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RESUME DU LIVRE BLANC DE L’INDUSTRIE MAROCAINE DU TEXTILE ET DE
L’HABILLEMENT
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L’industrie du textile et de l’habillement joue un rôle majeur dans l’économie marocaine,
représentant notamment 35 % des exportations et 40 % des emplois industriels. Elle se
situe, comme dans tous les pays du monde, au cœur de la mondialisation, avec un temps
d’avance sur les autres secteurs industriels. Le secteur du textile et de l’habillement est
donc, au Maroc, à la fois un grand secteur industriel et un laboratoire de l’économie. C’est
pourquoi la démarche entreprise par l’Amith, avec le soutien d’EME, revêt une importance
déterminante pour l’avenir du Maroc.
Plusieurs facteurs exacerbent l’importance de cette transition :
L’impact fort de la libéralisation des échanges (abolition des quotas, entrée de la Chine dans
l’OMC)
L’évolution rapide de la distribution et de la consommation européennes (et mondiales), qui
nécessite une adaptation tout aussi rapide du système de production marocain (pression sur
les prix, raccourcissement des cycles, importance croissante de la mode et de valeurs telles
que le confort…)
L’enjeu de la stabilité économique et sociale du Maroc (le même argument s’appliquant à la
Tunisie, à la Turquie, à l’Egypte…)
L’enjeu du partenariat euroméditerranéen, au moment où la priorité de l’Europe est à
l’élargissement
L’enjeu géopolitique du maintien des pays arabes dans la course industrielle. Le Maroc a
parfaitement compris l’origine du danger, et il est édifiant que l’industrie du textile et de
l’habillement consacre en juillet la première page de son journal professionnel (Maroc
Textile) au « péril asiatique »
Rappelons que l’étude « chapeau » s’est déroulée de juillet 2002 à juin 2003. Elle a
représenté 200 jours/homme de travail. Elle a couvert des aspects économiques,
stratégiques, industriels, marketing ainsi, que la communication et les systèmes
d’information. Elle a donné notamment lieu 1) à une simulation macroéconomique des
conséquences pour le Maroc de la libéralisation des échanges textiles, 2) à une enquête
auprès de 100 donneurs d’ordre européens portant sur la perception de l’offre marocaine, 3)
à une analyse approfondi du tissu industriel, 4) à une étude de la demande et de son
3
évolution. Ceci a conduit à un diagnostic global, sur la base duquel ont été élaborés la
stratégie et le plan d’action, qui seront présentés le 17 octobre à Marrakech à l’occasion
d’une « journée nationale ». Le livre blanc reprend l’ensemble de ces éléments. A quoi
s’ajoutent deux documents, consacrés respectivement à la stratégie de communication et à
la mise en place d’un observatoire économique, conformément aux termes de référence de
l’étude.
A/ DIAGNOSTIC
A1/ Le Maroc dans l’environnement mondial
La situation du Maroc est très délicate. Si l’on considère le marché européen des vêtements
(marché de prédilection du textile-habillement marocain, sachant que le textile de maison
représente un volume d’activité dix fois inférieur à celui de l’habillement), on constate que les
exportations marocaines ont certes augmenté de 27 % de 1998 à 2002, mais que ce
pourcentage est inférieur à celui des autres pays méditerranéens (39,5 %), des PECO
(33,63%) et surtout de la Chine (64,57%) (l’Asie hors Chine n’a pour sa part progressé que
de 24,64 %, ce qui tient au fait que la Chine écarte ses concurrents).
Cette performance moyenne du Maroc a plusieurs explications. Outre la surévaluation du
dirham au cours de la période, sont intervenues les faiblesses structurelles de l’industrie
marocaine, notamment le fait que le Maroc, pays traditionnel de sous-traitance, était mal
préparé au passage à la co-traitance, qui constitue l’axe majeur des nouvelles politiques
d’approvisionnement des donneurs d’ordre européen. Les problèmes de délais administratifs
se sont conjugués à ceux qui sont liés au manque de disponibilité matières : ce n’est qu’en
2000 qu’a été réalisée l’importante réforme de l’administration des douanes, grâce à laquelle
le Maroc s’est rapproché du standard international en matière logistique.
Pour le futur, nous estimons à 65 % l’augmentation probable des importations extra-
communautaires de 2002 à 2010 (cette hypothèse correspond au prolongement de la
tendance observée au cours des dernières années, elle est cohérente avec les travaux
portant sur le sujet anticipant une progression de l’ordre de 4 milliards par an, ainsi qu’avec
l’hypothèse raisonnable d’une croissance du taux de pénétration des imports de 1,5 point par
an). La question est alors de savoir quelle sera alors la structure des approvisionnements
européens, et jusqu’où la Chine va aller. Un maintien à l’identique de la structure actuelle
des approvisionnements conduirait le Maroc à des exportations vers l’Europe d’un montant
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de 4,2 milliards d’euros. Une montée en régime de l’Asie et surtout de la Chine pourrait
amener celle-ci à couvrir 40 % du marché européen, la part de marché des PECO et des
PPM chutant automatiquement. Dans cette hypothèse, celle du Maroc pourrait tomber à 4 %,
ce qui représenterait certes une augmentation du volume des exportations marocaines, mais
limitée à 27,4 % sur la période (contre 279,5% pour la Chine).
Ajoutons que la simulation macroéconomique de la libéralisation des échanges (abolition des
quotas et entrée de la Chine dans l’OMC), à partir d’un modèle d’équilibre général
calculable, conduit mécaniquement à une chute de la production marocaine de 18 % et à
une diminution des exportations du Maroc vers l’Europe de 30 %. Il faut noter que
l’application du même type de modèle aux PPM en général, effectuée dans le cadre des
travaux portant sur la libéralisation des échanges textiles et réalisés conjointement par le
CEPII et l’IFM, aboutit à une stabilité de la production dans la zone (et aussi à une chute de
la part de marché euroméditerranéenne puisque la production asiatique et surtout chinoise et
indienne augmente sensiblement (avec un net avantage pour la Chine). Ceci signifie que le
Maroc comme la Tunisie, qui ne disposent pas d’industrie textile amont performante, vont
sérieusement pâtir de cette nouvelle donne, la Turquie étant (relativement) préservée.
Pour renverser la tendance, l’industrie marocaine doit être proactive, devenir une « industrie
de services », construire un secteur d’ennoblissement lui permettant d’accroître sa vitesse
de réaction, se tourner vers la mode et la « culture produit », optimiser ses circuits
logistiques, développer ses compétences à tous les niveaux…Elle a la chance de disposer
d’une nouvelle génération d’industriels de haut niveau, qui lui permettent d’envisager à
juste titre l’avenir avec optimisme. Pour autant, elle reste en grand danger, car la
concurrence par les prix, poussée par l’effet cumulé de l’abolition des quotas, des
mécanismes du type enchères inversées, ERP…s’exacerbe. Surgissent des écarts de prix
de 30 à 40 %, voire davantage, face auxquels une compétitivité hors prix ne peut suffire, en
tout cas dans l’immédiat. Il va de soi que l’évolution de la parité euro/dollar fragilise encore la
situation, ce dont pâtit désormais le Maroc, puisque le dirham dépend désormais davantage
de l’euro que du dollar depuis que le panier qui détermine sa valeur d’ancrage a été modifié
(sachant que les circonstances ont fait qu’il dépendait davantage du dollar lorsque celui-ci
était fort), mais ce qui importe à plus long terme est l’évolution des facteurs de compétitivité
structurels.
.
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A2/ Compétitivité perçue
A2/ 1. Données générales
L’enquête identifie cinq grandes zones d’approvisionnement pour les donneurs d’ordres
européens qui travaillent avec le Maroc (les chiffres qui suivent sont issus du traitement des
données de l’échantillon)
L’Union européenne (19%) ; le Maghreb regroupant le Maroc et la Tunisie (avec
respectivement 13 et 12%) ; la Turquie (9%) ; les pays de l’Est (14%) et enfin l’Asie (33%).
Ainsi la zone proche (Europe, Maghreb, Turquie et pays de l’Est) représente environ les 2/3
des approvisionnements des clients de l’industrie marocaine, le dernier tiers étant réalisé par
l’Asie. Alors qu’au sein de la zone proche, les pays du bassin méditerranéen (Maroc,
Tunisie, Turquie) fournissent 34% des approvisionnements chez les donneurs d’ordres. C’est
en effet, la première zone d’approvisionnement.
Il se dégage, par ailleurs, quatre modes de sourcing: la production propre; la sous-traitance;
la co-traitance et enfin le négoce.
La co-traitance est le mode d’approvisionnement le plus utilisé toutes zones confondues.
Négoce et co-traitance représentent 60% des achats des donneurs d’ordres. Il est à signaler
à ce sujet que les donneurs d’ordres pratiquent généralement plusieurs modes
d’approvisionnement, tout en ayant un mode dominant.
Les couples pays/modes de sourcing
Les modes d’approvisionnement pratiqués au Maroc présentent un relatif équilibre entre la
sous-traitance (46%) et la co-traitance (40%). La Tunisie présente des résultats similaires
au Maroc, confirmant ainsi l’importance de la sous-traitance au Maghreb par rapport à la
moyenne des fournisseurs mondiaux.
Pour leur part, les pays de l’Est constituent une zone de prédilection de la sous-traitance
(65%). Ceci s’explique par la rareté de l’offre locale de tissus répondant aux standards
européens ainsi que la faible capacité financière des confectionneurs. Toutefois, la part de la
co-traitance et du négoce est en augmentation avec l’apparition d’agents proposant aux
donneurs d’ordres européens de prendre en charge l’achat de la matière en Europe.
Concernant la Turquie, celle-ci s’approvisionne exclusivement en co-traitance et en négoce.
Ces modes représentent 95% des approvisionnements turcs.
Les donneurs d’ordres s’approvisionnent presque exclusivement en co-traitance et/ou en
négoce en Asie. Souvent il s’agit d’une co-traitance déléguée, avec peu de directives
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concernant les fournisseurs. Il est en outre en l’occurrence difficile de distinguer la part de la
co-traitance de celle du négoce.
Sourcing et achats de matières
Concernant les matières premières, les pays du Maghreb s’approvisionnement
essentiellement en Europe. Toutefois, les utilisations de matières non européennes se
développent: provenance turque ou asiatique pour les fils, par exemple.
En revanche, les produits confectionnés en Turquie utilisent des matières premières
principalement turques. Mais l’industrie turque a également recours aux matières premières
asiatiques notamment des écrus qui seront teints ou imprimés localement.
Les pays de l’Est quant à eux, ne disposent pas d’une offre textile amont développée par
rapport aux standards de qualité européens et importent en conséquence majoritairement
leurs matières de l’UE. Ceci dit, une offre locale se développe notamment en Bulgarie qui
importe du coton des anciennes républiques asiatiques.
En revanche l’Asie, dispose dans la quasi-totalité des cas de matières asiatiques plus faciles
et plus rapides à travailler, mais importées parfois d’un pays spécialisé comme la Corée du
sud ou la Taiwan.
Les politiques de sélection des fournisseurs
Le prix et la qualité sont cités par 64% des donneurs d’ordres (DO). Il convient de signaler
que le prix n’a de sens et de valeur que par rapport à la qualité qui lui est associée. Pour ce
qui concerne le rapport qualité/prix les DO s’accordent à dire que le niveau global, mondial,
de la qualité a augmenté.
Les délais et le rapport qualité/prix/délais sont cités par 44% des DO. En effet, dans un
contexte de recherche plus grande de réactivité, le délai constitue un facteur clé. Ce dernier
intègre les trois principales étapes d’élaboration du produit : la mise à disposition de la
matière première, le temps de fabrication et le temps de transport.
Le savoir-faire, les services, et les outils de production sont cités respectivement par 20, 18,
et 11% des DO. Par contre, les références clients et les règles d’éthique se placent en
derniers avec 11 et 7% des DO (ce qui ne veut pas dire que l’éthique ne constitue pas une
valeur croissante dans les processus d’approvisionnement).
Processus de décision chez les DO
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Chez les grands DO, les phases de forte croissance des entreprises se sont traduites par
une très forte croissance de leur parc fournisseurs. Dans un second temps, des politiques de
recherche d’efficience ont été mises en place et ont donné lieu à une rationalisation de ce
réseau. Ainsi, les politiques d’arbitrage des DO se traduisent par la répartition des risques
sur des zones géographiques similaires (Maroc et la Tunisie), la sélection par la
performance ; ou bien la sélection pour obtenir plus de poids chez un nombre restreint de
fournisseurs ainsi que de meilleures conditions d’achat.
A2/ 2. Mesure de performance de l’offre Marocaine
Le Maroc représente en moyenne 13% des approvisionnements chez les DO. Ce chiffre
révèle que le Maroc n’est pas un fournisseur majoritaire ou dominant chez ses clients. Il
intervient comme fournisseur complémentaire.
Les jeans constituent les premiers produits achetés au maroc. Le second groupe de produits
concerne le chaîne et trame. Ensuite viennent les achats de maille avec une prédominance
des achats des T-shirts.
Par ailleurs, 62% des DO qui achètent au Maroc fonctionnent directement avec les
fournisseurs, alors que 33% s’offrent les services d’un agent.
Mesure de satisfaction de l’offre marocaine
Les DO estiment que s’ils achètent encore au Maroc, c’est qu’ils y trouvent des fournisseurs
globalement satisfaisants. Sur le registre des délais, et malgré un nombre de départ jugés
insuffisant (un seul départ sûr le vendredi), 91% des DO jugent la capacité des marocains à
travailler sur des délais très courts globalement assez bonne. En revanche, les délais sont
jugés trop longs sur les prototypes. Cela est d’autant plus important, lorsqu’on sait que
l’orientation de la phase des prototypes à terme de qualité et de délais devient un facteur clé
de la compétitivité. Il faut bien sûr garder à l’esprit que les délais, à tous les niveaux, sont
appelés à se raccourcir.
Identification des pays concurrents du Maroc
Dans la logique des DO, les concurrents du Maroc se situent essentiellement dans l’espace
paneuroméditerranéen: Turquie, Tunisie, et les pays de l’Est. La Turquie excelle par son
industrie intégrée, son savoir-faire en maille et petites pièces et par sa créativité. En outre, le
pays est jugé très compétitif sur le plan des services et disposant de prix comparables à
ceux du Maroc. La Turquie souffre par contre, du piratage et de la copie. Ceci étant dit, son
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avantage concurrentiel va fortement s’atténuer avec l’abolition des quotas en 2005 ;ce pays
étant toujours comparé aux industries de textile asiatiques, car adoptant dans la majorité des
cas les mêmes méthodes.
La Tunisie a quant à elle, une offre produit relativement proche de celle du Maroc (ex : le
positionnement jeans/sportswear), mais elle compte sur des relations historique, ainsi que
sur une proximité géographique avec certains DO comme l’Italie.
Dans les pays de l’Est, la spécialisation des fournisseurs dans les lignes ville et les pièces à
manches n’en fait pas des concurrents «frontaux» du Maroc en chaîne et trame. Toutefois, le
développement de la maille et des lignes sportswear, initiés en Roumanie, est observé avec
attention.
Dans la même optique, les DO estiment que la main d’œuvre est qualifiée et instruite dans
les pays de l’Est. En plus, ces pays sont beaucoup plus aptes à la co-traitance que le Maroc,
ce qui représente un atout pour les DO qui délèguent.
A2/ 3. Synthèse
Le prix est un élément neutre dans l’analyse de la compétitivité de l’offre marocaine.
Toutefois, les DO remarquent une hausse relative des prix marocains, due à la faiblesse du
dollar. En effet, la faiblesse du dollar par rapport à l’euro renforce mécaniquement la
compétitivité des produits asiatiques dont les prix sont automatiquement établis en dollar.
Les fournisseurs marocains bénéficient par ailleurs de la proximité géographique et culturelle
(éléments cités par 25% des DO). «Ils ont également de bons délais de livraison et aspirent
à une certaine créativité» (25%). Outre la performance des outils de production, citée comme
force par 35% des DO, on retrouve la satisfaction du niveau de la qualité (28%).
Le Maroc souffre en revanche, d’un déficit dans l’organisation de la filière. Ajouter à cela,
l’absence d’offre globale, la faiblesse de l’offre de tissu et de maille, le manque de fiabilité
des services et des performances ainsi que le non-respect des délais (cité par 47% des
DO).
Les DO listent également parmi les points de faiblesse, le processus de production comme
le manque de d’organisation dans la production (31%) et la faiblesse dans la mise au point
des produits.
Pour ce qui est des conditions externes, il est fait état des conditions du transport (18%) et
des formalités administratives (13%).
Les DO non acheteurs au Maroc, évoquent quant à eux la fiabilité réduite des entreprises
marocaines (31%), le management des entreprises, le niveau d’encadrement de la main
d’œuvre. Il faut également retenir le manque de communication, cité par 19% des DO non
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acheteurs au Maroc. En effet, ces derniers affirment ne pas avoir assez d’informations sur
l’offre marocaine, d’où l’absence d’opportunités d’achat.
Certains de ces DO non acheteurs évoquent les avantages de la Tunisie qui portent sur le
coût de la main d’œuvre (moins chère que celle du Maroc) et sur le dynamisme des
entrepreneurs Tunisiens.
A2/ 4. Les recommandations des DO vis-à-vis des fournisseurs marocains
Ces recommandations se veulent constructives, parfois même «alarmistes», pour ceux qui
soulignent que le contexte international est en pleine mutation. Pour ces derniers, le Maroc
se doit d’intégrer ces recommandations pour pouvoir garder sa place dans l’échiquier
mondial. Ainsi, la hiérarchie des recommandations formulées place le management de
l’entreprise et les prestations qui lui sont associées (amélioration du processus industriel
13% ; compréhension des marchés 11% ; l’attente de fiabilité 25%...) avant les composantes
de l’offre. Cette dernière comprend quant à elle, la créativité (19%), la mise à disposition
d’une offre globale 15%, la qualité et le prix 15 et 13% respectivement ainsi qu’une
spécialisation de l’offre citée par 6% des DO. Les recommandations tablent enfin sur la
construction d’une politique de communication (23%).
A3/ Diagnostic industriel
A3/ 1. Commentaires généraux sur l’offre marocaine
-Délais et flexibilité : Le Maroc, tout d’abord, dépend largement de la matière européenne. Il
peut raccourcir le délai correspondant en élaborant un partenariat avec ses fournisseurs en
matières. C’est d’ailleurs ainsi que raisonnent les agents qui engagent une relation tripartite
avec le confectionneur et le tisseur se traduisant par la mise à disposition des stocks. Le
délai est alors réduit à celui du temps du transport. Rappelons enfin qu’on peut considérer
qu’un délai de deux mois constitue aujourd’hui un bon niveau de performance en produit fini,
l’équivalent de la sous-traitance se situant à un mois, mais que les références en la matière
sont appelées à changer rapidement.
-Sourcing matières et partenariats : Réduire les délais en deçà d’un certain stade suppose
que l’entreprise ayant atteint ses limites de production peut se tourner vers d’autres
fournisseurs/sous-traitants pour compléter son offre. Chose que font effectivement les
entreprises marocaines ayant une certaine assise et regroupant autour d’elle des
fournisseurs de plus petite taille. Globalement, pour raccourcir les délais, il faut, soit diminuer
le temps de production des tissus, soit disposer des stocks nécessaires. La première formule
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a ses limites, alors que la seconde (flux et stocks) peut être sensiblement améliorée et se
prêter à une approche collective, notamment à travers des partenariats avec différentes
régions textiles européennes.
-Compétitivité prix : La pression sur les prix est d’autant plus forte que la position marocaine
en matière de coût de main d’œuvre est intermédiaire. Il apparaît que le Maroc n’est pas
toujours concurrentiel par rapport à la Turquie, avec un écart de prix pouvant aller jusqu’à
20%. Ce problème apparaît aussi bien dans les prix des produits finis que dans ceux des
matières premières. Par exemple, un fil acrylique de bonne qualité coûte 4.20 euro à 5 euro
au Maroc alors que le prix du fil Turque est de 3.50 euro, celui du fil indien est de 3 euro.
Lorsqu’on sait que le prix du fil marocain est aussi cher que le fil italien, il apparaît que le
textile marocain n’est pas toujours très compétitif.
Il faut enfin souligner l’importance des facteurs interculturels, qui peuvent conduire à une
incompréhension entre les fournisseurs marocains, attachés à la dimension relationnelle des
échanges, et les distributeurs et donneurs d’ordre, de plus en plus orientés vers une gestion
froide et mécanique des approvisionnements.
Face à l’incontournable nouvelle donne des marchés mondiaux, le Maroc qui est
historiquement dans la position d’un façonnier peu coûteux, puissant, multi produits,
qualitativement fiable , tourné vers une clientèle très majoritairement européenne et surtout
française, se trouve aujourd’hui mis en question, car ses minutes sont maintenant plus
chères que celles de certains pays de l’Est dits Pecos, et bien évidemment de l’Asie.
Du côté industrie textile proprement dite, l’abaissement inévitable des barrières douanières,
(qui sont aussi un obstacle de plus en plus gênant pour les confectionneurs qui ont besoin
de s’approvisionner largement dans le monde), constitue une menace certaine, car pour
l’industrie textile aussi le coût de la main d’œuvre est déterminant surtout si l’activité est
orientée vers des produits « basiques ».
A3/ 2. Etat des lieux
L’activité confection
C’est évidemment le moteur de l’industrie textile habillement marocaine qui a pour principal
débouché la clientèle européenne. La demande évolue vers davantage de valeur ajoutée,
c’est à dire de création et de proposition sur le produit, allant pour certains donneurs d’ordre
11
vers la demande de prise en charge de la recherche et la fourniture du tissu ( co-traitance)
et pour d’autres directement vers la demande de produits finis.
Face à ces requêtes, une petite minorité d’entreprises est en mesure de faire face
positivement, mais la plupart n’ont pas la capacité de concevoir ni de présenter une
collection, ni même de rechercher des fournisseurs de tissu, pas plus que de financer un
besoin très accru de fonds de roulement (multiplié par environ cinq par rapport au besoin
d’un simple confectionneur à qui on fournit le tissu) Ces points sont examinés par ailleurs.
Dans ce qui est le cœur de métier actuel , à savoir l’ opération de confection proprement
dite, l’analyse effectuée dans le cadre de l’étude filière spécifique a mis en évidence une
possibilité de gain de productivité significative de l’ordre en moyenne de 25%, (mais dans
certains cas de 40%). Les efforts doivent notamment porter sur l’organisation des ateliers, la
montée en compétence de l’encadrement, l’acquisition de certains équipements, la mise en
place de suivi de production et de garantie qualité.
Alors que des concurrents (pecos et asie) produisant moins cher à la minute se pressent
auprès des donneurs d’ordre européens, le Maroc doit d’abord, comme préalable à toute
autre programme de montée en gamme, et en accompagnement indispensable de celui-ci,
mettre en œuvre une opération de « qualité totale » qui concerne, à des degrés divers,
toutes les entreprises. En effet toutes les entreprises ne sont pas capables aujourd’hui, de
passer à la co-traitance et au produit fini. Toutes, du reste, n’auront pas à le faire car certains
donneurs d’ordre restent attachés à la sous-traitance. Mais ces donneurs d’ordre quitteront
le Maroc s’ils trouvent mieux ailleurs. Mieux n’étant pas forcément moins cher mais plus
fiable au sens large (qualité, délais courts, ponctualité et en général un service de haut
niveau)
Le mot productivité implique en premier réflexe un abaissement des coûts par meilleur usage
des minutes de production. On voit bien que limiter l’action à ce seul aspect ne serait pas
suffisant. Il s’agit d’une action beaucoup plus large qui englobe toutes les facettes du
processus qui régit, sanctionne et pérennise la relation client-fournisseur. De ce point de
vue, le Maroc doit accomplir un véritable bond en avant.
Si dans le même temps pour un petit nombre d’entreprises, et par la suite pour la plupart,
une prise en charge du marketing produits et pourquoi pas de la distribution, se présentent
comme une suite logique de la montée en gamme, le travail qui aura été fait pour améliorer
globalement les éléments de prix qualité service constituera une base solide de cette
12
prochaine étape. Il serait du reste tout à fait illusoire de croire qu’on pourrait faire l’impasse
sur cet aspect du processus de production qui est dans le tout proche avenir la condition
impérative de survie de l’industrie marocaine de la confection et à travers elle de toute la
filière.
L’industrie textile proprement dite
Elle est caractérisée par une forte intégration (dans une même entreprise) et en revanche
une très faible intégration de filière (amont ou aval)
L’intégration comme processus de développement industriel a pour raison initiale le fort
degré de protection douanière qui encourage d’une part l’autosuffisance à partir de la
matière première, et d’autre part dans un marché fortement protégé conduit à un cumul de
marge très « stimulant ». De brillants entrepreneurs ont ainsi érigé de véritables pôles
industriels très efficaces et peu tournés vers l’extérieur.
Une seconde raison, qui est en quelque sorte une conséquence de la précédente, est la
difficulté de trouver une offre de qualité pour les étapes de process qui dans le projet
industriel ne font pas initialement partie du projet .Par exemple un tisseur d’ameublement ne
commence pas par être teinturier, mais il peut être amené à le devenir car il ne trouve pas
sur le marché la disponibilité de façon qualitative et aussi quantitative dont il a besoin pour
permettre son développement.
L’activité initialement purement façonnière de la confection n’exigeait pas vraiment de tissu
marocain, et n’a donc pas contribué à l’émergence d’une forte activité de tissage
d’habillement. De même l’activité de filature n’a pas été stimulée à se diversifier pour nourrir
une industrie de tissage . Il en va de même pour l’ennoblissement qui n’existe pratiquement
pas en activité façonnière.
Au total, comparée à l’industrie textile turque, le Maroc est selon les métiers (filature, tissage,
tricotage, ennoblissement ) 10 à 20 fois moins puissant.
La question qui se pose désormais constitue un véritable quitte ou double pour le Maroc.
Sachant que les donneurs d’ordre, essentiellement les distributeurs qui détiennent les deux
tiers du commerce habillement en Europe et davantage aux Etats Unis, veulent trouver
devant eux une filière complète (garantie de flux logistique le plus rapide et le moins cher),
comment le Maroc peut-il encore prétendre à tenir une place significative dans la fabrication
13
de vêtements, alors qu’il n’a pas d’offre diversifiée de fils et tissus, ni d’ennoblissement
suffisamment développé.
Ces manques sont d’ailleurs rigoureusement aussi pénalisants pour tout confectionneur qui
veut se mettre à la co-traitance ou au produit fini.
La Turquie a été citée, et non pas la Tunisie, (ce dernier pays étant dans un dilemme quasi
identique à celui dans lequel se trouve le Maroc) car précisément la distribution trouve en
Turquie, à des coûts qui sont généralement inférieurs à ceux du Maroc, alors que les coûts
salariaux sont très proches, cette fameuse intégration de filière qui leur est si nécessaire et
sécurisante.
Il est évident que la Chine développe à grande allure tous les métiers. Mais le Maroc ne peut
pas concurrencer la Chine en termes de coûts, même si le yuan était revalorisé. Par contre ,
en faisant le pari que tout le commerce textile ne basculera pas en Asie, on peut espérer
atteindre un coût de production pas supérieur à celui de la Turquie, et donc envisager
raisonnablement l’existence d’une industrie textile convenablement intégrée , en filière donc
en partenariat , pour construire une offre de fils, tissus, ennoblissement conduisant à
l’émergence d’une offre qualitative, quantitative, créative et diversifiée pour soutenir un
développement d’une industrie puissante de fabrication de vêtements.
On peut dire à l’inverse que sans cette industrie d’amont, l’existence du Maroc comme place
de fabrication de vêtements est très compromise, et ce à relativement court terme
( quelques années). On vient de le dire, les distributeurs en font quasiment une obligation de
cahier des charges. D’autre part, les confectionneurs doivent commencer à mettre une
véritable offre originale et créative, et il faut un choix de fils et tissus que l’importation ne
pourra pas complètement satisfaire, même en y mettant des moyens structurés de
converting et négoce (ce qu’il faut bien évidemment faire aussi). Enfin une place textile est
un tout, et l’existence d’une offre large et compétitive est un facteur indispensable
d’animation d’un marché. Et il faut aussi dire, même si on le regrette, que l’industrie
européenne de textile est fortement mise en danger par ses coûts, salariaux notamment, et
que nous assistons actuellement à la fermeture d’entreprises jusqu’à présent fournisseurs du
Maroc. De ce point de vue, le Maroc qui dispose de coûts salariaux inférieurs de 20.000 € à
25.000€ par salarié et par an à ceux de l’UE, peut et même doit envisager de prendre le
relai.
14
A l’évidence, il s’agit pour l’industrie textile d’un effort énorme d’adaptation et de croissance
dont on peut non sans raison se demander si précisément il est bien raisonnable. Pour les
raisons énoncées ci-dessus, il paraît simplement incontournable. Il faut donc le rendre
possible.
Faut-il, pour autant se mettre à investir massivement et tous azimuts ? Résolument NON. Il
convient de faire preuve de sélectivité. Et donc d’identifier les couples produits/marchés les
plus pertinents. D’autre part considérer la possibilité pour le Maroc de s’insérer dans la
chaîne de production à un coût compétitif pour l’opération choisie.
Il serait en effet dangereux d’imaginer produire pour un aval (confection de vêtements maille
ou chaîne et trame) qui serait en quelque sorte un client obligé. Chaque stade doit être
compétitif mondialement. Un tissage marocain devra pouvoir aussi exporter son tissu sur le
marché mondial. Tout autre positionnement pénaliserait la filière.
Un bref examen des opportunités offertes aux divers stades permet d’éclairer le
sujet :
- en filature de coton écru, il est raisonnablement impossible de concurrencer l’Asie
- la filature et le tissage de produits élaborés supportent les salaires marocains
- le tricotage circulaire, aussi, en utilisant des fils moins basiques que ce qui fait
l’essentiel de la production actuelle
- le tricotage rectiligne est le circuit de production le plus court car le produit tombe de
métier quasiment fini. Mais il y faut de la création et une disponibilité de fils. Ces
derniers sont largement sourcés en Europe, mais qu’en sera-t-il dans le proche
avenir, car les filateurs européens souffrent.
- cette remarque vaut aussi pour les tissus qui, en grande majorité, viennent d’UE
- les capacités d’ennoblissement, fils, maille, chaîne et trame (teinture, apprêts)
existent mais sont majoritairement intégrées. D’autre part, elles n’ont pas toutes les
moyens d’une diversification,(compétences et outils) dont elles ne maîtrisent pas le
process. Les capacités installées sont insuffisantes pour une augmentation de
volumes à traiter. Enfin l’impression, qui confère l’origine alors que la teinture ne le
fait pas (par rapport au cumul diagonal), est très peu présente.
Le coût salarial marocain est compétitif pour les opérations d’ennoblissement.
- le tissu denim marocain couvre environ 40% du volume confectionné en jean
Les importations d’UE atteignent également 40% (volumes 2002) Le prix au kilo des
tissus denim européens exportés vers le Maroc est de 50 Dirhams le mètre linéaire
15
( en 150 cm de laize) Il y a au moins 18 dirhams de différence de coût salarial au
mètre entre l’Europe et le Maroc sur les opérations de filature et tissage, (inclus
l’indigo)
- le tissu d’ameublement bénéficie d’une structure de production en général
compétitive et encore très protégée, mais le produit est très »marocain » (avantage et
inconvénient tout à la fois). Le linge de maison ne peut pas se confronter en l’état aux
grands pays d’Asie
Impact des règles d’origine
- du point de vue de l’UE, la provenance du fil est indifférente, à condition que le
tissage et la confection soient faits dans une zone Maghreb + UE . En revanche un
tissu turc ou asiatique plus une confection au Maroc déterminent 10 à 12% de droits
à l’entrée en UE. Cette situation plaide pour un maximum de partenariats avec les
tisseurs européens qui dans la pratique présentent l’offre mondiale la plus créative et
la plus diversifiée. Elle encourage aussi la création d’une industrie du tissage
vestimentaire au Maroc pour satisfaire une partie des besoins en relais de l’Europe et
en profitant du niveau de salaire marocain. La mise en place effective d’une zone
Euromed incluant la Turquie offrirait au Maroc l’avantage de la production turque en
complément de l’offre européenne, mais ne dispenserait nullement le Maroc de
l’intérêt de se doter d’une industrie de tissage créatif et réactif.
-à la différence de la teinture (qui ne confère pas l’origine) l’impression est considérée
comme l’un des deux stades nécessaires pour l’entrée en UE à droits nuls. Un sourcing
large de tissus écrus asiatiques ou turcs qui seraient imprimés au Maroc serait un atout
pour la mise en place d’une offre créative marocaine. L’impression en UE reste une
bonne solution, mais comme pour le tissage, elle peut être complétée par une création
marocaine qui aurait l’avantage de démontrer une ambition en cours de réalisation
concrète. L’écart salarial joue assez peu dans ce cas mais il n’est pas en défaveur du
Maroc
-dans les relations avec les Etats Unis, la règle en vigueur est celle du yarn (ou fibre)
forward, qui exige une triple transformation dans la zone économique déterminée par
l’accord entre les Etats Unis et le ou les pays concernés . Dans l’état actuel des
choses,cette disposition ne semble pas aisée à respecter pour le Maroc ,en remarquant
d’autre part que les Etats Unis ont déjà toutes les solutions pour importer le maximum de
leur approvisionnement basique de Chine ou autres pays asiatiques à très bas coût de
16
main d’œuvre. Une politique marocaine de mise en place de tous les stades de
production de filière est évidemment la bienvenue dans ce contexte mais n’aura d’intérêt
que si le partenaire américain y trouve une offre diversifiée et créative de vêtements à un
coût raisonnable.
Ces considérations permettent de « resserrer » le sujet et de formuler une stratégie et des
objectifs ciblés
B/ STRATEGIE ET PLAN D’ACTION
B1/ Quel avenir pour l’industrie
B1/ 1. Le Maroc confronté à la globalisation
Face aux menaces que font peser sur l’industrie du textile-habillement marocain
l’abolition des quotas à partir du 1er janvier 2005,
l’abaissement des barrières douanières,
l’émergence, sur le cœur de métier du Maroc (la fabrication de vêtements en maille et en
chaîne et trame), de concurrents à moindre coût salarial (notamment les Pecos),
la puissance envahissante de la Chine qui se positionne comme l’usine du monde dans
tous les métiers, et permet aux distributeurs européens, clients naturels du Maroc de se
fournir au prix le plus bas de vêtements finis (surtout quand le dollar est fortement
déprécié vis-à-vis de l’euro),
l’abaissement du coût du transport aérien, qui relativise l’avantage de proximité des pays
du pourtour méditerranéen et permet aux Asiatiques d’être désormais beaucoup plus
réactifs,
le passage des donneurs d’ordre du mode sous-traitance au mode co-traitance, qui
requiert du confectionneur (de chaîne et trame, de sportswear aussi bien que de maille)
de passer d’un rôle « passif » de vendeur de minutes à un rôle pro-actif de proposition et
prise en charge de produits finis.
C’est une véritable révolution dont les conséquences peuvent s’avérer brutales pour
beaucoup
17
Rappelons que les conséquences de cet état du monde sur l’activité exportatrice du Maroc
sont déjà à l’œuvre, avec une diminution de 1,35% à 1,20% de la part du Maroc dans le
commerce mondial entre 1999 et 2001.
Le début de l’année 2003 empire la situation .Une chute significative de la demande de
tissus fabriquées en UE de la part de la grande distribution signifie un appel brutalement
croissant à des importations de produits finis directement sourcés d’Asie (prioritairement de
Chine) et par suite une moindre demande de sous ou co-traitance adressée au Maroc.
En regard de ces faits incontournables, le Maroc est aujourd’hui en grand danger, et une
seule et véritable opportunité lui est offerte, c’est de passer résolument du côté de
l’acquisition de valeur ajoutée créative, réactive, et qualitative
En résumé, sans une prise de conscience de l’urgence de la situation et de décisions
immédiates de changements dans tous les domaines détaillés ci-dessus, le Maroc est en
grave danger et risque de se voir marginalisé dans le commerce textile mondial.
Soulignons que l’industrie du textile habillement est déjà mondialisée et que son évolution
anticipe celle de tous les secteurs économiques dans un proche avenir.
B1/ 2. 3 ans pour rebondir
Pourquoi 3 ans et pas davantage ?
Le Maroc a déjà accumulé suffisamment de retard dans sa prise en compte des
exigences de la globalisation des marchés, pour se fixer désormais un terme
contraignant, tout d’abord pour survivre.
En commençant d’agir tout de suite, et sur tous les fronts, le Maroc peut espérer que ses
atouts lui permettront, une fois réduites ses principales faiblesses, de retrouver une place
attractive dans le marché, alors que ses concurrents se déchaînent pour accroître leur part,
au détriment des plus faibles, ou des moins volontaires, ou des moins rapides (les trois allant
souvent de pair).
Dans le paysage mondial, aujourd’hui :
- la Chine fixe le niveau du prix de revient
- la distribution celui du prix de vente et donc du prix payé au producteur
- le dollar casse tous les équilibres et nivelle en quelques mois des années d’effort
18
Pour résister et prospérer dans un tel contexte, on ne peut pas se contenter d’être
« ordinaire », il faut viser l’excellence sur ce qui est accessible.
Pendant ce temps, le Maroc
- est plus cher que les pays de l’Est
- a des pratiques administratives plus lourdes que celles de la Tunisie,
- n’a pas la puissance et la diversité de l’offre turque
- n’a pas de zones industrielles attractives
- a un taux d’illettrisme record
- a une industrie d’amont faible et plutôt orientée vers le basique intégré
- n’a pas de pratique marketing sophistiquée ni de création produits appétissante
- comporte une part de travail « informel » d’ampleur considérable
- est victime d’une contrebande qualifiée d’importante
- ne met pas par la rigueur et l’organisation au rang de priorité n° 1, ce dont souffre la
productivité
- pratique l’attentisme et la « procrastination »
Cette énumération ne cherche bien sûr pas à flatter le portrait, mais elle n’est pas
globalement excessive ni loin de la réalité, encore que de brillants entrepreneurs démontrent
tous les jours qu’il n’y a pas de fatalité marocaine. C’est de ces réussites qu’il convient de
partir pour oser, avec enthousiasme, s’atteler à la tâche de remettre le Maroc en attitude
conquérante. Toute faiblesse dans la prise de décision et la mise en œuvre collective
(entreprises et pouvoirs publics) ne peut trouver d’autre issue que la sanction des marchés :
c’est-à-dire un déclin accéléré.
B1/ 3. Stratégie
La stratégie du Maroc, pour le secteur textile/habillement confronté à la globalisation des
marchés qui détruit peu à peu l’avantage de coût salarial bas dont il disposait et sur lequel
était basée une production de vêtements majoritairement exercée en sous-traitance pour les
donneurs d’ordre européens, consiste à se repositionner au cœur du partenariat avec ces
donneurs d’ordre, en les accompagnant dans leur requête de valeur ajoutée supplémentaire.
En d’autres mots, il s’agit d’ajouter à une capacité de sous-traitance à l’efficacité rénovée et
rendue plus compétitive, les nouveaux métiers de la co-traitance et de la valeur ajoutée.
19
A cette incontournable stratégie de base, doit s’ajouter un effort particulier d’extension de la
couverture des marchés mondiaux et en premier lieu du marché américain.
Pour y parvenir, le textile-habillement marocain s’appuiera sur ses forces, en particulier sa
proximité culturelle et géographique vis-à-vis des clients européens, et sa puissance de
production tous produits.
Il s’emploiera à corriger ses faiblesses, notamment :
- un déficit de productivité et de rigueur
- une insuffisance d’offre de fils et tissus
- un manque de capacité et de savoir faire ennoblissement
- un manque de d’outils et de compétence en création de produits et de collections
- un management encore trop traditionnel
- un niveau d’instruction insuffisant du personnel ouvrier
- des infrastructures de zones industrielles déficientes
- des pratiques bancaires décourageantes
L’industrie textile d’amont (filature, tissage, tricotage, ennoblissement) doit participer à
l’amélioration de l’offre locale de fils et tissus par des investissements sélectifs et la
recherche constante d’une productivité de niveau « mondial » qui permettra à cette industrie
non seulement d’approvisionner son aval, mais encore de se mettre en position résolument
exportatrice.
Le Maroc a aussi vocation à se constituer comme pivot ou tête de pont d’une distribution
structurée de produits mode vestimentaire et ameublement, pouvant s’étendre à toute la rive
sud de la Méditerranée. L’existence d’une telle distribution, qui pourra par la suite essaimer
sur les marchés européens, est un facteur supplémentaire de crédibilité d’une offre
marocaine tournée vers la création, et contribuera au positionnement identitaire du Maroc en
matière de mode.
En résumé, il s’agit de faire en sorte que l’industrie marocaine du textile et de l’habillement
soit performante, flexible, créative, en phase avec les nouveaux impératifs de la
mondialisation ainsi qu’avec les codes de la modernité, en harmonie avec la tradition et la
culture marocaines.
20
B2/ Objectifs industriels
B2/ 1. Vers un nouveau système de production
Les hypothèses retenues sont les suivantes
- mesurer le développement potentiel en partant des vêtements finis pour définir par la
suite une conséquence sur la production textile
- élaboration de plusieurs hypothèses de participation du Maroc à la croissance des
importations de l’UE d’ici 2010, en considérant que le débouché principal resterait
(et devait rester) l’Europe, en tout réalisme.
- Prise en considération d’un impact favorable mais restant modeste de l’accord de
libre – échange avec les Etats Unis,
- Développement progressif du marché intérieur
- Ce qui a conduit à envisager un objectif de production de 55 Milliards de
Dirhams pour 2010 à comparer à une valeur estimée pour 2002 de 38 Milliards
soit une progression de 45 % en valeur
- Le volume ne progresserait que de 30% en raison d’une valeur ajoutée
supérieure, et de la perte quasi certaine de certains produits basiques, que l’UE
achète déjà en Asie.
les volumes
- il en résulterait une production supplémentaire de l’ordre de 80 millions de
pièces de vêtements en chaîne et trame et autant en maille (à comparer aux 280
millions de production 2002 estimée pour chacun des deux segments).
les conséquences sur les outils et les produits
- le tricotage rectiligne doublerait son volume (de 15 à 30 millions de pulls) ce qui
induit un besoin de fil bonneterie supplémentaire de l’ordre de 10 millions de
kilos, dont le Maroc pourrait prendre les deux tiers avec quelques investissements
de filature et retordage ainsi que de finition (notamment pour traiter la fantaisie). Le
parc de métiers devra être développé en conséquence et adapté en jauge
- la maille circulaire est une bonne spécialité marocaine. Mais il faut des adaptations
rapides pour faire évoluer la production trop basique aujourd’hui ,et donc en danger,
vers des produits à plus forte valeur ajoutée. Un volume supplémentaire de 70
millions de pièces est envisagé qui nécessite 10.000 tonnes de fil de type
cotonnier de plus qu’aujourd’hui. D’une manière générale les fils utilisés, y compris
pour les volumes actuels devront passer, au moins partiellement, d’un coton trop
21
basique à des matières plus élaborées. Ce mouvement doit être une opportunité
de reconversion à saisir pour la filature cotonnière plutôt que des
investissements de capacité. En effet la filature cotonnière est un métier très
fortement concurrencé par l’Asie.
D’autre part, le parc de métiers circulaires est puissant mais il doit bénéficier
d’une forte adaptation de laize et de jauge, pour satisfaire à l’évolution ci-dessus
- les vêtements chaîne et trame progresseraient de l’ordre de 80 millions de pièces
nécessitant au moins 110 millions de mètres de tissu de plus qu’aujourd’hui. La
production actuelle des tissages est majoritairement tournée vers l’ameublement et le
denim. On estime la production de tissu vestimentaire à un maximum de 15 millions
de mètres, alors que les besoins découlant de la production de vêtements atteignent
300 millions de mètres. Dans ces conditions, il ne serait pas déraisonnable que le
Maroc envisage de produire jusqu’à 100 millions de mètres de tissus
vestimentaire. C’est en effet sur le tissu et l’ennoblissement (et donc aussi les fils)
que se jouera la capacité du Maroc à monter en gamme.
- la production de filature doit être traitée avec circonspection. Le capital engagé est
très lourd pour une valeur ajoutée souvent très faible et érodée par la concurrence
surtout asiatique en coton et turque en fibres longues. Il est recommandé de
s’approvisionner au maximum sur le marché mondial et de se concentrer sur les fils
qui apportent de la valeur dans la suite du process.
- le tissage a été évoqué ci-dessus. Comme pour la filature, le basique sera mieux
sourcé sur le marché mondial avec toutefois un inconvénient notable quand le tissu
ne provient pas d’une origine compatible avec le cumul d’origine européen et
générant donc des droits de douane qui peuvent être prohibitifs pour l’accès au
marché de l’UE. Le récent accord de Palerme sur l’extension du cumul diagonal
pourrait offrir des opportunités d’achat en Turquie. Cela ne dispense pas le Maroc de
s’inscrire résolument dans une production sélective locale, en utilisant
largement l’offre mondiale de fils, à la condition de se spécialiser en tissus
créatifs fabriqués dans une organisation de production fiable et réactive. Un tel
programme induit les investissements correspondants, car les capacités actuelles
sont insuffisantes.
- L’ennoblissement est très certainement l’autre (avec le tissage) point de
concrétisation des volontés marocaines de s’inscrire dans une démarche offensive
22
vers l’acquisition de valeur ajoutée. Il existe aujourd’hui une capacité, majoritairement
intégrée, qui satisfait assez convenablement les besoins de la maille, du jean et des
tissus et fils divers, aux volumes actuels. Il n’y a pas grande disponibilité de teinture
et ennoblissement à façon. L’impression sur écrus est quasi inexistante.
La technicité propre à cette industrie requiert des investissements de volume, de
souplesse, de diversité de process, d’infrastructure et donc de coût tels que pour être
efficace, et surtout compétitif, une certaine taille est nécessaire, donc des débouchés
variés et complémentaires pour absorber les importants coûts fixes et équilibrer les
charges. La position de façonnier semble aujourd’hui la meilleure solution pour un
développement significatif du Maroc dans ce point de passage obligé de toutes les
ambitions qu’on peut nourrir pour l’industrie marocaine du textile-habillement. Il
faudrait pouvoir traiter dans les 5 ans des volumes de l’ordre de 25.000 tonnes
en fil et autant en tissus (chaîne et trame, maille et impression) ce qui peut
conduire à la création de 7 à 8 unités de production d’ici 5 ans.
B2/ 2. Le cas du jean
- le secteur jean-denim demande un commentaire particulier
Tout d’abord il constitue une des quatre filières autour desquelles s’est engagée la
réflexion des industriels du textile-habillement. Ses outils relèvent de la filature, du
tissage, de l’ennoblissement en fils (indigo) puis en produits finis (toutes opérations
de délavage, sablage etc..) et de la confection. De fait une partie des observations ci-
dessus le concernent.
Mais le jean présente aussi des caractéristiques spécifiques très intéressantes :
o c’est le produit cité en premier par les donneurs d’ordre comme spécialité
marocaine. Et cet attribut spontané ouvre une large perspective de
progression, car objectivement le volume exporté en Europe est aujourd’hui
très largement surpassé par les livraison turques et tunisiennes.
o Il entraîne dans son sillage un chiffre d’affaires de vêtements « sportswear »
estimé à deux fois celui du pantalon jean proprement dit. Ce segment de
marché est celui qui progresse au détriment du vêtement plus « formel ». Il
inclut des vêtements de chaîne et trame et de maille. C’est un avantage
d’avoir une locomotive aussi clairement typée que le jean pour faire
progresser l’ensemble
23
o Le jean est un produit « phénix » qui rebondit constamment par le tissu, le
style, l’accessoirisation, l’ennoblissement. Ces deux derniers postes peuvent
coûter aussi cher que le tissu plus la confection. Il s’ensuit donc une grande
latitude potentielle de valeur ajoutée
Le Maroc importe plus de tissu qu’il n’en produit (25 millions de mètres contre environ
18 estimé) Les deux tiers de ces importations viennent d’UE donc à un coût que le
Maroc pourrait alléger en produisant localement.
Le concurrent du Maroc est la Turquie. Du fait de son potentiel industriel, la Turquie
dispose d’une offre large qui attire les donneurs d’ordre. Les exportations turques de
pantalons jeans à destination de l’Europe ont augmenté de 11 millions de pièces en
2002 alors que le Maroc régressait de 1,5 millions. Le prix moyen payé par l ‘UE est
tout à fait accessible à l’industrie marocaine, y compris à partir de tissu européen. A
fortiori de tissu marocain qui serait créatif, diversifié, abondant et optimalement
produit. Ce qui n’est pas suffisamment le cas aujourd’hui.
Un objectif spécifique « jean » de doublement des exportations à destination de
l’UE (impliquant le tissu, l ‘ennoblissement, la création et un marketing très
volontariste) est envisageable Il s’agit donc de produire 20 millions de mètres
de denim de plus, de diversifier les poids et les armures, de créer des
collections, d’accessoiriser, d’être inventif , flexible et puissant en
ennoblissement .
On rappelle que l’image du jean marocain est plus large que son volume. Et que le
jean est la locomotive du segment le plus porteur du marché des vêtements. Dans
ce cadre, un acheteur de la distribution devrait considérer qu’il n’a pas valablement
fait le tour de l’offre tant qu’il n’ a pas étudié l’offre marocaine. Aujourd’hui il va en
priorité en Turquie.
Le jean est potentiellement un produit « identitaire » fort pour le Maroc. Doté
d’un marketing volontariste (ambitieux) il peut devenir un pivot de redéploiement
d’une partie significative de l’industrie du textile-habillement marocaine.
B2/ 3. Le textile de maison
Le textile de maison est lui aussi un vecteur potentiel identitaire fort pour le
Maroc très clairement relié au « salon marocain » et à l’artisanat. L’avenir de ce
secteur requiert une réflexion pointue sur la distribution qui permettra de défendre le
marché intérieur et de construire l’exportation. La valeur ajoutée sera à rechercher
24
d’abord dans un mouvement appuyé vers le produit fini ( qui permettra une mise en
valeur de la création marocaine) avant de songer à des développements importants
de production textile ( tissage, filature ) La création d’une marque « Maroc » serait
sans doute un avantage dans la conquête des marchés mondiaux . Comme pour le
jean, l’image marocaine préexiste très fortement et peut supporter une volonté de
développement raisonnablement ambitieuse. L’abaissement progressif des barrières
douanières marocaines, qui ont permis à ce secteur de se développer, le fragilise
désormais. Comme pour le vêtement, le choix n’est guère offert que vers une
évolution résolue en direction d’une création étayée par un marketing lucide.
B3/ Les actions à entreprendre
B3/ 1. Pour un volontarisme industriel
Il s’agit de :
- mettre en place un plan de productivité-organisation-rigueur qui doit concerner le
secteur confection dans son ensemble .A des degrés divers toutes les entreprises
peuvent progresser. Elles y sont contraintes. L’adoption d’un objectif de délai court (
par exemple 2 semaines en sous-traitance, 4 semaines en produit fini) aurait
l’avantage de concerner « l’entreprise Maroc » toute entière, inclus les douanes, la
logistique, et d’une manière générale tous les acteurs liés en partenariat.
- accroître l’offre textile soit par la production comme envisagé ci-dessus, mais aussi
et sans doute d’abord (en termes de calendrier) par la mise en place de compétences
de converting, et de partenariats qui permettront de crédibiliser rapidement une offre
textile abondante.
- développer le volume et la diversité des outils d’ennoblissement, et la
compétence et la qualification du personnel concerné
- des plans d’action spécifiques aux quatre filières (chaîne et trame, maille, jean et
sportswear, maison) doivent souder les partenaires autour d’objectifs collectifs à
developper chacun pour son entreprise en favorisant au maximum le travail en
réseau
25
- impliquer les banques dans un soutien actif aux entreprises, à l’opposé d’une trop
fréquente attitude frileuse. Le virage vers la création, la valeur ajoutée et aussi le
volume vont requérir au minimum des besoins en fonds de roulement accrus.
- Requérir un engagement fort des pouvoirs publics par des actions concrètes
rapidement mises en œuvre dans les domaines de l’énergie, de l’environnement
(zones industrielles attractives et bien desservies en transports et infrastuctures
inclus les télécoms), des douanes, et du droit social. Des mesures incitatives en
faveur des investissements immatériels (RD et importations de compétences
techniques pour initier le redéploiement vers une valeur ajoutée notamment en
ennoblissement) sont également sollicitées.
- Mettre en place une large politique d’accroissement des compétences
B3/ 2. Quelle politique des compétences ?
La formation est la priorité des priorités pour les entreprises, accompagnées par un effort
concerté des pouvoirs publics. Notamment, l’accompagnement des nouvelles attentes des
donneurs d’ordre suppose que les entreprises acquièrent de nouvelles compétences liées
aux mutations de leurs métiers.
Plus globalement, Il va de soi qu’à l’heure de l’économie et de la société de
l’information, la stratégie ne pourra être appliquée que si l’industrie textile marocaine
dispose des compétences et du capital humain appropriés. Ceci suppose une
évolution profonde.
Il s’agit de :
- Accompagner les chefs d’entreprise
Un avantage essentiel de cette démarche est qu’elle doit permettre de communiquer aux
chefs d’entreprise des méthodes et réflexes les amenant à mieux comprendre l’évolution des
marchés, ainsi que celle de leurs clients actuels et potentiels et à mettre en application une
politique axée sur les services.
Une des dimensions importantes du projet est la prise en compte des facteurs interculturels,
avec en ligne de mire la crédibilité accrue de l’industrie marocaine sur la scène
26
internationale, et l’image de confiance qui lui est associée, domaine qui constitue, on l’a vu,
un gros point faible de la compétitivité perçue, et qui tient, certes à des problèmes
d’organisation, mais aussi à des malentendus occultés par l’apparente proximité culturelle
entre le Maroc et ses clients. Répétons-le: dans les années à venir, les règles des marchés
et de la globalisation seront largement anglo-saxonnes, et tout doit être fait pour que la
culture marocaine absorbe ces principes, se les approprie, pour sur cette base décliner ses
propres points forts, en matière de capacité relationnelle, d’accueil, de tolérance, de
flexibilité.
- Structurer la formation continue destinée aux responsables de l’industrie
Cette action concerne non seulement les dirigeants d’entreprise, mais aussi les
responsables marketing, produit, style, technique, logistique… Les responsables des
entreprises doivent en effet disposer des connaissances les plus pointues dans l’ensemble
des domaines qui constituent leur environnement stratégique. Ceci peut concerner des
points managériaux classiques (systèmes d’information, finances…) mais également liés aux
marchés internationaux, à la consommation, à la mode, à l’habitat, à la création.
- Mettre en œuvre la mise à niveau technique et organisationnelle
En matière d’emploi, il faut regarder les choses en face : le temps de la sous-qualification est
révolu. Le facteur clé de l’avenir, c’est la matière grise et la prise en charge par les salariés,
du futur de l’entreprise (empowerment). Un énorme effort de formation doit être engagé,
soumis à une exigence de pertinence (aux enjeux) et de qualité (des intervenants). Une
formation intensive de techniciens, notamment en ennoblissement, doit être une priorité
totale pour le Maroc à très court terme.
- Nourrir la compétence des structures de formation et de recherche
On retrouve ici également l’importance de l’expertise et la nécessité de la cultiver en
permanence. Il faut en particulier faire de l’ESITH le pôle de référence qu’il a vocation à
devenir et nourrir la compétence de l’OFPPT.
La valeur de l’ESITH est aujourd’hui évaluée à l’aune de sa capacité à former des ingénieurs
et collaborateurs de bon niveau, adaptés à la réalité des entreprises. C’est important, mais
cela ne suffit pas, ou plutôt doit s’inscrire dans un cadre plus général : car si l’ESITH est
27
aujourd’hui considérée comme une source de recrutement par les chefs d’entreprise, ceux-ci
ne lui confèrent pas le statut d’un pôle de référence vers lequel se tourner pour une réflexion
opérationnelle de haut niveau dans les domaines technologiques et logistiques. Notre
recommandation est de poursuivre les réformes engagées, mais aussi de formuler une
stratégie dont l’ambition dépasse l’objectif de fonctionnement traditionnel d’une bonne Ecole
d’ingénieurs et d’optimisation des programmes.
Par son rayonnement national, l’OFPPT a ipso facto un pouvoir d’intervention très élevé, en
formation première et continue. Sa taille est un atout mais aussi un handicap pour maintenir
une compétence de haut niveau et en phase avec l’évolution très rapide des conditions
techniques de performance des entreprises. Notre recommandation est de solliciter le corps
d’experts évoqué dans la section précédente, et de lui demander de participer activement à
la formation continue des formateurs de l’Office, dans le cadre de séminaires devant être
suivi par chacun des animateurs de l’Office au moins une à deux fois par an. Ces séminaires
doivent être également le lieu d’échanges d’expérience entre les formateurs.
- Combler les manques en formation technico-créative
Il est avéré que l’industrie marocaine doit apprendre à combiner au mieux créativité et
qualité, de manière notamment à améliorer sa performance en mise au point des produits et
en production proprement dite. Ce type de compétence n’existe que de manière ponctuelle
au Maroc, dans telle ou telle entreprise. Il faut en systématiser le développement, en créant
une structure à cette fin (ou éventuellement en adjoignant de nouvelles compétences à une
structure existante).
- Mettre en place une vraie école de mode
Les écoles de mode au Maroc ont relativement peu de légitimité (à l’exception du Collège
Lasalle, et de Art Com dans les domaines connexes. Leurs éventuels atouts ne leur
permettent pas en général, ni de répondre aux besoins des entreprises, ni d’apporter en
profondeur davantage de créativité à l’industrie comme à l’artisanat marocains. Elles ont de
surcroît l’effet pervers, que la France connaît bien, de donner aux entreprises et aux
étudiants une image biaisée, « paillettes » et illusoire de la mode. Il faut régler ce problème
de matière radicale, en créant une Ecole de mode répondant à de bons critères
académiques, avec un positionnement et selon des modalités qu’il faudra définir.
- Créer un observatoire économique du textile et de la mode
28
L’observatoire économique constituera l’outil indispensable à une bonne connaissance des
marchés et de leur évolution. L’enjeu est bien sûr d’avoir une approche économique et
efficace privilégiant l’accès aux bases de données existantes et une utilisation adaptée des
NTIC dans la gestion de l’information. Nous préconisons par ailleurs un partenariat à mettre
en œuvre immédiatement avec le CTCOE (qui fait partie de l’IFM) pour la France, avec le
CITYC pour l’Espagne, ainsi qu’avec les départements économiques de « sistema moda »
pour l’Italie et d’Euratex au niveau européen (d’autres partenaires pourront être associés
après avoir été identifiés, notamment en Grande-Bretagne, issus le cas échéant du monde
académique). Nous recommandons également, pour structurer le travail de l’observatoire, de
suivre des indicateurs de compétitivité (salaires, coût de l’énergie, équipements, taux de
change réel …), afin de pouvoir évaluer à tout moment la compétitivité relative du Maroc,
ainsi que des indicateurs de marché (évolutions des consommations nationales, des
structures de distribution…), plus particulièrement pour l’Europe et l’Amérique du Nord.
- Affirmer le rôle l’AMITH comme plaque tournante des débats conceptuels et
opérationnels
Le vaste projet de redéploiement des activités de l’AMITH a créé à la fois une forte
dynamique et des attentes importantes de la part des entreprises, des pouvoirs publics, des
médias, des interlocuteurs communautaires et internationaux. Une fois les principaux défis
réalisés, il importera de capitaliser sur les acquis et d’installer dans la durée une culture
adaptée aux défis de la modernité. Le gros avantage de la situation marocaine est que,
quels que soient les débats qui ont pu et peuvent avoir lieu au sein de l’AMITH, il est
reconnu à cette institution une autorité et une vocation à être un lieu de rassemblement et un
terrain de convergence des efforts de progrès et de développement des compétences.
Il faut également se rappeler, dans une optique d’offre marocaine globale, l’intérêt de se lier
à d’autres secteurs industriels, et, ce qui est très important, d’associer l’artisanat à cette
rénovation. Le projet sera d’autant plus fort que le rôle de l’AMITH sera étendu à des
secteurs voisins, que ce soit sous la forme d’une intégration ou d’une coopération.
L’essentiel est de développer une dynamique de services, offensive, créative et sereine, qui
doit s’accompagner d’une plaquette institutionnelle, d’un nouveau site Internet, d’une charte
de communication, et peut incarner la volonté marquée de l’industrie marocaine du textile et
de l’habillement de vivre avec son temps.
29
CONCLUSION
Le textile-habillement marocain, confronté à l’implacable compétition mondiale, a décidé de
prendre son futur en mains. Les actions énumérées ci-dessus convergent toutes vers « une
montée en gamme » .Il n’y a aucune autre possibilité, car désormais la course au prix le plus
bas a trouvé son mètre-étalon en Asie.
L’histoire du Maroc, ses compétences, son enracinement culturel et sa proximité avec
l’Europe lui donnent l’avantage du favori pour gagner le pari du partenaire « le plus proche »,
celui qu’on préfère avant même de le décider rationnellement.
Il faut bien entendu qu’aucune mauvaise raison ne vienne altérer cette prédisposition. Au
contraire tout bon motif de confirmer le choix sera un multiplicateur de confiance.
C’est un enjeu pour tout le pays. Les entrepreneurs marocains peuvent presque tout faire,
s’ils constatent un appui total des pouvoirs publics dans ce qui est un grand dessein pour le
Maroc.