettant ainsi une erreur dediagnostic, n’a pas caractérisé à son encontre une faute personnelle, détachable du service, desorte qu’elle n’a pas légalement justifié sa décision de retenir la compétence des juridictions del’ordre judiciaire pour connaître des conséquences dommageables des faits reprochés.

4.2.2. Réponse de la Cour de cassationLa faute, quelle que soit sa gravité, commise par un agent du service public, dans l’exercice

de ses fonctions et avec les moyens du service, n’est pas détachable de ses fonctions.La Cour d’appel ne pouvait se reconnaître compétente pour statuer sur la responsabilité civile

du prévenu, médecin d’un centre hospitalier universitaire. L’analyse ne fait pas de doute, et l’erreurcommise par la Cour d’appel est surprenante.